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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 8 avril 2024.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 50 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

[Traduction]

Sébastien Payet, greffier du comité : Bonjour, honorables sénatrices. En tant que greffier du comité, j’ai le devoir de vous informer de l’absence involontaire de la présidente et de la vice-présidente et de présider à l’élection d’une présidente suppléante. Je suis prêt à recevoir une motion à cette fin. Y a-t-il des propositions?

La sénatrice Clement : J’aimerais proposer la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Simons : J’appuie la motion.

M. Payet : L’honorable sénatrice Clement propose que l’honorable sénatrice Omidvar assume la présidence du comité. Vous plaît-il, honorables sénatrices, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

M. Payet : Je déclare la motion adoptée.

J’invite l’honorable Omidvar à prendre le fauteuil.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante : Je vous remercie, chères collègues. Je prie les témoins d’excuser notre retard, mais, comme vous venez de le voir, nous devions régler quelques affaires officielles.

Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis une sénatrice indépendante de l’Ontario. Aujourd’hui, nous tenons une séance publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

J’aimerais tout d’abord souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe.

J’aimerais maintenant inviter mes collègues à se présenter au public et à nos témoins.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Petten : Iris Petten, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente suppléante : Merci, chères collègues. Avant de commencer nos délibérations officielles, je demanderais à quelqu’un de bien vouloir proposer la motion d’ordre administratif suivante :

Que, nonobstant la pratique habituelle, et conformément à l’article 12-17 du Règlement, le comité soit autorisé à entendre des témoignages cet après-midi en l’absence de quorum, si nécessaire, pourvu que deux membres du comité soient présents.

L’une d’entre vous voudrait-elle proposer la motion? La sénatrice Clement la propose.

Sommes-nous d’accord, chères collègues, pour adopter cette motion?

Des voix : D’accord.

La présidente suppléante : Merci. Aujourd’hui, nous reprenons notre étude sur les déplacements forcés, un sujet qui a fait les manchettes sous de nombreux angles ces derniers mois. Cet après-midi, nous accueillons trois groupes de témoins. Pour chaque groupe, nous écouterons ce que les témoins ont à dire, puis nous aurons une période de questions avec les sénatrices ici présentes.

Laissez-moi maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous avons demandé à chaque témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Je souhaite la bienvenue aux témoins, et à nouveau, je m’excuse des nombreux retards et reports de vos témoignages.

Nous accueillons aujourd’hui Mme Efrat Arbel, professeure associée de droit, Université de la Colombie-Britannique; et Mme Jamie Chai Yun Liew, professeure de droit, Université d’Ottawa.

J’inviterais maintenant Mme Arbel à nous présenter sa déclaration, puis ce sera à Mme Liew. Vous avez cinq minutes. Nous essaierons d’activer les choses.

Efrat Arbel, professeure associée de droit, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, honorables sénatrices. Je vous remercie de l’invitation et aussi du travail que vous faites dans ce dossier important. C’est un honneur de comparaître devant vous aujourd’hui.

Aujourd’hui, je vais parler principalement de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis et en particulier de l’élargissement de cette entente au moyen du Protocole additionnel de l’Entente sur les tiers pays sûrs, mis en œuvre l’année dernière, en mars 2023. Comme vous le savez, le protocole additionnel a pour effet d’élargir l’Entente sur les tiers pays sûrs à toute la frontière canado-américaine et d’interdire pendant 14 jours aux réfugiés qui se présentent entre les points d’entrée de demander l’asile au Canada.

Dans ma déclaration d’aujourd’hui, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que le protocole est appliqué de manière immorale et dangereuse et qu’il a des conséquences négatives importantes non seulement pour les réfugiés, mais aussi pour le Canada. Il y a deux de ces conséquences que je veux porter à l’attention du comité.

Premièrement, le protocole a pour effet de fermer la frontière canadienne à certains des réfugiés les plus vulnérables du monde, tout particulièrement les réfugiés racisés et les réfugiés déjà marginalisés. Je vais vous expliquer son fonctionnement.

Même si le protocole peut sembler neutre à première vue puisqu’il s’applique à tous les réfugiés, sur toute la frontière, ses effets ne sont pas neutres. Avant la mise en œuvre du protocole, le Canada s’était en grande partie doté de méthodes relativement efficaces pour traiter les demandes d’asile présentées entre deux points d’entrée : le chemin Roxham étant l’exemple le plus connu d’un poste frontalier non officiel. Avant la mise en œuvre du protocole, la grande majorité des populations de réfugiés cherchant à entrer au Canada entre deux points d’entrée — y compris en passant par le chemin Roxham — venaient de l’hémisphère Sud, et la majorité étaient des populations racisées.

Depuis la mise en œuvre du protocole, on a fermé ces chemins, ce qui a entraîné et continuera d’entraîner des conséquences disproportionnées pour ces populations. De plus, l’interdiction de 14 jours prévue dans le protocole a des conséquences disproportionnées pour les réfugiés les plus vulnérables de ces populations : je parle des femmes, des minorités sexuelles, des personnes handicapées, des femmes enceintes, des personnes âgées et des parents de jeunes enfants. Ces gens n’ont peut-être pas accès à d’autres chemins vers la sécurité. En ce qui concerne l’entente elle-même, les quelques exceptions qui sont prévues sont insuffisantes. Comme ma collègue, Mme Liew, l’expliquera plus en détail, les soi-disant soupapes de sécurité sont inefficaces, et les programmes de réinstallation du Canada, dont on vous parlera plus tard aujourd’hui, ne remplacent pas l’asile.

Lors de réunions précédentes du comité, des représentants de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés — le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR — vous ont parlé des taux croissants et alarmants de personnes déplacées dans le monde; d’autres organismes, comme Human Rights Watch, ont brossé un portrait sinistre de la vulnérabilité des réfugiés partout dans le monde. Avec la mise en œuvre du Protocole additionnel de l’Entente sur les tiers pays sûrs, le Canada ferme ses frontières aux personnes les plus vulnérables du monde alors que leurs besoins sont des plus pressants. Cela jette le doute non seulement sur l’engagement du Canada envers la protection des réfugiés, mais également sur son engagement à l’égard de l’équité, de la diversité et de l’inclusion.

Deuxièmement, le protocole nuit directement à la capacité du Canada de réglementer ses frontières de manière sécuritaire, ordonnée et morale. C’est un fait bien établi que, lorsque les pays qui accueillent des réfugiés, comme le Canada, ferment leurs frontières, ils n’empêchent pas les réfugiés d’entrer au pays; ils ne font qu’empêcher les réfugiés d’y entrer par les passages connus, légaux et organisés.

Avant la mise en œuvre du protocole, le passage frontalier non officiel du chemin Roxham offrait une manière sécuritaire et organisée de gérer les demandes d’asile faites entre deux points d’entrée. Le protocole ainsi que la fermeture du passage frontalier du chemin Roxham feront en sorte qu’il sera plus difficile pour les réfugiés d’accéder à ces modes d’entrée sécuritaires, organisés et légaux. Non seulement cela forcera les réfugiés à avoir recours aux services de passeurs et de trafiquants, ce qui augmente les risques pour leur vie et leur sécurité, mais cela rendra aussi la frontière canadienne plus dangereuse et plus désorganisée, en plus de rendre la tâche de protéger la frontière plus difficile à réglementer et plus coûteuse à gérer. L’intégrité de la frontière canadienne en sera donc affaiblie, plutôt que renforcée.

Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie de votre temps, et je suis impatiente d’entendre vos questions.

La présidente suppléante : Merci. Madame Liew, allez-y, s’il vous plaît.

Jamie Chai Yun Liew, professeure, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Mes commentaires sont en réponse à l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada concernant la contestation fondée sur la Charte de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Je vais insister sur un aspect en particulier de cet arrêt : le fait que les migrants pourraient accéder à d’autres formes et processus de demande d’immigration s’ils ne sont pas admissibles à demander l’asile. La cour a qualifié ces autres options de soupapes de sécurité. J’ai fourni des observations écrites plus détaillées, mais je vais vous donner un bref aperçu des six mécanismes que la cour a mentionnés et vous expliquer pourquoi ils ne fonctionnent pas comme elle le voulait.

Premièrement, l’examen des risques avant renvoi; il s’agit d’une demande écrite où vous expliquez pourquoi vous craignez de retourner dans votre pays, et vous déposez des documents pour étayer votre crainte. Selon les statistiques d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada — IRCC —, entre 2007 et 2014, de 1,4 à 3,1 % de ces demandes ont été accueillies.

Deuxièmement, il y a la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit d’une demande écrite dans laquelle vous demandez d’être exempté des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — la LIPR — et d’obtenir la résidence permanente parce que vous vous exposez à des difficultés si vous n’obtenez pas ce statut. Selon les données du gouvernement datant de 2021, le taux de refus de ces demandes était passé à 70 %.

Troisièmement, le permis de séjour temporaire, une demande écrite ainsi qu’un permis spécial d’IRCC permettant à une personne de séjourner au Canada pendant un certain temps parce qu’il existe des raisons impérieuses. Ce permis peut être valide pour une période de un jour à trois ans et peut être révoqué en tout temps.

Quatrièmement, une personne dont la date de renvoi du Canada a été fixée peut demander à l’Agence des services frontaliers du Canada — l’ASFC — un sursis à son renvoi. La personne doit expliquer pourquoi elle subira un préjudice irréparable, qui dépasse les difficultés habituelles associées au renvoi, ou alors qu’il y a un enfant dont l’intérêt à court terme est directement touché. Une demande de sursis est accueillie seulement lorsqu’il y a des circonstances personnelles convaincantes ou urgentes qui le justifient.

Je veux insister sur le fait que, pour ces quatre mécanismes, les demandes sont seulement accueillies pour des motifs exceptionnels et discrétionnaires.

Cinquièmement, le sursis administratif au renvoi, une mesure temporaire prise lorsqu’il faut immédiatement accorder un sursis au renvoi en raison d’une crise humanitaire. Une suspension temporaire du renvoi est l’interruption du renvoi vers un pays ou vers un endroit où les conditions générales constituent un risque pour toute la population civile, par exemple un conflit armé ou une catastrophe environnementale. Ces mécanismes sont seulement accessibles aux personnes qui pourraient être renvoyées vers des pays figurant sur la liste dressée par le gouvernement du Canada, et certaines personnes interdites de territoire peuvent malgré tout être renvoyées.

Enfin, sixièmement, une personne peut demander un sursis judiciaire au renvoi pour empêcher l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle. Pour cela, la personne doit déjà avoir porté sa cause devant la Cour fédérale du Canada, et le sursis au renvoi empêche son renvoi avant que l’affaire ne soit réglée.

Cependant, il y a des personnes qui ne sont admissibles ni à l’un ni à l’autre de ces mécanismes, parce qu’elles ne remplissent pas les exigences. Les agents frontaliers n’ont pas pour pratique de fournir une liste de ces autres options aux gens qui se présentent aux points d’entrée, et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ceux qui ne s’y connaissent pas en la matière sachent que ces mécanismes législatifs existent. L’ensemble de ces processus et demandes d’immigration exige non seulement de présenter une demande écrite, mais aussi de déposer de nombreux éléments de preuve documentaire de fond pour montrer que la demande est fondée. Il est pratiquement impossible aux migrants d’y accéder, à moins qu’ils n’embauchent un avocat et s’organisent pour que leur demande soit déposée lorsqu’ils arrivent à un point d’entrée. Pour ces migrants qui ne parlent pas l’anglais ou qui ne savent pas écrire en anglais ou en français, et pour ceux qui ne connaissent pas notre système juridique et qui n’ont pas accès à de l’aide juridique, ces mécanismes sont inaccessibles.

Un grand nombre des recours demandés sont de nature discrétionnaire et dépendent grandement de la volonté d’un seul agent. Pour certaines de ces demandes, les taux de réussite sont pathétiques. La vérité, c’est que ces soi-disant soupapes de sécurité ne sont qu’un mirage, et qu’elles n’offrent pas le système de freins et contrepoids qu’elles sont censées offrir.

J’espère avoir brossé un portrait réel de la possibilité pour les migrants non seulement d’accéder à ces soi-disant soupapes de sécurité, mais aussi de voir leur recours accueilli. Puisque nous savons que nombre d’entre eux ne pourront pas accéder aux processus et aux recours prévus dans la LIPR, le gouvernement du Canada devrait réfléchir à sa décision de maintenir et d’élargir l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis. D’innombrables personnes seront exposées à un risque, à cause des malentendus actuels sur tout le fonctionnement du système d’immigration.

Nous ne pouvons pas invoquer des mécanismes qui existent sur papier pour justifier un système qui va à l’encontre de nos obligations internationales en vertu du droit des réfugiés, y compris le droit au non-refoulement.

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, madame Liew, de nous avoir présenté votre exposé. Tout était limpide.

Merci aussi, madame Arbel.

J’ai une question pour nous aider à comprendre les chiffres. Avant que le gouvernement ne colmate la faille dans l’Entente sur les tiers pays sûrs, quel était le taux d’acceptation des demandeurs d’asile qui arrivaient au Canada par les failles de notre frontière officielle? Pouvez-vous me donner un chiffre, Mme Arbel ou Mme Liew?

Mme Arbel : Je n’ai pas les taux d’acceptation sous les yeux. Je dirais cependant qu’il faudra un certain temps pour évaluer l’effet général du protocole, parce que le protocole a initialement eu pour conséquence de décourager les demandeurs d’asile, qui avaient soit peur de traverser la frontière, soit peur de présenter une demande s’ils l’avaient déjà traversée. Pour avoir un portrait complet des différences avant et après la mise en œuvre du protocole, il faudra un peu de temps.

Je peux essayer de trouver les chiffres pour vous. Il me faudra seulement un peu de temps pour le faire.

La présidente suppléante : Ce serait très gentil de votre part, et vous pourriez aussi nous les envoyer plus tard. Nous nous intéressons surtout aux personnes qui sont entrées au Canada par la faille actuelle. Certaines personnes appellent cela une « faille », et d’autres appellent cela une « soupape de sécurité », alors nous devons essayer de bien comprendre de quoi il s’agit.

La sénatrice Simons : Je ne sais pas si c’est légitime de poser cette question à vous deux. Je suis la seule sénatrice ici présente aujourd’hui qui vient de l’Ouest du Canada.

On parle énormément du chemin Roxham, mais je pense qu’il y a aussi des problèmes importants avec les passages frontaliers en Colombie-Britannique, et je me demandais si vous pouviez me donner une idée des répercussions que cela a eues sur les passages frontaliers irréguliers dans le corridor Colombie-Britannique-Washington.

Mme Liew : Je n’ai pas de données précises en ce qui concerne le nombre de personnes qui traversent, mais je sais, simplement d’après les reportages et des informations anecdotiques, qu’il y a eu des rapports troublants de personnes qui traversent, par exemple, dans le corridor du Manitoba. Des gens ont perdu un bras ou une jambe à cause des engelures. Il y a même eu des décès, alors je ne pense pas que cela dépasse l’imagination de réfléchir aux répercussions humaines que cet obstacle juridique crée, plus particulièrement les risques réels pour la sécurité des gens qui essaient de traverser la frontière sans être détectés.

La sénatrice Simons : L’incident au Manitoba date d’avant 2023, juste pour que ce soit clair.

Mme Liew : C’est le cas, mais je dirais que des cas de ce genre continueront de se produire, parce que les gens veulent traverser sans être détectés. On peut faire des extrapolations à partir du genre de décision que les migrants vont peut-être prendre et des répercussions qui s’ensuivront.

La sénatrice Simons : Je ne suis pas membre en titre du comité, alors peut-être que vous connaissez déjà la réponse à ma question, mais je pense que les passages frontaliers de la Colombie-Britannique sont vraiment beaucoup plus occupés que ceux des Prairies, évidemment parce qu’il y a plus de gens qui vivent là-bas. Il y a très peu de gens qui traversent la frontière de manière irrégulière en Alberta, disons, parce qu’il est difficile de passer par le Montana.

Je voulais vous demander quel genre de personnes sont admissibles à ces soupapes de sécurité. Je pense aujourd’hui spécifiquement aux réfugiés LGBTQ+. Le Canada a offert aux réfugiés de l’arc-en-ciel un accueil beaucoup plus chaleureux, je pense, que les États-Unis.

Avez-vous une idée de ce que ce changement a signifié pour les demandeurs d’asile qui fuient des régimes et des cultures homophobes?

Mme Arbel : Pourrais-je vous demander, pour préciser, ce que vous voulez dire par « soupape de sécurité »? Parlez-vous des mécanismes dont Mme Liew a parlé? Voulez-vous dire les exceptions à l’entente, afin que nous puissions vous donner une réponse plus précise?

La sénatrice Simons : Eh bien, les deux. Ce que je veux vraiment savoir c’est : Est-ce que ce nouveau système a eu des répercussions disproportionnées sur les réfugiés LGBTQ+?

Mme Liew : Comme Mme Arbel l’a dit plus tôt, il est encore trop tôt pour le savoir. Nous n’avons pas recueilli suffisamment de données. On ne sait pas exactement quelles répercussions cela entraîne, mais ce que je peux dire, c’est que, si vous avez un système qui ne vous permet pas d’évaluer le bien-fondé des demandes d’asile, en partant, et que vous dites à un demandeur d’asile « Eh bien, voici vos autres options », mais que ces options ne permettent pas de savoir si cette personne a qualité de réfugié, ce qui... Dans votre question, vous parlez des gens qui pourraient être persécutés du fait de leur orientation ou de leur identité sexuelle. Alors, ces personnes ne pourront peut-être pas mettre de l’avant l’intégralité de leur demande d’asile, parce qu’on les empêche déjà de présenter une telle demande. Elles devront alors essayer de présenter leur histoire selon des critères très restreints, dans le cadre d’un permis de séjour temporaire, d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire ou d’un examen des risques avant renvoi.

Tous ces mécanismes sont assortis d’exigences d’admissibilité, que certaines personnes ne remplissent peut-être pas, en plus de l’exigence du bien-fondé de la demande. Ils sont assortis d’exigences distinctes de celles applicables aux gens qui sont déjà dans le système de détermination du statut de réfugié.

Donc, on dit : « Nous n’allons pas examiner votre situation du point de vue de la définition de réfugié », et on dit qu’il y a d’autres options. Cependant, ces options ne constituent pas une évaluation parfaite ou équivalente du risque auquel ces personnes s’exposent si elles retournent dans leur d’origine.

La sénatrice Simons : Passons à un autre sujet, dans ce cas. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles certaines provinces comme le Québec ont demandé la fermeture du chemin Roxham, c’est qu’elles étaient submergées de gens, sans avoir de soutiens du gouvernement fédéral pour leur fournir l’aide dont ils avaient besoin.

Mais il me semble que, si vous créez un système où plus de gens traverseront la frontière dans l’illégalité la plus complète et entreront au pays sans remplir les formulaires appropriés, vous vous retrouvez avec des gens, dans la collectivité, qui y vivent non détectés et qui ne seront admissibles à aucune des mesures de soutien que nous fournissons habituellement aux réfugiés. Ces mesures sont peut-être inadéquates, mais elles restent néanmoins importantes pour beaucoup de gens.

Je me demandais si, selon vous, une des conséquences inattendues de tout cela serait que les provinces et les municipalités devront, dans les faits, porter un fardeau plus lourd, parce que plus personne ne va suivre ces nouveaux arrivants et qu’aucun soutien fédéral ne leur sera offert.

