LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 21 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et à huis clos, pour examiner la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, déposé au Sénat le 16 juin 2021 durant la deuxième session de la quarante-troisième législature.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, distingués collègues. Je m’appelle Salma Ataullahjan, je suis une sénatrice de Toronto et je préside le comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
Avant de commencer, j’invite les sénateurs et les autres participants sur place à lire la fiche déposée sur la table pour connaître les consignes à suivre afin d’éviter les réactions acoustiques. Prenez note des précautions à prendre pour protéger la santé et la sécurité de l’ensemble des participants, y compris les interprètes. Essayez de vous asseoir de manière que les microphones soient aussi éloignés que possible les uns des autres. Utilisez uniquement les écouteurs noirs dûment approuvés. Les anciens écouteurs gris ne peuvent plus être utilisés. Veillez à tenir votre écouteur éloigné des microphones en tout temps et, quand vous ne l’utilisez pas, placez-le à l’envers sur l’autocollant prévu à cette fin sur la table. Merci de votre collaboration.
J’invite maintenant mes honorables collègues à se présenter.
La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente. Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, et je suis la coprésidente du comité. Je viens de la Nouvelle-Écosse, le territoire du peuple mi’kmaq.
La sénatrice Osler : Flordeliz (Gigi) Osler, sénatrice du Manitoba, le territoire visé par le Traité no 1 et la patrie des Métis de la Rivière-Rouge.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici même, sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinabe. Soyez les bienvenus.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta.
La présidente : Merci, chers collègues.
Conformément à son ordre de renvoi général, le comité entreprend aujourd’hui une étude sur le thème de la vie après la famille d’accueil. Nous nous pencherons notamment sur les droits et les vulnérabilités des enfants et des jeunes qui vivent en foyer d’accueil, les difficultés associées à la fin de la prise en charge en raison de l’âge, les approches adoptées par les provinces et les territoires qui se sont révélées efficaces, ainsi que le rôle qui incombe au gouvernement fédéral.
Nous recevons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, les témoins disposeront de cinq minutes chacun pour présenter leurs déclarations liminaires, et ils seront par la suite invités à répondre aux questions des sénateurs.
Je vous présente les témoins du premier groupe. Mme Melanie Doucet, cheffe de projet, Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge et professeure adjointe, École de travail social, Université McGill, est présente en personne. Mx Jacqueline Gahagan, vice-président associé à la recherche, Université Mount Saint Vincent, nous joint par vidéoconférence. Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous allons entendre tout d’abord la déclaration de Mme Doucet et celle de Mx Gahagan ensuite.
Melanie Doucet, cheffe de projet, Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge et professeure adjointe, École de travail social, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup. Bonjour à tous. Je prends la parole aujourd’hui non seulement à titre d’universitaire spécialiste du sujet à l’étude, mais également en tant que personne ayant une expérience vécue. Dans les années 1990, j’ai été prise en charge par le système de protection dans ma province d’origine, le Nouveau-Brunswick. J’étais alors une adolescente, ce qui trahit mon âge. Je me fais en outre le porte-voix des perspectives et des recommandations des personnes qui ont une expérience vécue un peu partout au pays, avec qui j’ai le privilège de travailler tous les jours pour réclamer l’équité et la justice pour la communauté des jeunes pris en charge.
Selon des estimations nationales non officielles datant de 2003, tous les ans au Canada, 10 % environ des jeunes visés, soit 6 700 jeunes, cessent d’être pris en charge par le système de protection parce qu’ils ont atteint la limite d’âge légale. Souvent, ils ont à peine 18 ou 19 ans. Toutefois, il s’agit d’une sous‑estimation du nombre réel de jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge actuellement. Il convient de souligner qu’il s’agit d’une estimation non officielle qui remonte à plus de 20 ans, que plusieurs provinces et territoires ne rendent toujours pas compte de ces chiffres publiquement et qu’il n’existe pas de base de données nationale permettant de faire un suivi de ces données au Canada.
Selon les données de Statistique Canada, près de 63 % des jeunes de 20 à 24 ans dans la population générale vivent encore avec leurs parents, et un bon nombre — environ 43 % — continuent de le faire jusqu’à 30 ans. Les jeunes qui vivent en foyer d’accueil n’ont pas ce luxe. Les recherches confirment que le parcours des jeunes que le système cesse de protéger avant qu’ils soient prêts à voler de leurs propres ailes est truffé d’embûches majeures et interconnectées. Ainsi, les jeunes en situation d’itinérance sont 200 fois plus susceptibles d’avoir vécu en foyer d’accueil. Après avoir atteint l’âge maximal de prise en charge, les jeunes sont plus susceptibles de commencer leur vie adulte en étant sous le seuil de la pauvreté et de dépendre de l’aide sociale que leurs pairs de la population générale, dans une proportion de 40 % contre 2,5 %. Les jeunes qui ont été pris en charge sont aussi cinq fois plus susceptibles de souffrir de troubles de stress post-traumatique — dans une proportion comparable à celle des anciens combattants de la guerre du Vietnam — par rapport à ceux de la population générale. La probabilité que les jeunes pris en charge aient des démêlés avec le système de justice pénale est de 36 %, alors que celle qu’ils obtiennent un diplôme d’études secondaires est de 26 %. Le risque d’être détenus ou d’être condamnés à la détention est de 1 sur 6 pour les jeunes pris en charge, contre 1 sur 50 pour les autres jeunes.
Tous ces enjeux engagent la responsabilité du fédéral, notamment au titre de la Stratégie nationale du logement et des politiques de lutte contre l’itinérance et la pauvreté, de santé publique, d’emploi, de formation continue et de justice. Contrairement à la plupart des pays occidentaux, le Canada n’a pas de cadre juridique fédéral ou de mécanismes de reddition de comptes. Il n’a pas non plus de base de données nationale pour faire le suivi des résultats des jeunes pris en charge, ni de normes ou de lignes directrices nationales établissant les droits équitables de ces jeunes durant leur transition vers l’âge adulte. Parmi les 36 pays du Nord, le Canada fait partie des 6 pays dénués d’un cadre législatif fédéral de protection des droits des jeunes après la fin de la prise en charge. En conséquence, l’accès aux services et aux mesures de soutien est très inéquitable d’une province et d’un territoire à l’autre, et les plus durement touchés sont les jeunes Autochtones, Noirs, racisés et 2ELGBTQ+, ainsi que ceux qui ont un handicap. Un changement systémique en profondeur s’impose à l’échelon national pour donner la possibilité aux jeunes pris en charge de faire une transition vers l’âge adulte qui sera sûre, équitable et déterminée par leur maturité et leurs capacités développementales plutôt que par une limite d’âge arbitraire.
Selon des analyses des coûts et des avantages réalisées en Ontario et en Colombie-Britannique, la prolongation de la protection jusque dans la vingtaine peut s’avérer très positive autant pour les jeunes que pour la société, et faire économiser des sommes considérables aux systèmes de services sociaux. L’inaction a un coût élevé, et il se mesure notamment en vies si on considère que les jeunes pris en charge sont jusqu’à cinq fois plus susceptibles de la perdre que leurs pairs de la population générale.
Tous les ordres de gouvernement, autant le fédéral que les gouvernements des provinces et des territoires, doivent tirer profit des possibilités offertes par les Normes équitables de transition vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge et assurer la cohérence et l’équité entre les administrations. Ces normes, publiées en 2021 par moi-même et la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada, proposent des solutions applicables par étapes qui sont fondées sur les droits et axées sur l’expérience vécue, la recherche et les pratiques exemplaires.
La vision du Conseil national est simple. Nous rêvons d’un monde qui se sera débarrassé du concept d’âge maximal de prise en charge, autant dans le vocabulaire que dans la législation et les mandats en matière de protection de l’enfance. Nous rêvons d’une société où les jeunes pris en charge bénéficieront de mesures de soutien interdépendantes tout au long de leur vie, à l’égal de leurs pairs qui n’ont pas vécu en foyer d’accueil et qui peuvent compter sur leur famille, leurs amis et leur communauté bien au-delà de la majorité.
Le temps est venu de faire de cette vision une réalité. Les jeunes pris en charge méritent d’avoir leur place dans une société au sein de laquelle ils se sentent appréciés à leur juste valeur, aimés, soutenus et engagés, qui favorisera leur épanouissement plutôt que de les obliger à lutter constamment pour leur survie. Nous demandons au Canada d’adopter un cadre législatif fédéral qui garantira la protection des droits des jeunes après la fin de la prise en charge; de créer une base de données nationale qui permettra de faire un suivi de ces jeunes et de leurs résultats, et d’établir des normes nationales qui leur assureront des droits équitables après la fin de la prise en charge en appuyant et en mettant en œuvre les Normes équitables de transition vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge.
Merci de m’avoir accordé votre temps.
La présidente : Merci. Deux de nos collègues se sont jointes à nous. Je les invite à se présenter.
La sénatrice Senior : Sénatrice Paulette Senior, de l’Ontario.
La sénatrice Youance : Sénatrice Suze Youance, du Québec.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant entendre la déclaration liminaire de Mx Gahagan.
Jacqueline Gahagan, vice-président associé à la recherche, Université Mount Saint Vincent, à titre personnel : Je vous remercie de l’invitation à participer à votre étude sur la vie après la famille d’accueil. Les enjeux auxquels font face les jeunes dans cette situation sont complexes et concernent différents secteurs comme l’éducation, le logement, la santé et l’économie. Plus précisément, ces enjeux aux facettes multiples comprennent les logements inadéquats, les obstacles à l’emploi ou à l’accès à des soins de santé, la discrimination et la marginalisation, l’insuffisance du soutien financier et social, les démêlés avec le système de justice pénale et le faible niveau de scolarité.
Compte tenu de la complexité des enjeux liés à la fin de la prise en charge en raison de l’âge, il est urgent d’adopter une approche plus rigoureuse, fondée sur des données probantes et d’envergure nationale, qui comprendra entre autres le suivi et l’évaluation de l’efficacité ou de l’inefficacité des mesures de soutien à répondre aux besoins de cette population. Dans ma déclaration liminaire, je vais me concentrer sur trois aspects importants qui doivent être pris en considération.
Le premier aspect concerne la nécessité de recueillir des données longitudinales exhaustives. Les données nationales fragmentaires dont nous disposons indiquent une surreprésentation persistante et de longue date des jeunes Noirs, Autochtones et queers dans le système de protection de la jeunesse au Canada. Il ressort également de ces données que nos efforts pour répondre aux besoins de ces jeunes pourraient s’avérer inefficaces, surtout pour ce qui a trait à la scolarité puisque moins de la moitié obtient un diplôme d’études secondaires. Sans ce diplôme, il est très difficile pour les jeunes issus d’un foyer d’accueil de trouver un emploi ou un logement, et de faire des études postsecondaires. Cependant, l’absence de données longitudinales exhaustives nous empêche de comprendre pleinement les facteurs qui contribuent à de meilleurs résultats pour les personnes qui ont été prises en charge. La collecte de données longitudinales exhaustives permettrait d’élaborer des politiques et des programmes fondés sur les connaissances. Ces données nous aideraient aussi à évaluer les retombées à l’échelle des provinces, des territoires et du pays, et d’adapter nos interventions et nos efforts en conséquence.
Le deuxième aspect concerne l’uniformisation des approches à l’échelle du fédéral, des provinces et des territoires, actuellement très disparates. La disparité entre les types de mesures d’intervention offertes en matière de protection de la jeunesse, de même que l’absence de mécanisme systématique de communication des données sur les services fournis aux jeunes pris en charge dans le passé ou actuellement est très problématique. Si nous voulons réellement savoir si et comment les mesures d’intervention fonctionnent à un endroit donné, il faut uniformiser les approches à l’échelle du fédéral, des provinces et des territoires. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une banque de données accessible, centralisée et nationale, qui permettrait à Statistique Canada, par exemple, de colliger et de publier les données. Sans ces données, il est impossible d’avoir une compréhension pleine et entière des résultats éducatifs, sanitaires, sociaux et économiques de cette population.
Nous avons aussi besoin de normes nationales équitables pour soutenir les jeunes qui ont atteint l’âge maximal de prise en charge, peu importe combien de temps et où ils ont été pris en charge. Les ministères et les organismes provinciaux, territoriaux et fédéraux responsables des services sociaux, Statistique Canada ainsi qu’Emploi et Développement social Canada devraient assumer un leadership plus important sur ces questions. Il faut améliorer le suivi, l’évaluation et la compréhension des politiques et des programmes existants d’aide aux jeunes pris en charge par le système de protection afin d’avoir une meilleure idée de leur fonctionnement et de la mesure avec laquelle ils répondent aux besoins de cette population selon le lieu de la prise en charge.
