LE COMITÉ PERMANENT DU RÈGLEMENT, DE LA PROCÉDURE ET DES DROITS DU PARLEMENT
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 19 novembre 2024
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd’hui, à 9 h 35 (HE), avec vidéoconférence, conformément à l’article 12-7(2)a) du Règlement, pour étudier des amendements possibles au Règlement.
La sénatrice Michèle Audette (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Kuei. Bienvenue aux sénateurs et sénatrices qui sont avec nous aujourd’hui et aux personnes qui nous écoutent sur sencanada.ca. Il y a des gens qui vont transmettre nos voix en français et en anglais, donc essayons de faire attention à nos micros pour faciliter leur travail. Lorsqu’on s’avance trop près, il peut y avoir un retour de son. C’est un petit rappel amical; vous connaissez la procédure. Je m’appelle Michèle Audette, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.
J’aimerais demander à mes collègues de faire un tour de table afin de se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Black : Bonjour. Rob Black, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Bonjour. Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Bonjour. Je m’appelle Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Bonjour. Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup. Aujourd’hui, honorables sénateurs et sénatrices, nous allons continuer d’étudier le rôle des sénateurs et sénatrices non affiliés. Nous avons le plaisir d’accueillir en vidéoconférence Jean-Éric Gicquel, professeur en droit constitutionnel et en droit parlementaire de l’Université de Rennes 1. Je vais céder la parole à notre invité.
Jean-Éric Gicquel, professeur en droit constitutionnel et en droit parlementaire, Université de Rennes 1, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je suis très honoré de participer au travail de votre comité et, d’une manière plus large, à celui du Sénat canadien. Mon propos liminaire vise à vous expliquer le fonctionnement des non-inscrits au Sénat. Il y a également des non-inscrits à l’Assemblée nationale, mais il y a quelques particularités qui n’existent qu’au Sénat et pas à l’Assemblée nationale.
La liberté de ne pas appartenir à un groupe est fixée par le Règlement du Sénat à l’article 5, qui dit ceci : « Nul ne peut faire partie de plusieurs groupes ni être contraint de faire partie d’un groupe. »
La seule interdiction, c’est d’appartenir à deux groupes simultanément. La vie au Sénat comme à l’Assemblée nationale est structurée autour des groupes politiques. C’est visible à nombreux endroits, notamment pour ce qui est de la composition du bureau, qui est l’organe directeur du Sénat, ainsi qu’à l’Assemblée nationale. La vie des groupes structure l’organisation des commissions, notamment les commissions législatives d’enquête. Cela structure la discussion générale lorsqu’il y a un texte qui est débattu devant les sénateurs. On calcule le temps de parole en fonction des groupes. On aura l’occasion de voir qu’en France, on a des droits spécifiques et des droits particuliers accordés aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires, notamment le droit à la création de commissions d’enquête, et que ce sont les groupes qui sont les seuls bénéficiaires de tels mécanismes.
Comme le disait un député français :
[... ] nous sommes tous égaux puisque nous disposons chacun d’une voix, mais l’adhésion à un groupe parlementaire procure des droits supplémentaires.
Toutefois, l’adhésion à un groupe parlementaire procure des droits supplémentaires, notamment des droits matériels dont bénéficient les groupes, et des droits financiers. On précise qu’il faut un effectif minimum pour constituer un groupe. Au Sénat, le seuil est très bas, puisqu’il faut simplement être 10 sénateurs pour constituer un groupe. On en compte actuellement huit. Il y a en France un phénomène d’augmentation du nombre de groupes. On aura l’occasion de voir, et peut-être que je devrai donner des précisions sur certains éléments, qu’il y a une particularité dans le cas du Sénat français, c’est-à-dire qu’on peut faire partie d’un groupe, mais on peut également y être simplement apparenté ou encore rattaché administrativement, même si les différences entre l’apparentement et le rattachement sont assez subtiles, voire parfois artificielles.