Mme Arbel : Je dirais que votre évaluation est juste. Le risque de conséquences inattendues est réel, et cela pourrait créer des fardeaux comme celui que vous avez mentionné, en plus d’augmenter le nombre de personnes vulnérables et en situation précaire à l’intérieur de nos frontières également.

En réponse à votre question précédente, aussi, il est important de prendre du recul et de comprendre comment fonctionne l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis dans le contexte général des déplacements forcés dans le monde. Les réfugiés qui fuient pour sauver leur vie ou qui craignent d’être persécutés dans leur pays d’origine se heurtent à des obstacles énormes lorsqu’ils arrivent sur notre continent, pour ne pas dire dans notre pays.

Lors de réunions antérieures, Mme Young vous a parlé de l’externalisation des frontières canadiennes et des obstacles potentiellement insurmontables auxquels les gens se heurtent.

Il est parfois impossible pour les gens — même ceux qui veulent entrer par la Colombie-Britannique — de le faire, dépendamment du chemin qu’ils ont pris pour entrer au Canada, des ressources auxquelles ils ont accès et de l’information dont ils disposent.

Pour répondre à la question que vous avez posée plus tôt, concernant l’accueil plus chaleureux offert aux personnes LGBTQ par les lois canadiennes en matière d’asile, cet accueil plus chaleureux est seulement possible si la personne a déjà traversé la frontière d’une manière sécuritaire. Les soi-disant soupapes de sécurité dont a parlé Mme Liew ne permettent pas de tenir compte efficacement des vulnérabilités de ces personnes, et il n’y a aucune exception prévue à l’entente qui permet aux réfugiés qui risquent d’être persécutés en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle d’entrer au Canada aux points d’entrée. Aucune des exemptions existantes à l’entente ne tient compte de ce genre de vulnérabilité.

Il y a un véritable risque, ici, que cela crée un fardeau supplémentaire, comme vous l’avez dit, et il y a un véritable risque que cela entraîne l’élimination de bon nombre des protections centrales pour lesquelles le système d’asile canadien est reconnu dans le monde entier.

Mme Liew : Si je peux ajouter quelque chose, les gens vont venir ici, comme vous l’avez dit, alors quelle est la meilleure façon pour le Canada de gérer sa frontière, comme l’a mentionné Mme Arbel plus tôt? Nous savons que ces gens vont venir. Nous devrions nous organiser pour réagir au mieux à leur arrivée, et nous avons déjà aux points d’entrée des outils pour accueillir les gens, et nous devrions utiliser la technologie de pointe que nous avons déjà mise en place.

La sénatrice Petten : Dans votre travail, vous avez mis en relief le fait que la détention à durée indéterminée a des conséquences importantes sur la santé mentale des migrants. Pourriez-vous nous parler un peu plus des autres mesures qui pourraient atténuer ces effets, tout en respectant les procédures en matière d’immigration?

Mme Arbel : En ce qui concerne la détention liée à l’immigration, la très grande majorité des personnes qui sont détenues par les services d’immigration le sont au motif qu’elles sont susceptibles de ne pas se présenter; cela veut dire que l’Agence des services frontaliers du Canada les considère comme étant susceptibles de ne pas se présenter à une procédure de l’immigration. C’est le principal motif pour lequel ces personnes sont détenues dans notre pays.

À mon avis, il est inutile de détenir des gens pour ce motif. L’Agence des services frontaliers du Canada a mis au point des mécanismes sophistiqués qui permettent de suivre les gens sans avoir à les détenir, et il y a même de nombreux experts ici, au pays, qui pourraient élaborer et mettre en œuvre d’autres mécanismes plus humains pour suivre les gens, par exemple des obligations de rendre des comptes ou autre chose, sans qu’il soit nécessaire de détenir ces gens pour des raisons d’immigration.

La détention liée à l’immigration, comme vous l’avez dit, a des conséquences profondément négatives, et pas seulement sur la santé mentale. On prive les gens de leur liberté, et il est inadmissible au Canada qu’on prive les gens de leur liberté, sans les garanties d’application régulières de la loi, quand on connaît les conséquences négatives profondes de la détention, surtout quand tout un éventail d’autres options viables peuvent être utilisées.

La sénatrice Petten : Merci.

Je pourrais peut-être aussi poser une question à Mme Liew; c’est au sujet de votre livre, Dandelion, qui explore les thèmes de l’identité et de l’appartenance.

Je crois comprendre que vous vous êtes adonnée à l’écriture créative. Était-ce complémentaire à votre formation en droit et à vos activités de défense des intérêts?

Mme Liew : Je vous remercie de la question.

C’est important pour les Canadiennes et les Canadiens ainsi que pour les décideurs comme vous-mêmes de comprendre les répercussions émotionnelles et psychologiques des frontières, des demandes d’immigration et du processus de recherche d’un chez-soi ou du fait d’être traité différemment et disproportionnellement.

Mme Arbel a expliqué à quels égards les personnes racisées sont de manière disproportionnée traitées différemment à la frontière et dans notre système d’immigration, et il est important que le public et les décideurs comprennent cet aspect. Si l’une de mes créations littéraires permet de faire comprendre comment se sentent ces personnes et de donner un aperçu de cette expérience... Je pense qu’il est important que l’on se demande par quels moyens nous pourrions atténuer les conséquences de l’application rigide de notre système aux gens qui, par ailleurs, en ont respecté les exigences.

Comme le Canada essaie de respecter ses obligations internationales, nous devrions porter attention à la façon dont nous devons le faire, c’est-à-dire avec compassion et humanité, et nous efforcer de faciliter le processus pour des gens qui ont déjà vécu tellement de traumatismes dans leur pays d’origine et qui maintenant doivent migrer. Merci.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux pour votre témoignage aujourd’hui. Vous avez toutes deux parlé de la fermeture des frontières du Canada aux personnes les plus vulnérables, et vous avez mentionné la communauté de personnes racisées et aussi la communauté LGBTQ. Lorsque l’on applique une approche intersectionnelle à cela, on parle vraiment, comme vous le dites, de certaines personnes des plus vulnérables.

Quelle est la politique qui sous-tend tout cela? Pourquoi ces gens subissent-ils un traitement si sévère dans des pays qui disent accorder plus d’importance aux droits de la personne? Quelle est la politique qui sous-tend cela, et qu’en faisons-nous? Quelles modifications recommandez-vous?

Mme Liew : Je vais le dire sans ménagement : le Canada est fondé sur une approche coloniale. Nous étions une ancienne colonie anglaise. Nos lois en matière d’immigration et de citoyenneté découlent historiquement du fait que les colonies anglaises catégorisaient et identifiaient les gens en fonction de leur race. Ce n’est pas un secret; nos lois en immigration ont toujours été discriminatoires et ont toujours prévu des exceptions en fonction de la race.

La loi la plus évidente et celle qui me touche le plus est la Loi de l’immigration chinoise de 1923, aussi connue sous le nom de Loi sur l’exclusion des Chinois. Nous avons effectivement préféré certains groupes d’immigrants par le passé et priorisé certains groupes de migrants. C’est seulement devenu plus subtil dans l’approche que nous utilisons lorsque nous rédigeons nos lois.

Même si, à la première lecture, elles peuvent sembler neutres, j’encourage ceux et celles qui examinent de nouveau notre régime d’immigration au grand complet à réfléchir à la façon dont les lois ont été modifiées au fil du temps et au fait qu’elles reflètent encore une nation de colons blancs, disons-le ainsi. Des choses comme l’interdiction de territoire, les choses qui se sont passées durant la pandémie de COVID-19. C’est le même genre de discours et de justifications stratégiques qui ont été utilisés autrefois lorsque les raisons pour lesquelles on fermait la frontière à certains groupes de gens étaient discutées plus ouvertement et sans aucune gêne.

Je dirais que cela n’est que le prolongement du même genre d’idées sur la question de savoir qui est à sa place, qui mérite d’être au Canada et quelle communauté est priorisée dans nos lois en matière d’immigration et de citoyenneté.

Mme Arbel : J’appuierais tous ces commentaires, et j’ajouterais que, en plus de l’histoire et des manifestations actuelles des inégalités, dont Mme Liew a parlé, le régime canadien en matière de migration non seulement reflète ces inégalités globales plus larges, mais les renforce aussi puisqu’elles s’insèrent dans les nombreuses positions stratégiques que vous avez exposées en parlant d’intersectionnalité, non seulement au chapitre de la race, mais aussi du genre, du statut LGBTQ, des vulnérabilités socioéconomiques, etc., etc., la liste continue.

Nous pouvons cesser de renforcer ces inégalités et les éliminer. Le Canada se situe très loin des zones de conflit mondiales. Même en face de ce que nous appelons afflux massif d’immigrants, le nombre lui-même est assez faible, et nous avons les ressources nécessaires pour accueillir les arrivants de façon humanitaire et avec compassion, comme l’a dit Mme Liew.

Nous ne risquons pas d’être « noyés » entre guillemets par les migrants, les réfugiés ou les autres immigrants qui arrivent ici en quête d’une meilleure vie, et c’est en partie en raison de notre situation géographique et en partie en raison des stratégies d’externalisation mises en œuvre par le Canada lui-même.

Nous avons les ressources, la capacité et les mesures de protection nécessaires dans nos lois, nos lois constitutionnelles et nos engagements au chapitre des droits de la personne et de la protection des réfugiés, et cela nous permettra de régler ces inégalités et idéalement de les éliminer plutôt que de les perpétuer comme nous le faisons.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux.

Madame la présidente, je pense que les deux témoins n’ont pas répondu à la deuxième partie de ma question, qui était : avez-vous des recommandations précises à nous faire? Je comprends votre analyse, le lien avec l’histoire, l’histoire qui nous fait toujours du tort aujourd’hui, mais que devons-nous faire? Avez-vous des suggestions à nous faire?

Mme Liew : Je vous dirais deux choses : axer la discussion un peu plus sur l’Entente sur les tiers pays sûrs, dont Mme Arbel et moi avons parlé, et je vous dirais de la réexaminer. Elle ne devrait même pas exister.

Ensuite, je vous dirais de revoir notre dépendance aux résidents temporaires et au Programme des résidents temporaires. Il existe une multitude de recherches qui disent à quel point ce genre d’approche est néfaste et nous encouragent à nous servir davantage de programmes des résidents permanents des volets économique et humanitaire, lorsqu’il est question de migration.

S’il y a une chose que j’aimerais demander au comité d’examiner, c’est l’Entente sur les tiers pays sûrs, parce qu’elle ne fonctionne pas. Nous avons déjà de nombreuses années d’expérience avec cette entente. Même si l’on a récemment fermé ceci et resserré cela, nous n’avons observé aucun changement au cours des 10 dernières années. Il y a beaucoup de données probantes à cet égard, et beaucoup de défenseurs des droits s’entendent pour dire que cela fait plus de mal que de bien. L’entente ne permet pas une gestion efficace de notre frontière.

Ensuite, je demanderais aux décideurs d’examiner le programme des résidents temporaires et d’évaluer les problèmes et ensuite de l’abandonner, parce qu’il touche davantage certains groupes de travailleurs et certains groupes de gens et, d’une certaine façon, il fait en sorte que les gens parlent différemment de certains groupes racisés.

Je sais que le Parlement a effectué des études, que des comités parlementaires permanents ont effectué des études sur les programmes des travailleurs étrangers temporaires et les programmes temporaires, et je dirais que c’est une question qui pourrait être réglée facilement.

Mme Arbel : J’appuie les commentaires de ma collègue au sujet de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Je pense que les données probantes montrent qu’elle ne fonctionne pas. Elle est fondée sur la conclusion selon laquelle les États-Unis sont un pays sûr pour les réfugiés, et les données probantes montrent que ce pays n’est pas un pays sûr pour les réfugiés et qu’il ne l’est pas depuis des dizaines d’années.

Ma première recommandation est d’examiner le caractère légal de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Celle-ci permet au Canada de créer des exemptions pour des motifs d’intérêt public, conformément à nos lois et à nos priorités. Actuellement, les exemptions sont limitées et ne tiennent pas compte de ces grandes structures d’inégalité dont nous avons parlé. Le Canada peut créer d’autres exemptions respectant les protections spécifiques déjà établies dans nos lois.

Le protocole supplémentaire est très néfaste, et l’exigence de 14 jours que j’ai mentionnée dans mes commentaires fait en sorte que les gens interceptés dans les 14 jours après avoir traversé la frontière risquent davantage d’être détenus pour des motifs d’immigration.

Le régime de détention pour des motifs d’immigration est affligé de nombreux problèmes. L’Agence des services frontaliers du Canada est actuellement le seul grand organisme d’application de la loi au Canada qui ne fait pas l’objet d’une surveillance civile indépendante. La détention pour des motifs d’immigration n’est pas limitée dans le temps, et le régime de détention permet d’horribles violations des droits de la personne dans les centres de détention de l’immigration et dans les prisons provinciales dans tout le pays.

Voilà certaines de nos propositions sur la façon de régler ces inégalités, que l’on peut aussi observer dans le régime de détention.

La présidente suppléante : Merci beaucoup pour ces recommandations précises. Nous sommes heureuses de les entendre.

Madame Liew, comme vous avez parlé des travailleurs temporaires, des gens qui ont un statut temporaire, vous devez avoir entendu l’annonce du ministre Miller, qui veut diminuer le nombre de travailleurs étrangers temporaires et encourager les entreprises à embaucher des demandeurs d’asile. Qu’en pensez-vous? Est-ce une bonne idée? Une mauvaise idée? Est-ce que cela va fonctionner?

Mme Liew : Je suis ravie de cette annonce. Je pense que c’est une bonne idée de se servir moins du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Cependant, je pense que cela ne correspond pas au changement systémique nécessaire, dans la mesure où il y a une réelle demande de travailleurs dans différents secteurs qui n’est pas comblée par les résidents permanents et les citoyens canadiens.

Embaucher des gens de l’étranger pour qu’ils viennent combler ce manque de main-d’œuvre est un rôle important du système d’immigration. Toutefois, les embaucher à titre temporaire est un réel problème, non seulement pour les entreprises qui investissent dans ce capital humain et le forment, mais aussi parce que bon nombre de ces personnes vivent dans l’incertitude puisqu’elles viennent au Canada, font leur vie ici et s’intègrent à...

La présidente suppléante : Veuillez parler des demandeurs d’asile. En fait, une étude sénatoriale sur les travailleurs étrangers temporaires est presque prête.

Mme Liew : D’accord.

La présidente suppléante : Le Canada n’agit pas en vase clos quand il est question de déplacements. Nous avons des accords régionaux, dont l’Entente sur les tiers pays sûrs que nous avons avec les États-Unis. Nous avons récemment imposé des visas aux Mexicains en raison de l’important volume de Mexicains qui demandent l’asile après leur arrivée.

Mais nous sommes un joueur. Quelles recommandations feriez-vous, dans le cadre de l’étude, qui ferait du Canada un chef de file régional pour nos partenaires en Amérique du Nord et, en fait, en Amérique du Sud? Comment pouvons-nous en faire plus et être le phare et le symbole d’espoir que, selon moi, vous aimeriez que nous soyons?

Mme Liew : En ce qui concerne l’exemple des Mexicains dont vous avez parlé, je vous poserais une question : pourquoi avons-nous décidé d’imposer des visas et de créer des obstacles alors que nous avons un très bon système de détermination du statut de réfugié? Pourquoi ne laissons-nous pas le système faire son travail et évaluer et...

La présidente suppléante : Puis-je vous poser d’autres questions? Le système est surchargé. Un retard de plusieurs années a été accumulé, donc je ne suis pas certaine d’être d’accord avec vous lorsque vous dites que notre système a suffisamment de ressources. La présidente de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, la CISR, va nous en parler. Comment pouvez-vous conclure que le système a accès à suffisamment de ressources lorsque nous accumulons retard sur retard dans le système d’asile?

Mme Liew : Je ne dirais pas qu’il y a suffisamment de ressources. En fait, ce que je dis, c’est que nous avons un système qui fait le travail et qui peut faire les évaluations. Peut‑être que le problème, c’est que nous devrions y consacrer des ressources plus appropriées et réexaminer la façon d’évaluer convenablement ces personnes plutôt que de fermer les valves, disons, parce que les gens viendront, et nous ne pouvons pas le nier.

Si nous voulons considérer le Mexique comme un partenaire égal, dans nos ententes, nous ne pouvons pas le traiter différemment de nos partenaires américains à cet égard. Si c’est un problème de ressources, il faut se pencher sur la question, mais, dans les faits, le processus de détermination du statut de réfugié a tous les outils nécessaires pour faire une évaluation convenable, et nous devrions améliorer ce système pour qu’il puisse traiter les affaires qui y arrivent.

La sénatrice Simons : La prémisse de l’Entente sur les tiers pays sûrs, c’est que vous concluez une entente avec un pays dont les systèmes ne sont peut-être pas semblables aux vôtres, mais vous croyez et êtes persuadés qu’il offrira aussi une protection. Nous arrivons à un moment — un moment charnière — de l’histoire des États-Unis, où notre partenaire du Sud pourrait aller dans une direction ou une autre. Si le président Trump est réélu, comme l’indiquent les sondages actuellement, compte tenu de ce qu’il a fait durant sa première présidence et de la rhétorique de sa deuxième campagne présidentielle, selon moi, il est de plus en plus probable que le gouffre se creusera davantage entre les tactiques canadiennes et les tactiques américaines.

De plus en plus de femmes aux États-Unis risquent d’être poursuivies parce qu’elles veulent pouvoir faire leurs propres choix en matière de santé reproductive. Je m’inquiète de ce qui pourrait arriver si le tiers pays sûr devenait beaucoup moins sûr qu’il ne l’était en 2023, lorsque cette politique est entrée en vigueur.

Mme Arbel : En réponse, je dirais que les États-Unis ne sont plus un pays sûr pour les réfugiés depuis des dizaines d’années. Ce n’était certainement pas un pays sûr pour les réfugiés en 2004, lorsque l’entente est entrée en vigueur la première fois, et il ne l’a pas été depuis. L’entente elle-même précise ce qu’est un « pays sûr » et renvoie au bilan des États-Unis à l’international au regard de la convention sur les réfugiés, de la convention contre la torture, de ses pratiques et du non-refoulement, ainsi qu’à ses politiques, lois et pratiques internes touchant l’évaluation de l’asile. À tous ces égards, les États-Unis sont bien en deçà des normes internationales établies et des normes canadiennes établies.

Je suis d’accord avec vous pour dire que la différence ne fera que s’agrandir, et je ne suis pas la seule de cet avis. Même si elle a maintenu la constitutionnalité de l’Entente sur les tiers pays sûrs, la Cour suprême du Canada a tiré deux conclusions importantes qui sont pertinentes pour votre question. La première, c’est que la Cour a reconnu qu’il y a un risque de préjudice en raison des pratiques de refoulement et de détention aux États-Unis. La Cour a conclu que ce sont ces supposées soupapes de sécurité — dont a parlé Mme Liew — qui préviennent les préjudices. Je me range à l’opinion qu’elle a exprimée au début de la séance sur la raison pour laquelle cette conclusion ne correspond pas dans les faits à la façon dont ces supposées soupapes de sécurité fonctionnent.

Pour ce qui est de l’autre conclusion, la Cour a renvoyé l’affaire sur la question de savoir s’il y a violation de l’article 15, étant donné que les femmes et les autres personnes qui déposent des demandes d’asile fondées sur le genre sont traitées différemment, aux États-Unis, et cette affaire est présentement devant les tribunaux canadiens. Il y a une grande différence entre le Canada et les États-Unis, non seulement en ce qui concerne les droits génésiques dont vous avez parlé, mais aussi des divergences fondamentales dans la façon dont le Canada et les États-Unis traitent les demandes d’asile fondées sur le genre. Il y a tellement de déclarations de principe importantes, dans nos lois, qui soulignent l’engagement du Canada à traiter équitablement tous les genres. L’Entente sur les tiers pays sûrs et le maintien de la reconnaissance des États-Unis en tant que « pays sûr » sont contraires à ces déclarations et ces engagements.

