LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 27 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 16 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Salma Ataullahjan. Je suis sénatrice de Toronto et présidente du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’invite maintenant mes honorables collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente à ma droite.
La sénatrice Bernard : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard. Je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse et vice-présidente du comité.
La sénatrice Jaffer : Je suis Mobina Jaffer de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La présidente : Merci, chers collègues. Bienvenue à tous ceux qui suivent nos délibérations.
Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude des déplacements forcés dans le monde dans le cadre de son ordre de renvoi général. Nous avons l’intention d’entendre des experts et des parties prenantes sur un vaste éventail de questions concernant les répercussions sur les droits de la personne dans le monde. Les sujets pourraient comprendre les effets des déplacements sur les enfants, l’efficacité du Pacte mondial sur les réfugiés, des mécanismes de soutien financier nouveaux et émergents, le rôle du parrainage privé, les répercussions des changements climatiques et le rôle international du Canada dans la réduction des déplacements forcés tout en soutenant les réfugiés.
Cet après-midi, nous recevons trois groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs auront une période de questions et de réponses. Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nos témoins ont été invités à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes.
Je tiens à accueillir nos premiers témoins, qui comparaissent par vidéoconférence. Nous accueillons Jessie Thomson, responsable de la délégation pour la Turquie à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ou FICR. Nous recevons également Melissa Siegel, professeure et responsable des études sur les migrations à l’Université des Nations unies-MERIT et l’Université de Maastricht, ainsi que Naika Foroutan, directrice du Centre allemand de recherche sur l’intégration et la migration et professeure de recherche sur l’intégration et la politique sociale à l’Université Humboldt.
J’invite maintenant Mme Thomson à présenter son exposé, suivie de la professeure Siegel et de la professeure Faroutan.
Jessie Thomson, responsable de la délégation pour la Turquie, Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : Merci, distingués membres du comité sénatorial permanent. C’est un honneur pour moi de témoigner aujourd’hui. Je vous suis reconnaissante de m’avoir invitée.
Je vais vous faire part du point de vue de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sur cette importante question et je vais me concentrer sur la situation des migrations en Europe que nous observons actuellement. C’est un enjeu qui comporte de multiples facettes et qui mérite notre attention et notre compassion.
La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, la FICR, est une organisation dont font partie 191 sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Nos membres fournissent des services essentiels et de l’aide aux personnes en déplacement tout au long de leur parcours migratoire, c’est-à-dire lors du départ de leur pays d’origine, durant leur déplacement et lors de l’arrivée à leur destination dans un autre pays. La Croix-Rouge canadienne, par exemple, joue un rôle clé au sein de notre réseau mondial et elle continue de réclamer des solutions globales pour les réfugiés.
Aujourd’hui, je vais vous parler de cinq grandes préoccupations que nous avons dans le contexte de la situation en Europe, mais ce ne sont pas des préoccupations propres à l’Europe; elles sont certes d’ordre mondial.
La première préoccupation concerne le parcours périlleux que suivent les migrants, particulièrement lorsqu’ils doivent traverser la Méditerranée, qui continue d’être l’un des parcours les plus dangereux au monde. Ce n’est toutefois pas le seul parcours dangereux dans le monde. Il en existe de nombreux autres en Afrique, dans les Amériques et en Asie, au cours desquels un trop grand nombre de personnes à la recherche de sécurité ont perdu la vie. L’absence de parcours sécuritaires fait non seulement en sorte que les gens mettent leur vie en danger, mais aussi que de nombreuses personnes se retrouvent séparées de leur famille. Nous savons que l’absence d’un mécanisme international coordonné de recherche et de sauvetage contribue également à cette crise.
La deuxième grande préoccupation sur laquelle nous voulons attirer votre attention concerne les obstacles croissants auxquels sont confrontées les personnes en déplacement qui cherchent à se réfugier en Europe. Des murs et des clôtures sont érigés aux frontières, ce qui témoigne d’une tendance troublante à accroître les mesures de sécurité le long des parcours migratoires. Non seulement ces mesures nuisent à la progression des personnes en quête de sécurité, mais elles soulèvent aussi d’importantes questions quant à l’humanité de ces solutions.
Outre ces difficultés, les personnes en déplacement éprouvent des problèmes à obtenir l’information nécessaire et des services essentiels, particulièrement lorsqu’elles se déplacent, ce qui les rend vulnérables aux abus et à l’exploitation, surtout si elles sont sans papiers et si elles cherchent à entrer dans un pays de façon irrégulière.
Dans les pays de destination, les migrants et les réfugiés font face à de nombreux obstacles, qui ne sont pas propres à l’Europe et dont un grand nombre sont bien connus et bien compris dans le contexte multiculturel du Canada, notamment des difficultés linguistiques, un manque de connaissance des droits, des difficultés d’ordre juridique et administratif et un accès restreint aux services essentiels comme les soins de santé, l’éducation et le marché du travail.
Ce qui est tout autant ou davantage inquiétant, c’est le discours stigmatisant au sujet des migrants en Europe. Ce discours négatif fait abstraction des capacités, des compétences et des qualités des migrants qui bénéficient aux communautés et il contribue à diviser davantage les collectivités dans un monde où nous avons besoin de favoriser les liens et l’unité.
La FICR s’emploie à fournir des services essentiels le long des parcours migratoires par l’entremise des sociétés nationales selon une approche axée sur les parcours et à mettre en place des points de services humanitaires neutres, sécuritaires et accueillants, qui sont gérés par des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Ces points de services sont situés à des endroits stratégiques le long des parcours migratoires, que ce soit dans les Balkans, en Grèce, en Slovaquie et même sur le navire de sauvetage Ocean Viking, dans la région centrale de la Méditerranée. Nous allons à la rencontre des gens là où ils se trouvent, peu importe leur statut juridique.
Face à ces difficultés, nous savons que nous ne pouvons pas agir seuls et que la coopération et la solidarité mondiales sont essentielles. Il est impératif d’agir; ce n’est pas un choix. Il y a beaucoup trop d’endroits dans le monde où la solidarité mondiale laisse à désirer.
Lors de ma dernière affectation, en Grèce, j’ai constaté que ce pays a dû gérer seul en majeure partie les nouveaux arrivants, malgré les engagements et les déclarations à propos du partage de cette responsabilité. Ici, en Turquie, un pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, alors que la situation des réfugiés ne se résorbe pas, la solidarité internationale n’est pas à la hauteur.
Il y a de l’espoir, et nous l’avons constaté lorsque la communauté internationale a réagi à la crise des réfugiés engendrée par le conflit en Ukraine. Nous avons vu ce qu’il est possible de faire lorsqu’il y a une volonté politique ainsi qu’une coopération et une solidarité mondiales. Des mesures énergiques ont été prises, notamment lorsque des pays ont ouvert leurs frontières, ce qui a permis aux gens d’obtenir rapidement un statut ainsi que de l’aide humanitaire.
Les pays du continent européen ont uni leurs efforts, démontrant ce qu’il est possible de faire lorsque la solidarité et la compassion dominent.
Dans deux semaines se tiendra le Forum mondial sur les réfugiés, et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge souhaite que le Canada continue de faire preuve de leadership en réclamant des solutions globales aux déplacements prolongés, qu’il continue d’élaborer des solutions novatrices pour les pays tiers, qui constituent une voie sécuritaire essentielle pour les personnes en quête de protection, et qu’il continue son travail remarquable visant à favoriser et à préconiser la participation et le leadership des réfugiés.
Merci. Je serai ravie de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. La parole est maintenant à Melissa Siegel.
Melissa Siegel, professeure et responsable des études sur les migrations, Université des Nations unies-MERIT et Université de Maastricht, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à m’adresser à vous au sujet de cette importante question. La question des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants irréguliers a pris de l’importance dans l’Union européenne en 2015 et 2016, alors que de nombreux Syriens et d’autres migrants sont arrivés en Europe pour y trouver asile. À cette époque, un grand nombre de pays et de citoyens se sont demandé dans quelle mesure les pays devraient accueillir des réfugiés. C’était une question particulièrement controversée en Europe de l’Est, où des pays ont d’emblée refusé d’accepter des réfugiés, particulièrement en ce qui concerne la réinstallation depuis des pays de l’Union européenne, car des pays comme la Grèce et l’Italie étaient aux prises avec un nombre excessif de réfugiés. Les choses se sont déroulées complètement autrement au début de 2022, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, ce qui a provoqué un exode des Ukrainiens. Pour la première fois de l’histoire, l’Union européenne a appliqué la Directive relative à une protection temporaire, pour permettre l’entrée directe et faciliter l’accès aux services gouvernementaux et au marché du travail dans les pays de l’Union européenne. En l’espace de quelques mois, l’Union européenne a accueilli des millions d’Ukrainiens.
Il est important de souligner, toutefois, que la protection temporaire accordée aux termes de la Directive relative à une protection temporaire n’équivaut pas à l’obtention du statut de réfugié. Comme le terme l’indique, il s’agit uniquement d’une protection temporaire, mais elle peut être renouvelée.
C’est au début des années 1990 que le concept de la protection temporaire est apparu. Il s’agissait d’une approche novatrice permettant d’établir un juste équilibre entre les intérêts d’un État et ses obligations internationales. Ce concept novateur se voulait une solution aux problèmes engendrés par l’afflux massif de personnes déplacées en raison d’événements comme l’éclatement de la Yougoslavie.
En 2001, l’Union européenne a adopté la Directive relative à une protection temporaire en vue de coordonner sa réponse face à des situations entraînant un afflux massif de personnes déplacées, mais elle n’avait jamais été appliquée avant 2022, lorsqu’il y a eu une volonté politique d’y avoir recours.
Jusqu’à maintenant, près de 5 millions d’Ukrainiens ont été accueillis dans l’Union européenne aux termes de cette directive. Parallèlement, en plus des Ukrainiens, l’Union européenne a reçu l’an dernier plus de 800 000 nouvelles demandes d’asile. Ce nombre est similaire cette année.
Les taux d’acceptation varient parmi les États membres de l’Union européenne, mais en 2022, environ 44 % des demandeurs d’asile ont été acceptés, 31 % ont obtenu une protection subsidiaire et 25 % ont obtenu une certaine protection humanitaire. Des pays comme l’Allemagne et la France ont affiché des taux d’acceptation parmi les plus élevés.
Bien entendu, l’Union européenne continue d’éprouver certains problèmes importants. Il y a notamment la répartition des réfugiés. Ce problème est attribuable à un partage inégal du fardeau, à un manque de solidarité au sein des États membres ainsi qu’aux capacités et aux ressources variables. Des désaccords au sujet des quotas, des différences sur le plan des politiques nationales et une opposition de la part de la classe politique et du public ont nui à l’établissement d’une approche équitable et unifiée. Bien sûr, des facteurs géographiques et la concentration des flux de réfugiés ont davantage compliqué les efforts en matière de répartition.
Un autre grand problème est le surpeuplement dans les camps de réfugiés et les centres d’accueil. Cette situation donne lieu à des conditions de vie inadéquates, à un manque de services de base et à des problèmes de violence et de sécurité.
Le logement est également un problème généralisé dans l’Union européenne, car un certain nombre des principaux pays qui accueillent des réfugiés sont aux prises avec une grave pénurie de logements de façon générale, qui s’est aggravée en raison de l’afflux de réfugiés.
Il existe également un certain nombre d’obstacles d’ordre juridique et administratif ainsi que des obstacles à l’accès au marché du travail.
Pour couronner le tout, il y a également des problèmes d’exclusion sociale qui occasionnent des difficultés d’accès à l’éducation et aux soins de santé, de la discrimination, de la xénophobie et un risque de pauvreté chez les réfugiés.
Même si l’Union européenne fait face à un certain nombre de problèmes, il est encourageant de voir que des changements positifs peuvent s’opérer grâce à l’application pour la première fois de la Directive relative à une protection temporaire. Quand on veut, on peut. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Professeure Faroutan, la parole est à vous.
Naika Foroutan, directrice, Centre allemand de recherche sur l’intégration et la migration, et professeure de recherche sur l’intégration et la politique sociale, Université Humboldt, à titre personnel : Je remercie beaucoup le comité pour le travail important qu’il effectue. Je vais parler de l’Allemagne, de l’évolution des politiques dans ce pays, du conflit au Moyen-Orient qui est en train de transformer un peu la discussion sur les demandeurs d’asile, les personnes qui se réfugient en Allemagne, et de la grande crainte qu’éprouve ce pays qu’un grand nombre de Palestiniens forment le prochain groupe de réfugiés à chercher asile dans l’Union européenne, particulièrement en Allemagne.
Je vais commencer par vous fournir des chiffres. Nous savons tous qu’en 2022, quelque 109 millions de personnes dans le monde ont été déplacées de force. On a déjà dit que les réfugiés ukrainiens ont été traités différemment de ceux arrivés en 2015 et 2016. Dans l’ensemble, environ 6 millions de réfugiés ukrainiens sont enregistrés en Europe, sur un total de 6,2 millions dans le monde en date de septembre 2023. La plupart d’entre eux, comme nous le savons, ont quitté leur pays en traversant en Pologne. Approximativement 970 000 se trouvaient encore en Pologne en septembre 2023.
Nous savons également que près de 1,1 million de réfugiés ukrainiens vivent en Allemagne, qui en accueille le plus grand nombre après la Russie, où se sont rendus de nombreux réfugiés ukrainiens.
L’Allemagne est donc le troisième pays au monde à accueillir le plus grand nombre de réfugiés, après l’Iran et la Turquie, qui comptent chacun 3,4 millions de réfugiés. Au cours des 10 dernières années, l’Allemagne est devenue l’un des pays qui jouent un rôle prépondérant dans le dossier de la migration. Je pense qu’il serait intéressant pour le Canada de se pencher sur la façon dont l’Allemagne gère la situation.