Le troisième et dernier aspect que je soumets à votre réflexion est celui de l’accès à l’éducation postsecondaire. La recherche menée par notre équipe grâce au financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada porte sur les obstacles à l’accès pour les jeunes qui ont déjà été pris en charge et l’efficacité des programmes de dispense des droits de scolarité pour les aider à surmonter certains de ces obstacles. En plus d’entrevues en profondeur avec les bénéficiaires d’une dispense des droits de scolarité et les personnes qui leur apportent du soutien dans le cadre de ces programmes, nous avons entrepris une étude de la portée pour établir comment le Canada, en tant que signataire des objectifs de développement durable, s’acquitte de son engagement à l’égard de l’objectif 4, qui porte sur l’éducation de qualité. Il convient de souligner une tendance croissante à offrir des programmes de dispense des droits de scolarité aux jeunes qui ont déjà été pris en charge pour réaliser l’objectif de développement durable 4.
Notre recherche révèle qu’il faut mettre l’accent sur les parcours favorisant l’accès à l’éducation postsecondaire pour les jeunes qui ont déjà été pris en charge, et qu’il faut le faire quand ils sont encore à l’école et sous la protection du système. Pour que ce soit efficace, il faut inverser la tendance à minimiser l’importance de l’éducation pour cette population et à véhiculer des attentes moins élevées en matière de scolarité. Ces attitudes ont un impact sur les jeunes en foyer d’accueil. Il est urgent de mieux comprendre ces enjeux dans un contexte où l’éducation est considérée comme un droit de la personne et un déterminant clé de la santé au Canada et ailleurs dans le monde.
En conclusion, je souligne que ces questions mettent en lumière la nécessité d’évaluer en profondeur le système de placement en foyer d’accueil au Canada afin d’assurer aux jeunes un soutien conforme aux droits fondamentaux de la personne quand ils cessent d’être pris en charge en raison de leur âge.
Merci de m’avoir accordé votre temps et votre attention.
La présidente : Je remercie nos deux témoins pour leurs allocutions.
Nous allons passer aux questions des sénateurs, à qui je rappelle que des périodes de cinq minutes sont accordées pour les questions et les réponses. Nous allons débuter avec la vice‑présidente.
La sénatrice Bernard : J’espère que nous aurons un second tour.
Je tiens tout d’abord à remercier sincèrement Mme Doucet, qui est ici avec nous, ainsi que Mx Gahagan, qui participe à nos travaux à distance. Je vous connais et je connais votre travail d’une immense valeur. Merci de faire ce travail et de comparaître devant nous aujourd’hui.
Je vais m’adresser à Mx Gahagan en premier. Le troisième aspect évoqué dans votre allocution est directement lié aux travaux que vous dirigez puisqu’il porte sur l’établissement de programmes de dispense des droits de scolarité. Pouvez-vous nous parler davantage des résultats des analyses préliminaires effectuées dans le cadre de votre recherche concernant l’efficacité de ces programmes pour éliminer certains des obstacles que vous et Mme Doucet avez évoqués?
Mx Gahagan : Merci de cette question. Je vais y répondre avec grand plaisir et je vais être brève.
Essentiellement, nous avons établi que les programmes de dispense des droits de scolarité ont une réelle efficacité, de toute évidence, pour ce qui est de la composante financière de l’accès à l’éducation postsecondaire. En revanche, notre étude de la portée internationale nous a permis de constater, notamment dans le contexte canadien, que des mesures complémentaires de soutien peuvent aussi être offertes, y compris des mesures tenant compte des traumatismes pour répondre aux besoins psychosociaux des personnes qui ont été prises en charge par un système de protection de la jeunesse.
Nous avons lancé, ici même en Nouvelle-Écosse, une initiative novatrice très intéressante appelée Get Everyone Online Nova Scotia. Récemment, nous avons noué un partenariat très fructueux pour promouvoir ce programme, qui est piloté par le ministère des Services communautaires et qui vise à combler le fossé numérique. Un de nos constats est que la dispense des droits de scolarité peut certes ouvrir la porte, mais que ce genre de mesure ne règle pas le problème d’accès à un ordinateur portatif ou à un téléphone cellulaire, des outils essentiels pour faire les devoirs, ni au lieu où se donnent les cours. Il faut aussi penser à des moyens pour faciliter l’accès à la technologie pour les bénéficiaires de programmes de dispense des droits de scolarité.
Je pense aussi, et c’est lié à ce que Mme Doucet a dit au sujet des normes nationales pour les personnes qui cessent d’être prises en charge en raison de l’âge, qu’une norme nationale est nécessaire pour aider celles qui envisagent de faire des études postsecondaires. En effet, nous avons constaté que les approches sont aussi disparates pour ce qui concerne les programmes de dispense des droits de scolarité et les autres mesures d’intervention proposées aux jeunes qui ont déjà été pris en charge.
Je tiens à mentionner que les efforts déployés pour réduire la lourdeur du processus de vérification nous ont donné une petite lueur d’espoir. Cela veut dire qu’au lieu de demander aux personnes qui ont vécu en foyer d’accueil de répéter leur histoire à chaque étape du programme de dispense des droits de scolarité, on leur offre un guichet unique et le soutien d’un adulte de confiance. Elles peuvent compter sur une personne qui les guidera d’un bout à l’autre du processus.
Dans la région de l’Atlantique, où se déroule cette étude, nous envisageons d’établir des seuils ou des normes pour d’autres programmes de soutien à l’accès à l’éducation postsecondaire pour éviter certaines situations dont j’ai entendu parler ailleurs au Canada. Par exemple, des personnes qui ont quitté un emploi pour demander une dispense des droits de scolarité se sont rendu compte que le programme n’offrait pas une gamme complète de mesures d’aide à l’alimentation, au logement, au transport, etc.
Comme je l’ai dit, nous avons besoin de normes nationales pour les personnes qui cessent d’être prises en charge en raison de l’âge, et nous avons aussi besoin de normes nationales sur l’accès à l’éducation postsecondaire.
J’espère que j’ai répondu à vos questions, sénatrice Bernard.
La sénatrice Bernard : Tout à fait. Merci.
Madame Doucet, vous avez parlé d’enjeux intersectionnels. Dans quelle mesure une offre de services complets, comprenant la dispense des droits de scolarité et d’autres mesures mentionnées par Mx Gahagan, aiderait-elle à résoudre certains de ces enjeux intersectionnels? Quel pourrait être leur impact pour les jeunes qui ont atteint l’âge maximal de la prise en charge?
Mme Doucet : Pour aider les jeunes pris en charge, il faut une approche globale, et non une approche fragmentée comme celle que nous voyons actuellement. Si on se focalise sur le logement, les jeunes auront un toit sur la tête, mais ce sera tout. Or, ces jeunes peuvent souffrir de problèmes de santé mentale ou de traumatismes. Ils peuvent avoir besoin d’établir des liens avec la communauté, de poursuivre leur éducation ou d’obtenir un diplôme d’études secondaires. Si une mesure de soutien ou un programme ne tient pas compte de ces besoins, il sera impossible d’obtenir les résultats visés. C’est ce qui semble se passer au pays si on se fie aux données très fragmentaires qui sont accessibles pour l’instant. Une approche globale est essentielle, et je crois que c’est aussi ce que Mx Gahagan préconise en parlant d’un programme complet de mesures. C’est cette approche qu’il faut privilégier.
Les normes équitables dont j’ai parlé dans ma déclaration liminaire sont un exemple parfait d’une approche globale des besoins des personnes prises en charge qui s’articule autour de huit piliers de développement. L’éducation en fait partie, de même que le volet financier, le logement, les relations, la culture et la spiritualité, la santé et le bien-être, la connaissance des droits et l’offre de services tenant compte du stade de développement. Il faut tenir compte de tous ces volets de manière intégrée, et je crois qu’une collaboration entre les ministères, le secteur communautaire et le secteur privé s’impose pour assurer une amélioration tangible et systémique.
La sénatrice Bernard : Merci.
La sénatrice Osler : Je remercie nos deux témoins de participer à notre étude.
Ma question s’adresse à vous deux. Vous avez tour à tour parlé du rôle du fédéral, des données et du fait qu’il n’existe pas de base de données nationale permettant de faire un suivi des résultats des jeunes pris en charge. Je vais m’adresse à Mme Doucet en premier, et je vais me tourner vers Mx Gahagan ensuite. À votre avis, quels points de données devraient faire l’objet d’un suivi dans une base de données nationale sur les jeunes pris en charge?
Mme Doucet : Il faut recueillir des données dès le début de la prise en charge et jusqu’à la fin — y compris à l’étape de la transition vers l’âge adulte —, sans égard à l’âge. Le Conseil national milite pour l’adoption de normes équitables qui assureront que la fin de la prise en charge ne pourra plus être déterminée par l’âge. La prise en charge doit cesser seulement quand un jeune est prêt, ce qui est forcément différent de l’un à l’autre. Selon nous, il faut faire un suivi des résultats dès le moment de la prise en charge jusqu’à la transition à l’âge adulte.
Des pays le font déjà. Les États-Unis ont une base de données nationale, ainsi qu’un cadre législatif qui aide et oblige les États à communiquer les données à l’échelon national. C’est quelque chose qui manque au Canada. Nous avons besoin d’un cadre législatif et d’une base de données de ce genre. En fait, ils vont de pair.
Mx Gahagan : Merci, sénatrice, de poser cette question.
Elle est intéressante parce que, si on regarde les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, le Canada ne fait pas particulièrement bonne figure dans la mesure où il n’a pas de banque de données nationale permettant de faire des comparaisons avec les autres pays membres.
Pour vous donner une réponse plus précise, je pense qu’il faut recueillir des données sur le logement, l’éducation, l’emploi, les soins de santé, la santé mentale, la discrimination, le soutien social, le soutien financier, les enjeux d’identité et d’appartenance, les démêlés avec le système de justice pénale. J’ajouterais que la participation au processus décisionnel du gouvernement fédéral est de la plus haute importance pour cette population. Il faut que l’approche soit globale et qu’elle s’applique tout au long de la vie.
On pourrait articuler cette approche autour des étapes déterminantes de la vie. J’ai été moi-même prise en charge par le système de protection de l’enfance. Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais il suffit de penser aux étapes déterminantes pour les Canadiens moyens et d’établir comment le suivi sera fait. Ces étapes sont souvent liées à l’emploi, et c’est pourquoi j’ai proposé une collaboration entre Emploi et Développement social Canada et Statistique Canada en vue de la mise au point d’une banque de données nationale plus rigoureuse, qui permettra de faire le suivi de ces indicateurs au fil du temps et d’adapter les politiques et les programmes d’intervention en tenant compte de ces informations.
La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci aux témoins d’être venus aujourd’hui. Ma question porte sur le manque de données. Ma question s’adresse surtout à Jacqueline Gahagan. Étant donné qu’il s’agit d’un champ de compétence qui fait l’objet d’un chevauchement entre les provinces et le gouvernement fédéral, comment voyez-vous le rôle et les responsabilités de chacun?
Ma question pour Mme Doucet plus particulièrement est la suivante : quel regard portez-vous sur la collaboration actuelle des deux ordres de gouvernement, et comment celle-ci pourrait‑elle être améliorée?
Mx Gahagan : Merci pour votre question.
[Traduction]
Je suis désolée, mais j’ai manqué une partie de la question. Je crois que vous avez parlé du suivi des progrès à l’échelon du fédéral. Est-ce que c’est bien un des volets de votre question?
[Français]
La sénatrice Gerba : Non; en fait, vous avez parlé d’une base de données centralisée qui permettrait de mieux comprendre la réalité des jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance. Étant donné que c’est un champ de compétence qui fait l’objet d’un chevauchement entre le gouvernement fédéral et les provinces, quelles sont les responsabilités que chacun devrait avoir dans le domaine particulier des données?
En deuxième lieu, quelle est la collaboration actuelle entre les deux gouvernements? Est-ce que ma question est plus claire pour vous?
Mx Gahagan : Oui; merci pour votre question.
[Traduction]
Une partie du problème vient du fait que les provinces et les territoires ne sont pas obligés de communiquer leurs données au gouvernement fédéral. Par conséquent, ce qui se passe dans les provinces et les territoires ne fait l’objet d’aucun compte rendu qui permettrait d’obtenir une évaluation approfondie de ce qui est efficace selon les régions, les provinces, etc. Or, pour déterminer ce qui fonctionne ou non, nous avons besoin de ce genre de données. Il faudrait par conséquent que les provinces et les territoires transmettent leurs données et qu’elles soient colligées dans une banque centrale. Dans ma déclaration liminaire, j’ai donné l’exemple de Statistique Canada. Quand j’ai demandé à Statisque Canada pourquoi les données n’étaient pas accessibles, on m’a répondu qu’il n’y avait aucune obligation actuellement de les communiquer. Autrement dit, si on n’oblige pas les provinces et les territoires à fournir ces données afin que Statistique Canada puisse produire des rapports annuels ou ce genre de choses, les approches seront forcément disparates d’un endroit à l’autre. Certaines provinces peuvent choisir de communiquer ces données, d’autres non, et la collecte d’indicateurs peut différer d’une province et d’un territoire à l’autre.