La présidente suppléante : J’aimerais vous poser à toutes les deux une dernière question parce que le temps file. Vous avez toutes deux parlé des exemptions pour motifs d’intérêt public possibles. Aucune n’a été exposée jusqu’à présent. Quelles recommandations aimeriez-vous voir dans le rapport au sujet des dispenses de la politique d’intérêt public? Devrions-nous avoir une exemption pour les mineurs? Devrions-nous en avoir une fondée sur le genre et l’identité de genre?

Mme Arbel : Je dirais que les exemptions pour motifs d’intérêt public devraient être fondées sur une analyse des différences entre le droit canadien et le droit américain au chapitre de l’asile. La liste que je vais vous présenter ne sera pas exhaustive — et je sais que Mme Liew en aura beaucoup à dire sur le sujet —, mais les exemptions doivent commencer par une évaluation raisonnée des différences entre le droit américain et le droit canadien au chapitre de l’asile. La question du genre est à l’avant-plan, tout comme l’identité de genre et l’orientation sexuelle. La vulnérabilité à de l’intersectionnalité — la race, l’aspect socioéconomique, la santé mentale et les handicaps — est aussi prioritaire, tout comme les droits génésiques, la réunification des familles et diverses autres façons dont les systèmes diffèrent. Je ne veux pas prendre trop de temps, donc je vais donner la parole à Mme Liew.

Mme Liew : D’autres groupes seraient les mineurs non accompagnés. Je sais que les États-Unis n’ont pas de dispositions sur les tuteurs légaux, par exemple, dans leur système d’asile. Il faut aussi savoir réagir aux décisions politiques sur le terrain aux États-Unis. Je pense par exemple au moment où le président Trump a interdit l’accès au territoire aux musulmans; il faut penser à ce genre de communautés.

Aux États-Unis, il est impossible de déposer une demande d’asile après un an. Les gens qui, pour une foule de raisons, ont été incapables de demander l’asile devraient eux aussi avoir droit à une exemption — car on sait que les gens pourraient ne pas connaître le fonctionnement des lois dans un pays étranger, les dates limites et ainsi de suite.

J’ajouterais ces catégories à ce qu’a dit Mme Arbel. J’espère que les décideurs qui siègent au comité réexamineront l’intégralité de l’entente et qu’ils n’appliqueront pas des exemptions au coup par coup.

Mme Arbel : Je suis tout à fait d’accord.

La présidente suppléante : Merci à vous deux. C’est un sujet très difficile et vous avez réussi à y ajouter beaucoup de matière, de connaissances et d’informations importantes dont nous tiendrons compte dans nos décisions. Au nom de notre comité, merci, encore une fois, et excusez-nous de vous avoir fait attendre.

Chers collègues, nous accueillons maintenant le deuxième groupe de témoins. Chaque témoin aura cinq minutes pour faire ses déclarations liminaires, puis les sénatrices pourront poser leurs questions.

Laissez-moi commencer par remercier nos deux témoins. La présente réunion a été reportée plusieurs fois. Toutes nos excuses. La vie au sein du Sénat canadien est sans doute aussi imprévisible que la vie au sein du Sénat américain, monsieur Slocum. Veuillez nous pardonner; nous pouvons enfin nous y mettre.

Nous accueillons Mme Gauri Sreenivasan, codirectrice générale, Politiques et plaidoyer, Conseil canadien pour les réfugiés; et, par vidéoconférence, M. John Slocum, directeur général, Conseil des réfugiés des États-Unis.

Madame Sreenivasan, c’est à vous; vous avez cinq minutes, puis ce sera au tour de M. Slocum.

Gauri Sreenivasan, codirectrice, Politiques et plaidoyer, Conseil canadien pour les réfugiés : Bon après-midi, et merci beaucoup de m’avoir invitée. Vous avez mentionné que la séance a dû être reportée plusieurs fois, et l’éclipse vient tout juste d’avoir lieu. Je viens de la voir. Elle a effectivement eu lieu. C’est incroyable, et je remercie le greffier d’avoir pris toutes les dispositions nécessaires.

Bon après-midi. Je m’appelle Gauri Sreenivasan, et je suis codirectrice du Conseil canadien pour les réfugiés, le CCR. Le CCR est une entité nationale qui représente 200 organisations de première ligne de partout au pays qui travaillent auprès de réfugiés et de migrants.

[Français]

Merci de l’engagement du Comité sénatorial permanent des droits de la personne sur ce thème important des déplacements forcés dans le monde. Il est essentiel de le comprendre, car c’est la crise mondiale qui définit le contexte des déplacements forcés au Canada et en Amérique du Nord.

[Traduction]

Aujourd’hui, le plus gros problème du système d’asile canadien, compte tenu du contexte des déplacements forcés, concerne les demandeurs d’asile. Mes commentaires porteront sur ce que nous pouvons faire pour changer cela. Je ne parlerai pas de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis dans mes déclarations liminaires puisque vous venez d’en parler. Toutefois, le CCR est le principal organisme d’intérêt public qui a contesté cette entente devant les tribunaux, et je me ferai un plaisir de vous faire part de nos opinions à ce sujet au cours de la période de questions.

Les demandeurs d’asile sont ceux qui demandent l’asile après leur arrivée sur le sol canadien; ils n’ont pas reçu le statut de réfugié à l’étranger. On juge que la grande majorité des demandeurs d’asile — presque trois personnes sur quatre l’année dernière — sont des gens qui doivent être protégés. Dans un pays qui se targue d’être un chef de file et de savoir comment accueillir des réfugiés de l’étranger et les aider à s’établir ici, étonnamment, dans les faits il n’y a aucun système au Canada pour prendre en charge les demandeurs d’asile qui arrivent chez nous. Nous entendons plutôt les déclarations mensongères de nos dirigeants politiques, qui disent, à tort, que la présence des demandeurs d’asile cause une crise, et nous voyons une approche stratégique qui consiste soit en de vaines tentatives pour empêcher les gens de demander l’asile ici — comme l’Entente sur les tiers pays sûrs — ou soit en interventions d’urgence à court terme coûteuses et inefficaces qui ne servent ni le public, ni les réfugiés.

Beaucoup trop de demandeurs d’asile au Canada finissent dans la rue ou dans des refuges en milieu urbain, ou sont amenés par autobus dans des hôtels isolés un peu partout au pays. Ils sont perdus, dans un système confus et n’ont aucune aide ni conseil juridique. Ces six derniers mois seulement, deux demandeurs d’asile itinérants sont morts dans la région du Grand Toronto parce qu’ils n’ont pas eu accès aux soutiens adéquats. Les Canadiens et les Canadiennes ont raison d’être outrés.

C’est le temps de changer et le discours et l’approche concernant les demandeurs d’asile au Canada. L’élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs, l’année dernière, n’a pas aidé à diminuer les déplacements forcés dans les Amériques ou le nombre réel de demandes d’asile.

Même si les passages entre les points d’entrée de la frontière canado-américaine ont diminué, compte tenu de la crise mondiale croissante des personnes déplacées, comme on pouvait s’y attendre, le nombre total de demandeurs d’asile est aussi en hausse au Canada. L’année dernière, 144 000 demandes d’asile ont été déposées, comparativement à 91 000 l’année d’avant, et il y a eu une hausse non négligeable des demandes aux aéroports. Mais le nombre de demandeurs d’asile au Canada sera toujours infime comparativement à la quantité que reçoivent les États de première ligne de l’hémisphère Sud et de l’Europe.

Cependant, le nombre de demandeurs d’asile, même à son plus haut l’année passée, n’est pas le problème. Ce sont des personnes que le Canada peut tout à fait accueillir et traiter si nous le planifions. Le CCR demande que l’on utilise une approche nationale exhaustive et coordonnée pour garantir le droit à l’asile avec dignité en tenant compte de l’infrastructure, des compétences et des capacités qui sont déjà en place au pays, mais qui sont mal utilisées. Grâce à quelques modifications clés et à une attitude proactive, nous pouvons rediriger des dépenses inutiles et reproduire ce qui, on le sait, fonctionne de façon que ceux qui fuient la persécution soient traités équitablement et qu’ils aient toutes les chances de réussir, dans l’avenir, en tant que Canadiens.

Nous vous encourageons, mesdames les sénatrices, à demander avec nous au gouvernement fédéral de travailler en collaboration avec les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, ainsi qu’avec la société civile, et de prendre des mesures dans cinq secteurs clés. Je sais que le greffier vous a déjà distribué notre mémoire.

La première recommandation est d’établir des centres d’accueil pour fournir des services d’orientation de triage et d’aiguillage aux demandeurs d’asile qui viennent d’arriver et leur fournir des options de refuge d’urgence. Un centre d’accueil verra bientôt le jour dans la municipalité de Peel, grâce à un financement fédéral, par exemple. C’est un premier signe très positif, et cela devrait être refait.

La deuxième, c’est de financer et reproduire les meilleurs modèles de logement de transition pour compléter les centres d’accueil. La société civile a déjà créé un réseau d’au moins 35 organisations partout au pays qui offrent un hébergement de transition et à court terme aux demandeurs d’asile. Ces programmes coûtent une fraction de ce que coûtent les hôtels ou les refuges pour sans-abri et aident en outre les demandeurs d’asile à trouver un avocat, un emploi et un logement à long terme, atténuant ainsi grandement la pression sur les refuges d’urgence des villes. Avec un financement gouvernemental prévisible et à long terme, ces modèles réussis peuvent être élargis et reproduits, entraînant ainsi immédiatement des bénéfices.

La troisième, c’est de faire en sorte que les demandeurs d’asile soient admissibles aux services de soutien déjà offerts à tous les autres nouveaux arrivants. Le gouvernement fédéral finance un réseau très complexe d’organisations situées partout au pays qui offrent des services spécialisés aux nouveaux arrivants, mais ces organisations ne sont pas autorisées à servir les demandeurs d’asile. Cela n’a pas de sens, et cette restriction doit être levée. Par exemple, en 2022, le gouvernement a vu qu’il était logique d’étendre les services d’établissement aux Ukrainiens qui fuyaient la guerre, et les demandeurs d’asile ne méritent pas moins que cela.

La quatrième, c’est de nous assurer que la couverture d’aide juridique est accessible partout au pays. Le financement fédéral pluriannuel de l’aide juridique sera essentiel pour lever les importants obstacles liés à la représentation juridique des demandeurs d’asile. Cela fait en sorte que les demandes d’asile sont mal représentées et qu’il y a des retards et de l’arriéré. Le gouvernement fédéral doit aussi travailler de façon créative et utiliser des solutions reconnues afin de combler les lacunes dans les nombreuses provinces où les demandeurs d’asile ne sont même pas admissibles à l’aide juridique. Cela inclut notamment le Nouveau-Brunswick, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.

Notre cinquième recommandation, c’est que le Canada facilite le processus de demande d’asile et de détermination du statut de réfugié. À court terme, de petites modifications seraient nécessaires pour simplifier l’étape initiale, celle où on détermine si le demandeur d’asile est admissible, ce qui raccourcirait aussi la période pendant laquelle celui-ci aurait besoin d’aide sociale et d’un hébergement d’urgence. En ce qui concerne le processus d’audience officiel subséquent, le modèle du Canada est déjà respecté dans le monde entier, mais un financement adéquat qui tient compte du volume réel de demandes d’asile est nécessaire pour éliminer l’arriéré accumulé et réduire le temps d’attente.

Pour conclure — et je crois que vous en avez parlé avec les témoins précédents — nous savons que, dans le contexte mondial actuel, le Canada continuera d’accueillir des personnes qui demandent une protection contre la persécution. Nous savons que les réfugiés ont droit à l’asile. Nous savons très bien quoi faire dans notre pays pour agir de manière équitable afin de leur offrir du soutien et de leur donner toutes les chances de réussite, et nous avons en main tous les éléments essentiels d’un plan; pourtant, nous faisons l’autruche. Les Canadiens s’attendent à un plan. Ils ne s’attendent pas au chaos de mesures bouche-trous, et il est grand temps de mettre en place un système global, coordonné et rentable qui traite les demandeurs d’asile avec dignité et équité et où tous les ordres du gouvernement et tous les groupes communautaires jouent un rôle. C’est ce que nous proposons, et nous avons bien hâte de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Je vous remercie tous les deux d’avoir fourni des commentaires à l’avance. Monsieur Slocum, la parole est à vous.

John Slocum, directeur général, Conseil des réfugiés des États-Unis : Merci beaucoup, et bon après-midi. Je vous remercie de m’avoir invité à venir témoigner aujourd’hui. Je suis le directeur général du Conseil des réfugiés des États-Unis, ou RCUSA, qui, tout comme le Conseil canadien pour les réfugiés, est une association-cadre. Dans notre cas, nos membres comprennent 41 organisations nationales sans but lucratif des États-Unis qui défendent les droits des réfugiés et des autres personnes déplacées de force.

Nous sommes essentiellement l’homologue américain du Conseil canadien pour les réfugiés, et c’est un honneur de témoigner ici aux côtés de ma collègue du Canada.

Je vais profiter de mon temps de parole pour donner un aperçu général des derniers développements concernant la politique des États-Unis sur les réfugiés, et je serai ravi de parler de manière plus approfondie et détaillée de toute question qui sera soulevée, mais je veux tout d’abord m’en tenir à un aperçu général.

Le nombre d’admissions de réfugiés aux États-Unis, comme vous le savez sûrement, a radicalement diminué sous l’administration Trump. Chaque année, le plafond d’admission de réfugiés était abaissé par rapport à l’année d’avant, et il a atteint son niveau le plus bas, soit 15 000, à l’exercice 2021. Durant plusieurs années, le Canada a admis plus de réfugiés aux fins de réinstallation que les États-Unis.

L’administration Biden a renversé la tendance, en rétablissant avec vigueur le système américain de réinstallation des réfugiés et en introduisant d’importantes innovations, y compris un nouveau programme de parrainage par le secteur privé, grandement inspiré du modèle canadien.

Durant l’exercice 2024, qui a commencé le 1er octobre, le président Biden a fixé le plafond d’admission de réfugiés à 125 000. C’est le même plafond que les deux années précédentes, mais, pour de nombreuses raisons, le nombre réel d’arrivées durant ces années a été bien en deçà. Cette année, nous pourrions réinstaller près de 125 000 réfugiés.

Entretemps, deux crises internationales consécutives — la chute de Kaboul en août 2021 et l’invasion de la Russie en Ukraine en février 2022 — ont entraîné l’arrivée massive aux États-Unis d’Afghans et d’Ukrainiens déplacés. Ils ne sont pas entrés au pays par le truchement du programme américain d’admission des réfugiés. La plupart ont été admis au pays pour des motifs humanitaires, ce qui leur accorde un statut juridique et un permis de travail de deux ans, sans leur offrir une voie d’accès à la résidence permanente.

Près de 90 000 Afghans sont entrés aux États-Unis par le truchement de ce que l’on appelait l’opération Allies Welcome. La plupart ont reçu essentiellement les mêmes prestations que les réfugiés réétablis. Cela a favorisé la reconstruction des infrastructures de réinstallation, mais celles-ci ont également failli dépasser leur capacité.

Pour ce qui est des arrivants de l’Ukraine, on a adopté une approche différente : un programme de parrainage appelé Uniting for Ukraine, qui confie la responsabilité financière initiale des arrivants ukrainiens à un particulier ou à un groupe de parrainage plutôt qu’à un organisme de réinstallation. Au début de 2023, un système de parrainage semblable a été mis en place pour les personnes en provenance d’Haïti, du Nicaragua, de Cuba et du Venezuela. Jusqu’à 30 000 personnes au total de ces quatre pays peuvent entrer chaque mois aux États-Unis et y séjourner pour une période allant jusqu’à deux ans. Je devrais souligner que les personnes qui entrent au pays à l’aide de ces programmes d’admission sous condition ne sont pas considérées comme des réfugiés et n’ont pas à passer par le processus de détermination du statut de réfugié.

En 2023, un mécanisme de parrainage par le secteur privé a finalement été intégré au programme d’admission des réfugiés proprement dit grâce à l’initiative Welcome Corps.

L’une des plus importantes innovations du gouvernement des États-Unis en matière de politique sur les réfugiés est la Safe Mobility Initiative, ou initiative de sécurité des déplacements, dans le cadre de laquelle des bureaux, les Safe Mobility Offices, ou SMO, ont été établis l’an dernier en Colombie, au Costa Rica, en Équateur et au Guatemala. Lorsque des personnes font une demande par l’intermédiaire des SMO, le HCR effectue une évaluation initiale des besoins en matière de protection. Ensuite, pour les personnes qui ne sont pas admissibles à un programme de réinstallation des réfugiés ou à une autre mesure de protection, l’Organisation internationale pour les migrations, ou l’OIM, effectue des vérifications de l’admissibilité à d’autres formes de migration légale, y compris les visas de travail pour les non-immigrants aux États-Unis, au Canada et en Espagne.

Cette initiative s’inscrit dans la politique générale de l’administration Biden sur la gestion de la migration dans l’hémisphère occidental, dont l’objectif principal est de fournir davantage de voies sûres et légales et de décourager la migration irrégulière à la frontière sud des États-Unis.

Cette approche comprend la règle finale sur le contournement des voies juridiques, adoptée en mai 2023, selon laquelle la vaste majorité des demandeurs d’asile doit s’enregistrer au moyen d’une nouvelle application mobile appelée Customs and Border Protection One ou CBP One. En raison de cette règle, il est beaucoup plus difficile pour les personnes qui traversent la frontière entre les points d’entrée ou celles qui n’ont pas d’abord demandé l’asile dans un pays de transit de demander l’asile aux États-Unis. Les défenseurs des droits des réfugiés savent que ces mesures restreignent de manière illégale le droit d’asile territorial. Nous soulignons la nécessité d’élaborer des solutions plus exhaustives allant au-delà des appels simplistes et inapplicables à « fermer la frontière ».

Au cours de l’exercice actuel, le financement destiné aux programmes d’aide aux réfugiés et aux programmes frontaliers des États-Unis a été menacé par des batailles budgétaires partisanes. En mars, le Congrès a finalement adopté deux projets de loi de crédits qui assureront le financement du gouvernement fédéral des États-Unis jusqu’à la fin de l’exercice en cours. En gros, le financement fédéral est maintenu pour les programmes clés destinés aux réfugiés, mais il est beaucoup moins élevé que les besoins, et il n’y a aucune autorisation permanente pour les prestations d’établissement destinées aux nouveaux arrivants afghans et ukrainiens.

Cela met fin à ma déclaration officielle, et je répondrai volontiers à vos questions.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Slocum et madame Sreenivasan. Nous allons passer aux questions des sénatrices.

La sénatrice Simons : Madame Sreenivasan, je voulais commencer par vous. Je suis curieuse, parce que, lorsque j’étais journaliste, j’ai souvent écrit sur les questions de l’immigration et des réfugiés, et j’aimerais beaucoup savoir comment la tendance a évolué au fil du temps en ce qui concerne les personnes qui présentent des demandes d’asile en raison de crises internationales de tous genres.

Pouvez-vous donner au comité une idée des principales provenances des gens qui présentent des demandes d’asile; je ne parle pas des gens qui sont réinstallés par l’intermédiaire du HCR, mais de ceux qui présentent une demande d’asile à la frontière ou à l’aéroport. D’où viennent-ils, principalement?

