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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 25 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui, à 14 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, en vue d’en faire rapport, les questions relatives à la sécurité et à la défense dans l’Arctique.

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je suis Tony Dean, de l’Ontario, et président du comité.

Je suis accompagné de mes collègues du comité, le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, vice-président; la sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Peter Boehm, de l’Ontario; le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec; la sénatrice Donna Dasko, de l’Ontario; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique; le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Larry Smith, du Québec; et le sénateur Hassan Yussuff, de l’Ontario.

Pour ceux qui participent virtuellement, nous vous demandons de mettre votre microphone en sourdine en tout temps, à moins que la présidence vous reconnaisse par votre nom, et d’allumer et d’éteindre votre microphone durant la réunion. Avant de parler, attendez que je vous donne nommément la parole. Pour toute difficulté technique, en particulier liée à l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou à la greffière, et nous tenterons de régler le problème. Enfin, j’aimerais rappeler à tous les participants qu’il n’est pas possible de copier, d’enregistrer ou de photographier les écrans Zoom. Vous pouvez utiliser et transmettre les délibérations officielles publiées sur le site Web ParlVu du Sénat à cette fin.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités de sécurité. Nous recevons deux groupes de témoins; les deux se concentreront sur la concurrence géopolitique dans l’Arctique et ses répercussions sur la sécurité et la coopération internationale, et aujourd’hui précisément, sur la stratégie de la Russie dans l’Arctique. Pour le premier groupe de témoins, nous accueillons Aurel Braun, professeur, Relations internationales et sciences politiques, de l’Université de Toronto; et Paul Stronski, chercheur associé, Programme Russie et Eurasie, de la Dotation Carnegie pour la paix internationale. Je remercie les deux intervenants de se joindre à nous aujourd’hui par vidéoconférence. Nous allons maintenant commencer en vous invitant à présenter vos déclarations liminaires, qui seront suivies par les questions de nos membres. Nous allons partir le bal aujourd’hui avec M. Stronski pendant que nous attendons M. Braun. Monsieur Stronski, bienvenue au comité.

Paul Stronski, chercheur associé, Programme Russie et Eurasie, Dotation Carnegie pour la paix internationale, à titre personnel : Merci beaucoup, membres distingués du comité. Je suis très heureux de vous parler aujourd’hui de cette question importante, et je vous remercie de m’avoir invité à vous faire part de ces points de vue.

Je vais concentrer ma déclaration liminaire sur quatre domaines à peu près. Il est important de comprendre comment la Russie considère l’Arctique, sur le plan tant historique que contemporain. Je vais me concentrer un peu sur ses intérêts militaires et diplomatiques dans l’Arctique, ses intérêts économiques dans l’Arctique — dont un grand nombre sont liés à la fois à l’armée et à l’énergie, qui est une source essentielle de financement de la puissance militaire de la Russie — et sur les perspectives de succès et de conflit de la Russie avec l’Occident, notamment à la lumière de la guerre actuelle en Ukraine.

Avant la dernière itération de la guerre en Ukraine, je dirais que, pendant les deux premières décennies qui ont suivi la guerre froide, la Russie a abordé l’Arctique surtout comme une zone de faible tension où la coopération entre les puissances arctiques pour relever les défis communs était à la fois souhaitable et réalisable. Cependant, à mesure que les relations se sont détériorées entre la Russie, l’Europe et l’Amérique du Nord en raison de l’annexion de l’Ukraine par la Russie — et maintenant, de la dernière guerre en Ukraine —, le Kremlin a adopté une approche beaucoup plus compétitive et conflictuelle dans la région. De plus en plus, la Russie considère cette région comme une sphère d’expansion économique et militaire, et comme un lieu où afficher ses ambitions de grande puissance. Elle a levé ses réticences à l’égard de l’intervention de la Chine dans l’Arctique, bien qu’elle préfère toujours traiter avec les États arctiques de manière individuelle. La Russie privilégie actuellement la sécurité militaire pour contrer ce qu’elle considère comme des défis croissants de l’OTAN par rapport à ses intérêts dans la région. Le changement climatique constitue également un défi par rapport aux intérêts de la Russie dans cette région, même si je ne vois pas la Russie prendre cette menace au sérieux.

L’intervention de la Russie dans l’Arctique est historique. Elle remonte à des centaines d’années et est soutenue par les gouvernements successifs, de l’ère tsariste à l’ère Poutine, qui étaient désireux d’extraire des ressources et de les utiliser pour favoriser les échanges commerciaux et l’économie. Cela a été particulièrement important durant l’ère soviétique, lorsque le gaz et le pétrole ont été exploités en premier lieu en Sibérie, tant au‑dessus qu’au-dessous du cercle polaire. Au XXe siècle, cela a offert à l’Union soviétique des richesses et un accès à des régimes de devises fortes qui ont favorisé sa consommation intérieure et financé sa machine militaire. Cela a vraiment constitué la base de la politique étrangère soviétique, et je pense que cela se poursuit aujourd’hui dans l’ère post-soviétique.

L’exploitation de l’Arctique a accéléré dans les années 2000. Le pétrole et le gaz sont devenus des sources de revenus essentielles pour le régime de Poutine. Le pétrole et le gaz de l’Arctique et de la Sibérie ont aidé Poutine à consolider son emprise sur le pouvoir en tant que dirigeant qui a ramené la Russie de l’époque folle et terrible des années 1990 à une superpuissance énergétique. Elle a accumulé des fonds provenant de l’Arctique pour parer aux futurs problèmes économiques et politiques et a utilisé cet argent pour aider à reconstruire l’armée russe et à faire l’étalage de sa puissance.

Cependant, la hausse de la température dans l’Arctique pose également des problèmes à la Russie. Elle rend la région plus accessible, elle diminue les barrières de glace naturelle que la Russie avait le long de ses côtes et qu’elle estime maintenant devoir défendre, et de plus en plus, la Russie voit la région comme un lieu de préoccupation géopolitique où elle doit mettre en valeur et renforcer sa présence géopolitique.

Nous avons assisté à un changement radical au cours des dernières semaines. La Russie et l’Occident, je dirais généralement, avaient espéré que, en aidant la Russie à développer des projets pétroliers et gaziers en mer par des moyens technologiques et des investissements, ils contribueraient à stabiliser les relations entre la Russie et l’Occident, la Russie et l’Europe, la Russie et les États-Unis, la Russie et le Canada, ce qui rendrait les investissements occidentaux et les acteurs occidentaux essentiels à la stabilisation des relations avec la Russie. Mais au cours des huit dernières semaines, nous avons vu de nombreuses entreprises commencer à se retirer en raison du renforcement des sanctions, qui visent en particulier le secteur technologique. Enfin, bien que la Russie soit de plus en plus perçue comme une menace, elle veut toujours collaborer avec l’Occident par l’entremise du Conseil de l’Arctique et du groupe des cinq États, une autre tribune qui l’intéresse de plus en plus.

En ce qui concerne les préoccupations militaires, l’Arctique est étroitement lié aux relations entre la Russie et l’Occident, et la Russie voit l’Arctique de plus en plus à travers le prisme de l’OTAN et de son expansion. L’OTAN a commencé son expansion dans les années 1990. Auparavant, elle n’était présente qu’en Europe centrale, puis elle est arrivée aux portes de la Russie, notamment dans la mer Baltique, la mer Noire et, de plus en plus, dans l’Arctique. À mesure que la région devient plus accessible, nous constatons une augmentation de l’activité humaine de tous les pays. Avec la perspective de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, la Russie verra de plus en plus cet espace comme un espace contesté par l’OTAN. Vu l’augmentation de la fonte des glaces, je vois un besoin de patrouiller cette région. Souvent, ses patrouilles s’intensifient, ce que nous devons surveiller de très près.

En ce qui concerne les intérêts militaires, au-delà de la présence croissante de l’OTAN, ou de ce qu’elle perçoit comme une présence croissance de l’OTAN — non seulement sa présence physique, mais aussi l’expansion de l’OTAN en Scandinavie et en Finlande, en particulier —, nous prenons conscience de la sécurité de la capacité de deuxième frappe de la Russie avec ses missiles SNLE. Les forces de la presqu’île de Kola sont essentielles dans l’Arctique. La Russie estime qu’une position robuste dans l’Arctique est importante pour exercer ses activités dans l’Atlantique Nord et l’Arctique européen en cas de conflit avec l’OTAN, car elle peut déplacer ses flottes dans les mers norvégiennes de l’Atlantique, où elle estime devoir assurer une présence. La plupart des capacités de la Russie dans cette région sont conçues pour assurer une défense et une protection frontalière rapprochées, et une grande partie des infrastructures que la Russie met en place — c’est-à-dire les routes, les chemins de fer, les télécommunications, la recherche et le sauvetage — est là pour soutenir des missions non militaires, mais une grande partie est également à double usage et peut être utilisée de manière offensive, au besoin. Au cours des dernières années, y compris récemment, nous avons assisté à des patrouilles en territoire danois et norvégien, à des incursions dans l’espace aérien canadien et à des incursions dans l’espace aérien américain. Nous constatons des efforts beaucoup plus importants pour intensifier et au moins montrer leur présence.

Pour ce qui est des intérêts économiques de l’Arctique — et je sais que mon temps de parole est presque écoulé, donc je vais commencer à conclure...

Le président : Si vous pouviez vous dépêcher, ce serait utile. Merci.

M. Stronski : L’Arctique compte pour environ 10 % du PIB de la Russie et 20 % de ses exportations. La région est stratégique pour l’économie russe et pour l’avenir économique de la Russie. L’exploitation de ses ressources est une priorité essentielle. Cependant, ces ressources sont difficiles et coûteuses à exploiter, et les sanctions occidentales qui ont été imposées, en particulier les dernières, rendront cela beaucoup plus difficile. Les réserves dont dispose la Russie sont plus faciles et moins chères à exploiter ailleurs dans le monde.

La Russie a également tendance à élaborer des plans très médiatisés, mais à les sous-financer. Nous verrons si c’en est un autre exemple. C’est une région très peu peuplée. Il n’y a pas de véritables centres de population ni de véritables infrastructures. La Russie a de grands projets et de grandes ambitions, mais il reste à voir si elle sera en mesure de réussir, notamment en raison du repli économique causé par l’Ukraine et des sanctions. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Stronski. Je suis sûr que cette déclaration liminaire suscitera un certain nombre de questions pour vous.

Nous accueillions maintenant M. Aurel Braun, de l’Université de Toronto. La parole est à vous, monsieur Braun.

Aurel Braun, professeur titulaire, Relations internationales et sciences politiques, Université de Toronto, à titre personnel : Bien que le monde observe avec horreur l’agression débridée et les atrocités sans retenue commises par la Russie en Ukraine, il existe toujours une tendance dans certains milieux à essayer de compartimenter et de séparer les régions et les fonctions. Ce qui se passe en dehors de l’Arctique n’est pas censé interférer avec ce qui se passe dans l’Arctique.

Je pense que cela n’a jamais fonctionné. Cela ne fonctionne pas et cela ne fonctionnera pas. C’est ce que j’appelle la pensée magique, où l’on perd de vue certains faits nouveaux cruciaux. Parmi ceux-là, le retour de la géopolitique et le retour de la géopolitique sous une forme particulièrement virulente, où la force est considérée comme très importante par la Russie. Ce n’est pas un phénomène qui ne s’est produit que cette année. Nous ne l’avons peut-être pas suffisamment remarqué auparavant — et c’est notre faute — mais il est là depuis un certain temps. Après tout, les invasions de la Géorgie ont eu lieu en 2008; de l’Ukraine, en 2014, avec l’annexion illégale de la Crimée; et les forces de Vladimir Poutine sont entrées et ont sauvé le régime meurtrier de Bashar al-Assad en Syrie, tout cela alors que la Russie a poussé et sondé les défenses de l’OTAN dans le monde entier et où, au moins depuis 2019, l’OTAN a été désignée comme l’ennemi principal de la Russie.

