LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 6 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 37 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénatrices, je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
J’inviterai maintenant mes honorables collègues à se présenter.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l’Ontario.
La présidente : Merci, chères collègues.
Bienvenue à ceux qui suivent nos délibérations. Je dois m’excuser auprès des témoins et des personnes qui nous regardent en ligne. Il me semble que je ne puisse pas me rendre à Ottawa même si je prends un vol à 14 heures. Je ne peux pas arriver à temps. Je m’étais également engagée à réaliser une entrevue. Je m’excuse d’être en retard.
Avant que nous ne commencions nos travaux officiels, j’aimerais que quelqu’un présente une motion d’ordre administratif. La motion est la suivante :
Que, nonobstant la pratique habituelle, conformément à l’article 12-17, le comité soit autorisé à tenir la réunion de cet après-midi sans quorum, si cela s’avère nécessaire, pour recevoir des témoignages, à condition que deux membres du comité soient présents.
Chères collègues, sommes-nous toutes en faveur? Merci.
Je déclare la motion adoptée.
Aujourd’hui, notre comité poursuivra son étude des déplacements forcés dans le monde dans le cadre de son ordre de renvoi général. Nous avons l’intention d’entendre des experts et des parties prenantes sur un vaste éventail de questions concernant les répercussions sur les droits de la personne dans le monde.
Les sujets pourraient comprendre les effets des déplacements sur les enfants, l’efficacité du Pacte mondial sur les réfugiés, également appelé Pacte mondial, des mécanismes de soutien financier nouveaux et émergents, le rôle du parrainage privé, les répercussions des changements climatiques et le rôle international du Canada dans la réduction des déplacements forcés tout en soutenant les réfugiés.
Cet après-midi, nous recevrons trois groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénatrices auront une période de questions et de réponses.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nos témoins ont été invités à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes.
Je tiens à accueillir nos premiers témoins, qui comparaissent tous deux en personne aujourd’hui. Je vous remercie, messieurs. Il s’agit de Craig Damian Smith, cofondateur, directeur exécutif et responsable de la recherche, Pairity; et de James C. Hathaway, professeur de droit, directeur fondateur du Programme de protection des réfugiés et du droit d’asile, Université du Michigan.
J’invite maintenant M. Smith à présenter son exposé, suivi de M. Hathaway.
Craig Damian Smith, cofondateur, directeur exécutif et responsable de la recherche, Pairity : Merci beaucoup de me recevoir et de m’offrir la possibilité de contribuer à l’étude. À titre d’information, j’ai quitté mon poste à l’université il y a environ un an pour travailler directement sur le projet Pairity, que j’ai fondé avec d’autres universitaires et avec des experts en droits et des scientifiques des données. Notre mission est d’appliquer les données et la technologie ainsi que les interventions en matière de recherche universitaire pour aider à élargir la réinstallation des réfugiés et le parrainage communautaire, améliorer les jumelages et les placements et mesurer les résultats concernant l’intégration des nouveaux arrivants réfugiés et la cohésion sociale avec les collectivités d’accueil. Nous travaillons avec tous les ordres de gouvernement, en mettant l’accent sur la recherche de solutions aux problèmes liés aux déplacements dans le monde.
Vous avez déjà entendu et vous entendrez des experts qui vont diagnostiquer les problèmes à grande échelle, et je serai heureux d’en parler par la suite. Je veux me concentrer sur la façon dont les innovations technologiques peuvent permettre d’atteindre les grands objectifs d’additionnalité et de partage des responsabilités qui sont au cœur des normes du régime international des réfugiés.
Je veux commencer par l’observation selon laquelle les États des pays du Nord, y compris les États riches comme le Canada, les États-Unis, divers États membres de l’Union européenne et le Royaume-Uni, mettent tous à l’essai diverses formes de parrainage communautaire et des voies complémentaires, y compris des voies d’accès à la main-d’œuvre, des voies d’accès à l’éducation et la réunification familiale pour les réfugiés, dont bon nombre sont inspirées ou appuyées directement par les modèles réussis du Canada.
Chez Pairity, au cours des dernières années, nous avons ouvert le dialogue avec un éventail d’organisations et de gouvernements afin de comprendre quels sont les obstacles pratiques à l’agrandissement de ces programmes et au respect des obligations que les États se sont fixées dans le cadre d’ententes comme le Pacte mondial sur les réfugiés. Nous avons découvert, en gros, que les obstacles majeurs sont d’ordre réglementaire, comme des obstacles à l’obtention de visas et les délais de traitement, par exemple, ce qui n’est rien de nouveau pour les gens qui suivent l’immigration au Canada, mais également l’absence de coordination entre les États de destination, qui puisent dans les mêmes bassins ou populations de personnes déplacées.
En particulier, il y a peu de coopération, voire aucune, entre les États riches concernant la façon de mobiliser les personnes déplacées dans les pays tiers — les pays d’asile — et c’est un problème que nous appelons le recrutement en amont. Il y a peu de considération voire aucune pour ce qui est des préférences des réfugiés ou de leurs attributs ou capacités à l’égard de toutes ces voies d’accès différentes qui émergent dans divers États de destination.
Il y a un manque de coordination entre les États de destination pour ce qui est de garantir les meilleurs placements possible, et c’est quelque chose que nous appelons la vérification et le tri en aval. Il n’y a pas non plus de coopération entre les États d’accueil pour suivre et comparer la réussite des voies d’accès à la réinstallation afin de comprendre les résultats après l’arrivée et d’optimiser et d’améliorer la coopération au fil du temps.
Nous pouvons régler bon nombre des problèmes en mettant à profit la technologie disponible et les interventions accessibles en matière de données tout en finançant de nouvelles innovations.
Nous devrions également reconnaître qu’il existe beaucoup de documents universitaires et stratégiques sur l’utilisation des données et de la technologie dans la gouvernance des migrations, dont la plupart sont dominés par une approche technosceptique, et il s’agit d’une approche assez bien fondée, en particulier parce que les États utilisent principalement la technologie pour contrôler et prévenir plutôt que pour faciliter la migration. Le Canada est également un chef de file dans ce domaine. Par ailleurs, les personnes vraiment techno-optimistes ne tiennent pas compte de la sauvegarde et de la protection des réfugiés. Elles ne tiennent pas compte de certains des écueils liés à l’application des données et des technologies aux situations humanitaires. Ensuite, il y a des problèmes concrets et pratiques sur le terrain concernant la littéracie numérique des réfugiés et les façons de mobiliser les populations déplacées.
Dans le cadre de notre travail, nous avons démontré qu’il est possible d’utiliser une voie intermédiaire qui peut mettre à profit les données et la technologie tout en permettant de surmonter ces obstacles. Il est non seulement possible, mais réalisable, d’optimiser l’accès aux programmes existants et leurs résultats, puis de fournir le type de données et de preuve pertinentes pour les politiques, ce qui aiderait les politiciens à étendre ces programmes.
Le Canada est déjà un chef de file mondial en matière de politiques pour ce qui est de l’établissement des réfugiés par habitant, du parrainage communautaire et des voies d’accès complémentaires. Le Canada a mis à l’essai le Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, ou PVAME, et est le siège de l’Entraide universitaire mondiale du Canada. Investir dans l’innovation à cet égard est vraiment à notre portée. Ce n’est pas difficile à faire sur le plan politique, et cela peut aussi avoir des répercussions énormes qui peuvent aider à remplir certaines des promesses du Pacte mondial sur les réfugiés, en particulier en ce qui concerne l’additionnalité et le partage des responsabilités. Cela peut créer de nouvelles possibilités de coopération internationale entre les États de destination et les États d’accueil et offrir des possibilités concrètes aux personnes déplacées, ce qui pourrait contribuer à réduire la demande de mobilité irrégulière.
Pour terminer, je dirai que la mobilité irrégulière est non seulement essentiellement dangereuse pour les migrants, mais en plus, elle finance les groupes criminels transnationaux, entraîne des dépenses démesurées pour des contrôles frontaliers et des politiques de confinement inefficaces, mine le sentiment du public à l’égard des systèmes d’immigration et d’asile, et peut soutenir les partis populistes nativistes dans les démocraties libérales. Il y a des choses très concrètes que le Canada et ses partenaires internationaux peuvent faire pour offrir des solutions de rechange. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Smith.
[Français]
James C. Hathaway, professeur de droit, directeur fondateur du Programme de protection des réfugiés et du droit d’asile, Université du Michigan, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité. Je suis heureux d’être de retour dans mon pays. C’est formidable!
[Traduction]
On m’a demandé de vous faire part de quelques commentaires concernant le Pacte mondial sur les réfugiés des Nations unies. En gros, c’est trop peu, trop tard. C’est ce que les avocats appelleraient un accord d’entente future. Il y a beaucoup de réunions, mais jusqu’à maintenant, à mon avis, il n’y a aucune substance.
Malheureusement, il n’y a pas d’autres options sur la scène mondiale. Je recommande donc que le Canada y participe, mais je veux vous dire, mesdames les sénatrices, que je pense que nous pouvons et devrions nous engager dans ce processus de manière à ce qu’il sorte de la phase de discussion dans laquelle il traîne jusqu’à maintenant et qu’il devienne un véritable moteur d’action sur le terrain, ce qui, bien sûr, est important pour les réfugiés.
En particulier, il n’y a rien de mal dans la définition actuelle de réfugié dans la Convention relative aux réfugiés de 1951. Elle fonctionne bien. Il n’y a rien de mal avec le catalogue des droits qu’elle confère aux réfugiés, des droits à l’autonomisation, en général, qui fonctionnent très bien lorsqu’ils sont respectés. Les rédacteurs du traité savaient, même en 1951, qu’il manquait une troisième étape, et c’est ce que le Pacte mondial sur les réfugiés était censé régler, mais ne l’a pas fait. Il s’agit de créer un mécanisme pour opérationnaliser le système mondial de façon équitable et prévisible pour tous les pays. Cela devrait être l’objectif du Canada.
Un projet que j’ai dirigé à l’Université York quelque 20 ans avant le Pacte mondial sur les réfugiés a conçu un modèle dont je veux parler brièvement et qui a deux vertus. Premièrement, il s’agit d’un modèle d’assurance qui permet à tous les États de savoir que leurs intérêts seront protégés, même s’il s’agit d’une protection habituelle. Deuxièmement — je tiens à le dire en particulier à ce moment-ci de notre histoire —, il s’agit d’un modèle à coût neutre. Il ne coûte pas un dollar de plus que ce que nous dépensons déjà.
Nous devons passer à un modèle de responsabilité commune, mais différenciée à l’échelle mondiale et nous éloigner de ce modèle atomisé, individuel, où chaque État fait les choses pour lui-même. Les dépenses dans les seuls pays riches représentent plus de 20 milliards de dollars par année, rien que pour évaluer les demandes d’asile, soit quatre fois ce que nous avons pour répondre aux besoins des 80 % de réfugiés dans les pays du Sud. Je pense que c’est une parodie et que c’est immoral, et je crois que le Canada a ce qu’il faut pour nous sortir de ce pétrin.
Dans le cadre du projet que j’ai mené, on croyait essentiellement qu’il y avait quatre principaux problèmes avec le système de détermination de l’asile.
Le premier concerne les obstacles à l’accès à l’asile. Croyez-le ou non, le Pacte mondial, la réalisation tant vantée des Nations unies, ne mentionne nulle part le mot « accès » à la protection. À quoi sert un système si vous ne pouvez pas y accéder ou si vous devez hypothéquer votre avenir auprès de trafiquants ou de passeurs?
Le deuxième problème que nous avons cherché à régler est celui de l’entreposage. Aujourd’hui, plus d’un tiers des réfugiés sont toujours coincés dans des camps de réfugiés. Un autre tiers environ sont coincés dans des bidonvilles, sans possibilité de travailler ou de nourrir leur famille. Cette situation est on ne peut plus immorale.
Le troisième problème concerne le gaspillage financier que je viens de décrire, à savoir que nous gaspillons 20 milliards de dollars par année dans les seuls pays riches pour évaluer les demandes de moins de 20 % des réfugiés qui nous parviennent, soit quatre fois plus que ce qui est disponible pour répondre aux besoins des 80 % dans les pays du Sud.
Et le dernier problème, qui, selon moi, est le plus important et celui dont on ne parle jamais, c’est qu’aujourd’hui, deux réfugiés sur trois se trouvent dans ce que l’on appelle des « situations de réfugiés prolongées », ce qui signifie que leur situation dure depuis au moins 20 ans sans qu’on en voie la fin. Ce chiffre — et je l’ai vérifié hier soir en prévision de ma rencontre avec vous — est passé de 16 à 24 millions au cours des quatre ou cinq dernières années. Sur les 24 millions de personnes dont la vie a été mise en attente, seulement 120 000, soit moins d’un demi pour cent, sont réinstallés au cours d’une année donnée. À mon avis, un élément essentiel de ce qui devrait être le régime de protection n’est rien de plus qu’un ajout facultatif, et nous serions mieux avec un système où il est au cœur.
Je vais mentionner rapidement les cinq points du système, puis j’attendrai vos questions sur les raisons pour lesquelles nous pourrions vouloir nous engager dans cette voie.
Le premier point, c’est que nous traiterions le point d’arrivée simplement comme le point d’entrée dans le système international. Il n’y aurait pas de présomption selon laquelle parce que vous arrivez au Canada, vous y resteriez. Il s’agit d’un point d’entrée sûr dans un système mondial. En coupant ce cordon, nous éliminons les incitatifs pour les passeurs et les trafiquants, car ils n’ont pas de résultats en matière d’immigration à vendre. Cela signifie également que le réfugié qui traverse la frontière depuis le Soudan ou celui qui a les moyens de se rendre à Toronto est traité de la même manière.
Le deuxième est une évaluation rapide du statut, normalement fondé sur le groupe. Autrement dit, nous n’avons pas besoin d’une audience de 25 000 $ pour déterminer qu’une femme afghane est une réfugiée. La plupart des réfugiés n’ont pas besoin d’un système aussi complexe que le nôtre.
Troisièmement, la période initiale de protection devrait normalement être offerte dans la région d’origine, dans un pays sûr de cette région, vers lequel nous déplacerions les réfugiés et dans lequel ils seraient en mesure de poursuivre leur vie, en maximisant leur compatibilité culturelle, professionnelle et autre pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ils seraient aussi suffisamment proches de leur lieu d’origine pour envisager un rapatriement, ce qui est essentiel si nous voulons maintenir le système en vie et ce que l’éloignement immédiat des gens détruit.
Le quatrième point est un asile de qualité dans le pays qui fournit cette protection initiale, non seulement en prenant en charge les coûts du système, mais aussi par l’intermédiaire de subventions conjointes qui permettent aux réfugiés d’être considérés comme des avantages par leurs collectivités d’accueil dans le cadre du processus de développement.
Le dernier point, et le plus important, c’est que si nous regardons l’histoire des 20 dernières années, environ le quart des réfugiés sont en mesure de rentrer chez eux en cinq ans; environ le quart d’entre eux sont en mesure de se réinstaller localement.
Il en reste donc la moitié qui, jusqu’à maintenant, est devenue le problème de la situation de réfugiés prolongée. Dans le cadre de ce modèle, toutes ces personnes se verraient garantir une réinstallation au bout de cinq ans, ce qui représente un travail colossal pour des pays comme le Canada. Nous passerions à environ 1,7 million de réinstallations par année, ce qui peut sembler élevé, mais nous traitons actuellement 1,65 million de demandes d’asile dans les pays riches, une tâche qui n’existerait plus selon ce modèle. Nous échangeons simplement des systèmes juridiques coûteux contre une garantie de réinstallation au bout de cinq ans.
Je suis impatient d’entendre vos commentaires et vos questions, mais j’aimerais lancer l’idée suivante : nous devons faire pression pour que le Pacte mondial ne soit pas simplement un forum de discussion, mais qu’il exige des propositions réelles et concrètes pour un système mondial de responsabilités communes, mais différenciées entre les États. Merci.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux de vos exposés.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénatrices. J’aimerais rappeler aux sénatrices qu’elles ont cinq minutes pour la question et la réponse.
La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d’être venus. C’est un honneur de vous accueillir ici. J’ai énormément de questions à poser, mais j’aimerais commencer par vous, monsieur Craig Damian Smith.
À quelle échelle Pairity exerce-t-il ses activités? Quelle est sa portée et quel genre de travail faites-vous au Canada, ou faites-vous du travail?
M. Smith : Nous ne travaillons actuellement pas au Canada. Le projet est le fruit de projets financés par le gouvernement du Canada et par le Conseil de recherches en sciences humaines pour examiner les relations entre l’accès au capital social et l’intégration des réfugiés et la cohésion sociale avec les collectivités d’accueil. Il s’agissait d’un projet pilote mené aux Pays-Bas dans quatre villes qui a duré quelques années.
Nous travaillons actuellement sur un grand projet en Europe pour aider à relocaliser et à orienter les réfugiés ukrainiens depuis la Pologne, c’est-à-dire depuis les États de la ligne de front jusqu’à six municipalités en Allemagne. Notre plus grand projet se trouve aux États-Unis. Nous travaillons sur Welcome Corps, le nouveau programme de parrainage privé des réfugiés mis en place par les États-Unis et l’administration Biden, et à cette échelle, nous réalisons plusieurs milliers de jumelages. La technologie de base que nous avons mise au point est une série d’algorithmes qui aident à établir des jumelages de la plus haute qualité entre les réfugiés et les filières de relocalisation et les destinations ou les groupes de parrainage. Il s’agit d’un mélange de tous ces éléments.
Je dirai que nous avons eu des conversations intéressantes avec les cabinets des ministres au Canada.
La sénatrice Jaffer : Je suis heureuse de vous revoir, monsieur Hathaway. Cela fait un bail. Bienvenue.
