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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 14 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions relatives à la sécurité et à la défense dans l’Arctique.

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Tony Dean, sénateur qui représente l’Ontario et président du comité. Je suis accompagné aujourd’hui de mes collègues du comité, le sénateur Jean-Guy Dagenais, qui représente le Québec, le sénateur Peter Boehm, qui représente l’Ontario, la sénatrice Donna Dasko, qui représente l’Ontario, la sénatrice Marty Deacon, qui représente l’Ontario, le sénateur Clément Gignac, qui représente le Québec, le sénateur Victor Oh, qui représente l’Ontario, et le sénateur David Richards, qui représente le Nouveau-Brunswick. D’autres collègues se joindront à nous, et je les présenterai plus tard au cours de la réunion.

Pour ceux qui regardent la séance d’aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités en matière de sécurité. Le sujet que nous explorons aujourd’hui est l’approvisionnement en biens pouvant être utilisés dans l’Arctique.

Nous souhaitons la bienvenue au comité à M. James Craig Stone, professeur agrégé émérite du Collège des Forces canadiennes, Département des études de la défense, qui se joint à nous par vidéoconférence. Nous accueillons dans la salle aujourd’hui M. David Perry, professeur adjoint en études militaires et stratégiques à l’Université de Calgary et président de l’Institut canadien des affaires mondiales. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous commençons la séance en vous invitant à présenter vos déclarations liminaires, qui seront suivies par des questions de nos membres.

Sur ce, monsieur Stone, vous pouvez commencer lorsque vous êtes prêt.

J. Craig Stone, professeur agrégé émérite, Département des études de la défense, Collège des Forces canadiennes, à titre personnel : Monsieur le président, distingués membres du comité, je tiens à vous remercier de m’avoir invité à comparaître devant vous et à parler de l’approvisionnement en biens pouvant être utilisés dans l’Arctique.

Je tiens d’abord à souligner que ma formation universitaire ou ma discipline est celle d’économiste de la défense et que, à ce titre, j’ai généralement écrit sur l’approvisionnement en matière de défense, l’industrie de la défense et les budgets de la défense. Cette recherche s’est concentrée non pas sur l’Arctique, mais sur le Canada de façon générale, à une exception notable récente près, lorsque j’ai examiné les avantages économiques de la modernisation du Système d’alerte du Nord.

En prévision de la séance, j’ai parcouru les procès-verbaux antérieurs des réunions du comité sur ce sujet de la sécurité et de la défense dans l’Arctique. Vous avez reçu beaucoup de renseignements, dont certains sont contradictoires et concernent le défi dans une démocratie de trouver le juste équilibre en présence de nombreux points de vue.

Compte tenu de ce que je sais que vous avez déjà entendu de la part de témoins précédents, j’ai pensé me concentrer sur trois aspects qui s’appuieront sur certaines des questions courantes que les membres ont posées durant les séances précédentes. Je sais que d’autres témoins vous ont dit qu’il se fait déjà beaucoup de travail pour améliorer nos défenses dans l’Arctique en fonction des initiatives qui ont été cernées dans la politique de défense de 2017 et les initiatives qui proviennent de l’annonce de la modernisation du NORAD par la ministre Anand, en juin.

Des témoins précédents ont parlé de ces initiatives, et mon premier point portera sur le processus et le caractère opportun de ces initiatives. Nous réaliserons tous ces investissements en tenant compte des retombées économiques pour les entreprises et les collectivités autochtones du Nord. La récente attribution d’un contrat pour le maintien du Système d’alerte du Nord existant à la Nasittuq Corporation est un bon exemple de ce qui risque de se produire avec les nouvelles initiatives. Ce processus comprenait la participation directe d’entreprises inuites. Les propositions de l’industrie ont été notées en fonction de 45 % pour la valeur technique, 35 % au chapitre des avantages pour les Inuits et 20 % pour le prix. Le critère de 35 % au titre des avantages pour les Inuits s’alignait sur la directive de la Nunavut Tunngavik Incorporated. Mon propos est de souligner le point soulevé par M. Page, à savoir que le processus doit être correct afin que l’on puisse obtenir la meilleure valeur pour les contribuables canadiens. La mobilisation des collectivités nordiques pour répondre au désir du gouvernement d’obtenir des avantages économiques dans le Nord prendra du temps. Ce contrat particulier concernant l’entretien d’un système existant a nécessité près de deux ans après l’approbation du financement et de la portée du besoin par le gouvernement. Les nouvelles initiatives prendront probablement plus de temps. Un certain nombre d’entre vous ont posé des questions au sujet de ce long processus, et je tiens à souligner que le processus peut être beaucoup plus rapide lorsqu’il y a une urgence reconnue. Le Canada a acquis du matériel très rapidement durant la mission en Afghanistan, parce que nos soldats étaient en danger. Les Canadiens se préoccupent de l’Arctique, mais il n’y a pas de véritable sentiment d’urgence, de sorte que la concurrence et les avantages économiques pour le Canada et l’industrie canadienne font partie du processus.

Mon deuxième point est de m’appuyer sur l’information que vous a fournie M. Lackenbauer sur la nécessité de tirer parti de cet investissement pour qu’il profite également aux communautés civiles. Je pense qu’il importe de souligner que même avant l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie, il y avait de multiples points de vue sur ce que le Canada devait faire dans l’Arctique. Protéger sa souveraineté, gérer le changement climatique et l’environnement, extraire des ressources, contrôler la navigation dans le Nord et assurer une consultation efficace des Inuits sont tous des sujets de préoccupation, et tout cela s’ajoute à l’exigence principale de moderniser le Système d’alerte du Nord. L’invasion russe a peut-être rendu certaines de ces questions plus urgentes, mais au final, le gouvernement doit prendre certaines décisions concernant le fait de savoir s’il traitera de certaines de ces questions dans le cadre du plan de modernisation globale ou comme des activités distinctes. Une question connexe, mais peut-être distincte, est que certaines de ces exigences ne sont pas liées au besoin de modernisation, et les États-Unis seront dans leur droit de ne pas inclure ces exigences de financement dans l’accord de partage des coûts. Tout cela pour dire que, même si j’approuve le point de vue de M. Lackenbauer concernant un plan pangouvernemental intégré et coordonné, je crois que la plupart des investissements seront probablement destinés à l’infrastructure, et que plus il y aura d’exigences comprises dans le plan, plus il faudra de temps pour que le processus permette de s’assurer que l’argent des contribuables procure le plus d’avantages possible, et plus les initiatives deviendront coûteuses.

Mon troisième point concerne les avis contradictoires que vous avez reçus sur l’achat de sous-marins par rapport à l’investissement dans des capteurs sous-marins. Je pense que vous avez besoin des deux dans l’Arctique, mais ces sous-marins doivent être à propulsion nucléaire. Il faudrait un dialogue très ouvert avec la société canadienne au sujet des sous-marins à propulsion nucléaire. Comme vous le savez, propulsion nucléaire ne veut pas dire armes nucléaires, et je sais qu’une partie du problème narratif de la politique de défense de 1987, tenait principalement à la question des armes nucléaires.

Le plus grand défi dans l’exploitation des sous-marins à propulsion nucléaire est non pas le coût d’investissement initial de l’acquisition, mais le coût de l’infrastructure nécessaire pour les maintenir. Il y a peut-être des moyens de régler ce problème avec nos alliés. Quant à moi, je pense que, malgré les problèmes environnementaux que peut poser l’énergie nucléaire, il s’agit d’une énergie plus propre que les combustibles fossiles et le gaz naturel en ce qui concerne la pollution et le changement climatique.

Fait plus important encore, du point de vue de la sécurité, il faut pouvoir aller sous la glace pour faire face aux menaces découvertes par les capteurs sous-marins, et cela ne peut se faire qu’avec des sous-marins à propulsion nucléaire.

Je rappelle que le PIB du Canada l’an dernier se chiffrait à un peu moins de 2 billions de dollars, et 2 % représentent 40 milliards de dollars. Le budget de la défense dans les comptes publics pour l’exercice 2019-2020 était de 23,2 milliards de dollars, et il est de 24,3 milliards de dollars dans le budget des dépenses pour l’exercice 2021-2022. Passer à l’objectif de 2 % de l’OTAN fournirait plus qu’assez d’argent pour acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire.

Permettez-moi de conclure en mentionnant que, si nous voulons acheter de l’équipement précisément pour l’Arctique, cela nécessite un changement de mentalité de la part des militaires. Par défaut, on achète des équipements qui peuvent être utilisés dans plusieurs environnements et missions, parce que le financement a toujours été limité et sporadique. Lorsque vous n’avez qu’une seule occasion d’acquérir une capacité, on s’assure par défaut qu’elle peut en faire le plus possible. Je pourrai vous en dire davantage à ce sujet pendant la période de questions, si vous le voulez.

Je souhaite au comité la meilleure des chances pour essayer d’arriver à un consensus sur ce qu’il faut dire dans votre rapport final en fonction des multiples points de vue que vous ont présentés les témoins.

Merci, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Stone. Je ne doute pas que vous recevrez un certain nombre de questions, compte tenu de cet exposé.

Nous allons maintenant entendre M. David Perry. Monsieur Perry, allez-y quand vous êtes prêt.

David Perry, président, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis très heureux d’être de retour en personne. La discussion aujourd’hui porte sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, mais j’aimerais d’abord situer ces questions dans le contexte de la guerre brutale que mène la Russie contre l’Ukraine, qui démontre de manière concrète les répercussions du retour de la concurrence entre de grandes puissances.

La Russie et la Chine continuent d’investir dans des programmes de modernisation militaire et d’utiliser ces forces armées modernisées de concert avec d’autres éléments du pouvoir de l’État, d’une manière qui menace les intérêts occidentaux et canadiens. Compte tenu de l’intérêt manifeste de ces deux pays pour l’Arctique et de leur capacité croissante de mener des actions militaires dans l’Arctique contre des cibles au Canada ou en Amérique du Nord ou contre des cibles dans l’Arctique canadien lui-même, le Canada doit agir avec une urgence dont il ne fait pas preuve actuellement pour renforcer sa sécurité et sa défense dans l’Arctique.

L’annonce faite cet été d’un ensemble d’investissements pour soutenir la modernisation du NORAD est un bon début pour renforcer nos défenses dans l’Arctique, mais à ces initiatives récemment annoncées, nous devrions ajouter des capacités sous-marines et des défenses aériennes et antimissiles intégrées pour améliorer notre capacité de comprendre ce qui se passe dans nos eaux côtières et de défendre le Canada contre les menaces les plus probables auxquelles nous sommes confrontés.

À moins que des changements importants soient apportés, nous pouvons nous attendre à ce que des investissements comme ceux-là prennent entre deux et trois décennies pour produire des actifs de défense utilisables sur le plan opérationnel. Permettez-moi de citer quelques exemples pour illustrer à quel point le rythme de nos investissements dans la défense de l’Arctique a été proprement glaciaire. En 2008, la Stratégie de défense Le Canada d’abord, une politique de défense qui exprimait des préoccupations importantes concernant la sécurité et la défense dans l’Arctique, a cerné cinq projets pour renouveler les plateformes d’équipement de base des Forces armées canadiennes. Trois d’entre eux amélioreront de manière concrète nos défenses dans l’Arctique, à savoir les projets visant à remplacer nos navires de combat de surface de la Marine, nos avions de chasse et nos aéronefs de patrouille maritime. Aucun de ces projets mentionnés en 2008, cependant, n’a livré un nouvel avion ou un nouveau navire, et selon les calendriers actuels, ils ne le feront qu’entre 2025 et le milieu des années 2030.

L’observation que je ferais par rapport à notre capacité manifeste, très lente, d’améliorer la capacité arctique pour votre étude comporte deux volets. Premièrement, lorsque nous prenons aujourd’hui des décisions concernant notre sécurité et notre défense futures dans l’Arctique, nous devons tenir compte de notre capacité manifeste réelle de répondre aux changements futurs de notre environnement de sécurité dans les décennies à venir et ne pas simplement réagir au monde qui nous entoure aujourd’hui, vu la lenteur avec laquelle nous mettons en œuvre des changements véritables.

Deuxièmement, nous devons consacrer au moins autant de temps et d’efforts à l’amélioration de notre capacité de mettre en œuvre les politiques de défense et de sécurité et les investissements financés dont nous disposons aujourd’hui qu’à l’examen des plans futurs visant à répondre aux besoins dans un avenir prévisible.

À cette fin, permettez-moi de formuler quelques commentaires sur la façon dont nous pouvons améliorer l’approvisionnement en biens pouvant être utilisés dans l’Arctique. Tout d’abord, nous devons reconnaître que notre système d’approvisionnement est systématiquement incapable d’acquérir des équipements de défense majeurs dans les délais prévus par la Défense nationale, et ce, depuis 2007, lorsque le ministère a commencé à sous-utiliser ses fonds d’acquisition d’immobilisations de 20 % ou plus par année. Même si un certain nombre de facteurs contribuent à cette situation, et que des projets individuels connaissent des problèmes uniques, de façon générale, l’ampleur des plans d’investissement actuels en matière de défense, qui sont les plus importants que le Canada ait eus dans les livres depuis la guerre de Corée, dépasse la capacité de notre système d’approvisionnement tel qu’il est configuré actuellement. Pour remédier à cette situation, il faut recalibrer le système lui-même et la capacité de la main-d’œuvre qui tente de s’y retrouver avec les exigences que nous lui imposons.

