LE COMITÉ PERMANENT DU RÈGLEMENT, DE LA PROCÉDURE ET DES DROITS DU PARLEMENT
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 22 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd’hui, à 10 h 32 (HE), avec vidéoconférence, conformément à l’article 12-7(2)a) du Règlement, pour étudier des amendements possibles au Règlement.
La sénatrice Denise Batters (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour à tous.
Avant de commencer notre séance en bonne et due forme, je suis sûre que, puisque nous sommes le 22 octobre, beaucoup d’entre nous pensent aux événements survenus il y a 10 ans quand le caporal Nathan Cirillo a perdu la vie à quelques pas d’ici. Alors que je conduisais ce matin pour me rendre à la réunion, j’ai vu des gens qui s’étaient rassemblés pour se souvenir de lui. Nous nous souviendrons de lui. Nous sommes également très reconnaissants envers tous ceux et celles qui étaient sur la Colline du Parlement ce jour-là — les agents du Service de protection parlementaire et de la police, ainsi que tous ceux et celles qui ont aidé ceux d’entre nous qui étaient là et qui ont tenté d’aider le caporal Cirillo. Merci de m’avoir permis de faire ce rappel aujourd’hui. Je sais que nous pensons tous à ces gens.
Je souhaite également la bienvenue à tous les sénateurs ici présents aujourd’hui, ainsi qu’aux téléspectateurs de partout au pays qui pourraient suivre cette réunion sur sencanada.ca ou, ultérieurement, sur CPAC.
Je m’appelle Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan et vice-présidente du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Notre nouvelle présidente est absente et m’a demandé de la remplacer afin de présider la réunion. Je demanderais à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Ataullahjan : Bonjour. Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur D. M. Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur le rôle des sénateurs non affiliés. Nous avons le plaisir d’accueillir Christophe-André Frassa, vice-président de la Commission des lois du Sénat français, qui témoigne par vidéoconférence pour le Sénat français. Bienvenue, et merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant notre comité pour nous informer sur ce que fait le Sénat français. Je vous invite, monsieur, à faire votre déclaration d’ouverture, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
[Français]
Christophe-André Frassa, vice-président, Commission des lois du Sénat français, à titre personnel : Bonjour, chers collègues, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est avec plaisir que j’ai accepté, à la demande de la présidente Diane Bellemare — qui, je crois, n’est désormais plus présidente de ce comité — et de la présidente Michèle Audette de vous exposer la spécificité dans le Parlement français du statut des sénateurs non inscrits au sein de notre Sénat. Ce statut est d’abord défini par le Règlement du Sénat. Je vous propose, en quelques minutes, de vous brosser à grands traits ce statut, puis de répondre aux questions que vous pourriez avoir.
Avant toute chose, je voudrais rappeler que ni la Constitution du 4 octobre 1958, ni l’Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ni les règlements intérieurs du Sénat ou de l’Assemblée nationale n’imposent à un sénateur ou à un député d’être membre d’un groupe politique parlementaire.
En droit constitutionnel français, le mandat parlementaire est en effet personnel, attaché à la seule personne du député ou du sénateur. En ce sens, celui-ci bénéficie de prérogatives qui lui sont indissolublement attachées en cette qualité. Cependant, au Parlement français, comme dans d’autres parlements, les groupes politiques ont aussi une existence juridique consacrée et des prérogatives spécifiques. Pour la France, cela découle du fait que l’article 4 de la Constitution dispose ce qui suit : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. »
Au Parlement, ce principe est mis en œuvre par l’existence de groupes politiques qui sont propres à chacune des assemblées, mais avec une affiliation plus ou moins marquée à un parti politique à l’échelle nationale. Ainsi, à ce jour, il y a au Sénat huit groupes politiques et il y en a 11 à l’Assemblée nationale, dont certains sont essentiellement l’émanation d’un parti politique qui existe sur la scène nationale. C’est le cas du groupe Les Républicains, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste — Kanaky et du groupe Écologiste.
D’autres, comme l’Union centriste ou le Rassemblement démocratique et social européen, s’inscrivent dans une mouvance politique — centre droit pour le premier, radicalisme pour le second —, mais sont moins directement liés à un parti à l’échelle nationale, même si on peut y voir la prédominance de membres d’un parti au niveau national. Cela dit, le Règlement du Sénat est assez flexible pour assurer l’appartenance d’un sénateur à des groupes politiques, puisqu’il permet au sénateur non seulement d’en être membre à part entière, mais également de s’y apparenter, voire même de s’y rattacher administrativement.
En réalité, un sénateur rattaché ou apparenté à un groupe y jouit de la qualité des prérogatives et des facilités offertes à un membre à part entière, mais pour des raisons d’affichage politique, il peut souhaiter bénéficier de ce positionnement qui lui permet de se démarquer, le cas échéant, des autres membres du groupe afin de montrer sa plus grande indépendance, notamment par rapport à la discipline du groupe et au positionnement même du parti politique. Ce sont les statuts de chaque groupe politique qui définissent, le cas échéant, les différences statutaires internes entre les membres à part entière et les membres simplement apparentés ou rattachés.
De plus, pour ce qui nous concerne, il faut considérer qu’un sénateur apparenté ou rattaché à un groupe politique est bien un membre d’un groupe politique. Il n’est donc pas, au sens strict, un sénateur n’appartenant à aucun groupe, comme l’évoque le Règlement du Sénat.
