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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 18 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 17 h 6 (HE), pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’invite mes honorables collègues à se présenter.

La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kmaq. Je suis la vice-présidente du comité.

Le sénateur Arnot : Bonsoir. Je suis David Arnot, sénateur de la Saskatchewan. Je vis à Saskatoon, qui est au cœur du territoire visé par le Traité no 6, la patrie des Métis.

La sénatrice Osler : Je suis Flordeliz (Gigi) Osler, sénatrice du territoire visé par le Traité no 1, les terres d’origine des Anishinaabek, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés et la patrie de la nation métisse de la Rivière Rouge.

La sénatrice Muggli : Je suis Tracy Muggli, sénatrice de la Saskatchewan. Comme le sénateur Arnot, je viens du cœur du territoire visé par le Traité no 6, patrie des Métis.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, sénateurs et sénatrices, ainsi qu’à tous ceux qui suivent nos délibérations. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la vie après la famille d’accueil au titre de son ordre de renvoi général.

Avant d’accueillir nos témoins, j’ai une mise en garde à faire pour la réunion. Les sujets sensibles abordés aujourd’hui peuvent raviver des souvenirs éprouvants pour certaines personnes dans la salle, ainsi que les observateurs et les téléspectateurs. Un service de soutien en santé mentale est offert à tous les Canadiens par téléphone et par message texte; il suffit de composer le 988. Je rappelle également aux sénateurs et aux employés parlementaires qu’ils disposent du Programme d’aide aux employés et à la famille du Sénat, qui leur offre un service de counselling à court terme pour les problèmes personnels et professionnels, ainsi qu’un service de counseling en cas de crise.

Cet après-midi, nous recevrons trois groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs autour de la table auront une période de questions et de réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous avons demandé à nos témoins de présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Par vidéoconférence, veuillez accueillir Sherry Gott, protectrice des enfants et des jeunes, du Bureau du protecteur des enfants et des jeunes du Manitoba; et, par vidéoconférence, souhaitons la bienvenue à Kelly Lamrock, défenseur des enfants et de la jeunesse, du Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse du Nouveau-Brunswick.

J’invite maintenant Mme Gott à présenter son exposé, qui sera suivi de celui de M. Lamrock.

Sherry Gott, protectrice des enfants et des jeunes, Bureau du protecteur des enfants et des jeunes du Manitoba : Bonjour. Je me trouve dans le territoire visé par le Traité no 1 à Winnipeg. Honorables sénateurs et sénatrices, merci de m’avoir invitée à contribuer à votre étude sur la vie après la famille d’accueil.

En tant que protectrice des enfants et des jeunes au Manitoba, la province ayant le taux le plus élevé de retrait d’enfants et de placements extérieurs au Canada, je suis très reconnaissante d’avoir l’occasion de vous présenter des observations fondées sur le contexte manitobain et d’amplifier la voix des jeunes Manitobains qui ont une expérience vécue.

Pour commencer, je veux situer mes commentaires d’aujourd’hui en contexte. Au Manitoba, comme dans le reste du Canada, bon nombre des enjeux auxquels les enfants en foyer d’accueil font face découlent directement des structures et des politiques coloniales persistantes dans lesquelles le système de protection de l’enfance est solidement ancré et assure le maintien des iniquités structurelles et du racisme systémique. Cela comprend l’échec permanent du Canada de fournir des ressources de base aux populations autochtones dans les domaines du logement adéquat, de l’eau, du revenu, de l’éducation, de la santé et des services de guérison.

Ce n’est pas une coïncidence si les enfants et les jeunes Autochtones sont largement surreprésentés dans le système de protection de l’enfance dans l’ensemble du pays. Au Manitoba, 91 % des enfants pris en charge par le gouvernement sont des membres des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. Près du tiers de tous les enfants issus des Premières Nations au Manitoba passeront du temps en foyer d’accueil à un moment de leur enfance. Le retrait généralisé des enfants autochtones de leur famille constitue une injustice grave qui, à bien des égards, imite les pratiques et les résultats du système de pensionnats et de la rafle des années 1960.

Mon bureau a eu le privilège de discuter avec de nombreux jeunes que le gouvernement a pris en charge pendant un certain temps, dont récemment dans un projet dirigé par des jeunes eux‑mêmes. Leur témoignage collectif reflète des modèles très préoccupants. Bon nombre des jeunes que nous avons entendus ont décrit l’angoisse d’être séparés des membres de leur fratrie, de leur culture et de leur identité. Un grand nombre d’entre eux ont été victimes de négligence, de mauvais traitements, d’exploitation et de trafic de la part de leurs parents d’accueil. Pour les nombreuses personnes qui ont fait part de leurs préoccupations concernant leur placement à leur travailleur social, le suivi a été soit lent, soit inadéquat, soit inexistant. Comme un jeune l’a expliqué, « la protection de l’enfance n’est qu’une autre forme de traumatisme générationnel ».

La plupart des jeunes à qui nous avons parlé ont dit qu’ils n’avaient pas les mesures de soutien et les ressources dont ils avaient besoin lorsqu’ils étaient en famille d’accueil, et un grand nombre d’entre eux estimaient que leurs travailleurs sociaux étaient peu fiables et ne se souciaient pas d’eux. La grande majorité d’entre eux ont également exprimé que le temps qu’ils ont passé dans le système de protection de l’enfance ne les avait pas adéquatement préparés à la vie adulte.

Au Manitoba, sauf dans des circonstances spéciales, les jeunes cessent d’être pris en charge à leurs 18 ans. Cette désignation légale de l’âge adulte ne s’aligne souvent pas avec l’état de préparation des jeunes et leur capacité de se retrouver avec des responsabilités adultes, surtout pour les jeunes aux prises avec des déficiences cognitives. Un jeune, malheureusement décédé en juillet dernier, a expliqué son expérience comme suit : « Ils ne nous enseignaient rien. Aucune compétence de vie. Ils jetaient essentiellement tous les enfants à la rue et disaient : “Allez-y, voici votre vie.” Vous ne savez rien. Vous n’avez aucune éducation et vous n’avez pas d’argent, rien qui puisse vous sauver la vie. C’est horrible. »

Des centaines de jeunes cessent d’être pris en charge au Manitoba chaque année. Pour certains d’entre eux, leur dossier est fermé immédiatement, qu’ils y soient ou non préparés. Environ 75 % des jeunes qui cessent d’être pris en charge au Manitoba sont admissibles à du soutien du système de protection de l’enfance jusqu’à leur vingt et unième anniversaire, sous forme d’accords avec de jeunes adultes, ou AYA. Cependant, nombre d’entre eux ne sont même pas au courant de cette option, alors que d’autres décident de mettre activement fin à leur participation au système de protection de l’enfance à cause des expériences négatives qu’ils ont connues avec celui-ci. Pour ces jeunes qui ont un accord avec de jeunes adultes, certains ne sont pas à même de donner adéquatement suite à ce qui est attendu d’eux pour que leur financement se poursuive, alors que d’autres ont dit que le soutien financier qu’ils reçoivent ne suffit pas à répondre à leurs besoins élémentaires.

Nous savons également que le programme manitobain d’aide à l’autonomie pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge regorge de problèmes. Non seulement il y a plus d’enfants qui sortent de la prise en charge qu’il y a de lieux de vie autonome, mais bon nombre des programmes sont aussi à but lucratif et ne comprennent aucune forme de responsabilisation ni mesure des résultats. Un jeune s’est exprimé ainsi à propos du programme : « La vie autonome était probablement la pire expérience de ma vie, parce que le budget établi ne couvrait pas le loyer, le prix des aliments et les factures. Mon agence n’assumait aucune responsabilité dans ces domaines. J’ai dû trouver ces choses et me débrouiller moi-même. »

Comme les honorables sénateurs le savent sûrement, les jeunes qui ont cessé d’être pris en charge ont des résultats nettement moins bons que leurs pairs qui n’ont jamais été placés en famille d’accueil. À Winnipeg, au moins 50 % des personnes sans abri ont été placées dans le système de protection de l’enfance, et les deux tiers se retrouvent sans-abri dans la première année suivant la fin de la prise en charge. La majorité des jeunes qui cessent d’être pris en charge au Manitoba vivent également en deçà des seuils de pauvreté, et environ 66 % finissent par bénéficier de l’aide sociale un an après la fin de la prise en charge.

Mais il y a de l’espoir. J’invite les honorables sénateurs à examiner le programme Memengwaa, de Shawenim Abinoojii Inc., au Manitoba, qui a réussi à aider des jeunes Autochtones en foyer d’accueil et d’autres qui sortaient des foyers d’accueil, car il offre des services et des mesures de soutien adaptés à la culture et holistiques.

Je rêve d’un monde où nous travaillons tous à l’élaboration de systèmes et de services qui aident à garder les familles ensemble, dans la mesure du possible. Je rêve d’un Canada guidé par des normes nationales équitables pour la fourniture de mesures de soutien et de services destinés aux enfants et aux jeunes qui se retrouvent dans des foyers d’accueil. Et je rêve d’une société où les jeunes pris en charge ne cessent pas de l’être, mais se voient plutôt offrir le même niveau de soins complets et de soutien inconditionnel que celui que leurs pairs qui ne sont pas pris en charge reçoivent.

[La sénatrice s’exprime en langue autochtone.] Merci de m’avoir permis de m’exprimer aujourd’hui.

La présidente : Merci. Monsieur Lamrock, vous êtes prêt?

Kelly A. Lamrock, défenseur des enfants et de la jeunesse, Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse du Nouveau-Brunswick : Merci, madame la sénatrice, et bonsoir, honorables sénateurs et sénatrices.

Je tiens d’abord à féliciter le comité d’avoir pris cette question en main. Ces voix sont souvent laissées pour compte et oubliées. À toute période donnée au Nouveau-Brunswick, nous comptons environ 800 à 1 000 enfants en foyer d’accueil. En ce qui concerne le ministre du Développement social, étant moi-même ancien ministre, je sais à quel point il s’agit d’une énorme responsabilité.

L’une des choses que notre bureau a exprimées clairement ces derniers temps — et ce n’est pas atypique au Canada — au Nouveau-Brunswick, jusqu’à de récents amendements, le gouvernement n’avait aucune obligation de savoir ce qui se passait avec les enfants sous sa garde. Si vous demandiez au ministère du Développement social combien d’enfants sous ses soins étaient sans-abri, combien avaient des démêlés avec le système judiciaire, combien suivaient des études postsecondaires et combien avaient des plans de demi-journées à l’école secondaire, il ne le savait pas. Étonnamment, un parent raisonnablement compétent saurait ces choses à propos de son enfant, sinon quelqu’un appellerait le ministère du Développement social. Je pense que cela montre à quel point le gouvernement ne prend pas cette charge aussi au sérieux qu’il le devrait.

Notre bureau a récemment terminé un rapport intitulé À travers leurs yeux : La vie des enfants et des jeunes pris en charge par la province, dans le cadre duquel nous avons interrogé environ 200 enfants qui avaient fait l’expérience du système d’accueil. Je pense qu’une chose que j’essayerais de vous transmettre, c’est la mesure dans laquelle le monde d’un enfant a tendance à rétrécir, surtout lorsqu’il vit des situations traumatisantes. Ce que nous avons entendu, ce sont non pas des exigences élevées à l’égard du gouvernement, mais des choses simples à entendre et nous nous sommes souvenus de ce que les enfants devraient être lorsqu’ils ont des parents aimants et attentionnés. Nous avons entendu le plus souvent des histoires, comme se faire dire au milieu de la nuit que vous avez été transféré par la bureaucratie dans une nouvelle maison et que vous devez tout mettre dans un sac de poubelle et déménager pour la troisième fois; des enfants qui ont dû changer d’école, dont le plan d’éducation n’a pas suivi, et qui n’ont même pas eu le temps de dire au revoir à leur enseignant préféré; ou des enfants qui, à cause de la bureaucratie, ont été déménagés dans un foyer de groupe différent, et qui, soudainement, n’ont pas pu garder leur place dans l’équipe de basketball de l’école ou ont perdu leur rôle dans la pièce de théâtre de l’école. Ce qui ressortait surtout, c’était cette frustration de n’avoir pas été entendu. La bureaucratie du gouvernement n’est pas toujours faite pour répondre aux besoins des enfants en temps réel. C’est un autre défi continu que nous avons décrit dans un certain nombre de rapports.

Toutefois, une chose que ces centaines d’enfants dans le système d’accueil nous ont exprimée très clairement lorsque nous les avons interrogés, c’était que l’une des périodes les plus effrayantes, comme ma collègue du Manitoba vient de vous le dire, est le moment de la sortie de la prise en charge et de l’entrée dans l’âge adulte. J’invite les sénateurs à se rappeler lorsqu’ils avaient tous cet âge, ce moment entre l’enfance et l’âge adulte. Je suis parti à l’université. Je n’avais pas fini d’être élevé. Je comptais sur mes parents pour des avis, des conseils, le budget, de l’aide d’urgence et un logement temporaire, toutes ces choses sur lesquelles nous comptons souvent, et nous tenons pour acquis ce que représente le fait d’avoir une famille qui nous aide à faire cette transition.

Les enfants qui cessent d’être pris en charge sont grandement surreprésentés pour ce qui est du nombre d’enfants qui ne terminent pas l’école secondaire et se retrouvent dans le système de justice pénale et, tragiquement, dans l’itinérance. Je pense que cette période très vulnérable du départ présente l’une des plus grandes occasions pour le gouvernement fédéral de vraiment changer la donne. Je sais qu’il s’agit d’une responsabilité provinciale, mais le gouvernement fédéral a le pouvoir de faire des transferts aux particuliers. Il n’y a pas de meilleur investissement que celui qui vise à s’assurer que les enfants en foyer d’accueil bénéficient d’un ensemble prévisible d’avantages, qui ne sont pas soumis à des critères bureaucratiques axés sur les ressources au point de les décourager de continuer leur chemin, mais qui répondent en temps opportun à leurs besoins réels.

Mes suggestions sont de se concentrer sur ce pouvoir de faire des transferts aux particuliers.

Une suggestion consiste à s’attaquer à cette période, vers l’âge de 15 ou 16 ans, lorsque les enfants sortent de la prise en charge, et de s’assurer qu’ils peuvent compter sur des mesures de soutien de financement transitoires. Les régimes d’épargne enregistrés conçus spécialement pour les besoins des enfants en foyer d’accueil, dans lesquels le gouvernement verse des cotisations dès le début et tout au long de leur vie de jeune adulte, jusqu’à l’âge de 25 ans, est un modèle qui a fonctionné dans certains États américains. La Pennsylvanie a connu un grand succès avec un programme, même s’il était constitué de fonds privés.

Une loi veillant à faire en sorte que les enfants puissent conserver leurs prestations et leurs économies découlant de certaines de leurs prestations, comme le crédit d’impôt pour enfants et d’autres seraient un excellent amendement. En ce moment, celles-ci sont souvent utilisées par les gouvernements provinciaux pour subventionner leurs dépenses et leurs obligations à l’endroit de leurs enfants plutôt que d’être réservées pour les enfants. S’assurer que les enfants peuvent conserver leurs propres prestations est un modèle que de nombreux gouvernements fédéraux ont envisagé. Je vous encourage à faire la même chose.

Les mesures de soutien transitoire pour prévenir la pauvreté et l’itinérance fonctionnent également. Nous savons que l’approche Logement d’abord est essentielle. Vous ne pouvez planifier l’avenir si vous avez du mal à répondre à vos besoins quotidiens. Des mesures de soutien qui permettent aux enfants qui cessent d’être pris en charge d’établir une première résidence à l’aide d’une aide au logement seraient un moyen formidable de les aider pendant cette période de transition essentielle.

Des programmes conçus spécialement, que ce soit par l’intermédiaire du Programme canadien de prêts aux étudiants ou d’autres, pour l’éducation et la formation... c’est ce que nous avons demandé au gouvernement. Je pense qu’ils s’améliorent au Nouveau-Brunswick, mais c’est un problème courant. Le type d’évaluation bureaucratique des ressources que subissent les enfants pris en charge lorsqu’on leur demande de planifier leurs études postsecondaires est parfois excessif. Nous nous concentrons beaucoup sur ce qu’il en coûte d’aider un enfant pris en charge dans ses études postsecondaires sans nous préoccuper du coût associé à la difficulté ou à l’érection d’un obstacle bureaucratique supplémentaire. En fait, si vous regardez les coûts de l’itinérance et d’autres choses qui attendent de nombreux enfants en foyer d’accueil, nous devrions déployer le tapis rouge, bien franchement, pour les enfants qui sortent du système de prise en charge et qui se tournent vers ce type de système. Si les enfants pris en charge pouvaient compter sur un moyen facile et prévisible, que ce soit à l’aide d’une bourse non remboursable ou autrement, pour savoir que les études postsecondaires sont couvertes et qu’il y a une lumière au bout du tunnel s’ils travaillent et s’appliquent, on aurait là d’excellents programmes.

