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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 2 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 17 h 3 (HE) pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et, à huis clos, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Pour commencer, j’aimerais reconnaître que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles, ancestrales et non cédées de la nation algonquine anishinaabe, qui abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’île de la Tortue.

Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons des délibérations publiques du Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne.

J’inviterai mes honorables collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, du territoire mi’kmaq, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Senior : Bonjour, je m’appelle Paulette Senior, de l’Ontario.

La sénatrice Pate : Bienvenue. Je suis Kim Pate. Je vis ici sur les terres non cédées, non abandonnées et non retournées du peuple algonquin anishinaabe.

Le sénateur K. Wells : Sénateur Kris Wells, territoire visé par le Traité no 6, Edmonton.

La présidente : Merci, chers collègues. Aujourd’hui, notre comité commence son étude sur l’antisémitisme au Canada. L’étude examinera l’antisémitisme au Canada, y compris l’étendue et l’impact de ce problème, ainsi que les efforts déployés par le Canada pour le combattre au moyen de lois, de politiques et d’autres initiatives fédérales, ainsi que le rôle de l’éducation, des plateformes numériques des mesures d’application de la loi pour le combattre.

Cet après-midi, nous aurons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs autour de la table auront une période de questions et de réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe. Nos témoins ont été invités à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Je tiens à accueillir autour de la table aujourd’hui Shimon Fogel, chef de la direction du Centre consultatif des relations juives et israéliennes. J’invite maintenant M. Fogel à présenter son exposé.

Shimon Fogel, chef de la direction, Centre consultatif des relations juives et israéliennes : Merci, madame la présidente, et je remercie le comité de prendre le temps de s’attaquer à cette question.

Présenter un témoignage devant cet auguste comité ne m’apporte aucune joie aujourd’hui, et aucun mot élégant ne peut déguiser la triste réalité qui assaille non seulement les Canadiens juifs, mais, de manière fondamentale, tous les Canadiens. Veuillez excuser la franchise de mes commentaires.

Il y a une crise de la haine des Juifs au Canada. L’antisémitisme découlant de l’extrême droite, de la gauche radicale et, pour être honnête, de segments des communautés musulmanes et arabes; c’est ironique, étant donné qu’elles ont également été victimes de discrimination et de haine.

Le premier ministre a qualifié la hausse récente de l’antisémitisme de terrifiante, et il a raison. Les statistiques sont sidérantes. Depuis le 7 octobre, il y a eu une augmentation de 93 % des crimes haineux à Toronto, dont la majorité a été dirigée contre la communauté juive. À Vancouver, les signalements d’antisémitisme ont augmenté de 62 % en 2023 par rapport à 2022; 70 % de ces incidents sont survenus après le 7 octobre.

À Ottawa, la capitale nationale, le nombre global d’incidents haineux a augmenté de près de 20 % en 2023. Alors que les Juifs ne forment qu’environ 1,4 % de la population, les incidents ciblant la communauté juive à Ottawa comprennent 23 % d’incidents haineux déclarés en 2023.

Je pourrais mentionner que nous avons récemment appris que les deux jeunes personnes accusées d’infractions de terrorisme plus tôt cette année planifiaient de poser des bombes lors d’un événement juif ici, sur la Colline du Parlement, ou que notre ancien ministre de la Justice et défenseur des droits de la personne, Irwin Cotler, avait besoin d’une protection de la GRC 24 heures par jour, sept jours par semaine, ayant été la cible de stratagèmes d’assassinat terroriste présumé par des agents iraniens pour avoir critiqué ouvertement ce régime.

Je pourrais mentionner que des écoles juives à Montréal sont la cible de tirs ou que des menaces à la bombe ciblent des écoles juives à Toronto ou que des synagogues de partout au pays font l’objet d’un piquetage et sont vandalisées; des manifestations se déroulent dans des quartiers juifs dans le seul but d’intimider leurs résidents; les entreprises appartenant à des Juifs sont défigurées, endommagées, boycottées et vandalisées.

Dans nos rues, nous entendons glorifier le terrorisme et la violence. Sur la Colline du Parlement, le cœur même de la démocratie du Canada, le 18 avril, nous avons entendu louanger l’attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas et ses sociétés affiliées qui ont assassiné 1 200 personnes en Israël. Le National Post et le Globe and Mail ont tous deux publié des déclarations, dont celle-ci :

Nos attaques de résistance sont la preuve que nous sommes presque libres… Longue vie au 7 octobre, longue vie à l’intifada, longue vie à toute forme de résistance.

Le 28 octobre à Montréal, un imam controversé s’est vu offrir le microphone et s’est exprimé ainsi en arabe :

Allah, occupe-toi de ces agresseurs sionistes… Allah, repère-les tous, puis extermine-les. Et n’épargne aucun d’eux.

Fait choquant, nous avons par la suite appris qu’il n’allait pas être accusé. Encore à Montréal, des cris scandant « mort aux Juifs » ont été entendus devant l’école juive. Le centre communautaire juif a été assiégé, des personnes ne pouvant pas sortir pendant des heures, puis ayant fini par être escortées par la police par la porte arrière.

La situation est devenue tellement mauvaise que les autorités étaient très passives, et la seule solution à laquelle la communauté pouvait recourir était de demander l’intervention des tribunaux, où elle a demandé des injonctions pour protéger nos institutions, un recours extraordinaire. Ces injonctions ont été accordées et prolongées à deux reprises. Ces injonctions, qui ont été respectées par des avocats au nom de notre communauté, étaient nécessaires à cause du défaut d’agir des autorités civiles.

Et la situation sur les campus pour les étudiants juifs est tout particulièrement troublante. Nous voyons des symboles haineux comme des swastikas qui défigurent les campus; des étudiants qui portent la kippa se font cracher dessus et traiter de « sales Juifs »; les mézouzas, le parchemin des écritures juives saintes qui se trouve dans les étuis distinctifs apposés aux montants de porte, sont arrachées dans les résidences; des commentaires discriminatoires ont été entendus dans des conférences où l’on prétend que les Juifs récoltent les organes ou le sang des non-Juifs; et il y a même des menaces de violence à visage découvert faites contre des étudiants juifs dès qu’il y a des menaces de détention et d’arrestation.

Des rabbins pacifiques, comme le rabbin Adam Scheier de Shaar Hashomayim à Montréal, et des journalistes juifs se font dire par la police de continuer leur chemin alors que les auteurs de la haine sont libres de cracher leur venin. Les étudiants et les membres du personnel enseignant me disent qu’ils évitent de signaler des incidents parce qu’ils craignent des représailles de la part de leurs professeurs et de leurs pairs.

Lorsqu’il y a des signalements de possibles préoccupations de sécurité, nous avons entendu de nombreux cas où les étudiants et les membres du corps enseignant juifs se sont fait conseiller de rester à la maison plutôt que de s’attaquer à la cause profonde de l’affaire. Les syndicats étudiants et les enseignants des campus de l’Ontario ont fait des déclarations qui soutenaient et célébraient la violence et la discrimination. Nous avons assisté à des manifestations sur les campus déguisées en formes légitimes de militantisme politique, qui se sont transformées en émeutes alors que l’on répandait une rhétorique haineuse et violente à l’endroit des Juifs, que l’on prive les étudiants de leurs droits à l’éducation et les professeurs de leurs engagements en matière d’enseignement.

Je vais être clair : la liberté universitaire et la liberté d’expression sont les piliers de nos valeurs en tant que pays et en tant que société, à la fois sur les campus et hors de ceux-ci. Mais lorsque les lignes sont franchies et que les politiques ne sont pas appliquées, cela ébranle la confiance de notre communauté, notre confiance dans le système que nous soutenons.

À ce stade, les mots ne suffisent plus. Nous en avons assez entendu. Nous avons besoin d’une action de la part du gouvernement. Permettez-moi d’offrir, en conclusion, quelques brefs commentaires, sur lesquels je serai heureux d’en dire plus dans le reste de notre temps ensemble.

Premièrement, il est urgent que le gouvernement convoque un forum national pour lutter contre les crimes haineux, le terrorisme et l’antisémitisme, en réunissant des chefs fédéraux, provinciaux et municipaux, ainsi que les forces d’application de la loi, pour coordonner les efforts et garantir l’application uniforme non seulement des lois de lutte contre la haine, mais de la loi en général pour ce qui est de protéger les communautés vulnérables et à risque.

Deuxièmement, nous devons renforcer l’application des lois criminelles du Canada. Je pense que Mark Sandler, un intervenant que vous entendrez bientôt, a des idées très précises sur ce à quoi cela devrait ressembler. En général, nous devons nous assurer que des accusations, y compris celles d’intimidation criminelle, de rassemblement illégal et de propagande haineuse, sont portées contre les personnes qui font la promotion de la violence ou incitent à la haine contre les Juifs. Nous devons renforcer la formation judiciaire et la formation sur l’application de la loi inspirée d’initiatives passées, comme les protections de lutte contre l’intimidation qu’offre le projet de loi C-3, pour équiper les représentants des outils nécessaires pour reconnaître l’antisémitisme et y réagir tout en utilisant la définition d’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, ou AIMH, adoptée par le gouvernement fédéral et de nombreuses autres provinces.

Troisièmement, nous devons renforcer les programmes de sécurité communautaire en établissant des liaisons dédiées au sein des forces de l’ordre, en créant des unités spécialisées sur les crimes haineux et en améliorant l’échange de renseignements pour réagir à la hausse des menaces.

Enfin, nous devons réagir à la radicalisation et à l’extrémisme, notamment en interdisant les symboles terroristes et en sévissant contre la glorification du terrorisme, qui donne du pouvoir aux extrémistes et compromet la sécurité canadienne.

Honorables sénateurs et sénatrices, il est maintenant temps d’agir. Je termine par là où j’ai commencé : cela ne concerne pas seulement les Juifs. Nous sommes une proie facile, comme le canari dans la mine de charbon. Comme le dit le dicton, ce qui commence par les Juifs ne se termine jamais par les Juifs.

Je suis reconnaissant de votre temps et je serais ravi de participer à la conversation, si le temps le permet.

La présidente : Merci de votre exposé. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Sénateurs et sénatrices, je vous rappelle que vous avez cinq minutes pour vos questions et vos réponses. Si le temps le permet, nous pourrons également passer au deuxième tour. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Bernard.

La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente. Monsieur Fogel, merci de votre franchise. Je vous remercie de tout ce que vous avez dit.

Je me demande si vous pouvez nous parler un peu de vos perspectives sur l’impact. Quel est l’impact de l’antisémitisme sur la communauté juive?