Il est important d’avoir une clarification conceptuelle que toute tentative de séparer la puissance douce de la puissance dure ne fonctionnera pas dans la pratique. La puissance douce et la puissance dure sont un composite et elles fonctionnent ensemble. Ce n’est que ce que j’appelle la pensée magique qui tente de les séparer et conduit à une sorte de confusion où les négociations et la diplomatie sont considérées non pas comme un moyen d’arriver à une fin, mais comme une fin en soi.

Je peux comprendre l’instinct qui consiste à essayer de considérer l’Arctique comme une zone de paix, mais ce n’est pas ainsi que la Russie l’envisage, sauf sur le plan tactique. La Russie a désigné l’Arctique comme une région cruciale, et elle doit le faire parce que la Russie est, à bien des égards, un État en déroute. J’utilise la règle des 30 ans pour examiner les pays après une expérience traumatisante. Si vous regardez ce qu’était l’Allemagne nazie ou le Japon militariste 30 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1975, c’était deux démocraties prospères et stables, avec des économies dynamiques et compétitives. Si vous regardez la Russie, c’est une économie largement unidimensionnelle, qui dépend dans une très grande mesure de l’énergie, et une bonne partie de l’énergie se trouve dans l’Arctique.

J’espère revenir pour pouvoir répondre à certaines questions et entretenir le dialogue. Dans le cas de l’Arctique, trois domaines sont cruciaux : la menace économique, les impératifs économiques et environnementaux et les défis juridiques et les différends territoriaux.

Permettez-moi de dire en premier lieu que la doctrine militaire de la Russie place l’OTAN en tête des dangers extérieurs et proclame qu’elle est totalement prête à protéger ses intérêts en matière de sécurité dans l’Arctique. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. La Russie a investi de vastes ressources dans l’Arctique pour ce qui est des forces terrestres, aériennes et maritimes. Elle a installé le système de missiles anti-aériens S-400 à Novaya Zemlya, l’archipel. Nous avons assisté à la plus grande accumulation de puissance militaire russe dans l’Arctique depuis des dizaines d’années.

À bien des égards, l’Arctique est régi par ce que j’appelle la « doctrine Rogozine ». Les gens ont parlé de la doctrine Guerassimov, qui était un genre d’approche hybride de la guerre. Mais Dmitri Rogozine est un individu provocateur qui a servi comme ambassadeur de la Russie auprès de l’OTAN et comme vice-premier ministre. Il a été chargé à un moment donné de tout ce qui concerne l’Arctique et est actuellement responsable du programme spatial. Il a fait une déclaration très mémorable. Il a résumé à bien des égards une politique russe dont nous préférons ignorer l’existence, mais qui s’est avérée, malheureusement, bien réelle dans le cas de l’Ukraine.

Après l’invasion de la Crimée en 2014 et l’annexion illégale, il y a eu des sanctions. Dmitri Rogozine a été interrogé sur les sanctions et sur le refus d’accorder des visas. Il a répondu : « Les chars n’ont pas besoin de visas. » Autrement dit, la force brute peut permettre d’atteindre certains objectifs politiques. Au final — et espérons-le —, il sera prouvé que la Russie a tort, mais telle est l’approche. Les subtilités démocratiques sont abandonnées lorsque les impératifs géopolitiques entrent en jeu.

Faute de temps, je vais passer à mon deuxième point, qui concerne les intérêts économiques de la Russie et les facteurs environnementaux dans le cas de l’Arctique. Je viens d’entendre une évaluation selon laquelle la Russie tire environ 10 % de son PIB de l’Arctique. J’ai vu d’autres estimations qui sont beaucoup plus élevées, soit que quelque chose comme 20 % du PIB vient de l’Arctique. C’est là qu’il y a un énorme potentiel en matière de ressources. Peut-être que 20, 25 % des hydrocarbures se trouvent dans l’Arctique, mais, bien sûr, ils sont extraordinairement difficiles et dangereux à extraire.

La Russie a prouvé qu’elle était un mauvais gardien de l’environnement. L’écologie de l’Arctique est fragile, et il est dangereux d’extraire des ressources dans cette région. La Russie ne semble pas avoir de limites, contrairement au Canada ou aux États-Unis. Surtout sous l’administration Biden et l’administration actuelle au Canada, nous avons été extraordinairement prudents pour ce qui est de l’exploration dans l’Arctique. Cela n’a pas été le cas de la Russie. Une partie de la raison, c’est que le pays a désespérément besoin de ces ressources, parce que Vladimir Poutine n’a pas modernisé l’économie de la Russie. Il espérait pouvoir moderniser sans démocratiser, mais la modernisation n’a pas vraiment fonctionné.

Il existe des exemples d’excellence chez les Russes, cela ne fait aucun doute. Elle dispose de scientifiques remarquablement talentueux. Mais dans l’ensemble, l’économie du pays n’est pas celle d’un État moderne, de sorte que sa dépendance envers l’Arctique est forte par rapport à celle des États-Unis. Les États‑Unis génèrent 1 % de leur PIB dans l’Arctique. Nous devons prendre cela en considération pour comprendre pourquoi la Russie s’intéresse autant à l’Arctique.

L’autre élément, c’est qu’avec le changement climatique, la route maritime du Nord est devenue plus navigable. La circulation est déjà assez importante, et la Russie espère pouvoir l’augmenter considérablement. Le Christophe de Margerie l’a traversée en 2021 à titre d’essai. Si vous pouvez utiliser la route maritime du Nord comme connexion fiable, cela permettrait d’économiser jusqu’à 30 % de l’énergie nécessaire au transport maritime de l’Asie vers l’Europe. Cela réduirait également le temps et la distance nécessaires. Cela crée un autre type d’impératif pour la Russie.

Le président : Monsieur Braun, je suis désolé de vous interrompre. Pourriez-vous conclure vos commentaires assez rapidement? Nous devons passer aux questions, et je suis sûr qu’il y en aura un grand nombre pour vous.

M. Braun : Permettez-moi de mentionner rapidement le troisième point, à savoir qu’il existe des différends juridiques. La Russie revendique une grande partie de l’Arctique, malgré l’objection d’autres États. Un drapeau a même été planté à un moment donné. Il y a la dorsale Lomonosov, qui, selon Moscou, ferait intervenir le contrôle russe sur quelque chose comme 1,2 kilomètre carré supplémentaire de l’océan Arctique. Vous regardez cela du point de vue de la revendication de fonds marins.

Permettez-moi de conclure. Le danger, c’est qu’il y ait des délires. L’Occident a tendance à faire preuve de déférence envers la Russie et à accorder une attention inadéquate à la dissuasion. L’Occident tente maintenant de rétablir la situation. Cette situation a été provoquée non pas par le fait que l’Occident tente d’être expansionniste. La Russie n’est pas une victime, elle a un pouvoir d’agir. C’est un pays qui a suscité la peur, qui a conduit la Finlande et la Suède à demander éventuellement leur adhésion à l’OTAN.

Au Canada, nous devons également réagir aux préoccupations géostratégiques, économiques et environnementales dans l’Arctique. Nous devons absolument utiliser la puissance douce, mais nous devons aussi avoir les capacités militaires. Aujourd’hui, Ottawa a annoncé que davantage de mesures seront prises dans l’Arctique pour renforcer le NORAD. Cela aurait dû être fait depuis longtemps. Nous devons combiner la puissance dure et la puissance douce pour éliminer les tentations, dans le cas de la Russie, envoyer les bons types de signaux, reconstruire la dissuasion et comprendre que l’Arctique fait partie intégrante de la sécurité mondiale globale. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Braun.

Je vous remercie tous les deux de vos déclarations liminaires. Vous avez établi d’importantes interconnexions entre les actions de la Russie dans diverses régions géographiques, et c’est important pour nous.

Nous allons maintenant passer aux questions. Vous devrez terminer à 15 heures. Afin de permettre le plus grand nombre de questions possible, nous disposons de quatre minutes pour chaque question, y compris la réponse. Je demande à mes collègues de poser des questions succinctes et de dire à quel témoin elles s’adressent.

J’aimerais proposer la première question, comme d’habitude, au vice-président, le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question est pour M. Braun. Plusieurs pays ont annoncé des sanctions économiques contre la Russie et dans certains cas, nous avons vu des résultats, alors qu’au Canada le mystère plane toujours sur ce qui a été réellement fait. Dans un premier temps, j’aimerais savoir si les sanctions toucheront vraiment Vladimir Poutine et ses complices ou si la population russe entière sera celle qui subira le poids de ces sanctions. Puis, croyez-vous qu’à court ou moyen terme, M. Poutine pourrait être écarté du pouvoir?

[Traduction]

M. Braun : Les sanctions n’ont pas une histoire impeccable d’efficacité. Même lorsque le président Biden a été interrogé sur les sanctions, il a déclaré qu’elles ne sont pas censées se substituer à la dissuasion et qu’elles prennent un certain temps. Je pense que les sanctions peuvent avoir un effet corrosif à long terme. Cependant, elles ne fonctionnent pas de la même façon dans un système dictatorial — dans un régime personnaliste — qu’elles le feraient au Canada.

Les sanctions fonctionnent bien si elles sont combinées à ce qui se passe sur le terrain. Si la Russie perd sur le terrain, les sanctions seront une mesure supplémentaire. Elles seront essentielles pour changer la perception du peuple russe. Pour l’instant, Poutine bénéficie d’un énorme soutien populaire en raison de la tendance à se rallier autour du leader dans tout type de conflit dans tous les États, mais aussi parce qu’il contrôle une grande partie des médias en Russie.

Je pense que, si nous devons parler de sanctions, nous devons examiner le type de déclaration que vient de faire le secrétaire à la Défense des États-Unis, le général Austin. Il a déclaré de manière très directe et peu diplomatique que la Russie doit être affaiblie et ne doit pas être en mesure de reconstruire sa capacité militaire pour menacer à nouveau d’autres pays. Il s’agit de reconstruire la dissuasion. Cela nous ramène à ce que Boris Johnson a dit de manière plus précise, à savoir que l’invasion de la Russie par Vladimir Poutine doit échouer et qu’elle doit être perçue comme telle. Les sanctions doivent donc s’inscrire dans ce contexte, que ce soit à court ou à long terme.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question est pour M. Stronski. Après l’invasion destructive de l’Ukraine et les sanctions imposées par le Canada, y a-t-il encore des possibilités de coopération avec la Russie en vue d’une stratégie de développement de l’exploitation du passage navigable du pétrole, ou le Canada devrait-il oublier ce qui vient de se passer et chercher des ententes par des discussions diplomatiques avec Poutine?

[Traduction]

M. Stronski : Merci de poser cette question. À l’heure actuelle, il est très difficile de travailler avec M. Poutine sur à peu près tout. Dans son esprit, la guerre n’est plus seulement une guerre en Ukraine à propos de l’Ukraine, mais bien une guerre contre l’OTAN. Donc, je pense qu’il sera difficile de travailler avec lui de manière constructive.

Je dirais que l’autre problème, c’est qu’en décembre, lors de la COP26, la Russie a conduit une délégation. Elle était dirigée par l’ancien premier ministre Anatoly Chubais. Ce sont les personnes qui voulaient collaborer avec l’Occident sur ces questions, en particulier dans l’Arctique. M. Chubais et de nombreuses personnes de cette délégation ont critiqué l’Ukraine, et M. Chubais a fui le pays. Je pense qu’un grand nombre des personnes qui voudraient collaborer avec le Canada sur ces questions ont été mises de côté et n’ont pas l’influence nécessaire pour le faire. Peut-être que, à un moment donné, si Poutine n’est plus là, cette possibilité pourrait réapparaître, mais pour l’instant, il est très difficile de faire quoi que ce soit avec lui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aurai une question au deuxième tour.