J’en viens donc précisément à la situation des sénateurs qui n’appartiennent à aucun groupe, ou ce que nous appelons les sénateurs non inscrits. Sans surprise, l’absence d’appartenance d’un sénateur à un groupe politique l’empêche de bénéficier d’un certain nombre de droits qui ne sont ouverts qu’aux membres d’un groupe. Pour autant, le Règlement du Sénat prévoit une représentation collective des sénateurs non inscrits qui s’exerce au moyen d’une structure constituée dans sa gestion sous forme d’association, à l’instar des groupes politiques du Sénat.
Elle s’appelle la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe ou, sous son abréviation, RASNAG, et elle est présidée par un délégué élu par ses membres.
La RASNAG bénéficie d’un certain nombre de droits pour ses membres. Au 20 octobre de cette année, 4 sénateurs seulement sur les 348 sénateurs qui siègent au Sénat sont réunis dans cette RASNAG. Je vous propose de détailler les prérogatives des sénateurs non inscrits, selon qu’elles concernent la séance publique ou le fonctionnement des organes internes du Sénat, du bureau et ses commissions.
En séance publique, tout d’abord, en ce qui concerne le droit d’initiative et les possibilités d’inscrire des textes à l’ordre du jour, les sénateurs de la RASNAG ne bénéficient pas, à l’inverse des groupes d’opposition et des groupes minoritaires, d’espace réservé pour l’inscription de textes à l’ordre du jour. En outre, ils ont peu d’influence sur l’ordre du jour, qui est déterminé par ce qu’on appelle la Conférence des présidents, à laquelle leur délégué peut participer sans voix délibérative. Ils peuvent cependant déposer des amendements en commission comme en séance et des propositions de loi, car il s’agit de droits individuels de chaque sénateur qui sont prévus par la Constitution.
S’agissant des possibilités de participation et des temps de parole en séance, pour les questions au gouvernement, la Conférence des présidents arrête la répartition du nombre de ces questions entre les groupes et la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. En tenant compte de leur importance numérique, celle-ci a accordé une question au bénéfice des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe une séance sur six. Cette question est toujours appelée en dernière position, soit la 15e de la séance.
Dans la discussion générale d’un texte et lorsque le temps global est égal à une heure, une période de trois minutes est prévue pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, alors que les groupes bénéficient d’un temps de base de cinq minutes, complété par un temps proportionnel à leur nombre de membres.
Pour les motions de procédure, les exceptions d’irrecevabilité, les questions préalables et les renvois en commission, un sénateur non inscrit dispose de trois minutes contre dix pour les sénateurs représentant un groupe.
Si un sénateur non inscrit peut présenter une motion, comme tout sénateur individuel, les sénateurs non inscrits ne peuvent expliquer leur vote sur ces motions. En cas de clôture de la discussion, si deux orateurs d’avis contraires sont intervenus, un représentant de chaque groupe ainsi qu’un sénateur non inscrit sont invités à s’exprimer dans la limite d’une durée de deux minutes. Lors d’un vote solennel sur l’ensemble d’un texte, sauf décision contraire de la Conférence des présidents, le temps de parole est de trois minutes pour les non-inscrits contre sept pour un groupe.
Pour l’examen d’un texte élaboré par une commission mixte paritaire, sauf décision contraire de la Conférence des présidents, l’intervention d’un représentant non inscrit ne peut dépasser trois minutes, contre cinq minutes pour un représentant de groupe. Sur l’ensemble d’un texte examiné en procédure de législation en commission, un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe peut intervenir pour une durée ne pouvant excéder trois minutes, contre cinq minutes pour le représentant d’un groupe.
Enfin, à titre individuel, la durée d’intervention d’un sénateur en séance n’excède pas deux minutes. Cette règle de droit commun s’applique également à chaque sénateur non inscrit.
Ensuite, au bureau du Sénat et dans des commissions, aucune restriction n’est prévue pour la candidature à la présidence du Sénat, le Président du Sénat étant élu par l’ensemble des sénateurs. En ce qui concerne la constitution du bureau du Sénat, le délégué des sénateurs non inscrits se réunit avec les présidents de groupes uniquement pour établir la liste des candidats aux fonctions de secrétaire, les fonctions de vice-président ou de questeur relevant d’une réunion des seuls présidents de groupes. Concernant la répartition des sénateurs non inscrits au sein des commissions permanentes, le Règlement du Sénat prévoit que les présidents des groupes et le délégué des sénateurs non inscrits, après s’être concertés, remettent au Président du Sénat la liste des candidats qu’ils ont établie conformément à la règle de la proportionnalité. Les conditions de transférabilité des sièges de commissions s’appliquent de la même façon aux groupes et à la RASNAG, au moyen de l’intervention de son délégué, qui peut proposer un nom de sénateur pour le siège vacant.
Pour la désignation des membres de commissions d’enquête et de commissions spéciales, une liste de candidats est établie par les présidents de groupes et, le cas échéant, par le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Pour les commissions d’enquête résultant d’un droit de tirage, le nombre de membres est de 23 et les sénateurs non inscrits ne disposent d’aucun poste.