Une statistique intéressante, comme l’a mentionné Mme Doucet, concerne le taux plus élevé de suicide chez les jeunes pris en charge. Nous avons des données pour la Colombie-Britannique, mais nous n’avons rien à ce sujet pour la région de l’Atlantique. Ces points de données pourraient nous donner des arguments très convaincants pour remettre en question la pertinence des politiques ou solliciter des investissements dans l’élaboration de politiques mieux adaptées aux besoins en santé mentale des jeunes qui ont été déjà pris en charge par le système, par exemple. C’est ce qu’indiquent les données recueillies en Colombie-Britannique, mais nous ne pouvons pas savoir si c’est vrai partout au pays étant donné que la communication systématique des données n’est pas obligatoire.
Une approche aussi disparate ne laisse pas le choix aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de décréter que cette population est prioritaire. L’infrastructure existe. Les gouvernements provinciaux l’utilisent déjà pour recueillir des données. Et que se passe-t-il avec ces données? Parce qu’elles ne sont pas transmises au gouvernement fédéral, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble de ce qui est efficace ou non pour cette population.
J’espère avoir répondu à votre question. Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Oui. Merci.
[Traduction]
Mme Doucet : Je suis d’accord avec Mx Gahagan. Les provinces et les territoires ont des systèmes de collecte de données administratives. Leur législation les oblige à recueillir ces données, mais ils n’ont aucune obligation législative de rendre ces données publiques.
J’ajouterais qu’actuellement, les données qui existent sont sous-utilisées pour la recherche et l’évaluation. Il reste beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Je sais que des discussions ont cours dans les milieux universitaires concernant la nécessité d’une base de données nationale en matière de protection de l’enfance, mais elles n’ont pas encore porté leurs fruits. C’est quelque chose dont les différents ordres de gouvernement, y compris le fédéral, doivent discuter. Il faut exiger la communication des données recueillies, et il faut que ces données soient utilisées pour établir si les réformes apportées aux politiques et aux lois, ou si les nouvelles lois donnent les résultats escomptés. C’est impossible de le savoir autrement et nous continuons de lancer des fléchettes sans but précis. Il faut mettre à profit les capacités des universités et des centres de recherche à l’échelle du pays. Les données existent, mais elles ne servent à rien. Il faut vraiment prendre les moyens nécessaires pour que ces données contribuent à l’élaboration de politiques et de pratiques éclairées.
[Français]
La sénatrice Gerba : Oui. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci à nos deux témoins. Je vous félicite d’avoir déjoué les pronostics et d’avoir obtenu un doctorat malgré votre expérience en foyer d’accueil. Nous bénéficions tous de votre éducation et de vos enseignements, et je vous en remercie.
J’aimerais aller un peu plus dans le détail, mais je vais tout d’abord aborder la question dans un contexte un peu plus large. Je sais que notre étude porte sur la vie après la famille d’accueil, mais j’aimerais parler un peu… La semaine dernière, j’ai participé à une réunion sur la côte Ouest avec des détenus, et je me suis ensuite rendue sur la côte Est pour assister à une réunion au Mi’kma’ki — à Epektwik, un autre nom pour l’Île-du-Prince-Édouard — avec la Mi’kmaq Confederacy, au cours desquelles certaines de ces questions ont été abordées. Je suis toujours étonnée de constater que les personnes qui n’ont pas vécu en foyer d’accueil sont l’exception dans les prisons. Si on aborde la question sous un autre angle, il semble que les ressources sont infinies pour placer les jeunes en foyer d’accueil et pour les mettre en prison, aux côtés des jeunes criminalisés.
J’aimerais aborder le sujet sous un angle un peu différent. Au Mi’kma’ki, nous avons discuté avec les membres de la Mi’kmaq Confederacy de la nécessité d’investir des ressources dans les communautés afin d’éviter ces issues, dans la mesure du possible, en fournissant des logements et des mesures de soutien. Quels ont été les constats de votre recherche eu égard à l’application du principe de Jordan aux jeunes à la fois durant leur prise en charge et après? Rien dans l’énoncé du principe de Jordan n’interdit son application dans les deux contextes. Avez‑vous des recommandations à nous faire relativement aux réformes à apporter aux lois et aux politiques que nous devrions inclure dans notre rapport pour empêcher la prise en charge d’autres jeunes par le système et aider ceux qui en sortent? La question s’adresse à vous deux, mais je vais demander à Mme Doucet d’y répondre en premier.
Mme Doucet : Dans la liste de lectures recommandées à mon courriel, j’ai inclus un exposé de politique que nous avons rédigé en 2021, au moment de la publication de notre rapport sur les normes équitables. Certaines recommandations s’adressent au gouvernement fédéral, y compris la prolongation de la période d’application du principe de Jordan après la majorité. Nous maintenons cette demande. Comme je l’ai dit, les problèmes ne se règlent pas d’eux-mêmes parce qu’une personne a atteint l’âge fixé par la loi. Il faut vraiment tenir compte de la capacité développementale et de la maturité d’un jeune, et non d’un âge maximal arbitraire. C’est ce que nous préconisons pour les jeunes, qu’ils soient autochtones ou non.
La prévention et l’intervention précoce sont aussi très importantes. Souvent, les jeunes se retrouvent devant la justice parce qu’ils ont vécu un traumatisme. Je suis certaine que vous êtes à même de le constater pour les jeunes Autochtones, dont le taux de surreprésentation dépasse 500 % dans le système de justice pénale.
J’en ai été personnellement témoin. J’ai été intervenante auprès des jeunes dans une unité de crise d’un foyer d’accueil pendant mes études de premier cycle et de deuxième cycle. J’ai vu ce phénomène à l’œuvre quand des jeunes avaient un épisode psychotique. Ils prenaient des cocktails de médicaments qui ne leur convenaient pas. Ils avaient été victimes de terribles violences et leurs comportements reflétaient ces expériences. Au lieu de désamorcer les situations et d’intervenir en tenant compte des traumatismes subis, le personnel appelait la police et des accusations de destruction de biens ou de voies de fait étaient portées contre eux. Ces jeunes avaient leurs premiers démêlés avec la justice pénale et se retrouvaient dans un cycle dont ils arrivaient rarement à se sortir.
Une approche qui tient compte des traumatismes est essentielle pour éviter la criminalisation des jeunes. Comme je l’ai dit, j’en ai vu trop d’exemples. Le même scénario se reproduit quand ils se retrouvent dans la rue, en situation d’itinérance, parce que le système les a oubliés. Ils entrent dans un cycle de criminalisation parce qu’ils doivent voler ou parce qu’ils sont incapables de payer une amende. Ils font l’école buissonnière et adoptent toutes sortes de comportements qui les mènent droit au système de justice. Tout cela pourrait être évité si on adoptait des approches efficaces, qui tiennent compte des traumatismes.
Mx Gahagan : Merci beaucoup, sénatrice Pate.
Je suis entièrement d’accord avec Mme Doucet, mais je trouve important de préciser qu’il faut aussi axer l’intervention sur la réduction des préjudices avant que les gens se criminalisent. Je ne vous apprendrai rien en disant qu’une fois qu’ils ont mis le pied dans le système de justice pénale, leur expérience du monde autour d’eux prend un tout autre visage et la perception des autres à leur égard change du tout au tout.
Je suis entièrement d’accord qu’il faut des approches qui tiennent compte des traumatismes, qui visent entre autres à réduire les préjudices et à assouplir les critères d’accès aux services de soutien en santé mentale. Cela signifie qu’il faut adopter une approche de services qui soit véritablement complète. L’extension de l’application du principe de Jordan va de soi. Je ne peux pas concevoir, comme l’a martelé Mme Doucet, qu’une personne soit lancée seule dans le monde parce qu’elle a atteint un certain âge.
Les difficultés liées aux mesures de soutien en santé mentale, l’utilisation d’une approche qui tient compte des traumatismes et d’approches du genre Logement d’abord… Les gens ont besoin d’un endroit où vivre. On connaît l’effet boule de neige associé à la situation des enfants queers, pour donner un exemple, qui sont mis à la porte par leur propre famille une fois qu’ils sont sortis du placard et qui se retrouvent dans la rue, sans lieu sûr pour se loger. Ces situations mettent souvent en cause des problèmes interdépendants liés aux drogues, aux troubles de santé mentale et aux traumatismes. Il faut commencer par donner aux gens un lieu pour vivre et leur permettre de partir du bon pied.
Dans le cadre du programme de dispense des droits de scolarités, nous avons réussi à intégrer une petite mesure d’intervention auprès des personnes en détention provisoire. Nous continuons de traiter leurs demandes d’admissibilité à un programme de dispense des droits de scolarité. Peu importe le stade auquel elles se trouvent dans le processus, nous ne mettons pas leur demande de côté et nous ne leur donnons pas l’impression que leur accès à l’éducation n’a pas d’importance. Au contraire. Nous travaillons avec ces personnes et nous leur demandons comment nous pouvons les aider à obtenir l’aide nécessaire pour terminer leurs études et ce genre de choses.
C’est une approche complète. Il est impératif de remplacer les limites d’âge arbitraires par une véritable approche globale, qui tient compte des traumatismes et qui vise à réduire les préjudices qui sont causés par la société elle-même. Nous avons le choix de payer maintenant ou plus tard. Nous pouvons investir maintenant et mettre en application les principes fondamentaux de la réduction des préjudices, selon lesquels chaque personne est acceptée telle qu’elle est, selon le stade où elle se trouve dans sa vie et est partie prenante de son cheminement. Comme vous le savez très bien, cette façon d’intervenir est très différente d’une approche punitive, qui met l’accent sur les gestes techniquement répréhensibles pour justifier la détention dans un centre pour les jeunes ou, une fois la majorité atteinte, la prise en charge dans le système pour adultes. C’est complexe. Je pense bien, sénatrice Pate, que je ne vous apprends rien de nouveau, mais tous ces éléments doivent s’imbriquer d’une manière qui permet d’offrir à cette population une approche globale plutôt qu’une approche arbitraire et compartimentée, fondée sur l’âge.
C’est tout à fait possible. Ces personnes représentent une proportion relativement faible de la population canadienne, et nous les avons laissé tomber. Nous pouvons faire mieux. Nous avons déjà des systèmes et des services en place. Si nous ajoutons des données pour garantir la prise de décisions fondées sur des données probantes afin de mieux servir cette population, nous pourrions agir de manière proactive au lieu de continuer à éteindre des incendies.
La sénatrice Senior : Merci à vous deux de votre participation. Je viens d’un secteur que je qualifierais de plus ou moins périphérique pour ce qui est de la question des jeunes qui cessent d’être pris en charge, mais avec lequel il faut collaborer pour des enjeux comme les refuges, la pauvreté ou la violence sexiste.
J’ai deux questions. J’aimerais vous entendre au sujet du rôle des organismes d’aide à l’enfance dans le processus de retrait du système en raison de l’âge, ainsi que du soutien fourni aux jeunes quand ils cessent d’être pris en charge. C’est ma première question.
La seconde question vise à aller un peu plus loin dans l’analyse des données. J’aimerais savoir si une analyse intersectionnelle comparative entre les sexes est réalisée concernant les jeunes ayant atteint l’âge limite de la prise en charge. Je m’intéresse particulièrement à la situation des jeunes Noirs pris en charge par le système. Je sais que les jeunes Autochtones et Noirs sont les plus durement touchés, mais je rappelle certains problèmes survenus dans la région du Grand Toronto qui mettaient en cause l’éducation des jeunes Noirs. Plus précisément, les statistiques indiquaient un taux alarmant de 40 % d’échecs. C’est quelque chose qui m’intéresse parce que je pense qu’il faut comprendre les interactions de tous les systèmes qui ont un impact sur leur vie. Je sais qu’une jeune femme noire de Toronto faisait des recherches sur ce qui arrivait aux jeunes Noirs dont la prise en charge avait cessé. Je vais faire un suivi, mais j’aimerais savoir ce que vous savez à ce sujet. La question s’adresse à vous deux, et j’aimerais entendre vos réponses.