J’encourage le comité à se pencher sur les groupes qui sont surreprésentés dans les foyers d’accueil. Comme ma collègue l’a dit, ce sont les membres des Premières Nations et les Canadiens autochtones. De plus, les enfants handicapés sont largement surreprésentés. À cause du manque de soutien, nous voyons parfois des parents céder leurs droits au gouvernement provincial simplement pour que ces enfants puissent obtenir l’aide dont ils ont besoin. Le soutien des programmes communautaires et de la santé mentale, ainsi que le soutien offert aux Premières Nations — les initiatives qui fournissent des fonds sans attache au gouvernement des Premières Nations, pas celles qui génèrent des rapports infinis que personne ne lit en échange de quelques dollars — seraient parmi les meilleurs moyens d’aider les groupes surreprésentés dans les foyers d’accueil.

Je pense que le pouvoir de faire des transferts aux particuliers est le meilleur levier à la disposition du gouvernement fédéral. Je vous recommanderais d’étudier cette période de vulnérabilité lorsque les enfants quittent les soins et de vous assurer que tout le poids de la vie adulte ne repose pas sur leurs épaules avant qu’ils soient prêts, et qu’il existe des mesures de soutien prévisibles sur lesquelles ils peuvent compter, qui ne font pas l’objet d’une évaluation bureaucratique excessive des ressources.

Sur ce, je remercie le comité de son temps.

La présidente : Merci de votre exposé.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous aurez cinq minutes pour vos questions, et cela comprend la réponse. Nous essaierons de nous en tenir au temps imparti.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’être venus aujourd’hui. J’ai une question pour les deux témoins, et j’aimerais qu’ils abordent quelques aspects.

C’est un problème de longue date que vous et d’autres avez reconnu. Nous entendons dire qu’il doit y avoir des programmes de logement transitoire et des services de soutien globaux pour les étudiants des provinces. Je pense que c’est un domaine sur lequel notre comité pourrait se pencher plus en détail ou peut‑être formuler des recommandations. Connaissez-vous des modèles exemplaires? Je sais, monsieur Lamrock, que vous avez mentionné un des États américains, mais quels sont les meilleurs modèles pour le faire? Il est fondamentalement inacceptable de pousser les jeunes à la rue. Nous le savons; les arguments ont été présentés. Quels sont les obstacles à la mise en œuvre de ces types de programmes? Vous les avez tous vus, j’en suis sûr, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick. Quelles suggestions avez‑vous pour nous? Je sais que M. Lamrock a beaucoup insisté sur le pouvoir de faire des transferts aux particuliers. Vous pouvez peut-être en dire plus sur ce fonctionnement et expliquer pourquoi vous pensez qu’il s’agit d’une des meilleures recommandations que nous pouvons faire.

M. Lamrock : Sénateur Arnot, j’ai vu cette expérience non seulement comme ministre, avant d’être défenseur des droits, mais aussi en tant que parent. Ma fille aînée, Sarah, s’est jointe à notre famille lorsqu’elle avait 14 ans; elle venait du système de foyers d’accueil. J’ai trouvé intéressant de la regarder naviguer dans certains de ces programmes de transition, même avec le soutien qu’elle a reçu.

Tout ce qui est facilement accessible est extrêmement important. Par exemple, si l’on peut établir à l’avance des comptes d’épargne auxquels un enfant peut accéder, qui fournissent des fonds de contrepartie… C’était le programme de la Pennsylvanie. Elle l’a fait à l’aide de dons privés, comme le font parfois les États, avec leur approche à l’égard des filets de sécurité sociale. Ils ont constaté une diminution énorme de l’itinérance et des taux de décrochage simplement en s’assurant que les enfants pouvaient épargner à leur propre rythme.

Je pense qu’un certain type de transfert direct pour l’éducation est important. Il existe maintenant une myriade de programmes, dont certains sont complexes. Je n’oublierai jamais le moment où Sarah est arrivée à l’étage et a dit : « Kelly, je ne sais pas comment répondre à cette question. Ils me demandent si je suis prise en charge par le ministre du Développement social. » C’était drôle, car j’étais ministre du Développement social à l’époque, mais ce n’est pas ce que la question voulait dire. Il y avait tellement de formulaires et tellement de programmes différents.

Lorsque j’enseignais à St. Thomas, nous étions l’une des universités comptant le plus grand nombre d’étudiants de première génération au pays. Nous avons créé un programme qui offrait une bourse minimum garantie aux étudiants dont les notes atteignaient un certain seuil. Pour les enfants venant de milieux où il n’était pas habituel de faire des études postsecondaires, le financement garanti et un objectif clair à atteindre contribuaient vraiment à changer les choses.

Je pense que ces deux éléments sont absolument essentiels. Je sais qu’environ 20 États américains ont une loi qui permet aux enfants de verser leurs prestations dans un compte d’épargne; c’est ainsi qu’on les aide. Je pourrai par la suite fournir au comité quelques exemples par écrit.

Le sénateur Arnot : Merci.

Madame Gott, avez-vous des commentaires à ce sujet? C’est la même question.

Mme Gott : J’ai parlé du programme Memengwaa ici à Winnipeg, qui est actuellement dirigé par une agence. Il fournit un soutien holistique à tous les enfants pris en charge. Il permet une flexibilité. Il y a des ressources, du personnel et des programmes financiers adéquats. Il produit parmi les meilleurs résultats qui soient pour les enfants associés à ce programme. Il faut plus de ce type de programmes dans l’ensemble des systèmes, car c’est ce qui manque actuellement au système. Les enfants qui cessent d’être pris en charge tombent dans l’itinérance, ce qui n’est pas une bonne chose.

La présidente : Je vois qu’un autre collègue se joint à nous. J’aimerais l’inviter à se présenter.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, de la division de Rigaud, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Merci aux deux témoins.

Ma première question s’adresse à Mme Gott. Dans votre témoignage très convaincant, vous nous avez rappelé les pensionnats et la rafle des années 1960. Nous avons certes entendu d’autres personnes nous dire que ce qui s’est passé avec les enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance est la continuation de ces événements; je pense que c’est clairement ce que vous disiez. Vous mettiez en lumière le traumatisme multigénérationnel.

J’aimerais vous entendre davantage à ce sujet. Vous avez terminé sur un message d’espoir créé par le programme que vous nommiez au Manitoba. Je suis désolée, mais je n’ai pas saisi le nom. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à propos de ce programme? Comment fonctionne-t-il? Qu’est-ce qui est si important dans ce programme, et quelle différence apporte-t-il?

Mme Gott : Le programme s’appelle Memengwaa. Je peux vous en faire parvenir les grandes lignes. C’est un programme qui connaît un grand succès, et qui a même reçu le prix pour la prévention de l’itinérance chez les jeunes de l’initiative Changer de direction au Manitoba. Il est établi à Winnipeg. Il fournit un éventail de services conçus pour soutenir les jeunes dans leur cheminement vers la vie adulte et l’indépendance. Il a été élaboré pour aider les jeunes qui ont été dans le système de protection de l’enfance et qui risquent de se retrouver sans abri. Pour répondre à ces besoins, il se fonde sur des approches à l’égard de la prestation de services axées sur les relations. Les membres de l’équipe font preuve d’humilité et ne posent aucun jugement. Ils travaillent avec les enfants en leur ouvrant leur cœur et collaborent avec d’autres organisations dans le système. C’est une approche dirigée par les Premières Nations qui répond aux besoins des jeunes qui sortent de la prise en charge pendant leur transition.

La sénatrice Bernard : Depuis combien de temps existe-t-il?

Mme Gott : Je pense que cela fait maintenant quatre ans. Je sais que les enfants y sont accueillis et qu’ils y trouvent un foyer. On leur donne également leur propre vie privée, avec des mesures de soutien.

La sénatrice Bernard : Merci.

Ma prochaine question s’adresse à M. Lamrock, et elle fait suite à la question de mon collègue, le sénateur Arnot, concernant des pratiques prometteuses. En Nouvelle-Écosse — je suis sûre que vous le savez —, un certain nombre d’universités et de collèges communautaires offrent un programme de subvention des frais de scolarité. Êtes-vous au courant de programmes de ce type, et pensez-vous qu’ils pourraient avoir une incidence sur les jeunes qui cessent d’être pris en charge?

M. Lamrock : Merci, sénatrice. Je connais le programme de la Nouvelle-Écosse. Je pense que c’est une pratique extrêmement prometteuse.

Si nous avons appris une chose au sujet des étudiants issus de milieux non traditionnels, c’est que la certitude est un outil formidable pour accroître leur participation aux études postsecondaires. Plus on peut rendre le parcours clair et prévisible, plus on peut dire que, si vous travaillez dur et que vous obtenez les notes qui vous reviennent, vous y parviendrez. Plus on introduit d’incertitude — ce sont des enfants qui ont de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux structures, donc tout ce qui vient de microprogrammes... Regardons ce qui se fait aux États-Unis. Il existe des exemples d’écoles qui ont commencé avec une charte; elles sont ouvertes aux étudiants issus de milieux non traditionnels et elles promettent des exonérations des frais de scolarité. La Nouvelle-Écosse est un bon exemple, tout comme l’Université St. Thomas. Nous avons constaté une augmentation considérable du nombre d’étudiants issus de milieux non traditionnels grâce à un programme de bourses garanties.

J’ai récemment fait référence au gouvernement provincial pour avoir établi le droit de poursuivre des études postsecondaires en fonction de ses capacités — en fait, lorsque nous avons récemment adopté notre loi sur la protection de l’enfance et que nous avons modifié cette loi, j’en ai fait la demande à l’Assemblée législative et j’ai réussi à obtenir ce droit. Une des raisons pour lesquelles c’est si important, c’est qu’avant, on demandait : « Eh bien, dis-moi ce que tu veux faire. Regardons… On verra quels sont les emplois dans ce domaine ». C’est le genre de dissuasion que les parents ne feraient probablement pas avec leurs propres enfants, et cela vient de l’idée selon laquelle l’évaluation des ressources est en quelque sorte importante parce que — Dieu nous en garde — nous pourrions financer quelqu’un qui propose le mauvais type de programme, au lieu de nous demander quel est le coût lié à l’expulsion d’enfants qui sont déjà vulnérables.

Je pense donc que vous avez tout à fait raison de vous tourner vers ce genre de programmes prévisibles avec des avantages et des soutiens très bien définis et qui montrent clairement ce chemin aux enfants qui se demandent si cela en vaut la peine.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins d’être avec nous aujourd’hui. J’ai une question pour vous, mais je vais commencer par Mme Gott.

Madame Gott, vous avez parlé des ententes avec les jeunes adultes. C’est le programme, comme vous l’avez dit, en vertu duquel le directeur des Services à l’enfant et à la famille peut poursuivre la prise en charge afin de soutenir les jeunes jusqu’à l’âge de 21 ans pendant leur transition vers l’indépendance. Pourriez-vous nous parler de ce programme? Pouvez-vous souligner des aspects du programme que nous devrions tous connaître, à votre avis? Et, par ailleurs, y a-t-il des aspects du programme qui, selon vous, pourraient être renforcés ou modifiés?

Ensuite, monsieur Lamrock, vous avez recommandé des transferts à des particuliers afin que les jeunes qui ne sont plus pris en charge bénéficient d’un soutien financier prévisible. Toutefois, le comité a entendu des préoccupations concernant le fait que les jeunes n’acquièrent pas de compétences en littératie financière. Je me demandais si vous pouviez également nous en parler.

Madame Gott, nous pouvons peut-être commencer par vous.

Mme Gott : Eh bien, pour les jeunes qui ne sont plus pris en charge, la planification commence à 16 ans, selon la réglementation et les normes en vigueur au Manitoba. Si les enfants doivent rester pris en charge, le travailleur social doit commencer à planifier à l’âge de 16 ans, puis il demande au gouvernement la permission de poursuivre la prise en charge de l’enfant ou de lui fournir un financement. Nous avons connu un certain succès dans des cas où des enfants restent pris en charge en raison du manque de soutien et de services dont ils ont besoin pour réussir.

Nous avons également un programme de bourses d’études au Manitoba, appelé Keith Cooper Scholarship, qui permet aux enfants pris en charge d’accéder à un financement pour aller à l’université ou au collège. Nous avons connu quelques réussites. J’ai récemment assisté à une cérémonie de remise de prix intitulée Voices, où des enfants ont été honorés pour avoir fréquenté l’université ou le collège. Nous avons même eu un ancien jeune pris en charge qui a obtenu un doctorat. C’était vraiment impressionnant. Il y avait aussi d’autres jeunes qui ont obtenu d’autres diplômes et grades. Lorsqu’ils restent pris en charge, ils bénéficient d’un soutien. Ils ont accès à des services, à des soutiens complets, à un logement et à un financement, qui est très minime, mais qui les aide quand même.

Je pense que l’augmentation de l’âge à 26 ans — peut-être même à 29 ans — aiderait également les enfants qui souhaitent rester pris en charge.

M. Lamrock : Nous avons aussi le programme des Services d’engagement jeunesse. Grâce aux changements apportés à notre législation, ce programme s’applique désormais jusqu’à l’âge de 25 ans. Certains des éléments dont ma collègue a parlé sont présents, comme l’accès à des conseils financiers et à des aides au logement. Nous avons beaucoup de mal à faire en sorte que les ministères collaborent pour offrir des services intégrés, mais nous allons y parvenir.

Vous m’avez demandé précisément quel était le juste milieu entre la volonté d’offrir un soutien financier et le fait de comprendre que, pour certains des mêmes facteurs dont j’ai parlé, les enfants de 16 ans qui n’ont pas nécessairement reçu beaucoup de soutien dans leur vie n’ont pas toujours les ressources dont ils ont besoin pour établir un budget.

J’ai mentionné quelques idées concernant l’affectation de fonds au logement et à l’éducation postsecondaire, et je pense que c’est important. Je pense également qu’il est important de ne pas surréglementer ces services au point où rien de bon ne puisse se produire. Les gouvernements sont parfois coupables à cet égard. Nous avons tellement peur que quelqu’un prenne une mauvaise décision que nous empêchons les gens de prendre de bonnes décisions. Je sais que, en ce qui concerne les gouvernements des Premières Nations… Je suis toujours frappé par le fait que, malgré des siècles où nous avons laissé tomber les Autochtones, nous leur disons : « Écoutez, vous devez remplir tous ces formulaires et faire tout cela pour obtenir un peu d’aide, car vous risquez de gaspiller cet argent », même si absolument rien ne permet de croire que nous sommes meilleurs dans ce domaine. Chez beaucoup d’enfants pris en charge, la méfiance est naturelle : « Attendez une minute, vous n’avez pas été là pour moi tout au long de ma vie, et maintenant vous allez me dire… » J’ai souvent dit que n’importe quelle éducation postsecondaire vaut mieux que rien, et que la meilleure façon de procéder est souvent de faciliter les choses.

Je pense que vous pouvez affecter plus tôt certaines aides au logement et à l’éducation postsecondaire, peut-être avant l’accès aux comptes d’épargne, qui pourraient être ouverts plus tard. C’est une façon de garantir la prise en charge des besoins de base. Mais d’une certaine manière, le risque que la personne prenne de mauvaises décisions ne constitue pas une excuse pour que le gouvernement ne fournisse pas ces mesures de soutien en amont à ces moments de vulnérabilité, car à l’heure actuelle, les décisions gouvernementales ne servent pas bien ces enfants.

La sénatrice Osler : Merci beaucoup à vous deux.

La sénatrice Muggli : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui. Je vous en suis vraiment reconnaissante.

Je pense que la sénatrice Bernard et moi sommes sur la même longueur d’onde. C’est peut-être parce que nous sommes toutes les deux des travailleuses sociales. J’allais poser à peu près la même question. J’étais curieuse au sujet du programme Memengwaa. J’aimerais en savoir un peu plus sur le programme. Je ne vous ai pas entendu dire jusqu’à quel âge le programme accompagne les jeunes. Ma question porte sur les deux ou trois principales caractéristiques ou interventions de ce programme qui, selon vous, en font un programme si efficace.

Mme Gott : Je pense qu’à l’heure actuelle, il est offert aux jeunes jusqu’à l’âge de 26 ans. Je pense que sa réussite est attribuable au fait que les jeunes sont mobilisés. Des soutiens complets sont fournis. Le programme est dirigé par les Premières Nations. C’est l’autre chose. Il y a une approche d’équipe. Les résultats montrent que les jeunes se sentent concernés et qu’ils ont un sentiment d’appartenance, de prise en main et de responsabilité. J’ai visité l’établissement lorsque je suis entrée en fonction, et c’était incroyable. Il y a une culture là-bas. Il y a des aînés. Les travailleurs sont là 24 heures sur 24. Ils offrent du soutien autant que les enfants en ont besoin. Il s’agit de Memengwaa.

La sénatrice Muggli : Je suis sûre que la présence 24 heures sur 24 y contribue grandement. J’ai longtemps assuré le leadership en matière de santé mentale des jeunes. Je reconnais l’un des éléments clés, soit celui des moments de transition dans la vie des enfants. Notre personnel était toujours le plus occupé avec les enfants de 8e année qui faisaient la transition vers la 9e année, cette transition entre l’école secondaire et la prochaine étape, surtout dans cette situation.

