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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement


LE COMITÉ PERMANENT DU RÈGLEMENT, DE LA PROCÉDURE ET DES DROITS DU PARLEMENT

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 28 mars 2023

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd’hui, à 9 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier des amendements possibles au Règlement, conformément à l’article 12-7(2)a) du Règlement.

La sénatrice Diane Bellemare (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bienvenue au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Nous poursuivons aujourd’hui l’étude de la structure et des mandats des comités. La semaine dernière, nous avons entendu Mme Shaila Anwar, qui a présenté une analyse plus macro de la situation et nous a donné des chiffres sur les réunions, les projets de loi et les budgets des différents comités.

Aujourd’hui, nous commençons nos audiences avec les comités eux-mêmes. Nous avons invité, pour chacun des comités, les présidents et les vice-présidents actuels et précédents, de même que les anciens sénateurs qui ont participé activement à ces comités pour qu’ils nous donnent leur perspective sur les travaux qu’ils ont faits, sur la façon dont ils voient la mission de leur comité par rapport à la mission du Sénat et sur toutes sortes de questions liées à l’organisation des travaux des comités.

Nous avons demandé à chacun de préparer des remarques d’introduction.

Sans plus tarder, nous allons commencer le débat, parce que nous avons devant nous aujourd’hui le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous avons quatre sénateurs. Nous allons procéder par ordre alphabétique en commençant par le sénateur Boisvenu, qui sera suivi des sénateurs Cotter, Jaffer et Joyal.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : C’est un honneur, d’autant plus que je suis parmi des collègues actuels et anciens. Normalement, vous auriez dû commencer par celui qui a déjà été président du comité, qui a fait un travail formidable et avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir.

Je siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles depuis 14 ans, dont 8 ans comme vice-président. J’y suis presque né.

C’est l’un des comités — sans vouloir déprécier les autres — qui a une charge de travail énorme, particulièrement sur le plan législatif. De plus, lorsqu’il en a le temps — ce qui est rare —, il réalise des études particulières. L’une des dernières études qu’il a réalisées est celle sur les délais dans le système judiciaire, dont le rapport a fait office de référence.

Le premier commentaire que je ferais par rapport au travail du comité a trait à la charge de travail. Je pense qu’on sous-estime la charge de travail et les répercussions de cette dernière. C’est la raison de la nature expéditive de nos travaux.

On l’a vu récemment avec des projets de loi gouvernementaux qui avaient été adoptés à la Chambre des communes ou qui étaient à l’étude au Sénat. On a vraiment expédié ces travaux pour respecter les délais du gouvernement. L’étude expéditive de ces projets de loi a des répercussions sur la qualité de nos travaux en ce qui a trait à l’écoute de nos témoins, à l’approfondissement des sujets et à la mission même du Sénat qui est une mission qualitative, et non quantitative.

Le deuxième élément qui existe depuis 2015 est la très grande représentativité de tous les groupes aux comités, qui a fait en sorte qu’on est passé de 8 à 11 membres. Je dirais que c’est le plus grand handicap. Pourquoi? Lorsqu’on est devant un comité, il y a trois témoins, et chaque sénateur a quatre minutes pour questionner des témoins qui ont des connaissances qui méritent d’être plus approfondies, plutôt que de simplement les glaner. Cela handicape aussi le travail du président du comité, qui devient un gardien du temps beaucoup plus qu’un animateur ou un leader qui tentera d’atteindre de grands consensus autour d’un projet de loi ou d’une étude.

Je pense que le Sénat se trouve devant un choix : allons-nous prioriser la représentativité au détriment de la qualité? Je pense que c’est notre choix. Personnellement, la qualité sera toujours ma priorité. Je vais toujours laisser du temps aux membres du comité qui ont de très grandes connaissances sur le plan législatif, afin qu’ils puissent discuter avec nos témoins, plutôt que de strictement les questionner. Je me mets à la place des témoins qui apparaissent devant le comité, qui sont trois ou quatre à la fois, et qui voient 11 personnes autour de la table qui ont quatre minutes chacune; c’est étourdissant. On ne fait que glaner les sujets, ce qui fait en sorte que lorsqu’on rédige nos rapports sur les projets de loi ou sur les études, on continue de glaner.

Je pense que les membres du comité peuvent faire plus et peuvent faire mieux et que c’est la structure même qui dégrade la qualité de notre travail actuellement.

Voilà ma réflexion. On prendra du temps pour échanger avec vous. Les deux points à retenir sont la nature expéditive en raison de la charge de travail et la nature qualitative au détriment de la quantité, qui handicape beaucoup notre travail au sein des comités.

[Traduction]

L’hon. Brent Cotter : Merci, madame la présidente et chers membres du comité. Je crois que c’est la première fois que je témoigne devant un comité du Sénat. C’est un grand honneur et je suis, à juste titre, très nerveux.

J’aimerais, si possible, faire trois ou quatre remarques simples. Comme vous le savez, je préside depuis peu le comité des affaires juridiques et constitutionnelles et, dans ce contexte, je pense qu’il est juste de dire que j’ai beaucoup appris sur la présidence des comités de la part d’autres personnes présentes dans cette salle. Je note la présence du sénateur Black et, en particulier dans le contexte du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, de la sénatrice Jaffer et du sénateur Boisvenu et, à distance et d’après ce que j’ai lu, de l’ancien sénateur Joyal. À cet égard, je m’en remettrai largement aux observations qu’ils ont formulées ou qu’ils formuleront, et je suis certain que je les soutiendrai.

En ce qui concerne le comité des affaires juridiques et constitutionnelles et dans le contexte de votre travail, j’ai trois points à faire valoir. Premièrement, sur la base de ma propre expérience et des renseignements statistiques recueillis par les greffiers au sujet des activités des comités, je pense qu’il est juste de dire que le comité des affaires juridiques et constitutionnelles est l’un des comités les plus actifs du Sénat. Je veux dire par là qu’il a une responsabilité centrale et substantielle en ce qui concerne l’examen d’une grande partie de la législation gouvernementale fondée sur le droit. Ce travail tend à être très discipliné et je pense qu’il est juste de dire que ce comité s’acquitte de cette tâche de manière adéquate et honorable, semaine après semaine. Il bénéficie du fait qu’il compte un nombre important de sénateurs ayant une formation juridique, mais aussi du point de vue de personnes qui, disons, ne baignent pas trop dans le droit.

Ce n’est pas sans conséquence. Les énormes responsabilités du comité semblent en effet l’empêcher d’entreprendre des études spéciales. C’est très important étant donné que nous n’avons pas le temps d’examiner les composantes du droit, et en particulier du droit pénal, de façon très ordonnée. Je crains que cette limitation nous empêche de mettre pleinement à profit l’expertise et l’enthousiasme des membres du comité. Si la nouvelle Commission du droit du Canada constitue un instrument utile pour cette étude plus complète, elle ne compense pas entièrement l’incapacité du Sénat, et en particulier de ce comité, à entreprendre de telles études, qui aboutissent souvent à des rapports très appréciés, utiles et précieux.

À certains égards, nous sommes à la source de nos propres problèmes. Je parle ici plus généralement du Sénat. Ce que je veux dire par là, c’est qu’une partie non négligeable de notre travail consiste généralement à examiner au coup par coup des amendements à des dispositions très précises du droit pénal, ce qui est compréhensible. Ces examens semblent souvent être des solutions de fortune, alors qu’un examen plus complet de certains segments du droit pénal semble être nécessaire. Très franchement, ce fait me préoccupe.

Mon deuxième point, qui est lié au premier, est que le comité perd parfois du temps en raison du chevauchement des activités de la Chambre du Sénat. À cet égard, il serait utile d’établir un accord ou un ordre standard en vertu duquel ce comité et peut-être deux ou trois autres des comités importants du Sénat pourront toujours se réunir simultanément lorsque le Sénat est confronté à ce type de conflit. Il est prévu que l’on aborde cette question au cours de la semaine prochaine, mais je pense que cette mesure serait utile. Tous les projets de loi que nous examinons ne sont pas urgents, mais comme l’a souligné le sénateur Boisvenu, c’est souvent le cas et, comme le montrent les circonstances actuelles, les projets de loi des sénateurs qui sont renvoyés à notre comité ou susceptibles de l’être dans un avenir proche s’accumulent, et il est quelque peu irrespectueux de devoir leur dire continuellement qu’il faudra des mois avant que nous soyons en mesure d’étudier et d’examiner leur projet de loi.

Troisièmement — et ce point est lié aux deux précédents — des discussions ont lieu de temps à autre pour renvoyer au comité certains projets de loi qui comptent une composante juridique significative liée au mandat principal du comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Compte tenu de la charge de travail du comité, je pense que ces projets de loi sont parfois renvoyés à d’autres comités à des fins de rapidité, alors qu’au moins certains aspects de ces projets de loi mériteraient d’être examinés par le comité. Je pourrais en citer un ou deux, si vous le souhaitez.

Bien que je comprenne que ces décisions soient prises ailleurs, il serait utile de disposer d’un protocole de travail en vertu duquel les décideurs consulteraient le président du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui, en consultation avec le groupe de direction ou le groupe directeur du comité, pourrait donner son avis sur le bien-fondé du renvoi d’un projet de loi ou d’une partie d’un projet de loi à ce comité. Je ne veux pas offenser les autres comités, mais un élément important d’un projet de loi, en particulier s’il a une incidence sur le Code criminel, devrait relever de la compétence de ce comité, ce qui n’est pas toujours le cas.

Permettez-moi de conclure en disant simplement que le fait de siéger à tous les comités du Sénat auxquels j’ai été associé a été une expérience très positive. Il a été pour moi un honneur de siéger au comité des affaires juridiques et constitutionnelles pendant le peu de temps où j’ai eu l’occasion de présider ce comité, qui est extrêmement bien soutenu par son greffier et son équipe de professionnels. La discipline et le professionnalisme dont nous faisons preuve dans l’exercice de nos responsabilités diffèrent quelque peu de ce qu’on observe dans d’autres comités, mais je pense que nous pourrions renforcer nos travaux et créer plus d’occasions de tirer parti de l’ensemble des compétences des sénateurs qui siègent au sein du comité. C’est un grand honneur pour moi de participer à ce travail.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, sénateur Cotter.

L’hon. Mobina S. B. Jaffer : Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Je suis très nerveuse. Je ne veux pas répéter ce que mes collègues ont dit, je vais donc aborder un autre sujet.

Je vais commencer par souligner que l’une des principales différences entre le Sénat et l’autre endroit est que notre mandat consiste non seulement à effectuer un second examen objectif, mais aussi à étudier de manière proactive les questions qui sont importantes pour les Canadiens, ce que ne peuvent pas faire les représentants élus.

Ayant siégé pendant de nombreuses années au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai réfléchi au mandat du comité des affaires juridiques et j’estime qu’il n’assume que la moitié de son mandat. Actuellement, le comité consacre son temps à l’étude des projets de loi du gouvernement et des projets de loi déposés par les sénateurs. À l’heure actuelle, le comité n’étudie normalement que les projets de loi du gouvernement, les révisions constitutionnelles et judiciaires et les projets de loi sur les élections. Il consacre la majeure partie de son temps à l’étude de la législation gouvernementale ou des projets de loi déposés par les sénateurs, ce qui lui laisse très peu de temps pour d’autres activités.

En plus d’apporter un second regard objectif, je pense que le comité doit également étudier des questions que l’autre endroit n’aurait jamais le temps d’étudier, comme par exemple :

Les dispositions relatives à l’examen de la loi révèlent une incertitude au moment de l’adoption du projet de loi et, faute de procéder à ces examens, des problèmes peuvent surgir dont le législateur ne sera pas informé et relativement auxquels il ne pourra prendre aucune mesure. Lorsqu’elle siégeait au sein de votre comité, Mme Anwar a déclaré qu’en général, le comité des affaires juridiques et constitutionnelles avait le temps de procéder à ses examens au début de la session, mais que le temps venait invariablement à manquer.

Les études. En tant que chambre chargée d’effectuer un second examen objectif, il est très important que nous réalisions des études sur des questions constitutionnelles et juridiques importantes. Je pense que c’est le rôle principal du Sénat. L’étude la plus récente a été réalisée en 2016 et a abouti à la production du rapport intitulé Justice différée, justice refusée. Nous n’avons pas été en mesure d’étudier les six recommandations que nous avions formulées dans ce rapport.

La troisième question que nous devons examiner est celle du retard dans la nomination des juges. Dans l’étude que nous avons réalisée sur les délais dans le système judiciaire, nous avons notamment formulé la recommandation suivante :

Le comité recommande au gouvernement du Canada de prendre des mesures immédiates pour assurer la mise en place d’un système qui permettra de procéder aux nominations à la magistrature nécessaires dans les cours supérieures provinciales le plus rapidement possible.

