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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 28 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Wanda Thomas Bernard (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Honorables collègues, j’aimerais commencer par reconnaître que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui est maintenant la terre d’accueil de nombreux autres peuples des Premières Nations, métis et inuits de toute l’île de la Tortue.

Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse, territoire des Mi’kmaqs, et vice-présidente de ce comité. En l’absence de la présidente, je vais présider la séance avec le premier groupe de témoins ce soir.

J’invite maintenant mes honorables collègues à se présenter.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, et je suis originaire du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Robinson : Bonsoir, merci de vous joindre à nous. Je m’appelle Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La vice-présidente : Bienvenue, chers sénateurs et chères sénatrices, et bienvenue à tous ceux qui suivent nos délibérations.

Aujourd’hui, notre comité continuera son étude sur la vie après la famille d’accueil dans le cadre de son ordre de renvoi général. Cet après-midi, nous aurons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, des témoins présenteront une déclaration, puis les sénateurs pourront poser des questions et obtenir des réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. On a demandé à nos témoins de préparer une déclaration liminaire de cinq minutes. Veuillez accueillir aujourd’hui, par vidéoconférence, Mme Barbara Fallon, professeure, Factor‑Inwentash Faculty of Social Work, chaire de recherche du Canada en protection de l’enfance, Université de Toronto; toujours par vidéoconférence, la Dre Ashley Vandermorris, pédiatre, Division de la médecine de l’adolescence, Hospital for Sick Children; et aussi par vidéoconférence, Mme Ingrid Palmer, présidente du conseil d’administration, Child Welfare Political Action Committee.

J’inviterais maintenant Mme Fallon et la Dre Vandermorris à présenter leur déclaration liminaire, puis ce sera au tour de Mme Palmer. Si j’ai bien compris, Mme Fallon et la Dre Vandermorris partageront le temps alloué pour les déclarations liminaires. Merci.

Barbara Fallon, professeure, Factor-Inwentash Faculty of Social Work et chaire de recherche du Canada en protection de l’enfance, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup, sénatrice. Merci aussi de me donner l’occasion d’être ici aujourd’hui pour l’étude de cet enjeu si important, celui du système de protection de la jeunesse et des défis de la vie après la famille d’accueil.

Je suis ici aujourd’hui à titre d’universitaire du domaine des sciences sociales, et j’ai passé les 25 dernières années à mener des recherches sur les besoins et les trajectoires des enfants et des familles qui ont eu affaire au système de protection de l’enfance dans le but de constituer une base de données probantes et ainsi d’améliorer tant les politiques que la pratique.

Dre Ashley Vandermorris, pédiatre, Division de la médecine de l’adolescence, Hospital for Sick Children, à titre personnel : J’accompagne Mme Fallon en tant que pédiatre dans le domaine de la médecine de l’adolescence à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, où je me concentre sur les jeunes aux prises avec des vulnérabilités structurelles intersectionnelles. Je siège aussi au conseil d’administration de la Coalition canadienne pour les droits des enfants.

Mme Fallon et moi dirigeons ensemble le Fraser Mustard Institute for Human Development Policy Bench, un laboratoire qui réunit des dirigeants possédant des expertises transdisciplinaires de l’Université de Toronto et de l’Hôpital pour enfants malades pour synthétiser, créer et diffuser des connaissances sur divers sujets touchant le développement de la santé et le bien-être des enfants.

Mme Fallon : En 2020, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de l’Ontario nous a chargées d’effectuer un examen de la littérature sur le parcours suivi par les jeunes qui quittaient le système de protection de la jeunesse, en nous concentrant sur les politiques et les programmes qui pourraient améliorer les résultats des enfants et des jeunes. Nous allons mettre en relief certaines conclusions du rapport. J’aimerais souligner que les droits des enfants et l’équité sont essentiels dans l’élaboration des politiques, programmes et services destinés aux enfants et aux jeunes placés hors de leur foyer familial.

Nous savons que les enfants et les jeunes pris en charge par le système de protection de la jeunesse sont désavantagés par rapport à leurs pairs. Ils rencontrent davantage de défis et ont une moins bonne qualité de vie, y compris sur le plan de la réussite scolaire, de l’emploi et du logement. Or, les enfants placés en foyer d’accueil ont autant que les autres le droit d’accéder aux soutiens dont ils ont besoin pour réussir dans la vie. C’est encore plus important durant la période critique au cours de laquelle ils deviennent adultes.

De nombreux gouvernements partout au Canada et dans le monde ont reconnu que les jeunes qui atteignent l’âge de la majorité avaient besoin de plus d’aide durant le processus de transition, quand ils sortent du système. Ils ont donc adopté des politiques et des pratiques qui leur offrent plus de soutien ou une prolongation du soutien. Mentionnons, entre autres, des programmes axés sur les finances, l’éducation, l’emploi, le logement, la vie autonome et les habiletés fondamentales, ainsi que des programmes de mentorat. Toutefois, les politiques et le soutien varient grandement entre les provinces et les territoires.

Le Canada n’a pas de norme nationale ou de directives qui s’appliquent aux jeunes qui quittent les foyers d’accueil, ce qui expose les jeunes Canadiens à un plus grand risque de prendre plus de retard par rapport à leurs pairs, et ce, à plusieurs niveaux, et il y a très peu de recherches sur les interventions qui tiennent compte de la culture ou des données probantes.

Dre Vandermorris : Un des problèmes avec les politiques en place sur la vie après la famille d’accueil, c’est que chaque province et territoire se sert d’un cadre fondé sur un indicateur d’âge précis. Ce qui veut dire que le soutien et les services auxquels les jeunes ont accès au moment de quitter la protection de la jeunesse sont fondés sur un âge établi, qu’ils soient prêts ou non, sur les plans développemental, financier ou affectif, à faire la transition vers l’indépendance. Toutefois, nous savons que de nombreux jeunes prennent maintenant plus de temps à devenir indépendants et qu’ils demandent souvent l’aide de leurs parents, de leur famille et de leur communauté jusqu’à la vingtaine avancée, une période que l’on appelle « le début de l’âge adulte ».

Le processus de soutien à la transition pour les jeunes qui quittent les foyers d’accueil devrait aussi être plus graduel et flexible, plutôt que d’être lié à des paramètres qui pourraient ne plus convenir, selon les données scientifiques. Des avancées récentes dans le domaine de la neuroscience ont montré que le développement du cerveau de l’adolescent n’est pas un processus linéaire et qu’il n’y a pas d’âge universel définitif auquel le cerveau de l’adolescent est complètement mature.

Une autre approche recommandée par de nombreux experts que vous avez reçus au sein de ce comité consiste à remplacer ce système fondé sur l’âge par un système fondé sur l’état de préparation du jeune. Une approche fondée sur l’état de préparation reconnaît que les besoins du jeune ne cessent pas d’exister lorsqu’il atteint la majorité, et elle offre un soutien continu au jeune qui ne possède pas encore les compétences et les habiletés lui permettant de vivre de façon indépendante. Contrairement à l’approche globale privilégiée, appliquée dans les politiques sur la vie après la famille d’accueil et qui traite tous les jeunes du système comme un groupe homogène, ce type d’approche s’adapte mieux aux besoins et aux expériences uniques des jeunes qui quittent les foyers d’accueil et leur permet de décider eux-mêmes s’ils sont prêts à quitter le système de protection de la jeunesse.

Une approche plus flexible, qui n’est pas fondée sur un âge précis, serait plus appropriée sur le plan développemental compte tenu de ce que nous savons actuellement sur les modèles normatifs du développement du cerveau qui sont propres à l’adolescence. Par exemple, les recherches montrent que le cerveau d’un adolescent s’adapte facilement et réagit fortement aux expériences et aux changements de l’environnement, ce qui fait que c’est un moment clé pour fournir aux jeunes les ressources qui leur permettront d’apprendre et de grandir de façon positive et saine.

Cette approche tiendrait aussi compte des multiples expériences que vivent les jeunes des foyers d’accueil, y compris ceux qui ont des problèmes de santé mentale, qui sont enceintes, qui appartiennent à la communauté 2ELGBTQIA, qui ont un handicap, qui sont autochtones et qui appartiennent à un groupe racisé.

Mme Fallon : Des études américaines ont montré que le fait de fournir aux jeunes, après leurs 18 ans, le soutien offert dans le système de protection de la jeunesse leur procure un certain nombre d’avantages, en particulier en ce qui concerne les résultats scolaires. Les analyses coût-bénéfice réalisées aux États-Unis et au Canada ont aussi montré que le fait d’offrir plus longtemps du soutien aux jeunes présenterait des avantages l’emportant sur les coûts de la mise en œuvre de nouvelles politiques.

De plus, en ce qui concerne la vie après la famille d’accueil, de nombreux chercheurs demandent que l’on applique une approche plus holistique, qui tient compte des besoins sociaux et affectifs des jeunes, afin de les aider à acquérir les compétences fondamentales nécessaires à leur indépendance. Les recherches donnent à penser que des relations de soutien et des programmes de mentorat sont vraiment des composantes clés pour la réussite de la transition après la famille d’accueil. De telles relations ont aussi une incidence positive sur le neurodéveloppement et favorisent des engagements positifs dans la société tout au long de la vie.

En résumé, les politiques existantes au Canada n’ont, jusqu’ici, pas été efficaces puisque les jeunes qui grandissent en foyers d’accueil continuent de faire face à des enjeux et des difficultés durant la transition, et plus tard, en tant que jeunes adultes, et même après. Il faut améliorer les services et le soutien pour aider les jeunes à passer à travers le processus, en faisant la promotion de trajectoires plus positives vers l’âge adulte. Les données probantes émergentes indiquent que le fait de continuer de soutenir les jeunes jusqu’à ce qu’ils soient prêts, sur le plan développemental, pourrait effectivement améliorer les résultats, tant pour les jeunes eux-mêmes que pour la société canadienne en entier.

Sur ce, je vais m’arrêter. Merci de m’avoir accordé de votre temps, et bien entendu, nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions ou à vos commentaires.

La vice-présidente : Merci à vous deux. C’est maintenant au tour de Mme Palmer.

Ingrid Palmer, présidente du conseil d’administration, Child Welfare Political Action Committee : Bonsoir, et merci beaucoup de me donner l’occasion aujourd’hui de discuter avec vous de ce dossier.

Je m’appelle Ingrid Palmer, et j’ai été prise en charge par le système de protection de la jeunesse de l’Ontario en raison de maltraitance mentale, physique et sexuelle. À l’âge de 14 ans, j’ai reçu un diagnostic de trouble oculaire dégénératif rare, au Sick Kids Hospital, et j’ai presque complètement perdu la vue.

À l’âge de 16 ans, j’ai aussi reçu un diagnostic de syndrome des ovaires polykystiques, un trouble causant un déséquilibre hormonal, qui fait que j’ai de la barbe, même si je suis une femme.

Non seulement je suis stigmatisée parce que je viens des foyers d’accueil, mais en outre, le racisme anti-noir, la misogynie, le capacitisme et le fait d’être perçue comme transgenre ont multiplié la discrimination dont j’étais déjà victime, augmenté mes difficultés et aggravé l’exclusion et l’iniquité dont je souffrais.

Je travaillais à temps partiel et fréquentais l’école, j’ai terminé mes études secondaires, puis j’ai obtenu deux diplômes collégiaux et un baccalauréat de l’Université York. Mais cela n’a pas été facile et j’ai souvent pensé à abandonner. Je vivais dans la précarité et dans la pauvreté. J’étais aveugle au sens de la loi et j’ai été sans abri de nombreuses fois; on m’a refusé des services et des possibilités, on m’a craché dessus publiquement, on m’a insultée, on m’a menacée et on m’a même agressée une fois. Comme beaucoup d’autres personnes qui, à l’âge de 18 ans, ont quitté les foyers d’accueil, je me suis sentie seule et vulnérable dans un monde inquiétant et prédateur.