Le sénateur Boisvenu : Ma première question est pour le professeur Braun. Vous avez beaucoup parlé des trois éléments, soit la menace militaire et l’économie différentielle et territoriale.

J’aimerais vous entendre parler de la Chine. On sait que la Chine est en mode de renouvellement de ses forces militaires. La Chine a beaucoup d’intérêt dans l’Arctique et troisième point, on sait qu’il y a un rapprochement, depuis plusieurs années, sur le plan de la coopération, entre autres, entre la Chine et la Russie dans ses exercices navals, surtout dans le Pacifique. J’aimerais savoir dans quelle mesure cette coopération risque d’influencer l’équilibre — si équilibre il y a — en ce qui a trait à l’Arctique, particulièrement quant aux activités militaires.

[Traduction]

M. Braun : Je pense que la Chine est un facteur crucial, car elle dispose des ressources nécessaires que la Russie n’a pas. La Chine a une capacité d’investissement et se considère comme un État proche de l’Arctique. Elle a un intérêt énorme dans la navigation à travers l’Arctique — la route maritime du Nord — parce que, si elle pouvait être rendue praticable, cela profiterait énormément au commerce de la Chine.

La Chine a également déclaré que son amitié avec la Russie était illimitée. Cette déclaration est mise à l’épreuve en ce moment. Je pense que la Chine doit se rendre compte — et si elle ne l’a pas encore fait, elle finira par le faire — que la Russie est un mauvais partenaire et qu’il est historiquement peu avisé de laisser un partenaire faible ou imprudent prendre des décisions à votre place. Même s’il ne s’agit pas d’une alliance en bonne et due forme, il y a des relations étroites. Bien qu’elles aient pu être bénéfiques à la Chine pour ce qui est d’obtenir de l’énergie et une technologie militaire bon marché de la part de la Russie, je pense que le coût pourrait augmenter si les sanctions sont maintenues. Si les sanctions contre la Russie sont maintenues et renforcées, à tout le moins, la Chine pourrait subir des dommages collatéraux. Cela pourrait lui faire comprendre que la relation ne comporte pas que des avantages, mais aussi des coûts importants.

Je pense que plus tôt la Chine commencera à se distancier de la Russie, mieux ce sera pour elle et pour la sécurité internationale. À l’heure actuelle, je ne pense pas que les choses finiront bien pour la Russie. Même si la Russie parvient d’une manière ou d’une autre à renverser la situation en Ukraine sur le plan militaire, les dommages que cette opération lui causera sont absolument terribles. L’une des choses que la Russie a faites est de réveiller l’OTAN inactive. Regardez l’Allemagne. Regardez ce que l’Europe fait pour essayer de diminuer sa dépendance envers l’énergie russe. Regardez la possibilité que la Finlande et la Suède se joignent à l’OTAN. Cela va créer un changement tectonique pour ce qui est de l’équilibre stratégique, et la Chine doit le reconnaître. C’est l’erreur de calcul que Vladimir Poutine a provoquée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Votre réponse est très intéressante, je vous en remercie. Professeur Braun, lorsque vous parlez de menace militaire, c’est toujours une question d’équilibre entre les forces qui s’opposent; plus le déséquilibre est grand, plus la menace est grande. J’aimerais vous entendre sur la présence navale du Canada dans l’Arctique. Comment la considérez-vous par rapport à une présence très musclée de la Russie dans ce territoire et croyez-vous que les conséquences peuvent être graves pour le Canada si nous ne préparons pas une intervention massive de nos forces navales, surtout?

[Traduction]

M. Braun : La Chine tente de se doter d’une vaste force navale et d’une capacité navale mondiale, tout comme la Russie. Le Canada, incontestablement, n’a pas exactement fait ce que je considérerais comme adéquat dans l’Arctique. Nous avons besoin de brise-glace lourds. Nous sommes censés construire deux brise-glace lourds, mais ils ne seront pas prêts avant 2030. Nous avons un vieux brise-glace. La Russie dispose d’une grande capacité; elle a des brise-glace à propulsion nucléaire. Elle possède quelque chose comme 40 grands brise-glace au total. Nous devons améliorer nos capacités navales, et nous devons le faire dans l’Arctique, à l’échelle mondiale et en collaboration avec les autres États de l’OTAN.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à M. Braun. Je vis dans l’Arctique canadien. Je suis actuellement à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest. L’Arctique a été un endroit stratégique sur le plan militaire dans les années 1950, 1960 et 1970 et a eu une présence assez importante durant ces décennies. Je dirais qu’on a connu l’abondance ou la famine, et il semble qu’actuellement, ce soit un peu la famine. Selon votre opinion professionnelle, comment le Canada peut-il optimiser au mieux la défense et la sécurité militaires dans l’Arctique et maintenir continuellement cette présence?

M. Braun : Merci beaucoup de poser cette question. Je pense que le terme « famine » serait une expression juste de ce que nous constatons en ce moment et depuis un certain nombre d’années.

Je pense que nous pouvons comprendre que nous ne pouvons pas égaler ce que la Russie a déployé sur le plan quantitatif. Nous devons faire quelque chose qui nous donne un avantage qualitatif, en ce qui concerne tant ce que nous faisons nous‑mêmes qu’en collaboration avec d’autres. Pour ce qui est de ce que nous faisons nous-mêmes, il est absolument essentiel que nous obtenions des chasseurs de cinquième génération. C’est quelque chose que la Russie ne pourra pas égaler avant un certain temps. Il semble que nous allons obtenir les F-35; j’ai déjà plaidé en ce sens auparavant. Ce n’est pas une affaire réglée, car nous sommes toujours en train de négocier, mais c’est le chasseur qui a été retenu comme étant le plus approprié. Nous sommes censés en recevoir 88 ou à peu près. Plus tôt nous les aurons, mieux ce sera; j’aurais aimé que nous les ayons plus tôt.

Nous devons améliorer nos capacités radar. Nous devons améliorer le NORAD. Nous travaillons dans l’Arctique par le truchement d’alliances à la fois au sein du NORAD et de l’OTAN. Bien sûr, si la Finlande et la Suède devaient rejoindre l’OTAN, cela offrirait de nouveaux domaines de coopération. Il y a d’autres changements qui, à mon avis, sont en train de se produire. Nous devons reconnaître que l’élargissement de l’OTAN s’est traditionnellement fait non pas comme une action offensive, mais comme une action défensive. C’est ce que la Russie nous a imposé.

Pour nous donner une idée de la nature de la menace russe et des types d’erreurs de calcul, il y a deux pays qui ont essayé très fort de coopérer et de trouver des domaines de coopération avec la Russie. La Finlande et la Suède envisagent à tout le moins sérieusement d’adhérer à l’OTAN. Un autre élément doit être ajouté. Il est tentant de rechercher des domaines de coopération fonctionnels, la recherche et le sauvetage, par exemple, et tout cela est parfait. Mais si vous institutionnalisez la chose, vous donnez à la Russie une légitimité supplémentaire, et je pense que c’est là que nous avons commis quelques erreurs. Nous avons le conseil de l’Arctique, qui est présidé par la Russie, et tout à coup, tous les autres membres ne veulent plus coopérer avec la Russie. Eh bien, à quoi sert le Conseil de l’Arctique dans ce cas? Si ce n’est pas réalisable, que fait-il en dehors de certaines zones où nous aurions pu avoir des contacts autochtones par d’autres moyens plutôt que d’avoir cette empreinte de type institutionnel, que le régime russe sous Vladimir Poutine a utilisée efficacement pour essayer de projeter une image de stabilité et de légitimité? Ce que nous avons appris, c’est que le régime de Poutine est un danger actuel et présent. Il n’est pas près de disparaître. Je pense que, tant que ce régime sera au pouvoir, nous devrons faire face à ce danger. Il ne va pas disparaître.

Le sénateur Richards : Le sénateur Boisvenu a en fait posé ma question, mais je vais la poser d’une manière légèrement différente. Je vais poser à M. Stronski ma première question. Dans quelle mesure pensez-vous qu’une Chine beaucoup plus avertie utilise les désirs des Russes dans le Nord pour servir ses propres ambitions géopolitiques?

M. Stronski : Je pense que la Chine utilise effectivement la Russie pour poursuivre ses ambitions géopolitiques. Je me souviens qu’il y a une dizaine d’années, la Russie était réticente à l’idée de permettre à la Chine de faire partie du Conseil de l’Arctique en tant qu’observateur, s’y opposant jusqu’à la fin. Ce que nous avons aussi vu au plus fort de l’engagement occidental dans les champs pétroliers et gaziers, c’était la réticence à autoriser la Chine à y accéder. Mais au moins depuis la guerre en Ukraine, et probablement même avant, nous avons vu cette relation se renforcer de plus en plus, et la Russie semble être du côté des perdants. La Chine est désormais un investisseur majeur et pratiquement le seul. La Russie s’est tournée vers l’Asie, mais elle s’est vraiment tournée vers la Chine, donc la Chine prend le dessus sur la Russie et obtient un meilleur accès au Grand Nord, à l’Arctique et à la route maritime du Nord. Je pense que ce n’est pas quelque chose qui est dans l’intérêt à long terme de la Russie ou peut-être même dans l’intérêt à long terme de l’Occident.

Le sénateur Richards : J’ai une question rapide pour M. Braun : Poutine, en tant qu’agent du KGB en Allemagne de l’Est, ce qui nous ramène en quelque sorte à l’époque stalinienne, était, je pense, naïf quant à ce qu’était l’Occident, mais je pense que le Canada était aussi extrêmement naïf par rapport à qui était Poutine. Je pense que, avec notre optimisme, nous nous sommes mis nous-mêmes dans une mauvaise posture, tout comme notre pays, et vous avez parlé du F-35 et d’autres choses militaires négligées que nous aurions pu avoir.

À votre avis, combien de temps faudra-t-il au Canada pour rattraper son retard dans le Nord, ou pourra-t-il jamais le faire?

M. Braun : Il faudra un certain temps, parce que nous avons pris beaucoup de retard par rapport à ce dont nous avions besoin, mais plus tôt nous nous y mettrons, meilleures seront les chances, et je pense que des mesures importantes ont été prises, et je trouve cela encourageant.

La sénatrice M. Deacon : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. J’espère pouvoir poser des questions. Ma première question s’adresse à M. Braun. Vous avez mentionné aujourd’hui la route maritime du Nord et sa revendication non reconnue de la Russie. Je n’aime certainement pas envisager la fonte des calottes glaciaires d’un point de vue stratégique, mais c’est le monde dans lequel nous vivons. Aux dernières nouvelles, la fonte des glaces sur la route maritime du Nord ouvrait la voie à la circulation plus rapidement que le passage du Nord-Ouest sur la route maritime transpolaire. Quel genre d’avantage stratégique cela apporte-t-il à la Russie? S’agit-il d’une sorte d’avance pour imposer sa présence dans l’Arctique, et comment la revendication russe non reconnue a-t-elle joué sur le plan du trafic maritime sur la route maritime du Nord?

Monsieur, le Conseil de l’Arctique a été établi au milieu des années 1990. Il s’agissait d’un organe intergouvernemental qui représentait notre avenir mondialisé et pacifique. L’invasion de Poutine en Ukraine nous a détrompés, nous détournant de cette notion du passé, et le conseil est maintenant confronté à un avenir incertain.

Y a-t-il un avenir, tel que nous le connaissons, pour le Conseil de l’Arctique avec la Russie en son sein? Dans la négative, à quel type d’organisation pourrait-il ressembler, le cas échéant, dans l’avenir?

M. Stronski : Je suis également heureux de répondre à votre première question si vous le souhaitez. Je vais d’abord répondre à votre deuxième question au cas où M. Braun reviendrait.