Tant que la capacité de ce système et les exigences que nous lui imposons ne seront pas mieux équilibrées, il faudra déployer plus d’efforts pour déterminer les priorités en matière d’approvisionnement et veiller à ce que ces dossiers prioritaires soient reconnus comme des priorités dans l’ensemble du gouvernement, et pas seulement par des parties individuelles du système d’approvisionnement.

La Défense nationale et la Garde côtière canadienne ont collectivement des centaines de projets, et ceux-ci ne peuvent tout simplement pas tous avancer à la même vitesse. Il faut faire davantage pour déterminer ceux qui doivent avancer rapidement et concentrer les ressources de façon plus efficace sur ces priorités.

De même, tant que l’approvisionnement de matériel de défense ne sera pas considéré comme une priorité du gouvernement du Canada, nous ne devrons pas nous attendre à des résultats nettement meilleurs, quels que soient les autres changements apportés. Comme mon collègue vient de le mentionner, lorsque nous étions en guerre en Afghanistan au milieu des années 2000, l’approvisionnement était une priorité, et comme nous le constatons avec notre soutien militaire à l’Ukraine, il l’est actuellement. Lorsque ces achats sont une priorité du gouvernement du Canada, définie par le premier ministre jusqu’en bas de la hiérarchie, le Canada est en mesure de faire ces achats en quelques semaines et mois au lieu de décennies. Il faut généralement des décennies lorsque le gouvernement ne fait pas de l’approvisionnement de matériel de défense une priorité.

À moyen et à long terme, toutefois, la capacité de la main-d’œuvre en approvisionnement doit être augmentée pour que l’on puisse faire face à l’augmentation de la demande que nous avons connue au cours des 10 à 20 dernières années. À la Défense nationale, la capacité de la main-d’œuvre a été réduite de moitié à la fin de la guerre froide et n’a jamais été reconstruite depuis. La crise actuelle en matière de ressources humaines militaires exacerbe cette situation dans les parties du processus d’approvisionnement où les militaires jouent un rôle important, comme dans le développement des forces. Du point de vue quantitatif, trop peu de gens travaillent aux approvisionnements en matière de défense dans l’ensemble du gouvernement et, du point de qualitatif, l’expertise en la matière, la formation et la préparation professionnelles ne sont pas aussi largement disponibles qu’elles devraient l’être partout dans le système.

À court terme, nous devrions ajouter plus de ressources humaines par l’intermédiaire de contrats lorsque c’est possible, tout en augmentant les effectifs civils et militaires à temps plein qui travaillent sur ces dossiers au fil du temps. Pour ce qui est du système d’approvisionnement lui-même, nous devrions examiner des options afin de rationaliser davantage les processus, dans la mesure du possible, dans tout le système d’approvisionnement.

S’il existait une seule solution miracle permettant d’améliorer tout de façon spectaculaire grâce à un simple changement, je pense que nous l’aurions déjà mise en œuvre. Il s’agit plutôt d’un effort d’amélioration continue nécessaire dans l’ensemble du système. Il pourrait s’agir de déléguer davantage de projets moins complexes et moins risqués aux fins d’approbation officielle par tous les conseils de décision du gouvernement, afin de permettre aux hauts fonctionnaires et aux politiciens de concentrer leur temps et leur attention sur les projets qui en ont le plus besoin. Cette approche devrait également être étendue au travail proprement dit afin de mieux adapter le niveau d’effort requis pour faire avancer les projets aux différentes étapes du système en fonction de leur risque et de leur complexité.

À titre d’exemple, il existe une grande différence dans la quantité de travail et d’approbations requis pour des projets mineurs et majeurs, qui sont définis par ceux qui sont inférieurs ou supérieurs au seuil de 10 millions de dollars. Lorsqu’un projet d’une valeur supérieure à 10 millions de dollars devient un projet majeur, il n’y a pas assez de différence entre le traitement d’un projet de 60 millions de dollars et d’un projet de 60 milliards de dollars au chapitre du niveau d’effort requis pour la documentation du projet ou pour l’examen et l’approbation de ce projet qui sont nécessaires au moment de faire l’un ou l’autre de ces achats.

Compte tenu de l’urgence de la situation actuelle et de notre incapacité systémique d’acquérir du matériel militaire assez rapidement, nous devons revoir un certain nombre de ces questions et le faire rapidement. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Perry. Nous allons maintenant passer aux questions, et vous nous avez tous donné beaucoup de matière à réflexion cet après-midi et au cours des semaines et des mois à venir.

Avant de passer aux questions et aux réponses, j’aimerais demander aux participants dans la salle de s’abstenir de trop s’approcher des microphones et de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela évitera toute boucle de rétroaction qui pourrait nuire au personnel du comité dans la salle, et nous avons connu certaines de ces répercussions négatives, donc c’est plus qu’une simple mise en garde.

Je vous demande également de garder vos questions succinctes et de préciser à quel témoin votre question s’adresse. La première question aujourd’hui est posée par notre vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mes questions s’adresseront à M. Stone. Nous avons récemment discuté avec des fonctionnaires des délais pour concrétiser des acquisitions qui sont qualifiées d’urgentes pour nos forces armées. Croyez-vous que nos décideurs ont un problème systémique de prise de décision, que le prix final de nos achats devient exorbitant et que notre lenteur enrichit les consultants extérieurs qui se succèdent? Croyez-vous les explications selon lesquelles il est tout à fait normal que cela prenne du temps? Plus le temps avance, plus on dirait qu’il y a des consultants qui s’enrichissent encore plus.

[Traduction]

M. Stone : Merci de poser la question, sénateur.

Pour commencer, je m’appuierai sur ce qu’a dit M. Perry à propos de la question de l’amélioration du processus décisionnel lorsqu’il ne s’agit pas d’un projet complexe. Je vais commencer par cela. Bien que vous puissiez ne pas le croire, la situation est en fait meilleure aujourd’hui qu’avant la publication de la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense. Il y a eu beaucoup d’initiatives au sein du MDN pour réduire le nombre d’étapes. Le ministre a reçu plus de pouvoir, en fonction de la complexité des projets, pour prendre des décisions sans avoir à revenir au Conseil du Trésor.

La deuxième partie de cette déclaration est que, même s’il a le pouvoir de le faire, au sein de l’institution, il y a toujours une aversion au risque de ne pas suivre toutes les étapes de la directive administrative pour réaliser des projets, même si on parle continuellement de réduire le nombre d’étapes à suivre pour les projets moins complexes. Il faudra un certain temps pour que les gens s’y habituent. Cela est compliqué par le fait que chaque fois que quelqu’un pose une question durant la période de questions à la Chambre et que cette question est renvoyée au ministère — il peut s’agir du MDN, de Services publics et Approvisionnement Canada ou d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada —, soudainement, les gens se préoccupent à nouveau du risque et s’assurent qu’ils ne sont pas contestés pour ce qu’ils ont décidé.

Des erreurs seront commises. Si vous voulez que les gens accélèrent l’innovation, vous devez en fait accepter les erreurs. C’est un problème avec l’argent des contribuables quand la question est soulevée pendant la période des questions à la Chambre.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, il y a beaucoup de consultations. Une partie des études réalisées avant la publication de la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense portaient sur le fait que le ministère devait faire participer l’industrie plus tôt. Cela conduit ensuite à l’idée que si vous n’avez pas l’expertise, vous engagez quelqu’un qui peut vous fournir cette aide.

Je ne suis pas sûr de pouvoir dire qu’il y a trop de consultations ou pas assez, parce que je ne suis pas assez au courant; je sais simplement que, pour certaines choses, le ministère est obligé de faire appel à un consultant pour obtenir l’expertise dont il a besoin afin de s’assurer qu’il a le bon type de discussion avec l’industrie. Je ne sais pas si c’est normal ou non, mais je souligne que c’est mieux aujourd’hui qu’en 2012.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Stone, la question s’adresse à vous. À l’heure actuelle, le gouvernement a pris énormément de temps à reconnaître le chantier Davie dans la Stratégie nationale de construction navale. S’il reconnaît le chantier Davie, cela donnera lieu à la construction de deux brise-glace pour deux chantiers : Davie et Seaspan. Cette situation est-elle idéale pour les constructions à venir? Jusqu’à maintenant, ce n’est pas motivant de voir les décisions qui sont prises, entre autres en ce qui concerne le chantier Davie.

[Traduction]

M. Stone : Merci de la question, sénateur.

J’ai écrit au sujet de la décision du gouvernement d’envisager la création d’un troisième chantier naval. J’ai déclaré publiquement que le gouvernement n’a en fait pas expliqué aux Canadiens ce qui a changé depuis l’élaboration de la Stratégie nationale de construction navale originale, dans laquelle le gouvernement indiquait qu’il n’y avait seulement assez de travail pour deux chantiers navals si nous voulions éviter le cycle d’expansion et de ralentissement.

Cela dit, pour répondre plus précisément à votre question, le gouvernement aurait pu prendre la décision concernant le chantier Davie il y a longtemps. Il l’avait déjà prise, fondamentalement, parce que ce chantier travaillait sur des projets depuis bien plus de deux ans, je crois.

Le président : J’aimerais mentionner que la sénatrice Jaffer s’est jointe à nous. Elle représente la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Richards : Merci aux témoins d’être ici. J’ai deux questions rapides, une pour M. Perry et une pour M. Stone.

Monsieur Perry, vous avez peut-être répondu à ma question, mais je vais la poser de nouveau. À quel point les frégates sont-elles en retard, non seulement au chantier naval d’Irving, mais aussi à tous les autres égards? Aussi, à quel point les F-35 sont-ils en retard, et les verrons-nous un jour lorsqu’ils seront encore fonctionnels en tant qu’aéronefs haut de gamme? Nous essayons de les obtenir depuis les années 1990, lorsque les F-18 étaient considérés comme des reliques. Nous sommes maintenant en 2022.

M. Perry : Il y a quelques moyens différents de répondre à la question sur les frégates. L’échéancier initial fourni par le gouvernement pour la livraison du premier navire était 2017. Selon cette mesure, cela fait cinq ans et des poussières. Je crois que, selon les estimations actuelles, le premier navire ne sera pas livré avant les années 2030 et qu’il n’entrera pas en service avant le milieu ou la fin des années 2030, une fois les périodes d’essai et d’acceptation terminées. Le retard serait entre 5 et 20 ans, potentiellement.

Pour ce qui est des F-35, j’espère que les discussions en cours pour arriver au point où le Canada demandera officiellement l’achat de ces avions dans le cadre du partenariat qui existe avec l’avion de combat interarmées se terminent presque littéralement au moment où nous nous parlons et que nous serons sur le point de le faire avant Noël. Il faudra quelques années de plus pour obtenir enfin ces avions, ce qui représente un retard d’environ 20 ans par rapport à ce qui était prévu.

Le sénateur Richards : Monsieur Stone, j’ai une question rapide. Quand j’étais plus jeune et que les F-18 partaient de Miramichi, il n’y avait pas vraiment eu de consultation lorsque les gens de Miramichi étaient furieux de les perdre au profit de Bagotville, au Québec. Ce n’était pas une décision stratégique; c’était une décision politique. Il n’y a eu aucune consultation avec nous, et ils ne pensaient pas qu’ils avaient besoin de nous consulter.

Je m’interroge sur la consultation et sur les répercussions de la consultation, avec tout le respect que je vous dois, avec les Inuits et les membres des Premières Nations lorsque la sécurité est en jeu. Pourriez-vous me dire ce qui a la priorité, la consultation ou la sécurité? Ce n’est pas une question difficile; c’est juste une question rapide. Si vous pouviez y répondre.

M. Stone : Merci, sénateur. Le premier ministre décidera — c’est la réponse courte —, mais je dirais qu’il existe une politique du Conseil du Trésor dont on a convenu avec le Nunavut et qui parle de la façon dont les choses sont censées se produire au chapitre des avantages économiques et de la consultation. Je m’attendrais à ce que toute modernisation de l’infrastructure réalisée au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest suive un processus similaire, à moins que le gouvernement n’en décide autrement.

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.

Nous examinons les renseignements équilibrés qui nous ont été communiqués par vous deux, et nous entendons certainement le mot « urgence » et des renseignements sur le temps qu’il faut vraiment pour changer et avoir un réel changement, ainsi que pour respecter certains éléments des ressources humaines. J’espère pouvoir poser deux questions, l’une sur le tableau d’ensemble, et l’autre, sur les réalités sur le terrain dans l’Arctique.

Monsieur Perry, vous avez mentionné dans votre discours un retour au conflit entre grandes puissances à la lumière de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et qu’un élément crucial pour assurer notre souveraineté dans l’Arctique sera la facilité avec laquelle nous pourrons travailler avec nos alliés de l’OTAN dans la région. Par exemple, le Canada a acheté le Système de combat AEGIS pour nos futurs navires de guerre, ce qui nous permettra de contribuer à la défense antimissiles balistiques. Dans ce contexte, quels autres éléments avons-nous intégrés dans notre construction navale ou dans tout autre aspect de l’approvisionnement pour l’Arctique qui sont importants sur le plan de l’interopérabilité... ou y a-t-il des éléments que nous négligeons selon vous dans ce domaine?

M. Perry : Je dirais que l’interopérabilité est un spectre, allant de la normalisation logistique jusqu’à un niveau élevé, l’intégration, la capacité de nos forces de travailler ensemble de façon transparente, ce que vous avez mentionné. Un certain nombre de mesures ont été prises avec ces nouveaux navires, y compris le Système de combat AEGIS ainsi que des moyens d’engagement en coopération, ce qui représente le niveau le plus élevé de l’interopérabilité navale en matière de défense contre les menaces aériennes et les menaces posées par les missiles sur les navires en particulier.