Mme Doucet : Là encore, le suivi des données n’est pas systématique. J’ai pris part à un projet d’analyse de données administratives — pas seulement sur la question de l’atteinte de l’âge limite, mais sur la situation en général — sur les enfants pris en charge par le système au Québec. Même la manière dont les données sur la race et l’origine ethnique sont recueillies, codées et classées n’est pas conforme à la méthode qui serait suivie par des universitaires, disons. Souvent, les études sur la surreprésentation sont réalisées par des universitaires ou des chercheurs et non par les systèmes eux-mêmes en raison de la méthode de collecte au sein de l’administration.
Au Québec, une universitaire noire de l’Université McGill, Alicia Boatswain-Kyte, étudie la surreprésentation des familles noires dans le système québécois de protection de l’enfance. Les données qu’elle a recueillies sont similaires. Ces familles sont surreprésentées, de même que les familles d’immigrants et de réfugiés, mais ce n’est pas un phénomène sur lequel les gouvernements recueillent et communiquent systématiquement des données.
Ce sont des discussions que nous avons eues dans les milieux universitaires également. Même les méthodes de classement des données sur la race et l’origine ethnique sont inégales selon les régions du pays. Il faut vraiment régler ces problèmes, sans quoi nous ne pourrons pas non plus recueillir des données nationales sur ces questions.
Je crois que j’ai répondu à la deuxième partie de votre question. Pouvez-vous me rappeler la première question?
La sénatrice Senior : Elle portait sur le rôle des organismes d’aide à l’enfance.
Mme Doucet : Dans tout le pays, les aides et programmes après la majorité qui existent sont très inéquitables d’une province et d’un territoire à l’autre et aussi selon l’âge. Il me semble que la Colombie-Britannique est la province qui a la limite d’âge la plus élevée, à savoir le jour des 27 ans de l’intéressé. Au Québec, c’est 18 ans avec quelques dispositions ajoutées à la loi au cours de l’année écoulée qui permettent au ministre de soutenir des jeunes, au cas par cas, jusqu’à leurs 25 ans, mais je sais, d’après ce que j’entends dire sur le terrain, que ces dispositions ne sont pas encore vraiment appliquées.
Certaines provinces et certains territoires examinent leur loi et réfléchissent à la possibilité de relever la limite d’âge. Ainsi, le Nouveau-Brunswick vient d’adopter, en janvier dernier, une nouvelle loi, la Loi sur le bien-être des enfants et des jeunes, qui prolonge les services jusqu’aux 26 ans de l’intéressé. Avant cette loi, c’était 19 ans. L’Île-du-Prince-Édouard a adopté récemment une loi qui reporte l’âge limite à 25 ans. Je pense que la Nouvelle-Écosse réfléchit aussi à la possibilité de reporter l’âge limite. Elle a mis en place un programme qui aide les jeunes financièrement dans une certaine mesure, je crois, jusqu’à leurs 24 ou 25 ans. Encore une fois, c’est très inéquitable, et aucune loi fédérale n’impose de tous les aider jusqu’au même âge.
Souvent, ces programmes et services sont assortis de critères d’admissibilité restrictifs, comme de suivre des études postsecondaires à plein temps ou de chercher un emploi, par exemple. Beaucoup de jeunes sont dans l’incapacité de satisfaire à ces exigences. Certains ont des problèmes de dépendance, d’autres traversent de graves crises de santé mentale et ne peuvent pas se concentrer immédiatement sur des études ou un emploi, et ce qui arrive généralement, c’est que les jeunes que nous voyons dans les statistiques et ceux qui s’en sortent mieux sont ceux qui ont accès à ces soutiens et à ces services.
Une étude réalisée il y a quelques années en Colombie-Britannique portait sur les soutiens et services après la majorité. Cette province est considérée comme l’une des plus progressistes. Cette étude conclut qu’un tiers seulement de la cohorte annuelle qui n’est plus prise en charge parce qu’elle a atteint l’âge de la majorité recourt effectivement aux différents soutiens et services existants. Autrement dit, deux tiers de la cohorte n’y accèdent pas à cause des critères d’admissibilité. Le soutien doit être inconditionnel pour que les jeunes puissent avoir accès aux services dont ils ont besoin, là où ils sont, dans la situation qui est la leur et en tenant compte du fait que leur passage à l’âge adulte ne sera pas linéaire. Ces jeunes ont besoin de soutiens et de services tenant compte des traumatismes. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils surmontent tous les obstacles, rentrent dans des cases et fassent mieux que ce à quoi l’on s’attend des jeunes en général. C’est pourquoi nous demandons l’instauration de normes nationales et aussi équitables.
La sénatrice Senior : Je vous remercie.
La présidente : Nous avons trois sénateurs dans la deuxième série et il nous reste 10 minutes. Nous avons donc que trois minutes pour les questions et réponses. Chers témoins, si vous pouvez répondre brièvement, je vous en serai très reconnaissante.
La sénatrice Bernard : Mes questions sont pour les deux témoins. Vous avez toutes deux parlé de la nécessité d’approches tenant compte des traumatismes. Est-ce que les provinces et territoires qui offrent les services d’aide sociale à l’enfance le font en tenant compte des traumatismes? Est-ce que c’est le cas sur le terrain?
Mme Doucet : Je pense qu’il commence à y avoir des conversations et de la formation, mais il s’agit d’un changement de culture et d’une évolution des enjeux fondamentaux du système de protection de l’enfance depuis sa création. Nous avons un système colonial créé par des Blancs mus par un complexe de sauveur. Il s’agit donc de changer fondamentalement la culture et la philosophie qui sous-tendent le système, et aussi de considérer les jeunes comme des égaux et pas d’un point de vue paternaliste, ce qui est généralement le cas dans les approches cliniques traditionnelles du travail social.
Ce que nous préconisons, ce n’est pas un retour à une autre approche, car je ne suis pas sûre qu’il en ait jamais existé, mais une approche relationnelle du travail social où une personne en aide une autre, va à sa rencontre et n’arrive pas avec des préjugés ou des idées reçues, ou ait au moins conscience d’en avoir, les vérifie et fait les choses non seulement en tenant compte des traumatismes, mais aussi d’une manière décoloniale et antiraciste. Il y a beaucoup à faire pour que le système se transforme en quelque chose qui réponde vraiment aux besoins des jeunes là où ils en sont.
Mx Gahagan : Sénatrice Bernard, si je peux ajouter quelque chose, je pense qu’il s’agit d’un projet de gestion du changement sur lequel le gouvernement fédéral doit peser. Pour répondre très brièvement à votre question, l’approche tenant compte des traumatismes est-elle systématique? Je dirais que non. Tout comme il détermine l’expérience que l’on a des soins, l’endroit où l’on vit détermine le type de services, d’aides et de programmes auxquels on a accès. Encore une fois, je pense que la norme nationale que Mme Doucet et moi-même préconisons est vraiment un projet de gestion du changement qui doit être mis en œuvre à l’échelle nationale. Je vous remercie.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse tout d’abord à vous deux, car elle concerne une question que l’on se pose encore aujourd’hui à ce comité. En 2007, ce même comité a publié un rapport intitulé Les enfants : des citoyens sans voix, qui identifiait nombre de défaillances que nous étudions encore aujourd’hui.
Selon vous, quelle est la raison fondamentale pour laquelle le Canada a des difficultés à régler ce problème?
Madame Doucet, vous avez expliqué que le Canada est l’un des rares pays développés qui n’a pas de cadre national pour protéger les jeunes enfants qui quittent le système de protection de l’enfance. Comment expliquer cette situation? Est-ce un problème de financement, de concertation entre les différents ordres de gouvernement ou de volonté politique? Comment expliquer cela?
[Traduction]
Mme Doucet : À mon sens, le partage des pouvoirs territoriaux peut également causer des difficultés, mais ces conversations doivent avoir lieu. Il faut plus de collaboration, au lieu d’une attitude antagoniste. Je pense que toutes les provinces et tous les territoires ont été et sont aux prises avec ce problème, et savent qu’il y a une meilleure façon de procéder. Si les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral en discutaient tous ensemble, ils pourraient en tirer des enseignements. Peut-être que certaines choses fonctionnent bien dans certaines provinces et certains territoires et qu’ils ne sont pas au courant de ce qui se passe. Il n’y a pas assez d’occasions pour ce genre de communication et de partage de connaissances, en particulier.
Je pense que l’investissement financier fait également défaut. Aux États-Unis, il existe le Foster Care Independence Act, ainsi que le Fostering Connections to Success and Increasing Adoptions Act. Ces lois prévoient des fonds pour les États afin de les encourager à mettre en place des programmes et des soutiens pour les jeunes après leur majorité. Aux termes de leur accord de financement, les États ont l’obligation de présenter des rapports avec des données sur les jeunes pris en charge et sur les résultats de ce programme particulier. Il me semble que nous pourrions nous en inspirer au Canada.
Aux États-Unis, les États ont également compétence pour mettre en œuvre les services d’aide à l’enfance. La structure est donc semblable à celle du Canada sur le plan des compétences. À mon avis, ces discussions pourraient aussi avoir lieu dans le contexte canadien, car il s’agit d’un problème commun. Ce n’est pas quelque chose de particulier à une province ou à un territoire. Comme je le mentionnais dans mes observations préliminaires, il concerne aussi, au fond, des institutions et des organismes fédéraux, de sorte que le gouvernement fédéral doit également prendre part à cette conversation.
Mx Gahagan : Je suis d’accord. Je pense qu’en ce qui concerne l’obligation de présenter des rapports, si l’on investit des fonds dans les provinces et les territoires pour aider les jeunes qui cessent d’être pris en charge par les services sociaux, il devrait y avoir une obligation de présenter des rapports au gouvernement fédéral afin qu’il sache s’il y a vraiment des progrès. Je pense qu’à tout le moins, comme le mentionne Mme Doucet, le Canada devrait prendre position. Si une loi est nécessaire pour la défendre, il me semble qu’il s’agit d’un résultat positif et réaliste. Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Ma question est de nouveau pour vous deux. Avec quelques 75 rapports et plus de 435 recommandations formulées dans ce domaine depuis 1987, qu’est-ce qui, selon vous, a empêché des changements plus importants dans ce genre de politiques et de résultats pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge?
Je vous dirai quelque chose. J’ai discuté avec des juges il n’y a pas longtemps, et certains d’entre eux ont commencé à poser des questions aux organismes d’aide à l’enfance, comme quelles preuves avez-vous de l’efficacité de vos interventions? Pouvez‑vous mentionner des études qui montrent l’impact de l’investissement de ressources dans la collectivité? Là encore, je pense à un domaine évident où des changements s’imposeront en raison de l’évolution au palier fédéral en ce qui concerne l’autonomie gouvernementale autochtone en matière d’aide à l’enfance. Des fonds devront y être affectés. Pouvez-vous mentionner des études qui montrent où d’autres approches ont été utilisées et avec quel taux de réussite, le cas échéant, par rapport aux pratiques habituelles en matière d’aide à l’enfance et de retrait des enfants de leur foyer familial?
Mme Doucet : La seule étude que je connaisse est l’analyse coûts-avantages dont je parlais dans mes observations préliminaires. En Ontario, le Bureau provincial de l’intervenant en faveur des enfants et des jeunes, qui n’existe plus, a réalisé une étude. Le rapport, intitulé 25 la nouvelle façon de dire 21, examine la possibilité de prolonger les services et en fait une analyse coûts-avantages qui conclut à des économies importantes réalisées au cours de la vie d’un jeune qui cesse d’être pris en charge. Pour ce qui est du rendement de l’investissement, il me semble que chaque dollar investi rapporterait 1,36 $. Autrement dit, l’investissement serait également rentable. Une analyse coûts-avantages similaire a été réalisée en Colombie‑Britannique, avec des résultats semblables.
Quant à une approche qui ressemble à celle d’une étude largement diffusée, je n’en connais pas, à vrai dire. Je pense qu’avec le mouvement vers l’autonomie gouvernementale des communautés autochtones, il y aura probablement beaucoup d’études à mesure que cette autonomie progressera, mais pour l’instant, il n’y en a aucune à ma connaissance.
La sénatrice Pate : Mx Gahagan, en connaissez-vous?
Mx Gahagan : Nous étudions cette question à l’échelle internationale, en particulier dans les données de l’OCDE, et nous ne trouvons pas d’intervention en particulier qui saute aux yeux, si l’on peut dire.
Pour revenir sur ce qui disait Mme Doucet, nous avions un économiste qui a étudié pour nous le rapport coûts-avantages et, en résumé, si l’on paie maintenant pour aider ces jeunes à avoir plus de temps pour devenir adultes, on voit les économies réalisées grâce à la réduction de l’itinérance, des problèmes de santé mentale, du temps passé dans le système carcéral, etc. Il y a beaucoup de conséquences négatives.