Le ministre a comparu la semaine dernière. Je l’ai interrogé à ce sujet, et je pense que la sénatrice Batters a fait de même. Je ne pense pas que nous ayons vraiment obtenu de réponse. Je pense qu’il s’agit d’une question très importante que le comité doit étudier.

La prochaine étape est la révision de notre Code criminel. Sa révision est absolument nécessaire, car il est devenu ingérable, et nous entendons constamment dire que nous devons le réviser. Comme vous pouvez l’imaginer, cette révision prendrait beaucoup de temps.

À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas mener à bien les tâches suivantes, qui figurent dans notre mandat : l’examen des lois, l’étude de questions juridiques importantes, les retards dans la nomination des juges et la révision du Code criminel. J’aimerais suggérer à votre comité d’envisager ce qui suit : à l’avenir, un comité complètement distinct devra étudier les questions que je viens d’énumérer, mais en attendant, nous devons suivre le modèle du comité de la défense, qui compte un sous-comité. Le comité principal étudie les lois émanant du gouvernement, les projets de loi d’initiative parlementaire, les révisions judiciaires et constitutionnelles et les élections, et le sous-comité étudie les questions que j’ai énumérées : l’examen des lois, les retards et les vacances dans le système judiciaire, l’étude des questions juridiques importantes et la révision du Code criminel.

Je vous demande respectueusement d’examiner la situation grave dans laquelle se trouve le comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui n’est pas en mesure d’exécuter le mandat qui lui a été confié. J’aimerais vous rappeler notre mandat : examiner les mesures législatives et les questions concernant les affaires juridiques et constitutionnelles en général, y compris le système de justice pénale et le Code criminel, les questions constitutionnelles et électorales, la dualité linguistique et juridique, les relations fédérales-provinciales, la réforme du droit et la plupart des projets de loi d’intérêt privé. Nous ne sommes pas en mesure de remplir notre mandat.

Je suis très heureuse que l’on réalise cette étude. Je vous remercie de votre attention.

[Français]

La présidente : Sénateur Joyal, bienvenue chez vous. La parole est à vous.

L’honorable Serge Joyal, c.p., ancien sénateur, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je ne crois pas que vous serez surpris si je vous dis que j’aurais payé pour être ici ce matin. Quel plaisir de revoir mes anciens collègues! Nous ne sommes plus collègues dans la même Chambre, mais nous sommes néanmoins restés amis et en contact au cours des dernières années, d’une manière ou d’une autre, malgré l’éloignement imposé par la pandémie, comme vous pouvez l’imaginer. On quitte le Sénat, mais le Sénat ne nous quitte jamais.

Je suis particulièrement privilégié ce matin de partager avec vous mes réflexions sur votre mandat. Ma première remarque se veut une réponse à une question posée par le sénateur Woo la semaine dernière, qui est la suivante : comment peut-on mesurer l’efficacité des comités?

[Traduction]

Vous vous souvenez certainement que Mme Anwar, qui est la greffière des comités, a fait référence au livre Protéger la démocratie canadienne. Vous ne serez donc pas surpris si je commence par faire de la publicité.

La présidente : Nous l’avons déjà acheté.

M. Joyal : Je n’en tire aucun bénéfice ou avantage, car j’ai cédé tous mes droits d’auteur au Centre canadien en gestion et politiques publiques dès le départ, ce qui signifie qu’il est gratuit. Je me réfère à ce livre. Il est important. Comme toujours au Sénat, nous devrions mettre les choses en contexte. Quel était l’objectif de ce livre que j’ai édité en 2003, soit il y a 20 ans?

Je suis arrivé au Sénat en 1997. J’y ai siégé pendant plus de 23 ans. Comme le sait le sénateur Boisvenu, j’ai siégé pendant 23 ans au comité des affaires juridiques et constitutionnelles. J’insiste sur ce point, non pas parce qu’il s’agit d’un test d’endurance, mais parce que ce fait est d’une certaine manière lié à la nature de cette institution. La principale caractéristique de cette dernière est ce que j’appellerais sa perspective à long terme dans l’étude de la législation. La « perspective à long terme » est synonyme de « mémoire institutionnelle ». Le terme « mémoire institutionnelle » sous-entend que cette mémoire n’est pas celle d’un sénateur particulier, mais celle de l’institution dans son ensemble.

Ma première remarque est que lorsque vous composez un comité comme le comité des affaires juridiques et constitutionnelles, vous devez assurer une certaine continuité dans cette composition. Vous ne pouvez pas commencer une nouvelle législature en disant : « Bon. Nous allons effacer le tableau et jongler avec les noms et en mettre un ici et un là. » Il est très important de veiller à la continuité de la composition de ce comité. Comme l’ont mentionné mes anciens collègues, ce dernier traite d’une question très précise, à savoir le droit. Il ne s’agit pas de la pêche ou des ressources naturelles. Ce n’est pas l’agriculture. C’est le droit. Qu’est-ce que le droit? Il s’agit de concepts. Nous étudions les concepts relatifs à notre rapport à la société ou à la structure et la manière dont ils évoluent. Si vous étudiez des concepts, vous effectuez un exercice très abstrait, et vous devez donc disposer de personnes qui maîtrisent ces concepts.

Je m’oppose fermement à l’idée que le comité des affaires juridiques et constitutionnelles ne soit composé que d’avocats. Ce serait la pire recette pour, disons, que la sauce prenne. Il doit constituer un échantillon des ressources intellectuelles du domaine du droit. Cela ne fait aucun doute. Qu’on le veuille ou non, nous avons besoin d’avocats. Je regarde mes collègues du Barreau présents autour de la table. Vous devez inclure des avocats, que cela vous plaise ou non. Il fut un temps, si vous regardez les statistiques qui figurent dans ce livre, où le Sénat était composé à plus de 40 % de juristes. Il en comptait tellement que l’on a entendu des critiques selon lesquelles le Sénat n’était pas représentatif de la diversité de la société canadienne. Ce comité doit comprendre un noyau de juristes, mais aussi des personnes qui savent ce qu’est la justice et ce que sont le droit et l’ordre dans la société — c’est-à-dire les forces de police et les groupes qui représentent les victimes, comme le fait le sénateur Boisvenu. La sénatrice Boniface en sait quelque chose grâce à son ancienne carrière. Nous devons disposer d’un échantillon équitable de représentants et de personnes qui possèdent une expertise et de l’expérience dans le domaine du droit et de l’ordre, non pas au sens politique partisan, mais au sens général de l’organisation de la société. Il doit également compter des personnes qui maîtrisent ce que j’appelle le domaine des sciences sociales, qui comprennent les problèmes familiaux et la discrimination systémique, des personnes qui ont vécu ou traversé ces épreuves pour qu’elles puissent apporter un point de vue qui complète le noyau du droit.

Madame la présidente, honorables sénateurs, je soutiens premièrement que vous ne pouvez plus accepter que le Sénat soit privé de 10 ou 20 % de ses forces. C’est épouvantable. Vous ne pouvez pas accepter que, pendant des années, 10 sièges du Sénat soient vacants. Nous ne sommes que 105 hommes et femmes. Les comités doivent s’appuyer sur les effectifs de sa composition. Regardez ce qui se passe à la Chambre des communes. Si un député démissionne, décède ou quitte la Chambre, le premier ministre doit déclencher une élection dans un délai très précis. Mais au Sénat, de nombreux sièges peuvent rester inoccupés pendant des années et des années. Que se passe-t-il alors? On appauvrit la capacité des comités. À mes yeux, il s’agit là d’un élément très important, que l’on ne peut pas mettre de côté ou oublier. Cette institution doit faire quelque chose pour inciter le système à veiller à ce que, après un certain temps, une motion puisse être adoptée et portée à l’attention des autorités afin de leur indiquer que six mois se sont écoulés, c’est-à-dire le même laps de temps qu’à la Chambre des communes. Au bout de six mois, vous adoptez une motion et vous demandez que les sièges soient pourvus. Je pense à mon collègue, le sénateur Wells, qui vient d’une province où il y a peu de sièges, mais où il y a beaucoup de travail à accomplir dans de nombreuses régions. Si vous laissez un siège vacant à Terre-Neuve, c’est 25 % de votre main-d’œuvre qui disparaît. Au Québec et en Ontario, la situation est différente, car il y a 24 sénateurs. Dans les petites provinces, un siège vacant a une incidence beaucoup plus importante. Voilà la première mesure que je vous suggère.

Ma deuxième suggestion concerne la manière de mesurer l’efficacité du comité. C’est la question clé. Il existe différentes échelles pour la mesurer. On peut la mesurer en fonction du nombre d’amendements présentés, mais il faut qualifier ces amendements. S’il s’agit d’un amendement visant à ajouter un point à la fin d’une phrase, je ne considère pas qu’il s’agit d’un amendement. Je parle d’amendements substantiels. Deuxièmement, vous devez examiner les observations formulées par les membres du comité. Elles concernent normalement les questions politiques les plus épineuses liées à un sujet. Je vais vous donner un exemple. Au sein de notre comité, nous avons formulé des observations — et je pense surtout à mon collègue, le sénateur Boisvenu, — sur la Loi électorale du Canada. À quelle conclusion sommes-nous parvenus dans nos observations? Nous avons demandé au gouvernement de revoir la loi en ce qui concerne l’ingérence étrangère. Je me souviens très bien d’être intervenu pour soutenir cette demande. La sénatrice Batters s’en souviendra aussi. À mon avis, ce qui se passe en ce moment à cet égard est une violation de l’article 3 de la Charte. La Charte stipule que chaque Canadien a le droit de voter. La Cour suprême a interprété ce droit de vote comme s’il signifiait que le gouvernement a la responsabilité de s’assurer que le système électoral fonctionne de manière à ce que chaque Canadien ait le droit de voter librement et que son vote soit compté, sans que des pays étrangers s’immiscent dans ce processus. Il me semble que notre comité a la capacité d’assurer le suivi de sa propre efficacité. Nous avons fait cette recommandation il y a quelques années, et cette recommandation est plus nécessaire que jamais aujourd’hui. Nous devons mesurer l’efficacité de notre comité en faisant un suivi des observations que nous annexons toujours à des mesures législatives sérieuses et importantes. J’aurai certainement l’occasion de donner suite à cette suggestion, car c’est un sujet qu’il est très nécessaire d’aborder et dont nous devrions discuter librement entre nous aujourd’hui.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Sénateur Joyal, je peux vous dire sans risquer de me tromper que quiconque se trouvant autour de cette table qui aurait dû payer pour venir vous entendre ce matin l’aurait fait.

[Traduction]

Je vous remercie de votre présence. Vous avez répondu à ma première question. Elle portait sur les compétences nécessaires pour siéger au sein de notre comité.

Je poserai une question plus générale à tout membre du groupe de témoins qui souhaite y répondre. Nous devons étudier le mandat et la composition de tous les comités. Sénateur Boisvenu, vous avez déclaré que notre comité, qui compte 12 membres, comporte trop de membres. Pensez-vous qu’une fois que nous aurons une image globale des comités, nous devrons tôt ou tard réduire le nombre de comités afin que les sénateurs siègent dans un moins grand nombre de comités et qu’ils aient plus de temps chaque semaine pour travailler au sein de chacun de leurs comités? Est-ce une option qui, pour nous quatre, semblerait raisonnable et réalisable?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour cette question très importante. Je pourrais amener deux pistes de solution. La première serait le statu quo, avec des conséquences qui seraient insatisfaisantes pour les témoins et pour les sénateurs, puisqu’on irait moins en profondeur.

L’autre option comporte deux possibilités. La première serait de créer un sous-comité, comme on l’a fait avec le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui étudierait des éléments moins essentiels qu’au Comité des affaires juridiques, comme les projets de loi privés, les études législatives et les études de projets de loi déjà adoptés à la Chambre des communes. La création d’un tel sous-comité contribuerait à libérer le comité.

L’autre possibilité serait d’augmenter le nombre d’heures. Quatre heures par semaine pour le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, c’est nettement insuffisant. C’est un comité qui devrait travailler huit heures par semaine s’il veut accomplir tout le travail requis.

Le sénateur Joyal a dit quelque chose de très important : il est inacceptable d’avoir des projets de loi privés au Sénat qui ne seront pas adoptés. Les sénateurs travaillent de longues heures afin de rédiger des projets de loi qui vont dormir au Sénat, parce que le comité n’a pas la possibilité de faire un travail en profondeur.

Ce sont donc les deux pistes de solution que je vous propose. Comme le sénateur Joyal l’a dit, il faut privilégier la qualité plutôt que la quantité.

La sénatrice Saint-Germain : J’ai mis sur la table une proposition, qui est d’avoir moins de comités qui siégeraient plus d’heures. Les comités peuvent dire la même chose, qu’ils ont des études à faire, des projets de loi non gouvernementaux à examiner, etc. Est-ce que vous croyez que cette perspective serait pertinente?