Il sera toujours essentiel d’avoir une sorte de conversation avec la Russie, et le Conseil de l’Arctique est le seul qui existe actuellement. Le groupe des cinq États de l’Arctique en est un autre, mais le Conseil de l’Arctique est vraiment le seul endroit où nous pouvons parler à la Russie des questions de sécurité et de changement climatique.

Je n’ai pas beaucoup d’espoir. La Russie est un gouvernement et un régime qui a reconnu très tard le changement climatique et n’a pas montré un réel intérêt à y réagir. En fait, elle estime que le changement climatique pourrait améliorer son économie en ouvrant l’agriculture dans le Grand Nord. Les Russes ont donc une vision très différente de la question. Je pense qu’il sera important que le reste de l’Arctique collabore de manière multilatérale avec nous, mais je continue de penser que c’est un domaine où nous devons garder une porte ouverte pour discuter d’une manière ou d’une autre avec les Russes.

Pour ce qui est de la route maritime du Nord, oui, la Russie a une longueur d’avance, mais c’est aussi un environnement où la guerre en Ukraine va la ralentir. Il est déjà extrêmement coûteux de fonctionner dans cet environnement. Il a été très coûteux pour les Russes d’obtenir d’un assureur mondial qu’il assure les navires qui s’y rendent, et en raison de la guerre en Ukraine et des atrocités commises, la plupart des assureurs renoncent à assurer les cargos russes.

Bien que la Russie ait certainement l’ambition d’augmenter cela, l’environnement opérationnel est difficile. Il est difficile à assurer. La route n’est navigable que deux à trois mois par an. La plupart des transports maritimes servent essentiellement à transporter de l’énergie. Ils ne traversent pas encore la totalité de la route.

Je crois que la question de l’assurance des expéditeurs de marchandises et les risques pour la réputation vont nuire, car de moins en moins de gens sont prêts à assurer cette route.

Le président : Merci, monsieur Stronski, d’avoir répondu à ces deux questions pour nous.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici. J’aimerais approfondir la question de la sénatrice Deacon avec vous, monsieur Stronski.

Nous avons entendu plus tôt une suggestion selon laquelle nous devrions poursuivre un renforcement militaire en ce qui concerne l’OTAN, l’Occident, le Canada, les États-Unis et ainsi de suite, mais vous venez aussi tout juste de proposer que nous suivions la voie du Conseil de l’Arctique et travaillions par l’entremise de ces institutions. Devrions-nous faire les deux? Est-ce réalisable? Devrions-nous poursuivre un renforcement militaire en plus des autres processus et institutions souples?

M. Stronski : Le renforcement militaire est la réalité. Nous devons également reconnaître que la modernisation militaire de la Russie, telle que nous le voyons en Ukraine, n’a pas été aussi efficace que ce que de nombreuses personnes espéraient. Une grande partie des installations que la Russie a ouvertes au cours des 20 dernières années... Ils rouvrent des installations de l’ère soviétique. Ils asphaltent les terrains d’aviation soviétiques. Ainsi, alors que nous constatons une présence et une activité militaire accrues, je pense que le problème revient à ce que l’un de vos collègues a fait remarquer, soit que l’Occident n’a pas investi dans certaines de ces activités.

Je pense que nous sommes toujours en avance, mais nous voyons une Russie imprévisible et agressive. Si la Finlande rejoint l’OTAN, nous verrons beaucoup plus de provocations russes dans cette région.

En même temps, je pense qu’il faut répondre aux besoins militaires, mais aussi reconnaître que la Russie n’est peut-être pas aussi redoutable que nous le croyons dans le Grand Nord. Je pense que, à un moment donné, il y aura une sorte de changement. Nous devons maintenir des communications ouvertes. Je n’ai pas de grands espoirs. Je n’ai pas de grands espoirs pour les liens avec les peuples autochtones. Je sais que les États-Unis ont essayé de le faire, et les Russes ont eu l’impression que nous essayions de cultiver des populations pro‑occidentales. Donc beaucoup de ces efforts de puissance douce ne sont pas là, mais peut-être que le monde est en train de changer. La Chine reconnaît aussi maintenant le changement climatique. Je pense que le Conseil de l’Arctique, ouvert en tant que lieu potentiel de discussions futures, est important.

La sénatrice Dasko : Je veux parler de l’extraction des ressources. Il a été dit que l’extraction des ressources est très importante pour la Russie, mais qu’elle est également très coûteuse pour quiconque.

La Russie utilise-t-elle d’autres moyens pour effectuer l’extraction des ressources? A-t-elle recours au travail forcé, par exemple? La Russie a-t-elle des moyens de défier les forces économiques qui régissent la façon dont nous traitons l’extraction des ressources? Vend-elle à des prix inférieurs ou a‑t-elle d’autres moyens de fixer le prix de son produit sur le marché, étant donné que l’extraction coûte plus cher?

M. Stronski : L’extraction est beaucoup plus coûteuse, et elle le sera encore plus, parce que nous leur refusons la technologie dont ils ont besoin. C’est un point positif, mais c’est aussi un point négatif, parce qu’ils fonctionneront avec une technologie de qualité inférieure dans les années à venir. Nous connaissons les répercussions sur le secteur de l’aviation. S’ils ne sont pas en mesure de suivre l’évolution de la technologie, s’ils essaient encore de faire fonctionner certaines de ces installations de forage en mer, cela pourrait être très préoccupant sur le plan environnemental.

Je ne suis pas précisément au courant de travail forcé dans le secteur du pétrole et du gaz, mais il existe des prisons assez horribles en Russie. Je n’entends pas parler de leur utilisation pour l’extraction de minerais, mais il y a du bois, de la pêche, des métaux précieux là-bas. Ce sont d’autres domaines auxquels nous devons aussi penser.

Le président : Merci, monsieur Stronski.

Le sénateur Boehm : J’aimerais remercier nos deux intervenants des opinions franches qu’ils nous offrent aujourd’hui. J’ai une question pour les deux témoins, si M. Braun est toujours avec nous. Il a fait référence à une annonce récente du NORAD à la fin de sa déclaration. Cela concerne le radar transhorizon de l’Arctique, qui doit remplacer le Système d’alerte du Nord. Ce système existe depuis plus de 30 ans.

L’approvisionnement prend beaucoup de temps. Nous le savons depuis le dossier des F-35 et tout le reste. Ce nouveau système devrait être en place en 2028.

Entretemps, nous avons un sommet de l’OTAN qui se tiendra en juin. Si l’on croit tout ce qu’on lit, il est très possible que la Finlande et la Suède s’y joignent. Cela pourrait inciter la Fédération russe à frapper et à nous tester dans l’Arctique, et nous ne serons pas prêts.

J’aimerais avoir vos commentaires sur ce qui peut se passer pendant l’interrègne et savoir s’il est maintenant possible — je crois que oui — d’accroître l’interface entre le NORAD et l’OTAN.

M. Braun : Il y a une plus grande portée ainsi qu’un plus grand risque. Ce qui est important, c’est non seulement ce que nous avons actuellement — nous n’en avons pas assez — mais ce que nous prévoyons avoir, la direction que nous empruntons.

Une chose que j’aimerais voir, c’est que nous atteignions les 2 % du PIB consacrés à la défense, ce vers quoi tendent un nombre croissant d’États de l’OTAN. Nous avons pris cet engagement. Certes, il n’était pas juridiquement contraignant, mais néanmoins, nous l’avons pris collectivement lors du sommet de l’OTAN au pays de Galles en 2014. Cela enverrait également un message.

J’ajouterais un petit commentaire, à savoir que nous devrions faire très attention de ne pas nous rendre responsables des dommages environnementaux causés par la Russie. Il ne s’agit pas de savoir si la Russie dispose du bon type d’équipement. C’est un genre de négligence, la corruption corrosive qui règne sous ce type de régime. Ce que la Russie a en ce moment, malheureusement, c’est une cleptocratie qui est à la recherche d’une idéologie.

Le président : Monsieur Stronski, vous avez environ une minute si vous voulez intervenir maintenant.

M. Stronski : Oui. Je ne suis pas en désaccord. Ce n’est pas que nous ne devrions pas sanctionner la division de ces technologies, mais c’est que la Russie n’a aucun scrupule à continuer d’essayer d’utiliser des technologies dépassées ou cassées pour entretenir ces craintes et ces activités, car c’est vital pour sa viabilité économique à l’avenir et sa capacité d’alimenter sa guerre.

Le président : Merci. Le sénateur Mercer est le dernier intervenant pour ce tour. Nous reviendrons au sénateur Smith avec notre prochain groupe de témoins.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie, monsieur le président, et merci à vous deux, messieurs, pour vos exposés.

Vous avez présenté une nouvelle terminologie, la « pensée magique », que j’ai trouvée curieuse. Comment la pensée magique intervient-elle lorsque vous l’utilisez pour le Canada et les États-Unis et relativement aux capacités de défense et à l’état de préparation dans l’Arctique?

Le président : Qui veut répondre à cette question?

M. Braun : En fait, il s’agit de prétendre que nous pouvons remplacer la diplomatie, qui est très importante, ou que nous pouvons remplacer le dialogue par d’autres moyens, mais que ceux-ci sont plus que des moyens d’arriver à une fin, et que nous n’avons pas besoin d’une combinaison de la partie douce et de la partie dure qui constitue l’utilisation efficace de la puissance.

Au bout du compte, je pense que ça nuit à nos intérêts.

Le président : Merci. Je crains que nous ne devions mettre fin à notre rencontre ici.

Merci énormément, monsieur Braun et monsieur Stronski, pour vos conseils directs, réfléchis, utiles et, dans certains cas, je crois, provocateurs en ce qui concerne la robustesse et l’ampleur de votre compréhension des intentions et des ambitions de la Russie. Cela a été très utile.

Nous allons maintenant demander à nos prochains témoins d’allumer leur caméra pour le deuxième groupe et nous nous excusons de commencer avec quelques minutes de retard.

Le sénateur Mercer : Monsieur le président, je voulais annoncer que je ne pourrai être ici pour toute la durée de la rencontre. Je dois prendre l’avion pour vous rejoindre à Ottawa en vue d’assister à des réunions qui auront lieu demain. Je m’excuse à l’avance.

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Pour ceux qui se joignent à nous en direct, la réunion explore la sécurité et la défense dans l’Arctique, dont les capacités de sécurité. Nous nous concentrons aujourd’hui sur la concurrence géopolitique dans l’Arctique et ses répercussions sur la sécurité et la coopération internationale. Nous examinons précisément la stratégie de la Russie relativement à l’Arctique.

Nous accueillons maintenant Mathieu Boulègue, chercheur associé, Programme Russie et Eurasie, Chatham House, Institut royal des affaires internationales; et David Auerswald, professeur, Stratégie de sécurité nationale, U.S. National War College. Merci à vous deux de vous joindre à nous par vidéoconférence. Je vous invite à présenter vos déclarations liminaires, qui seront suivies par les questions de nos membres. Nous allons commencer par M. Mathieu Boulègue. Veuillez commencer quand vous êtes prêts.

Mathieu Boulègue, chercheur associé, Programme Russie et Eurasie, Chatham House, Institut royal des affaires internationales, à titre personnel : Merci beaucoup, c’est Boulègue, comme baguette, comme je le dis souvent.

[Français]

Mesdames et messieurs les sénateurs et membres du comité, c’est un honneur pour moi de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui.

[Traduction]

Je pense que mes collègues ont déjà parlé de l’importance de l’Arctique et de la pensée stratégique russe du point de vue économique... les répercussions du changement climatique. Je rappellerai également l’importance symbolique de l’Arctique pour ce qui est de la projection de la Russie, comme on le dit, en tant que civilisation arctique ou pays hyperboréen, avec un sentiment de réappropriation d’une nouvelle frontière nationale en raison des répercussions du changement climatique.