M. Fogel : Merci, sénatrice Bernard. Permettez-moi un instant de m’écarter pour m’aventurer dans le domaine très personnel.

Je suis enfant de survivants de l’Holocauste; mes deux parents. Et ce qui les rend peut-être exceptionnels, c’est que lorsqu’ils ont été accueillis à bras ouverts par le Canada, ils ont eu une deuxième occasion de presque renaître. Ils ont chéri leur vie ici au Canada. Ils voyaient le Canada comme un endroit magnifique et exceptionnel où bâtir leur vie, fonder une famille et contribuer à la communauté.

Je suis presque reconnaissant qu’ils ne soient plus avec nous, parce que, pour tant de survivants que je rencontre, je vois cette peur paralysante à mesure que les signaux commencent à apparaître et que commencent à se manifester les comportements qui leur rappellent ce à quoi ils ont survécu.

Je peux vous dire que nous sommes maintenant à deux, trois et même quatre générations depuis l’Holocauste, et de nombreux Canadiens juifs n’ont vécu que très peu d’antisémitisme flagrant ou agressif. Ce n’est plus le cas. Ils sont rongés par l’anxiété et la peur. Ils sont frustrés par un système qui ne remplit pas son contrat social. Ils sont fâchés. Ils sont inquiets et ils recherchent des solutions. Certains espèrent que les personnes qui assument la responsabilité de favoriser une société inclusive, tolérante et respectueuse se manifesteront et apporteront les types de solutions et les remèdes qui repousseront cette haine, haine qui, je le souligne, n’est pas exclusivement dirigée contre les Juifs, mais qui est devenue banalisée à cause de l’expression de la haine contre les Juifs plus que tout autre groupe.

Mais je vais vous dire franchement, madame la sénatrice, qu’il y a des personnes qui recherchent d’autres options. Elles cherchent à déménager. Elles encouragent leurs enfants à chercher un environnement plus stable et plus sécuritaire. Ce que cela me dit, c’est qu’elles abandonnent. En l’absence de signaux et d’actions de la part des autorités et de la part de la société civile en général, cela ne fera que s’accélérer et que s’aggraver au cours des prochains jours, semaines et mois. Nous pouvons difficilement nous le permettre.

La sénatrice Bernard : Merci. Vous avez évoqué le lien entre l’antisémitisme et d’autres formes de racisme et de bigoterie. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces liens alors que vous les observez et en faites l’expérience?

M. Fogel : Je ne pense pas, madame la sénatrice, que ce soit un secret que, en particulier compte tenu du rôle des médias sociaux ces dernières années, c’est comme si tous les filtres ont été enlevés. Toutes les contraintes imposées aux gens, ce qu’ils disent et ce qu’ils pensent deviennent maintenant presque un fil automatiquement ininterrompu qui suit son cours jusqu’aux médias sociaux. Les jeunes cohortes en particulier reçoivent la plupart de leurs renseignements par l’entremise de diverses chaînes de médias sociaux. Ce qu’elles apprennent de la haine qui vient d’exploser sur ces plateformes de médias sociaux, c’est que c’est correct.

C’est ce que j’entends par le terme « banalisé ». Lorsque vous êtes à l’aise d’exprimer de la haine, du dédain et de la discrimination ou des préjugés à l’endroit d’un groupe donné, vous vous engagez sur une pente très glissante lorsque vous appliquez ce type de type de sentiment ou d’animosité à d’autres. Il semble que le facteur commun soit cette idée de « l’autre ». Tous ceux qui n’ont pas les mêmes attributs particuliers que vous, souvent définis par vous-même, deviennent une proie et un exutoire à toutes les frustrations que vous voulez exprimer ou auxquelles vous voulez céder.

Je pense que, alors que nous tolérons de plus en plus un climat qui favorise ce type d’expression, cela devient non seulement banalisé, cela devient la norme. Nous, en particulier les dirigeants politiques du pays, devons faire savoir par nos paroles et nos actes que ce point de vue est relégué aux coins les plus sombres de notre société.

La sénatrice Bernard : Merci.

La présidente : Avant de continuer, je veux présenter ma collègue qui se joint à nous.

La sénatrice Osler : Flordeliz (Gigi) Osler, du Manitoba.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie, monsieur Fogel, de votre témoignage. L’antisémitisme au Canada n’est pas un phénomène nouveau. C’est manifestement un phénomène montant, comme vous l’avez dit, et il s’aggrave. Les médias en font régulièrement état.

J’aimerais savoir si vous pensez qu’il y a peut-être une indifférence face à cette question ou s’il s’agit d’un manque de connaissance. Nous n’avons pas beaucoup de champions publics, sauf pour les Canadiens juifs, qui s’expriment contre l’antisémitisme, et l’antisémitisme ne touche pas au cœur même de ce que cela signifie d’être Canadien.

À votre avis, est-ce que le grand public, par exemple, comprend bien ce qu’est l’antisémitisme? Comment le gouvernement, de manière générale, comprend-il l’antisémitisme? Quel est l’obstacle à l’action que vous réclamez?

M. Fogel : Merci beaucoup, sénateur Arnot. Je dois diviser la question en deux. Il y a de bonnes nouvelles, des nouvelles encourageantes. Nous avons entrepris, comme l’ont fait certaines de nos organisations sœurs, une quantité importante de recherches depuis 2021, lorsque nous avons commencé à constater une augmentation mesurable et importante de la haine. Je suis heureux de dire que, systématiquement, les études révèlent que la plupart des Canadiens ne nourrissent pas de points de vue antisémites. C’est la bonne nouvelle. Le principal problème, c’est que la plupart des gens ne comprennent pas l’antisémitisme, et si nous ne le décortiquons pas et ne sommes pas en mesure d’exposer ce à quoi il ressemble, comment il s’exprime et comment il se manifeste, les Canadiens s’opposent à l’antisémitisme, mais ne sont pas convaincus que les Juifs en sont victimes.

La deuxième dimension, toutefois — et je suis sûr, honorables sénateurs et sénatrices, que vous l’avez vu dans un très grand nombre de contextes différents — c’est que nous vivons dans un environnement où il faut être exceptionnellement brave, souvent, pour adopter une position de principe, parce que le politicien ou le chef de la société civile qui le fait s’attire le même type d’attaque et d’agression que ceux que vous défendez.

Je ne sais pas si nous devrions la qualifier de « culture de l’annulation » ou « cancel culture », mais intervenir sur des questions comme celle-là, c’est comme attirer la foudre sur soi. Faute d’une approche coordonnée, cohérente et soutenue qui attire tout un éventail d’acteurs, pas seulement ceux du domaine public, mais aussi sur le plan géographique dans tout le pays, il devient très difficile pour les gens d’être motivés à se lever, à faire ce qu’il faut et à dire ce qu’il faut.

D’autres considérations doivent entrer dans la réflexion sur les recours offerts ou les recours que l’on doit introduire pour repousser la haine en général, ce type d’intolérance, et dans notre contexte particulier, la haine contre les Juifs.

Le sénateur Arnot : Quel devrait être le rôle des initiatives d’éducation pour réagir à ces questions? Je pense particulièrement au système de la maternelle à la douzième année ou au système universitaire.

M. Fogel : Le seul espoir à long terme est l’éducation. Je vous remercie d’en parler, parce que je veux soulever un autre point. Même si nous parlons d’enfants sur les plateformes de médias sociaux, essentiellement, il s’agit de la participation involontaire ou irréfléchie à la haine. Je n’ai pas de statistiques pour appuyer mes propos, mais je dirais que peut-être 20 % de ceux qui expriment de la haine y croient fermement. Les autres ne sont qu’ignorants. Ils ne sont pas sensibles à ce que les paroles veulent dire. Ils ne peuvent pas savoir ce que cela signifie pour la cible. Dans le cadre d’un programme d’éducation intentionnel, que ce soit les études sur l’Holocauste ou les stratégies de lutte contre le racisme qui ont été adoptées dans de nombreuses parties du pays et aussi à l’échelle fédérale, nous pouvons toucher les gens et augmenter leur niveau de sensibilité.

Madame la présidente, si vous me donnez une minute de plus, je vous ferai part d’initiatives que j’ai présentées au gouvernement à quelques occasions. Je pense que nous utilisons toujours de nombreux impératifs et intérêts concurrents pour éteindre les feux plutôt que pour corriger le filage du système électrique.

Ce n’est pas par accident que j’ai mentionné plusieurs fois la question des médias sociaux. Je pense que l’une des initiatives importantes que les gouvernements, en particulier à l’échelle fédérale, mais aussi à l’échelle provinciale, devraient envisager est un programme de littératie en matière de médias sociaux.

Je peux l’expliquer très simplement en vous demandant de vous rappeler, sans aucun jugement normatif, la décision du gouvernement fédéral de légaliser la marijuana et les produits du cannabis. Il a commencé son processus en adoptant un point de vue législatif et réglementaire et ainsi de suite, et peu de temps après, il a reçu des appels de nombreux professionnels de soins de santé. Puis, ces professionnels ont dit : pas si vite. Vous devez reconnaître que la consommation de produits du cannabis comporte certains risques. Cela importe peu qu’il s’agisse de produits comestibles ou de ceux qui sont inhalés, mais mélanger le cannabis et l’alcool amplifie les effets de la drogue. Les produits comestibles ne se décomposent pas dans le corps de la même manière que les produits inhalés, alors le consommateur ne ressentira aucun effet; il en prendra davantage, car le processus d’absorption et d’assimilation dans l’organisme est beaucoup plus lent. Et soudainement, il commencera à ressentir les effets de manière très exagérée.

Ces professionnels des soins de santé ont aussi dit que vous deviez entreprendre un programme pour renseigner les gens sur les conséquences de la consommation de cannabis. Ce n’est pas pour dire oui ou non, mais juste pour qu’ils puissent savoir, tout comme le fait qu’on ne peut pas conduire en état d’ébriété, qu’il y a des mesures à prendre pour s’assurer de consommer le produit en toute sécurité.

Le gouvernement a entrepris un programme de littératie en matière de marijuana de 18 mois, qui a rejoint efficacement tous les Canadiens et transmis le message d’une utilisation responsable du cannabis pour les personnes qui choisissent d’en consommer.