Je suis intriguée à la fois par vos quatre points et par vos cinq points. J’ai plein de questions à poser, mais je vais commencer par l’entreposage et vos quatre points. Pour ce qui est des camps de réfugiés, des bidonvilles, mettriez-vous également les centres de détention dans le même panier?
M. Hathaway : Je ne l’ai pas fait dans les chiffres que je vous ai fournis, mais oui, vous avez parfaitement raison. Au-delà du tiers des réfugiés qui sont coincés dans les camps de réfugiés et du tiers de ceux coincés dans les bidonvilles, en particulier dans des pays comme les États-Unis, qui détiennent illégalement tous les demandeurs d’asile, il y en a beaucoup plus qui se voient refuser leurs droits au moment même où l’on se parle.
La sénatrice Jaffer : Malheureusement, même notre pays compte des centres de détention, et ce n’est pas quelque chose dont nous sommes fiers.
M. Hathaway : Oui.
La sénatrice Jaffer : C’est la première fois que j’entends parler de vos cinq points. Je vais les étudier davantage, donc veuillez m’excuser. Dans des groupes, j’ai souvent parlé à notre gouvernement. Je suis Ougandaise, et nous faisions partie d’un groupe. Je suis maintenant Canadienne, mais ce que je voulais dire, c’est que, en tant que réfugiés ougandais, nous étions classés par groupes. Depuis, j’essayais en vain de convaincre le gouvernement de regrouper les femmes afghanes ou des groupes de ce genre, surtout après que nous avons quitté l’Afghanistan. Mais il ne semble pas qu’il y ait un intérêt pour ces types de groupe.
Avez-vous discuté de cette question avec le gouvernement?
M. Hathaway : Oui. Ironiquement, il y a de nombreuses années, j’ai également participé à la formation de tous les membres originaux de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada, et Peter Harder, qui est devenu le greffier du Conseil privé, était alors le directeur général de la Commission. M. Harder et moi-même avons imaginé le scénario de ce que nous appelions « les cas manifestement fondés », à savoir que si une personne venait d’un groupe dont nous savions qu’il serait essentiellement reconnu, il était possible de tenir une audience de 30 minutes pour vérifier son identité et sa sécurité sans qu’il soit nécessaire de gaspiller de l’argent dans une audience.
Je ne sais pas si cela existe toujours. Je crois que non, mais c’était une idée brillante.
Les Nations unies, bien sûr, s’occupent de la plupart des déterminations du statut de réfugié dans le monde, plus que qui que ce soit d’autre, et elles utilisent presque exclusivement la détermination du statut de groupe. Les personnes qui soulèvent des préoccupations en matière de sécurité ou d’identité, ou qui ont des revendications particulières, sont détournées. Mais encore une fois, si vous regardez les principaux groupes de réfugiés dans le monde d’aujourd’hui, ils fuient en groupes, et une fois que l’identité est établie, il n’y a pas beaucoup d’intérêt à faire subir aux gens des audiences non seulement coûteuses, mais aussi traumatisantes.
La sénatrice Jaffer : Jusqu’à tout récemment — je ne sais pas ce qu’il en est maintenant — je sais que lorsque je pratiquais le droit, si la personne était bahá’íe, c’était assez facile de la faire venir. Ce système fonctionnait jusqu’à tout récemment. Je n’ai pas entendu parler de dFAST sauf dans le cas de ce groupe.
La sénatrice Omidvar : Permettez-moi d’abord de féliciter la présidente et le greffier d’avoir réussi à obtenir la présence de grands esprits. J’ai beaucoup appris de vous dans le passé et je suis ravie que vous soyez ici pour nous aider à sortir des sentiers battus, car c’est ce que nous devons faire. Ma première question s’adresse à M. Hathaway.
Votre proposition de créer un système qui déplace les gens dans le cadre du processus sans qu’elles doivent se soumettre au processus traumatisant et très coûteux des audiences, et cetera, est quelque chose dont j’ai entendu parler. Or, pourriez-vous nous dire dans vos propres mots à qui cela conviendrait le mieux et de quelle manière?
M. Hathaway : Je pense que c’est mieux pour tout le monde. Ayant été élevé dans la foi catholique, j’ai un faible pour le concept de trinité. Premièrement, les réfugiés n’auraient pas besoin de risquer leur vie pour avoir accès à une protection solide. Deuxièmement, la protection serait vraiment une protection, une protection responsabilisante, et il ne s’agirait pas d’être enfermé en détention ou jeté dans un camp pendant 20 ans. Troisièmement, et c’est le plus important, tout le monde obtiendrait une solution durable dans les cinq ans; il n’y aurait plus de situations de réfugiés prolongées.
Il existe un triptyque pour les pays riches et les pays pauvres également. Les pays pauvres n’auraient pas besoin de demander la charité comme ils le font maintenant. Deuxièmement, les fonds seraient destinés non seulement au processus, mais ils serviraient également à financer les liens entre les réfugiés et les collectivités d’accueil. Troisièmement — c’est une chose importante que j’ai apprise pendant la période que j’ai passée en Afrique —, ils ne seraient pas punis pour avoir gardé leurs portes ouvertes, parce que nous leur aurions dit qu’ils devaient garder ces personnes à jamais et que nous n’avons pas la responsabilité de faire quoi que ce soit à leur sujet dans le cadre de notre réinstallation obligatoire.
La sénatrice Omidvar : Qui gouvernerait ce système? C’est une question importante.
M. Hathaway : C’est une immense question. Pour moi, c’est l’une de deux grandes questions. La deuxième est la suivante : comment allons-nous d’ici à là?
Idéalement, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, également connue sous le nom de Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, aurait dû dire qu’elle s’occuperait de cette question. Le HCR a montré très peu d’intérêt, si je peux être franc, pour moderniser son approche à l’égard de la protection. Les responsables semblent penser que faire tourner la roue comme ils le font depuis 70 ans est ce qu’ils font de mieux. Ils n’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt à cet égard.
Le Conseil mondial pour les réfugiés, entre autres, a laissé entendre, comme vous le savez, que nous devrions peut-être réfléchir de manière plus large à l’agence internationale de supervision. L’Organisation internationale pour les migrations, également appelée OIM, et le HCR sont déjà en conflit. Ils seront probablement consolidés à un moment ou un autre au cours des prochaines années. C’est le bon moment pour parler de ce à quoi nous voulons que ressemble l’agence internationale.
La sénatrice Omidvar : J’ai quelques questions de plus, dont une pour M. Damian Smith.
Je suis reconnaissante du travail que vous faites avec vos partenaires et la technologie. Je connais votre travail, et vous avez réfléchi aux tensions mondiales et à des solutions mondiales également.
Tandis que nous voyons ce qui se passe dans le monde à l’heure actuelle, le partage des responsabilités est rejeté partout. La Turquie est payée par l’Union européenne pour accueillir des réfugiés syriens. L’Italie va sous-traiter le traitement des demandes d’asile à l’Albanie. Nous devrions parler de ce que font les États-Unis. Le Royaume-Uni va sous-traiter le traitement des dossiers au Rwanda. Le Pakistan expulse des réfugiés, y compris ceux qui pourraient être autorisés à obtenir un visa du Canada.
J’aimerais obtenir vos points de vue sur ce que l’ordre mondial devrait faire ou ce que des États aux vues similaires devraient faire, ou sur ce que le Canada en particulier devrait faire.
M. Smith : Je suis heureux que vous ayez mentionné les « responsabilités communes, mais différenciées ». Ce qui s’est passé avec ce type de norme sous-jacente du régime des réfugiés, c’est que, essentiellement, les États riches payent pour que les États d’accueil gardent des réfugiés dans ces pays. L’« entreposage de réfugiés » suppose qu’il y a en jeu une véritable politique, et il y a une coordination entre les États pour que cela se concrétise. Donc, les « responsabilités communes, mais différenciées » se traduisent essentiellement par une diplomatie du chéquier visant à maintenir les réfugiés là où ils se trouvent, en procédant à quelques réinstallations humanitaires.
Changer cela, changer ce que nous considérons comme les responsabilités communes, mais différenciées... Encore une fois, si nous revenons au Pacte mondial sur les réfugiés, le processus depuis la dernière ébauche — ou l’ébauche zéro, comme on l’appelle — jusqu’à la version finale, l’idée maîtresse était de fixer des repères concernant le partage des responsabilités. À quoi ressemblerait réellement le partage des responsabilités et comment atteindre certains objectifs par année, dont l’un pourrait être la réinstallation humanitaire en tant que solution durable? Cette idée a été abandonnée, pour des raisons politiques, entre la version zéro et la première version, puis la version finale.
Le Canada et ses partenaires, des États aux vues similaires, pourraient s’engager, en tant qu’États souverains, à relancer ce processus et à réfléchir à ce que pourraient être les points de repère. Nous nous sommes rendus ensemble à Berlin, où nous avons présenté des documents sur ce que pourraient être des mesures réelles ou un véritable partage des responsabilités.
Il ne manque de modèles que nous pourrions examiner concernant ce que serait un partage équitable des responsabilités ou ce à quoi pourraient ressembler des responsabilités communes, mais différenciées. C’est la dynamique politique visant à institutionnaliser ces modèles qui, à mon avis, constitue le gros problème. Des centaines de personnes intelligentes se sont déjà efforcées de résoudre ces problèmes.
La sénatrice Lankin : Nous apprécions vraiment que vous vous soyez déplacés pour venir ici et nous aider dans ce projet. J’ai beaucoup de questions. Je vais commencer par une question qui s’adresse à vous deux.
Monsieur Smith, lorsque vous parlez de « partage des responsabilités », et, monsieur Hathaway, lorsque vous parlez de « responsabilités communes, mais différenciées », je veux savoir si nous parlons de la même chose ou s’il s’agit de deux concepts différents. S’il s’agit de la même chose — ou non — vous pourriez peut-être l’expliquer? Dans l’exemple américain, vous parliez d’une opposition entre les États et le gouvernement fédéral. Au Canada, existe-t-il un exemple de manque de partage des responsabilités entre les provinces qui s’occupent de l’établissement, qui travaillent avec les organismes communautaires et le gouvernement fédéral, ou parlez-vous davantage de la responsabilité du Canada de discuter avec d’autres États aux vues similaires et de mettre en place ces autres repères et d’autres choses? Pourriez-vous tous les deux m’en dire un peu plus?
M. Smith : Je m’en remets à l’avocat pour la distinction dans les définitions.
M. Hathaway : Nous sommes bons à quelque chose. Je vais être honnête avec vous, beaucoup de gens utilisent le « partage du fardeau » pour tout désigner. L’Union européenne, par exemple, a une grande formule qui concerne à la fois l’argent et les personnes, ce que je trouve épouvantable. Je pense que ce n’est pas la bonne voie à suivre.
Le projet de l’Université York que je vous ai décrit a été le premier à établir une dichotomie entre le partage du fardeau, c’est-à-dire le partage de l’argent, qui est la responsabilité financière, et le partage des responsabilités, qui concerne les personnes. Les gens ne sont pas des fardeaux.
Ce n’est pas la même chose que les responsabilités communes, mais différenciées, selon lesquelles il est acceptable que ce ne soit pas un modèle universel.
Par exemple, selon notre modèle, tous les États procéderaient à l’accueil. Les États de la région assureraient ce que nous appelons une protection pendant la durée du risque au cours de ces premières années. Des pays comme le Canada s’occuperaient principalement de la réinstallation, ce que d’ailleurs la plupart des États africains ne souhaitent pas faire.
Nous laissons différents États effectuer dans le système différentes tâches qui, ensemble, forment un régime de protection holistique et complet. Nous cherchons à assurer le partage du fardeau et des responsabilités par une diversité de rôles, ce qui équivaut à tout ce qui est nécessaire. Cela vous éclaire-t-il?
La sénatrice Lankin : Oui. L’exemple que vous avez donné concernant les États-Unis était clairement...
M. Hathaway : J’essaie de me rappeler quel était l’exemple.
La sénatrice Lankin : Lorsque vous parliez de responsabilités communes, mais différenciées, je pensais que vous parliez des États-Unis, où chaque État fait ses propres évaluations.
M. Hathaway : Je voulais dire les États comme les pays.
Désormais, chaque État-partie gère son propre système, possède sa propre bureaucratie et son propre organe décisionnel. Ne serait-il pas plus efficace d’avoir un corps international de décideurs que l’on déploierait simplement dans une situation donnée?
La sénatrice Lankin : Merci. Cela est logique.
Monsieur Smith, je n’ai pas les mots exacts, mais vous avez parlé de données sceptiques ou de cadre technologique sceptique.
Pourriez-vous nous expliquer quelles parties du système créent ce scepticisme et à quoi ressemblerait le processus de changement ainsi que les facteurs en cause?
M. Smith : Oui. Je vous remercie de la question.
Nous utilisons des algorithmes. Nous utilisons des mégadonnées. Certains aspects de notre travail pourraient bénéficier de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle. Ces mots semblent effrayants, surtout lorsqu’ils sont appliqués à la gouvernance des migrations.
Des pays comme le Canada utilisent des statistiques et certains aspects de l’apprentissage automatique pour tenter de garantir que les personnes qui obtiennent un visa de résident temporaire pour visiter le Canada et qui pourraient tenter de demander l’asile voient leur visa rejeté.
L’Union européenne utilise beaucoup de technologies pour fermer les frontières extérieures afin de garantir que les personnes ne puissent pas arriver ou, lorsqu’elles arrivent, qu’elles soient facilement suivies et appréhendées, par exemple. C’est ainsi que la plupart des États ont commencé à utiliser ces technologies émergentes en ce qui concerne la gouvernance des migrations. Il existe désormais — chez des universitaires et des observateurs — un techno-scepticisme qui fait fi de la manière dont les applications technologiques peuvent être utilisées pour faciliter et améliorer la mobilité. C’est ce que je voulais dire.
Du côté techno-optimiste, il y a la mentalité de la Silicon Valley selon laquelle vous mettez toute votre technologie à l’œuvre, et la question sera réglée. Cette approche passe complètement à côté du fait qu’il s’agit de populations vulnérables, de questions politiquement sensibles et qu’un grand degré d’expertise dans le traitement de ces personnes, par rapport à des choses comme des soins tenant compte des traumatismes ou des normes de protection, sont des aspects nécessaires à cet égard.
En 2016, nous avons vu émerger des centaines d’applications. Il existait une application pour tout, pour chaque aspect de la mobilité des réfugiés. Non seulement l’intérêt du public à cet égard a diminué en quelques années, à mesure que les cycles des actualités passaient à autre chose, mais la plupart de ces applications se sont effondrées parce que les gens ne voulaient pas les utiliser. Les gens veulent continuer à vivre leur vie.
Nous parlons d’utiliser différents types de technologies pour faciliter l’accès, effectuer de meilleurs placements et optimiser les choses, et également garantir que les personnes déplacées ont accès à différentes capacités d’agir dans le processus. C’est ainsi que nous abordons les choses.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Nous sommes vraiment privilégiés de vous avoir parmi nous aujourd’hui.
Ma question s’adresse à M. Hathaway.
La semaine dernière, nous avons reçu des témoins qui nous ont indiqué que seulement 36 % du financement du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou HCR a été comblé. Toutefois, on a atteint des sommets incroyables, soit 114 millions de réfugiés.
Dans votre propos, vous nous indiquez qu’en fait, ce n’est pas un problème d’argent. Si j’ai bien noté, 20 milliards de dollars ont été dépensés annuellement. Il semble un peu surprenant de voir que, d’un côté, on nous dit qu’il manque des fonds et de l’autre côté, qu’on dépense pour rien, puisque vous dites que c’est seulement 1 % des résultats qui sont atteints.
Pourriez-vous préciser un peu votre vision sur la question du financement du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et de l’utilisation de ces fonds?
M. Hathaway : Je suis d’accord avec vous sur le fait que c’est surprenant. De mon point de vue, ce n’est vraiment pas une situation éthique.
Lorsque j’ai dit que nous dépensions énormément plus de fonds afin de surveiller et de mettre en place un système de reconnaissance des réfugiés nationaux que ce que l’on dépense pour 80 % des réfugiés dans le tiers-monde, c’est sûrement, selon moi, un dépassement de fonds qui n’a pas de bon sens.
Je ne parle pas tellement du HCR en tant qu’organisme. Cependant, cela vaut la peine de noter que 98 % du budget du HCR n’est pas garanti. Seulement 2 % du budget est garanti, ce qui fait en sorte que l’organisme est vraiment très susceptible d’être influencé par ce qui est à la mode à un moment donné. Il n’a pas la possibilité de vraiment planifier pour l’avenir.
Dans le système que j’ai proposé, il y aurait une espèce de securities exchange commission, dont les fonds ne seraient plus gaspillés sur le système national. On pourrait utiliser ces fonds pour payer les frais d’une adjudication internationale — les frais pour le transport et le soutien dans le premier pays d’asile — et à la fin, si c’est nécessaire, pour aider la personne à venir au Canada, en Europe, etc.
La sénatrice Gerba : Je vais adresser ma question à M. Damian Smith.
Vous parlez de systèmes informatiques ou d’applications pour l’évaluation ou le traitement, alors qu’on constate qu’il y a beaucoup d’algorithmes qui ont encore des biais.
Quel système proposez-vous pour faire l’évaluation des candidatures?
[Traduction]
M. Smith : Il existe différents types de systèmes qui peuvent être utilisés.
Si nous voulons avoir une vue d’ensemble globale, ce qui semble être le cadre ou le débat ici, vous avez des centaines de milliers, des millions de réfugiés qui attendent d’être réinstallés, qui se trouvent peut-être dans des situations prolongées, qui ne sont peut-être réfugiés que depuis quelques années, puis vous avez cette multiplicité de voies partout dans le monde.