Je vais maintenant faire quelques remarques générales sur la posture et la perception de la menace de la Russie dans l’Arctique. Le premier point concernant la perception de la menace par la Russie a trait à cette peur de l’encerclement par l’OTAN et par ses alliés. Ce n’est pas propre à l’Arctique et ce n’est pas non plus le sous-produit d’une tension provenant de l’Arctique lui-même. Je pense que ce point doit être clair.

Tout comme d’autres théâtres d’opérations, Moscou n’exclut pas la possibilité d’un conflit militaire dans l’Arctique et se prépare donc à toutes les éventualités, y compris une guerre dans la région, ce qui, encore une fois, n’est pas propre à l’Arctique.

C’est très propre à l’Arctique que Moscou considère l’Arctique comme un continuum stratégique s’étendant de l’Atlantique Nord, d’une part, au Pacifique Nord, d’autre part, avec les approches du pôle Nord au milieu. En d’autres termes, trois secteurs définissant un seul et même Arctique, ce qui n’est pas la façon dont nous voyons les choses à l’OTAN ou dans l’Occident en général.

Du point de vue du Kremlin, c’est assez simple : l’Arctique non russe est fondamentalement un territoire de l’OTAN. L’expansion de l’OTAN à la Suède et à la Finlande justifiera, d’une certaine manière, la posture de force de la Russie qui, une fois encore, n’est pas propre à l’Arctique. Ce qui est propre à l’Arctique, c’est que, contrairement à d’autres théâtres d’opérations, le Kremlin se sent en position de force relative dans l’Arctique. En raison de la géographie et de la recapitalisation de sa force militaire, il adopte une posture de force affirmée et envoie des signaux agressifs par le truchement de documents officiels, de sa remilitarisation et de son action.

Voyons maintenant comment cette perception de la menace se traduit par une pensée militaire et la protection des intérêts nationaux avec de nombreuses réserves. Mon collègue, Paul Stronski, y a déjà fait allusion, dans le sens où la glace de mer autour de l’Arctique et de la zone arctique de la Fédération de Russie ne fait plus office de frontière naturelle. Pour le Kremlin, l’équation est simple. Les répercussions du changement climatique signifient qu’il y aura, et qu’il y a déjà, une plus grande présence humaine, qu’il s’agisse d’une présence civile ou militaire. Cela signifie qu’une nouvelle frontière nécessite une application affirmée de la souveraineté et un contrôle du périmètre qui l’entoure.

Donc, c’est une équation simple. Cette équation, pour reprendre les termes de Moscou, est résolue par une remilitarisation claire de la zone arctique de la Fédération de Russie, par la rénovation des bases existantes et la construction de nouvelles bases le long de la zone arctique de la Fédération de Russie, par le positionnement d’une infrastructure à double usage pour la recherche et le sauvetage, par le positionnement radar et la connaissance du domaine, et aussi par l’investissement dans les capacités, y compris particulièrement dans des capacités renforcées pour l’Arctique.

Nous avons beaucoup discuté de ces sortes de calottes de protection multicouches dans les secteurs est et ouest de la zone arctique de la Fédération de Russie; j’appelle cela la bastionisation de l’Arctique avec la présence, comme l’ont rappelé mes collègues, de la dissuasion nucléaire en mer et la nécessité de protéger les infrastructures sur la presqu’île de Kola dans l’Arctique européen et également au Kamchatka dans l’Arctique pacifique. Il s’agit essentiellement de ces calottes de protection multicouches.

Ce que la Russie fait en matière de remilitarisation est ce que j’appelle une approche doublement double. D’une part, vous avez des systèmes à double usage, les infrastructures arctiques étant utilisées à parts égales à des fins civiles et militaires, avec un heureux mélange au milieu. Mais aussi un double usage, dans le sens où les capacités militaires russes brouillent de plus en plus la ligne de démarcation entre ce qui est offensif et défensif. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour qu’un système « défensif » puisse être utilisé à des fins d’offensive et de confrontation. Par conséquent, il y a une sorte de double objectif.

Si nous passons à la stratégie militaire russe proprement dite, l’Arctique se définit pour moi par quatre grands objectifs.

Premièrement, imposer un coût à l’accès étranger. Il s’agit à nouveau de la crainte d’une présence accrue de l’OTAN, d’un plus grand nombre de déploiements de surface et d’une activité sous-marine accrue, avec l’ambition de contrôler l’accès et d’exploitation des actifs étrangers.

Deuxièmement, protéger la route maritime du Nord, comme cela a déjà été mentionné. L’interprétation par la Russie du droit de la mer, en particulier de la disposition sur les glaces, est contraire à la liberté de navigation et au passage inoffensif et pose des problèmes pour des pays comme le Canada en ce qui concerne la future réglementation de l’Arctique.

Troisièmement, la défense des approches du pôle Nord. Cela est très lié à la pensée soviétique en ce qui concerne les bombardiers stratégiques américains, par exemple, ou la présence du NORAD, comme cela a été mentionné. Il s’agit essentiellement de renforcer la position de la Russie dans les approches du pôle Nord de l’Arctique.

Quatrièmement, supprimer les tensions dans la région elle‑même et étendre les capacités militaires au-delà de la zone arctique de la Fédération de Russie, avec des ambitions de déni et de défense accrue. Personne ne veut se battre dans l’Arctique. Personne ne veut se battre à la fois contre un ennemi et contre l’environnement. D’où la nécessité de repousser les tensions.

Enfin, qu’est-ce que cela signifie pour le Canada, pour l’OTAN et pour ses alliés?

Premièrement, cela accentue la pression sur les points faibles de notre gouvernance et de notre sécurité et sur des passages stratégiques précis comme les détroits GIUK et GIN, par exemple, sur les lignes de communications maritimes de l’Atlantique Nord et sur le détroit de Béring. La Russie veut empêcher ou ralentir l’accès et l’avancée de l’OTAN et des forces alliées dans la région, et cela a des répercussions directes sur la liberté de navigation et à l’accès incontesté de l’OTAN.

Deuxièmement, il y a des risques de débordement et d’escalade horizontale. La Russie aime la surenchère et manque de professionnalisme; elle accroît en plus sa présence. Tout cela alimente cette sensation de désastre imminent alors qu’on tente de gérer les accidents et les incidents qui pourraient déclencher un cercle vicieux d’escalade et de débordement dans d’autres théâtres, comme dans l’Atlantique Nord, le Pacifique Nord ou la mer Baltique. Il n’y aura probablement pas de conflit dans l’Arctique proprement dit, mais il pourrait y avoir des conflits qui vont entraîner des débordements dans l’Arctique.

Enfin, il y a les conséquences de la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine. Je dirais que la deuxième invasion de l’Ukraine par la Russie a brisé tout espoir que nous avions peut-être de maintenir les tensions à un faible niveau et de poursuivre la coopération exceptionnelle qu’il y avait dans l’Arctique, puisque la présidence de la Russie au Conseil de l’Arctique et au Forum des gardes côtières de l’Arctique est pour ainsi dire, et à juste titre, suspendue pour l’instant. Poutine ne mérite pas qu’on lui offre une voie de sortie ou une autre forme de compensation parce qu’il s’est bien comporté en coopérant dans l’Arctique.

Donc, les nations arctiques restantes — qui seront bientôt toutes membres de l’OTAN — devront prendre des mesures concertées pour réagir à la position, à la rhétorique et aux actions agressives de Moscou dans l’Arctique. Je recommanderais donc fortement de définir, d’un point de vue militaire, les règles du jeu, c’est-à-dire quelles activités militaires sont acceptables et lesquelles sont inacceptables, d’examiner le continuum des enjeux entre la sécurité dure — c’est-à-dire la sécurité militaire — et la « sécurité douce », comme la vie en mer et les activités de recherche et sauvetage, afin de créer un code ou des règles de conduite intermilitaires pour les communications, applicables spécifiquement à l’Arctique, et aussi de définir adéquatement le rôle de l’OTAN à l’avenir dans cet environnement.

Cela ne sera pas facile. Cela va devoir se faire sans la Russie, pour l’instant. Cependant, c’est le prix que nous devons payer pour nous assurer que le maintien des tensions à un faible niveau n’est pas un mantra simple qu’on répète, mais que nous mettons des mesures en œuvre pour nous assurer que les choses restent ainsi. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Boulègue. C’était un excellent exposé, et je suis sûr que nous aurons énormément de questions intéressantes à vous poser.

La parole va maintenant à M. David Auerswald.

David Auerswald, professeur, Stratégie de sécurité nationale, U.S. National War College, à titre personnel : Merci, c’est un honneur de contribuer à votre débat. Avant de commencer, je dois souligner que mes commentaires reflètent mes propres opinions, et non pas celles du U.S. National War College ou de toute autre entité gouvernementale. J’aimerais dire que je souscris à ce que M. Boulègue a dit dans son excellent exposé. Je suis d’accord avec tout ce qu’il vient de dire.

Je vais axer mes commentaires sur la façon dont les nations arctiques occidentales ont réagi au comportement de la Russie en politique étrangère. Je m’intéresse à la façon dont la Russie est perçue et aux actions qui découlent de ces perceptions, puisque ces perceptions et le comportement subséquent peuvent influer énormément sur le maintien de la paix dans l’Arctique.

Pour situer la situation actuelle dans son contexte, il est utile de revenir huit ans en arrière, en 2014, à l’époque où la Russie a annexé la Crimée. Avant cela, le Canada et les États nordiques de l’Arctique voyaient l’Arctique comme une zone pacifique, largement épargnée par la compétition géopolitique globale. Les discussions entre les États arctiques étaient surtout réservées aux réunions du Conseil de l’Arctique et ne portaient pas sur des questions de sécurité, mais plutôt sur la recherche scientifique, la surveillance et le contrôle de la pollution et les normes régissant le transport de marchandises dans les eaux arctiques. Des ententes semblaient possibles. Par exemple, la Norvège et la Russie se sont entendues sur un tracé de démarcation maritime; une entente sur la recherche et le sauvetage en Arctique en 2011 et une entente sur les déversements de pétrole ont aussi été conclus en 2013. Les réunions de la Table ronde sur les forces de sécurité de l’Arctique et des chefs de la Défense des pays nordiques ont commencé en 2010 et 2012, respectivement, dans le but de favoriser le dialogue sur la sécurité dans l’Arctique entre l’Occident et la Russie.

Puis, évidemment, il est arrivé ce qui est arrivé en Crimée en 2014, et cela a changé la donne pour certains pays. Les politiciens ont commencé à dire ouvertement que l’Arctique ne pouvait plus être considéré à part des autres événements géopolitiques dans le monde. La rhétorique a profondément changé. Cependant, en pratique, la véritable préoccupation était que la Russie s’en prenne après la Crimée aux pays baltes. La menace à la sécurité n’était pas dirigée sur le territoire arctique occidental; elle émanait de l’Arctique russe et visait la région de la mer Baltique. Certains redoutaient qu’un conflit à l’extérieur de l’Arctique, par exemple dans les pays baltes ou en Ukraine, s’étende jusque dans l’Arctique.

Cela a entraîné des changements stratégiques. Par exemple, depuis 2018, le Danemark a déployé beaucoup d’efforts, puis des ressources, afin d’accroître sa capacité de soutien aux pays baltes alliés. Un exemple éloquent est la création de la première brigade déployable de ses forces armées. La Norvège a fait pression sur l’OTAN pour que celle-ci surveille davantage le Grand Nord et, dans le cadre de cet effort, a accueilli l’exercice Trident Juncture de 2018. La Norvège a en outre commencé à augmenter son budget de la défense en 2017, afin d’accroître ses forces armées, de se procurer du nouveau matériel et d’offrir un entraînement plus rigoureux.

