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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement


LE COMITÉ PERMANENT DU RÈGLEMENT, DE LA PROCÉDURE ET DES DROITS DU PARLEMENT

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 26 novembre 2024

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd’hui, à 9 h 34 (HE), conformément à l’article 12-7(2)a) du Règlement, pour procéder à l’étude des amendements possibles au Règlement.

Le sénateur Stan Kutcher (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et à ceux qui nous regardent aux quatre coins du pays sur sencanada.ca. Je m’appelle Stan Kutcher, sénateur de la Nouvelle-Écosse et vice-président du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

Je demanderais maintenant à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Busson : Bonjour. Je m’appelle Bev Busson, sénatrice de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Paul Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur D. M. Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de Cap‑Breton, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le vice-président : Merci à tous. Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du rôle des sénateurs non affiliés. Nous avons le plaisir de recevoir Jonathan Malloy, professeur au Département de sciences politiques de l’Université Carleton, qui est renommé pour son excellent travail.

Bienvenue, monsieur Malloy, et merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner devant notre comité. Je vous invite à faire votre déclaration d’ouverture, après quoi nous poursuivrons avec notre séance de questions et de réponses. Vous avez la parole.

Jonathan Malloy, professeur, Département des sciences politiques, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour, sénateurs.

On m’a demandé de parler de la façon dont les autres administrations canadiennes traitent les parlementaires non affiliés. Je ne donnerai pas de détails précis sur les diverses pratiques en vigueur dans les assemblées législatives canadiennes, en partie parce qu’elles peuvent être informelles plutôt que pleinement codifiées et donc difficiles à suivre. Je veux plutôt parler de façon générale des raisons pour lesquelles les pratiques peuvent varier et des facteurs sous-jacents qui influencent les approches à l’égard des parlementaires non affiliés.

Un exercice rudimentaire, mais éclairant, consiste à rechercher dans le règlement de chaque assemblée législative la fréquence d’utilisation de l’expression « parlementaire indépendant ». Les résultats sont ici. Il s’agit donc simplement de l’utilisation de « independent » ou « independent member » dans la version anglaise des règlements législatifs régissant les différentes assemblées législatives canadiennes. À Terre-Neuve-et-Labrador, le terme est mentionné 1 fois; à l’Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, il n’y en a aucune mention; au Québec, le terme revient 55 fois; en Ontario, 20 fois; au Manitoba, 31 fois; en Saskatchewan, 4 fois; en Alberta, 5 fois; en Colombie-Britannique, aucune mention; au Yukon, 6 fois; et à la Chambre des communes, le terme « independent member » est mentionné 9 fois. J’ai exclu les assemblées des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, en raison de l’absence de partis reconnus.

Peut-on en conclure que les parlementaires indépendants ont plus de droits et de privilèges au Manitoba, en Ontario et au Québec, étant donné qu’ils sont mentionnés plus fréquemment? Bien sûr, ce n’est pas nécessairement le cas. Le résultat indique simplement que ces provinces ont choisi ou jugé nécessaire de codifier le statut des parlementaires indépendants plus que d’autres. Les législateurs deviennent non affiliés pour différentes raisons, ce qui affecte souvent ou généralement la façon dont les législatures réagissent à leur présence.

On peut relever au moins quatre catégories distinctes de parlementaires non affiliés à la Chambre des communes et dans les assemblées législatives provinciales.

La première est celle des députés indépendants élus, c’est-à-dire des personnes élues pour la première fois sans affiliation à un parti. Ces situations sont exceptionnellement rares au Canada. Au cours des 50 dernières années, trois cas ont été recensés à la Chambre des communes. Ils sont également rares au provincial.

La deuxième catégorie est celle des députés réélus comme indépendants, c’est-à-dire des personnes précédemment élues au sein d’un parti, mais qui ont été réélues sans affiliation. Ils sont également rares. Jody Wilson-Raybould, en 2019, est l’exemple récent le plus marquant, et l’autre serait Bill Casey, en 2008.

La troisième catégorie est celle des députés auparavant affiliés, qui ont quitté leur parti pour des raisons volontaires ou non, mais n’ont pas encore été réélus. Il s’agit du type le plus courant de parlementaires non affiliés, bien que les raisons de leur départ varient considérablement. Très peu de ces personnes sont réélues, de sorte que leur période de non-affiliation est brève.

La quatrième catégorie est constituée de députés dont le parti n’est pas reconnu. Ces députés sont élus sous la bannière d’un parti qui n’a pas remporté suffisamment de circonscriptions pour être reconnu par l’assemblée législative conformément aux règles de celle-ci. Les députés du Parti vert s’avèrent le meilleur exemple à la Chambre des communes. Il y a également le Bloc québécois entre 2011 et 2019. Il existe de nombreux exemples dans les législatures provinciales également.

Pour dire les choses simplement, chaque député non affilié a sa propre histoire. Certains ont décidé de ne pas s’affilier à un parti. Pour d’autres, il s’agit d’une situation involontaire; certains ont tenté en vain de rejoindre un parti, d’autres sont affiliés à de petits partis politiques, mais cette affiliation n’est pas officiellement reconnue.

L’historique des députés non affiliés détermine parfois leurs visées ou comment ils sont traités. Les autres députés de l’assemblée hésitent parfois à les soutenir et, s’ils le font, c’est par intérêt et non par altruisme. Dans certains cas, ils ont peu de sympathie ou sont peu enclins à aider un député non affilié, particulièrement lorsque celui-ci a quitté son parti en raison d’une inconduite ou d’un comportement controversé.

Lorsqu’un député quitte son parti pour une question de principe, il est peu probable que son ancien parti lui apporte son soutien; d’autres partis pourraient être plus enclins à l’appuyer si cela sert leurs intérêts.

Les députés non affiliés ont chacun leurs objectifs en tant que législateurs. Dans certains cas, un député non affilié tentera de se joindre à un autre parti. Le nombre de députés indépendants peut également influencer les règles et les pratiques ainsi que la volonté de les modifier. La position sociale des partis à l’assemblée a également une influence, surtout dans une situation de gouvernement minoritaire, où le vote des députés non affiliés peut s’avérer utile. De plus, les députés non affiliés peuvent être plus ou moins enclins à coopérer avec les autres députés et à apprendre d’eux afin de faire progresser leurs intérêts.

La situation des députés non affiliés est appelée à évoluer au fil du temps, étant donné que la majorité d’entre eux ne sont généralement pas réélus. Par conséquent, les règles et les pratiques ne perdurent pas forcément et elles ne sont habituellement pas reconnues officiellement; elles sont souvent modifiées selon le contexte.