Je dis que nous devons faire la même chose avec les médias sociaux. Les jeunes en particulier doivent savoir à quoi ressemble la haine, ce qui constitue des violations et ce qui constitue de l’intimidation sur les médias sociaux. Ils doivent savoir comment les signaler, vers qui se tourner et quoi faire. Je suis absolument convaincu que si nous entreprenons ce type de programme — pour revenir, monsieur le sénateur, à votre idée du rôle de l’éducation — nous pourrions contribuer à changer la quantité de haine qui est consommée puis republiée, si je peux utiliser ce terme.

La sénatrice Senior : Merci d’être ici. Vous avez parlé de convoquer un forum national sur les crimes haineux, et j’aimerais savoir ce qui pourrait ressortir de ce forum particulier, selon vous. Je veux également reprendre là où vous vous êtes arrêté, mais peut-être à partir d’un angle légèrement différent, c’est-à-dire que l’on doit parler davantage de la haine en ligne. J’entends la stratégie concernant l’utilisation d’une approche d’enseignement numérique, en particulier pour les jeunes, mais je suis aussi curieuse par rapport à l’utilisation de plateformes qui servent à propager du contenu antisémite et j’aimerais savoir lesquelles vous considérez comme les plus dangereuses pour ce qui est de cette utilisation.

M. Fogel : Merci. Par rapport à votre première question, à ce forum national, sénateurs et sénatrices, vous vous rappelez peut-être que, il y a quelques années — cela fait peut-être trois ans maintenant — nous avons fait une demande au gouvernement, et il a répondu en convoquant un sommet d’urgence sur l’antisémitisme. Les participants à cet exercice comprenaient des représentants de divers échelons du gouvernement, mais aussi un très grand nombre d’intervenants de sections différentes, Juifs et non-Juifs, qui se sont vu offrir la possibilité de raconter leur expérience vécue et d’aider d’autres personnes à comprendre et à reconnaître ce à quoi elles étaient confrontées.

Cette fois-ci, nous pensons qu’un forum devrait être beaucoup plus ciblé, et les participants devraient provenir de paliers de gouvernement différents, à la fois des représentants élus et des représentants ministériels. Nous parlons ici d’application de la loi, de la communauté du renseignement, des procureurs généraux, de la Couronne, de la sécurité publique qui, dans bon nombre des provinces, complètent le ministère fédéral de la Sécurité publique. Tous ces experts devraient se réunir afin d’élaborer un programme exhaustif qui va s’attaquer à toutes les différentes dimensions de la haine et à la réponse nécessaire à celle-ci.

Ce que nous envisageons, sénatrice Senior, est un mécanisme de signalement uniforme dans l’ensemble du pays. Nous recherchons des normes cohérentes d’une province à l’autre pour pouvoir reconnaître ce à quoi ressemblent les crimes haineux, savoir quelles sont les options, les dispositions dans le Code criminel et les autres recours offerts pour y réagir. On doit former les forces de l’ordre et les procureurs de la Couronne, parce que l’un des problèmes, si je peux juste en dire plus un instant, c’est qu’il y a des responsables de l’application de la loi, et partant du principe qu’ils sont de bonne foi, dévoués et engagés, ils veulent faire la bonne chose. Ils repèrent un crime haineux, font enquête, portent des accusations, puis renvoient l’affaire à la Couronne, et la Couronne, pour quelque raison que ce soit, décide de ne pas poursuivre l’affaire. Le message qui revient à la police est que notre investissement en temps, en énergie et en argent pour poursuivre cette enquête n’aboutit jamais à sa conclusion logique, soit que la Couronne dépose des accusations et intente des poursuites. Elle perd donc l’incitatif d’aller de l’avant avec ces types d’accusations, et elle change d’approche, comme elle l’a fait presque partout au pays, pour désamorcer les tensions; gardons-les séparés, assurons-nous qu’il n’y a pas de contact physique qui ferait exploser les choses, et c’est assez.

Ce sont les types de comportements auxquels un forum national sur la haine et l’antisémitisme pourrait réagir, je pense. Il y a aussi une dimension que j’ai mentionnée plus tôt concernant la radicalisation et l’extrémisme. Autrefois, c’étaient les agences du renseignement qui s’en occupaient. Elles investissaient dans le long terme. Elles ont créé des relations avec des communautés vulnérables différentes et ont travaillé avec celles-ci pour éloigner les personnes les plus vulnérables dans des communautés particulières du radicalisme et les amener vers quelque chose de plus constructif, à la fois pour elles et pour leur communauté. C’est ce qu’il faut : un mouvement délibéré, ciblé et où l’engagement est partagé, pas seulement pour se rencontrer, mais pour agir. C’était pour la première question.

Pour ce qui est de la haine en ligne, le CIJA est un défenseur. En fait, il a créé la coalition à la suite de laquelle les gouvernements ont proposé une législation sur les méfaits en ligne connue sous le nom de projet de loi C-63, qui s’est heurté à de nombreux obstacles lorsqu’il a été présenté, et on ne sait pas exactement ce qui en résultera. Il visait à traiter de nombreux impératifs différents, tout ce qui va des risques particuliers pour les enfants à la haine en général. Et le plan était, et je pense que ce l’est toujours, de reconnaître que tous les intervenants — et cela comprend le gouvernement, les géants des médias sociaux, les plateformes sur lesquelles la haine est facilitée et la société civile canadienne — se doivent de contribuer à réduire la menace des méfaits en ligne.

L’un des grands défis — eh bien, il y en a deux, si nous voulons être francs. L’un des grands défis, ou le sujet qui me préoccupe, c’est l’ancien article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, où il y a des impératifs contradictoires. D’un côté, il faut protéger la liberté d’expression et, de l’autre, il faut protéger contre la haine. Il existe une énorme tension entre les deux, certains étant partisans d’une liberté d’expression presque absolue, tandis que d’autres affirment que certains discours sont interdits. Il faut clarifier la question, et cela doit faire partie de la culture de la société canadienne. Cette question n’a pas encore été réglée, et nous devons trouver des moyens créatifs de parvenir à un équilibre entre ces deux impératifs contradictoires si nous voulons aller de l’avant.

La sénatrice Pate : Merci de votre témoignage. En fait, je voulais reprendre là où vous venez de vous arrêter. Je vais parler en mon nom. Je travaille depuis de nombreuses années sur la façon de lutter contre les discours haineux visant les Autochtones, les Noirs, les femmes et les personnes de genre non conforme. Je suis d’accord, on oppose souvent ce problème à celui d’autres groupes. Je suis curieuse... En ce moment, l’antisémitisme, la misogynie et l’antiracisme sont en hausse. Nous constatons une augmentation de l’intolérance dans un certain nombre de domaines et un manque de confiance envers le gouvernement également. Comment voyez-vous les efforts déployés pour surmonter ces obstacles? Ou voyez-vous des façons particulières dont cela diffère fondamentalement des types de haine qui sont depuis longtemps un problème? Je dirais que l’antisémitisme est un problème depuis longtemps et que nous avons constaté une augmentation ces dernières années dans toutes ces sphères.

M. Fogel : Merci, sénatrice, de votre question. Je pense qu’elle est profonde. Je ne suis pas sûr que nous aurions le temps aujourd’hui d’approfondir vraiment la question d’une façon qui soit juste.

Je dirai deux choses. La première fait référence à un commentaire que j’ai fait plus tôt, selon lequel il semble que dans le contexte plus large — peut-être en partie à cause de la polarisation, peut-être en partie du fait que les gens fonctionnent dans leur propre chambre d’écho, ce qui les coupe de l’expérience des autres — il y a une tension qui ne se limite pas au Canada. Ce genre de choses n’a pas de frontières, mais on le ressent certainement ici. Lorsque vous tirez sur un chandail tricoté, vous tirez sur un petit fil, et il se défait d’une manière qui échappe à tout contrôle, et bientôt votre chandail est en lambeaux. Nous l’avons constaté au cours des dernières années, dans un passé récent : cette permission — cette justification que d’autres dans ces chambres d’écho fournissent à ceux qui diffusent la haine ou l’expriment — les a enhardis, surtout en l’absence d’une réaction très forte et soutenue qui transcende la rhétorique.

Il y a une autre dimension, et je terminerai là-dessus, compte tenu du temps. Mon argument d’ouverture était que nous parlons ici des Juifs et qu’il y a, Dieu sait que c’est le cas, de bonnes raisons de s’intéresser de près à l’expérience juive ici au Canada, mais il ne s’agit pas seulement des Juifs. L’une des choses que nous devons faire — et ce n’est pas seulement le rôle du gouvernement — est de tendre la main et d’établir ce genre de partenariats de collaboration entre différents groupes. Au-delà des groupes à risque ou menacés, il faut attirer les gens de la société canadienne dans son ensemble, faire cause commune et être capable de reconnaître que le pouvoir de l’action collective et de la détermination unifiée à repousser les limites, à exiger que nous adhérions aux valeurs canadiennes fondamentales et à établir une norme en dessous de laquelle les Canadiens ne sont pas autorisés à aller serait une force très puissante pour nous amener vers un monde meilleur.

Le sénateur K. Wells : Merci d’être ici aujourd’hui. La riche discussion sur les nombreux enjeux que vous avez soulevés pourrait bien éclairer ce symposium national où nous aurions plus de temps pour les approfondir. Je garde en tête deux choses. Tout d’abord, votre dernier commentaire sur l’importance de l’alliance et du rassemblement des communautés minoritaires. Personnellement, je n’oublierai jamais le moment où la communauté juive s’est rangée du côté de la communauté LGBTQ devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Delwin Vriend, qui s’est battue pour que l’orientation sexuelle soit intégrée au Code des droits de la personne de l’Alberta à l’époque. Et Lyle Kanee, qui a déclaré que nous devons franchir ensemble les portes de l’égalité et que personne ne devrait être laissé pour compte. Nous serions bien avisés de nous souvenir de ces leçons de l’histoire et de l’importance de nous rassembler, en particulier à une époque où toutes nos communautés minoritaires sont attaquées à divers degrés.

Je voulais revenir à un aspect dont nous n’avons pas parlé et que vous avez mentionné dans votre déclaration liminaire sur la nécessité pour la communauté juive de s’adresser aux tribunaux pour obtenir un contrôle judiciaire concernant sa sécurité. Je me demande ce que vous pensez de la législation sur les zones bulles. Cela s’applique aux écoles, aux lieux de culte ou aux centres culturels; pensez-vous que c’est utile plutôt que de devoir chaque fois demander un contrôle judiciaire, qui est souvent limité dans le temps? Nous ne voulons pas considérer cela comme une solution; c’est plutôt une façon d’assurer la sécurité — lorsque les gens ont même peur de sortir en public, de tendre la main à leur communauté et d’accéder aux services offerts à de nombreux autres membres de la communauté sans crainte ni menace.