Au final, les sénateurs non inscrits sont dans une situation structurellement défavorable par rapport aux sénateurs membres de groupes. C’est ce qui explique que, sur 348 sénateurs aujourd’hui, 4 seulement conservent ce statut. Il faut néanmoins souligner la souplesse des groupes politiques du Sénat pour accueillir dans leur formation des sénateurs qui ne sont pas affiliés à un parti politique à l’échelle nationale. C’est, de fait, l’intérêt bien compris des groupes politiques, puisque cela permet de gagner des membres et ainsi de peser davantage dans le fonctionnement des organes du Sénat. De plus, des sénateurs bénéficient d’un appui administratif et logistique et gagnent des prérogatives tout en étant simplement soit apparentés, soit rattachés administrativement à un groupe politique. Les individualistes « irréductibles », si je puis dire, peuvent néanmoins garder toute leur indépendance, s’ils le souhaitent, avec ce statut de sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Voilà, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers collègues, ce que je pouvais vous dire en guise d’introduction, même si j’ai été un peu long et si ma présentation était très fouillée, pour ne pas dire « fouillis ».
Merci, madame la vice-présidente et chers collègues.
[Traduction]
La vice-présidente : Très bien. Merci beaucoup des explications instructives que vous nous avez fournies dans votre déclaration. Je sais qu’elles susciteront de nombreuses questions. J’en ai moi-même quelques-unes, mais nous accorderons d’abord la parole à la sénatrice Saint-Germain.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Merci à vous, sénateur Frassa. Je suis Raymonde Saint-Germain, du Québec. J’ai une question principale et une question complémentaire. Vous avez très bien défini le statut de chaque groupe, qui détermine les privilèges et les avantages. Vous avez bien expliqué le principe des sénateurs rattachés à un groupe reconnu. Par ailleurs, vous nous avez indiqué qu’il y a une minorité de sénateurs non inscrits. Ils sont au nombre de quatre. Vous les avez qualifiés d’« irréductibles ». Sans nommer de noms, bien sûr, pouvez-vous nous donner les raisons pour lesquelles ces quatre personnes sont « irréductibles » face à une association à un parti?
M. Frassa : Je peux nommer les noms, puisqu’il suffit d’aller sur le site du Sénat et qu’ils apparaîtront. Sans faire de publicité pour un moteur de recherche bien connu, il suffit de les « googliser », comme on le dit en français correct, pour voir à quelle famille politique ils appartiennent.
Aujourd’hui, trois des quatre sénateurs appartiennent à un parti politique qui s’appelle le Rassemblement national, qui est à l’extrême droite sur l’échiquier politique. Le quatrième est un ancien du Rassemblement national. S’ils sont dans cette réunion de sénateurs n’appartenant à aucun groupe, c’est qu’ils ne sont tout simplement pas assez nombreux pour former un groupe — et c’est peut-être là que j’ai oublié de mentionner une chose, soit qu’il faut être 10 sénateurs au minimum pour former un groupe politique. En fait, ils ne sont peut-être pas si irréductibles; plutôt, ils ne sont, à ce jour, pas assez nombreux pour former un groupe politique ensemble. Ils sont donc dans cette réunion des sénateurs n’appartenant à aucun groupe, parce qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux pour en former un. C’est la possibilité administrative qu’offre le Sénat à ces collègues qui appartiennent à un parti politique qui n’est pas représenté formellement par un groupe politique et qui peuvent se réunir aujourd’hui sous cette forme administrative.
Pour compléter, auparavant, dans l’ancienne mandature, nous avions presque une dizaine de collègues dans cette réunion administrative de sénateurs non inscrits, et nous avions aussi bien des collègues issus de l’extrême droite que des collègues qui n’étaient pas de l’extrême droite, mais qui avaient fait le choix de cohabiter, parce qu’il y avait ceux qui n’étaient pas en mesure de former un groupe, mais aussi ceux qui ne souhaitaient pas ou ne souhaitaient plus faire partie d’un groupe politiquement identifié.
Il est vrai que même si on l’appelle entre nous le groupe des non-inscrits, la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe permet une souplesse qui est protéiforme.
[Traduction]
La sénatrice Saint-Germain : Pour donner à mes collègues l’occasion de poser une question, je reviendrai lors d’un second tour.
La vice-présidente : Monsieur Frassa, j’ai quelques questions à vous poser.
Comme vous le disiez, il n’y a actuellement que quatre sénateurs non affiliés au Sénat de France. Au cours des 10 ou 20 dernières années, est-ce un nombre habituel ou est-ce beaucoup plus ou moins que le nombre que comptait le Sénat de France au cours des 10 ou 20 dernières années? Il y a actuellement 14 sénateurs non affiliés au Sénat du Canada, comme l’indique le site Web du Sénat ce matin. Ce nombre est en baisse parce qu’un autre sénateur récemment nommé s’est affilié de lui-même ce matin. Je ne suis pas sûre qu’il soit inclus dans le chiffre de 14. C’est un nombre plus élevé que celui que nous avons habituellement, mais plusieurs nominations ont eu lieu récemment. Je m’interroge à propos du chiffre de quatre, me demandant si c’est habituel ou s’il s’agit d’une augmentation ou une diminution par rapport à la norme.
[Français]
M. Frassa : En fait, je suis élu au Sénat depuis 16 ans. Lors de ma toute première élection en 2008, le groupe des non‑inscrits — on va l’appeler comme cela — comptait une quinzaine de membres issus de divers horizons politiques. Vous aviez aussi bien des sénateurs issus du centre droit que du centre gauche, et des membres de partis politiques qui ne souhaitaient pas figurer au sein de groupes politiques identifiés. Cela fluctue passablement au gré des renouvellements du Sénat.