Finalement, il importe de distinguer les différents types de soutien recherchés par les députés non affiliés. Parfois, ils cherchent à obtenir une participation, principalement l’occasion de prendre part aux activités législatives et aux travaux des comités. Les assemblées législatives prévoient souvent des accommodements ponctuels qui ressemblent aux occasions offertes aux députés d’arrière-ban affiliés. Ces accommodements ne sont pas toujours dûment codifiés.

Par ailleurs, il convient de reconnaître que les pratiques législatives varient. Par exemple, les assemblées n’accordent pas toutes la même importance aux partis dans leur Règlement; l’ajout de certaines dispositions précises pour les députés non affiliés peut donc s’avérer nécessaire. D’autres assemblées sont moins précises et laissent davantage la place à la souplesse. Souvent, le Président a un certain pouvoir discrétionnaire, à tout le moins de manière informelle, mais les partis doivent parfois donner leur consentement.

Le deuxième aspect s’avère les ressources. Les députés non affiliés disposent des mêmes ressources, notamment en matière de personnel, que les députés affiliés. En revanche, ils n’ont pas accès aux ressources dont disposent les caucus des députés affiliés, y compris les ressources accordées au chef de parti, au leader à la Chambre et au whip. Il s’agit souvent d’une pomme de discorde difficile à résoudre.

Le troisième et dernier aspect à considérer s’avère le mentorat et la communauté. Il s’agit d’un aspect moins concret, mais parfois fort important, pour les députés non affiliés. Le mentorat peut s’avérer particulièrement utile pour les députés n’ayant jamais été affiliés. Nous savons que les partis politiques offrent d’excellentes occasions de mentorat et d’apprentissage, ce qui désavantage les nouveaux députés non affiliés. Toutefois, comme je l’ai dit, les députés n’ayant jamais été affiliés sont plutôt rares.

Cela étant dit, les députés non affiliés sont susceptibles de ressentir un faible sentiment d’appartenance à la communauté et un manque de soutien de la part de leurs pairs. Cette situation peut être délibérée, tout particulièrement dans les cas où un député aurait commis une inconduite ou aurait eu un comportement controversé. De plus, si le député a quitté le parti en raison d’une question politique, il peut se sentir ostracisé par ses anciens collègues et pourrait ne pas recevoir l’appui des députés des autres partis. Comme je l’ai dit plus tôt, ce soutien sera souvent accordé par intérêt plutôt que par altruisme. En fin de compte, ce troisième aspect, le sentiment d’appartenance et de communauté, est probablement le plus important.

En conclusion, peu importe les règles officielles de l’assemblée, l’accommodement des députés non affiliés se fait davantage de manière ponctuelle, selon les circonstances. Cette situation s’explique surtout par le fait que la plupart des députés non affiliés ne sont pas réélus, ce qui nuit à la continuité. La situation est différente au Sénat, puisque les sénateurs sont nommés; les sénateurs non affiliés peuvent donc mener une longue carrière. Néanmoins, règle générale, on offre proportionnellement les mêmes occasions de participer aux délibérations que s’il s’agissait d’un député affilié d’arrière-ban. Il est toutefois difficile de mesurer ce phénomène et la place accordée aux sénateurs non affiliés dépend de la bonne volonté des autres partis et, normalement, du Président.

Les plus grands défis pour les deuxième et troisième catégories s’avèrent les ressources et le sentiment d’appartenance à une communauté, et les solutions faciles sont peu nombreuses. Je vous remercie.

Le vice-président : Je vous remercie pour vos remarques liminaires, monsieur Malloy. J’ai mal prononcé votre nom au début de la séance; je m’en excuse. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

Le sénateur Woo : Je vous remercie, monsieur Malloy, pour vos recherches exhaustives sur les différentes assemblées législatives au pays et leur traitement des membres non affiliés. À la fin de votre exposé, vous avez mentionné quelque chose qui était tout à fait juste; nous sommes très différents de ces institutions et je ne suis pas certain de la pertinence de ces exemples.

Vous le savez pertinemment et je divague un peu, car j’essaie de vous soutirer d’autres idées. Vous avez indiqué que les autres assemblées législatives ont des membres élus. Ces gens ont tous rejoint leur assemblée à la suite d’une élection, et ceux qui se présentent en tant que membre non affilié ou indépendant se font rarement réélire.

Dans notre cas, non seulement sommes-nous nommés, mais le but même du processus actuel au Sénat est d’avoir des sénateurs indépendants. Depuis 2016, nous avons tous été nommés en tant que sénateurs indépendants. Comme vous le savez, il y a une distinction à faire entre les sénateurs indépendants et partisans, mais également avec les sénateurs non affiliés. Le fait de ne pas être affilié ne signifie pas que nous sommes indépendants. Les sénateurs non affiliés décident consciemment de ne pas s’associer à un groupe politique partisan ou un groupe de sénateurs aux vues similaires qui se sont choisi une appellation qui ne correspond pas à un parti politique.

C’est une perspective très éclairante, mais je ne sais pas à quel point ces renseignements sont utiles. Je vais poser une autre question. Si les membres non affiliés ont choisi de ne pas faire partie d’une organisation, qu’il s’agisse d’un parti ou non, quels sont les principes que doit suivre le Parlement afin de les accommoder, conformément à la Constitution, aux pratiques parlementaires du système de Westminster et aux travaux parlementaires? Il s’agit d’une question difficile, j’en conviens, mais j’aimerais avoir votre avis.

M. Malloy : Très bien, sénateur, je conviens que certains des éléments que j’ai mentionnés ne touchent pas directement le Sénat. J’aimerais vous parler du travail qui m’a été confié, mais j’aimerais surtout mettre l’accent sur l’aspect humain, tout comme vous êtes appelés à le faire. Pour ce qui est des autres assemblées législatives, il existe toutes sortes de raison de devenir non affilié ou indépendant.

Comme je l’ai dit, le principe de base est assez simple : les membres devraient bénéficier sensiblement des mêmes droits, peu importe s’ils sont affiliés à un parti ou non, et pouvoir participer aux délibérations, aux séances de comité et autres travaux. Si l’on reprend la terminologie fondée sur les partis, le principe devrait être le suivant : les droits conférés à un membre régulier d’un parti ou d’un groupe devraient également être conférés aux membres non affiliés — pas les mêmes droits qu’un chef de parti ou qu’un membre occupant un poste de leader, choisissez la terminologie qui vous convient, mais les droits accordés devraient être sensiblement les mêmes que ceux des autres membres. Cela dit, il peut être difficile de mettre le tout en pratique et il faut se demander si le fonctionnement doit être codifié ou laissé à la discrétion des autres intervenants, à savoir le Président ou les chefs de parti.