Vous avez toutes ces voies complémentaires. Il existe des systèmes de réinstallation, des parrainages privés aux États-Unis, des programmes de coparrainage pour les Ukrainiens, des programmes pour les Afghans, et cetera. Il existe une gamme étourdissante de ces choses.
Essentiellement, la façon de faire actuelle consiste à s’aligner sur le HCR. Le HCR vous dira ce qui est disponible, à moins que vous n’ayez un parrainage désigné dans le cadre d’un parrainage privé de réfugiés comme nous en avons au Canada, mais il s’agit essentiellement désormais de la réunification des familles. Il n’y a rien de mal à cela. Les gens ont des membres de leur famille qui sont des réfugiés. Il s’agit également d’une répartition inégale des ressources, car ces ressources reviennent à des personnes qui se trouvent dans des pays comme le Canada, lesquels ont les moyens de les réinstaller.
Les interventions technologiques pourraient faire un certain nombre de choses : premièrement, dès le début du recrutement, permettre aux gens d’accéder potentiellement à une file d’attente mondiale ou à un bureau central mondial. Nous pourrions comprendre où ils ont des membres de leur famille, quel type de travail ils veulent faire à l’avenir, s’ils veulent aller à l’école, et cetera. Ensuite, à l’autre bout, des États comme le Canada et ses partenaires pourraient offrir un nombre X de places pour la réinstallation ou des voies complémentaires.
Les types d’algorithmes que nous utilisons sont appelés algorithmes de jumelage selon les préférences. Ils sont utilisés dans le cadre des résidences en médecine aux États-Unis depuis des années et sont fondés sur des modèles économiques solides. Au lieu de prendre le meilleur jumelage possible et de descendre jusqu’à obtenir le pire jumelage possible, l’algorithme distribue les ressources et maximise l’utilité — désolé d’être un peu technique — pour essayer de répondre aux préférences ou aux capacités des deux parties au jumelage. De cette façon, cela permet de mettre en place une géométrie variable, mais cela contribue également à réduire les biais quant au fonctionnement du jumelage, et cela peut considérablement favoriser une mise à l’échelle.
Nous avons vu les arriérés au Canada lorsqu’il incombe aux fonctionnaires de consulter des feuilles Excel. Ce n’est pas une manière efficace d’examiner les données, et ce n’est pas non plus une manière équitable d’examiner l’immigration ou d’accorder des visas. C’est ce que je veux dire quand je parle de la voie intermédiaire entre le techno-scepticisme et le techno-optimisme, c’est une voie qui, oui, aide à aplanir le chemin et à élargir l’accès.
La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour M. Hathaway, puis une pour vous deux. Je ne comprends pas ce que vous entendez par « déménager vers des pays sûrs ». Qu’entendez-vous par un pays sûr?
M. Hathaway : Par exemple, une personne fuyant le Venezuela pourrait vivre au Costa Rica plutôt qu’au Canada pendant les premières années.
La sénatrice Jaffer : Considérez-vous le Costa Rica comme un pays sûr?
M. Hathaway : Oui, en effet. Le critère décisif comporte deux volets. Premièrement, les responsables ont-ils signé la Convention sur les réfugiés? Et deuxièmement, l’appliquent-ils réellement? Ce serait le critère décisif, car le financement ne serait versé aux États hôtes qu’à condition qu’ils respectent leurs obligations au titre de la Convention sur les réfugiés.
La sénatrice Jaffer : J’ai tellement de questions pour vous deux. Quand j’entends ce que vous dites tous les deux et que vous êtes si enthousiastes, cela me réjouit vraiment. Je suis dans le système des réfugiés ici depuis longtemps, en plus d’être réfugiée, et je constate maintenant que l’opinion publique est contre les réfugiés et contre l’immigration. Monsieur Smith, vous avez fait beaucoup de travail avec votre formation. Quels types de formation faites-vous pour prévenir les sentiments anti-réfugiés et anti-immigration?
Monsieur Hathaway, il semble — et peut-être que je suis très bornée aujourd’hui — que les Canadiens ne veulent pas augmenter le nombre de réfugiés. Ils ne veulent pas de réfugiés. Si nous parlons même des réfugiés, on entend : « Ils nous enlèvent nos maisons. Non, il y a une pénurie de logements. Nous n’en avons pas besoin. »
M. Smith : Je n’influence pas l’opinion publique sur les questions liées aux réfugiés.
La sénatrice Jaffer : Mais faites-vous de la formation à ce sujet? C’est ce que je demande. Vous avez un programme de formation.
M. Smith : L’une de nos principales activités est d’essayer de mesurer non seulement l’intégration des réfugiés, mais aussi la cohésion sociale et la manière dont l’expérience de l’accueil de réfugiés dans une collectivité touche la collectivité d’accueil.
Malgré le récent sondage Environics, malgré les tentatives des partis d’opposition de lier l’immigration au logement et aux infrastructures... ce qui aurait dû être lié à cela pour toujours et pour des décennies. C’est probablement une bonne chose que le Canada réfléchisse à la compréhension des infrastructures et du logement par rapport à l’immigration. C’est un aparté. Le Canada est remarquablement résilient face au populisme anti‑immigration lorsqu’il s’agit d’une question qui devient une question électorale. Cela ne veut pas dire que ces sentiments n’existent pas.
M. Hathaway : Nous devons changer la façon dont nous encadrons cela. Il ne s’agit pas d’un jeu « nous contre eux ». Si je vous disais que nous pourrions faire plus de bien à davantage de personnes sans injecter plus d’argent, c’est un bon point de départ.
Pour le monde industrialisé — et c’est en réalité votre question —, j’ajouterais trois choses : nous assécherions le marché des passeurs, qui dérange à juste titre les Canadiens; nous serions en mesure d’examiner les problèmes de sécurité avant que les gens ne soient réinstallés ici, ce qui répond à une autre grande préoccupation; et, troisièmement, et c’est peut-être le point le plus fondamental pour répondre à votre question, en nous occupant principalement de la réinstallation, nous accueillons les réfugiés d’une manière qui correspond mieux et plus facilement à des pays comme le Canada.
La sénatrice Jaffer : Merci.
La sénatrice Omidvar : J’ai une brève question pour vous deux. Monsieur Hathaway, si attirée que je sois par votre proposition — et elle m’attire vraiment...
M. Hathaway : J’entends venir une question théorique.
La sénatrice Omidvar : Non, non, je me ferai l’avocate du diable. Vous suggérez qu’une nation, par exemple le Canada, renonce à son autorité nationale et la laisse être subsumée dans un modèle de gouvernance internationale, et que nous abandonnions notre argent et respections les décisions du modèle de gouvernance internationale. Est-ce politiquement faisable?
M. Hathaway : Je ne pense pas que ce soit exactement ce que je suggère. Je vous prie de m’excuser si j’ai donné cette impression. Nous aurions des formules pour notre part. La meilleure version a été réalisée par Oxfam, qui a déterminé que la part de responsabilité mondiale du Canada est d’environ 2,5 % sur le plan financier et humain. C’est intéressant, car le jumelage selon les préférences fait partie intégrante du modèle dont parle M. Smith. Le Canada et les réfugiés contribueraient à signaler ce qui leur semble le plus acceptable. Cette méthode ne garantit pas la perfection, mais elle s’en rapproche plus que les solutions de rechange.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Smith, je comprends que vous travailliez à l’extérieur du Canada à un programme remarquable conçu au Canada, le Programme de parrainage privé. Je sais que nous nous pavanons parfois sur la scène mondiale d’une manière qui ne correspond pas à notre réalité. Laissez-moi vous mentionner un fait. Il faut compter 30 mois pour qu’une demande de parrainage privé soit traitée. C’est le double du temps qu’il faut pour traiter une demande au titre de la réunification des familles, ce qui est déjà assez grave. Votre techno-optimisme — parce que je suis moi-même optimiste et que j’aime ce mot — peut-il s’appliquer au Canada?
M. Smith : À mon avis, le Canada fait beaucoup de bien, mais il reste encore beaucoup à améliorer dans le fonctionnement de nos systèmes. Le Canada devrait se montrer présent et être un chef de file et un entrepreneur dans le domaine des politiques. Un certain nombre de pays dans le monde disposent, par exemple, de modèles de citoyenneté numérisés. En Estonie, notamment, où la voie d’accès à tous les services sociaux, pour voter, et cetera, est très fluide. Nous avons un système extrêmement dédoublé, qui est divisé entre les provinces, et cetera.
La réponse est oui. Il y a énormément de possibilités de gains d’efficience et d’amélioration au Canada, d’une manière qui consiste, non pas simplement à embaucher McKinsey pour venir faire des consultations, mais à collaborer réellement avec des experts en immigration, avec des personnes et des collectivités qui sont des immigrants et des réfugiés, de façon à aider à rationaliser les systèmes et à optimiser les choses. Il s’agit moins d’un argumentaire de vente que d’un diagnostic.
La sénatrice Lankin : Je pense que M. Smith a dit que le Canada peut nous sortir de ce pétrin, je n’en suis pas sûre. Monsieur Hathaway, vous avez dit que le HCR doit sortir de la phase de discussion. Je vous demanderais à tous deux de recommander trois priorités, des mesures concrètes que le Canada devrait prendre. Je sais qu’il y a plus que trois choses. Si le comité devait envisager d’élaborer des recommandations, qu’aimeriez-vous voir dans ces recommandations concernant le rôle du Canada : qu’il sorte de la phase de discussion, qu’il mette en œuvre des technologies, des mesures et des systèmes différents et qu’il partage la responsabilité, et ce, avec qui?
M. Hathaway : Vous avec donc, vous aussi, un faible pour le concept de la trinité. Avez-vous également été élevée dans la religion catholique? Non, je rigole.
La sénatrice Lankin : C’est assez proche.
M. Hathaway : Pour moi, la première solution serait de tracer une ligne rouge avec le HCR et de dire que nous avons signé le pacte mondial, mais nous l’avons signé parce que nous croyons en un processus concret sur le terrain. Nous ne croyons pas aux réunions éternelles. Livrez la marchandise ou mettez fin au processus.
Deuxièmement, en ce qui concerne la forme que cela pourrait prendre, nous voulons voir un modèle de responsabilités communes, mais différenciées. L’idée d’une solution universelle, selon laquelle ce que fait le Soudan est identique à ce que fait le Canada, n’a tout simplement pas de sens. Différents pays accomplissent des tâches différentes, contribuant à un seul régime de protection.
Et la troisième chose — et cela me vient du cœur —, qui n’est pas négociable, c’est qu’il doit y avoir rapidement un plan pour réaliser de réels progrès dans les situations de réfugiés prolongées. Le fait que 24 millions de personnes vivent depuis plus de 20 ans sans aucun plan en vue pour elles est inacceptable du point de vue éthique, et vous devez présenter dès maintenant un plan quant à la manière dont nous allons résoudre le problème.
La sénatrice Lankin : Merci.
M. Smith : La priorité dont nous n’avons pas beaucoup parlé concerne l’additionnalité; il faut s’assurer que l’ensemble des nouveaux programmes et des innovations ne réduisent pas en fait les engagements existants en faveur des voies d’immigration humanitaire, mais qu’ils s’y ajoutent. C’est censé être un principe qui guide tout nouveau programme dans le cadre du Pacte mondial sur les réfugiés.
La deuxième, très simple, consisterait à fixer des points de repère définissant ce à quoi ressemble réellement le partage des responsabilités et à noter les chiffres. Certains d’entre eux pourraient être d’ordre financier, et d’autres pourraient concerner l’asile. Par exemple, le Canada, qui travaille actuellement en Amérique centrale et en Amérique latine, continue d’envoyer des décideurs de la commission pour aider le système d’asile mexicain au lieu d’aider les réfugiés à arriver ici. En soi, cela fonctionne comme une sorte de politique de confinement.
La troisième priorité consiste à mettre en œuvre ces mesures et à fixer des délais de mise en œuvre. Nous n’allons pas ouvrir la Convention relative aux réfugiés à la renégociation, mais nous ratons une occasion avec le Pacte mondial sur les réfugiés de parler de ce que signifie sa mise en œuvre, qui ne consiste pas en des objectifs de développement durable, des points de repère nébuleux qu’on se contente d’inscrire dans les politiques et les programmes. Soyez précis et donnez suite à vos engagements.
La sénatrice Lankin : Merci.
La présidente : Merci, messieurs.
J’ai une question en vous écoutant tous les deux. Nous entendons de la résistance aux nouvelles idées et de l’absence de planification future, mais je vous écoute, et vous avez de si bonnes idées. Des gens sont-ils venus vous voir et vous dire que vos propos étaient tellement pleins de bon sens et qu’il fallait travailler ensemble? Ou sont-ils plutôt satisfaits de la façon... Comme vous l’avez dit, monsieur Hathaway, ils ne font que tourner en rond et ne veulent pas changer?
M. Hathaway : Je crains que cette dernière hypothèse soit malheureusement juste. Le projet quinquennal que je vous ai décrit auquel prennent part six gouvernements, dont le Canada, plus de 60 experts universitaires du monde entier, les Nations unies et tous les autres acteurs présents... Le tout dernier jour de la conférence, la directrice de la Division de la protection internationale des Nations unies va à l’avant de la salle et dit : « Nous ne sommes pas disposés à faire en sorte que cela fonctionne. Nous ne sommes pas intéressés à mettre cela en œuvre. » On aurait pu voir plus d’une centaine de personnes au bord des larmes.
Nous avons un problème de leadership international. J’ai pensé que nous pourrions avoir un moment — et cela revient à ce que M. Smith a dit à propos de notre échec concernant le Pacte mondial — où il y avait une Angela Merkel, un Justin Trudeau, un Jakaya Kikwete... Il y avait différents dirigeants internationaux qui auraient pu nous sortir de ce bourbier, mais nous n’avons pas de champion pour le moment. C’est notre plus grand problème. Les gens demandent à être informés de ces projets, mais personne n’est prêt à les défendre, et certainement pas le HCR.
La présidente : Les sénateurs du Canada le feraient.
M. Hathaway : Et nous sommes extrêmement reconnaissants que vous posiez ces questions, si je puis dire. Cela me rend tellement fier d’être Canadien que le Sénat pose ces questions difficiles, alors merci.
La présidente : Monsieur Smith, voudriez-vous ajouter quelque chose?
M. Smith : Oui. Nous avons beaucoup de chance, car nous travaillons là-dessus depuis plusieurs années. C’est auprès des organisations non gouvernementales, des organisations de la société civile que nous avons le plus d’influence, et nous obtenons ensuite des fonds de parties extérieures, et cetera.
Aux États-Unis, nous travaillons avec le Département d’État et la Maison-Blanche. Ils sont très réceptifs. Là où nous avons le plus d’influence auprès des décideurs politiques du monde entier, c’est en comprenant quelles sont leurs contraintes politiques nationales. Cela avance très lentement. Nous pouvons présenter toutes les grandes idées que nous voulons, mais sans reconnaître la politique intérieure, sans reconnaître quels seraient les coûts pour être un champion international de ces questions... Ce que je veux dire essentiellement, c’est que les interventions hyperoptimistes ou extrêmement militantes dans ce sens ont tendance à ne pas aboutir à des programmes concrets. Un peu de realpolitik est toujours nécessaire.
La présidente : Merci, messieurs. Nous apprécions vraiment votre aide alors que nous avançons dans l’étude. Ne soyez pas surpris si nous vous demandons de revenir ultérieurement. Merci. C’était un privilège de vous écouter.
Honorables sénatrices, je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons les témoins, puis nous passerons aux questions des sénatrices. Parmi nous en personne à la table aujourd’hui, je souhaite la bienvenue à Camila Bustos, professeure adjointe de droit à l’Université Pace, et, par vidéoconférence, veuillez accueillir Monica Iyer, boursière en clinique, International Human Rights Clinic, Duke Law School.
J’inviterai maintenant Mme Bustos à faire un exposé, suivie de Mme Iyer.
Camila Bustos, professeure adjointe de droit, Université Pace, à titre personnel : Bonjour et merci au Comité sénatorial permanent des droits de la personne de m’avoir aimablement invitée aujourd’hui.
Je voudrais également me faire l’écho des déclarations de ma collègue, Mme Iyer, qui suivront.
Avant de commencer mon exposé, j’aimerais attirer l’attention des membres du comité sur un rapport important publié aujourd’hui et rédigé par le Law Union de l’Université de Toronto. Le rapport révèle le rôle très important que jouent les cabinets d’avocats canadiens pour aider des entreprises de combustibles fossiles. Le rapport révèle que les transactions liées aux combustibles fossiles réalisées par cinq cabinets d’avocats canadiens — Torys LLP, Fasken LLP, McCarthy Tétrault LLP, Miller Thomson LLP et Osler, Hoskin & Harcourt LLP — de 2008 au début de 2023, totalisent 500 milliards de dollars.
Félicitations aux étudiants en droit qui se sont appuyés sur le travail de l’organisme Law Students for Climate Accountability aux États-Unis et au Royaume-Uni et qui ont produit un rapport concernant la situation canadienne pour illustrer la façon dont les cabinets d’avocats perpétuent souvent l’urgence climatique.
Je vais maintenant aborder les déplacements ou les migrations liés au climat. Il s’agit d’un phénomène complexe; c’est pourquoi j’aimerais souligner quelques points avant de vous expliquer comment la législation et les politiques peuvent contribuer à protéger les personnes à risque et celles qui fuient les catastrophes climatiques et environnementales.
Le déplacement peut être temporaire ou permanent. Il peut être provoqué par ce que l’on appelle des événements à évolution lente ou progressive, comme l’érosion côtière ou les sécheresses, ou par des événements à évolution rapide, comme des glissements de terrain, des inondations et des ouragans.