Au total, plus de 3 millions de personnes en quête de protection vivent en Allemagne à l’heure actuelle. Parmi elles, près de 1,6 million ont obtenu une protection ou l’asile. Il y a encore 280 000 demandeurs d’asile qui bénéficient d’une protection ouverte, et ces personnes sont actuellement au cœur d’un débat, car les actes politiques deviennent plus durs à l’égard de la question de savoir si ces gens devraient rester ou non.
Mes collègues ont déjà expliqué que la loi relative à la protection temporaire a favorisé un débat positif et optimiste, qui a permis de comprendre que les personnes pourraient mieux s’intégrer si on leur accordait de meilleurs droits civils et politiques dès le départ. Il s’agit notamment du droit de résidence et de l’accès au marché du travail, au logement, aux soins médicaux, à l’aide sociale et à l’éducation pour les enfants, sans devoir passer par le processus très bureaucratique de demande d’asile.
Il y a deux mois, afin d’offrir une certaine certitude aux 6 millions de réfugiés ukrainiens vivant actuellement dans l’Union européenne — en fait, le chiffre varie entre 4 et 6 millions — le Conseil européen a accepté de prolonger la protection temporaire accordée aux personnes fuyant la guerre d’agression de la Russie. La protection sera maintenue du 4 mars 2024 au 4 mars 2025. La loi s’appliquera donc pendant encore un bon bout de temps.
Il est important de souligner et de comprendre dans quelle mesure les politiques et le discours actuels concernant l’asile sont négatifs en Allemagne. Je pense qu’il est important de savoir que l’Allemagne a non seulement accepté un grand nombre de réfugiés, mais, au cours de l’année dernière, elle a aussi connu un afflux net de près de 1,5 million d’immigrants. Cet excédent migratoire est le plus élevé enregistré en une année depuis le début des séries chronologiques en 1950.
Outre les 1,1 million de réfugiés arrivés l’an dernier seulement, on a enregistré une hausse considérable de l’immigration nette provenant de la Syrie, en raison de l’arrivée de 70 000 Syriens, et de l’Afghanistan. Je crois qu’il serait intéressant pour nous tous de discuter du fait que le troisième plus grand groupe d’immigrants en Allemagne provient de la Turquie. Nous devons nous pencher là-dessus pour comprendre pourquoi un si grand nombre de personnes de la Turquie demandent l’asile en Allemagne.
D’après le chancelier Scholz, le nombre de réfugiés qui souhaitent entrer en Allemagne est actuellement trop élevé. Le gouvernement allemand a donc lancé un programme de rapatriement, qui a été approuvé le 25 octobre, il y a deux semaines. On demande d’accélérer l’expulsion des personnes forcées de quitter le pays, mais il s’agit-là d’une mesure symbolique et populiste, car ces personnes représentent à peine plus de 5 % de l’ensemble des gens en quête de protection.
J’aimerais vraiment attirer votre attention sur le fait que les réfugiés provenant de la Syrie et d’autres pays islamiques arrivés en 2015 et en 2016 ont été traités très différemment des réfugiés ukrainiens, compte tenu des hiérarchies raciales. Je dois dire que le débat en Allemagne concernant les réfugiés ukrainiens devient plus âpre, car en ce moment, seulement 18 % des réfugiés travaillent, même si l’application de la loi relative à la protection temporaire est censée faciliter leur accès au marché du travail et rendre leur intégration plus facile que celle des Syriens. Dans le cas des réfugiés syriens, la plupart étaient principalement des hommes, alors nous devons tenir compte de l’aspect sexospécifique de l’asile.
Je vais m’arrêter là. Je serai ravie de discuter avec vous.
La présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Avant de prendre la parole, les membres du comité et les témoins présents dans la pièce doivent éviter de s’approcher trop près du microphone ou, ce faisant, d’enlever leur écouteur. Ils préviendront ainsi une réaction acoustique dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place.
J’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils ont quatre minutes pour les questions et les réponses. La parole est d’abord à la sénatrice Omidvar, et ensuite, ce sera au tour du sénateur Arnot.
La sénatrice Omidvar : Nous remercions nos invitées. Nous savons qu’il est très tard pour celles d’entre vous qui sont en Europe, et nous vous sommes donc doublement reconnaissants de votre présence.
J’ai quelques questions à poser à chacune d’entre vous. Je ne suis pas certaine que j’y arriverai dans les quatre minutes qui me sont imparties, mais il y aura une deuxième série de questions.
Madame Thomson, vous êtes Canadienne et vous servez les intérêts de notre pays, d’une certaine manière, par l’entremise de la Croix-Rouge et de la Turquie. À la fin de votre déclaration préliminaire, vous avez dit que le Canada peut faire preuve d’innovation sur la scène mondiale. Dans notre rapport, nous formulerons des recommandations. Selon vous, comment le Canada peut-il faire preuve d’innovation sur la scène mondiale? Laissons de côté les questions nationales pour l’instant.
Mme Thomson : Je vous remercie, sénatrice Omidvar. Je suis très heureuse de vous voir et de vous entendre.
C’est une question très importante. Le Canada fait déjà preuve d’innovation de bien des façons grâce à son modèle de parrainage communautaire, ses voies d’accès à l’éducation et ses voies d’accès à la réinstallation qui combinent des solutions durables de réinstallation et des possibilités d’emploi. Cependant, tout en jouant ce rôle de chef de file en matière d’innovation dans le domaine de la réinstallation et de la gestion des migrations, nous devons faire preuve d’humilité et reconnaître notre privilège géographique dans le monde. En effet, notre situation permet à notre pays de délocaliser, en quelque sorte, le traitement des demandes, un privilège auquel l’Europe n’a pas accès. Cela ne signifie pas que les programmes de réinstallation communautaire ou les programmes novateurs qui créent des voies d’accès pour les personnes en déplacement d’un endroit à un autre ne sont pas utiles, car ils le sont certainement, mais je pense que nous devons toujours exécuter ces programmes avec humilité, en reconnaissant qu’il y a de grandes différences entre les contextes géographiques.
Je vais vous raconter une histoire, car elle restera gravée dans ma mémoire jusqu’à ma mort. J’étais en Grèce jusqu’à la fin du mois d’août et, après le naufrage de Pylos, j’ai reçu un appel d’un ami au Canada, c’est-à-dire un réfugié syrien qui avait été réinstallé dans le cadre d’un parrainage communautaire auquel j’avais participé des années auparavant. Il m’a appelé en désespoir de cause parce que cinq de ses cousins se trouvaient sur ce bateau, et il cherchait désespérément un représentant de la Croix-Rouge qui pourrait communiquer avec eux pour savoir s’ils étaient en vie. Un seul des cinq membres de sa famille a survécu au naufrage.
Je me suis dit qu’il aurait tout aussi bien pu se trouver sur ce bateau s’il n’avait pas pu se rendre au Canada en toute sécurité. S’il ne se trouvait pas sur ce bateau, c’est uniquement parce qu’il a profité d’une voie d’accès sûre vers le Canada. Il y a beaucoup trop de personnes qui sont obligées de faire un voyage très dangereux pour trouver une solution. Nous devons trouver de meilleurs moyens d’aider les gens à passer par des voies régulières légales. Le Canada fait un travail remarquable à cet égard grâce a son programme d’immigration économique, ainsi que son programme de réinstallation, mais il reste tant à faire.
La sénatrice Omidvar : Les chiffres sont toutefois peu élevés. Le Canada est un grand pays, mais le nombre de réinstallations est dérisoire par rapport au nombre de personnes déplacées.
Madame Foroutan, je suis ravie de vous revoir. Je suis curieuse de savoir ce qui s’est passé depuis que l’Allemagne a accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, en 2015 et 2016. C’est l’histoire que nous avons entendue et qui a fait les manchettes. Je crois que le Canada a suivi votre exemple en élargissant son accueil aux réfugiés syriens. Comment ces gens s’en sortent-ils, huit ans plus tard? Se sont-ils intégrés au tissu social allemand?
Mme Foroutan : Je vous remercie beaucoup, sénatrice Omidvar. Je suis très heureuse de vous revoir. Ces gens ont obtenu de très bons résultats sur le plan de l’intégration au marché du travail. Selon nos chiffres globaux, près de 80 % des hommes qui sont arrivés en 2015 ont un emploi régulier, et environ 60 % des femmes sont dans la même situation. Ce sont surtout des hommes qui sont venus.
Ils s’en sortent donc très bien en ce qui concerne l’intégration sur le marché du travail, mais vous m’avez demandé s’ils s’étaient intégrés au tissu social allemand. Si vous écoutiez les débats qui ont lieu en ce moment en Allemagne, vous répondriez clairement non à cette question, car quels que soient les paramètres utilisés, ils s’en sortent très bien. Comme je l’ai déjà dit, ils sont entrés sur le marché du travail, ils parlent allemand, ils ont passé des dizaines d’années à l’école, ils ont réussi et ils ont leur propre entreprise en démarrage. Nous avons même des politiciens syriens qui sont arrivés comme réfugiés.
D’une certaine manière, il semble que la population locale craint de cibler les réfugiés ukrainiens. Au lieu de cibler ceux qui sont maintenant ici, mais qui éprouvent des difficultés à entrer sur le marché du travail, car ce sont surtout des femmes qui restent avec leurs enfants — comme je l’ai déjà dit, seulement 18 % d’entre eux sont sur le marché du travail —, les membres de la population locale semblent d’avis que les Ukrainiens leur ressemblent plus sur le plan moral. Par exemple, ils disent qu’ils ont la même religion et la même culture. Ils ne veulent donc pas les offenser, et ils dirigent donc leur colère et leur méfiance à l’égard des demandeurs d’asile contre l’autre groupe en disant que ceux qui appartiennent à ce groupe n’ont pas les mêmes droits de demeurer dans leur pays.
Nous sommes donc maintenant aux prises avec une situation difficile, car le parti de droite Alternative pour l’Allemagne, également connu sous le nom d’AfD, grimpe à 25 %. Nous aurons des élections l’an prochain, et tous les partis politiques tentent d’une manière ou d’une autre de paraître fermes et sévères, en particulier contre le groupe visé dans vos questions, c’est-à-dire les réfugiés syriens et musulmans qui sont arrivés en 2015 et 2016.
La sénatrice Omidvar : Me reste-t-il une minute?
La présidente : Non. Puis-je vous s’inscrire à la deuxième série de questions?
La sénatrice Omidvar : Oui, certainement.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Ce groupe de témoins est une vraie mine de connaissances, et il sera difficile d’aborder tous les enjeux. J’aimerais approfondir quelques questions qui, selon moi, figureront dans notre rapport. J’ai une question pour chaque témoin.
Madame Thomson, en vous fondant sur votre expérience avec la Croix-Rouge et Care Canada, pouvez-vous décrire l’évolution des tendances en matière de déplacement forcé à l’échelle mondiale au cours de la dernière décennie? Pourriez-vous nous parler davantage des défis particuliers auxquels font face les femmes et les jeunes filles dans les situations de déplacement forcé?
Madame Siegel, dans votre document de travail intitulé Migration, entrepreneurship and development: critical questions, qui porte sur la migration, l’entrepreneuriat et le développement, quels liens avez-vous établis entre ces domaines, et comment informent-ils l’élaboration des politiques en matière d’immigration et de développement économique? De même, quels enseignements vos recherches ont-elles permis de tirer sur les effets des déplacements en fonction du sexe, par exemple dans le contexte des réfugiés congolais au Rwanda?
Madame Foroutan, notre comité a étudié l’existence et l’impact de l’islamophobie au Canada en ce qui concerne la radicalisation, le racisme et l’islamisme, et il a récemment rédigé un rapport sur la question. Compte tenu de votre intérêt pour l’islam et les politiques relatives aux minorités, comment percevez-vous l’interaction entre la radicalisation, le racisme et l’islamisme dans le contexte de l’immigration et de l’intégration? Quelles mesures politiques recommandez-vous d’adopter à cet égard?
Je vous remercie.
Mme Thomson : Je vous remercie, sénateur. Je pense que je vais répondre en premier, puisque la question m’a été posée en premier.
En ce qui concerne l’évolution du dilemme en matière d’immigration, l’une des principales tendances que nous observons aujourd’hui — ce n’est pas une nouvelle tendance, mais c’est une tendance cruciale —, c’est la nature prolongée des déplacements. Nous voyons de plus en plus de conflits se développer sans se terminer, de sorte qu’il n’y a pas de solution en vue. Les gens sont laissés dans l’incertitude pendant de trop nombreuses années, car des solutions durables ne peuvent pas être envisagées.
Un travail remarquable a été accompli, notamment à la suite du Pacte mondial sur les réfugiés, pour aborder les déplacements différemment, pour considérer les déplacements prolongés comme la norme et pour apporter aux populations non seulement une aide humanitaire, mais aussi des programmes et des soutiens qui favorisent l’autosuffisance et la création de moyens de subsistance. On tente d’abandonner les solutions fondées sur les camps.
Ce sont tous des éléments très positifs et d’excellentes choses sont accomplies dans ce domaine, mais je dois dire que j’ai été stupéfiée lorsque je suis arrivée sur mon lieu d’affectation il y a deux ans, en Grèce, et que j’ai constaté que nous avons perfectionné les camps de conteneurs au sein de l’Union européenne. En effet, il y a beaucoup trop d’exemples de camps de conteneurs entourés de barbelés, dont l’accès est contrôlé et les entrées et les sorties limitées, qui servent aujourd’hui de solution de logement pour les demandeurs d’asile en Europe.
Nous savons qu’il existe des défis en matière de logement non seulement en Europe, mais aussi au Canada, mais il ne s’agit certainement pas d’une voie vers l’inclusion sociale ou économique. Selon moi, c’est une situation très troublante, surtout lorsqu’une grande partie du reste du monde tente d’abandonner graduellement les solutions fondées sur les camps.