C’est là l’enjeu principal. Si vous prenez note des remarques des membres non affiliés du Sénat ou de la Chambre des communes, vous constaterez qu’ils font souvent part de leur ressentiment du fait qu’ils dépendent des autres, du Président, des chefs de parti, de la bonne volonté des membres, et ainsi de suite, ce que je comprends. D’un autre côté, il faudrait peut-être faire preuve de plus de souplesse et les traiter de manière juste et appropriée. Si l’on tente de tout consigner dans des règles, il se peut que le contexte évolue et que les règles ne répondent plus aux besoins.

Il faut réfléchir au principe. Le principe, c’est qu’il faut les traiter comme tous les autres membres, ce qui suppose de ne pas forcément tout consigner par écrit; il faudrait plutôt s’en remettre au pouvoir discrétionnaire des intervenants. Toutefois, cette façon de faire dépend de la bonne volonté des gens et cela peut poser problème.

Le sénateur Woo : Il semblerait que l’enjeu principal en soit un de proportionnalité. Chaque sénateur devrait avoir son temps de parole, pour ainsi dire, ou sa part des sièges, et ainsi de suite. Toutefois, il est plus facile d’assurer la proportionnalité lorsqu’il s’agit de groupes, plutôt que de personnes, n’est-ce pas? Cela explique en partie pourquoi, au Sénat, même les sénateurs indépendants qui ne veulent pas s’affilier à un parti s’organisent en groupes.

La proportionnalité peut par conséquent être assurée au sein du groupe, si vous voyez ce que je veux dire, alors que si vous tentez d’assurer la proportionnalité pour chaque sénateur, cela devient pratiquement impossible à gérer.

D’après vous, si nous tentions d’atteindre la proportionnalité pour tous les sénateurs, soit par l’entremise de groupe ou de manière individuelle, répondrions-nous à l’exigence de traiter les sénateurs de manière équitable?

M. Malloy : Je suis d’accord en principe. On veut tendre vers la proportionnalité, ce qui, comme je l’ai dit, signifie d’accorder pratiquement les mêmes droits qu’à tous les autres membres, mais cela peut s’avérer difficile.

J’aimerais également revenir sur quelque chose que vous avez dit. Ce principe peut être difficile à appliquer même à l’intérieur d’un groupe ou d’un parti. Parfois, cet aspect est laissé de côté. Tout ne fonctionne pas parfaitement dans les partis et les groupes. Vous le savez pertinemment, puisque vous avez vous-même dirigé un groupe. On minimise parfois cette réalité. Ce n’est pas comme si les membres indépendants ou non affiliés étaient laissés de côté et tout le reste fonctionne parfaitement. Ce n’est pas forcément la réalité.

La sénatrice Ataullahjan : Bonjour. Je vous remercie d’être là, monsieur Malloy. Croyez-vous que les sénateurs non affiliés devraient bénéficier de meilleurs accommodements? Quels changements devrions-nous apporter?

M. Malloy : Eh bien, je vais être prudent. J’ai une idée générale de l’état des lieux au Sénat et des nouvelles règles à ce sujet. J’ignore s’il convient d’apporter des changements à ce moment-ci. Comme je l’ai dit, il faut voir ce qui peut être consigné par écrit et ce qui peut être laissé à la discrétion du Président, des leaders des groupes et des autres membres. Au bout du compte, la décision revient aux sénateurs. Comme je l’ai dit, on peut consigner les façons de faire par écrit ou tenter de codifier certains droits et privilèges précis dont bénéficient les membres non affiliés, mais cela ne mènera pas forcément à des changements.

Je ne peux pas vous donner une réponse précise. Il faut plutôt se demander si le fonctionnement actuel du Sénat convient. Les sénateurs non affiliés ou affiliés sont-ils satisfaits de l’état des lieux? C’est peut-être la question à se poser.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci d’être avec nous, monsieur Malloy. Je vois que votre étude a beaucoup porté sur les élus non affiliés. Pensez-vous qu’il y a des aspects du rôle des sénateurs non affiliés qui nécessiteraient aussi une étude, comme celle que vous avez faite pour les élus? De plus, j’aimerais savoir si l’on peut déterminer le rôle croissant que pourraient jouer des sénateurs non affiliés dans le contexte d’une réforme plus large au Sénat.

[Traduction]

M. Malloy : Je vous remercie, sénatrice. D’emblée, je précise que je suis un universitaire. Il y a toujours moyen de mener une autre étude ou un autre projet de recherche.

La question est liée à de plus grands enjeux qui touchent les changements apportés au Sénat au cours des huit dernières années et la nomination de sénateurs indépendants. Le Sénat, comme vous le savez bien, a beaucoup changé au cours des huit dernières années. Nous avons notamment assisté à l’augmentation du nombre de sénateurs non affiliés qui étaient bien sûr des sénateurs indépendants, je crois que c’est le bon terme, avant 2016; des sénateurs qui ont choisi de ne pas s’affilier à un parti politique. C’est différent de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Je reviendrai sur ce que j’ai dit plus tôt dans mon étude : chaque parlementaire non affilié ou indépendant tend à avoir sa propre histoire quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas d’affiliation. Il faut souvent en tenir compte dans ce qu’ils souhaitent, la façon de les satisfaire, le cas échéant, et le rôle qu’ils veulent jouer à la Chambre. Certaines personnes — je parle au sens large des sénateurs non affiliés, mais aussi des députés provinciaux et fédéraux indépendants — peuvent être non affiliées, mais vouloir jouer un rôle actif à la Chambre. D’autres peuvent ne pas vouloir jouer un grand rôle. Ils ne sont peut-être pas très proactifs. Leurs aspirations et la mesure dans laquelle ils vont utiliser les règles, les droits et les privilèges qui leur sont accordés varient donc considérablement. Chaque personne a sa propre histoire, et il est difficile d’en généraliser l’effet.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci.

La sénatrice Gerba : Merci à notre invité d’être ici. Vous nous suggérez que les membres non affiliés devraient bénéficier des mêmes processus selon la proportionnalité. Or, dans le système qui existe au Sénat du Canada, les membres non affiliés ne sont pas mentionnés dans le Règlement du Sénat. Cela veut dire que, logiquement, il ne devrait même pas y avoir de membres non affiliés au Sénat du Canada. La réalité, c’est que nous en avons. Nous avons des membres non affiliés.

Selon vous, est-ce que les groupes et les partis devraient être autorisés à intégrer les sénateurs non affiliés en tant que membres apparentés ou membres administratifs? C’est une pratique que suit le Sénat français, par exemple.