De mon point de vue, et je retourne votre question, en quelque sorte, ne serait-il pas formidable de découvrir quelles sont les interventions fructueuses au Canada et de pouvoir les transposer à l’échelle nationale? Je pense que la plupart d’entre nous seront d’accord pour dire qu’ils préfèrent voir de jeunes adultes bien s’en sortir, plutôt que de les voir finir dans le système carcéral. Nous préférons ne pas les voir dans les données sur le suicide. Nous préférons les voir occuper un emploi, aller à l’université, etc. Je pense que le fait que, depuis longtemps, on ne prête pas assez attention aux jeunes pris en charge ne nous aide vraiment pas à les comprendre. Au lieu de nous concentrer sur les personnes brisées dans un système défaillant, essayons de trouver comment améliorer le système et, par ce processus, d’améliorer le sort des jeunes qui, sans l’avoir choisi, se retrouvent avec l’État comme parent.
Nous pouvons faire mieux et nous montrer plus ambitieux, examiner les résultats positifs et cerner, dans les types d’interventions qui ont lieu au Canada, les indicateurs de réussite qui nous disent qu’il s’agit du bon type d’intervention et de la méthode à développer, que ce soit pour les jeunes Noirs, les jeunes Autochtones ou les jeunes homosexuels qui, encore une fois, comme je l’ai mentionné dans mes observations préliminaires, sont totalement surreprésentés dans les données disponibles.
Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Ai-je le temps de... Non?
La présidente : Non, votre temps de parole est écoulé. En tant que présidente, j’ai toutefois la liberté d’accorder parfois plus de temps, mais je cède la parole à la sénatrice Youance.
[Français]
La sénatrice Youance : En ce qui concerne l’île de Montréal, il y a deux initiatives très intéressantes. Sur l’île de Montréal, il y a la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du côté francophone et les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw du côté anglophone. Ce sont deux systèmes de données différents. Depuis une vingtaine d’années, les centres Batshaw ont expérimenté avec quelques interventions qui ont bien fonctionné. Il y a un organisme qui travaille en partenariat avec la DPJ pour lutter contre la surreprésentation des enfants noirs à la DPJ. C’est un projet qui commence, mais qui donne de bons résultats, au point où le ministre Carmant veut l’étendre à l’échelle du Québec. Il n’y a pas de données, car ce sont de nouveaux projets pour la DPJ, mais on pourrait aller chercher des informations sur le projet et sur les interventions du côté anglophone pour l’île de Montréal auprès des centres Batshaw. C’est tout.
[Traduction]
La présidente : Avant de clore ce panel, je suis sénatrice depuis si longtemps que je me souviens des objectifs du Millénaire pour le développement, les OMD, et je me rappelle que l’OMD 5, qui concernait les femmes et les enfants, laissait à désirer. À présent, on nous dit que l’objectif de développement durable, l’ODD 4, qui concerne les femmes et les enfants, est également à la traîne. Lorsqu’il s’agit des femmes, des jeunes ou des enfants, ce semble être une tendance mondiale. Qu’en pensez-vous?
Mme Doucet : Ce sont les populations les plus vulnérables.
Ce qu’il faut savoir à propos des jeunes qui, une fois majeurs, cessent d’être pris en charge, c’est qu’aucune loi ne protège vraiment leurs droits. La Convention relative aux droits de l’enfant s’arrête à 19 ans et ensuite, ils deviennent adultes pendant l’essentiel de leur vingtaine. Pour certains, cela va même au-delà, en fonction de leurs besoins. Or, il n’existe pas de protections reposant sur des droits pendant cette période, de sorte qu’ils passent juste de l’enfant, au regard de la loi, à l’âge adulte.
Ce que nous disons avec le conseil national et les normes équitables, c’est que cela ne correspond pas au développement de cette population ni à ses besoins. Par ailleurs, des travaux universitaires et des études réalisés au cours des 20 dernières années qualifient la période entre l’adolescence et l’âge adulte, c’est-à-dire entre 19 et 29 ans, de période de progression vers l’âge adulte. Il s’agit d’une étape cruciale du développement que les jeunes doivent vivre pour devenir des adultes épanouis. À cause de la façon dont on légifère dans tout le pays en ce qui concerne l’âge limite de prise en charge des jeunes, les jeunes en question sont en fait privés de cette étape cruciale du développement pendant laquelle l’identité se dessine, pendant laquelle on apprend à résoudre des problèmes, on tire les leçons de ses erreurs, on cherche de leur place dans la société, on découvre un sentiment d’appartenance, etc. En réalité, l’état de la législation dans tout le pays empêche les jeunes de vivre cette étape. Les conséquences que nous constatons tiennent au fait qu’il manque à leur parcours un élément clé qui leur permettrait de s’épanouir en tant qu’adultes. D’où ce que nous préconisons de mettre en place en appliquant des normes.
La présidente : Je vous remercie.
Je tiens à remercier les deux témoins. Vos témoignages nous aideront beaucoup dans notre étude lorsque nous nous préparerons à rédiger ce rapport. Merci infiniment.
Je vais maintenant présenter le deuxième panel. Les témoins disposeront de cinq minutes pour exposer leurs observations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
Nous accueillons, par vidéoconférence, Stacey Greenough, directrice, Bien-être de l’enfant et de la famille, ministère des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse. Nous accueillons également Wendy Chan, directrice associée, Impact des programmes, et Christina Loc, responsable de l’engagement des jeunes et des experts vécus, toutes deux de la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada.
J’invite à présent Mme Greenough à présenter son exposé. Puis ce sera le tour de Mme Chan et de Mme Loc qui, si j’ai bien compris, partageront leur temps de parole.
Stacey Greenough, directrice, Bien-être de l’enfant et de la famille, ministère des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse : Je vous remercie. Je suis très honorée d’être invitée à m’exprimer devant vous tous ce soir au sujet des jeunes qui cessent d’être pris en charge et je suis certainement honorée de passer après Mx Gahagan et Mme Doucet, pour qui j’ai beaucoup d’estime. Je m’appelle donc Stacey Greenough. Je suis directrice, Bien-être de l’enfant et de la famille, au ministère des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse.
Je me joins à vous ce soir depuis Halifax, dans Mi’kma’ki, le territoire ancestral et non cédé des Micmacs. Le peuple de la nation micmaque vit depuis des millénaires sur ce territoire, et je salue en elle les gardiens passés, présents et futurs de cette terre.
Il y a 30 ans, j’ai eu le grand privilège de commencer à travailler comme intervenante des services à la jeunesse en Nouvelle-Écosse, et c’est là qu’est née mon envie d’aider les jeunes pris en charge. J’ai opté pour le travail social dans l’espoir d’améliorer leur situation, leur vie et les résultats. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous parler de ce que nous faisons pour apporter des changements positifs dans notre province.
En Nouvelle-Écosse, nous savons que le meilleur endroit pour un enfant est au sein de sa famille et de sa communauté, et tout est fait pour éviter la prise en charge d’un enfant. Comme vous l’ont dit les membres du panel précédent, les besoins des jeunes qui ne sont pas en mesure de rester ou de retourner en toute sécurité sous la responsabilité de leurs parents ou de leurs tuteurs sont vastes et complexes.
Malgré les efforts constants, consciencieux et exhaustifs de Bien-être de l’enfant et de la famille pour trouver des familles permanentes et aimantes pour les enfants et les jeunes pris en charge lorsqu’il est impossible de les réunir avec leur famille, il arrive que des jeunes cessent d’être pris en charge de façon permanente à leur majorité sans soutien familial, malgré leur situation et leurs problèmes, et leurs toutes nouvelles responsabilités d’adultes. Nous savons que les jeunes qui cessent d’être pris en charge sont très exposés à la pauvreté et à l’itinérance. On vous a expliqué, et la recherche nous le montre clairement, qu’une fois leur majorité atteinte, les jeunes pris en charge ont des problèmes de santé nettement plus graves que ceux de leurs pairs.
Ce soir, je vous parlerai un peu des soutiens apportés en Nouvelle-Écosse. Depuis plus de 15 ans, les services de Bien‑être de l’enfant et de la famille de la province proposent des ententes post-garde et de prise en charge aux jeunes adultes qui sortent de la prise en charge permanente pendant qu’ils poursuivent leurs études.
Dans notre province, environ 120 jeunes bénéficient actuellement de ce type d’aide qui comprend les frais de subsistance et les frais de scolarité, ainsi que d’autres aides essentielles. Ils reçoivent aussi le soutien d’un travailleur social, afin de prolonger l’intervention. Je précise que ces aides sont accessibles et peuvent être incluses à tout moment avant l’âge de 25 ans. Cependant, comme nous l’avons entendu ce soir, étant donné les problèmes complexes auxquels font face les jeunes qui ont été pris en charge, beaucoup ne sont pas prêts à ou capables de vivre avec succès cette période stressante où ils sont aux prises avec des changements de vie brutaux et déstabilisants.
Cela dit, je mentionnerai que Bien-être de l’enfant et de la famille participe également à l’excellent travail que mène Mx Gahagan dans le cadre de la recherche du Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH, sur les dispenses de frais de scolarité à l’Université Mount Saint Vincent. Nous continuons de soutenir pleinement l’approche holistique et l’élargissement de ces dispenses, comme il a été mentionné, afin de répondre aux besoins des étudiants qui ont été pris en charge lorsqu’ils sont prêts à et capables de poursuivre des études postsecondaires, et avec les ressources dont ils ont besoin. Je voulais le préciser.
En 2020, en Nouvelle-Écosse, nous avons créé un cadre pour les jeunes en transition en ayant pour vision qu’ils soient en sécurité, en bonne santé, en lien avec des familles et des communautés saines et qu’ils soient soutenus pour réaliser leur plein potentiel tandis qu’ils entrent dans l’âge adulte. Nous avons notamment mis l’accent sur les liens et réellement pris en compte les facteurs de risque, de protection et de promotion. La Nouvelle-Écosse a mis en place des soutiens possibles, y compris des activités de sensibilisation des jeunes axées sur la collectivité et attentives à la culture qui se prolongeront au-delà de la période de prise en charge d’un jeune.
En 2021, la Ligue pour le bien-être de l’enfance au Canada a publié Le Modèle d’évaluation des normes équitables de transition vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge et, comme l’a mentionné Mme Doucet, c’était une forme d’appel à l’action lancé à toutes les provinces et à tous les territoires. Nous aussi, nous réfléchissions alors au meilleur moyen d’encourager les jeunes pris en charge à s’épanouir, au lieu de peiner à survivre. Nous avons constaté qu’il faut de plus en plus de temps aux jeunes en général, comme l’a mentionné Mme Doucet.
Il me semble intéressant de souligner aussi que les données de Recensement du Canada nous apprennent qu’en 2021, 30 % des jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans vivaient dans des ménages privés au Canada avec au moins un de leurs parents. C’est une possibilité que n’ont pas les jeunes qui cessent d’être pris en charge.
Je suis fière de dire que la Nouvelle-Écosse a répondu à l’appel à l’action. Entre 2022 et 2023, nous avons entrepris de réfléchir à la meilleure façon de soutenir les jeunes pendant leur transition. Nous avons examiné les programmes de soutien post‑prise en charge déjà mis en œuvre dans d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, et vous avez entendu parler de ce qui se fait en Alberta et en Ontario. Nous avons examiné des éléments similaires pour ce que nous envisagions, et nous avons constaté que les soutiens pouvaient être offerts de différentes façons, ce dont vous avez aussi entendu parler ce soir, les modalités variant en fonction des aides au logement, des suppléments de revenu et des critères d’inscription.
Nous avons pris en compte les commentaires des jeunes, qui connaissent le mieux leur propre vie, et les données dont nous disposions. En janvier 2024, nous avons lancé notre nouveau programme, le Path Program. Je vais vous en présenter quelques éléments clés.
Ce programme vise à mettre en place un système de soutien pour les jeunes afin qu’ils soient en sécurité, en bonne santé, qu’ils aient des liens positifs avec leur collectivité et qu’ils aient des possibilités équitables d’accéder aux aides nécessaires pour s’épanouir et réaliser leur plein potentiel tandis qu’ils entrent dans la vie adulte. Le programme comprend des interventions communautaires afin d’apporter des soutiens qui leur sont réservés d’une intensité croissante, selon les souhaits des jeunes. Il comprend l’accès 24 heures sur 24, par appel téléphonique, à un travailleur social communautaire...
La présidente : Je vous remercie. Je vous ai accordé près de six minutes. Je sais que vous avez un exposé écrit devant vous. Afin que nous ayons suffisamment de temps pour les questions des sénateurs et pour vos réponses, je peux communiquer à tous les sénateurs ce que vous nous avez envoyé. S’il y a un point important que vous avez oublié et que vous souhaitez nous présenter en 30 secondes, faites-le. Autrement, je céderai la parole aux autres témoins.