Même si les déplacements transfrontaliers captivent l’imagination des médias, qui présentent souvent des images racisées de victimes impuissantes allant de l’hémisphère sud vers l’hémisphère nord, la plupart des déplacements liés au climat sont et seront, en fait, internes. Selon l’Observatoire des situations de déplacement interne, il y a eu au total 32,6 millions de déplacements internes dans le monde en 2022.
Au Canada, comme Mme Iyer le soulignera, des collectivités ont déjà été déplacées de leurs foyers en raison de conditions météorologiques extrêmes telles que des inondations, des coulées de boue, des sécheresses et des incendies de forêt.
Les lois existantes aux niveaux international, régional et national sont insuffisantes pour assurer une protection adéquate aux déplacés climatiques. Dans les Amériques, les personnes déplacées par des catastrophes environnementales ne bénéficient généralement pas du statut de réfugié et se voient plutôt proposer des visas humanitaires ou une protection complémentaire. Bien que ces mesures soient importantes, leur utilisation est généralement ponctuelle et discrétionnaire en réponse à des événements à évolution rapide.
Les visas humanitaires et la protection complémentaire ne sont généralement pas conçus pour fournir une protection permanente ou une voie vers la résidence permanente et la citoyenneté. Cela est particulièrement difficile pour ceux qui ne disposent pas d’un endroit sûr où rentrer après la fin de la protection temporaire, surtout s’ils ont été déplacés par des catastrophes à évolution lente.
Des recherches ont montré que de nombreux demandeurs d’asile subissent des catastrophes climatiques dévastatrices, telles que des ouragans, des sécheresses et des inondations, qui exacerbent leurs conditions de vulnérabilité sociale et économique. Les demandeurs d’asile disent que la destruction de leurs maisons, de leurs terres agricoles et de leurs entreprises pour des raisons liées au climat est un facteur ayant contribué à leur décision de fuir leur pays d’origine.
Il est essentiel de tirer parti de la protection existante et d’ouvrir de nouvelles voies, tout en mettant l’accent sur les besoins des plus vulnérables, afin que l’on puisse relever les défis qui se posent dans le contexte des changements climatiques. Il n’existe pas de solution universelle, mais les gouvernements nationaux peuvent commencer à combler les lacunes en matière de protection par les actions suivantes : former les juges, les avocats et les agents de l’immigration quant à la manière dont les changements climatiques peuvent recouper les demandes d’asile valides en vertu du droit des réfugiés en vigueur; accroître le recours aux visas humanitaires dans le contexte des changements climatiques, en particulier dans les pays ou régions gravement touchés; élaborer des processus de réinstallation efficaces pour les collectivités déplacées à l’intérieur du pays, qui centrent leurs besoins sur une approche axée sur les droits de la personne; adopter des solutions législatives à long terme pour codifier les protections dans le droit national, apportant ainsi une réponse plus permanente et plus complète; réfléchir de manière créative aux voies d’immigration existantes.
Comme ma collègue le soulignera, soutenir les collectivités qui souhaitent rester sur place, tout en reconnaissant la migration internationale comme une stratégie d’adaptation importante, est essentiel pour trouver une réponse équitable à la crise climatique.
Du point de vue des droits de la personne, les politiques de refoulement qui contraignent les gens à retourner dans leur pays d’origine et empêchent physiquement les migrants d’entrer, violent les obligations des États en vertu du droit international. Les personnes déplacées, les réfugiés et les migrants devraient être libres d’exercer leurs droits de quitter n’importe quel pays ou territoire, de ne pas être détenus arbitrairement, de demander l’asile et d’en bénéficier et de voir leurs droits et devoirs individuels déterminés dans le cadre d’une procédure régulière.
Comme l’indique le Pacte mondial sur les migrations, le Canada doit « veiller au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’homme de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, à tous les stades de la migration », tout en réaffirmant « notre attachement à l’élimination de toutes les formes de discrimination, dont le racisme, la xénophobie et l’intolérance, à l’endroit des migrants et de leur famille ».
Le déplacement climatique constitue un énorme défi, mais nous pouvons nous y préparer et planifier en conséquence.
Merci encore de m’avoir reçue. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. Je vais maintenant passer à Mme Iyer pour sa déclaration.
Monica Iyer, boursière en clinique, International Human Rights Clinic, Duke Law School, à titre personnel : Je vous remercie, madame la présidente et honorables membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, de m’avoir invitée à être ici aujourd’hui et de votre étude de ce sujet d’une importance cruciale et croissante.
J’aimerais également souscrire complètement aux déclarations de ma collègue, madame Bustos.
Dans les décennies à venir, des millions de personnes risquent d’être forcées de quitter leur domicile en raison de facteurs environnementaux, alors que d’autres, qui ne peuvent pas déménager ou ne veulent pas le faire, seront exposées à des risques environnementaux accrus menaçant leur domicile, leur santé et leur vie.
Il ne s’agit pas d’une menace lointaine. Elle se produit déjà, tandis que les incendies font des ravages en Colombie-Britannique, que la montée des eaux menace les communautés côtières, que la hausse des températures a une incidence sur les modes d’alimentation autochtones dans l’Arctique. Voilà seulement une partie de ce qui se passe uniquement au Canada.
On discute de questions concernant les migrations et déplacements liés aux changements climatiques et environnementaux, qui constituent un enjeu en matière de politique, de sécurité, d’infrastructure et de ressources. Toutefois, il s’agit de bien plus que cela : elles constituent un enjeu en matière de droits de la personne.
Lorsque les gens déménagent dans ces circonstances, c’est parce que leurs droits en matière de santé et de logement, leurs moyens de subsistance, leur dignité et leur vie sont menacés. Dans de nombreuses situations, les personnes qui sont le plus exposées aux déplacements forcés ou à la circulation forcée sont celles qui ont, par le passé, été victimes de marginalisation et de discrimination et qui continuent d’être affectées par les inégalités structurelles intersectionnelles.
Ces difficultés aux multiples facettes exigent une réponse à multiples facettes. Cela suppose de fournir des voies juridiques accessibles et abordables pour la migration en toute sécurité et en toute dignité avec la protection complète des droits de la personne, mais il faut aussi prendre des mesures immédiates et puissantes visant à atténuer les changements climatiques et permettant des options d’adaptation sur place menées par les communautés qui permettront aux gens d’avoir le choix de rester dans leur domicile.
Étant donné que Mme Bustos a très bien couvert le sujet concernant les circonstances et les obligations futures envers les personnes qui se déplacent, avec l’indulgence du comité, je vais concentrer mes déclarations liminaires sur les dernières, les obligations liées aux droits de la personne, en reconnaissant complètement que l’objectif ultime devrait être non pas de prévenir ou d’exiger la réinstallation, mais plutôt de créer un système qui permet à tout le monde de choisir son lieu de résidence en toute sécurité, égalité et dignité.
Les estimations varient en ce qui concerne le nombre de personnes qui sont susceptibles d’être déplacées de force en raison des changements climatiques. Par exemple, le rapport Groundswell de la Banque mondiale laisse entendre que, d’ici 2050, jusqu’à 143 millions de personnes risquent d’être déplacées à l’intérieur de leur propre pays seulement en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine. Or — et cela est crucial —, cette estimation est fondée essentiellement sur la supposition qu’aucune mesure n’a été prise pour permettre aux personnes affectées de rester dans leur domicile si elles le veulent. Cependant, cette prédiction ne doit pas nécessairement se concrétiser.
Bien que les effets du changement climatique soient réels et présents, il est encore temps d’éviter certaines des pires répercussions si nous prenons des mesures d’atténuation immédiates et décisives. Compte tenu des répercussions du changement climatique sur les droits de la personne, les pays ont l’obligation en matière de droits de la personne de prendre de telles mesures.
Cela a été affirmé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui a déclaré dans son avis consultatif de 2017 que les pays peuvent être tenus responsables des impacts extraterritoriaux sur les droits de la personne découlant des dommages environnementaux qu’ils causent. En pratique, cela veut dire que les États, particulièrement ceux qui ont contribué de manière importante aux émissions de gaz à effet de serre, ont l’obligation en matière de droits de la personne de prendre des mesures immédiates et décisives pour mettre fin à de telles émissions, en particulier en mettant fin à la dépendance mondiale aux combustibles fossiles.
L’une des principales mesures que les États peuvent prendre dans ce domaine est en cessant d’octroyer des subventions pour les combustibles fossiles. Cependant, une étude de 2020 a classé le Canada au dernier rang parmi les pays du G20 pour ce qui est du soutien aux activités d’exploration pétrolière et gazière continues et des progrès réalisés pour y mettre fin. Si le Canada souhaite sérieusement contribuer à une approche axée sur les droits de la personne en ce qui concerne les déplacements liés au climat, les pays doivent faire mieux dans ce domaine.
Cependant, comme je l’ai déjà reconnu, l’impact du changement climatique sur les droits de la personne s’est déjà fait sentir, et à ce stade-ci certains effets, notamment des facteurs favorisant la migration et les déplacements sont inévitables. Bien que de nombreuses personnes supposent que ces impacts mèneront inévitablement à une réinstallation, de nombreuses personnes dans des communautés touchées par le climat expriment à la fois une préférence à rester dans leur domicile et offrent des solutions stratégiques et pratiques, comme le fait de se tourner vers des techniques traditionnelles d’agriculture et de gestion des terres qui leur permettront de le faire. La communauté mondiale une fois de plus, en particulier, les États qui ont contribué le plus au changement climatique, a l’obligation de soutenir ces efforts grâce à une coopération internationale. Cela suppose de non seulement offrir un niveau suffisant de financement à la lutte contre le changement climatique — je fais remarquer que Climate Action Tracker évalue actuellement les efforts financiers du Canada au chapitre du climat comme étant « nettement insuffisants » —, en veillant à ce que ce financement soit distribué équitablement entre les initiatives d’atténuation, d’adaptation et de réparation des pertes et dommages, mais également de s’assurer que le financement destiné aux projets d’adaptation aux changements climatiques soit accordé à des projets qui sont dirigés par les communautés et qui intègrent une approche axée sur les droits de la personne.
Honorables membres du comité, en vous parlant aujourd’hui, j’ai signalé les domaines dans lesquels le Canada peut encore s’améliorer de manière importante en luttant contre les impacts sur les droits de la personne découlant des déplacements forcés en raison des changements climatiques. J’ai fait cela avec la certitude que le comité est résolu à s’assurer que le Canada fera sa juste part et jouera un rôle important au moment de régler ces problèmes et fera preuve de leadership en matière de droits de la personne sur la scène internationale. Dans cet esprit, je suis impatiente de discuter avec vous aujourd’hui.
La présidente : Je vous remercie toutes les deux de vos exposés. Nous allons maintenant procéder avec les questions des sénatrices. Comme nous avons coutume de la faire, j’aimerais rappeler aux sénatrices que vous disposez de cinq minutes pour les questions et les réponses.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup à vous deux de votre temps et des efforts que vous avez mis dans vos réflexions et vos exposés. Nous l’apprécions vraiment.
Nous avons discuté du changement climatique avec le premier groupe de témoins que nous avons accueilli dans le cadre de notre étude, et Bill Frelick de Human Rights Watch nous a dit que lorsque les niveaux de la mer montent et que les îles se retrouvent sous l’eau, cela représente une menace directe pour la vie. Des personnes dans de telles situations devraient être reconnues comme étant des réfugiés, car qu’elles meurent aux mains d’un agresseur ou qu’elles meurent noyées, leur vie est menacée d’une manière ou d’une autre.
Voilà ce qui m’amène à la question de savoir si la Convention du HCR dans le contexte des changements climatiques répond à cet objectif. Nous avons entendu de la part de notre ancien ambassadeur aux Nations Unies, l’honorable Allan Rock, que, en fait, c’était le cas parce qu’il y a d’autres conventions comme la Charte internationale des droits de l’homme qui protège les droits des personnes qui sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou la Convention des Nations Unies relative au statut des apatrides qui concerne les personnes déplacées.
Quel est votre point de vue sur la question?
Mme Bustos : Je vous remercie de la question. Nous savons qu’il y a déjà des demandeurs d’asile qui sont admissibles à une protection selon la convention existante.
En 2020, le HCR a publié un conseil juridique concernant la manière dont le changement climatique est lié au droit des réfugiés. Selon ce que je comprends, bien que le climat ne soit pas l’un des cinq motifs de protection, il existe des manières qui permettent aux demandeurs d’asile de présenter des demandes d’asile viables au titre du droit des réfugiés en vigueur. Cela peut être, par exemple, le cas d’une personne qui milite pour l’environnement dans son pays et qui est désormais persécutée en raison de ses opinions ou de son militantisme politique concernant les changements climatiques ou l’environnement. Cela peut également être le cas d’une personne qui fuit une sécheresse ou un ouragan qui a détruit ses moyens de subsistance et qui est maintenant exposée à une sorte de persécution en raison de la vulnérabilité économique dans laquelle elle se retrouve.
Il existe de nombreuses manières de faire, et c’est pourquoi mon premier point aborde la nécessité de former des avocats, des arbitres et des juges, car il y a déjà des lignes directrices de la part des Nations Unies quant à la manière dont la Convention sur les réfugiés devrait s’appliquer dans les cas où les changements climatiques ont entraîné des déplacements. Je ne crois pas que nous faisons cela pour l’instant.
Merci de la question.
La sénatrice Omidvar : J’ai une autre question, madame Iyer. Nous devons tenter de poser le plus de questions possible.
L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés a présenté une proposition qui demande au Canada, et non pas au HCR, de prendre un certain nombre de mesures en changeant ou en redéfinissant la définition des critères en matière d’asile. L’Association a dit — je n’en mentionnerai que deux — que le Canada devrait créer une catégorie de politique publique au titre de l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, pour assurer la protection des migrants climatiques et que le Canada devrait délivrer des permis de résidence temporaire aux migrants climatiques.
Quelle est votre réponse à deux de leurs cinq propositions? Je n’ai pas le temps de toutes les présenter.
Mme Iyer : Je vous remercie. Selon moi, ces deux propositions représentent des pas importants vers la protection. Je suis d’accord avec l’évaluation des précédents témoins et l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés pour dire que le fait d’attendre de prendre des mesures pour modifier la Convention sur les réfugiés n’est sans doute pas la meilleure façon d’agir à cet égard.
J’estime en outre que le témoin précédent a dit à juste titre que le système mondial axé sur les droits de la personne, le droit des réfugiés et le droit humanitaire, puisqu’ils fonctionnent de concert, crée un système beaucoup plus protecteur, s’il est mis complètement en œuvre, que le système que nous avons actuellement. Il existe des mesures de protection, particulièrement pour les droits politiques [difficultés techniques] des femmes à l’échelle internationale et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui devraient fournir une assise solide et convaincante dans le cas des personnes déplacées en raison des changements climatiques. Je reconnais que ce genre de mesures proposées par l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés seraient, selon moi, un pas important vers la reconnaissance des obligations du Canada en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans ce domaine.
La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux de votre présence ici aujourd’hui. Je vais commencer par Mme Bustos. Vous avez parlé de nombreuses choses, et je pourrais vous poser énormément de questions, mais je veux vous poser une question au sujet de la formation.
Je suis vraiment intriguée par le fait que vous avez dit « formation ». J’ai travaillé pendant des années à former les juges et les avocats sur des questions de multiculturalisme. Les juges en particulier ne veulent pas de formation externe. Elle doit être interne. Je vais en rester là. Ils ne s’intéressent à rien d’autre que ce qui est au sein de leur cercle. Quand vous parlez de former des juges, ou même des avocats... de quelle manière procéderions-nous?
Mme Bustos : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je partage votre scepticisme au sujet de la formation, mais en même temps, je crois qu’ils sont essentiels, et voici pourquoi. Pour de nombreuses personnes, la climatologie demeure une notion abstraite de la manière par laquelle le changement climatique se manifeste, particulièrement en ce qui concerne son impact disproportionné sur certains groupes. Même si de nombreux juges et avocats peuvent ne pas aimer la formation, s’il y a une décision exécutive visant à fournir une orientation administrative ou des programmes de formation spécifiques qui ciblent l’intersection entre le droit dans sa forme actuelle et le changement climatique, nous obtiendrions de meilleurs résultats. Les décisions mettent actuellement en œuvre la loi telle qu’elle est rédigée.
Cela ne supposerait pas nécessairement de demander aux juges d’être créatifs d’une quelconque manière; on leur demanderait plutôt d’appliquer le droit à un nouvel ensemble de faits, à savoir la triste réalité du changement climatique. Quant aux litiges en matière de climat, cela a été fait avec de nombreux juges qui sont maintenant saisis d’affaires relatives au climat, mais qui ne savent pas analyser la science. Des efforts ont été déployés dans les tribunaux nationaux et internationaux pour étayer l’analyse et décortiquer certaines informations scientifiques complexes à l’intention des décideurs.
La sénatrice Jaffer : C’est une approche très intéressante. Je la trouve en fait très fascinante. J’espère que cela pourra se faire, parce qu’il s’agit non seulement du changement climatique, mais de tous les types de formation pour les juges. Merci beaucoup.
Madame Iyer, vous avez eu une carrière formidable et vous avez accompli de l’excellent travail — enfin, vous l’avez fait toutes les deux — et vous avez accompli un travail remarquable sur les questions des droits de la personne, notamment les droits des femmes et l’égalité des genres. Pourriez-vous nous en dire plus au sujet des impacts des déplacements forcés sur les femmes en particulier, et discuter des expériences des femmes dans les camps de réfugiés?
J’ai presque envie de répondre à votre question, et je ne vais pas faire cela, mais je ressens de la frustration quand je vais dans les camps de réfugiés et que je ne vois que des femmes parce que les hommes, eux, ont pu obtenir l’asile. Pourtant, pour le Canada uniquement, ils respectent le système de points, alors que ce n’est pas le cas des femmes. C’est pourquoi je suis très intéressée par vos réponses créatives. Merci.