En ce qui concerne les femmes et les filles, nous avons toujours insisté, lorsque je travaillais pour Care Canada et maintenant pour la FICR, sur le fait que nos programmes doivent prendre en considération les besoins propres aux hommes, aux femmes, aux garçons et aux filles. Les femmes et les filles ont des besoins particuliers, des articles de soins personnels qu’elles doivent retrouver dans leur trousse d’hygiène à leur arrivée à la nécessité de s’assurer que les installations sanitaires sont suffisamment éclairées et équipées de serrures pour qu’elles puissent utiliser les toilettes communes en toute sécurité la nuit. Ce sont des éléments essentiels.
Nous devons également penser aux besoins particuliers des hommes et des garçons. J’ai vu trop d’abris « Rubb » — qui ne sont que de longues tentes — remplis de jeunes hommes qui n’ont accès à aucun service spécialisé et qui, selon moi, ont également des besoins particuliers qui leur sont propres. Ces besoins sont différents de ceux des femmes et des jeunes filles, mais ils n’en sont pas moins importants et méritent également d’être considérés avec humanité.
Il s’agit donc de veiller à déterminer les besoins particuliers de ces gens et de concevoir des programmes qui répondent à l’ensemble de ces besoins.
Mme Siegel : Je vous remercie de vos questions.
Nous devons aborder la migration, l’entrepreneuriat et le développement sous deux angles principaux. Le premier consiste à considérer l’entrepreneuriat chez les réfugiés et les migrants eux-mêmes, mais aussi la manière dont l’arrivée de réfugiés affecte la population d’accueil et ses perspectives sur le marché du travail. Nous observons que certains groupes sont visiblement plus enclins à l’entrepreneuriat — selon le pays d’origine —, mais cela dépend aussi des occasions qui se présentent dans les pays de destination.
Les gens abordent l’entrepreneuriat de deux façons principales. Ils peuvent lancer une entreprise par nécessité, lorsqu’ils ont de la difficulté à trouver un emploi salarié. En effet, ils peuvent faire face à de la discrimination ou à d’autres problèmes sur le marché du travail, et l’entrepreneuriat représente un dernier recours pour eux. Il y a aussi l’entrepreneuriat fondé sur les occasions, lorsque les immigrants ou les réfugiés se débrouillent particulièrement bien dans certains créneaux commerciaux dans lesquels ils voient des occasions de percer dans un domaine.
J’ai établi une distinction entre ces deux types d’entrepreneuriat, mais en réalité, pour être honnête, il y a un certain chevauchement. Nous observons que les réfugiés et les migrants sont souvent représentés en plus grand nombre dans l’entrepreneuriat que la population locale. Cela dépend toutefois du pays.
Si nous nous penchons plus précisément sur…
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, mais nous avons utilisé cinq minutes et demie et d’autres sénateurs aimeraient poser des questions. Pourriez-vous répondre très brièvement?
Mme Siegel : Oui, bien sûr.
Nous avons constaté qu’en général, les taux d’entrepreneuriat augmentent aussi au sein de la population locale des régions qui accueillent des réfugiés en raison des occasions qui sont créées. Ainsi, ces régions ont de nouveaux marchés et des gens qui ont de l’argent et des ressources et ils peuvent leur vendre des biens et services. Nous observons souvent que ces occasions sont très positives pour la communauté locale.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Bernard : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. J’essaierai de poser de brèves questions et j’espère que j’aurai le temps de toutes les poser.
Ma première question s’adresse à Mme Thomson et à Mme Siegel. Vous avez toutes deux fait référence à la volonté politique ou plutôt à l’absence de volonté politique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui, selon vous, est à l’origine de ce manque de volonté politique? Que devons-nous faire pour améliorer la situation?
Mme Siegel : Oui, certainement. C’est une excellente question au sujet de la volonté politique.
Parfois, on adopte une approche trop réductionniste pour aborder ces questions. Lorsqu’on parle, par exemple, de la situation des Ukrainiens par rapport à celle des Syriens en Europe, on réduit souvent la question à la xénophobie, à la discrimination et à la rhétorique anti-islamique. Ces éléments jouent certainement un rôle, mais je pense qu’il y a aussi beaucoup plus que cela. D’autres éléments entrent en jeu, par exemple la question de savoir comment l’agresseur est perçu et s’il s’agit d’un ennemi commun ou non.
Pour de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Europe en général, on peut dire que la Russie est considérée comme un ennemi commun, alors que le régime syrien n’était pas nécessairement considéré comme un ennemi commun. Un grand nombre d’États européens qui se sont fermement opposés à l’accueil de réfugiés d’autres pays ont toutefois l’impression d’avoir déjà vécu des situations semblables à l’agression russe, et ils voient donc ces gens comme leurs frères, leurs sœurs et leurs voisins.
En outre, la Pologne, qui accueille actuellement le plus grand nombre d’Ukrainiens, comptait déjà un grand nombre de travailleurs ukrainiens immigrants dans sa population. Les deux pays avaient donc déjà des liens étroits.
Et puis, bien entendu, il y a les questions fondées sur le sexe, qui sont très importantes. En général, on considère que les femmes créent moins de problèmes et qu’elles représentent une menace moins importante pour la sécurité et en général. Les femmes et les enfants suscitent généralement des préoccupations humanitaires d’un autre ordre. En réalité, les caractéristiques démographiques du groupe de population, le lieu d’origine de ce groupe, la mesure dans laquelle il est perçu comme étant proche de la population locale, ainsi que le contexte plus large du conflit et la perception d’une expérience commune sont des questions qui pèsent beaucoup dans la balance. Nous devons donc veiller à ne pas adopter une approche trop réductionniste à cet égard.
Mme Thomson : Je me fais l’écho de tout ce qu’a dit Mme Siegel. J’ajouterais seulement que cela dépend aussi du contexte.
Par exemple, nous avons vu de nombreux Grecs se mobiliser activement lorsque d’importantes vagues de migrants ont traversé la Grèce. Le fait qu’il s’agissait d’un pays de transit et que les migrants continuaient ensuite de se déplacer a été difficile pour les collectivités qui les avaient accueillis. Cela a commencé à alimenter une rhétorique négative au sein de l’espace politique, et les politiciens s’en sont emparés. Les gens se sont ensuite sentis obligés de déménager, puisqu’on leur disait que c’était ce qu’ils voulaient. C’est une caractéristique unique des pays de transit.
Je suis maintenant en Turquie, où il y a une population importante qui, en raison de sa grande taille, allait toujours exercer une forte pression sur la volonté politique. Je pense que c’est la nature humaine. De plus, il y a une situation d’inflation qui est très difficile pour les citoyens turcs ordinaires, et il y a eu un tremblement de terre dans la région qui accueillait des réfugiés, en plus de la COVID-19 qui a sévi pendant cette période. Au fil des ans, il devient de plus en plus difficile aux collectivités d’accueil de continuer à offrir cet accueil.
Je pense que cela dépend du contexte. Nous devons donc veiller à ne pas adopter une approche trop réductionniste et à tenir compte du contexte pour choisir ensuite les outils politiques appropriés, parmi ceux à notre disposition, pour intervenir dans chaque contexte.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous de votre excellent travail. Mon temps est limité et je ne peux poser que quelques questions.
Je tiens d’abord à vous remercier, madame Thomson, de l’excellent travail qu’accomplissent les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Lorsque j’étais avocate spécialisée en droit de l’immigration, je me souviens de toute l’aide qu’apportaient ces sociétés. Je suis donc très reconnaissante de votre travail formidable. En ce moment, nous voyons le drapeau de la Croix-Rouge partout en Palestine, lors des échanges. Je vous remercie. Veuillez faire savoir à tout le monde que nous vous savons gré de votre excellent travail.
Lorsque vous parlez de l’Ukraine, il s’agit à mes yeux d’une exception, en particulier au Canada. Lorsque vous dites que tout le monde s’est uni pour l’Ukraine, je doute que la même chose se produise pour un autre pays qui n’est pas si proche de l’Europe, disons. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?
Mme Thomson : Les travailleurs humanitaires doivent être optimistes et garder espoir. Je choisis d’espérer que puisque nous l’avons fait une fois, nous pouvons en tirer des leçons et recommencer. En tant que défenseurs des droits, nous pouvons également rappeler à nos dirigeants politiques les outils dont ils disposent et les mesures qu’ils ont prises pour d’autres populations dans le besoin. Mais je comprends votre scepticisme, et je pense qu’il est justifié.
Je vous remercie également de vos paroles de gratitude, car comme l’a dit un collègue l’autre jour, il n’est pas facile d’être neutre dans un monde qui n’est pas très à l’aise avec l’impartialité en ce moment. C’est un élément clé de nos principes humanitaires qui nous permet de faire notre travail, mais c’est très difficile ces temps-ci. Je vous remercie de vos bons mots et de votre appui à l’égard de nos collègues du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, madame Thomson.
J’ai une question à vous poser, madame Foroutan. J’ai examiné avec intérêt vos recherches, en particulier l’étude sur la radicalisation et le racisme. Comme vous le savez, les réfugiés se retrouvent souvent exclus, isolés et victimes de discrimination, ce qui conduit couramment à un sentiment d’aliénation, qui peut se traduire par la radicalisation et l’extrémisme.
Pourriez-vous nous dire comment prévenir l’isolement des demandeurs d’asile et, ce qui est plus important à mes yeux, favoriser leur acceptation?
Mme Foroutan : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Vous avez déjà rappelé que la discrimination et les expériences de racisme peuvent conduire à la radicalisation. Nous préparons des rapports pour le gouvernement allemand, et mon centre de recherche est chargé de préparer chaque année l’observatoire national de la discrimination et du racisme. Il y a deux semaines, nous avons présenté des données montrant que la discrimination à l’égard des Noirs et des musulmans est particulièrement importante en Allemagne.
Nous avons un groupe qui surveille actuellement la radicalisation sur TikTok, en particulier depuis le 7 octobre. Comme vous le savez peut-être, 7 % de la population allemande est d’origine musulmane. Depuis que la guerre a éclaté entre Israël et la Palestine, les débats sur l’expatriation de ce groupe font rage dans les médias. Ils découlent de l’idée que l’antisémitisme en Allemagne est en quelque sorte un comportement d’extériorisation à l’égard de ce groupe de musulmans, comme si l’Allemagne ne pouvait pas avoir de problème d’antisémitisme en soi. Nous parlons constamment d’antisémitisme de l’étranger et d’antisémitisme musulman dans ce pays, alors que nous observons parallèlement une véritable augmentation de l’antisémitisme chez les jeunes musulmans qui se radicalisent sur TikTok. Nous cherchons à comprendre s’il existe une corrélation entre le caractère subversif des comportements d’extériorisation que subissent constamment les enfants d’immigrants pendant des années, et le fait qu’il y ait, d’une manière ou d’une autre, une adhésion marquée aux groupes radicaux qui leur donne plus d’attention à l’heure actuelle.
La présidente : Je dois demander aux témoins de donner des réponses brèves, et aux sénateurs de poser des questions courtes. Il nous reste en effet moins de 10 minutes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Vous avez toutes les trois cité la Directive relative à la protection temporaire, adoptée par l’Union européenne, comme exemple de mesures qui ont pu aider l’accueil de réfugiés en Europe, en particulier les réfugiés ukrainiens, même si on sait que ce n’est pas totalement les mêmes conditions.
Quelles leçons tirez-vous de la mise en place de cette mesure? Pourriez-vous nous donner quelques détails sur les effets que pourrait avoir l’extension de cette mesure à l’ensemble des réfugiés?
Ma question s’adresse aux trois témoins. On peut commencer par Mme Siegel, puisqu’elle a travaillé à la Commission européenne. J’imagine qu’elle pourrait commencer.
[Traduction]
Mme Siegel : C’est une grande question, et je ne suis pas sûre de l’avoir bien comprise. En ce qui a trait à l’application à d’autres groupes de la directive sur la protection temporaire, ou simplement à cette idée, je pense qu’il est essentiel de simplement éliminer les temps d’attente.
L’un des grands problèmes des demandes d’asile — je suis actuellement établie aux Pays-Bas —, c’est que même si les pays ont des procédures d’évaluation rapide, en cas d’afflux massif de personnes, cette voie accélérée ne commence pas avant six mois, jusqu’à ce qu’on parvienne à la personne. Nous devons sérieusement songer — nous pouvons tirer des leçons, en particulier pour les groupes qui sont très susceptibles d’obtenir le statut de réfugié ou un autre statut, comme les Syriens — à permettre immédiatement aux personnes d’inscrire leurs enfants à l’école et d’avoir un accès normal aux soins de santé et au marché du travail, et ce, dès le premier jour. En cas d’afflux important, il serait logique d’offrir à d’autres groupes tous les droits et privilèges dont ont bénéficié les Ukrainiens avec la directive sur la protection temporaire. Lorsqu’on sait que le groupe est déjà très susceptible d’obtenir une protection, il n’y a aucune raison de demander aux gens de faire la queue, ce qui est exactement la raison d’être de la directive. C’est la raison pour laquelle elle a été conçue. Il serait logique de l’appliquer à d’autres groupes, ce qui constituerait un grand pas dans la bonne direction.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci. Cela peut enrichir...
Mme Thomson : Je suis totalement d’accord. J’aimerais également dire que même avec l’aide de la Directive relative à la protection temporaire, même si les gens ont réussi à avoir un permis de travail rapidement, il y avait toujours des barrières qui leur posaient problème pour s’intégrer dans l’économie — surtout pour les Ukrainiens, en ce qui a trait à la garde d’enfants et aux cours de langue dans le pays où ils sont arrivés.
On a appris qu’il est très important d’obtenir le statut directement et rapidement, et d’avoir l’occasion de travailler immédiatement. On a également appris que ce n’est pas la fin de l’histoire et qu’il est toujours important d’avoir des programmes d’immigration, des programmes de langue et de mettre en place des programmes d’aide pour les besoins particuliers, par exemple pour les femmes qui ont des enfants, pour s’assurer que les gens peuvent réussir lorsqu’ils commencent leur nouvelle vie dans un nouveau pays.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie. Je n’allais pas poser de question, mais j’aimerais savoir très brièvement si le climat politique qui prévaut actuellement en Europe vous inquiète, étant donné la direction que prend l’Europe.
