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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 8 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les questions concernant la sécurité nationale et la défense en général.

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.

Je m’appelle Tony Dean et je suis un sénateur de l’Ontario et président du comité. Mes collègues du comité se joignent à moi et je les invite à se présenter, en commençant par notre vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec

[Traduction]

Le sénateur Oh : Sénateur Victor Oh, de Toronto, en Ontario.

[Français]

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Patterson : Sénatrice Rebecca Patterson, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Je suis Marty Deacon, sénatrice de l’Ontario

La sénatrice Duncan : Bonjour. Je suis Pat Duncan, sénatrice du Yukon.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Je suis Andrew Cardozo, de l’Ontario.

Le sénateur Boehm : Je suis Peter Boehm, de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Je suis Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Yussuff : Je suis Hassan Yussuff, de l’Ontario.

Le sénateur Loffreda : Je suis Tony Loffreda, de Montréal, au Québec. Bienvenue.

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

Aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir l’honorable Bill Blair, ministre de la Défense nationale, qui a été invité à comparaître devant le comité pour parler de questions liées à son mandat, et je pense qu’il nous parlera d’une question très précise aujourd’hui.

Le ministre est accompagné de représentants du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, à savoir le général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense, Natasha Kim, sous-ministre déléguée; Troy Crosby, sous-ministre adjoint, Matériels; et Peter Hammerschmidt, sous-ministre adjoint, Politiques. Nous accueillons également Caroline Xavier, chef du Centre de la sécurité des télécommunications. Nous vous remercions d’être ici aujourd’hui.

Bienvenue, monsieur le ministre. Je vous invite maintenant à faire une déclaration préliminaire.

L’honorable Bill Blair, c.p., député, ministre de la Défense nationale : Je vous remercie, monsieur le président et membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que je suis honoré et heureux de l’occasion qui m’est offerte de comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis de près un grand nombre de vos études et de vos travaux, et je tiens à vous exprimer ma sincère gratitude. Cela a permis de mettre l’accent sur le travail important que nous accomplissons à la Défense nationale et au sein des Forces armées canadiennes.

Comme vous avez déjà présenté les collègues qui m’accompagnent, pour gagner du temps, je ne les présenterai pas à nouveau. Je peux toutefois vous assurer qu’au cours des derniers mois, ces personnes ont travaillé incroyablement fort et de manière très efficace sur l’annonce que nous avons été en mesure de faire aux Canadiens aujourd’hui. Permettez-moi de profiter de l’occasion pour les remercier publiquement et très sincèrement de leurs efforts soutenus.

Comme je l’ai déjà dit, cette comparution et la demande qui m’est faite de donner un aperçu de mes priorités ministérielles arrivent à point nommé. Comme un grand nombre d’entre vous le savent, je l’espère, j’ai été fier d’annoncer aujourd’hui notre vision renouvelée pour les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale, qui s’intitule Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada.

Pour répondre aux défis de notre monde en évolution rapide, la politique que nous avons présentée aujourd’hui s’appuie sur Protection, Sécurité, Engagement, c’est-à-dire notre politique de 2017, et sur les promesses qui ont été énoncées dans mon mandat, des engagements à fournir de nouveaux équipements et de nouvelles capacités, de nouvelles politiques relatives au recrutement et à la rétention et le renforcement de nos liens avec l’industrie canadienne de la défense. Tout cela représentera presque trois fois le budget de la Défense nationale depuis 2015.

Dans ce contexte, j’aimerais revenir sur la lettre de mandat pour mettre en lumière certains progrès et engagement importants de 2021 et me tourner vers l’avenir pour voir comment ces mêmes questions sont abordées dans la politique en matière de défense que nous venons d’annoncer.

La lettre de mandat de 2021 du premier ministre pour la Défense nationale couvre un large éventail d’engagements, allant de la défense continentale et de l’évolution de la culture aux engagements internationaux et à l’équipement pour nos forces armées. Je pense que nous avons réalisé des progrès importants dans le cadre de ces engagements.

À la suite de cette lettre, ma prédécesseure a annoncé, en 2022, un investissement de 38,6 milliards de dollars dans la modernisation du NORAD. Nous voyons déjà certains résultats de ce financement par l’entremise des améliorations qui ont été apportées à l’infrastructure à l’échelle du pays. De plus, un nouveau radar transhorizon dans l’Arctique est mis au point.

De même, nous avons travaillé d’arrache-pied pour donner suite à certaines des recommandations importantes formulées par l’ancienne juge de la Cour suprême, Mme Arbour, dans le cadre de l’Examen externe indépendant et complet, et par le juge Fish dans le cadre du troisième examen indépendant, ainsi qu’un certain nombre d’autres examens externes visant à améliorer la culture qui règne au sein de notre institution. En décembre 2023, nous avions mis en œuvre 65 des recommandations issues de ces examens.

Je suis heureux d’annoncer que, le mois dernier, j’ai présenté le projet de loi C-66, qui vise à retirer officiellement aux Forces armées canadiennes la compétence de mener des enquêtes et d’intenter des poursuites dans des cas d’infractions d’ordre sexuel visées par le Code criminel qui sont commises au Canada, entre autres changements fondés sur les rapports de la juge Arbour et du juge Fish. Cela aura pour effet de codifier la cinquième recommandation formulée à notre intention par la juge Arbour, qui avait été expressément soulignée comme étant une priorité dans ma lettre de mandat.

Monsieur le président, en ce qui concerne nos engagements internationaux, il est important de souligner que cette lettre a été publiée avant l’invasion illégale et injustifiable de l’Ukraine par la Russie, qui a débuté en 2022. Cette guerre, ainsi que le retour de la concurrence stratégique signalé par les ambitions despotiques de M. Poutine, a rapidement influencé la manière dont nous nous engageons dans le monde.

Nous avons renforcé notre soutien à l’Ukraine, en engageant environ 4 milliards de dollars d’aide militaire pour l’aider dans son combat.

Nous avons continué à former des soldats ukrainiens dans le cadre de l’opération Unifier, qui a débuté en 2015 et qui se poursuit encore aujourd’hui. Plus de 40 000 membres des forces armées ukrainiennes ont ainsi été formés par les Forces armées canadiennes.

Nous avons travaillé avec nos alliés et partenaires au sein du Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine, afin de veiller à ce que les Ukrainiens disposent de tout ce dont ils ont besoin en cette période de crise.

En réponse à l’agression de la Russie, nous dirigeons également la montée en puissance du groupement tactique en Lettonie pour en faire une brigade multinationale apte au combat d’ici 2026. Si cela vous intéresse, je peux vous donner des détails sur le travail que nous effectuons en Lettonie, mais je ne vais pas m’attarder sur le sujet pour le moment.

J’aimerais également signaler que, dans le cadre de notre Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, nous avons renforcé notre présence dans cette région. Nous travaillons très fort pour resserrer les liens avec nos partenaires dans la région indo-pacifique.

Enfin, nous avons réalisé des progrès très importants pour fournir l’équipement dont notre armée a besoin pour rester agile et efficace au XXIe siècle. Nous avons notamment finalisé le processus d’approvisionnement et de mise à niveau de 140 aéronefs pour l’Aviation royale canadienne, ce qui comprend particulièrement notre future flotte de chasseurs F-35, mais aussi des investissements dans des avions multimissions, des avions de surveillance, des navires de ravitaillement et d’autres aéronefs nécessaires.

Nous poursuivons également la stratégie de construction navale la plus ambitieuse depuis la Deuxième Guerre mondiale, afin d’équiper la Marine royale canadienne de navires, comme nos patrouilleurs de l’Arctique et nos patrouilleurs hauturiers et nos futurs bâtiments de guerre de surface canadiens. Nous poursuivons aussi l’acquisition d’une nouvelle flotte de véhicules blindés de soutien au combat pour l’Armée canadienne.

Bien que nous ayons réalisé d’importants progrès dans l’exécution de notre mandat, nous reconnaissons qu’il est nécessaire d’en faire plus pour rester à la hauteur des nouveaux défis posés par le contexte des menaces dans le monde entier. Le monde continue de changer — à un rythme accéléré — et nous devons nous assurer que nous faisons tout notre possible pour protéger le Canada et les Canadiens tout en faisant avancer les choses sur la scène internationale.

Aujourd’hui, notre nouvelle politique, Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada, fournit une feuille de route ambitieuse et réaliste pour atteindre ces objectifs grâce à de nouveaux investissements et en favorisant les liens avec l’industrie de la défense. Elle s’accompagne notamment d’un nouvel engagement financier de 1,8 milliard de dollars sur cinq ans et de 73 milliards de dollars sur les 20 prochaines années. Ces investissements, ainsi que ceux que nous avons l’intention d’annoncer plus tard ce mois-ci dans le cadre de notre budget — il y a encore beaucoup à dire à cet égard —, nous amèneront à 1,76 % du PIB d’ici 2029-2030. Comme j’ai pu le dire au secrétaire général de l’OTAN et à nos alliés les plus proches, il s’agit là d’une étape très importante vers l’atteinte de l’engagement voulu par l’OTAN qui se situe à 2 % du PIB.

Nous mettons également en place les conditions nécessaires pour atteindre les 2 %, notamment un engagement ferme à reconstituer nos forces en modernisant nos processus de recrutement; un examen des processus d’approvisionnement en matière de défense afin de fournir des capacités aux FAC de manière plus efficace et plus rapide; et un engagement soutenu à veiller à ce que les femmes et les hommes des FAC soient au cœur de tout ce que nous entreprenons.

Nous promettons également de procéder à un examen de la politique de défense tous les quatre ans. Le but est de nous assurer que nous atteignons nos objectifs et que ceux-ci restent pertinents dans l’environnement géopolitique, tout en actualisant nos plans et nos investissements au besoin.

En ce qui concerne l’équipement, nous allons renforcer notre relation avec l’industrie de la défense au Canada. La politique de défense est aussi une politique industrielle, et la production de défense est un facteur de dissuasion. Notre objectif est d’acquérir de nouvelles capacités pour notre armée, notre marine et notre armée de l’air, tout en continuant à assurer le fonctionnement et l’entretien des flottes actuelles, telles que les frégates de la classe Halifax, qui sont d’une importance cruciale. Nous avons inclus 1,5 milliard de dollars dans la mise à jour d’aujourd’hui afin de maintenir la flotte d’Halifax en état de fonctionnement et à flot. Il s’agit d’un investissement très important, qui est nécessaire en attendant l’achèvement des navires de combat de surface.

Nous renforçons également notre capacité à mener des cyberopérations en créant un nouveau cybercommandement des FAC. Il s’agit là d’un autre investissement important. Je sais que le chef d’état-major sera en mesure de vous donner plus de détails à ce sujet durant la deuxième heure. Nous mettons sur pied une capacité canadienne conjointe de cyberopérations avec le Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, afin d’intégrer les forces uniques de chaque organisation — les FAC et le CST — au sein d’une équipe unie qui mènera des cyberopérations actives à l’appui des intérêts canadiens.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la précédente politique de défense, Protection, Sécurité et Engagement, et ma lettre de mandat de 2021 ont été des documents d’orientation importants pour notre organisation, mais il est important de reconnaître que le monde ne cesse d’évoluer rapidement. Nous savons que nous devons en faire davantage. Nous devons devenir meilleurs et plus forts. La politique Notre Nord, fort et libre s’appuie sur ces engagements et prévoit un nouveau programme de financement et de nouveaux investissements pour garantir l’efficacité de nos forces armées aujourd’hui et dans l’avenir.

Cela arrive à un moment critique pour notre pays et pour le monde. Nous continuons à travailler fort pour mettre en œuvre cette nouvelle vision des Forces armées canadiennes. Les hommes et les femmes des Forces armées canadiennes accomplissent un travail extraordinaire pour notre pays. Nous avons l’obligation de veiller à ce qu’ils disposent du meilleur équipement, du meilleur soutien, de la meilleure formation et du meilleur leadership. Tels sont nos engagements.

Je vous remercie beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous allons maintenant passer aux questions.

Chers collègues, M. Blair sera avec nous aujourd’hui jusqu’à 17 heures. Nous allons faire de notre mieux pour que chaque membre ait le temps de poser une question au cours de cette première heure. Nous aurons une deuxième série de questions avec les fonctionnaires, qui seront présents de 17 à 18 heures. Cela étant dit, quatre minutes sont prévues pour chaque question, incluant la réponse. Veuillez poser des questions succinctes afin de permettre le plus grand nombre d’interventions possibles. La première question revient, comme de coutume, à notre vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre. Bienvenue à notre comité.

Depuis une semaine, le premier ministre distribue des milliards de dollars. On se demande où il va les trouver. Ce matin, il a annoncé 8 milliards de plus pour les forces armées. En soi, c’est une bonne nouvelle, mais malgré ces investissements, le Canada reste un délinquant face à ses partenaires de l’OTAN.

En 2017, sur la question du fameux seuil de 2 % d’investissements dans les dépenses militaires, M. Trudeau avait promis d’aligner les dépenses pour satisfaire les attentes de nos alliés. Il y a de cela sept ans, et on n’y est toujours pas. Quel est le problème du premier ministre avec les investissements militaires? Pourquoi s’entête-t-il à ne pas tout faire pour devenir un partenaire fiable de l’OTAN?