Mme Iyer : Merci beaucoup, sénatrice Jaffer. J’apprécie que vous posiez cette question. Nous savons que les déplacements liés aux changements climatiques ont des répercussions importantes en fonction du genre. Cela se produit de multiples façons. Dans certains contextes, nous constatons que les hommes peuvent se déplacer alors que les femmes sont contraintes à l’immobilité. Par ailleurs, nous observons également des situations où, par exemple, après les catastrophes naturelles, les femmes sont parfois plus à même d’accéder aux réseaux de soutien de la collectivité et au soutien émotionnel que les hommes. Les hommes peuvent donc souffrir davantage de problèmes de santé mentale, y compris lorsqu’ils doivent être déplacés dans ce contexte.
En ce qui concerne votre remarque sur les camps de réfugiés et sur la manière dont les systèmes de protection internationale ont vraiment favorisé les expériences des hommes, je pense que c’est en grande partie lié à l’importance excessive que nous accordons aux droits civils et politiques et aux violations des droits de la personne dont les hommes ont généralement fait l’expérience, y compris les violations publiques et le fait que le système des réfugiés a été créé pour traiter ces violations et n’a pas été créé pour traiter des violations privées et interpersonnelles des droits de la personne dont les femmes font souvent l’expérience, les violations qui se produisent au sein des foyers et des communautés et qui ne sont pas autant reconnues par la loi. C’est un problème que nous n’avons pas réussi à résoudre de manière satisfaisante. Par exemple, en considérant les victimes de violence familiale comme faisant partie des groupes protégés par la Convention relative au statut de réfugié des Nations unies, et cela change d’un pays à l’autre. En fonction de l’administration, mon propre pays a été particulièrement mauvais à cet égard. Il s’agit d’un problème important, et nous devons adopter une approche tenant davantage compte du genre pour aborder ces questions à l’avenir.
La sénatrice Lankin : Ma question s’adresse à vous deux. Je vous remercie toutes les deux d’être venues ici. C’est une chance pour notre comité et pour le Sénat dans son ensemble que des personnes de votre calibre se présentent devant nous pour nous aider à faire le tri dans tout cela, alors je vous remercie.
Il y a de nombreuses années, je me souviens d’avoir entendu l’un des principaux écologistes canadiens, David Suzuki, parler des changements climatiques. Il s’agissait peut-être du réchauffement de la planète à l’époque et des déplacements forcés. D’autres en parlaient également, mais j’ai été frappée par le fait qu’il ait soulevé la question. Connaissez-vous suffisamment bien le système canadien pour savoir qu’au cours des deux dernières décennies, il y a eu plusieurs gouvernements fédéraux, mais qu’aucun d’entre eux n’a pris de mesures pour inclure des considérations relatives aux changements climatiques dans l’examen du statut de réfugié? Êtes-vous au courant de cela?
Mme Iyer : Je n’ai pas connaissance de quoi que ce soit dans ce contexte. Je sais que de nombreux gouvernements ont discuté de diverses façons de traiter les déplacements environnementaux en général, et qu’il existe des moyens pour les gouvernements de réagir aux catastrophes de manière ponctuelle. Ce n’est pas la même chose que de l’intégrer concrètement dans un système plus large de protection des réfugiés ou de protection des droits des migrants, ce qui serait mon argument. Nous ne devrions pas nécessairement parler uniquement de réfugiés dans ce contexte; il faut plutôt parler de migrants et de personnes déplacées, au sens plus large, car le thème « réfugié » a été utilisé de façon limitative. Je ne suis pas au courant d’efforts spécifiques déployés par le gouvernement canadien pour traiter de manière systémique les déplacements liés au climat. Les sources que j’ai consultées pour préparer cet article n’ont pas mis en évidence de tels efforts. Je ne sais pas si Mme Bustos a vu quelque chose que je n’ai pas vu.
Mme Bustos : Non, je souscris à cette conclusion. Je dirais que M. Matthew Scott a examiné la base de données mondiale des décisions relatives aux réfugiés qui mentionnent le climat. Il y a eu quelques décisions individuelles, et je ne suis pas sûre qu’il y en ait au Canada, mais cela reste une question de cas par cas.
En ce qui concerne l’orientation venant des plus hauts échelons ou l’orientation du gouvernement fédéral ou national, je pense que c’est tout nouveau. En réalité, nous savons que les gens se déplacent depuis des millénaires, mais la question de l’interaction entre le climat et les déplacements reste pour plusieurs une question très abstraite.
En 2021, la Maison-Blanche a, pour la première fois, publié un rapport qui, si vous ne l’avez pas lu, décrit les répercussions du climat sur l’asile et d’autres questions, notamment la sécurité nationale. La communauté des défenseurs des droits de la personne a accueilli favorablement ce rapport, mais il est resté très abstrait. Il n’établissait pas nécessairement un ensemble spécifique de recommandations, de calendriers ou de programmes à mettre en œuvre.
La sénatrice Hartling : Merci aux témoins d’être présents. Les sujets abordés sont très intéressants. J’ai particulièrement apprécié d’entendre parler de différence au chapitre du genre.
Ma question est la suivante : alors que le changement climatique s’accélère, et je pense que nous sommes maintenant convaincus qu’il se produit et qu’il nous affecte tous, en particulier les migrants; l’immigration et les changements dans le monde, avez-vous des recommandations clés à présenter à notre comité? Nous allons rédiger un rapport.
Y a-t-il des éléments importants que vous aimeriez voir figurer dans notre rapport afin que nous ayons une bonne vue d’ensemble de ce qui se passe? Merci.
Mme Iyer : Bien sûr. Merci de cette question importante. Elle va au cœur de ce que nous disons et de ce que nous aimerions voir.
Je vais m’en tenir à la répartition que Mme Bustos et moi‑même avons eue au début et me concentrer sur quelques recommandations clés liées à l’atténuation et à l’adaptation.
L’une des principales recommandations serait de cesser ou d’éliminer progressivement les subventions accordées aux combustibles fossiles au Canada. Une autre recommandation serait de financer intégralement tous les engagements du Canada dans la lutte contre les changements climatiques et de prendre des engagements supplémentaires concernant les efforts d’adaptation, les efforts d’adaptation menés par les collectivités et le fonds pour les pertes et les dommages qui sera bientôt créé.
Il faut également s’engager à être une voix sur la scène internationale qui appellera à une participation importante et démocratique des collectivités touchées dans les efforts d’atténuation et d’adaptation liés au climat au niveau international également. Il s’agit là d’éléments clés, je ne veux pas dire fondés sur la prévention, mais ils tiennent compte des facteurs déterminants.
[Français]
La sénatrice Gerba : Madame la présidente, je pense que la sénatrice Jaffer a posé ma question sur les femmes qui représentent la moitié des réfugiés dans le monde et les problèmes auxquels elles font face. J’aimerais savoir s’il y a des recommandations particulières à faire au gouvernement du Canada.
[Traduction]
Je parlais de ce que la sénatrice Jaffer a dit à propos des femmes. Je vous demandais si vous aviez une recommandation spécifique à faire au gouvernement. Comment pouvons-nous contribuer à la sécurité de ces femmes?
Mme Bustos : Merci de votre question.
Nous devons commencer par laisser les femmes prendre les décisions. Elles doivent être présentes à la table. Je ne pense pas que ce soit toujours le cas, qu’il s’agisse de droit ou de politiques. Ce serait ma première recommandation.
Nous avons besoin d’une approche intersectionnelle. Je pense que Mme Iyer a souligné la façon dont le climat affecte de manière disproportionnée les groupes qui ont le moins contribué à sa dégradation, qu’il s’agisse des femmes, des enfants, des personnes âgées ou handicapées, n’est-ce pas?
Il y a tellement de littérature et de leçons que les femmes — principalement les femmes — ont produites dans le domaine du genre et du climat qui mettent précisément en évidence les besoins des femmes, et ensuite les solutions politiques qui pourraient aider à les régler.
Nous voulons souvent en cerner une, comme le Saint-Graal de nombreuses questions, qu’il s’agisse de migrants ou du changement climatique. En réalité, il s’agit de phénomènes incroyablement complexes dont les manifestations varient également d’une région à l’autre, n’est-ce pas?
Ainsi, une femme au Salvador peut avoir besoin de quelque chose de différent d’une femme au Kenya. Il est très important de tenir compte de l’aspect culturel de la question, et non pas uniquement de l’aspect du genre. Mme Iyer aura une réponse plus claire à cette question.
Mme Iyer : Non. Je commencerais par la même chose, c’est-à-dire veiller à ce que les femmes, en particulier les réfugiées elles-mêmes, aient un siège à la table et une possibilité importante de diriger et d’orienter la politique.
Je recommanderais également d’adopter une approche tenant davantage compte du genre dans la manière dont nous comprenons les différents aspects du droit sur la protection, y compris la façon dont nous comprenons ce que signifie le fait d’être persécuté lorsque nous nous en tenons au contexte du droit des réfugiés.
Nous avons besoin d’une meilleure compréhension. Nous devons poursuivre nos études. Si le Canada est prêt à utiliser ses ressources pour continuer à étudier les effets variés des déplacements liés au climat sur les hommes, les femmes et les personnes de genres différents, cela nous aidera également à élaborer de meilleures politiques.
La sénatrice Jaffer : Madame Iyer, vous parliez, ainsi que Mme Bustos, de donner aux femmes réfugiées une place à la table. C’est ce que j’ai fait lorsque je dirigeais le processus de paix au Darfour. Nous avons fait participer 20 femmes au processus de paix. Cela a été exceptionnellement efficace. Je suis d’accord avec vous. C’est un processus efficace. On me dit, et je ne sais pas ce qui se passe dans le monde entier, que cela est très rare. Ce processus — je ne prendrai pas le temps maintenant — est vraiment idéal. Nous devons continuer à rêver.
J’ai une question à vous poser, madame Iyer, sur un sujet qui n’a pas été beaucoup abordé : la communauté LGBTQ. Beaucoup de membres de cette communauté peuvent devenir des réfugiés et se retrouvent souvent dans des positions vulnérables dans de nombreux pays.
Dans le cadre de vos travaux sur l’égalité des sexes et des droits de la personne, pourriez-vous, une ou l’autre, ou toutes deux, nous en dire plus sur la manière dont nous pouvons soutenir les membres de la communauté LGBTQ dans les camps de réfugiés?
Mme Iyer : Oui. Je peux vous dire que le changement climatique, les déplacements liés au changement climatique et la communauté LGBTQ sont un domaine terriblement sous-étudié. Nous avons quelques groupes qui travaillent sur le sujet.
Nous avons quelques idées sur ce que nous pensons être en train de se produire. Il n’y a pas eu d’étude systématique de qualité au sujet des répercussions croisées sur les personnes LGBTQ qui sont des migrants et des réfugiés dans le contexte de changements climatiques.
Nous pensons que les personnes déplacées lors de catastrophes et qui se retrouvent dans les camps de réfugiés peuvent se sentir forcées de se cacher. Elles peuvent perdre leur capacité à exprimer pleinement leur genre ou leur orientation sexuelle et peuvent être exposées à des risques dans les camps de réfugiés si elles expriment leur orientation ou leurs expressions de genre. Par ailleurs, nous en sommes loin d’en savoir autant que nous le devrions.
Je laisserai Mme Bustos ajouter ce qu’elle souhaite.
Mme Bustos : Je dirais que nous savons que le climat exacerbe la vulnérabilité. La vulnérabilité se manifeste de différentes façons : économique, sociale, politique. Nous savons que le climat exacerbe la vulnérabilité d’un groupe qui a été historiquement marginalisé et qui est déjà sujet à des taux de suicide plus élevés, à la violence familiale, aux menaces ou aux mauvais traitements en détention, d’autres types d’étapes du cycle d’immigration.
Oui, je suis d’accord avec les observations de Mme Iyer. Ce domaine est sous-étudié, cette intersection particulière entre climat et les membres de la communauté LGBTQ.
La sénatrice Jaffer : Alors, je vais vous poser à toutes les deux la question : dans la Convention relative au statut de réfugié, comment la communauté LGBTQ s’intégrerait-elle? Quelle partie de cette communauté pourrions-nous inclure? La catégorie à laquelle je pense est le groupe social, mais nous avons eu beaucoup de mal à intégrer les femmes au Canada. Il fallait un document spécial pour cela.
Quelle serait la place de la communauté LGBTQ dans la Convention relative au statut de réfugié?
Mme Bustos : Je suis une avocate formée aux États-Unis, et je ne peux donc parler que du droit américain.
La sénatrice Jaffer : Mais d’une manière générale, dans le cadre de la Convention, quelle serait leur place?
Mme Bustos : Vous avez tout à fait raison. Il s’agit généralement d’un groupe social particulier. Sous l’administration Trump aux États-Unis, nous avons vu beaucoup de résistance à appliquer ce motif de protection aux femmes, aux victimes de violence familiale ou aux survivants ainsi qu’aux personnes transgenres et aux autres membres de la communauté LGBTQ. C’est ce que j’ai compris, mais peut-être que Mme Iyer peut nous aider à compléter la réponse.
Mme Iyer : Je pense que la plupart des pays qui ont connu la persécution des personnes issues des communautés LGBTQ l’ont fait en les identifiant comme un groupe social. La créativité de certains avocats indique que, peut-être, en particulier dans les États où il existe des lois interdisant le comportement des membres de la communauté LGBTQ ou des mouvements politiques entourant cette question, vous pourriez également parler d’opinion politique et de persécution des personnes qui s’opposent ouvertement à ces lois. C’est un autre domaine dans lequel ils pourraient s’inscrire. Cependant, je pense que le groupe social est le plus important.
La sénatrice Jaffer : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Vous avez toutes les deux mentionné que les outils juridiques qui protègent les réfugiés devraient être adaptés à la réalité des réfugiés climatiques. C’est quand même un phénomène très récent à l’échelle que nous connaissons aujourd’hui. Je souhaiterais savoir quelles sont les conséquences de votre constat pour le Canada et que devrait adapter le Canada pour mieux prendre en compte les réfugiés climatiques.
[Traduction]
Mme Bustos : Je vous remercie de votre question. Je voudrais souligner ce qu’a dit Mme Iyer, à savoir que cela concerne les réfugiés, bien sûr, et les demandeurs d’asile, mais aussi les migrants et les personnes déplacées en général, et pas seulement les réfugiés. Je voudrais souligner deux choses. Tout d’abord, les voies d’accès à la résidence permanente et à la protection. Ce que nous avons vu, du moins en Amérique, mon domaine d’expertise, c’est qu’après un ouragan ou un événement qui survient rapidement, nous voyons les gouvernements déployer une assistance humanitaire et ensuite, comme réponse ad hoc, ils offrent une protection temporaire pour certaines personnes, puis six mois ou un an après l’expiration de cette protection, les gens n’ont aucun moyen de rester dans le pays et ils doivent retourner dans leur pays. Cette situation est particulièrement problématique lorsque les gens retournent dans un pays où les conditions demeurent inchangées. Peut-être que ce qu’ils fuient n’était pas un ouragan, mais une sorte de catastrophe contenue, par opposition à une sécheresse ou à une élévation du niveau de la mer ou à une érosion côtière qui est un événement environnemental prolongé. Lorsque la protection expire, s’ils doivent retourner dans leur pays, ce dernier ne sera plus habitable, et ils ne pourront plus y vivre dans la dignité. C’est pourquoi certaines de mes remarques soulignent l’importance des protections permanentes offrant une voie d’accès à la citoyenneté.
Aux États-Unis, nous avons ce que nous appelons le Programme de protection temporaire du statut; il a permis à des gens qui ont fui des désastres environnementaux de rester au pays, mais ces gens vivent dans l’incertitude juridique parce qu’ils ne sont pas des résidents permanents. Même s’ils ont des permis de travail, ils doivent constamment renouveler leur statut, et tout se fait de façon discrétionnaire. Si l’administration ne veut pas renouveler le statut, cela s’arrête là. C’est une chose qui est vraiment importante.
Nous devons être créatifs, non seulement en ce qui concerne le système d’asile existant, mais au-delà. Par exemple, j’aimerais attirer l’attention du comité sur le programme de visa qu’a récemment adopté l’Argentine. C’est un genre de programme de parrainage privé. Il s’agit d’un programme pilote, dont il n’a pas concrètement été mis en œuvre. C’est un genre de visa climatique, selon lequel un organisme de la société civile doit parrainer un réfugié qui vient d’une région touchée par des changements climatiques ou vulnérable aux changements climatiques. Un certain nombre de pays sont mentionnés dans ce programme. Même si j’hésiterais à recommander nécessairement cette approche, c’est un exemple intéressant de gouvernement qui a réfléchi de manière créative sur les chevauchements entre le climat et les protections existantes.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Omidvar : Vous avez en fait répondu à la question que j’allais poser. Ce que vous dites au sujet de l’approche des Argentins est très intéressant. C’est quelque chose que nous devrions mentionner et souligner, mais laissez-moi revenir à votre propre expérience en Haïti.
Haïti est le pays des Caraïbes, de l’Amérique latine et de l’Amérique du Sud le plus éprouvé par les changements climatiques. Après le tremblement de terre, nous avons accueilli un assez grand nombre de réfugiés haïtiens. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette expérience? Quelles étaient les conditions? Ces personnes ne sont pas arrivées en tant que résidents temporaires. Je ne sais pas s’ils sont arrivés en tant que demandeurs d’asile et se sont fait naturaliser ou s’ils sont arrivés en tant que réfugiés.