M. Fogel : Merci.

Je ne veux pas rejeter la responsabilité, sénateur, mais après avoir discuté avec Mark Sandler, qui fera partie du prochain groupe de témoins et qui est nettement plus expert dans le domaine des questions juridiques, je crois qu’il a une opinion très précise à ce sujet.

Toutefois, en guise de commentaire général — pour que vous ne pensiez pas que je tente d’éluder votre question —, je suis un partisan de la législation sur les zones bulles. Je pense que nous avons vu que cela fonctionnait dans les cliniques d’avortement, où cette pratique a été introduite pour la première fois, et précisément pour la raison que vous avez évoquée : elle offre un sentiment de sécurité qui permet aux personnes d’accéder à des lieux importants pour leur identité et leur expression culturelle ou religieuse. Elle envoie un signal à ceux qui voudraient menacer ces lieux, leur indiquant qu’il existe des limites à ne pas franchir.

Cela envoie aussi le genre de signal ressemblant presque à une indication non verbale qui oblige les gens à réfléchir à ce qu’ils font et aux conséquences pour les autres. Si notre thèse est vraie — que la plupart des gens sont de bonne volonté — cela les inciterait à réfléchir à la question de savoir s’ils veulent être en compagnie de ceux qui représentent ce genre de menace.

La sénatrice Osler : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui.

Je vais revenir à l’éducation. Vous en avez parlé brièvement, ce qui signifie que l’éducation est la solution. Connaissez-vous des initiatives éducatives, peu importe la façon dont elles sont présentées — en ligne, en personne, par l’intermédiaire des médias sociaux —, à n’importe quel niveau — municipal, provincial, fédéral —, qui sont efficaces et qui contribuent à réduire l’antisémitisme? Si vous en connaissez, qu’est-ce qui fait qu’une telle initiative fonctionne?

M. Fogel : La réponse est oui, mais je n’ai pas de données empiriques pour l’appuyer. Encore une fois, vous devez vous fier à mes impressions anecdotiques, qui sont fondées sur des discussions.

Ici, en Ontario, le gouvernement a parrainé une série de vidéos de lutte contre le racisme, y compris l’antisémitisme, destinées aux jeunes. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a une maxime dans les Proverbes que je traduirai ainsi : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre. » Si nous devions nous asseoir autour d’une table pour dîner et discuter, nous aurions une discussion très complexe et de haut niveau sur tout ce qui touche au comportement de la société, aux endroits où la haine s’infiltre, et cetera.

Cela ne trouverait aucun écho auprès d’un enfant.

Ces vidéos, que nous avons produites, ont ensuite été diffusées dans quelques autres provinces, traduites en français pour être utilisées au Québec. Elles ont suscité une réaction très positive de la part des étudiants qui ont participé au programme. Je ne revendique aucun mérite personnel à ce sujet — des collègues à moi ont aidé à la conception —, mais c’est parce qu’ils ont traduit le tout dans un langage et des concepts auxquels les enfants pouvaient s’identifier.

Parfois, je pense que nous risquons d’obtenir moins en essayant d’obtenir plus. Si nous procédons par petites étapes dans le langage, l’approche et le style — car il s’agit non pas seulement d’une fonction, mais d’une forme — alors je pense que nous avons la possibilité d’atteindre les enfants d’une manière qui aura un impact, avec laquelle ils seront d’accord et qui leur permettra de se souvenir.

On m’a dit un jour qu’il fallait diffuser huit fois les publicités radio avant que quelqu’un commence à se souvenir du produit ou de la marque. Je pense que nous devons considérer ce genre de défi de la même manière : il faut que ce soit soutenu, continu, cohérent et que ce soit une « mélodie » qui résonne juste à leurs oreilles.

Ce n’est peut-être pas la seule solution, mais il n’y a pas de solution unique. Nous devons considérer cela selon la « méthode du salami », une façon pour ma femme de dire qu’au lieu de prendre un gros morceau, on le coupe en petits morceaux. Il est préférable de le prendre et de l’utiliser de cette façon.

La présidente : Monsieur Fogel, j’ai écrit et griffonné quelques mots de ce que vous avez dit. Ce qui m’a le plus marquée, c’est que vous avez mentionné précisément l’année 2021, lorsque vous avez constaté une montée de l’antisémitisme. Pourriez-vous nous dire quelle a été l’origine de cette montée?

Par ailleurs, vous avez parlé d’une résistance forte et soutenue. De qui devrait-elle venir? Du gouvernement? Pensez-vous que le gouvernement en fait suffisamment pour sensibiliser le public aux crimes haineux en général?

M. Fogel : Merci, madame la présidente.

En ce qui concerne votre première question, 2021 a marqué la convergence de deux choses : la première était le conflit précédent entre Israël et le Hamas à Gaza, qui était très intense, bien que beaucoup plus court que celui que nous vivons actuellement. Il a coïncidé avec le moment où les médias sociaux sont devenus le moyen par excellence par lequel l’information était communiquée. C’est à ce moment-là que TikTok a explosé et qu’Instagram est devenu l’application de référence pour les jeunes. Pour la première fois, nous avons vu le pouvoir des médias sociaux de définir le sujet du débat public.

Avec toute la technologie, nous avons vu des robots amplifier de manière virtuelle et fallacieuse différentes idées. Nous avons vu l’omniprésence des plateformes de médias sociaux et la nature même des médias sociaux. Le modèle économique des plateformes de médias sociaux ne se contente pas de se nourrir des éléments les plus extrêmes, intenses, agressifs et provocateurs; il en a besoin pour réussir, car c’est ce qui génère des visites, des mentions « j’aime », des partages, et cetera.

Par conséquent, 2021 a vraiment été le point culminant de l’explosion de cette situation. Depuis, nous avons pris de plus en plus de retard.

C’était en réponse à la question sur 2021.

La présidente : Pensez-vous que le gouvernement en fait assez?

M. Fogel : Bon… Oui.

La présidente : Vous avez parlé d’une résistance forte et soutenue, et je demandais de qui elle devrait venir.

M. Fogel : J’ai vécu pendant toute ma carrière dans l’enceinte parlementaire. Non seulement j’ai un profond respect, mais j’éprouve également de l’affection et de l’admiration pour les personnes qui occupent une charge publique. C’est toujours dangereux de faire ces déclarations généralisées, mais je pense que le gouvernement a véritablement échoué.

Je vais sortir de cette enceinte parlementaire, et je vais m’en prendre à certaines municipalités, sans les nommer. J’ai vu des maires qui n’ont pas su relever le défi de veiller à ce que leurs agents des forces de l’ordre agissent de manière appropriée. Nous avons vu des politiciens, à tous les niveaux du gouvernement, formuler des messages appropriés, mais ils n’ont pas su concrétiser ces messages pour résoudre les problèmes sur lesquels ils ont attiré l’attention.

Lorsque je parle de résistance soutenue, je parle d’une approche qui fait correspondre les actes aux mots. Cette approche n’est pas épisodique, mais elle reconnaît que l’attention doit être axée sur le problème, pas juste lorsqu’il y a un décès, une victime ou une ville en feu, comme Montréal il y a quelques semaines. Elle doit être continue. Selon ce qu’on dit, chaque semaine que McDonald ne fait pas de publicité, il perd 3 % de sa part de marché. Si les gouvernements, en tant que leaders, en tant qu’entités qui fixent les normes et les attentes que tout le monde doit suivre, ne s’engagent pas à le faire de façon régulière et continue, s’ils ne tiennent pas leur parole en prenant des mesures concrètes, il n’y a aucune possibilité de faire reculer et de refouler la haine qui commence à s’enraciner.

C’est non pas une menace, mais plutôt une alerte, un avertissement. Ce que ma communauté est en train de vivre, chaque partie de la société canadienne le vivra d’une façon ou d’une autre. Voici ce qui se passe : ce ne sont pas juste les communautés à risque qui souffrent, ce sont également les personnes qui nourrissent la haine de façon passive ou de façon complaisante. Il y a un impact dévastateur et toxique qui touche tout le monde, et c’est sur quoi nous devons concentrer nos efforts afin de le contrer, et de veiller à ce que les valeurs canadiennes que nous chérissons soient en vie, dynamiques, et protègent tout ce qui nous tient à cœur.

La présidente : Merci. Sénateur Arnot, vous avez demandé à ce que nous ayons une deuxième tour. Je vais le permettre, mais veuillez le faire en trois minutes, pour les questions et réponses.

Le sénateur Arnot : Je pense que M. Fogel a conclu avec une déclaration très forte. La seule question que je poserais à M. Fogel, c’est la suivante : s’il y a un message que vous voudriez donner au comité au sujet du travail que nous allons effectuer et de l’objectif que nous devons atteindre, que serait-il?

M. Fogel : Je dirais deux choses. La première, c’est que les leaders sont censés nous orienter. Ils sont censés nous montrer le chemin. Certes, nous allons vous offrir certaines solutions, vous exprimer un soutien, et participer, mais c’est à vous de diriger. C’est votre travail.

La deuxième chose que je dirais, c’est que les gouvernements disposent d’un autre moyen par lequel ils peuvent offrir du soutien. C’est ce dont nous avions discuté tout à l’heure lorsque nous avions parlé d’alliances, de partenariats et de collaboration. Donnez-nous les mécanismes et les outils. La plupart des communautés ne disposent vraiment pas des ressources nécessaires pour mettre sur pied des initiatives et des partenariats perfectionnés. Notre pays est un très grand pays, et il y a des enclaves différentes qui vivent dans des endroits disparates aux quatre coins de ce territoire magnifique. Donnez-nous les mécanismes et les ressources pour former ces coalitions et ces partenariats qui vont compléter votre leadership et pour montrer que votre leadership tire parti d’une réactivité dynamique et engagée des intervenants dans tout le pays.

La présidente : Merci, monsieur Fogel. Nous sommes très reconnaissants de votre présence et de votre exposé. Vous pouvez voir l’intérêt qu’il a suscité, et votre témoignage nous guidera au long du processus.

Honorables sénateurs, nous avons demandé à notre deuxième série de témoins de faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Et ensuite, nous allons passer aux questions des sénateurs.

Avec nous à la table, veuillez accueillir Mark Sandler, président de l’Alliance des Canadiens contre l’antisémitisme. Avec nous par vidéoconférence, veuillez accueillir Karen Moch, consultante des droits de la personne et présidente de Enhancing Social Justice Education Group, ancienne directrice générale de la Fondation canadienne des relations raciales et de Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada.