Le sénateur Boisvenu : Je laisse à votre discrétion le nombre de comités, car je n’ai pas d’opinion arrêtée à ce sujet. Mon expérience est au Comité des affaires juridiques, où je siège depuis 14 ans.

Il y a des éléments que le comité étudie qui pourraient être examinés par un sous-comité, comme le Comité de la défense le fait avec le Sous-comité des anciens combattants, ce que ne peut pas faire le Comité des affaires juridiques, qui a pourtant un volume de travail encore plus grand.

La sénatrice Saint-Germain : Ni le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Le sénateur Boisvenu : Ni le Comité de la régie interne. L’avenue intéressante serait donc d’avoir un sous-comité qui pourrait travailler quatre heures, tout comme le Comité des affaires juridiques; cela permettrait à celui-ci de travailler sur des éléments essentiels, comme les projets de loi non gouvernementaux.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être présents ce matin. C’est un plaisir de se retrouver entre collègues pour témoigner. Vous avez abordé un certain nombre de questions importantes aujourd’hui.

Je vais poser une question concernant les études préalables. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet, pendant que nous abordons un certain nombre de questions liées aux comités. Plus précisément, quelle est, selon vous, l’utilité des études préalables du comité des affaires juridiques? Il semble que ce soit un bon moyen de gérer son temps au lieu d’attendre l’arrivée massive de mesures législatives de l’autre endroit et d’être le groupe occupé en mai et juin. Trouvez-vous ces études utiles ou, en fin de compte, risquez-vous de manquer les informations qui vous parviennent si vous vous lancez de bonne foi dans une étude préalable? Je me demande également — et je pose peut-être la question à la sénatrice Jaffer et au sénateur Boisvenu — si vous trouvez que nous avons davantage recours aux études préalables aujourd’hui que nous le faisions quand les derniers gouvernements étaient au pouvoir.

La sénatrice Jaffer : Nous avons davantage recours aux études préalables que par le passé. C’est une bonne idée d’étudier le projet de loi avant de le recevoir, mais il y a un défi que je trouve très difficile à relever. Si la Chambre modifie le projet de loi ou un amendement est apporté, cela peut changer l’importance du projet de loi. Lorsque l’étude préalable est terminée, nous devons encore étudier le projet de loi. Compte tenu de la charge de travail qui nous incombe, il est vrai qu’il est utile d’étudier le projet de loi à l’avance, mais il y a toujours la possibilité que la Chambre apporte un amendement important et que nous devions réexaminer le projet de loi. La présidence s’inquiète toujours de ce que fera la Chambre.

M. Joyal : Je pense que nous ne devrions jamais oublier la nature du Sénat. Le Sénat doit procéder à un second examen objectif, et j’insiste sur l’expression « second examen ». Si nous procédons au premier examen, cela veut dire que le deuxième examen devra être effectué ailleurs, et cet autre endroit n’apportera pas le même point de vue au projet de loi que celui que nous apportons au Sénat parce que, comme je l’ai mentionné, nous apportons un point de vue à long terme. Nous sommes en dehors du cycle électoral. Nous sommes plus indépendants. Nous survivons au système, et nous apportons à l’institution un examen objectif, c’est-à-dire plus approfondi, de la mesure législative. Comme je l’ai dit, nous sommes exemptés des préoccupations électorales, en particulier lorsque les gouvernements sont en situation minoritaire et que, comme vous le savez, l’autre endroit se préoccupe essentiellement de survivre d’un jour à l’autre. Nous devrions être prudents en ce qui concerne l’étude préalable d’un projet de loi.

Je me souviens de l’étude préalable de la Loi antiterroriste, qui avait pour contenu une disposition — je n’entrerai pas dans les détails — qui, de l’avis de nombreux sénateurs, constituait une violation de la Charte parce qu’elle pouvait conduire au dépôt d’une preuve à l’insu de l’accusé, ce qui constitue, bien entendu, une violation d’un principe fondamental du système de justice pénale. Nous avions une préoccupation de ce genre. Nous l’avons exprimée, mais nous étions à l’étape de l’étude préalable. Toutefois, lorsque le projet de loi a été transmis à l’autre endroit, il a été plus ou moins entériné sous la pression de l’opinion publique, des médias, et cetera. Le projet de loi a été adopté, et devinez ce qui s’est passé. Il a été contesté devant les tribunaux, et la Cour suprême a conclu qu’il s’agissait d’une violation de la Charte.

Lorsque le gouvernement ou toute personne détenant le pouvoir vous demande de mener une étude préalable, vous devez toujours vous poser la question suivante : allez-vous, comme je l’ai dit, mettre ou non la charrue avant les bœufs dans ce dossier? Je ne m’oppose pas en principe à une étude préalable, mais elle devrait porter sur une mesure législative qui ne comporte pas de questions liées, par exemple, directement à la Charte ou à un groupe victime de discrimination, c’est-à-dire à des préoccupations que nous partageons habituellement au Sénat. C’est pourquoi je n’établirais pas un principe selon lequel nous procéderons dorénavant à une étude préalable des projets de loi. Je pense que cela irait, pour reprendre mon premier point, à l’encontre de la nature de l’institution et de ce que nous sommes appelés à faire. Nous siégeons comme une cour d’appel et non comme un tribunal de première instance. Nous devrions toujours nous souvenir de cela.

Le sénateur Cotter : Les études préalables sont souvent motivées par la recherche d’un certain degré d’efficacité. La difficulté pour notre comité — et peut-être plus que pour d’autres —, c’est qu’à l’exception d’une courte période au début de la session, nous ne nous tournons pas les pouces comme si nous attendions du travail. Une fois que nous avons commencé, les projets de loi nous parviennent sans relâche. C’est un plaisir de les étudier, mais ce n’est pas comme si nous avions beaucoup de temps libre une fois que les choses sont en branle, même pour intégrer dans notre charge de travail une étude préalable. Je ne pense pas que nous puissions rendre ces études prioritaires compte tenu du travail que nous devons déjà réaliser. C’est un peu un défi pour nous, sénateur Deacon.

Le sénateur Woo : Je voudrais revenir sur les trois observations formulées par chacun d’entre vous. Premièrement, vous avez une charge de travail démesurée; deuxièmement, vous n’avez pas le temps de mener des études spéciales, qui sont très importantes; et troisièmement, le sénateur Joyal a fait remarquer notre comité est préoccupé par le droit et que, s’il est important que son noyau soit composé de juristes, le comité ne devrait pas compter que des juristes. Par définition, tous les projets de loi du gouvernement portent sur le droit et, s’ils sont renvoyés à un autre comité, ce comité se préoccupera également de questions juridiques, au sens large. Je vais vous faire une proposition et voir si vous l’approuvez. J’essaie de résoudre le triple problème.

Je propose que les juristes soient peut-être répartis d’une manière plus générale entre les différents comités, de sorte que d’autres comités puissent reprendre certains des projets de loi que l’on voudrait instinctivement renvoyer au comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Ainsi, les comités liés aux affaires sociales, aux pêches et à l’agriculture, entre autres choses, auraient accès à des réflexions, des commentaires et des compétences juridiques, en particulier lorsqu’ils s’occupent de projets de loi d’initiative ministérielle. Cela permettrait au comité des affaires juridiques et constitutionnelles de faire ce qu’un noyau de juristes fait le mieux, à savoir des études spéciales sur des questions juridiques qui se profilent à l’horizon ou qui n’ont pas encore été abordées. J’essaie de résoudre le problème de la charge de travail, ce qui, en retour, permet de libérer du temps pour les études spéciales et d’injecter une réflexion juridique dans d’autres comités, tout en introduisant une pensée non juridique et d’autres compétences dans le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

M. Joyal : Ce que vous dites, sénateur, est tout à fait exact. Je pourrais vous donner un exemple. Prenons l’aide médicale à mourir. C’est un sujet très sérieux qui préoccupe tout le monde d’une manière ou d’une autre. Je pensais que cette question serait renvoyée au comité des affaires juridiques et constitutionnelles, mais elle a été renvoyée au comité des affaires sociales. Avec tout le respect que j’ai pour mes collègues qui siègent au sein du comité des affaires sociales, je me suis dit ce qui suit : « Qui va soulever les répercussions possibles liées à la Charte de cet enjeu et à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter? ». Je me tourne vers la sénatrice Batters, qui connaît très bien cette décision. J’ai regardé la liste des membres du comité et, bien sûr, il s’agissait de sénateurs très érudits, mais la nécessité d’insérer une sorte de contribution juridique dans le débat n’était pas là. Le débat a eu lieu, et le projet de loi a été adopté, amélioré, puis contesté devant les tribunaux.

Il me semble que d’autres comités sont parfois saisis de questions qui ont une incidence directe sur la Charte ou la Constitution, par exemple. Il peut s’agir d’une question relative aux ressources naturelles, telle qu’une évaluation environnementale dans le cadre de laquelle les provinces contestent l’autorité du gouvernement fédéral. Vous dites qu’il s’agit d’une question juridique. Oui, elle a quelques répercussions juridiques. Lorsque le projet de loi est débattu au sein du comité des ressources naturelles, il devrait y avoir un membre capable de présenter cet aspect du débat. Comme je l’ai indiqué, de nombreux juristes sont disponibles pour siéger au sein de comités responsables de questions très particulières. En d’autres termes, lorsqu’un projet de loi peut avoir des répercussions constitutionnelles ou des répercussions liées à la Charte, un comité ne devrait pas hésiter à demander si un membre pourrait siéger temporairement au sein du comité pour apporter ce genre de compétences à l’étude du projet de loi. Habituellement, les questions relatives aux ressources naturelles n’ont pas toutes des répercussions constitutionnelles possibles sur le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Je pense que nous devrions intégrer un élément de souplesse dans l’évaluation de l’incidence de la mesure législative.

La sénatrice Jaffer : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec mon éminent collègue, car je pense que les juristes — et je suis moi-même juriste — ont parfois une vision étroite de la mesure législative. On n’est pas nommé sénateur sans avoir une immense expérience, et d’autres membres apportent de très bonnes connaissances grâce à leur expérience de vie et aux sujets qu’ils ont étudiés. Je pense que nous avons besoin d’un mélange de compétences. Sinon, les membres auront une façon très étroite de voir les choses. Il ne faut pas non plus oublier que les membres du personnel des membres du comité sont probablement des juristes. Nous avons des analystes et tous les employés de la Bibliothèque du Parlement pour nous aider. Les membres du comité qui ne sont pas juristes disposent de très bonnes ressources. Je vous dirais respectueusement qu’il ne faut pas surjouer la carte du juriste, car les gens qui sont nommés au Sénat sont très érudits.

Le sénateur Cotter : Pour reprendre la suggestion du sénateur Woo, je mentionne très brièvement que certains projets de loi renvoyés à divers comités sont évidemment des lois, mais ils ne comportent pas de questions juridiques importantes qui doivent nécessairement être débattues par le comité. D’autres projets de loi en comportent. Les exemples cités par l’ancien sénateur Joyal sont en fait au cœur de nos responsabilités. Un modèle possible pourrait consister à renvoyer peut-être à un sous-comité du comité des affaires juridiques et constitutionnelles qui est structuré pour recevoir et examiner ce type de questions tout projet de loi comportant vraisemblablement un enjeu lié à la Charte des droits et libertés ou à la répartition des pouvoirs, qui a été confié à un autre comité. Je suis modestement en désaccord avec la sénatrice Jaffer, mais seulement dans le contexte où ces questions font partie des responsabilités les plus importantes que nous devons assumer en tant que sénateurs. En ce qui me concerne, quelle que soit la qualité d’un texte de loi, si je conclus qu’il est inconstitutionnel ou qu’il constitue une violation manifeste de la Charte des droits et libertés, j’estime que j’ai l’obligation de m’opposer à ce projet de loi. C’est une question très sérieuse que tout sénateur doit trancher. Je pourrais plaider en faveur d’un modèle qui permettrait à ces questions, qu’elles soient posées au comité des ressources naturelles ou au comité des transports, de faire l’objet d’un examen sérieux mené par une composante du comité des affaires juridiques créée pour recevoir et examiner ces questions.