[Traduction]

M. Blair : Je vous remercie beaucoup pour la question.

Je pourrais peut-être fournir un peu de contexte en ce qui a trait à votre question. En 2015, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, les dépenses de défense au Canada avaient stagné pendant deux ans sous le gouvernement précédent, s’établissant à moins de 1 %. Cela a créé une situation très difficile. Très tôt dans notre mandat, nous nous sommes engagés — particulièrement en 2017 — à augmenter de manière considérable les dépenses de défense. Nous sommes sur la bonne voie. Nous avons maintenu le rythme en augmentant les dépenses de défense de 70 % jusqu’en 2026.

Cependant, en raison de la guerre en Ukraine, de certains défis très importants auxquels nous sommes confrontés dans l’Arctique canadien, ainsi que des positions agressives d’adversaires potentiels, en particulier la Chine et la Russie, le monde est devenu un endroit plus difficile et plus dangereux. Nous avons reconnu que nous devions en faire davantage. Lorsque le premier ministre m’a confié le poste de ministre de la Défense nationale, il a dit que nous devions en faire davantage. Nous avons travaillé d’arrache-pied. C’est pourquoi la nouvelle politique annoncée aujourd’hui va plus loin. Je le répète, il s’agit d’un investissement important. Comme je l’ai dit, d’ici 2029, nous aurons triplé les dépenses de défense par rapport au bilan franchement très médiocre du gouvernement précédent en la matière.

Il y a quelques éléments que je voudrais également mettre en contexte. Le budget du Canada en matière de défense est le septième budget de la défense en importance parmi tous les pays membres de l’OTAN. Bien que l’objectif de 2 % soit important, il ne faut pas oublier que la Déclaration du sommet du Pays de Galles, en ce qui concerne les dépenses de défense, prévoit que le Canada doit consacrer 20 % de son budget de défense à de nouvelles capacités. À partir de l’année prochaine, grâce à la politique annoncée aujourd’hui, nous respecterons ce pourcentage pendant les 20 prochaines années. Cette politique nous place également sur une trajectoire ascendante très nette au chapitre des dépenses en matière de défense, qui atteindront 1,76 % en 2029.

D’autres éléments figurent aussi dans le document de politique. Le premier ministre a clairement mentionné aujourd’hui que nous travaillons également à l’établissement d’une nouvelle capacité de surveillance sous-marine grâce à des investissements prévus dans des sous-marins. Lorsque nous serons prêts à engager ces dépenses et que les Forces armées canadiennes, la Marine royale canadienne et les responsables des approvisionnements auront effectué le travail important qu’ils doivent faire en vue de s’assurer qu’il s’agit d’un bon investissement de l’argent des contribuables canadiens, nous irons de l’avant. Nous atteindrons ainsi facilement le seuil des 2 %.

Nos alliés le savent. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que vous verrez des commentaires de nos alliés indiquant qu’ils sont très satisfaits de l’annonce d’aujourd’hui et de la trajectoire des dépenses du Canada en matière de défense. Je peux également vous dire, d’après les conversations que nous avons eues avec nos alliés, qu’ils apprécient la contribution du Canada à l’OTAN, au NORAD, à l’Indo-Pacifique et dans le monde entier, mais qu’ils reconnaissent également l’importance renouvelée que nous accordons à la défense du Canada. Dans notre nouveau document de politique, vous verrez notamment que nous mettons davantage l’accent sur la défense du Canada afin de maintenir et de garantir notre souveraineté nationale, en particulier dans l’Extrême-Arctique.

Le sénateur Boehm : Merci pour votre présence, monsieur le ministre et monsieur le général, et merci aussi à ceux qui vous accompagnent.

Je pense que nous savons tous que l’annonce d’aujourd’hui est très importante et très nécessaire, mais, d’après mon expérience, et pour citer incorrectement un ancien général américain, je dirais que la diplomatie passe avant les balles. Il existe une relation symbiotique entre ce que font nos forces et nos planificateurs de la défense et ce que font nos diplomates à l’étranger dans les zones de crise. Une grande partie du nouvel énoncé de politique est axée sur les enjeux de sécurité posés par les changements climatiques. Nous savons qu’il existe des défis considérables en Haïti et dans d’autres régions du monde où nous avons l’habitude d’intervenir. La tradition veut que nos diplomates interviennent également. Dans son message figurant dans la mise à jour de la politique, la ministre Joly affirme que, plus que jamais, la défense et la diplomatie vont de pair dans la poursuite de notre intérêt national. Pourtant, le budget d’Affaires mondiales Canada sera réduit. Avez-vous des commentaires à formuler au sujet de cette relation symbiotique et de la façon de la renforcer, alors qu’il est clair que le ministère de la Défense bénéficie d’une injection d’argent grandement nécessaire, mais qu’il n’en va pas de même pour le secteur de la diplomatie?

M. Blair : Je continue d’espérer que nous ferons tout le travail nécessaire, y compris investir de façon importante dans les affaires étrangères et les efforts diplomatiques. Ce travail inclut également des investissements assez considérables dans le développement international et le soutien dans le monde entier.

Lorsque j’ai obtenu le portefeuille de la Défense, la ministre Joly et moi-même avons eu une longue discussion au sujet de la politique de défense. J’ai déjà dit qu’à mon avis il s’agit d’une politique industrielle, mais aussi d’une politique étrangère, et qu’elles sont très proches l’une de l’autre. Vous remarquerez que la mise à jour de la politique de défense que nous avons fournie aujourd’hui comporte un message de moi-même et de la ministre Joly, et j’espère que cela est perçu comme une reconnaissance de l’importance des deux fonctions.

Je me concentre évidemment sur la reconstitution et la revitalisation des Forces armées canadiennes, ce qui implique de résoudre nos problèmes de recrutement, mais aussi d’investir considérablement dans de nouveaux équipements. Nous sommes tous très fiers de la longue histoire du Canada en matière de services de maintien de la paix, de services rendus dans le monde entier dans le cadre de conflits et d’efforts de maintien de la paix, mais je crois également qu’il est nécessaire d’être fort chez soi pour être capable d’être fort pour ses alliés.

Alors que nous investissons, par exemple, dans une plus grande capacité au niveau national, nous dirigeons aussi la présence avancée en Lettonie. Nous avons pris des engagements très importants en termes de matériel, de personnel et de leadership envers l’alliance de l’OTAN. Le Canada apporte sa contribution. Nous travaillons dur pour atteindre l’objectif des 2 %, et je ne pense pas que l’on puisse nous reprocher notre niveau d’engagement et de dévouement à la mission de l’OTAN.

Dans le cadre des initiatives en matière de politique étrangère, il m’appartient de veiller à ce que la ministre des Affaires étrangères puisse faire son travail en position de force. Nous constatons un alignement entre nos responsabilités respectives.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, je doute de vos chiffres. Les chiffres que vous avez annoncés ne fonctionnent pas par rapport aux pourcentages que vous avez annoncés. Prévoyez-vous une chute du PIB? Dans ce cas, vos chiffres sont peut-être exacts.

Je présume que vous ne pensez pas que le PIB va descendre sur 20 ans; il va sûrement remonter, alors comment pouvez-vous dire que 71 ou 76 milliards de dollars nous amèneront à 1,76 % du PIB dans 20 ans? Cela n’a aucun sens. Les chiffres ne s’équilibrent pas.

[Traduction]

M. Blair : Il est très clair que l’investissement de 8,1 milliards de dollars qui sera effectué d’ici à 2029 nous amènera à 1,76 % en...

Le sénateur Carignan : Comment pouvez-vous dire cela?

M. Blair : Je peux le dire parce que je sais combien nous dépensons pour la défense.

Le sénateur Carignan : Combien avons-nous dépensé?

M. Blair : Il est intéressant de souligner que des augmentations ont déjà été prévues dans le budget de la défense par le biais de la politique PSE jusqu’en 2026-2027. Nous allons procéder à des investissements supplémentaires, que vous allez voir. Je peux vous dire également que vous verrez dans la mise à jour de la politique de défense présentée aujourd’hui et dans les chiffres qui ont été fournis dans une déclaration prébudgétaire, que des investissements supplémentaires seront effectués. Lorsque j’examine l’ensemble de ces investissements, je suis très confiant, d’autant plus que nous prévoyons une augmentation du PIB.

[Français]

Le sénateur Carignan : Actuellement, il manque combien de milliards pour atteindre le seuil de 2 %? Sommes-nous d’accord pour dire qu’il manque 15 milliards de dollars américains?

[Traduction]

M. Blair : Je me suis informé sur ce que l’écart sera en 2029 lorsque nous aurons atteint 1,76 %, et on m’a dit qu’il manquerait encore 6 milliards ou 7 milliards de dollars pour atteindre les 2 %. Je sais aussi que si nous sommes en mesure de terminer le travail pour déterminer les capacités de surveillance sous-marine dont nous aurons besoin et les nouveaux investissements que nous devrons faire dans la défense antimissile de notre pays, cela entraînera des dépenses supplémentaires qui, selon moi, nous amèneront très clairement à dépasser le seuil des 2 %. Par ailleurs, pour être très clair, je vous invite à aller à la première annexe de notre document où nous avons mentionné ces dépenses et la façon dont cela nous amène au 1,76 % en 2029.

Soit dit en passant, je n’excelle pas dans les pronostics au point de pouvoir prévoir ce que le PIB sera...

[Français]

Le sénateur Carignan : On sait que les finances, ce n’est pas la force du gouvernement.

[Traduction]

M. Blair : Pourquoi ne pas accepter de ne pas être d’accord sur ce point? Je ne pense pas qu’un débat soit nécessaire. Ce que je peux dire, c’est que nous avons tout mis en œuvre pour faire des prévisions et des investissements responsables. Dès le départ, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons dit que nous devions faire beaucoup mieux et investir dans la défense. Je pense que vous pouvez constater que les dépenses du gouvernement dans la défense ont suivi une trajectoire ascendante constante et uniforme depuis notre arrivée au pouvoir. Notre nouvelle politique de défense contient maintenant un plan pour poursuivre sur cette voie afin d’atteindre les 1,76 %…

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous savez que c’est insuffisant. Le Canada est membre de l’OTAN. On va à l’OTAN. J’étais à Bruxelles le mois dernier. La position du Canada est gênante quand on parle avec les autres. Le seuil de 2 % est un plancher pour eux, et non un plafond. Vous le considérez comme un plafond, mais personne ne le considère comme un plafond là-bas. On en est encore très loin.

[Traduction]

M. Blair : À mon avis, notre contribution à l’OTAN peut être examinée de nombreuses façons. En fait, j’ai passé du temps avec le commandant suprême des Forces alliées. Nous avons examiné la contribution du Canada, le travail que nous effectuons en Lettonie et le leadership que les Forces armées canadiennes y assument. Notre contribution est importante à cet égard. Les 2 % — qu’on me comprenne bien — sont une obligation. Cela faisait partie de la déclaration du pays de Galles et a été réitéré à Vilnius. Le Canada a renouvelé son engagement à atteindre la cible des 2 %. Nous sommes en voie de le faire.

Je suis extrêmement fier de la contribution des Forces armées canadiennes à la paix mondiale et de leur contribution à nos alliés, et je n’ai pas honte de notre contribution...

[Français]

Le sénateur Carignan : Mais on s’entend pour dire qu’on ne parle pas des forces armées : elles font ce qu’elles peuvent avec les moyens que vous leur donnez.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être avec nous.

Voici ma question : quelles mesures sont prises pour renforcer la sécurité à la frontière et la gestion de l’immigration, tout en équilibrant les mesures de sécurité et les droits de la personne? Comment le gouvernement entend-il relever les défis liés à l’augmentation de l’immigration et des activités criminelles transfrontalières?

M. Blair : Je vous remercie beaucoup, sénateur.

Ce sont là des questions très utiles. Cela ne relève pas de mon mandat en tant que ministre de la Défense nationale, sauf si, en vertu de la Loi sur la défense nationale, le ministre de la Sécurité publique ou la GRC me demande de leur fournir du soutien pour aider les autorités civiles. Certains de mes collègues sont sans doute mieux placés que moi pour répondre à ces questions.

Je peux vous dire, monsieur, qu’assurer la sécurité de nos frontières est une priorité pour nous. L’une de nos obligations envers notre plus proche allié et partenaire, les États-Unis, est de contribuer de manière concrète et importante à assurer la sécurité de l’Amérique du Nord. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous procédons à un investissement très important dans la modernisation du NORAD, qui va accroître, par exemple, les capacités des systèmes de radar transhorizon, les capacités de détection et de défense de l’Amérique du Nord. La contribution du Canada dans ce dossier est très importante et proportionnelle. Nous y consacrons 38 milliards de dollars et le travail est déjà bien amorcé.

De plus, nos alliés, tant à l’OTAN qu’au sein du NORAD, les États-Unis et nos partenaires dans la région indo-pacifique nous ont dit clairement être très préoccupés par la sécurité dans le Grand Nord, en particulier par les activités hostiles de certains gouvernements et leur incursion dans cette région. Nous croyons que les Forces armées canadiennes ont un rôle très important à jouer pour assurer la sécurité de nos propres frontières, notre propre pays, et pour défendre la souveraineté du Canada dans l’Extrême-Arctique. On parle ici de l’ensemble de l’Extrême-Arctique. Nous n’avons pas une présence permanente là-bas. Nous devons en avoir une. Nous devons investir dans nos propres capacités et investir dans les gens qui y vivent, dans leurs communautés, afin que nous puissions tous bénéficier de ces investissements.