Pour ce qui est des non-inscrits, c’est un droit. Cette possibilité concerne actuellement 4 sénateurs sur 348. Pendant longtemps, afin de décrire ce qu’était un sénateur non inscrit en France, on utilisait la boutade suivante : il s’agit d’un sénateur qui siège au centre, vote à gauche et a la réputation d’être un homme de droite.
Cela n’existe plus actuellement, mais à une époque, on pouvait avoir un groupe composé de sénateurs non inscrits en respectant le seuil minimal de 10 sénateurs. Les non-inscrits décidaient de se réunir et de constituer un groupe ayant une très forte indépendance les uns par rapport aux autres. Cette situation a pu exister par le passé. Tel n’est plus le cas, puisque désormais, on a très peu de sénateurs non inscrits. Actuellement, ils sont quatre. On est très loin du seuil minimal de 10 sénateurs.
À titre de compensation, comme ces sénateurs non inscrits ne peuvent pas se constituer en groupe, il existe une originalité au Sénat qu’on ne retrouve absolument pas à l’Assemblée nationale. Les sénateurs non inscrits peuvent se réunir dans un organe qui s’appelle la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. C’est la RASNAG, dans le vocabulaire politique français. Ce n’est pas un groupe; c’est une réunion qui n’est pas présidée par un président de groupe, mais bien par un délégué. On peut prendre en compte l’existence de cette réunion dans la composition des commissions législatives et d’enquête. On peut réfléchir à la présence des membres de cette réunion au sein du bureau. En revanche, tous les groupes sont assurés d’être représentés au bureau. Ce n’est pas le cas de la réunion administrative. On peut en tenir compte lorsque l’effectif est important. Lorsqu’on a huit ou neuf sénateurs, c’est plus envisageable qu’actuellement, alors qu’ils ne sont que quatre.
Voilà donc les quelques propos d’introduction qui vont vous permettre de me poser de nombreuses questions sur le fonctionnement des sénateurs non inscrits en France.
La présidente : Merci pour votre présentation, qui est très claire. Monsieur Gicquel, je vais céder la parole à mes collègues. Les questions seront posées en français ou en anglais. J’espère que vous avez avec vous le système de traduction ou que vous êtes en mesure de bien recevoir le message de mes collègues.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup au témoin.
Comme vous l’avez dit dans votre exposé, vous avez besoin de 10 sénateurs pour former un groupe. Je me demandais s’il y a des exigences à part la formation d’un groupe de 10. Par exemple, faut-il établir l’objectif commun pour lequel on s’engage? Ou ne faut-il que remplir cette condition des 10 sénateurs, et c’est la seule, sans qu’il n’y ait d’autres exigences?
[Français]
M. Gicquel : Oui, il y a un effectif de 10 et après, on exige qu’ils partagent une philosophie politique commune. Dans certaines situations, il n’y a pas de problème, puisque ce sont des partis de droite ou de gauche, par exemple socialiste ou centriste. Comme je l’ai indiqué dans mes propos liminaires, c’est arrivé parfois dans l’histoire du Sénat que les personnes étaient extrêmement disparates en ce qui a trait à la philosophie politique, mais elles avaient décidé de se constituer en groupe parce qu’il y a beaucoup d’avantages. Il y avait un groupe de sénateurs non inscrits et dans ce cas de figure, effectivement, la philosophie politique que partageaient les sénateurs pouvait être extrêmement différente. Généralement, ils sont unis par une vision politique. Ce n’est pas seulement 10 personnes et on peut le faire, mais c’est rare dans le système français. Il faut surtout une vision politique commune. On peut avoir des sénateurs non inscrits qui, faute de mieux, décident de former un groupe, mais c’est rare.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci. Donc, on doit adhérer à la même philosophie politique et à ce genre de choses. Est-ce que l’on va au-delà de l’affiliation à un parti, dans ce cas? Est-ce que la philosophie politique ou ce genre de choses serait la seule exigence à laquelle il faut satisfaire comme but commun, sans que l’on doive se définir de manière très générale?