Aujourd’hui, je travaille à temps plein et je suis fière de siéger aussi en tant que présidente du conseil d’administration du Child Welfare Political Action Committee. Je fais partie des gens qui ont fondé ce comité il y a sept ans.

Je crois passionnément en notre mission, qui est de favoriser l’amélioration des expériences de vie et des résultats des jeunes qui quittent les foyers d’accueil, partout dans le pays, en les amenant à faire des études postsecondaires et à trouver un métier pour qu’ils puissent avoir des carrières réussies et saines sur le plan économique. Cela favorise la stabilité et offre la promesse d’une vie meilleure à ce groupe démographique qui, habituellement, n’a pas accès au bien-être pour la majeure partie de sa vie.

Depuis 2019, notre comité d’action politique est parvenu à négocier environ 640 places exemptes de frais de scolarité sans aucune limite d’âge ni aucune restriction dans 50 collèges et universités partenaires situés dans huit provinces.

En avril 2023, le Child Welfare Political Action Committee a mis en œuvre un programme Vers le mentorat, que nous appelons Trades Ready Youth, ou TRY, qui offre de nouvelles possibilités d’emplois bien rémunérés à ceux qui ont été pris en charge par le système de protection de la jeunesse. Ce programme est financé par le gouvernement provincial. Nous croyons que l’accès à des études supérieures et à des formations spécialisées permettra d’égaliser les chances et d’améliorer la qualité de vie et les résultats des jeunes provenant du système de protection de la jeunesse.

Il est important que le gouvernement et les organisations qui appuient les jeunes utilisent une optique intersectionnelle tenant compte des circonstances des jeunes du système de protection de la jeunesse et des obstacles qu’ils rencontrent. Nous ne parlons pas suffisamment des facteurs intersectionnels qui touchent les jeunes provenant du système de protection de la jeunesse.

Tous les jeunes, peu importe leur identité, se heurtent à d’énormes obstacles et défis lorsqu’ils sortent du système. Cependant, les jeunes racisés, non binaires, trans, les jeunes en situation de handicap et ceux qui s’identifient aux multiples identités stigmatisées sont aux prises avec un risque accru et une adversité accrue et nécessitent des soutiens additionnels afin de surmonter les multiples niveaux de difficulté auxquels ils font face.

Il est très important que nous reconnaissions que les chemins menant à l’éducation supérieure et aux compétences spécialisées représentent pour les jeunes la meilleure façon d’améliorer leur vie et d’avoir de meilleurs... dans leurs circonstances, par rapport à ce que plusieurs ont vécu depuis le début.

Nous savons que l’intérêt pour les études, chez les jeunes des foyers d’accueil, est resté bas, à environ 8 %, depuis plus de 40 ans. Le Child Welfare Political Action Committee s’est engagé à faire une différence dans ce domaine et à utiliser les chemins qui mènent à l’éducation supérieure et aux occasions d’apprendre des compétences spécifiques dans le secteur des métiers afin d’aider ces jeunes pour qu’ils obtiennent de meilleurs résultats. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Palmer. Nous avons une liste d’intervenants, mais avant de commencer, je vais exercer mon droit à la première question, en tant que vice‑présidente et présidente pour ce soir.

Madame Palmer, pourriez-vous nous dire quelles sont les huit provinces qui font partie de votre programme de comité d’action politique? Êtes-vous en mesure de nous le dire?

Mme Palmer : La Colombie-Britannique, l’Ontario et les provinces de l’Atlantique.

La vice-présidente : Savez-vous lesquelles? Je m’y intéresse tout particulièrement.

Mme Palmer : Je n’ai pas la liste sous les yeux, mais je peux essayer de trouver cette information.

La vice-présidente : Si vous pouviez nous l’envoyer, ce serait formidable.

Mme Palmer : Je peux le faire.

La vice-présidente : Merci. Nous passerons maintenant aux sénateurs qui ont inscrit leur nom sur la liste, en commençant par le sénateur Arnot.

Le sénateur Arnot : J’ai des questions pour chacune des trois témoins.

Madame Fallon, vos recherches soulignent la surreprésentation des enfants racisés et autochtones en famille d’accueil. Je me demandais, étant donné votre expérience et certaines de vos recherches comparatives sur les systèmes de protection de l’enfance, ce que le Canada peut apprendre d’autres administrations qui ont réussi à assurer une transition plus douce pour les jeunes qui sortent du système. Quelles sont les pratiques exemplaires et quels sont les indicateurs de ces pratiques exemplaires?

La vice-présidente : Arrêtons-nous ici, écoutons la réponse, ensuite nous reviendrons à votre deuxième question.

Le sénateur Arnot : Oui.

Mme Fallon : Merci de la question.

Pour faire écho au point de Mme Palmer, l’intersectionnalité de l’identité des jeunes est une chose à laquelle nous devons porter attention. Nous avons des estimations, je dirais, du nombre d’enfants autochtones aujourd’hui en famille d’accueil; ils représentent environ la moitié des enfants placés dans tout le Canada. Nous avons beaucoup de difficultés à recueillir d’autres données fondées sur l’identité.

La question est : Existe-t-il des remèdes universels ou des pratiques prometteuses dont nous pouvons nous inspirer? Il y en a, assurément. Dans notre mémoire, plusieurs sont exposés. Un pays comme l’Australie a des données similaires selon lesquelles les enfants qui quittent les foyers d’accueil font face à des obstacles similaires en ce qui a trait à l’éducation, à l’accès à de bons soutiens sociaux et à l’emploi.

Les principes des programmes qui fonctionnent — pas nécessairement les pays, car une partie de nos recommandations portent sur le fait qu’il y a une approche fragmentée, qui n’est pas axée sur le développement — sont ceux qui enveloppent le jeune, sont appropriés pour les besoins qu’il dit avoir et sont culturellement appropriés.

Essentiellement, comme nous le faisons avec nos enfants, nous soutenons le jeune jusqu’à ce qu’il devienne un jeune adulte qui n’a plus besoin de ce soutien.

Le sénateur Arnot : Docteure Vandermorris, étant donné votre expérience de travail à la clinique pour les jeunes trans, et au sein d’équipes interdisciplinaires, quel rôle, ou plutôt quels nouveaux rôles peuvent jouer les professionnels de la santé dans la mise en œuvre de transitions plus douces pour les jeunes qui sortent des familles d’accueil?

Dre Vandermorris : Merci de la question.

Je me fonderai sur mon expérience clinique; j’ai travaillé tant avec des jeunes trans qu’avec leurs familles qu’avec des adolescents et leurs familles.

Vous avez nommé une occasion clé. Nous savons que les résultats en santé, particulièrement en santé mentale, des enfants et des jeunes qui ont été placés sont des domaines sous-étudiés, où il y a des possibilités d’amélioration.

Jusqu’à présent, le domaine de la santé peut, à certains moments, être séparé des autres secteurs, comme l’a évoqué Mme Fallon. Nous savons que les pratiques exemplaires visant à soutenir les jeunes doivent être holistiques, intégrées et adaptées aux besoins cernés.

Souvent, les fournisseurs de soins de santé ont une occasion privilégiée, dans leur relation avec leurs patients, d’apprendre l’ensemble du contexte de la santé et du bien-être de cette jeune personne ou ont l’occasion d’utiliser ce privilège pour militer en faveur de l’accès aux services les mieux adaptés aux besoins de cette jeune personne.

Il est possible d’offrir de la formation aux fournisseurs de soins de santé et de leur demander de reconnaître leur rôle et leurs responsabilités à l’égard de la santé et du bien-être de leurs patients, pas seulement dans les limites du cabinet ou de l’hôpital, mais dans tous les endroits ou les environnements dans lesquels vivent les jeunes et leurs familles.

Il y a une formidable occasion, comme l’a dit Mme Fallon, d’offrir du soutien aux jeunes et de travailler de manière collaborative, entre secteurs, pour réunir tous les intervenants pertinents afin qu’ils apprennent des jeunes, de leur propre expertise et de leurs expériences de vie, et de les aider à accéder aux services, aux programmes ou aux soutiens qu’ils ont dit cruciaux pour eux dans l’atteinte de l’objectif final de leur épanouissement.

Le sénateur Arnot : Madame Palmer, compte tenu de vos expériences vécues et de votre travail de défense des droits, quels changements prôneriez-vous pour atténuer les défis propres aux identités intersectionnelles dont vous avez parlé?

Deuxièmement, vous avez mis l’accent sur l’importance du soutien communautaire pour favoriser l’inclusion. Selon vous, quelles sont les stratégies les plus efficaces que le système de protection de l’enfance devrait utiliser et adopter afin de mettre sur pied des réseaux de soutien durables et à long terme pour les jeunes qui sont sortis du système?

Mme Palmer : Je commencerai par la première question.

Voici un exemple; ici, en Ontario, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires a récemment, dans ses efforts pour réformer le système de protection de l’enfance, lancé un programme appelé À vos marques, Prêt, Partez, qui soutient mieux les jeunes qui quittent le système, en augmentant les montants d’argent qu’ils reçoivent et en offrant un soutien financier continu aux jeunes en familles d’accueil qui poursuivent des études postsecondaires.

Ce que j’aimerais voir, en ce qui concerne le renforcement de ce programme — ou de sa prochaine version, puisque ce programme collecte des données et tente de voir comment il peut s’améliorer —, ce serait qu’il soit plus nuancé et porte attention aux identités des jeunes qui quittent le système et aux difficultés et obstacles particuliers qu’ils affrontent et que des fonds soient versés pour cela.

Par exemple, les jeunes en situation de handicap qui quittent le système rencontrent beaucoup plus d’obstacles et de défis dans toutes les sphères de la vie que les jeunes qui ne sont pas en situation de handicap. Il est essentiel et vital pour ces jeunes en particulier de recevoir plus de soutien.

D’autres jeunes aux identités particulières connaissent également une adversité accrue, par exemple, les jeunes qui s’identifient comme 2ELGBTQIA+ et les jeunes racisés, et sont plus souvent discriminés lorsqu’ils essaient d’obtenir un logement, par exemple. Les jeunes avec ces intersections pourraient être avantagés par une aide plus nuancée et ciblée.

Même si ce programme est ouvert et bénéfique pour tous les jeunes venant du système, ce que j’aimerais voir, comme prochaine étape, serait du soutien plus ciblé sur les jeunes ayant des besoins particuliers. Je crois que cela pourrait faire beaucoup de bien.

Pourriez-vous répéter votre deuxième question?

Le sénateur Arnot : Je vous demandais, selon vous, quelles sont les stratégies les plus efficaces pour les systèmes de protection de l’enfance en ce qui concerne la mise sur pied d’un réseau de soutien durable et à long terme pour les jeunes qui quittent le système. Que doivent-ils faire afin d’atténuer ces problèmes avant que l’enfant quitte le système?

Mme Palmer : Bien. L’un des nombreux facteurs auxquels font face les jeunes lorsqu’ils quittent le système, c’est la solitude et le sentiment d’isolement. Avant que les jeunes ne quittent le système, il faut s’assurer qu’ils sont liés à la communauté de leur choix, mais aussi à des organismes communautaires, à des programmes de ressources où ils ont accès à des espaces, à des personnes et à des emplois soutenus et financés par le gouvernement, où les jeunes peuvent continuer à avoir ce sentiment d’appartenance, particulièrement avec d’autres jeunes du système, et où ils peuvent réellement trouver de la compréhension.