Le renforcement de notre périmètre nous aidera aussi dans notre relation avec les États-Unis concernant la grande frontière non défendue entre nous, parce qu’ils s’attendent — et ils nous l’ont dit très clairement — à ce que le Canada protège mieux son propre périmètre afin que la frontière que nous partageons avec notre allié et voisin le plus proche puisse demeurer libre.

La sénatrice Patterson : Monsieur le ministre, la mise à jour de la politique de défense qui a été publiée est vraiment encourageante. Je sais que votre travail vous passionne.

Je veux me concentrer sur les gens et, en particulier, sur les soins de santé. Je sais que cela vous a beaucoup étonné. Nous savons notamment que la crise dans les soins de santé au Canada se reflète aussi dans les Forces armées canadiennes, car vous êtes le ministre de facto chargé de la santé pour la quatorzième administration. Nous savons aussi que les services de santé sont un élément important dans la capacité de soutien logistique au combat. Par conséquent, nous nous concentrons sur l’Arctique. Nous avons des sénateurs qui viennent de l’Arctique ici, et nous savons aussi que l’accès aux soins de santé dans le Nord est presque inexistant. Je me demande simplement quel sera le rôle des Forces armées canadiennes dans, très précisément, la mise en place d’une capacité en matière de santé, qu’il s’agisse de plateformes pour l’évacuation médicale ou de l’utilisation du matériel spécialisé qui se trouve sur place pour offrir du soutien dans le Nord.

De plus, nous voyons ce qui se passe en Ukraine et le nombre de blessés. Si cela devait se produire ici un jour, le système de santé canadien serait-il en mesure de prendre en charge un grand nombre de blessés?

La première question porte sur le Nord, et la deuxième, sur la préparation du système de santé. Comment voyez-vous tout cela se dérouler?

M. Blair : Ce sont là de bonnes, mais difficiles, questions.

En ce qui concerne votre première question, j’ai parlé un peu des investissements que nous aurons à faire dans le Nord. Nous allons devoir y déployer des gens. Si nous voulons former des gens pour qu’ils travaillent et mènent des activités dans le Nord, nous devrons procéder à des investissements importants dans les infrastructures. Je pense ici à des pistes d’atterrissage, des routes, des usines de chauffage et des usines de traitement des eaux, mais il y a aussi d’autres infrastructures. Comme vous l’avez dit, je suis le ministre de la Santé, et aussi le ministre de l’Éducation et, apparemment, le ministre de la Justice pour les Forces armées canadiennes. C’est une responsabilité globale. Ce sont des discussions que j’ai, en fait, avec les premiers ministres des territoires du Nord, l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’ITK, et l’Assemblée des Premières Nations, l’APN, également. C’est une occasion pour nous de nous pencher sur les déficits très importants qui existent dans les infrastructures, y compris l’infrastructure en matière de santé dans le Grand Nord. En construisant de nouveaux aérodromes, par exemple, les gens pourront faire des allers-retours dans le Nord. En créant des capacités pour les Forces armées canadiennes, nous renforçons en même temps les collectivités où ses membres seront déployés. Je pense que nous avons là une véritable occasion à saisir.

Pour ce qui est d’être prêts à prendre en charge un grand nombre de blessés, il n’y a pas que les blessures physiques, même si elles sont certes nombreuses, mais aussi d’autres types de blessures. Les Ukrainiens nous l’ont montré. C’est une nouvelle réalité. L’Ukraine nous a appris beaucoup de choses. Les Ukrainiens en savent plus que quiconque sur les combats contre les Russes, parce qu’ils s’efforcent d’arrache-pied de les repousser depuis deux ans. La guerre a changé. On utilise de nouvelles technologies, mais les vieilles méthodes refont aussi surface. Par exemple, on revient aux guerres de tranchées, mais d’autres éléments sont venus s’y greffer: les drones, les cyberopérations et l’artillerie. Il faut maintenant tenir compte de nouvelles capacités qui posent de véritables défis, et nous en tirons des leçons. Nous offrons notamment — et je pense que c’est très important — de la formation médicale, que nous dispensons en Pologne et au Royaume-Uni, afin que les forces armées ukrainiennes soient en mesure d’aider leurs combattants à survivre à certaines blessures. Nous sommes conscients qu’il leur reste beaucoup de travail à faire, et sans doute nous aussi, si nous trouvons un jour dans la même situation. Pour accroître notre capacité à faire face à ces nouvelles menaces, nous devons examiner tous ces éléments. J’aimerais avoir des réponses plus complètes à vous donner, mais je pense que nous avons une occasion de le faire.

Le général Eyre m’a donné l’assurance qu’il sera en mesure de vous fournir de l’information plus complète lors de la prochaine séance.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous d’être avec nous.

Nous avons beaucoup d’information à digérer depuis les six dernières heures, après la conférence de presse à Trenton et notre séance d’information par Zoom aujourd’hui. Notre comité a mené une étude approfondie sur la souveraineté dans l’Arctique, et j’espère que l’information qu’elle contenait a pu vous aider à préparer vos recommandations. J’aimerais en savoir plus à ce sujet, mais, pour revenir à l’objet de votre présence ici, je vais passer à des questions concernant l’OTAN.

La semaine dernière, les alliés de l’OTAN ont convenu d’entamer la planification de leur soutien militaire à long terme à l’Ukraine. Il y a eu un débat sur la forme que cela pourrait prendre. Jusqu’à maintenant, l’OTAN a été réticente à participer directement à la défense de l’Ukraine, et la plupart de l’aide a fait l’objet d’accords bilatéraux. Je me demande ce que le gouvernement pense de l’idée que l’OTAN assume un rôle plus direct dans l’aide militaire à l’Ukraine. Est-il important que nous le fassions pour combler tout vide actuel et futur laissé par les États-Unis? Je me le demande, car cela change la donne en quelque sorte.

M. Blair : Je vous remercie de la question.

En fait, j’ai participé activement aux discussions. Je suis membre du Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine, qui a été mis en place principalement à l’initiative du secrétaire de la Défense des États-Unis. Les États-Unis en ont été le principal moteur, mais il y a aussi d’autres groupes. Le Commandant suprême des forces alliées de l’OTAN est responsable du groupe d’assistance à la sécurité pour l’Ukraine, le SAG-U, à Wiesbaden, qui coordonne la livraison de beaucoup de matériel. Le Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine est un excellent organe de coordination. Nous nous réunissons tous les deux mois. Le ministre Umerov nous fait des mises à jour sur la situation sur le champ de bataille, et le président Zelensky participe parfois aussi aux réunions, alors c’est une discussion très complète. J’ai personnellement été extrêmement rassuré et impressionné — et je tiens à vous rassurer à ce sujet — par le niveau d’engagement de tous nos alliés qui font partie du Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine, et, soit dit en passant, cela comprend tous les membres de l’OTAN. Cet engagement est solide, inébranlable et très impressionnant.

Cela dit, une proposition présentée initialement par les États-Unis a été adoptée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, sur la création d’une mission de l’OTAN en Ukraine. Elle ne se trouverait pas en Ukraine, mais sur un autre territoire. J’y suis favorable. J’ai eu beaucoup de discussions avec nos alliés et le secrétaire à l’OTAN. Je crois que l’on pourrait ainsi mieux coordonner notre appui collectif à l’Ukraine.

Cela dit, je ne suis pas de ceux qui désespèrent de voir les États-Unis maintenir leur soutien. Le secrétaire Austin et son gouvernement se sont montrés inébranlables. En fait, leur appui à l’Ukraine a été crucial au cours des deux dernières années. Ils se sont heurtés à des processus politiques difficiles. J’en ai fait un peu l’expérience moi aussi. Ils rencontrent des obstacles, mais je ne crois pas que nous devrions interpréter cela comme un soutien chancelant.

J’ai aussi pris part à une rencontre dernièrement organisée par le président Macron en France, à laquelle ont participé divers dirigeants européens. L’Europe souhaite ardemment intensifier ses efforts. Il est intéressant de constater que lorsque les Européens en parlent, ils incluent le Canada. Ils parlent des États-Unis et de tous les autres.

Nous travaillons tous fort pour apporter notre contribution, et je pense que la proposition de l’OTAN d’aller de l’avant avec une mission pour l’Ukraine recevra un soutien multilatéral solide. Certains alliés s’inquiètent, et je suis sûr que vous êtes au courant, à savoir si cela déclencherait l’article 5. Cette décision doit être prise de manière rigoureuse et réfléchie, mais l’intention est de mieux coordonner l’aide et d’appuyer plus efficacement l’Ukraine.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être avec nous aujourd’hui.

Je sais que nous en avons discuté brièvement, mais il s’agit d’un enjeu important. Monsieur le ministre, je vous félicite pour les investissements ambitieux de 73 milliards de dollars prévus d’ici 2044. Cependant, en raison de l’escalade des tensions géopolitiques, bon nombre d’alliés sont préoccupés de voir que l’engagement du Canada n’atteindra que 1,76 % du PIB d’ici 2029 pour ses forces armées. L’ambassadeur américain au Canada, David Cohen, a bien accueilli le plan en disant dans une déclaration :

La politique semble constituer un acompte substantiel en vue de remplir la promesse du Canada de respecter son engagement à l’OTAN de consacrer au moins 2 % de son PIB à la défense.

En tant que ministre de la Défense nationale, pensez-vous que cela sera accepté également par l’OTAN et nos alliés européens? Beaucoup croient — même s’ils vont applaudir à l’annonce d’aujourd’hui — que les 2 % devraient maintenant être un plancher, et non un plafond. N’aurions-nous pas pu faire en sorte dans le budget et les dépenses que les 2 % soient une priorité, au lieu de ne pas respecter entièrement notre engagement d’atteindre ces 2 %?

M. Blair : Je vous remercie, sénateur.

Je suis ministre de la Défense, et les ministres de la Défense sont toujours ambitieux et veulent tous en faire plus. J’aimerais faire part aux sénateurs de deux défis que nous avons.

L’un est d’obtenir des fonds. Dans le contexte financier actuel, où les Canadiens nous ont fait part de leurs préoccupations légitimes concernant l’abordabilité, le logement, les soins de santé, les soins dentaires et le soutien pour les personnes âgées, le gouvernement doit répondre à beaucoup de besoins. Parallèlement, je pense que les Canadiens sont de plus en plus nombreux à reconnaître qu’il faut investir davantage dans la défense nationale.

L’autre défi consiste ensuite à veiller à investir les fonds de manière à obtenir de bons résultats pour les Canadiens. Pour moi, chaque dollar de fonds publics doit être un investissement qui crée de la valeur pour la population. Il faut pour cela que nous ayons des processus d’approvisionnement rigoureux et prudents pour nous assurer d’en tirer le maximum, et cela peut s’avérer difficile.

Je plaisante parfois sur la situation dans laquelle je me trouve. Mes deux grands défis sont d’obtenir l’argent et de le dépenser. Je ne dis pas cela à la légère comme cela peut le sembler. Dépenser de l’argent, bien le faire et le faire de la bonne façon prend du temps. À vrai dire, cela prend trop de temps. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous engageons dans cette mise à jour de la politique de défense à examiner nos processus d’approvisionnement. Cependant, cela ne nous dispense en rien de la responsabilité de dépenser les fonds publics avec soin et d’en tirer le maximum.

Par exemple, dans notre document, nous parlons de la nécessité de remplacer nos sous-marins de la classe Victoria qui vieillissent et fonctionnent moins bien. En ce moment, nous ne sommes pas en mesure de dire ce que nous voulons. L’une des particularités propres au Canada, c’est que nous ne prenons pas d’engagement de dépenses avant d’avoir comptabilisé le montant. Ce n’est pas le cas de tous nos alliés de l’OTAN. Parfois, leurs documents de politique sont plus idéalistes que basés sur un engagement financier. Il nous faut un engagement financier et nous l’avons. Le document de politique tient compte aussi du fait que nous dépensons des fonds pour déterminer exactement quelles seront nos exigences en matière de surveillance sous-marine. Une fois ce travail accompli, nous avons dit que nous allons devoir remplacer, par exemple, notre flotte de sous-marins.

Cet investissement va nous mener facilement dans la fourchette des 2 %, mais nous avons du travail à faire pour y arriver. Je suis reconnaissant du soutien financier que nous avons reçu pour ce que nous devons, mais aussi pouvons, faire maintenant. Nous avons beaucoup à faire et nous allons le faire pour être fin prêts à bien investir ces fonds. Lorsque nous serons prêts, je suis convaincu que nous pourrons obtenir les fonds pour atteindre cet objectif. C’est l’assurance que nous pouvons aussi donner à nos alliés. Le Canada est un allié apprécié de tous ses partenaires de l’OTAN et du Groupe des cinq, et en particulier des États-Unis. Je pense qu’ils savent les efforts et les investissements extraordinaires que nous faisons dans le domaine de la défense après des années de négligence. Nous allons y arriver. Lorsque nous commencerons à recevoir les 16 navires de combat de surface et nos avions de chasse, nous aurons beaucoup de travail à faire : former les pilotes, construire les infrastructures, assurer le soutien et l’entretien. Je pense que nos alliés sont à même de constater que nos investissements dans l’aviation, la marine, l’armée et le Centre de la sécurité des télécommunications sont des éléments positifs pour les Forces armées canadiennes et la contribution du Canada à la sécurité mondiale.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être ici le jour même de cette annonce importante. Je vous remercie d’avoir coordonné le tout avec votre comparution aujourd’hui.