[Traduction]

M. Malloy : Je ne pense pas nécessairement que c’est vrai ou que les choses devraient se passer ainsi. Premièrement, l’absence de mention dans le Règlement des personnes non affiliées ne signifie pas qu’elles n’existent pas. Elles sont bel et bien présentes. Je reviendrai sur ce que j’ai dit plus tôt à propos des règlements des différentes assemblées. Je constate que le règlement de la Nouvelle-Écosse ne mentionne pas les parlementaires indépendants. Le règlement de Terre-Neuve-et-Labrador en fait mention une fois, mais dans ces deux assemblées, des députés indépendants ont été réélus. À Terre-Neuve-et-Labrador, je crois que deux députés ont été réélus plusieurs fois en tant qu’indépendants. La Nouvelle-Écosse — qui a des élections aujourd’hui, bien sûr — a un député indépendant qui a été réélu en 2021. Ces personnes doivent donc bien exister dans ces assemblées, même si les règles ne les mentionnent pas vraiment ou ne disent pas grand-chose à leur sujet. D’après ce que j’ai compris, les assemblées ont trouvé des moyens de les accommoder, du moins dans une certaine mesure.

Cela revient à dire que le Règlement doit refléter la composition réelle de la chambre législative. Tous les sénateurs ont été nommés au Sénat du Canada. Certains ont choisi de ne pas être affiliés. Le Règlement doit au moins refléter cela, au lieu de dire : « Vous ne pouvez pas être non affilié parce que le Règlement ne mentionne pas votre catégorie. » Les règles doivent être façonnées dans une certaine mesure pour s’adapter à la nature des personnes présentes dans la Chambre. Il se peut donc que d’autres assemblées, comme en France, aient d’autres façons de procéder. Mais en fin de compte, nous devons respecter le choix d’une personne de ne pas être affiliée et trouver le moyen de lui accorder les droits et privilèges proportionnels qui lui reviennent en tant que membre de cette chambre.

[Français]

La sénatrice Gerba : Dans ce cas, cela veut-il dire que c’est la Présidente qui devrait jouer ce rôle? Apparemment, les groupes ont quand même des privilèges au Sénat dans le contexte actuel. C’est une des façons d’attirer les membres non affiliés ou les nouveaux membres qui sont nommés dans cette Chambre. Alors, si l’on devait changer les choses, il faudrait faire une étude, comme le suggère ma collègue, ou alors la Présidente devrait se donner des privilèges pour octroyer elle-même des privilèges de façon proportionnelle aux membres non affiliés. Est-ce ce que vous suggérez aussi?

[Traduction]

M. Malloy : Laisser le pouvoir et la discrétion à la Présidente est certainement une solution. Ce n’est peut-être pas la solution optimale, car elle dépend de la bonne volonté de celle-ci. Elle impose un fardeau à la présidence. Dans la pratique, un Président voudra probablement toujours consulter dans une certaine mesure les autres groupes de partis, les autres sénateurs et les autres chambres, comme c’est généralement le cas dans les assemblées provinciales. Même si le Règlement ne dit rien et que c’est laissé à la discrétion de la Présidente, nous savons qu’au moins dans certains cas, elle travaille de manière informelle avec les leaders en Chambre des partis ou d’autres personnes appropriées.

Je ne dirais pas nécessairement qu’il faut tout confier à la Présidente et la laisser se débrouiller. Ce n’est probablement pas une bonne solution à long terme.

Je pense qu’il faut au moins essayer de codifier les choses dans le Règlement. Je ne dis pas non plus qu’il faille aller à l’autre extrême, c’est-à-dire tout inscrire dans le Règlement plutôt que de s’en remettre à la Présidente. Il y a sûrement un juste milieu quelque part.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur D. M. Wells : Merci, monsieur Malloy. Je voulais revenir sur la conversation que vous avez eue avec le sénateur Woo concernant les principes fondamentaux du Sénat. Vous dites que la proportionnalité est un principe fondamental, que nous devrions nous efforcer d’atteindre. Je ne sais pas ce que cela signifie. J’ignore si le Sénat devrait viser la proportionnalité. C’est une fonction du Sénat et la manière dont nous organisons nombre de nos pratiques et de nos activités, comme la participation aux comités. Nous le faisons sur la base de la proportionnalité. Cependant, je ne sais pas si nous devons nous efforcer d’atteindre cet objectif. Je pense que c’est quelque chose que nous faisons selon ce principe.

Je dirais que le principe fondamental du Sénat est le système de Westminster, sur lequel il a été fondé, qui régit le gouvernement et l’opposition, et la manière dont nous nous organisons au sein de la chambre. Je voulais savoir ce que vous en pensiez — il est évident que le système de Westminster est un principe fondamental. Le Sénat a été fondé sur ce principe. C’est dans la Constitution.

Pouvez-vous nous parler un peu de la structure qui s’est créée depuis 2015 autour de ce principe fondamental, celui du gouvernement et de l’opposition, que nous avons toujours? Malgré toutes les discussions sur un nouveau Sénat indépendant, nous avons toujours un gouvernement et une opposition. Je pense qu’après les prochaines élections et celles qui suivront, il y aura toujours un gouvernement et une opposition. C’est ainsi que nous nous organisons.

Lorsque deux équipes montent sur la glace au hockey, c’est la façon dont elles sont organisées. L’une porte une couleur, et l’autre en porte une différente, et il n’y a pas d’indépendance sur la patinoire. C’est ainsi que ces choses sont organisées. Pouvez-vous nous en parler un peu?

M. Malloy : Oui, certainement. Il serait peut-être utile de rappeler ce que j’ai dit au sujet de la Chambre des communes et des assemblées législatives. Elles sont effectivement constituées d’un gouvernement et d’une opposition. Le Sénat, comme vous l’avez souligné, est l’objet de différentes conceptions. Il n’en demeure pas moins, à mon avis, que le principe de proportionnalité s’applique toujours, c’est-à-dire que chacun des membres d’une assemblée, quelle qu’elle soit, devrait être égal à ses pairs, au moins en théorie. Il y a évidemment des différences pour les chefs, et il y a différents groupes, etc., mais ce sont tous des membres de la Chambre, des membres du Sénat ou d’une assemblée législative. Il ne fait aucun doute que leur participation diffère selon qu’ils siègent au gouvernement ou dans l’opposition. Si l’on est simple député sans responsabilités particulières, on a souvent plus de droits dans l’opposition qu’au gouvernement, car les partis d’opposition comptent moins de députés. Il y a toutes sortes de permutations et de combinaisons possibles dans ce genre de situation.

Le Sénat est également constitué d’un gouvernement et d’une opposition, mais tous les sénateurs y sont égaux les uns aux autres. Je ne dis pas qu’il soit facile d’y appliquer le principe de proportionnalité. Au Sénat, ce principe se manifeste dans l’attribution des places en comité entre les différents groupes. Il faut essayer de donner à tous les sénateurs, y compris ceux qui ne sont pas affiliés, l’occasion de participer aux délibérations. J’ai proposé qu’on examine ce qui est typique pour un simple sénateur, si vous me permettez l’expression, ou un sénateur sans responsabilités particulières, qu’il soit au gouvernement ou dans l’opposition. Ont-ils souvent l’occasion de prendre la parole, de présenter des projets de loi? Je reconnais que cela peut varier considérablement d’une personne à l’autre, mais il convient d’essayer de déterminer au mieux la participation typique d’un sénateur. Il serait approprié, à mon avis, de permettre à tous les sénateurs d’avoir une chance égale de participer aux délibérations.