Peu importe la communauté à laquelle vous vous identifiez, quand vous vous trouvez là, avec cette communauté, vous savez que les gens vous comprennent, que vous n’avez pas à constamment raconter votre histoire et expliquer vos expériences. Je sais que, pour moi, même à mon âge, quand je suis dans une communauté d’anciens jeunes des foyers d’accueil, j’ai l’impression de rentrer chez moi ou de pouvoir m’exprimer et m’engager d’une façon que seule cette communauté comprend. Je crois qu’il est très important de s’assurer que chaque jeune qui quitte les foyers d’accueil a des liens dans des communautés et des ressources afin qu’il ne se sente pas seul et qu’il sache qu’il peut s’adresser à quelqu’un, car ce facteur de solitude nuit énormément aux expériences que vivent les jeunes après la famille d’accueil.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup à toutes les témoins.

La sénatrice Simons : Madame Fallon, docteure Vandermorris, j’aimerais vous remercier d’avoir parlé de votre expertise universitaire, et vous, madame Palmer, j’aimerais vous remercier de votre bravoure et de votre honnêteté dans le récit de votre expérience en foyer et de la façon dont cette expérience a influencé votre carrière et votre travail de défense des droits. Ce soir, je suis une invitée du comité, mais j’ai été journaliste pendant plusieurs années avant de devenir sénatrice. L’une des séries de travaux dont je suis la plus fière était une série d’enquêtes qui ont obligé le gouvernement de l’Alberta à être beaucoup plus transparent à propos du nombre d’enfants qui mouraient alors qu’ils étaient placés, et maintenant la province fait un suivi et produit chaque année des rapports sur le nombre d’enfants qui sont morts alors qu’ils étaient placés.

La province a aussi, il faut le reconnaître, au fil de trois gouvernements différents, fait le suivi du nombre de jeunes entre 18 et 22 ans recevant du soutien transitoire qui sont aussi décédés dans l’année, et les chiffres sont choquants. En 2016-2017, lorsqu’ils ont commencé à faire ces évaluations, deux décès ont été rapportés. En 2021, il y en avait 14. En 2021-2022, il y en avait 22. Depuis quelques années, le total s’est stabilisé à 16 décès par année; et, au cours du présent exercice, du 1er avril au 30 septembre, il y a déjà eu huit décès de jeunes de 18 à 22 ans. Un groupe d’environ 2 000 jeunes reçoivent du soutien transitoire. Je trouve ces chiffres choquants, car les enfants qui sont sortis du système décèdent à un taux plus élevé que les enfants qui sont pris en charge ou qui sont laissés avec des parents qui ont peut-être des antécédents de mauvais traitements.

Je crois que les causes principales de décès en ce moment sont le suicide, l’homicide et la surdose. Ces chiffres mettent en lumière le fait que nous ne parlons pas seulement d’aider les enfants à obtenir une bourse d’études et à trouver un logement. Ce qu’il faut, c’est aider les jeunes à survivre au-delà de leurs 22 ans, et je me demandais si vous trouvez ces chiffres choquants ou s’ils confirment vos propres observations anecdotiques.

Mme Palmer : Cela ne me surprend pas, quand on pense aux expériences qui ont fait que le jeune a été placé et, souvent, aux expériences qu’il vit lorsqu’il est placé et, quand arrive l’anniversaire que la plupart des enfants qui ne sont pas placés attendent avec impatience, pour ce jeune, c’est terrifiant parce que cela signifie qu’il sera laissé à lui-même. Lorsqu’on pense au manque d’espoir de ces jeunes, qui explique aussi leur manque d’intérêt pour l’éducation postsecondaire, le fait qu’ils ne croient pas qu’ils ont un avenir et qu’ils ont un objectif viable et des liens d’appartenance à une communauté, ces chiffres ne sont pas choquants et je ne serais pas surprise si l’on me disait qu’ils sont plus élevés. Ces chiffres témoignent aussi du travail qui doit être fait quand nous sommes placés, quand nous faisons face au traumatisme, de l’importance d’avoir accès à des services de santé mentale adéquats, d’avoir ce sentiment d’appartenance et de ne pas être jetés hors du nid, comme l’ont dit les autres témoins, à un âge arbitraire.

Les jeunes doivent être plus impliqués dans leur plan de prise en charge et doivent avoir leur mot à dire quant au moment où ils se sentent prêts à quitter le foyer d’accueil, à partir seuls et à être indépendants. Les familles qui ne sont pas des familles d’accueil ne prennent pas leur enfant par les épaules, à son anniversaire, en disant : « À plus, je suis content d’avoir fait ta connaissance. » Ce n’est pas surprenant que les jeunes font le choix malheureux et triste de se suicider lorsqu’ils ressentent un manque d’espoir et de liens et qu’ils n’ont pas d’option viable. Même lorsqu’ils ont le talent et la capacité nécessaires pour entreprendre des études postsecondaires, ils n’en ont pas les moyens financiers. S’il n’y a pas d’espoir, quelle chance donnons-nous réellement aux jeunes?

La sénatrice Simons : Savez-vous si d’autres provinces surveillent les données? Je connais mieux les données de l’Alberta parce que je me suis battue pendant des années pour les avoir.

Mme Palmer : Nous n’avons pas assez de données dans l’ensemble sur les jeunes qui ne sont plus pris en charge, et c’est quelque chose que le comité d’action politique demande, nous devons changer cela. Nous avons besoin de savoir si ce que nous avons fait pendant que le jeune était pris en charge a bien fonctionné. Est-ce que ça fonctionne? Quel changement pouvons-nous apporter? Si nous n’avons pas les données, si nous ne pouvons pas nous fier à des données pour guider nos choix, pour guider l’allocation du financement et pour soutenir les jeunes, nous ne pouvons pas savoir si ce que nous faisons fonctionne et fait une différence. Nous devons commencer à recueillir des données sur ce qui arrive aux jeunes qui quittent les foyers d’accueil et sur la façon dont nous pouvons améliorer les résultats. La seule manière de savoir ce que nous devons faire, c’est de suivre les données et de les conserver.

Mme Fallon : Je n’ai rien à ajouter aux observations judicieuses et importantes de Mme Palmer. Nous avons très peu de données sur les enfants et les jeunes pris en charge par les systèmes de protection de l’enfance du Canada et nous n’avons presque aucune donnée sur leur parcours. Vous posez des questions hypothétiques, que se passerait-il si nous n’offrons pas de service à un enfant qui quitte le foyer d’accueil? Nous ne le savons pas. Souvent, l’un des enjeux en lien avec les enfants qui sont pris en charge est que leurs traumatismes ne sont pas traités. Nous prenons en charge un enfant en raison de sa situation, mais nous ne veillons pas activement à ce qu’il y ait des services pour traiter ces traumatismes et continuer de les traiter tout au long de son adolescence et de son passage à l’âge adulte.

Il manque d’interventions efficaces en matière de santé mentale et de développement, et il y a de graves problèmes d’accessibilité. Mme Palmer nous a rappelé que ce n’est pas seulement cela qui est important, et que nous devons également reconnaître les éléments très importants de l’identité des enfants, des jeunes et de leurs familles que nous aidons. Je n’ai donc rien d’autre à ajouter sur les observations importantes de Mme Palmer.

Dre Vandermorris : Je reviens à ce que Mme Palmer a dit être le fondement de l’intervention. D’un point de vue scientifique, j’ajouterais seulement que nous savons que, comme l’ont dit Mme Fallon et Mme Palmer, l’exposition à un traumatisme pendant l’enfance a des répercussions neurocognitives profondes. Nous savons que l’exposition au cortisol, soit l’hormone du stress, altère le développement du cerveau, et que le stress peut être amplifié par ce que l’on appelle le stress lié au statut de minorité ainsi que par la discrimination et la violence que vivent les populations racisées et les autres populations marginalisées.

Nous savons également qu’il est possible d’intervenir, que le cerveau des adolescents est incroyablement neuroplastique et qu’il est de notre responsabilité commune de répondre et d’intervenir de manière à reprogrammer le développement neurocognitif et à remettre les jeunes sur le droit chemin. Ce n’est pas coulé dans le béton. Des données de la neuroscience indiquent que les jeunes peuvent avoir un parcours de vie positif, peu importe ce qu’ils ont vécu pendant l’enfance, mais nous devons pour cela être engagés et réactifs.

Des modèles comme l’approche de l’état de préparation à la transition, une approche tenant compte des traumatismes, sont axés sur la notion de choix et de contrôle, qui sont deux des principes de la pratique tenant compte des traumatismes. Elle ne fait pas simplement du bien, elle est fondée sur des données probantes [difficultés techniques] les modalités interpersonnelles qui permettent aux personnes de restructurer leurs réactions émotionnelles et d’apprendre à voir des interactions positives afin de s’engager dans un parcours de vie sécuritaire, protégé et positif.

La clé est la perspective de ceux qui sont pris en charge, mais cela peut également être relié à la science. Je souhaite simplement répéter cet argument.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. En écoutant vos présentations, on se rend compte à quel point c’est important de prendre en charge la question de l’intersectionnalité chez les jeunes qui sortent du système d’accueil.

Madame Palmer, moi aussi je dois faire écho à ce qu’a dit ma collègue la sénatrice Simons par rapport à votre courage et à votre détermination qui vous ont menée vers votre succès aujourd’hui, notamment en ce qui concerne vos études.

Selon une étude réalisée par l’Institut national de la recherche scientifique dont les conclusions ont été présentées cette année, les jeunes issus des directions de la protection de la jeunesse au Québec sont deux fois et demie moins nombreux à obtenir un diplôme d’études secondaires. Est-ce que ces proportions se reflètent dans vos provinces respectives?

[Traduction]

Dre Vandermorris : J’aimerais bien poser la question à Mme Palmer, si c’était utile. Je crois que cela concerne une étude faite au Québec qui montrait que les jeunes qui quittent les foyers d’accueil sont deux fois et demie moins nombreux à obtenir un diplôme d’études secondaires, et la question était de savoir si ces données étaient les mêmes dans les régions dans lesquelles vous avez travaillé.

Mme Palmer : Oui. Seulement 8 % des jeunes des foyers d’accueil obtiennent leur diplôme d’études secondaires et entreprennent des études postsecondaires, et ces chiffres ne datent pas d’hier. Ils sont restés les mêmes depuis au moins les 40 dernières années.

C’est pourquoi le comité de l’action politique se préoccupe autant de l’éducation des jeunes. Nous ne visons pas l’obtention du diplôme d’études secondaires, car il est possible de s’inscrire à des études postsecondaires en tant qu’étudiant adulte. Nous nous concentrons sur les études supérieures et les compétences spécialisées, parce que c’est ce qui va égaliser les chances des jeunes; c’est ce qui va permettre aux jeunes de décrocher des emplois payants et d’avoir une vie meilleure. Nous nous concentrons sur les études postsecondaires et les études supérieures, plutôt que sur le diplôme d’études secondaires. Nous savons également, comme les autres témoins l’on expliqué dans leurs déclarations liminaires, que l’atteinte des jalons, pour les jeunes des foyers d’accueil, est souvent retardée, et c’est pourquoi il n’y a pas de limite d’âge pour les places gratuites que nous négocions avec les établissements d’enseignement postsecondaire, parce que ces jalons sont souvent atteints plus tard. Il y a d’anciens jeunes des foyers d’accueil — il y a même des aînés — qui en tirent profit et qui poursuivent des études postsecondaires.

Ces chiffres sont répandus, ils ne sont pas seulement limités au Canada. Ce sont les chiffres des systèmes de protection de l’enfance de toute la planète.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Que recommanderiez-vous au gouvernement fédéral?

Mme Palmer : J’aimerais que le gouvernement fédéral soutienne les organismes comme le nôtre, qui s’assurent que les jeunes des foyers d’accueil n’ont pas des problèmes financiers les empêchant d’accéder aux études supérieures. Cela permet de donner à tous des chances égales et de fournir un soutien global, parce que, comme l’ont dit mes collègues, il y a d’autres désavantages. Il y a les problèmes de santé, les logements précaires et l’insécurité alimentaire. Nombre de nos jeunes qui ont été déjà été placés sont directement victimes de la traite de personnes et se retrouvent de manière disproportionnée dans le système judiciaire.