La Suède est devenue très préoccupée après que la Russie a attaqué l’île Gotland. Elle a commencé à exprimer ses préoccupations ouvertement, et a fini par augmenter son budget de la défense en 2020. Je souligne cependant que la Suède se concentre surtout sur la région balte plutôt que sur l’Arctique proprement dit. Les pays nordiques et les États-Unis ont élargi leurs propres programmes d’échange d’information et ont annoncé un éventail d’ententes volontaires de coordination de la défense.

Lorsque la Russie a envahi à nouveau l’Ukraine, cette année, cela a eu des répercussions dramatiques sur la géopolitique de l’Arctique, comme d’autres témoins l’ont précédemment mentionné.

Tous les États arctiques occidentaux croient que la Russie menace l’ordre international et, même si personne ne s’attend à ce que la Russie lance son armée contre la région nordique dans un avenir proche, puisque ses troupes sont présentement déployées en Ukraine, personne ne peut affirmer actuellement que cela n’arrivera jamais, en particulier si la Russie souhaitait une escalade horizontale afin de diviser l’Occident ou pour signaler d’une façon ou d’une autre ses intentions à l’OTAN. Aucun pays ne croit qu’il est possible, à lui seul, de repousser la Russie ou de survivre longtemps à une confrontation militaire avec elle. Même la Finlande a foi dans la coordination militaire. Les États nordiques se sont engagés à augmenter leur budget de la défense jusqu’à au moins 2 % de leur PIB.

Le Conseil de l’Arctique a annulé toutes ses réunions futures. Cela est particulièrement important, puisque le Conseil de l’Arctique, comme vous le savez, est un forum où l’on discute d’enjeux non liés à la sécurité. En annulant les réunions futures en réaction à une crise de sécurité, les États membres occidentaux envoient un message important. Les pays nordiques ont suspendu la Russie du Conseil de Barents, du Conseil nordique des ministres et du Conseil des États de la mer Baltique. Nous savons aussi que la Finlande et la Suède ont relancé le débat sur leur adhésion à l’OTAN; tout cela s’est passé en seulement deux mois.

Malgré ce nouveau sentiment d’urgence en ce qui concerne la sécurité dans l’Arctique, il demeure des points de divergence entre les pays occidentaux. Notamment, quelle doit être la priorité : l’Arctique ou la région de la mer Baltique? La Norvège priorise l’Arctique, tandis que le Danemark, la Finlande et la Suède priorisent la région de la mer Baltique. Ces pays ont davantage des politiques d’achat divergentes plutôt que des priorités, relativement à ce qu’ils achètent, et de qui. Cela tient à la fois à leurs politiques intérieures, à leurs besoins militaires et au message qu’ils veulent envoyer à la communauté internationale. Chaque pays va augmenter à son propre rythme son budget de la défense jusqu’à ce qu’il atteigne au moins 2 % de son PIB. Le Danemark a une date cible de 2033, et la Suède n’a pas encore fixé de date, et ces calendriers vont avoir une incidence sur leur capacité à préparer leurs forces armées.

Ils priorisent également des institutions internationales différentes. La Suède et la Finlande priorisent le rôle de l’Union européenne dans l’Arctique, tandis que la Norvège et le Danemark priorisent l’OTAN. Le Canada priorise le NORAD. Compte tenu de ces différences, la coordination peut s’avérer difficile.

Enfin, ces pays n’ont pas tous la même volonté d’échanger entre eux des données de renseignement. Ici, l’adhésion à l’alliance et le statut au sein de l’OTAN ont vraiment de l’importance. Par exemple, les États-Unis échangent davantage avec les pays du Groupe des cinq qu’avec les membres ordinaires de l’OTAN, et davantage avec l’OTAN qu’avec les États partenaires.

Dans l’avenir, les États occidentaux devront s’adapter à l’évolution de la situation de sécurité. J’aimerais formuler quelques recommandations sur les priorités que ces pays devraient cibler.

D’abord, chaque pays devrait affecter davantage de ressources pour améliorer sa connaissance du domaine arctique. Ce sera crucial de savoir ce qui se passe dans cette vaste région afin de pouvoir désamorcer les crises et éviter de se faire surprendre.

Deuxièmement, les pays pourraient renforcer les liaisons de données dans leurs propres systèmes et l’échange de données entre plateformes nationales. C’est une chose d’avoir de meilleurs détecteurs, c’en est une autre de colliger toutes les données, et c’est une difficulté supplémentaire. Il est tout aussi important de lier les données d’un pays à un autre afin d’évaluer conjointement les menaces et de coordonner les opérations de défense lors des missions de dissuasion ou de combat.

Troisièmement, les alliés et les partenaires de l’Arctique pourraient envisager de passer à une infrastructure distributive pour les bases, les réparations, le ravitaillement et le réarmement lorsqu’il y a des crises dans l’Arctique. Comme nous l’avons vu en Ukraine, les forces russes essaient de masser leurs pièces d’artillerie de longue portée en visant de grandes cibles militaires ou civiles. Ça coûte peut-être plus cher de répartir les ressources sur un plus grand nombre de petites installations, mais cela pourrait aussi améliorer énormément les chances de survie pendant un conflit. Les forces armées de la Finlande ont adopté cette approche, tout comme le Corps des Marines des États-Unis dans le théâtre indo-pacifique.

Quatrièmement, et pour finir, il faut poursuivre les exercices d’hiver et les entraînements avec les partenaires arctiques. L’entraînement et les exercices renforcent l’interopérabilité et la connaissance du terrain et des conditions météorologiques et montrent notre détermination aux ennemis potentiels.

Ces quatre recommandations ne seront évidemment pas gratuites, mais elles aideront les nations occidentales de l’Arctique à se préparer aux crises et aux conflits militaires, le cas échéant. Voilà qui met fin à mon exposé. Merci encore de m’avoir donné l’occasion de participer à la réunion d’aujourd’hui. Je peux maintenant répondre à vos questions, et je devrais souligner que je vais avoir besoin de l’interprétation si vous posez vos questions en français. Merci.

Le président : Merci, monsieur Auerswald et monsieur Boulègue. Nous aurons bien sûr des questions pour vous, et nous les poserons sans attendre. Chaque intervenant aura quatre minutes pour poser sa question et entendre la réponse. Encore une fois, chers collègues, je vous demanderais de préciser à quel témoin vous posez votre question et de poser des questions concises, afin que nous puissions donner la parole à autant d’intervenants que possible.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Auerswald. Dans ces flottes du Nord et du Pacifique, les Russes disposent d’environ 55 sous-marins, dont plusieurs sont munis d’équipements nucléaires. Au Canada, nous n’en avons pas. Aucun de nos quatre sous-marins canadiens ne peut opérer convenablement sous les glaces de l’Arctique et le gouvernement actuel ne semble pas être sur le point d’en acheter.

Est-ce que le Canada peut se passer de sous-marins dans l’Arctique? Dans quelle mesure les Américains seront-ils là pour nous aider, si notre armée en a besoin à court terme?

[Traduction]

M. Auerswald : Loin de moi l’idée de dire au gouvernement canadien quoi faire, mais il y a toujours un « mais ». Mais je vous recommanderais de ne pas dépenser de précieux dollars pour du matériel très coûteux, comme des sous-marins — des sous-marins canadiens —, alors que vous pourriez utiliser cet argent beaucoup plus efficacement, par exemple, en achetant des détecteurs autonomes à utiliser soit dans le domaine maritime, soit dans les îles le long de la côte du Canada, ou alors des radars transhorizon, et vous pourriez aussi renforcer vos ententes d’échange d’information avec les États-Unis pour la défense de l’Amérique du Nord. Je crois que ce serait une façon beaucoup plus efficiente d’utiliser vos ressources. Je pourrais continuer, si vous le voulez.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Auerswald. J’ai une courte question pour M. Boulègue, étant donné que nous disposons de temps limité. En ce qui a trait à l’exploitation du territoire arctique, monsieur Boulègue, quelle importance devons-nous accorder aux manœuvres conjointes récentes entre les Russes et les Chinois dans le Pacifique?

M. Boulègue : Merci beaucoup, sénateur. Si je peux me permettre de reprendre votre première question, je suis tout à fait d’accord avec la réponse de mon collègue. J’ajouterais la nécessité d’apporter des capacités d’écoute sous-marine — ce que l’on a abandonné depuis la Guerre froide—, la connaissance du domaine maritime — ce que mon collègue a rappelé, soit le maritime domain awareness en anglais —, mais également la refonte de nos capacités au sein de l’OTAN en matière de guerre anti-sous-marine, notamment en matière d’aviation tactique. C’est un élément, pendant la Guerre froide, avec lequel nous étions extrêmement bons et nous avons perdu notre fer de lance, si l’on veut, en matière de capacité. Il y a donc beaucoup de choses moins coûteuses, plus faciles à mettre en place qu’une flotte de sous-marins, notamment, s’il faut repartir de zéro.

En matière d’exploitation du territoire arctique, effectivement, je suis très content de votre question par rapport à l’autre côté de l’Arctique, c’est-à-dire le Pacifique. Les manœuvres russes et chinoises sont une forme d’extension russe par rapport à ces capacités. La Russie, en Kamtchatka et dans la péninsule, notamment en mer d’Okhotsk, est déjà au-delà de sa zone de confort en matière de maintien d’une zone d’influence. Les capacités russes dans la région sont limitées. La Russie est obligée de dépasser ses capacités, ce qui signifie que la Chine, pour la Russie, est un multiplicateur de force pour démontrer à la fois symboliquement une présence, et également une forme de contestation. La Russie ne pouvant le faire seule, elle le fait avec la Chine en matière de contestation. C’est pour cette raison que nous avons vu, depuis quelques années, cette capacité bilatérale de mener des exercices qui permettent de contester les zones d’identification aérienne, par exemple, les zones et les approches navales auprès du Japon et de la Corée, mais également auprès du territoire américain.

Pour l’instant, ces mesures sont relativement bénignes. Il ne faut pas forcément s’inquiéter du nombre de patrouilles qu’il peut y avoir, mais par contre, elles démontrent une capacité. Qui dit capacité dit intention derrière, qui pourrait nuire à la capacité d’accès des alliés, notamment celle du Canada et des États-Unis dans le Pacifique Nord, dans le détroit de Béring et plus largement dans toute la zone du Nord-Est asiatique, ce qui entraînerait aussi des problèmes de sécurité pour le Japon et la Corée, qui sont des alliés du camp occidental. Cette équation est d’autant plus fragile aujourd’hui, car ce qui se passe dans le Pacifique a des répercussions directement sur l’Europe et vice‑versa. Encore une fois, c’est un continuum.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Boulègue.

Le sénateur Smith : Merci aux témoins. Une chose que j’ai apprise, en écoutant tous les bulletins de nouvelles sur la guerre en cours, c’est que la Russie n’agit pas tant qu’elle ne voit pas de force agir contre elle. En partant de cela, voici ma question : compte tenu de la position du Canada dans le Nord, laquelle n’est évidemment pas très solide — et je pourrais poser la question aux deux témoins —, que devrions-nous faire, en trois ou quatre étapes? Je sais que vous avez déjà mentionné des mesures qui doivent être prises à l’échelle mondiale, mais le Canada, en tant que pays, en tant qu’acteur et en tant que membre de l’OTAN... Qu’est-ce que le Canada devrait faire, mis à part consacrer 2 % de son PIB? Que doit faire le Canada, en trois ou quatre étapes, pour accroître sa puissance?

Le président : M. Auerswald peut répondre en premier.

M. Auerswald : Merci, monsieur le sénateur. Comme je l’ai dit il y a un instant, je crois que le Canada pourrait investir dans le renouvellement du Système d’alerte du Nord. Aux dernières nouvelles, le Canada s’était engagé à investir environ 252 millions de dollars dans son renouvellement, mais, selon des estimations indépendantes, cela devrait coûter au moins 10 milliards de dollars. Donc, il faudrait investir beaucoup plus d’argent dans le Système d’alerte du Nord.