Aujourd’hui, il y a quatre membres qui sont proches de la même mouvance politique. Par ailleurs, lors de l’avant-dernier renouvellement, il y a eu un éventail politique assez large, où on allait de la gauche à la droite avec un élu d’extrême droite au sein de cette Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Cela fluctue vraiment selon les personnalités issues des élections sénatoriales, et surtout, c’est très souvent lié à la situation locale dans leur département d’élection. Certaines personnalités ont parfois été en rupture vis-à-vis de leur parti politique et ont préféré ne pas rejoindre un groupe identifié politiquement, alors que d’autres ont toujours gardé une certaine indépendance vis-à-vis des partis politiques.
Une figure emblématique au Sénat a longtemps été le sénateur Philippe Adnot, qui, lorsque j’ai été élu, était déjà délégué des sénateurs non inscrits. Il est resté quasiment une dizaine d’années, de mon élection jusqu’à ce qu’il quitte le Sénat. Il avait fait le choix d’une indépendance réelle vis-à-vis des partis politiques sur le plan local dans son département d’élection, indépendance qu’il avait concrétisée en n’étant jamais rattaché à un groupe politique identifiable et identifié au Sénat.
Donc, parfois, c’est vraiment lié aussi bien à la situation locale qu’à la personnalité des sénateurs.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci.
Il y a autre chose que j’ai remarqué dans votre déclaration d’ouverture, sénateur Frassa. Comme vous l’avez expliqué, les limites de temps sont toujours plus courtes pour les sénateurs non affiliés au Sénat français. Vous avez donné plusieurs exemples. Les sénateurs non affiliés ne disposent que de trois minutes pour parler de certains sujets, alors que les sénateurs affiliés en ont cinq. J’ai noté que les sénateurs non affiliés ont cinq minutes pour certains genres d’interventions, alors que les sénateurs affiliés en ont dix. Je crois que vous avez aussi parlé d’un autre genre de catégorie. C’est certainement un désavantage d’être non affilié, potentiellement, car on n’a pas autant de temps pour s’exprimer. On ne fait pas des interventions de 15 ou 20 minutes, le temps de parole étant très limité. Pour quelle raison?
Ici, au Sénat du Canada, nous avons des temps de parole égaux, que nous soyons affiliés ou non. Le simple fait d’être sénateur nous donne le même temps pour faire des discours et ce genre d’interventions. Si on est sénateur, on a une certaine capacité de parler pendant un certain temps et on n’a pas moins de temps parce qu’on n’est pas affilié.
De plus, en France, les sénateurs non affiliés ont-ils moins la priorité dans l’ordre des interventions ? Je crois que vous avez dit que, pour certains sujets, ils sont quinzièmes sur la liste. Je me demande s’il est très courant qu’ils soient moins prioritaires en plus d’avoir moins de temps de parole.
[Français]
M. Frassa : Pour être bien précis, c’est que les groupes se voient attribuer le temps de parole, et à l’intérieur de ce temps de parole attribué aux groupes politiques, y compris aux non‑inscrits, on attribue et ensuite, on divise ce temps de parole attribué par le nombre de sénateurs qui veulent prendre la parole.
Au début d’une discussion sur un texte de loi, si le temps de parole pour l’ensemble du groupe est d’une heure, on va diviser le temps de parole proportionnellement au nombre de membres de chaque groupe. Évidemment, les non-inscrits auront un temps de parole tout petit, puisqu’ils sont 4; Les Républicains auront le temps de parole le plus important, puisqu’ils sont 131. On va diviser ce temps de parole par rapport au nombre de personnes qui souhaitent prendre la parole.
Par exemple, si Les Républicains ont droit à 15 minutes et qu’ils sont au nombre de 3 à vouloir s’exprimer, ils auront droit à 5 minutes chacun. Il est évident qu’en général, cela ne donne de possibilité aux non-inscrits que d’avoir qu’un seul orateur.
Cependant, pour l’ordre de la prise de parole, c’est selon l’inscription. Il se peut très bien que les non-inscrits passent devant tous les autres, parce qu’il y a un tirage selon l’inscription auprès des services de la séance pour la prise de parole. C’est uniquement la répartition du temps de parole qui fait que vous avez moins de temps. Après, pour prendre la parole, c’est vraiment le moment de l’inscription qui fait que vous passerez avant ou après l’autre. Ce n’est pas lié à l’importance du groupe, mais plutôt à la rapidité de l’inscription.
[Traduction]
La vice-présidente : D’accord. Cette réponse est très utile. Je vous remercie d’avoir expliqué tout cela.
[Français]
La sénatrice Mégie : Monsieur Frassa, je vous remercie pour vos précisions à propos des membres non affiliés. Dans votre présentation, vous avez dit que les membres de la RASNAG ne bénéficient pas de l’inscription de leur texte à l’ordre du jour. Est-ce que cela signifie qu’ils n’ont pas la possibilité d’inscrire un projet de loi ou autre?
Si c’est le cas, comment peut-on transmettre l’information au groupe de la RASNAG pour qu’ils sachent quels articles figureront à l’ordre du jour? Quand reçoivent-ils cette information?