Nos jeunes ont besoin d’un soutien global. Ils doivent croire en un avenir meilleur. Ils doivent recevoir du soutien financier après l’âge de 18 ans, et nous devons leur donner espoir et leur faire savoir qu’ils peuvent réussir et qu’un avenir radieux les attend, pour éviter qu’ils se suicident en raison de leur désespoir, de la stigmatisation qu’ils vivent et de leur croyance que leur vie ne peut pas s’améliorer. Cela doit changer.

La sénatrice Gerba : Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de comparaître devant nous aujourd’hui. Je suis arrivée à la moitié de la séance, donc, si quelqu’un a déjà répondu à ma question, je m’en excuse.

Avez-vous vu des initiatives qui vous redonnent espoir, en lesquelles vous avez confiance? Voyez-vous, dans les autres provinces, des choses qui sont faites pour les jeunes qui quittent les foyers d’accueil?

Mme Fallon : Je vais dire comme tout le monde qu’il manque énormément de recherches sur ce qui fonctionne pour les jeunes qui quittent les foyers d’accueil.

Cela étant dit, nos jeunes et nos adultes qui ont été placés et qui ne sont plus pris en charge nous font part de leurs besoins. Ils ont besoin que les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation collaborent. Ils ont besoin de programmes qui affirment et reconnaissent leur identité. Ils ont besoin de relations positives avec des adultes bien après qu’ils ont atteint l’âge où le système ne joue plus un rôle actif. Mais nous devons nous assurer qu’ils bénéficient d’un soutien à vie et qu’ils font partie d’une communauté.

Mon collègue, Nico Trocmé, à McGill, pose toujours la question suivante : Si nous avons fait du bon travail avec une personne qui n’est plus prise en charge, eh bien, elle saura déjà ce qu’elle fera de ses congés, peu importe la fête qu’elle célèbre, dans dix ans. Je crois que c’est une observation très importante. C’est le genre de connexion, d’échafaudage, de soutien, qui... Il y a des pratiques prometteuses, mais le défi pour nous, en tant que citoyens canadiens, c’est qu’elles ne sont pas constantes. Nous avons le devoir de nous assurer que tous les jeunes et tous les jeunes qui ne sont plus pris en charge ont équitablement accès à ces genres de programmes et approches.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

La vice-présidente : J’ai moi aussi deux ou trois questions à poser. Premièrement, madame Fallon et docteure Vandermorris, j’ai remarqué que vous avez fait des recommandations, dans vos exposés, et je me demandais si vous aimeriez les communiquez pour qu’elles figurent au compte rendu.

Dre Vandermorris : Je vous remercie de me donner l’occasion de les communiquer. Je vais reprendre là où s’est arrêtée Mme Fallon. Nous avons besoin de plus de données et de recherches, en particulier de plus d’études longitudinales, afin de mieux comprendre les besoins précis des jeunes qui quittent les foyers d’accueil, les types d’interventions et de politiques qui mènent à de meilleurs résultats et de reconnaître les facteurs qui pourraient être pertinents pour certaines sous-populations ou communautés, de façon qu’aucun enfant ne soit oublié, alors que nous travaillons pour promouvoir une transition plus positive pour tous les jeunes qui quittent les foyers.

Nous avons également besoin de politiques et de programmes complets, intersectoriels et intégrés, qui n’obligent pas les jeunes à solliciter du soutien auprès de différents services pour chacun de leurs besoins individuels en raison de la non-reconnaissance des jeunes en tant qu’individus complets et holistiques ayant des besoins qui se recoupent et s’influencent l’un l’autre. Nous avons besoin de programmes qui traitent de la santé mentale, de la santé, de l’éducation, du logement et de la connexion sociale qui soient intégrés et adaptés à la personne.

Une dernière chose avant de céder la parole à Mme Fallon; vous avez entendu parler du besoin de normes nationales ou d’un cadre national. En tant que médecin des adolescents et pédiatre, j’ai en tête la politique canadienne visant les jeunes, ses fondements et les droits des jeunes d’être écoutés, d’être respectés et d’avoir les mêmes chances et le même soutien. Prendre en compte les jeunes et leurs droits, c’est un principe directeur et un point de départ pour la reddition de compte, la réflexion et les mesures à prendre pour avoir une approche uniforme qui sert équitablement toutes les régions, toutes les populations et tous les besoins.

La vice-présidente : Merci.

Madame Fallon, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Fallon : Je vais simplement ajouter que l’une des choses les plus utiles que nous disons, en tant que travailleurs sociaux, est que l’état du client devrait être notre point de départ. Je crois que le fondement de tout programme réussi est lié à la recommandation que nous avons faite : que les politiques et les programmes offrent suffisamment de flexibilité pour que l’on puisse rejoindre le jeune là où il est dans son parcours et l’aider à arriver là où il dit vouloir aller.

La vice-présidente : Ma dernière question — et ce sera la dernière question pour ces témoins, parce que le temps est presque écoulé — est pour vous, madame Palmer. En toute transparence, je suis une travailleuse sociale qui a enfilé les habits de sénatrice. L’étude est en partie inspirée par une cliente que j’ai eue très tôt dans ma carrière, une jeune femme de 18 ans qui a été admise dans une unité de soins de santé mentale lorsqu’elle a eu 18 ans et qu’on lui a dit qu’elle ne pouvait plus vivre dans la famille d’accueil où elle avait vécu pendant 15 ans.

Je crois, madame Palmer, que de nombreuses personnes puiseront de l’inspiration dans votre résilience. Je me demandais si vous avez tiré des leçons de votre résilience qui pourraient aider les nombreuses personnes qui sont moins résilientes?

Mme Palmer : Je vous remercie de la question, c’est quelque chose qu’on m’a souvent demandé au fil des années : Comment avez-vous fait? Je suis également une conférencière professionnelle, et ma réponse est toujours que je suis le produit des nombreux programmes et services et des nombreuses personnes qui ont touché mon âme, et cela a également un lien avec ce dont nous discutons ici, le besoin de connexion, le besoin d’encourager les jeunes des foyers d’accueil à s’améliorer et à aspirer à l’éducation supérieure.

Différentes personnes au fil des années — j’ai vécu dans toutes sortes de familles d’accueil et de foyers de groupe —, donc, que ce soit un parent de famille d’accueil, un employé du foyer de groupe, une fille que j’ai rencontrée ou un professeur, pendant une année scolaire, qui ont vu au-delà de ma rudesse, de ma colère, de mes comportements et qui ont reconnu mon potentiel et m’ont encouragée, m’ont parlé avec gentillesse, m’ont souri, m’ont ouvert des portes que je ne pouvais pas ouvrir moi-même, m’ont montré à naviguer entre les obstacles qui se dressaient devant moi, m’ont invitée à venir souper, une fois que j’avais dépassé l’âge d’être prise en charge et que je n’avais nulle part où aller. Une employée, Salma Clark, a violé les règlements et est restée en contact avec moi. Lorsqu’elle a appris que j’ai passé ce premier Noël seule, cela ne s’est plus jamais reproduit. J’étais invitée chez elle à Pâques, à l’Action de grâce et à Noël. Lorsqu’elle n’avait pas de nouvelles, elle m’appelait. Qu’est-ce qui se passe? Comment vas-tu? Je recevais des encouragements de différents professeurs.

Comme je l’ai dit, j’ai eu beaucoup de difficultés. Je ne veux pas que les jeunes du système continuent de faire face à des difficultés qui n’ont pas lieu d’être. Nous devons leur offrir des services, de l’aide financière et un logement. Ces jeunes sont dans cette situation bien malgré eux, sans avoir rient fait, et pourtant la société les stigmatise énormément et a une mauvaise impression d’eux.

Quand j’ai dit que je suis le résultat de la bonté des gens, des programmes que j’ai pu utiliser, des services qui m’ont aidée, c’est la vérité. Je ne peux pas nommer une seule personne — il y en avait des douzaines —, mais c’est ce dont les jeunes ont besoin, de manière constante, comme l’ont dit les deux autres témoins. Nous avons besoin de données. Nous avons besoin de faire un suivi pour nous assurer de mieux répondre aux besoins des jeunes. Nous devons donner aux jeunes des foyers d’accueil un lieu où ils peuvent parler de leurs expériences, parler de ce qui leur est arrivé, nommer leurs besoins, et nous devons nous assurer que les jeunes qui quittent les foyers ont leurs pièces d’identité, sont suffisamment outillés et informés pour être capables de s’orienter dans la structure d’hébergement. Que font‑ils lorsque les choses vont mal? Vers qui peuvent-ils se tourner? Il doit y avoir des espaces communautaires où ils peuvent se rassembler, discuter, s’entraider et obtenir du soutien. Ils ont besoin d’une communauté. Ils ne doivent pas être seuls, ils ne doivent pas être laissés à eux-mêmes et ils doivent avoir du soutien financier. C’est tout à fait ça.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Mme Palmer : Je vous remercie

La vice-présidente : Je tiens à remercier sincèrement nos trois témoins de ce soir. Je vous remercie d’avoir bien voulu participer à cette étude extrêmement importante. Votre aide — le fait que vous vous exprimez, que vous êtes la voix de ceux qui n’ont pas de voix, ce soir — est grandement appréciée. Merci.

Salma Ataullahjan (la présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous leur avons demandé de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons les écouter, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Ashley Bach, ancienne jeune des Premières Nations prise en charge et défenseure des droits, du Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge. Nous accueillons également par vidéoconférence Mme Jessica Knutson, leader de la formation clinique et des projets spéciaux, Hôpital pour enfants et femmes de Santé autochtone de la Colombie-Britannique, Provincial Health Services Authority, Colombie-Britannique.

J’invite maintenant Mme Bach à présenter sa déclaration, puis ce sera au tour de Mme Knutson.

Ashley Bach, ancienne jeune des Premières Nations prise en charge et défenseure des droits, Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge : [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonsoir à tous. Je m’appelle Ashley Bach. J’appartiens au clan de l’Aigle et je fais partie de la Première Nation de Mishkeegogamang. Je vis présentement à Thunder Bay, un territoire traditionnel de la Première Nation de Fort William. Je suis une étudiante de niveau 2L à la faculté de droit de Bora Laskin, et je suis également membre du Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge, une expérience que j’ai vécue.

Je n’ai pas grandi dans ma communauté, parce que j’ai été placée en famille d’accueil, puis adoptée lorsque j’avais cinq ans. J’ai vécu un peu partout, y compris à Ottawa, pendant les confinements de la COVID. Le premier été de la COVID, alors que le centre-ville d’Ottawa était encore majoritairement fermé, j’ai rencontré une jeune autochtone qui était assise à terre, à l’extérieur de la bibliothèque publique d’Ottawa. Il venait tout juste de tomber une pluie diluvienne, et elle portait un chemisier de couleur vive, mais n’avait pas de chandail. Elle avait déposé son sac à dos et son sac d’épicerie réutilisable, pleins à craquer, et elle pleurait et n’avait pas l’air de bien aller.

Elle venait d’une communauté des Premières Nations éloignée, dans le Nord de l’Ontario. Elle avait été placée dans un foyer de groupe à Ottawa, à plus de 1 000 kilomètres de sa communauté natale, mais elle avait récemment atteint la majorité et ne pouvait plus être prise en charge. Depuis ce temps, elle avait habité dans différents refuges, mais elle ne se sentait pas en sécurité. Elle ne pouvait pas retourner dans sa communauté natale, et elle ne voulait plus vivre. Ce jour-là, elle avait essayé de se suicider. Ce jour-là, en 2020, je ne pouvais rien faire pour l’aider. Il n’y avait pas de soutien pour les jeunes des Premières Nations qui n’étaient plus pris en charge, et je me suis sentie extrêmement impuissante alors qu’elle s’infligeait elle-même encore plus de mal.