Les comités, bien sûr, présentent une difficulté de plus. Les places en comité sont accordées en fonction du nombre de sénateurs dans chaque groupe, ce qui est source de tension pour les sénateurs non affiliés. Quelle est la place qui revient aux sénateurs non affiliés dans les comités? Je crois que les parties en présence sont arrivées à des solutions ponctuelles.

Je ne prétends pas qu’il soit simple d’appliquer le principe de proportionnalité ou que ce principe ne soit pas multidimensionnel. Pour moi toutefois, chaque personne qui siège à une assemblée législative devrait jouir, le plus possible, de droits et privilèges. Il convient que ces droits et privilèges soient semblables d’une personne à l’autre, qu’elle soit affiliée à un groupe ou non.

Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie. Lorsque nous lisons les publications des chercheurs universitaires dans les médias... Franchement, par ma faute, je n’en ai pas lu beaucoup sur le système britannique, le Parlement canadien ou le Sénat. Lorsque je le fais, je me dis souvent que c’est pittoresque et très théorique. Mais je siège également dans l’hémicycle, où je vois tous les jours des choses se produire qui sont loin d’être théoriques. En ce moment même, j’observe chez mes collègues une lutte — le mot est peut-être trop fort, mais peut-être pas non plus —, voire une bataille. Qui sera le chef de l’opposition? Quelle en sera la composition après les prochaines élections? On sortira des normes du système britannique, où les conservateurs sont évidemment l’opposition officielle. Nous sommes un parti affilié à un parti de la Chambre des communes — et le seul au Sénat à l’être —, ce qui nous facilite la tâche. Il y a ce qu’on appelait le bureau du représentant du gouvernement au Sénat, qui était également une fonction nécessaire, mais qui était absente parce qu’il n’y avait pas de sénateurs libéraux avec une majuscule.

Je m’interroge sur la théorie et sur ce qui se passera après les prochaines élections en cas de changement de gouvernement. Comment voyez-vous les choses? Souvent, lorsque nous parlons de « Sénat indépendant », nous utilisons des guillemets — c’est mon cas — parce que la plupart des votes suivent...

La sénatrice Ringuette : Pouvons-nous avoir une vraie question?

Le sénateur D. M. Wells : J’aimerais connaître votre opinion sur la fonction réelle du Sénat, si vous la connaissez, et sur sa fonction théorique, que vous étudiez dans le cadre de votre travail.

Je suis désolé de vous avoir offensée, sénatrice Ringuette.

M. Malloy : C’est une vaste question. Je suis bien au courant des différentes conceptions du Sénat et de ce qui se passera après les prochaines élections, lorsqu’il y aura probablement un changement du parti au pouvoir. Il est difficile de répondre à cette question, qui est hypothétique. Je ne vais pas essayer de spéculer ici. Je reviens à ce que j’ai dit précédemment : il faut essayer de trouver un juste milieu entre la codification dans le règlement — en disant quels sont exactement les droits et privilèges des parlementaires non affiliés — et le fait d’accorder au Président ou à d’autres dirigeants la discrétion nécessaire pour composer avec les options.

Je suis d’accord. Je ne veux pas trop insister sur la théorie, car je suis bien conscient qu’il s’agit d’une pratique fort complexe. Au fond, il faut s’efforcer de respecter les droits proportionnels des députés et ce qu’ils peuvent faire, tout en reconnaissant que c’est très difficile en réalité et qu’il faut souvent trouver un terrain d’entente et faire preuve de bon sens. Il existe différentes conceptions du rôle du Sénat, du rôle des parlementaires, et des raisons pour lesquelles les gens sont affiliés. Je conclurai donc en disant que je n’ai pas toutes les réponses, en effet.

Le sénateur D. M. Wells : Merci.

La sénatrice Ringuette : Je suppose que je vais commencer par la déclaration suivante : j’ai fait partie de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick en 1987, lorsque nous avions 58 libéraux et aucune opposition. Cela n’a pas empêché chacun de ces 58 députés élus dans un système de Westminster de faire le travail promis, au nom des Néo-Brunswickois. Il existe des précédents, et c’était un baptême assez intense dans ma vie politique.

Cela dit, et pour revenir à la question sur laquelle nous vous avons demandé de vous exprimer, nous avons un Feuilleton quotidien auquel tous les sénateurs ont désormais accès — enfin, depuis 2016. Lorsque nous étions dans une situation partisane, seuls le leader et le leader adjoint savaient ce qui se passait, et le reste d’entre nous, dans ce Sénat partisan, devait suivre les ordres. C’était tellement insignifiant et puéril comparé à la façon d’agir d’adultes matures.

Lorsque je regarde le Feuilleton, il n’y a que deux points qui sont assortis d’une restriction de temps. Il s’agit des déclarations de sénateurs — nous avons un maximum de six déclarations par jour — et de la période des questions, qui dure un maximum de 30 minutes par jour. Pour tous les autres points qui figurent au Feuilleton, tout sénateur peut à tout moment participer au débat et proposer des amendements sur des projets de loi, des projets de loi d’initiative parlementaire ou des demandes de renseignements sur des questions.

J’en reviens au sénateur Woo, qui a dit que le principe fondamental doit être la proportionnalité parce que nous avons les déclarations de sénateurs et la période des questions, et que tout le monde se bat pour ces créneaux horaires. Jusqu’à présent, d’après ce que j’ai vu, je trouve que les sénateurs non affiliés qui veulent participer aux déclarations de sénateurs ou à la période des questions donnent leur nom. Il y a une proportionnalité relative, compte tenu du fait qu’il y a 95 à 100 sénateurs dans un créneau horaire donné. Où devrions-nous essayer de concentrer notre énergie, s’il y a d’autres éléments à l’égard des sénateurs non affiliés que nous devrions examiner?

M. Malloy : Merci de nous avoir rappelé la situation du Nouveau-Brunswick en 1987. Elle est différente de celle d’ici, mais elle montre que notre système de Westminster peut s’adapter à des résultats ou à des proportions inattendues, et ainsi de suite.

La sénatrice Ringuette : J’ai été témoin, et participante également.