Mme Siegel : Je peux répondre rapidement puisque je suis aux Pays-Bas. Les élections viennent d’avoir lieu, et un gouvernement populiste de droite a gagné de manière décisive, à la surprise du grand public. Le climat est donc en effet très préoccupant. Nous voyons que ce qui vient de se passer aux Pays-Bas a enhardi les populistes de droite d’autres pays. C’est très inquiétant pour l’accueil qui sera réservé à l’avenir aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, mais aussi aux migrants plus généralement, ainsi que pour l’intégration et l’accueil que nous avons vus par le passé à l’égard de certains pays menacés.
Mme Foroutan : Actuellement, seuls l’Irlande, l’Espagne et le Portugal sont dépourvus de partis populistes de droite. Il n’y a que ces trois-là. Les autres pays européens se dirigent vers des partis de droite — ils n’ont pas la majorité, mais sont largement représentés au Parlement. Ce qui inquiète la plupart d’entre nous en ce moment, c’est que l’Allemagne a un parti de droite qui atteint 23 % d’appui en ce moment. Il lui manque 7 % pour avoir la proportion la plus élevée et devenir majoritaire. Ce que nous pouvons observer — et qui est vraiment paradoxal —, c’est que beaucoup d’immigrants décident maintenant de voter pour les partis de droite, ce qui est en quelque sorte attribuable à la discrimination subie. Nous pouvons entendre les Syriens dire : « Où était l’Europe lorsque la Russie bombardait la Syrie? Et nous serions maintenant en guerre parce qu’elle a attaqué l’Ukraine. » Il s’agit d’un discours assez répandu, et le récit des hiérarchies raciales transforme en quelque sorte les immigrants qui vivent ici en partisans qui votent pour les partis de droite afin de détruire l’Europe. C’est ce que nos entretiens révèlent en quelque sorte.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Omidvar : Je vais poser ma question, et j’espère obtenir vos réponses par écrit puisque nous manquons de temps. À l’issue de cette étude, des recommandations seront envoyées au gouvernement du Canada et à la population canadienne. Les ministres les liront. Nous espérons que le premier ministre fera de même. De votre point de vue européen, quel élément devrait contenir ce rapport, et que le Canada pourrait humblement apporter à la scène mondiale?
La présidente : Je vous remercie. Je tiens à exprimer ma gratitude à tous les témoins. Ce sont d’excellents témoignages. Nous devrions nous réserver le droit de vous rappeler.
Le sénateur Arnot : J’ai une préoccupation. J’aimerais que les témoins qui n’ont pas eu l’occasion de répondre à mes questions, en particulier Mme Foroutan, le fassent par écrit. De même, Mme Siegel n’a pas eu la chance de répondre à la deuxième partie de ma question. Je vous prie de nous faire parvenir les réponses par écrit.
Ce processus laisse à désirer. Avoir quatre minutes pour trois témoins n’a aucun sens à mes yeux. L’ordre du jour est surchargé, ce qui nuit à ces enjeux. J’en suis très inquiet.
La présidente : Sénateur Arnot, je suis plutôt d’accord avec vous. Je voulais moi-même poser une question. Parfois, nous essayons d’avoir deux témoins, mais il arrive que nous communiquions avec un troisième témoin. S’il accepte, nous le laissons comparaître aussi. C’est pourquoi j’ai dit que nous nous réservions le droit de rappeler ce groupe de témoins. Il y a tellement de questions que nous voulons encore leur poser.
Si un autre sénateur a une question à laquelle on n’a pas répondu, vous pouvez la remettre au greffier, qui la transmettra aux témoins. Ceux-ci pourront alors y répondre par écrit.
La sénatrice Omidvar : S’ils le peuvent, ils pourraient comparaître. Je trouve que gruger encore leur temps...
La présidente : C’est vrai. Compte tenu de l’intérêt, la meilleure chose à faire serait peut-être de réunir à nouveau ce groupe de témoins. Je pense que nous allons le faire. Il y a tellement de choses à vous demander. J’ai moi-même glissé une question. J’en avais beaucoup à poser, mais je n’ai généralement pas l’occasion de le faire en tant que présidente. Je vous remercie de votre temps, et peut-être qu’au cours de la nouvelle année... L’hiver du mécontentement passera aussi, et nous verrons ce qui arrivera en Europe. Je vous remercie infiniment.
Honorables sénateurs, je vais maintenant vous présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous regrettons de ne pouvoir accueillir Janemary Ruhundwa, cofondatrice et directrice générale de DIGNITY Kwanza, mais nous espérons pouvoir la recevoir au cours du mois de décembre.
Nous avons en ligne Bahati Maganjo, consultante du Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique et membre du Refugee Advisory Network of Canada. Je vous invite maintenant à faire votre exposé.
Bahati Maganjo, consultante du Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique et membre, Refugee Advisory Network of Canada, à titre personnel :
Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Je suis ravie d’avoir l’occasion de donner mon point de vue sur cette étude. Pour me présenter brièvement, je suis originaire du Rwanda, et après le génocide de 1994, j’ai été déplacée au Kenya pendant 25 ans en tant que réfugiée. Là-bas, j’ai pu suivre une formation d’infirmière avant d’immigrer au Canada en 2021.
Mon expérience personnelle m’a amenée à m’impliquer activement dans l’action sociale et la défense des droits dans les domaines de la paix, de l’éducation, de la politique concernant les réfugiés, de la recherche et de la mobilité de la main-d’œuvre pour les réfugiés.
Même si le Canada définit les droits de la personne comme étant ceux auxquels les gens ont fondamentalement droit à titre d’humains, en réalité, ces droits ne sont pas reconnus à de nombreux réfugiés. C’est pourquoi les premiers mots que j’ai prononcés après mon arrivée au Canada ont été : « Je me tiens ici, en tant que personne ayant un statut juridique et des droits. »
Il est regrettable que le continent africain soit en proie à des conflits successifs. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, il y a environ 30 millions de personnes déplacées dans la région, ce qui représente près du tiers de la population mondiale de réfugiés. De nouveaux déplacements sont encore attribuables aux conflits, aux phénomènes climatiques et à la violence politique.
Je ne m’y connais pas assez pour parler des causes profondes des déplacements. Cependant, au cours de mes 25 années en tant que réfugiée, j’ai pu profiter de programmes et être témoin de pratiques positives qui, si elles sont élargies et plus efficaces, pourraient créer des solutions durables pour un plus grand nombre de réfugiés.
J’évoquerai mon immigration au Canada et expliquerai qu’elle s’est faite dans le cadre du Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, ou PVAME. Pour décrire simplement ce programme, il jette un pont entre les pénuries de main-d’œuvre au Canada et les réfugiés à l’étranger qui possèdent les compétences, l’éducation et l’expérience professionnelle nécessaires pour occuper ces emplois.
Le Canada a été et demeure un leader dans la mobilité de la main-d’œuvre pour les réfugiés. C’est le premier programme du genre à être mis en œuvre en Afrique, et il offre une solution économique à une crise humanitaire. Alors que j’étais encore une réfugiée ayant un accès limité aux occasions d’emploi dans les pays d’asile, j’ai eu la chance de postuler pour un emploi au Canada, ce qui m’a permis d’obtenir une solution durable. Je suis le fruit de nombreuses années de travail, mais je crois qu’avec un soutien et des investissements convenables, les réfugiés pourraient accéder à des occasions beaucoup plus vite et efficacement, et dans la dignité.
Le Canada a été un chef de file à bien des égards dans sa réponse aux crises humanitaires. Il l’a fait en finançant et en soutenant divers programmes pour les réfugiés, mais ceux-ci ne correspondent pas encore aux possibilités d’emploi. Ce qu’il faudrait faire, c’est soutenir et investir délibérément dans les pays qui accueillent des réfugiés afin de renforcer les compétences et l’expertise qui répondront aux besoins et aux demandes des pays tiers sûrs. La mesure doit aussi permettre aux réfugiés de contribuer à leur communauté et d’en faire bénéficier le pays d’accueil. En plus de soutenir des formations diplômantes de quatre ans, le programme pourrait appuyer des formations courtes et pratiques auxquelles même les personnes marginalisées peuvent avoir accès. Saviez-vous, par exemple, que la formation initiale en soins de santé dispensée au Canada pour les préposés aux bénéficiaires ou les assistants en soins continus dans les maisons de retraite dure généralement moins d’un an? Combien de réfugiés sauteraient sur l’occasion de recevoir une telle formation si elle débouchait sur une occasion d’emploi au Canada?
Un autre volet à prendre en considération est celui des femmes et des jeunes filles réfugiées, qui sont vulnérables et exposées à de nombreux défis, mais qui n’ont pas accès aux mêmes occasions que les hommes. L’écart en pourcentage entre les réfugiés hommes et femmes qui ont accès à l’éducation est très important pour des raisons socioéconomiques. En ce qui concerne la mobilité de la main-d’œuvre, selon les chiffres de RefugePoint, environ 75 % des candidats sont des hommes. Bien que des efforts soient faits pour atteindre les femmes, il serait possible d’égaliser les chances en favorisant des formations qui correspondent aux possibilités d’emploi, ce qui encouragerait un plus grand nombre d’entre elles à postuler.
Le programme canadien de mobilité de la main-d’œuvre du PVAME est un exemple pour d’autres pays. Au premier trimestre cette année, plus de 140 offres d’emploi avaient été envoyées à des réfugiés qualifiés. Aujourd’hui, avec le nouveau programme fédéral lancé en juin cette année, ce sera encore plus efficace grâce aux nombreux changements apportés à la politique qui pourraient accroître la mobilité de la main-d’œuvre. Le mois dernier, nous avons commencé à voir que les choses fonctionnent plus rondement avec 14 atterrissages. Le programme permet non seulement de soutenir les pays d’accueil, mais aussi de changer la façon dont les réfugiés sont perçus.
J’aimerais conclure en disant que le Canada est bien placé en tant que leader dans ce domaine pour garantir le respect des droits de la personne et de la dignité des réfugiés à l’échelle mondiale. Il faut aussi que les réfugiés soient reconnus non seulement pour leur histoire tragique, mais aussi pour leurs compétences et leurs expériences. Qui plus est, il faut reconnaître que, ce faisant, tout le monde est gagnant — les personnes, les employeurs qui les embauchent et les communautés qui les accueillent.
Je prie donc chacun d’entre vous à en apprendre plus sur la manière dont le Canada peut non seulement continuer à jouer un rôle à ce chapitre, mais aussi multiplier les occasions en harmonisant les investissements canadiens déjà en place.
Je vous remercie de votre attention. Je suis impatiente de répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie.
L’un des autres témoins n’a pas pu se joindre à nous, mais nous disposons de cinq minutes pour les questions et les réponses.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie. Madame Maganjo, c’est un véritable honneur de vous compter parmi nous. Je viens moi aussi de cette région du monde. Il était intéressant de vous entendre en tant que membre du réseau consultatif sur les réfugiés. Vous avez parlé de beaucoup de choses, et je voudrais me concentrer sur ce qu’il advient des réfugiés africains lorsqu’ils arrivent ici. Ils sont dans toutes sortes d’états, en particulier les femmes. Pouvez-vous nous en dire plus?
Mme Maganjo : Vous parlez de lorsqu’ils arrivent au Canada, je suppose?
La sénatrice Jaffer : C’est exact.
Mme Maganjo : Il leur arrive la même chose que les autres. La personne réfugiée arrive dans sa communauté. Elle est mise en contact avec un responsable de l’établissement des réfugiés qui l’aidera à s’installer. Il est possible d’obtenir un emploi. Il faut chercher du travail pour être autonome.
Cependant, il est parfois difficile de trouver un emploi en raison d’un manque d’expérience ou de possibilités de formation dans les pays d’accueil. C’est pourquoi j’ai parlé d’investissements dans ces États. Il faut aussi offrir des services de transition en vue de l’établissement, et veiller à ce que les réfugiés établissent bien. Il faut s’attarder aux systèmes de soutien qui sont déjà en place pour les personnes vulnérables de la société, en particulier les femmes. Il faut songer aux soutiens en matière de santé mentale et aux soutiens sociaux, si le réfugié n’est pas avec sa famille élargie ou s’il n’a pas de famille.
La sénatrice Jaffer : Au Canada, ainsi que dans d’autres pays, des milliers de demandeurs d’asile sont détenus chaque année. Leur détention a sans contredit soulevé de multiples inquiétudes.
Pouvez-vous décrire la manière optimale, selon vous, de gérer l’arrivée de demandeurs d’asile et d’immigrants illégaux tout en respectant le droit international et les droits de la personne?
Mme Maganjo : C’est une question complexe. Je ne peux que donner une réponse subjective, parce que je sais ce que c’est que d’être un demandeur d’asile qui n’a pas tellement d’options de retourner dans son pays d’origine.
Par rapport à la détention...
La sénatrice Jaffer : Vous avez le droit d’être subjective, alors soyez subjective.
Mme Maganjo : Merci.
Il importe d’avoir accès à des mesures d’appui juridique de qualité — à quelqu’un qui peut prendre le temps d’examiner le dossier. Il faut aussi ne pas se retrouver dans des situations qui sapent la santé mentale, en raison de facteurs comme le lieu de détention, des menaces d’être retourné d’où on vient et un délai insuffisant pour exposer son cas. À la lumière de toutes ces circonstances, je choisirais de voir l’humain derrière la personne, peu importe la situation politique en trame de fond. Je trouve que les réfugiés et les demandeurs d’asile, en particulier, ont tendance à faire les frais de luttes politiques. La plupart du temps, les décideurs oublient la personne. Des familles sont séparées à cause des demandes d’asile, et des parents sont détenus à l’écart de leurs enfants ou conjoints, ce qui viole leurs droits de la personne.