Aussi, comme je l’ai dit plus tôt, la situation dans l’Arctique en ce qui concerne les détecteurs est largement inadéquate, et cela vaut pour presque tous les États de l’Arctique. Je parle des systèmes pilotés, pilotés à distance et sans pilote. Les appareils peuvent être sous-marins, à la surface de l’eau, aériens, par satellite ou terrestres.

Il y a toutes sortes de choses qui pourraient être faites de ce côté-là.

La troisième chose que je conseillerais est de poursuivre et peut-être même d’accélérer la participation du Canada aux exercices dans l’Arctique. Les adultes apprennent par la pratique. Les exercices renforcent l’interopérabilité et les liens entre les forces armées, et ils permettent aussi au personnel militaire de renforcer la mémoire musculaire. Je conseille fortement aux Forces armées canadiennes de poursuivre et d’accélérer ses entraînements dans l’Arctique avec les États-Unis en Alaska, mais aussi avec nos alliés du Nord de l’autre côté de l’Atlantique.

Le président : Merci. Il reste une minute, monsieur Boulègue, si vous voulez ajouter quelque chose.

M. Boulègue : Oui, je n’ai pas grand-chose à ajouter en ce qui concerne le domaine militaire. Je suis tout à fait d’accord avec ce que mon collègue vient de dire sur la nécessité de tirer parti des avantages comparatifs et de rationaliser les efforts afin de ne pas dédoubler ce qui existe déjà. Du côté de la sécurité douce ou des normes, le Canada devrait défendre encore plus ardemment le respect du droit de la mer. Je sais que cela peut paraître évident pour le Canada, mais c’est quelque chose que la Russie ne respecte pas : elle ne respecte pas la liberté de navigation et le droit de passage inoffensif, parce qu’elle a une interprétation différente de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et en particulier de la clause sur les glaces, l’article 234, sur le droit de passage inoffensif — du moins au Canada en particulier —, à cause de la nature du passage du Nord-Ouest et de la nature des demandes présentées par le Canada, avec le Danemark et la Russie, à la Commission des limites du plateau continental des Nations unies. Une bonne façon de montrer au Kremlin que ce n’est pas seulement un enjeu militaire serait de lui rappeler l’importance du droit et des normes dans cet environnement, et aussi l’importance des rôles communs et de la compréhension commune de ces règles.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant américain, M. Auerswald. Votre présentation est des plus intéressante. Je crois avoir compris entre les lignes qu’il semble y avoir deux visions de l’Arctique : celle de l’OTAN et celle de NORAD. D’un point de vue stratégique, lorsqu’il s’agit de la suprématie américano-canadienne dans l’Arctique, nos deux pays sont-ils sur la même longueur d’onde? Avons-nous la même vision d’un plan d’action de ce qui devrait être fait dans le Nord pour contrer l’hégémonie russe qui a été établie?

[Traduction]

M. Auerswald : Merci, monsieur le sénateur. C’est une question intéressante. Je répondrai en disant que les États-Unis et le Canada ont des perspectives différentes lorsqu’il s’agit de la sécurité dans l’Arctique. Le Canada, à ma connaissance, se préoccupe principalement de l’Arctique nord-américain. C’était certainement la position du gouvernement Harper et, semble-t-il, c’est celle du gouvernement actuel, qui consiste à en revendiquer la souveraineté et à y maintenir une présence. Les États-Unis se préoccupent aussi de l’Arctique nord-américain, mais ils se préoccupent aussi énormément de l’Arctique européen, compte tenu de leur rôle à l’échelle mondiale.

Prenons les divers organes des forces armées américaines; le Commandement du Nord va surtout se préoccuper de l’Amérique du Nord. Le Commandement européen et le Commandement indopacifique vont s’occuper des autres parties de l’Arctique. Je ne sais pas si on peut ainsi comparer les deux pays de façon égale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Plus précisément, ma question porte sur la manière dont nous allons nous y prendre pour résoudre cette divergence de vues entre les pays nordiques européens et nos deux pays, parce que nous faisons face à un opposant, la Russie, qui est unique en matière de plan d’action aussi bien européen qu’américain, alors que nous devons concilier les vues de nombreux pays. Comment pourrions-nous mieux intégrer notre philosophie d’action et les investissements qui doivent être effectués pour s’assurer que nous pouvons atteindre nos objectifs?

[Traduction]

M. Auerswald : Merci beaucoup. Une chose que je dirais est que nous devons reconnaître que ce ne sont pas tous les pays qui vont pouvoir fournir l’ensemble complet des capacités dans l’Arctique, et nous devons accepter le fait que nous allons devoir nous faire confiance les uns et les autres, entre pays de l’Arctique occidental. Le Canada peut fournir certaines capacités, la Norvège peut fournir certaines capacités, et la Finlande et la Suède, si elles adhèrent à l’alliance, pourront en fournir d’autres. Ce que je propose, c’est une division des tâches. Dans un scénario hypothétique, disons une guerre terrestre dans l’Europe arctique, et advenant l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, l’armée finnoise et l’armée norvégienne pourraient probablement jouer ensemble un rôle de premier plan. S’il y avait un combat pour l’Atlantique Nord, les États-Unis et probablement le Danemark pourraient prendre les rênes, avec nos partenaires du Royaume-Uni. S’il y avait une interdiction aérienne en Amérique du Nord, alors le rôle de chef reviendrait évidemment au Canada et aux États-Unis. Nous devons apprendre à nous faire confiance et à avoir confiance que nous serons là les uns pour les autres. Nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas tout faire partout. Aucun pays n’en est capable. Les États-Unis, certainement pas. Nous devons nous fier à nos alliés.

La sénatrice M. Deacon : Merci à nos témoins d’être avec nous pour la réunion d’aujourd’hui. Ma question porte sur les forces armées et leur matériel. Récemment, M. Robert Smol, un agent du renseignement militaire à la retraite, a écrit un article d’opinion dans lequel il déplorait à quel point nous étions mal préparés dans l’Arctique face à une Russie de plus en plus agressive. Il a souligné que, en matière d’équipement, notre présence en Arctique se résume à quatre aéronefs polyvalents de type CC-138 Twin Otter et d’un patrouilleur arctique — un autre est en chemin — muni d’une mitrailleuse orientable. Compte tenu des contraintes budgétaires réalistes et existantes, que devrait-on faire, en ce qui concerne notre approvisionnement militaire futur, si le Canada veut sérieusement que sa présence militaire en Arctique ait un effet dissuasif?

M. Auerswald : Merci, sénatrice. Pour répondre à votre question, je dirais qu’il faut prendre un peu de recul et réfléchir au vecteur d’attaque le plus probable pour le Canada. Quel genre d’agression redoute-t-on? Puis, vous adaptez vos capacités militaires en conséquence pour répondre à cette menace.

Si je réfléchis aux menaces militaires qui pèsent sur le Canada, je pense à des choses qui vont survoler le Canada, par exemple des aéronefs, des missiles de croisière, des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles à lanceur sous-marin. Je pense à du harcèlement éventuel par la marine, mais je ne m’attends certainement pas à ce que le Canada soit envahi comme dans le film L’Aube rouge. Les Russes ne vont pas envahir les territoires du Nord pour se rendre à Ottawa et Toronto.

Ce que je recommanderais, pour vos priorités, c’est de réfléchir aux menaces imminentes. Je crois que ce serait une bonne chose d’avoir des radars transhorizon, parce qu’il avertit lorsqu’un objet approche à grande vitesse. Je pense aussi qu’il faudrait une présence navale qui soit capable d’assurer la souveraineté, et je pense qu’il faudrait continuer d’acquérir des F-35, comme vous avez déjà décidé de le faire. Les F-35 ont des capacités de traitement de données et des senseurs et un système qui permet une connexion avec les États-Unis, alors c’est un excellent système à acheter, si vous voulez assurer une coordination avec les États-Unis et pourquoi pas avec les forces danoises au Groenland. Ce serait les trois priorités que je recommanderais, en plus de tout ce que j’ai dit plus tôt par rapport à la connaissance du domaine.

Le sénateur Yussuff : Je vais tout d’abord remercier nos témoins d’être avec nous aujourd’hui et de nous faire profiter de leurs vastes connaissances. J’ai deux choses à dire. Premièrement, est-ce qu’une plus grande militarisation du Nord, en particulier de l’Arctique, n’aurait pas de profondes répercussions sur la population autochtone qui vit présentement en Arctique? L’un ou l’autre des témoins peut répondre?

M. Boulègue : Merci de poser la question, sénateur. Vous avez absolument raison. L’enjeu principal — si j’adopte le point de vue des Russes sur l’Arctique —, c’est que les conséquences des changements climatiques, liés à la remilitarisation de l’Arctique russe, diminuent essentiellement le budget destiné au développement des collectivités locales et à l’amélioration des conditions de vie dans ces collectivités locales et aux populations autochtones. En Russie, les populations autochtones dans la zone arctique de la Fédération russe sont les premières à subir les conséquences et généralement les premières que l’État russe laisse tomber. Premièrement, le fait est que, de par la nature même de son système, la Russie ne se soucie pas de sa population. Deuxièmement, elle se soucie encore moins des populations autochtones en général. Troisièmement, les conséquences des changements climatiques et les caractéristiques géographiques... Je vous rappellerais que 70 % de l’infrastructure russe, que ce soit l’infrastructure civile ou militaire, dans la zone arctique de la Fédération russe subit déjà directement les conséquences de la fonte du pergélisol et du changement climatique. De façon générale, l’État russe n’offre aucune assistance ni aucune aide aux populations locales ou autochtones pour ce qui est de leur subsistance ou pour s’assurer qu’elles peuvent s’adapter à ces conséquences et les gérer, même si elles ont un coût sociétal énorme pour ces collectivités locales, parce que, je le redis, le budget qui aurait dû servir à aider davantage ces collectivités locales est généralement détourné au profit des forces armées. Il est question ici de quatre millions de Russes qui sont directement touchés par les conséquences des changements climatiques, quatre millions de personnes dont l’État russe, jusqu’ici, ne s’occupe pas et qu’il n’a pas aidées à se donner un avenir meilleur.

C’est le problème fondamental de l’Arctique russe lui-même. Je ne dirai rien à propos des autres États côtiers de l’Arctique, mais en Russie, c’est un problème crucial, et d’une certaine façon, les autres États pourraient à ce chapitre offrir directement de l’aide à ces populations, par l’intermédiaire d’associations des collectivités locales. Par exemple, des organisations communautaires transnationales, fondées sur les affinités et la communauté, et non pas sur un État, pourraient se mettre en mode écoute pour voir comment elles pourraient aider ces collectivités et atténuer les impacts des changements climatiques sur leurs moyens de subsistance au quotidien. Il est question ici de la survie de ces populations, et que l’on ne doit pas s’attendre à ce que le Kremlin lève le petit doigt. Il y a des possibilités de coopération là-bas avec les Russes, sans l’État russe ou les dirigeants russes.

M. Auerswald : Rapidement, deux choses : premièrement, l’Arctique a toujours été militarisé; cela n’a rien de nouveau. La militarisation de l’Arctique, si vous voulez en parler ainsi, n’est pas nécessairement une mauvaise chose pour les Autochtones, du moins en Occident, si — je dis bien « si » — les militaires et les élus écoutent les préoccupations des peuples autochtones.

Prenons l’exemple de l’Alaska. La majeure partie de l’infrastructure en Alaska est axée sur l’industrie de l’exploitation pétrolière et les forces armées. La majeure partie de l’aménagement se fait autour des bases militaires. Les forces armées fournissent la majeure partie de l’infrastructure en Alaska. Une plus grande présence militaire dans l’Arctique occidental n’est pas nécessairement une mauvaise chose, du point de vue des peuples autochtones, du moins pourvu que les militaires et les élus les écoutent et entendent leurs préoccupations.