M. Malloy : Pour répondre à votre question, je dirais que l’un des avantages de cette chambre est qu’avant et après 2016, l’atmosphère y a toujours été plus collégiale qu’à la Chambre des communes et que dans les assemblées législatives provinciales. Je ne suis sans doute pas le seul à le penser. Cette plus grande collégialité se traduit sur les plans du partage, si je peux m’exprimer ainsi, et du respect mutuel. À la Chambre des communes et dans les assemblées provinciales, on est plus dans un esprit où tout le monde y perd; on tend à être plus compétitif. Selon moi, il règne davantage au Sénat un certain partage collégial. Le mot « partage » n’est peut-être pas le bon, mais il y a des avantages.

Cela n’est pas sans raison. Il se peut que les règles actuelles soient adéquates et offrent assez de latitude aux sénateurs non affiliés. Je crois savoir que certains sénateurs non affiliés ne sont pas de cet avis, mais il se peut que le Sénat dispose maintenant d’un bon régime qui permet l’équilibre entre règles codifiées et décisions discrétionnaires, tant pour la présidence qu’entre les sénateurs.

Encore une fois, je ne plaide pas pour changer le statu quo, dont je reconnais d’ailleurs qu’il n’est pas parfait. Il s’agit de laisser l’ensemble des sénateurs décider ce qui leur convient, tout en leur accordant à tous du respect de la manière la plus raisonnable possible. Va-t-on le plus loin possible pour appliquer le principe de proportionnalité? Bien sûr, c’est très compliqué.

Je suis d’accord avec vous : la situation n’est pas optimale, mais je me réjouis que l’on étudie la question pour dégager d’autres façons, qui pourraient être meilleures ou pires, de faire les choses.

La sénatrice Ringuette : Merci.

La sénatrice Busson : Je vous remercie d’être présent, monsieur Malloy. Cette discussion est extrêmement intéressante. Comme le veut l’adage, ce sont les détails qui posent problème dans ce genre de question.

Ce nombre peut changer d’un jour à l’autre, mais le Sénat compte aujourd’hui 12 sénateurs non affiliés. Dans notre situation parlementaire, on me dit qu’il est très rare d’en avoir autant. Puisque les sénateurs sont nommés à vie, il y a très peu de roulement.

Si ce nombre me semble intéressant, c’est qu’il représente également un seuil pour pouvoir former un groupe ou s’intégrer à un groupe affilié. Trois des sénateurs non affiliés ont évoqué des irritants pour leur travail au Sénat. Pour deux d’entre eux, il s’agissait d’un vote par consentement unanime au Sénat. L’autre sénateur a évoqué les situations comme celles soulevées par la sénatrice Ringuette, où un groupe de sénateurs pourrait agir en groupe et jouir des droits et privilèges conférés aux groupes de sénateurs. Qu’en pensez-vous?

M. Malloy : Théoriquement, si tous les membres non affiliés d’une assemblée se regroupaient et devenaient, en un sens, des membres non affiliés affiliés, même si cela semble contradictoire, alors peut-être qu’il pourrait y en avoir davantage. Je vous rappelle que chaque membre non affilié a un parcours différent. Comme vous l’avez dit, dans le cas des sénateurs non affiliés actuels, certains sont bien sûr du Bureau du représentant du gouvernement, certains sont nommés depuis peu et se joindront possiblement à un groupe et certains ont fait partie d’un groupe qu’ils ont quitté. Chacune de ces situations est différente. En principe, les membres non affiliés pourraient travailler ensemble comme je l’ai dit dans mes remarques. Leur intérêt à travailler ensemble varie, car ils ont choisi de ne pas être affiliés et ne choisiraient peut-être pas de faire partie d’un club, si l’on veut, de non-affiliés. S’ils travaillaient ensemble, il y aurait divers regroupements possibles afin d’unir leur voix et leurs demandes. Si l’on regarde ce qui existe dans d’autres assemblées, on constate que cela ne se produit pas vraiment.

Ce n’est pas vraiment une question d’arriver à un point de bascule. C’est plutôt une question de savoir s’il y a suffisamment de membres d’une assemblée qui ont des parcours communs et un intérêt à travailler ensemble à titre de membres non affiliés, un scénario assez rare. Je dirais aussi que, dans d’autres assemblées, il existe, bien sûr, des petits partis. Considérons les membres indépendants d’une assemblée législative ou les députés indépendants à la Chambre des communes. Dans certains cas, ils sont membres d’un parti. Leur groupe est trop peu nombreux comme affiliation, mais ils travaillent manifestement bien ensemble, même s’ils ne sont que deux ou trois.

Pour revenir à votre question, théoriquement, si un groupe de sénateurs non affiliés était suffisamment nombreux, ses membres pourraient travailler ensemble pour changer les choses. Il n’existe pas beaucoup d’exemples de tels regroupements. Par définition, les membres non affiliés ont tous des raisons différentes de ne pas être affiliés. Ils ne tendent pas à rechercher une affiliation directe avec leurs collègues non affiliés.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup. Si vous le permettez, j’aimerais poursuivre dans la même veine, et encore, tout cela est hypothétique. Si nous arrivons à un nombre de 12 ou 14 sénateurs non affiliés, serait-il possible d’envisager qu’ils deviennent un groupe sur le plan administratif afin qu’ils puissent combiner leur travail pour obtenir des droits supplémentaires en ce qui concerne les fonctions administratives?

M. Malloy : Cela pourrait certainement être une solution, si vous déclariez : « Nous avons 12 personnes ici et elles pourraient former un groupe », mais j’ai l’impression que vous ne pouvez pas simplement annoncer que 12 personnes font partie d’un groupe. Elles doivent décider de former un groupe et s’entendre sur la manière de travailler ensemble. Je pense que ce serait un défi. Les choses sembleraient peut-être mieux organisées au départ, mais je ne suis pas sûr qu’un groupe résoudrait les problèmes. On pourrait même en créer de nouveaux.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, monsieur Malloy, d’être ici aujourd’hui et de nous aider avec cette question. Vous venez de parler de ce que vous avez appelé, je crois, « des membres non affiliés affiliés » et du fait que ce terme semble un peu inhabituel. Eh bien, c’est un peu ce que nous avons avec le gouvernement en ce moment.

À l’heure actuelle, pour le leader du gouvernement, le leader adjoint du gouvernement ou le whip du gouvernement, qui sont des agents de liaison, l’écran affiche leur rôle comme étant au sein du gouvernement. Mais juste en dessous, le Sénat inscrit « non affilié » à l’écran. Pour moi, sur le plan de l’affiliation, on ne peut faire mieux que d’être affilié au gouvernement du Canada et d’avoir tous ces types de rôles, de responsabilités, de titres et tout ce qui s’ensuit. Pour l’instant, cependant, ils sont qualifiés de « non affiliés ».