M. Frassa : Il y a deux choses. La Constitution, depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008, stipule que désormais, l’ordre du jour est partagé entre le gouvernement et le Parlement, ce qui fait qu’il y a des semaines d’initiative parlementaire et des semaines d’initiative gouvernementale.
Je disais tout à l’heure qu’il y a une possibilité d’inscrire des propositions de loi à l’ordre du jour, c’est-à-dire des textes d’origine parlementaire. Nos collègues non inscrits n’ont pas cette possibilité, contrairement aux groupes politiques, puisque seuls ces derniers ont l’initiative d’inscription à l’ordre du jour lorsque nous sommes dans une semaine d’initiative parlementaire. Cette possibilité est laissée aux groupes politiques, et non pas individuellement à un parlementaire d’inscrire à l’ordre du jour le texte qu’il souhaiterait.
En revanche, tout le monde a connaissance de l’ordre du jour. L’ordre du jour est décidé à la Conférence des présidents et il est envoyé sous plusieurs formes, y compris sous forme papier. Même si le Sénat et l’Assemblée nationale font d’énormes efforts pour que tout soit dématérialisé, on reçoit encore l’ordre du jour sous forme papier et sous forme dématérialisée. Après chaque Conférence des présidents, il est en ligne sur le site du Sénat et on le reçoit par courriel sur l’intranet. Il faut vraiment ne pas vouloir être au courant pour ne pas connaître l’ordre du jour.
Ce sont vraiment deux choses différentes. Ce sont les groupes politiques qui ont la priorité pour inscrire des textes à l’ordre du jour et qui en ont la possibilité. L’information sur l’ordre du jour, tous les parlementaires y ont accès.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Merci de témoigner devant nous aujourd’hui.
En vous écoutant, je me demandais si la plupart des sénateurs non affiliés, selon l’orientation de leurs votes, appuient généralement les projets de loi du gouvernement.
[Français]
M. Frassa : C’est une très bonne question, mais cela dépend surtout de leur origine politique. Comme elle est souvent extrêmement variée, il y a eu par le passé des sénateurs non inscrits qui étaient proches du gouvernement lorsqu’ils étaient en place, parmi eux, et qui adoptaient donc les textes soumis par le gouvernement.
Aujourd’hui, les quatre sénateurs qui sont non affiliés, qui appartiennent au Rassemblement national ou qui en ont été proches sont politiquement dans l’opposition par rapport au président de la République et au gouvernement actuel. Donc, ils ne votent pas.
Il faut y aller au cas par cas; chaque fois qu’il y a un renouvellement du Sénat, il faut quasiment examiner, personne par personne, tous les membres de cette Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe et il faut regarder de près quelle est leur origine politique, puisque cela peut être extrêmement varié. On peut parfois avoir des gens de gauche, du centre, de droite, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche. En l’occurrence, ils viennent tous du même horizon politique et ils s’inscrivent tous dans l’opposition, aussi bien au président de la République qu’au gouvernement du premier ministre, Michel Barnier. Ils sont, en général, dans l’opposition ou, dans le meilleur des cas, ils s’abstiennent.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Merci beaucoup, sénateur Frassa. C’est un véritable honneur de vous recevoir aujourd’hui pour nous informer de la manière dont votre Sénat fonctionne.
J’ai remarqué, lorsque vous avez parlé — et je lis les notes d’information à l’avance —, que votre Sénat est élu et qu’il y a un certain nombre de partis à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les partis au Sénat sont-ils les mêmes que ceux de l’Assemblée nationale, et êtes-vous élus en vous présentant pour un parti? Vous avez également dit qu’il y avait une certaine indépendance au Sénat. Pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionne, s’il vous plaît?
[Français]
M. Frassa : Je serais heureux de vous expliquer tout cela en essayant d’être assez clair. Le Parlement français a deux assemblées qui sont toutes deux élues, mais qui ont cependant une différence. L’Assemblée nationale est élue au scrutin universel direct, donc les députés sont élus dans des circonscriptions avec un scrutin uninominal majoritaire. Au Sénat, nous sommes élus au suffrage universel indirect, avec des circonscriptions au scrutin majoritaire là où il y a un ou deux sénateurs à élire; dès qu’il y a trois sénateurs à élire, c’est un scrutin proportionnel.
Nos électeurs sont les maires, les élus des départements, les élus des régions et ce qu’on appelle les délégués des conseils municipaux, ce qui fait un ensemble de 162 000 grands électeurs à travers toute la France qui élisent des représentants dans des circonscriptions qui, elles, ont la taille des départements français.
Nous sommes élus pour six ans et les députés sont élus pour cinq ans. De manière générale, les 577 députés sont renouvelés en une seule fois et les sénateurs sont renouvelés à moitié. On renouvelle la moitié du Sénat tous les trois ans, ce qui fait du Sénat une assemblée permanente, puisqu’elle n’est jamais renouvelée intégralement. Il y a des groupes qui avaient exactement le même nombre. Par exemple, le parti Les Républicains, auquel j’appartiens, qui est issu de la droite et qui, pour prendre un exemple qui peut donner du sens au Canada et en Amérique du Nord, est la droite conservatrice, avait le même nom à l’Assemblée nationale et au Sénat jusqu’au dernier renouvellement de l’Assemblée nationale et il a le même nom que le parti auquel nous appartenons. Le parti s’appelle Les Républicains, le groupe politique s’appelle Les Républicains et à l’Assemblée nationale, il s’appelait aussi Les Républicains. À l’Assemblée nationale, depuis les dernières élections législatives, le groupe politique a changé de nom; il s’appelle maintenant la Droite Républicaine, mais c’est la même chose.