Faut-il aussi que l’on soit spécifiquement affilié à un parti politique actuel en France, ou ce genre de choses? Ou s’agit-il de concepts plus vastes, comme le courant libertarien ou un certain type de philosophie comme le socialisme? Je parle de choses auxquelles les partis politiques pourraient adhérer ou non, mais surtout de philosophie politique générale. Est-ce que ce groupe pourrait même être constitué de sénateurs qui aiment les arbres verts? Est-ce que l’on pourrait se regrouper autour de quelque chose de très général simplement pour s’assurer de pouvoir former un groupe de 10?
[Français]
M. Gicquel : En fait, dans le système français, même si ce n’est pas obligatoire, les membres des groupes appartiennent au même parti politique. Donc, le problème est réglé de cette manière, même si ce n’est pas une obligation juridique. De fait, les personnes qui partagent la philosophie économique, sociale ou environnementale font toutes partie du même parti politique, en réalité. Le problème est réglé.
Cette question se pose concrètement lorsqu’il y a des non-inscrits; en réalité, ce sont de petits partis qui ne sont pas assez suffisants et qui se retrouvent avec quelques personnes isolées ou des personnes en dissidence par rapport à d’autres partis politiques. Même si les textes juridiques, le Règlement de l’Assemblée nationale et le Règlement du Sénat sont muets sur les partis politiques, en réalité, la vie est structurée aussi autour des partis politiques. En France, le groupe, c’est l’émanation du parti politique au sein de chaque Chambre. On a un Parti socialiste, donc on aura un groupe socialiste à l’Assemblée nationale et au Sénat; on a un parti de droite qui s’appelle les Républicains, donc on aura un groupe de Républicains. Parfois, il peut y avoir des scissions; des dissidents quittent le groupe, parce qu’ils ont quitté le parti, et ils se retrouvent chez les non-inscrits. C’est comme ça qu’on peut essayer de mieux voir comment les personnes se regroupent. Elles se regroupent parce qu’elles font déjà partie du même parti politique.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Qui détermine si le groupe a rempli cette exigence? Est-ce une fonction administrative de cette institution? Qui détermine ce statut? Est-ce que l’on procède soi-même à cette détermination et qu’il n’y a aucun moyen de contester le non-respect de cette exigence?
[Français]
M. Gicquel : Qui détermine cela? En réalité, comme je l’ai dit, le groupe parlementaire, en général, c’est juste l’émanation du parti politique. Ils ont la même couleur politique. C’est naturel. Ils font partie du même parti. C’est naturel qu’ils se regroupent entre eux. Ils vont créer un groupe, car ils appartiennent à la même logique, au même parti. Il n’y a pas de problème particulier, il n’y a personne qui décide cela. Simplement, les partis politiques se sont superposés progressivement par rapport aux groupes. En réalité, quand on parle des groupes parlementaires en France, on pourrait parler, même si personne ne le dit, de partis parlementaires. Ce sont des partis représentés au sein de chaque Chambre.
[Traduction]
La sénatrice Batters : D’accord, mais qu’en est-il si l’on parle de quelque chose de moins précis qu’un parti politique, d’un groupe plus vaste? Qui détermine si le groupe a assez de cohésion pour être classé comme tel, ou si l’on ne tente que de satisfaire au critère des 10 membres pour être sûr de recevoir certains privilèges?
[Français]
M. Gicquel : Qui assure la solidité du groupe? En réalité, on pourrait dire que c’est le parti politique.
S’il y a des tensions internes au sein du parti ou des scissions visibles au sein du parti, progressivement, on aura des consultations au sein du groupe et certains sénateurs ou députés quitteront le groupe pour constituer un autre groupe. La particularité du Sénat, et c’est beaucoup plus complexe et moins marqué qu’à l’Assemblée nationale, c’est que vous pouvez avoir des groupes qui ne sont pas des émanations de parti politique. Maintenant, c’est de moins en moins le cas, mais on peut avoir des personnes qui n’appartiennent pas à des partis politiques et qui vont se regrouper parce qu’elles ne sont pas membres de tel ou tel parti politique. Elles n’appartiennent pas aux partis traditionnels et se disent : « Nous partageons une philosophie commune et nous allons nous réunir même s’il n’y a pas de parti derrière nous. »
Il faut bien comprendre qu’en France, cela dépend si vous siégez à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Très souvent, on a un parti et un groupe unis très fortement et parfois — c’est surtout le cas au Sénat —, vous pouvez avoir un ou deux groupes qui ne sont pas les émanations de partis politiques. Il s’agit simplement de sénateurs qui préfèrent être ensemble parce qu’ils n’appartiennent pas aux autres partis politiques, et ils préfèrent se regrouper pour bénéficier des avantages du groupe. Ils peuvent très bien être 20 à 30 personnes. Ce sont généralement de petits groupes, parce que les grands groupes sont des émanations des partis politiques.