J’invite à présent M. Sandler à faire sa déclaration, et j’inviterai ensuite Mme Mock à faire la sienne. Je tiens également à souligner que notre collègue nous a rejoints, et il va se présenter.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario. Merci.

La présidente : Merci. Monsieur Sandler, allez-y.

Mark Sandler, président, Alliance des Canadiens contre l’antisémitisme : Merci, madame la présidente, et merci à votre comité du travail important que vous effectuez, et merci de m’avoir invité à vous fournir mon aide.

Je suis ici pour deux raisons différentes. Je m’adresse à vous en tant que personne qui a lutté contre l’antisémitisme et d’autres formes de haine, qu’il s’agisse d’islamophobie, de la haine à l’égard de la communauté LGBTQ2S+, à l’égard de la communauté autochtone et de la communauté noire pendant plus de 40 ans.

Je suis également ici, comme vous l’avez entendu, en tant que président de l’Alliance des Canadiens contre l’antisémitisme. C’est une alliance qui regroupe aujourd’hui 48 organisations communautaires, des membres juifs et non juifs, qui ont pour mission de lutter contre l’antisémitisme et la haine par l’entremise de la promotion, de l’éducation, de la formation et du dialogue respectueux.

Je tiens à m’adresser à vous à ces deux chapitres. J’ai également formé des agents de police et des procureurs sur la façon de contrer la haine depuis les années 1980, et ce besoin est plus que jamais nécessaire aujourd’hui.

Le 7 octobre de l’année dernière, la vie des Juifs canadiens a changé de façon irrévocable. Bien entendu, les Canadiens sensés, pas juste les Juifs, ont déploré ce que le Hamas a fait, mais presque immédiatement et avant même qu’un seul soldat israélien ne mette les pieds à Gaza, des manifestants au Canada ont célébré les barbaries du Hamas. Parmi les personnes assassinées, on compte l’Israélo-Canadienne Vivian Silver, une militante pour la paix et la fondatrice de l’organisation Women Wage Peace et du Centre juif-arabe pour l’égalité, l’autonomisation et la coopération. Elle a également participé à de nombreux autres projets.

Plus tard dans le conflit, nous avons vu des manifestants au Canada encourager l’Iran, le plus grand commanditaire de la terreur au monde, lorsqu’il a lancé une fusée jamais vue et des attaques de drone contre Israël. Nous avons ensuite entendu les manifestants scander « Rends nous fiers, Yémen » lorsque les Houthis ont attaqué un navire dans la mer Rouge.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les Houthis, qui soi-disant rendent ces manifestants fiers, ont commis certaines des pires violations des droits de la personne en s’en prenant aux enfants et aux femmes, et ont mené la guerre en répétant le slogan « Allah est le plus grand, Mort à l’Amérique, Mort à Israël, Malédiction aux Juifs, Victoire à l’islam. »

Dans un article intitulé, Confronting the Celebration of Barbarity, j’ai décrit l’impact que la célébration des atrocités au Canada a eu sur moi, et sur la grande majorité de la communauté juive. Le conflit au Moyen-Orient a été amené sur nos rives, dans nos villes, dans nos écoles, et dans nos rues.

Cette célébration a été accompagnée au Canada par la diabolisation trop fréquente des Juifs canadiens, en dépit de nos opinions politiques personnelles, la diabolisation des Juifs et de leurs alliés sionistes, de tous les Israéliens et de l’État d’Israël lui-même.

Pour que ce soit clair, je suis sioniste, tout comme 91 % des Juifs canadiens. Un sioniste appuie l’existence d’un seul État juif sur nos terres ancestrales. Ce n’est pas incompatible avec l’autodétermination palestinienne, y compris une solution ultime à deux États, chose que la majorité des Juifs et des sionistes appuient.

Lorsque les manifestants chantent « Mort à tous les sionistes », « Tous les sionistes sont odieux, racistes et appuient le génocide, » sans faire de distinction, ils parlent de moi et de la grande majorité des juifs.

Tous les Canadiens ont le droit de critiquer le gouvernement d’Israël, ses politiques, sa conduite ou son extrémisme de la même façon qu’ils critiquent d’autres pays. Les Israéliens, les Juifs, les sionistes, et moi-même faisons partie des personnes qui formulent certaines des critiques les plus sévères à son endroit. Mais personne n’a le droit de diaboliser, et de délégitimer l’existence même d’Israël et tous ceux qui appuient son existence. C’est de l’antisémitisme.

En fait, le Canada permet aux marchands de haine de déformer la signification de la liberté d’expression et de réunion — des libertés auxquelles je tiens particulièrement — ce qui leur évite de rendre des comptes.

De ce point de vue, il s’agit d’une déformation de la réalité. Lorsque les gens affirment que la définition ad hoc de l’antisémitisme de l’Association internationale pour la mémoire de l’Holocauste — qui a été adoptée par 43 pays, dont le Canada, après des décennies d’étude — étouffe le discours propalestinien, elle fait précisément l’inverse. Elle reconnaît de manière explicite que la simple critique d’Israël fait partie de la liberté d’expression protégée.

Je vous demande, mesdames et messieurs les sénateurs, de comparer cela avec la demande de mise à mort de tous les sionistes, surtout lorsque je dis que 91 % des Juifs canadiens sont sionistes. Ce n’est pas de la liberté d’expression. Le fait d’étiqueter tous les sionistes, sans faire de distinction, comme étant racistes, des personnes appuyant le génocide et des partisans du mal, ce n’est pas de la liberté d’expression.

Le fait de chanter « Du fleuve à la mer, la Palestine sera arabe » ou « La Palestine sera débarrassée des Juifs », ce n’est pas de la liberté d’expression. Demander la destruction violente de l’État d’Israël et des personnes qui le soutiennent, ce n’est pas de la liberté d’expression. Le fait d’intimider les Juifs canadiens en choisissant délibérément de manifester à des endroits situés proches des centres communautaires, des lieux de culte, d’affaires, de quartiers juifs, ou en bloquant les routes ou l’accès aux espaces accessibles au public, afin de faire passer des messages haineux, je suis désolé, mais ce n’est pas de la liberté d’expression.

Le fait de clamer le soutien d’organisations terroristes désignées et leurs leaders terroristes, cela ne peut pas être perçu comme de la liberté d’expression. Et le fait d’inciter à déclencher une intifada mondiale par l’entremise d’une résistance armée par tous les moyens nécessaires alors que le contexte fait clairement comprendre qu’on veut détruire l’intégralité de l’État d’Israël, ce n’est pas de la liberté d’expression.

C’est un discours haineux criminel. C’est de l’intimidation criminelle. C’est de l’incitation à la haine. C’est un acte malveillant. C’est une réunion illégale, et il est temps que tous les Canadiens bienveillants le disent et prennent des mesures en conséquence.

Dans le mémoire que je vous ai fourni, j’ai exposé 10 raisons pour lesquelles l’antisémitisme est si répandu à l’heure actuelle. Je vous les remets. Je serai heureux de fournir plus d’explications sur ces 10 éléments. J’ai fourni des détails sur pratiquement chacun d’entre eux et je vous ai fourni des liens qui renvoient à ce que j’ai écrit dans le passé.

Dans mon mémoire, j’ai exposé 10 recommandations, qui, selon moi, pourraient faire l’objet d’une adoption par le comité, et qui pourraient véritablement changer la façon dont le Canada lutte contre les activités haineuses.

Mais, si je devais expliciter un thème, un seul, ce serait le suivant : nous n’exploitons pas assez les mesures existantes prévues par la loi pénale, auxquelles notre pays a accès, pour lutter contre les crimes haineux. Au besoin, j’expliquerai la raison pour laquelle je pense que la loi pénale est sous-exploitée. Mais nous voyons son application inégale dans le pays. Nous voyons que son mauvais usage et sa sous-utilisation encouragent les personnes qui prêchent la haine, et cela nous affecte tous.

Je garde en réserve tous mes autres commentaires pour toutes les autres questions qui me seront adressées. Merci.

La présidente : Merci. Nous allons à présent donner la parole à Mme Mock.

Karen Mock, consultante des droits de la personne et présidente, Enhancing Social Justice Education Group, ancienne directrice générale de la Fondation canadienne des relations raciales et de la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, à titre personnel : J’aurais espéré être avec vous en personne. J’utilise Zoom, depuis le territoire algonquin à Muskoka, où nous sommes ensevelis sous la neige. Il y a quelques minutes, nous avons eu une coupure de courant.

Merci de m’inclure dans cette réunion importante, qui tombe à point nommé. Je suis honorée d’avoir été invitée à titre personnel, bien qu’en réalité je travaille avec la plupart des organisations communautaires qui vont probablement soumettre des mémoires.

Certaines de ces organisations — désolée pour les mots relâchés — de l’extrême droite dans notre communauté pourraient dire : « Pourquoi est-ce que vous voudriez la faire venir? C’est une sioniste progressiste. » Elles déforment la signification du mot « progressiste ».

Certaines des personnes de l’extrême gauche dans notre communauté pourraient dire : « Pourquoi est-ce que vous voudriez la faire venir? C’est une sioniste. » Elles déformeraient la signification du terme « sioniste » dans l’intérêt de leur programme politique.

J’ai eu beaucoup de plaisir à écouter Shimon Fogel. Dans le passé, j’ai travaillé au comité de partenariat local de son Centre consultatif des relations juives et israéliennes, dans la région du Grand Toronto.

Je suis très heureuse de figurer dans la même série de témoins que Mark Sandler, car je travaille avec des membres de son alliance, surtout en ce qui concerne le dialogue respectueux. J’ai travaillé avec M. Sandler durant de nombreuses années, dans plusieurs programmes de dialogue et initiatives de formation complète de lutte contre la haine.

Je suis contente de passer en dernier. J’aimerais dire que je suis tout à fait d’accord avec ce qu’ont dit les deux intervenants précédents. Ce que j’aimerais faire, c’est commenter davantage d’autres aspects où je pourrais apporter une contribution.

C’est important que j’aborde le sujet en tant que psychologue scolaire et consultante en droits de la personne qui a passé sa vie à combler les lacunes entre la théorie, la politique et la pratique, non pas seulement la pratique et la théorie en éducation, non pas seulement la pratique et la théorie en psychologie, mais aussi dans le cadre de politiques canadiennes clés sur le multiculturalisme, l’antiracisme, l’équité et les droits de la personne, que l’on appelle aujourd’hui des politiques et des programmes axés sur la diversité, l’équité et l’inclusion.