À l’Assemblée nationale, le Parti socialiste s’appelle le Groupe Socialiste, écologiste et républicain, et au Sénat, il s’appelle le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Vous avez des variantes. Il y a huit groupes politiques au Sénat. Je crois qu’il y en a 11, comme je l’ai dit tout à l’heure dans mon introduction, à l’Assemblée nationale. Par contre, ce n’est pas forcément le reflet des partis politiques et ce n’est pas le reflet dans chacune des assemblées, on n’a pas la même chose. Il y a deux partis qui ne sont pas représentés au Sénat et qui existent à l’Assemblée nationale. Il y a deux partis extrémistes, c’est-à-dire le Rassemblement national, qui est l’extrême droite, et La France insoumise, qui est l’extrême gauche. Ces deux partis n’ont pas d’élus au Sénat alors qu’ils ont des élus à l’Assemblée nationale.
J’ai essayé d’être le plus synthétique possible sans entrer dans des détails qui pourraient nous perdre dans des sentiers plus compliqués.
[Traduction]
La vice-présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Busson : Merci.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Je suis content de vous accueillir ici. J’aimerais que vous reveniez sur un point qui a trait au groupe non affilié. J’ai bien compris qu’ils pouvaient élire un délégué. Est-ce que ce délégué assiste automatiquement à toutes les rencontres des présidents? Si je comprends bien, ils ont le droit de parole, mais pas nécessairement le droit de vote? Pourriez‑vous nous en dire plus?
M. Frassa : Le délégué des sénateurs non inscrits ne siège pas au sein de la Conférence des présidents, là où l’on détermine l’ordre du jour. Il est plutôt consulté uniquement en tant que représentant des sénateurs non inscrits, au moment où l’on arrête les répartitions de l’ensemble des sénateurs dans l’ensemble des commissions. Il faut ici appliquer la règle de la proportionnalité. Là, ils ne sont que quatre, mais lorsqu’ils sont un peu plus d’une dizaine, il faut quand même que le délégué des sénateurs non inscrits puisse dire où chacun de ses membres souhaite aller, puisqu’il est obligatoire que chaque sénateur siège à une commission. Pour ce qui est du temps de parole, c’est le Règlement du Sénat qui le définit, donc il doit faire part des souhaits d’inscription dans le débat des membres de la RASNAG qui souhaitent s’inscrire; il doit aussi indiquer à quel débat ils souhaitent participer et à quel sujet.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Merci, sénateur Frassa, d’être des nôtres aujourd’hui.
Je veux m’assurer de bien comprendre deux points. Le premier, c’est le fait que les sénateurs non affiliés font le choix personnel d’être non affiliés. Est-ce que je comprends bien?
[Français]
M. Frassa : À cette première question, je vous réponds oui, puisque chaque sénateur fait un choix personnel en adhérant à un groupe politique ou en décidant de rester non inscrit. C’est un choix personnel qui appartient au sénateur et qui peut changer tout au long de son mandat.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Il y a un deuxième point que je veux comprendre exactement. Vous nous avez donné beaucoup de détails, et je vous en remercie. Essentiellement, le fait est que les sénateurs non affiliés n’ont pas exactement les mêmes priorités et privilèges que les autres sénateurs. Vous nous avez donné quatre ou cinq exemples différents. S’ils ne sont pas affiliés, ils n’ont pas exactement les mêmes priorités et privilèges. Est-ce exact?
[Français]
M. Frassa : En tant que parlementaire, oui, c’est-à-dire le même droit d’amendement, le même droit de proposer des lois et d’interpeller le gouvernement au moyen de questions. Tout ce qui ressort des droits constitutionnels inhérents au statut de parlementaire, quelle que soit votre appartenance à un groupe, est personnel.
En revanche, l’accès au temps de parole, c’est réglementé par le Règlement du Sénat ou de l’Assemblée nationale, et si je peux m’exprimer ainsi, c’est la propriété des groupes politiques.
Évidemment, comme les non-inscrits représentent la plus petite fraction des groupes politiques, ils ont un temps de parole qui extrêmement réduit et, forcément, ils ont un temps de parole extrêmement court dans les débats.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Merci de cette explication. C’est exactement ce que je voulais dire : les droits sont les mêmes, mais les privilèges et les priorités ne sont pas nécessairement les mêmes. Merci.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Merci, sénateur Frassa, d’être avec nous ce matin.
Le principe de proportionnalité que vous appliquez chez vous me semble donc être le même que chez nous. Pour les non‑inscrits, c’est un regroupement pour ce qui est d’identifier les proportions.
Corrigez-moi si j’ai mal compris, mais vous avez indiqué des limites de temps pour parler de textes de loi qui donnaient une heure, laquelle est attribuée en proportionnalité à des regroupements de non-inscrits ou de gens qui font partie d’un groupe politique.
Si j’ai bien compris, la différence qu’il faut comprendre ce matin, c’est que vous aviez des allocations de temps bien précises pour discuter d’un texte de loi, ce qui n’est pas le cas au Sénat du Canada?