La sénatrice Batters : Merci.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci à notre témoin expert de se joindre à nous et de nous en dire plus sur la situation en France.
J’aimerais beaucoup en savoir plus sur la RASNAG. Vous avez mentionné que c’était une structure administrative. Vous avez dit que ce n’était pas un groupe politique et qu’il n’y avait pas de président, mais un délégué.
Pourriez-vous nous en dire plus sur cette structure administrative? En particulier, y a-t-il un budget pour cette structure? Quel est le rôle du délégué? Quel soutien les membres de la RASNAG reçoivent-ils, le cas échéant? Est-ce que cela ressemble à ce qu’ils recevraient s’ils faisaient partie d’un groupe ordinaire? Je suis désolée, nous avons beaucoup de questions à poser, mais notre temps est limité.
[Français]
M. Gicquel : La première différence, comme je l’ai déjà dit, c’est que ces mécanismes n’existent absolument pas à l’Assemblée nationale. Les non-inscrits sont totalement isolés et n’ont pas droit à un quelconque appui.
Le Sénat a une logique différente. Il estime que même les sénateurs qui sont complètement isolés, qui ne peuvent pas se rattacher à un groupe politique... Je vais vous donner une illustration claire pour que vous puissiez comprendre la situation. Les quatre sénateurs non inscrits appartiennent à un parti d’extrême droite, le Rassemblement National. Ce sont quatre sénateurs qui ne peuvent pas, pour des raisons politiques évidentes, se rattacher à un autre groupe, car ces groupes ne voudraient pas de la présence de ces quatre sénateurs. Ils sont membres du Rassemblement National.
Le Sénat ne souhaite pas exclure un sénateur en fonction de sa couleur politique. Donc, la compensation a été de permettre à ces sénateurs non inscrits de se réunir dans une réunion, la RASNAG. Cette réunion dispose d’un appui financier; les sénateurs reçoivent une petite somme de l’ordre d’environ 100 000 € qui leur permet d’avoir quelques collaborateurs. Ils ont une petite équipe — je ne sais pas exactement combien ils sont, parce qu’il faudrait entrer dans les détails et parfois, c’est un peu opaque — et cette somme leur permet de recruter deux ou trois collaborateurs pour la réunion. Cette petite équipe technique va apporter une aide à ces quatre sénateurs qui sont isolés.
Ces quatre sénateurs élisent un délégué et ce délégué — c’est le terme — n’est pas un président de groupe. Il y a des termes distincts : on a les présidents de groupe et le délégué de la RASNAG.
Il y a une formation importante au Sénat : c’est la Conférence des Présidents. Cette conférence fixe les grands principes de discussion des textes. La Conférence des Présidents unit les présidents des commissions et les présidents des groupes, et elle invite aussi le délégué de la RASNAG à participer à ces réunions. Les non-inscrits ont un petit droit de regard, car au moins le délégué peut participer à cette Conférence des Présidents, qui joue un rôle important au quotidien dans le fonctionnement du Sénat, alors qu’à l’Assemblée nationale, les députés non inscrits n’ont droit strictement à rien et n’ont aucune aide spécifique.