Au départ, j’étais professeure en formation des enseignants. Puis, je me suis engagée à temps plein dans la défense des droits de la personne vers la fin des années 1980, quand nous avons commencé à voir que l’antisémitisme prenait plus de place dans le mouvement de lutte contre le racisme.

J’ai été pendant 12 ans directrice nationale de la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, puis j’ai été nommée par le gouvernement fédéral à la tête de la Fondation canadienne des relations raciales, immédiatement après la Conférence mondiale contre le racisme des Nations unies, dans la foulée des attentats du 11 septembre.

Comme je l’ai dit lors du Sommet national sur l’antisémitisme du gouvernement fédéral, en 2021, je n’aurais pas pu travailler dans ce domaine aussi longtemps que je l’ai fait sans avoir l’espoir qu’un jour, nous saurions reconnaître et contrer toutes les formes d’oppression et trouverions le moyen de travailler ensemble pour réaliser la vision du Canada que nous sommes nombreux à entretenir.

Ce sommet s’est tenu il y a plus de trois ans. J’ai souligné aux participants, à ce moment-là, que j’étais moins optimiste, tout comme M. Fogel l’a dit. L’année 2021 a été toute une année. Je suis devenue un peu cynique et, pour une optimiste, c’est terrible parce que, comme je l’ai dit à l’époque : et ça recommence!

C’est ce que j’ai dit à l’époque. Je veux toutefois vous faire comprendre que les choses sont bien pires maintenant. Dans les années qui ont suivi 2021, on montait déjà des groupes les uns contre les autres.

Nous avons toujours dit qu’il ne faut pas hiérarchiser les oppressions. Mais, plutôt que de travailler ensemble, comme nous l’avions déjà fait, il semble qu’il y a de plus en plus de polarisation, de séparation et de compétition pour obtenir des fonds et de l’attention, et même de la hargne et de la violence entre les groupes.

On semble piétiner de plus en plus les principes fondamentaux des droits de la personne et de la justice pour tous et renoncer au partage des pouvoirs. Je vais vous faire parvenir davantage de documents écrits après la séance.

J’ai écrit en 1996 un article pour les professeurs d’un programme de formation des enseignants. Il était intitulé From Multiculturalism to Anti-Racism to Equity: Sharing Power or Grabbing Power? En gros, il était question de la lutte pour le pouvoir et l’équité.

Malheureusement, nous vivons ce genre de polarisation et, si j’ose le dire, une augmentation de la propagande et, comme vous l’avez entendu, de la propagande haineuse, des discours haineux et de la haine vitriolique.

Mon premier point, qui est aussi mon point principal, pour continuer dans la même veine que les autres, c’est que l’antisémitisme doit faire partie du programme de lutte contre le racisme. Oui, c’est une forme de racisme. Les Juifs sont racisés depuis l’Inquisition espagnole, et l’ont certainement été au XXe et maintenant au XXIe siècle. Il faut lutter contre cela à l’aide des mêmes arguments et des mêmes tactiques dont on se sert pour lutter contre toutes les autres formes de racisme et de phobies.

L’antisémitisme est aussi une forme de discrimination religieuse. C’est une forme particulière de racisme et on doit l’appeler ainsi. Le fait de nommer l’antisémitisme et le définir, comme on l’a déjà dit, ne bâillonne personne. Cela nous permet d’en discuter et de le dénoncer et de le contrer. Comme vous l’avez déjà entendu et comme vous le savez déjà, l’antisémitisme est cyclique et il change. Il change de forme. Quand les temps sont difficiles sur le plan économique, quand un fléau menace et attaque la civilisation, ou quand les gens cherchent quelqu’un à blâmer pour leurs problèmes, habituellement, pour se donner plus de pouvoir, ils ciblent les Juifs. Et, comme je l’ai dit, ça recommence!

Comme vous le savez, durant la COVID-19, il y a eu une forte augmentation des incidents antisémites et des crimes haineux et de nouvelles calomnies sanguinaires, et ça recommence!

Le 7 octobre 2023, le monde a été témoin d’une attaque vicieuse et brutale du Hamas contre Israël, durant un cessez‑le‑feu, la pire attaque depuis l’Holocauste, et il y a eu des otages. Comme vous l’avez entendu, même avant la réplique d’Israël et de la perte continue de vies innocentes, les Juifs au Canada ont été victimes d’une hausse du harcèlement antisémite à l’école, en milieu de travail et dans les rues. Cela m’attriste qu’ils vivent cela, même dans leurs communautés qui prônent l’équité, la diversité, l’antiracisme et les droits de la personne...

La présidente : Excusez-moi, madame Mock. Il ne nous reste pas beaucoup de temps. Si vous voulez ajouter quelque chose, vous pouvez toujours nous présenter des observations par écrit, mais j’ai ici une liste de sénateurs qui veulent vous poser des questions.

Mme Mock : Le temps a passé si vite que cela? Désolée de l’interruption. Je voulais répéter les recommandations, mais je vais le faire en répondant à vos questions, surtout en ce qui concerne mon domaine d’expertise, que vous connaissez.

La présidente : Merci. Excusez-moi de vous avoir interrompue. Je n’aime pas faire cela. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Bernard.

La sénatrice Bernard : Madame Mock, nous nous sommes rencontrées il y a quelques années lorsque vous faisiez partie de la Fondation canadienne des relations raciales.

Mme Mock : Oui, je m’en souviens.

La sénatrice Bernard : Je ne sais pas si le grand public canadien est très sensibilisé à l’antisémitisme et le comprend, ou s’il comprend le lien entre l’antisémitisme et les autres formes de racisme, de sectarisme, de discrimination et de haine. Pouvez‑vous nous en dire un peu plus, s’il vous plaît? Plus précisément, avez-vous dit qu’il y avait de l’antisémitisme au sein du mouvement de lutte contre le racisme? Pouvez-vous nous en parler un peu plus? Avez-vous des idées sur la façon dont nous pourrions sensibiliser davantage les gens à l’antisémitisme à l’échelle nationale?

Mme Mock : J’ai beaucoup d’idées, et plus tard, après avoir répondu aux questions, je vais conclure en formulant de vraies recommandations concrètes.

Une des raisons principales pour lesquelles les gens ne sont pas sensibilisés, c’est que de nombreux excellents programmes qui ont été élaborés et financés par le gouvernement au cours des 40 dernières années n’ont jamais pris d’ampleur. Grâce aux recommandations de Shimon Fogel et de Mark Sandler, nous pouvons vous fournir d’excellents outils de formation et d’excellentes ressources. Qu’ils s’adressent aux procureurs ou aux unités de lutte contre les crimes haineux, ces outils existent.

Dans le domaine de l’éducation, de l’excellent travail a été fait au cours des premières années du développement de l’éducation multiculturelle et antiraciste. La formation des gens et des enseignants à cet égard, dans les universités et les collèges, était inclusive. L’antisémitisme devrait être inclus dans la liste que les gens qualifieraient de « -isme » et de phobies.

Comme je l’ai exprimé il y a des années de cela, la conférence de Durban a été le point tournant; la guerre de Gaza de 2014, et comme l’a dit M. Fogel, la guerre de Gaza de 2021 ont été des points de bascule dans l’ignorance, en raison de certains programmes. Ces programmes de formation et ces programmes de financement servent... Et je dois être aussi franche que possible parce que cela me chagrine, et j’ai presque les larmes aux yeux de voir que ce travail est mis de côté. Les gens ont éliminé les programmes qui étaient censés devenir systémiques et qui devaient servir à former les enseignants et les policiers de façon continue. Si le gouvernement précédent met quelque chose en place, soit on le détruit, soit quelqu’un veut y mettre son nom, et donc, ça recommence.

J’ai toujours dit que c’était un champ interdisciplinaire. Comme M. Fogel et d’autres personnes l’ont dit, oui, nous devons tenir des sommets nationaux ou des forums, mais nous avons aussi besoin, comme il a été dit, de leaders et de bons conseillers professionnels pour ces leaders, indépendamment de la politique.

J’ai eu la chance de présider le Comité consultatif fédéral de 1990 à 1994, sous le gouvernement Mulroney, et ensuite de présider le Comité consultatif fédéral du gouvernement libéral en préparation à la Conférence de Durban, l’objectif étant que nous soyons inclusifs et que toutes les voix soient entendues.

Nous avons parlé de la formation des procureurs et d’autres personnes par ce genre de programmes. Le procureur général de l’Ontario a formé le Hates Crime Community Working Group, un groupe de travail communautaire sur les crimes haineux, composé de neuf personnes, un microcosme de notre société. Les bureaucrates ont été assiégés par ce genre de choses. Croyez‑moi, je ne suis pas du genre à critiquer les bonnes personnes qui travaillent jour et nuit sur ces enjeux, mais on nous a dit que cela prendrait environ un an et demi pour demander une étude.

J’ai demandé aux membres du comité de présenter tous les rapports, toutes les recommandations que leurs organisations avaient produits au cours des 10 dernières années. Je ne suis pas très grande, mais j’avais deux piles et elles m’arrivaient aux épaules. Les gens qui travaillaient dans les ministères et sont chargés de mettre ces choses en œuvre ne savaient pas que ces études existaient.

Encore une fois, je suis totalement d’accord avec ce qu’ont dit les intervenants précédents. J’espère que nos programmes de formation ont ce genre d’influence. Le groupe Enhancing Social Justice Education, sur l’éducation à la justice sociale, a été formé il y a 12 ans parce que dans certains établissements et certaines universités s’occupant de formation des enseignants, l’antisémitisme avait été retiré des programmes d’études sur la lutte contre le racisme et l’oppression sous prétexte que « nous ne devrions pas hiérarchiser l’oppression ». Ce sont les mêmes personnes qui tentaient d’enseigner comme on leur avait enseigné. Cela nous a pris des années pour aider les Blancs à comprendre toutes les formes de racisme. Vous entendiez : « Eh bien, je ne suis pas raciste. Je ne déteste pas les Noirs ». Maintenant, vous entendez des gens au travail dire : « Eh bien, nous ne sommes pas antisémites. Nous ne détestons pas les Juifs. » Ou, nous entendions des commentaires comme : « Nous n’avons pas besoin du Mois de l’histoire des Noirs, parce que nous n’avons pas beaucoup de Noirs dans notre conseil scolaire », et je répondrais...

La présidente : Merci, madame Mock. Nous devons poursuivre.

Mme Mock : J’espère que j’ai répondu à la question. Je ne peux pas m’empêcher de m’emporter.

La présidente : Il n’y a rien de mal à cela.