Mme Greenough : Je dirai que, peut-être, dans les dernières observations, les commentaires de la jeune personne sur son expérience nous seraient utiles. Ce serait formidable si vous pouviez nous les communiquer. Nous vous en serions reconnaissants.
Christina Loc, responsable de l’engagement des jeunes et des experts vécus, Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada : Je vous remercie, madame la présidente, madame la vice-présidente, membres du Comité sénatorial permanent, de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Christina Loc. J’ai été jeune prise en charge et je suis responsable de l’engagement des jeunes et des experts vécus, à la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada. Je soutiens le conseil consultatif des jeunes de la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada et le réseau des experts vécus de tout le Canada qui guident notre travail, et je suis honorée de les représenter ici aujourd’hui.
En tant qu’experte vécue, j’ai passé 14 ans dans le système de protection de l’enfance, de l’âge de 4 à 18 ans, et j’ai quitté mon foyer à 17 ans. Je travaille et fais du bénévolat dans le secteur de la protection de l’enfance depuis l’âge de 10 ans et, en plus de mon rôle à la Fondation, je codirige Project Outsiders, un organisme à but non lucratif qui utilise les multimédias pour mettre en lumière les vulnérabilités des jeunes qui ont été pris en charge par le système d’aide à l’enfance canadien et les obstacles qu’ils rencontrent.
Forte de cette expérience et de mon travail quotidien où je parle avec des jeunes de tout le pays, je suis parfaitement consciente des difficultés liées à la fin de la prise en charge à partir d’un certain âge. La réalité pour de nombreux jeunes est que dès leurs 18 ans, et parfois leurs 16 ans, les systèmes minimaux qu’ils avaient en place pour les soutenir, comme les familles d’accueil et les foyers de groupe, prennent fin. Sans aucun système de soutien, sans famille ni parents pour les soutenir, beaucoup passent de la prise en charge à l’itinérance, avec la crainte perpétuelle de retomber dans la pauvreté.
En fait, les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge sont 200 fois plus susceptibles de se retrouver en situation d’itinérance que leurs pairs hors du système, et il n’est guère surprenant qu’environ quatre demandes de fonds d’urgence sur cinq présentées à la Fondation soient des demandes d’aide pour payer un loyer. Malheureusement, nous savons que des jeunes militants et des jeunes leaders de notre réseau vivent actuellement dans des refuges parce qu’ils ont épuisé leurs ressources et n’ont personne sur qui compter.
Cette situation est très stressante pour un jeune, tant physiquement que mentalement. À cause de la situation dans laquelle ils se retrouvent, les jeunes qui cessent d’être pris en charge se heurtent souvent à d’autres obstacles encore, comme des problèmes de santé mentale et de mauvais résultats scolaires. Ces problèmes liés à des droits ne sont souvent pas pris en compte lorsque les jeunes cessent brusquement d’être pris en charge et ils peuvent perdurer à l’âge adulte, ce qui entraîne des coûts économiques, sociaux et de santé importants, non seulement pour eux, mais aussi pour la société dans son ensemble.
Je vous remercie de votre attention. Je cède la parole à ma collègue, Mme Chan.
Wendy Chan, directrice associée, Impact des programmes, Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada : Je vous remercie, madame Loc. Je vous remercie, madame la présidente, madame la vice-présidente, membres du comité, de me donner l’occasion de parler avec vous aujourd’hui. Je m’appelle Wendy Chan et je suis directrice associée, Impact des programmes, à la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada. Je dirige une équipe qui met en œuvre des programmes et des fonds qui aident des jeunes lorsqu’ils cessent d’être pris en charge, et ce dans tout le Canada.
Les résultats persistants et défavorables dans ce groupe de jeunes sont encore plus inquiétants si l’on considère les niveaux de soutien très différents dont ils disposent lorsqu’ils atteignent l’âge de la fin de la prise en charge simplement selon l’endroit où ils vivent. Par exemple, dans certaines régions, l’aide financière ou autre apportée aux jeunes dure jusqu’à 26 ans, alors que dans d’autres, elle s’arrête à 18 ans.
L’une des lacunes les plus surprenantes peut-être est que nous ne savons pas à l’échelle nationale non seulement combien d’enfants sont pris en charge et combien cessent de l’être à un certain âge chaque année, mais aussi, ce qui est tout aussi important, comment ces enfants et ces jeunes s’en sortent. C’est inacceptable dans un État partie à la Convention relative aux droits de l’enfant.
En tant que seule fondation nationale du Canada qui s’efforce d’améliorer la vie des jeunes inscrits dans le système de protection de l’enfance, la Fondation de l’aide à l’enfance du Canada s’attache à remédier à ces inégalités, mais des inégalités de cette ampleur nécessitent une intervention gouvernementale. Tout investissement fédéral en faveur de la jeunesse doit inclure des stratégies qui reconnaissent que les jeunes qui cessent d’être pris en charge à leur majorité constituent le groupe de jeunes le plus vulnérable du Canada et qui donnent la priorité à l’accès aux soutiens dont ils ont besoin dans toutes les provinces et tous les territoires.
Il est possible de remédier à cette situation dès à présent. Alors qu’il prépare le nouveau Fonds pour la santé mentale des jeunes du Canada, le gouvernement fédéral devrait sérieusement réfléchir à la façon dont ce fonds peut améliorer l’accès aux soins de santé mentale pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge ou à la façon dont le Programme canadien d’aide financière aux étudiants pourrait réduire les prêts et augmenter les bourses pour ce groupe de jeunes, ou encore à la façon dont les jeunes qui cessent d’être pris en charge, où qu’ils se trouvent au Canada, devraient avoir accès à des adultes qui les soutiennent et à un point d’accès numérique bien annoncé et facile à utiliser pour se renseigner sur les services d’éducation et de logement et d’autres prestations inexploitées qui peuvent les aider et pour savoir comment y accéder.
Le gouvernement fédéral doit investir dans de bonnes données et dans des initiatives comme celle de l’Agence de la santé publique du Canada qui vise à développer le Système canadien de renseignements relatifs à la protection de l’enfance. À l’échelle nationale, nous manquons de données et de ressources pour bâtir les passerelles et les réseaux nécessaires pour soutenir de manière cohérente les jeunes qui cessent d’être pris en charge à un certain âge dans tout le pays.
En plaçant les 13 provinces et territoires dans sa ligne de mire, la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada est impatiente de le faire et nous entrevoyons une occasion de collaboration cruciale pour optimiser et multiplier les dollars philanthropiques pour créer un impact national afin de garantir que les jeunes qui cessent d’être pris en charge par le système de protection de la jeunesse reçoivent l’attention et le soutien qu’ils méritent. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci pour vos déclarations.
Avant de passer aux questions des sénateurs, madame Chan, j’aimerais vous poser une question. À la fin de chaque étude, nous formulons des recommandations au gouvernement. Quelle recommandation aimeriez-vous vraiment voir une fois que nous aurons terminé notre étude et que nous aurons formulé nos recommandations?
Mme Chan : Une seule? Mx Gahagan et Mme Doucet ont souligné le rôle nécessaire des données. Une supervision nationale d’une sorte de dépôt de données où nous pourrions comprendre ce qui se passe dans les différentes administrations, ce qui fonctionne réellement et comment combler les lacunes dans d’autres administrations serait un excellent point de départ.
La présidente : Merci. Nous donnons la parole à la vice‑présidente, Mme Bernard.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie toutes les trois de votre présence et de votre témoignage ce soir.
Je vais poser une question qui s’inscrit dans le prolongement de la discussion avec le groupe précédent. Au cours de cette discussion, nous avons entendu chaque témoin parler des intersections entre l’indigénéité, la race, le racisme, la réalité allosexuelle, l’homophobie, la transphobie et le capacitisme. Les jeunes qui cessent d’être pris en charge courent peut-être un plus grand risque de vivre certaines difficultés qu’ils ont répertoriées.
D’après votre travail avec la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada et avec les jeunes directement, disposez-vous de données sur le nombre de jeunes issus de ces différents milieux sociaux qui accèdent à vos services?
Madame Greenough, pourriez-vous répondre à la même question du point de vue de votre travail depuis 15 ans avec les ententes de garde et de services après la prise en charge que vous avez conclues, mais aussi dans le cadre du programme Path le plus récent? Qui en profite? Qui est susceptible de profiter de ces programmes?
Mme Chan : Merci pour cette question.
Dans le cadre des programmes de la Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada et des organismes d’aide aux enfants et aux adolescents que nous soutenons dans tout le pays — nous travaillons avec un réseau d’environ 100 organismes — nous leur demandons de recueillir des données sur les identités intersectionnelles qui peuvent les rendre plus vulnérables ou plus susceptibles d’avoir des interactions avec le système de protection de l’enfance. Comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, il y a certainement une surreprésentation des jeunes Noirs dans les services de protection de l’enfance, des jeunes autochtones, des membres de la communauté 2SLGBTQIA+ et des jeunes qui s’identifient comme ayant un handicap.
En ce qui concerne les données rigoureuses, je dirais que nous avons des pratiques prometteuses qui visent des interventions précises. Par contre, je ne dirais pas que nous avons des données rigoureuses et complètes dans toutes les administrations. Par exemple, dans notre programme national d’enseignement postsecondaire, nous demandons aux jeunes de divulguer volontairement des données relatives à leur identité. Nous constatons une surreprésentation d’Autochtones et de Noirs parmi ces étudiants. Nous ne recueillons pas de données sur l’orientation sexuelle. Nous essayons de tenir compte du fait que les jeunes pris en charge par les services de protection de l’enfance n’ont pas nécessairement le contrôle de certains aspects de leurs données dans leur vie personnelle et qu’ils n’ont peut-être pas eu le choix de les divulguer ou non. Nous sommes également conscients que certains jeunes n’ont pas créé une relation de confiance avec les organismes qui ont ostensiblement pour mission de les aider.
Il est évident que nous constatons dans certains de nos autres programmes nationaux, comme Youth Works, notre programme national d’aide à l’emploi pour les jeunes, que davantage de jeunes Autochtones et de Noirs accèdent à ces services, et nous avons quelques idées de pratiques prometteuses et positives pour mieux aider les jeunes qui ont des identités intersectionnelles.
Le gouvernement fédéral a certainement un rôle à jouer dans la collecte de données à grande échelle et de manière rigoureuse afin que nous puissions vraiment démontrer quelles initiatives fonctionnent avec certains jeunes dans certaines circonstances et pour compléter les forces présentes dans différentes administrations.
Mme Loc : Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit ma collègue Wendy Chan, même si nous constatons une augmentation en premières lignes et avec les jeunes avec lesquels je travaille au quotidien par rapport aux nombreuses crises que nous gérons. Quatre jeunes sur cinq nous contactent en situation de crise, généralement pour des raisons liées au loyer et à la difficulté d’avoir un toit. Nous constatons de plus en plus de cas de ce type, surtout après la pandémie. Je tiens à signaler également qu’une grande partie des situations que les jeunes ont tendance à vivre en raison de cette instabilité du logement sont souvent dues à des facteurs identitaires et à leur intersectionnalité qui n’ont peut-être pas été révélés et qui, par conséquent, les exposent à un risque d’instabilité, de préjudice et d’exploitation supplémentaires en raison de leurs conditions de vie.
Mme Greenough : Je vais peut-être souligner d’emblée que nous avons travaillé sur notre système de collecte de données en Nouvelle-Écosse. Madame Bernard, nous avons pu tirer parti de nos données raciales au cours de l’année dernière afin d’améliorer la façon dont nous saisissons l’information et les intersectionnalités.
Vous avez parlé des ententes de garde et de services après la prise en charge. Nous avons les chiffres de ceux que nous avons aidés sur plus de 15 ans dans l’un de nos systèmes, et un autre système saisit des chiffres supplémentaires qui n’auraient pas nécessairement été transposés. Je peux dire qu’au moins 453 personnes ont été aidées de cette manière. En ce qui concerne les résultats, je pense que nous avons là aussi des difficultés. Une fois qu’un jeune ne relève plus de nous, nous n’avons évidemment aucun moyen de savoir comment les choses évoluent à partir de là, si ce n’est de dire que sa situation est telle à ce moment précis.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation différente avec le déploiement de notre programme Path, car dans le cadre de l’entente — et nous ne sommes pas soumis à certaines des restrictions dont nous avons entendu parler qu’on doit respecter, autres que le fait d’atteindre l’âge de la majorité à 19 ans qui met fin à la prise en charge et à la garde permanentes ou aux services de protection de la jeunesse et de ne pas habiter chez ses parents — nous sommes en mesure d’engager un dialogue avec les jeunes et de les aider à trouver des solutions. Nous sommes en mesure de conclure une entente, dont une partie consiste à fournir un retour d’information sur les résultats qui sont importants pour eux. La phase suivante de notre travail est en fait l’évaluation de ce processus, afin de nous permettre de nous adapter et d’être sensibles aux besoins de ces jeunes, ainsi qu’aux résultats et aux mesures que nous voulons vraiment mieux connaître.