Je crois que nous devons nous rappeler que les personnes touchées sont humaines et que nous devons leur donner accès aux ressources juridiques appropriées dont elles auront besoin pour présenter leur dossier.
La sénatrice Jaffer : Mon temps est écoulé, mais pourrais-je vous demander...
La présidente : Il vous reste peut-être un peu de temps, sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merveilleux. Le comité veut notamment des recommandations sur les différentes expériences que vous avez vécues. Si aucune recommandation ne vous vient à l’esprit en ce moment, veuillez les envoyer au greffier ultérieurement. Quoi qu’il en soit, je me demande si vous avez des recommandations précises pour le comité.
Mme Maganjo : J’aimerais inciter les intervenants à réfléchir aux façons pour le Canada d’investir davantage dans les pays d’accueil à cause du fardeau qu’ils portent, surtout dans le contexte africain. La plupart des pays accueillant des réfugiés ne sont pas riches et disposent de peu de ressources. J’ai moi-même dû me tailler une place pour une des rares bourses offertes et j’ai été chanceuse de pouvoir être admise en sciences infirmières.
Il serait bénéfique de créer une responsabilité pour investir davantage en ce sens. Ainsi, même quand les réfugiés sont en attente pendant les situations prolongées, ils pourraient toucher un revenu et être autonomes. Peu importe le dénouement permanent qui les attend — un tiers pays, l’intégration ou le rapatriement —, ils auront au moins les outils pour retrouver leurs repères dans la communauté où ils vivront.
À bien d’autres égards, le Canada est un chef de file dans son traitement des réfugiés. Vous avez soulevé la question des demandeurs d’asile, qui est un sujet très délicat et politisé dans le monde moderne. Je nous invite à nous rappeler que ces demandeurs sont des humains, et non pas juste des numéros, et que tous les outils leur permettant de présenter leurs dossiers devraient être mis à leur disposition. Bien entendu, nous devons leur garantir un environnement digne qui ne brime pas leurs droits.
La sénatrice Jaffer : Merci.
La sénatrice Omidvar : Merci énormément, madame Maganjo, d’être parmi nous aujourd’hui. Vous nous démontrez avec votre propre exemple pourquoi le Canada devrait continuer à appuyer les réfugiés et à les aider à se réinstaller.
Lorsque vous êtes venue au Canada dans le cadre du très novateur Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, ou PVAME, avez-vous pu amener les membres de votre famille avec vous, ou êtes-vous venue seule?
Mme Maganjo : Le programme m’a permis d’amener les membres de ma famille immédiate. Ils étaient liés à ma demande et le sont toujours : le programme permet d’amener la famille immédiate, soit le conjoint et les enfants, jusqu’à un certain nombre.
La sénatrice Omidvar : Le Canada compte maintenant quatre ans d’expérience, je crois, avec ce projet pilote pour faire venir des réfugiés — non pas en tant que réfugiés, mais en tant que personnes qui répondent aux besoins du marché du travail canadien. Dans ce contexte, recommanderiez-vous que le Canada devienne un ambassadeur de ce programme, pas seulement au Canada, mais dans d’autres régions du monde?
Mme Maganjo : Je crois que le Canada est déjà un ambassadeur. J’ai le privilège de siéger à l’Alliance mondiale pour la mobilité des travailleurs réfugiés, que le Canada préside depuis deux ans. Nous essayons entre autres de démontrer l’exemple du Canada et le mien, bien sûr : je me suis intégrée à la communauté canadienne. L’alliance se penche aussi sur les initiatives du Canada dans sa transition du projet pilote au nouveau programme fédéral qui remédie à certaines des difficultés liées aux politiques que présentait le projet pilote quand je suis arrivée au Canada.
Le Canada est donc déjà un ambassadeur. Il nous reste maintenant à obtenir l’adhésion de plus de pays, de plus d’employeurs et même des Canadiens : c’est effectivement parmi eux que nous pouvons trouver plus d’employeurs et de communautés pour accueillir ces nouveaux migrants qui sont aussi des réfugiés.
La sénatrice Omidvar : Vous trouvez que le Canada est déjà un ambassadeur. Je suis ravie de l’entendre. De votre perspective de membre de l’alliance mondiale, croyez-vous que d’autres pays sont susceptibles d’emboîter le pas? Pouvez-vous nommer quelques-uns de ces pays?
Mme Maganjo : Oh, oui. La donne est vraiment en train de changer pour la mobilité des travailleurs réfugiés. Je crois que c’est un des enjeux potentiels que nous anticipons au Forum mondial sur les réfugiés le mois prochain. Des pays comme le Royaume-Uni interviennent en matière de mobilité des travailleurs. Je pense que les nombres sont plus élevés au Royaume-Uni qu’au Canada, mais le Canada se distingue : alors que le Royaume-Uni offre la résidence temporaire, le Canada offre la résidence permanente. Voilà la différence.
On remarque aussi de l’intérêt en Europe. Les pays commencent à s’intéresser à la question. Même les pays qui ne réinstallent pas de nombreux arrivants commencent à examiner les avantages de la mobilité des travailleurs et comment ils pourraient en tirer parti.
La donne change. Nous espérons que les autres pays remarqueront que le Canada continue à élargir son PVAME et voudront suivre ses traces.
La sénatrice Omidvar : Conviendriez-vous que la beauté de ce programme est le fait qu’il ne diminue pas le nombre de réfugiés? Au Canada, tout est rattaché au plan sur les cibles en immigration. On ne peut accepter qu’un certain nombre de milliers de réfugiés par année. Le PVAME est cependant un volet distinct. Ai-je bien compris le fonctionnement?
Mme Maganjo : Oui, vous avez tout à fait raison, et c’est en fait la beauté de la mobilité des travailleurs : les nombres s’ajoutent aux autres nombres. Le Canada accepte des migrants économiques, qu’il s’agisse de réfugiés ou non. Ainsi, pourquoi ne pas inclure les réfugiés, s’ils ont les mêmes compétences que d’autres immigrants?
La sénatrice Omidvar : Merci, madame.
Le sénateur Arnot : Merci, madame Maganjo, d’être venue à notre comité aujourd’hui. Comme on l’a déjà mentionné, vous excellez sur le plan professionnel et vous êtes l’une des premières infirmières à être venue au Canada. J’aimerais que vous approfondissiez un énoncé que vous avez prononcé au Sommet mondial sur la mobilité de la main-d’œuvre réfugiée par rapport à l’importance centrale du travail pour les réfugiés et ses répercussions sur leurs vies lorsqu’ils arrivent dans un nouveau pays. Si vous en avez l’occasion, j’aimerais que vous nous donniez vos conseils pour les autres réfugiés professionnels qui cherchent à rebâtir leurs carrières dans un nouveau pays. Veuillez aussi décrire les principaux défis et possibilités pour les réfugiés qualifiés qui cherchent du travail dans un autre pays et qui veulent faire reconnaître leurs titres de compétences dans ce pays.
Mme Maganjo : Merci, monsieur le sénateur. Ces questions sont très lourdes de sens, et je vais tenter d’y répondre dans les quelques minutes qui me sont allouées. Le travail est central pour notre identité en tant qu’êtres humains. En ce moment, les personnes dans cette salle sont au travail. Le travail nous occupe huit heures par jour, cinq jours par semaine; il est donc pénible mentalement de séparer notre travail de notre identité. C’est une réalité que les réfugiés n’ont pas la chance de vivre — travailler, toucher un revenu et simplement ressentir la fierté de gagner son propre argent. On refuse cette réalité aux réfugiés depuis longtemps. Ainsi, j’ai ressenti de la dignité grâce à la façon dont j’ai pu venir au Canada.
Je n’avance pas que la réinstallation n’a pas sa raison d’être, mais j’ai attendu la réinstallation pendant 25 ans. J’ai trimé dur à l’université et je me suis mérité ma place au Canada. Je travaille à l’hôpital de ma région et je me sens très respectée pour ma contribution. Je ressens beaucoup de dignité. Je sens que mon existence ne se résume pas à ce qui est arrivé à mes parents, à ce qui s’est passé pendant le génocide. Par conséquent, les débouchés professionnels pour les réfugiés constituent une façon de leur redonner de la dignité tout en respectant leurs droits de la personne de gagner de l’argent pour subvenir à leurs besoins essentiels. Donnez-leur du contrôle et voix au chapitre.
Lorsqu’on vous donne de l’aide humanitaire sous forme de deux kilos de céréales pour le mois, on ne peut les remettre en question parce qu’on ne paie pas pour ces vivres. On les reçoit gratuitement. Par opposition, on redonne du pouvoir aux gens lorsqu’on leur permet de décider où ils veulent vivre et dans quelle communauté ils veulent s’établir.
Vous avez demandé quels sont certains des défis pour les réfugiés qui arrivent dans un pays en tant que travailleurs migrants : il est difficile d’arriver sans sa famille. Il arrive que des défis se présentent à cause des situations et du traitement des réfugiés; les réfugiés ne se sentent alors pas à l’aise de déclarer certains membres de leurs familles. La structure du système entraîne ces issues malheureuses. Les demandeurs ont l’impression que, s’ils déclarent certains proches, l’occasion leur filera peut-être entre les doigts. Par conséquent, des migrants se retrouvent dans un nouveau pays, privés du soutien qu’ils avaient dans leur pays d’origine. Lorsque je suis venue ici, je n’avais pas ma mère et ma famille élargie à mes côtés. J’ai dû rebâtir le soutien que j’avais dans mon ancien pays — malgré mon statut de réfugiée — dans la communauté où je vis maintenant.
J’ai eu la chance de m’installer dans une petite localité rurale où les résidents n’ont d’autre choix que d’interagir. J’ai donc fini par me rebâtir un réseau social pour me soutenir. Il a fallu du temps et de nombreuses luttes, mais c’est faisable.
Par la suite, nos intentions ont été très claires. Un volet de mon travail comme experte-conseil consiste à créer des structures pour appuyer les migrants économiques qui arrivent ici comme réfugiés. Je dois établir qu’ils sont effectivement des immigrants économiques, mais qu’ils ont des besoins en raison de leur passé de réfugiés, et qu’il faut en tenir compte. J’espère avoir répondu à vos questions.
Le sénateur Arnot : Merci. Si vous avez des éléments à ajouter à vos réponses, vous pouvez nous les faire parvenir par écrit. Je vous remercie de votre témoignage aujourd’hui, qui est excellent. Merci.
La présidente : Sénateur Arnot, il vous reste du temps pour poser une autre question, si vous le voulez.
Le sénateur Arnot : D’accord, je vais profiter de l’occasion pour poser cette question. Selon vous, qui avez souligné l’importance et la valeur des compétences des réfugiés, quels efforts de défense des droits sont nécessaires pour améliorer la reconnaissance et l’intégration des réfugiés professionnels dans leur pays d’accueil — c’est-à-dire au Canada?
Mme Maganjo : C’est vrai au Canada et dans les pays où ils vont travailler. Votre question porte sur la reconnaissance des titres de compétence, n’est-ce pas?
Le sénateur Arnot : Oui. Dites-m’en autant que possible. Les enjeux sont manifestement interreliés.
Mme Maganjo : Oui, je crois que c’est très, très important. J’ai suivi une formation pour devenir infirmière. J’aurais pu être infirmière au Kenya si on me l’avait permis. Lorsque je suis venue au Canada, je ne pouvais occuper de poste d’infirmière parce que je n’avais pas de licence pour le Canada. J’ai donc trouvé un emploi de préposée aux bénéficiaires. Lorsque je suis arrivée en Nouvelle-Écosse, la marche à suivre pour renouveler mes titres de compétences était nébuleuse. Il aurait fallu que je participe à un programme de transition et que je paie une somme importante que je n’avais pas à l’époque. Un jour, la province de la Nouvelle-Écosse a lancé un programme de parrainage, de transition pour les infirmières formées à l’international. On se fait embaucher par l’hôpital, on suit une formation et on finit par obtenir le titre de compétences.
L’expérience a été formidable. J’ai réussi mon examen en sciences infirmières pas plus tard que le mois dernier. Je suis officiellement infirmière autorisée, ou IA. Merci.
Le sénateur Arnot : Félicitations.
Mme Maganjo : Merci. Mais pourquoi était-ce important? C’était important parce que sur le plan individuel, sans égard à mon statut de réfugiée, je voulais faire avancer ma carrière. Je voulais pouvoir exercer la profession d’infirmière pour laquelle j’avais suivi une formation. J’avais intégré la profession pour une raison, n’est-ce pas? Je voulais être infirmière. Je me souciais de mes patients lorsque j’étais préposée aux bénéficiaires, mais je ne donnais pas tout ce que j’avais appris à faire.
Tout comme quiconque veut faire progresser sa carrière, les réfugiés devraient avoir la même possibilité. Ils connaissent des obstacles : par exemple, ils n’ont pas toujours les mêmes moyens financiers que les autres immigrants pour payer les dépenses seuls. Les programmes d’aide pour le renouvellement des titres de compétence revêtent donc une grande importance. Certaines de ces initiatives peuvent même être réalisées dans les pays d’asile avant l’arrivée des réfugiées, réduisant ainsi de moitié le travail qu’il reste à faire. J’ai réussi l’examen pour devenir infirmière autorisée le mois dernier, soit deux ans après mon arrivée au Canada. Je m’estime heureuse parce que je crois que le processus a été court. Il aurait été plus long si j’avais tout fait seule puisque je n’avais pas l’argent nécessaire. La Nouvelle-Écosse fait déjà bonne figure. J’aimerais que d’autres provinces l’imitent. De nombreuses personnes en tireraient parti, de même que les systèmes de santé canadiens : il serait bénéfique que les hôpitaux comptent des infirmières qualifiées plutôt que des employés occupant des postes en deçà de leurs niveaux.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie de cette explication exhaustive.
Mme Maganjo : Je vous en prie.