Un an et demi plus tard, le Conseil national a publié un rapport, intitulé Les normes équitables des transitions vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge, auquel j’ai eu le privilège de participer. Les normes équitables visent à ce que les jeunes pris en charge bénéficient d’un soutien et de conditions de réussite équitables, afin qu’ils puissent s’épanouir et non uniquement lutter pour survivre. De plus, le rapport des Normes équitables indique que les jeunes pris en charge ne peuvent plus attendre et ne doivent plus être laissés pour compte; ils ont besoin de mesures de soutien complètes et holistiques dès maintenant.

J’ai exprimé des opinons semblables, la semaine dernière, devant les chefs de l’Assemblée des Premières Nations, parce que, lorsque les jeunes pris en charge doivent attendre, ils sont laissés pour compte, ils grandissent en famille d’accueil et leur enfance est perdue. C’est particulièrement pertinent alors que nous essayons de briser le cycle des traumatismes intergénérationnels des peuples autochtones.

Au même moment où le rapport des Normes équitables a été publié, Services aux Autochtones Canada a annoncé son programme de services de soutien post-majorité. Le programme a été créé après qu’une ordonnance sur consentement, 2022 TCDP 8, oblige le Canada à financer le programme jusqu’au 31 mars 2023.

L’objectif du programme de services de soutien post-majorité consiste à valoriser la sécurité et le bien-être des jeunes et des jeunes adultes des Premières Nations dans le cadre d’une approche qui est adaptée à leur culture, axée sur leur intérêt supérieur et fourni dans un objectif d’égalité réelle. Les mesures de soutien pourraient comprendre de l’aide pour répondre aux besoins en matière de logement, d’alimentation, de sécurité financière, de santé mentale, de lutte contre la toxicomanie et de relations saines. Ces services sont offerts aux jeunes de moins de 26 ans qui étaient pris en charge par le programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et qui résident habituellement dans une réserve ou au Yukon.

Ce programme est important parce que les jeunes n’ont pas suffisamment de soutien lorsqu’ils quittent leur foyer et n’ont souvent pas une trajectoire de vie positive. Les jeunes des Premières Nations peuvent également faire face à des obstacles supplémentaires à leur bien-être et à leur succès, en plus de tout ça.

Cependant, l’ordonnance sur consentement ne prévoit pas de financement garanti pour le programme de services de soutien post-majorité. Au contraire, après le 31 mars 2023, le programme de services de soutien post-majorité devait être financé grâce à une réforme du programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Malheureusement, le programme n’a pas encore été réformé, et l’accord de règlement final proposé n’a pas été ratifié par les chefs de l’Assemblée des Premières Nations. Si j’ai bien compris, Services aux Autochtones Canada finance encore le programme de services post-majorité. Toutefois, rien ne garantit que le programme sera maintenu au cours du prochain exercice ou si le gouvernement change. Cela pourrait se traduire par des lacunes dans l’offre des services ou par la fin des services.

Lorsque je pense à la fin de ces services, je pense à la jeune des Premières Nations que j’ai rencontrée, qui était assise à l’extérieur de la bibliothèque publique d’Ottawa. Je me demande si sa situation serait différente, plus sécuritaire et plus saine, si le programme des services de soutien post-majorité avait été offert au moment où elle a quitté son foyer. Je me demande si elle est encore en vie.

J’espère qu’il existe un avenir dans lequel les jeunes des foyers d’accueil ne verront pas leur anniversaire comme annonçant la fin des soutiens et des services et n’auront pas l’impression que leur seule option est de se suicider. J’espère qu’il existe un avenir où les jeunes en foyers d’accueil ou qui quittent leur foyer seront en sécurité et bénéficieront d’un soutien qui ne leur permet pas seulement de survivre, mais aussi de s’épanouir.

Ceci dit, je souhaite faire trois appels à l’action. Mon premier appel à l’action est de mettre en place et de mettre en œuvre des normes équitables à l’échelle nationale et de concrétiser cet espoir pour l’avenir. Mon deuxième appel à l’action est d’aider le Canada à adopter une loi fédérale visant les jeunes qui ne sont plus pris en charge, reconnaissant également les droits humains de tous les jeunes pris en charge et qui ont déjà été pris en charge et ceux des jeunes Autochtones pris en charge et qui ont déjà été pris en charge. Pour finir, mon troisième appel à l’action est de protéger et d’améliorer le programme de services de soutien post-majorité de Services aux Autochtones Canada pour les jeunes Autochtones qui ne sont plus pris en charge, y compris en assurant un financement durable et à long terme qui offrira une certitude aux jeunes qui ne sont plus pris en charge par le système.

Meegwetch. Merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Jessica Knutson, leader de la formation clinique et des projets spéciaux, Hôpital pour enfants et femmes de Santé autochtone de la Colombie-Britannique, Provincial Health Services Authority, Colombie-Britannique : [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Je vous remercie de m’avoir invitée à discuter avec vous aujourd’hui. Je vous appelle du territoire ancestral non cédé de la Première Nation Musqueam, de la Nation des Squamish et de la Nation Tsleil-Waututh. Je me présente devant vous en tant que femme crie d’origine mixte et en tant que personne qui a vécu l’expérience des foyers d’accueil. Ce dont je vais vous parler dans la prochaine heure vient du savoir que j’ai amassé par l’entremise de ma propre expérience vécue, de ma formation et de mon expérience professionnelle dans les services de protection de l’enfance, y compris la sagesse et les enseignements que m’ont transmis les jeunes Autochtones pris en charge, les aînés et les gardiens du savoir.

J’ai également le privilège d’être membre du Conseil national de défense des jeunes pris en charge, et j’ai également collaboré avec d’incroyables jeunes pris en charge et des alliés de tout le pays pour élaborer le cadre des normes équitables que Mme Doucet a mentionné pendant la séance de la semaine dernière.

Ce que je veux souligner, dans la discussion d’aujourd’hui, c’est que, lorsque nous parlons des familles d’accueil, il faut pleinement impliquer et inclure les Autochtones dans la discussion et pas seulement en tant que statistique ou note de bas de page. Nombre d’entre nous avons entendu parler de la surreprésentation des enfants et des jeunes Autochtones pris en charge. Les enfants autochtones sont près de 20 fois plus susceptibles d’être pris en charge que les enfants allochtones. Le recensement de 2021 de Statistique Canada montre que les enfants autochtones représentent moins de 10 % de la population mineure du Canada, mais plus de 50 % des enfants placés en foyers d’accueil.

Pour parler des expériences des jeunes qui quittent les foyers et de ce qui doit être fait pour soutenir les jeunes et les aider à réussir la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, nous devons faire un zoom arrière. Nous devons reconnaître la vérité et la réalité des raisons pour lesquelles le système actuel a été créé et des raisons pour lesquelles la surreprésentation massive des enfants autochtones dans le système existe et se poursuit.

L’itération actuelle du système de protection de l’enfance trouve son origine et est ancrée dans les idéologies et les actions suprémacistes blanches, coloniales et patriarcales et la tentative de génocide de la population autochtone au pays. En plus de connaître et de comprendre l’histoire coloniale du pays et les effets continus du travail social et de la protection de l’enfance sur les populations et les communautés autochtones, il est aussi important de connaître et de comprendre les politiques, les lois et les rapports dirigés par les Autochtones, d’avoir une connaissance du passé, des circonstances actuelles et de la manière dont les collectivités autochtones veulent aller de l’avant dans l’avenir, y compris des appels à l’action particuliers, des appels à la justice et de la responsabilisation pour le gouvernement fédéral.

Certains des rapports qui nous guident dans cette entreprise, dont un grand nombre reposent sur les histoires sacrées des peuples autochtones, incluent celui de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui a été publiée en 1996 et inclut la voix de la jeunesse autochtone sur les préoccupations et sa vision pour l’avenir; la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, parue en 2007, mais qui n’a reçu la Sanction royale au Canada qu’en 2021, et qui renforce l’obligation d’améliorer le bien-être des peuples autochtones; la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, qui a été signée au Canada en 1991, dont le premier principe de base est la non-discrimination, et ce que nous avons entendu d’autres témoins dire dans les séances est que les jeunes en foyer d’accueil, particulièrement les jeunes Autochtones, font face à de nombreux types de discrimination différents; le suivant est le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à l’action, publiés en 2015, qui ont créé un espace et un lieu de guérison pour les personnes touchées par les pensionnats et leur héritage, et qui comprend des appels à l’action particuliers pour la protection de l’enfance, y compris la mise en œuvre complète du principe de Jordan ainsi que les normes nationales; le rapport sur les FFADA2S Réclamer notre pouvoir et notre place et les appels à l’action sortis en 2019 traitent également de la réforme nécessaire dans le processus de la fin de la prise en charge et de la formation qui a été réclamée, y compris l’histoire de la protection de l’enfance, la formation à la lutte contre le racisme et une formation culturelle et linguistique.

En Colombie-Britannique en particulier, un rapport qui vient à l’esprit est le « Disaggregated demographic data collection in British Columbia: The grandmother perspective », qui traite de l’importance de recueillir des données désagrégées pour faire avancer les droits de la personne, de recueillir des données pour élaborer des politiques qui tiennent compte adéquatement des inégalités systémiques et permettent de faire entendre par les gens au pouvoir l’expérience vécue et les histoires de nombreuses personnes. Cela provient des perspectives matriarcales autochtones, de l’importance de la relation et du fait de vouloir connaître cette information, parce c’est important pour nous. D’autres histoires en Colombie-Britannique comprennent Skye’s Legacy et Paige’s Story, qui racontent le parcours de deux jeunes femmes autochtones toutes les deux décédées pendant leur prise en charge et comment le système a échoué à assurer une permanence relationnelle, culturelle, émotionnelle et physique et un sentiment d’appartenance, et fait ressortir à quel point la connexion culturelle est essentielle et constitue un facteur de protection connu pour les jeunes Autochtones.

Ce que ces rapports ont en commun, c’est de souligner que nos histoires sont importantes pour apprendre à créer un meilleur avenir pour nos enfants et nos collectivités. Je vous encourage à prendre un instant pour réfléchir à vos histoires de parcours vers la vie adulte. Qu’avez-vous reçu de vos parents, fournisseurs de soins, membres de la famille et communauté en matière de compétences, de soutien, d’amour et de soins ou qu’est-ce que vous n’avez pas reçu et auriez aimé avoir? Qu’est-ce qui aurait été utile dans votre transition vers la vie adulte? Je suis sûre que l’on pourrait trouver de nombreuses ressemblances avec les piliers inclus dans le cadre des normes équitables du conseil national, qui sont des appuis essentiels que chaque personne, peu importe qui elle est ou où elle vit, a le droit de connaître. Je vous remercie.

La présidente : Merci à vous deux de vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous avez cinq minutes pour la question et la réponse. Je vais céder la parole à la vice-présidente, la sénatrice Bernard.

La sénatrice Bernard : Pour commencer, permettez-moi de vous remercier toutes les deux d’avoir apporté votre voix à ce groupe de témoins ce soir, alors que nous essayons de centrer la voix, l’histoire et les expériences des Autochtones dans notre étude. Ce n’était pas le seul endroit, mais c’est le premier où nous mettons un accent particulier sur les expériences autochtones. Je veux dire que votre résilience personnelle est très inspirante et que vous avez transformé cette résilience en passion pour aider les autres.

Je suivais de très près la réunion des chefs plus tôt ce mois-ci et le fait que la majorité ait voté contre l’accord. Je me demande si l’une d’entre vous pourrait nous dire ce qu’elle en pense, où en sont les choses et ce que vous aimeriez que l’on fasse concernant cet accord historique.