Il faut aussi garder à l’esprit qu’individuellement, quelle que soit son appartenance politique, qu’il appartienne à un groupe ou non, le sénateur a des droits constitutionnels protégés et des droits financiers qui sont tous équivalents. Il a donc la même indemnité parlementaire, mais il y a effectivement des éléments qui sont plus avantageux pour un sénateur ou un député lorsqu’il appartient à un groupe. Par exemple, le groupe va recevoir des millions d’euros pour fonctionner, alors que le RASNAG n’a que 100 000 €. En revanche, il y a des millions d’euros qui seront donnés aux groupes en fonction de leur taille; les gros groupes ont davantage de moyens que les petits groupes. Donc, avec ces millions d’euros, vous pouvez recruter beaucoup de collaborateurs et une énorme équipe technique. Vous faites partie d’un groupe et vous pouvez bénéficier de tous les avantages financiers du groupe, c’est-à-dire tous les moyens que le groupe met à la disposition des membres du groupe. La RASNAG a un peu d’argent, et on ne veut pas l’éliminer : elle a 100 000 € et elle peut recruter deux ou trois collaborateurs; cela fait une différence majeure.
Vous comprendrez aisément pourquoi les quatre sénateurs non inscrits sont non inscrits. C’est une configuration politique particulière en France.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Pourrais-je poser une question sur les comités? Je reconnais que la situation n’est pas exactement la même entre nos Sénats, mais un sénateur, même non affilié, a-t-il le droit d’être membre d’un comité participant à l’étude des enjeux et des projets de loi et faisant rapport au Sénat?
[Français]
M. Gicquel : Tout sénateur doit impérativement appartenir à une des commissions permanentes qui s’occupe des activités législatives. Au Sénat, il y a sept commissions permanentes et tous les sénateurs doivent appartenir à une des sept commissions. Donc, les quatre sénateurs non inscrits appartiennent tous à une commission permanente. C’est une obligation. Puisqu’ils sont quatre et qu’il y a sept commissions, il y a trois commissions où il n’y a aucun non-inscrit.
La sénatrice Saint-Germain : Bon après-midi, monsieur Gicquel. Vous avez indiqué — à juste titre, bien sûr — que chaque sénateur a des droits constitutionnels qui doivent être respectés. L’un de ces droits est celui d’être un législateur et de se prononcer sur les projets de loi. Dans le système actuel, où seulement quatre sénateurs sont non inscrits, est-ce qu’il y a des circonstances où l’un des sénateurs non inscrits n’aurait pu se prononcer sur un projet de loi?
M. Gicquel : Ils ont tous la possibilité, puisqu’ils ont des droits constitutionnels, de prendre part à la discussion.
En France, on a une discussion générale, puis une discussion article par article. Concernant la discussion générale, la Conférence des Présidents peut décider, par exemple, de la fixer à deux heures. On répartit les deux heures en fonction des groupes et ensuite, les quelques minutes restantes seront accordées aux sénateurs non inscrits. Ils peuvent parler, mais nécessairement moins longtemps que les membres d’un groupe.
Ensuite, ils ont des droits constitutionnels, notamment celui de déposer des amendements; ils ont donc la possibilité de prendre la parole pour déposer leur amendement, avec la faible probabilité que leur amendement soit adopté, puisqu’un vote a lieu par la suite. De plus, les sénateurs non inscrits, dans le contexte politique actuel, appartiennent à un parti d’extrême droite, donc la possibilité que leur amendement soit adopté est nulle. Ils peuvent effectivement prendre la parole et déposer des amendements. Après, comme je l’ai mentionné, c’est le vote à la majorité, donc ils font très peu le poids dans la discussion législative actuellement.
La sénatrice Saint-Germain : Par ailleurs, est-ce qu’il y a des avantages? On a beaucoup parlé des inconvénients d’être non inscrit, mais c’est par choix ou par absence de choix dans certains cas. Cependant, est-ce qu’il y a des avantages à être un non-inscrit dans le système sénatorial français?
M. Gicquel : En fait, ils sont plus faibles qu’à l’Assemblée nationale, parce qu’à l’Assemblée nationale, les groupes sont souvent extrêmement disciplinés. La discipline, compte tenu du mode d’élection des sénateurs, est moins visible et moins forte au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
Les avantages pour les députés non inscrits, c’est une liberté totale de vote, mais vous pouvez l’avoir aussi au Sénat lorsque vous faites partie d’un groupe, car la discipline de groupe n’est pas aussi marquée au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Comme cette discipline de groupe est moins forte au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, finalement, il y a assez peu d’avantages à être non inscrit au Sénat, parce qu’on ne bénéficie pas des avantages qui existent à l’Assemblée nationale.