La sénatrice Bernard : C’est merveilleux que vous soyez parmi nous ce soir. Je veux d’abord vous remercier. Je veux aussi que vous sachiez que je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse. J’entends de nombreux commentaires positifs sur la province. Je suis donc impatiente de vous rencontrer en personne et d’en apprendre un peu plus.
J’aimerais poser quelques questions. Premièrement, dans votre déclaration liminaire, vous avez abordé le besoin des femmes et des filles réfugiées d’avoir accès à des possibilités de formation. Avez-vous des recommandations précises quant à ce que nous pourrions faire pour favoriser de telles initiatives au Canada?
Mme Maganjo : Oui. Je vous remercie d’avoir soulevé cette question. Permettez-moi de vous parler un peu de moi. Lorsque j’étais à l’université, j’ai mené un projet d’études. L’idée était d’emmener des camarades de mon collège de sciences de la santé dans des camps de réfugiés pour leur montrer ce qui s’y passe. Nous sommes notamment allés dans des écoles secondaires pour y donner des conférences. L’une de nos recherches portait sur les chiffres : combien de filles réfugiées étaient scolarisées par rapport aux garçons réfugiés? Les chiffres étaient terribles. Environ 15 % des enfants scolarisés étaient des filles, peut-être 20 % au maximum. Nous nous sommes demandé pourquoi. C’est une question de culture. Il n’y a pas de ressources pour emmener les enfants à l’école, alors s’ils ont à choisir, ils choisissent d’y envoyer les garçons. Parfois, il y a des problèmes de sécurité; les filles doivent marcher très longtemps pour aller à l’école, ce qui est dangereux. C’est trop de travail, alors elles décident de ne pas aller à l’école.
J’ai également pensé à emprunter la voie d’accès de mobilité de la main-d’œuvre. J’en ai entendu parler en 2018 alors que j’étais encore aux études. J’ai vu que je ne répondais pas à toutes les exigences, alors j’y ai remédié. Il fallait de l’expérience professionnelle. Je n’avais pas pu en acquérir en tant que réfugiée, mais j’ai fait preuve de stratégie pour obtenir quelque chose d’acceptable. Il fallait des compétences linguistiques, alors j’ai veillé à me former pour être en mesure de répondre à cette exigence. J’ai travaillé pour participer à ce processus. Je vois la possibilité d’y aller à l’inverse et de se demander s’il ne serait pas possible d’offrir de la formation aux jeunes si on désire recruter des gens dans ce domaine. On pourrait peut-être leur offrir de la formation à leur sortie de l’école secondaire. Que recherche-t-on? On pourrait peut-être donner des formations aux filles pour certains métiers.
Pensons aux programmes d’autosuffisance dans les pays d’asile. Ma mère a suivi une formation de couturière. C’est ainsi qu’elle a pu nous envoyer à l’école. Les programmes de ce type, qui sont ciblés et prévoyants, permettent de former des gens pour ce genre de choses. On ne parle pas forcément d’aller s’installer au Canada. Ce n’est pas nécessairement l’objectif final. Cela dit, une petite compétence comme celle-là peut permettre à quelqu’un d’être autonome là où il est, ou dans n’importe quelle solution durable qu’il finira par obtenir.
La sénatrice Bernard : J’aimerais poser une question qui va dans la même veine que la dernière question que le sénateur Arnot vous a posée à propos de la recertification. Vous avez dit qu’il était important de la soutenir. Je m’inquiète des répercussions du racisme systémique sur la reconnaissance ou la non-reconnaissance des titres de compétence étrangers de certains pays. Je pense au continent africain. Il existe du racisme systémique anti-Noir. Les titres de compétences d’universités africaines ne sont pas reconnus, alors que ceux d’autres pays le sont.
Qu’avez-vous à dire là-dessus? Devrait-on s’attaquer au racisme systémique qui est ancré dans ce type de décisions, ou devrait-on aider les gens à faire reconnaître leurs titres de compétences ici?
Mme Maganjo : Il faut absolument s’attaquer au racisme systémique. Cela ne devrait idéalement pas exister, et c’est pourquoi il faudrait s’y attaquer tout en prenant d’autres mesures en arrière-plan d’ici à ce que le problème soit réglé.
Prenons l’exemple de la Nouvelle-Écosse et des infirmières formées à l’étranger. À l’heure actuelle, seul le Nigéria fait partie des pays reconnus et bénéficiant d’une procédure accélérée. D’un côté, c’est logique, puisqu’il y a beaucoup de Nigérians installés ici, mais il y a également des ressortissants d’autres pays. J’aimerais que les organismes de reconnaissance des titres de compétence examinent les programmes d’études de façon proactive. Nous n’avons peut-être pas un grand nombre de personnes originaires du Kenya, par exemple, mais si l’occasion se présente et que certains décident de s’installer au pays, pourquoi ne pas examiner les programmes d’études là-bas et voir s’il serait possible d’établir des partenariats pour accélérer les systèmes et les processus?
Nous faisons également face à des problèmes systémiques. Les délais des processus de reconnaissance des titres de compétences sont interminables. On n’avait pas prévu de créer ces partenariats, alors il y a un manque de cohérence communicationnelle entre les organismes qui accordent les permis d’exercer dans les différents pays, en particulier en Afrique. J’ignore pourquoi il est plus facile pour le Canada d’entamer des discussions avec les États-Unis ou l’Europe qu’avec l’Afrique. Il faut y réfléchir. Selon moi, le Canada se prive de professionnels fort qualifiés en Afrique, même parmi les réfugiés. Nous croyons qu’il faudrait repenser les processus existants, qui pourraient être plus efficaces.
La sénatrice Omidvar : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup à notre témoin. Je suis impressionnée par votre parcours et je suis impressionnée par ce que vous avez pu faire, par la détermination qui vous a amenée du camp de réfugiés jusqu’ici.
Comme vous l’avez mentionné, un tiers de la population mondiale de réfugiés vit en Afrique et une grande part de celle-ci se trouve dans une situation de déplacement prolongé, sans accès à des ressources adéquates. Ainsi, l’Afrique, qui compte 33 des 46 pays les moins avancés du monde selon le classement des Nations unies, semble devoir gérer un nombre disproportionné de réfugiés en regard de ses capacités.
Comment avez-vous eu accès à l’information en étant où vous étiez? Comment avez-vous procédé pour arriver à adhérer à ce programme et à vous y intégrer? Quel regard portez-vous sur l’état de la situation des réfugiés de manière générale en Afrique? Quel est le rôle que le Canada pourrait jouer? Je pense que vous pourriez même être une des ambassadrices pour la plupart de ces programmes pour les réfugiés en Afrique.
Donc, j’aimerais vous entendre et avoir quelques recommandations en ce qui a trait à votre parcours, votre vécu; ce qui a marché, ce qui aurait pu être fait en Afrique et à votre arrivée au Canada.
Mme Maganjo : Merci, sénatrice. Je dois dire que cela n’a pas été facile. Cela a été très difficile pour moi.
[Traduction]
Mon périple aura duré 25 ans. Mes parents et ma famille élargie sont toujours réfugiés là-bas. Ils y sont depuis de nombreuses années. Je le sais, parce que... Lorsque nous sommes arrivés au Kenya en tant que réfugiés, mes parents n’ont pas acheté de meubles parce qu’ils disaient qu’ils allaient partir d’ici un an. Sauf qu’un an s’est transformé en cinq ans, puis en dix ans, alors mes parents ont décidé d’investir dans notre éducation. Ils ont pu bénéficier de programmes d’autosuffisance. Comme je l’ai dit, ma mère a appris à coudre et c’est ainsi qu’elle a pu nous envoyer à l’école et nous nourrir. Mon père ne pouvait pas travailler officiellement, mais il a réussi à se dénicher des emplois informels ici et là pour subvenir aux besoins de la famille.
J’ai pris conscience de la situation des réfugiés et j’ai réalisé à quel point on peut avoir l’impression d’en être prisonnier. Je pense qu’avec le temps, j’ai décidé de militer pour mon entourage et moi, parce que les solutions offertes aux réfugiés se font très rares. J’ai senti que nous avions besoin d’être nos propres voix en tant que réfugiés et de trouver des solutions pour nous-mêmes. L’éducation est devenue mon échappatoire. J’espérais qu’elle m’amène quelque chose.
Lorsque je défendais la cause de l’éducation, l’une des questions qui revenait était : « et après? » Nous recevons des bourses d’études, nous nous battons, mais il n’y a pas de débouchés ou d’offres d’emploi après cela. Après avoir obtenu mon diplôme d’infirmière, j’ai entendu dire que le Canada en recherchait par l’intermédiaire d’une organisation appelée RefugePoint. À l’époque, c’était comme un rêve, car nous n’avions jamais entendu parler d’une telle initiative. Il y avait beaucoup de scepticisme. Cela dit, je n’avais pas d’autres choix, et j’étais prête à tenter ma chance. J’ai donc fini par poser ma candidature pour ce poste. Notre groupe de travail sur la mobilité de la main-d’œuvre essaie de travailler là-dessus. Nous voulons veiller à ce que les réfugiés et les jeunes qui se sentent désespérés en raison de leur statut de réfugié prolongé sachent qu’il est possible de trouver une solution durable s’ils se préparent à saisir les offres qui se dessineront devant eux. Bien sûr, ce n’est pas facile. Il faut investir davantage pour faciliter ces processus. Si quelqu’un sait qu’il pourrait accéder à ces débouchés s’il a la possibilité d’améliorer ses compétences linguistiques, cela donne de l’espoir.
Il faut également éliminer le risque de traite de personnes, notamment en veillant à ce que les informations qui sont transmises soient crédibles, que la voie offerte soit sûre, que nos partenaires soient impliqués dans le processus et que ce dernier soit accessible à la population.
Il ne s’agit là que de l’une des très rares options disponibles pour les réfugiés, mais elle pourrait prendre de l’expansion.
Je pense que la mobilité de la main-d’œuvre peut réellement apporter de nombreuses solutions durables aux réfugiés si on fait bien les choses. Je vais être franche avec vous, la situation n’est pas bonne en Afrique. Des gens naissent, grandissent et meurent en tant que réfugiés, sans jamais entrevoir de solution durable pour eux. Nous avons vraiment besoin de ces solutions.
J’encourage le Canada à se pencher sérieusement à sa façon d’investir dans la réponse aux crises humanitaires. Je l’encourage à songer à un moyen de faire en sorte que ces investissements mènent à des débouchés et des solutions durables et à ne pas rejeter d’office l’idée de passer par la réinstallation. Je l’exhorte également à ne pas penser qu’à l’éducation et à envisager l’après. Qu’est-ce qui vient après l’éducation? Il faut créer un lien entre les investissements et les débouchés. Si le Canada prévoit financer des programmes d’autosuffisance, peut-il se projeter dans cinq ou dix ans? Peut-il réfléchir aux débouchés possibles?
J’aimerais être une ambassadrice pour les réfugiés et les solutions possibles que nous pourrions leur offrir. C’est un sujet qui me passionne. C’est mon histoire, après tout. C’est l’histoire de ma famille. Je vous remercie de cette question.
[Français]
La sénatrice Gerba : Le Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique combine la réinstallation des réfugiés et l’immigration économique. On sait que les réfugiés sont parfois victimes de certains préjugés. Pourtant, on sait que la moitié des réfugiés qui travaillent ont une profession hautement qualifiée; vous en êtes la preuve. Ils sont médecins, dentistes, architectes.
Selon vous, quelle place occupe ce projet pilote dans la lutte contre ces préjugés? Est-ce qu’on en fait assez? Sinon, que recommanderiez-vous de faire?
[Traduction]
Mme Maganjo : La mobilité de la main-d’œuvre est un outil important pour faire tomber les préjugés, particulièrement à l’égard des réfugiés.
Le monde a l’impression qu’un réfugié est une personne dans le besoin, qui a juste besoin d’être prise en charge et qui ne peut rien faire pour elle-même. On ne voit pas la raison derrière tout cela. S’ils ne peuvent rien faire pour eux-mêmes, c’est parce qu’on ne leur donne pas l’occasion de le faire. On ne les aide pas suffisamment. Il y a des architectes et des médecins parmi les réfugiés, mais on ne leur donne pas les moyens d’obtenir une reconnaissance de leurs titres de compétences pour exercer ici. Que font-ils, alors? Ils conduisent des Uber, des taxis, et notre pays ne bénéficiera jamais de leurs compétences.
Les effets de la mobilité de la main-d’œuvre et du changement de mentalité se feront même sentir dans les pays d’asile. On entend dire que les réfugiés sont un fardeau pour les pays d’accueil. On voit des réfugiés accueillis dans des pays pauvres où il n’y a pas assez de ressources pour subvenir aux besoins de tout le monde. En permettant à ces personnes de contribuer à la société dans laquelle ils se retrouvent, même si elles cherchent un monde meilleur comme tout le monde et contribuent ailleurs, on changera le discours voulant que les réfugiés soient des fardeaux et on portera plutôt attention à leurs contributions. On ne parlera plus seulement de ce qui leur est arrivé.
Voilà la valeur de la mobilité de la main-d’œuvre, selon nous. Nous faisons pression en ce sens. On doit se rappeler que ces personnes ne peuvent être définies que par la situation dans laquelle ils se trouvent. Ce sont des professionnels, et ils peuvent contribuer à la société. Cela dit, il faut leur faciliter l’accès aux débouchés. Cela fait défaut. Il faut mettre des systèmes en place pour leur permettre de contribuer à la société. C’est tout ce qu’il leur manque à l’heure actuelle.
La sénatrice Omidvar : Vous êtes vraiment une lueur d’espoir, madame Maganjo, car il s’agit d’une étude difficile. Nous ne pouvons pas y injecter beaucoup d’optimisme, mais vous l’avez fait.