La sénatrice Boniface : À bien des égards, je pense que je poursuis la discussion relative à cet enjeu. Je reviens sur une observation formulée par le sénateur Cotter concernant la pureté des questions soumises au comité des affaires juridiques par rapport à d’autres comités. J’ai présidé, par exemple, le comité de la défense lorsque la question des armes à feu a été renvoyée à ce comité. Je pense qu’il ne faut pas ignorer les interactions entre les comités. Le sénateur Boisvenu, la sénatrice Jaffer et moi-même siégions à la fois au comité des affaires juridiques et au comité de la défense à l’époque. J’aurais soutenu à l’époque que la question des armes à feu devait être confiée au comité des affaires juridiques. Je pense que c’est ce qui a été fait dans le passé. Le projet de loi a été renvoyé au comité de la défense parce que le comité des affaires juridiques était surchargé de travail. J’aimerais simplement que vous me décriviez la ligne de pureté que vous avez tracée. Si je prends cet exemple, je pense que le projet de loi a été très bien étudié par diverses personnes assises à la table de la salle de réunion du comité de la défense, des personnes ayant de nombreuses compétences. Je ne crois pas que le fait que le projet de loi n’ait pas été renvoyé au comité des affaires juridiques lui ait porté préjudice.

Le sénateur Cotter : Vous avez peut-être raison en ce qui concerne l’examen de ce projet de loi. C’est un projet de loi que je ne connais pas vraiment. Il me semble que l’un des rôles que le comité des affaires juridiques — ou certains de ses membres — est, en général, bien placé pour jouer, c’est d’examiner ces grandes questions de droit qui sont liées à une partie importante des mandats des sénateurs. Il se peut qu’un comité déclare qu’il est d’accord pour dire qu’il y a de sérieuses questions constitutionnelles à étudier. Bien que nous puissions demander à la Bibliothèque du Parlement de nous fournir des conseils de base, ce pourrait être le genre de travail que pourraient réaliser le sénateur Joyal, le sénateur Boisvenu et la sénatrice Pate — j’invente les noms, mais il pourrait s’agir d’un petit sous-comité, composé d’une demi-douzaine de membres peut-être, qui pourrait s’occuper régulièrement des travaux de notre comité, mais qui serait précisément chargé de recevoir et d’examiner ce genre de questions.

Selon moi, les questions de pureté ont tendance à se résumer à ce que j’estime être des questions constitutionnelles. Les débats sur la question de savoir s’il s’agit d’une approche judicieuse en matière de droit pénal sont importants, mais ils ne s’élèvent peut-être pas au même niveau que les exemples que le sénateur Joyal vient de citer. Voilà en quoi consisteraient les catégories. Pour être franc, je dirais que le fait d’avoir bénéficié de certains écrits sur le Sénat m’a un peu guidé dans l’exercice de mes responsabilités les plus importantes. Ces catégories sont tellement imprégnées de ce que j’appelle le grand droit que je pense qu’elles peuvent justifier une attention particulière.

La sénatrice Boniface : Si vous me permettez de donner suite à cette question, j’aimerais savoir quand nous, les membres du Sénat, nous répartissons un projet de loi. Je prendrai l’exemple du projet de loi sur la marijuana. Nous l’avons divisé entre plusieurs comités. L’un d’entre vous souhaite-t-il s’exprimer à ce sujet? Cela résoudrait-il une partie du problème, ou non?

M. Joyal : Je pense que cela s’est déjà produit dans le passé, et j’ai de nombreux exemples en mémoire où un projet de loi a été divisé, et un aspect du projet de loi a été renvoyé à un comité, tandis qu’un autre aspect a été renvoyé à un autre comité. Prenons, par exemple, le projet de loi sur la marijuana. L’aspect social a été renvoyé au comité des affaires sociales, qui bénéficie de l’expérience et des compétences des sénateurs pour aborder cette question, mais les aspects liés davantage au Code criminel, comme les questions relatives aux forces de police et la mise en œuvre, ont été renvoyés au comité des affaires juridiques. Je pense que lorsqu’ils discutent de la planification de leurs travaux, les sénateurs devraient examiner la teneur du projet de loi pour s’assurer que, comme je l’ai dit et comme le sénateur Cotter l’a mentionné, tous les aspects importants du projet de loi ont été abordés. Dans votre exemple concernant le contrôle des armes à feu, vous avez plus ou moins fourni la réponse à votre question en déclarant que le sénateur Boisvenu, la sénatrice Jaffer et d’autres sénateurs du comité des affaires juridiques feraient partie de votre comité. Vous avez ensuite intégré l’expertise des juristes dans votre comité parce qu’il se trouve qu’ils font partie du comité. Cela montre qu’il y a une façon de procéder lorsque les compétences juridiques ne sont pas présentes dans la composition même du comité. Il est possible de voir comment nous allons aborder cet aspect lorsqu’il n’y a pas de sénateurs qui, de par la nature de leurs compétences et de leurs antécédents professionnels, ont la capacité de discuter de ces aspects du projet de loi. C’est essentiellement la solution que j’envisage à cet égard.

[Français]

La présidente : Plusieurs personnes souhaitent poser des questions. Il y a même des gens qui ont levé la main pour une deuxième ronde.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Je remercie les membres du groupe de témoins et en particulier mon ami et collègue, l’honorable sénateur Joyal.

Je voudrais approfondir un peu l’idée de la différence entre les travaux liés aux rapports et les travaux liés à l’examen de mesures législatives. La sénatrice Jaffer a mentionné que le plus important — et je vous cite à ce sujet — était les rapports. Je n’en suis pas sûr, car nous avons des obligations en matière de législation. Mais comment pouvons-nous éviter que les rapports rédigés — et nous avons tous entendu cela pendant toute notre vie — ne prennent la poussière sur une étagère? Comment pouvons-nous empêcher cela? Existe-t-il un moyen de le faire, ou est-ce qu’en notre qualité de membres du comité, nous sommes simplement chargés de produire le rapport? C’était la première partie de ma question.

L’autre partie de ma question au sujet de laquelle j’aimerais entendre des observations, c’est que, oui, les juristes sont importants, et nous aimons tous les juristes, mais il y a d’autres aspects qui sont tout aussi importants : le côté syndical, le côté social, la représentation de votre province ou de votre région, et le côté commercial. Je voudrais vous mettre en garde contre la tentation d’aller trop loin, de déclarer qu’il est nécessaire d’avoir des juristes dans un comité et de les répartir dans tous les comités, parce qu’il y a d’autres aspects à prendre en considération. Je sais que nous parlons du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, mais je tiens à faire cette mise en garde et à recueillir vos commentaires à ce sujet.

La sénatrice Jaffer : Puis-je commencer à intervenir? C’est moi qui ai fait une suggestion au sujet des études. L’étude que nous avons menée sur la justice différée nous a vraiment donné des munitions. Chaque fois qu’un ministre de la Justice se présente devant nous, nous utilisons ces munitions. Je sais que tous les membres qui ont participé à cette étude le feront — la sénatrice Batters a participé à l’étude, et nous avons parcouru le pays pour soulever cette question. Selon moi, les rapports comportent deux parties. D’une part, vous parcourez le pays, et vous soulevez la question, de sorte que même si le rapport n’aboutit à rien, les parlementaires remarquent le problème. La deuxième partie est l’étude elle-même. Je peux sincèrement vous dire que c’est grâce à cette étude que nous pouvons poser autant de questions. Tout dépend de l’étude. Pour autant que je sache, dans le domaine juridique, nous avons réussi à utiliser ce document pour réaliser des progrès. Je sais que le ministre de la Justice l’a lu et y a répondu; le rapport n’a donc pas pris la poussière.

Le sénateur Cotter : Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question — je ne connais pas tout à fait la réponse à la première partie de votre question —, je tiens tout d’abord à faire mienne la citation selon laquelle nous aimons tous les juristes. Je vais en tirer un grand profit. Plus sérieusement, j’approuve en général votre observation, sénateur Wells, mais je me souviens d’un projet de loi sur les paris sur une seule épreuve sportive, qui a été parrainé récemment par un membre éminent du Sénat et qui a bénéficié d’une analyse juridique réfléchie afin de garantir que la mesure législative serait efficace. Je cite cet exemple comme une contribution constructive des juristes.

M. Joyal : Je pense, sénateur Wells, que je ferai de nouveau référence à l’ouvrage célèbre, dans lequel figurent, à la page 221, les titres de certaines études du Sénat depuis 1970. Bien entendu, cette liste ne va que jusqu’en 2000.

Je pense qu’il y a un moyen pour votre comité et chaque comité d’examiner, en début de session, les études réalisées par le passé afin d’en connaître les conclusions et de déterminer s’il y a une occasion ou un besoin d’en suivre les recommandations. Il leur est alors loisible, si je puis dire, de continuer d’exercer des pressions sur le gouvernement ou de porter la question à l’attention de la population en s’appuyant sur les conclusions des études antérieures. La liste date de 20 ans et devrait évidemment être mise à jour. Votre comité, comme celui des affaires juridiques ou d’autres comités, pourrait revenir à ces études et dire « Qu’est-ce que ces études ont poussé le gouvernement à faire? Quelles mesures ont été entreprises? » Autrement dit, réévaluez vous-même la situation après un certain temps pour connaître l’efficacité de ce que vous dites.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie tous. Nous sommes ravis de vous revoir au Sénat, sénateur Joyal.

J’aime l’idée de réévaluer l’incidence des études. Le comité pourrait peut-être recommander au Sénat de le faire pour l’ensemble des études, pas seulement pour celles du Comité des affaires juridiques. Les comités ont réalisé de nombreuses autres études.

Ma première question s’adresse au sénateur Boisvenu. Je conviens avec vous qu’il faudrait préférer la qualité à la quantité et qu’il est difficile, dans les comités qui comptent de nombreux membres, de poser toutes les questions afin d’obtenir des réponses. En outre, le Sénat évolue et les groupes se multiplient. Avez-vous des suggestions sur la manière de composer avec le principe de proportionnalité qui s’applique actuellement aux membres des comités?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Les travaux du comité sont toujours débattus au Sénat. Par exemple, les projets de loi font l’objet d’un débat à l’étape de la troisième lecture. Partons du principe selon lequel tous les groupes ne sont pas représentés au sein des comités. Il est toujours permis à ces sénateurs d’assister aux travaux du comité, même si c’est avec moins de pouvoirs ou de responsabilités que les autres sénateurs. Il y a aussi une possibilité d’intervenir à l’étape de la troisième lecture de tous les projets de loi.

Essentiellement, a-t-on besoin de la présence de tous les groupes au sein des comités, sachant qu’on a les compétences requises pour étudier un projet de loi? Le choix est toujours le même : on opte pour la quantité ou l’efficience. Que doit-on privilégier? Je vous laisse sur cette phrase pour que vous y réfléchissiez.

La présidente : C’est une importante question, d’autant plus qu’on a aussi, bien souvent, une représentation régionale. Or, nous n’en avons pas parlé. Je laisserai une minute et demie à chacun, si vous avez des commentaires à faire sur cette question.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : J’aime cette recommandation. J’espère qu’elle se retrouvera dans notre rapport.

Ma prochaine question s’adresse à quiconque souhaite y répondre. Les lois, en particulier le Code criminel, ont une incidence disproportionnée sur les communautés en situation minoritaire, comme les communautés autochtones, racisées et religieuses. En plus de veiller à ce que des témoins représentent ces communautés, ne pensez-vous pas que les décideurs, c’est-à-dire les membres du Sénat, devraient aussi être représentatifs de cette réalité? Ne convenez-vous pas que les sénateurs membres du Comité des affaires juridiques devraient aussi, dans une certaine mesure, être représentatifs des communautés autochtones, racisées et religieuses en situation minoritaire sur lesquelles la loi a une incidence disproportionnée?

La sénatrice Jaffer : Je suis entièrement d’accord avec vous. Voilà où je ne partage pas l’avis de mes collègues qui proposent que les comités comptent moins de 12 membres, car toutes sortes de communautés doivent être représentées. Hors de cette salle, je mettrais au défi toute personne membre d’un parti différent de déclarer « Non, mon parti ne comptera pas de membre dans certains comités. » C’est un point. En outre, les minorités apportent une réalité, un point de vue différent dans les délibérations des comités. Je conviens donc avec vous qu’il faut assurer un certain équilibre. C’est pourquoi le Comité des affaires juridiques et d’autres comités comptent 12 membres.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je n’ai aucune objection à ce que l’on soit 12 dans un comité. Toutefois, lorsqu’un groupe de témoins ne comparaît que durant une heure, avec 12 représentations, c’est inefficace. Prenons l’exemple du Sénat américain. Lorsqu’ils étudient un projet de loi, ils passent quatre ou cinq heures à l’examiner avec un groupe de témoins de cinq ou six personnes. Ils ont le temps d’approfondir les prises de position. Or, nous ne disposons que de deux minutes pour poser une question et, bien souvent, le temps ne permet de poser aucune question complémentaire. Si un témoin fait une affirmation, on ne peut donc pas la mettre à l’épreuve. C’est ce qui limite la profondeur de l’analyse.

[Traduction]

La sénatrice Batters : C’est un plaisir de vous voir tous aujourd’hui, particulièrement notre collègue, le sénateur Joyal. Il est bon de vous revoir.