M. Blair : Je n’ai pas pensé à l’éclipse ou à la première partie à domicile des Blue Jays.

Le sénateur Cardozo : Beaucoup d’éléments ont convergé.

Comment en êtes-vous arrivés à ce pourcentage des 1,76 %? J’écoute les débats à la Chambre et les groupes qui témoignent devant nous. Personne ne dit que le gouvernement fédéral dépense suffisamment. Tout le monde dit que le gouvernement fédéral sous-finance la défense, les affaires étrangères, le cancer, le logement, etc. Comment vous et le Cabinet ou le premier ministre en êtes-vous arrivés à ces 1,76 %, et pas plus ou pas moins?

Mon autre question est la suivante : que font le ministère de la Défense et les FAC, les Forces armées canadiennes, pour remédier aux graves problèmes de l’inconduite sexuelle et du racisme systémique dans les forces?

M. Blair : Je vous remercie.

Premièrement, permettez-moi de vous donner un exemple de ce que nous avons examiné en vue de la mise à jour de la politique de défense et du budget nécessaire pour la mettre en œuvre.

Compte tenu de toutes les nouvelles responsabilités que nous assumons à l’OTAN, au sein du NORAD et, en particulier, ici, au pays, pour défendre notre pays, les Forces armées canadiennes doivent recruter. Actuellement, il nous manque 16 500 membres dans les forces régulières et la réserve. Nous devons régler ce problème. Nous devons renverser la vapeur et faire beaucoup mieux pour recruter et intégrer les gens de talent dont nous avons besoin dans les Forces armées canadiennes. Nous devons aussi faire beaucoup mieux pour maintenir en poste les excellents militaires que nous avons. Nous avons donc examiné les investissements nécessaires. En plus des 16 500 membres qu’il nous manque, nous avons besoin, selon le chef d’état-major de la Défense, de 14 000 recrues additionnelles.

Nous avons décidé de nous attaquer d’abord aux 16 500 membres qu’il nous manque actuellement. Lorsque nous réduirons ce nombre — et je pense que nous pouvons le faire et intégrer 10 000 nouveaux membres —, je suis convaincu de pouvoir revenir devant le gouvernement pour lui dire que nous avons réglé ce problème, que nous sommes sur la bonne voie, que nous pouvons recruter les gens dont nous avons besoin, et demander alors plus d’argent pour le faire. Pour arriver à faire tout le travail que nous devons faire, nous aurons besoin de 30 000 recrues dans la force régulière et la réserve. Nous devons aussi procéder à des investissements importants dans notre soutien civil pour l’approvisionnement et le recrutement.

Nous essayons d’être équitables envers les contribuables canadiens. Nous avons demandé les sommes que nous sommes convaincus de pouvoir dépenser maintenant. Une fois que nous aurons réglé certains problèmes liés au recrutement, à l’approvisionnement et dans d’autres dossiers, nous pourrons alors dire avec confiance aux Canadiens que nous sommes maintenant prêts à passer à la prochaine étape. Je suis prêt à revenir pour le faire.

Le sénateur Cardozo : Vous dites pouvoir atteindre 2 % d’ici 2029-2030 si vous atteignez ces cibles?

M. Blair : Encore une fois, monsieur, nous nous efforçons de composer avec un environnement où la menace et les technologies évoluent constamment. C’est ce qui nous a menés à la conclusion que ce sont les investissements que nous devons faire au cours des cinq prochaines années. Je crois qu’en raison de la rapidité avec laquelle la menace et les technologies évoluent, notre politique de défense doit être revue tous les quatre ans. Nous l’avons indiqué dans le document. J’ai aussi voulu harmoniser cela avec un autre élément que le comité considérera sans doute comme important. Notre document sur la politique de sécurité nationale sera, lui aussi, présenté tous les quatre ans. Je pense qu’ils sont liés. Il s’agit d’un budget de cinq ans, mais nous ne reviendrons pas avant quatre ans. On procédera à une évaluation de la menace et des nouvelles capacités que ces investissements nous permettent de mettre en place. Je crois que cela nous donnera l’occasion de revenir encore une fois devant le Parlement et les Canadiens en leur disant que nous sommes maintenant prêts à passer à l’étape suivante.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, monsieur le ministre, de prendre le temps d’être avec nous. Étant donné que votre document sort tout juste de presse, vous êtes conscient que nous n’avons pas pu l’examiner en détail, alors j’espère que vous reviendrez bientôt.

Pour commencer sur une note positive, je ne pense pas que l’on ait suffisamment souligné le rôle joué par les FAC lors des catastrophes au pays. Les feux de forêt n’ont pas encore commencé, mais cela s’en vient. J’ai examiné quelques rapports qui ont été publiés, et nous allons nous retrouver dans la même situation difficile que l’an dernier. Je tiens à souligner le rôle incroyable que les FAC ont joué, et à remercier, par votre entremise, ses membres pour leur travail.

J’étais à Vilnius et j’ai eu la chance de rencontrer l’état-major canadien qui s’y trouve et de constater le rôle important qu’il joue pour tenter de former un bataillon. Je peux vous dire que les gens apprécient ce que nous faisons, en raison de leur grande proximité avec la Russie. Je vous remercie donc de tout cela.

J’aimerais vous poser des questions sur la réaffectation des ressources. Comme vous le savez, quand on demande aux Canadiens de se joindre à l’armée, ils veulent avoir l’assurance que vous pouvez prendre soin de leurs familles et bien les installer. La politique prévoit une somme considérable pour divers éléments concernant les familles, notamment les soins de santé, mais j’aimerais parler du logement. Une somme de 295 millions de dollars sur une période de 20 ans, cela veut dire un peu plus de 14 millions de dollars par année. Comme vous le savez, notre parc de logements est vieillissant au pays. La plupart des bases militaires doivent être modernisées, et nous avons besoin de nouveaux logements pour répondre aux besoins de nos militaires. Étant donné que beaucoup de gens sont sur les listes de priorité à l’heure actuelle, pensez-vous que l’on arrivera à avoir suffisamment de logements pour répondre aux besoins et à moderniser ceux qui doivent l’être au pays?

M. Blair : C’est l’un des enjeux cruciaux dont nous nous occupons.

Nous avons prévu des fonds dans le budget pour le parc de logements. Il manque actuellement environ 7 000 unités au pays pour les membres des forces armées, mais nous avons aussi d’autres solutions. Par exemple, nous avons beaucoup de terrains. Ce sont en grande partie des terrains viabilisés où il y avait autrefois des logements familiaux, mais qui ne sont plus adéquats et utilisés. Nous examinons avec les commandants des bases, les collectivités locales et le secteur privé la possibilité de conclure des accords de partenariat public-privé, des PPP, afin de tirer parti de la valeur actuelle — je n’ai pas besoin de nouveaux fonds pour le faire — des terrains que nous avons.

D’autres fonds ont été annoncés pour les infrastructures, soit près de 6 milliards de dollars, et d’autres fonds encore pour la construction de logements locatifs. Nous avons beaucoup de moyens à notre disposition, en utilisant le budget relativement modeste que nous avons, la grande valeur des terrains que nous possédons et, à vrai dire, la créativité et le sens de l’innovation de nos gens afin de créer des solutions qui seront extrêmement avantageuses pour les membres des Forces armées canadiennes, ainsi que pour les collectivités où se trouvent nos bases. C’est le cas partout au pays. J’étais à la base de Borden au début de la semaine. Nous avons parlé aussi à des gens à Esquimalt et à Toronto.

Je tiens également à souligner que nous avons des manèges militaires partout au pays, et bon nombre ont été construits il y a plus d’un siècle, et ils sont presque tous situés dans les centres-villes. La plupart des réservistes vivent dans les banlieues. Nous pouvons les utiliser de plusieurs façons pour nous assurer que nos réservistes bénéficient des meilleures installations pour travailler. Nous pouvons aussi créer des logements. Nous examinons plusieurs approches novatrices à cet égard.

Le sénateur Yussuff : J’espère que les logements modulaires en font aussi partie. Comme vous le savez, ils sont construits à partir de plans industriels. Ils peuvent être assemblés et placés sur les bases militaires.

M. Blair : Puis-je ajouter autre chose? Nous avons besoin de logements pour les membres des Forces armées canadiennes, mais je veux aussi bâtir des quartiers pour eux. Je veux que ce soient de bons milieux pour leurs enfants et leurs familles. Il faut penser aux familles des militaires. Je suis d’accord. Il y a des solutions et des idées novatrices et géniales pour différents types de logements. Il n’y a pas de modèle unique, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous voulons que ce soit adapté aux besoins particuliers des collectivités où les bases se trouvent. Il est également important de bâtir pour eux des quartiers où il fait bon vivre et élever leurs enfants. Nous leur demandons tellement de sacrifices. Quand nous leur disons que nous allons les transférer à un endroit pendant trois ans, ils doivent déraciner leur famille, trouver des services de garde et un médecin de famille pour leurs enfants. Nous leur en demandons beaucoup. Nous voulons les soutenir. Nous voulons alléger une partie de la pression afin qu’ils aient accès à des services de garde quand ils en ont besoin, à des logements décents et à la possibilité de vivre dans un bon quartier.

La sénatrice Dasko : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence.

J’aimerais vous interroger sur la situation en Ukraine et sur l’évaluation que vous en faites. J’ai peut-être posé la même question la dernière fois que vous êtes venu témoigner, mais, bien sûr, le monde change et la situation évolue.

Je voudrais que vous nous parliez de l’analyse que vous faites de ce qui se passe en Ukraine, et en particulier de la force des Russes, s’il vous plaît. Au cours de la première année du conflit, l’Ukraine semblait avoir le dessus. Maintenant, les Russes semblent se relever et se présenter avec une grande force. Pouvez-vous décrire la situation et nous dire quelle direction elle prend, à votre avis? Quels sont les scénarios que vous envisagez pour la suite des choses dans cette guerre?

M. Blair : Merci, sénatrice. Nous nous soucions tous de l’Ukraine, vraiment, et nous sommes très préoccupés par la façon dont la situation évolue.

Il y a un an, la dernière fois que nous en avons discuté, nous avions le sentiment qu’il faudrait beaucoup de temps à la Russie pour reconstituer ses forces armées et rétablir son approvisionnement et sa production militaires. Elle avait subi des pertes importantes, voire disproportionnées. Elle avait épuisé une grande partie de ses munitions. Puisqu’elle est dirigée par un gouvernement autocratique, la Russie a pu, malheureusement, réoutiller son industrie. Elle dispose maintenant d’une force, d’une masse de personnes, de matériel et d’artillerie. La situation est de plus en plus difficile. Nous espérions beaucoup de l’offensive de l’été en Ukraine. Elle a produit quelques résultats positifs, mais la plupart d’entre eux sont mis en péril aujourd’hui, car les Russes s’accrochent vraiment.

Les militaires ukrainiens ont réussi à accomplir des progrès très importants. Nous devons également souligner qu’ils sont soumis à une pression énorme. Tous les alliés — je nous inclus là-dedans, mais il s’agit de tous les alliés — ont mis trop de temps à combler le manque de soutien matériel. Nous cherchons des moyens d’accélérer les choses.

Par exemple, je peux vous dire que les Ukrainiens ont désespérément besoin de munitions d’artillerie de 155 millimètres. La puissance de feu des Russes est trois ou quatre fois supérieure à celle des Ukrainiens, voire plus. Cette situation change le cours des choses sur le champ de bataille. Je suis sur le point d’investir 300 millions de dollars dans la production canadienne des munitions en question et d’offrir des contrats à long terme, mais il faudra deux ans et demi pour les livrer. J’ai conclu un protocole d’entente avec les Tchèques pour l’achat de munitions qu’ils ont pu acquérir de sorte que nous puissions les livrer rapidement à l’Ukraine. Près de 60 millions de dollars de notre investissement en Ukraine viseront à ce que cette artillerie lui parvienne le plus rapidement possible.

L’Ukraine a également des besoins importants en matière de défense aérienne et de défense antimissile. Les Ukrainiens ont accompli des choses extraordinaires en ce qui a trait à la technologie des drones. De plus, j’ai rencontré leur ministre des Industries stratégiques. Ils ont appris beaucoup de choses sur cette technologie et son utilisation sur le champ de bataille. Je pense qu’ils en ont à nous apprendre. Nous y travaillons et nous investissons dans leur industrie. Ils font profiter notre industrie de leurs connaissances. Il y a là quelque chose de bénéfique.

À vrai dire, je ne désespère pas. La combativité des Ukrainiens est extraordinaire. Ils ont un courage incroyable. Ils ont grandement fait preuve d’ingéniosité et d’innovation dans leur réponse. Ils ont clairement indiqué qu’ils étaient soumis à une pression énorme quant à leurs besoins, tant en soldats qu’en matériel. Nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nous sommes tous déterminés à l’accomplir.

Je vous dirai que chaque jour, je passe deux ou trois heures à discuter avec nos alliés parce que nous sommes tous concentrés sur ce qu’il faut faire pour l’Ukraine.

La sénatrice Dasko : Je voudrais revenir sur une chose que vous avez dite en réponse à une question de la sénatrice Deacon, toujours à propos du soutien à l’Ukraine. Vous avez parlé de la réticence des Américains... Évidemment, ils n’ont pas encore adopté leur programme de dépenses. Vous avez dit qu’ils rencontraient des obstacles, alors que d’autres analystes considéreraient le fait que les Américains n’aient pas adopté leur programme de dépenses pour l’Ukraine comme quelque chose d’extrêmement important.