Je ne sais pas si j’ai pleinement répondu à la question. Je pourrais en dire plus, mais je sais que j’ai déjà pris trop de temps.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Osler : Ma question s’adresse à Mme Greenough et fait suite à ce que vous venez de dire au sujet des données. Peut-être pourriez-vous nous parler des éléments de données que le ministère recueille. Connaissez-vous d’autres provinces ou territoires qui recueillent un ensemble de données solide, et avez-vous des recommandations sur les éléments de données qui devraient ou doivent être recueillis si une future base de données devait être établie?
Mme Greenough : Oui. En ce qui concerne la saisie des données et des différents éléments, nous avons vraiment besoin d’une saisie solide.
Ce que nous utilisons actuellement est insuffisant. Nous avons eu du mal à les extraire, mais il est vrai que nous disposons de données que nous avons pu mesurer simplement sur le nombre de familles dont nous nous occupons, à quel stade, à quel moment un jeune est pris en charge, quels services et quels types d’intervention afin que nous puissions vraiment examiner quelles formes d’aide et d’intervention peuvent être les plus efficaces.
Ce n’est qu’une partie de la planification de tout ce que l’on peut imaginer pour un jeune. Lorsque nous travaillons avec une famille pour déterminer s’il est nécessaire de modifier l’intervention pour la sécurité de l’enfant et la préservation de la famille, une partie de ce plan est un objectif de permanence pour l’enfant.
Nous sommes en train de mettre au point de meilleurs moyens de déterminer les services et les mesures de soutien les plus efficaces, mais certainement pour ceux qui sont pris en charge, ceux qui vivent dans des familles d’accueil, les différents types de soutien que les services de protection de la jeunesse et notre province peuvent être en mesure d’offrir et où ces liens sont établis pour un jeune. Nous cherchons donc à recueillir des renseignements sur tous les aspects de la planification.
Vous avez raison. Les choses se présentent différemment d’un bout à l’autre du pays, selon le système de gestion des dossiers. Nous passons de l’un à l’autre. Pour certaines choses, nous avons investi dans ce besoin plus immédiat, comme les données basées sur la race dont j’ai parlé, mais elles seront beaucoup plus robustes dans notre prochain système, même en ce qui concerne les noms préférés par rapport aux noms légaux et le fait de ne pas les utiliser comme alias s’il s’agit d’un nom préféré. Je vais peut-être m’arrêter là. Je suis peut-être en train de m’aventurer en terrain inconnu.
La sénatrice Osler : Je ne pense pas que vous vous aventurez du tout en terrain inconnu, mais pouvez-vous nous parler de votre expérience? Vous avez dit que vous disposiez de quelques données sur les résultats, mais de peu de données solides sur les résultats. D’après votre expérience, parmi les données que vous avez collectées, quels éléments ont conduit à de meilleurs résultats une fois que certains jeunes cessent d’être pris en charge par les services de protection de l’enfance?
Mme Greenough : Les connexions. En fait, nous avons récemment échangé avec Michael Ungar par l’entremise de l’Université Dalhousie et du Centre de recherche sur la résilience — une question a été posée à ce sujet dans la discussion avec le groupe précédent — et nous étudions vraiment les facteurs qui favorisent la transition des jeunes. Bien sûr, s’ils doivent être pris en charge, l’attachement à une famille, donc les familles d’accueil, et le fait de ne pas subir de nombreux déménagements. Vous avez entendu parler ce soir des traumatismes et de la nécessité d’établir des relations avec les enfants et les familles. C’est un élément clé essentiel, et les nombreux déménagements des enfants ont un impact tellement grand sur eux.
Il est certain que tout cela est lié aux traumatismes, mais le changement et ce que nous croyons dans notre cadre de pratique et ce que nous intégrons dans notre politique à ce stade vise vraiment à cibler les besoins de l’enfant et de la famille et à reconnaître que l’enfant et la famille sont les experts de leur situation, puis à répondre d’une manière positive.
La sénatrice Osler : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse aux deux témoins, mais en particulier à Mme Chan. Lors du précédent groupe, Mme Doucet nous a indiqué que le Canada est l’un des rares pays développés à ne pas disposer d’un cadre national pour les jeunes en transition.
Madame Chan, vous nous avez expliqué que le gouvernement fédéral devrait s’investir davantage auprès des jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance. Est-ce que vous avez des exemples de mesures et de bonnes pratiques à l’échelle internationale qui pourraient nous inspirer, ainsi que le gouvernement canadien? L’objectif de cette étude est de faire des recommandations au gouvernement.
[Traduction]
Mme Chan : Merci pour cette question.
Pour ce qui est d’exemples internationaux, il y a un certain nombre d’éléments différents, par exemple, dans les logements supervisés ou d’autres façons dont les jeunes sont aidés grâce à la mise en rapport avec des réseaux de soutien. Je serais très heureuse de vous donner plus de détails après cette réunion, si cela vous convient. Je pense qu’il y a des exemples au Royaume‑Uni où l’on a recours à beaucoup plus de logements supervisés. Mx Gahagan a mentionné le modèle du logement d’abord pour les jeunes, qui donne la priorité au fait qu’un jeune dispose d’un espace et d’un milieu de vie sécuritaire comme élément fondamental lui permettant de poursuivre ses études, d’établir des relations et de cheminer dans sa carrière. Je crois que des travaux en Scandinavie sont également très prometteurs dans le domaine du logement. En Nouvelle-Zélande, je crois qu’il y a aussi beaucoup de pratiques très prometteuses.
Comme le temps nous manque, je propose de faire un suivi ultérieurement, car un organe international permet à différents pays de se réunir et de discuter des pratiques prometteuses explicitement liées à la transition des jeunes qui cessent d’être pris en charge. Je crois que des représentants du Canada y participent, mais il s’agit généralement d’universitaires. Je pense qu’il serait très prometteur pour les gouvernements et les provinces et territoires d’être en mesure d’y participer et de s’en inspirer, puis d’investir dans certaines pratiques très prometteuses.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma prochaine question s’adresse à Mme Greenough. Dans un arrêt rendu par la Cour suprême en 2024, l’institution a réaffirmé que, en matière de protection de l’enfance autochtone, il existait un chevauchement des compétences entre le fédéral et les provinces, et qu’une action concertée est requise à cet égard.
Comment se manifeste ce chevauchement des compétences en Nouvelle-Écosse avec le gouvernement fédéral? Selon vous, que pourrait-on améliorer?
[Traduction]
Mme Greenough : Merci.
Juste un point sur votre dernière question : je tenais simplement à citer une pratique exemplaire. Je mettrais l’accent sur les conférences familiales. Comme le fait de prévenir l’entrée d’un enfant ou d’un jeune dans le système de prise en charge est en fin de compte la priorité, je tenais à le mentionner aussi et je pense que cela ferait certainement partie de ce groupe et de cette discussion, comme Mme Chan l’a dit.
En ce qui concerne la décision de la Cour suprême, je parlerai de la Nouvelle-Écosse. En Nouvelle-Écosse, nous avons une organisation autochtone désignée, Mi’kmaw Family and Children’s Services. Nous avons travaillé en collaboration avec eux. Cet organisme fournit des services pour le bien-être des enfants et des familles dans les réserves. Bien entendu, les enfants, les jeunes et les familles autochtones hors réserve sont pris en charge par la Direction du bien-être de l’enfant et de la famille au ministère des Services communautaires.
En ce qui concerne les récentes décisions qui ont été rendues, ne serait-ce qu’en tenant compte de la « Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis », ce travail est accepté par tous — et il est conforme à cette loi. En ce qui concerne la collaboration nécessaire pour progresser vers l’autonomie gouvernementale, du point de vue de la Nouvelle-Écosse, il s’agit de travailler à tous les niveaux pour favoriser cette transition. Au-delà de la compétence partagée — comme c’est le cas actuellement, en ce qui concerne le bien-être de l’enfant et de la famille, qui relève du ministère des Services communautaires, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires et les communautés qui veillent à la sécurité des enfants, des jeunes et des familles, et nous comptons donc sur le leadership de nos communautés autochtones.
En fait, nous avons largement modelé notre nouveau changement de pratique et notre cadre de pratique sur les pratiques autochtones. En Nouvelle-Écosse, très peu d’enfants pris en charge par l’organisme Mi’kmaq sont placés temporairement, car ces cercles fonctionnent. Cette pratique fonctionne.
Je m’arrêterai là. Je ne suis pas sûre que cela réponde entièrement à la question.
La sénatrice Pate : Merci à nos témoins.
Ma première question s’adresse à Mme Greenough, bien que je sois heureuse d’entendre les commentaires de ses collègues. En fait, c’est en Nouvelle-Écosse que j’ai commencé à travailler auprès de jeunes et auprès de femmes. L’une des choses qui m’ont frappées à l’époque — et à propos de laquelle je n’ai pas entendu beaucoup de témoignages indiquant que les choses avaient nettement changé, bien que votre dernière observation sur ce qui se passe avec les Autochtones puisse aller dans ce sens — j’ai toujours été frappée par le fait qu’il y avait des ressources pour retirer les enfants de leur famille et les placer dans des familles d’accueil, et qu’il y avait des ressources pour retirer les enfants des familles d’accueil et des foyers de groupe et les placer en prison; pourtant, le coût de ces mesures était rarement pris en compte.
Les témoins précédents ont parlé des normes équitables pour les transitions vers l’âge adulte des jeunes pris en charge et des huit piliers. Je suis curieuse de savoir si votre programme, en particulier le programme Path, soutient chacun de ces piliers. Si oui, comment? Envisagez-vous des économies si vous maintenez les jeunes dans la communauté ou dans leur famille? Certes, ce n’est peut-être pas dans leur famille d’origine, mais dans leur communauté. À quels obstacles êtes-vous confrontée en matière de financement? Je suis frappée par le fait que des fonds sont disponibles pour la prise en charge de jeunes par l’État, mais que ces ressources sont rarement disponibles pour financer les familles ou les communautés afin qu’elles fournissent elles‑mêmes ces services, même si l’exemple des Mi’kmaqs, comme vous l’avez mentionné, semble très prometteur.
Mme Greenough : Merci. C’est une question très pertinente et profonde.
Pour commencer, nos services de bien-être de l’enfant et de la famille ont reconnu que les mesures de prévention et d’intervention précoce doivent être prioritaires pour éviter qu’un enfant ne soit pris en charge. Qu’est-ce que cela signifie? Cela peut signifier que la famille a besoin de services de garde d’enfants. Nous pouvons apporter notre aide de différentes manières. Comme vous l’avez dit, le financement était auparavant destiné aux personnes qui s’occupaient de l’enfant pendant qu’il était pris en charge, et nous avons donc vraiment cherché à opérer ce changement.
En Nouvelle-Écosse, nous sommes en train de changer entièrement notre façon d’être à cet égard. Il s’agit vraiment d’avoir ce cercle, d’avoir cette famille au centre, ou avec la famille élargie. Comme vous l’avez dit, il ne s’agit peut-être pas des parents, mais il peut s’agir d’une extension, de ce que la famille représente pour eux en tant que membres de la famille, de ces relations étroites.
En ce qui concerne le programme Path et la manière dont il s’inscrit dans ce contexte, comme nous avons joué un rôle de curateur pour ces jeunes, s’ils atteignent l’âge adulte et que nous n’avons pas réussi à leur trouver une famille pour toujours pour toutes les raisons que nous avons entendues, sur le plan financier, mais aussi de leurs besoins particuliers, afin de répondre à leurs besoins de la même manière que s’ils avaient cette extension de la famille, ce programme est conçu à cette fin. C’est pourquoi il est destiné aux personnes qui atteignent l’âge de la majorité. À ce stade, cela n’inclut pas les personnes qui sont placées temporairement et qui sont retournées dans leur famille.
Il s’agit également des jeunes très vulnérables de 16 à 18 ans qui atteignent l’âge de 19 ans et qui ont des difficultés à se loger. Nous avons fourni des capitaux pour ces jeunes dans l’élaboration de ce programme afin de garantir qu’ils reçoivent les mêmes aides qu’un jeune placé en permanence, étant donné que la nature de leurs besoins est la même. Ils sont parfois plus aigus parce qu’ils n’ont peut-être pas bénéficié d’un certain soutien dans le cadre d’un placement tout au long de leur parcours dans le système de prise en charge.
Je m’arrêterai là. Je ne sais pas si j’ai répondu entièrement à ce que vous cherchiez.