Je fais partie du Comité des affaires juridiques depuis ma nomination au Sénat il y a maintenant 10 ans. C’est mon comité préféré. Je pense que tous ceux qui me connaissent le savent. J’en ai été brièvement vice-présidente et, pendant quelques années, j’ai également fait partie du comité directeur. Je vous remercie de tout ce que vous faites pour en faire un excellent comité sénatorial.

Je voulais formuler quelques remarques en réponse à d’autres observations, dont une soulevée par le sénateur Cotter. Je voulais indiquer que le Comité des affaires juridiques a, à maintes reprises, été autorisé par le Sénat à se réunir pendant les séances du Sénat, particulièrement quand il effectuait des études préalables ou examinait un très important projet de loi du gouvernement. Nous avons procédé ainsi par le passé.

En ce qui concerne les membres des comités, je conviens que c’est difficile même maintenant, avec 12 membres. C’était extrêmement difficile quand le nombre de membres a augmenté à 15, d’autant plus que les sénateurs, et particulièrement les membres de l’opposition, ont pour rôle clé de réclamer des comptes au gouvernement. Nous examinons souvent de très importants projets de loi du gouvernement et nous devons poser nos questions, ce qui peut être difficile si notre temps de parole se limite à quelques minutes.

Je pensais également aux élections de 2019 et de 2021. Nous menons habituellement une étude quand le directeur général des élections dépose son rapport. Le Comité des affaires juridiques n’a toujours pas réalisé d’étude sur l’une ou l’autre de ces élections, et nous sommes maintenant en 2023. C’est absolument inacceptable. Ces études constituent un élément important de notre rôle.

Pour en venir à la question que je voulais poser, trois des quatre sénateurs qui témoignent ont été membres du Comité des affaires juridiques pendant de très nombreuses années. Vu cette vaste expérience, je voudrais que les sénateurs Jaffer, Boisvenu et Joyal répondent brièvement à la question suivante : en quelle occasion — et je vous prierais de vous limiter à une seule — le Comité des affaires juridiques a-t-il fonctionné à son meilleur pendant que vous en faisiez partie, et pourquoi?

La sénatrice Jaffer : C’est dans le dossier de l’aide médicale à mourir. Nous avons eu le temps nécessaire, car le Sénat nous a accordé plus de temps. C’est un projet de loi que le comité a pu étudier réellement en profondeur. Comme vous le savez, nous avons tout étudié et avons pu rédiger un rapport auquel nous avons accordé des heures et des heures. C’est le dossier qui m’a le plus marquée.

La sénatrice Batters : Nous avons également effectué de nombreuses études pendant que le Sénat ne siégeait pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous dirais que c’est effectivement l’étude sur les délais. Premièrement, nous sommes allés rencontrer des citoyens. Nous sommes allés rencontrer des gens sur le terrain qui pratiquent le droit. Nous nous sommes déplacés dans les régions. J’avais vraiment l’impression, à ce moment-là, que le comité faisait un travail pour les citoyens et les citoyennes.

La justice est au cœur de la vie des citoyens et des citoyennes. Chaque fois que nous adoptons un projet de loi, nous touchons leurs vies, qu’ils soient victimes ou inculpés. Le fait d’être dans une bulle au Sénat et de ne pas avoir cette perspective fait en sorte que nous ne jouons pas bien notre rôle. Quand on mène une étude et qu’on va voir les citoyens, c’est de l’éducation que l’on fait en même temps que de la législation. Nous devrions en faire plus.

[Traduction]

M. Joyal : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Le débat le plus important auquel j’ai participé au sein du Comité des affaires juridiques est celui sur le projet de loi sur l’extradition, en 2000. Vous n’étiez malheureusement pas à la Chambre à l’époque, mais je suis sûr que vous y auriez pris part. Ce projet de loi contenait une disposition conférant au ministre de la Justice le pouvoir de décider d’extrader quelqu’un dans un pays imposant la peine capitale. Une seule personne de son cabinet pouvait décider d’extrader quelqu’un vers l’État de Washington, par exemple.

Cette disposition n’avait jamais été repérée à la Chambre des communes. Personne n’avait attiré l’attention sur elle, voyant que de fait, nous rétablissions la peine capitale de manière détournée. Quand le projet de loi a été renvoyé au Sénat, il a été examiné par certains de mes collègues qui étaient également avocats, dont l’ancien sénateur Grafstein, que certains d’entre vous connaissent. Nous avons étudié ce projet de loi très sérieusement et nous nous sommes dit : « Un instant. C’est très grave. C’est une question de vie ou de mort. » Qu’est-ce que la Chambre des communes avait fait? Qu’est-ce que le ministre de l’époque avait fait? Silence. Personne n’avait soulevé ce problème. Nous avons commencé à étudier le projet de loi, invitant des experts, des personnes issues du système carcéral et des représentants des Affaires étrangères pour leur demander ce qu’ils font quand ils reçoivent une demande d’extradition d’un pays étranger. Nous avons débattu du projet de loi pendant trois mois, y apportant finalement un amendement, qui a été rejeté par deux ou trois voix. Le projet de loi a été adopté et a reçu la sanction royale.

À la même époque, la Cour suprême du Canada a examiné l’affaire Burns et Rafay, qui concernait exactement cette question. J’ai parlé à mes collègues du Comité des affaires juridiques et je leur ai demandé ce que nous devions faire. Nous avons décidé d’envoyer les procès-verbaux du comité, sans explication ni rien, à chaque juge de la Cour suprême. Dans leur décision, ils ont conclu que la loi sur l’extradition violait la Charte, précisant qu’ils avaient pris note des débats qui avaient eu lieu au Parlement.

Pour moi, cela illustre parfaitement le rôle de l’institution et du Comité des affaires juridiques. Nous nous sommes penchés sur une question qui avait complètement échappé à la Chambre des communes. Nous en avons débattu en profondeur au Sénat et tenté d’amender le projet de loi. Le gouvernement a alors imposé la ligne de parti. C’était une période horrible. Je me souviens de cette affaire comme si c’était hier. Nous avons échoué au Sénat, mais nous avons gagné devant la cour de justice et le tribunal populaire. C’est pour moi le plus important débat auquel j’aie jamais pris part à la Chambre.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Marwah : Je vous remercie, honorables collègues, de témoigner.

Sénateur Boisvenu, vous avez indiqué que parmi les problèmes figure celui du nombre élevé de sénateurs au sein des comités. Je tends à être d’accord pour réduire ce nombre, considérant que c’est une bonne idée.

Quelqu’un a également proposé qu’un sous-comité s’occupe de diverses questions, mais cela ne résout pas nécessairement le problème, car on double la charge de travail des quatre ou cinq sénateurs choisis pour faire partie du sous-comité.

Je voudrais savoir ce que vous penseriez d’aller plus loin et d’inclure au sein du sous-comité des personnes ne faisant pas partie du Comité des affaires juridiques. Ainsi, il pourrait y avoir d’autres membres, qu’ils soient ou non avocats, pour aider le sous-comité à examiner des questions qui ne concernent pas nécessairement le Comité des affaires juridiques. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Je pense que le Comité de régie interne, des budgets et de l’administration vient de faire quelque chose de ce genre. J’aimerais savoir si vous considérez que le Comité des affaires juridiques pourrait procéder ainsi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous connaissez ma passion pour ce comité-là. Il me passionne autant aujourd’hui qu’il y a 14 ans. Si vous me disiez de travailler 20 heures de plus par semaine, je le ferais. Je pense que si l’on demandait à tous les membres du comité de travailler quatre heures de plus par semaine, ils le feraient.

Quand je pense au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, c’est pareil : les gens ont une passion pour le comité. On ne calcule pas nos heures.

Je suis convaincu que si vous demandiez demain aux membres du comité de lever la main pour devenir volontairement membres d’un sous-comité, on manquerait de places. Je ne crois pas que ce soit un problème de trouver des gens.

Votre proposition est recevable, soit que l’on pourrait nommer d’autres sénateurs qui ont un intérêt. Je pense que les deux choses sont possibles.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Comme c’est à cela que je voulais en venir, puis-je répondre? Je ne pense pas, sénateur Marwah, que cela doublerait la charge de travail, car, comme je l’ai souligné, ce sous-comité ferait un travail différent. Quand le Comité de la défense s’occupe des anciens combattants, c’est un travail distinct. Le travail que le comité néglige dans le cadre de son mandat serait effectué par un sous-comité. Par exemple, le sous-comité s’occuperait de l’examen prévu par la loi, pendant que le comité principal étudierait un autre projet de loi. Je ne pense pas qu’on double la charge de travail. Cela permet au comité d’exécuter l’ensemble de son mandat. Pour l’instant, il n’y parvient pas, et c’est ainsi depuis des années.

M. Joyal : Si je peux répondre très brièvement au sénateur Marwah, je pense — et M. Thompson pourrait vérifier — que le Règlement autorise un comité à inclure un membre externe qui n’a pas le droit de vote. Il y avait une ancienne disposition dans le Règlement à ce sujet. En d’autres mots, la personne qui ferait partie du comité ne voterait pas, mais ferait don de son expertise et de ses connaissances sur le sujet abordé. Cela aiderait le sous-comité a exécuter des mandats très précis en le déchargeant de sa responsabilité sur un point précis.

Le sénateur Marwah : En fait, honorables collègues, c’est principalement là où je veux en venir. En plus d’absorber une partie de la charge de travail, le sous-comité pourrait inclure d’autres experts pour accomplir ce que le comité principal ne pourrait peut-être pas faire aussi complètement. Cela élargirait l’éventail de points de vue au sein d’un sous-comité qui étudie un sujet en particulier.

M. Joyal : Ce serait comme des amis de la cour que les tribunaux conviennent quand ils examinent une question difficile et réclament l’aide d’un avocat possédant une expertise particulière.

Le sénateur Cotter : Pour donner suite à la dernière intervention du sénateur Marwah, résolvant son problème d’une certaine façon, tout dépend du mandat du sous-comité. Par exemple, si ce mandat consiste globalement à évaluer la constitutionnalité des projets de loi étudiés par le Sénat, le sous-comité pourrait avoir besoin d’expertise, dont une expertise importante dans le domaine juridique. Si le sous-comité a pour mandat d’entreprendre une étude sur la détermination de la peine — un sujet abordé de temps en temps — afin d’en faire rapport au comité, il pourrait être bon de bénéficier de points de vue et de contributeurs plus diversifiés. La réponse pourrait être en partie « oui » et en partie « on pourrait procéder autrement ».

[Français]

La présidente : Merci beaucoup. C’est la dernière question — malheureusement, le temps file — de la sénatrice Ataullahjan.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie, honorables collègues. Qu’il est bon de vous voir, sénateur Joyal.

Sénateur Boisvenu, vous avez dit quelque chose qui a capté mon intérêt. Vous avez indiqué que le Comité des affaires juridiques pourrait siéger huit heures par semaine. Or, je fais partie de quatre comités et je peine parfois à faire le travail parce que les semaines ne comptent qu’un certain nombre de jours et que les jours ne comptent qu’un certain nombre d’heures. Pensez-vous que les sénateurs membres de comités très occupés devraient se limiter à deux comités? Qu’en est-il des réunions du lundi? Je sais que le Comité des droits de la personne se réunit quatre heures le lundi. Sénatrice Jaffer, vous vous souviendrez que nous nous sommes réunis une journée entière quand nous faisions l’étude sur la cyberintimidation. C’est parfois une possibilité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je fais référence au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. On siégeait auparavant de 13 heures à 17 heures le lundi. On optimisait le temps que l’on passait ici.

Effectivement, je pense qu’on pourrait optimiser les périodes du vendredi matin et du lundi après-midi. C’est une banque de temps que l’on peut utiliser.

J’ai bien dit que l’on pourrait siéger huit heures par semaine ou créer un sous-comité. Il y a deux solutions. Cependant, s’il continue à siéger quatre heures par semaine, ce comité ne pourra jamais remplir pleinement sa mission d’étudier des projets de loi gouvernementaux ou privés. On a environ 250 projets de loi d’initiative parlementaire et 50 projets de loi privés. C’est énorme, et on en a étudié une dizaine.

Il y a deux solutions : ou l’on crée un sous-comité qui dégagera le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles des éléments moins essentiels, ou l’on augmente la charge de travail ou les heures de travail.

La présidente : C’est une bonne suggestion; on va la retenir dans nos délibérations. Je pense qu’on a entendu aujourd’hui beaucoup de choses qui vont nous inspirer pour la suite.

Je remercie infiniment les sénateurs qui ont participé à ce comité. Merci beaucoup, sénateur Joyal, de vous être déplacé. Nous avons été ravis de vous revoir. Nous vous tiendrons au courant; il se peut que pour la suite des choses, vous soyez tous invités de nouveau.