M. Blair : On m’a accusé d’être trop optimiste, mais je travaille avec les Américains depuis longtemps. Je juge que les personnes avec lesquelles je traite ont une grande force de caractère et sont déterminées. Elles sont absolument déterminées à soutenir l’Ukraine.

La sénatrice Dasko : Vous pensez que les Américains fourniront l’argent?

M. Blair : Je vais vous parler de mon collègue, le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin. Je ne connais pas d’homme plus résolu que lui à défendre l’Ukraine et l’ordre international fondé sur des règles sur lequel nous comptons tous. On parle d’une force incroyable, d’un leadership extraordinaire dans ce dossier.

Je comprends. Nous voyons que le contexte politique est complexe aux États-Unis. De plus, le pays est dans une année électorale, ce qui a évidemment ajouté à la dynamique. En même temps, je ne suis pas prêt à jeter l’éponge. Cela dit, tous nos autres alliés — autres que les États-Unis — et nous, nous disons que pendant que les Américains résolvent la question, le reste d’entre nous doivent en faire davantage.

La sénatrice Duncan : Je vous remercie, monsieur le ministre, vous et vos collaborateurs, de votre présence.

J’aimerais également exprimer ma reconnaissance. En lisant le document que nous venons tout juste de recevoir et que nous avons pu examiner, je peux voir le point de vue des trois sénateurs et des trois premiers ministres du Nord. Je vous remercie.

Cela dit, les trois territoires sont bien différents. Je dis toujours que c’est comme comparer des pommes, des oranges et des bananes. Le Yukon, qui est ma région, a une très grande frontière non défendue avec l’Alaska. Vous avez parlé d’engagements concernant des avions de combat F-35. Honnêtement, en tant que Yukonaise, je remercie le ciel tous les jours que les F-35 basés en Alaska soient beaucoup plus proches que ceux de Cold Lake. Vous avez parlé de nos relations avec les États-Unis, et les relations entre l’Alaska et le Yukon sont très importantes.

Vous voudrez peut-être, monsieur le ministre, que vos collaborateurs répondent à la question par écrit. Comment comptez-vous faire pour que l’engagement envers le Nord dont il est question dans le document tienne compte des différences entre les trois territoires et que le tout soit réparti sur l’ensemble d’entre eux?

M. Blair : Nous envisageons de créer ce que nous appelons cinq centres de soutien du Nord. Nous n’avons pas encore déterminé leur emplacement, mais nous savons que nous devons les établir. Cela nous donnera l’empreinte géographique régionale dont nous avons besoin. Nous serons toujours basés à Cold Lake et à Comox, mais nous devons être en mesure de mener des opérations là-haut, ce qui signifie qu’il nous faut pouvoir y atterrir et faire des allers-retours assez régulièrement. Il existe d’autres technologies, comme les systèmes d’aéronefs télépilotés ou les drones. Nous en faisons également l’acquisition. Il s’agit là de présences très importantes pour la surveillance.

J’ai beaucoup parlé à Ranj Pillai au cours de la fin de semaine dernière. Il veut que je crée une réserve au Yukon. Il a raison. L’un des atouts les plus précieux dont nous disposons — il s’agit davantage d’une possibilité que d’un atout à l’heure actuelle —, ce sont les Rangers. Les Rangers qui sont dans le Nord sont extraordinaires, mais nous pouvons faire mieux. Nous pouvons mieux les soutenir si nous augmentons notre présence. Je veux en tirer parti au maximum. C’est leur territoire. Ils connaissent le terrain. J’ai parlé à Natan Obed et à la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse Nepinak. Tous sont désireux de travailler avec nous, mais ils veulent qu’on les consulte comme il se doit. Ils veulent que nous comprenions les besoins particuliers de leur région du Nord et nous sommes absolument déterminés à le faire.

D’ailleurs, maintenez la pression sur nous, s’il vous plaît.

Je croyais auparavant que la souveraineté se résumait au passage occasionnel d’un avion ou d’un navire après la fonte des glaces. Dans le Nord, on m’a dit qu’il ne s’agissait pas de survoler le territoire une fois de temps en temps. On parle d’infrastructures, telles que des routes et des aéroports. On parle d’usines de traitement des eaux, de fibres optiques, de communications, de traitements médicaux et d’éducation. Il s’agit de construire des collectivités dans le Nord où les Forces armées canadiennes peuvent travailler et mener leurs activités efficacement, mais où les habitants... Il s’agit de leurs collectivités, et nous les soutiendrons également.

Dans le cadre du travail que nous avons accompli au cours des derniers mois, nous avons opéré un virage très important en matière de politique de défense. Auparavant, l’accent était mis sur nos engagements internationaux, notamment dans le cadre de l’OTAN et du NORAD, évidemment, mais je pense que l’on a critiqué à juste titre le fait que le Canada ne se concentrait pas suffisamment sur la défense de son propre pays et de son continent. Nous parlons de la souveraineté dans l’Arctique. Si un autre pays la défend, ce n’est pas notre souveraineté, c’est la sienne. Nous devons être présents. Nous avons un rôle à jouer. J’espère que le document vous montre que nous sommes prêts à intervenir.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

Chers collègues, voilà qui met fin à notre entretien avec le ministre Blair cet après-midi. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de venir témoigner aujourd’hui. Nous savons que votre emploi du temps est très chargé, comme le montrent les dossiers sous votre responsabilité. C’est un travail qui s’exerce 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et nous vous remercions vivement pour le temps que vous nous avez consacré ainsi que pour la franchise et l’ouverture dont vous avez fait preuve en répondant aux nombreuses questions qui vous ont été posées aujourd’hui. Nous vous souhaitons beaucoup de succès. Nous vous remercions d’avoir fait cela, non seulement en notre nom, les sénateurs ici présents, mais aussi au nom des Canadiens de partout au pays qui comptent sur vous et sur le gouvernement pour les protéger. Nous vous remercions et vous adressons nos meilleurs vœux.

Chers collègues, les représentants du ministère de la Défense nationale et du Centre de la sécurité des télécommunications resteront avec nous pendant environ une heure pour continuer à discuter de questions liées au mandat du ministère. Au cours de la dernière heure, nous avons eu le plaisir d’entendre le ministre de la Défense nationale, l’honorable Bill Blair, sur le sujet, et nous continuerons maintenant à poser des questions au général Eyre, au sous-ministre adjoint, M. Crosby, à la sous-ministre déléguée, Mme Kim, et à la cheffe du Centre de la sécurité des télécommunications, Mme Xavier. Je demande aux membres du comité d’indiquer à qui s’adresse chacune de leurs questions, si possible.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse au général Eyre.

J’aimerais aborder avec vous le problème du déficit sur le plan des ressources humaines et du recrutement. D’un côté, on parle d’une urgence, qui est réelle, mais de l’autre, on pose des gestes qui semblent plutôt à long terme. Si nous voulons être efficace, ce n’est pas en visant 2032 que nous allons sérieusement ramener les effectifs au niveau où ils doivent être.

Avec l’immigration, le Canada est devenu un pays de 41 millions d’habitants. Vos efforts de recrutement attirent-ils ces nouveaux Canadiens, ou ceux-ci ont-ils peu ou pas d’intérêt à se joindre aux forces armées? L’armée est-elle capable de refléter la nouvelle mosaïque démographique de notre pays?

Général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Merci beaucoup pour la question. C’est une priorité pour moi d’augmenter les effectifs au sein des Forces armées canadiennes. Pendant les dernières années, nous avons eu un programme de reconstitution uniquement pour cela. Je suis très content d’annoncer aujourd’hui que nous avons eu du succès au cours de la dernière année.

[Traduction]

Vendredi, on m’a informé que, d’après les chiffres de la fin février et du début mars, l’effectif de la Force régulière des Forces armées canadiennes devrait augmenter — les chiffres précis ne sont pas encore connus — de 214 membres, et ce, après trois années durant lesquelles il était en baisse. De même, l’effectif de la Force de réserve a augmenté de plusieurs centaines de personnes.

Nous entamons le nouvel exercice avec plus de recrues en attente qu’au cours des trois dernières années. C’est en février que le nombre de candidats par mois a été le plus élevé au cours des cinq dernières années.

Sénateur, nos efforts commencent à porter fruit et je suis donc prudemment optimiste. Cela dit, nous ne pouvons pas nous traîner les pieds. Nous devons continuer.

[Français]

Nous avons beaucoup d’initiatives en matière de recrutement afin d’accélérer le processus, soit les normes médicales communes à l’enrôlement.

[Traduction]

Comme le ministre l’a annoncé, nous nous penchons sur la création d’une période probatoire.

De nombreux projets pilotes sont en cours. Je mentionnerai notamment le test d’aptitude des Forces armées canadiennes. Nous avons constaté qu’un grand nombre de personnes qui souhaitent postuler sont, faute d’un meilleur terme, réticentes à passer le test d’aptitude. Nous l’avons retiré pour un grand nombre de professions. Nous l’avons écarté et il aura lieu plus tard dans le processus. Cela se poursuit.

[Français]

Vous avez parlé du nombre d’immigrants dans notre pays; vous avez raison sur ce point aussi.

[Traduction]

Dans notre pays, 23 % de la population est née à l’étranger. Le problème auquel nous sommes confrontés concerne les autorisations de sécurité. Il ne s’agit pas d’un problème propre aux forces armées, mais d’un problème au gouvernement du Canada. Nous faisons preuve de leadership pour y remédier. Toute personne ayant un lien d’appartenance avec un autre pays doit faire l’objet d’un examen de sécurité approfondi.

Tout récemment, nous avons signé un protocole d’accord avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour permettre la mise en commun des données afin d’accélérer le processus d’autorisation de sécurité. La semaine dernière, nous avons signé un contrat pour un nouveau logiciel de sécurité afin d’accélérer le traitement des autorisations de sécurité, car, très franchement, le logiciel dont nous disposions tombait en ruines.

Il n’y a pas de solution miracle, mais ensemble, toutes ces mesures nous permettront de continuer à renforcer les Forces armées canadiennes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Kim.

Le Hill Times nous apprenait que votre ministère a dépensé 1,2 milliard de dollars au cours de la dernière année en frais de consultants de toutes sortes. La recherche nous a également permis d’apprendre que 60 % des employés du ministère ne travaillent pas réellement pour le gouvernement; ils sont sous la direction de contractants. C’est énorme, quand on pense à la dimension de la fonction publique fédérale. C’est inquiétant aussi quand on pense aux enjeux liés à la sécurité. Trouvez-vous cela normal? Qu’est-ce qui justifie cela? Lorsqu’ils travaillent pour des contractants, est-ce parce que les gens sont mieux rémunérés que vos fonctionnaires?

Natasha Kim, sous-ministre déléguée, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Merci pour la question, sénateur. C’est un enjeu complexe. Il est vrai que le ministère de la Défense nationale dépense beaucoup en contrats d’approvisionnement, mais c’est parce qu’il y a beaucoup de projets : les projets en capital, l’approvisionnement, l’achat des plateformes, des avions, et cetera. Si on regarde nos dépenses, on parle de presque 5 milliards de dollars par année, mais la moitié de cette somme représente des services, par exemple en ingénierie, qui sont des services très spécifiques, très spécialisés et liés à l’approvisionnement de matériel très important aux plateformes ou à d’autres choses de ce genre.

Ce n’est pas toujours simple de dire que des gens qui travaillent pour des contractants vont remplacer des employés. Par exemple, avec les employés militaires et les employés civils, nous dépensons des milliards de dollars en salaires. C’est vraiment un équilibre. Est-ce toujours parfait? Je pense que non. C’est vraiment une chose que nous examinons au ministère pour nous assurer que nous avons de bonnes habiletés et des capacités avec la fonction publique.

[Traduction]

La sénatrice Patterson : En fait, je vais changer un peu de sujet et parler de l’équipement. Je pensais que M. Crosby serait ici, mais je pense que le général Eyre devra peut-être répondre à ma question.

Nous avons beaucoup parlé de la mise à jour de la politique de défense et des capacités de détection, en particulier. Je vois l’élément qui concerne les capteurs maritimes. Récemment, je suis allée aux États-Unis dans le cadre des activités de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Je fais partie d’une sous-commission sur la transformation des capacités de défense de l’OTAN. Nous avons visité une installation où les Forces navales des États-Unis sont en train de construire les radars SPY-6. Nous étions accompagnés de nombreux autres affiliés à l’OTAN qui investissent également là-dedans. C’était impressionnant, probablement comme il se doit compte tenu de l’importance de ce qu’on y fait, mais c’est aussi très intéressant à voir, à la fois du point de vue de l’entreprise et du point de vue de l’interopérabilité de la défense. Je me suis demandé où en était le Canada sur ce plan. Puisque j’étais la seule Canadienne du groupe, je me suis moi-même posé la question.

Lorsque je suis revenue et que j’ai creusé un peu plus la question, j’ai été surprise d’apprendre que le Centre de la sécurité des télécommunications était en train de concevoir son propre système de radar intégré. En matière d’acquisition, il est très important de disposer des plateformes, mais c’est aussi une question de rapidité et de dépense. S’il est bon que les contribuables en aient pour leur argent, il est également très important de garantir aux membres des Forces armées canadiennes qu’ils auront ce dont ils ont besoin sur les plans de la sécurité, de l’intégration et de l’interopérabilité.