Je réfléchis à ce que vous avez vécu. Vous avez dit que nous devrions être intentionnels, mais devrions-nous l’être suffisamment pour que le Canada, disons, crée un programme en partenariat avec une province — la Nouvelle-Écosse, par exemple — dans le cadre duquel les organismes qui accordent les permis d’exercer, comme ceux du milieu des soins infirmiers, se renderaient dans un pays comme le Kenya pour y recruter des femmes et les former sur place afin qu’elles soient prêtes et capables de participer au PVAME à leur arrivée au Canada sans avoir à passer par le processus pluriannuel d’obtention de titres de compétences ici? Pensez-vous qu’une telle chose serait possible?
Mme Maganjo : Ce serait ça, le rêve. J’ai bénéficié d’une bourse DAFI. Lorsque je me suis inscrite à l’université, on ne m’a pas trop aiguillée pour que je sache quel cours suivre. Je me suis orientée vers les soins infirmiers parce que j’aime prendre soin des gens, mais si quelqu’un m’avait dit qu’en faisant des études en soins infirmiers je pourrais suivre une formation au Canada, oh mon Dieu, je l’aurais fait.
Il serait facile de former des aides-soignants dans les camps au Kenya. Nous militons pour que cela se concrétise. Nous avons tenté de pousser la province — la Nouvelle-Écosse — à se mobiliser. Nous avons dit au gouvernement qu’il y a des gens là‑bas qui sont prêts à apprendre, qui acquièrent de l’expérience, mais qui n’ont pas nécessairement les titres de compétences requis pour travailler au Canada. Pourquoi ne pas leur donner la même formation qu’on offre ici pour commencer le travail là‑bas? Le temps qu’ils passent par les procédures d’immigration, la moitié du travail sera fait, si ce n’est la totalité. Les réfugiés n’auraient donc pas besoin de passer par le processus pluriannuel interminable d’obtention de titres de compétences à l’autre bout du monde. Ils n’auraient pas à investir leurs finances là‑dedans.
Ce serait ça, le rêve, pour nous, et nous aimerions qu’il se réalise. C’est possible.
La sénatrice Bernard : J’aimerais vous poser une dernière question. Vous avez dit à plusieurs reprises que vous aviez vécu dans un camp de réfugiés pendant 25 ans. Vous avez dit que des personnes y naissaient et y mouraient. Je pense aux traumatismes que subissent les réfugiés, ceux qui sont déplacés ou qui doivent changer de pays.
Quelles mesures de soutien sont offertes aux nouveaux arrivants qui étaient des réfugiés, afin de les aider à traverser ces traumatismes?
Mme Maganjo : La vie en tant que réfugié entraîne de nombreuses conséquences. Il faut changer l’état d’esprit des personnes, même lorsqu’elles ont trouvé une solution durable. Les nouveaux arrivants ont besoin de nombreuses mesures de soutien pour s’établir.
Pour ma part, j’ai consulté des agents d’intégration des immigrants qui sont parfois financés par le gouvernement, par IRCC ou par diverses organisations qui travaillent avec les réfugiés et les immigrants. Ils aident les gens avec les choses du quotidien et à s’habituer à la vie, mais j’ai aussi constaté que la collectivité elle-même joue un rôle énorme en ce sens. Il est important de le souligner et d’encourager les échanges avec les membres de la communauté, parce que lorsqu’une personne migre ici, elle interagit davantage avec ses voisins qu’avec les intervenants des divers bureaux.
On peut montrer à une personne comment ouvrir un compte en banque, mais si son détecteur de fumée se met à sonner au beau milieu de la nuit et qu’elle n’a aucune idée de ce qui se passe, ou si le bruit déclenche chez elle une réaction négative, la première personne vers qui elle va se tourner, c’est son voisin. Il faut donc veiller à ce que les communautés soient accueillantes, bien informées et prêtes à travailler avec nous afin qu’elles ouvrent les bras aux nouveaux arrivants pour qu’ils se sentent chez eux alors qu’ils rebâtissent leur vie. On dit toujours que les réfugiés sont très résilients, ce qui est vrai, mais on ne devrait pas pour autant négliger de mettre en place des mesures pour les appuyer.
La sénatrice Bernard : Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Maganjo. Félicitations. Votre histoire est vraiment inspirante. Le Canada a de la chance de vous avoir.
Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre invitée pour la troisième partie de la réunion. Nous lui avons demandé de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons l’entendre, puis nous passerons aux questions.
Malheureusement, je pense que les écouteurs de Mme Dureid ne fonctionnent pas; nous allons l’entendre à une date ultérieure. Cependant, nous avons la chance d’avoir parmi nous Alissa Pavia, qui est directrice associée du Programme pour l’Afrique du Nord du Conseil de l’Atlantique. Madame Pavia, vous avez la parole.
Alissa Pavia, directrice associée, Programme pour l’Afrique du Nord du Conseil de l’Atlantique : Merci.
Je m’appelle Alissa Pavia et je suis directrice associée du Programme pour l’Afrique du Nord du Conseil de l’Atlantique, à Washington, D.C.
C’est un honneur de comparaître devant vous aujourd’hui pour discuter de la question urgente du flux majeur de réfugiés et de migrations qui touche le Moyen-Orient. Je porterai une attention particulière à l’Afrique du Nord et à la Méditerranée, car cette région est un point chaud mondial pour la migration et est souvent négligée.
[Français]
Honorables sénateurs, je vous remercie pour cette invitation et d’attitrer l’attention sur cette région souvent oubliée sur la scène internationale.
[Traduction]
Bien que l’attention du monde gravite, à juste titre, autour du conflit entre Israël et le Hamas et de la crise humanitaire qui en résulte et qui force plus de 1,7 million de Gazaouis à se déplacer, nous ne devons pas négliger la question plus vaste des mouvements importants de réfugiés et de migrations ailleurs.
Il existe de nombreuses autres populations vulnérables qui sont forcées de migrer en raison de circonstances désastreuses dans leur pays d’origine... Des groupes trop souvent négligés par la communauté internationale. Je parle des migrants et des réfugiés qui traversent la Méditerranée chaque année pour trouver refuge ailleurs et avoir un avenir meilleur, qui font des voyages en mer périlleux et qui mettent leur vie et celle de leurs proches en danger.
Depuis 2014, plus de 22 000 personnes ont été déclarées mortes ou disparues en mer, ce qui fait de la route méditerranéenne la voie la plus dangereuse pour les migrants du monde.
Honorables sénateurs, la migration est une facette ancienne de l’histoire de l’humanité, les gens cherchant constamment de meilleures conditions au-delà de leurs frontières. Pourtant, certains facteurs déterminants, que l’on appelle les facteurs d’incitation, favorisent la migration de masse : la guerre, la famine, la pauvreté, les changements climatiques et la persécution politique. Les pays africains et d’Afrique du Nord font face à de tels défis, ce qui crée des conditions qui poussent des personnes vulnérables à entreprendre des périples méditerranéens périlleux. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à des augmentations récurrentes de la migration de l’Afrique du Nord vers l’Europe. Chaque cycle présente des défis distincts et des causes variées qui expliquent ces déplacements forcés. L’année 2023, en particulier, a marqué un autre cycle de déplacements. La migration de l’Afrique du Nord vers l’Europe a triplé depuis 2022, laissant les pays du sud de l’Europe se démener pour trouver des solutions efficaces au problème de la migration.
Les efforts déployés pour comprendre cette hausse soudaine révèlent une nouvelle origine migratoire en Afrique du Nord : la Tunisie. Alors que la Libye a traditionnellement tenu ce rôle, la ville portuaire de Sfax, en Tunisie, a pris une importance particulière en tant que plaque tournante du déplacement des personnes vulnérables de l’Afrique subsaharienne. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, cette année, la Tunisie a connu une augmentation stupéfiante de 260 % des départs par rapport à l’année précédente. Parallèlement, le nombre de Tunisiens cherchant à immigrer au Canada a également augmenté, ce qui témoigne d’une volonté renouvelée de la part des Tunisiens de quitter leur pays d’origine.
Même si les motifs associés à la migration doivent être examinés, je ne veux pas m’attarder uniquement sur ces facteurs d’incitation aujourd’hui. J’attire plutôt votre attention sur les conditions désastreuses auxquelles font face les migrants en Afrique du Nord, surtout en Tunisie, étant donné le rôle actuel du pays à titre de foyer de migration. Par ailleurs, mon objectif est de proposer des recommandations sur la façon dont le Canada peut aider.
On estime qu’environ 21 000 personnes de l’Afrique subsaharienne, notamment des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, résident en Tunisie.
Cependant, depuis que le président tunisien Kaïs Saïed est entré en fonction en 2019, le sort de ces migrants a nettement empiré. Le mois de février 2023 a marqué un tournant en ce sens. En effet, dans le cadre de déclarations publiques, le président Saïed a fait référence à des éléments de la « théorie du grand remplacement » raciste de Camus, accusant les migrants africains noirs d’avoir l’intention d’altérer la composition démographique du pays. Par la suite, les migrants ont été persécutés, et bon nombre d’entre eux ont été expulsés de force de leur résidence et congédiés de leur travail.
Les tensions entre les habitants et les migrants se sont accentuées. Malheureusement, la situation a pris une tournure désastreuse en juillet lorsque les autorités tunisiennes ont rassemblé les migrants africains noirs du Sfax et les ont expulsés de force, les abandonnant pendant des semaines dans les déserts limitrophes de la Libye et de l’Algérie. Ayant communiqué personnellement avec certaines des personnes touchées après ma visite en Tunisie, j’ai reçu des vidéos bouleversantes, des enregistrements audio et des messages vocaux implorant de l’aide, et documentant une catastrophe humanitaire en cours. Les migrants coincés ont souffert du manque de nourriture et d’eau, et seul le Croissant-Rouge tunisien a pu les aider. Bien qu’environ 600 migrants aient été réadmis en Tunisie sur les 1 200 qui ont été expulsés, on ne sait toujours pas où se trouvent les autres, et on estime qu’une vingtaine d’entre eux sont décédés.
Pendant cette crise, les dirigeants européens ont rencontré le président Kaïs Saïed pour discuter de la façon de freiner l’afflux de migrants qui atteignent les côtes méridionales de l’Europe. Étonnamment, il n’a pas été question des migrants bloqués, et une entente a été conclue pour aider financièrement la garde côtière tunisienne à intercepter les migrants. Encore une fois, le système international a été témoin d’un échec, puisque « l’équipe Europe » a involontairement conféré du pouvoir au dirigeant autoritaire de la Tunisie, lui signalant que le racisme et les violations des droits de la personne ne nuiraient pas à l’aide financière.
Honorables sénateurs, je reconnais les défis considérables auxquels chaque nation doit faire face dans la gestion des flambées de migration irrégulière. Cependant, votre influence réside dans votre capacité de veiller à ce que toutes les personnes soient traitées avec humanité et dignité, et de protéger les migrants et les communautés vulnérables par l’entremise de mécanismes appuyés et financés par bon nombre d’entre nous : des institutions multilatérales comme les Nations unies, des accords bilatéraux et des relations diplomatiques et commerciales.
Bien que la Tunisie puisse sembler loin du Canada, les préoccupations relatives au traitement des migrants en Tunisie et en Méditerranée ont des répercussions importantes sur la communauté internationale. Les déplacements massifs font des ravages dans les pays, en perturbant la stabilité et en favorisant les tensions entre les nations. La montée du populisme d’extrême droite est souvent associée avec la xénophobie croissante envers les migrants et les réfugiés.
L’Europe, un proche allié du Canada, a fait face à des défis importants en raison des déplacements massifs, ce qui a affaibli son unité face aux enjeux mondiaux. Il est dans l’intérêt du Canada d’empêcher l’Europe de se heurter à de tels défis qui, inévitablement, mettraient à rude épreuve les relations entre le Canada et l’Europe. De plus, le Canada entretient des liens cruciaux avec la Tunisie en finançant des projets essentiels de développement et de lutte contre le terrorisme.
Il est impératif que l’argent des contribuables canadiens ne serve pas à financer des actes criminels commis par la garde nationale tunisienne.
Premièrement, le Canada devrait veiller à ce que les institutions qui se trouvent en Tunisie travaillent avec diligence pour localiser et rapatrier les migrants bloqués.
L’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont tous deux responsables de leur bien-être et de leur rapatriement.
Deuxièmement, dans le cadre des discussions bilatérales avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense de la Tunisie, le Canada doit expliquer qu’il ne fournira pas d’aide au pays s’il contribue aux violations des droits de la personne, notamment en forçant l’expulsion de migrants.
Enfin, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne devrait mener une étude exhaustive sur l’aide humanitaire en Tunisie, afin de déterminer si le président actuel, Kaïs Saïed, répond aux critères d’aide à l’État. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci. Nous avons une liste des sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Comme le veut la pratique, les sénateurs disposent de cinq minutes pour leur intervention.
La sénatrice Jaffer : Je remercie la témoin pour sa déclaration. Vous avez parlé de l’exemple précis de la Tunisie. Je vous en suis reconnaissante, parce que je pensais que le pays était tourné vers l’avenir, mais il ne l’est de toute évidence pas avec les réfugiés africains.
Vous avez fait des recommandations. Avez-vous des recommandations précises et immédiates — parce que vous en avez fait beaucoup — que le comité devrait faire à la ministre des Affaires étrangères en fonction de ce que nous avons entendu de votre part? Vous voudrez peut-être y réfléchir et soumettre cela au greffier plus tard, mais dans l’immédiat, que pensez-vous que le comité devrait faire? C’est un enjeu très grave.
Mme Pavia : Je vous remercie pour votre question, sénatrice.
Je crois comprendre que le comité travaille à un rapport qu’il a l’intention de rendre public. Je suggère et je recommande que, dans ce rapport, vous mentionniez les enjeux que j’ai soulevés concernant la Tunisie : le déplacement forcé des migrants et l’aggravation des conditions des réfugiés et des migrants en Tunisie.
Je parle de la Tunisie parce que c’est un point chaud en ce moment. C’est le principal point de départ des migrants d’Afrique du Nord vers l’Europe.