Le sénateur Boisvenu : Madame la présidente, c’est nous qui vous remercions de nous avoir donné le droit de vous parler. Cela a été un exercice pédagogique très intéressant.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons suspendre la réunion pour attendre le prochain groupe de sénateurs.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à deux sénateurs qui sont très actifs au sein d’un comité qui nous tient à cœur, le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous accueillons le sénateur Cormier et la sénatrice Poirier, qui nous parleront des problèmes qu’ils voient pour leur comité, de la façon dont ils voient leur mandat dans le cadre de sa mission et des suggestions qu’ils ont à nous proposer.

L’honorable René Cormier : Merci et bonjour, chers collègues. Ce matin, j’ai ma voix de Clark Gable; vous m’en excuserez, et j’espère que vous pourrez bien m’entendre. Je n’ai pas sa chevelure, par contre.

Je remercie le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement de me donner l’occasion de partager avec lui quelques informations et points de vue au sujet du Comité sénatorial permanent des langues officielles et de son rôle essentiel au Parlement du Canada.

Je suis heureux de participer à ce groupe en compagnie de ma collègue la vice-présidente, l’honorable Rose-May Poirier, et je reconnais que je prends la parole aujourd’hui à partir du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je siège au Comité sénatorial permanent des langues officielles depuis décembre 2016 et j’en assume la présidence depuis 2018, soit depuis le départ de l’honorable Claudette Tardif, à qui je rends hommage pour le travail colossal qu’elle a accompli à la présidence de ce comité.

Dans ma présentation, j’aborderai le mandat, les travaux, la composition et le fonctionnement du comité.

[Traduction]

Même s’il s’intéresse au respect des droits linguistiques des Canadiens et au principe d’égalité entre les deux langues officielles, il examine toutes les questions qui concernent la Loi sur les langues officielles, portant particulièrement attention au rôle du gouvernement fédéral et à son engagement à promouvoir l’anglais et le français au sein de la société canadienne et à renforcer la vitalité des minorités anglophones et francophones. Bien que son mandat soit vaste et lui permette d’examiner des questions relatives aux langues officielles, y compris les droits linguistiques constitutionnels garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte canadienne des droits et libertés, et les droits linguistiques garantis par d’autres lois fédérales, comme la Loi sur la radiodiffusion, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur les compétences linguistiques et le Code criminel, il est mandaté pour examiner l’application de la Loi sur les langues officielles et de ses règlements, et notamment les règlements sur la communication avec le public et les services à la population, ainsi que les règlements pris au titre de la partie VII. Le comité a également pour mandat d’étudier les rapports annuels des ministères et du commissaire aux langues officielles.

[Français]

Durant les huit législatures et les 14 sessions où il a été appelé à siéger depuis sa création, le Comité des langues officielles a soumis six rapports sur des projets de loi, dont un portant sur l’examen du projet de loi S-3 à l’initiative du Sénat, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, parrainé par un membre du comité qui a permis de renforcer la partie VII de la Loi sur les langues officielles en y inscrivant l’obligation pour les institutions fédérales de prendre des mesures positives de même que la possibilité d’intenter des recours en droit en cas de non-respect. Ce droit de recours inscrit dans la Loi sur les langues officielles a mené en 2022 à la décision de la Cour d’appel fédérale Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Emploi et Développement social) qui a, par la suite, incité le gouvernement à modifier le projet de loi C-13 actuel.

Comme vous le savez, le comité a examiné la teneur du projet de loi C-13 en 2022 dans le cadre d’une étude préalable et attend avec impatience l’arrivée de la version de ce projet de loi qui aura été adoptée à la Chambre des communes pour poser un second examen attentif sur ce projet de loi.

Le comité a aussi étudié des projets de loi qui ne découlent pas de l’application de la Loi sur les langues officielles comme le projet de loi C-419, portant sur les compétences linguistiques pour certaines nominations par le gouverneur en conseil, ou le projet de loi S-14, portant sur l’adoption d’un hymne national officiellement bilingue.

Depuis sa création, le comité a déposé 26 rapports issus d’études approfondies, dont son rapport le plus récent portant sur l’immigration francophone en milieu minoritaire, qui sera déposé au Sénat cette semaine, et 5 rapports découlant d’une étude exhaustive étalée sur deux ans au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui a incité le gouvernement à déposer le projet de loi C-13 en mars 2022 ainsi que son prédécesseur, le projet de loi S-32, en juin 2021.

Le comité a également déposé de nombreux rapports sur la mise en œuvre de la partie VII de la loi et de ses différents aspects, comme l’apprentissage du français, le bilinguisme des jeunes, l’immigration, l’épanouissement des communautés anglophones du Québec, les arts et la culture francophones, l’éducation dans la langue de la minorité, l’accès à la justice dans les deux langues officielles. Les études du comité, comme celle qu’il entreprendra bientôt sur les services de santé dans la langue de la minorité, permettent d’aborder des enjeux plus larges, dont l’angle linguistique est souvent passé sous silence par les autres comités sénatoriaux.

Le comité a produit des rapports sur les obligations linguistiques d’institutions fédérales ciblées, par exemple Air Canada et CBC/Radio-Canada. D’ailleurs, les travaux du comité ont été cités en 2012 par la Cour fédérale du Canada dans son jugement rendu dans l’affaire Canada (Commissaire aux langues officielles) c. CBC/Radio-Canada (2012). Le comité a aussi publié des rapports sur d’autres sujets d’actualité, comme la dualité linguistique aux Jeux olympiques et paralympiques de Vancouver et le respect des droits linguistiques lors du déménagement de sièges sociaux d’institutions fédérales à la suite du déménagement de la Commission canadienne du tourisme à Vancouver.

Depuis sa création, le Comité des langues officielles a effectué des missions d’étude dans huit provinces, dont le Manitoba, l’Alberta, la Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard.

Pour ce qui est de la composition et du fonctionnement du comité, depuis sa création, il a toujours siégé le lundi soir. Cela a suscité et suscite toujours des défis pour assurer la participation de sénateurs et sénatrices qui viennent de l’extérieur du Québec ou de l’Ontario. Le comité est composé, depuis sa création, de sénateurs et de sénatrices anglophones et francophones du Québec et de l’extérieur du Québec, comme de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et, parfois, de sénateurs et sénatrices anglophones de l’extérieur du Québec, comme de la Colombie-Britannique et du Manitoba.

La présidence du comité a toujours été assurée par un sénateur ou une sénatrice francophone de l’extérieur du Québec, et la vice-présidence a été assurée la plupart du temps par un sénateur ou une sénatrice du Québec, anglophone ou francophone. Le comité a toujours été composé de neuf membres et a toujours fonctionné avec le soutien du Sous-comité du programme et de la procédure pour planifier les travaux futurs du comité, donner suite à la correspondance ou aux demandes de comparution, approuver les versions finales des rapports du comité et gérer la promotion de ses travaux et de ses rapports avec l’équipe de communication.

Ce sont des faits importants pour nous : les décisions du comité ont pratiquement toujours été adoptées par consensus et en collégialité, car tous les sénateurs membres du comité gardent en tête leur rôle de représentation des minorités linguistiques, qui sont protégées par des droits linguistiques constitutionnels.

Je m’arrête ici et je suis prêt à répondre à vos questions et à discuter avec vous.

L’honorable Rose-May Poirier : Merci de votre invitation à comparaître devant vous. Cela me fait très plaisir.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner devant le comité. Depuis le temps que je suis au Sénat — cela a fait 13 ans en février —, c’est la première fois que je siège du côté des témoins. J’espère que je pourrai vous fournir des réponses et des informations sur le travail du Comité des langues officielles.

Depuis que je suis sénatrice, j’ai presque toujours fait partie du Comité des langues officielles, dont je suis vice-présidente depuis 2015, sauf au cours de la 43e législature.

[Français]

J’ai également été membre de plusieurs autres comités, comme le Comité des affaires étrangères et le Comité des pêches et des océans. La proximité du Comité des langues officielles avec les communautés francophones en situation minoritaire représente une distinction importante. Nous répétons souvent, à la Chambre et à l’extérieur de la Chambre, que le rôle du Sénat est d’être une voix pour les minorités. Selon cette perspective, le Comité sénatorial permanent des langues officielles remplit son rôle à merveille. C’est un comité qui est à l’écoute des communautés.

[Traduction]

Mais notre mandat ne se limite pas aux communautés francophones de l’extérieur du Québec. Nous sommes également présents pour les communautés anglophones du Québec, qui constituent une communauté linguistique en situation minoritaire au Canada. Par exemple, en mars 2011, le comité a publié un rapport sur la vitalité des communautés anglophones du Québec dans le cadre d’une étude au cours de laquelle il a visité diverses communautés. Nous veillons également à inviter des témoins pendant nos études pour que leurs voix soient entendues et que leurs préoccupations soient prises en compte.

[Français]

Son mandat donne suffisamment de latitude au comité pour mener à bien ses études et se démarquer des autres comités. Le comité n’étudie pas autant de projets de loi que les autres comités sénatoriaux, mais sa contribution se fait sentir dans d’autres domaines de la législation, en tant que porte-parole des communautés linguistiques en situation minoritaire.

Les études spéciales entreprises par le comité sont primordiales, car elles sont une façon de faire entendre leur voix au Parlement pour que le gouvernement y prête toujours une oreille attentive. Par exemple, en ce qui concerne la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le comité a entamé son étude en 2017. Lors du dépôt de son rapport, qui contenait aussi des recommandations, la question n’était pas de savoir si le gouvernement devait s’y conformer, mais quand il y donnerait suite. Cette conjoncture favorable a encouragé le gouvernement de l’époque et tous les partis politiques à prioriser la modernisation de la Loi sur les langues officielles et à remédier au déclin du français partout au Canada. Notre travail est encore plus important pour ce qui est de renforcer les valeurs de la dualité linguistique d’un océan à l’autre.

[Traduction]

À mon avis, le Comité des langues officielles est sans pareil et joue un rôle important en aidant le Sénat à accomplir sa mission, laquelle consiste à être la voix des personnes non représentées.

Je répondrai à vos questions avec plaisir. Je vous remercie.

[Français]

La présidente : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de témoigner aujourd’hui.

Sénateur Cormier, je veux vous interroger sur l’importance des voyages dans le cadre du mandat d’un comité. Quand vous parcourez le pays pour rencontrer des gens, qu’est-ce que ces voyages apportent au travail du comité?

Le sénateur Cormier : Je vous remercie beaucoup de cette question, que je considère comme très importante.

Les membres du comité ont le privilège de rencontrer des citoyens où ils vivent et peuvent ainsi constater les difficultés qu’ils rencontrent. C’est très important. Comme je l’ai indiqué, le Comité des langues officielles a entrepris diverses missions, et je pense que les voyages sont essentiels pour que le comité relève le défi qui est le sien dans le domaine qu’il étudie. Nous nous intéressons à la constitutionnalité et à la Charte des droits et libertés, mais nous devons connaître le contexte dans lequel les minorités travaillent et vivent. C’est très important pour nous. Je pense que nous pourrions voyager davantage, mais nous savons que cela prend du temps et coûte de l’argent. Je pense que les voyages sont essentiels.

La sénatrice Ataullahjan : Je posais la question, sénateur, parce que vous avez mentionné le budget. Il est de plus en plus difficile pour les comités de se déplacer. J’ai toujours trouvé que lorsque nous rencontrons et questionnons les Canadiens chez eux, nous découvrons une réalité différente de ce que nous entendons au Sénat ou aux comités à Ottawa. J’espère que nous finirons par pouvoir recommencer à nous déplacer plus facilement.

Le sénateur Cormier : Je peux vous donner quelques exemples. Notre comité s’est bel et bien déplacé. Il s’est rendu à Winnipeg, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. La sénatrice Poirier et moi faisions partie de la délégation et nous avons rencontré différentes parties intéressées issues de divers secteurs concernant la Loi sur les langues officielles. Ce fut très éclairant. Cela nous a aidés dans notre longue étude aux fins de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui a duré deux ans. Je pense à l’incidence de ces déplacements sur notre étude et notre compréhension des réalités changeantes. La réalité des minorités linguistiques n’est pas fixe dans le temps. Les problèmes évoluent, et il est très important que nous nous déplacions. Je vous remercie de cette question.

[Français]

La présidente : En d’autres mots, si je vous comprends bien, c’est très intéressant de le souligner, le mode virtuel permet d’échanger, mais quand on se déplace à un autre endroit, on voit le contexte, on rencontre plus de monde et on est capable de comprendre un peu mieux la réalité des gens dans leur milieu.

[Traduction]

Le sénateur Cormier : Il est question ici de communautés, et pas seulement de personnes à titre individuel. Les communautés sont très importantes elles aussi.

La sénatrice Batters : Je vous remercie tous deux de votre présence aujourd’hui et de l’important travail que vous faites au sein de ce comité, dont vous faites partie depuis assez longtemps.