Mme Bach : Pour moi, pour que cela soit pertinent pour l’étude, j’ai l’impression que la question des services de soutien après la majorité n’a pas été assez soulevée pendant l’assemblée des chefs. On s’est beaucoup concentré sur le montant et le fait que le financement de la réforme à long terme du programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations n’aurait duré que 10 ans. On n’a pas assez parlé du programme des services de soutien après la majorité. Honnêtement, cela m’a vraiment frustrée, parce que c’est l’une des avenues de financement qui ne sont pas garanties. Cela pourrait avoir une très grande incidence sur les jeunes qui font la transition entre le système et l’âge adulte, mais on se demande maintenant encore plus si ce programme va se poursuivre, surtout s’il y a un changement de gouvernement.

Je pourrais m’étendre sur ce que j’aimerais voir dans une réforme à long terme, mais je pense que c’est probablement ce qui est le plus pertinent pour le comité à l’heure actuelle. Au‑delà de cela, bien sûr, il serait incroyable que les normes équitables soient mises en œuvre dans le programme des services de soutien à la majorité, si celui-ci se poursuit. J’aimerais aussi entendre beaucoup la voix des jeunes pour les personnes qui reçoivent un appui des services de soutien après la majorité. Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : Merci.

Mme Knutson : Ce qui vient à l’esprit quand on entend cette décision est une question de Harlan Pruden, un universitaire cri qui vit ici en Colombie-Britannique. C’est la suivante : « Le recours est-il en adéquation avec le préjudice? » Lorsque l’on pense aux centaines d’années de préjudice commis contre les peuples autochtones, un délai de dix ans est-il logique pour permettre de régler la discrimination et les préjudices commis contre les peuples autochtones durant cette période? Sachant ce que nous savons tous — et vous plus que nous tous — à propos de la lenteur d’un changement, cela ne serait pas possible.

Alors ce recours n’est pas en adéquation avec le préjudice. Les personnes qui ont voté contre l’ont constaté, en plus des nombreuses autres raisons pour lesquelles elles auraient dit « non » en prenant cette décision.

Donc oui, je pense à cela et à ce qui est nécessaire. Nos enfants et nos jeunes méritent qu’on n’impose pas un délai comme celui-là, et que, par la suite, le gouvernement fédéral n’ait pas à être responsable de cette discrimination continue contre les Premières Nations et d’autres peuples autochtones lorsqu’il s’agit de la protection de l’enfance.

Voir les changements qui ont été réclamés à maintes reprises par les peuples autochtones dans certains des rapports et les appels à l’action dont j’ai parlé dans ma déclaration liminaire... beaucoup de ces renseignements et de ce qu’ont dit des témoins précédents… Ces renseignements existent. Ils ont été recueillis, et si vous travaillez sur le terrain, je peux parler au nom de la Colombie-Britannique, de l’incroyable voix des jeunes et des défenseurs des jeunes qui sont ici et qui font ce travail depuis des dizaines d’années, de ce qu’ils méritent et de ce que nos générations futures méritent.

La sénatrice Bernard : Madame Knutson, vous avez mentionné un certain nombre de rapports. Je ne pense pas que vous ayez mentionné le rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’avez-vous fait? M’a-t-il échappé?

Mme Knutson : Oui, je l’ai mentionné. Il s’agit du rapport Réclamer notre pouvoir et notre place. Oui.

La sénatrice Bernard : Oui. Merci. Que pensez-vous de leurs appels à l’action concernant la fin de la prise en charge des jeunes? Pensez-vous qu’ils ont réalisé des progrès à cet égard?

Mme Knutson : Je pense que ce rapport contient beaucoup de renseignements importants, en particulier sur la violence à laquelle les femmes et les enfants autochtones font face et les raisons pour lesquelles ces mesures ont été prises, et que ce n’était pas par erreur parce que les femmes et les enfants sont le centre de nos communautés, et que les actions particulières et la violence commise contre les femmes et les filles autochtones ne sont pas le fruit d’une erreur. Il y a des centaines d’appels à la justice dans ce rapport, qui traitent du processus de la fin de prise en charge. Comme je l’ai dit, ils traitent également du besoin de connaître l’histoire de la protection de l’enfance, comme la formation à ce sujet qui est nécessaire, la formation à la lutte contre le racisme qui est nécessaire, puis la formation culturelle et linguistique également. Ils traitent des différents principes de changement concernant l’égalité réelle et les droits des personnes et des Autochtones, et je ne crois pas que nous ayons abordé beaucoup de ces appels à l’action dans ce sens.

En voici un en particulier qui m’interpelle dans cette discussion :

Nous demandons à tous les ordres de gouvernement et aux services de protection de l’enfance d’entamer la réforme des lois et des obligations à l’égard des jeunes qui atteignent l’âge maximal de prise en charge. Cela consiste, notamment, à offrir un réseau complet de soutien de l’enfance à l’âge adulte, fondé sur la capacité et les besoins. Entre autres, ce réseau offrirait des possibilités d’éducation et de logement, ainsi que des mesures de soutien connexes, et prévoirait la gratuité des études postsecondaires pour tous les enfants pris en charge au Canada.

Je pense qu’il a trouvé un écho auprès de chaque membre du groupe de témoins.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Simons : À toutes les deux, je dis tansi et hiy hiy. Madame Bach, vous avez soulevé une question intéressante lorsque vous nous avez raconté votre rencontre d’une jeune femme autochtone sans abri dans les rues d’Ottawa.

En 2022, Statistique Canada a réalisé un recensement de la population itinérante du Canada dans 72 collectivités différentes, grandes et petites. Il a découvert que près d’un répondant sur trois avait grandi dans une famille d’accueil, un foyer de groupe pour jeunes ou un autre programme de protection de l’enfance, et sur la moitié des jeunes rencontrés dans la rue, près de la moitié avait grandi dans un foyer d’accueil.

À une époque où un très grand nombre de Canadiens sont confrontés aux populations très visibles des campements et où la population s’inquiète beaucoup de l’itinérance dans nos rues, je me demande si vous pouvez toutes les deux parler de la corrélation entre la fin de la prise en charge et l’itinérance et nous dire à quel point il est important de s’attaquer à un problème si nous essayons de nous attaquer à l’autre. Madame Knutson, je vais commencer par vous.

Mme Knutson : Merci. Cela revient en quelque sorte à ce que je dis dans ma déclaration liminaire, en particulier que la majorité des jeunes qui sortent de la prise en charge sont des Autochtones. Lorsque nous parlons des répercussions de la colonisation sur les peuples autochtones, oui, ce chiffre augmente à cause des personnes placées dans des foyers d’accueil, et vous êtes plus susceptibles de vous retrouver en foyer d’accueil si vous êtes Autochtone.

Nous devons également regarder certains des autres facteurs qui ont contribué à ce problème. Un facteur important est la relocalisation forcée des peuples autochtones et les déplacements sur la réserve, qui sont liés à l’histoire que Mme Bach a racontée, à savoir que même les personnes vivant sur des réserves dans des régions différentes ont déjà été relocalisées de force dans ces espaces, puis doivent être relocalisées de force à nouveau pour accéder à différents services qui ne sont pas offerts dans leur région, comme l’éducation, les soins de santé, toutes ces choses. Elles finissent ensuite par ne pas pouvoir retourner dans leur collectivité. Ou peut-être que ce n’est pas sécuritaire d’y retourner, puis, lorsqu’elles ont 19 ans, tous les services ne sont plus là, et elles n’ont pas les moyens de payer un loyer à Vancouver, qui est de 2 000 ou 3 000 $ par mois pour un appartement d’une chambre à coucher. Que faites-vous ensuite? Vous allez dans des refuges; vous allez dans la rue.

Il y a une forte communauté ici dans le Downtown Eastside. Il y a beaucoup de stéréotypes négatifs qui ressortent, mais les gens trouvent un sentiment de communauté et d’appartenance dans ces espaces également. Il s’agit donc de regarder ce qui est aussi offert et ce qui fait en sorte que les gens restent dans ces endroits, en plus de tous les stéréotypes négatifs que l’on entretient également. Je vais vous céder la parole, madame Bach.

Mme Bach : Merci, madame Knutson. Merci à vous aussi, sénatrice Simons.

En ce qui me concerne, l’histoire que j’ai racontée de la jeune que j’ai rencontrée dans la rue à Ottawa... elle venait d’une communauté. Quand j’ai regardé sur une carte pour connaître la distance, j’ai vu que c’était comme un vol direct de 1 000 kilomètres, mais si vous deviez vous rendre jusqu’à Sioux Lookout en voiture et qu’il y avait peut-être une route de glace ou un avion à prendre à partir de là, c’est encore plus loin.

Ce genre de voyage coûte… Eh bien, c’est probablement plus qu’un mois de loyer. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’un jeune qui vient de sortir d’une prise en charge puisse payer ce voyage pour retourner à la maison. Même si un jeune avait les moyens de retourner à la maison dans une collectivité éloignée, de faire le voyage de retour, il n’y a pas de garantie qu’il y aurait un logement là-bas.

La sénatrice Bernard a posé des questions sur l’entente de règlement définitive pour la réforme à long terme dont les chefs de l’APN ont voté contre la ratification l’autre semaine, et une bonne partie de l’entente comprenait des fonds pour le logement, et je pense que cela aurait pu faire partie des services de prévention. Mais cela aurait pu être… c’est vraiment une partie essentielle pour répondre aussi au problème des jeunes qui ne veulent pas retourner chez eux.

Je faisais autrefois partie du conseil des jeunes de la nation Nishnawbe Aski, où j’étais responsable du portefeuille du logement et de l’infrastructure, et pendant cette période, il y avait un projet appelé Creating a Home for Our Youth. Il est décrit dans la stratégie du logement de la nation Nishnawbe Aski, mais ce projet… La toute première réunion à laquelle je me souviens d’avoir assisté pour ce projet, avant même de faire partie du conseil jeunesse... une autre personne et moi avons écrit exactement la même chose sur nos papillons autoadhésifs pour la séance animée, car nous étions tous deux d’anciens jeunes de foyers d’accueil qui avions voulu retourner dans notre communauté, qui étaient... ma communauté est reliée à une route, mais elle se trouve dans l’extrême Nord, et la sienne n’était accessible que par avion. Nous avons écrit presque mot pour mot la même chose, que nous voulions rentrer à la maison, mais que nous ne pouvions pas le faire, parce que nous n’avions pas de maison où aller.

Je ne suis pas surprise que la moitié — ou peut-être plus de la moitié — des jeunes visés par les données de recensement et les sondages qui étaient itinérants aient été aussi d’anciens jeunes pris en charge. Cela ne me surprend pas du tout. C’est vraiment très préoccupant que rien n’ait été fait à cet égard jusqu’ici.

On a sensibilisé la population à la question, mais nous avons besoin de financement concret, par exemple, pour les logements situés sur les réserves afin que les jeunes puissent y retourner. Le projet Creating a Home for Our Youth et les projets de logement subséquents de la nation Nishnawbe Aski ont conçu un type de logement pour les jeunes qui ont fait partie du système et pour d’autres jeunes et populations qui vivent aussi sur les réserves, et cet argent doit permettre de créer un espace pour que les gens puissent rentrer à la maison et y vivre.

La sénatrice Simons : Vous soulevez un point intéressant, parce que dans l’un de vos appels à l’action... je me suis dit : « Eh bien, voilà le problème. » La protection de l’enfance est une responsabilité provinciale. Le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir de dire aux provinces qu’elles doivent maintenir des services jusqu’à l’âge de 25 ans ou qu’elles doivent mettre sur pied un système pour que les gens ne sortent de la prise en charge que lorsqu’ils sont prêts. Vous avez raison, le gouvernement fédéral ne détient pas beaucoup plus de pouvoir de financement du logement sur les réserves, mais l’un des problèmes du comité sera que la protection de l’enfance est une responsabilité et une compétence provinciales, même pour les enfants des Premières Nations.