Un élément qui pourrait être renforcé consisterait à s’assurer que ces navires sont conçus dès le départ pour être un actif aussi interopérable que possible dans un système de défense aérienne intégré plus large. Certaines parties de la conception, telle que je la comprends aujourd’hui, permettraient au Canada de jouer un rôle dans la défense antimissiles balistiques et de faire en sorte que ce navire soit un ensemble particulier d’équipement de détection, ainsi qu’une réponse, vu les missiles que le navire lui-même transporte. Nous concevons le navire en tenant compte de cette possibilité, mais je crois savoir que nous n’avons pas encore pris les décisions qui permettraient à ces navires de participer pleinement à un système de défense aérienne et antimissile intégré, que ce soit dans un contexte de l’OTAN, quelque part à l’étranger ou dans le cadre d’un système de défense aérienne et antimissile intégré de l’OTAN.

La sénatrice M. Deacon : Je vais passer à M. Stone, me détourner un peu de cette question, et peut-être poursuivre là où le sénateur Richards a commencé.

Monsieur Stone, vous avez parlé de l’importance de la consultation communautaire dans des projets comme le NORAD renouvelé, mais aussi du fait de ne pas laisser cette consultation bloquer le processus. Il est certain qu’il s’agit d’un élément crucial pour assurer notre présence dans le Nord, et surtout en ce qui concerne nos alliés qui bordent l’Arctique avec nous. Comment s’y prennent-ils pour mener ces consultations communautaires? Est-ce une aussi grande préoccupation? Je pense que le cas des États-Unis est le plus comparable, mais il y en a peut-être d’autres. Je serais heureuse d’entendre vos réflexions à ce sujet.

M. Stone : Merci, madame la sénatrice. Je pense que la consultation peut se produire à de nombreux endroits, et je traiterai particulièrement de la partie qui touche le MDN, parce que le Conseil de l’Arctique existe pour le palier gouvernemental. Il y a des consultations avec les alliés de l’OTAN, dont certains sont des pays de l’Arctique et font partie du Conseil de l’Arctique, et il y a des consultations, probablement la plupart, qui se tiennent dans le contexte du NORAD avec les États-Unis sur la situation concernant certaines des préoccupations liées aux menaces, certaines des questions d’interopérabilité. Certains de ces éléments sont vieux de plusieurs décennies. Pour ce qui est de l’évolution de la situation, la question est de savoir combien de temps les gens resteront en poste, ce qui rejoint un commentaire antérieur sur les ressources humaines et le défi que nous avons en ce moment. Lorsque vous pensez à la consultation des collectivités du Nord en particulier, il y a un problème de confiance. Il ne faut pas grand-chose pour perdre la confiance; il faut beaucoup de temps pour la gagner.

Dans le contexte où nous nous trouvons actuellement, avec les consultations qui ont été menées pour le contrat de soutien du Système d’alerte du Nord, il y a une certaine confiance dans la capacité de poursuivre ce genre de dialogue avec les collectivités, et je sais qu’il ne faudrait pas grand-chose pour détruire cette confiance si nous allions de l’avant et prenions une décision sans tenir ces consultations. Comme je l’ai dit plus tôt, compte tenu des priorités du gouvernement et de ce qu’il a demandé au Conseil du Trésor de mettre en œuvre comme politique pour toutes les activités d’approvisionnement fédérales dans le Nord, c’est ce qui va se produire. L’inconvénient, c’est que cela prendra du temps.

Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins.

Comme je suis moi-même économiste, vous ne serez pas surpris que ma question soit adressée à M. Stone, compte tenu de son profil économique également. J’ai été ravi par votre déclaration liminaire, lorsque vous avez parlé du contrat récent attribué à l’entreprise. Ce n’est qu’un petit exemple, mais si nous voulons créer plus d’avantages économiques pour la communauté locale, nous devons développer l’entrepreneuriat.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour veiller à ce que, en ce qui concerne les contrats à venir dans les prochaines années — pour ne pas dire les prochaines décennies — la communauté inuite soit bien positionnée au chapitre de la sécurité dont mon collègue a parlé, mais aussi, aura-t-elle la possibilité de remporter des contrats? Les Inuits doivent former une coentreprise avec une grande entreprise. Comment cela fonctionnera-t-il, exactement? Je vous remercie.

M. Stone : Merci de votre question, monsieur le sénateur.

Je ne m’y connais pas vraiment à ce sujet, mais je sais, d’après le travail que j’ai effectué dans le cadre de la récente étude à laquelle j’ai participé, que l’un des défis à relever concerne les compétences des habitants du Nord. Comment fournir la formation et l’éducation nécessaires pour faire face à certaines des technologies dont nous allons parler en vue de moderniser le système d’alerte du Nord? C’est une question distincte de celle qui consiste à donner à quelqu’un les compétences dont il a besoin pour devenir un entrepreneur, parce que ces compétences sont différentes sur le plan technologique.

Ce sera un processus long, et il faudra d’abord... Si nous devons moderniser une piste d’atterrissage à l’un des emplacements d’opérations avancées, la main-d’œuvre pourrait provenir d’une communauté inuite, mais elle viendra du domaine de la construction plutôt que de celui de l’avionique, par exemple, et cela correspond à un besoin plus large du gouvernement du Canada : la nécessité d’accroître la capacité de nos communautés nordiques de recevoir cette éducation avancée.

Le sénateur Gignac : Merci de votre réponse.

Changeons de sujet : vous soulignez que le Canada n’a pas assez investi. Il consacre 24 milliards de dollars par année à la défense, par rapport à une cible de 2 %, ce qui représente environ 40 milliards de dollars. Vous mentionnez également que, contrairement à la Russie, aux États-Unis et à la Chine, le Canada n’a pas de sous-marins nucléaires dans l’Arctique. Vous avez expliqué la différence. Autrement dit, vous pouvez avoir de l’énergie nucléaire, mais pas d’armes nucléaires. C’est ce qu’ils n’ont pas réussi à expliquer en 1987, je pense.

Quel est l’avantage? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la nécessité pour le Canada — s’il souhaite protéger sa souveraineté et sa sécurité — d’avoir un sous-marin nucléaire, s’il vous plaît?

M. Stone : Une partie du problème, c’est que vous avez besoin de sous-marins à propulsion nucléaire pour pouvoir réellement voyager sous la glace dans le Nord. Dans 20 ans, peut-être que la glace ne sera plus un problème dans le Nord. Cependant, à l’heure actuelle, si nous voulons pouvoir composer avec les menaces pour la sécurité dans le Nord, je crois fermement qu’il ne suffit pas d’avoir des capteurs dans les passages arctiques qui vous disent que quelque chose se passe. Vous devez pouvoir y aller et vous en occuper. Les sous-marins diésel ne peuvent pas le faire. Il faut un sous-marin à propulsion nucléaire pour rester sous l’eau assez longtemps sans avoir à percer la glace de deuxième année, et cetera, pour recharger les batteries.

En 1987, les sous-marins à propulsion nucléaire faisaient partie du livre blanc parce que les Américains avaient effectivement traversé le passage du Nord-Ouest et ne nous avaient pas posé de questions à ce sujet. C’est ainsi que cela s’est concrétisé dans le livre blanc de 1987, l’accent portant sur le Nord.

Le sénateur Gignac : Le capteur ne suffit pas. Si vous voulez être sérieux par rapport à la sécurité et à la souveraineté dans le Nord, vous avez besoin de sous-marins à propulsion nucléaire. C’est ce que j’ai compris d’après votre témoignage.

M. Stone : C’est ce que je pense, oui.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le président : Je souligne que la sénatrice Karen Sorensen de l’Alberta vient de se joindre à nous. Bienvenue, sénatrice Sorensen.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. J’ai des questions pour M. Perry et M. Stone. Je vais commencer par M. Perry. J’aime votre métaphore par rapport au rythme glaciaire. Puisque vous revenez tout juste de l’Arctique, je pense que c’est approprié. Ce pourrait être le titre de notre rapport, monsieur le président.

Vous avez souligné que la Russie et la Chine posent une menace qui nous oblige à nous presser davantage, mais je vais me faire l’avocate du diable à ce sujet pendant une minute. Lorsque nous étions dans l’Arctique, l’une des choses que l’un des officiers ont dites, c’était que, en raison de tous leurs efforts en Ukraine, les Russes ont détourné leur attention de l’Arctique. Cela n’indiquerait-il pas que nous n’avons pas besoin de renforcer le sentiment d’urgence comme vous le réclamez? Nous avons certes intensifié notre participation, notre engagement et l’argent que nous dépensons. Nous construisons des navires. Nous sommes très actifs en ce moment. Nous en faisons beaucoup plus qu’auparavant. Peut-être que les efforts que nous faisons sont appropriés pour faire face à la menace. Compte tenu de l’historique important dont les témoins nous ont parlé concernant la coopération multilatérale dans l’Arctique, de nombreux experts ne veulent pas rejeter cela parce qu’il y a assurément une histoire sérieuse et importante de collaboration entre les pays arctiques, y compris la Russie.

Je veux juste vous en faire part.

M. Perry : Je vais commencer par le dernier point. Je pense que les Russes ont fait beaucoup de choses eux-mêmes pour écarter la possibilité d’une coopération dans un certain nombre de lieux différents, y compris l’Arctique. Ils ont déjà fait les investissements et terminé les investissements dans un grand nombre de leurs forces nordiques qui n’ont pas du tout été engagées dans la guerre en Ukraine. De toute évidence, l’effort russe a été détourné vers l’Ukraine, mais il n’y a pas eu de détournement de tous leurs moyens militaires. Ils conservent une capacité militaire importante dans leur Arctique qu’ils pourraient utiliser contre les intérêts canadiens, que ce soit par l’intermédiaire de notre Arctique ou directement dans notre Arctique, peu importe ce qui se passe en Ukraine.

De plus, même si je pense que nous commençons à faire des pas dans la bonne direction, après environ 15 ans, nous n’avons encore apporté que des améliorations progressives dans notre capacité de nous défendre réellement contre les types de menaces dont je parlais. Les exemples les plus concrets à l’heure actuelle sont les premiers navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique, qui sont maintenant dans l’eau et en service, mais ils n’ont jamais été conçus pour être un actif essentiel à la défense. Ils étaient destinés à soutenir d’autres ministères et à jouer un rôle de police. Ils peuvent être améliorés. Ils constituent une amélioration importante, mais ils ne sont pas là d’une manière qui permettrait la détection systématique de l’activité russe ou chinoise. Comme l’a mentionné mon collègue, M. Stone, ils ne pourront rien faire, s’ils les détectent.

Pour ce qui est des autres investissements que nous réalisons, comme l’acquisition, enfin, d’avions de combat modernes, une partie des investissements annoncés cet été visent à moderniser l’infrastructure dans notre Nord pour que ces avions puissent effectivement voler et être exploités à partir de là. En ce moment, ce n’est pas possible. Les installations dont nous disposons en ce moment sont si rudimentaires que nous ne pouvons pas faire atterrir et exploiter ces avions dans notre Nord. Si nous voulons pouvoir utiliser ces aéronefs d’une manière qui puisse améliorer la défense du continent, alors nous devons améliorer cela. Il ne fait aucun doute que nous avons apporté des améliorations importantes, mais progressives dans cette direction; cependant, elles sont mineures, et il nous a fallu énormément de temps pour les amener au point où elles sont maintenant.

La sénatrice Dasko : Nous devons donc continuer à renforcer le sentiment d’urgence.

M. Perry : Je pense en fait que nous devons agir de toute urgence, ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici.

La sénatrice Dasko : Merci. Ma prochaine question s’adresse à M. Stone.

Monsieur Stone, vous avez parlé des avantages pour les collectivités autochtones, qui sont un objectif des investissements réalisés par le Canada. De plus, vous avez parlé de l’espoir des collectivités dans le Nord qu’elles puissent aussi profiter de ces investissements. Nous avons certainement entendu dire cela lorsque nous étions là-bas en voyage.

J’ai senti un peu de scepticisme dans vos propos. Je veux approfondir un peu cela. Pensez-vous que ces objectifs soient réalistes? Pouvons-nous, ou devrions-nous, nous attendre à ce que ces investissements produisent ce genre d’avantages de manière véritable?

M. Stone : Je pense que mon scepticisme tient probablement à la notion selon laquelle il faudra beaucoup de temps pour mener les consultations et assurer la coordination nécessaires pour bien faire les choses. Si je faisais partie du gouvernement américain, je me dirais que certaines de ces initiatives ne devraient pas faire partie du coût de la modernisation du Système d’alerte du Nord dans le cadre de cette question de partage des coûts. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez entendu de la part de M. Lackenbauer, à savoir qu’il faut coordonner tout cela pour que tout le monde en profite.

Par exemple, si vous devez construire un port pour faire face aux problèmes de sécurité afin de pouvoir ravitailler les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique, cela doit être fait de manière à ce que la communauté civile puisse également en bénéficier. Si vous devez améliorer les pistes d’atterrissage, cela doit être fait de manière à ce que les vols commerciaux civils puissent également les utiliser. Si nous ne procédons pas de cette manière, il se peut qu’il n’y ait pas autant de soutien au sein du gouvernement pour effectuer certaines de ces dépenses, et je pense que certaines de ces choses vont coûter plus d’argent que ce que les gens pensent qu’elles vont coûter. Si vous faites plusieurs choses avec cet argent, je pense qu’il y aura plus de chances que cela se concrétise.