Mme Bustos : Je ne suis pas sûre en ce qui concerne le Canada. Après le tremblement de terre, de nombreux Haïtiens arrivés aux Amériques ont reçu le statut de réfugié parce que la définition de réfugié est plus large dans de nombreux pays des Amériques. Nombre de ces pays ont intégré dans leurs lois nationales la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés. Il s’agit d’un mécanisme juridique qui offre une protection plus large, en reconnaissant que les désastres environnementaux, les troubles publics ou l’instabilité politique d’un pays font partie des motifs de protection.
Ce qui est arrivé au Mexique, et dans d’autres pays, c’est que ces personnes étaient admissibles au statut de réfugié parce que, encore une fois, les lois nationales offraient une protection plus large, au titre de la Déclaration de Carthagène.
La sénatrice Omidvar : Le groupe de témoins suivant parlera des Amériques, et vos interventions font germer une excellente question. Merci.
La présidente : Je vais profiter de l’occasion pour remercier les deux témoins. Vos présentations nous aideront lorsque nous serons prêts à rédiger le rapport. J’inviterais maintenant la sénatrice Hartling à occuper le fauteuil, puis nous recevrons notre prochain groupe de témoins.
La sénatrice Nancy Hartling (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Chers collègues, c’est un vrai privilège de présider les travaux avec le dernier groupe de témoins de la journée. Je vais présenter notre troisième groupe de témoins. On a demandé à chaque témoin de faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous écouterons les témoins, puis les sénateurs et les sénatrices poseront leurs questions. J’aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Julie Young, chaire de recherche du Canada, niveau 2, en études critiques des frontières et professeure agréée au Département de géographie et d’environnement de l’Université de Lethbridge; et à M. Andrew Selee, président du Migration Policy Institute, qui comparaissent aujourd’hui par vidéoconférence.
J’inviterais maintenant Mme Young à faire sa présentation, puis ce sera au tour de M. Selee. Merci.
Julie Young, chaire de recherche du Canada (niveau 2) en études critiques des frontières et professeure agréée, Université de Lethbridge, à titre personnel : Madame la présidente, honorables membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous.
Mes brefs commentaires portent sur deux choses : tout d’abord, l’externalisation des responsabilités en matière d’asile et la façon dont ces politiques contreviennent aux obligations internationales du Canada; et ensuite, le fait que, en réalité, des mesures de contrôle plus strictes aux frontières n’empêchent pas les gens de se déplacer, mais les placent plutôt dans des situations plus dangereuses.
Qu’est-ce que l’externalisation des responsabilités en matière d’asile? Des pays comme le Canada trouvent de plus en plus de façons de renforcer leurs frontières en allant au-delà de la frontière physique. Bon nombre de ces politiques visent à empêcher la migration avant qu’elle ne commence ou encore pendant même qu’elle se déroule.
Les représentants du Canada ont appelé cela la Stratégie des frontières multiples; elle reconceptualise la frontière en la considérant non pas « comme un simple tracé géopolitique mais plutôt comme un continuum de points de contrôle le long d’un parcours allant du pays d’origine au Canada ou aux États-Unis. »
Un exemple de cela, c’est l’exigence du visa, ce qui veut dire qu’une personne a affaire à la frontière canadienne quand elle se présente dans une ambassade au Guatemala, et peut se voir refuser l’entrée au Canada sans même avoir mis les pieds sur le territoire canadien parce que le visa lui a été refusé. Plusieurs auteurs ont qualifié ces pratiques de « contrôle à distance » des frontières.
Dans mon domaine, on appelle aussi cela des politiques d’externalisation : des mesures de contrôle des frontières qui s’appliquent à l’extérieur des limites territoriales d’un pays et peuvent empêcher des demandeurs d’asile d’arriver sur le territoire officiel d’un pays et de faire valoir leur droit de demander l’asile. De nombreux chercheurs et défenseurs des droits soutiennent que le fait d’empêcher les gens de venir dans un pays lorsqu’ils ont l’intention de demander l’asile équivaut à un renvoi indirect ou à un refoulement, parce que de telles politiques et de telles pratiques reviennent dans les faits à expulser les demandeurs d’asile avant qu’ils ne puissent mettre le pied sur le territoire officiel d’un État. Comme vous le savez peut-être, le refoulement est défendu au titre de la Convention des Nations unies sur le statut de réfugié.
Les pratiques d’externalisation peuvent aussi être vues comme une façon pour les pays de l’hémisphère Nord de se dégager de leurs responsabilités en mettant une distance géographique entre eux et les conséquences de leurs politiques. Par exemple, MM. Ghezelbash et Tan ont appelé « crise de la solidarité internationale » cette pratique des États d’utiliser des politiques d’externalisation pour faire porter à d’autres la responsabilité des réfugiés.
Je vais maintenant passer à mon deuxième point : Quelles sont les conséquences des mesures de contrôle plus strictes aux frontières?
Mme Mainwaring soutient que le contrôle de l’immigration par les États crée de la vulnérabilité.
Nous savons que les gens se déplacent pour diverses raisons, mais la majorité des gens le font pour être en sécurité, que ce soit sur le plan politique, culturel, social ou économique. Les facteurs qui motivent les gens à migrer sont complexes, et ils empruntent les voies qui leur sont ou leur semblent accessibles.
Les gouvernements tentent instinctivement d’empêcher des formes de migration non désirées en mettant en œuvre des politiques qui compliquent les déplacements. Cela peut sembler contre-intuitif, mais la recherche montre clairement que l’adoption de politiques plus strictes aux frontières a l’effet contraire et force les gens à trouver d’autres voies et d’autres moyens.
Malheureusement, les pays de l’hémisphère Nord plus développés sur le plan économique, continuent d’appliquer ces mesures alors que des preuves accablantes montrent que de telles politiques mettent en péril la vie des gens qui se déplacent, favorisent la migration clandestine et la traite de personnes et augmentent le fardeau des pays moins nantis qui, dans les faits, accueillent la majorité des réfugiés dans le monde.
De plus, ces politiques entraînent des coûts directs et indirects; d’une part, les fonds alloués à la surveillance des frontières pourraient servir à appuyer d’autres secteurs de dépenses, et, d’autre part, tragiquement, leur coût se traduit par de la souffrance humaine et même la mort.
En fait, les représentants du gouvernement canadien sont au fait de ces conséquences. Je peux donner un exemple national très clair concernant l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs. Un article récent de la presse canadienne mentionnait une note de service d’avril 2023 de Sécurité publique Canada, qui prévenait que l’élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs « favoriserait sans doute les réseaux de migration clandestine et encouragerait les gens à emprunter des voies plus éloignées et plus dangereuses ».
De plus, le gouvernement a lui-même reconnu, en parlant des conséquences — ou des coûts — mentionnées dans le règlement qui étendait l’Entente sur les tiers pays sûrs, que l’élargissement de la politique à toute la frontière entre le Canada et les États-Unis aurait des conséquences néfastes pour les gens qui tentent de traverser la frontière, conséquences qui n’existeraient pas en l’absence de cette politique. C’est pourquoi les défenseurs des droits et les chercheurs ont soutenu, avant même que l’entente ne soit adoptée, en décembre 2004, que le Canada devrait se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs.
Pour conclure, nous savons que la situation géographie du Canada fait en sorte que le pays n’est pas confronté à des déplacements massifs de réfugiés et qu’il peut donc être très sélectif quant aux personnes qu’il laisse entrer au pays. Essentiellement, les pratiques d’externalisation contredisent en tous points les engagements du Canada à l’égard de la protection des réfugiés. De plus, de telles politiques ne diminuent pas la migration. Les gens qui cherchent désespérément une protection ne font qu’emprunter des routes plus dangereuses, où ils peuvent mourir, être séparés de leur famille ou subir des traumatismes avec lesquels ils devront vivre pour le reste de leur vie.
Merci.
La présidente suppléante : Merci. C’est à vous, monsieur Selee.
Andrew Selee, président, Migration Policy Institute : Merci, madame la présidente. C’est un grand honneur de pouvoir m’adresser au Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne du Canada. J’aimerais vous remercier de m’avoir donné cette occasion et j’aimerais remercier tous les sénateurs et toutes les sénatrices du comité permanent qui ont pris le temps de prendre part à cette discussion. Je pense avoir vu la sénatrice Omidvar, une fervente défenseure de la protection humanitaire et de la migration partout dans le monde, qui est aussi une bonne amie. Je suis très heureux de vous voir.
On voit dans l’hémisphère occidental de grandes crises migratoires jamais vues dans l’histoire moderne. Cette région a dû essayer des choses et faire preuve d’innovation et de créativité pour réagir à ces déplacements. J’aimerais souligner deux choses : la nature et l’ampleur des déplacements, mais aussi certaines interventions dont nous avons été témoin et desquelles nous pouvons apprendre.
Une des plus grandes crises migratoires, comme vous le savez, concerne les Vénézuéliens; plus de 7,7 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays, pour la plupart en 2013. Il y a des Vénézuéliens déplacés dans presque tous les pays de l’hémisphère occidental — il y en a près de 3 millions en Colombie, environ 1,5 million au Pérou, un demi-million au Chili, au Brésil et en Équateur et un des nombres importants dans les Caraïbes — c’est un pourcentage de la population non négligeable. Les chiffres peuvent sembler petits, mais, en pourcentage, ils sont assez importants. Bien entendu, le Canada et les États-Unis ont eux aussi accueilli un grand nombre de Vénézuéliens déplacés, tout comme l’Espagne.
Il y a une crise migratoire assez importante, en ce qui concerne le Nicaragua, depuis la répression des manifestations dans ce pays, en 2018, et il y a entre 200 000 et 300 000 Nicaraguayens au Costa Rica. C’est un petit chiffre, sauf que cela représente entre 2 et 3 % de la population du Costa Rica, et aussi du Nicaragua. La proportion est importante, ici, et cela continue.
Nous observons aussi des migrations continues depuis Haïti, depuis le tremblement de terre de 2010. Je dirais que c’est le dernier incident. Cette crise migratoire dure depuis longtemps. Vous en avez beaucoup entendu parler, je le sais, mais c’est un problème important. Environ un million d’Haïtiens vivent à l’extérieur de leur pays; il y en a beaucoup en République dominicaine, mais aussi aux Bahamas et dans d’autres pays des Caraïbes, au Chili, au Brésil et, dans une certaine mesure, au Mexique et en Équateur.
Puis, on voit beaucoup de flux migratoires mixtes comptant des personnes qui pourraient être qualifiées de réfugiés ou de gens déplacés originaires de l’Amérique du Nord, de l’Amérique centrale, de la Colombie, de l’Équateur et d’autres pays.
Un des défis de l’hémisphère occidental, c’est que de nombreux flux migratoires sont mixtes; certaines personnes quittent leur pays parce qu’elles sont forcées de le faire, souvent en raison de la persécution directe ou de la violence généralisée, alors que d’autres quittent leur pays pour profiter des occasions économiques, et il y a un large continuum entre les deux. Il est souvent difficile de savoir ce qui motive les gens à quitter leur pays, si c’est un simple déplacement ou pour profiter d’une occasion économique ou un mélange des deux. Ce qui complique évidemment l’élaboration des politiques.
Pour ce qui est de la crise au Venezuela, nous avons observé, entre autres, que la plupart des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes ont misé sur l’aspect juridique, comme ma collègue, Mme Luciana Gandini, et moi l’avons nommé dans un rapport. Environ les deux tiers des Vénézuéliens ont reçu un statut juridique quelconque dans les pays où ils sont arrivés. Certains pays ont été assez généreux, comme la Colombie, qui leur a octroyé un permis de séjour de 10 ans, ou le Brésil, qui leur a offert l’asile. D’autres pays ont délivré des permis temporaires à renouveler annuellement, mais d’autres pays se sont donné du mal pour leur trouver un statut juridique quelconque et leur donner accès à l’éducation et aux soins de santé élémentaires.
En ce qui concerne les Nicaraguayens, le Costa Rica a fait des efforts pour leur donner accès au système d’asile. Cela a été un peu plus difficile, au cours de la dernière année, mais les demandeurs d’asile peuvent tout de même travailler pendant qu’ils attendent une réponse. Par conséquent, le système a permis aux gens de demeurer au pays légalement.
Les Haïtiens ont reçu un accueil plutôt mitigé, particulièrement dans les Caraïbes et en République dominicaine. Nous pouvons vous en dire plus si vous le voulez.
Les politiques juridiques sont un peu plus accueillantes au Chili et au Brésil, mais ne s’appliquent pas toujours concrètement en ce qui concerne l’immigration et l’accueil sur le terrain.
Puis, il y a des pays comme le Mexique qui ont ouvert leurs portes aux demandeurs d’asile d’Amérique centrale, mais nous savons que les systèmes d’asile au Mexique et du Costa Rica sont surchargés.
Présentement, nous le voyons, beaucoup de pays subissent des pressions et des contraintes en raison du nombre de gens qui arrivent. Dans bon nombre de cas, cela a aussi coïncidé avec la récession mondiale causée par la COVID-19, durant laquelle les pays ont aussi dû affronter des pénuries. Nous savons que, à long terme, ce mouvement de population finira probablement par aider ces pays, que l’ajout de ce qui est, dans la plupart des cas, du capital humain déplacé réellement assez nombreux, va probablement aider les pays d’accueil. À court terme, cependant, ces pays subissent des pressions et des contraintes, et il n’y a pas toujours eu un niveau de coopération internationale suffisant pour que l’intégration se fasse en douceur.
Je dirais aussi que nous observons maintenant des mouvements de population vers les États-Unis. Je n’en parlerai pas maintenant, mais je me ferai un plaisir d’aborder le sujet en réponse à vos questions. Une partie de ce mouvement secondaire, et une partie du mouvement original des populations déplacées provenant de certains pays... et nous savons que les gouvernements américain et canadien ont réagi en essayant d’établir des voies d’accès légales, de réinstaller les réfugiés et de créer des voies d’accès complémentaires pour les gens.
Si nous en avons le temps pendant la période de questions, je dirais simplement que le Canada s’implique énormément en Amérique centrale dans le cadre de l’Accord de transfert de protection, et qu’il s’agit d’un des modèles que nous devrions songer à appliquer dans le reste de l’hémisphère. Nous pourrons y revenir, si vous le voulez.
Pour conclure, je dirais que les défis sont énormes, mais qu’il est tout aussi important de reconnaître les efforts en cours et surtout de donner suite à ces efforts.
Merci beaucoup, madame la présidente.
La présidente suppléante : Merci beaucoup de nous avoir présenté vos déclarations. Nous allons passer à la période de questions des sénateurs et sénatrices. Comme précédemment, je vous rappelle que vous avez sept minutes pour la question et la réponse.
La sénatrice Omidvar : Merci à nos deux témoins. C’est bon de vous revoir, monsieur Selee. Les choses ne se déroulent peut-être pas comme vous en avez l’habitude aux comités du Sénat des États-Unis, mais soyez assuré que nous faisons notre travail et que nous espérons que notre étude portera elle aussi des fruits.
Merci d’être ici aujourd’hui, madame Young.
Ma première question s’adresse à Mme Young et ensuite à M. Selee. Vous avez parlé de l’externalisation de nos frontières et des divers moyens que prennent les nations pour cela. Vous avez parlé de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Je me demandais si, à votre avis, le Canada déploie des efforts pour renforcer les capacités d’enregistrement, de traitement et de détermination des demandes d’asile au Mexique, au Costa Rica et au Honduras parce que c’est une façon d’aider les autres à faire ce qu’il faut, sans le faire nous-mêmes. Est-ce que je vais trop loin? Je crois sincèrement que c’est une bonne chose d’aider les autres pays à faire leur part, mais je voulais savoir ce que vous en pensiez.
Mme Young : Merci, sénatrice Omidvar, de votre question très intéressante.
Mes recherches portent sur les répercussions des politiques ayant pour but d’empêcher les déplacements, mais je pense que vous avez raison de souligner qu’il y a souvent plus d’un facteur à prendre en considération. Par exemple, j’ai fait des recherches sur le contexte au Mexique, au moment où le Canada mettait en œuvre une politique en matière de visa, l’annulait, la remplaçait, l’annulait à nouveau, tout en investissant simultanément dans le renforcement des capacités et la formation dans ce pays.
Je ne sais pas si mon collègue, M. Selee, en sait davantage sur le travail effectué dans le cadre du Programme d’aide au renforcement des capacités et de lutte contre la criminalité, au Mexique, et sur ses résultats concrets, mais je sais qu’au fil des années, des agents de la GRC et du ministère de la Justice ont travaillé dans ce programme.
Ce n’est pas que j’essaie d’éviter la question, mais je pense que, comme vous l’avez si bien dit, la situation est compliquée. Ce qu’il faut se demander, c’est si les gens qui ont besoin de protection et d’un asile sont capables de l’obtenir grâce à ce système, ou si le système mexicain est surchargé ou n’est pas à la hauteur. Ce serait des questions à poser à mon collègue ici présent, pour obtenir plus d’information. Je vais lui céder la parole, si vous le voulez bien.
M. Selee : Pour répondre à votre question, sénatrice Omidvar, je dirais que, en comparaison des témoignages devant le Sénat des États-Unis, les choses sont beaucoup plus civilisées ici. C’est un plaisir d’être parmi vous. Nous en reparlerons plus tard. Je n’ai aucun doute que vous accomplissez votre travail, et je suis toujours très impressionné par la façon dont le gouvernement canadien se comporte lorsque surviennent des enjeux internationaux. Je sais que vous connaissez les avantages comme les inconvénients.
Incidemment, je vous parle présentement depuis le Mexique, même si je vis à Washington. Je suis justement au Mexique en ce moment. J’ai suivi de temps à autre le travail de la GRC au Mexique au fil des ans, et je dois dire que ce qu’elle a fait a été particulièrement important.