M. Frassa : En fait, il y a deux choses, madame la sénatrice. Lorsqu’un texte est discuté aussi bien à l’assemblée qu’au Sénat, deux choses doivent être distinguées. Il y a d’abord ce que l’on appelle la « discussion générale », qui constitue les prises de parole. Pour vous faire un schéma un peu général sur ce qui se passe avec un texte portant sur n’importe quel sujet, un texte de loi vient en discussion.
Si c’est une proposition de loi, soit un texte d’initiative parlementaire, l’auteur de la loi vient exposer les raisons pour lesquelles il a eu cette idée et pourquoi il veut que ce texte soit adopté. Ensuite, le rapporteur de la commission qui a été saisi expose le travail effectué par ladite commission. Cela s’explique par le fait que, depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Sénat et l’assemblée débattent du texte issu des travaux de la commission, et non du texte original. Donc, que ce soit un texte du gouvernement ou un texte d’initiative parlementaire, c’est seulement sur le texte issu des travaux de la commission que le Parlement débat et vote.
Par la suite, on verra le ministre qui est responsable de ce texte qui défendra la position du gouvernement, si c’est un texte d’initiative parlementaire. Vient alors la discussion générale, c’est-à-dire la Conférence des présidents qui décide de la durée, soit de 45 minutes ou d’une heure — cela va rarement au‑delà —, avec un temps de parole minimum de 5 minutes pour les groupes, qui augmente à la proportionnalité du nombre de membres du groupe, et un temps de parole de 3 minutes pour les non-inscrits. Ce temps de parole n’est pas augmenté, puisqu’ils ne sont que quatre.
Enfin, on a la discussion sur les articles du texte proprement dit, avec les différents amendements qui ont été déposés par tout un chacun, que ce soit le gouvernement, le rapporteur du texte ou n’importe quel sénateur membre de la commission ou membre du Sénat, y compris les non-inscrits. À ce moment-là, ils ont un temps de parole égal entre tous, soit deux minutes, pour le présenter. La commission et le gouvernement répondent par la suite, et on a encore deux minutes, après le sort qui a été émis par le rapporteur et par le gouvernement, pour expliquer son vote ou pour dire si on le retire ou pas, si le gouvernement et la commission ont dit qu’ils étaient défavorables.
Voilà comment cela se passe. Il n’y a toutefois pas de temps... Enfin, on peut estimer, selon la longueur du texte dont on discute, que cela exigera une, deux ou trois séances pour examiner le texte, mais c’est la discussion générale qui a une limite de temps déterminée.
Est-ce que je suis arrivé à être à peu près clair?
La sénatrice Ringuette : Oui, très clair. Votre système impose, de façon directe ou indirecte avec la Conférence des présidents, des limites de temps sur les différents sujets à l’ordre du jour, et particulièrement pour la discussion qui nous occupe, sur les textes de loi.
M. Frassa : Uniquement à l’étape de la discussion générale pour les prises de parole des orateurs, ce qu’on appellerait de manière globale les « orateurs des groupes ».
La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur D. M. Wells : Merci, sénateur Frassa, de nous aider aujourd’hui.
Ma question concerne les relations avec les partis de l’Union européenne. Existe-t-il des relations officielles entre les partis représentés au Sénat français et ceux représentés dans les institutions paneuropéennes ? Je pense précisément aux fois où je vais au Conseil de l’Europe, comme je le fais depuis huit ou dix ans. Il y a les conservateurs européens, le PPE, les sociaux-démocrates et les verts. Y a-t-il des alliances officielles ou sont‑elles plus officieuses?
[Français]
M. Frassa : Les partis nationaux sont regroupés au sein d’alliances plus vastes. Pour ce qui concerne celui auquel j’appartiens, qui est Les Républicains, il appartient à ce qu’on appelle le Groupe PPE, le Groupe du Parti populaire européen, qui regroupe tous les partis de la droite et du centre à l’échelle européenne, qui est représenté sous cette appellation au Parlement européen à Strasbourg et qui concourt sous cette appellation lors des élections européennes.
Au sein du Conseil de l’Europe, c’est une assemblée qui n’est pas directement élue et qui siège en étant l’émanation de parlements nationaux, puisque ce sont des délégations de parlements nationaux qui siègent au Conseil de l’Europe.
Nous avons des sénateurs et des députés qui forment la délégation qui siège au Conseil de l’Europe, qui se trouve également à Strasbourg. Ils se regroupent aussi régulièrement dans des groupes politiques qui ressemblent à leur famille politique d’origine. Les relations que l’on peut avoir se font d’une manière qui n’est peut-être pas formelle, mais naturelle. À l’intérieur de notre parti politique, nous avons des relations entre les parlementaires qui sont sénateurs, députés, députés au Parlement européen et vis-à-vis du Conseil de l’Europe; ce sont des députés et des sénateurs qui siègent. Donc, ce sont les mêmes.
Voilà exactement comment les relations se créent, c’est-à-dire que nous appartenons au même parti politique. Il m’est arrivé de siéger régulièrement aux instances du congrès du Groupe du Parti populaire européen quand il tient sa formation. J’y siège au titre de mon parti politique, pas en tant que membre du Parlement. J’y siège en tant que parlementaire, mais en qualité de membre du bureau politique de mon parti.
[Traduction]
Le sénateur D. M. Wells : Merci beaucoup de ces explications.