La sénatrice Dasko : Croyez-vous que les attentes sont peut-être trop élevées au sein de ces communautés en ce qui concerne les bénéfices qu’elles peuvent en tirer? C’est quelque chose qui me dérangeait un peu pendant notre voyage. Les attentes semblent être plutôt élevées, et je ne suis pas certaine qu’elles se réaliseront un jour. Avez-vous des réflexions à cet égard?

M. Stone : Je pense que les attentes sont sans doute élevées puisque c’est le discours que les communautés entendent de tout le monde, à savoir qu’il nous faut ces avantages.

La sénatrice Dasko : Oui.

M. Stone : Je suis allé à l’emplacement d’opérations avancées à Tuktoyaktuk...

La sénatrice Dasko : Inuvik.

M. Stone : Oui, Inuvik. L’armée canadienne l’utilise régulièrement pour des exercices. Il pourrait être utilisé chaque année par la communauté si vous l’amélioriez comme il se doit.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de leur présence. Ma question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins.

Où en sont les projets d’achat de navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique et de brise-glaces polaires pour la Garde côtière canadienne? Peut-on espérer obtenir ces navires selon le budget et le calendrier prévus?

M. Perry : La réponse courte est que je ne sais pas, et cela est troublant puisque j’estime que nous devrions faire preuve de beaucoup plus de transparence continue sur ces projets que nous avions.

Pour répondre à votre question concernant la probabilité que ces projets soient réalisés dans le respect du calendrier et du budget, je dirais que cette probabilité est faible, compte tenu des résultats obtenus jusqu’à présent dans le cadre des projets de la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale.

Selon moi, il est temps de réexaminer de fond en comble la façon dont la partie gouvernementale de la gestion de ces projets se déroule. Depuis le début, des efforts ont été faits pour que des tierces parties viennent évaluer la capacité des chantiers navals — pour voir comment ils s’en sortent avec les travaux et les améliorations de l’infrastructure afin que l’on puisse s’assurer qu’ils améliorent leur productivité et leur efficacité. Vu les difficultés que nous avons rencontrées collectivement dans le cadre de ces projets et le fait que nous allons maintenant renforcer cette série de projets afin d’y inclure un troisième chantier naval et, essentiellement, un troisième pilier de nouveaux travaux de construction, le moment est venu d’évaluer la façon dont le Canada aborde la gestion de l’ensemble de ces projets, puisque je pense qu’il y a assurément beaucoup de place à l’amélioration.

M. Stone : Malheureusement, sénateur, je suis dans le même bateau que M. Perry. Je ne sais pas grand-chose au sujet de la Garde côtière, pour des raisons similaires.

Le sénateur Oh : Avec le réchauffement climatique, quelle incidence cela a-t-il sur les brise-glaces?

M. Perry : L’incidence est que cela ne changera pas fondamentalement le fait que nous allons avoir besoin d’une capacité à briser la glace. Cela va simplement changer et avoir un impact précis sur le lieu et le moment où nous devrions être capables de le faire.

Pour ce qui est du commentaire de M. Stone concernant les sous-marins nucléaires et la capacité d’exercer nos activités sous la glace, comme il nous faudra probablement deux à trois décennies pour acquérir de nouveaux brise-glaces ou de nouveaux sous-marins, nous devrions réfléchir à l’environnement opérationnel qui existera dans 20 à 70 ans, et non à celui d’aujourd’hui, étant donné le temps nécessaire à la mise en service de ces nouveaux navires.

Le sénateur Oh : Merci.

Le sénateur Boehm : Je remercie nos deux témoins. Ma question s’adresse à M. Perry et M. Stone.

Nous avons beaucoup entendu parler ces derniers jours de relations limitées aux pays amis. Janet Yellen et Chrystia Freeland ont commenté à ce sujet. Dans une certaine mesure, nous avons fait un peu de cela au Canada, principalement en cas de force majeure. La référence a été citée en ce qui concerne l’Afghanistan. Nous avons conclu un contrat de location pour des chars Leopard 2 avec les Pays-Bas; nous avons utilisé des sous-marins du Royaume-Uni et des avions à réaction d’Australie, ce genre de choses.

Si nous regardons vers le nord, et en cas de force majeure, autrement dit s’il existe une menace claire et imminente, qu’est-ce qui nous empêche de recourir à la sous-traitance ou de chercher à nous approvisionner à l’étranger? Nous allons avoir un troisième chantier naval. C’est très bien, mais nous avons toujours un problème de calendrier.

Je pense, par exemple, à l’avion de chasse Saab Gripen qui est apparemment très bon dans les climats froids. Qu’en est-il de l’expérience des pays nordiques avec les navires de surface? Je me demande si vous avez des commentaires à cet égard, monsieur Perry.

M. Perry : Vu les problèmes systématiques auxquels nous faisons face au chapitre des délais d’approvisionnement, nous devrions envisager différents moyens et chercher essentiellement à faire des exceptions qui ont une valeur ajoutée, là où il est possible de le faire. Je ne crois pas que l’approche actuelle par défaut — qui, en fait, dans de nombreux cas, constitue un genre de relations limitées aux pays amis — ... nous n’avons pas de concurrence ouverte où littéralement n’importe quel fournisseur peut postuler pour fournir un grand nombre de systèmes différents en matière de défense, plus particulièrement. Dans de nombreux cas, nous avons des critères selon lesquels les équipements doivent être fournis soit par les pays de l’OTAN, soit par ces derniers et d’autres membres du Groupe des cinq. Nous recourons donc à un bassin plus petit que celui de la pleine concurrence.

Même là, dans quelques cas — et cela risque d’être le cas en ce qui concerne l’équipement supplémentaire pour l’Arctique — un petit bassin d’entreprises et de pays possèdent l’équipement approprié. Nous devrions être plus pragmatiques dans la détermination de nos sources d’approvisionnement qui ont un sens et ne pas tenter de mettre en place et d’encourager la concurrence pour le seul plaisir d’avoir de la concurrence. S’il est clair qu’il n’y a qu’un ou deux fournisseurs potentiels, nous devrions prendre la décision de nous adresser à l’un d’eux.

Le sénateur Boehm : Il semble que nous ayons deux membres de l’OTAN qui ont également une grande expérience de l’Arctique, ce qui pourrait permettre une certaine discussion. Je vous remercie.

Je me demande si M. Stone a des commentaires à faire à cet égard.

M. Stone : Merci, sénateur. En théorie, nous pourrions faire exactement ce que vous dites : aller voir une de ces nations et leur dire que nous voulons un de leurs navires ou de leurs avions. Nous l’avons fait pour l’Afghanistan. Nous avons communiqué avec certaines nations précises et leur avons dit que nous voulions ce genre de choses. Cela a été fait de telle sorte que nous nous procurions du matériel militaire sur étagère; il existait, il était déjà en production, et nous n’y avons apporté aucune modification. Nous pouvions faire cela.

Pour les navires, il faudrait sans doute encore un certain temps afin qu’ils soient construits, à moins que Saab soit disposé à nous donner des Gripen déjà en production, au détriment de quelqu’un d’autre. Cela prendrait également un certain temps pour le faire. Nous serions dans une position où nous accepterions les capacités existantes sans apporter de modifications à la conception afin de répondre aux besoins spécifiques du Canada. Nous pourrions le faire.

En fait, il s’agit de l’une des difficultés liées au navire de combat de surface, puisque nous avons pris une conception de type 26 et nous y avons apporté toutes sortes de modifications en vue de respecter les exigences précises du Canada. Il ne s’agit donc plus vraiment d’une conception de type 26, mais le produit final respectera les exigences canadiennes.

Le sénateur Boehm : Je vous remercie.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Malheureusement, j’étais en retard, mais je peux vous assurer que je vais les lire.

Monsieur Stone, vous avez mentionné qu’au Parlement, une question est soulevée et qu’il y a un risque en cause, puis il y a une activité de préoccupation et de défense, si je vous ai bien compris. Quiconque fait partie d’une organisation ou effectue quelque chose fait toujours face à un risque. Est-ce parce que la force de défense et les services d’approvisionnement n’évaluent pas le risque? Il existe toujours un risque, et vous ne pouvez pas toujours fuir. Il arrive que ce soit juste pour faire du bruit que les députés soulèvent la question. Quel est le problème? Le travail n’est-il pas suffisant ou est-ce simplement de la nervosité?

M. Stone : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je ne dirais pas qu’il s’agit de la nervosité. De nombreux travaux sont réalisés au chapitre de l’élaboration des exigences en matière de capacité et des coûts qui concernent le risque, à savoir les risques liés à la concrétisation d’une capacité afin que vous puissiez faire les choses que vous voulez faire en fonction du coût. Le défi, à cet égard, c’est que des initiatives sont en cours au sein du ministère afin que nous ne suivions pas toutes les étapes requises pour acheter un avion de chasse lorsque nous pouvons acheter quelque chose qui présente beaucoup moins de risques et ne nécessite pas toutes ces étapes et des réunions.

La difficulté vient de la culture de l’institution où le ministre se voit poser une question, parce que quelqu’un dans le monde n’est pas satisfait d’une décision et veut soulever le problème. Il peut s’agir d’une industrie qui n’a pas remporté l’appel d’offres ou qui n’a pas été retenue dans le concours. Ce qui se passe, c’est que l’on pose une question au ministre. Le personnel du ministre se rend au ministère et dit : « Le ministre a besoin d’une réponse à cette question », et la question est transmise à tous les paliers, depuis les dirigeants jusqu’aux travailleurs. Au fur et à mesure, les gens disent : « Eh bien, rien de cela ne serait arrivé si nous avions tenu toutes ces autres réunions et ces discussions, si bien que nous aurions peut-être déjà eu la réponse à cette question. »

Ce n’est pas que l’évaluation des risques n’est pas réalisée. Il s’agit simplement de la culture de l’institution; il faut faire en sorte que les gens y croient lorsque quelqu’un dit : « Nous nous attendons à ce que des erreurs soient commises, et nous n’avons pas besoin de suivre toutes ces étapes. » Cette initiative est en cours, mais elle est comme la culture de l’armée en ce qui concerne les agressions sexuelles fondées sur le genre et les agressions. Vous n’allez pas la changer du jour au lendemain. Cela va prendre des années.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Stone, votre réponse est intéressante. Les politiciens ne sont pas censés faire des erreurs, donc qui admettrait en avoir commis une? Cela demande beaucoup de courage à un ministre, et je dois donc y réfléchir.

J’ai une autre question pour vous deux, et je commencerais par vous, monsieur Perry. Nous avons parlé d’infrastructures sur le terrain, et je crois que la sénatrice Dasko a soulevé ce point. Quel est l’avantage pour les personnes vivant dans une région où des projets sont en cours? Pour moi, il y a deux points à cela, et j’aimerais mieux comprendre. Tout d’abord, il est vrai que les résidents ne voient pas les avantages, et peut-être qu’il n’y en a pas, mais cela tient aussi au type d’infrastructure. Il est évident que vous ne serez pas en mesure de construire des infrastructures coûteuses dans le Nord puisque nous pourrions acheter ailleurs.

Quel type d’infrastructure pourrions-nous envisager dans le Nord qui obtiendrait l’appui des gens qui y vivent?

M. Perry : Je ne souhaite pas parler au nom des gens qui y vivent.

La sénatrice Jaffer : Non, bien entendu.

M. Perry : Je dirais des infrastructures de transport ou de communication en général. Si elles sont configurées de la bonne manière afin de permettre une utilisation commerciale et civile, ce qui n’est pas toujours possible... mais, par exemple, avec un aérodrome complètement modernisé, il pourrait être possible de prolonger la piste et d’augmenter l’accès civil à ces installations. En agrandissant les pistes, les aires de trafic, les voies de circulation et en mettant en place des installations militaires sécurisées, envisagez, lorsque ces décisions de conception sont prises, la possibilité de permettre les deux types d’activité en même temps.

Pour en revenir aux questions qui ont été posées plus tôt, j’estime qu’il est important que le gouvernement du Canada les aborde en se fondant sur des données relatives à ce qui est possible à l’heure actuelle et en relevant tout écart entre ce qui est actuellement possible compte tenu des contraintes liées à l’effectif et de la situation du milieu des affaires dans ces régions. S’il existe des objectifs précis que le gouvernement souhaite réaliser quant à la quantité de marchés qui seraient attribués à divers partenaires, si la capacité n’existe pas aujourd’hui, il ne me semble pas réaliste de supposer qu’elle se matérialisera soudainement du jour au lendemain sans qu’il y ait un plan réel pour la créer. S’il existe un désir d’atteindre certains de ces objectifs, alors vous devez veiller à ce que tout ce qui est nécessaire à leur réussite — et, de manière générale, pas seulement la livraison de la capacité aux instances militaires, mais aussi la réalisation de ces autres objectifs — ... vous devez faire en sorte d’être clairs et pragmatiques au sujet de ce qui est possible selon quel calendrier et de mettre en place le type de mesures qui permettraient la réalisation complète de ces objectifs; en outre, vous devez être conscients que cela peut prendre plus de temps et vous devez faire preuve de délibération à cet égard.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Stone, voudriez-vous ajouter quelque chose?

M. Stone : Je suis d’accord avec tout ce que M. Perry a dit. Je crois effectivement que nous avons besoin d’un plan mûrement réfléchi, mais je crois aussi qu’il y a toutes sortes de moyens d’offrir aux collectivités des avantages économiques afin qu’elles améliorent leur propre qualité de vie dans le Nord; seulement, il faut agir avec beaucoup de pragmatisme.

La sénatrice Jaffer : Que voulez-vous dire par « renforcer les capacités »?