Je vous pose ma question. Quel avantage le Canada tire-t-il de la construction d’un radar que la plupart de nos principaux alliés n’utiliseront pas, et cela nous place-t-il sur une voie divergente par rapport à l’un de nos principaux alliés du côté de la marine, à savoir les Forces navales des États-Unis et le système de combat Aegis?

Je vais vous poser ma deuxième question. Est-ce qu’il en résultera une augmentation importante des dépenses ou un retard dans le calendrier pour répondre à un besoin clé de l’Arctique en matière de détection dans l’environnement maritime?

Gén Eyre : Monsieur le président, peut-être pourrions-nous demander à M. Crosby de venir nous rejoindre. Pendant ce temps, je peux répondre à vos questions de manière générale.

Comme en témoigne la mise à jour de la politique de défense que nous vous avons fournie aujourd’hui... Et je dirai que c’est une très bonne nouvelle pour les Forces armées canadiennes. Nous pouvons entrer dans les détails, mais c’est perçu de manière très positive. Dans la mise à jour de la politique de défense, il est question du caractère changeant de la guerre. L’une des composantes du caractère changeant de la guerre est ce que l’on appelle la bataille de signatures ou la « gestion des signatures ».

Si l’on songe à la révolution de la frappe de précision, si l’on peut voir quelque chose, on peut le cibler, et s’il peut être ciblé, il peut être éliminé, de sorte que la technologie des capteurs est extrêmement importante pour l’avenir. Les technologies évoluent rapidement, qu’il s’agisse de la technologie des capteurs en tant que telle ou des systèmes de commandement et de contrôle qui s’accompagnent de ces capteurs, et nous devons continuer à être à la pointe du progrès. L’accélération du développement technologique fait en sorte qu’il est absolument nécessaire de s’adapter. Il est essentiel que les Canadiens, l’industrie canadienne et les Forces armées canadiennes participent à la recherche et développement, car les progrès vont se poursuivre.

Troy Crosby, sous-ministre adjoint, Matériels, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Je peux ajouter quelque chose.

Certains d’entre nous se sont rendus dans les installations de Lockheed Martin aux États-Unis, où l’on est en train de mettre au point le radar SPY-7. Nous ne sommes pas le premier client pour ce radar. Un certain nombre de pays souhaitent en faire l’acquisition, dont le Japon, qui a récemment mis à l’essai le SPY-7 pour ses applications en mer, un essai qui s’est avéré réussi. L’Espagne est également en train d’acquérir une variante de la technologie de radar SPY-7. Nous suivons le processus avec Lockheed Martin Canada, notre partenaire, pour intégrer le radar SPY-7 au système Aegis, qui faisait déjà partie de la solution proposée en 2019. On connaît très bien cette technologie là-bas.

Nous espérons que ce sera livré à temps pour équiper notre installation d’essai à terre, puis le navire de combat de surface canadien, ou NCSC. Selon le calendrier actuel, nous commencerons la construction à faible cadence concernant le NCSC au milieu de l’année et la production à plein régime l’année prochaine, de sorte que toute cette technologie sera mise en place.

Le sénateur Loffreda : Encore une fois, je vous remercie de votre présence.

Nous parlons de technologie et ma question s’adresse au général Eyre. Comment les Forces armées canadiennes s’adaptent-elles aux nouvelles menaces, comme la cyberguerre et les tactiques de guerre hybride? Êtes-vous satisfait des ressources et des efforts qui sont déployés à l’heure actuelle pour renforcer les capacités de défense du Canada en matière de cybersécurité?

Gén Eyre : Monsieur le président, nous sommes dans un environnement de sécurité qui requiert impérativement des efforts constants d’adaptation, de changement et d’apprentissage.

Comme l’indique la mise à jour de la politique de défense, nous mettons en place un cybercommandement au sein des Forces armées canadiennes. Vous aurez constaté qu’il y a des investissements importants au Centre de la sécurité des télécommunications concernant le cyberespace. Le cyberespace est devenu l’un des cinq domaines de combat que nous devons continuer à intégrer aux domaines traditionnels — terre, mer, en surface et sous la surface, air, espace et maintenant cyberespace. Lorsqu’il s’agit de la technologie, il sera de plus en plus important d’intégrer ces domaines — nous parlons d’opérations dans l’ensemble des domaines.

Il n’existe pas de technologie miracle, mais l’histoire a montré, et l’avenir continuera de le montrer, que le secret de la victoire réside dans ce qui consiste à intégrer ces technologies et à continuer d’étudier la façon dont elles sont utilisées et la façon la plus novatrice de les utiliser, ainsi que la manière dont nous pouvons rapidement tirer ces leçons de l’endroit où elles sont observées et les intégrer dans notre propre force.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous d’être présents aujourd’hui et de continuer à répondre à nos questions.

Je vais poser ma question au général Eyre, qui pourra décider s’il y a lieu de demander à d’autres personnes d’y répondre. Elle concerne les nouveaux navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique de la Marine royale canadienne. Je suis sûre que nous avons tous entendu parler des problèmes et des frustrations à cet égard. En février, les médias ont rapporté quelques problèmes au sujet de ces navires : des problèmes concernant l’ancrage, un système de ravitaillement trop difficile à utiliser, des zones inondées dans les navires, la présence de plomb dans l’eau potable et des problèmes de remorquage d’urgence. Le pire, c’est que ces navires avaient, je crois, un an ou moins d’un an — pas beaucoup plus d’un an... Cela a une incidence sur les garanties et les coûts de réparation. Avons-nous déjà une idée de la mesure dans laquelle la situation a ralenti les choses, du coût des réparations et des répercussions qu’ont ces défauts ou ces problèmes sur la capacité opérationnelle de la marine?

Gén Eyre : Je vais dire quelques mots, monsieur le président, puis je passerai à nouveau la parole à M. Crosby.

Généralement, avec tout nouveau grand équipement de ce type qui sort pour la première fois de la chaîne de montage, il y a bien sûr des difficultés au début. Si on examine la courbe en baignoire du temps moyen de défaillance au fil du temps, on constate qu’au début, alors qu’on tente d’éliminer les pépins, c’est ce qui se passe.

J’ai déjà visité trois de ces navires, et je peux vous dire que les marins qui y sont en sont universellement satisfaits. En fait, il y a un peu plus d’un mois, j’étais sur le NCSM Margaret Brooke en Jamaïque, et les marins ne tarissaient pas d’éloges sur leur navire, et, bon sang, c’était un équipage bien soudé, et ils étaient heureux d’y être.

Oui, il y a eu quelques enjeux techniques, et je demanderai à M. Crosby d’en parler.

M. Crosby : Je pense que le chef d’état-major de la Défense a déjà très bien répondu à la plupart des questions.

Je peux ajouter qu’aucun des problèmes que nous avons constatés n’est lié à l’usure des navires. Il s’agit d’enjeux dus au fait que c’est une nouvelle conception. Ces navires, de première classe et de première génération, traversent leur période initiale d’opérations en mer, et nous constatons des problèmes, ce qui n’est pas surprenant. C’est bien sûr décevant. Nous aimerions pouvoir mettre les navires en service sans rencontrer ce genre de problèmes, mais nous avons l’équipage et, surtout, nous avons la capacité industrielle et l’expertise nécessaires pour résoudre ces enjeux. Les défauts ou les problèmes constatés sur certains navires ont été corrigés ou sont en voie de l’être, et je pense que cela me donne une grande confiance dans notre capacité à assumer la livraison beaucoup plus complexe du combattant de surface canadien dans les années à venir.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Je pense que c’est comme une voiture qui doit être réglée, mais à une tout autre échelle.

Pour en revenir à la partie précédente de la question, à savoir les marchés publics, il y a eu aujourd’hui quelques annonces majeures vraiment importantes que nous sommes en train d’examiner, mais je pense que nous sommes à la traîne par rapport à d’autres pays en ce qui concerne la rapidité et l’exécution des marchés publics. De nombreux ministères participent au processus. Je me demande s’il n’est pas temps d’envisager de tout confier au ministère de la Défense pour essayer de simplifier la chose. J’ai entendu quelques allusions à ce sujet, mais à la lumière des engagements pris en matière de marchés publics dans la politique d’aujourd’hui, nous pourrions consolider le processus, plutôt que d’être dispersé dans autant de ministères.

Mme Kim : C’est un excellent point, sénatrice.

Je note que, dans le cadre de la politique, il y a l’engagement d’entreprendre un examen des marchés publics afin que nous puissions définitivement apporter les corrections nécessaires. En fait, Services publics et Approvisionnement Canada est déjà en train de le faire. Il a commencé, et avec cet engagement, nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout.

Nous savons que ce qui est vraiment important, comme l’a dit le ministre, ce n’est pas seulement d’obtenir l’argent, mais aussi d’être en mesure de le dépenser et de le faire de manière prévisible, car plus il y a de retards, moins le même dollar aura de pouvoir d’achat. C’est absolument une priorité pour nous et, comme l’a fait remarquer le ministre, c’est aussi un élément clé pour la prochaine étape.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, chers témoins, d’être ici. J’aimerais revenir aussi sur une question au sujet de l’équipement.

Combien de nos 12 frégates peuvent être entièrement équipées et déployées aujourd’hui? Nous avons également une frégate actuellement déployée en mer de Chine méridionale. Ces frégates sont-elles pleinement équipées et capables de se défendre?

Gén Eyre : Nous n’avons pas de frégates actuellement déployées dans cette partie du monde. Toutefois, le NCSM Montréal sera déployé au cours des prochaines semaines. Il sera dans cette région au cours des prochains mois, suivi plus tard au cours de l’été par le NCSM Ottawa et le NCSM Vancouver, je crois, mais ne me citez pas sur ce point. Nous aurons donc trois navires en opération dans le Pacifique au cours de l’année. Je ne sais pas combien d’entre eux sont fonctionnels à l’heure actuelle. Mais oui, nous en déployons trois cette année, plus un en Europe.

Le sénateur Oh : Avez-vous dit que nous n’avons pas de navire actuellement en Asie?

Gén Eyre : Nous n’avons pas actuellement de navire opérant dans le Pacifique occidental, mais nous en aurons un dans les mois à venir.

Le sénateur Oh : Combien de nos escadrons de CF-18 disposent d’un effectif complet de pilotes et de personnel au sol, leur permettant d’être déployés dès aujourd’hui s’il y avait des opérations de combat?

Gén Eyre : Monsieur le président, nos F-18 se trouvent dans ce que nous appelons un état de préparation par paliers. La priorité est pour le NORAD, et ils sont prêts à partir très rapidement, en quelques minutes, selon les besoins. Pour le soutien à l’OTAN, je ne peux pas entrer dans les détails exacts parce que c’est confidentiel, mais il y a un système de préavis de 10, 30 et 180 jours.

Ce n’est un secret pour personne qu’il manque de pilotes et de personnel au sol, et nous travaillons d’arrache-pied pour corriger la situation. L’arrivée du F-35 suscite beaucoup d’intérêt, et l’avenir de l’armée de l’air et de la communauté des chasseurs s’annonce donc très positif.

Le sénateur Oh : Il y a environ cinq ans, j’ai eu l’honneur de naviguer sur le NCSM Charlottetown de St. John’s à Iqaluit pendant trois nuits et quatre jours. Nos hommes et nos femmes de la marine se portent bien.

Gén Eyre : Nous sommes très fiers d’eux.

Le sénateur Boehm : Ma question s’adresse à Caroline Xavier. Avec les annonces faites aujourd’hui, et alors que la loi constituant le CST a presque cinq ans, que va faire votre organisation avec ces investissements supplémentaires, compte tenu de l’environnement de polycrise dans lequel nous nous trouvons actuellement, où presque toutes nos institutions, y compris notre propre Sénat, sont constamment frappées par des cyberattaques? Pourrez-vous investir plus en technologie, en équivalents temps plein et en personnel? Pourriez-vous nous donner votre point de vue, dans la limite de ce qu’il vous est permis de nous dire?

Caroline Xavier, cheffe, Centre de la sécurité des télécommunications : Je vous remercie de cette question. Je suis heureuse d’avoir l’occasion d’y répondre.

Nous nous réjouissons de l’annonce faite aujourd’hui dans le cadre de la conférence Notre Nord fort et libre : une vision renouvelée de la défense du Canada. Elle s’appuie sur une annonce faite dans le budget 2022, qui prévoyait déjà des investissements dans le Centre de la sécurité des télécommunications, en particulier en raison des cyberopérations étrangères qui ont été intégrées à notre loi en 2019, comme vous l’avez souligné. Depuis l’investissement en 2022, nous avons travaillé main dans la main avec nos collègues des Forces armées canadiennes pour pouvoir continuer à faire ce que nous devons faire et en veillant à ce que nous comprenions bien ces nouveaux pouvoirs qui nous ont été donnés.

Si l’on considère l’investissement annoncé aujourd’hui, et notamment cette tranche d’un milliard de dollars sur les 8 milliards des cinq prochaines années pour le Centre de la sécurité des télécommunications et la capacité d’investir réellement dans nos opérations cybernétiques à l’étranger, je pense que cela nous permettra de continuer à défendre et à protéger le Canada. Nous n’avons en effet pas toujours été en mesure d’utiliser ces capacités cybernétiques à l’étranger conjointement avec nos partenaires, et en particulier avec ceux du Groupe des cinq, de manière à nous mettre à l’abri de la cybercriminalité, des extrémistes et des différentes manifestations du terrorisme. Nous savons déjà ce que nous sommes capables d’accomplir, mais nous pourrons en faire encore davantage en conjuguant mieux nos efforts avec ceux de nos forces armées. Parce que nous disposons des pouvoirs nécessaires, les Forces armées canadiennes travaillent déjà de concert avec nous. L’investissement annoncé aujourd’hui va nous permettre de nous doter de nouvelles capacités pour continuer à protéger le Canada et à nous défendre contre les nombreuses menaces qui ne cessent d’évoluer.