La sénatrice Pate : Vous connaissez probablement — parce que vous avez mentionné que vous connaissiez les deux témoins précédents — les Normes équitables pour les transitions vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge. Si vous avez mis en place un plan qui montre comment vous avez pris en compte ces huit piliers, je pense que nous aimerions beaucoup le recevoir. Ce serait très utile.
J’aimerais donner l’occasion à Mmes Chan et Loc de discuter également de la question de savoir si, en particulier au sein de la fondation, vous avez examiné le coût de ce qui se passe lorsque vous n’intervenez pas. Je pense que vous avez probablement entendu la question que j’ai posée aux témoins précédents, à savoir que je ne rencontre pratiquement aucun prisonnier qui n’a pas été pris en charge, et pourtant nous dépensons parfois plus d’un demi-million de dollars pour les maintenir en détention alors que des mesures de soutien dans la communauté seraient sans aucun doute bien plus efficaces.
Mme Greenough : J’ajouterais qu’en ce qui concerne les piliers des normes équitables, nous continuons à nous y référer dans le cadre de notre travail.
Je dirai que notre programme Path est très récent. Lorsque nous avons pu le mettre en place, nous l’avons fait rapidement, compte tenu du climat financier et des pressions auxquelles les jeunes étaient confrontés. Nous voulions tout d’abord que les paiements soient effectués dès janvier. Nous savons que nous n’avons pas atteint tous les objectifs du programme, mais je suis heureuse de vous faire part de notre évaluation et de vous dire que nous continuons dans cette voie en cherchant à améliorer le programme.
Je dirais qu’il est intéressant de constater qu’une partie de ce que j’ai dit est qu’en 2020, lorsque nous avons élaboré notre cadre pour les jeunes en transition, que je vous fournirai avec plaisir — il s’agit de tous les jeunes que nous soutenons —, cela s’aligne de très près sur ce que Mme Doucet et le Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge ont publié dans leur rapport. C’est ce que nous nous efforçons de faire. C’est ce que j’appelle le bulletin lorsque nous en parlons ici. Nous devons vérifier notre bulletin pour voir où nous en sommes par rapport à ces piliers. Je serais heureuse d’avoir d’autres discussions et de vous en faire part au fur et à mesure.
La présidente : Nous avons dépassé les cinq minutes. Mesdames Chan et Loc, si vous le souhaitez, vous pouvez présenter un mémoire par écrit. N’importe quel témoin peut nous présenter un mémoire.
La sénatrice Senior : J’ai une question qui s’adresse explicitement à Mme Chan. Elle fait suite à une question que j’ai posée sur le rôle des organismes de protection de l’enfance. Étant donné que vous êtes une fondation, je m’interroge sur le rôle des services d’aide à l’enfance en particulier et sur la façon dont ils s’harmonisent avec votre rôle en tant que fondation. Le travail semble extraordinaire, mais d’après mon expérience, une fondation se concentre sur la collecte de fonds comme objectif principal. Comment ce travail se déroule-t-il en conjonction avec les services d’aide à l’enfance en particulier? Les résultats dont vous parlez et le travail que Christina Loc a explicitement décrit sont-ils financés par la fondation? J’aimerais avoir un peu plus de précisions à ce sujet.
Mme Chan : Je vous remercie de votre question.
La Fondation pour l’aide à l’enfance du Canada est un organisme caritatif national qui recueille des fonds et les octroie ensuite pour soutenir les organismes de première ligne qui travaillent auprès des enfants, des jeunes et des familles en contact avec le système de protection de l’enfance.
Au cours des 30 dernières années, nous avons également mis en place un programme national d’études postsecondaires qui offre des bourses et d’autres aides financières à des jeunes qui ont été pris en charge et qui poursuivent des études postsecondaires. Grâce à notre programme d’études postsecondaires, nous sommes entrés en contact avec des milliers d’étudiants qui cessent d’être pris en charge par les services de protection de l’enfance et qui n’ont pas d’autre soutien.
Au fil des hauts et des bas des différents programmes d’aides des provinces et des territoires, des étudiants sont venus nous voir et nous ont dit : « Nous avons besoin d’aide en matière de logement, d’emploi, de santé mentale et de divers autres aspects de la vie. » Nous avons donc commencé à collecter des fonds et à octroyer des subventions pour concevoir et financer des programmes destinés aux jeunes qui sortent du système de soins, en reconnaissance du fait que ces jeunes n’ont pas d’autres aides à leur disposition, ou qu’il est parfois si difficile de s’y retrouver, comme Mme Doucet l’a dit, parce que les programmes sont très déroutants ou que leurs critères d’admissibilité ne reflètent pas vraiment ce qu’ils vivent ni toute l’étendue de l’expérience intersectionnelle que les jeunes ont lorsqu’ils sortent de la prise en charge.
Pour l’essentiel, nous travaillons avec un réseau de partenaires au service des enfants et des jeunes. Par ailleurs, dans le domaine des jeunes en transition, nous sommes en contact direct avec les jeunes. Nous avons eu le privilège d’apprendre d’eux leurs priorités et leurs difficultés, et nous savons qu’il existe des possibilités de partenariat avec le gouvernement. Nous aimerions beaucoup compléter nos fonds philanthropiques par des fonds fédéraux afin d’améliorer les mesures de soutien, de diffuser les pratiques positives que nous avons apprises en mettant en œuvre ces programmes auprès d’enfants et de jeunes en transition à travers le pays et d’étoffer vraiment les données solides qui seraient nécessaires pour comprendre ce qui fonctionne et améliorer concrètement les résultats pour les jeunes pris en charge.
La sénatrice Senior : Merci.
La sénatrice Bernard : Madame Chan, j’ai été très intéressée par les meilleures pratiques internationales que vous avez citées. Je ne crois pas que nous ayons précisé que nous aimerions que vous nous les communiquiez par l’entremise du greffier. Si vous pouviez le faire, nous aimerions beaucoup en savoir plus sur ces meilleures pratiques internationales. Cela nous serait très utile pour notre étude.
Madame Greenough, je vois que vous êtes directrice du Bien‑être de l’enfant et de la famille. D’après ma connaissance approfondie du travail social en Nouvelle-Écosse, il me semble qu’il s’agit d’un changement de paradigme. C’est un nouveau titre. Cela signifie-t-il qu’il y a aussi une nouvelle façon de travailler avec les familles et les enfants, en mettant davantage l’accent sur la prévention et l’intervention précoce? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce changement et sur son efficacité, selon vous? Cela fait-il une différence?
Mme Greenough : Merci pour cette question.
Nous sommes en train de changer notre façon d’être en Nouvelle-Écosse. Nous avons changé de langage, comme vous l’avez dit — le Bien-être de l’enfant et de la famille. Nous avons également modifié la terminologie de la protection de l’enfance, qui a une connotation très intrusive, pour nous concentrer sur la sécurité de l’enfant et la préservation de la famille. La préservation est au cœur de nos préoccupations dès le premier jour. Dès le début, notre travail consiste à examiner notre législation et la possibilité qui s’offre à nous dès la première fois que nous frappons à la porte.
Nous pouvons encore établir des liens au sein de la communauté. La vision que nous voulons favoriser est que la communauté contribue à la sécurité et au bien-être des enfants, des jeunes et des familles. C’est un changement. Vous entendrez des gens parler de la protection de l’enfance et de la nécessité de renoncer à cette autorité et à ce pouvoir afin que la famille et l’enfant puissent s’exprimer et que la communauté puisse leur apporter l’aide dont ils ont besoin. Il s’agit également de renforcer la communauté, de tenir compte de sa culture et de l’intégrer dès le départ.
J’ai parlé de la nécessité de disposer d’emblée de ces données sur la race afin de pouvoir garantir que nous répondons d’une manière qui tient compte de la culture de la famille pour envisager les mesures de soutien nécessaires. Nos valeurs consistent à traiter les familles avec honnêteté et dignité. J’ai parlé de la nécessité d’un travail relationnel, et il s’agit également d’un changement très important en ce sens que nous devons soutenir le personnel dans cette pratique réflexive, en réfléchissant aux préjugés qu’il apporte dans ce travail et en décolonisant le terme « protection de l’enfance ». Nous n’utilisons plus ce terme. Nous ne sommes que l’un des membres de la communauté qui aident cette famille.
Je ne sais pas si cela résume bien la situation, mais je serais heureuse de répondre à toute autre question que vous pourriez avoir.
La sénatrice Bernard : Cela se reflète-t-il dans la législation? Ce que j’entends, c’est que l’on met davantage l’accent sur ce que je qualifierais de perspectives plus autochtones et afro-centriques pour visualiser le travail. Cela se traduit-il également par un changement dans la législation? Si oui, comment cela est-il perçu dans l’ensemble de votre système, qui est assez vaste?
Mme Greenough : Oui. Aujourd’hui, au ministère des Services communautaires, nous ne faisons rien lentement. Nous faisons tout en même temps. Je plaisante.
Notre cadre de pratique, qui date de plus d’un an, est en place. Nous venons d’arrêter notre politique; elle sera désormais orientée vers l’avenir, ce qui n’était pas le cas. Nous envisageons de la mettre en œuvre au début de l’année prochaine, je crois. Ne me citez pas sur ce point. Quelqu’un se fâchera si la date ne correspond pas.
Sur le plan législatif, oui, nous envisageons simultanément de codifier cette infusion de la culture, l’infusion de notre approche de la manière la moins intrusive possible, de la prévention qui existe actuellement dans une partie de la législation et de la manière dont nous envisageons de l’incorporer dans l’ensemble de notre législation. Il se trouve que nous nous y attaquons en ce moment. Cela se fera au cours de l’année à venir, mais cela fait déjà partie du programme et nous pouvons continuer jusqu’à l’incorporation du nouveau changement dans la législation.
La présidente : Merci. La dernière question revient à la sénatrice Gerba.
[Français]
La sénatrice Gerba : Les témoins précédents nous ont parlé de la nécessité de faciliter l’accès aux études postsecondaires pour les jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance. On a notamment cité l’exemple des programmes d’exonération des droits de scolarité. Qu’en pensez-vous?
[Traduction]
Mme Chan : L’accès aux études postsecondaires est fondamental pour les jeunes issus de familles d’accueil. Il leur donne la possibilité de progresser dans leur carrière. Sénatrice Pate, le Conference Board du Canada a publié des données — qui datent d’une dizaine d’années — sur l’augmentation des revenus d’une personne au cours de sa vie si elle fait des études postsecondaires. L’exonération des frais de scolarité est un excellent moyen d’y parvenir. Je dirais que cela devrait se faire en conjonction avec des aides globales, comme Mx Gahagan l’a souligné. La suppression des frais de scolarité n’est qu’un élément parmi d’autres. Cela doit vraiment se faire en conjonction avec des aides au logement, à la santé mentale et à la technologie.
Je pense que Mme Doucet et Mx Gahagan ont parlé de l’importance des approches tenant compte des traumatismes, qui consistent à rencontrer le jeune là où il en est. Si quelqu’un prend un certain temps, un peu plus de temps, pour poursuivre des études postsecondaires, ou si quelqu’un devient un jeune parent ou ne termine ses études secondaires qu’un peu plus tard dans sa vie, il devrait pouvoir à tout âge revenir et poursuivre des études postsecondaires sans que cela ne constitue un obstacle. Si un jeune a besoin d’un programme de transition ou s’il n’a pas terminé ses études secondaires, il doit également pouvoir bénéficier d’un soutien qui l’aidera à faire la transition vers les études postsecondaires. Les programmes d’aide aux études postsecondaires sont extrêmement importants, mais nous savons que, du moins en Ontario, les jeunes issus de familles d’accueil n’obtiennent leur diplôme de fin d’études secondaires que dans une proportion d’environ la moitié de leurs pairs. Moins de 50 % des jeunes de l’Ontario obtiennent un diplôme d’études secondaires. Je suis désolée, mais je ne crois pas que ces statistiques existent dans le reste du pays, même si nous aimerions le savoir. L’obtention d’un diplôme d’études secondaires est le point de départ pour ces jeunes. Je pense que Mx Gahagan dispose de données très solides qui confirment le type de facteur de protection que cela peut avoir et l’amélioration des résultats qui peut en résulter, en s’assurant simplement que cela implique un soutien global et, comme Mme Doucet l’a souligné, que l’aide n’est pas conditionnée à de nombreux critères d’admissibilité complexes et qu’elle est garantie sur la durée d’un programme.
La présidente : Merci beaucoup. Au nom du comité, j’aimerais remercier sincèrement tous nos témoins d’avoir pris le temps de comparaître devant nous. Vos témoignages seront très utiles à nos délibérations et à notre étude.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais suspendre la séance très brièvement. Nous avons d’autres affaires à traiter et nous reprendrons donc la séance à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)