M. Stone : Disons que vous voulez réparer les pistes d’atterrissage d’un emplacement d’opérations avancé dans une collectivité, vous allez vouloir discuter avec la collectivité pour savoir de quelles compétences dispose la main-d’œuvre de la collectivité et aussi ce qu’elle peut faire, concrètement. Un enjeu qui a été soulevé dans des témoignages, pendant d’autres réunions, est celui de la connexion à Internet dans le Nord. Vous avez besoin d’une infrastructure pour améliorer la connexion à Internet. Est-ce que la main-d’œuvre a des compétences adaptées au niveau de technologie pour s’occuper des installations et pour améliorer la connexion Internet dans toutes les collectivités du Nord? Donc, vous devez réfléchir à cette discussion avec la collectivité, pour savoir quelles sont les compétences de sa main-d’œuvre et quels programmes d’éducation doivent être offerts pour améliorer les compétences, afin que la collectivité puisse y voir et s’en occuper, une fois que tout est en place. Comme M. Perry l’a dit, cela prend du temps.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice M. Deacon : Donc, nous examinons les compétences. Vous en avez parlé deux ou trois fois; c’est quelque chose d’important. D’ailleurs, le comité a vu des choses intéressantes sur le terrain il n’y a pas si longtemps. Les compétences sont cruciales, mais il faut aussi être respectueux au moment d’établir quelles compétences sont présentes. Il faut aussi s’assurer que la collectivité a du soutien. Ma question concerne les outils, et quels outils doivent se retrouver dans la boîte à outils si l’on veut accomplir du moins une partie du travail.

L’un d’entre vous a parlé des mesures à prendre quand un projet dépasse une certaine limite de dépenses, quand il s’agit d’articles d’approvisionnement coûteux dont nous continuons de parler, comme nos navires de patrouille et ce qui a trait au renouvellement du NORAD.

Je me demandais comment le Canada s’en tire dans les plus petits projets d’approvisionnement. Nous avons parlé de compétences, mais pensez à nos maisons et à nos collectivités et à ce dont nous avons besoin pour que tout continue de fonctionner et pour que le travail soit fait. La façon la plus rapide de gagner le respect ou la confiance des gens, c’est de leur faire comprendre que les décideurs savent de quoi ils ont besoin pour faire leur travail.

Je m’intéresse à l’équipement de nos soldats, en particulier quand il fait moins 40 dans l’Arctique. Comment le Canada se débrouille-t-il par rapport à l’approvisionnement en motoneiges, par exemple, ou en matériel d’infanterie adapté aux conditions météorologiques? Je ne parle pas des gros articles d’approvisionnement qui demandent beaucoup de temps, mais des articles dont nous avons besoin pour avoir des résultats demain. Si l’un ou l’autre pouvait tenter une réponse, je vous en serais très reconnaissante.

M. Perry : Je dirai deux choses. Premièrement, nos informations ne sont pas à jour. Le ministère de la Défense s’est engagé, dans le cadre de sa politique Protection, Sécurité, Engagement, à être plus transparent et ouvert en ce qui concerne l’état de tous ses projets d’approvisionnement. Durant la COVID, on a délaissé la transparence, et on ne l’a toujours pas ramenée. Le ministère met à jour des documents et des sites Web qui fournissent de l’information, en effet, sur tous les projets dépassant le seuil de 10 millions de dollars, mais il n’y a pas eu de mises à jour depuis presque trois ans maintenant.

La dernière fois que j’ai consulté ces documents et que j’ai fait des analyses d’année en année, d’après ce que je pouvais voir, environ 70 % des projets, tous montants confondus, avaient un retard d’au moins un an dans une étape majeure.

Ce sont des données agrégées globales, mais, d’après mon analyse, les projets accusent des retards à tous les niveaux, et pas seulement pour les projets vraiment dispendieux. Les projets très dispendieux ont souvent plus de retard, mais beaucoup des projets moins dispendieux sont retardés, du moins par rapport au calendrier ministériel initial qui établit à quel moment on voudrait que le projet passe à une nouvelle étape. Donc, la majorité des projets de la liste avaient du retard, la dernière fois que le ministère a publié de l’information à ce sujet.

M. Stone : Sans vouloir être négatif — je suis d’accord avec ce que M. Perry a dit —, il est vrai que nous dépensons 3 ou 4 milliards de dollars par année pour acheter des choses, et cela n’attire jamais l’attention des médias ou du public, parce que c’est quelque chose qui se fait. Il y a seulement les très grosses dépenses qui attirent l’attention des médias.

M. Perry a raison de le dire, il y a beaucoup de retards, mais les choses sont retardées pour toutes sortes de raisons, et l’une d’entre elles, et non la moindre, serait qu’un entrepreneur est incapable de respecter le calendrier qui a été établi. Ce sont des choses qui arrivent.

Par contre, pour répondre à l’autre partie de votre question, j’aimerais rappeler que j’ai passé 30 ans dans les forces armées. Le Canada a un excellent matériel d’hiver. J’ai passé des semaines à moins 40 degrés à Shilo, au Manitoba... même pas besoin d’aller dans le Nord. Malgré tout, nous avons un bon matériel d’hiver.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai deux courtes questions pour M. Perry. Monsieur Perry, lorsque nous considérons vos observations sur les problèmes de délais en matière d’approvisionnements, êtes-vous en mesure de nous dire à quel niveau nous pourrions écarter les intervenants ou les fonctionnaires du processus de décision afin d’accélérer les achats?

[Traduction]

M. Perry : Je ne sais pas si j’ai entendu toute l’interprétation. Voulez-vous savoir si nous pouvons écarter les intermédiaires?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je crois que beaucoup d’intervenants et de fonctionnaires participent au processus d’approvisionnement. Ne croyez-vous pas que le processus serait plus rapide s’il y avait moins d’intervenants?

[Traduction]

M. Perry : Fondamentalement, oui, parce que moins il y a de gens et de points de vue et de choses à prendre en considération, plus vite ira le processus, mais le fait est que nous avons bâti ce système pour répondre à tout un éventail d’intérêts et d’objectifs gouvernementaux.

Je suis certain que vous pourriez trouver des cas où nous avons nettement mis l’accent sur une ou deux de ces priorités plutôt que sur les autres. Il y a le cas dont M. Stone a parlé, à propos de l’Afghanistan ou de ce que nous faisons présentement pour soutenir l’Ukraine. Nous priorisons la vitesse de l’approvisionnement, parce que c’est ce qui est important, mais, quand vous faites cela, cela suppose que vous sacrifiez certaines des autres considérations — ou plutôt que vous ne leur accordez pas autant d’importance —, par exemple s’assurer d’avoir des appels d’offres complets, ouverts et transparents ou s’assurer d’obtenir autant d’avantages économiques ou de remplir autant d’objectifs socioéconomiques que vous le feriez avec une autre approche. C’est qu’il faut décider de ce qui est le plus important.

Je veux faire un lien avec ce que j’ai dit sur les priorités. Si vous regardez l’ensemble, selon les dernières informations publiques, il y avait plusieurs centaines de projets pour les Forces armées canadiennes et la Garde côtière canadienne. On ne peut pas respecter tous les objectifs gouvernementaux en même temps, du moins pas sans sacrifier la vitesse. Si nous voulons accélérer les choses, nous devons être plus sélectifs et chercher quelles parties nous pouvons prioriser parmi ces grands ensembles d’objectifs tout en étant réalistes, parce qu’il est impossible de remplir tous les objectifs en même temps dans tous les cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez dit que la « machine à prendre des décisions » est inefficace depuis 2007, mais il s’agit de dépenses qui se chiffrent en milliards de dollars. Avez-vous une idée de la raison des dépassements de coûts qui ont entraîné ces façons de faire de nos décideurs — les fonctionnaires ou les politiciens? Il vient un moment où il y a un coût lié à ne pas prendre de décision.

[Traduction]

M. Perry : Il y a certainement des cas où le processus et sa complexité créent, hors de tout doute, des problèmes de coûts et entraînent même des dépenses accrues. Nous avons eu le luxe de ne pas vraiment avoir à nous en préoccuper, pas de façon importante, au cours des 15 dernières années, parce que les taux d’intérêt étaient bas. Maintenant que les taux d’intérêt ne sont plus ce qu’ils étaient, nous devons prendre ce problème beaucoup plus au sérieux et accorder plus d’attention au coût éventuel des retards et aux répercussions sur notre pouvoir d’achat.

Tout le gouvernement du Canada va devoir s’attaquer rapidement à ce problème. Le gouvernement va devoir reconnaître explicitement les répercussions de l’absence de décisions, peu importe lesquelles, ou du fait de ne pas vraiment respecter les étapes clés d’un projet. Dans le passé, nous avons vraiment seulement tenu compte de ces répercussions dans la mesure où cela concernait l’approvisionnement en navires, en avions ou en véhicules. Désormais, nous devons nous préoccuper d’une façon très concrète du pouvoir d’achat que nous perdons pour chaque année de retard qu’un projet accuse.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Perry.

[Traduction]

Le président : Je ne vois plus de questions de la part des sénateurs.

Je vais poser à chacun d’entre vous une question pour donner suite à celle que le sénateur Dagenais a posée.

En ce qui a trait à notre rapport et à nos recommandations, tout cela est évidemment une partie énorme de la stratégie en matière de défense et de sécurité du gouvernement pour l’avenir. Vous avez effleuré, de diverses façons, certains éléments de la question que je vais poser, mais j’aimerais vous demander à l’un et à l’autre de souligner les deux ou peut-être les trois principaux facteurs qui sont cruciaux pour la réussite et auxquels le gouvernement va devoir s’attaquer, à mesure qu’il avance dans le dossier de l’approvisionnement.

Lorsque vous répondez, sentez-vous bien à l’aise de réitérer ce que vous avez dit. J’ai bien sûr pris attentivement des notes, mais j’aimerais que vous mettiez vraiment les choses en relief. Si le premier ministre ou la ministre de la Défense nationale étaient dans la salle, et qu’ils vous demandaient quel serait votre meilleur conseil — les trois facteurs cruciaux pour la réussite —, qu’est-ce que ce serait? Commençons par M. Stone.

M. Stone : Merci, monsieur le sénateur.

Selon moi, la priorité absolue serait que le ministère cesse de changer tout le temps ses exigences. Laissez-moi situer le contexte : nous modifions continuellement les exigences parce que, parfois, la technologie évolue avec le temps, et si ce que vous obtenez au bout du compte est obsolète, cela ne va pas vous aider à avoir la capacité requise.

Je sais que le ministère mène actuellement des initiatives pour voir à toute cette question de l’injection de technologie durant tout le cycle de vie d’une capacité afin qu’il ne soit pas nécessaire, donc, de lancer un tout nouveau projet.

Plus important, d’après ce que j’ai vu de certaines grosses dépenses, plus cela prend du temps, plus on modifie les exigences. Je vais faire un lien avec ce que j’ai dit, quant au fait que nous devons nous assurer que la chose fasse tout ce dont nous avons besoin qu’elle fasse, parce que nous n’aurons pas une autre occasion d’acheter la capacité. Par exemple, pour l’équipement adapté à l’Arctique, on pourrait acheter de nouvelles motoneiges, qui seraient équivalentes au BV 206 — un véhicule à chenilles pour le Nord — en quantités limitées et qui seraient utilisées exclusivement dans l’Arctique, mais l’armée hésite à le faire à moins d’en recevoir l’ordre, parce que cet équipement pourrait seulement être utilisé dans le Nord et nulle part ailleurs.

Nous achetons 15 navires de combat de surface pour remplacer les frégates de la classe Halifax et les destroyers de défense aérienne de zone. Nous voulons nous assurer que ces navires de combat de surface peuvent remplir ces deux fonctions, au lieu d’acheter un plus petit nombre qui pourrait remplir ces fonctions et le faire plus rapidement.

Mon autre recommandation serait de ne pas arrêter de prioriser le coût, mais plutôt de prioriser le coût au moment opportun.

Le ministère s’améliore, mais l’une des difficultés, aux premières étapes du développement d’une capacité, avec ce processus, c’est d’établir un ordre de grandeur approximatif du coût pour une nouvelle capacité. Un ordre de grandeur approximatif, c’est plus ou moins 50 %. L’une des difficultés, avec une politique de défense axée sur la prudence, c’est que l’ordre de grandeur approximatif du coût pour une capacité est fixé et que, quand les exigences ont été élaborées et qu’on voudrait y être plus fidèle, on est forcé de respecter l’ordre de grandeur approximatif du coût original, plus ou moins 50 %. Donc, il y a deux choses : du côté du gouvernement, le Cabinet doit cesser d’insister autant sur ces estimations préliminaires du coût, et l’estimation du coût au ministère. Le gouvernement a accru la capacité du Conseil du Trésor; on a respecté les pratiques exemplaires de la discipline pour l’estimation du coût, mais tout cela repose sur une foule de suppositions. Vous savez que le directeur parlementaire du budget a récemment publié un rapport selon lequel le coût des navires va être de 300 milliards de dollars, mais je doute que vous puissiez me dire comment vous allez utiliser votre voiture dans 10 ans, ni combien cela vous coûter pour l’entretenir. Pourtant, c’est ce qu’on demande aux forces armées de faire. À quoi va servir ce navire pour les 30 prochaines années, et qu’est-ce que vous allez faire avec cela? Aussi, combien cela va coûter. Le ministère est forcé de faire toutes sortes de suppositions et, lorsque survient quelque chose comme l’Afghanistan — que nous n’avions pas prévu —, cela peut chambouler toutes ces suppositions sur la durée de vie d’une pièce d’équipement et sur l’argent qu’il va falloir dépenser.