Le sénateur Boehm : Merci.

Le sénateur Cardozo : Général Eyre, je voudrais prendre un moment pour vous remercier des services que vous avez rendus au Canada. Vous avez récemment annoncé votre départ à la retraite. Je vous remercie d’avoir servi le Canada, en particulier à titre de Chef d’état-major de la Défense.

Ma question porte sur l’Ukraine, dans la mesure où vous pouvez discuter de ces choses. Lorsque nous avons de tels échanges, je me demande toujours si l’ennemi est à l’écoute, et nous savons que c’est le cas. À quel point l’Ukraine se retrouve-t-elle en mauvaise posture? Vous nous avez dit tout à l’heure que la Russie est, en quelque sorte, en train de se réarmer ou de refaire ses forces. Où en sont les choses aujourd’hui et comment vont-elles évoluer selon vous au cours des prochains mois?

Gén Eyre : C’est une question difficile.

De mon point de vue, la guerre en Ukraine s’est transformée en guerre d’usure. Aucune grande guerre n’est jamais aussi rapide que l’auraient souhaité ceux qui l’ont déclenchée. En général, c’est ce que l’histoire nous a démontré. L’histoire nous a également appris que, dans une guerre d’usure, le succès repose sur trois éléments : la volonté indéfectible de gagner, la capacité à mobiliser sa population et la capacité à mettre à contribution l’infrastructure industrielle de défense.

Nous pouvons donc analyser la situation dans les deux camps à la lumière de ces trois éléments. Poutine considère qu’il s’agit d’une question de survie pour son régime, et vous êtes à même de constater le soutien obtenu en Russie à cet égard. De leur côté, les Ukrainiens continuent de faire preuve d’une grande volonté de se battre et de triompher.

Pour ce qui est de la mobilisation de la population, la différence entre la Russie et l’Ukraine est d’environ 10 pour 1. La Russie n’a aucun problème à mobiliser sa population. Elle a beaucoup moins de respect pour la vie humaine que l’Ukraine. On le voit d’ailleurs dans certaines des tactiques qu’elle utilise. Les Ukrainiens ont qualifié de déferlantes de chair à canon certaines des offensives de masse des Russes qui ont ainsi subi d’énormes pertes. Dans certains cas, c’est la quantité qui prime sur la qualité. C’est pour cette raison que l’on discute actuellement de la mobilisation en Ukraine et d’un projet de loi sur la mobilisation qui vise à grossir les rangs des forces armées ukrainiennes. La disparité de taille entre les deux populations est préoccupante.

Il y a ensuite la mise à contribution de l’infrastructure industrielle de défense. Nous voyons la Russie se reconstituer beaucoup plus rapidement qu’anticipé et produire plus de munitions et d’armes sur son territoire qu’initialement prévu. À cela s’ajoute le soutien obtenu de la Corée du Nord avec des millions d’obus d’artillerie et de missiles balistiques à courte portée; de l’Iran qui fournit des munitions et des drones; et de la Chine avec les technologies à double usage en plus d’un important apport financier. Pour l’Ukraine, en revanche, le soutien repose sur ce que nous, les pays occidentaux épris de liberté, leur fournissons. C’est pour cette raison que l’aide apportée à l’Ukraine est aussi cruciale à ce moment-ci.

Les enjeux sont vraiment de taille. Les principes de souveraineté territoriale en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont complètement bafoués. Si nous considérons notre propre politique de défense et la nécessité de protéger notre souveraineté territoriale au cours des décennies à venir dans notre Nord très peu peuplé, on peut y voir une corrélation. Ce qui se passe en Ukraine aura des conséquences pour la suite des choses. C’est pourquoi c’est si important.

Le sénateur Cardozo : En quoi le retard qu’accuse Washington peut-il influer sur cette campagne du point de vue de l’OTAN?

Gén Eyre : Vous pouvez certes constater la disparité dans la quantité d’armes et d’équipements à la disposition des deux camps. La force de frappe des Russes dépasse nettement celle que les Ukrainiens sont en mesure de leur opposer. On a recours à des drones et à des missiles, mais les pertes sur le champ de bataille sont en grande majorité causées par l’artillerie. La situation est la même que pour les guerres du XXe siècle, où 70 % des morts et des blessures sur le champ de bataille étaient attribuables à l’artillerie. Il y a là un large fossé à combler.

Il y a aussi des lacunes dans la défense aérienne. Nous constatons que les systèmes de défense aérienne ukrainiens sont submergés par l’énorme quantité de drones et de missiles lancés par la Russie. Le sentiment d’urgence demeure bien présent.

Le sénateur Cardozo : Pensez-vous que la Russie pourrait...

Le président : Je suis désolé de devoir vous interrompre, mais nous devons passer au prochain intervenant.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais continuer à poser des questions sur les investissements et sur cet objectif de 2 %. J’ai beau faire des calculs, mais depuis l’annonce de cet après-midi sur cet objectif de 2 %, je ne vois pas comment un budget de 71 milliards de dollars sur 20 ans peut nous amener à 1,76 % du PIB actuel. Le directeur parlementaire du budget nous indiquait l’an dernier qu’il nous manquait 18 milliards de dollars par an pour atteindre ce seuil de 2 %. Cela signifie qu’il nous manque 18 milliards de dollars par an et qu’il faudrait 75 milliards de dollars sur cinq ans pour rattraper le retard.

Aujourd’hui, on nous dit qu’il manquera 71 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années et on tient pour acquis que le PIB restera stable pendant 20 ans, ce qui est impossible.

Vous conseillez le ministre; qui gère ces chiffres chez vous, au ministère? Est-ce le ministre? Je sais qu’ils ne sont pas trop forts sur les chiffres et le ministre nous l’a dit, d’ailleurs.

Ma question est la suivante, en résumé : si nous avons 71 milliards de dollars pour 20 ans, est-ce que ce ne sera pas encore presque le statu quo, avec 1,4 % du PIB?

Mme Kim : Merci pour cette question, sénateur Carignan. J’espère pouvoir vous éclairer. Il y a deux chiffres. Premièrement, il y a l’estimation des dépenses dans le cadre de la nouvelle politique de défense que nous avons annoncée aujourd’hui, qui comporte des chiffres reflétant les coûts de cette nouvelle politique. Il s’agit de 73 milliards de dollars pour les 20 prochaines années. Il y a d’autres chiffres et d’autres méthodes de calcul quant à l’objectif de 2 %. Pour cela, nous utilisons toutes les dépenses du gouvernement du Canada liées à la défense. Il ne s’agit pas uniquement de notre ministère ou des Forces armées canadiennes, mais aussi d’autres dépenses.

Ainsi, comme le ministre l’a dit, cette projection pour 2029-2030 atteindra 1,76 % du PIB du Canada cette année-là. J’espère que cela clarifie un peu la question; cela dépend de l’année et de quel montant on parle. Ce n’est pas exactement la même chose d’une année à l’autre, selon la nouvelle politique exposée ici. Cela change un peu d’une année à l’autre.

Le sénateur Carignan : Si je prends le chiffre du directeur parlementaire du budget, soit 18 milliards de dollars annuellement, il a travaillé à partir des dépenses actuelles du ministère de la Défense nationale en se basant sur les mêmes éléments fondamentaux que les autres membres de l’OTAN?

Mme Kim : Nous utilisons la même méthodologie que l’OTAN pour calculer le pourcentage du PIB. Par exemple, nos projections pour 2029-2030 s’élèvent à un peu plus de 57 milliards de dollars. Il s’agit de toutes les dépenses gouvernementales liées à la défense.

Le sénateur Carignan : Vous prévoyez donc que les dépenses qui sont actuellement... S’agit-il bien d’une quarantaine de milliards de dollars?

Mme Kim : Actuellement, pour la défense, c’est 33 milliards de dollars, mais cette somme est seulement pour le ministère, pas pour l’ensemble de la défense.

Le sénateur Carignan : C’est exact; donc, pour l’ensemble, on se situe autour de 40 ou 42 milliards de dollars, et ces chiffres augmenteront jusqu’à 57 milliards de dollars d’ici cinq ans?

Mme Kim : Il faudrait que je vérifie, mais pour nous il s’agira certainement d’une hausse.

Le sénateur Carignan : Est-ce possible de nous faire parvenir ces chiffres?

Mme Kim : Oui, bien sûr, on pourra vous les faire parvenir.

Le sénateur Carignan : C’est très confus. Parfois, on parle de milliards de dollars, parfois, on parle de PIB et parfois, de pourcentages. Dans le pourcentage, on n’a pas les mêmes bases de calcul. Nous sommes durs avec nous-mêmes ici, mais lorsque nous allons en Belgique et que nous rencontrons des collègues, nous voulons défendre notre pays. Nous voulons défendre nos investissements, mais nous sommes à court d’arguments; je vous le jure, c’est gênant.

Mme Kim : Oui, cela peut être difficile lorsqu’on essaie de comparer des pays différents qui ont des approches différentes pour gérer les budgets et les financements. Le ministre a dit quelque chose comme cela; nous avons une approche très rigoureuse au Canada.

Le sénateur Carignan : Parfait.

J’ai une question qui porte sur un autre sujet. La dernière fois, si je me rappelle bien, nous avons reçu le major-général Smith. J’espère utiliser le bon titre; je ne veux congédier ou rétrograder personne.

Je lui ai posé une question, puis je lui ai dit que j’espérais que c’était plus rapide d’acheter du matériel pour fournir des équipements à l’Ukraine que d’acheter du matériel avec notre propre système d’approvisionnement — parce que sinon, pauvre eux, ils ne l’auront jamais. Il a répondu en disant que c’était différent; il y a un système différent quand on achète du matériel pour envoyer des équipements à l’Ukraine, par exemple, que quand on achète du matériel destiné à nos services à l’interne.

Pouvez-vous m’expliquer la nature de ce service d’approvisionnement différent? J’ai beau poser des questions et fouiller partout, je ne vois pas la base juridique ou politique de ce système différent.

Mme Kim : Je vais me tourner vers Troy dans un instant, mais pour les dons à l’Ukraine, on a souvent recours à la Corporation commerciale canadienne, qui soutient le processus et qui détient un mandat spécifique quant à l’approvisionnement pour l’aide internationale.

[Traduction]

M. Crosby : Nous répondons à des demandes spécifiques des Ukrainiens relativement aux capacités dont ils estiment avoir besoin. La Corporation commerciale canadienne prend les dispositions nécessaires pour l’établissement d’un contrat avec l’industrie canadienne au nom de l’Ukraine. Nous nous éloignons ainsi de notre mode de fonctionnement habituel qui nous amènerait plutôt à tenir un processus concurrentiel d’appel d’offres avec nos collègues de Services publics et Approvisionnement Canada. En l’espèce, la Défense nationale fournit une assistance ou des conseils techniques à la Corporation commerciale canadienne, et nous pouvons aller de l’avant de cette façon au bénéfice des Ukrainiens.

Le sénateur Yussuff : Encore une fois, je vous remercie tous d’être ici.

J’aimerais d’abord poursuivre dans le sens de la question posée précédemment par mon collègue. Je vous remercie à nouveau pour vos rapports positifs sur le recrutement. Au moins, nous faisons des progrès. Comme vous le savez, l’un des obstacles au recrutement a été la manière dont nous avons traité la question du harcèlement au sein de nos forces armées. Que pouvez-vous nous dire sur le nombre de plaintes? Est-il en hausse ou en baisse? Est-il demeuré le même? La culture a-t-elle évolué à un point tel qu’il nous est possible d’affirmer que les membres de nos forces militaires ont désormais droit à un traitement différent? C’est d’autant plus important du fait que les femmes comptent pour la moitié de notre population, et que la croissance des Forces armées canadiennes passe par le recrutement d’un plus grand nombre d’entre elles. Nous devons toutefois nous assurer pour ce faire que ces femmes seront accueillies dans un environnement où elles se sentiront les bienvenues et où elles pourront travailler sans craindre pour leur sécurité.

Gén Eyre : Monsieur le président, il serait difficile de trouver une organisation dans ce pays qui consacre plus d’efforts que la nôtre à la compréhension et à l’évolution de sa culture interne. Il y a trois ans, lorsque notre institution a dû composer avec cette situation alors que j’étais chef d’état-major de la défense par intérim, nous avons mis sur pied au sein des Forces armées canadiennes et du ministère une entité nous permettant de décloisonner les différentes équipes d’intervention s’intéressant à cette problématique afin que tous puissent travailler en synergie.

Nous avons rendu publique très récemment notre stratégie d’évolution de la culture après avoir étudié la question de façon approfondie et avoir consulté des milliers d’intervenants afin de mieux définir le problème et de pouvoir tirer parti des différentes initiatives locales. Parallèlement à cela, nous venons aussi de dévoiler un plan de mise en œuvre complet pour faire suite à la multitude de recommandations externes qui ont été formulées au cours des dernières années en vue d’améliorer notre institution.