J’aimerais vous poser une question concernant les rapports de votre comité et le processus que vous utilisez. Chaque comité rédige ses rapports et détermine ses recommandations selon un processus différent. Votre comité directeur joue-t-il un rôle particulier dans la rédaction des rapports et des recommandations? Par exemple, est-ce lui qui les rédige, puis on présente le résultat au comité plénier? Comment fonctionnez-vous?

Le sénateur Cormier : Je suis très fier du fait que dans notre comité, tout est décidé par le comité plénier. Par exemple, pour parvenir au plus récent rapport, qui porte sur l’immigration francophone, nous avons d’abord rédigé une ébauche à partir de ce que nous avions entendu, puis nous avons soumis cette ébauche au comité plénier et en avons discuté. Ensuite, nous avons, bien entendu, apporté des modifications. Il est possible de modifier l’ébauche. Puis, nous soumettons d’autres modifications et encore d’autres au besoin, jusqu’à ce que nous parvenions à la version définitive que tous les membres approuvent. Principalement, nous cherchons à atteindre un consensus. De plus, nous veillons à ce que nos rapports tiennent compte des opinions exprimées par les témoins qui valent la peine d’être soulignées. Nous évaluons les arguments pour inclure les plus solides dans le rapport. En tant que président, je dois dire qu’il est très avantageux de pouvoir compter sur les membres du comité pour produire des rapports qui représentent fidèlement ce que nous avons entendu. C’est habituellement ainsi que nous fonctionnons.

La sénatrice Batters : Je veux simplement m’assurer de bien comprendre. Est-ce le comité directeur qui prépare l’ébauche avec l’aide des analystes et du greffier, puis il la soumet au comité plénier? Ou est-ce le comité plénier qui crée l’ébauche du début à la fin?

La sénatrice Poirier : Voici notre façon de commencer. Une fois que le comité a terminé ses travaux, les analystes et le personnel de soutien du comité rédigent l’ébauche initiale. Souvent, on nous envoie cette première version pour nous demander notre opinion, et nous autorisons sa distribution à l’ensemble des membres du comité en répondant simplement qu’elle nous convient pour le moment, puisque cela demeure une ébauche. Lorsque tous les membres du comité l’ont reçue, nous en discutons, en examinons chacune des parties et écoutons ce que chacun a à dire à son sujet.

Cet exercice terminé, — et corrigez-moi si je me trompe — nous faisons normalement comme nous avons fait cette semaine, c’est-à-dire que nous disons : « D’accord, nous avons entendu ce que vous aviez à dire. Nous avons jusqu’à telle date pour parvenir à la version définitive de ce rapport. Est-ce que le comité consent à ce que le comité directeur s’assure que le rapport tient compte de tous les points de vue et y apporte la touche finale? » Je dirais que, dans 99,9 % des cas, les membres y consentent.

Dans les rares cas où quelqu’un soulève une objection, nous sommes très ouverts. C’est ce qui s’est produit cette semaine. Un petit problème est survenu, même après toutes ces étapes. Quelques-uns de nos collègues n’aimaient pas la façon dont un passage était formulé. Nous nous sommes donc réunis à huis clos avant la réunion d’hier soir pour écouter leurs préoccupations et prendre une décision finale. Un grand respect règne parmi les membres. Nous tenons à ce que chacun approuve la version finale. En ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, toutes les situations au Canada sont très délicates, puisqu’il est toujours question de groupes minoritaires.

La sénatrice Batters : Comment déterminez-vous qui vous invitez à témoigner devant le comité? Cette décision relève-t-elle du comité directeur? Quelles difficultés entourent le choix des témoins au Comité des langues officielles?

Le sénateur Cormier : En fait, nous procédons de la même manière que pour produire les rapports. Au départ, nous invitons les analystes à nous fournir une liste initiale. Ensuite, les membres du comité peuvent proposer et suggérer d’autres témoins, suite à quoi nous créons une deuxième liste. Alors, nous examinons cette liste et revenons habituellement au comité pour dire : « Voici, selon nous, les gens qu’il serait important de rencontrer. » Parfois, nous recevons d’autres suggestions pour rendre les points de vue plus équilibrés, car, comme vous le savez, l’équilibre est important en ce qui concerne les témoins. Voilà notre façon de procéder.

La sénatrice Poirier : Il arrive que la liste de suggestions soit beaucoup trop longue pour le temps dont nous disposons. Le comité directeur accueille volontiers toutes les suggestions, puis se dit : « Voici le nombre d’heures et de réunions que le comité peut consacrer à cette étude. Ce groupe présentera probablement un point de vue et des arguments comparables à cet autre groupe. » Lorsque nous sommes dans l’impossibilité d’entendre le témoignage de certaines personnes, mais que des membres du comité insistent sur son importance, nous invitons ces personnes à soumettre un mémoire au comité.

La sénatrice M. Deacon : Merci de votre présence aujourd’hui.

C’est intéressant. Chaque comité a son mode de fonctionnement unique, et certaines façons de procéder diffèrent considérablement d’un comité à l’autre. J’aimerais vous demander, en votre qualité de président et de leader au sein de votre comité, ce que vous pensez des possibilités qui pourraient découler du présent dialogue. Les possibilités ne sont pas les mêmes pour tous les comités. Par exemple, des comités pourraient se voir affecter un horaire différent. Cela se fait déjà dans une certaine mesure, mais il se pourrait que cela se fasse de manière plus intentionnelle et plus explicite, car il y a une limite à ce que l’on peut faire en une semaine. Quelle est la solution? Certains comités siègent pratiquement constamment. Certains comptent moins de membres que d’autres. Vous avez donné l’exemple d’un comité qui se réunit le lundi depuis trois ans et qui se réunirait maintenant le jeudi ou changerait constamment de jour d’une semaine à l’autre. Ma question porte donc sur trois choses : la taille du comité, l’horaire hebdomadaire traditionnel du comité, et le nombre d’heures de réunion du comité. Je suis curieuse de connaître votre point de vue à ce sujet.

Le sénateur Cormier : Notre comité se réunit le lundi depuis sa création. Je ne comprends pas pourquoi il en est ainsi. Cela pose beaucoup de problèmes par rapport aux déplacements, surtout pour les membres qui représentent une région éloignée, autre que le Québec et l’Ontario. Il est donc difficile d’y attirer des membres. Certains de nos collègues m’ont admis qu’ils refusent de faire partie du Comité des langues officielles parce qu’il se réunit le lundi. J’estime que c’est problématique et que nous devrions envisager une sorte de rotation. Il faut que le tout demeure fonctionnel, mais je crois que ce serait important. Je sais que d’autres comités se réunissent le lundi, mais en tant que président, je trouve difficile de m’assurer qu’il y a quorum. Cela dit, nous avons un très bon taux de participation. La plupart du temps, 85 % de nos membres sont présents aux réunions, donc c’est bien.

Pour ce qui est de la taille, je trouve ce comité très gros. Il compte 15 membres; c’est énorme. Notre comité en compte neuf. Cela comporte beaucoup d’avantages, mais cela pose problème si des membres s’absentent.

Je ne sais pas si cela répond à vos trois questions.

La sénatrice Poirier : J’aimerais ajouter quelques observations.

J’estime que le fait que nos réunions aient lieu le lundi soir pose effectivement un problème. Le sénateur Cormier a raison de dire que cela dissuade beaucoup de sénateurs d’y participer. Le problème, ce n’est pas nécessairement le fait qu’il s’agit du lundi soir; le problème, ce sont les déplacements. Honnêtement, je dois vous dire que la situation est pire depuis la pandémie de COVID, car il y a moins de vols offerts, plus d’annulations de vols et plus de retards. Personnellement, jusqu’à il y a deux semaines, je devais partir le dimanche matin si je voulais arriver à temps pour ma réunion du lundi soir, à 17 heures. Quand on est chez soi seulement la fin de semaine et qu’on doit repartir le dimanche matin, cela complique la situation. C’est certainement un problème.

Un autre problème — c’est peut-être délicat, mais je crois qu’il faut le mentionner —, c’est que beaucoup de gens, y compris moi-même au tout début, considèrent a priori le Comité des langues officielles comme étant le comité des francophones.

[Français]

On dit que c’est le comité pour la langue française. Les gens ne voient pas que c’est un comité responsable d’examiner les langues officielles du Canada et que les langues officielles du Canada sont l’anglais et le français.

[Traduction]

Prenons mon expérience personnelle comme exemple. Lorsque mon collègue, le sénateur Mockler, m’a demandé de faire partie du Comité des langues officielles, j’ai dit : « Non, non, épargnez-moi. » Je suis née et j’ai grandi au sein d’une famille francophone. Nous parlions uniquement français, mais il n’y avait pas d’école de langue française. J’ai donc fréquenté des écoles de langue anglaise. Avant de devenir parlementaire au sein de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, je ne savais pas lire un mot de français. J’ai commencé petit à petit en inscrivant mes enfants à une école de langue française. Je me suis dit : « Comment pourrai-je participer? » Comme vous l’avez sans doute remarqué lorsque j’ai lu mes notes, j’éprouve toujours de la difficulté à lire certains mots en français et je dois parfois changer de langue. Avec les années, j’ai appris à lire le français plus aisément.

Cette perception pose toujours problème lorsque nous tentons de recruter des membres, quoique nous ayons déjà eu des membres entièrement anglophones.

[Français]

Cela a toujours été un défi d’avoir plus de personnes anglophones au Comité des langues officielles. C’est plus facile d’essayer d’attirer des francophones. C’est malheureux qu’on ait la perception que le Comité des langues officielles est un comité réservé pour la langue minoritaire, à savoir le français, parce que ce n’est pas la réalité.

[Traduction]

Ce n’est pas du tout la raison d’être de ce comité. C’est la réalité. Notre comité s’efforce constamment de faire comprendre aux gens que nous sommes là pour défendre l’intérêt tant de la minorité anglophone au Québec que de la minorité francophone dans le reste du pays. Les deux sont extrêmement importants. Nous sommes là pour nous assurer que les communautés des deux langues officielles de notre pays jouissent de droits égaux. C’est très important.

La sénatrice M. Deacon : D’après votre expérience au sein de votre comité et d’après ce que vous savez des autres comités, quels critères utilisez-vous pour déterminer la réussite du comité? Nommez une ou deux choses qui vous font dire : « Vous savez quoi? Notre comité fonctionne très bien. Il fait vraiment du bon travail. Nous estimons que nous nous acquittons de notre mandat, si bien que nous pouvons dire au public que notre comité est une réussite. »

La sénatrice Poirier : Le comité est excellent, mais honnêtement, je fais également partie du Comité des affaires sociales, et nous nous y entendons tous également très bien. Je présume qu’il en est de même pour la plupart des comités. Lorsque je faisais partie du Comité des pêches, c’était la même chose, et nous fonctionnions à merveille. La clé, c’est le respect.

Vous avez parlé des heures. Vous avez demandé si nous avons besoin de plus d’heures de réunion et pourquoi certains comités en ont plus que d’autres. Contrairement à d’autres, notre comité n’est pas chargé d’étudier un très grand nombre de projets de loi. Je l’ai réalisé quand j’ai entendu mes collègues qui ont comparu avant nous parler du besoin d’augmenter le nombre d’heures de réunion de leur comité en raison du volume de projets de loi qu’il est chargé d’étudier. Je reconnais cette nécessité pour le Comité des affaires sociales. Ce dernier se réunit deux fois par semaine parce qu’il travaille non seulement à des rapports d’étude, mais également à l’étude de projets de loi.

Il règne un profond respect. Nous travaillons beaucoup sur la base d’un consensus. Si quelque chose nous préoccupe réellement, nous en faisons part au comité, qui tente alors de comprendre cette préoccupation. Honnêtement, dans tous les comités dont j’ai fait partie, je n’ai jamais vu de problème. Si nous estimons que quelque chose n’est pas correct et qu’il faut y remédier, je peux facilement communiquer avec mon collègue, le président, pour en discuter et porter la question à l’attention du comité directeur. Habituellement, on trouve facilement une solution.

[Français]

La présidente : Je vais juste faire une petite parenthèse. Ici encore, on n’a pas pris l’habitude d’allouer un temps de parole pour chacune des questions. On expérimente avec ce genre d’étude. C’était la petite remarque que je voulais faire.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Bonjour. Votre comité entretient une relation spéciale avec le commissaire aux langues officielles. D’une certaine façon, votre comité est le seul à avoir une relation aussi étroite et particulière avec un mandataire du Parlement. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de cette relation avec le commissariat? Y a-t-il un recoupement entre vos travaux et les siens? Y aurait-il place à collaborer plus étroitement? Parlez-nous simplement un peu plus de cette relation.