Le président : Merci.

M. Perry : Pour répondre à votre première question, je dirais que la bonne personne à qui s’adresser est le premier ministre, et pas la ministre de la Défense nationale, parce qu’elle a seulement prise sur une partie. Fondamentalement, vous devez demander au premier ministre ou à n’importe quel premier ministre futur à quel point l’approvisionnement militaire, ou l’approvisionnement pour la Garde côtière, est une priorité pour lui ou elle. Vous devez aussi demander, du même coup, à quel point la rapidité de l’approvisionnement est une priorité en comparaison avec d’autres objectifs que nous cherchons à atteindre relativement à l’approvisionnement militaire : la transparence, la concurrence, les avantages socioéconomiques et les autres objectifs. De façon générale, il faut savoir quelle est l’importance relative de cela en comparaison de toutes les autres activités du gouvernement. Cela, présumément, dans un système cohérent, devrait aider à réduire le temps qu’y consacrent le Cabinet, le Conseil du Trésor, le Bureau du Conseil privé et les autres organismes centraux et ainsi de suite jusqu’en bas du gouvernement du Canada.

La deuxième question est, dans ce contexte, lequel des divers projets est une priorité? Il ne serait pas nécessaire de regarder un à la fois les 300 projets, mais vous avez besoin de plus de précisions que ce qui est dit dans la lettre de mandat, qui n’en nomme généralement que deux, ou quatre, ou cinq, d’après les dernières lettres. C’est impossible de faire tous ces projets en même temps. Nous n’avons pas suffisamment de ressources pour demander au Cabinet et demander au Conseil du Trésor, que des gens s’occupent de l’établissement de tous ces coûts et de toutes ces étapes.

La troisième chose que je veux réitérer concerne la capacité. On s’attend à ce que la main-d’œuvre actuelle, dont la taille n’a fondamentalement pas réellement changé depuis les 15 dernières années, fasse de trois à cinq fois plus de travail, si vous corrigez pour l’inflation et d’autres facteurs, et peut-être même davantage, si vous prenez en considération l’annonce de cet été à propos de la modernisation du NORAD. Je ne pense pas que ce soit réaliste de s’attendre à ce que tout cela puisse se faire en même temps, parce que, même au-delà des coûts en dollars, beaucoup de ces dossiers — comme les avions de chasse et la construction navale — sont beaucoup plus complexes que ce que nous avons fait dans le passé. Nous devons trouver un meilleur équilibre. La capacité ne correspond pas à la demande.

Le président : Merci.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Perry, vous avez tous les deux parlé de capacité et de renforcement des capacités. Je comprends, mais dans mon esprit, pour renforcer la capacité, il faut que les Canadiens aient cette volonté d’investir dans les forces armées. Il fut un temps, il y a longtemps, où les familles étaient fières que leur fils — ou leur fille, aujourd’hui — entre dans les forces armées. Ce n’est plus vraiment le cas, aujourd’hui, du moins je le pense. Peut-être que je me trompe.

Donc, quand vous parlez de capacité, il y a deux choses : il y a ce que vous avez dit à propos du renforcement de la capacité — il y a une volonté de renforcer la capacité —, mais il faut aussi qu’il y ait des Canadiens et des Canadiennes qui soient prêts à faire partie des forces armées. Cela fait partie du renforcement des capacités.

J’ai une autre question.

M. Perry : Je crois que je suis d’accord avec vous. J’ajouterais que cela ne concerne pas seulement les forces armées. Il y a cinq ou six autres ministères qui n’ont pas suffisamment d’effectifs. Malgré tout, leur travail consiste à faire toutes ces tâches aussi rapidement que nous le leur demandons. Je pense que ce que vous dites à propos des forces armées est très vrai. Je pense qu’une chose qui aiderait à réorienter la discussion serait de discuter davantage du but de tout cela. Je vais revenir à mes commentaires sur les véritables menaces pour la sécurité, actuellement, dans l’Arctique, parce que ce sont ces menaces qui, fondamentalement, définissent pourquoi nous avons besoin de ces approvisionnements.

Le président : Je tiens à vous dire à vous deux que cette discussion a été extrêmement importante. Vous avez répondu à beaucoup de questions. Vous nous avez donné quelques réponses très réfléchies, autant en ce qui concerne l’ampleur du problème et les difficultés qui se posent lorsqu’il s’agit d’approvisionnement de cette ampleur qu’en ce qui concerne certaines des approches que nous devrons prendre et que les premiers ministres devront prendre si nous voulons nous en sortir. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence et de votre participation et d’avoir été honnêtes dans les conseils que vous nous avez donnés. Soyez assurés que nous réfléchirons longuement à tout ceci, aux fins de notre rapport et des conseils qu’il contiendra. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons maintenant accueillir notre deuxième groupe de témoins.

D’abord et avant tout, pour ceux qui viennent se joindre à nous en direct, la réunion d’aujourd’hui porte sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités de sécurité; le sujet du jour est l’approvisionnement en biens pouvant être utilisés dans l’Arctique, quelque chose d’évidemment essentiel pour notre étude.

Pour nous aider ce soir, nous accueillons, par vidéoconférence, M. Philippe Lagassé, professeur adjoint et titulaire de la Chaire Barton, de la Norman Paterson School of International Affairs, de l’Université Carleton; et M. Les Klapatiuk, président de International Logistical Support Inc. Merci d’être avec nous aujourd’hui par vidéoconférence. Nous vous invitons à présenter votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions des membres du comité. Nous allons commencer ce soir par M. Philippe Lagassé. Dès que vous êtes prêt, vous pouvez commencer.

[Français]

Philippe Lagassé, professeur adjoint et titulaire de la Chaire Barton, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je souhaite remercier le comité de m’avoir permis de comparaître devant vous à distance. On m’a demandé de parler de l’acquisition de capacités pour l’Arctique.

[Traduction]

J’aborderai ce sujet de trois façons. Premièrement, je donnerai un aperçu des plans actuels du gouvernement en matière d’acquisition pour l’Arctique. Deuxièmement, j’identifierai les risques qui entourent ces plans et comment ils pourraient être atténués. Enfin, je discuterai des capacités supplémentaires requises et de la façon dont elles pourraient être développées.

Premièrement, le gouvernement a annoncé plusieurs acquisitions axées sur l’Arctique et les capacités dans l’Arctique pour les prochaines décennies. Dans le cadre du renouvellement de la flotte de la Garde côtière canadienne, la GCC, le gouvernement a promis d’acquérir six brise-glaces destinés aux programmes et deux brise-glaces polaires. Si le contingent complet de brise-glaces destinés aux programmes et de brise-glaces polaires est construit, le Canada sera en mesure d’assurer une présence de la GCC dans l’Arctique pendant toute l’année. Le renouvellement de la flotte de la GCC comprend également l’acquisition de patrouilleurs extracôtiers de l’Arctique modifiés et d’autres navires qui seront en mesure de naviguer dans certaines parties de l’Arctique pendant les mois les plus chauds de l’année.

[Français]

En prévision de ces nouvelles capacités, la Garde côtière canadienne (GCC) prolonge la durée de vie de sa flotte actuelle et acquiert également des capacités provisoires. Ces navires de la GCC seront les principales capacités du Canada en matière de présence de surface dans les eaux arctiques au cours de ce siècle.

En ce qui concerne les Forces armées canadiennes, la politique de défense du gouvernement, « Protection, Sécurité, Engagement », et l’annonce récente d’investissements dans la modernisation de NORAD englobent plusieurs acquisitions dans l’Arctique.

[Traduction]

Le Projet de capacité des futurs chasseurs permettra d’acquérir de nouveaux avions de chasse pour patrouiller l’espace aérien canadien, y compris dans l’Arctique, et sera le principal outil cinétique du Canada en cas d’incursion hostile dans l’Arctique. Les nouveaux chasseurs seront complétés par de nouveaux avions de ravitaillement en vol. Le Canada est en train d’acquérir des systèmes aériens télépilotés de moyenne altitude, c’est-à-dire des drones, qui pourraient être chargés de jouer un rôle dans l’Arctique, notamment la surveillance.

Le gouvernement a également annoncé l’acquisition de radars au-dessus de l’horizon arctique et polaire, de nouveaux capteurs nordiques, de satellites de communication qui atteindront l’Arctique, d’une infrastructure arctique accrue et de nouveaux véhicules terrestres axés sur l’Arctique, dans le cadre du projet d’Amélioration de la mobilité au pays et dans l’Arctique. Ensemble, ces capacités permettront d’accroître la présence et les capacités du Canada dans l’Arctique.

[Français]

Bien sûr, il y a des plans et puis il y a la mise en œuvre. Parmi les capacités actuellement prévues, un certain nombre d’entre elles présentent un risque relativement faible et devraient être mises en service comme prévu, bien qu’avec un certain retard, comme l’a noté M. Perry plus tôt.

Le projet de capacité des futurs chasseurs en est à l’étape finale de la négociation. Le gouvernement a annoncé l’acquisition de deux des six avions de ravitaillement en vol, qui sont déjà en service; les quatre autres devraient suivre.

Le projet des drones semble être en bonne voie de réalisation, l’attribution du contrat étant prévue en 2023-2024.

[Traduction]

La trajectoire du projet d’Amélioration de la mobilité au pays et dans l’Arctique est moins claire, mais il devrait fournir des capacités en temps voulu.

La modernisation du NORAD, y compris les nouveaux radars et capteurs, commence à prendre forme, tout comme les nouveaux systèmes de communication. Il sera important de suivre ces projets au cours des prochaines années pour s’assurer qu’ils fourniront les capacités promises dans un délai acceptable.

Des risques plus importants concernent le renouvellement de la GCC. La mise à niveau et les navires provisoires sont sur la bonne voie, ce qui donnera un répit bien nécessaire. Mais il faut porter une attention particulière aux brise-glaces destinés aux programmes et aux brise-glaces polaires. L’inflation augmentera le coût de ces capacités vitales, et les retards exacerberont ces problèmes de coût, tout en repoussant les capacités à long terme du Canada dans l’Arctique.

[Français]

En effet, les coûts et les retards représentent le plus grand risque pour toutes les nouvelles capacités qui ont été annoncées. Les demandes apparaissant dans le budget fédéral sont importantes et, comme l’a fait remarquer la ministre des Finances, des dépenses supplémentaires doivent être trouvées à même les dépenses existantes. On ne sait pas combien de temps cette situation va durer, mais on peut être sûr d’une chose : le coût des nouvelles capacités dans l’Arctique ne va pas diminuer. L’augmentation des coûts peut se stabiliser lorsque l’inflation se calme, mais la courbe conservera une trajectoire ascendante.

De plus, ces pressions sur les coûts coïncideront avec d’autres priorités qui se disputeront des fonds fédéraux supplémentaires, notamment les nouveaux programmes sociaux, le programme d’immobilisations de la défense au sens large et les efforts pour réduire le déficit.

[Traduction]

Enfin, les nouvelles capacités dans l’Arctique qui ont été annoncées par le gouvernement amélioreront la présence, la sensibilisation et le commandement et contrôle du Canada dans la région. Toutefois, nous devons nous préparer à ce que les capacités des adversaires se développent également et dépassent probablement celles du Canada sur le plan quantitatif. L’alliance de défense continentale du Canada avec les États-Unis atténuera ces menaces, dans la mesure où les forces armées américaines resteront prédominantes pendant une bonne partie du XXIe siècle. Cependant, le fait de compter sur les États-Unis pour défendre l’Arctique canadien ne fera que tendre les relations avec notre partenaire et allié le plus proche et réduira la capacité du Canada à prendre ses propres décisions et à faire ses propres choix en ce qui concerne la défense de son territoire et de ses eaux.

À mesure que l’Arctique devient une région où l’extraction des ressources et la navigation, tant commerciales que touristiques, sont plus importantes, la capacité du Canada à affirmer sa souveraineté et son contrôle deviendra plus importante.

Rapidement, pour conclure, je vais souligner trois capacités que le gouvernement devrait prendre en considération; je serai heureux d’en parler davantage en réponse aux questions.

Premièrement, de nouveaux sous-marins capables d’affronter les glaces de l’Arctique pour remplacer les sous-marins de la classe Victoria, comme l’a dit un des témoins précédents. Deuxièmement, des systèmes télécommandés pour la surveillance sous-marine — concrètement, des drones sous-marins pour complémenter la flotte de sous-marins —; et enfin, l’amélioration des capacités de recherche et de sauvetage, qui auront de plus en plus d’importance à mesure que l’Arctique devient plus navigable pour les navires militaires, commerciaux et touristiques.

[Français]

Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Lagassé, de cette déclaration très utile. La parole va maintenant à M. Klapatiuk.

Dès que vous êtes prêt, monsieur Klapatiuk, vous pouvez y aller.

Les Klapatiuk, président, International Logistical Support Inc. : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, Inuvik est la base du NORAD la plus active au Canada. Je vous parle depuis la rampe, depuis le hangar d’où le ravitailleur en vol tactique C-130 a décollé 439 fois, et International Logistical Support — ILS — a soutenu l’Aviation royale canadienne et la United States Air Force 600 fois en 16 ans.

J’ai envoyé mon allocution à Mme Dupont, mais elle n’a malheureusement pas été traduite. Malgré tout, elle contient des tableaux et des graphiques qui illustrent mes commentaires.

Le hangar vert — comme nous l’appelons communément — de l’aéroport d’Inuvik est une installation unique en son genre dans l’Ouest de l’Arctique canadien, le Nord du cercle polaire et l’océan Arctique. Pourtant, le Groupe des opérations immobilières nous a écartés des activités quotidiennes liées à la défense de l’Amérique du Nord.