Avec toutes ces initiatives, comme c’est le cas pour n’importe quelle organisation, il est trop tôt pour crier victoire, et je ne le ferai donc pas. Je dirai cependant que les indicateurs sont positifs, qu’il s’agisse des résultats de sondage que nous obtenons ou des témoignages issus de discussions avec des personnes qui évoquent spontanément les changements positifs qui sont apportés.

Vous avez tout à fait raison de dire que nous devons être une organisation capable d’attirer et de retenir les talents de tous les pans de la société canadienne. Nous devons pour ce faire changer notre façon de diriger, de constituer des équipes et de voir nos subordonnés en nous assurant de bien connaître le bagage de chacun afin de pouvoir notamment mettre à contribution ses points forts et répondre à ses besoins en perfectionnement.

Ce pays a probablement connu plus de changements sociétaux depuis 10 ans qu’au cours des 50 années précédentes, et nos forces militaires n’échappent pas à cette réalité. Là encore, nous ne relâcherons pas nos efforts, car notre société continue d’évoluer rapidement, et nous devons lui emboîter le pas.

Le sénateur Yussuff : L’un des nouveaux investissements annoncés aujourd’hui vise une meilleure intégration des dossiers médicaux. Comme vous le savez, les provinces se sont engagées dans cette voie depuis un certain temps déjà. Si l’on considère la situation des individus qui joignent nos rangs et leurs proches, comment les deux systèmes vont-ils fonctionner de pair afin que les militaires puissent avoir accès au système public lorsqu’ils en ont besoin, sachant qu’il dispose de plus d’équipements, de plus de médecins et de plus d’hôpitaux? Il va de soi que les sommes allouées peuvent grandement contribuer à améliorer les choses. Comment le système fonctionnera-t-il une fois que ces nouvelles dispositions auront été mises en place?

Gén Eyre : Selon ce que j’ai compris en discutant avec notre médecin-chef, cela va grandement accroître notre efficacité, non seulement en ce qui concerne l’échange de données, dans les limites dictées par les lois sur les renseignements personnels, avec les provinces, mais aussi nos relations avec Anciens Combattants Canada pour contribuer à une transition en douceur du statut de membre actif à celui de vétéran.

Chose encore plus importante à mes yeux, cela va accroître la capacité de travail de nos cliniciens. Ils ne passeront plus autant de temps devant un ordinateur à saisir des données et à essayer de faire les liens nécessaires entre différents programmes. Au lieu de perdre tout ce temps devant leur écran, ils le passeront avec leurs patients. Nous serons ainsi mieux en mesure de dispenser des soins bien concrets à nos membres. La mise en place de ce système présente de nombreux avantages.

Le sénateur Yussuff : Je tiens également à vous souhaiter une bonne retraite. Je sais à quel point c’est important, compte tenu des nombreuses années que vous avez passées à servir notre pays. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait, et surtout bonne et heureuse retraite.

Gén Eyre : On n’en est pas encore tout à fait là, mais je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Merci encore d’être ici aujourd’hui.

Je voudrais parler à nouveau de l’Ukraine pendant un moment. Je dois dire qu’après avoir entendu vos commentaires et ceux du ministre, il est vraiment difficile de demeurer optimiste. La situation est très délicate. Du côté positif, les pays de l’OTAN semblent vouloir mettre l’épaule à la roue, ce qui est un signe encourageant, mais il faut bien sûr regretter l’inaction des Américains dont la contribution pourrait être cruciale.

Je lis certains articles qui soutiennent que notre propre contribution n’est pas nécessairement insuffisante, mais que nous sommes lents à tenir les promesses que nous avons faites à l’Ukraine. J’aimerais que vous nous parliez de nos engagements envers l’Ukraine et de la mesure dans laquelle nous les avons effectivement respectés. En ce qui concerne l’équipement militaire qui a été livré à l’armée ukrainienne, en quoi consiste-t-il exactement? Qu’est-ce que les Ukrainiens attendent encore?

Mme Kim : Je vais commencer à vous répondre à ce sujet, sénatrice, et mes collègues voudront peut-être ajouter leur grain de sel.

Pour vous donner une vue d’ensemble, nous nous sommes engagés à fournir à l’Ukraine une aide militaire se chiffrant à plus de 4 milliards de dollars depuis le début de l’invasion. Ce n’est pas la totalité de ce soutien qui a été enregistrée lors du dernier exercice financier ou de celui qui l’a précédé. L’aide est notamment en partie offerte dans le cadre de notre accord sur les engagements en matière de sécurité.

La sénatrice Dasko : Pourriez-vous répéter cette dernière partie?

Mme Kim : Je parlais de l’accord sur les engagements en matière de sécurité que nous avons conclu avec l’Ukraine, lequel garantit notamment un financement à plus long terme et d’une plus grande stabilité pour offrir à ce pays l’aide dont il a besoin. Une grande partie de cette assistance de 4 milliards de dollars — je dirais environ la moitié — sera offerte dans les années à venir, en commençant par l’exercice en cours. Nous sommes tout à fait déterminés à faire en sorte que tout cela se concrétise.

Il suffit de regarder ce qui s’est passé au cours de la première moitié de l’exercice. Nous avons fourni à l’Ukraine une aide colossale, que ce soit à même les stocks des Forces armées canadiennes ou en puisant à d’autres sources. Comme vous le savez sans doute, la livraison promise de la plateforme NASAMS a été retardée en raison de problèmes dans la chaîne de production aux États-Unis, et nous travaillons donc en étroite collaboration avec les Américains pour apporter les correctifs nécessaires. Il s’agit d’une aide se chiffrant à près de 500 millions de dollars, ce qui représente évidemment un élément majeur. Nous espérons par ailleurs que les drones annoncés au début de l’année pourront être livrés d’ici la fin du printemps. Les dispositifs de vision nocturne également promis devraient aussi être livrés au printemps. Les navires à vocations multiples aussi annoncés devraient quant à eux être livrés d’ici l’été.

La sénatrice Dasko : Parlez-vous des 800 drones qui ont fait l’objet de l’annonce du ministre en janvier?

Mme Kim : C’est le nombre que nous entendons livrer à l’Ukraine en commençant ce printemps.

La sénatrice Dasko : Oui. Et à partir de quand seront-ils livrés?

Mme Kim : Nous prévoyons pouvoir le faire d’ici mai ou juin.

La sénatrice Dasko : De cette année?

Mme Kim : Oui, nous travaillons jour après jour pour essayer de faire avancer ces programmes. Cela peut ainsi se faire dans un délai de quelques mois, plutôt que de quelques années, comme c’est parfois le cas, conformément à ce que nous indiquions précédemment.

La sénatrice Dasko : La situation est donc variable. Manifestement, les Ukrainiens attendent encore pas mal de choses du Canada.

Mme Kim : Je dirais que nous avons livré la plupart des éléments que nous avions promis. Dans certains cas, les délais sont plus longs, comme lorsqu’il s’agit de construire de nouveaux véhicules blindés légers.

Le président : Chers collègues, le temps s’écoule rapidement. Je vais demander aux trois derniers sénateurs à prendre la parole de bien vouloir poser chacun une question. Une fois ces trois questions sur la table, nous demanderons à nos invités de déterminer qui répond à quoi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Kim. Madame Kim, on dirait que, depuis une semaine, l’argent ne semble plus un problème pour le gouvernement. Par contre, si je me souviens bien, en septembre dernier, les dépenses étaient un sérieux problème, au point où la présidente du Conseil du Trésor vous avait demandé de sabrer 1 milliard de dollars dans les dépenses de votre ministère.

D’ailleurs, si ma mémoire est bonne, le général Eyre avait dit : « Il est impossible de couper près d’un milliard de dollars du budget de la défense sans qu’il y ait des impacts. » Huit mois plus tard, j’aimerais savoir où vous avez coupé; est-ce que la demande a été suivie? Quels sont les services qui ont été affectés? L’annonce d’aujourd’hui va-t-elle mettre fin à votre obligation de réduire vos dépenses?

[Traduction]

La sénatrice Patterson : Général Eyre, je veux revenir à vos commentaires sur la façon dont les choses se passent en Ukraine et les incidences possibles sur notre avenir étant donné que nous avons des adversaires communs là-bas. Pour ce qui est par ailleurs de nos capacités en matière de soins de santé, qu’il s’agisse de l’Arctique, en tenant compte des menaces concrètes qui pèsent sur nous, sans toutefois s’arrêter aux incendies de forêt, ou encore du soutien aux Forces canadiennes à l’étranger avec leurs propres ressources en santé, comment entrevoyez-vous l’évolution de la situation? À quel niveau se situeront les investissements à venir dans ce secteur? Je trouve que ces aspects sont souvent occultés ou carrément négligés. Merci.

Le sénateur Cardozo : Madame Kim, ma question concerne les 4 milliards de dollars que nous avons fournis à l’Ukraine jusqu’à présent. J’ai cru comprendre qu’ils ne sont pas pris en compte dans l’objectif des 2 %. Est-ce exact? Quel serait notre pourcentage si cette aide était comptabilisée? Je pense que cela peut dépendre de la manière dont on présente les choses. Nous pourrions ajouter cette somme à notre résultat actuel de 1,38 %, même si cela ne correspond pas nécessairement aux critères établis par d’autres.

Le président : Nous pouvons peut-être demander au général Eyre de commencer, ce qui laissera à Mme Kim un peu plus de temps pour préparer sa réponse aux deux autres questions.

Gén Eyre : Premièrement, pour ce qui est des réductions que nous avons vues l’automne dernier par rapport à ce qui est maintenant annoncé, j’ai posé la même question à notre sous-ministre adjointe responsable des finances il y a quelques jours, et elle est en train de tirer cela au clair. Peut-être que notre sous-ministre déléguée pourra vous fournir de plus amples détails à ce sujet.

En ce qui concerne les soins de santé et leur évolution, nous sommes revenus à ce que nous avons connu pendant la guerre froide, avec un recours accru aux interventions avancées pour le traitement et la stabilisation des blessés. Nous ne pouvons pas intervenir comme nous l’avons fait en Afghanistan, où nous sommes allés directement à l’endroit où la blessure est subie, avec évacuation par hélicoptère jusqu’à une installation médicale de rôle 3. On parle ici d’une intervention avancée de stabilisation et de traitement. Il faut donc davantage d’équipes chirurgicales avancées, un plus grand nombre de postes de relais des ambulances, etc.

Je vous dirai que les Services de santé des Forces canadiennes ont étudié de près la situation en Ukraine. Ils sont en contact avec les autorités médicales militaires ukrainiennes. En fait, j’ai rencontré la médecin-cheffe ukrainienne lors de sa visite au Canada, afin d’en savoir plus long sur la manière dont les choses se déroulent sur le champ de bataille et les changements que nous devons apporter pour être mieux à même de traiter nos blessés dans ce contexte. Les progrès technologiques vont certes nous faciliter la tâche.

Sénatrice, vous avez parlé du Nord. La télémédecine est incroyablement importante du fait qu’elle peut être pratiquée à distance. J’ai vu directement la télémédecine à l’œuvre à Resolute Bay, et je peux vous dire que cela fonctionne. C’est une façon de permettre à nos cliniciens d’en faire plus grâce à la capacité de liaison que la technologie leur procure.

Mme Kim : Je vais répondre d’abord à la dernière question.

Je crois que nous avons envoyé une lettre au comité pour apporter des éclaircissements à ce sujet étant donné la confusion que cela semblait susciter lors de notre comparution précédente. Notre assistance militaire à l’Ukraine est bel et bien incluse. Nous allons donc effectivement la prendre en compte dans nos calculs.

[Français]

Pour nos estimations concernant le seuil de 2 %, nous avons déjà fait des réductions budgétaires qui ont été annoncées l’année dernière. Ce sont deux choses différentes. On a déjà fait des réductions, car l’exercice ne vise pas seulement les réductions fiscales; il s’agit aussi de trouver des processus et des mesures plus efficaces au ministère.

On va continuer ainsi pour réduire les voyages et les coûts qui ne sont pas nécessaires. Avec les nouveaux investissements, il y a peut-être des choses liées à de nouveaux projets qui exigeront plus de voyages. On devra peut-être modifier nos dépenses, mais on va continuer de trouver des épargnes.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup.

Chers collègues, c’est ainsi que prend fin notre séance de ce soir.

Je tiens à remercier sincèrement nos estimés invités, le général Eyre, M. Crosby, Mme Kim, M. Hammerschmidt et Mme Xavier. Nous apprécions le temps, et même le temps additionnel, que vous avez passé avec nous ce soir pour répondre à toutes nos questions et permettre des échanges fort intéressants.

D’une manière plus générale, je veux vous dire, au nom du comité et du Sénat du Canada, que nous apprécions le travail acharné que vous accomplissez jour après jour et, bien souvent, pendant la nuit et la fin de semaine, pour assurer notre sécurité et celle des Canadiens. Vous le faites dans le contexte d’une conjoncture planétaire de moins en moins stable. Le monde semble devenir de plus en plus dangereux, d’une réunion à l’autre parfois, et nous savons que ces menaces atterrissent le plus souvent sur votre bureau, et ce, non seulement pendant la journée, mais aussi le soir et le week-end. Nous vous en remercions vivement au nom des Canadiens.

Notre prochaine réunion aura lieu le lundi 15 avril, à 16 heures, heure de l’Est. Sur ce, je vous souhaite à tous une bonne soirée. Merci.

(La séance est levée.)

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