Mme Sreenivasan : Les demandeurs d’asile viennent d’une foule de pays. Surtout du Mexique, cette année. Ils viennent aussi de la Turquie, de l’Inde, de l’Iran, de la Colombie, d’Haïti et de l’Afrique subsaharienne. Il y en a un certain nombre. Si vous regardez les listes par pays de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, la CISR, vous le constatez en voyant les chiffres. Je les ai consultées juste avant de venir ici.

La sénatrice Simons : Vous dites que les trois quarts de ces demandes d’asile sont acceptés. J’imagine que cela varie grandement selon le pays source.

Mme Sreenivasan : Cela varie au sein même des pays sources. Je dirais également que, si vous revenez quatre ou cinq ans en arrière, vous constaterez que, en général, la grande majorité des demandes sont acceptées. Pour que les choses soient claires, au plus bas, les deux tiers des demandes étaient acceptés, et jusqu’au trois quarts des demandes étaient acceptées. L’an dernier, ce taux était de 72 %. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la grande majorité de ces personnes... et c’est en fait très difficile d’être admissible au statut de réfugié. Il y a cinq critères stricts... vous hochez la tête. Vous le savez très bien. Il y a cinq critères. Je n’ai pas sous la main les différents taux d’admission de différents pays. Cela est également facile à discerner, alors je peux vous revenir là-dessus et vous fournir certains chiffres. Mais, dans l’ensemble, dans un contexte où 72 % des demandes sont acceptées, les variations entre les pays ne seront pas importantes.

La sénatrice Simons : Je voulais poser une question à vous et à M. Slocum; je ne veux pas m’avancer sur le résultat, mais, si Trump remporte les élections cet automne... Je me souviens que, la dernière fois, cela avait eu des conséquences dramatiques pour les personnes qui venaient ici pour présenter une demande d’asile, surtout les personnes venant de pays musulmans qui étaient entrées légalement aux États-Unis et qui soudainement n’avaient plus aucun endroit où aller.

J’aimerais que vous nous disiez quelles répercussions auraient, selon vous, un changement de régime sur l’évolution du nombre de demandes d’asile et sur les pays sources de ces demandeurs d’asile, des personnes qui, comme avant, se trouvaient déjà aux États-Unis et seront peut-être obligées de partir.

Mme Sreenivasan : Une grande partie de moi ne veut pas s’aventurer sur ce terrain parce que je ne veux pas penser de cette manière. M. Slocum sourit.

De toute évidence, nous ne pouvons connaître l’issue. Selon les témoignages précédents, les violations des droits de la personne, par exemple, en détention, se poursuivent. Ces violations étaient importantes sous l’administration Trump, mais elles se sont poursuivies sous l’administration Biden. Si les pressions s’exacerbaient — il s’agit moins des pays sources —, je dirais que l’une des conséquences serait une augmentation des passages aux frontières terrestres, ce qui compliquerait davantage l’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, qui pousse déjà les gens à emprunter des routes dangereuses. Je sais que vous en avez parlé, mais je crois que ce sera l’une des tendances à noter.

En général, nous avons observé une baisse des arrestations entre les points d’entrée depuis l’élargissement en mars dernier, parce que les choses se sont compliquées. Nous savons que des personnes se sont cachées ou ont perdu la vie en tentant de traverser la frontière par la rivière ou la forêt. C’est le genre de choses que je m’attends à voir augmenter.

Si un changement de président a des répercussions encore plus fortes sur la gestion de la frontière, il faut s’attendre à voir augmenter le nombre des arrivants en provenance d’Amérique latine. Je tiens à préciser que, souvent, les demandeurs d’asile qui arrivent d’Amérique latine ne sont pas originaires d’Amérique latine. Bon nombre de ces demandeurs viennent de pays asiatiques et africains et ont fait un voyage périlleux, en empruntant des passages difficiles comme le bouchon du Darién — je suis certaine que vous en avez entendu parler —, et ils cherchent à venir au Canada parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité. Je crois que c’est le genre de passages frontaliers terrestres qui risquent d’augmenter.

Monsieur Slocum, je ne sais pas si vous avez des commentaires à faire sur d’autres types de tendances.

M. Slocum : Merci. Je pourrais peut-être faire quelques commentaires généraux. Tout d’abord, je suis un peu plus optimiste en ce qui concerne la direction que prendra le pays sous la prochaine administration présidentielle, mais ce n’est pas le sujet de cette séance.

Des leçons ont été retenues des deux côtés. Pour ce qui est des membres du personnel d’une probable deuxième administration Trump, ils ont appris à appliquer de manière beaucoup plus efficace certaines des mesures restrictives adoptées la première fois. Par exemple, je m’attends à ce qu’ils rédigent les décrets de manière plus minutieuse, entre autres choses. Mais, en même temps, nous, les membres de la société civile, ne nous faisons pas d’illusions et sommes préparés à lutter sans répit contre les restrictions au droit de demander l’asile, contre le genre de restrictions en matière d’immigration dont parle actuellement le candidat Trump, lesquelles sont criblées de références aux pays acceptables et non acceptables, dans un discours très axé sur la race d’origine.

Cela étant dit, ces dernières années, le droit d’asile a été accordé en grande majorité aux demandeurs d’asile originaires d’Amérique latine, de Cuba, du Venezuela, d’Haïti, du Guatemala, de la Colombie et du Honduras. Ce sont les principaux pays d’où sont arrivés les réfugiés ces dernières années. Étant donné que bon nombre de ces pays sont visés par le nouveau programme d’admission sous condition — cela concerne les Cubains, les Haïtiens, les Nicaraguayens et les Vénézuéliens —, je présume que bon nombre des personnes se trouvant déjà dans le pays en vertu de ces programmes se sentiront vulnérables et que les pressions seront fortes pour qu’elles soient expulsées, en toute franchise, sous une deuxième administration Trump. Je crois que c’est tout d’abord de ces pays d’origine qu’arrivera un plus grand nombre de réfugiés au Canada.

La sénatrice Simons : Ces renseignements sont très utiles. S’il y a une deuxième série de questions, j’aimerais y revenir.

La présidente suppléante : Merci. Cela était, en effet, très utile. J’aimerais demander des précisions à M. Slocum, puis poser une question sur les recommandations que vous aimeriez que l’on fasse.

En fait, je demande des précisions sur le programme d’admission sous condition. Ce n’est pas la première fois que les États-Unis offrent ce type de programmes d’admission sous condition. Qu’est-il advenu des personnes qui sont restées aux États-Unis durant deux ans, puis obtiennent une prolongation ou non? Que leur arrive-t-il? Où vont-elles?

M. Slocum : C’est une bonne question, à laquelle je ne peux pas répondre en donnant le contexte historique. Les gens qui travaillent dans le domaine de la réinstallation ont vivement défendu la cause des Ukrainiens en demandant qu’ils entrent au pays au moyen d’un mécanisme destiné aux réfugiés plutôt que par l’intermédiaire d’un programme d’admission sous condition pour des motifs humanitaires. Mais ils ont été admis sous condition pour de nombreuses raisons, en premier lieu la sensibilité des ressortissants ukrainiens et de la diaspora ukrainienne, selon qui l’octroi du statut de réfugié aurait été considéré comme une reconnaissance de la victoire par des envahisseurs russes.

Dans le passé, les États-Unis ont fourni des programmes de grande envergure de rectification du statut aux réfugiés de l’Asie du Sud-Est et de l’ex-Yougoslavie. Il reste aux États-Unis à donner une certaine assurance aux Afghans, en particulier, qui en sont maintenant à leur deuxième prolongation ou renouvellement de leur admission sous condition, étant donné que plus de deux ans se sont écoulés depuis leur toute première arrivée, dans la plupart des cas.

Nous espérons que le Congrès actuel adoptera enfin une loi sur la rectification du statut des Afghans. Il se trouve qu’au moins 38 000 Afghans ont déjà réussi à obtenir l’asile aux États-Unis. L’administration Biden accorde la priorité aux Afghans au chapitre de l’ajustement du statut d’asile, mais, en toute franchise, cela draine des ressources utilisées ailleurs. Il aurait été préférable de mettre sur pied un programme qui leur aurait permis d’accéder plus facilement à un statut permanent.

Pour ce qui est de savoir où ils vont, vous pouvez constater, sachant que des centaines de milliers de personnes ont traversé la frontière et se trouvent déjà aux États-Unis en vertu de différents statuts, que bon nombre d’entre eux restent et resteront au pays, mais cela alimente les forces anti-immigrants. Les gens vivent en conséquence de la précarité tout au long de leur vie, à bien des égards, et sont assurément vulnérables en milieu de travail, puisque les milieux de travail en général sont sous-réglementés et que les gens pensent que les personnes sans statut stable sont facilement exploitables.

La présidente suppléante : Le Canada a collaboré, je crois, très bien avec les États-Unis pour évacuer par avion de nombreux réfugiés afghans vers les États-Unis ou le Canada, et je dirais que c’est une bonne chose.

Le Canada est une puissance moyenne. Nous sommes un petit pays, dans la perspective mondiale, mais nous avons conservé en quelque sorte une réputation démesurée dans le domaine de la réinstallation des réfugiés. Comment pensez-vous que le Canada devrait se servir de sa réputation pour encourager les États-Unis et peut-être d’autres pays à respecter la convention du HCR plutôt qu’à l’abroger, comme nous avons vu faire dans bon nombre de parties du monde? Qu’aimeriez-vous voir dans notre rapport sur le rôle que joue le Canada dans le monde?

M. Slocum : Je partage l’opinion selon laquelle le Canada a, à ce stade-ci, une réputation démesurée bien méritée dans le domaine de la protection et de la réinstallation des réfugiés. Bien sûr, le système canadien est imparfait, mais ses imperfections sont moins importantes que les imperfections des systèmes de ses homologues à cet égard. Pendant que j’y pense — et Mme Sreenivasan a donné un excellent aperçu du rapport récent du Conseil canadien pour les réfugiés —, notons la notion même selon laquelle le droit canadien traite différemment les demandeurs d’asile du point de vue terminologique en les désignant « revendicateurs du statut de réfugié ».

L’une des choses que j’aimerais beaucoup que le Canada continue de mettre en relief dans les forums internationaux est qu’une très grande proportion des demandeurs d’asile sont, en fait, des réfugiés. Ils n’ont peut-être pas été encore reconnus comme tels, mais, particulièrement aux États-Unis, le discours politique à ce sujet s’est terriblement détérioré. Nous n’avons pas vu l’administration Biden défendre avec une ardeur suffisante la notion selon laquelle demander l’asile est légal, en toute honnêteté. C’est une chose.

J’ai parlé de parrainage par le secteur privé. Le Canada est assurément un chef de file mondial à ce chapitre. Cela s’intègre magnifiquement bien dans le système traditionnel de réinstallation. Je crains parfois que cela soit considéré comme une solution de remplacement potentiel du système que nous avons ici, aux États-Unis, et j’espère que, lorsque le Canada parlera de parrainage par le secteur privé, il mettra l’accent sur le fait que cela va de pair avec un système de réinstallation pourvu en ressources et géré par le gouvernement. Je crois que les États-Unis ne sont pas encore tout à fait d’accord avec certains éléments de cette infrastructure, même en ce qui concerne le parrainage par le secteur privé, comme l’idée d’une association de signataires d’entente de parrainage, qui sont une partie importante du système au Canada. Aucun système analogue n’a encore été créé aux États-Unis.

Je crois vraiment que le Canada devrait se préparer à la possibilité de devenir encore une fois le plus grand pays d’accueil au monde. Il devrait encourager les petits pays ou les pays émergents de réinstallation à continuer de renforcer et étendre leurs programmes. Lors d’une récente réunion internationale, on a noté que ce sont les petits pays qui procèdent à la réinstallation; à ce stade-ci, cela concerne 40 % de tous les réfugiés du monde. Chaque pays joue un rôle à ce chapitre, et le Canada peut continuer à faire exercer un leadership à cet égard.

Je vais en rester là, mais je pourrais donner quelques autres exemples, si vous voulez.

La présidente suppléante : Je vais poser la même question à Mme Sreenivasan. Je sais que vous composez avec les nombreuses imperfections de notre système, et nous le reconnaissons, mais, en mettant de côté le contexte canadien et notre réputation de chef de file mondial dans ce domaine, quelle recommandation voudriez-vous voir dans le rapport portant sur le rôle que peut jouer le Canada pour convaincre les autres pays de se conformer à la convention du HCR et d’admettre que les demandeurs d’asile sont des réfugiés et qu’ils ont le droit de présenter une demande et d’être entendus?

Mme Sreenivasan : On attribue d’importantes choses au Canada. C’est toujours un défi intéressant quand nous nous retrouvons en compagnie de nos collègues américains, de cerner, par comparaison, ce qui ne va pas trop mal. Nous devons vraiment établir le seuil de ce qui est acceptable et de ce qui est en notre pouvoir au lieu de comparer notre rendement à celui des autres.

Par exemple, ce qui fait la force du système de réinstallation des réfugiés du Canada, ce sont les éléments et la nature du système : la résidence permanente dès l’arrivée; un soutien complet à l’établissement; la collaboration avec la société civile, en reconnaissance du rôle clé que jouent les groupes communautaires au chapitre de l’installation et de l’intégration des réfugiés, et le message envoyé à la population concernant le rôle, la valeur et l’importance des réfugiés.

Ce dont je suis vraiment fière, c’est que, lorsque nous créons des programmes, comme nous l’avons fait pour la Syrie et l’Ukraine, les Canadiens sont encouragés et poussés dans la bonne direction parce que leur gouvernement parle en termes concrets des possibilités et de la contribution que peuvent apporter les réfugiés. Cela nous rend fiers d’être une terre d’accueil.

Il est très important que le Canada s’exprime sur la nécessité de maintenir et de construire plutôt que de contribuer à miner l’appui de la population.

Toutefois, à ce stade-ci, il nous est très difficile de parler des leçons retenues. Je dis cela parce que nous voyons de plus en plus un genre d’opportunisme, où l’on rejette sur les immigrants et les demandeurs d’asile la responsabilité de problèmes sociaux qui remontent à des décennies. Donc, quand je dis que, ce qui est bien au Canada, c’est la nature qualitative de son système, nous avons un manque à gagner du point de vue quantitatif. Nous avons en fait beaucoup de mal à parler de l’échiquier mondial, à l’exception de deux autres pays riches qui ne pratiquent pas la réinstallation. Mais nous ne pouvons pas parler de l’Allemagne, de la Jordanie ou du Liban. Nous venons tout juste de sortir d’un forum mondial sur les réfugiés, à Genève, auquel nous avons participé en tant que leader mondial dont les objectifs de réinstallation sont en baisse, alors que les crises mondiales augmentent et que le dirigeant du HCR a imploré la communauté internationale de reconsidérer le partage du fardeau.

Le Canada a assez de fonds pour discuter avec les autres pays de l’OCDE de la manière la plus adéquate de partager le fardeau, mais il devrait s’inclure dans la conversation. Une telle humilité serait fructueuse. On attribue au Canada le mérite d’être ouvert à la réinstallation plus que les autres pays, mais il n’est pas très emballant de recevoir des éloges parce que l’on est au premier rang d’un groupe de retardataires.

Nous devons réfléchir à l’ampleur des crises mondiales dont nous sommes témoins et au rôle beaucoup plus important que le Canada peut jouer pour déterminer comment le système international peut soutenir le partage du fardeau, ce qui supposerait d’augmenter nos propres cibles quantitatives de réinstallation. Nous devons nous poser des questions difficiles sur la manière de conserver ce qui est, en fait, un atout presque sans équivalent ailleurs, c’est-à-dire une population canadienne qui perçoit encore aujourd’hui sous un jour très positif les réfugiés et les immigrants. Nous perdrions cet atout à nos risques et périls.

Le gouvernement actuel en est très conscient et réfléchit très fort à la manière de transmettre ses messages, et il a été un chef de file pour ce qui est d’envoyer des messages positifs. Je crois que le gouvernement n’a pas été à la hauteur cette année, qu’il soit question d’intervenir à Gaza ou de toute la question des demandeurs d’asile, de façon générale.

Vous avez raison, monsieur Slocum, de dire que le droit à l’asile existe au Canada, mais il est en fait moins facile de savoir si les dirigeants gouvernementaux sont engagés à cet égard. L’une des raisons pour lesquelles on délivre des visas aux Mexicains, c’est que, dans certains cas, on estime que leur situation n’est pas réelle.

Donc, soit vous avez le droit de faire valoir un droit, soit vous ne l’avez pas. Si vous défendez le droit à l’asile, vous devez alors offrir aux gens la possibilité d’avoir une audience équitable.

Je m’aventure sur un terrain glissant en répondant à cette question, mais j’espère que cela a été utile.

La sénatrice Petten : J’écoutais M. Slocum, et il disait que les États-Unis adoptent certaines nouvelles approches du conseil des réfugiés des États-Unis pour soutenir et intégrer les réfugiés et les demandeurs d’asile. Est-ce que l’une de ces approches serait bénéfique pour les Canadiens? Si oui, y a-t-il quelque chose dont le Canada devrait s’inspirer, parmi les approches utilisées par les États-Unis, pour améliorer son système?

M. Slocum : Tout d’abord, je devrais peut-être souligner que le Conseil des réfugiés des États-Unis, le RCUSA, n’est pas en soi un fournisseur de services. Toutefois, nous avons, ainsi que nos membres, soutenu certaines innovations. Une des innovations actuellement mises en œuvre par le gouvernement des États-Unis est un programme virtuel de réception et de placement. Cette mesure vise à composer avec le nombre croissant non seulement de réfugiés, mais également de détenteurs de visa spécial d’immigrant venant de l’Afghanistan, qui appartiennent à une catégorie distincte. Les États-Unis pourraient accueillir jusqu’à 40 000 personnes, au titre de cette catégorie, au cours du présent exercice. Cela exerce une pression sur les ressources dont dispose la communauté de réinstallation, en toute franchise.

On tente actuellement de fournir autant de services que possible par vidéo et à distance.

Les États-Unis et le Canada ont été innovateurs, ces dernières années, pour ce qui est de faire dans le domaine des politiques publiques la promotion de l’importante participation des réfugiés dans les sphères politiques. Le Réseau consultatif pour les réfugiés du Canada et, désormais, son pendant américain, le United States Refugee Advisory Board, se sont fixé pour objectif de s’assurer que les personnes qui ont vécu l’expérience sont au cœur de la discussion. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire, mais soulignons que le United States Refugee Advisory Board est parvenu à collaborer avec notre département d’État pour afin qu’un conseiller en matière de réfugiés fasse partie de chaque délégation importante aux réunions du HCR auxquelles ont participé les États-Unis ces deux dernières années.

Enfin, bien que le RCUSA ne soit pas à proprement parler un fournisseur de service, nous travaillons en ce moment avec l’un de nos organismes membres sur un projet visant à élaborer des mesures de réussite de l’intégration plus perfectionnées et plus réactives. Selon la législation américaine, l’autonomie économique précoce serait essentiellement le seul critère de la réussite de réfugiés réétablis. En apparence, cela est tout à fait insuffisant. Nous avons donc élaboré un ensemble d’indicateurs que nous mettons actuellement à l’essai à l’aide d’un sondage pilote.

Je pense que la co-conception de ce projet, comme de nombreux autres, avec la participation des personnes ayant une expérience vécue, celles-ci dirigeant le projet au plus grand nombre d’égards possibles, c’est vraiment vers ce quoi nous nous dirigeons dans la société civile, et nous en parlons couramment dans des contextes internationaux et encourageons d’autres pays à faire la même chose.