Le sénateur Cormier : Il y a recoupement. Certes, nous avons des préoccupations communes. Bien entendu, le rôle du commissaire est de recevoir les plaintes des citoyens concernant le non-respect de la Loi sur les langues officielles, ce qui ne correspond pas du tout à notre rôle. Évidemment, nous avons le mandat de citer le commissaire à comparaître devant le comité pour parler de ses rapports. Nous avons eu des discussions à ce sujet. De plus, lorsque le comité accueille le commissaire, nous discutons également avec lui des projets de loi à l’étude qui le concerne, tels que le projet de loi C-13 en ce moment. Nous lui posons des questions. La relation est étroite, mais en même temps, il y a une certaine distance, car nous devons toujours garder à l’esprit que nous ne sommes pas des commissaires; nous sommes des sénateurs. Je ne sais pas si cela répond à la question, mais nous lisons toujours les rapports du commissaire et en discutons, car ils sont très importants. C’est une façon d’évaluer les problèmes que vivent les communautés. C’est ce que je dirais pour l’instant.

Le sénateur Woo : J’essaie simplement de comprendre la relation. Le commissaire a, on peut supposer, un genre de secrétariat chargé de faire des recherches, de réaliser des études ou de recueillir les plaintes. C’est certain. Est-ce que vous vous appuyez sur les travaux du commissaire, ou est-ce que vous répétez simplement le travail du commissaire pour publier vos rapports ou étudier un projet de loi?

Le sénateur Cormier : Nous utilisons les données, les études et les résultats de ses recherches. Nous les utilisons constamment au comité. Nous citons le commissaire pratiquement à toutes les réunions parce que les recherches qu’il effectue sont importantes et pertinentes. Évidemment, il ne fait pas de recherches pour nous. Cela dit, nous citons le commissaire très fréquemment.

La sénatrice Poirier : Il existe assurément une bonne relation entre le commissariat et le Comité des langues officielles. Il est vrai que nous le rencontrons régulièrement. Il nous informe de ce qui se passe. Lorsqu’un rapport est publié, il n’est pas rare qu’il demande de me rencontrer personnellement par vidéoconférence pour parler du rapport afin que nous comprenions les problèmes auxquels il doit faire face et les difficultés qu’il éprouve. Lorsque nous avons réalisé l’étude concernant la Loi sur les langues officielles, nous l’avons également rencontré pour comprendre s’il y aurait moyen de faciliter son travail, la meilleure façon dont il peut répondre aux plaintes qui lui sont confiées et comment remédier aux lacunes qui existent selon lui. Il nous donne son avis sur ce genre de choses. Si nous effectuons une étude sur un sujet donné et que nous estimons que son avis pourrait nous aider ou mettre les choses en perspective, alors nous l’invitons. Nous avons une bonne relation avec le commissaire aux langues officielles. Au bout de la ligne, je crois que nous sommes tous là pour les mêmes raisons.

Le sénateur MacDonald : La question du sénateur Woo rejoint celle que j’allais poser. Je vais donc aborder le sujet sous un angle différent. Le commissaire aux langues officielles a un budget d’environ 5 millions de dollars par année, ce qui est peu négligeable. Je suis curieux. Quel travail effectuez-vous qui ne rejoint aucunement le sien ou vice versa? À quel point les travaux du comité et du commissariat se juxtaposent-ils?

Le sénateur Cormier : Je vais répondre à la question en français, sénateur, car je serais plus à l’aise ainsi.

[Français]

Il n’y a pas de juxtaposition du travail. D’ailleurs, je rappelle que le mandat du commissaire aux langues officielles sera probablement bonifié avec la nouvelle Loi sur les langues officielles. On souhaite qu’il ait beaucoup plus de pouvoir pour intervenir dans la fonction publique en ce qui a trait au respect des langues officielles. Il le fait déjà en partie.

Je ne crois pas qu’il y ait de juxtaposition. Nous menons un certain nombre d’études que le commissaire aux langues officielles ne fait pas. Nous menons des études sur le terrain sur différents aspects et dans différents secteurs que le commissaire ne fait pas. Le commissariat, à son point de vue, fait beaucoup de travail et de recherche. Comme je l’ai exprimé plus tôt, il reçoit des plaintes que nous ne traitons pas. Il a donc un rôle de chien de garde. Pour ce qui est du respect de la Loi sur les langues officielles. Il joue à la fois un rôle de promoteur des deux langues officielles. Il possède des outils qui ne sont pas ceux du comité sénatorial à cet égard.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Aussi, il est important de souligner que le Comité des langues officielles effectue de nombreuses études à l’issue desquelles il publie des rapports fort utiles. Beaucoup de témoins nous disent qu’ils sont reconnaissants pour nos rapports parce qu’ils s’en servent comme outils. Ces rapports sont la voix des groupes minoritaires et ces personnes s’en servent pour faire du lobbying auprès du gouvernement et des partis politiques. Les observations recueillies et publiées dans ces rapports représentent une feuille de route pour elles en vue de nous rapprocher de l’objectif où toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire jouissent des mêmes services et des mêmes droits que les communautés de langue officielle en situation majoritaire. Je doute qu’il s’agisse-là d’un rôle assumé par le commissaire. C’est complètement différent. Comme l’a dit mon collègue, nous n’acceptons pas les plaintes du public. Nous ne sommes pas chargés de traiter ces plaintes ni de recueillir des données à leur sujet. Le commissaire nous fournit ces renseignements dans ses rapports annuels, qui sont rendus publics. Nos mandats sont complètement différents.

Le sénateur Cormier : Si je puis, j’aimerais donner l’exemple de l’étude que nous avons réalisée sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui s’est étalée sur deux ans. La communauté anglophone du Québec a pris ce rapport et s’en sert. Elle est reconnaissante pour son contenu, et comme l’a mentionné la sénatrice Poirier, le rapport est devenu pour elle un outil, et cela vaut pour d’autres communautés également. Nous sommes fiers de nos rapports. Je crois que nous faisons du bon travail.

La sénatrice Poirier : Le travail effectué par le comité sur notre dernier rapport était la base et peut-être le début d’un projet de loi important à venir, le projet de loi C-13. Nous demandons souvent au gouvernement de répondre aux conclusions de nos rapports. Quelqu’un a demandé comment nous pouvons obtenir une réponse si le rapport reste posé sur un bureau. La plupart du temps, nous demandons simplement.

[Français]

La présidente : Obtenez-vous des réponses?

La sénatrice Poirier : Parfois, oui. Obtenir la réponse prend parfois un certain temps. Malgré tout, nous le faisons.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Avez-vous identifié des lacunes concernant le Commissariat aux langues officielles? Pourrait-il améliorer certaines choses? J’aimerais savoir comment vous évaluez le travail qu’il a accompli au fil des ans et celui qu’il accomplit actuellement en matière de gestion des langues.

Le sénateur Cormier : Je pense que nous pouvons toujours faire mieux en tant que sénateurs, et je pense que le commissaire peut également améliorer son travail d’une certaine manière, mais je n’ai pas d’exemples spécifiques sur les points à améliorer. La relation que nous entretenons avec le commissaire est transparente et honnête. Lorsque nous avons quelque chose à lui dire, nous le faisons. Nos conversations sont transparentes. Je ne saurais dire précisément dans quels domaines le commissariat pourrait s’améliorer.

La sénatrice Poirier : La seule chose que je pourrais dire, et qui, je pense, n’est pas du ressort du commissaire, il est parfois limité dans son action et dans les sanctions qu’il peut proposer pour ce qui est des plaintes. Je pense que le projet de loi C-13, qui sera bientôt présenté, permettra de remédier en partie à cette situation. Cela ne signifie pas que c’est de sa faute ou qu’il peut mieux faire. Simplement, son bureau n’a pas été conçu pour cela. Ce n’était pas possible. On reçoit des plaintes, comme celle concernant la capacité des aéroports à communiquer dans les langues officielles, mais il y a des limites à ce que l’on peut faire. Le commissaire se retrouve limité dans les sanctions qu’il peut appliquer.

Le sénateur Cormier : Le nombre de plaintes a considérablement augmenté ces dernières années et je ne sais pas si le commissaire dispose des ressources nécessaires pour traiter les plaintes en temps voulu. Les plaintes sont nombreuses. Il y en a eu beaucoup pendant la pandémie, mais il y en a tout le temps. C’est un véritable défi. Le manque de ressources pourrait représenter un problème.

Le sénateur Wells : Merci aux témoins.

Vous avez mentionné dans une réponse précédente la prédominance des francophones au sein de votre comité, et la sénatrice Poirier a mentionné en particulier qu’il est parfois difficile de recruter des anglophones pour y siéger. Cherche-t-on à faire entendre la voix des anglophones, et peut-être des anglophones du Québec, évidemment, en raison de la prédominance du français et des lois provinciales qui ont été adoptées et qui pourraient être considérées comme allant à l’encontre de la Charte des droits et libertés? Des travaux ont-ils été menés sur les droits des anglophones au Québec?

Le sénateur Cormier : Bien entendu, nous tenons compte des difficultés rencontrées par la communauté anglophone au Québec. Mais je dirai que, pour ce qui est des membres, j’ai fait pression sur les différents groupes en disant que nous avions besoin d’un représentant de la communauté anglophone autour de la table. La composition des comités peut poser problème. Pour avoir des compétences diverses et pour nous assurer, dans le cas du comité des langues officielles, qu’il y a des anglophones autour de la table, nous avons habituellement au moins un membre qui vient de la communauté anglophone, mais ce n’est pas toujours le cas. Comme la sénatrice Poirier l’a dit précédemment, nous sommes très sensibles et conscients de cela, et nous veillons à tenir compte des difficultés rencontrées par la communauté anglophone au Québec. Bien sûr, nous savons tous que les deux langues officielles sont sur un pied d’égalité pour ce qui est des droits. Les difficultés varient entre les deux communautés, mais nous devons en tenir compte. Nous devons nous assurer que la voix anglophone autour de la table est présente. Je dois avouer que c’est parfois un casse-tête, car compte tenu de la façon dont les comités sont constitués, qui peut prendre cette décision? C’est un message que nous pouvons envoyer à tous les groupes. Il est important d’avoir autour de la table non seulement des francophones de l’extérieur du Québec, mais aussi des anglophones et toutes sortes de compétences.

La sénatrice Poirier : Parfois, lorsque quelqu’un n’a jamais vécu dans une situation où il était minoritaire, il lui est difficile de comprendre ce que les autres ressentent lorsqu’ils sont en situation minoritaire. C’est pourquoi je pense qu’il est important de ne pas avoir que des francophones autour de la table. Nous nous efforçons toujours d’avoir quelqu’un du côté anglophone. Nous en avons eu quelques-uns. La sénatrice Jaffer y a siégé pendant un certain temps.

Le sénateur Cormier : Oui.

La sénatrice Poirier : Elle s’exprime très bien en français, mais elle est également anglophone. Nous avons eu d’autres anglophones et nous accueillons volontiers d’autres membres.

Le sénateur Cormier : Nous disposons d’un service d’interprétation, de sorte que si quelqu’un ne parle pas français, il peut quand même siéger au comité.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre réponse. Ma question portait sur la composition du comité, mais elle concernait davantage les résultats et la représentation que le Sénat est tenu d’assurer en matière de droits des minorités. Certes, l’anglais est un droit des minorités qui est remis en question au Québec. Je ne pense pas qu’il y ait de désaccord sur ce point. Vous dites que le Canada est officiellement un pays bilingue, mais, bien sûr, nous savons qu’il n’y a pas d’équité dans ce domaine. C’est un point sur lequel je pense qu’il faut insister davantage.

La sénatrice Poirier : Je voudrais ajouter une chose. Comme nous venons tous deux du Nouveau-Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue du pays et où le pourcentage de francophones se situe entre 30 et 33 %, nous avons vécu cette situation toute notre vie, et nous la comprenons donc parfaitement.

[Français]

La présidente : J’aimerais poser une question au sujet des groupes. On a parlé, avec l’autre groupe de témoins, de la représentation proportionnelle des groupes. Avez-vous des difficultés par rapport à la nouvelle réalité au Sénat, qui consiste à avoir plusieurs groupes? Avez-vous des membres de tous les groupes?

Le sénateur Cormier : Avoir des membres de tous les groupes peut poser un défi. Un des groupes n’était pas représenté de façon constante au sein du comité. Je crois qu’un effort est fait pour que chaque groupe soit représenté.

Tout le monde se présentera sûrement à la table avec l’arrivée du projet de loi C-13, parce que c’est quand même un projet de loi très important pour les Canadiens et les Canadiennes.

La présidente : Merci beaucoup. Il est 11 h 30 et notre temps est écoulé. Je vous remercie d’avoir comparu devant le comité; c’était très intéressant et fort utile. À bientôt.

(La séance est levée.)

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