Monsieur Lamrock, vous parliez de l’approche Logement d’abord. Je connais bien Logement d’abord, et certains programmes ont connu un grand succès, même s’il semble que bon nombre d’entre eux aient dû compter sur la collecte de fonds et se démener pour obtenir du financement. Je suis curieuse de savoir quels pourraient être, selon vous, les soutiens particuliers dans ce type de modèle qui aideraient les jeunes à réussir cette transition.

M. Lamrock : Je pense que du point de vue du gouvernement fédéral — et je dis cela parce que, sur le plan opérationnel, vous disposez d’un ensemble de leviers beaucoup plus limité par rapport aux ministres des Services sociaux des provinces… Ce type de soutien direct et prévisible aux particuliers pourrait alors être souvent l’une des meilleures façons de les aider, surtout si vous protégez ce soutien contre la récupération par les gouvernements provinciaux. Si les particuliers ont de l’argent entre les mains, ils peuvent alors faire face au marché locatif et au marché du logement, là où ils se trouvent.

Si on posait cette question au sein d’un comité législatif du Nouveau-Brunswick, on entendrait peut-être beaucoup plus de réflexions de la part de l’ex-ministre des Services sociaux. Mais du point de vue du gouvernement fédéral, sénatrice, je pense que, à bien des égards, lorsque le gouvernement fédéral réussit, c’est probablement parce qu’il signe des chèques ciblés de la bonne manière. Je pense que le soutien aux particuliers plutôt que l’argent versé au compte-gouttes par les provinces… Notre expérience ici n’a pas été exceptionnelle — les ministères ne versent pas simplement cet argent dans les recettes générales.

La sénatrice Muggli : Je me souviens d’une époque où la Commission de la santé mentale du Canada avait mis à l’essai au moins trois programmes Logement d’abord dans trois provinces différentes et avait fourni des fonds de démarrage pour ce projet pilote, mais pour la mise en œuvre — même si le projet était couronné de succès —, les provinces devaient intervenir et soutenir le projet à l’avenir. Je comprends ce que vous dites. Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Encore une fois, désolée pour mon retard aujourd’hui. Merci à nos témoins. J’espère que je peux poser ma question en français.

Dans ses observations finales, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a fait des recommandations spécifiques pour le Canada. Parmi ces recommandations, par exemple, on peut voir que le comité recommande la création d’un bureau indépendant à l’échelon fédéral pour surveiller le respect des droits de l’enfant, avec le mandat de produire des rapports publics. Que pensez‑vous de cette recommandation?

M. Lamrock : Je peux y aller en premier. Certainement — et je crois que la majorité de mes collègues au Canada sont probablement de la même opinion —, c’est une chose que l’on appuie. La responsabilité du gouvernement fédéral pour les actions envers les enfants en vertu de la Charte des Nations unies sert simplement à donner une voix aux groupes d’enfants sous‑représentés dans la société en général, et c’est une bonne chose. Si le gouvernement fédéral avait le goût de poursuivre avec la création d’un tel bureau, on appuierait certainement cela.

La sénatrice Gerba : Est-ce une recommandation, ou plutôt, cette recommandation viendrait-elle avec des avantages bien précis? Selon vous, quels avantages apporterait un tel bureau? Est-ce une norme qu’on retrouve à l’international?

M. Lamrock : C’est un bureau qui existe au fédéral dans bien des pays. Au Canada, il y a probablement une raison expliquant qu’il y a un organisme qui défend les droits des enfants dans toutes les provinces. Premièrement, généralement, nous avons le droit de mener les enquêtes obligatoires au ministère, de fournir l’information et de répondre aux questions afin d’être responsables des décisions qui ont été prises. L’habileté d’avoir des rapports publics est une deuxième chose importante. Ce sont probablement des choses que vous verriez dans beaucoup de bureaux internationaux.

Par exemple, il y a une organisation de défenseurs des enfants de la Francophonie qui comprend la France, la Tunisie, le Burkina Faso et le Maroc. Bon nombre de mes collègues sur la scène internationale ont ce pouvoir. Certainement, si le Canada prend la décision de poursuivre quelque chose comme cela, on se joindra aux groupes internationaux. Le fait qu’il y ait quelqu’un qui puisse forcer les réponses aux questions, bien que les questions mettent parfois mal à l’aise, peut aussi faire changer le comportement bureaucratique. Selon notre expérience au Nouveau-Brunswick, c’est une bonne chose.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

La présidente : Madame Gott, vous avez parlé de l’angoisse des enfants séparés de leurs frères et sœurs, de leur culture et de leur identité. Dans quelle mesure est-il difficile pour ces enfants, une fois qu’ils ont atteint l’âge où ils ne sont plus pris en charge, de renouer avec leur identité et leur culture? Comment se déroule la transition?

Mme Gott : Nous constatons que les enfants ont du mal à se rapprocher de leur propre communauté, de leur propre famille et de leur propre nation parce qu’ils ont été tenus à l’écart de leur famille. Je pense qu’ils ont besoin d’un soutien pour réintégrer leur communauté ou leur famille. Il est très important que cela soit en place. En tant que survivante du système des pensionnats autochtones, je peux en parler, car j’ai vraiment eu du mal à faire la transition vers ma propre communauté quand on m’a retirée de celle-ci pendant 10 ans. Si un enfant a été pris en charge pendant 18 ans, comment peut-il renouer avec sa propre communauté sans soutien?

La présidente : Monsieur Lamrock, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

M. Lamrock : Ma collègue s’exprime beaucoup mieux que moi, mais c’est un point que nous entendons souvent de la part des enfants pris en charge, en particulier ceux qui sont issus des Premières Nations. Lorsqu’on perd contact avec sa famille, on se sent souvent pris entre deux mondes; on n’appartient plus au monde dans lequel on a vécu ou dans lequel on est né. Encore une fois, ce soutien ciblé au gouvernement des Premières Nations pour les organismes de santé mentale est certainement quelque chose que je vous recommande fortement. Je pense que nous verrions la même chose ici au Nouveau-Brunswick. Pour les familles des Premières Nations, c’est absolument important.

La présidente : Monsieur Lamrock, je voulais vous poser la question, étant donné que vous étiez un ministre. Le Canada est un pays qui accueille les réfugiés, et souvent, les jeunes arrivent seuls, sans leurs parents. Que leur arrive-t-il lorsqu’ils sortent de la prise en charge? Est-ce qu’il leur est facile d’obtenir la citoyenneté? Est-ce qu’il leur est facile d’avoir du soutien? J’aimerais savoir l’expérience qu’ils vivent.

M. Lamrock : Selon les quelques informations que nous avons obtenues par l’entremise de nos entrevues, c’est incroyablement difficile. Je ne pense pas vous apprendre quoi que ce soit, sénatrice, lorsque je vous dis que le système d’immigration est difficile à comprendre en temps normal pour un adulte. Alors, pour quelqu’un qui est dépourvu d’appui parental ou d’accompagnement, c’est quasiment impossible. En réalité, tout ce dont nous avons parlé, c’est-à-dire le fait de comprendre le marché du logement, et de savoir ce que l’on souhaite faire à l’avenir, tout cela est deux fois plus difficile pour les enfants qui sont dans cette situation.

En effet, je pense que la question est très importante, et c’est un enjeu auquel les gouvernements provinciaux n’ont pas encore commencé à faire face, et ce, de bien des façons. Nous avons été tellement occupés à tenter d’ouvrir la porte — à juste titre — aux nouveaux Canadiens, que nous ne nous sommes pas projetés dans 10 ans. Selon moi, c’est une question très importante.

La sénatrice Bernard : Monsieur Lamrock, cet après-midi, nous avons entendu parler de la surreprésentation des enfants et des jeunes issus des communautés autochtones qui sont pris en charge. Selon ce qui a également été dit précédemment, il y aurait une surreprésentation des jeunes et des enfants issus des communautés noires qui sont pris en charge. Ce soir, nous avons appris que c’est aussi le cas des enfants handicapés. Nous n’avons pas beaucoup entendu parler de ce sujet. Je me demandais si vous pouviez nous donner un peu plus d’informations sur ce que vous savez de la surreprésentation des enfants handicapés. Quelle recommandation spécifique donneriez-vous au comité à leur sujet?

M. Lamrock : Effectivement, il y a un certain nombre de recommandations que je ferais, sénatrice.

Deux raisons expliquent cette surreprésentation. L’une des raisons, que nous observons au Nouveau-Brunswick, est en partie due au placement des enfants dans des programmes de demi-journées à l’école... Et j’ai d’ailleurs rédigé un rapport sur le sujet. C’est un problème grandissant dans le pays, en raison du sous-financement du système d’éducation. Parfois, on dit aux enfants : « peut-être que tu ne peux supporter qu’une heure ou deux par jour. » Parfois, nous découvrons que cela fait des années que ces situations se produisent. Dans ces cas, nous interpellons le gouvernement en lui disant que la loi ne prévoit pas qu’on peut renvoyer des enfants chez eux à l’infini. Il faut leur fournir du soutien. Dans bien des cas, les parents renoncent à leurs droits parentaux en espérant que la province leur fournira un meilleur accès aux services, chose qui ne devrait pas arriver.

Nous savons également qu’il y a un certain nombre de conditions de base. Parmi les enfants pris en charge, nos organismes ont découvert qu’il y avait une surreprésentation des enfants touchés par le syndrome d’alcoolisation fœtale et d’enfants handicapés. Le délai de réponse est souvent très long. Au lieu de réagir au prédicteur des problèmes, nous attendons jusqu’à ce qu’il y ait une crise. C’est, selon moi, un autre aspect où les gouvernements provinciaux pourraient contribuer à cerner les causes des futurs problèmes. Un moyen très efficace de lutter contre le problème est de commencer à cerner ces causes dès la petite enfance, au lieu d’attendre jusqu’à ce que les enfants soient en crise à 12 ans.

Dans le cas des enfants handicapés, en particulier, il y a certaines choses à prendre en considération. Premièrement, le fait d’augmenter les crédits d’impôt pour personnes handicapées aiderait probablement dans un certain nombre de cas complexes. Nous voyons que les familles sont simplement dépassées. Dans le cadre de notre rapport, nous avons découvert que les enfants pris en charge risquaient 20 fois plus d’être placés dans un programme de demi-journées, ce qui signifie, dans certains cas, que le travailleur social ou le fonctionnaire du gouvernement, qui est censé agir comme un parent, se voit comme quelqu’un qui fait partie de l’équipe gouvernementale plutôt que quelqu’un qui défend les intérêts de l’enfant. Plus nous arrivons à faire en sorte que les familles restent intactes, plus nous pouvons soutenir les familles qui ont des enfants handicapés. Les soins de relève et autres programmes axés sur la communauté sont également extrêmement importants. Dans certains cas, l’épuisement des parents devient un facteur.

J’ai récemment défendu les intérêts d’une famille ici, et c’est un exemple typique. Les parents étaient de bons parents, mais ils avaient deux enfants qui avaient des besoins complexes. Les deux enfants avaient un trouble du spectre de l’autisme ainsi qu’un certain nombre de problèmes comportementaux. Ces enfants ont été placés dans un programme de demi-journées. Les parents n’avaient pas le genre d’emploi qui leur permettait de simplement s’absenter du travail si quelqu’un leur demandait de le faire. Ils étaient des employés à salaire horaire, et ils ont perdu leur emploi, car l’école leur demandait sans cesse d’aller récupérer leurs enfants. Par la suite, ils se sont retrouvés dans une situation de logement précaire, et ont donc déménagé à 20 minutes de la ville et ont dû changer leurs enfants d’école. Le bureau des services sociaux n’a pas pu suivre leur dossier, car ils n’avaient plus les moyens de payer les frais liés à un cellulaire, et les choses ont continué à empirer encore et encore.

Les programmes communautaires qui soutiennent les familles des enfants handicapés dès l’enfance... d’ailleurs, ici à Toronto, les gens expérimentent avec un excellent modèle qui a été mis en place. Je peux envoyer les coordonnées de l’organisation à votre bureau. C’est comme un foyer de groupe sans murs, dans la mesure où nous prenons les soutiens offerts dans un foyer de groupe, et nous les fournissons à la famille. Les travailleurs sociaux et d’autres personnes qui peuvent aider se rendent au domicile de l’enfant. L’administration est centralisée, mais le logement est décentralisé pour éviter que les enfants ne se retrouvent dans des familles d’accueil et pour que nous puissions soutenir les familles.

Les organisations communautaires peuvent fournir les soins de relève et soutenir les enfants, et si nous parvenons à travailler davantage sur cet aspect essentiel qu’est l’élément permettant de prédire si l’enfant sera pris en charge, nous arriverons à réduire cette surreprésentation. Nous n’en parlons pas assez, mais nous voyons les chiffres. Ces chiffres traduisent une surreprésentation, et dans certains cas, ils s’expliquent par le fait que la famille aurait pu gérer la situation si elle avait eu accès à plus de soutien à l’avance, avant la crise.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Muggli : Assez rapidement, j’ai une question pour vous deux au sujet de vos expériences et de ce que vous avez entendu. Les données concernant le taux de suicide au sein de la communauté 2ELGBTQ+ sont élevées. Qu’est-ce qui pourrait aider les jeunes lorsqu’ils quittent les familles d’accueil ou lorsqu’ils cessent d’être pris en charge, d’après vos connaissances ou d’après ce que vous avez entendu de ces jeunes? Je suppose qu’il y a des défis uniques qui nécessiteraient un appui.

Mme Gott : Tout à fait, oui. Les jeunes membres de la communauté LGBTQ composent avec énormément de discrimination. Il y a des barrières qui sont accrues par la stigmatisation. Ces jeunes ont également besoin d’un soutien supplémentaire en raison des défis liés à leur santé mentale. Je pense que les services devraient être adaptés à leurs besoins. De manière générale, notre système ici au Manitoba manque de données et d’informations, mais je pense que l’une des choses que nous devons faire, c’est faciliter l’accès de ces jeunes aux services appropriés, car il leur est sans doute difficile de le faire par eux-mêmes. Nous devons mieux comprendre leurs besoins uniques et procéder à la collecte de meilleures données afin de comprendre leur perspective. De plus, la planification doit être adaptée à leurs besoins. C’est ce que nous entendons dire.

La sénatrice Muggli : Oui. Je suis curieuse d’en savoir plus sur les soins de santé spécialisés.

Allez-y, monsieur Lamrock.

M. Lamrock : Je hochais la tête pour signifier mon accord. Il y a plusieurs choses à prendre en considération.

Une chose que je voulais ajouter, c’est que les soins de santé spécialisés ne sont souvent pas inclus dans la gamme de services dont les jeunes de la communauté de 2ELGBTQ+ ont besoin. Or, ces soins sont absolument essentiels.

La deuxième chose, ce sont les soins de santé mentale. Si un enfant faisant partie de cette communauté est pris en charge, cela signifie très souvent que cet enfant a sans doute vécu un traumatisme familial récent. Il arrive que les listes d’attente soient extrêmement longues. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, d’ailleurs, parmi les 27 postes de psychologues scolaires dans le réseau scolaire anglophone, seulement 7 sont actuellement occupés. Il y a un besoin urgent d’organiser un sommet national visant la formation dans les métiers où les candidats sont rares. Chaque province a une stratégie de recrutement. Je ne sais même plus si le recrutement est le problème. Parce que si ça l’était, dans l’une des provinces, quelqu’un aurait dit : « Comment est-ce qu’on se débarrasse de tous ces psychologues? », mais ce n’est pas le cas. Le problème vient sûrement de la formation et de la pénurie de candidats.

Je pense que je vous ai entendu dire que vous veniez de la Saskatchewan, sénatrice. Comme vous le savez, je viens du Nouveau-Brunswick. Nos provinces ont toutes les deux composé avec ce problème, mais je pense que c’est important. Les politiques scolaires ne devraient jamais empêcher les enfants de voir les adultes de confiance avec lesquels ils sont à l’aise de parler. Comme vous le savez, le nouveau gouvernement du Nouveau-Brunswick s’est engagé à utiliser la version de la politique que notre bureau a mise au point pour soutenir les étudiants transgenres et ayant diverses identités de genre. Nous avons beaucoup entendu parler des droits parentaux. Je suis un père et un grand-père. C’est absolument capital. Je sais également que ce chemin est parfois tortueux, et c’est en cherchant les conseils et le soutien d’un adulte de confiance que les enfants se préparent à parler à leurs parents. Le fait de dire : « Nous pensons que le gouvernement peut d’une certaine façon encadrer le processus de sortie du placard » ne fonctionne pas. Ce qui arrive souvent, c’est que les enfants refusent de parler à un adulte, quel qu’il soit. C’est à ce moment-là que les risques de suicide et autres deviennent incroyablement élevés. Un élément essentiel à retenir, c’est que les enfants doivent avoir accès à autant d’adultes de confiance que nécessaire. Tout ce qui met un mur entre ces enfants et un adulte de confiance est un facteur de risque.