La sénatrice Petten : Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Mme Sreenivasan : Je pense que, si j’ai bien compris votre question, vous demandez s’il y a aux États-Unis des pratiques que nous pouvons...

La sénatrice Petten : Oui.

Mme Sreenivasan : À mon humble avis, je pense que je n’ai pas assez bien suivi ce dossier, donc je ne suis pas sûre... Je suis sûre qu’il y en a, en fait. En toute honnêteté, je n’en ai aucun doute, parce que nous échouons à bien des égards, mais je ne peux rien répondre dans l’immédiat.

La sénatrice Petten : Je me demandais... l’autre question qui m’est venue en tête quand j’ai entendu M. Slocum dire que le Canada pourrait être considéré comme l’endroit dans le monde où il y a le plus de réfugiés réinstallés... je me demande ce que cela vous fait d’entendre ça. Pensez-vous que cela pourrait refléter la réalité?

Mme Sreenivasan : Que le Canada est l’endroit où il y a le plus de réfugiés réinstallés? Oui.

La sénatrice Petten : Oui. Que le Canada pourrait être reconnu comme l’endroit où il y a le plus de réfugiés réinstallés au monde.

Mme Sreenivasan : Nous réinstallons actuellement plus de réfugiés, et sommes donc déjà désignés ainsi, le plus important parmi les pays nordiques de l’OCDE. Nous avons un très grand programme de réinstallation comparativement à d’autres pays, mais de façon générale, il est très petit et il rétrécit.

La sénatrice Simons : Madame Sreenivasan, vous me faites penser à une conversation que j’ai eue il y a quelques années avec des hauts commissaires de pays de la CARICOM. À l’époque, j’étais membre du Groupe d’amitié parlementaire Canada-CARICOM, et nous étions censés discuter d’immigration. Je pense que nous du côté canadien croyions que nous parlerions d’immigrants et de réfugiés provenant des pays de la CARICOM jusqu’au Canada. Ce dont ils voulaient parler, c’était le fait que certains des petits pays des Caraïbes ont été envahis par des réfugiés du Venezuela, un problème dont je n’étais pas au courant. Je pense que nous nous faisons parfois prendre : nous nous comparons avec les États-Unis comme unique point de référence, et ce n’est évidemment pas la seule partie du monde où cela se produit.

Je voulais poser à M. Slocum une question en adoptant un point de vue différent. Encore une fois, je pense que cela fait partie de notre sentiment canadien d’autosatisfaction, à savoir que nous imaginons que tout le monde veut venir ici, alors que nous voyons des rapports émanant des États-Unis selon lesquels un nombre croissant de gens viennent au Canada comme moyen pour entrer aux États-Unis. Et lorsque le candidat Trump a commencé à parler de construire un mur, je pense que beaucoup de Canadiens ont ri, disant merci, nous ne souhaitons pas aller chez vous.

Mais je m’inquiète par rapport à l’idée selon laquelle un nombre croissant de gens utilisent le Canada comme moyen détourné pour entrer aux États-Unis. Je me demandais, monsieur Slocum, si vous pouviez parler un peu de ce sujet. Traditionnellement, la circulation est toujours partie du Sud, de l’autre côté de la frontière mexicaine, mais l’on observe un nombre de plus en plus nombreux de demandeurs d’asile ou, comme nous les appelons, de migrants irréguliers, qui viennent du Canada pour aller aux États-Unis... est-ce que cela est exagéré pour des raisons politiques?

M. Slocum : À l’heure actuelle, je n’ai pas accès à des statistiques à ce sujet. Même de façon anecdotique, j’en ai entendu si peu parler que cela ne fait pas... Je suis sûr qu’il y a des acteurs politiques dans notre pays qui trouveront des preuves anecdotiques laissant croire qu’il s’agit d’une tendance, mais je ne le sais tout simplement pas, et j’hésiterais donc à en parler.

La sénatrice Simons : C’est l’une des raisons, selon moi, qui ont été données lorsque le Canada a rétabli les visas pour les citoyens mexicains, soit cette idée qu’ils ne voulaient pas que les gens utilisent le Canada comme porte dérobée pour entrer aux États-Unis.

Je serais donc curieuse de savoir, madame Sreenivasan... Peut‑être que je pourrais retourner la question en vous demandant si les Américains commencent à rendre la frontière plus difficile à traverser dans l’espoir d’empêcher les demandeurs d’asile réels ou imaginaires de traverser la frontière canadienne; quels sont les effets de cette mesure sur les gens qui essaient d’entrer au Canada? Comprenez-vous ce que je veux dire? Nous présupposons toujours que les gens veulent venir ici et rester, et je pense que nous sommes presque toujours un peu blessés de comprendre qu’ils nous utilisent seulement comme façon détournée d’entrer aux États-Unis.

Si cette frontière devient moins poreuse, toutes sortes de répercussions commerciales entrent en jeu, mais qu’en est-il des répercussions pour la circulation des réfugiés?

Mme Sreenivasan : Merci beaucoup. Il y a beaucoup d’éléments. J’étais en train de consulter mes statistiques. Je ne les ai pas apportées, mais nous avons vu des statistiques récentes du gouvernement américain concernant le nombre d’arrestations à la frontière nordique. Ce nombre a augmenté pour ce qui est du nombre de personnes qui essaient de traverser du Canada vers les États-Unis, mais il est minuscule par rapport aux pressions exercées sur la frontière du Sud, et cela ne reflète vraiment que l’échec des politiques à cette frontière.

Les gens essaient de rejoindre des membres de la famille aux États-Unis, et en principe, dans le contexte de la mobilité des personnes et des efforts faits pour les retrouver, c’est à la fois prévisible et compréhensible, et je ne pense pas que les Canadiens doivent être offensés ou surpris.

La plus grande préoccupation, c’est que dans le contexte de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, ou ETPS, les personnes qui ont essayé de traverser la frontière se sont encore une fois retrouvées exposées à un grand danger. En janvier dernier, il y a eu le cas de la femme enceinte mexicaine de 30 ans qui essayait de rejoindre son époux aux États-Unis et est décédée pendant qu’elle essayait de traverser la frontière. L’idée générale de l’ETPS demeure, à mon avis, une question importante.

Je ne pense pas vraiment que les cadres de la porte avant ou de la porte arrière soient utiles, car je crois que l’on doit pouvoir frapper aux portes et demander l’asile et que l’on a besoin d’une audience équitable, et qu’il faut recevoir une réponse dans un délai raisonnable.

En fait, ce que j’ai vérifié, c’est que le pourcentage de demandes d’asile mexicaines qui ont été retirées ou abandonnées — ce qui signifie que les personnes se sont présentées au Canada, ont commencé à établir une demande d’asile, mais l’ont abandonnée — ne représentait que 7 % des cas déférés à la CISR en 2023.

L’écrasante majorité des Mexicains qui arrivent au Canada essaient de faire accepter leur demande au Canada. Je pense que c’est un autre contexte important.

La sénatrice Simons : Nous parlons de citoyens mexicains, non pas des gens qui...

Mme Sreenivasan : De ressortissants mexicains.

La sénatrice Simons : D’accord. Alors j’ai une autre question pour vous. Vous avez fait allusion au fait que le Canada se soit longtemps enorgueilli du fait — que cela soit exact ou non — qu’il pense être ouvert aux réfugiés. Ma mère est venue dans ce pays en tant que réfugiée, et c’est pourquoi cette question m’a toujours tenu à cœur.

Mais je m’inquiète du fait que, alors que le discours politique au Canada change... Je veux dire, j’ai parlé de changements de gouvernement là-bas, mais nous devons réfléchir à ce que cela signifie ici également.

Dans quelle mesure est-il important que notre système de protection des réfugiés fonctionne rondement pour qu’il ne puisse pas être utilisé comme moyen pour semer la division politique? Parce qu’il me semble que nous accueillons les réfugiés tant et aussi longtemps que nous pensons que le système fonctionne correctement pour eux, et si les réfugiés ne reçoivent pas le soutien nécessaire, c’est là qu’il y a une réaction brutale.

Mme Sreenivasan : Je suis on ne peut plus d’accord avec vous. Je pense que le danger est important. Au cours de la dernière année, je ne pense pas que nous ayons vu de changements importants dans les valeurs des Canadiens pour ce qui est de leur intérêt à être ouverts et à fournir une sécurité. Mais on leur répète constamment que les demandeurs d’asile qui viennent au Canada provoquent une crise. Lorsque vous dialoguez véritablement avec les Canadiens, vous voyez que ce ne sont pas les demandeurs d’asile qui les préoccupent. Ce qui les préoccupe, ce sont les personnes qui finissent par se retrouver dans la rue, dans les refuges, l’impression qu’il y a un désordre, qu’il n’y a pas de plan, et ils ont tout à fait raison à ce sujet.

En ce qui concerne les recommandations de la part du comité, il est incroyablement important que le Canada mette de l’ordre dans son système de détermination du statut de réfugié. Nous possédons toutes ces compétences et ce savoir-faire, et nous dépensons en fait d’énormes sommes d’argent pour des mesures d’urgence à court terme. Le ministre annoncera en janvier qu’il fournira de l’aide à l’Ontario et à la Ville de Toronto pour héberger des demandeurs d’asile, et l’argent sera épuisé le 31 mars. Encore une fois, c’est faire l’autruche. Nous savons qu’il n’y a rien à propos du 1er avril. Cela ne signifie pas que les demandeurs d’asile vont continuer de venir.

Ce que nous n’avons pas réussi à faire, c’est rediriger l’argent dépensé dans des mesures d’urgence coûteuses vers des solutions qui fonctionnent vu le volume de demandeurs d’asile que nous constatons. Nous avons les systèmes en place. Nous disposons des organisations de la société civile avec des modèles de refuge transitoire. Nous savons que nous avons besoin de centres de réception. Nous devons offrir le service de soutien à la réinstallation auquel le demandeur finira par être admissible, mais plutôt que d’attendre deux ans pour qu’il reçoive une réponse positive à l’issue de son audience et n’en ait plus besoin, il faut lui donner au début quand il en a besoin.

Vous verrez, et c’est démontré — à maintes reprises, nous le voyons — les demandeurs d’asile sont alors prêts à réussir. Ils ont de l’aide pour remplir leurs documents. Les documents sont remplis correctement la première fois, en temps opportun. Ils reçoivent de l’aide pour obtenir un permis de travail. Ils trouvent un emploi. Ils déménagent du logement à court terme dans le logement transitoire à long terme, souvent un logement communautaire.

Avec toute cette aide, nous pouvons — à une fraction du prix, soit le tiers ou le quart du coût que nous dépensons pour des mesures d’urgence et des hôtels — héberger et soutenir les demandeurs d’asile. Nous atténuerons les pressions qui s’exercent sur les refuges municipaux. Nous aurons de meilleurs résultats. Nous économiserons de l’argent et sauverons des vies. Les Canadiens nous féliciteront si nous faisons cela.

Il est très important pour nous de reconnaître le besoin de formaliser et de configurer le reste du système. Nous avons essentiellement un processus d’audience avec la CISR, mais ne disposons d’aucun autre système pour nous occuper des demandeurs d’asile. Cela entraîne des résultats pervers.

Si nous pouvions le faire, il serait plus difficile d’instrumentaliser les résultats que nous constatons par ailleurs. Cela renforcera la fierté des Canadiens et contribuera à préparer les futurs Canadiens à la réussite.

La présidente suppléante : J’aimerais maintenant passer au contexte multilatéral. Si imparfaite qu’elle soit, la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies de 1951 est la convention dont nous disposons qui définit qui est un réfugié, qui ne l’est pas, et cetera. Les États membres des Nations unies ont signé la convention, mais, petit à petit, ils s’en éloignent de différentes façons. On peut penser au Royaume-Uni, à l’Italie, à la Libye, à la Turquie, à l’Australie et aux États-Unis, en partie.

Ma question est la suivante : premièrement, pensez-vous que la convention est adaptée à l’époque actuelle, en gardant à l’esprit qu’elle a été créée après la Seconde Guerre mondiale? Deuxièmement, si elle est adaptée, que peut faire le Canada pour souligner et rappeler l’ordre mondial par l’intermédiaire de cette convention?

Il y a 110 millions de personnes déplacées dans le monde aujourd’hui. Nous avons besoin d’ordre plutôt que de chaos.

Mme Sreenivasan : J’aimerais connaître les réflexions de M. Slocum sur la convention également. Allez-y si vous voulez commencer.

M. Slocum : J’ai deux ou trois observations.

La convention est-elle adaptée? Un régime qui a été mis en place au beau milieu du 20e siècle... Il est invraisemblable de penser qu’il sera aussi adapté lorsque nous arriverons au milieu du 21e siècle.

Les décideurs, les universitaires, les praticiens dans ce domaine doivent réfléchir activement à la façon dont ce système doit bouger et à ce qui peut être fait pour faire fléchir les tendances afin de les amener dans une direction qui soit meilleure, et non pire.

Un bon exemple est le déplacement climatique, qui n’est pas couvert dans la convention. Nous savons que c’est une réalité et que cela est associé à beaucoup de problèmes sur le plan des définitions, de sorte qu’il est difficile de chiffrer le phénomène. C’est quelque chose qui, néanmoins, peut-être par l’accumulation de normes non contraignantes, mais peut-être surtout grâce à des avancées notables dans la législation contraignante, dans des pays clés... il sera de plus en plus important de trouver de bonnes voies humanitaires pour les personnes déplacées en raison du climat.

Il semble invraisemblable qu’une telle législation puisse être adoptée aux États-Unis à l’heure actuelle, or un certain nombre de nos représentants au Congrès américain ont coparrainé la loi sur les personnes déplacées en raison du climat, qui a été réintroduite sous une forme améliorée en novembre 2023. Cela vaut la peine de l’examiner comme exemple de ce qui est possible en ce sens.

Le nombre de pays qui ont adopté des lois est nettement insuffisant. Je pense que l’Argentine a un programme de visa humanitaire pour des raisons climatiques. Je n’en connais pas beaucoup d’autres.

Le problème selon moi tient à la diffusion transnationale d’attitudes nationalistes. Je ne sais pas comment nous en arrivons là, parce que je pense que c’est symptomatique de la phase actuelle de l’économie politique mondiale autant que le reste, où le capitalisme racisé mondial renforce le genre d’inégalités dont on a parlé avec les témoins précédents, pour ce qui est de savoir qui peut se déplacer dans le monde et dans quelles circonstances, chose pour laquelle l’arène multilatérale — parce qu’il s’agit d’une initiative dirigée par les États — n’est peut-être pas l’endroit idéal.

Ceux d’entre nous qui s’expriment dans cette arène peuvent sans cesse signaler que nous parlons du déplacement mondial de personnes. Il convient d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une aberration; c’est une partie nécessaire de l’existence humaine.

Que ce soit pour des raisons humanitaires ou économiques, ou pour la réunification familiale, il y a des raisons légitimes pour lesquelles les gens doivent et devraient se déplacer, et les avantages de ces déplacements s’accumulent pour un très grand nombre de parties.

Je ne sais pas comment inverser le cours de cette diffusion transnationale d’idées très réactionnaires et ultranationalistes infusées de concepts racisés de l’État-nation, qui semblent prendre de l’ampleur dans un très grand nombre de régions du monde.

Mme Sreenivasan : Je m’en allais dans une direction similaire. J’étais en train de me demander si nous devons corriger et changer la convention relative aux réfugiés ou si nous avons besoin d’autres instruments.

Certes, je pense que le contexte que nous examinons à l’heure actuelle est celui que vous avez nommé, madame la sénatrice Omidvar, à savoir que 110 millions de personnes sont déplacées de force, ce qui s’ajoute aux raisons habituelles pour lesquelles les gens se déplacent. La question de savoir comment les personnes sont déplacées de force est maintenant plus diffuse que dans les cinq définitions originales de la convention relative aux réfugiés.

Le leadership intéressant que nous avons également observé de la part du HCR vise à ce que la communauté internationale ait une conversation quant à l’obligation de faciliter des voies sûres pour les personnes qui font face à un déplacement forcé — reconnaissant qu’il y a de multiples motivations et causes à cela, le climat en étant une, absolument — et afin d’imaginer la série d’outils et d’instruments internationaux qui sont possibles pour le soutenir.

L’autre aspect parfois oublié de la discussion est l’importance de s’attaquer aux causes profondes. C’est l’autre élément critique d’une discussion au sujet de l’augmentation du nombre de déplacements, reconnaissant ce que sont les moteurs et l’obligation de pays comme le Canada d’y réagir.

Le gouvernement canadien a beaucoup de travail à faire pour s’attaquer aux causes profondes, dans le contexte aussi bien du climat — également dans le contexte de l’extraction de ressources — que de la responsabilisation des entreprises canadiennes à l’étranger.

C’est une combinaison du travail accru nécessaire pour s’attaquer aux causes profondes et d’une conversation plus systématique à l’échelle internationale au sujet de l’éventail d’instruments qui sont requis. À l’heure actuelle, je ne saurais dire si cela suppose d’apporter des changements à la convention relative aux réfugiés. Mais cela signifie d’apporter des changements à notre façon de gérer et d’assurer la sécurité des personnes qui sont poussées à venir pour diverses raisons.

La présidente suppléante : Je tiens à remercier nos deux témoins. La conversation a été fascinante. Malheureusement, nous devons nous arrêter pour recevoir le prochain groupe d’intervenants et faire une pause de huit minutes afin de les accueillir, mesdames et messieurs.

Merci beaucoup, monsieur Slocum, madame Sreenivasan, de nous avoir éclairés. Si vous avez d’autres réflexions, n’hésitez pas à les envoyer au greffier du comité. Autrement, j’espère que vous verrez certains de vos mots apparaître dans notre rapport final et nos recommandations.

Chers collègues, nous passons maintenant à notre troisième groupe de témoins. J’aimerais présenter nos intervenants. Merci d’être avec nous en personne et en ligne. Nous accueillons Jennifer Bond, fondatrice et directrice générale, Pathways International et présidente, Initiative mondiale de parrainage pour réfugiés; par vidéoconférence, nous recevons Shauna Labman, directrice générale et professeure agrégée, Global College, Université de Winnipeg.

Vous aurez toutes les deux cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire. Comme vous pouvez le voir, nous sommes un petit comité, ce qui veut dire que nous aurons beaucoup de temps pour vous poser des questions, vous sonder et recueillir vos avis. À titre d’information, nous sommes à la recherche de recommandations que nous pouvons intégrer dans notre rapport.

Sur ce, madame Bond, la parole est à vous.

Jennifer Bond, fondatrice et directrice générale, Pathways International et présidente, Initiative mondiale de parrainage pour réfugiés, à titre personnel : Merci, madame la présidente, et honorables sénatrices. Je sais que bon nombre d’entre vous ont fait des efforts particuliers pour être ici aujourd’hui. Je vous en remercie et je vous remercie du privilège de pouvoir m’adresser à vous.

Je vais parler brièvement de trois questions ce soir. La première est l’état d’avancement mondial du parrainage de réfugiés; la deuxième est l’Initiative mondiale de parrainage pour réfugiés; et la troisième est le leadership canadien.