Le Canada n’est pas aussi puissant que les États-Unis, pour ce qui est du renseignement ou du nombre d’agents sur le terrain, mais il attire bien plus la confiance. Je ne veux pas manquer de respect à mes collègues du gouvernement américain, mais les relations sont toujours plus compliquées avec les États-Unis. Cela ne veut pas dire que les relations sont mauvaises; ce sont de bonnes relations, à de nombreux égards.
J’ai assisté à bon nombre de réunions trilatérales sur des questions de sécurité publique, et j’ai remarqué à quel point on considère les Canadiens comme des interlocuteurs de confiance. Très souvent, le gouvernement mexicain se montre intéressé à travailler avec les Canadiens sur des questions délicates ou qui concernent le maintien de l’ordre en particulier.
Quand il s’adresse aux États-Unis, c’est pour le renseignement et d’autres choses. Je pense que, pour ce qui est des systèmes, il a une grande confiance dans l’opinion du Canada.
Laissez-moi dire que, à mon avis, le système d’asile mexicain est complètement surchargé. Le Mexique est présentement aux prises avec les mêmes problèmes que le système d’asile américain, c’est-à-dire qu’il doit traiter une foule de dossiers concernant des gens qui ne sont probablement pas admissibles à demander l’asile, parce qu’il y a si peu d’autres voies d’accès légales.
Les gens demandent l’asile parce que c’est la seule voie d’accès qu’ils ont. Dans le cas du Mexique, les gens veulent aller aux États-Unis. Il y a des gens au Mexique — des dizaines de milliers, à présent — qui ont obtenu l’asile et qui se sont installés au Mexique.
Il y a des gens qui, après avoir suivi tout le processus, se sont installés là-bas. En grande partie, le système mexicain est surchargé de la même façon que celui des États-Unis. Je m’explique : il y a des gens qui préféreraient plutôt aller aux États-Unis grâce à un visa de travail ou par un autre moyen, mais qui profitent de la seule voie d’accès légale qui leur est offerte, même si ce n’est peut-être pas la bonne. Merci.
La sénatrice Omidvar : C’est intéressant que vous ayez dit que le Canada était un interlocuteur de confiance. C’est une bonne chose. Croyez-vous que nous devrions intervenir avec plus d’aplomb, sur la scène internationale, en tant qu’interlocuteur de confiance dans ces dossiers?
M. Selee : Oui. En passant, j’essaie de trouver une façon politique de le dire, sénatrice, mais je crois que le Canada pourrait s’affirmer bien plus dans l’hémisphère occidental et aussi en général sur la scène internationale, je crois.
Le Canada est un acteur important sur la scène internationale, mais je dirais que, dans l’hémisphère occidental, le Canada est parfois — vous m’excuserez d’être si direct, mais comme nous nous connaissons et que vous m’avez invité de témoigner devant le comité, j’espère que les autres seront indulgents —, le Canada se montre parfois ambivalent quant à son rôle dans l’hémisphère occidental. C’est un acteur sur la scène internationale, pas seulement dans l’hémisphère occidental. Les États-Unis sont un acteur sur la scène internationale, mais ils sont beaucoup plus directement touchés par ce qui se passe dans l’hémisphère occidental.
Le Canada en reçoit beaucoup, mais pas autant que les États-Unis, au milieu. Il n’est pas touché, d’une certaine façon, par les mêmes tendances migratoires et tout le reste.
À propos des migrations, les gens s’attendent présentement à ce que le Canada assume le leadership. Ce n’est pas toujours une question d’importance des ressources. Ce n’est pas toujours le nombre de réunions qui importe. C’est la sagesse qui compte, et le fait que les relations sont moins tendues. Il y a moins d’antécédents. Les gens font confiance aux institutions canadiennes. Ils savent que cela fonctionne, au Canada. Les gens veulent moins ressembler aux États-Unis qu’au Canada, à de nombreux égards.
Un enjeu qui est très important aujourd’hui, selon moi, concerne les bureaux de déplacement sécuritaires; tous les efforts déployés pour élargir les voies d’accès légales et l’accès à l’asile, dans notre hémisphère, sont dirigés par les États-Unis, avec l’appui du Canada et de l’Espagne.
J’aimerais vraiment que le Canada joue un plus grand rôle dans la conceptualisation, qu’il ne fasse pas qu’accueillir des gens, mais qu’il contribue à la conceptualisation de cet effort.
Quand le Canada et les États-Unis collaborent, et travaillent avec des partenaires de l’Amérique latine et des Caraïbes, les résultats sont souvent supérieurs. Un exemple, rapidement : selon les dispositions de l’Accord de transfert de protection, le Canada, les États-Unis et le HCR ainsi que des ONG locales viennent en aide à des gens en Amérique latine qu’ils reconnaissent comme étant des personnes à protéger, avant qu’ils ne s’enfuient de leur pays, avant qu’ils ne demandent l’asile, ou encore dans le premier pays où ils arrivent.
Les gens ne sont pas obligés de demander l’asile à 1 000 milles ou à 2 000 kilomètres de chez eux. Cela a très bien fonctionné, subtilement, et cela a fonctionné en partie parce qu’il s’agit d’un effort de collaboration entre le Canada et les États-Unis, avec l’aide du HCR, et le Costa Rica a aussi joué un grand rôle. C’est un partenariat qui a eu beaucoup d’importance.
La sénatrice Omidvar : Merci. C’est fascinant.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux de votre présence. Malgré l’heure tardive, vos témoignages m’ont redonné de l’énergie. Merci. Je me sens tout éveillée. Merci beaucoup.
Je veux m’adresser à vous d’abord, madame Young. Vous avez parlé des frontières, de la capacité du Canada de choisir, et aussi de l’Entente sur les tiers pays sûrs. J’aimerais entendre vos commentaires sur le Canada et l’Entente sur les tiers pays sûrs. Quand cette entente a été proposée, je n’étais pas du tout d’accord, et je le suis encore moins maintenant. Pardon, j’aurais dû garder cela pour moi.
Quelle est votre opinion sur l’Entente sur les tiers pays sûrs? Comme M. Selee le disait, cela nous donne une autre raison de... de dire aux gens qui arrivent à la frontière : « Non, rebroussez chemin. » Les États-Unis sont un pays sûr, alors ce n’est pas à nous de prendre soin de vous. J’ai l’impression que c’est une façon de se défiler.
Qu’en pensez-vous? Vous n’avez pas à dire comme moi. J’aurais dû garder mon opinion pour moi, pardon. Alors, madame Young?
Mme Young : Non. Merci, sénatrice Jaffer. Je vous remercie sincèrement de m’avoir donné votre point de vue sur l’entente.
Je m’oppose, depuis longtemps et haut et fort, à l’Entente sur les tiers pays sûrs. Avant même sa mise en œuvre, il était clair que l’entente créait, disons, une étrange géographie, jusqu’en mars, quand elle a essentiellement poussé les gens vers des points de passage irréguliers, ce qui les exposait à des dangers potentiellement très graves au cours de leurs voyages, alors que nous avons un système efficient qui fonctionne très bien, malgré l’arriéré occasionnel, mais il demeure que nous avons un système d’octroi de l’asile qui fonctionne plutôt bien et qui est robuste. Je trouve étrange que nous ayons privé les gens de cette option.
La dernière mouture de l’entente vise son élargissement à toute la frontière — et je suis curieuse de voir — peut-être que « curieuse » n’est pas le bon mot, mais je vais suivre la situation avec toute mon attention, pour voir quelles seront les conséquences.
Est-ce que la surveillance sera accrue? Est-ce que les gens seront surveillés et devront se rendre à des points de passage encore plus éloignés et dangereux, pour éviter d’être retrouvés au Canada dans les 14 jours? J’ai discuté avec des collègues et des défenseurs des droits dans les collectivités frontalières, et je sais que les tendances n’ont pas vraiment fléchi et que les déplacements se poursuivent, mais les gens sont peut-être forcés de s’aventurer dans des endroits plus dangereux.
À mon avis, le Canada devrait effectivement se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs et permettre aux gens de se présenter aux points d’entrée officiels pour demander l’asile.
Si l’on détermine qu’ils n’ont pas qualité de réfugié, alors le Canada peut leur refuser de rester au pays. Je crois que je vais m’arrêter ici. J’espère que j’ai répondu à votre question.
La sénatrice Jaffer : Je ne vais pas donner suite à ce que vous avez dit plus tôt, sur le fait que nous pouvons choisir, parce que, en réalité, les gens ne peuvent pas venir ici facilement. D’une certaine façon, nous sommes une île protégée par les États-Unis.
J’ai une question difficile pour vous deux. Si ni l’un ni l’autre ne veut y répondre, je comprendrai tout à fait.
J’ai passé beaucoup de temps à travailler avec le Canada, avant d’être sénatrice, sur des questions relatives à la responsabilité de protéger. Je vais m’adresser d’abord à vous, monsieur Selee, et discuter de la responsabilité de protéger en ce qui a trait au Venezuela. Le Canada était l’un des principaux partisans de l’entente. D’ailleurs, et je me trompe peut-être, [difficultés techniques] pays.
Dans le cas du Venezuela ou de n’importe quel autre pays, la responsabilité de protéger serait-elle respectée?
M. Selee : Vous posez une question difficile, sénatrice. Je pourrais dire — le cas d’Haïti me vient à l’esprit — qu’il est possible d’envisager la responsabilité de protéger.
Mais pour ce qui est de pouvoir être présent à l’intérieur du pays et de protéger ses habitants, je pense que c’est plus difficile à faire, dans d’autres cas, parce qu’il y a de la résistance. En Haïti, c’est possible parce que la seule façon, puisqu’il y a une entente — quoique fragile et conflictuelle — entre les diverses parties, le gouvernement, la société civile, les gens d’affaires, l’Église et d’autres entités, c’est que des forces de soutien extérieures interviennent à l’intérieur du pays. Même là, c’est en cours de négociation, pour ce qui est des grandes lignes.
Ce serait difficile d’agir ainsi dans un pays comme le Venezuela. La seule façon d’intervenir au Venezuela aurait été de faire appel aux forces armées, ce qui aurait eu des conséquences désastreuses. C’est un pays vaste. Même si on peut dire que c’est un État en déroute, du point de vue économique, cela demeure un État qui exerce son contrôle et son autorité. C’est difficile d’intervenir dans ce genre de situation.
Je crois en effet qu’il y a beaucoup de travail à faire. Nous devrions songer à un régime de protection multiniveaux. Nous traversons une période où les systèmes de protection sont surchargés, dans de nombreux endroits, et où nous devons faire preuve de créativité. Par exemple, en Amérique latine, on a mis en place un système de protection temporaire, au lieu d’utiliser le système d’asile, et cela s’est avéré utile, en allégeant le fardeau de l’asile des pays qui n’auraient pas pu de toute façon l’assumer. Une autre chose importante à prendre en considération est la façon dont nous aidons les pays à renforcer leurs capacités de composer avec les déplacements internes. Il y a des pays, comme la Colombie, qui ont cette capacité. Dans d’autres pays, comme le Honduras, El Salvador et le Guatemala, ce serait réellement urgent de le faire — les aider —, parce qu’une foule de gens préféreraient ne pas fuir ou ne veulent pas demander l’asile ailleurs. Ils préféreraient vraiment être en sécurité dans leur propre pays. Une solution serait, sans intervenir dans ces pays, de travailler avec ces gouvernements pour qu’ils acquièrent la capacité de protéger les gens qui se trouvent sur leur territoire. Un autre exemple serait le Mexique, d’ailleurs. Je suis au Mexique. Il y a des régions tout à fait sécuritaires, au Mexique, mais d’autres où les déplacements sont un grave problème. Le gouvernement le reconnaît. Donc, il faut aider ces pays à acquérir la capacité de protéger les gens sur leur propre territoire, et aussi donner à ces gens accès à l’asile ailleurs.
Par prudence, je ne vais pas aborder le sujet des tiers pays sûrs, parce que je n’ai pas consulté l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, mais je pense que nous devons nous montrer stratégiques dans notre approche des systèmes d’asile. Je redoute vraiment que, dans de nombreuses régions du monde — pas au Canada, mais aux États-Unis, dans certains pays d’Europe et en Amérique latine — que nous perdions ce qui reste des systèmes d’asile, si nous n’arrivons pas à trouver un moyen d’alléger leur fardeau et aussi de diriger les gens vers d’autres voies d’accès légales, de façon que les systèmes d’asile soient utilisés par les gens qui ont besoin d’être protégés. Voilà une difficulté qui, je crois, existe à l’échelle mondiale.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici ce soir.
Ma question s’adresse à M. Selee. Vous avez mentionné que tous les pays n’agissent pas de la même manière en ce qui concerne les mesures facilitantes qu’ils pourraient accorder aux réfugiés. En particulier, vous avez mentionné la Colombie, qui octroyait des permis de travail d’une durée de 10 ans. Pensez-vous que c’est une mesure que le Canada pourrait appliquer?
[Traduction]
M. Selee : Merci, sénatrice. Oui, je pense que ce genre de protection temporaire est incroyablement utile. En ce qui concerne la Colombie, elle était nécessaire, parce que le système d’asile était loin d’être à la hauteur, compte tenu du nombre de personnes qui arrivaient. Au bout du compte, 2,9 millions de personnes se sont présentées. Au départ, la Colombie a délivré des permis d’un an, puis des permis de deux ans, et enfin, elle a décidé — très courageusement — de délivrer des permis de 10 ans. D’après le récit que certains d’entre nous ont entendu, il s’agissait d’une décision de l’ancien président, qui a déclaré que, s’il devait assumer des conséquences politiques pour avoir fait la bonne chose, alors il allait faire la bonne chose et donner des permis de 10 ans plutôt que de 2 ans. C’est tout à fait louable.
Dans le cas des pays comme le Canada et les États-Unis, la protection temporaire fonctionne lorsqu’il y a des systèmes d’asile fonctionnels pour le Costa Rica ou le Mexique. La protection temporaire est particulièrement utile lorsque la population est hétérogène, quand certaines personnes répondent à la définition de réfugiés et pourraient tout de même demander l’asile, alors que d’autres ne respectent probablement pas cette définition et pourraient être inadmissibles à demander l’asile, mais que ce serait inhumain de les renvoyer dans leur pays d’origine, parce que les conditions sur le terrain ne sont pas réunies.
Les systèmes d’asile existent pour les gens qui ont besoin de protection, comme nous l’avons vu aux États-Unis dans le cas des Haïtiens et des Vénézuéliens, par exemple. L’administration Biden a décidé d’élargir la protection temporaire, parce que les conditions ne permettaient pas de renvoyer ces gens. Certaines personnes auraient qualité de réfugié et obtiendraient l’asile, alors que d’autres, non, mais nous ne pouvons pas renvoyer ces gens maintenant, alors que les conditions sur le terrain ne les justifient pas. On peut aussi se demander si la politique des États-Unis est cohérente à cet égard, et nous pouvons aborder le sujet si vous le voulez. Il y a aussi des expulsions vers les deux pays.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci pour votre réponse. Ma prochaine question s’adresse aux deux témoins.
Votre institut a récemment publié un rapport sur l’immigration des enfants aux États-Unis. Selon l’UNICEF, à l’échelle mondiale, un nombre d’enfants sans précédent est actuellement déplacé dans le monde; on en compterait plus de 43 millions. De ce nombre, 60 % étaient déplacés à l’intérieur de leur propre pays en raison de conflits et de violences. Quelles recommandations proposeriez-vous pour que ces enfants soient davantage protégés?
[Traduction]
M. Selee : Je ne suis pas expert de la protection des enfants. J’ai des collègues spécialistes de la question. Je suis toujours très prudent quand j’aborde le sujet des mineurs non accompagnés, parce que je crois que les droits des enfants l’emportent sur tout le reste. Il est toujours préférable d’envisager des politiques qui donnent aux enfants les meilleures des chances, peu importe comment ils arrivent au pays, et peu importe leur situation.
Cela dit, nous avons vu entre autres aux États-Unis qu’il y a une tension entre la volonté d’être rapide et la volonté de sortir les enfants des refuges. D’abord, on veut les sortir des postes de contrôle frontaliers, puis les sortir des refuges, puis les placer dans des familles, le tout en faisant son devoir de diligence raisonnable pour s’assurer que ces familles sont sûres et que les enfants ne sont pas victimes de la traite de personnes. C’est tout aussi difficile de faire le suivi, parce que, dans de nombreux cas, les familles chez qui les enfants sont placés ne veulent pas faire de suivi, et elles sont souvent sans papier. Donc, il y a une espèce de tension entre la volonté de ne pas être trop lourd, c’est-à-dire d’agir de manière efficiente, avant toute chose, et de traiter les dossiers dans le système, de façon que les familles puissent accueillir les enfants le plus vite possible, de faire cela sans lourdeur, pour donner confiance à ces familles, mais, d’autre part, en nous assurant que ces familles sont de vraies familles et qu’elles vont traiter les enfants avec dignité. Vu le nombre de personnes mineures, aux États-Unis, cela est devenu un énorme problème, et nous avons vu des cas où des enfants ont été victimes de la traite de personnes, et d’autres où, même s’ils sont avec des membres de leur famille ou avec des personnes qu’ils connaissent, ils sont tout de même dans des situations dangereuses et sont par exemple forcés de travailler à un très jeune âge. Il y a de véritables tensions dans ce contexte.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Selee, je pense que vous nous avez soumis une recommandation. Je vais la répéter, aux fins du compte rendu. Afin de réduire le fardeau des systèmes nationaux d’octroi de l’asile, nous devons adopter une approche de protection multiniveaux, si j’ai bien compris ce que vous avez dit.