Mme Knutson : Parlant de finances pour pouvoir vivre après la fin de la prise en charge, si vous êtes assez chanceux pour vivre dans une habitation à loyer modique, vous arrivez peut-être à joindre les deux bouts, mais un grand nombre de jeunes qui sortent de la prise en charge vont bénéficier de l’aide au revenu ou auront un handicap. Nous avons vu pendant la pandémie avec la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, que le gouvernement fédéral pensait que les gens pouvaient vivre avec un montant minimum de 2 000 $, mais les personnes bénéficiant de l’aide sociale et même celles qui ont un handicap ne touchent pas 2 000 $ par mois. Dans certaines villes, 2 000 $ ne permettent même pas de couvrir votre loyer. Cela perpétue le cycle de la pauvreté lorsque vous ne recevez même pas le montant de base qui est nécessaire, selon le gouvernement fédéral, pour pouvoir vivre pendant la pandémie. Comment pouvons-nous intégrer cela à l’aide au revenu, aux personnes handicapées et à d’autres mesures de soutien du revenu de la population?

La sénatrice Simons : Merci à vous deux d’être avec nous ce soir.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse aux deux témoins. Merci pour votre travail et pour la contribution que vous apportez à cette étude importante. Nos précédents témoins ont expliqué qu’il serait beaucoup plus pertinent pour les jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance de bénéficier d’une approche personnalisée basée sur leurs besoins, plutôt qu’une approche générale centrée sur l’âge. Êtes-vous d’accord avec cette proposition, et cela devrait-il être parmi les normes nationales au point de vue canadien?

[Traduction]

Mme Bach : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Une partie des normes équitables et de la fourniture de services de manière générale… Vous ne pouvez pas présumer que toutes les personnes seront rendues à la même place lorsqu’elles auront, par exemple, 18, 19, 21, 25 ou 26 ans; tout le monde ne sera pas rendu à la même place. Il y a aussi des jeunes qui ont un handicap ou des besoins de soins supplémentaires. C’est du moins le cas des jeunes des Premières Nations, qui sont nombreux à recevoir du soutien en vertu du principe de Jordan à l’heure actuelle, mais ils atteindront également un âge limite à un moment donné.

Mme Knutson : Oui, je suis aussi tout à fait d’accord avec vous. Tout le monde a parlé de l’importance d’un cadre axé sur l’état de préparation plutôt que sur l’âge arbitraire de 19 ans. Certains jeunes sont prêts à être indépendants à 19 ans, et d’autres non. On a aussi besoin de cette approche fondée sur les distinctions dont on parle. L’approche universelle ne fonctionne pas pour tout le monde, et le lieu n’est pas le même pour ceux qui vivent en région rurale et éloignée, en particulier, et il y a aussi beaucoup d’enfants et de jeunes autochtones en milieu urbain. Cette approche universelle ne fonctionne pas.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Madame Bach, votre second appel à l’action est de recommander l’adoption d’une loi fédérale relative à celle dont nous parlons aujourd’hui. Est-ce que cette considération de l’âge serait quelque chose à aborder dans un tel projet de loi?

[Traduction]

Mme Bach : Je pense absolument que la loi devrait prévoir une limite d’âge, plutôt que d’appliquer la norme équitable et de regarder la personne qui a été prise en charge et qui a reçu les mesures de soutien et les services, puis d’évaluer si elle est ou non en mesure de faire officiellement la transition hors des soins. J’ai également mentionné qu’il faut reconnaître les droits de la personne de tous les jeunes qui sont pris en charge pour incapacité et les droits particuliers des jeunes autochtones dans cette situation, ce qui pourrait aussi être important. Par exemple, quand je pense à un jeune autochtone qui fait la transition vers l’âge adulte et qui a fait partie du système, il pourrait chercher à rentrer chez lui ou ne pas pouvoir le faire de manière permanente, mais ce qui est important, c’est qu’il puisse rendre visite à sa communauté d’accueil et établir ce lien, en plus de maintenir ce lien avec sa communauté, sa culture, sa langue et ses terres.

[Français]

La sénatrice Gerba : Madame Knutson, vous avez quelque chose à ajouter?

[Traduction]

Mme Knutson : Comme on l’a dit, les services après la majorité sont différents dans chaque province. Pour bon nombre des jeunes avec qui j’ai travaillé en Colombie-Britannique et aussi dans d’autres provinces, les services après la majorité ont une limite en fonction de l’âge. Ils sortent de la prise en charge à 18 ou 19 ans et revivent cette situation à 22 ou 25 ans, ou quel que soit le prochain âge limite, et cette expérience est traumatisante; elle ramène ces expériences de la première fois où ils ont dû sortir de la prise en charge.

Un exemple personnel de ce changement est l’agence des services à l’enfance et à la famille des Autochtones où j’ai travaillé, qui avait un comité consultatif des jeunes, et où il y avait aussi un âge limite pour ce comité. On a discuté de la raison pour laquelle cette limite existait et on a pris la décision de la changer. Pour le comité consultatif des jeunes, on dit « Partez quand vous êtes prêts » plutôt que « Vous devez partir à 25 ans ». Naturellement, nous avons vu des jeunes partir lorsqu’ils étaient prêts. Parfois, c’était à 25 ans; parfois, à 30 ans. C’était formidable de le voir et de voir des jeunes prendre cette décision pour eux-mêmes.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse aux deux témoins, si vous voulez vous prononcer à ce sujet : d’après votre expérience, quel rôle le savoir autochtone joue-t-il dans le soutien des transitions réussies pour les jeunes qui sortent de la prise en charge? Pensez-vous que les systèmes de protection de l’enfance généraux pourraient mieux intégrer ces pratiques? Pensez-vous que les ressources nécessaires, le temps et l’espace existent actuellement pour intégrer le savoir autochtone?

Dans la même veine, vous avez mentionné — toutes les deux — que de solides liens communautaires se tissent dans le cadre des programmes culturels. Pensez-vous que les organisations vouées au bien-être des enfants ont un rôle à jouer pour favoriser ces relations au-delà de l’âge de la majorité?

Mme Bach : Je vais essayer de répondre à toutes vos questions, mais je pourrais en oublier une, alors faites-le-moi savoir si c’est le cas.

Pour ce qui est du savoir autochtone, du point de vue des Anishinaabeg, parce que je suis anichinabée, quand je pense par exemple au territoire, il ne va pas vous aider à sortir de la prise en charge. Il ne vous dira pas : « Hé, tu as 25 ans aujourd’hui, et c’est tout. Je ne subviens plus à tes besoins. » Il y a une relation qui existe. Elle est maintenue; le territoire maintient cette partie de la relation. La personne ou la collectivité concernée maintient également cette relation. Le concept de fin de la prise en charge à un âge limite arbitraire — à mon avis — ne serait pas cohérent dans une perception du monde anichinabée. Cela pourrait être une bonne chose de parler également aux aînés de ce sujet et à toutes les nations de l’île de la Tortue, parce que bon nombre d’entre elles auraient peut-être d’autres perspectives à ce sujet. Je ne pense pas qu’un âge limite ferme serait logique dans une perspective anichinabée.

Mme Knutson : Il y a beaucoup de réponses à donner, alors pardonnez-moi si j’en oublie des parties.

C’est un élément très important. Il y a beaucoup de recherches sur le facteur de protection qu’offre la culture et le sentiment de connexion avec la collectivité. Encore une fois, je vous parle de mon propre point de vue, étant une Autochtone urbaine qui travaille pour un service de protection de l’enfance autochtone en milieu urbain.

Une chose que l’agence pour laquelle j’ai travaillé faisait, c’est essayer, une fois par année, de permettre à chaque enfant et jeune de retourner rendre visite à ses territoires et communautés d’origine et de bâtir ce sentiment d’appartenance et de communauté. Parfois, ce n’est pas possible. Parfois, les voyages ont dû être annulés, ou toutes ces choses. Le fait de ne retourner qu’une fois par année ou tous les deux ans, au moment où le jeune sort de la prise en charge, n’a peut-être pas permis d’établir ces liens solides avec la communauté. Cela peut être intimidant, bouleversant.

Il y a toutes ces autres choses avec lesquelles les jeunes doivent composer lorsqu’ils arrivent à la fin de la prise en charge qui font en sorte qu’il se peut qu’ils ne puissent pas se concentrer sur la connexion avec la communauté, à cause de certains éléments que nous avons déjà mentionnés, les traumatismes intergénérationnels, la déconnexion et le coût associé au fait de retourner dans la communauté.

La culture et la spiritualité constituent l’un des principaux piliers dans le cadre des normes équitables que nous avons élaborées. Je pense qu’il y a une responsabilité des services après la majorité de fournir ces soins.

Nous parlons beaucoup des nombreux changements apportés à l’éducation postsecondaire, ce qui est formidable. Mais pour les jeunes autochtones, certaines personnes peuvent ne pas vouloir fréquenter l’école postsecondaire. Pour les jeunes autochtones en particulier, où se trouvent les mesures de soutien financières, et les personnes qui peuvent les entourer pour continuer de les aider à créer ce sentiment d’appartenance afin qu’elles puissent visiter leur communauté, y aller avec elles? Pour bien des gens, c’est intimidant de le faire par vous-même. Comment continuer de les aider à le faire? C’est une partie très importante de ce travail.

En Colombie-Britannique, pour les services après la majorité dans ce que l’on appelle depuis peu Strengthening Abilities and Journeys of Empowerment, ou SAJE, vous pouvez présenter une demande au SAJE si vous établissez un lien avec votre communauté et votre culture à l’aide des programmes. Il n’y a pas de mesure de soutien qui facilite ce travail pour vous. Vous devez le faire par vous-même. De nombreuses personnes ne sont pas rendues à ce moment de leur vie où elles peuvent le faire elles-mêmes à 18 ou 19 ans. La façon dont nous continuons de le faire pour elles alors qu’elles entrent dans l’âge adulte est importante.

Encore une fois, ces facteurs de protection et ce sentiment d’appartenance sont importants pour les jeunes en foyer d’accueil; cela leur fait souvent défaut, parce que le système crée ce sentiment d’exclusion pour eux, de manière répétée tout au long de la période qu’ils passent en foyer d’accueil. Ils le ressentent par la suite.

Le sénateur Arnot : Merci.

La présidente : Madame Bach, vous avez exprimé des pensées similaires — pour revenir à votre témoignage — concernant les chefs de l’APN l’autre jour, parce que lorsque les jeunes en foyer d’accueil se font dire d’attendre, ils sont laissés pour compte. Ils grandissent dans un système. Leur enfance est perdue. Quelle a été leur réaction lorsque vous leur avez fait part de vos pensées?

Mme Bach : Je pense que de nombreux chefs ont compris l’urgence de régler les problèmes liés aux jeunes pris en charge. Nos nations ont déjà vu plusieurs générations d’enfants qui leur ont été retirés : il y a d’abord eu les pensionnats, puis la rafle des années 1960, puis les décennies qui ont précédé la rafle du millénaire, et maintenant la rafle du millénaire. Cela représente plusieurs générations d’enfants disparus. Au cours de cette période relativement courte, nous avons également constaté une baisse de nos taux de maîtrise de la langue et de notre accès à la culture.

Par ailleurs, nous avons vu une augmentation des dépendances et une crise des suicides. L’urgence est là. C’est quelque chose que je trouve… Le gouvernement et d’autres processus coloniaux ne sont pas nécessairement aussi réceptifs parce que, par exemple, le gouvernement peut se trouver en période électorale, et il faut alors attendre plusieurs mois pendant que cela se déroule. Ensuite, tout le monde doit se rallier à nouveau. Puis, il faut qu’il y ait une volonté politique.

Pour les Premières Nations, cette urgence est présente en permanence parce que des enfants sont retirés de leur famille tous les jours. Il y a aussi souvent des enfants et des jeunes qui ne rentrent pas chez eux et qui décèdent, soit pendant qu’ils sont dans le système, soit après l’avoir quitté.