Le sénateur Arnot : J’ai une question pour M. Sandler et une autre pour Mme Mock.

Monsieur Sandler, vous formez les forces policières depuis environ 40 ans. Avons-nous besoin de nouvelles lois au Canada? Avons-nous besoin de meilleurs mécanismes pour faire respecter la loi? Vraiment, qu’est-ce que la police ne comprend pas? Pourquoi n’utilise-t-elle pas les outils qui sont déjà à sa disposition?

M. Sandler : Merci de la question, sénateur. Il faudrait amender plusieurs dispositions du Code criminel, selon ce qui est proposé, pour mieux traiter des activités haineuses.

Même si l’on peut apporter certains amendements, en particulier, par exemple, pour criminaliser l’utilisation de symboles terroristes, ce qui simplifierait la déclaration de culpabilité, je suis convaincu de voir que les dispositions actuelles du Code criminel permettent à la police, si elle le souhaite, de réagir efficacement devant les crimes haineux.

Il y a plusieurs facettes à ce problème, sénateur. Tout d’abord, on a mis l’accent sur la disposition Fomenter volontairement la haine, contenue dans le Code criminel, en excluant les dispositions conventionnelles qui s’y trouvent, et qui peuvent être efficaces.

J’ai entendu des gens dire : « Que pouvons-nous faire si des manifestants bloquent la rue et ont des discours haineux? » La disposition sur l’intimidation du Code criminel traite précisément du blocage des rues. La disposition Méfait, Gêner l’exploitation légitime ou la jouissance d’un bien est sous‑utilisée, la disposition Attroupement illégal est sous‑utilisée. Nous avons des dispositions conventionnelles dans le Code criminel qui sont tout à fait appropriées pour réagir aux activités haineuses dont nous sommes témoins; la police doit le comprendre et elle ne le comprend pas. Et c’est pour cette raison que la formation et l’éducation à cet égard sont si importantes.

L’autre chose, c’est que la liberté d’expression et la liberté de se rassembler ont été soumises à la mésinformation, ou, parfois, à la distorsion volontaire. J’ai comparu avec d’autres personnes, y compris M. Irwin Cotler, lorsque nous avons réussi à maintenir la constitutionnalité des dispositions sur les discours haineux contenues dans le Code criminel. On pourrait croire que nous avons perdu la bataille compte tenu de la façon dont on discute de ces choses de nos jours. Le Canada reconnaît qu’il y a des limites à la liberté d’expression dans une société libre et démocratique, mais il reste que la police hésite à appliquer ces dispositions, tout comme les procureurs. Selon moi, cela aussi doit faire partie d’une formation et d’un cours robustes. Mais nous avons besoin de l’appui et de la volonté politique des gouvernements pour appliquer davantage les dispositions du droit pénal. Des politiciens m’ont dit que l’on ne pouvait pas dire à un policier de déposer des accusations dans des cas précis. Ils ont tout à fait raison, mais les commissions de police élaborent des politiques sur l’ordre public. Donc, une politique qui appuie une application plus robuste du droit pénal afin de combattre la haine est non seulement à propos, elle est nécessaire.

Il est tout à fait approprié que les villes, les provinces et les gouvernements manifestent leur soutien à une application rigoureuse du droit pénal. On ne parle pas ici de mobiliser injustement les forces de l’ordre pour un cas précis. On parle plutôt d’annoncer à l’ensemble du pays que nous en avons assez des activités haineuses et qu’elles ne seront pas tolérées. Donc, selon moi, pour répondre à votre question, ce sont des choses qui doivent être considérées cumulativement.

Le sénateur Arnot : Madame Mock, vous êtes connue en tant qu’éducatrice et experte des droits de la personne, surtout pour les enjeux dont nous discutons aujourd’hui. Je crois que je vais vous poser la question suivante : que pouvons-nous faire pour vous aider à retrouver l’optimisme, et sur quelles recommandations notre étude devrait-elle déboucher? Quels impératifs stratégiques devons-nous recommander pour nous engager sur la bonne voie et obtenir les résultats que vous espérez?

Mme Mock : Comment pouvons-nous être à nouveau optimisme? Je crois que nous devons nous inspirer d’initiatives très importantes, qui ont donné de bons résultats. Comme on l’a dit tout à l’heure, les gens doivent comprendre qu’il est possible de joindre le geste à la parole, et nous pouvons diffuser les pratiques exemplaires, mais nous espérons que les chercheurs de votre rapport l’ont déjà en partie fait avant de recommander de réinventer la roue.

Je ne suis pas du genre à vouloir à tout prix maintenir les traditions. Nous devons faire bouger les choses. Nous devons comprendre Instagram et TikTok, mais je pense aussi aux anciens symposiums nationaux. Je pense au premier symposium national sur les crimes haineux, devenu international en 1994, et au premier symposium sur la haine en ligne, en 1997, et aux fantastiques documents de formation pour les forces de l’ordre et les procureurs, et aux formations données aux juges, comme vous le savez, monsieur Arnot, que j’appelais autrefois juge Arnot. C’est un mélange de la défense des intérêts et de la loi, ou de ce que j’ai appelé, dans mon manuel, « la protection, la prévention et le partenariat ».

Donc, lorsque vous posez la deuxième question sur mes aspirations et mes recommandations, je pense que j’aimerais aller plus loin que l’a fait M. Fogel. Je suis absolument en faveur d’un forum national, une fois que nous aurons rassemblé tous les documents et que nous aurons des informations à transmettre. Mais premièrement, pour ce qui est de la protection, j’aimerais que vous mettiez sur pied une entité locale, une entité qui rassemble les forces de l’ordre locales, provinciales et fédérales et des experts en renseignement et en sécurité pour l’échange de renseignements, pour des opérations de forces conjointes et pour de la formation, ainsi que pour la formation des formateurs, afin de freiner la montée de l’extrême droite et l’extrême gauche, qui menacent concrètement la démocratie.

Et, en même temps, nous devons continuer ce que M. Sandler a dit, à savoir renforcer et appliquer la loi contre la haine et la mettre à jour pour être à la hauteur de l’intensification de la haine en ligne.

Un autre souhait pour ce qui est de la prévention, c’est du soutien pour une éducation et une formation réellement inclusives et antiracistes, visant tant l’antisémitisme que la haine, à tous les échelons du système d’éducation. Et je sais que c’est un problème provincial, mais nous avons, par le passé, trouvé des moyens de soutenir des initiatives d’éducation.

Et cela doit comprendre tous les organismes et toutes les institutions gouvernementales et cibler des emplois spécifiques, y compris le personnel de sécurité et à la frontière, les forces armées, le personnel d’Affaires mondiales, les organismes subventionnaires, les services de police, les agents correctionnels et le personnel judiciaire. Nous devons nous fonder sur des programmes éprouvés enseignés par des experts eux-mêmes formés.

Oui, nous avons besoin de groupes de défense des intérêts, oui, nous avons besoin de groupes individuels, mais il faut soutenir le travail en continu.

Dernièrement, comme l’a recommandé de M. Fogel, il faut reconnaître l’importance des partenariats et de la solidarité. Nous sommes encore une fois dans l’ère du cloisonnement. Actuellement, les gouvernements soutiennent séparément les programmes des organismes et des commissions scolaires. Et maintenant, ils disent que nous devons travailler ensemble.

Les groupes juifs doivent s’allier à d’autres groupes dans une cause commune, mais le gouvernement devrait, encore une fois, soutenir les programmes réellement rassembleurs et prendre les devants pour valoriser la collaboration. Je vais en dire plus dans mes observations.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Cardozo : Merci à nos deux témoins d’être ici. J’ai une petite question rapide pour chacun de vous.

Monsieur Sandler, vous avez parlé de ce qui pourrait être fait pour renforcer le Code criminel. Selon vous, que devrait faire la police pendant une manifestation de grande envergure, voire une manifestation houleuse qui rassemble des centaines ou même des milliers de personnes? J’entends beaucoup parler des raisons pour lesquelles la police ne réagit pas, et je n’essaie pas de l’excuser, mais je me demandais si c’était une façon de désamorcer la situation, de ne pas intervenir dans l’espoir que la situation se calme, ou quelque chose de ce genre.

Que devrait faire la police dans un tel scénario? Devrait-elle arrêter deux ou trois personnes et les éloigner, au risque de créer un autre genre de problème?

M. Sandler : C’est une excellente question. Je devrais tout de suite signaler que j’ai participé à l’élaboration d’un cadre sur la désescalade des manifestations, donc je ne suis pas contre la désescalade en soi, mais voici ce que je conseillerais à la police dans une telle situation : premièrement, il n’a rien de mal à gérer la situation sur une base temporaire et à porter des accusations après l’événement. Ce n’est pas toujours la solution, mais cela ne veut pas nécessairement dire que vous êtes impuissant parce que vous ne pouvez pas procéder immédiatement à des arrestations pendant une manifestation de milliers de personnes. Donc, les accusations après l’événement sont possibles.

Le sénateur Cardozo : Comment pouvez-vous identifier les personnes qui seront accusées?

M. Sandler : D’abord et avant tout, j’ai déjà recommandé à toutes les forces de l’ordre d’enregistrer sur vidéo, dès le début, les manifestations planifiées. La police devrait les filmer.

Deuxièmement, il y a dans le Code criminel des dispositions sur les déguisements interdisant les déguisements dans certains environnements, et je crois qu’elles pourraient être renforcées. Mais la police peut mener des activités de surveillance après l’événement pour identifier les personnes masquées, elle peut enregistrer sur vidéo l’événement pour identifier les personnes impliquées, elle peut intervenir discrètement — je l’ai déjà vu — pendant des rassemblements pour commencer le processus d’identification et de dialogue, puis porter des accusations après coup. La police peut également séparer et isoler des gens pendant un rassemblement. Il y a des techniques à la disposition des policiers, mais la réponse n’est pas de ne rien faire.

Parfois, j’entends des gens dire que, tant qu’aucun acte de violence n’est commis, les forces policières devraient seulement assurer le maintien immédiat de la paix, mais cela ne tient pas compte des préjudices subis par les communautés marginalisées lorsque ces rassemblements ont un caractère haineux. Les policiers ne sont pas impuissants, et ils peuvent utiliser diverses techniques.

Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup.

J’ai une petite question pour Mme Mock.

La présidente : Madame Mock, si vous le pouvez, soyez brève. Il reste environ neuf minutes, et trois sénateurs, y compris moi-même, ont des questions.