Comme certains d’entre vous le savent, le parrainage des réfugiés est une façon typiquement canadienne d’accueillir les réfugiés. Depuis plus de 40 ans, des millions de Canadiens ont ouvert leurs communautés et leur cœur à des nouveaux arrivants. Bien que notre programme ne soit pas parfait — des améliorations peuvent et doivent être apportées —, nous disposons de beaucoup de données qui nous montrent que le parrainage est une bonne chose pour les réfugiés, pour les répondants et pour les communautés d’accueil. Nous avons également des millions d’histoires de répondants dans des grandes villes et des petites villes d’un bout à l’autre de notre pays. Les répondants sont des organisations confessionnelles, des gens d’affaires, des clubs de marche et des élèves d’écoles primaires. Ils sont répartis partout au pays et revêtent de nombreuses formes différentes. Le parrainage est quelque chose de profondément canadien.

En 2017, l’Initiative mondiale de parrainage de réfugiés, ou IMPR, a été créée pour aider les gouvernements et les ONG à l’extérieur du Canada à présenter leurs propres programmes de parrainage. L’IMPR est un partenariat multisectoriel unique qui réunit le gouvernement du Canada, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, plusieurs organisations philanthropiques du secteur privé et mon organisation à l’Université d’Ottawa.

Notre mandat a été de soutenir des programmes à l’extérieur du Canada, car jusqu’à notre création, le Canada a été pendant des dizaines d’années le seul programme de parrainage au monde. Une année après notre formation, le Pacte mondial sur les réfugiés — qui, je le sais, est un sujet du comité — encourageait explicitement les pays à travailler avec l’IMPR pour concevoir et présenter de nouveaux programmes de parrainage. Depuis, nous avons travaillé dans plus de 20 pays et lancé plus de 30 programmes de parrainage dans le monde entier. Vous pouvez voir sur la carte et dans le tableau que nous avons présenté comme données probantes en prévision de l’audience d’aujourd’hui à quel endroit se trouvent ces différents programmes.

J’ai également soumis comme donnée probante une carte qui vous donne un avant-goût de l’écosystème mondial des acteurs que l’IMPR a aidé à créer. Celle-ci n’est pas exhaustive, mais elle vise simplement à vous donner une petite idée des nombreux types d’intervenants différents répartis partout dans le monde avec qui nous travaillons maintenant pour aider à faire croître le parrainage.

Nous avons beaucoup appris durant toutes ces années au sujet du parrainage avec tous ces gouvernements différents, ONG, bailleurs de fonds et nombreux autres intervenants. Nous avons essayé des choses, et nous avons parfois échoué. Nous avons pris des risques, et avons parfois réussi. Tout comme ici au Canada, aucun de ces programmes n’est parfait. Nous sommes toujours en train d’apprendre. Mais ici aujourd’hui, je peux vous dire que nous sommes en train de nous rapprocher d’un jalon très emballant. Près de un million de personnes ont été parrainées depuis que l’IMPR a lancé ses activités. Cela signifie que des millions de répondants partout dans le monde accueillent maintenant activement des nouveaux arrivants comme leurs nouveaux voisins. Ils trouvent et meublent des maisons, inscrivent des enfants à l’école et aident des adultes à trouver des emplois et à s’intégrer dans les communautés locales.

Le programme, en vigueur depuis 40 ans, n’est plus seulement une idée pour les seuls Canadiens.

Je veux prendre un moment pour souligner certains des progrès réalisés aux États-Unis en particulier. J’ai vu la plupart des commentaires formulés par mon collègue, John Slocum, et je pense que ce que je dirai contribuera à son témoignage.

Les États-Unis ont présenté trois programmes de parrainage majeurs au cours des dernières années. Uniting for Ukraine est un programme humanitaire qui a maintenant permis d’accueillir plus de 182 000 personnes. Le programme humanitaire CHNV, destiné aux ressortissants cubains, haïtiens, nicaraguayens et vénézuéliens, a permis à plus de 386 000 personnes d’être parrainées et continue d’accueillir 30 000 personnes par mois. Imaginez cela dans le contexte des chiffres canadiens. Ce sont des chiffres extraordinaires : 30 000 personnes parrainées chaque mois.

Les États-Unis ont également introduit le Welcome Corps, qui, à l’instar de notre propre programme de parrainage privé, permet aux répondants de désigner des réfugiés de partout dans le monde. Ce programme est complètement ouvert depuis la fin décembre, et depuis, plus de 60 000 répondants ont présenté une demande pour aider plus de 35 000 réfugiés de toutes les régions du monde. Encore une fois, cela ne tient compte que des chiffres depuis décembre.

De nombreux experts américains notent qu’il s’agit de la transformation la plus importante du programme de réfugiés des États-Unis depuis plus de 40 ans. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas beaucoup plus de travail à faire. C’est le cas. Beaucoup des programmes et des cartes qui sont devant vous sont fragiles. Ils sont imparfaits. Un grand nombre sont temporaires. Contrairement à ce que l’on voit au Canada, le parrainage n’est pas bien connu au sein de la population générale. Il n’y a pas de réseau robuste de titulaires d’ententes de parrainage ni d’autres experts disponibles pour aider les répondants dans leur cheminement. Il n’y a pas une expérience longue de nombreuses décennies de laquelle on peut s’inspirer. Cependant, nous avons pris un très bon départ à un moment où le système de détermination du statut de réfugié a désespérément besoin de la participation de ces millions de personnes qui les accueillent.

Je tenais à dire quelques mots au sujet de l’IMPR elle-même. Il s’agit d’un partenariat très unique. Comme je l’ai mentionné, il réunit six institutions très différentes. Je serai heureuse de répondre à vos questions si vous voulez plus de détails sur notre travail et ce que nous faisons ensemble, mais je tiens simplement à souligner que ces institutions sont toutes très différentes. Nous avons des mandats différents, des modèles de dotation différents et des profils de risque différents. Ce type de partenariat n’est pas facile. Il représente en fait beaucoup de travail, et c’est particulièrement difficile pour les gouvernements. Je tiens à le reconnaître et je remercie les représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, qui ont rendu ce partenariat très inhabituel possible pendant toutes ces années.

Grâce à son leadership au sein de l’IMPR, le Canada a non seulement contribué à faire connaître le parrainage dans le monde — même s’il l’a clairement fait —, mais il a également montré une façon nouvelle et puissante de renforcer les capacités et de faire de la diplomatie en matière de migration, une façon de faire qui a été saluée par de nombreux gouvernements. Il a également démontré une nouvelle façon d’établir un partenariat — une façon difficile et qui peut réussir. Je souligne que le Groupe de travail mondial sur la mobilité de la main-d’œuvre formée de réfugiés et le Groupe de travail mondial sur les voies complémentaires d’admission par l’éducation dans les pays tiers, qui sont également issus du Pacte mondial pour les réfugiés, s’inspirent directement de l’approche et des travaux multisectoriels de l’IMPR.

Cela m’amène à mon dernier sujet, soit le besoin urgent d’un leadership canadien continu dans le système mondial de protection des réfugiés. En réalité, ce leadership n’a jamais été aussi important. Le système existant n’est pas conçu pour répondre à nos défis actuels. Il ne sert pas les gouvernements, les ONG et les collectivités, et certainement pas les réfugiés.

Le Canada est un acteur essentiel, en partie grâce à sa volonté de diriger et d’innover. Il faut que le Canada soit un pionnier en matière de nouveaux programmes et de nouvelles voies, qu’il adopte de nouvelles idées audacieuses ici chez lui, puis qu’il partage honnêtement ces expériences — les bonnes, les mauvaises et les échecs aussi — avec les autres. Il faut que le Canada continue de faire valoir les types de partenariats public-privé possibles, ce qui permettra d’en maximiser l’incidence. À vrai dire, il faut que le Canada continue également de partager ses expériences en matière de parrainage. Le travail n’est pas encore terminé, mais sept ans après le début de cette expérience, je suis plus convaincue que jamais : le parrainage a le potentiel de réformer en profondeur le système mondial de protection des réfugiés, pour le mieux.

Je terminerai avec quelques chiffres de nos collègues de Destin Commun, qui ont travaillé avec des cabinets de sondage de premier plan dans le monde entier et dont les recherches ont régulièrement montré que le parrainage augmente le soutien du public à l’égard de la protection des réfugiés. Par exemple, 7 Américains sur 10 soutiennent le parrainage — et cela inclut la majorité des électeurs démocrates et républicains. De plus, 26 % des adultes américains, soit environ 50 millions de personnes, souhaitent participer personnellement au parrainage de réfugiés dans leur collectivité.

Nous disposons de données similaires provenant d’autres régions. Au Royaume-Uni, le segment de population le plus opposé à l’accueil de réfugiés dans ce pays, avec une marge d’opposition de 50 points au sein du groupe, s’est transformé en une marge de soutien de trois points. Ainsi, cette marge de 50 points d’opposition passe à trois points de soutien lorsque la notion de parrainage est proposée.

Je vais rester au Royaume-Uni pour mon dernier commentaire. Plus de 145 000 Ukrainiens ont été parrainés au Royaume-Uni dans le cadre du programme Homes for Ukraine. Il s’agit d’un programme de parrainage unique : les répondants doivent héberger les réfugiés dans leur propre maison pendant six mois en raison de la pénurie de logements et des inquiétudes du public concernant l’utilisation de logements pour aider les réfugiés. Nous avons travaillé à la conception du programme. Franchement, j’étais très sceptique quant à la volonté des répondants d’héberger les gens chez eux — sur leur canapé et dans leur chambre d’ami — pendant six mois. Mais cela a fonctionné, et 186 000 Ukrainiens ont été accueillis dans des foyers britanniques et soutenus avec succès par leurs répondants.

Le plus incroyable, selon moi, c’est que les données révèlent que 81 % de ces répondants ont eu une expérience positive, et plus de 50 % ont déclaré qu’ils accueilleraient des réfugiés d’une autre nationalité si on leur en donnait de nouveau l’occasion. À mon avis, cela dénote le potentiel et la puissance de ces programmes, et c’est la raison pour laquelle j’encouragerais le comité à envisager de recommander le leadership continu du Canada dans le partage du parrainage à l’échelle mondiale pour la prochaine phase des travaux.

Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Madame Labman, vous avez la parole.

Shauna Labman, directrice générale et professeure agrégée, Global College, Université de Winnipeg, à titre personnel : Merci de l’invitation à comparaître devant le comité. Je suis l’auteure du livre publié en 2019 aux presses de l’Université de la Colombie-Britannique, intitulé Crossing Law’s Border: Canada’s Refugee Resettlement Program, qui examine la convergence des obligations, des responsabilités et des droits internationaux en l’absence d’un régime juridique qui régit la réinstallation des réfugiés. Je suis également corédactrice du livre publié en 2020, intitulé Strangers to Neighbours: Refugee Sponsorship in Context, qui cherche à expliquer les origines et l’élaboration du parrainage de réfugiés, en prêtant une attention particulière aux conséquences imprévues et aux dilemmes éthiques qu’il engendre pour la politique relative aux réfugiés. Depuis 2007, mes recherches portent sur les obligations juridiques internationales du Canada envers les réfugiés, l’évolution et le fonctionnement du parrainage concernant le programme de réinstallation et de demandes d’asile du gouvernement, ainsi que la promotion du parrainage vers d’autres États.

Un point de départ important, qui sert de prémisse à mes travaux universitaires, est qu’on ne peut examiner le parrainage de manière isolée. Trop souvent, on célèbre les attributs et les avantages du parrainage et on fait la promotion du programme sans accorder suffisamment d’attention à la façon dont le parrainage s’inscrit dans le cadre élargi des admissions à des fins humanitaires et des interventions mondiales touchant les réfugiés. Il faut comprendre le parrainage sur le plan relationnel. En général, les répondants disent qu’il s’agit de la nature complémentaire du parrainage concernant le programme de réinstallation du gouvernement, ce que les répondants appellent communément le principe d’additionnalité.

Je veux préciser : comprendre le parrainage privé sur le plan relationnel signifie également déterminer si et en quoi le parrainage et le programme de réinstallation du gouvernement ont un effet sur l’accès à l’asile, ce qui nous ramène à la table ronde sur l’ETPS à laquelle ont participé Mmes Arbel et Liew. En fait, en 2019, Jamie Liew et moi avons co-écrit un article intitulé « Law and moral licensing in Canada: the making of illegality and illegitimacy along the border »; nous y affirmions que la sanction morale peut expliquer le traitement dichotomique que le Canada réserve aux réfugiés de l’intérieur et à l’étranger, selon lequel l’accès restreint à l’asile est à l’abri des critiques parce que le Canada a apparemment fait sa part du volet humanitaire en réinstallant des milliers de réfugiés à l’étranger, et ce, de plus en plus grâce au parrainage.

Il est important de souligner que la réinstallation, notamment le parrainage, ne sera jamais la solution pour la plupart des réfugiés dans le monde. En fait, c’est une petite pièce du casse-tête qui ne fait pas disparaître le besoin et le désespoir qui poussent les gens à franchir les frontières par leurs propres moyens pour demander l’asile. Il demeure essentiel d’élargir l’accès à la protection. La réinstallation doit toujours s’ajouter à l’asile et non le remplacer; le parrainage et les nouvelles formulations de voies complémentaires doivent s’ajouter aux admissions en vue de la réinstallation plutôt que de concurrencer ou de remplacer le programme de réinstallation du gouvernement.

Au Canada, nous avons constaté une augmentation globale des admissions en vue de la réinstallation, mais également une dépendance croissante à l’égard des répondants pour la plupart de ces admissions. Dans le cadre du programme gouvernemental, il y a eu 7 000 réinstallations tout au long de la première décennie des années 2000, et le nombre de parrainages privés était inférieur à la moitié de ce chiffre, atteignant un sommet de 42 % des réinstallations en 2011. Les chiffres actuels et les admissions prévues sont plus élevés, avec plus de 40 000 admissions en vue de la réinstallation, mais les répondants seraient responsables de près de 65 % de ces admissions.

Les répondants peuvent désigner les personnes qu’ils souhaitent réinstaller, ce qui signifie que les réfugiés parrainés sont souvent connus des Canadiens ou ont déjà des liens avec eux, et c’est ce lien personnel qui oblige les répondants à s’engager. Cela entraîne également un effet d’écho de parrainages ultérieurs de membres de la famille apparentés et de relations, ce qui a sans doute rendu le parrainage si durable au Canada et qui explique pourquoi le Programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas, ou Programme mixte des RDBV, qui ne permet pas la désignation, a connu moins de succès.

Le parrainage crée sans aucun doute des liens communautaires entre les citoyens et les réfugiés, mobilise les citoyens dans la défense des réfugiés et crée un climat d’accueil pour les nouveaux arrivants, mais il faut comprendre que le recours proportionnel changeant au parrainage s’ajoute aux engagements du gouvernement en matière de réinstallation et ne les remplace en aucun cas.

Si l’on examine la population mondiale de réfugiés et l’accès aux solutions, les données des Nations unies montrent que les besoins prévus en matière de réinstallation s’élèvent à plus de 2,4 millions de réfugiés en 2024, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2023. Les recommandations gouvernementales touchant la réinstallation proviennent principalement des Nations unies et concernent des réfugiés au sens de la convention dont la réinstallation est prioritaire. Le parrainage peut s’inscrire dans ces priorités, mais il élargit également les admissions au-delà des réfugiés au sens de la convention, pour les appliquer à une catégorie plus large de personnes protégées à titre humanitaire. Ainsi, la réinstallation fondée sur la protection, dirigée par le gouvernement, garantit une protection pour ceux qui en ont le plus besoin. Cela nécessite un engagement ferme à maintenir le programme de réinstallation du gouvernement tout en facilitant et en encourageant le parrainage et d’autres voies complémentaires et en garantissant l’accès à l’asile sous forme de protection.

Je termine là-dessus; vous pourrez me poser des questions à ce sujet. Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup à vous deux.

La sénatrice Simons : Je vous remercie beaucoup toutes les deux.

Madame Bond, je dois dire que c’était vraiment inspirant. Je ne savais pas que ce travail avait été réalisé, et en tant que Canadienne, je suis émue et fière de penser que nous avons exporté ce modèle. Je comprends également l’argument avancé par Mme Labman : une trop grande dépendance envers la collectivité exerce de fortes pressions sur les groupes de la société civile pour qu’ils intensifient leurs efforts, mais cela a également un effet d’entraînement. Le système de protection des réfugiés devient ainsi un peu inéquitable dans le sens où vous choisissez qui vient, et si vous n’avez pas de cousin germain ou un groupe religieux affilié ou quelque chose du genre, vous avez moins de chance de pouvoir venir, même si votre situation est tout aussi désastreuse.

Vous avez donné l’exemple des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Où avez-vous constaté les plus grandes difficultés liées à la mise en œuvre d’une telle politique, et que pouvons-nous apprendre pour améliorer notre système tout en regardant d’autres pays surmonter les difficultés croissantes que cela entraîne?

Mme Bond : Merci beaucoup. Permettez-moi de revenir sur votre premier commentaire concernant l’équité du système avant de répondre à votre deuxième question au sujet des leçons que nous avons apprises.

La première chose est simplement une question de définition. Sans entrer dans les détails techniques, la formulation du parrainage comme je l’utilise ici inclut les personnes qui parrainent des réfugiés recommandés par le HCR, comme le Programme mixte des RDBV. Je tiens à le mentionner parce que je reviendrai sur certaines leçons apprises concernant les différents types de politiques, mais lorsque j’utilise le mot « parrainage », j’entends en réalité des programmes qui permettent à nos collectivités de se réunir en groupes et de diriger cette initiative d’accueil et d’intégration.

Les politiques varient dans tous ces différents pays. C’est ce qui nous a permis en fait d’apprendre tant de choses. Nous avons vécu l’expérience directe de toutes ces manières distinctes de mélanger et de jumeler des politiques dans différents contextes et différents pays. Toutefois, cela signifie que nous avons tenté, dans passablement de pays européens en particulier, de prendre les capacités de nos collectivités et de les jumeler à un réfugié recommandé par le HCR.

Voilà pour votre remarque sur l’équité. Quant à votre question de savoir si cela représente un fardeau excessif pour nos organisations de la société civile, je suis constamment étonnée — je vous ai donné l’exemple du Royaume-Uni; c’est le plus fort — par le fait que, lorsque vous responsabilisez les répondants, ils font des choses magiques et ils veulent assumer ces responsabilités.

Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire attention à l’infrastructure de la société civile et aux charges qui pèsent sur les organisations dont le rôle est de soutenir les répondants, mais je constate que je sous-estime toujours le pouvoir et l’intérêt des collectivités à prendre part au processus de manière significative.

À titre d’exemple, ici au Canada, nous avons une liste d’attente de deux ans pour les personnes qui cherchent à parrainer des réfugiés. Les groupes de parrainage n’ont donc pas l’impression que nous en demandons trop ou qu’ils ne veulent pas avoir cette occasion. En fait, les gens sont souvent en colère parce que cela prend trop de temps. Ils veulent avoir l’occasion de participer. Des seuils ont été établis. Les programmes sont trop restrictifs. Ils veulent faire l’acte fondamental d’accueillir, et je crois parfois que nous l’empêchons ou que nous nous convainquons que c’est trop demander.

La sénatrice Simons : [Difficultés techniques] qui a une histoire extraordinaire, dont je suis immensément fière, qui remonte aux Vietnamiens — je déteste utiliser l’expression « réfugiés de la mer »... mais les gens qui ont quitté le Vietnam juste après la guerre — et Edmonton a connu pendant des générations les répercussions de ce parrainage.

Normalement, quand les gens d’Edmonton qui sont en colère contre le système m’écrivent, c’est parce qu’ils attendent depuis deux ans que leur personne vienne, qu’ils ont tricoté toutes les chaussettes et qu’ils ne...