M. Malloy : Je reconnais que c’est un peu étrange parce que, comme vous l’avez dit, ils sont répertoriés comme non affiliés, tout en représentant le gouvernement du Canada. D’autres personnes dans cette salle comprendraient mieux l’histoire de la raison pour laquelle ces termes ont été choisis; il suffirait de leur poser la question. Ce sont des représentants du gouvernement du Canada, pas nécessairement du Parti libéral du Canada. Il y a là quelques distinctions historiques à faire.

J’admets que c’est un peu étrange. Il y a beaucoup de choses derrière, mais je suis d’accord; c’est un peu étrange.

La sénatrice Batters : Je voudrais juste faire une remarque sur un point soulevé tout à l’heure par la sénatrice Ringuette, à savoir ce qu’elle a appelé le Feuilleton qui est distribué. Ce à quoi elle faisait référence, pour que ce soit clair pour tout le monde, ce sont des notes sur le plumitif qui sont en quelque sorte l’aperçu de ce qui se passera dans le Feuilleton du jour. Une réunion de préparation du plumitif a lieu tous les jours. Les responsables des différents groupes assistent à ces réunions afin de s’organiser et d’annoncer à tout le monde ce qui pourrait se passer.

Bien sûr, l’avantage du Sénat, c’est que n’importe qui peut s’exprimer sur n’importe quel sujet inscrit au Feuilleton, n’importe quel jour. Vous prévoyez donc ce qui pourrait se produire, mais des choses peuvent toujours changer par la suite.

Lorsque la sénatrice Ringuette a fait son commentaire sur l’ancien système, qu’elle a qualifié de partisan, seuls le leader et le leader adjoint recevaient ces notes; personne d’autre ne les avait. Je ne sais pas comment cela fonctionnait dans son groupe, mais dans le nôtre, nos dirigeants ont toujours transmis et continuent de transmettre ces informations plus tard dans la journée. J’ignore si d’autres groupes ne le faisaient pas auparavant.

Monsieur Malloy, mon autre question concerne le rôle que le Président pourrait jouer dans les relations avec les sénateurs non affiliés. La sénatrice Gerba vous a demandé tout à l’heure si le Président du Sénat pourrait veiller à ce que les sénateurs non affiliés disposent d’un certain temps de parole pour s’acquitter de ces différentes tâches au Sénat, par exemple.

Dans ce scénario, j’ai l’impression que le Président du Sénat serait un peu le leader des sénateurs non affiliés, ce qui serait inapproprié. Vous avez dit que vous ne pensiez pas qu’il était approprié que notre Président occupe ce genre de rôle, et je suis tout à fait d’accord.

J’aimerais préciser autre chose à ce sujet. Contrairement au Président de la Chambre des communes, le Président du Sénat n’est pas élu par ses membres. Le Président du Sénat est nommé par le gouvernement. Il jouit d’une position diplomatique assez élevée et représente le gouvernement lors de réunions diplomatiques importantes. Ici, le Président est sur le même pied d’égalité que les autres membres, et non pas le chef de cette enceinte.

Pensez-vous que cette distinction entre le Président du Sénat et le Président de la Chambre des communes fait ressortir la différence entre les deux rôles?

M. Malloy : C’est possible. Comme vous l’avez souligné, le rôle des deux Présidents est loin d’être identique. Quoi qu’il en soit, c’est ce que l’on observe dans certaines assemblées législatives provinciales. Il va sans dire qu’on laisse un pouvoir discrétionnaire au Président. Notre approche classique de Westminster consiste à s’en remettre à des conventions non écrites, entre autres. Lorsque nous ne sommes pas tout à fait sûrs de la façon de régler une question ou de la régir, nous pouvons nous tourner vers quelqu’un : nous pouvons nous en remettre au Président.

Cela est acceptable dans une certaine mesure. Nous ne devrions pas tout laisser entre les mains d’une seule personne, car cela devient alors, comme vous l’avez dit, un fardeau et une responsabilité. Le Président deviendrait, en somme, le protecteur des sénateurs non affiliés. Je ne suis pas sûr que ce soit une fonction qu’un Président souhaite occuper. Des critiques à ce sujet pourraient facilement provenir de différents côtés.

Il convient parfois de donner un pouvoir discrétionnaire au Président. Je pense que c’est une convention qui a sa place dans le système de Westminster, mais il ne faut pas en abuser. Cela vaut pour le Président de la Chambre comme pour le Président du Sénat. Il ne faut pas abuser de cette fonction. Nous ne devrions pas l’utiliser pour nous débarrasser des choses desquelles nous ne savons pas quoi faire en nous disant que le Président s’en occupera. Je ne pense pas que ce serait avisé.

La sénatrice Batters : Depuis toujours, le Président du Sénat s’efforce de trouver un consensus. C’est généralement ainsi que son rôle est perçu. De plus, le Président du Sénat entretient des liens importants avec le gouvernement du Canada. Pensez-vous que cela renforce le fait que les sénateurs non affiliés ne devraient pas dépendre de lui, et que le Président du Sénat ne devrait pas être considéré comme le protecteur des sénateurs non affiliés, car, parfois, ce rôle pourrait entrer en conflit avec ses liens avec le gouvernement du Canada?

M. Malloy : Je répondrai à cette question de manière détournée. Cela illustre simplement la position difficile dans laquelle se trouve le Président du Sénat. Comme vous l’avez dit, il a des liens possibles ou implicites avec le gouvernement. L’ajout d’une nouvelle fonction ne ferait qu’accroître le poids qui pèse sur le Président du Sénat. Votre commentaire souligne qu’il y a déjà beaucoup d’attentes à l’égard du Président et que son rôle peut être interprété de différentes façons. Si on en faisait le protecteur des sénateurs non affiliés, son rôle deviendrait plus difficile.

Le vice-président : Le sénateur Woo souhaite intervenir pendant la deuxième série de questions. Si vous souhaitez participer à la deuxième série de questions, dites-le-nous. Avant de céder la parole au sénateur Woo, j’aimerais poser deux questions rapides.

J’aimerais obtenir des précisions sur ce que j’ai entendu; je pense avoir bien entendu. Monsieur Malloy, vous avez dit qu’un sénateur non affilié devrait avoir des droits relativement semblables à ceux des autres sénateurs. Vous n’avez pas dit qu’il aurait « exactement les mêmes droits ». Pouvez-vous nous aider à comprendre la différence entre les deux?

M. Malloy : La différence est qu’il est difficile de décider ce qui constitue des droits qui sont exactement les mêmes. Comme je l’ai dit lors de ma conversation avec le sénateur Wells, différentes combinaisons sont possibles. Nous n’arriverons jamais à des droits qui seront « exactement les mêmes », mais nous devrions nous efforcer d’y parvenir. C’est pour cette raison que je dis que ces droits seraient « généralement les mêmes ».