La présidente : Je saisis cette occasion pour remercier sincèrement nos deux témoins d’avoir accepté de participer à cette étude. Votre aide dans notre étude est très appréciée.

Je vais à présent présenter la deuxième série de témoins. Nous avons demandé à nos témoins de faire une déclaration de cinq minutes. Après cette déclaration, nous allons passer aux questions des sénateurs. Avec nous à la table, veuillez accueillir Irwin Elman, ancien intervenant provincial du Bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes, en Ontario. Et avec nous par vidéoconférence, nous avons Jennifer Charlesworth, représentante des enfants et des jeunes du Bureau du représentant des enfants et des jeunes de la Colombie-Britannique. Nous recevons également Jennifer Dreyer, directrice exécutive, intervention systémique, recherche sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits.

J’invite à présent M. Elman à faire son exposé, et ensuite ce sera au tour de Mme Charlesworth.

Irwin Elman, ancien intervenant provincial, Bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes (Ontario), à titre personnel : Merci. Je suis reconnaissant de l’occasion et de l’invitation. Je suis très reconnaissant de comparaître au sein d’un groupe, aux côtés de mon amie et mentor, Jennifer Charlesworth, et de notre collègue, Jennifer Dreyer.

Je ne veux pas m’éterniser sur les conséquences que vivent les jeunes pris en charge. Vous les connaissez.

Mon aventure aux côtés des jeunes pris en charge a débuté en 1985. En 1986, le Réseau national des jeunes pris en charge, ou Youth in Care Canada, a publié On My Own With No Direction From Home. Le document n’est pas en ligne, mais voici le livre. Je vais le laisser à votre disposition ici. En 2014, les jeunes ont tenu leurs propres audiences à l’Assemblée législative de l’Ontario et ont écrit un livre intitulé Le livre de ma véritable histoire. Le voici, et vous pouvez le trouver en ligne. Il a été téléchargé plus d’un million de fois. Je sais que vous avez entendu l’avis de personnes qui ont été prises en charge et de celles qui en sont sorties, et qui ont récemment publié un rapport sur les balises éthiques concernant les jeunes qui sortent de la prise en charge. Je sais que vous avez entendu leurs avis.

Il y a eu énormément de rapports et d’études qui ont été réalisés, et voici la vérité : au cours des 45 ans que j’ai côtoyé ces jeunes pris en charge et qui en sont sortis, rien n’a changé. Beaucoup de modifications mineures et de programmes ont été mis au point. Les programmes-pilotes, comme on dit, sont le cercueil du changement. Rien n’a changé pour ces enfants.

Je me souviens qu’un sous-ministre m’a demandé, exaspéré — on m’a dit que j’étais un vecteur d’exaspération; c’est comme un virus que je porte et que je transmets, et je comprends. Le sous‑ministre m’a demandé : « Irwin, y a-t-il un endroit où le système est meilleur? ». J’ai répondu : « Non. » Il m’a dit : « Aha! » Je lui ai répondu : « Aha! » Il n’existe pas de meilleur système pour les jeunes qui quittent les placements en famille d’accueil parce que tous les systèmes sont généralement les mêmes dans n’importe quelle démocratie libérale, n’importe quelle province, n’importe quel territoire et n’importe quel État. Aujourd’hui encore, les résultats sont les mêmes. Il s’agit toujours du même système. Un peu de rafistolage a été fait ici et là, mais il s’agit du même système, alors pourquoi s’attendre à ce qu’il soit différent?

Je déclare à ce comité que vous posez peut-être la question comme si vous commenciez un livre à la page 253 au lieu de la page 1. Il s’agit d’un processus et d’une expérience insatisfaisants en tous points.

Notre système de protection de l’enfance au Canada — je dis « système de protection de l’enfance », car il n’existe pas de système de protection de la jeunesse — est un service prévu par la loi au centre de tous les services liés à la vie des enfants et de leur famille au sein de chaque province. Ce système a 130 ans. Il provient de la Société pour la prévention de la cruauté aux animaux. Il s’agissait initialement d’un système de surveillance établi pour garder un œil sur les enfants immigrants et leur famille à New York, puis à Toronto et ensuite partout au Canada. Il s’agit d’un système qui se caractérise par le risque et la responsabilité. Je ne dis pas cela d’une manière péjorative. Je ne fais qu’énoncer des faits. Il s’agit de la vérité.

Malgré le fait, ou peut-être à cause du fait, que le cadre du travail social a été utilisé pour mettre en œuvre le système de protection de l’enfance, rien n’a fondamentalement changé en 150 ans. Nous avons le même système dans ses fondements. Suivez-moi sur ce point. Un système qui se caractérise par le risque et la responsabilité, dont le principal outil est la surveillance, ne peut pas élever un enfant. Il ne peut absolument pas.

Qu’entendez-vous donc de la part du système lui-même ces jours-ci? Il dira qu’un foyer d’accueil n’est pas un endroit pour un enfant. Il s’agit d’une nouveauté des 10 dernières années. On n’est pas venu ici pour le dire, mais on le dit maintenant.

Tout d’abord, qui a demandé aux enfants et aux jeunes qui sont placés en famille d’accueil si cela était la vérité? Ce n’est pas que le système est impitoyable, mais si quitter leur foyer n’est pas la solution, qui l’a demandé aux enfants et aux jeunes? Car ce n’est un choix qu’en apparence, et ça ne devrait pas l’être. « Arrêtez de nous donner l’illusion que nous avons le choix de quitter notre foyer et notre famille ou de rester là et de souffrir. » Voilà les deux choix que nous leur offrons. Quels choix offrez‑vous aux enfants et aux jeunes? Véritablement?

C’est la vérité. J’espère que je ne suis pas la première personne à venir ici et à vous dire la vérité. Comment le système ose-t-il affirmer qu’une famille d’accueil n’est pas un endroit pour un enfant? Dans ma province, l’Ontario, 10 000 enfants vivent en famille d’accueil à tout moment. Le système ne peut pas les abandonner en disant : « Nous savons que 10 000 d’entre vous vivent actuellement sous notre responsabilité, et ce n’est pas un endroit pour vous ». Ce sont eux qui sont responsables? C’est inacceptable.

En Ontario, 20 % des enfants surreprésentés sont autochtones. Il existe certainement une surreprésentation des enfants noirs et racisés, soit 80 % des enfants sur les 10 000 enfants concernés, à tout moment donné.

Je vous demande de lire ce rapport crucial rédigé par mes collègues de la Colombie-Britannique intitulé Don’t Look Away. Il s’agit du premier rapport que j’ai vu émanant d’un organisme légitime, une institution légitime, qui propose quelque chose de différent — un nouveau système. On y parle d’une étoile polaire. On nous demande d’imaginer un système qui soit fondé non pas sur le risque et la responsabilité, mais sur ce qu’on appellerait un autre modèle mental, un autre cadre ou une autre vision du monde.

Imaginez, mesdames et messieurs les sénateurs, de quoi aurait l’air un système fondé sur le développement de l’enfant, ou sur les déterminants sociaux de la santé? De quoi aurait l’air un système fondé sur l’autonomisation? De quoi aurait l’air un système fondé sur l’anti-oppression ou la DEI — la diversité, l’équité et l’inclusion? De quoi aurait l’air un système fondé sur les droits de la personne? Je siège au sein du Comité des droits de la personne. De quoi aurait l’air un système fondé sur le développement de la famille? De quoi aurait l’air un système fondé sur les savoir-faire autochtones ou sur d’autres savoir-faire culturels? De quoi aurait l’air un système fondé sur des soins qui tiennent compte des traumatismes? De quoi aurait l’air un système fondé sur l’amour? Ce système ne ressemblerait en rien au système qui est en place aujourd’hui.

Imaginez un système où chaque enfant et sa famille, quelle qu’en soit la composition, disposeraient de ce dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin pour s’épanouir. Dans ce système, si nous le créons, les enfants qui se retrouvent dans des familles d’accueil auraient une chance. À quoi ressemblerait cette étoile polaire? Comment fonctionnerait-elle? Que faudrait‑il changer pour qu’elle devienne réalité?

Voici ce que je vous demande. Je demande au comité — non, je supplie votre comité de faire preuve de courage. Créez, dans le cadre de votre rapport, un sous-comité du Comité des droits de la personne. Organisez des audiences partout au Canada qui se concentrent sur la question suivante : en quoi ressemblerait cette étoile polaire pour le Canada? À quoi ressemblerait ce système? Tenez ces audiences à l’échelle du Canada. Allez à la rencontre des jeunes, des familles et des parents, donnez-leur la parole et demandez-leur à quoi cela ressemblerait. Ensuite, laissez briller cette étoile polaire.

Je crois que c’est possible. Vous bénéficieriez d’un large soutien. Je n’affirme pas des choses que les gens ne savent pas déjà. Vous bénéficieriez d’un large appui des jeunes, des parents, des associations, des avocats, des défenseurs des droits et des professionnels. Le secteur de la santé mentale, que vous avez mentionné, sera de votre côté. Les gens œuvrant au sein de ce secteur ne contesteront rien de ce que j’ai déclaré ici. Ils diront : « Oui, nous avons besoin de quelque chose de différent. » Vous bénéficieriez de leur soutien. C’est le moment, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous demande de saisir cette occasion et de prendre les devants.

Merci.

La présidente : Merci de votre passion.

Jennifer Charlesworth, représentante des enfants et des jeunes, Bureau du représentant des enfants et des jeunes de la Colombie-Britannique : Je vous remercie d’aborder ce sujet important en tant que comité sénatorial et de me donner l’occasion de partager quelques réflexions avec vous aujourd’hui.

Je suis heureuse de me joindre à vous aujourd’hui depuis les terres traditionnelles du peuple Musqueam, dans la région connue sous le nom colonial de Richmond, en Colombie-Britannique. Je suis également heureuse de me joindre à mon ami sage et passionné, Irwin Elman, ainsi que ma chère collègue, Jennifer Dreyer, au sein du groupe de témoins. Nous attendons avec impatience les discussions.

Pour commencer, je voudrais me faire l’écho du commentaire de M. Elman selon lequel vous connaissez déjà les risques, les vulnérabilités et la moins bonne qualité de vie que connaissent de nombreux jeunes ayant grandi ou passé du temps dans les « systèmes de protection », à la fois pendant et après leur période de prise en charge. Cette qualité de vie médiocre peut découler des circonstances qui ont conduit à l’intervention protectrice ou de leur expérience au sein du placement en famille d’accueil. Je ne parlerai pas davantage de ces éléments dans mes remarques préliminaires, si ce n’est pour dire que nous ne devons pas accepter ou être complices des systèmes de prise en charge qui font en sorte que trop de jeunes luttent pour survivre à leur enfance et que trop d’adultes luttent pour se remettre de leur enfance passée en foyer d’accueil.

Dans la même veine que les propos de M. Elman, je tiens à rappeler trois points aux membres du comité sénatorial.

Premièrement, si l’État doit assumer la responsabilité d’élever des enfants loin de leur famille, il a le devoir de soutenir ces jeunes jusqu’à l’âge adulte, au même titre que ceux qui ont le privilège de vivre avec leur famille. La responsabilité de soigner, d’élever et de soutenir les jeunes ne s’arrête pas à 18 ou 19 ans, dans n’importe quel autre contexte.

Au début de l’année 2020, la regrettée Katherine McParland, en collaboration avec mon bureau, a rédigé un rapport avec l’aide de centaines de jeunes de partout en Colombie-Britannique qui avaient passé par le système de protection de l’enfance. From Marginalized to Magnified décrit la prise en charge des jeunes par l’État comme le fait de les placer sur la « super autoroute vers l’itinérance , soit les problèmes de santé mentale et les problèmes de toxicomanie qui découlent du placement en famille d’accueil. C’est pour endormir la douleur émotionnelle causée par leur perte, leur deuil, leur déconnexion et les risques quotidiens que ces jeunes se tournent vers l’alcool ou la drogue.

En s’appuyant sur le travail de Mme McParland, mon bureau a publié à la fin de l’année 2020, un rapport intitulé A Parent’s Duty: Government’s Obligation to Youth Transitioning into Adulthood. Ce rapport souligne que bon nombre des mesures de soutien post-majorité qui étaient disponibles à l’époque étaient inaccessibles, inéquitables et inadéquates. Ce n’est pas parce qu’il existe des mesures de soutien, mesdames et messieurs les sénateurs, que les problèmes ont été résolus pour autant, car les mesures peuvent ne pas correspondre aux besoins des jeunes et ne pas être accessibles.

A Parent’s Duty énonce très clairement que si l’État assume un rôle de pourvoyeur de soins, alors il a la responsabilité de bien remplir ce rôle, tout comme vous ou moi le faisons pour nos propres enfants lorsqu’ils atteignent l’âge adulte. Nous avons défini un cadre d’action qui a inspiré les travaux récents de la Colombie-Britannique dans le cadre du programme SAJE, Strengthening Abilities and Journeys of Empowerment. Il y a beaucoup à apprendre, en bien et en mal, de cette expérience jusqu’ici, mais les besoins de nombreux jeunes en transition vers l’âge adulte ne sont toujours pas pris en considération.

En effet, si l’on examine l’étude sur les jeunes en transition qui ne sont plus pris en charge réalisée en 2024 par l’Académie de recherche sur les jeunes du centre McCreary, les jeunes et les jeunes adultes ont cité quatre facteurs clés nécessaires à une transition plus réussie : un plan de transition, la possibilité de satisfaire à leurs besoins fondamentaux, le soutien constant d’un adulte fiable et la possibilité de participer à des activités communautaires telles que le bénévolat ou des activités culturelles. Plus de la moitié de ces jeunes ont déclaré ne pas avoir reçu les services dont ils avaient besoin.

Cela me mène à mon second point. Bien qu’il soit important de s’assurer que les soutiens et ressources concrètes sont accessibles aux jeunes lorsqu’ils atteignent la majorité, il est également important de veiller à ce que les jeunes fassent l’expérience d’une appartenance et d’un lien relationnel, culturel et physique, et qu’ils vieillissent au sein de ce cadre. Comme nous le rappellent les conclusions de l’étude McCreary, les jeunes veulent « un soutien constant de la part d’un adulte fiable » et ils souhaitent participer à la vie communautaire et culturelle. En d’autres mots, les jeunes veulent se sentir liés et veulent appartenir à un groupe. Les services d’aide concrets sont importants, mais ils sont transactionnels et ne suffisent pas à assurer une croissance et un épanouissement sains.

En 2021, nous avons publié un rapport intitulé Skye’s Legacy: A Focus on Belonging. Nous avons appris beaucoup de choses de la part de Skye. Elle nous a appris ce qui se passait au sein de bon nombre de nos programmes, où nous arrachons systématiquement les enfants à leur famille, à leur communauté, à leur culture, à leur école, à leur estime de soi et à leur avenir. N’importe quelle réponse systémique doit répondre à cette réalité des jeunes qui ne trouvent pas leur place dans le monde. Cette réponse systémique doit intentionnellement et vigoureusement reconcevoir le système afin de créer ce dont nous avons besoin pour demeurer sains : des liens significatifs et un sentiment d’appartenance.

Enfin, pour mon troisième point, je m’appuierai sur ce que M. Elman a déjà évoqué. J’estime qu’il s’agit de l’élément le plus important. Il faut être attentif à la manière dont nous définissons les défis qui se présentent à nous. Si nous définissons le défi uniquement comme un défi de transition vers l’âge adulte, nous cherchons des solutions dans les domaines de la planification de la transition et les soutiens post-majorité. Nous nous demandons s’il faut prévoir des suppléments de loyer ou des dispenses de frais de scolarité, et nous nous interrogeons sur les programmes et les fonds à mettre en place à ce stade de la vie d’un jeune. Si notre objectif est de faire en sorte que les personnes élevées dans un système de protection de l’enfance aient une meilleure expérience lors de leur transition hors de ce système, nous concevrons des solutions qui ne seront que des petits pansements sur des plaies béantes.

Bien sûr, nous devons veiller à ce que ceux qui vivent au sein des systèmes de protection de l’enfance maintenant obtiennent ce dont ils ont besoin lorsqu’ils en ont besoin, mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. Nous devons examiner les problèmes de manière plus holistique et travailler en amont et en aval. Comme l’a dit l’un des membres de notre cercle des conseillers qui nous ont appuyés dans la rédaction de notre récent rapport Don’t Look Away, auquel M. Irwin a fait référence : « Nous demandons au service de protection de l’enfance d’intervenir dans les espaces où la société a essentiellement échoué à fournir des services de prévention et de soutien... »

C’est à la fois une occasion et un défi. Les systèmes actuels donnent systématiquement et globalement de mauvais résultats. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire un travail en superficie, de donner de l’argent par ici ou d’instaurer un programme par là. Il est grand temps que le Canada repense ses modèles désuets et trouve de nouvelles façons de soutenir le bien-être des enfants et des jeunes, tout en tenant compte du contexte familial, de la culture et des communautés.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Bernard : Merci de votre témoignage de ce soir et merci pour votre dévouement envers votre travail.