Mme Bond : Voilà. Exactement. Je pense que, lorsque nous avons lancé l’IMPR, l’honorable John McCallum, alors ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, siégeait ici et, lors d’une inauguration, il a fait un commentaire qui m’est toujours resté à l’esprit. Il a déclaré qu’il pensait être le seul ministre de l’Immigration au monde contre lequel la population était en colère parce qu’il n’avait pas fait venir suffisamment de réfugiés assez rapidement. Cette déclaration m’a vraiment interpelée.

Nous parcourons la planète, où tout le monde parle de restrictions et invoque des arguments liés aux frontières. Beaucoup d’éléments de notre système divisent les gens, sont compliqués et sont en train de lâcher, et voici un programme qui, si vous parvenez à définir les bons paramètres stratégiques, suscite énormément d’intérêt chez les gens sur le terrain, notre public, qui nous demandent de faire venir davantage de nouveaux arrivants. Nous devrions vraiment réfléchir à la manière d’intégrer ce pouvoir dans le système à un moment où celui-ci est clairement défaillant. Nous avons besoin davantage de programmes de ce genre. Nous avons besoin du soutien de nos collectivités pour accueillir plus de personnes, et je pense qu’il s’agit d’un outil stratégique qui — comme vous le savez, d’après votre propre expérience — est incroyablement puissant pour cette raison.

Nous avons beaucoup appris, et je voudrais donc revenir, si vous me le permettez, à votre question sur les leçons apprises. Première leçon : les responsables des programmes peuvent être réticents à prendre des risques, car ils ne permettent pas aux répondants de faire ce que les répondants savent faire le mieux. Au Canada, nous comptons quatre décennies d’expérience. Encore une fois, notre programme n’est pas parfait, mais l’idée selon laquelle on peut faire confiance aux répondants et ceux-ci peuvent diriger le processus imprègne notre programme depuis longtemps.

Les pays qui s’appuient exclusivement sur des ONG professionnelles sont habitués aux travailleurs sociaux, bloc-note en main, qui font des choses et déposent des rapports; l’idée que l’on puisse ainsi confier à ses citoyens cette responsabilité très importante semble indisposer. Certains gouvernements estiment ou ont estimé vouloir une approche plus progressive, et ils ont vraiment rendu difficile le rôle de répondant. Lorsque vous compliquez le rôle du répondant, le pouvoir du parrainage vous échappe; vous perdez la créativité. Vous essayez d’enfermer les gens dans un carcan alors qu’en réalité, nous pouvons tellement apprendre des communautés quand nous les laissons diriger. C’est la première leçon. Le pouvoir vient des répondants, à qui l’on donne vraiment les moyens d’agir et à qui l’on fait réellement confiance.

La deuxième leçon, qui me semble un peu plus ardue, est que, selon moi, notre programme de parrainage est plus solide lorsqu’il permet la désignation. Nous avons déjà entendu parler aujourd’hui de la différence entre la réussite du programme de parrainage privé, qui permet la désignation, et le Programme mixte des RDBV ici au Canada. Nous avons commencé avec l’idée que le programme des réfugiés recommandés par le HCR devait compter sur cette capacité de parrainage et ce soutien communautaire, en particulier en Europe. Franchement, ces programmes n’ont pas progressé. Ils ont été extrêmement compliqués. Dès qu’on permet de désigner, on se retrouve avec de longues listes d’attente. Vous vous retrouvez face à des gens très motivés. Je pense qu’il est possible d’expliquer pourquoi.

Bien sûr, il existe des liens de toutes sortes. En général, il s’agit non pas de liens familiaux immédiats, mais de la famille élargie, des amis, des meilleurs amis et des parents. Nous pensons qu’il y a beaucoup d’autres raisons, dont le fait que la désignation nous permet de tirer parti de la spécialisation de différents groupes d’ONG. Les groupes LGBTQI, par exemple, sont très bien placés pour identifier les personnes sur le terrain et dans nos collectivités locales, afin de trouver des endroits d’accueil adaptés. Les universités comptent parmi les plus importants et les plus anciens signataires d’ententes de parrainage, ou SEP, au Canada, soit l’Entraide universitaire mondiale du Canada, ou EUMC. Elles utilisent la désignation pour pouvoir créer un programme très inventif, sélectionner les étudiants en utilisant leurs propres processus spécialisés et les jumeler avec des universités. Je ne pense pas que ce soit simplifier à l’excès que de réduire la désignation exclusivement lorsqu’il est question de famille. Je pense que c’est un modèle très puissant, et l’une de nos principales leçons est que c’est là que nous pouvons motiver et mobiliser le plus.

En ce qui concerne la dernière leçon — et je suis certainement heureuse d’en dire plus à ce sujet —, nous essayons toujours de comprendre le pouvoir d’un jumelage individuel entre la capacité d’accueil, notamment le logement, et les personnes qui viennent dans nos collectivités. Encore une fois, je signale que la plupart des pays d’accueil partout dans le monde connaissent des crises du logement, mais il existe également une perception publique de la crise du logement. Ce sont, à mon avis, deux questions distinctes. Il y a une pénurie de logements, et les gens ont le sentiment que les réfugiés enlèvent les logements à la population locale, ce qui crée des tensions dans le système.

Par définition, le parrainage est une parfaite adéquation entre la capacité d’accueil et le nombre de personnes qui arrivent dans nos collectivités, ce qui permet de faire des choses vraiment intéressantes, comme de grands programmes non plafonnés. Je ne dis pas que c’est ce que souhaitent tous les pays, mais cela permet de mettre à l’essai ces idées, car vous supprimez les contraintes. Personne ne peut venir s’il n’y a pas de maison. Aux États-Unis, le parrainage coûte cher, car les répondants doivent assumer les coûts liés aux soins de santé. Personne ne peut venir sans l’accord du répondant. Il y a toujours ces chiffres effarants. Encore une fois, vous pouvez commencer à déterminer les contraintes qui empêchent de faire venir des gens dans notre pays, comment nous pouvons élaborer des politiques compte tenu de ces contraintes et vivre dans un monde exempt de problèmes liés à la gestion des arriérés, où nous avons trop de réfugiés qui veulent venir ou trop de répondants qui s’inscrivent, et plutôt vivre dans un monde où vous pouvez atteindre un juste équilibre entre ceux-ci. Je pense qu’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur la façon dont tout cela peut réellement transformer le système de protection des réfugiés.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Petten : Vous avez parlé de votre travail sur les établissements universitaires, et je crois comprendre qu’à l’Université d’Ottawa, les réfugiés ont représenté un aspect essentiel de votre travail. Selon vous, quel serait le rôle des établissements universitaires dans l’élaboration de la politique relative aux réfugiés et quelle serait la participation des collectivités à l’avenir?

Mme Bond : Excellente question. Je vais y répondre, si vous me le permettez, de trois manières. Je promets d’être brève.

Je porte beaucoup de chapeaux différents. Je suis professeure à l’Université d’Ottawa. Je pense que les établissements universitaires, comme l’université, jouent un rôle d’accueil très important. C’est une immense organisation. Nous avons beaucoup de services. Nous avons beaucoup de monde sur nos campus, et nous sommes l’un des nombreux campus au Canada qui accueillent chaque année des étudiants réfugiés au moyen du parrainage. Nous pensons qu’il existe une occasion formidable partout dans le monde de mobiliser les collèges, les universités et d’autres établissements postsecondaires en tant que lieux d’accueil. Si l’on y réfléchit un peu, ils sont alors en mesure de former les gens, de les intégrer et de fournir un soutien linguistique et un soutien par les pairs. Tout cela est intégré dans ces campus.

Le programme Homes for Ukraine renforce mon argument sur le pouvoir de la désignation : il s’agit d’un autre programme de parrainage de réfugiés désignés qui permet à la société civile de prendre part à certaines de ces décisions. L’Université d’Oxford s’est immédiatement mobilisée et a utilisé Homes for Ukraine au Royaume-Uni pour faire venir des étudiants réfugiés sur ses campus et les soutenir. Je pense qu’il y a là une occasion formidable.

Évidemment, lorsque je mets mon chapeau d’universitaire, je pense qu’il y a beaucoup de travail à accomplir. Nous ne comprenons pas, en toute honnêteté, les échecs du système de protection des réfugiés. De nombreuses organisations de prestation de services travaillent extrêmement fort simplement pour répondre aux besoins des gens au quotidien. Mes collègues universitaires du monde entier, y compris au Canada, jouent un rôle très important en essayant de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et en formulant des recommandations importantes pour l’avenir du système.

J’ajouterais — et cela concerne véritablement le travail de l’IMPR — que j’ai remercié le gouvernement du Canada pour son leadership dans ce partenariat inhabituel. L’Université d’Ottawa est également associée à ce partenariat inhabituel depuis toutes ces années, et je pense que cela montre ce qui peut arriver lorsqu’on sort des sentiers battus. C’est une université qui a engagé ses ressources et ses forces pour parcourir le monde et contribuer au renforcement des capacités afin d’amener ce modèle ailleurs. C’est un rôle peu commun pour une université, mais je pense que nous devrions l’encourager, comme nos amis du gouvernement, à vraiment réfléchir à différents rôles, à différents types de partenariats et à la façon dont nous pouvons être créatifs dans ce que nous devons faire.

La sénatrice Petten : Puis-je également poser à Mme Labman une question concernant le domaine universitaire? Je me demande ce que vous pensez pouvoir faire de plus pour combler le fossé entre la recherche universitaire et la mise en œuvre sur le terrain.

Mme Labman : La recherche universitaire est vraiment importante, car ce qui se passe avec la mise en œuvre sur le terrain, c’est que nous avons des groupes cloisonnés. Dans votre groupe de témoins précédent, il y avait le Conseil canadien pour les réfugiés. Lorsque le Conseil canadien pour les réfugiés aborde des sujets, il traite de ce qui se passe à l’intérieur du pays et à l’étranger. Mme Bond fait un travail extraordinaire pour le parrainage privé, et je ne contredis aucunement ses propos, mais dans le travail universitaire, les gens examinent les deux côtés de la médaille.

Les répondants de réfugiés préconiseront toujours davantage de parrainage; les avocats spécialistes des réfugiés feront toujours pression pour un meilleur accès à l’asile. Le milieu universitaire est l’endroit où l’on peut prendre du recul, regarder l’ensemble et comprendre qu’il ne s’agit pas d’une critique du parrainage ou d’un plaidoyer en sa faveur, ou autre chose; cependant, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas de l’élément de base ni de l’endroit où les gens veulent faire du parrainage. Bien sûr que c’est le cas, mais les États pourraient avoir des intérêts un peu différents.

En ce qui concerne le moment choisi des mesures prises par le Canada, une grande partie de mon travail porte sur le moment choisi de certaines annonces du gouvernement du Canada concernant l’accroissement du parrainage, parallèlement à l’accès restreint à l’asile et à la réduction directe de notre capacité, y compris ce dont le groupe précédent a parlé, c’est-à-dire l’accès à l’Entente sur les tiers pays sûrs pour que les gens bénéficient d’une protection. Nous devons non pas examiner individuellement les avantages ici ou là, mais regarder la situation dans son ensemble. Autrement dit, élargissons-nous la protection et respectons-nous nos obligations juridiques, tout en augmentant les solutions de rechange discrétionnaires et créatives qui sont si nécessaires face aux besoins croissants que nous constatons dans le monde entier? Je pense qu’un point de vue universitaire plus large nous éloigne des détails des programmes individuels et nous amène à envisager plus largement la situation dans son ensemble et à déterminer où se situent les lacunes.

La sénatrice Petten : Merci.

La présidente suppléante : Je suis fière de parrainer de nombreux réfugiés. En fait, je suis toujours émue, car je sais que c’est la meilleure chose que j’aie jamais faite.

Cela dit, la paperasse était incroyable. Dieu merci, un membre de notre équipe était avocat. La demande compte désormais 60 pages. Cela faisait trois pages quand Howard Adelman a commencé tout cela dans les années 1970.

Les chiffres, madame Bond, n’augmentent pas au Canada. Malgré l’enthousiasme des répondants, le gouvernement fait des compressions, et les longues files d’attente sont source de frustration.

Je vous entends, madame Labman. Lorsque notre équipe a eu le choix entre 12 dossiers, je me suis sentie un peu mal à l’aise de jouer à Dieu. Nous n’en connaissions aucun. Au bout du compte, nous avons choisi une famille parce qu’il était difficile de répondre à ses besoins.

À votre avis, les différents volets du système ne peuvent-ils pas cohabiter, c’est-à-dire les réfugiés certifiés par le HCR, qui arrivent grâce aux programmes gouvernementaux, les programmes de parrainage privé et le régime de l’asile? Il y a des problèmes dans chacun d’eux, mais ne peuvent-ils pas tous cohabiter? C’est une foule de questions. Madame Bond, vous prendrez peut-être la parole en premier parce que je suis frustrée par la bureaucratie, qui est maintenant institutionnalisée dans le système. Cela enlève le contact personnel que vous défendez si habilement.

Mme Bond : Oui, merci. À mon avis, c’est à cause du risque. C’était une question importante concernant ce que nous pouvons apprendre des autres pays. C’est une bonne leçon qui peut servir au Canada. Si vous avez peur de prendre des risques, si vous devenez trop bureaucratisé à cause de ce risque... c’est généralement la façon dont les gouvernements réagissent au risque; ils créent d’autres formulaires, des contrôles, de la paperasse et des choses à valider, cette aversion pour le risque pourrait étouffer le programme.

Trouver le juste équilibre est toujours le principal défi. Nous travaillons beaucoup avec nos collègues des gouvernements du monde entier pour essayer de comprendre ce qui est un risque perçu et ce qui est un risque réel, car souvent, les gens ont peur de choses qui ne sont pas réelles. De plus, qu’est-ce qu’un risque catastrophique? Si cela se produisait, quel serait vraiment le problème?

Pour en revenir au programme Homes for Ukraine, il se peut que les gens ne s’entendent pas. Ce n’est probablement pas la pire chose qui peut arriver lorsque, à ce moment de la crise, des Ukrainiens sont quotidiennement victimes de traite de personnes dans des gares ferroviaires et que les enfants n’ont nulle part où dormir la nuit. Peut-être qu’ils ne s’entendent pas comme des colocataires peuvent ne pas s’entendre. Nous devons trouver un moyen de les héberger ailleurs, mais ce n’est pas catastrophique.

Nous devons ensuite nous pencher sur les questions telles que la traite de personnes, les mauvais traitements et ce genre de choses. Nous devons nous assurer que nos solutions ou nos moyens d’atténuer ces risques répondent au besoin.

Je pense que le gouvernement du Canada a ajouté d’autres mesures au programme de parrainage privé. Je pense qu’il tente de gérer le risque, mais il conviendrait de s’assurer qu’il y a un calibrage entre le risque qu’il tente de gérer et les interventions qui sont réellement nécessaires pour gérer ce risque. Bien évidemment, il y a toujours un compromis à faire. Quelles sont les conséquences du formulaire de demande de 60 pages? Qui ne parraine plus? Qui est découragé de parrainer? Quelles sont les conséquences?

Je pense que nous apprenons beaucoup du Canada. Les premiers rapports sur certaines de ces nouvelles mesures n’ont pas donné de bons résultats et, je le répète, je pense que les autres pays observent, apprennent et tentent de trouver comment équilibrer ces différents facteurs dans tous ces programmes.

La présidente suppléante : Et quels sont les chiffres?

Mme Bond : Je pense que les chiffres actuels sont un peu trompeurs. Il faut remonter un peu avant la hausse liée à l’Afghanistan pour comprendre la trajectoire.

Le gouvernement du Canada a choisi de faire venir un certain nombre d’Afghans et les a placés dans le plan des niveaux de réinstallation. Nous observons donc une augmentation qui ne s’est pas maintenue. Certaines des interventions les plus récentes, notamment au Soudan et à Gaza, par exemple — il y a également un nouveau programme lié à l’Amérique latine touchant 11 000 personnes — ne sont pas pris en considération dans les données sur la réinstallation. Elles arrivent par des voies différentes. Elles ne font pas partie de ce processus de planification des niveaux d’immigration.

Je suis certainement en faveur de chiffres plus élevés. Je pense que le Canada peut en faire plus. J’aimerais voir ces chiffres augmenter, mais je pense que l’analyse actuelle est un peu simplifiée, car elle ne tente pas de comprendre ce qui a été comptabilisé et à quel endroit au cours des 10 dernières années depuis l’Opération visant les réfugiés syriens.

La présidente suppléante : Madame Labman, est-ce que tout le monde peut devenir plus fort ensemble, tous les éléments différents du système?

Mme Labman : Je pense que c’est le modèle, n’est-ce pas? C’est ce qui me passionne, le fait que l’asile soit notre pierre angulaire sur le plan juridique. Les témoins précédents ont demandé si nous devions refondre notre système. Je pense que le principe de non-refoulement est la pierre angulaire. C’est une obligation juridique, mais cela ne veut pas dire que ce soit l’ensemble. Il n’a jamais représenté l’ensemble. Le Canada est devenu un pays de réinstallation parce qu’il n’était pas un pays d’asile, à ce moment-là. Il ne s’est reconnu comme pays d’asile qu’au milieu des années 1980, lorsque les flux ont augmenté et que les gens ont pu venir ici.

Le parrainage privé est venu compléter la réinstallation, car, depuis la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens disaient : « Canada, laisse-nous t’aider. Nous connaissons des gens. Nous voulons les faire venir ici ». Cette énergie s’est maintenue et s’est accrue.

Le défi est le suivant : nous pouvons le voir comme un pilier fondateur ou comme un ensemble de dominos qui s’appuient les uns sur les autres jusqu’à ce qu’ils tombent tous. J’ai un chapitre dans un ouvrage à paraître qui porte sur la réaffirmation nécessaire de la réinstallation assistée par le gouvernement. Ce qui me préoccupe, c’est que, en 2026, le nombre cible de réfugiés parrainés par le gouvernement est d’un peu plus de 15 000, et la cible des programmes de parrainage privé est de 28 000. Nous observons une certaine croissance, mais il y a un écart. Pourquoi le gouvernement ne respecte-t-il pas son engagement? Pourquoi s’appuie-t-il sur ces chiffres plutôt d’être enthousiaste à l’idée de les égaler? Si vous regardez le dernier programme électoral du Parti conservateur du Canada, en 2021, il a proposé de remplacer les réfugiés recevant une aide gouvernementale par davantage de parrainages privés et conjoints.

Le parrainage n’est pas le problème. Ce qui est préoccupant, c’est ce qui se passe quand nous comptons trop sur ce programme qui, comme vous l’avez dit, peut devenir contraignant et épuisant lorsqu’il y a trop de paperasse. Je pense qu’une partie du problème réside dans la dimension juridique, les détails techniques. En tant que personne qui a écrit sur le sujet et qui l’a étudié pendant des années, je dois dire que la première fois que j’ai présenté une demande de parrainage, j’ai eu mal à la tête. Cela ne devrait pas être le cas. Ça ne devrait pas fonctionner de cette façon. Il est nécessaire de s’assurer que le système est sécuritaire, en particulier au fur et à mesure que les chiffres augmentent. Ces chiffres sont loin d’être aussi importants qu’ils pourraient l’être, mais ils sont importants et doivent faire l’objet d’un suivi, et car il y a des attentes et des responsabilités qui s’y rattachent. Si le gouvernement confie davantage de responsabilités aux répondants, il est important de s’assurer que les personnes réinstallées dans le cadre du programme vont bien. La manière dont les choses sont faites peut être grandement améliorée, mais tout d’abord, pourquoi n’exigeons-nous pas que le gouvernement assume ses responsabilité de leader en matière de réinstallation?