Le sénateur Cardozo : Je tiens à dire, pour le compte rendu, que j’ai la chance de connaître Mme Mock depuis longtemps; et elle est membre du conseil d’administration du Centre Pearson où j’ai travaillé pendant 10 ans avant de siéger au Sénat.

Rapidement, madame Mock, dans votre travail, au fil des ans, vous avez maintenu un dialogue avec la Fondation canadienne des relations raciales et avec les juifs et les musulmans. Selon vous, comment pouvons-nous faciliter le dialogue présentement? Je crois qu’il reste seulement une ou deux minutes.

La présidente : Une minute.

Mme Mock : En une minute.

Le sénateur Cardozo : Oui.

Mme Mock : C’est bien là le problème. Je me ferais un plaisir d’exposer les lignes directrices pour le dialogue. Jeudi, notre groupe tiendra un symposium appelé Arrêtez la haine, initiez le dialogue. J’ai un peu de difficulté avec le mot « initier », parce que tout le monde dit qu’il faut initier le dialogue et améliorer l’inclusivité de l’éducation. Nous devons nous inspirer des groupes qui ont débroussaillé les terrains et qui font ce travail depuis des années. Il y a une approche stratégique globale de facilitations; lorsqu’on me demande de rencontrer le personnel, je demande de tenir d’abord une réunion avec toutes les personnes responsables de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, pour former les formateurs.

Nous devrions rencontrer les gens qui ont réussi à soutenir le dialogue au fil des ans. Je suggère même d’organiser un forum pour montrer comment le dialogue peut se dérouler. Je crois que nous avons présenté, il y a des années, des exposés sur ce qui s’appelait le discours civilisé. Je ne sais pas si M. Fogel s’en souvient, mais il y a des années, on parlait d’un discours civilisé. Maintenant, on parle d’un dialogue respectueux. Notre travail au chapitre des dialogues entre les Arabes et entre les Juifs et les Palestiniens et les Juifs a été très important. Toutefois, je tiens à vous dire que c’est très difficile présentement. Nous devons nous montrer empathiques envers tous les camps, qui souffrent. Le travail que nous faisons, que vous faites et que font les autres membres du Sénat, au fil des ans, vise toujours à se mettre à la place de l’autre pour établir et renforcer, ensemble, les valeurs que le Canada défend.

La présidente : Merci.

La sénatrice Senior : Merci à vous deux d’être ici. Je voulais revenir un peu sur le passé, mais je ne vais pas le faire. Je pense à ce que j’ai vécu dans mon travail avec des gens de tous les camps, ou à la communauté juive, qui a offert son aide et a travaillé avec des leaders de la communauté noire comme Charles Roach et Dudley Laws lorsque, vers la fin des années 1980 et 1990, de jeunes hommes noirs ont été fusillés. Ces leaders m’ont fait comprendre l’importance de la solidarité, qu’elle était essentielle pour traiter les problèmes du jour. Je crois que c’est ce dont nous avons besoin, aujourd’hui.

Mais ma question est un peu différente. Selon vous, selon ce que vous avez étudié et appris, y a-t-il des régions dans le monde dont nous pourrions nous inspirer pour gérer les problèmes auxquels le Canada fait face?

Mme Mock : Est-ce que la question s’adresse à moi?

La sénatrice Senior : À vous deux, mais je crois que M. Sandler va répondre en premier.

M. Sandler : J’aimerais pouvoir dire que je suis stimulé par le travail qui se fait dans d’autres régions. Je suis, moi aussi, un tenant du dialogue respectueux, et certaines initiatives menées aux États-Unis, par exemple, au Collège de Dartmouth, me redonnent espoir.

Au Collège de Dartmouth, immédiatement après l’événement du 7 octobre, un dialogue a été établi, et un professeur juif du Moyen-Orient ainsi qu’un professeur musulman du Moyen-Orient ont conjointement donné un cours sur le Moyen-Orient, et la réponse des étudiants a été positive.

Je participe présentement à un dialogue respectueux national, où nous espérons rassembler divers groupes, mais non pas simplement pour parler de l’antisémitisme et de ses manifestations actuelles; nous devons commencer par établir les règles de base par l’entremise d’un dialogue respectueux, comme l’a dit Mme Mock.

En établissant des règles de base, vous favorisez une écoute ouverte et la pensée critique, plutôt que l’endoctrinement par des professeurs. Certaines des initiatives que j’ai étudiées aux États-Unis ont été une réussite, pour cette raison.

La sénatrice Senior : Merci.

Mme Mock : Malheureusement, depuis le 7 octobre, à l’échelle mondiale, et même dans certains pays qui avaient commencé à faire tout cela avec brio, on a fait marche arrière. Mais c’est la nature de notre travail. Autrefois, lorsque nous travaillions dans l’éducation antiracisme et avec la communauté noire, nous avions l’habitude de dire que nous faisions 10 pas vers l’avant, et 9 pas vers l’arrière. Toutefois, quand il y avait une crise ou un bouleversement politique, c’était 20 pas vers l’arrière, et nous devions reprendre très lentement le travail.

Ce qui est intéressant, c’est que les meilleurs programmes se déroulent à Israël et en Palestine, parce que c’est une question de vie ou de mort là-bas, et que ces peuples savent qu’ils vont soit vivre ensemble, soit mourir ensemble. Il y a des programmes comme Les femmes font la paix, qui a un volet au Canada. Nous avons aussi des programmes Heart to Heart, de cœur à cœur, où nous invitons des adolescents juifs et palestiniens à venir collaborer, ici, au Canada, pour qu’ils agissent en tant que leaders une fois retournés dans leur pays. Il y a aussi des groupes comme l’Association des parents en deuil. Il y a également, au Canada, des programmes dirigés par des aînés autochtones. M. Maurice Switzer, de North Bay, un Anishinaabe ashkénaze, est un de nos conseillers. Il dit que nous sommes tous reliés dans les cercles de la vie.

Les Palestiniens et les Juifs de cette partie mal en point du monde savent qu’ils sont cousins. Les Arabes et les Juifs sont tous cousins. On dit que nos cousins sont nos premiers amis, mais ils peuvent aussi être nos rivaux. Il y a même une rivalité fraternelle, donc une lutte de pouvoirs. Comment pouvons-nous nous mettre à la place de quelqu’un d’autre? Quels vœux pouvons-nous formuler dans un pays, peu importe lequel, qui célèbre la démocratie?

Je veux revenir sur le sujet du Canada. Nous réunissions des gens pour mettre en pratique leurs théories et leurs politiques, non pas pour déformer ces théories afin de bâillonner et marginaliser un autre groupe, sans s’en rendre compte. Nous devons comprendre que nous sommes dans une société systématiquement raciste et systématiquement antisémite, et les gens ne reconnaissent pas qu’ils en sont complices, parce que c’est quelque chose qui est normalisé. Que ce soit dans les textes sacrés ou autour de la table de cuisine, la haine l’emporte sur l’amour, et on n’essaie pas de se mettre à la place des autres.

Il y a des modèles internationaux de haine et de lutte contre la haine, et nous pouvons vous parler de nos recherches et des initiatives menées dans d’autres pays. Depuis le 7 octobre, nous sommes à la recherche de pratiques exemplaires.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur K. Wells : Rapidement, j’ai une question pour M. Sandler.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit, sur la loi sur les manifestations et sur nos discussions précédentes au sujet des zones bulles. Vous savez peut-être qu’une contestation du règlement sur l’accès sécuritaire et inclusif de la Ville de Calgary a été rejetée par le tribunal, la semaine dernière. Bien sûr, ce règlement concernait uniquement les bibliothèques et les centres récréatifs. Il n’incluait pas les écoles, les centres culturels ou les lieux de culte.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Selon vous, est-ce que c’est un autre outil qui assure la liberté d’expression tout en augmentant la sécurité et l’inclusivité de la communauté?

M. Sandler : Je vais répondre sans équivoque. Je crois que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales ont le droit constitutionnel d’adopter des dispositions législatives sur les zones bulles, et que ces dispositions législatives peuvent être conçues de manière à ne pas porter de manière inconstitutionnelle atteinte à la liberté d’expression.

Je regarde ce qu’a fait la Ville de Vaughan. Je m’intéresse également à certaines dispositions législatives de la Colombie-Britannique, et, selon moi, les dispositions législatives sur les zones bulles peuvent renforcer la sécurité dans les communautés sans empêcher les gens d’exercer leur droit à la liberté d’expression.

La présidente : Le temps est officiellement écoulé, mais, monsieur Sandler, j’ai une petite question pour vous.

Dans quelle mesure les Canadiens perçoivent-ils le lien entre l’antisémitisme et les autres formes de racisme et d’intolérance? Vous avez parlé d’islamophobie. Quel est le lien entre l’antisémitisme et l’islamophobie?

M. Sandler : C’est une excellente question, je vous remercie. Premièrement, lorsqu’il y a des perturbations au Moyen-Orient, l’antisémitisme est l’islamophobie augmentent, nous le constations. Il y a sans aucun doute un lien entre les événements mondiaux et le niveau de haine ici, au Canada. L’antisémitisme a explosé, mais ce lien existe tout de même.

Nous devons cependant faire attention à la manière dont nous définissons certaines de ces manifestations de la haine. Nous devons définir la haine sans miner l’identité fondamentale d’autrui. Je vais illustrer cela par un exemple.

Nous parlons beaucoup, je le dis franchement, dans le cadre de stratégies antiracistes, d’introduire le concept du racisme antipalestinien. C’est un concept difficile. Je veux que ce soit clair; il est inadmissible de discriminer une personne parce qu’elle est Palestinienne, Arabe ou musulmane. Nous devons dénoncer toutes les formes de discrimination. Malheureusement, la définition du terme « racisme » antipalestinien est formulée de telle manière qu’elle exclut la légitimité du sionisme. En d’autres mots, parce que je suis sioniste, on m’accuse d’être raciste envers les Palestiniens. Nous ne pouvons pas nier l’identité fondamentale d’autrui par une définition.

Nous devons être prudents lorsque nous définissons nos stratégies antiracismes. Le Réseau des académiques canadien.ne.s engagé.e.s, un organisme de notre alliance, a produit un excellent document sur les difficultés associées au racisme antipalestinien. Je vous recommande de le lire, vous y trouverez des réponses à votre question.

La présidente : Merci beaucoup.

Je remercie tous les témoins au nom du comité. Merci de vos témoignages. Ils nous seront très utiles à nos discussions et à notre étude.

Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, la partie publique de la séance est terminée. Nous allons poursuivre à huis clos pour discuter de l’ébauche du rapport.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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