Monsieur Elman, nous avons peut-être le même âge, car vous travaillez, tout comme moi, auprès des enfants pris en charge depuis 45 ans. Je crois d’ailleurs que j’ai raconté, pendant notre dernière séance, l’histoire d’une jeune femme que je n’ai jamais oubliée; j’y pense encore. Je partage votre passion. Je partage votre point de vue pour ce qui est de repenser le possible.

Bien sûr, en tant que gouvernement fédéral, nous ne sommes pas responsables de ces services. Ce sont des services provinciaux et territoriaux. Nous n’en sommes pas responsables. Selon vous, qu’arriverait-il si le comité faisait preuve d’audace et présentait des recommandations en vue d’un changement de paradigme? À quoi ressemblerait ce changement de paradigme si nous souhaitons réellement améliorer les choses pour les enfants et les familles du Canada?

M. Elman : J’ai une réponse. Je ne sais pas si elle est satisfaisante. Nous avions l’habitude de rassembler les jeunes quand il y avait une enquête, et il y a eu une enquête sur un enfant pris en charge qui avait perdu la vie. Elle avait seulement deux ans. Une adolescente de 14 ans, qui avait été placée de famille d’accueil en famille d’accueil, avait, au beau milieu de sa première nuit dans sa nouvelle famille d’accueil, étouffé l’enfant de deux ans. L’enquête portait sur l’enfant de deux ans, mais vous pouvez vous imaginer qu’il était plutôt question de l’adolescente de 14 ans. C’était un de ces décès inconcevables.

Les jeunes ont dit qu’ils étaient envoyés de famille d’accueil en famille d’accueil, et ils ont parlé des sacs poubelles, dont on a parlé ce soir. Je n’en peux plus d’entendre parler des sacs poubelles. Les jeunes ont raconté comment, avec les employés d’une agence, ils ont réussi à obtenir du financement et à acheter des bagages pour que les enfants de l’agence n’aient plus à déménager avec des sacs poubelles. Je croyais que le problème était réglé, mais une jeune m’a dit : « Non, Irwin, ce n’est pas vraiment ça le problème. » À l’époque, les jeunes ne m’appelaient pas toujours par mon nom, « Irwin ». Elle a dit que le problème n’était pas vraiment réglé : « J’ai compris que, si je quittais une famille d’accueil où les gens prenaient soin de moi et s’intéressaient réellement à moi, que j’avais l’impression d’avoir mon mot à dire sur mon prochain déménagement, et que je déménageais une nouvelle fois, Irwin, que déménager avec des sacs de poubelle m’importerait peu. » Elle a dit : « Vous essayez toujours de régler des problèmes humains avec des solutions institutionnelles, et c’est impossible. Les problèmes humains exigent des solutions humaines, et c’est ce que vous devriez chercher. » Donc, j’ai raconté cette histoire au député, qui a levé les yeux et a dit : « Que voulez-vous que je fasse? » Je répète toujours une chose, que Mme Charlesworth a déjà entendue, parce que ça m’a vraiment marqué quand j’ai entendu un jeune le dire. Le député avait dit à moi et au jeune : « C’est impossible de réglementer l’amour. » Le jeune lui a répondu : « Vous avez raison, monsieur le député, c’est impossible de réglementer l’amour, mais c’est possible de réglementer les conditions dans lesquelles l’amour peut s’épanouir. » C’était percutant. J’espère que vous le ressentez vous aussi.

Dans le système de protection de l’enfance, du moment où l’enfant entre dans le système jusqu’au moment où il en sort, ce qui manque c’est l’amour, le sentiment d’avoir sa place et le respect. Un système qui fonctionnerait, selon vos recommandations, dans l’amour et le respect, pourrait changer les choses. La bonne nouvelle — et je sais que, en tant que sénateurs, vous ne pouvez pas dépenser l’argent —, c’est que cela peut être fait gratuitement. Cela implique de faire les choses différemment. C’est ma façon de voir les choses. Je sais que Mme Charlesworth est beaucoup plus rigoureuse dans ses réponses, et qu’elle aura une meilleure réponse que moi, mais c’est ma réponse.

La sénatrice Bernard : Merci.

Mme Charlesworth : Merci beaucoup. C’est une question très importante. Je chemine dans le milieu depuis 46 ans, et j’ai acquis beaucoup d’expérience à la table virtuelle, c’est certain, et j’ai également beaucoup d’expérience avec des choses qui n’ont pas pris la direction voulue, malgré nos meilleures intentions.

Je suis tout à fait d’accord avec M. Elman pour dire qu’il est impossible de réglementer l’amour, mais que nous devons créer des conditions dans lesquelles l’amour peut s’épanouir, et j’aimerais parler de deux ou trois leviers qui pourraient être actionnés à l’échelon fédéral, et également à l’échelon provincial.

Nous avons créé un système de protection de l’enfance et on lui demande de régler les problèmes découlant de l’échec de systèmes antérieurs, donc les leviers les plus importants à actionner sont les soutiens pour la garde des enfants et pour les premières années de vie, des logements, des soins de santé mentale, un revenu de base, la sécurité alimentaire, un accès rapide aux soins de santé et un accès aux soins de santé dans toutes les administrations.

Nous vivons présentement un moment important de l’histoire, puisque les Premières Nations ont de nouveau compétence pour élever leurs enfants selon leurs méthodes, et il y a énormément de choses à apprendre, mais cela comporte également énormément de risques. J’ai très récemment rencontré les chefs. En Colombie-Britannique, il y a 204 nations, et 67 % des enfants pris en charge sont Autochtones. C’est un problème considérable. Nous avançons, mais cela prendra du temps. Il faudra une ou plusieurs générations. Panser les blessures des communautés et guérir de la violence, cela doit être au cœur des priorités. C’est un problème pour toute la société, mais la violence coloniale contre les communautés a créé de la violence intergénérationnelle et de la violence perpétrée contre les enfants. La guérison est importante, et je sais que les Premières Nations ont énormément de volonté et de détermination, mais elles ont besoin de ressources. Tout le monde renvoie la balle quand il est question des ressources, et l’accès inégal aux ressources relève, encore une fois, de la compétence fédérale.

D’ailleurs, je tiens à faire remarquer que nous avons publié, il y a plusieurs années, un rapport intitulé At a Crossroads, portant sur les inégalités du financement, où on établissait que l’expérience et les services reçus peuvent grandement varier selon le lieu de résidence de l’enfant et la gestion du bien-être des enfants par sa nation. Je crois que c’est un aspect essentiel, parce que, si nous ne sommes pas en mesure d’offrir du soutien pendant les premières années de vie, ou, comme nous disons, « une aide précoce », eh bien, ce sera une occasion manquée. En effet, ces jeunes de 16, 17 et 18 ans arrivent à l’âge adulte en étant exposés à davantage de facteurs de risque.

J’espère que ma réponse vous a été utile. Bien sûr, les gouvernements provinciaux ont un rôle à jouer, mais le gouvernement fédéral peut aussi faire quelque chose et actionner des leviers dans une foule de domaines, ce qui améliorerait les conditions des familles. Puis, à plus petite échelle, nous devons commencer à parler de la façon de créer des conditions où l’amour, le sentiment d’avoir sa place et les relations peuvent s’épanouir.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Charlesworth. Votre rapport de 2024 indiquait que la pénurie de la main-d’œuvre était un grave problème dans le système de protection de l’enfance de la Colombie-Britannique. Je me demandais si vous aviez vu beaucoup de cas d’épuisement professionnel chez les travailleurs sociaux, qui utilisent ce modèle. Je me demandais où se trouve le problème dans le recrutement et la rétention du personnel. Pourquoi est-ce que vous n’arrivez pas à retenir le personnel dans le système de protection de l’enfance? Est-ce que cela signifie que le modèle dans lequel travaille le personnel n’est pas adéquat? Il n’est pas adéquat ni pour ceux qu’il tente d’aider ni pour ceux qui y travaillent.

Mme Charlesworth : Merci. Vous avez fait vos devoirs.

Le rapport complémentaire au rapport Don’t Look Away est intitulé No Time to Wait. C’est l’une de deux parties. La seconde partie sera publiée en décembre. Vous êtes en plein dans le mille. Vous avez vu que nos employés ont énormément de difficulté à répondre aux besoins des enfants. Parmi les employés que nous avons sondés, 80 % disent avoir manqué à leur devoir envers les enfants en raison de la pression qu’ils subissent dans leur environnement. Je sais que la Colombie-Britannique n’est pas un cas isolé. Le phénomène est visible à l’échelle du pays. Dans certains de nos bureaux, entre moins de 50 % et 0 % du personnel peut s’acquitter des responsabilités prévues par la loi.

Comme vous l’avez dit, c’est l’un des paramètres, mais quel en est l’effet domino? Dans certains bureaux, très peu de gens ne sont pas capables de faire leur travail. Cela cause une détresse morale, comme m’a dit, ce matin, un employé. Les employés vivent une détresse morale parce qu’ils sont incapables de s’acquitter, de manière éthique, de leurs responsabilités. Oui, cela mène à l’épuisement professionnel. Oui, par conséquent, les gens sont moins fiers de leur travail. Oui, des gens abandonnent la profession. Vous avez tout à fait raison. Le modèle est un échec. Les conditions que nous avons créées ne permettent pas aux enfants de réussir — les enfants, les familles ou les personnes qui s’en occupent et qui les aident. Le modèle doit être repensé.

Je peux vous parler de deux ou trois choses qui, pour moi, sont très révélatrices. Une fois le rapport publié, on a commencé à en parler, et de nombreuses personnes nous ont dit : « J’aimerais beaucoup rester dans la profession. Je suis déterminé à assurer le bien-être des enfants, mais il doit y avoir des changements. Autrement, je ne sais pas comment j’y arriverais. » Donc, ce n’est pas une question de pénurie ou de manque d’engagement et de volonté, c’est une question des conditions que nous devons créer pour que les gens fassent du bon travail. C’est l’une des choses.

L’autre chose, c’est que, nous avons examiné, parmi de nombreux autres modèles, celui du Yorkshire du Nord. Nous avons cherché des modèles dans le monde entier. Au Yorkshire du Nord, l’organisme du comté responsable de la protection de l’enfance a modifié son approche et a commencé à déployer plus d’efforts pour ce qu’il appelle l’« aide précoce ». Ils ont embauché des spécialistes de l’aide précoce, qui, lorsqu’une famille commence à éprouver des difficultés, avant que le système de protection de l’enfance n’intervienne, ou lorsqu’elle essaie de se reconstruire, fournissent le soutien nécessaire en matière de logement, de garde d’enfants, de soins de répit, de soins de santé physique et mentale et de toxicomanie, donc du soutien pour toute la famille. Cela a des retombées extrêmement positives. En effet, l’organisme national qui examine très rigoureusement les pratiques a placé le Yorkshire du Nord à la tête du classement des comtés du Royaume-Uni, pour ce qui est de l’amélioration de la qualité de vie.

Ce que vous dites est extrêmement important. Le modèle est un échec pour tout le monde. Si nous commençons à modifier le modèle, nous pouvons redonner espoir, non seulement aux familles, mais aussi aux personnes qui fournissent les soins, et leur faire comprendre qu’il existe réellement des options. Mon Dieu, nous en avons besoin. Les programmes d’études en travail social et en soins aux jeunes et aux enfants sont désertés, parce que les gens ne s’intéressent pas à la profession. C’est un problème.

Le sénateur Arnot : Monsieur Elman, connaissiez-vous le modèle du Yorkshire du Nord?

M. Elman : Oui, Mme Charlesworth m’en a parlé.

Le sénateur Arnot : Le modèle travaille en amont, pour s’assurer que les gens ne deviennent pas itinérants ou toxicomanes. C’est cela?

M. Elman : Oui.

Le sénateur Arnot : D’accord. À votre avis, quels éléments du meilleur modèle devraient être mis en œuvre au Canada? Quels sont-ils? Comment pouvez-vous démontrer la validité du concept dans un contexte canadien? J’espère que vous avez une réponse à ma question, parce que nous pourrons peut-être faire certaines recommandations à ce sujet.

M. Elman : Oui. Je suis très heureux que vous ayez posé la question.

Avant d’être un défenseur des enfants, je dirigeais un centre pour les jeunes de la région du Grand Toronto qui quittaient les foyers. Il s’appelle le Pape Adolescence Ressource Center, le PARC. J’ai appris, grâce au service que nous avons créé, qui a été une réussite et qui a été repris dans d’autres pays comme la Jamaïque, la Hongrie et le Japon, que nous travaillons sur trois éléments. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les jeunes. Cela ne vient pas de moi, mais des gens qui ont commencé à l’appeler ainsi, parce que je l’ai répété maintes fois : RCV, qui signifie Ressources, Connexion, Voix.

Tous les projets, y compris ceux que nous faisons pour les familles —, je parle des jeunes pris en charge — devaient offrir trois choses : des ressources concrètes, comme le logement, un soutien au revenu, du counselling, une thérapie, des soins de santé, l’accès aux ressources. Mais c’est insuffisant. C’est insuffisant pour tout le monde, pour toutes les familles, et certainement pour les jeunes pris en charge. Ils ont dit que l’autre chose qui était créée, c’était le sentiment d’être connecté. Maintenant, nous parlons du fait d’avoir sa place et de l’étude de Mme Charlesworth sur cette place. C’est une expression à la mode qui ressort souvent lorsque vous lisez, de nos jours. Le sentiment d’appartenance, la connexion, sous toutes leurs formes. Les jeunes ont même parlé du sentiment d’appartenance et de se sentir connectés à eux-mêmes. L’appartenance à la communauté, l’appartenance à l’établissement scolaire, l’appartenance à la famille, peu importe la définition de la famille, d’accord, c’est bien. L’appartenance. Mais ils ont dit que, s’ils ont seulement des ressources et un sentiment d’appartenance, ils risquent de rester à ne rien faire dans leur sous-sol, donc la prise de parole est nécessaire. Les jeunes ne parlaient pas seulement de prendre la parole, mais d’avoir le sentiment d’être maîtres de leur vie. Je ne veux pas m’éterniser, donc je vais m’abstenir de le faire. Le sentiment d’être vivant. Toutes les expériences vécues par les jeunes, pour où ils ont l’impression d’avoir leur mot à dire, de la prise en charge, sur les décisions prises pendant la prise en charge et sur la façon dont se terminera la prise en charge. Si vous créez un service, peu importe lequel, si vous cherchez, dès le début, à offrir ces trois choses aux jeunes qui quittent la prise en charge, il est très probable que leur vie soit extrêmement réussie.

Je dirais que les jeunes pris en charge sont comme le canari dans la mine. C’est aussi quelque chose dont ils m’ont parlé. Quels sont leurs besoins? Ils sont des êtres humains. Sénateur Arnot, leurs besoins sont les mêmes que les vôtres et que ceux de vos enfants. Lorsque nous parlons de ressources, les jeunes pensent souvent : « Je vais être pris en charge par l’État, en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique, donc quelle meilleure vie s’offre à moi? Qui peut me donner plus de ressources que ce fichu gouvernement? Mes ressources sont parfaitement organisées, ou elles devraient l’être. » Mais les jeunes ont besoin de l’ensemble de ces choses. C’est à ce moment-là qu’il est facile de concevoir un programme de compétences pratiques. C’est difficile, mais c’est facile de dire que les jeunes ont besoin d’un logement et d’un loyer à petit prix, mais cela ne règle pas le problème. Le problème n’est pas réglé. Ces trois éléments sont nécessaires pour élever les enfants. Nous sommes responsables de ces enfants, nous le sommes tous.

Regardez le modèle du PARC, mais il y a d’autres modèles au Canada et en Ontario, qui entrent en jeu à différents moments et qui offrent cela, mais notez bien que le système de protection de l’enfance ne l’offre pas. Le système de protection de l’enfance doit s’occuper de la protection de l’enfance. Le système est incapable de fournir ces trois choses. Institutionnellement, les travailleurs sociaux ne sont pas en mesure de fournir ces trois choses, même avec toute leur bonne volonté. Ils n’occupent peut‑être pas le bon emploi. Ils devraient peut-être élever ces enfants, parce qu’ils sont formés pour fournir ces trois choses, mais pas au sein du système de protection de l’enfance, si nous allons le conserver... et je ne suis pas un abolitionniste.

La sénatrice Osler : Je remercie les trois témoins d’être présents aujourd’hui.

Je vais vous poser, à tous, la même question. Je vais commencer par dire que j’ai travaillé en santé, donc, monsieur Elman, lorsque vous parlez de changer le système, je suis tout à fait d’accord. Mais un des problèmes, quand on veut changer le système en place, est la manière de procéder. J’aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez pour ce qui est des premières étapes. Quelle est la première mesure que devrait prendre un gouvernement provincial ou fédéral pour transformer le système?