Le parrainage privé est un mouvement de la société civile, et son leadership s’étend. C’est merveilleux, mais le gouvernement du Canada ne devrait-il pas rendre compte de son programme de réinstallation?

L’engagement de 2015 à l’égard des réfugiés syriens concernait la réinstallation des réfugiés parrainés par le gouvernement. Il s’agissait de 25 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement et nous l’avons fait. Cet objectif a été atteint. Cependant, depuis cette année-là, le nombre de réfugiés pris en charge par le gouvernement n’a pas suivi le rythme des parrainages privés. Je pense, sénatrice Omidvar, que l’objectif serait de réunir ces trois piliers, puis de les assortir d’autres voies complémentaires et de modèles créatifs susceptibles d’attirer davantage de personnes. Cependant, nous ne voulons jamais voir ces modèles de réinstallation comme une justification pour fermer des frontières ou limiter l’accès à ceux qui ne seront jamais sélectionnés pour bénéficier d’une protection par ces autres mécanismes.

La présidente suppléante : Madame Labman, je crois que vous êtes préoccupée par la privatisation — dans une certaine mesure — du système. Des recherches ont-elles été menées sur l’attitude des répondants privés? Ce contact avec le parrainage a‑t-il ouvert leur cœur et leur esprit à d’autres réfugiés? Je présume que A égale B.

Mme Labman : Je ne connais aucune recherche portant sur ce sujet en particulier, mais je collabore avec Audrey Maclin et d’autres personnes sur un projet dans le cadre duquel plus de 500 répondants privés de réfugiés syriens ont été interrogés. Nous avons publié un certain nombre d’articles sur le point de vue des répondants à l’égard du parrainage. L’article que j’ai publié le plus récemment avec Audrey Maclin et Anna Korteweg aborde certains des défis pour les répondants quant à la responsabilité partagée. La première étape consiste à sauver des vies : l’acte de protection par lequel vous protégez quelqu’un. Cependant, il y a ensuite une période de 12 mois qui consiste à aider cette personne à s’installer dans un nouveau pays. Il s’agit d’une responsabilité et d’un travail très différents, et cela change la façon dont ils voient les choses.

L’une des choses les plus intéressantes que nous avons observées — que j’ai trouvée intéressante — était que chaque répondant voyait le rôle très différemment. Certains voulaient réellement aider quelqu’un qui avait besoin de leur aide. D’autres se réjouissaient du fait que la famille de réfugiés qu’ils avaient aidée à accueillir était déjà capable d’atteindre les objectifs en respectant les échéanciers. Certains commentaires avaient trait à la nécessité d’un plus grand soutien de la part du gouvernement dans la réalisation de cette tâche, car elle est très compliquée. Ce travail appelle les Canadiens à travailler ensemble. Un groupe de parrainage n’est pas un projet individuel. Il faut qu’un groupe d’au moins cinq personnes travaillent ensemble et partagent une vision du travail à accomplir.

Je pense que l’on comprend mieux — à coup sûr — les besoins des réfugiés lorsqu’on les rencontre individuellement. Cependant, on entend aussi dans certains des commentaires et dans le livre Strangers to Neighbours dont j’ai dirigé la rédaction... nous avons connu cela avec la réinstallation des Yézidis et le Programme mixte des RDBV de la Nouvelle-Écosse. Dans certains chapitres de ce livre, les répondants estiment que le travail qu’ils accomplissent est le meilleur moyen d’assurer cette protection. Même si une partie des commentaires abordent plus largement le soutien offert aux réfugiés, d’autres évoquent une certaine méfiance à l’égard des réfugiés qui viennent en présentant une demande d’asile, une méfiance envers ceux qui doivent utiliser des voies irrégulières pour demander l’asile car ils sont conscients de la valeur de ce qu’ils font. Ce n’est pas si simple car chaque répondant a un point de vue très différent.

La présidente suppléante : Madame Bond, vous avez parlé du plus beau fleuron du régime de parrainage privé, à savoir l’Entraide universitaire mondiale du Canada, ou l’EUMC, où les universités dans tout le Canada, grâce à des collectes de fonds auprès des étudiants, ont rassemblé de l’argent et ont parrainé des étudiants réfugiés. C’est absolument merveilleux. Existe-t-il d’autres exemples de parrainages par des établissements? Je me souviens que, lors du mouvement syrien, les Chartered Professional Accountants of Ontario, l’ordre des ingénieurs de l’Ontario, les administrations scolaires, et cetera, se sont tous portés candidats. Cela a-t-il été officialisé ou est-ce que ça n’a pas duré?

Mme Bond : Merci. Je pense que l’une des choses que nous avons apprises sur le parrainage désigné en particulier, c’est que cette politique peut permettre à un gouvernement ou à une collectivité d’atteindre un grand nombre d’objectifs stratégiques différents. En effet, lorsqu’on introduit le parrainage désigné, les organisations de la société civile et d’autres établissements trouvent des moyens de profiter de l’espace stratégique qui leur est offert. Cela signifie que dans chacun des programmes que j’ai mentionnés et qui est un programme important — par exemple, le programme Uniting for Ukraine aux États-Unis, qui a octroyé le droit d’établissement à plus de 180 000 personnes, le programme Homes for Ukraine au Royaume-Uni, le programme Cubans, Haitians, Nicaraguans and Venezuelans, ou CHNV, qui l’octroie à 30 000 personnes par mois — tous ces programmes sont des programmes de parrainage désigné. Cela signifie que dans chacun d’entre eux, il y a des exemples de parrainages par les établissements. Il y a tout un mouvement qui a pour objectif de trouver comment faire participer les employeurs, en particulier pour parrainer des personnes désignées pouvant occuper des emplois dans l’hôtellerie afin de combler les pénuries de main-d’œuvre dans les marchés essentiels. Comment tirer parti des milieux de travail pour qu’ils deviennent — une fois encore — un lieu naturel d’accueil? Je ne citerai qu’un exemple. Les groupes LGBTQI que j’ai déjà mentionnés sont très actifs et participent activement. Le gouvernement des États-Unis finance actuellement un projet appelé Welcome Corps on Campus qui consiste à reprendre le programme de désignation de base au lieu de créer une voie d’accès distincte pour l’éducation. On voit qu’il y a beaucoup d’intérêt dans le monde entier pour les voies d’accès, et certains gouvernements disent qu’ils vont créer une voie d’accès spéciale seulement pour les étudiants. Les États-Unis, quant à eux, ont décidé d’utiliser leur programme de parrainage désigné pour parrainer des étudiants. Nous voulons encourager les universités et les collèges à participer et nous voulons donc financer, en tant que gouvernement, les ONG pour qu’elles mettent en place ce programme comme l’a fait l’EUMC ici. Elle a investi et fourni des incitatifs pour essayer d’encourager les recours à ce programme, mais il est très ouvert. En résumé, la réponse est oui, il existe dans le monde des centaines de programmes où les répondants et la société civile sont autorisés à faire preuve de créativité. Ils sont créatifs, et l’une des choses qu’ils font très bien, c’est de jumeler les acteurs institutionnels du système, ce dont nous avons besoin pour voir l’augmentation des chiffres que nous souhaitons tous, je pense.

La présidente suppléante : Une municipalité a-t-elle déjà été un répondant?

Mme Bond : Oui. Il existe un certain nombre d’exemples en Europe d’autorités locales ou de différents types d’acteurs sous-nationaux qui sont devenus des répondants, et ceux-ci se décrivent parfois comme des super-répondants parce qu’ils interviennent et assument le rôle d’organisation en mobilisant des groupes en bas de la structure et en mettant à profit la structure de la municipalité ou de l’autorité locale.

La sénatrice Simons : Je suis curieuse. D’après mon expérience anecdotique, bon nombre de groupes que j’ai connus et qui ont fait du parrainage avaient des antécédents religieux. Je ne parle même pas de religion avec un grand « R », mais je pense que, pour certains de mes amis, cela leur a donné un but et leur a permis de se reconnecter à une collectivité religieuse.

Je suis curieuse de savoir comment cela se traduit dans d’autres pays où la culture politico-religieuse est très différente. J’aimerais savoir si vous pensez que cela pose un problème. Lorsqu’un groupe de l’église anglicane parraine un réfugié, il ne parraine pas un réfugié anglican. Existe-t-il des cas où les réfugiés qui se réinstallent sont mal à l’aise parce qu’ils sont parrainés par un groupe religieux dont la foi et les valeurs ne correspondent pas aux leurs?

Mme Bond : Il s’agit d’excellentes questions. Je pense que les communautés religieuses sont évidemment un élément essentiel de l’histoire du parrainage au Canada et je pense qu’elles doivent en être un élément essentiel dans d’autres pays. Nous encourageons donc tous les types d’organismes à faire du parrainage. Notre rôle est d’essayer de soutenir les acteurs locaux afin qu’ils fassent ce travail. Nous ne restons pas et nous ne gérons rien. Nous sommes là pour aider à mettre les choses en place et les aider à réussir. L’un des conseils que nous pourrions assurément donner est qu’il faut mobiliser les institutions religieuses. La raison tient moins à l’idéologie, bien qu’il soit logique pour de nombreuses confessions de faire ce genre de travail — et pour toute une gamme de confessions — d’une manière que je trouve intéressante et utile, qu’à la façon dont elles sont structurées. Les organismes religieux ont tendance à avoir des structures communautaires. Elles ont des organisations cadres et des organisations locales. C’est donc une structure très pratique pour parrainer à grande échelle.

Donc, oui il faut faire appel aux collectivités religieuses. Elles ne participent pas activement partout où le parrainage est mis en place, et je pense qu’il s’agit d’une partie importante de ce qui doit se passer pour que ces programmes prennent de l’ampleur.

En ce qui concerne l’inconfort, je pense que c’est là que la conception des programmes et des politiques est vraiment importante. Je pense que nous devons sélectionner les répondants en nous assurant qu’ils comprennent bien que leur rôle n’est pas d’évangéliser et que les établissements religieux parrainent parce qu’ils sont motivés par leurs propres croyances et leur propre foi et que leur travail ne consiste pas à convertir ou à persuader d’une autre manière.

De nombreux pays essayent différents types de mécanismes de protection dans tous les volets de leurs programmes. Les répondants doivent-ils subir un contrôle après la première semaine, la deuxième semaine, la sixième semaine? Y aura-t-il une visite sur place? Ces questions sont constamment examinées et débattues, et ce sont ces types de questions que les décideurs tentent de déterminer lorsqu’ils réfléchissent aux interventions et au degré de contrôle de première ligne.

La sénatrice Simons : J’avais une question concernant le soutien des groupes de parrainage. Je me souviens qu’à Edmonton, lorsqu’il y avait énormément de groupes qui parrainaient des réfugiés syriens, l’Edmonton Mennonite Centre for Newcomers jouait le rôle de — j’ai envie de dire — d’organisme-cadre, mais il était une ressource pour tous ces groupes de parrainage lorsqu’ils avaient des difficultés ou des problèmes. Ils réunissaient ensuite occasionnellement tous les réfugiés parrainés dans le cadre d’activités sociales et il s’agissait d’une facette importante, car les groupes de répondants pouvaient alors se parler.

Je ne sais pas à quel point cela est officiel. Dans le cas présent, c’était spécifiquement en raison de l’afflux massif des personnes syriennes déplacées de force. Je me demande s’il y a des groupes qui aident les répondants à résoudre certains de leurs problèmes et qui jouent un rôle de médiateur lorsqu’il y a des préoccupations afin que les groupes de parrainage puissent apprendre les pratiques exemplaires les uns des autres.

Mme Bond : C’est une autre excellente question, et nous apprenons constamment.

Chaque pays a mis en place sa propre structure de société civile qui englobe cela. Je serais heureuse de vous donner quelques exemples, mais il y a de grandes différences au chapitre du type d’infrastructure de la société civile qui a été créée, de qui la finance ainsi que de son objectif. Nous avons beaucoup appris sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Je pense que ce qui est clair, c’est que l’absence de mentorat officieux est un problème important. Au Canada, lorsque vous devenez répondant, vous connaissez probablement quelqu’un ou vous pouvez facilement trouver quelqu’un qui a parrainé, et cette personne vous mettra en contact avec une collectivité pour trouver du soutien. Tous les autres pays doivent corriger ces lacunes, ce qui est beaucoup plus difficile, plus coûteux et plus compliqué.

À mon avis, là où il y a le plus de succès, il y a le plus de gens, pour la raison que vous venez d’évoquer. S’il y a beaucoup de nouveaux venus et beaucoup de répondants qui participent, les organisations de la société civile se manifesteront et feront ce qu’elles savent le mieux faire, c’est-à-dire résoudre les problèmes, organiser, rassembler les gens et trouver comment combler les lacunes. Il peut s’agir de mentorat par les pairs ou de possibilités pour les répondants de se rencontrer. Je pense que la société civile est étonnante et puissante lorsqu’il y a un besoin.

S’il n’existe qu’un seul groupe de parrainage dans votre collectivité et qu’une seule famille arrive, la société civile ne réagira pas de la même manière. Il n’y a pas la même volonté d’agir et il faut vraiment que ce soit quelque chose qui soit établi.

Encore une fois, je pense que nous sommes encore en train d’apprendre. Dans de nombreux pays, nos organisations de la société civile sont encore en train de définir leur rôle. Certaines d’entre elles le font délibérément, d’autres dépendent de leur créativité, et l’augmentation du nombre d’organismes y contribue grandement.

La sénatrice Simons : La masse critique.

Mme Bond : En effet, nous avons même envisagé des approches par grappes. En Allemagne, octroyer le droit d’établissement à une personne par grande région ne crée pas vraiment une impulsion ou un sentiment de communauté, alors il serait plus judicieux, par exemple, s’il y a 300 parrainages cette année-là, de tous les placer dans la même région afin qu’ils puissent se réunir, et les services vont apparaître. Les gens deviendront créatifs.

Cela va un peu à l’encontre de l’un des avantages du parrainage, bien sûr, qui, à l’heure actuelle, aux États-Unis, consiste à avoir des répondants dans chaque territoire et dans chaque État, afin d’avoir une vaste couverture géographique si vous n’essayez pas d’imposer de contrainte. Cependant, la densité n’est pas forte sauf lorsqu’il y a un grand nombre de répondants.

La présidente suppléante : J’ai une question à poser pour obtenir des éclaircissements. Vous avez parlé des États-Unis et du nombre de répondants privés, des Ukrainiens et d’autres. John Slocum a parlé tout à l’heure des Ukrainiens et des Afghans. Qu’ils aient été parrainés par le secteur privé ou non, ils sont là de façon temporaire. C’est très différent du système que nous avons ici, où nous parrainons en vue de l’obtention de la résidence permanente.

Mme Bond : Oui, je pense que c’est exact, et cela reflète bien ces programmes. Il s’agissait de programmes humanitaires temporaires. C’est la même chose pour le programme CHNV, que j’ai mentionné précédemment. Le programme Welcome Corps est basé sur le système américain de réinstallation des réfugiés, et c’est pourquoi vous voyez les responsables faire des essais en matière de parrainage dans différents secteurs du programme global.

Je vais prendre un moment pour cesser d’aborder exclusivement le parrainage et parler des multiples voies du régime de protection des réfugiés.

À mon avis, le régime de protection des réfugiés est en train de s’effondrer. Il échoue. Le système mondial d’aide aux réfugiés ne répond pas aux besoins de la majorité des gens. Je pense que, ces dernières années, il y a eu un grand nombre d’expériences visant à trouver comment contourner le régime de protection des réfugiés, qui ne répond plus aux besoins.

Aux États-Unis, la réponse en ce qui concerne l’Afghanistan en est le premier exemple important. Je pense que personne ne peut prétendre que les Afghans ne sont pas des réfugiés. Le Canada les a accueillis dans le cadre de son programme de réinstallation des réfugiés, comme je l’ai mentionné. Les États-Unis n’ont pas pu le faire. Le programme de protection des réfugiés aux États-Unis était si lourd et complexe que, à ce jour les gens seraient encore en train d’attendre. Il y a des contrôles de sécurité sur cinq ans, de procédures médicales très longues et un modèle opérationnel très inefficace, et ils tenaient, dans ce cas, comme nous le savons tous, à faire entrer des gens très rapidement aux États-Unis. Le traitement des réfugiés n’était tout simplement pas une option pour eux.

Je pense qu’il s’agit en fait d’un échec du régime de protection des réfugiés qui, parce qu’il n’y a pas d’option, force les gens à trouver des solutions de rechange, et les gens se sont tournés vers le programme humanitaire temporaire. Comme vous le savez, et je suis sûr que John Slocum l’a souligné, plus de 85 000 personnes sont entrées à l’aide de ce programme. Nombre d’entre eux demandent aujourd’hui le statut de réfugié en ayant recours au processus de demande d’asile. Ils ont pu octroyer aux gens le droit d’établissement en quelques jours à l’aide de ce mécanisme.

Je pense que nous devons faire preuve d’une grande honnêteté. Je sais que beaucoup de mes collègues — je suis avocate en droit des réfugiés — beaucoup d’universitaires souhaitent préserver le régime de protection des réfugiés. Je suis bien sûr d’accord avec l’objectif qui vise à soutenir les personnes déplacées, mais je pense que nous devons être très honnêtes. Le régime de protection des réfugiés est en très mauvais état, et nous ne pouvons pas nous contenter de le raffistoler. Nous devons admettre qu’il ne protège plus les personnes qui ont besoin de protection.

Le recours aux programmes humanitaires temporaires a été critiqué, en partie parce qu’il s’agit d’une solution à court terme, mais, pour être honnête, les gens n’ont pas pu cheminer dans le régime de protection des réfugiés parce qu’il présente trop de lacunes.

Je pense qu’il y a beaucoup de leçons à tirer pour nous tous, et nous devons nous demander très honnêtement pourquoi le régime de protection des réfugiés n’est plus en mesure de protéger les réfugiés les plus vulnérables, même lorsque les gouvernements ont la motivation politique pour le faire.

La présidente suppléante : Je pense que j’entends là une très bonne recommandation.

Madame Labman, veuillez présenter vos dernières réflexions. Qu’aimeriez-vous voir dans notre rapport?

Mme Labman : J’ai suivi tous les travaux du comité sénatorial et j’aimerais que l’on reconnaisse qu’il y a eu des obstacles à la protection des réfugiés dans tous ces systèmes et que la nature complémentaire de ces derniers nécessite un engagement et un leadership sur tous les fronts.

Je ne pense pas que le régime de protection des réfugiés fonctionne bien actuellement, mais contrairement à ce que Mme Bond a dit, pour moi, le régime de protection des réfugiés, le principe de non-refoulement et la Convention sur les réfugiés ne forment pas un système; il s’agit d’une obligation juridique de protéger les personnes qui en ont besoin, et il n’y a aucune raison pour que le système qui se construit sur ce fondement perde de vue cette obligation juridique.

Je crains que si nous laissons trop de place au pouvoir discrétionnaire, celui-ci peut actuellement ouvrir plus de portes, mais il peut également en fermer. C’est ce qui me préoccupe.

La présidente suppléante : Je vous remercie toutes les deux. Cette conversation a été remarquable, et nous vous en remercions vivement. J’espère que vous serez satisfaites de notre rapport. Je ne suis pas en mesure de vous dire quand il sera rendu public, car nous sommes loin d’avoir terminé notre étude.

N’hésitez pas à communiquer avec le greffier du comité si vous avez d’autres commentaires ou réflexions. Nous sommes toujours heureux de vous entendre.

Merci beaucoup de votre présence en personne et en ligne.

(La séance est levée.)

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