À l’Assemblée nationale, la discipline de groupe est très prégnante. Donc, vous avez davantage la possibilité de voter comme vous le souhaitez quand vous êtes député. Au Sénat, c’est un peu comme cela, et même si les groupes s’efforcent de discipliner leurs membres de plus en plus, on voit bien que c’est plus compliqué d’imposer une discipline de vote stricte au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Les sénateurs ont-ils le droit de choisir à laquelle des quatre commissions ils vont siéger? Dans la négative, par quel processus affecte-t-on les sénateurs aux quatre commissions?
[Français]
M. Gicquel : Dans le système français, le choix d’appartenir à une commission n’est pas totalement libre. Vous êtes obligé de faire partie d’une commission. Ensuite, il est impératif que la physionomie politique de la commission soit identique à la philosophie politique de l’hémicycle dans son intégralité. Cela veut dire que si un parti est le plus puissant au sein de l’hémicycle, il doit l’être dans toutes les commissions de manière équivalente. Autrement dit, la majorité doit l’être dans toutes les commissions, et l’opposition doit être minoritaire dans toutes les commissions également. Il n’y a pas une commission où l’on va inverser les choses. C’est donc le critère politique qui entre en ligne de compte.
Vous avez ensuite un critère technique. Par exemple, si vous êtes médecin, vous allez plutôt travailler à la Commission des affaires sociales qu’à la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Au Sénat, il y a aussi le critère de l’ancienneté qui est privilégié. Cela signifie qu’un sénateur plus âgé a une sorte de droit de priorité par rapport à un sénateur qui vient d’arriver.
Une fois que les groupes ont placé leurs hommes et leurs femmes au sein des commissions, il reste de petits trous à combler; on y retrouve les quatre sénateurs non inscrits. Ces derniers se feront dire par le groupe qu’il reste quatre places dans telle ou telle commission et qu’ils doivent se débrouiller pour savoir qui ira dans l’une d’elles. Ce sont les groupes qui disent aux sénateurs non inscrits ce qu’il reste, c’est-à-dire des miettes.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Ai-je bien entendu que les critères de proportionnalité, d’expertise et d’ancienneté, ainsi que le processus d’attribution, relèvent principalement des groupes politiques? On comble les sièges au début, si je puis m’exprimer ainsi, puis on comble les sièges vacants avec des sénateurs non affiliés; ai-je bien résumé le processus?
[Français]
M. Gicquel : Absolument.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Merci.
La sénatrice McPhedran : Je me demandais si vous pouviez nous dire, s’il vous plaît, comment on choisit le délégué de la RASNAG. Si vous avez une description de poste ou des documents sur la RASNAG que nous n’avons pas déjà reçus, pourriez-vous vous assurer de les transmettre au comité pour que nous puissions mieux comprendre de quoi il en retourne?
[Français]
M. Gicquel : Je pense que puisqu’ils ne sont que quatre, ils n’ont pas dû procéder à une élection, et ils ont dû choisir l’un des quatre en décidant qui voudrait assumer la fonction de délégué. Je ne peux toutefois pas savoir comment ils l’ont fait, mais à quatre, c’est compliqué d’organiser une élection.
Sur le plan de la documentation, la RASNAG a peu de moyens pour être visible sur le site Web de l’Assemblée nationale, donc il y a peu de documentation. La meilleure solution serait, à mon avis, que le Sénat canadien prenne directement contact avec le Sénat français et le délégué en question, pour savoir quels documents ils pourraient vous fournir. De l’extérieur, on n’a pas grand-chose, en réalité.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus concernant les propos du sénateur Woo sur la proportionnalité entre les groupes. Y a-t-il une définition claire sur les droits dont bénéficient seulement les groupes pour prendre position, par exemple, si un témoin vient au Sénat, pour poser des questions aux témoins au Sénat ou pour exercer tout autre droit que seuls détiennent les groupes?