Madame Charlesworth, vous avez parlé des leviers en amont — l’éducation à la petite enfance pendant le placement, le logement, les soins de santé mentale, le revenu de base, la sécurité alimentaire et les soins de santé. J’aimerais vous poser la même question. Je suis souvent dépassée lorsque je pense à la façon dont nous pourrions transformer un système comme le système de la santé. Lorsque je suis dépassée, je me demande quelle est la première étape à franchir dans ce long processus. J’aimerais que vous me disiez quelles mesures concrètes et réalisables pourraient prendre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. J’aimerais entendre d’abord Mme Charlesworth.

M. Elman : Je crois que c’est une bonne idée.

La sénatrice Osler : Mais je veux aussi vous entendre.

Mme Charlesworth : Je vous remercie de la question.

C’est l’un de nos plus grands défis. Par où faut-il commencer quand on a affaire à des systèmes complexes, indissociables de certaines valeurs et de façons de penser?

Une des choses dont nous avons parlé — je vais parler du sentiment d’avoir une place, puis je vais y revenir. Au moment de la publication du rapport Skye’s Legacy, nous avons commencé à parler de l’importance du sentiment d’avoir une place, et nous avons aussi parlé de l’importance de la langue. La langue nous aide à construire nos réalités, n’est-ce pas? Nous le savons. Nous avons remarqué que, plus les gens en parlent, plus nous parlons du sentiment d’appartenance dans nos conversations quotidiennes, dans nos politiques, dans nos pratiques et dans les questions que nous nous posons — par exemple, que faites-vous pour que ce plan d’intervention ou que ce plan de service garantisse le sentiment d’appartenance à un peuple, à un lieu et à la culture ainsi que pour l’estime de soi —, cela amène peu à peu un changement des pratiques. Au fil du temps, cela va avoir un effet cumulatif. Donc, la langue est importante.

Nous avons retenu une leçon en lien avec le vocabulaire : il faut parler du bien-être de l’enfant, et non pas de la protection de l’enfance. Lorsque vous commencez à parler du bien-être des enfants, le cercle s’élargit. Plutôt que de parler des services de protection obligatoires, nous parlons désormais du bien-être, ce qui fait entrer en jeu le système de santé et le système des soins de santé mentale. Cela fait entrer en jeu le système des loisirs. Cela permet de faire entrer beaucoup plus de gens dans le cercle qui protège l’enfant. Donc, le vocabulaire est important.

Même lorsque nous abandonnons le concept de la protection de l’enfance en faveur du concept du bien-être des enfants, nous nous demandons, que faisons-nous, concrètement, pour mettre toutes les chances de notre côté pour que l’enfant ne fasse pas que survivre, mais qu’il s’épanouisse? Et que faisons-nous au quotidien pour, comme l’a dit M. Elman, donner l’occasion aux jeunes de se sentir inclus, d’avoir un sentiment d’appartenance et d’avoir l’impression que leur voix compte et qu’ils ont leur mot à dire sur les décisions prises au sujet de leur vie? C’est une première étape. Le vocabulaire est important.

Je dois également dire que nous avons créé un système qui reproche souvent aux jeunes de se retrouver dans leurs circonstances. Nous entendons toujours dire que les jeunes sont réticents, qu’ils refusent, qu’ils ne participent pas, et cetera. Nous devons, encore une fois, remettre en question cette notion et affirmer qu’il est insensé de mettre la responsabilité sur les épaules de l’enfant. C’est à nous, les adultes, de nous demander ce que nous faisons — ou ne faisons pas —, qui fait en sorte que ces jeunes ne se sentent pas autonomes et aptes à participer aux décisions prises au sujet de leur vie et à s’impliquer. Donc, le vocabulaire est important. C’est une des choses.

L’autre chose, encore une fois, est que nous devons agrandir le cercle. Nous avons découvert qu’il est très utile de rassembler plus de gens autour de la table. Nous devons gérer des choses très concrètes, comme la capacité de diffuser l’information, et l’élimination de certaines barrières, et permettre aux gens, surtout à l’échelle communautaire, de se réunir afin de discuter de ce qu’ils feront pour l’enfant. Que feront-ils pour les enfants comme eux, pour un groupe plus large d’enfants, pour des enfants qui les préoccupent? Quelle aide sera apportée aux familles dans certaines circonstances? Ce sont également des questions essentielles. Nous devons rallonger la table, parce que ce n’est pas une mission solitaire. C’est beaucoup trop complexe. Nous avons besoin de logements. Nous avons besoin de la sécurité du revenu. Tout le monde est à bout de souffle. Que pouvons-nous réaliser, ensemble, si nous faisons cela d’une tout autre manière?

La langue et l’élargissement du cercle sont des premières étapes très importantes. Je vais m’arrêter ici, parce que je veux donner la chance à M. Elman de s’exprimer, et Mme Charlesworth a probablement elle aussi quelque chose à ajouter.

M. Elman : Je vous remercie de la question, et je suis très heureux que vous soyez ici, du point de vue de la santé. C’est très important.

Lorsque j’étais conseiller, lorsque je faisais ce travail, et puis, lorsque j’étais défenseur, j’ai fait la même chose. J’ai formé le personnel pour qu’il fasse la même chose. J’ai posé trois questions. Quel est le problème? Quelle est votre plus grande préoccupation? Les gens ont besoin d’être écoutés, et vous devez comprendre le point de vue des gens pour qui vous devez régler le problème. Qu’est-ce qui ne marche pas? Qu’est-ce qui marcherait? J’espère que vous comprenez ce que j’essaie de dire. Parfois, les gens ne comprennent pas la question, mais qu’est‑ce qui marcherait? La troisième question est : Comment pouvons‑nous y arriver?

Et vous venez tout juste de poser la troisième question, qui est extrêmement importante. N’est-ce pas? Il ne s’agit pas des jeunes qui quittent les foyers. Nous avons suffisamment de rapports qui nous disent ce qui fonctionne. Vous avez posé la question la plus essentielle, qui est la question la plus difficile. Mais prêtez attention à ce que j’ai dit, et j’avais l’habitude de le dire aux jeunes : Comment pouvons-nous y arriver? C’est « nous ». Nous avons besoin de vous. Ce n’est pas un problème de la protection de l’enfance. Ce n’est pas le problème des sénateurs. Ce n’est pas le problème des parents. Ce n’est pas le problème des jeunes. La seule façon d’y arriver c’est d’y aller ensemble.

Je suis encore très optimiste, je crois que nous pouvons tout accomplir. Dans ma carrière, j’ai remarqué que, si nous mettons l’accent sur les jeunes et les enfants, nous sommes capables de collaborer. Nous avons besoin du point de vue de la santé. Nous avons besoin du point de vue du travail social. Nous avons besoin du point de vue des jeunes. Nous avons besoin des parents. Nous avons besoin d’avocats. Nous avons besoin de logements. Toutes ces personnes doivent se demander : « Comment pouvons-nous y arriver? » Nous avons besoin du gouvernement et des fonctionnaires, car ils doivent, eux aussi, changer. Je crois que nous pouvons, tous ensemble, y arriver. Le plus important, présentement, c’est de nommer le problème — et vous l’avez nommé — pour trouver une réponse à la question : « Comment pouvons-nous y arriver? » Et je crois que nous pouvons le faire.

J’écoutais et je pensais, et ce n’est pas une critique, je l’ai entendu moi-même et je partage cette opinion : je ne connais pas la réponse. Je ne connais pas la réponse, mais je me ferais un plaisir de me taire et d’écouter et d’essayer de faire partie de la solution. Je ne sais pas tout à fait comment y arriver. C’est énorme.

Mais nous n’avons pas le temps de nous laisser dépasser par les événements parce que nous parlons d’enfants. Nous parlons d’enfants qui finiront par être « entreposés », disons, dans des résidences. Excusez-moi, mais c’est comme cela qu’ils le disent. À 18 ans, on les met dehors. Ils ne vont pas à l’université. Les bourses leur importent peu, du moins pour la majorité d’entre eux. Nous devons nous assurer que ceux pour qui c’est important puissent aller au collège et à l’université.

Ils sont dépassés. Les parents nous remettent leurs enfants parce qu’il n’y a pas de services pour les soins complexes. Puis, il y a les travailleurs de l’aide à l’enfance, en Ontario — je suis sûr que vous l’avez lu —, qui, pendant 11 mois, ont logé un garçon autiste de 11 ans dans un bureau. Je l’ai rencontré. Le parent est dépassé, tout comme l’enfant. Nous ne pouvons pas être dépassés si nous collaborons.

[Français]

La sénatrice Gerba : Quand je vous écoute, monsieur Elman, j’ai l’impression qu’il y a un gros problème à régler au Canada, mais que ce n’est pas seulement au Canada, c’est partout dans le monde; on se demande par où commencer. Je suis contente d’entendre Mme Charlesworth nous suggérer un début de solution ou plutôt une certaine espérance, soit que c’est possible si on fait les choses de la bonne façon et qu’on commence au bon endroit et au bon moment. C’est ce que je comprends de ce qu’elle nous dit. Dans ses propos, elle nous a expliqué qu’il ne fallait pas seulement répondre aux besoins des enfants, mais aussi réfléchir de manière holistique en amont et en aval du système de protection de l’enfance.

Pour réfléchir à cela, on a entendu à ce comité des témoins qui nous ont proposé d’enchâsser ces principes dans une loi. Que pensez-vous d’une loi? Nous sommes des législateurs et des sénateurs, et nous formulerons des recommandations, mais pensez-vous que, pour régler le problème, il faudrait qu’il y ait une loi fédérale? Que verriez-vous dans une telle loi?

[Traduction]

M. Elman : Je ne suis pas un expert de la constitution, donc je ne vais pas présumer des choses et dire qu’il devrait y avoir une loi fédérale.

J’ai beaucoup de respect pour les sénateurs. Je suis au courant du projet de loi de la sénatrice Moodie, qui vise à établir un cadre pour les services à l’enfance au Canada. Je connais la sénatrice Pate et son revenu annuel garanti et le sénateur Kutcher et son projet de loi visant à mettre fin aux châtiments corporels. La sénatrice Jaffer avait elle aussi un projet de loi sur les différentes façons d’obtenir la citoyenneté. Je conviens que ce sont tous des points de départ.

J’ai mentionné le rapport — j’ai écrit mes notes avant de savoir que Jennifer Charlesworth allait être présente — parce que je pense que c’est un point de départ. Je ne veux pas parler de ce que je ne sais pas, mais je connais les batailles de Mme Charlesworth, et je sais qu’elle a beaucoup réfléchi à ce qu’il faut faire pour mettre en œuvre les changements demandés dans ce rapport. Mais c’est un point de départ. C’est le premier rapport qui nous a permis à nous, et à vous en tant que comité sénatorial, de dire : « D’accord, comment pouvons-nous arriver à ça? »

Je ne connais pas le salaire de Mme Charlesworth. Elle ne gagne pas assez pour répondre à cette question à elle seule. Elle ne peut pas. C’est comme quand vous posez la question aux jeunes; ils m’ont dit que c’était comme si on leur demandait comment construire un pont. Ils peuvent vous dire quel genre de pont ils veulent, et que c’est un pont qui relie Centre Island à Toronto — j’oublie que je suis à Ottawa —, vous pouvez leur demander à quoi ils aimeraient que le pont ressemble, mais, quand vous leur demandez comment construire le pont, ils vous diront : « Je ne suis pas ingénieur. Je ne sais pas comment construire un pont. »

Nous avons besoin d’eux, et nous avons besoin de Mme Charlesworth et de son rapport. C’est un point de départ. Comment allons-nous mettre en œuvre un système axé sur le bien-être des enfants dans notre pays? À quoi ressemblerait-il? Je sais que le gouvernement fédéral ne peut pas intervenir, mais il y a des solutions à cette question, et il est important de demander aux familles et aux enfants du Canada à quoi ce système devrait ressembler, et il faut surtout le demander aux plus vulnérables, à ceux dont les droits sont les plus marginalisés. Vous êtes un comité des droits de la personne. À quoi ce système ressemblerait-il? De quoi aurait-il besoin?

Vous rendriez un service au pays et aux provinces parce que, comme je l’ai dit, et comme vous l’avez dit, cela ne concerne pas que la province de l’Ontario. Cela ne concerne pas que la Colombie-Britannique, la province de Mme Charlesworth. Cela concerne toutes les provinces. C’est comme cela qu’il faut commencer. Il faut commencer ici et se demander comment arriver à nos fins, et il faut commencer par poser cette question aux gens qui doivent répondre à cette question et qui peuvent vous fournir de l’information.

La sénatrice Muggli : Mme Charlesworth a vraiment très bien mis en contexte cet enjeu, la situation de ceux qui ne trouvent pas leur place et de ceux qui ont une place, et le trajet entre ces deux situations. Cela m’a fait penser aux traumatismes liés au fait que l’on ne trouve pas sa place, parce que de trop nombreux enfants dans le système ont vécu des expériences négatives graves dans leur enfance. Comment pouvons-nous concevoir un système pour soutenir les enfants qui ont grandi et sont devenus adultes, qui ont vécu des traumatismes et qui ont l’impression qu’ils n’avaient pas de place?

Mme Charlesworth : C’est une merveilleuse question, et merci d’avoir reconnu le traumatisme qui fait souvent en sorte qu’un jeune se retrouve dans le système et le traumatisme qu’il vit aussi au sein de ce système.

J’aimerais souligner deux ou trois choses. Lorsque nous commençons à penser à ce que nous avons besoin de faire différemment à l’échelle nationale — je remercie M. Elman d’avoir parlé du rapport. Il faudrait entre autres parler du bien‑être, commencer à élaborer ce que nous appelons un plan d’action sur le bien-être, une stratégie axée sur le bien-être des enfants placés, et reconnaître que les enfants et les jeunes ont vécu différentes choses, et ce, dans des contextes différents. Certains auront vécu dans leur enfance des expériences plus négatives que d’autres, et ils auront besoin de plus de ressources. Nous ne devrions pas tenter de concevoir un système qui traite tout le monde de la même façon et qui donne la même chose à tout le monde. Nous devons tenir compte de l’étape où l’enfant est rendu et prendre les mesures qui s’imposent.

Il y a deux ou trois choses que je trouve fascinantes. Tant d’enfants ont vécu une peine ou un deuil, et notre société n’est pas bien outillée pour traiter de la peine et du deuil. Je peux vous dire que, dans notre seul domaine d’expertise et de compréhension, par exemple, 157 enfants sont devenus orphelins l’année dernière en raison de l’approvisionnement en drogues toxiques. Nous ne nous occupons pas de cette peine et de ce deuil. Nous devrions mieux reconnaître l’expérience des jeunes, sans dire qu’ils sont brisés; nous devrions plutôt dire : « Nous allons marcher à tes côtés pour régler le traumatisme que tu viens de vivre, parce que nous croyons que tu peux t’en sortir, et nous allons t’accompagner pendant un certain temps. »

L’une des choses positives que permet l’approche récemment adoptée par la Colombie-Britannique, c’est que, plutôt que de restreindre le soutien postmajorité à l’éducation postsecondaire, on laisse les jeunes utiliser une partie des soutiens et des ressources financières pour obtenir du counselling en santé mentale et en deuil et pour acquérir des compétences de vie, et cetera.

Il est important de reconnaître le parcours de vie du jeune. Il faut tenir compte de ce qu’il vit et mettre en place les conditions et les ressources qui favoriseront sa résilience. Il faut aussi parler des sujets difficiles. Ces jeunes ont vécu des choses difficiles. Il faut les reconnaître et les respecter parce qu’ils sont encore ici avec nous, puis les appuyer.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais je pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose de très important : l’impression systématique que l’on n’a pas de place.

La sénatrice Muggli : Merci de votre réponse. Cela m’amène à parler de l’autre enjeu dont nous avons discuté plus tôt, la détresse morale et de l’incapacité de recruter des professionnels dans ce domaine précis. J’ai commencé à travailler dans le domaine de la protection de l’enfance il y a 36 ans, et, croyez-le ou non, nous disions déjà que, en pratique, nous étions incapables de respecter les exigences éthiques prévues au code déontologique des travailleurs sociaux et que cela causait de la détresse. Mais nous n’avions pas le terme « détresse morale » à l’époque. Le problème existe depuis très longtemps, et cela ne me surprend pas que les gens ne veuillent plus exercer cette profession. Des infirmières quittent le système de santé parce que ce système crée de la détresse morale. Les gens ne peuvent pas respecter leurs normes de pratique. Peut-être que l’un de nos rôles, c’est de sensibiliser le public afin que le travail soit mieux compris et que de meilleures mesures soient prises.

La sénatrice Bernard : Madame Dreyer, compte tenu de votre travail dans le domaine de l’intervention systémique et de ce que vous avez entendu des témoins ce soir, aimeriez-vous dire quelque chose à notre comité, de votre point de vue?

Jennifer Dreyer, directrice exécutive, intervention systémique, recherche sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits, Bureau du représentant des enfants et des jeunes de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup de me donner l’occasion d’intervenir.