Pourtant, le 25 août, Innovation, Sciences et Développement économique Canada a déclaré qu’il s’agissait d’un bien essentiel pour la défense de l’Amérique du Nord, mais le ministère de la Défense nationale refuse de le louer, de passer un contrat ou de l’acheter pour soutenir le NORAD. Ce même bien est celui que, les 12 et 13 septembre de cette année, deux attachés militaires américains ont visité. Nous avons discuté d’un achat possible, étant donné que le Canada n’était pas concerné. Maintenant, il s’agit d’une discussion de pays à pays, on tente de conclure un accord.

Le lieutenant-général Pelletier n’a rien dit de tout cela quand il a témoigné devant le comité de la Chambre des communes, mais on m’a informé que tout le monde à Ottawa, à Washington et au NORAD sait ce qui se passe, tout comme les Britanniques et l’OTAN. Faites confiance, mais vérifiez. En tant que comité, vous êtes complètement désavantagé, parce que vous devez vous fier à ce qui vous est dit. Mais comment pouvez-vous vérifier, ensuite? Vous pouvez vérifier toutes mes déclarations et tous mes tableaux à l’aide d’informations provenant de sources ouvertes, y compris les registres, les factures, les photos, les notes ainsi que les courriels d’ILS échangés avec d’autres personnes.

Ce que je veux dire, essentiellement, c’est que j’ai plusieurs questions pour lesquelles je n’ai pas de réponse. Je ne peux pas dire pourquoi le Groupe des opérations immobilières, en période de crise nucléaire, refuse de soutenir le NORAD en fournissant le seul hangar accessible sur une superficie équivalente à 40 % de la masse terrestre du Canada. Je ne peux pas dire pourquoi le Groupe des opérations immobilières ne soutient pas nos équipes de ravitaillement en vol, qui ont d’ailleurs intercepté des bombardiers russes depuis Inuvik et le hangar d’ILS. Je ne peux pas dire pourquoi le Groupe des opérations immobilières force les équipes de vol de l’Aviation royale canadienne et du NORAD à mener leurs opérations dans la neige, dans des conditions arctiques.

En octobre 2021, un lieutenant-colonel du Groupe des opérations immobilières a ordonné à son personnel de rédiger un nouveau contrat pour ILS, mais s’est heurté à un refus. Pourquoi? Parce que le Groupe des opérations immobilières a donné environ 270 000 litres de carburant stratégique du NORAD de l’aéroport d’Inuvik et a fait détruire quatre réservoirs de 75 000 litres. L’accès au carburant est et demeure un aspect critique pour toutes les opérations de l’Aviation royale canadienne et du NORAD.

Le 11 juin 2021, un général du NORAD, accompagné d’un général canadien, m’a demandé comment avançaient les négociations pour un contrat entre le Groupe des opérations immobilières et moi-même. Quand j’ai répondu qu’il n’y avait aucune négociation, ils se sont montrés perplexes et avaient l’impression d’avoir été trahis. Le NORAD a fait connaître ses besoins, et le Groupe des opérations immobilières et le Canada n’en ont pas tenu compte; il a ignoré le NORAD ainsi que notre défense commune. Le Groupe des opérations immobilières a commencé en 2015 sa campagne pour détruire ILS, et il a persisté depuis. Quelles ont été les conséquences de cela sur notre pays et sur nos relations avec nos alliés, y compris le NORAD et l’OTAN?

Je dirai, pour finir, que nous n’avons aucune capacité de ravitaillement en vol à l’aéroport d’Inuvik ou à l’emplacement d’opérations avancé d’Inuvik, la base du NORAD la plus occupée du Canada, et nous n’avons absolument aucune capacité de recherche et sauvetage dans cette région.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Klapatiuk. Nous allons passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mes questions vont s’adresser à notre deuxième témoin. Je comprends qu’il y a des questions auxquelles il ne peut pas répondre, mais je pense que nous avons des alliés et voisins, les Américains, et nous avons une part à faire comme alliés. Je ne comprends pas qu’il y ait effectivement des travaux à faire et des décisions qui ne se prennent pas. J’aimerais avoir plus d’explications concernant certains travaux ou certaines décisions qu’on ne considère pas.

[Traduction]

M. Klapatiuk : Si vous voulez parler des négociations contractuelles, il n’y en a aucune. Nous avons attendu, et nous avons supplié et imploré le Canada de faire sa part avec les États-Unis pour notre défense commune. Personne n’a rien fait. Personne n’a communiqué avec nous.

À présent, alors que nous sommes devant la possibilité d’une guerre nucléaire — mais peu probable, espérons-le —, on ne nous a pas réintégrés dans les opérations du NORAD. Pendant 16 ans, nous étions intégrés au NORAD, au point où nous avions un aéronef, là-bas, comme je l’ai dit, qui a été utilisé 439 fois. L’équipage, nous-mêmes, nous étions intégrés. Nous avons travaillé en étroite collaboration et, comme je l’ai dit, nous avions des bombardiers et il y a vraiment eu des interceptions, mais le Groupe des opérations immobilières a éliminé toute cette capacité pour le Canada dans l’Arctique. Il n’y a plus de hangar utilisable. Il n’y a rien.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma seconde question s’adresse à M. Lagassé. On a eu de belles annonces d’investissements et d’acquisitions du gouvernement, mais ils font toujours partie de plans quinquennaux. On peut dire que ce n’est pas pour demain, comme vous l’avez d’ailleurs mentionné. J’aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure les conseils de la Commission indépendante d’examen des acquisitions de la Défense sont suivis.

M. Lagassé : Comme vous le savez, j’ai démissionné de ce comité cet été, donc je peux seulement parler de mon expérience de 2015 à l’été 2022. Je peux dire qu’il est difficile pour nous de le savoir. Ce sont des conseils qui sont donnés au ministre et ce dernier a l’occasion de lire ce que l’on a à dire sur les capacités et sur les différents projets qui ont été présentés à la commission.

Par contre, je peux dire que pour chaque projet qui arrive devant la commission, celle-ci examine les coûts, les demandes et l’intégration. La commission surveille les délais et elle prend le temps de mettre l’accent sur la nécessité de continuer à faire avancer le plan pour les Forces armées canadiennes et pour la Garde côtière canadienne. La commission est impliquée dans tous les projets dont le coût est au-delà de 100 millions de dollars.

Effectivement, il y a une commission indépendante qui donne son avis sur les projets dont on discute aujourd’hui et qui les surveille de façon assez étroite. Quoique, il faut noter que le travail de la commission prend fin lorsqu’on termine l’analyse des options des projets, c’est-à-dire dès que le projet entre à l’étape de définition; donc son rôle se termine assez tôt.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Lagassé, je reviens sur le recrutement dans les forces armées. Dans quelle mesure les difficultés de recrutement des Forces armées canadiennes peuvent-elles affecter les plans de surveillance de l’Arctique?

M. Lagassé : S’il y a un manque de pilotes, de techniciens ou de personnel dans différents postes des forces armées, cela va avoir un impact. Les capacités ne sont pas uniquement des questions technologiques et mécaniques; ce n’est pas seulement une question d’équipement. Les capacités sont également un élément humain. Sans le personnel nécessaire — et on ne parle pas toujours nécessairement de gens en uniforme, on parle également de techniciens, d’entraîneurs, de gens qui travaillent en informatique —, tous ces postes doivent être pourvus. En ce moment, comme vous le savez, on fait face à une économie où il n’y a presque aucun emploi qui n’est pas déjà comblé. Donc, la demande de main-d’œuvre est énorme et les Forces armées canadiennes souffrent en ce moment à cause de cela.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Lagassé.

Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse au professeur Lagassé. À part les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique et les nouveaux brise-glace polaires, de quelles capacités supplémentaires aurait besoin la Garde côtière canadienne pour bien respecter son mandat dans l’Arctique?

M. Lagassé : Présentement, la flotte actuelle qui est prévue devrait être en mesure de permettre à la garde côtière de remplir ses exigences. Je crois que la question la plus importante en ce moment est : sera-t-on en mesure de construire les deux brise-glace polaires? Sera-t-on en mesure de construire les six brise-glace prévus au programme? Je crois que ces deux flottes devraient être suffisantes. Par la suite, on se posera la question au sujet des brise-glace pour le Saint-Laurent et d’autres aspects qui sont également très importants.

Comme vous l’avez entendu un peu plus tôt auprès de mon collègue le professeur Stone, il faut également se poser la question à savoir quel navire est approprié pour les Forces armées canadiennes dans l’Arctique, et cela soulève la question des sous-marins.

Je crois que les sous-marins, soit des sous-marins ordinaires ou avec des marins, ou des systèmes pilotés, seraient un atout important. Il faut commencer la conversation dès maintenant.

Le sénateur Gignac : Vous avez deviné ma seconde question, parce qu’elle portait justement sur les sous-marins, puisque le professeur Stone en a parlé.

Ce qui m’a frappé dans cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, c’est de voir les sous-marins russes qui sont installés dans la mer Noire pour attaquer l’Ukraine et de voir que, peu importe qu’il s’agisse des Russes, des Chinois, des Américains ou des grandes puissances, ils ont des sous-marins. Si on les compare à ceux du Canada, qui a de petits sous-marins — comme ceux de la classe Victoria, qui a été prolongée — on n’a pas de sous-marins à propulsion nucléaire.

C’est un débat qui a eu lieu il y a plusieurs années. Alors, qu’est-ce que le gouvernement devrait faire pour convaincre l’opinion publique qu’il faut faire une distinction entre un sous-marin à propulsion nucléaire, comparativement à des armes nucléaires au sein du sous-marin?

En quoi est-ce si important d’avoir — il y a des capteurs — mais en quoi les sous-marins à propulsion nucléaire sont-ils un outil essentiel pour la protection de l’Arctique, pour qu’on nous prenne au sérieux?

M. Lagassé : Essentiellement, monsieur le sénateur, la raison est que c’est clandestin. L’adversaire, et même quiconque ne sachant pas s’il se fait surveiller, même s’il est en mesure de se protéger au moyen d’une surveillance spatiale ou aérospatiale, au moins, sait qu’il y a un navire ou un bateau qui pourrait potentiellement le suivre et être en mesure de collecter des données sur lui.

Donc, même s’il s’agit d’un navire scientifique ou qui se dit scientifique, mais qui ne l’est pas réellement, un sous-marin pourrait être plus efficace pour détecter des activités militaires de la part d’un navire commercial ou scientifique.

En ce qui a trait au type de sous marin, il est important de noter que, oui, le nucléaire est essentiel pour être en mesure de fonctionner sous la glace, mais il pourrait y avoir de nouvelles technologies qui seraient moins dispendieuses et qui seraient en mesure de fonctionner également sous la glace. Alors, c’est à considérer.

En raison du délai qu’on prévoit pour remplacer les sous-marins, soit d’ici 30 ans, on aurait l’occasion de considérer de nouvelles technologies et potentiellement de créer des partenariats avec d’autres nations dans l’Arctique, qui ont également ce besoin.

Le sénateur Gignac : Je n’ai pas votre expertise ni votre connaissance sur le plan des chantiers navals au Canada, mais comme c’est le cas pour les brise-glace et autres bateaux, est-ce qu’on a la capacité d’en construire au Canada ou faudrait-il faire affaire avec d’autres pays si on décide d’aller de l’avant en ce qui concerne de nouveaux sous-marins?

M. Lagassé : À mon avis, ce serait un investissement très, très important à faire, mais je doute que cela soit possible, selon notre capacité, dans les délais nécessaires de construction. Cela étant dit, on pourrait toujours demander à l’industrie si elle se sent capable de le faire.

De mon point de vue, c’est très probablement un achat qu’on ferait à l’extérieur du pays.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.

Puisque nous en parlons, je pense — disons que c’est un thème — à l’infrastructure locale dans l’Arctique en rapport avec ce dont nous parlons ici, la Stratégie nationale de construction navale. Pendant les réunions et les conversations précédentes, nous avons entendu dire que, même si c’est très bien de renouveler notre flotte, il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre dans le Nord sans une quantité appropriée d’infrastructures locales pour l’entretien et le ravitaillement. Le NCSM Harry DeWolf, par exemple, a dû faire appel à un navire-citerne pour le réapprovisionner en carburant lors de sa récente traversée du passage du Nord-Ouest.

Sommes-nous en train de pénaliser nos futurs navires collecteurs en n’investissant pas suffisamment dans les infrastructures de l’Arctique? Je pense que cette question est particulièrement importante étant donné les retards constants dans la livraison de nos ravitailleurs.

Je vais poser cette question à M. Lagassé, mais vous êtes tous deux invités à répondre.

M. Lagassé : Merci, sénatrice. Je commencerai par dire que je crois que l’infrastructure est probablement la crise la plus sous-estimée à laquelle l’armée canadienne fait face. Elle mérite une étude à elle seule. C’est une question qui ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite, mais elle est au premier plan et devrait l’être pour nous tous.

En ce qui concerne l’infrastructure dans l’Arctique en particulier, un port en eau profonde a évidemment été envisagé. Je ferai simplement remarquer que nous avons aussi besoin d’une infrastructure beaucoup plus importante en matière de recherche et sauvetage pour pouvoir accéder à la région, qui est immense. Pour être plus précis, l’immensité de la région et l’infrastructure limitée dont nous disposons limitent notre capacité d’action générale, et c’est un aspect qu’il faudra prendre en considération. Je vais en rester là.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie pour les réponses. Je vais laisser le reste de mon temps à mes collègues.