Le sénateur Boehm : J’aimerais remercier nos deux témoins de leur témoignage. Je vais commencer par M. Auerswald. Trois des pays du Groupe des cinq font partie de l’OTAN, et ce que nous avons vu dans le cadre du conflit actuel c’est que des renseignements secrets sont fréquemment communiqués, y compris du cyberrenseignement provenant des États-Unis en particulier, tout cela d’une façon sans précédent.

Nous avons remarqué que, dans notre pays — et les médias en ont parlé —, il est vraiment difficile d’embaucher des experts en cybernétique. Cela prend le bon niveau d’expertise technique; la technologie change; il y a des cotes de sécurité à obtenir, et tout le reste. J’imagine qu’il y a des similarités.

J’aimerais avoir votre avis, relativement à la préparation à une agression en Arctique, sur l’importance d’intensifier nos efforts dans le dossier cybernétique, et aussi savoir si le Groupe des cinq pouvait faire preuve d’un peu plus d’ouverture envers les autres pays, et je pense en particulier à certains pays européens.

M. Auerswald : Merci, monsieur le sénateur. Votre question touche au cœur du partage du renseignement. Il est évidemment difficile d’embaucher des experts en cybernétique, compte tenu des processus de vérification préalable et du fait qu’ils pourront probablement gagner un salaire plus élevé dans le secteur privé qu’au gouvernement.

Cela dit, nous observons, dans l’Arctique, une coopération novatrice en ce qui concerne le partage du renseignement. Je dois noter des problèmes en matière de classification. Il y a certainement des efforts pour élargir la circulation des informations en Arctique entre les pays occidentaux. Cela dit, le fait que la Finlande et la Suède ne font toujours pas partie de l’OTAN veut dire qu’il y a des obstacles majeurs pour ce qui est d’échanger quoi que ce soit avec ces pays, contrairement à ce qu’on pourrait échanger avec un partenaire de l’OTAN, et ce n’est pas seulement le point de vue des États-Unis. Quand je parle aux représentants norvégiens, par exemple, ils ont les mêmes préoccupations. Ce n’est pas qu’ils ne font pas confiance à leurs collègues finnois ou suédois, c’est plutôt qu’il y a des règles et qu’il faut les respecter. Donc, franchement, il faudrait modifier les lois en matière de classification ou, du moins, les protocoles de classification pour que chaque pays individuellement puisse surmonter ces obstacles.

Le sénateur Boehm : Peut-être que M. Boulègue a aussi quelque chose à dire?

M. Boulègue : Non, je crois que mon collègue a tout dit.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. Ma question concerne l’adhésion éventuelle de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, de façon générale. Que fera la Russie? Comment va-t-elle réagir? Est-ce que cela va aggraver la possibilité d’une escalade, ou est-ce que cela va avoir un effet dissuasif? Monsieur Boulègue, je vous demanderais de répondre en premier, s’il vous plaît.

M. Boulègue : Merci beaucoup, madame la sénatrice. En fait, Poutine est un agent secret de la CIA qui, depuis les 20 dernières années, cherche à renforcer l’OTAN en concrétisant ce qu’il craint le plus, c’est-à-dire l’expansion des frontières de l’OTAN. Blague à part, nous devons nous attendre à davantage de déstabilisation, à plus de tentatives d’intimidation et à plus de pressions de la Russie, lorsque la Suède et la Finlande vont adhérer à l’OTAN. C’est inévitable. Le Kremlin va faire une autre mise en garde ultime, par bravade, pour montrer qu’il n’a pas peur. Bien sûr, pour le Kremlin, cela n’aura pas d’effet dissuasif, et cela ne sera même pas interprété comme tel. Et même si cela fonctionnait et avait un effet dissuasif, symboliquement, dans sa rhétorique et sa propagande, le Kremlin ne l’admettra jamais. Il ne montre ou n’affiche jamais de signe de faiblesse et, s’il doit agir en position de faiblesse, il essaiera toujours de reprendre le dessus. Donc, faites comme bon vous semble, nous sommes tous d’accord. Nous allons devoir nous attendre à une surchauffe de la guerre de l’information, à des comportements encore moins professionnels, à davantage de tentatives d’intimidation et à une absence absolument totale de professionnalisme lors des exercices militaires et même en temps de paix, ce qui peut mettre en danger les activités civiles et leur continuité.

Aussi, et c’est encore plus important, la Russie et Poutine lui‑même jouent avec le seuil de tolérance nucléaire et utilisent le gros bouton rouge pour nous faire peur, ce qui a évidemment un effet autodissuasif sur nous, et nous limitons nos propres options parce que nous craignons une escalade nucléaire. C’est comme si nous avions oublié 50 ans de théorie sur la dissuasion nucléaire. Malgré tout, voilà les cartes que nous avons à jouer, et c’est malheureusement, très réellement, la menace que nous allons devoir affronter.

La sénatrice Dasko : Je demanderais à M. Auerswald de répondre à la même question.

M. Auerswald : Bien sûr. Merci, madame la sénatrice.

Évidemment, la Finlande n’a toujours pas pris de décision officiellement, mais si vous parlez aux représentants du gouvernement, ils vous diront qu’ils sont prêts à toute éventualité en ce qui concerne la réaction éventuelle de la Russie, y compris des mesures militaires et actives, y compris des mesures cybernétiques et de la désinformation, et toute la panoplie des actions que la Russie pourrait tenter.

Il s’agit de savoir combien de temps prendra le processus de ratification pour modifier le Traité de Washington. Plus cela prend du temps, plus la Finlande va avoir à se protéger elle‑même, sinon militairement, alors dans le cyberespace et contre la désinformation. Les membres de l’OTAN doivent réfléchir à la campagne de désinformation et aux campagnes opérationnelles d’information que la Russie lancera contre toutes les capitales de l’OTAN pour essayer de retarder ou de faire dérailler l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, pendant le processus de ratification pour modifier le traité.

La sénatrice Anderson : Je veux me présenter, avant de poser ma question. Je suis Inuite. Je me trouve dans la région des Inuvialuit, où la revendication territoriale a été réglée, plus précisément à Tuktoyaktuk, présentement, où il y a des exercices militaires. Il y a eu un exercice de deux semaines auquel ont participé les États-Unis, la France et le Canada, en février dernier. Je peux voir, de ma fenêtre, l’une des stations du Système d’alerte du Nord. J’ai grandi auprès d’une station du Système d’alerte du Nord, et j’ai un commentaire à faire par rapport aux peuples autochtones et aux répercussions sur eux.

Dans le passé, les peuples autochtones de ce territoire n’ont pas été consultés avant qu’on investisse l’espace que je peux voir depuis ma fenêtre. Je suis d’accord pour dire que la consultation est importante, et nous faisons partie du processus en ce qui concerne l’engagement militaire et la défense.

Ma question s’adresse à M. Auerswald; vous avez parlé des systèmes de sécurité et de défense militaire et aussi du travail qu’il reste à accomplir. De mon point de vue, il n’y a pas seulement les systèmes, mais la présence militaire ou les effectifs qui sont aussi une composante essentielle. Compte tenu du fait que, dans l’Arctique, les Rangers canadiens sont présents dans 65 de nos 72 collectivités, j’aimerais que vous nous disiez à quoi ressemblerait, selon vous, une présence accrue des militaires dans l’Arctique.

M. Auerswald : Merci, madame la sénatrice.

Les Rangers canadiens font en quelque sorte l’envie de nombreux États arctiques, parce qu’ils jouent un rôle crucial dans la connaissance du domaine. Selon moi, la question qui se pose, si on pense à l’avenir des Rangers canadiens par rapport au reste ou aux Rangers canadiens en tant que complément à d’autres activités de connaissance — les détecteurs — ou à d’autres présences, c’est celle-ci : quel genre de message voulez‑vous envoyer sur la scène internationale, et quel message voulez‑vous envoyer à l’intérieur du Canada?

Si vous voulez envoyer un message aux autres pays du monde pour montrer que vous vous engagez envers cette partie de votre pays, vous envoyez un message beaucoup plus fort avec une personne sur le terrain ou sur l’eau, dans cette région, plutôt qu’avec un dispositif de détection stationnaire commandé à distance. Avoir une personne ou, disons des troupes sur le terrain, cela montre que vous êtes sérieux.

J’admets que ce n’est peut-être pas la façon la plus efficiente de recueillir des données sur ce qui se passe là-bas. Un dispositif commandé à distance serait peut-être beaucoup plus efficient, parce qu’il peut couvrir plus de terrain. Il peut voir davantage de choses, mais, en ce qui concerne le message qu’on envoie, un ranger en motoneige, c’est parlant.

La sénatrice Anderson : Quyanainni. Peut-être que M. Boulègue voudrait ajouter quelque chose?

M. Boulègue : Non, pas vraiment. Je crois que mon collègue a été très éloquent à ce sujet, simplement en rappelant l’importance de l’élément humain, de la reconnaissance humaine, de l’intelligence humaine. Il y a aussi ce que les rangers et les autres forces permanentes en Arctique peuvent apprendre des collectivités locales, parce que les gens là-bas connaissent leur environnement. Ils évoluent dans cet environnement qui peut s’avérer aussi traître que l’ennemi que nous devrons peut-être combattre, et je crois qu’il peut y avoir une courbe d’apprentissage plus abrupte. La Finlande, par exemple, a fait cela avec les collectivités locales très loin dans le Nord, et peut-être que le Canada a fait la même chose, mais je ne sais pas. Il y a une bonne courbe d’apprentissage pour les nations arctiques et pour les nations de l’OTAN, pour qu’elles restent bien renseignées et soient prêtes à évoluer, à survivre et à combattre dans cet environnement.

Le sénateur Richards : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à M. Auerswald, très rapidement.

Nous avons une relation très, très étroite avec les États-Unis. J’ai d’ailleurs enseigné aux États-Unis, deux fois. Nos deux pays sont très proches, mais il y a de la compétition, et il y a de la compétition dans le Nord. Quel genre de tensions cela crée-t-il dans la relation entre les États-Unis et le Canada, relativement aux diverses coopérations? Si vous pouviez répondre rapidement, monsieur.

M. Auerswald : Merci, monsieur le sénateur.

Je crois que nous avons une coordination et une coopération très, très, très bonnes, sur le plan militaire. Sur le plan personnel, tout le monde s’entend bien, et tout le monde valorise énormément cette relation. Sur le plan économique, il y a davantage de compétition, et cela a parfois mis à l’épreuve la relation transfrontalière.

Ma spécialité, c’est le domaine de la sécurité. La coopération ne pourrait pas être meilleure.

Le sénateur Richards : Merci.

Le président : Merci beaucoup à tous et à toutes. Voilà qui met fin à notre réunion.

Je tiens à remercier sincèrement tous nos témoins d’aujourd’hui. Mes excuses au sénateur Dagenais, qui n’a pas pu reprendre la parole.

Vous nous avez donné énormément d’informations. Vous avez été directs, et un thème commun qui s’est dégagé a été que nous ne pouvons plus considérer l’Arctique séparément des événements géopolitiques actuels ou passés. Nous devons garder à l’esprit la possibilité d’une escalade horizontale de la part de la Russie. Ce n’est pas une impossibilité. Aucun État ne peut raisonnablement agir seul, et nous devons aussi écouter ce que les peuples autochtones ont à dire.

Voilà où nous en sommes pour aujourd’hui, et je crois que c’est une réponse très, très appropriée à la question de la sénatrice Anderson. Merci à tous les témoins.

La prochaine réunion aura lieu le lundi 2 mai 2022, à notre heure habituelle, soit 14 heures, heure de l’Est. Je vous souhaite à tous et à toutes une bonne soirée.

(La séance est levée.)

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