Si vous me permettez d’être franche, j’aimerais vraiment avoir l’occasion de revenir pour vous faire part de certaines choses que nous avons apprises dans le rapport Ne détournez pas le regard. M. Elman et Mme Charlesworth n’ont fait que gratter la surface du travail qui a été fait en Colombie-Britannique et qui est pertinent pour tout le Canada et le monde entier. Il souligne la tâche que vous avez tous, en tant que sénateurs, en tant que dirigeants nationaux, le devoir de vous pencher sur des enjeux nationaux, comme l’abordabilité, la main-d’œuvre et la façon de renforcer la capacité des familles et des collectivités dès le départ. Il y a de nombreux rôles à jouer, des soins de santé à l’éducation, en passant par le bien-être de l’enfance, et nous pouvons tous apprendre à bâtir un meilleur avenir pour nos enfants et nos jeunes.

La sénatrice Bernard : Je vais faire un commentaire, madame la présidente, à l’intention de nos témoins.

Un témoin de la Nouvelle-Écosse nous a dit que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse avait abandonné le terme « protection de l’enfance » au profit du terme « bien-être de l’enfance et de la famille ». Il nous a dit que ce terme avait été inspiré par le savoir autochtone et afrocentrique relatif au bien‑être de l’enfance et de la famille. Le saviez-vous? Je pense que c’est un changement qui a été fait très récemment, et nous aurions peut-être avantage à en apprendre plus à ce sujet.

Mme Charlesworth : Nous sommes au courant, et c’est réjouissant de voir qu’une autre province commence à parler de la notion de bien-être. Comme l’a dit Mme Dreyer, nous n’avons fait que gratter la surface, mais, si cela vous intéresse, il nous fera plaisir de parler de ce processus.

Nous en sommes arrivés à la notion de bien-être grâce au travail des conseillers culturels et de la participation active des communautés autochtones. Les dirigeants des Premières Nations ont été les premiers à me dire de faire un examen systémique, et non pas seulement une enquête, et que cela allait être très prometteur sur plusieurs plans. C’est emballant de voir les possibilités quand on adopte un point de vue plus holistique.

Je vais peut-être m’arrêter ici, parce que je vois que mon temps est écoulé, mais le chef héréditaire qui a travaillé avec nous a souligné que nous disons souvent qu’il faut un village pour élever un enfant, mais que, dans leur langue, ils disent que cela prend un enfant pour bâtir un village. Si nous nous concentrons sur le bien-être de l’enfant, cela nous rend tous meilleurs et nous permet d’être le genre d’organisation, le genre de collectivité, le genre de famille et de réseau que nous sommes censés être, si nous reconnaissons notre devoir et notre responsabilité envers le bien-être des enfants. Donc, cela prend un enfant pour bâtir un village.

La présidente : Merci à nos témoins. Merci de votre engagement et de votre passion, qui se sont fait bien sentir dans vos deux exposés. Je pense que vous nous avez donné une idée du titre qu’aura l’étude une fois qu’elle sera terminée : ne pas avoir sa place. C’est un titre très fort.

Vous pouvez toujours nous présenter des observations par écrit si vous avez l’impression qu’il manque quelque chose et que nous n’avons pas le temps de vous recevoir de nouveau. Vous pouvez présenter des observations écrites à n’importe quel moment à la greffière du comité.

M. Elman : J’aimerais seulement ajouter une dernière chose. Je suis venu en personne parce que vous êtes importants. Je vous respecte en tant que sénateurs, non pas seulement en tant que comité. Votre voix, votre travail, je l’honore, et, en cette période où, au Canada, en Amérique du Nord et partout dans le monde, nos institutions démocratiques sont d’une certaine façon ébranlées, du moins, à l’extérieur d’ici, vous êtes importants, et je vous respecte. Je vous remercie de ce que vous faites. Continuez ce que vous faites.

La présidente : Je vous remercie d’avoir reconnu le Sénat, parce que je pense que la plupart des sénateurs sont déçus qu’il n’y ait pas assez de gens qui sont au courant du travail qu’ils font. Le fait qu’un témoin de votre calibre reconnaisse devant nous le travail que nous faisons... J’aimerais vous en remercier. J’aimerais aussi vous remercier vous trois de nous avoir aidés dans le cadre de cette étude qui se poursuit. Votre témoignage et vos exposés nous aideront grandement.

Une autre collègue vient de se joindre à nous. J’aimerais qu’elle se présente.

[Français]

La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Merci, sénatrice, de vous joindre à nous.

On a demandé à nos témoins de présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous allons écouter les témoins, puis ce sera au tour des sénateurs de poser des questions.

Nous accueillons Mme Marie Suzie Casséus, gestionnaire du programme Option Protection, et Mme Marie Pierre Ulysse, présidente du conseil d’administration, toutes deux du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal, ici présentes. Je demanderais à Mme Casséus, puis à Mme Ulysse, de présenter leur déclaration préliminaire.

[Français]

Marie Suzie Casséus, gestionnaire du programme Option Protection, Bureau de la communauté haïtienne de Montréal : Bonsoir. Mon nom est Marie Suzie Casséus, travailleuse sociale de formation et gestionnaire du programme Option Protection au sein du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal, soit le BCHM.

Merci, madame la présidente et honorables sénateurs, de nous accueillir ce soir afin de prendre la parole sur cet enjeu qui mérite effectivement qu’on lui porte une attention particulière, soit « La vie après la famille d’accueil ». Ces jeunes se retrouvent fort souvent sans soutien familial et font face à de nombreux défis liés au logement, à la stabilité financière, à la poursuite des études et à l’accès aux soins de santé mentale.

Le BCHM lutte depuis plus de 50 ans contre les inégalités et les injustices sociales subies particulièrement par les communautés ethnoculturelles. Nous œuvrons sur le territoire de la province de Québec, mais plus précisément dans la région de Montréal.

L’un des services offerts par le BCHM est le programme Option Protection. Celui-ci vise à contrer la surreprésentation des enfants de la communauté noire au sein des services de la Direction de la protection de la jeunesse. Selon des données citées par Lavergne et Dufour et tirées de l’Étude d’incidence québécoise sur les signalements à la protection de la jeunesse de 2014, ces enfants représentaient 9,6 % des dossiers où la sécurité ou le développement étaient compromis, alors qu’ils ne représentent que 6,5 % des enfants évalués, soit un taux de disproportion de 1,48 %.

De plus, ils étaient deux fois plus susceptibles que les enfants d’autres groupes de faire l’objet d’une évaluation et que le signalement soit jugé fondé, et deux fois plus susceptibles d’être placés durant l’évaluation ou l’orientation. Cette initiative du BCHM a eu pour aboutissement une entente de services avec le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Au cours des six derniers mois, cela représente 142 familles, dont 255 enfants et 236 parents.

Entre octobre 2020 et le 30 septembre 2024, 800 familles avaient été accompagnées par Option Protection et 74 % des références provenaient de la DPJ. Cela représente 1 564 enfants touchés par nos services, soit au-delà de 1 500 parents par année.

Nous travaillons à prévenir les situations de négligence et de maltraitance pouvant mener les familles à se retrouver prises dans les engrenages de la DPJ qui, dans certains cas, aboutissent au placement des enfants dans un milieu substitut. Des activités de sensibilisation sont également organisées auprès de différents acteurs afin d’informer, de sensibiliser et de promouvoir des pratiques parentales gagnantes.

D’autre part, nos intervenants travaillent directement auprès des familles vulnérables pour qui les services peuvent susciter de la crainte ou de la méfiance, voire de la résistance. Nous mettons tous nos efforts pour démystifier également les autres systèmes comme le système scolaire, celui de la santé et de la justice ainsi que les organismes communautaires. Nous informons les familles de leurs droits et facilitons leur collaboration afin qu’elles retrouvent leur équilibre familial. Le travail en collaboration et en complémentarité avec toutes les parties prenantes citées ci-dessus est essentiel pour soutenir ces familles de façon optimale et promouvoir le bien-être de l’enfant.

L’orientation avant-gardiste de ce programme qui a pris naissance en 2020 est soutenue par le rapport d’avril 2021 de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, qui a pour titre Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes. Plusieurs recommandations y ont été faites, notamment celles de reconnaître l’importance des organismes communautaires, de mieux travailler en collaboration, d’adapter les services aux communautés ethnoculturelles, d’investir pour offrir le bon service au bon moment, d’investir dans les services de prévention et enfin, d’assurer une continuité du financement à travers les cycles budgétaires pour maintenir l’efficacité des interventions.

Selon le rapport de la commission spéciale, qui étudie notamment le devenir des jeunes placés (EDJEP) au Canada, plus de 200 000 jeunes par année sont suivis par une agence de protection de la jeunesse et plus de 65 000 sont placés dans un milieu substitut, soit 32,5 %. Au Québec, on évalue que plus de 2 000 jeunes quittent annuellement un placement pour un parcours vers l’autonomie.

Cette étude s’est penchée sur les jeunes âgés de 17 à 21 ans. Ils sont plus susceptibles de décrocher et d’accuser des retards scolaires que les jeunes en général, mais également par rapport aux jeunes provenant de milieux défavorisés. Ils visent de plus des diplômes de niveaux inférieurs. L’étude fait également état de l’expérience de placement de ces jeunes. Le fait de ne pas savoir où ils iront après leur placement leur fait vivre un grand sentiment d’insécurité. Une fois sortis du système, certains vivront une forme d’itinérance. D’après le bilan des directrices et directeurs de la protection de la jeunesse et des directrices et directeurs provinciaux, au cours des deux années précédant les 18 ans d’un jeune, un plan de transition doit être élaboré afin de favoriser un passage réussi à la vie adulte.

En matière de postvention, le BCHM ne peut rester indifférent face à cette réalité et a conséquemment intégré dans son projet d’infrastructure LAKOU PATAJ, des logements de transition.

Le rôle que le gouvernement fédéral doit jouer est de soutenir les organismes communautaires qui innovent et qui sont des vecteurs de changements. Le programme Option Protection est offert uniquement aux communautés noires francophones et créolophones de la région de Montréal. Force est de constater que d’autres communautés profiteraient de la reproduction de ce modèle qui offre une lecture et un accompagnement qui tiennent compte de leur réalité. La prévention est la meilleure arme contre les dépenses évitables de la société. Elle permet certainement de diminuer les coûts sociaux engendrés par le recours au système de judiciarisation et au placement d’un jeune dans les services de la protection de la jeunesse. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Madame Ulysse, votre exposé.

[Français]

Marie Pierre Ulysse, présidente du conseil d’administration, Bureau de la communauté haïtienne de Montréal : Bonsoir. Je m’appelle Marie Pierre Ulysse, je suis travailleuse sociale de formation également et je suis présidente du conseil d’administration du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal. En plus de desservir la communauté haïtienne de Montréal et les communautés noires francophones de l’île de Montréal, nous sommes aussi un organisme de quartier, nous desservons les familles du quartier Rosemont—La Petite-Patrie et nous travaillons à l’intégration des communautés ethnoculturelles de l’île de Montréal.

Pour revenir au sujet qui nous intéresse aujourd’hui, ma participation est complémentaire à celle de Mme Casséus. Nous voulions vraiment vous présenter une perspective décloisonnée des services sociaux et des services de placement. Je dois vous avouer que je suis dans le métier du travail social depuis 33 ans et que cela fait 33 ans que je travaille en centre jeunesse. J’ai connu toutes les réformes et toutes les évolutions du métier; depuis les 12 dernières années, quand je ne suis pas dans mon emploi de jour, je suis gestionnaire dans le contexte de la DPJ. Par contre, je crois fortement au travail préalable, au travail communautaire et au travail pour renforcer et soutenir les familles afin que les enfants ne se retrouvent pas aussi fragilisés à travers les étapes du système.

Je crois qu’il y a quelque chose à faire, et le programme Option Protection était une très belle initiative, une innovation sociale créée à partir d’un organisme communautaire. Le projet est sorti de l’organisme et on a fait une mise à niveau pour être en mesure d’offrir une continuité de services par rapport à ce qu’offre la DPJ et de donner du soutien aux familles.

Lorsqu’on regarde les statistiques, nous avons été les premiers surpris du nombre de familles et d’enfants qui ont été touchés. La conséquence positive, c’est le fait que les familles, une fois qu’on termine avec elles, ne refont pas l’objet d’un signalement à la DPJ.

L’an dernier, au BCHM, on s’est dit qu’il serait intéressant de revoir ces familles qui vivent des situations de pauvreté et d’exclusion et toutes sortes de difficultés. Il faut aller les voir pour savoir, quelques mois ou quelques années plus tard, comment vont les enfants et comment est la situation. Nous avons eu l’occasion de mettre sur pied un petit programme dans le cadre d’un stage universitaire de maîtrise qui s’appelait le programme Option Protection, qui nous a permis de retourner dans nos archives, de revisiter ces familles et de leur demander comment elles allaient. Les familles nous disent que tout va bien.

Nous avons réalisé qu’elles ne sont pas retournées à la DPJ; on avait déjà ce retour du ministère grâce aux statistiques, mais quand on a parlé aux familles, elles nous ont dit qu’elles allaient bien. Nous avons pris le temps d’analyser tout cela : l’emploi n’a pas changé, le logement n’a pas nécessairement changé, mais ce que la famille a acquis l’a structurée, donc les enfants sont maintenus chez eux et ils vont bien. C’était le premier message. On vient du milieu communautaire.

J’ai ajouté de nombreuses statistiques dans ce que je vous ai soumis par écrit, mais je voulais entamer un dialogue pour dire que c’est important de s’intéresser aux jeunes qui sortent des familles d’accueil et de vouloir prévenir que des enfants y entrent. Il faut avoir une vision différente dans notre façon de travailler.

Enfin, quand un enfant entre en famille d’accueil, c’est le gouvernement qui paie pour cet enfant. Le gouvernement va payer 2 000 $ par mois environ. Par contre, certaines familles pourraient bénéficier d’un petit ajout financier et elles seraient moins vulnérables. Est-ce qu’il y a une façon de repenser nos services en partenariat avec le volet communautaire? Je pense qu’on a quelque chose à apporter, et c’est ce qu’on voulait partager avec vous. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Maintenant, nous allons passer aux sénateurs et à leurs questions.

Chers collègues, nous sommes un peu pressés par le temps, alors nous vous demandons de poser des questions concises. Je vous accorderai cinq minutes, mais je ne vous laisserai pas les dépasser. Nous commencerons par la vice-présidente.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux d’être ici, et merci pour votre travail.

J’aimerais en savoir un peu plus sur le travail que vous faites en amont. Vous avez dit que vous travaillez en amont afin de soutenir et de renforcer les familles. Que faites-vous pour faire la différence dans le domaine du bien-être de l’enfant ou de la famille?

[Français]

Mme Casséus : Nous avons une équipe d’intervenants qui accompagnent les familles sur le terrain. À travers tout le processus de la Direction de la protection de la jeunesse, lorsqu’un enfant fait l’objet d’un signalement, l’intervenant va accompagner le parent, démystifier le système de protection de la jeunesse et favoriser sa collaboration. Sur le terrain, les intervenants se déplacent et vont à domicile pour travailler sur les compétences parentales, l’encadrement des enfants, le renforcement du lien familial et la communication entre les enfants et les parents. On accompagne aussi les parents dans les écoles. Pour ces parents, différents professionnels interviennent auprès de leurs enfants. Ils ne comprennent pas toujours qui est le psychoéducateur, l’éducateur et le psychologue. Il y a beaucoup de professionnels autour de cet enfant. Les intervenants aident le parent à comprendre qui sont ces personnes et quels sont les besoins de leurs enfants.

On les accompagne aussi dans les services de santé, jusqu’à aller à des rendez-vous avec eux. Parfois, il y a les barrières de la langue, il y a de l’incompréhension et il y a aussi de la résistance et des croyances qui sont différentes. Parfois, c’est difficile pour un parent d’accepter un diagnostic qu’un professionnel donne à son enfant. On est là pour démystifier tout ça. On est vraiment sur le terrain avec eux. Dans le processus de la protection de la jeunesse, nous participons vraiment à toutes les étapes; les intervenants vont aussi avec les parents dans les tribunaux afin de les préparer et de les rassurer. On est vraiment à domicile avec les parents et on les accompagne dans les différents systèmes avec lesquels ces parents trouvent plus difficile de transiger.

Mme Ulysse : J’aimerais ajouter un complément d’information.

[Traduction]

Nous travaillons avec les parents sur la base d’un modèle axé sur la force. Nous valorisons les parents. Nous savons qu’ils ont des difficultés, alors nous travaillons vraiment sur leurs points forts.

D’autre part, dans ce programme... Je suis une experte en protection de la jeunesse, tout comme Mme Casséus, qui a travaillé pendant 20 ans dans le domaine de la protection de la jeunesse. Nous avons pu transposer ces compétences dans le secteur communautaire afin de construire un programme cohérent avec la protection de la jeunesse.