Je tiens également à souligner qu’après 10 ans de transition, la Tunisie fait face à un recul démocratique catastrophique avec le président actuel, Kaïs Saïed. Je pourrai vous en dire plus si cela vous intéresse, mais je crois qu’il est impossible de faire des recommandations pour assurer une meilleure vie aux réfugiés et aux migrants de la Tunisie sans aborder la situation politique et sans demander au président de renverser cette tendance à la régression démocratique qu’il a embrassée jusqu’à maintenant.
La sénatrice Jaffer : Madame Pavia, vous avez parlé avec passion. Vous me touchez et j’aimerais vraiment faire quelque chose, mais la Tunisie n’est pas le seul pays qui commet des actes terribles; de nombreux autres le font également. À moins que le comité n’en décide autrement, nous ne pouvons pas, dans notre rapport, nous centrer uniquement sur la Tunisie. Je vous demandais de faire des recommandations générales au sujet des mesures que nous pourrions prendre. Quelles recommandations pourrions-nous faire au sujet des réfugiés, de façon générale?
Mme Pavia : C’est une excellente question, sénatrice.
Je comprends votre point de vue. Le fait que je me concentre sur un seul pays représente un enjeu dans le cadre de mon travail au quotidien. Toutefois, comme je l’ai dit plus tôt, il y a environ 21 000 Africains subsahariens en Tunisie. En juillet, la Tunisie a expulsé 1 200 migrants vers la Libye et l’Algérie.
Dans le rapport, le comité pourrait recommander au ministère non pas de se centrer uniquement sur la Tunisie, mais bien sur l’Afrique du Nord en tant que région. Cette région et ses divers leaders devraient songer aux façons d’assurer de meilleurs moyens de subsistance aux migrants et aux réfugiés dans leurs pays.
Je dirais aussi qu’en tant qu’allié de l’Europe et de l’Union européenne, le Canada peut les exhorter à favoriser de meilleures relations avec les pays d’Afrique du Nord.
De telles relations visent notamment à protéger la vie des migrants. L’Europe a souvent été accusée de ne pas tenir compte des moyens de subsistance des migrants en provenance de l’Afrique du Nord et d’investir dans ce que l’on appelle l’externalisation de ses frontières. Ainsi, elle délègue ces responsabilités à des pays tiers qui n’ont pas nécessairement les mêmes normes en matière de droits de la personne que l’Europe et le Canada.
Avec cette externalisation des frontières, ce sont les autres pays qui doivent tenir compte du bien-être des migrants.
L’Union européenne a souvent été critiquée à cet égard. Pour renverser la tendance, il faut notamment veiller à ce que l’évaluation des réfugiées au point d’entrée se fasse dans les pays de l’Union européenne et non dans des pays tiers.
La sénatrice Jaffer : C’est très utile. Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Vous avez beaucoup parlé de la Tunisie. Effectivement, la situation en Tunisie s’est vraiment détériorée dans le contexte politique actuel. J’ai également vu circuler ces vidéos qui étaient horribles pour ce qui est du traitement des personnes vivant en Tunisie, qu’il s’agisse d’étudiants ou de travailleurs établis dans le pays. Ce ne sont pas des réfugiés, c’est vraiment horrible.
On sait également que le principal pays de départ vers l’Europe est la Libye. Des centaines de milliers de réfugiés et des demandeurs d’asile, y compris des enfants, se rendent en Libye pour mettre le cap sur l’Europe. Il paraît qu’on compte plus de 200 000 personnes déplacées en Libye. Pourriez-vous nous parler de cette situation des réfugiés en Libye? Qu’est-ce qui pourrait être fait actuellement pour mieux prendre en charge cette importante population de personnes déplacées actuellement en Libye?
[Traduction]
Mme Pavia : Je vous remercie, sénatrice, de soulever la question de la Libye. Comme vous l’avez mentionné à juste titre, la situation en Tunisie est désastreuse, mais il y a d’autres pays d’Afrique du Nord qui sont également confrontés à des conditions extrêmement difficiles, notamment la Libye. Nous savons, par exemple, que la Libye a récemment été frappée par une terrible catastrophe naturelle — les inondations de Derna —, qui a entraîné le déplacement de 8 000 et de 10 000 personnes, et on estime que 4 000 personnes ont disparu ou ont été tuées.
La situation en Libye est difficile, car il y a un bourbier politique qui empêche de trouver une solution immédiate aux crises des réfugiés. La Libye est actuellement divisée en deux, et les deux factions sont incapables de trouver un terrain d’entente en ce qui a trait à des solutions importantes comme celles pour les réfugiés et les migrants. Il devient également difficile pour d’autres pays comme le Canada ou des pays de l’Union européenne de s’engager auprès de la Libye parce qu’il n’y a pas de gouvernement unitaire. De nombreux pays européens qui veulent s’engager auprès de la Libye sont incapables de trouver un point de contact pour aborder ces enjeux.
Pour revenir à ce que je disais plus tôt au sujet de l’externalisation des frontières, comme la situation est désastreuse dans ces pays, l’Europe a tendance... Et elle a fait la même chose qu’elle fait en Tunisie et la même chose qu’elle a faite en Libye en 2017 : l’Union européenne a financé la garde côtière pour tenter d’arrêter les flux de migrants. Ainsi, la garde côtière libyenne a créé des camps de détention pour les réfugiés et les migrants et les a laissés là. On rapporte que les gens qui s’y trouvent vivent dans de terribles conditions.
De plus, les migrants trouvent d’autres moyens de se rendre en Europe; cette solution ne fonctionne donc pas. De nombreuses personnes ont fait valoir que l’Europe devrait cesser d’externaliser ses frontières en finançant la garde côtière dans des pays comme la Libye et la Tunisie, où les dirigeants ne sont pas dignes de confiance, et plutôt trouver des solutions durables à la question de la migration. Il faudrait notamment améliorer les conditions de vie des habitants de l’Afrique du Nord. Pour que les choses s’améliorent, les pays occidentaux croient que la démocratie doit s’épanouir. En veillant à ce que la démocratie continue de s’épanouir en Afrique du Nord, on améliorera les conditions de vie de nombreuses personnes. C’est l’une des façons dont les pays de l’Union européenne et d’autres pays comme le Canada peuvent espérer aider la population de l’Afrique du Nord.
[Français]
La sénatrice Gerba : En attendant que la démocratie s’améliore, il y a quand même 200 000 personnes déplacées en Libye et vous avez parlé de 21 000 personnes déplacées en Tunisie. Est-ce que le Canada peut faire quelque chose relativement aux lieux où ces gens sont actuellement placés, où ils sont actuellement en attente, ou à savoir s’il y a des camps en tant que tels? Qu’est-ce qu’on peut faire, à la source? Parce que ce n’est pas demain qu’on va changer la démocratie dans ces pays.
[Traduction]
Mme Pavia : C’est vrai, sénatrice. Il est également vrai que nous devons nous assurer que nous n’avons pas négligé la question de la démocratie. Nous voulons nous assurer qu’à long terme, nous souhaitons toujours promouvoir la démocratie en Afrique du Nord. Cependant, vous avez raison, il y a des choses à faire à court terme.
Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire à propos des recommandations, des organisations travaillent en Afrique du Nord. Il s’agit notamment des Nations unies et de l’Organisation internationale pour les migrations, ou l’OIM. Étant donné que la Tunisie ne figure malheureusement pas sur la liste des priorités de nombreux pays, la meilleure façon dont votre comité et le Canada peuvent aider les migrants dans ces pays est de passer par les tribunes multilatérales, par les Nations unies et l’OIM, et peut-être même par des organisations locales de la société civile. Parallèlement, on devrait essayer de faire en sorte que l’Afrique du Nord et la question des migrations en Méditerranée figurent en bonne place sur la liste des priorités des problèmes mondiaux au sujet desquels, par exemple, le Canada et l’Europe peuvent travailler ensemble pour trouver une solution.
La semaine dernière, le Canada et l’Europe ont tenu un sommet. Ils ont dressé une liste de priorités et de problèmes mondiaux. Nulle part dans cette liste il n’était question de la Méditerranée ou des migrants en Afrique du Nord. Vous pouvez contribuer à améliorer le sort de ces personnes en faisant en sorte que la Méditerranée, qui est la voie la plus périlleuse dans le monde pour les immigrants, devienne une question prioritaire mondiale. Dans l’intervalle, il convient de faire pression pour que l’on trouve des solutions plus subtiles, comme vous le faites au sein de ce comité en publiant un rapport. Écrivez à ce sujet dans le rapport et assurez-vous de fournir de l’aide, financière ou technique, aux organisations qui sont actives en Afrique du Nord.
Je dirai également ceci : il y a encore 600 migrants expulsés de Tunisie qui sont portés disparus. Une chose que le Canada peut faire est de communiquer avec la personne qui le représente à l’Organisation internationale pour les migrations et de lui demander ce qu’il advient des 600 immigrants que la Tunisie a expulsés. Ils manquent à l’appel. Ils ont perdu le service de leur téléphone lorsqu’ils ont été expulsés. Je sais que 600 ont été réadmis en Tunisie, mais les autres sont portés disparus. Le Canada est l’un des principaux donateurs de l’ONU et de l’Organisation internationale pour les migrations. Vous avez donc le droit de savoir ce qu’il est advenu de ces personnes.
La sénatrice Omidvar : Merci, madame Pavia. Je vous remercie d’avoir parlé d’une région en particulier. Cela nous aide beaucoup.
Vous êtes probablement très au fait des nouvelles réflexions sur la question de la migration. Je me demande si vous avez quelque chose à dire au sujet du nouveau livre de Hein de Haas, qui s’intitule How Migration Really Works, et de son hypothèse, qui a été corroborée par la recherche, selon laquelle plus les pays — comme la Tunisie, la Libye, les pays européens — ferment des voies légales, plus il y aura de migration illégale. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Mme Pavia : Oui. J’avoue que je me concentre davantage sur les dynamiques régionales lorsqu’il s’agit de l’Afrique du Nord, mais en ce qui concerne l’observation que vous venez de faire, une grande quantité de preuves démontrent que c’est exact. Je peux vous donner un exemple très concret. Encore une fois, je m’excuse de toujours parler de la Tunisie, mais, malheureusement, c’est un pays qui est maintenant — comment dire — une étude de cas pour bien d’autres pays parce que nous savons que la Tunisie était sur la voie de la démocratisation. Compte tenu des récents bouleversements dont nous avons été témoins, la situation des migrants s’est aggravée.
Pour revenir à vos observations, lorsque la garde côtière tunisienne s’est vu promettre de l’aide financière par l’Union européenne, elle s’est couverte en déterminant qui offrirait les meilleurs incitatifs, que ce soit l’Union européenne, par exemple, ou les migrants qui veulent partir pour se rendre dans l’Union européenne. On peut voir à quel point cette façon de collaborer avec certains dirigeants autoritaires dans des États autoritaires peut en fait favoriser le passage de clandestins. Cela crée un incitatif financier au lieu de favoriser l’État de droit dans ce pays et le sentiment d’allégeance qu’un organisme comme la garde côtière peut avoir à l’égard d’un dirigeant spécifique.
La sénatrice Omidvar : Madame la présidente, Mme Pavia nous rappelle que nous devrions absolument demander à nouveau que des représentants de l’OIM témoignent devant notre comité. Merci beaucoup, madame Pavia.
Ma prochaine question est une question complémentaire. Des membres de l’Union européenne ont eux-mêmes conclu des ententes avec la Libye et la Tunisie pour bloquer des passages sûrs, ce qui a entraîné, comme nous l’avons vu, une hausse marquée des traversées dangereuses de la Méditerranée et, par conséquent, un bon nombre de tragédies. Pourriez-vous nous le confirmer?
Mme Pavia : Pourriez-vous répéter la question?
La sénatrice Omidvar : Avez-vous quelque chose à dire sur les ententes que des pays membres de l’Union européenne, comme l’Italie, ont conclues avec la Tunisie et la Libye pour empêcher la migration sécuritaire et ordonnée de réfugiés d’une partie du monde à l’autre?
Mme Pavia : Je vous remercie. Encore une fois, conclure ce genre d’entente avec des dirigeants qui ne sont pas dignes de confiance, comme nous l’avons vu avec le dirigeant actuel de la Tunisie et les dirigeants de la Libye, ne favorise pas un passage sécuritaire et la recherche d’une solution durable au problème de la migration. Comme nous l’avons vu avec les accords de 2016-2017 qui ont été conclus avec la Libye, le problème de la migration a été réglé pendant deux ou trois ans, possiblement, mais les immigrants ont ensuite trouvé une autre route par la Tunisie pour venir en Europe. En fin de compte, il est impératif que l’Union européenne trouve un moyen de gérer la question migratoire sans externaliser ses frontières.
Nous l’avons constaté avec la Turquie lorsque, en 2016, l’Union européenne a conclu un accord avec le président Erdogan, en vertu duquel Erdogan s’assurerait que les immigrants n’atteindraient pas l’Europe. En même temps, cela crée une situation dans laquelle l’Europe peut faire l’objet de chantage de la part de certains de ces pays, qui utilisent le problème de la migration comme un moyen de faire chanter l’Europe pour qu’elle permette à certains de ces pays d’obtenir certains accords qu’ils pourraient vouloir en retour, si on peut le dire ainsi.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La présidente : Il y a quelques années, nous avons étudié un projet de loi d’initiative parlementaire sur le prélèvement d’organes. Nous avons entendu dire que certains migrants étaient victimes de prélèvements d’organes pendant leur voyage en Afrique du Nord. Savez-vous si cela se poursuit, ou si cela ne se produit plus?
Mme Pavia : Je suis désolée, mais je ne suis pas au courant de cas de prélèvement d’organes en Afrique du Nord et de problèmes qui y sont liés.
La présidente : Merci. Comme il n’y a plus de questions, je profite de l’occasion pour vous remercier. Votre témoignage nous sera très utile lorsque nous serons prêts à rédiger notre rapport.
(La séance est levée.)