Le sénateur Richards : Merci aux témoins.

Monsieur Klapatiuk, j’ai une petite question. Je sais que c’est une question théorique, mais croyez-vous que notre pays est d’une manière ou d’une autre affaibli par l’indifférence parlementaire face à vos préoccupations?

M. Klapatiuk : Oui, je suis très préoccupé. Il faut énormément de temps pour construire des infrastructures et former les gens, dans l’Arctique. Alors que le monde parlementaire peut s’organiser en années ou en décennies, la simple construction de n’importe quel type d’infrastructure dans l’Arctique prend de trois à cinq ans.

Le MDN, dans certains domaines de planification — et je vais prendre Yellowknife comme exemple — a commencé à planifier un bâtiment en 2004 et la construction n’est pas encore commencée. La piste de l’aéroport d’Inuvik, dont la construction est maintenant commencée, a été évoquée pour la première fois par le général St-Armand en 2007, et ils sont en train d’y transporter du gravier. La construction du dépôt pétrolier de Nanisivik a commencé sur un site existant en 2008, et le dépôt pourrait être prêt en 2023. Il y a donc une différence entre le Nord et le Sud en matière de construction.

Deuxièmement, le Parlement est occupé par bien d’autres choses que l’Arctique, et je suis sûr que cela est parfois mis de côté. Nous sommes maintenant face à la Russie, à la Chine et à d’autres adversaires dans une position où nous n’avons tout simplement plus de temps. L’une des choses que je vois, c’est la capacité d’intégrer les opérations militaires avec les opérations civiles afin de donner un rapide coup de pouce à notre défense actuelle. Tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent porte sur ce qui se passera dans 20 ou 30 ans. Nous devons faire face au présent. Nous n’avons nulle part où aller.

J’espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Richards : Oui, et j’aimerais demander : pensez-vous que nous avons abandonné à l’expertise américaine notre responsabilité morale à l’égard de notre propre sécurité?

M. Klapatiuk : Oui, nous l’avons fait. Le général Pelletier, devant un comité de la Chambre des communes, le 3 novembre, a déclaré qu’en ce qui concernait les ravitailleurs en vol, ils utiliseront ce qu’ils peuvent, puis emprunteront ou quémanderont aux États-Unis. Pour ce qui est des ravitailleurs en vol, peu importe qu’il s’agisse d’un F-35 ou d’un F-18, ils ont besoin de carburant. Sans ravitailleur en vol, ces avions sont limités. Pour être clair, un F-18 ne peut pas voler de Cold Lake à Inuvik sans escale; il doit être ravitaillé. Lorsqu’il arrive à Inuvik, il est prêt à se mettre au travail. Mais s’il n’a pas suffisamment de réserve de carburant, il ne peut pas le faire.

Oui, nous puisons dans les ressources américaines, et les États-Unis sont assez gentils pour nous laisser faire. Cependant, quand quelque chose de sérieux va se passer, les Américains vont d’abord s’occuper d’eux-mêmes. Ils n’ont pas le choix. Ils incluront le Canada, parce qu’il n’y a pas de choix de ce côté non plus.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, monsieur.

Le président : Nous allons passer à la dernière sénatrice sur notre liste. Si d’autres sénateurs veulent poser une question, veuillez nous le faire savoir.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être présents aujourd’hui.

Ma première question s’adresse à M. Klapatiuk. Notre comité est allé dans l’Arctique il y a quelques semaines et nous avons visité la base du NORAD d’Inuvik. Je ne sais pas exactement comment poser la question, mais si c’était vous qui nous aviez fait visiter la base, qu’auriez-vous voulu nous montrer et nous dire?

M. Klapatiuk : J’ai fait de nombreuses visites avec des gens du NORAD, des officiers du Corps des Marines des États-Unis et des officiers du Canada. Il y a même un comité de la Chambre des communes qui est passé par Inuvik.

L’une des choses que nous devons montrer, si je faisais la visite, c’est que nous avons actuellement huit personnes à l’emplacement d’opérations avancé d’Inuvik. C’est tout. Nous manquons de carburant, ce dont j’ai parlé à de nombreuses personnes dès 2015 et à nouveau en 2017 et en 2018. Nous faisons toujours face aux mêmes problèmes.

Avec le Groupe des opérations immobilières, je n’ai pas obtenu d’augmentation de tarif dans l’Arctique pour mon hangar pendant 10 ans. Ils ont ensuite résilié mon contrat. Alors, maintenant, nous n’avons rien. C’est le message que les gens doivent entendre.

Sans vouloir vous offenser, sénatrice, ou qui que ce soit d’autre, les gens d’Ottawa sont complètement désavantagés. Comme je l’ai déjà dit, faites confiance, mais vérifiez. Je pourrais vous dire que l’herbe pousse, ici, et nous savons que ce n’est pas vrai, mais vous aurez du mal à le vérifier.

Mes visites n’ont jamais été faciles. J’étais clair, concis et sévère, car nous n’avons pas le choix. L’Arctique est dur, et il enlève les couches très rapidement.

Je commencerais donc par l’infrastructure, le carburant, les opérations et le personnel.

La sénatrice Dasko : Nous avons vu les pistes, on nous a parlé des pistes. Apparemment, nous avons vu un CF-18. Je pense que, presque par accident, il était là au même moment que nous.

Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, monsieur Klapatiuk?

M. Klapatiuk : Comme je ne cesse de le dire, nous sommes dans le présent. La Russie avance. La Chine avance. Nous n’avons rien.

En ce qui concerne les navires — et j’apprécie les commentaires des autres témoins —, le NORAD a défini les cinq domaines dont nous devons être conscients, à savoir la terre, la mer, le fond de l’océan, le cyber et le cyberespace. Cependant, il y a aussi un autre facteur que beaucoup de gens n’abordent pas, à savoir notre guerre hybride. Il peut s’agir de n’importe quoi, des investissements financiers dans l’industrie minière, dans tout l’Arctique, des routes — il y a une pléthore de ce qu’on appelle maintenant les investissements dans la guerre hybride. Tout est en train d’être militarisé et cela pose un problème majeur, car, du point de vue de la sécurité — et je me suis aussi occupé de la sécurité —, bien des gens ne se rendent pas compte assez rapidement de ce qui se passe réellement. Je demande toujours à quel endroit je pourrais obtenir l’information. Parfois, le meilleur endroit pour l’obtenir est le Financial Post.

La sénatrice Dasko : Ça en dit long. Merci.

J’ai une question pour M. Lagassé. Monsieur, vous êtes politologue, je crois, et vous avez fait remarquer qu’il y a des priorités qui prennent le pas sur les dépenses de la défense; il y a des priorités concurrentes dans le domaine des dépenses sociales en particulier et dans d’autres domaines où le gouvernement dépense. Vous avez également souligné que nous avons entendu des annonces récentes selon lesquelles le gouvernement ne va pas continuer d’agrandir la tarte; il va se servir dans la tarte qui est là.

Quel est votre avis sur la priorité des dépenses de défense par rapport à ces autres priorités, du point de vue du gouvernement et aussi du point de vue de l’opinion publique canadienne? Quelle priorité accordez-vous à ces dépenses par rapport aux autres priorités du gouvernement?

M. Lagassé : Merci, sénatrice.

Tout d’abord, les investissements ont été importants, ou du moins, les investissements annoncés ont été importants au regard du programme d’investissements, présenté dans Protection, Sécurité, Engagement, qui représente environ 100 milliards de dollars. Cependant, cela s’étale sur plusieurs décennies. Il est donc important de le reconnaître. De même, pour la Garde côtière, nous parlons de dizaines de milliards de dollars. C’est beaucoup d’argent.

Cela dit, l’une des mesures dont nous disposons pour évaluer notre engagement est le pourcentage du produit intérieur brut. Cela vous dit quelle portion de votre économie vous consacrez à la défense par rapport à vos autres alliés. Comme beaucoup d’entre vous le savent, à ce chapitre, nous sommes toujours en deçà de ce que nous avons promis à l’OTAN.

Comme vos autres témoins l’ont signalé, une partie de la difficulté, ici, c’est que, même si nous voulions dépenser davantage et faire avancer les choses plus rapidement, nous n’en avons tout simplement pas la capacité. L’aptitude à acquérir et entretenir ces capacités s’est atrophiée en raison des décisions prises il y a 30 ou 40 ans, la dernière fois où nous nous sommes attaqués au déficit. Nous essayons donc de rattraper le temps perdu. Si nous devons, dans les décennies à venir, faire un autre effort pour réduire le déficit, en raison de dépenses que nous avons dû engager en 2008 et pendant la pandémie, nous devons être très attentifs à l’ampleur des coupes dans des capacités qui sont déjà très difficiles à acquérir et qui représentent déjà un 1 ou 1,5 % du PIB.

Pour répondre plus précisément à votre question, sénatrice, il s’agit simplement d’une amélioration par rapport à la place que ces dépenses occupaient sur la liste des priorités dans le passé, mais elles sont loin d’être ce qu’elles devraient être, notamment en ce qui concerne l’Arctique.

La sénatrice Dasko : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Klapatiuk, je ne vous demanderai pas de dresser une liste des lacunes en matière de ravitaillement dans l’Arctique parce que le temps nous manque. Par ailleurs, si vous deviez vous concentrer sur les lacunes qui peuvent avoir des conséquences graves en situation d’urgence, selon vous, quelles seraient les plus importantes?

[Traduction]

M. Klapatiuk : Merci de votre question, sénateur. Nous comprenons tous que, sans l’aviation, l’Arctique ne survivra pas. Nous pouvons parler de navires, de routes, de chemins de fer et d’autres choses, mais sans l’aviation, les distances sont trop importantes.

Nous avons besoin, premièrement, d’un hangar pour les avions. Nous devons avoir un ravitailleur en vol prêt en 15 minutes. Sans hangar, c’est impossible. Deuxièmement, il faut qu’il y ait des réserves de carburant adéquates sur chaque site, et troisièmement, il y a la capacité des pistes.

L’un des problèmes que nous avons avec le C295, par exemple, en tant qu’avion de recherche et sauvetage, est qu’il ne peut pas atterrir sur des pistes en gravier ou ce que nous appelons des « pistes rudimentaires ». Cela pose un problème important dans l’Arctique et dans la partie nord de toutes les provinces du Canada, car toutes les pistes sont en gravier, en glace ou recouvertes de glace. Cela pose un problème majeur.

Deuxièmement, toutes les menaces dont nous sommes pleinement conscients à l’heure actuelle sont liées à l’aviation, et je parle des bombardiers. Je n’aborderai pas la question des sous-marins. Mais nous devons avoir un programme d’aviation solide.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aurais deux courtes questions pour M. Lagassé. Selon vous, dans quelle mesure les engagements politiques en matière de contenu canadien dans les acquisitions d’équipement deviennent-ils un enjeu qui peut contribuer à retarder les livraisons d’appareils qui sont considérées comme urgentes pour les opérations?

M. Lagassé : Monsieur le sénateur, de façon générale ces besoins sont énoncés assez tôt dans le processus et nous sommes déjà capables d’identifier les industries canadiennes qui sont en mesure de contribuer.

En général, selon mon expérience — j’ai vu une centaine de projets depuis 2015 — en tant que membre de la commission que vous avez mentionnée, je n’ai jamais remarqué que la nécessité d’avoir un contenu canadien a eu un impact négatif sur un projet. Par contre, ça peut entraîner des retards si on insiste pour développer ou construire une capacité au Canada. Il y a une différence importante à faire entre avoir des retombées économiques au Canada, d’une part, et la nécessité qu’il y ait un appareil ou une capacité qui est développée ou construite au Canada.

Le sénateur Dagenais : Depuis longtemps, les experts parlent de l’importance de protéger le territoire de l’Arctique, tant pour nous que pour nos alliés. Avez-vous l’impression que le gouvernement a trop longtemps fermé les yeux sur cette urgence et que les engagements de rattrapage arrivent un peu trop tard?

M. Lagassé : Oui, on sait depuis très longtemps que l’Arctique devient un enjeu mondial important et qu’en raison du changement climatique, c’est non seulement sur le plan militaire, mais également sur les plans commercial et touristique, et ça amène des risques très importants. S’il y a de plus en plus de navires touristiques dans la région, ça augmente le risque en matière de sauvetage et ça augmente la responsabilité du Canada d’être en mesure de répondre à des urgences, et c’est pareil pour ce qui est du développement économique. Si on développe cette région, il faut être en mesure de répondre à des urgences, à des crises et d’autres choses. On prend du recul.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Lagassé.

[Traduction]

Le président : Je ne vois pas d’autres questions, et nous arrivons donc au terme de notre réunion de ce soir.

Je tiens sincèrement à vous remercier, monsieur Klapatiuk et monsieur Lagassé, de nous avoir aidés ce soir. Il s’agit manifestement d’une étape extrêmement importante de notre étude sur la sécurité et la défense de l’Arctique. Vous avez fait preuve de franchise dans votre analyse des défis et des problèmes, comme l’ont fait nos témoins précédents. Nous vous remercions de vos conseils très directs et de votre contribution à nos travaux. Nous comptons beaucoup sur les experts pour nous aider dans notre travail, et vous nous avez considérablement aidés ce soir. Au nom des membres de notre comité et du Sénat du Canada, nous vous remercions de vos conseils et nous vous souhaitons beaucoup de succès.

Notre prochaine réunion aura lieu lundi prochain, le 21 novembre, à l’heure habituelle, 16 heures, heure de l’Est. Sur ce, je vous souhaite à tous une bonne soirée. La séance est maintenant levée. Merci.

(La séance est levée.)

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