Dans le cas du Canada, nous avons offert une protection multiniveaux aux Ukrainiens, par exemple, qui sont ici non pas en tant que réfugiés, mais bien en tant que résidents temporaires. Cela a permis d’alléger le fardeau du système d’asile, déjà très lourd. Selon vous, devrions-nous en faire davantage? Je vois que vous faites oui de la tête, mais vous devrez le dire à haute voix, pour que ce soit indiqué au compte rendu.
M. Selee : Oui. Je le dis aux fins du compte rendu, sénatrice. Je pense qu’il y a deux choses : premièrement, il faut une protection multiniveaux, et deuxièmement, il faut des systèmes parallèles pour la migration légale.
La protection multiniveaux est liée au système d’asile, bien sûr, mais aussi à la façon dont nous investissons dans les systèmes de protection à l’intérieur des pays et aidons les gouvernements et la société civile à élaborer leurs systèmes de protection. Comment pouvons-nous aider les premiers pays d’asile, comme la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Brésil et Trinité-et-Tobago à être aussi des pays d’asile? Le Canada a été un chef de file, en particulier en offrant du financement, mais il est facile d’oublier que ces pays sont essentiellement... ce qui nous préoccupe, présentement, ce sont les Vénézuéliens à la frontière des États-Unis, mais ils ne représentent qu’une fraction des Vénézuéliens qui sont dans nos pays de l’hémisphère occidental. Ce qu’il faut faire, c’est nous assurer de soutenir les pays qui n’ont pas de systèmes adéquats en place, mais qui font tout en leur pouvoir et plus encore pour offrir une protection. Je pense que, dans les pays directement voisins, les voies d’accès comme celles que vous avez mentionnées, celles que nous avons ouvertes aux Ukrainiens ou que les États-Unis ont ouvertes aux habitants de Cuba, d’Haïti, du Nicaragua et du Venezuela, même si ce sont des voies d’accès plus temporaires, demeurent importantes. Ensuite, il y a bien sûr l’asile.
Parallèlement, nous devons examiner les voies d’accès légales. En Amérique centrale... Je rappelle toujours aux Américains à quel point les États-Unis accordent maintenant beaucoup d’importance aux voies d’accès légales pour les gens venant d’Amérique centrale et du reste de cette région. Le Canada, jusqu’à récemment et probablement encore, accueille plus de travailleurs temporaires d’Amérique centrale que les États-Unis. Les États-Unis ont beaucoup de gens provenant du Mexique, mais le Canada a plus de travailleurs saisonniers. Beaucoup de gens préfèrent être des travailleurs saisonniers que des travailleurs sans papier. Il y a des gens qui ne veulent pas être des travailleurs saisonniers, mais la très grande majorité d’entre eux, si on leur donne le choix, si on leur dit « Voulez-vous travailler légalement pendant neuf mois dans un autre pays, puis retourner voir votre famille, et ensuite pouvoir revenir ici à nouveau? », choisiraient cette option. C’est quelque chose que le Canada fait très bien. Alors, la clé, ce serait de trouver un moyen d’élargir ces options pour qu’elles soient accessibles aux gens qui n’ont probablement pas besoin de protection, même s’il y en a quelques-uns parmi eux qui ont probablement besoin de protection aussi.
La sénatrice Omidvar : Parallèlement, dans un autre comité, nous réalisons aussi une étude sur les travailleurs migrants. Monsieur Selee, vous croyez que nous en savons plus qu’en réalité, alors je vous demanderais de décrire un peu plus ce que le Canada a fait, relativement à la collaboration entre le Canada, les États-Unis, le Costa Rica et le HCR, dont vous avez parlé. En quoi consiste cette collaboration, exactement? Qu’a fait le Canada?
M. Selee : Cela a été fait dans la discrétion, en partie parce que le but est de protéger les gens, alors vaut mieux éviter de rendre les choses très publiques. Malgré tout, je pense que le moment est venu d’en parler, parce que l’on essaie maintenant de mettre tout cela à l’échelle, avec les bureaux de déplacements sécuritaires, et aussi de développer les points d’accès.
Donc, le Canada, les États-Unis, le Costa Rica et le HCR se sont réunis... pendant un certain temps, le Brésil et l’Australie étaient aussi présents, mais c’était surtout le Canada et les États-Unis. Ces pays ont dit : en Amérique centrale, il y a beaucoup de gens qui sont clairement en danger et qui vont probablement devenir des réfugiés. Est-il possible de les identifier en s’appuyant sur les réseaux des ONG, des corps diplomatiques et des gouvernements locaux? Ce sont des gens que nous connaissons : un journaliste qui a écrit sur la corruption locale et qui est maintenant menacé; une défenseure des droits de la personne; un militant autochtone; des personnes clairement menacées et qui peuvent le prouver; pouvons-nous les déplacer avant qu’ils ne soient obligés de fuir pour avoir la vie sauve? S’ils s’enfuient du Honduras au Guatemala, pouvons-nous les aider au Guatemala, pouvons-nous prendre une décision, puis soit les renvoyer aux systèmes d’octroi de l’asile du Canada ou des États-Unis?
Le Costa Rica en fait partie parce que ce pays accueille ceux qui ne sont pas en sécurité dans leur pays d’origine jusqu’à ce que leur demande soit tranchée. Ils sont donc envoyés au Costa Rica.
Cela a été très efficace. C’est le genre de choses qui ont été faites aussi en Colombie, à un autre moment, avec l’appui de l’Équateur. L’idée d’envisager la protection humanitaire, non seulement pour les personnes qui ont déjà fui, mais également pour celles qui sont manifestement sur le point de fuir, est le genre de choses à envisager, tout particulièrement dans l’hémisphère que nous connaissons et où nous avons une certaine capacité à travailler sur le terrain avec certains de ces pays.
De toute évidence, cela ne fonctionne pas aussi bien dans le cas des Syriens, qui, pour la plupart, ont fui vers les pays voisins, mais dans cette région, il y a encore beaucoup de gens qui se déplacent d’un lieu à l’autre, tout particulièrement dans certains des grands pays, à la recherche d’une protection. Nous pouvons prendre contact avec certains de ces gens avant qu’ils ne soient forcés de traverser une frontière.
Mme Young : Me permettez-vous d’intervenir pour situer le contexte historique, ou bien ce n’est pas à mon tour de parler?
La présidente suppléante : Allez-y.
Mme Young : J’aimerais ajouter qu’il y a un contexte historique canadien; je parle du programme des pays sources, lequel s’applique peut-être à une échelle un peu plus grande.
Je ne sais pas à quelle échelle s’applique l’Accord de transfert de protection, mais, dans les années 1980 et 1990 en particulier, le Canada a reconnu qu’il ne pouvait pas attendre que les Salvadoriens et les Guatémaltèques réussissent à se rendre jusqu’au Mexique et aux États-Unis. On a offert aux gens la possibilité de se réinstaller directement dans les ambassades, s’ils pouvaient se rendre jusqu’à Mexico. Vous voudrez peut-être vous pencher sur l’histoire du programme des pays sources; il s’agit d’un ancien programme canadien.
Je n’ai pas examiné le programme de bourses d’études. J’ignore s’il est toujours en vigueur, mais cela vient tout juste de me revenir à l’esprit.
La sénatrice Jaffer : Ma question s’adresse à vous, madame Young. Vous faites des recherches sur les études des frontières. Je voulais discuter avec vous de la situation actuelle à Gaza. Je ne veux pas aborder les aspects politiques de la situation. Selon vous, et selon M. Selee, n’y a-t-il pas une « responsabilité d’agir » dont nous avons convenu avec l’ONU par rapport à cette situation? Madame Young?
Mme Young : Merci d’avoir posé la question. Oui, c’est difficile. Je ne suis pas certaine d’être la bonne personne pour répondre à cette question. Votre question concerne-t-elle précisément la responsabilité de protéger ou la Convention des Nations unies?
La sénatrice Jaffer : Oui, ma question concerne la responsabilité de protéger.
Mme Young : Je ne connais pas du tout les limites de cette politique. Peut-être que mon collègue en sait plus à ce sujet.
La sénatrice Jaffer : Votre collègue a très bien dit que vous avez agi en ce sens en Haïti. C’était possible parce que tout le monde était d’accord pour que le Canada intervienne, et merci de m’en avoir parlé. Ce n’est pas quelque chose que les gens connaissent très bien.
Je voulais également vous poser une question à ce sujet : la semaine dernière, avec un groupe de témoins, nous avons parlé de la responsabilité collective de la communauté internationale et de l’aide aux réfugiés. Madame Young, qu’est-ce qui pourrait et devrait être fait, à votre avis, pour soutenir les pays qui accueillent les réfugiés et qui n’ont souvent pas les moyens et les ressources nécessaires pour le faire?
Je pensais à ce dont nous avons parlé. Par exemple, les Syriens vont en Turquie. Bon, je sais que les Nations unies ont conclu une entente pour qu’ils restent en Turquie, plutôt que de fuir en Syrie. Quel est votre avis à ce sujet? Est-ce une bonne méthode? Est-ce une manière de leur offrir une certaine protection jusqu’à ce qu’ils retournent dans leurs pays? Je vous pose la question à tous les deux. Madame Young?
Mme Young : Merci, madame la sénatrice, de poser la question. C’est une question importante et complexe. Je crois, selon le dernier rapport des Nations unies, que la Turquie est actuellement le pays qui accueille le plus grand nombre de personnes déplacées au monde. Le défi consiste à la fois à s’assurer que les personnes qui ont besoin de protection obtiennent de l’aide, mais également à s’assurer que la bonne volonté des pays, comme la Turquie, n’est pas dépassée par l’ampleur du soutien qu’on leur demande d’offrir.
Pourrait-il s’agir d’une situation qui nécessiterait l’entrée en vigueur, par exemple, d’un programme des pays sources ou de l’Accord de transfert de protection, où le Canada — au-delà de ses efforts de soutien financier de la Turquie de manière financière, grâce à un mécanisme de distribution comme celui du HCR —, où un pays comme le Canada joue un rôle plus important au moyen d’une réinstallation ciblée, par exemple?
M. Selee : La plupart des réfugiés et des personnes déplacées, lesquelles sont un peu plus nombreuses que les réfugiés, sont accueillis dans des pays voisins et, en très grande majorité, dans des pays en développement et des économies émergentes. Le nombre de personnes qui se rendent au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Europe, au Japon et en Corée est infiniment petit comparativement au nombre... et c’est même vrai et c’est pourquoi je dis que les Vénézuéliens vont aux États-Unis. Ce n’est pas que le problème ne se pose pas aux frontières américaines, mais c’est vraiment une petite fraction de ces personnes qui se trouvent en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Même si le Canada s’est montré généreux, par exemple, envers les Syriens, la vaste majorité des Syriens se trouvent dans les pays voisins. Ils sont en Turquie, en Jordanie, au Liban et même dans les pays du Golfe.
Même si nous examinons nos propres systèmes, comment soutenons-nous ces pays afin qu’ils aient de bons systèmes en place? Il vaut la peine de souligner que, dans l’hémisphère occidental, environ deux tiers des Vénézuéliens ont obtenu un statut légal. Le verre est aux deux tiers plein, si vous voulez, et au tiers vide. Le tiers n’a pas de statut légal; c’est un problème. Les deux tiers ont un statut légal quelconque, souvent un statut légal précaire, mais ils sont autorisés à rester. À l’exception de Trinité-et-Tobago, la plupart des pays ont autorisé au moins l’enseignement primaire et secondaire aux enfants, qu’ils aient ou non des papiers, ce qui est plutôt incroyable, en fait. Selon le modèle latino-américain et antillais, les gens obtiennent très peu de soutien dès le début.
Le HCR, l’OIM, UNICEF et d’autres organisations étaient là pour offrir du soutien, mais il y a beaucoup moins de soutien au début. Cependant, il y a beaucoup de possibilités de refaire sa vie, d’avoir un permis légal, de faire des études, d’avoir accès à des soins de santé de base et de recommencer sa vie.
Les pays de la région l’ont fait habituellement sans grand soutien de la communauté internationale, en toute honnêteté. Un de mes collègues a calculé que les Vénézuéliens déplacés avaient obtenu en moyenne le cinquantième du soutien offert aux Syriens déplacés. C’est un problème, mais il y a également là quelque chose de positif à y voir. Cela veut dire que la communauté internationale ne subvient pas à leurs besoins. Ils déménagent dans un autre pays et refont leur vie. Ce serait bien si c’était un vingt-cinquième, et non un cinquantième, bien sûr. Ce serait bien qu’il y ait un peu plus de soutien.
Le HCR et l’OIM font un excellent travail pour coordonner une grande partie de l’aide qui va à ces pays, et la Banque interaméricaine de développement, ou la BID, la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales soutiennent les collectivités d’accueil ainsi que les migrants. Mais en réalité, c’est un modèle un peu différent de celui qui a été utilisé dans d’autres crises migratoires. C’est ce qui s’est passé dans le cas des Ukrainiens au Canada, en Europe et aux États-Unis, c’est-à-dire qu’on leur donne l’autorisation de rester au pays, on leur donne accès aux avantages publics de base et puis, bonne chance. Ils ne reçoivent pas beaucoup de soutien, mais bonne chance, ils peuvent recommencer leur vie. En fin de compte, les gens aimeraient mieux cela que d’être pris en charge.
La sénatrice Jaffer : Mais ce n’est pas tout à fait vrai, ils ne subviennent pas à leurs propres besoins, la diaspora ukrainienne est vaste.
M. Selee : Eh bien, oui.
La sénatrice Jaffer : C’est un exemple disparate.
M. Selee : Madame la sénatrice, cela a été le cas, je dois le dire, des Vénézuéliens, des Latino-Américains, des Antillais, des Haïtiens. La diaspora — les gouvernements prennent des mesures et certainement la communauté internationale aussi — je ne veux pas la minimiser. En fait, ils prennent des mesures afin de fournir des services de base lorsque les gens arrivent, mais, vous avez raison, c’est la diaspora qui s’occupe de la diaspora. Les diasporas sont très organisées et s’occupent des leurs. Bien souvent, les diasporas obtiennent des ressources et des mesures des gouvernements parce qu’elles insistent.
La sénatrice Jaffer : Exactement.
La présidente suppléante : La sénatrice Omidvar posera la dernière question.
La sénatrice Omidvar : Je vais vous poser à tous les deux une petite question en espérant tirer un peu parti de votre sagesse.
Ce rapport vise à soumettre au gouvernement du Canada des recommandations sur les déplacements forcés. Nous pouvons y intégrer une section sur ce que le Canada devrait faire par rapport au HCR.
Monsieur Selee, la question s’adresse à vous : Pour ce qui est de l’Amérique latine et de l’Amérique du Sud, vu que c’est votre domaine d’expertise, quelles recommandations feriez-vous?
Madame Young, pour ce qui est de gérer l’incidence de l’externalisation de nos frontières, quelles recommandations aimeriez-vous voir dans notre rapport?
M. Selee : Je serai très bref, madame la sénatrice; je crois qu’il y a deux aspects. Premièrement, le soutien continu offert aux pays de la région, selon moi, est crucial à la fois pour les gouvernements et pour la société civile; il faut une aide à la fois directe et bilatérale par l’intermédiaire du HCR, de l’OIM, d’autres organismes des Nations unies et de la société civile, et le Canada y joue un rôle important. Je crois qu’il y a un réel besoin, puisque la plupart des déplacements sont vraiment... ceux qui interviennent sont les pays voisins.
Deuxièmement, je crois qu’il faudrait chercher à comprendre comment les gens se rendent dans les autres pays à l’extérieur de la région immédiate. Je crois qu’on pourrait étendre le modèle de l’Accord de transfert de protection, ou l’ATP, à certains autres pays de la région et trouver une manière de mieux protéger les gens avant qu’ils ne soient forcés de fuir. L’asile devrait être une solution de dernier recours; ça ne devrait pas être le premier moyen de protection. Ce devrait être une mesure de dernier recours. Il faut trouver une manière de protéger les gens près de chez eux. Oui, nous conservons et protégeons le droit d’asile, mais nous devrions venir en aide aux gens plus rapidement. Comment pouvons-nous élargir les voies juridiques existantes pour que les gens puissent venir et travailler? Parce qu’il ne s’agit pas seulement de protection, mais cela répond souvent aux besoins des personnes à la recherche d’une protection et cela allège certainement aussi le fardeau des systèmes d’octroi de l’asile. Merci.
Mme Young : Je me fais l’écho de tout ce que mon collègue a dit, en ce qui concerne à la fois le fait d’offrir plus de soutien aux pays de la région qui accueillent des nombres plus importants de personnes déplacées et le fait d’offrir un éventail de voies aux personnes qui fuient. Qu’elles répondent ou non à la définition juridique de réfugié au sens de la Convention, ces personnes craignent pour leur sécurité ou cherchent un refuge et la sécurité, et je crois que nous devrions mieux comprendre ce que cela veut dire, car l’insécurité économique pousse énormément de gens à déménager, non seulement pour avoir accès à des débouchés, mais également pour assurer leur sécurité et celle de leur familiale.
Vous pourriez peut-être, dans vos recommandations, encourager le Canada à envisager d’autres voies, et peut-être pas seulement des programmes visant la main-d’œuvre temporaire, mais aussi d’autres programmes qui permettraient aux gens de vivre en sécurité dans un pays comme le Canada sans être obligés de recourir au système d’asile parce qu’ils pensent que c’est le seul moyen à leur disposition.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Au nom du comité, j’aimerais remercier sincèrement nos témoins d’avoir pris le temps de comparaître aujourd’hui. Vos témoignages seront très utiles pour nos délibérations et cette étude.
Honorables sénateurs, chers invités, cela conclut notre séance publique d’aujourd’hui. Je déclare la séance levée, et nous poursuivrons notre étude le 27 novembre. Merci
(La séance est levée.)