Le sénateur MacDonald : Sénateur Frassa, merci beaucoup d’être des nôtres ce matin.
J’aimerais vous parler du rôle du Président au sein de votre Sénat. Au Canada, le Président de la Chambre est choisi par l’ensemble des députés, mais le Président du Sénat est choisi par le gouvernement. Les règles qui entourent la façon dont le Président vote à la Chambre sont légèrement différentes, car il est censé briser l’égalité, alors que le Président du Sénat peut voter sur toute mesure législative qu’il estime utile de le faire. Comment choisissez-vous votre Président? Est-il nommé par le parti au pouvoir? Est-il choisi par tous les sénateurs? Dans quelle mesure votre président est-il partisan?
[Français]
M. Frassa : Vous avez posé une question à tiroirs où il y a plusieurs questions. Le Président du Sénat est forcément un sénateur, donc il doit d’abord être l’un d’entre nous. Il est élu comme chacun d’entre nous et soumis au même renouvellement. Il doit d’abord faire campagne et se faire élire par ses électeurs avant de pouvoir être candidat à la présidence du Sénat. Il est généralement issu du groupe majoritaire. Le président Larcher, qui est Président du Sénat depuis 2008, l’année où j’ai été élu, avec une seule interruption de 2011 à 2014, a toujours été élu avec une majorité sénatoriale de la droite et du centre. Donc, il est toujours à la tête d’une coalition de la majorité sénatoriale qui dirige le Sénat depuis maintenant 16 ans.
Il est forcément partisan, puisqu’il est issu d’un parti politique, mais il joue également le rôle de représentant de l’institution et il est le garant du bon fonctionnement de l’institution; si vous me permettez une expression un peu plus triviale, il est le patron des 347 autres sénateurs et il doit faire en sorte que tout fonctionne bien dans l’institution quotidiennement.
Parallèlement à cela, il joue également un rôle qui lui est dévolu par la Constitution : il est le deuxième personnage de l’État. En cas de problème constitutionnel, s’il arrivait quelque chose au président de la République, il lui succéderait, certes brièvement, mais avec la responsabilité d’organiser l’élection présidentielle pour désigner le nouveau président de la République.
Il est à la fois un homme politique, le gardien d’une institution du Parlement qui, elle, est permanente, mais il est également un chef politique qui a un regard sur la conduite des affaires de l’État et qui n’a pas forcément à être d’accord avec le président de la République. Il l’a dit à plusieurs reprises.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Pour éclaircir les choses, le Président est choisi directement par tous les membres du Sénat?
[Français]
M. Frassa : Il est élu par tous les membres du Sénat à bulletin secret.
[Traduction]
La vice-présidente : J’ai une autre question, sénateur Frassa, pour terminer.
Vous expliquiez tout à l’heure que les sénateurs non affiliés peuvent avoir un « lien administratif » avec un groupe affilié particulier. Je me demande pourquoi le groupe accepterait qu’un sénateur ait simplement ce lien administratif plutôt que d’exiger qu’il lui soit officiellement affilié. Est-ce simplement pour augmenter le nombre de sénateurs du groupe afin qu’il compte un plus grand nombre de sénateurs affiliés? Est-ce ce qui attirerait les gens?
[Français]
M. Frassa : Madame la vice-présidente, vous touchez à une question stratégique essentielle dans une assemblée comme le Sénat ou l’Assemblée nationale, c’est-à-dire au sein du Parlement en français : c’est celle du nombre. Plus vous êtes nombreux, plus vous pouvez prétendre à obtenir des postes que l’on qualifie d’institutionnels. Plus vous êtes nombreux, plus vous pouvez prétendre à obtenir des postes de président de commission, des postes de vice-président du Sénat ou de questeur du Sénat.
Donc, c’est dans l’intérêt des groupes politiques de pouvoir offrir la possibilité, en dehors du fait d’être un membre direct, d’être membre apparenté ou membre rattaché administratif au sein du groupe. On peut donc laisser cette assez grande latitude d’adhésion pour que des membres puissent se sentir à l’aise, mais viennent grossir les rangs d’un groupe politique, ce qui permet au groupe d’être toujours en tête et d’être le premier en ordre de grandeur. Ainsi, un groupe peut prétendre, puisqu’il y a sept commissions permanentes, à avoir cinq présidences de commission, six postes de secrétaire, quatre présidences, vice‑présidences, etc. En fait, c’est cela l’enjeu.
Tous les grands postes de responsabilités au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat sont répartis proportionnellement à l’importance des groupes. Il est là, le véritable enjeu.
Cela permet aux membres qui adhèrent à un groupe de ne pas se sentir obligés envers la discipline du parti ou du groupe, et cela permet au groupe de compter dans ses rangs un nombre important de membres au moment où les postes à responsabilités sont répartis en proportion des membres du groupe.
En fait, c’est un jeu gagnant-gagnant.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup, sénateur Frassa, d’avoir témoigné aujourd’hui malgré l’importante différence d’heure qui nous sépare. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution à notre étude. Vous nous avez fourni quantité d’informations et de bonnes réponses à nos questions. Nous avons le sentiment de mieux comprendre la situation actuelle au Sénat français.
Nous voilà à la fin de notre ordre du jour. Nous conclurons donc ici notre réunion. Merci.
(La séance est levée.)