Le vice-président : Je vous remercie. C’est ce que je pensais que vous vouliez dire, mais je voulais m’en assurer. La deuxième question concerne, là encore, certains points que vous avez soulevés. Je veux m’assurer que je les ai bien compris. Je sais que ce n’est pas ce que vous avez dit; je paraphrase différentes discussions. J’aimerais que vous m’aidiez à mieux comprendre.

L’on pourrait respecter les droits d’un sénateur non affilié sans toutefois les inscrire dans le Règlement.

M. Malloy : C’est une option, oui.

Le vice-président : C’est une option. D’accord. Je voulais simplement m’assurer d’avoir compris ces deux points. Merci beaucoup.

Nous entamons maintenant la deuxième série de questions.

Le sénateur Woo : Je vais revenir au dernier commentaire. J’ai l’impression que nous nous rapprochons d’une procédure où nous accommodons les sénateurs non affiliés grâce au principe de proportionnalité, en veillant à ce que leurs droits individuels soient respectés et en demandant au Président de corriger de temps en temps toute pratique inacceptable et injuste à leur égard.

Ma question porte sur la composition des groupes parlementaires reconnus. À l’heure actuelle, la règle veut qu’un groupe soit composé d’un minimum de neuf sénateurs. Il n’y a pas un nombre de membres idéal, mais, selon vous, quelle pourrait être la fourchette minimale à respecter pour la création d’un groupe parlementaire reconnu, dans le contexte où, comme vous le savez, le Sénat peut compter un maximum de 105 sénateurs en temps normal?

M. Malloy : Je n’ai pas d’avis précis sur cette question. Il revient au Sénat de prendre cette décision. La chose logique à faire serait d’examiner les différentes assemblées législatives. En général, on constate une certaine proportionnalité. Dans d’autres assemblées, la pratique courante est d’avoir entre 6 et 12 membres.

Le sénateur Woo : La taille de l’assemblée change la donne.

M. Malloy : La Chambre des communes, bien sûr, est bien plus grande, mais le nombre n’y est pas beaucoup plus élevé. Il se peut qu’à un moment donné, un groupe de personnes suffisamment important pense être en mesure de s’organiser d’une certaine façon. Il pourrait mettre sur pied une équipe de direction et répartir les responsabilités.

Pour répondre à votre autre question, il est possible de reconnaître un groupe de trois ou quatre personnes, par exemple, mais ces trois ou quatre personnes doivent se mettre d’accord sur la façon de répartir le travail.

Il n’y a pas de taille idéale. Or, le fait que les deux Chambres respectent un nombre — et ce n’est peut-être pas neuf membres, mais, souvent, c’est plus ou moins cela — suggère qu’elles sont d’avis que ce nombre est adéquat.

La sénatrice Batters : Merci. Je m’excuse d’avoir été un peu en retard aujourd’hui. J’ai dû attendre un taxi pendant une éternité sous la pluie, et j’ai donc peut-être manqué cette partie de la conversation.

Avant, le principe fondamental de l’égalité entre les sénateurs était très important au Sénat. Or, aujourd’hui, on réclame plutôt l’égalité entre les groupes. Les sénateurs indépendants réclament l’égalité entre les groupes plutôt que le principe fondamental de l’égalité entre les sénateurs individuels, ce qui est assez étonnant, à mon avis.

Là où cela se voit le plus souvent au Sénat, c’est que... oui, nous avons parlé des différences pour ce qui est des déclarations des sénateurs, qui sont prononcées pendant une courte période de la journée, ou de la période des questions au Sénat, qui, là encore, correspond à une période relativement courte de la journée. Pendant ces parties de la séance, à l’heure actuelle, les groupes prennent plus de place. Or, pour tous les autres points inscrits au Feuilleton, pour chaque projet de loi débattu, chaque interpellation, chaque motion, tous les sénateurs ont le droit de prendre la parole et de prononcer un discours d’une durée égale. À l’exception des groupes de direction qui bénéficient d’un temps de parole plus long, chaque sénateur peut prendre la parole et disposer du même temps de parole, contrairement à ce qui se passe à la Chambre des communes, où les députés indépendants sont relégués au bas de la liste des intervenants dans le cadre de ces débats. Au Sénat, chaque sénateur, qu’il fasse partie d’un groupe, qu’il soit un sénateur non affilié ou autre, a la possibilité de prendre la parole.

Diriez-vous qu’il s’agit là d’un avantage par rapport à la Chambre des communes? Des députés nous ont dit qu’ils peuvent avoir le 49e temps de parole lors d’un débat sur un sujet donné.

M. Malloy : Comme je l’ai dit plus tôt, on s’entend largement sur le fait que le Sénat — avant et après 2016 — est un lieu plus collégial que la Chambre et les assemblées législatives provinciales. En général, les sénateurs régissent leurs affaires et distribuent les responsabilités de façon plus souple. Cela facilite certainement l’adoption d’une approche plus pragmatique à l’égard des sénateurs non affiliés, comme vous l’avez dit et comme l’a dit la sénatrice Ringuette. Tout sénateur peut s’exprimer lors de ces débats; il y a plus de souplesse. À la Chambre et dans les assemblées législatives provinciales, l’organisation des travaux est beaucoup plus rigide. Certains se voient accorder un temps de parole, d’autres non.

Le Sénat possède plusieurs avantages à cet égard. Il peut accommoder les membres non affiliés d’une manière convenable et juste. L’approche actuelle est peut-être la bonne. Il se peut qu’aucun changement ne soit nécessaire. Même si certains sénateurs non affiliés sont d’un autre avis, il s’agit peut-être de la meilleure approche.

C’est en partie parce que le Sénat est déjà un lieu relativement collégial. Les sénateurs ont montré que, même lorsqu’il y a des désaccords et des points de vue différents en Chambre, ils sont capables de résoudre les problèmes et d’aborder les questions de manière pragmatique et de faire avancer les travaux du Sénat. Il se pourrait bien qu’il y ait, là encore, un certain nombre d’avantages et qu’aucun changement ne soit nécessaire.

La sénatrice Batters : Pour votre gouverne, ce principe fondamental de l’égalité entre les sénateurs existait bien avant 2015 ou 2016. Je ne pense pas que vous laissiez entendre le contraire. C’était un lieu collégial avant 2015, et je suis sûre qu’il le sera après 2024.

M. Malloy : C’est bien ce que je dis, oui.

Le vice-président : Merci, chers collègues. Puisqu’il n’y a pas d’autres questions, j’aimerais vous remercier, monsieur Malloy, de votre témoignage aujourd’hui et de votre précieuse collaboration à notre étude.

Chers collègues, nous sommes rendus à la fin de notre ordre du jour. Nous allons conclure notre réunion.

(La séance est levée.)

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