Lorsque nous travaillons avec un parent, nous conservons les notes. Nous avons une méthode de travail très rigoureuse, mais, en même temps, nous avons une méthode de travail très clinique auprès des familles. Nous nous rendons dans leur environnement, nous voyons qu’Hydro-Québec est sur le point de couper le service. Je ne peux pas les laisser à la rue. Donc, nous apportons l’aspect de la communauté. Nous trouvons une banque alimentaire, ici. Il s’agit d’une protection de la jeunesse à plus petite échelle, on peut le dire ainsi, et nous pouvons donc le faire. Je sais que nous avons vu 1 000 familles en quelques années, mais nous avons pu leur offrir des services vraiment personnalisés. En fin de compte, c’est payant. Les enfants finissent par réussir, et cela a véritablement aidé.

La sénatrice Bernard : Travaillez-vous spécifiquement avec les jeunes qui quittent les services provinciaux?

Mme Ulysse : Nous travaillons essentiellement en première ligne plutôt qu’à l’arrière, mais notre objectif est de travailler à différents niveaux. Pour le moment, nous travaillons avec des familles qui viennent d’être signalées. Nous leur disons : « Non, non, non. Nous n’avons pas besoin de faire cela. Nous n’avons pas à nous battre avec la protection de la jeunesse pour finir par placer vos enfants. Nous allons éviter cela. Nous pouvons travailler avec vous et vous renforcer, afin que vous soyez plus solides et que tout aille bien à la fin. »

Lorsqu’on examine la surreprésentation, par exemple, les deux groupes les plus surreprésentés dans le secteur où nous travaillons — mais c’est à peu près la même chose dans tout le Québec; nous venons du Québec —, vous avez la communauté noire et la communauté autochtone. Ces deux communautés sont fortement surreprésentées. Alors, à moins d’essayer de nouvelles stratégies et d’envisager le système sous un autre angle, je ne sais pas.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Nous sommes vraiment très contents de vous avoir ici aujourd’hui et de vous entendre parler de prévention et de ce que vous faites en amont, parce que c’est là où le bât blesse. On a entendu beaucoup de témoins dire qu’ils sont sortis du système et vous venez nous parler de ce que vous faites en amont, donc c’est très intéressant.

Madame Casséus, vous avez expliqué que certains jeunes qui perdent leur accompagnement finissent régulièrement en situation d’itinérance. Madame Ulysse, vous avez mis l’accent sur la nécessité d’anticiper davantage le soutien que nous donnons à nos jeunes qui sont très vulnérables. Vous parlez des jeunes des communautés noires et autochtones. Comment devrions-nous procéder pour prévenir cette situation d’itinérance des jeunes qui sortent du système? Lorsqu’ils sortent du système, est-ce qu’il y a une façon de prévenir pour qu’ils ne se retrouvent pas en itinérance? Est-ce qu’il y a des familles qui retrouvent leurs enfants? Pour les aider, vous avez parlé d’un ajout d’argent pour ces familles et d’un montant de 2 000 $ qu’on peut économiser en évitant les familles d’accueil. Est-ce qu’il faut un système qui permet de donner de l’argent? Est-ce une question financière?

Mme Ulysse : Je vous ai donné certaines statistiques vers la fin de ma présentation. Ces statistiques montraient que la réintégration des enfants dans les milieux de vie, pas nécessairement à la fin du placement, mais en général, a un taux d’échec de 13 % lorsque les enfants sont réintégrés au cours de la première année. Sur une période de trois, quatre ou cinq ans, on parle d’un taux d’échec de 50 %. Beaucoup d’enfants vont quitter le système. Une minorité pourra rester dans la famille d’accueil, car ils se seront vraiment intégrés et ils seront devenus comme leurs enfants. Il y a un certain pourcentage de personnes pour qui il y a une certaine protection dans les liens réels qui auront été tissés avec la famille.

D’autres retourneront chez le parent dont on l’a protégé pendant tant d’années. Les statistiques ne sont pas différentes de ce que la littérature nous dit. On a travaillé avec l’enfant, mais on n’a pas avancé autant avec le parent. L’enfant retourne donc vers un parent qui est un peu un étranger et cela crée des tensions. On a deux adultes. Ce n’est pas un bon filet de protection familiale pour cet enfant.

Il faudrait avoir des ressources, financières ou autres, pour aider ces jeunes. S’ils se retrouvent en situation de grande vulnérabilité, que leur arrivera-t-il? Je sais que les centres jeunesse ont des fondations qui peuvent parfois aider les jeunes s’ils se retrouvent dans une situation vulnérable. Au-delà de tout programme, vous pouvez avoir un jeune qui aura vraiment besoin d’un coup de main et qui ne peut pas appeler maman ou papa, car il a été retourné chez maman ou papa et que la relation s’est brisée. Il faut le prévoir. Le travail que l’on fait avec les parents n’est pas perdu; cela reste aussi un travail à très long terme, et c’est important.

La sénatrice Gerba : Si vous aviez une recommandation précise à faire au gouvernement fédéral, quelle serait-elle?

Mme Ulysse : Si je devais choisir, j’irais vraiment vers la prévention. Au fédéral, vous avez une énorme responsabilité envers les communautés autochtones et toutes les communautés, mais en particulier celles qui sont surreprésentées dans le système de protection de la jeunesse et qui ont des enjeux particuliers. Il faut agir en matière de prévention et préserver les familles. Ce qui arrive, c’est que cela se reproduit. Un enfant qui a été fragilisé devient un parent fragile. Il y a un cycle que l’on veut briser.

La sénatrice Gerba : Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Chers témoins, merci d’être venues ici aujourd’hui.

Il semble que le modèle d’Option Protection soit une façon emballante et nouvelle de voir les choses. Vous avez une optique différente, et c’est une approche en amont, ce que je trouve remarquable. Je suis heureux d’apprendre tout cela. J’aimerais savoir comment le BCHM évalue la réussite d’un programme comme Option Protection. Depuis combien de temps est-il en place? De quel type de budget disposez-vous? Comment maintenez-vous le financement nécessaire pour que ce modèle continue à évoluer dans la bonne direction? Il me semble que ce modèle pourrait s’appliquer à l’ensemble du Canada.

Mme Ulysse : C’est une bonne question.

Nous avons été financés — le directeur du centre est juste là. Je ne m’occupe pas vraiment des finances. Nous avons reçu beaucoup d’aide de Centraide et de la Fondation Chagnon, qui ont vraiment cru au programme depuis le début. Une fois que le programme a été en mesure de faire voir ses résultats, nous avons pu établir un partenariat officiel, selon lequel le centre de jeunesse verse du financement — un financement minimal, mais c’est toujours du financement — au programme.

En ce moment, je dois dire que le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a communiqué avec nous. Il nous a dit qu’il avait examiné les données et qu’il était très impressionné parce que les familles n’ont pas été signalées à nouveau. La réussite réside dans le fait que ces familles n’ont plus été signalées à la protection de la jeunesse. Elles ne le sont pas, ce qui prouve que le programme fonctionne. Bref, il nous a dit que l’objectif était d’établir le programme dans tout le Québec, dans toutes les régions du Québec.

Pour le moment, on nous a demandé de former une autre région, la Montérégie. Nous leur avons fourni la formation et le soutien nécessaires, de sorte qu’ils sont prêts à lancer le programme. Nous attendions le financement, et il est arrivé. Je m’attends à ce que le programme soit lancé sous peu dans la nouvelle région, d’ici quelques semaines ou quelques mois. En Montérégie, le programme ne le sera pas, parce que le nôtre ciblait spécifiquement la communauté noire. En Montérégie, le programme s’adressera à toutes les minorités. Apparemment, ce sera l’objectif. C’est ce qui est envisagé, et le programme s’étendra à un deuxième site.

Le sénateur Arnot : C’est formidable. Félicitations.

Y a-t-il encore place à l’amélioration, dans votre modèle?

Mme Ulysse : Absolument. Cela continue.

Notre plus grande préoccupation était... Car j’ai toujours dit au conseil d’administration, vous savez quoi, ces familles sont vraiment fragiles. C’est comme lorsqu’un patient est aux soins intensifs, quand il en sort, on se dit, d’accord, c’est bien. Sauf que ça ne l’est pas nécessairement. Ils sont tellement fragiles. Alors, pour nous, c’était important de pouvoir retourner voir les familles là où elles se trouvent et de voir comment elles se portent. C’était un exercice extrêmement important. Nous avons pu le faire, au cours de l’année dernière. Je dois dire que nous avons couvert les familles avec lesquelles nous avons cessé de travailler en 2020, 2021 et 2023. Nous sommes actuellement dans la deuxième phase de cet exercice, avec les familles de 2022 et 2024, mais les données sont les mêmes. Les familles sont plus fortes. C’est une chose.

Le nouvel exercice que nous allons faire, avec le programme — je vais voir si nous pouvons le faire, c’est notre défi —, sera de démontrer qu’investir dans les familles maintenant coûte beaucoup moins cher que de prendre des enfants en charge, puisque ce sera pire par la suite. Nous avons contacté un expert pour voir si, à partir des données que nous avons recueillies, il pourra effectuer une analyse des coûts du programme. C’est notre projet pour l’année en cours.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup. Félicitations pour votre programme et merci de le partager avec une autre région. Je considère ce programme comme un modèle pour le reste du Canada, probablement, si l’on regarde de plus près.

Mme Ulysse : Il pourrait l’être.

[Français]

Mme Casséus : J’aimerais ajouter un commentaire concernant le succès. Le témoignage des parents en dit long. Ils sont fort reconnaissants. Ils accueillent un intervenant dans leur vie et leur intimité et ils voient le changement que cela apporte dans leur vie.

Aussi, en ce qui a trait aux intervenants de la protection de la jeunesse, le nombre de références à la DPJ augmente d’année en année. Cela veut dire qu’ils sont satisfaits. Il y a un lien de confiance qui s’est créé entre nous et la protection de la jeunesse. Ces intervenants accueillent favorablement cette collaboration qu’on a établie. Cela vient faciliter leur travail. Il y a souvent de la résistance en raison de la méconnaissance de ce système très imposant pour les familles. Il est donc important d’avoir quelqu’un qui vient simplement dénouer cette impasse.

Comme Mme Ulysse l’a dit, un parent avec qui l’on arrive à travailler et un enfant dont on évite le placement — c’est le cas de notre programme — ou des enfants qui sont placés et qui retournent à leur domicile, ce sont tous des témoignages de succès, non seulement sur le plan qualitatif, mais quantitatif dans tout ce que cela fait gagner à la société en ce qui a trait aux économies.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être là.

J’ai travaillé dans le domaine de la santé et, dans ce secteur, nous avons des discussions sur le racisme antinoir et le racisme envers les Autochtones dans le système. Vous avez parlé de la surreprésentation des jeunes Noirs et des jeunes Autochtones en famille d’accueil. Étant donné votre expérience, pourriez-vous nous parler des types de discrimination ou de racisme antinoir que vous avez rencontrés dans le système? À l’inverse, vous pouvez nous parler de stratégies ou de solutions pour lutter contre le racisme et la discrimination.

Mme Ulysse : Dans le cadre de ce programme, nous avons beaucoup travaillé avec les centres jeunesse, par exemple le centre jeunesse francophone de l’Île de Montréal. Je suis toujours surprise par le peu de diversité dans le personnel du centre, alors qu’il y a une telle diversité et une surreprésentation des minorités dans la clientèle. C’est déjà un dossier auquel il faut s’attaquer. Je ne crois pas que les gens veuillent agir d’une certaine façon ou d’une autre, mais nous avons besoin les uns des autres. Un regard différent apporte une perspective différente. Pour le moment, nous le faisons d’un point de vue externe parce que nous collaborons très bien, mais nous sommes à l’extérieur du système, d’une certaine façon.

Cela nous a fait réfléchir, et nous avons un autre programme qui n’est pas Option Protection, mais autre chose. Avec l’afflux d’immigrants — tout le monde en parle en ce moment —, plusieurs personnes avec toutes sortes de qualifications sont arrivées ici. Elles sont peut-être qualifiées pour travailler, mais le parcours ne sera pas facile. Si nous pouvons les aider à faire reconnaître leurs qualifications, ou si elles doivent suivre une courte formation pour obtenir une accréditation en travail social — nous parlons ici de travail social —, alors peut-être que la main-d’œuvre pourrait être plus diversifiée. Cela ne veut pas dire que c’est tout, mais ce n’est qu’une petite partie, et c’est une partie très visible lorsque vous travaillez avec le système.

[Français]

Mme Casséus : J’ajouterais que, dans le travail en co‑intervention, les intervenants de cultures différentes ont l’occasion de bonifier ce qui est perçu dans l’analyse qu’on fait de la situation de la famille. Je peux vous affirmer que les intervenants peuvent être concrètement dans la même rencontre, mais qu’un parent peut réagir d’une façon, et on peut le comprendre, mais l’autre peut dire que non, ce n’était pas cela. Après la rencontre, ils peuvent se parler et l’intervenant d’Option Protection peut reprendre des choses en disant : « Ah! Ce n’était pas exactement ce que le parent voulait dire. »

Je peux vous dire que tout cet échange est accueilli favorablement par les intervenants de la protection de la jeunesse. Ultimement, ils veulent le bien-être de l’enfant et ils veulent bien comprendre la situation. On aime dire qu’on a tous des biais. Le fait d’être confronté à l’autre et de rentrer dans son monde nous permet de réaliser qu’il y a d’autres façons de voir les choses et de respecter le rythme, le parcours migratoire et les croyances des gens. Ce sont des sensibilisations que nous faisons au cours de ce travail avec les intervenants, non seulement ceux de la protection de la jeunesse, mais aussi les autres intervenants des différents systèmes avec lesquels nous travaillons.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Je vous remercie encore toutes les deux.

J’aimerais parler d’intersectionnalité. Je me demandais si, dans votre organisme, vous traitez de questions liées aux enfants en situation de handicap et aux enfants qui s’identifient aux communautés LGBTQ. Est-ce que ces réalités se manifestent différemment dans votre travail et, si c’est le cas, comment se manifestent-elles?

Mme Casséus : En ce qui concerne les communautés LGBTQ, le cas ne s’est pas présenté. Le cas ne s’est pas encore présenté dans les familles ou chez les enfants que nous avons reçus. J’ai oublié la première partie de la question.

La sénatrice Bernard : Les enfants en situation de handicap.

Mme Casséus : Oui, certainement. L’autisme ou les troubles de l’apprentissage et l’hyperactivité sont, je dirais, les difficultés principales des enfants dont s’occupent les travailleurs. Pour les parents, ce qui est souvent difficile, c’est de se défaire de leurs propres croyances et d’accepter cette option. C’est ainsi que nous présentons les choses. Nous les accueillons dans leur façon de comprendre et d’admettre la raison pour laquelle leurs enfants sont comme ils sont et ont ces difficultés, mais nous leur offrons également d’autres options. Nous ne sommes pas là pour dire aux parents ce qu’ils devraient croire, mais pour leur offrir notre soutien.

Comme je l’ai dit plus tôt, nos travailleurs accompagnent les parents aux rendez-vous médicaux et prennent le temps de leur expliquer, mais aussi lorsqu’ils rentrent chez eux et qu’ils les voient, de les responsabiliser, comme le disait Mme Ulysse, pour reconnaître leurs points forts. Ils ont traversé énormément d’épreuves et font de leur mieux. C’est ainsi que nous travaillons avec ces familles et ces enfants.

La sénatrice Bernard : Très souvent, les familles avec des enfants en situation de handicap ont beaucoup de besoins supplémentaires. Votre programme comble-t-il ces écarts?

Mme Casséus : Je dois dire que, malheureusement, nous n’en sommes pas encore au point où nous pouvons offrir des services spécifiques pour ces enfants, mais nous les accompagnons aux rendez-vous et nous les orientons. Souvent, nous accompagnons les parents, car il est difficile pour eux de comprendre ce que l’on attend d’eux lorsqu’on leur dit simplement de se présenter quelque part; c’est pourquoi nous les accompagnons.

Mme Ulysse : Nous nous assurons aussi qu’ils ont accès aux services. Une chose qui m’a surprise, c’est la distance entre certaines communautés et les services de première ligne. Je me souviens que les membres d’une communauté avaient fait appel à nous parce que, pendant la COVID-19, ils trouvaient qu’il y avait beaucoup de problèmes de santé mentale au sein de leur communauté. Nous avons discuté avec eux et nous leur avons dit qu’ils pouvaient se rendre dans un CLSC, et ils nous ont répondu : « Nous n’avions pas pensé à cela ». J’ai vraiment eu l’impression que, parfois, les gens qui ont le plus besoin de services se sentent très éloignés de ces services alors qu’en réalité, ils sont accessibles à tout le monde. Comment pouvons-nous combler cette lacune et les rapprocher des services? C’est ce que nous faisons pour ces familles en particulier. Nous les rapprochons des services.

La présidente : Au nom du comité, j’aimerais remercier sincèrement les témoins d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Votre témoignage nous aidera pendant nos délibérations au fur et à mesure que nous avançons.

(La séance est levée.)

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