La présidente : En ma qualité de représentante du Canada à l’étranger, on me pose souvent la question des soins que nous ne fournissons pas à nos peuples autochtones. Cette question revient constamment dans nos conversations. Parfois, nous discutons avec différents pays de ce qui manque ou de ce qu’ils devraient faire pour leurs peuples. On me pose toujours cette question.

Vous avez dit qu’il y avait une prise de conscience du problème, mais que rien n’était fait. J’aimerais vous demander à toutes les deux : avez-vous constaté ou espérez-vous constater des changements positifs? Y a-t-il des changements?

Mme Knutson : Oui. Je vais parler du point de vue de la Colombie-Britannique.

Il y a eu de nombreux changements, et je tiens certainement à reconnaître et à saluer les nombreuses décennies de travail de représentation que les jeunes pris en charge et ayant déjà été pris en charge ont accompli au cours des dernières années pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui, en particulier certains des changements apportés aux services fournis après l’atteinte de la majorité en Colombie-Britannique pendant la pandémie. Certains de ces services sont devenus permanents et ils sont passés à cette nouvelle version des services fournis après la majorité, qui s’appelle SAJE, le renforcement des capacités et les parcours d’autonomisation. Auparavant, il s’agissait des ententes conclues avec les jeunes adultes. Des mesures de soutien élargies sont offertes dans le cadre du programme SAJE.

Il est parfois difficile de satisfaire aux critères d’admissibilité. Ils ont été modifiés au cours des dernières années. Nous avons constaté une extension de la tranche d’âge.

Jusqu’à votre 27e anniversaire, la durée d’accès a été élargie. Avant la pandémie, vous pouviez accéder aux ententes avec les jeunes adultes, ou AYA, pendant quatre ans environ, si vous étiez à l’école. Maintenant, les jeunes peuvent continuer d’avoir accès à ces services pendant sept ans et demi environ.

Il y a eu quelques changements dans la volonté de reconnaître ces choses. C’est toujours ce qu’ont exprimé beaucoup d’autres témoins dans cette approche cloisonnée; une grande partie est axée sur l’éducation postsecondaire.

Lorsque nous parlons de la santé et du bien-être holistiques des jeunes qui ont atteint l’âge limite de prise en charge, nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur l’éducation. Nous devons examiner tous les éléments. Encore une fois, c’est ce que nous avons fait dans le cadre des Normes équitables, c’est-à-dire tous les éléments nécessaires.

Il y a eu de très bons changements dans certains de ces domaines. Là encore, le sentiment d’appartenance, le sentiment de communauté, le lien continu avec des personnes importantes dans votre vie qui vous aident vraiment dans ces trajectoires... je ne sais pas s’il y a eu nécessairement beaucoup de changements à cet égard.

La présidente : Merci. Souhaitez-vous ajouter quelque chose, madame Bach?

Mme Bach : Oui. J’ajouterais que la Colombie-Britannique est très progressiste, du moins par rapport aux autres provinces et territoires en ce qui concerne les services à l’enfance et à la famille. Les changements que la province apporte sont un excellent exemple et un bon début.

Encore une fois, le programme de services de soutien après la majorité, qui sont offerts par SAC aux jeunes qui quittent le système et entrent dans l’âge adulte, est un bon début. C’est en partie la raison pour laquelle il y a une bonne sensibilisation.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Mme Knutson l’a mentionné : il faut adopter une approche holistique. On ne peut pas investir de l’argent dans les services à l’enfance et à la famille et dire ensuite « C’est bon, tout va bien », surtout en ce qui concerne les jeunes autochtones et, en particulier — étant donné que je suis membre d’une Première Nation — les jeunes des Premières Nations.

Lorsque j’ai parlé de choses comme le fait d’être originaire d’une communauté éloignée, il s’agit non pas seulement du programme de services de soutien après la majorité, mais encore une fois, par exemple, du financement du logement et des infrastructures pour qu’il y ait des endroits dans les réserves où les jeunes puissent vivre.

Mme Knutson a également mentionné l’accès à l’éducation. C’est aussi très important, et il faut veiller à ce que les jeunes qui font la transition vers l’âge adulte aient accès à l’éducation. À l’avenir, ils pourront occuper des emplois et subvenir à leurs besoins. Encore une fois, il y a l’accès aux soins de santé, aux soins de santé mentale et aux traitements contre la toxicomanie et tous ces différents aspects qui doivent être traités.

On est conscient, par exemple, du fait que l’atteinte de l’âge limite de prise en charge peut être un problème et que beaucoup de jeunes sans-abri sont des jeunes qui étaient auparavant dans le système. Mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait autant de sensibilisation, de compréhension ou d’action, surtout dans le sens holistique. Et nous avons le rapport sur les Normes équitables.

Je pense aussi à la roue de médecine — ce dont vous avez besoin pour votre santé physique, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle — et à ce qui, dans ce cercle, relèverait de chacune de ces catégories pour un jeune qui quitterait le système.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bernard : J’ai une question que je n’ai pas posée ce soir, mais qui a été posée la semaine dernière lorsque nous avons commencé l’étude. Nous avons parlé du pipeline de l’aide à l’enfance à la prison, du fait que nous savons qu’il y a une surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral industriel et que bon nombre d’entre eux sont de jeunes adultes qui ont été dans le système de protection de l’enfance.

L’une d’entre vous aimerait-elle commenter l’héritage des préjudices multigénérationnels, l’atteinte de l’âge limite de prise en charge et ce pipeline vers le système carcéral? Voyez-vous des liens?

Mme Knutson : Oui, je pense assurément qu’il y a un lien. Il est difficile de parler de ces choses de manière isolée. Je sais que nous parlons particulièrement de l’atteinte de l’âge limite, mais lorsque nous parlons de la surreprésentation des Autochtones dans tous ces différents systèmes, il faut en revenir à la reconnaissance et à la découverte de la vérité de notre pays, de la vérité sur les préjudices qui ont été causés aux Autochtones et de la façon dont ces systèmes ont été mis en place pour assurer la surreprésentation des Autochtones.

Prenons l’exemple de la Gendarmerie royale du Canada, ou GRC. Elle a été créée pour assurer des services de police auprès des Autochtones, et elle y consacre plus de 50 % de son budget. Donc, lorsque nous prenons en considération ces autres éléments, avec tout ce que nous savons sur la surreprésentation des jeunes autochtones pris en charge ainsi que sur ce que sont devenus nos services de police et notre système de justice pénale, nous pouvons avoir une meilleure compréhension, plus complète, des raisons d’une telle surreprésentation.

Les Autochtones sont surveillés différemment des non-Autochtones dans notre pays, et dans une mesure différente. Il y a là un lien avec les taux plus élevés que nous constatons dans le système carcéral, ainsi qu’avec le manque de ressources et de soutien dans la prise en charge et tous ces éléments qui font que les Autochtones sont également plus souvent surveillés par la police que les non-Autochtones.

Mme Bach : Je suis d’accord. Je tiens également à ajouter que lorsque je pense au pipeline de la protection de l’enfance à la prison, ce n’est pas seulement un pipeline qui se termine une fois que la personne est en prison. Il perpétue également ce traumatisme intergénérationnel, ainsi que les interactions avec le système de protection de l’enfance. Je pense à une personne qui est peut-être un jeune pris en charge, qui a fait la transition vers l’âge adulte et qui se retrouve dans la rue; il commet un crime quelconque et se retrouve en prison, mais en même temps, cette personne a peut-être entretenu une relation avec quelqu’un, et ils ont eu un enfant ensemble. Qu’arrive-t-il à cet enfant maintenant que son parent a été mis en prison? Cet enfant est peut-être plus à risque de se retrouver dans le système ou il y est peut-être déjà. La roue ne cesse de tourner.

Je pense que c’est important, indépendamment de la stratégie, surtout si elle vient du gouvernement fédéral, qui espère s’occuper du problème des jeunes en transition vers l’âge adulte et des jeunes pris en charge en général, également. J’espère vraiment que la stratégie pourra remédier au pipeline de la protection de l’enfance à la prison, puis à empêcher les interactions ultérieures avec le système de protection de l’enfance. Je ne sais pas exactement à quoi cela ressemblerait, mais je pense que c’est un élément important à prendre en considération.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Robinson : Je suis moi aussi invitée au comité et j’apprécie vraiment votre temps et le fait que vous ayez parlé de vos expériences de vie. Merci beaucoup.

Le premier groupe de témoins nous a parlé des enfants qui atteignent l’âge limite de prise en charge et qui ne savent pas où ils vont passer leurs vacances et qui n’ont pas de lien. Avez-vous vu, en dehors des gouvernements, des exemples de moyens de mettre en relation des personnes attentionnées avec des enfants et des jeunes adultes dans le besoin? Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire pour inspirer les gens et les sensibiliser à ce genre de lien qui pourrait être créé dans les communautés?

Je vais d’abord poser la question à Mme Knutson, à moins que vous ne vouliez que je la pose d’abord à Mme Bach.

Mme Knutson : Je vais vous donner quelques exemples précis que j’ai vus ici en Colombie-Britannique. Il y a une très forte population autochtone urbaine ici à Vancouver ainsi qu’une forte communauté de jeunes pris en charge. J’ai vu des femmes autochtones qui travaillent avec des jeunes pris en charge; elles font simplement partie de la communauté et ont une politique de porte ouverte pendant la période de Noël. Elles préparent un grand souper, et les gens sont simplement invités à venir s’ils le souhaitent et quand ils le souhaitent; il y a de la nourriture et des liens. Cela renforce cette communauté.

De plus, la communauté des jeunes pris en charge fait ce qu’elle appelle le « Noël marginal ». Ces jeunes recueillent des dons. En tant que jeune pris en charge, vous apprenez à survivre de nombreuses façons différentes. Ils font donc campagne auprès de différentes organisations et de personnes de la communauté pour solliciter des dons. Ils louent une salle différente chaque année, ils donnent des jouets et de la nourriture; des membres de la communauté des jeunes pris en charge et d’autres gens se portent volontaires pour aider. Ainsi, les personnes qui n’ont pas de famille ou d’endroit où aller — qu’elles soient prises en charge ou non — peuvent participer à ce « Noël marginal », organisé chaque année. Il y a de la nourriture, des jeux et des cadeaux pour tout le monde.

Il existe de nombreux exemples de ce genre au sein de la communauté où les membres de la communauté se soutiennent mutuellement. Comment pouvons-nous alors étendre cette approche à plus grande échelle et fournir davantage de soutien pour que cela se produise plus souvent et pour plus de personnes?

Mme Bach : Je suis d’accord. J’ai vu cela davantage dans cet espace informel. J’essaie de penser en ce moment à un programme de jumelage officiel… Mais j’ai vu cela se produire davantage dans un espace informel, par exemple, avec des conseils de jeunes et des organismes jeunesse comme Assembly of Seven Generations, ou A7G. Je ne suis pas tout à fait certaine qu’il existe une organisation officielle comme Grands Frères Grandes Sœurs, sauf pour les jeunes qui sortent du système de prise en charge, qui sont dans le système, qui n’ont peut-être pas d’endroit où aller, par exemple, pour les vacances.

C’est aussi une question importante car elle touche à la notion de construction d’une communauté, à l’existence d’un filet de sécurité sociale et à l’établissement de relations.

Je crois que Mme Doucet a parlé au comité la semaine dernière et elle a publié quelques articles sur l’importance d’avoir des liens, un filet de sécurité sociale et des relations qui nous soutiennent et qui nous permettent d’aider les autres et de vivre dans ce type de communauté.

La sénatrice Robinson : Merci.

La présidente : Au nom du comité, je profite de l’occasion pour vous remercier toutes les deux d’avoir comparu devant nous et de nous avoir fait part de vos histoires inspirantes. Votre témoignage nous sera très utile pour la suite de cette étude.

(La séance est levée.)

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