[Français]
M. Gicquel : Des droits nouveaux ont été accordés aux groupes depuis 2008. Il y a principalement ce qu’on appelle les groupes d’opposition, et on a aussi créé en France la variété des groupes minoritaires. Ce sont des groupes qui ne sont pas des groupes d’opposition pour des raisons politiques, mais qui sont trop petits sur le plan des effectifs pour être le groupe majoritaire. On a donc trois variétés de groupes : le groupe majoritaire, qui est le plus grand sur le plan des effectifs, puis les groupes minoritaires et d’opposition.
Depuis 2008, on a donné des droits aux groupes. D’abord, chaque groupe a le droit de créer des commissions d’enquête une fois par an. Chaque groupe a également le droit d’avoir, une fois par mois, la possibilité de fixer lui-même l’ordre du jour. Ce sont des droits qui ne sont reconnus qu’aux groupes.
Cela signifie que lorsque vous êtes non inscrit, vous ne bénéficiez d’aucune de ces prérogatives, soit la possibilité de demander la création d’une commission d’enquête ou de fixer l’ordre du jour. Ces pouvoirs sont importants et exercés de façon mécanique au Sénat et à l’Assemblée nationale depuis 2008, mais si vous ne faites pas partie du groupe, c’est terminé pour vous.
La présidente : Merci beaucoup.
On se questionnait au sujet de la RASNAG, et des informations seront échangées entre les deux Sénats.
La sénatrice Ringuette : Merci, monsieur Gicquel, d’être avec nous ce matin. J’ai une question de précision.
Vous avez mentionné tout à l’heure que chaque groupe politique bénéficiait de millions d’euros pour avoir un genre de centre de ressources avec du personnel, et que la réunion administrative bénéficiait aussi d’un certain budget, bien qu’il soit minimal. En plus de ces fonds alloués aux groupes et à la réunion administrative, est-ce que chaque sénateur bénéficie lui aussi de fonds pour faire fonctionner un bureau individuel en tant que sénateur?
M. Gicquel : En ce qui concerne l’aide financière, chaque groupe ainsi que la RASNAG sont constitués en une association qui reçoit des subventions de la part du Sénat, et c’est la même chose à l’Assemblée nationale. Ils reçoivent donc des subventions calculées en fonction des effectifs. Par exemple, si vous avez un groupe de 120 sénateurs, ils ont un budget qui se chiffre à des millions d’euros. Chaque année, le Sénat leur verse une subvention, ce qui leur permettra de recruter du personnel et des collaborateurs qui pourront aider les sénateurs. La RASNAG reçoit aussi un peu d’argent de la part du Sénat, mais cela se chiffre à beaucoup moins puisqu’ils ne sont que quatre; on parle d’environ 100 000 € par an.
Ensuite, chaque député et sénateur dispose d’avantages financiers. Quel que soit son statut, il a droit à une enveloppe identique d’environ 10 000 € par mois pour recruter ses propres collaborateurs, au nombre de deux ou trois. Il y a une distinction à faire entre les collaborateurs du député et du sénateur, qu’il soit inscrit ou non inscrit en groupe, et les collaborateurs communs au groupe qui peuvent travailler en plus. Chaque sénateur a donc droit à sa propre équipe recrutée avec sa propre enveloppe. Chaque sénateur, qu’il soit inscrit ou non, dispose également d’une enveloppe d’environ 6 000 € par mois pour l’exercice de ses frais professionnels, par exemple pour financer sa permanence parlementaire ou ses moyens de transport. Il n’y a pas de différence, que vous soyez inscrit dans un groupe ou que soyez un sénateur non inscrit; ce sont strictement les mêmes avantages financiers.
La présidente : Monsieur Gicquel, je vous remercie pour cet échange, au nom du comité et de mes collègues. Je tiens à m’excuser pour les problèmes techniques. Nous en sommes à la fin de l’ordre du jour. Nous allons donc conclure cette rencontre. Je vais demander aux membres du comité de direction de rester après la réunion.
(La séance est levée.)