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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 15 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les questions concernant la sécurité nationale et la défense en général.

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Tony Dean et je suis un sénateur de l’Ontario et président du comité. Mes collègues du comité se joignent à moi aujourd’hui, et je les invite à se présenter, en commençant par notre vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador. Je remplace la sénatrice Anderson aujourd’hui.

La sénatrice M. Deacon : Je vous souhaite la bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

Le sénateur McNair : Bonjour. John McNair, du Nouveau-Brunswick. Je remplace le sénateur Kutcher aujourd’hui.

Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

À ma gauche se trouve la greffière du comité, Mme Ericka Dupont, et à ma droite se trouvent les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Anne-Marie Therrien-Tremblay et Ariel Shapiro, qui nous appuient avec une grande efficacité.

Aujourd’hui, nous accueillons trois groupes d’experts qui ont été invités à informer le comité au sujet de la désinformation et des cyberopérations dans le contexte de la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Nous continuons à nous intéresser à l’Ukraine, mais en nous concentrant maintenant particulièrement sur les cyberopérations.

Je commencerai par présenter notre premier groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à deux membres du personnel d’Affaires mondiales Canada : Tara Denham, directrice générale du Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion, et Kelly Anderson, directrice de la Direction de la politique internationale. Nous avons également de nouveau avec nous M. Sami Khoury, dirigeant principal du Centre canadien pour la cybersécurité, du Centre de la sécurité des télécommunications.

Merci à tous de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous vous invitons maintenant à présenter votre déclaration préliminaire. Nous commencerons par Tara Denham, qui parlera au nom d’Affaires mondiales Canada.

Madame Denham, si vous êtes prête, vous avez la parole.

[Français]

Tara Denham, directrice générale, Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion, Affaires mondiales Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de votre invitation à discuter de la désinformation et des cyberopérations dans le contexte de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Nous venons de marquer les deux ans de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Alors que nous entrons dans la troisième année de l’agression illégale de la Russie contre l’Ukraine, le Kremlin poursuit ses efforts en vue de réduire la capacité de l’Ukraine à se défendre. Moscou continue également d’utiliser tous les moyens disponibles pour tenter de réduire le soutien international à l’Ukraine. Au nombre de ces outils figurent les cyberopérations et la désinformation.

[Traduction]

Le cyberespace était déjà un domaine de conflit avant l’invasion, et il restera un domaine contesté après la fin des hostilités. Toutefois, en temps de paix comme en temps de guerre, les États sont censés suivre des règles de comportement responsable dans le cyberespace.

La Russie a été et est toujours un acteur particulièrement outrancier dans le cyberespace. Elle a agi à plusieurs reprises au mépris du cadre de l’ONU pour un comportement responsable des États dans le cyberespace, qui précise que le droit international s’applique dans le cyberespace et qui vise à promouvoir les normes de l’ONU relatives au comportement des États.

Affaires mondiales Canada s’efforce avec diligence de promouvoir et de défendre le cadre à l’ONU autant que dans ses contacts bilatéraux et régionaux. Nous faisons également savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas en dénonçant les comportements inacceptables.

Avec ses partenaires, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, le Canada a dénoncé des cyberactivités malveillantes de la Russie à sept reprises au cours des quatre dernières années. La dernière fois, en décembre 2023, la ministre des Affaires étrangères a publié une déclaration de soutien au Royaume-Uni qui condamnait l’ingérence électorale et politique de la Russie dans ce pays.

De plus, avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, le Canada a attribué à la Russie des cyberactivités malveillantes menées contre des réseaux commerciaux de communications par satellite dans le but de perturber le commandement et le contrôle ukrainiens au cours de l’invasion en février 2022. Ces actes ont eu des répercussions considérables, y compris dans d’autres pays européens qui ne participent pas au conflit.

Le Canada s’efforce également de réduire et d’atténuer les répercussions des cyberopérations de la Russie contre l’Ukraine en aidant l’Ukraine à développer sa cyberrésilience. En février 2024, le premier ministre a annoncé un financement supplémentaire pour la cyberassistance à l’Ukraine afin de renforcer la capacité de l’Ukraine à prévenir et à contrer les menaces de nature cybernétique venant de la Russie et d’acteurs non étatiques proches de la Russie.

Le Canada a également été un chef de file dans la création et l’établissement de la plateforme civile qui organise la cyberassistance à l’Ukraine : le mécanisme de Tallinn. Le mécanisme de Tallinn procure une plateforme qui vise à permettre la coordination du renforcement des cybercapacités, à éviter les doubles emplois et à répondre aux besoins prioritaires de l’Ukraine. Il complète des efforts comparables déployés dans le domaine militaire.

Outre ses cyberactivités malveillantes, la Russie a depuis longtemps recours à la désinformation cautionnée par l’État dans le cadre d’une panoplie hybride plus large d’outils pour atteindre ses objectifs géopolitiques et militaires à l’échelle mondiale. Dans le cas de l’Ukraine, la Russie dissimule, obscurcit et fabrique des renseignements pour obtenir un avantage militaire, démoraliser les Ukrainiens, diviser les alliés et obtenir du soutien en Russie et à l’étranger pour son invasion illégale.

La Russie cible également plus qu’avant le public au sens large à l’international, notamment en Afrique et en Amérique latine. Par exemple, des discours qui font porter à l’Ukraine la responsabilité de la crise alimentaire mondiale sont diffusés par des personnalités politiques russes et propagés dans les médias sociaux et dans des articles publiés par la presse d’État.

En réaction, le Canada a adopté une position ferme pour contrer les efforts déployés par la Russie afin de manipuler en sa faveur de fausses informations et histoires. Nous avons publiquement dénoncé les tactiques de désinformation du Kremlin concernant l’Ukraine, notamment au moyen de campagnes sur l’annexion illégale par la Russie des oblasts ukrainiens de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijjia. Nous avons publié des vidéos qui mettent en lumière les tactiques du Kremlin dans les domaines de l’exploitation des plateformes de médias sociaux, des médias d’État et de la désinformation.

En collaboration avec des alliés, nous surveillons et signalons la désinformation russe et nous échangeons des évaluations à ce propos, par exemple dans le cadre du Mécanisme de réponse rapide du G7, qui a été annoncé en 2018 à Charlevoix dans le cadre de la présidence canadienne.

Le Canada a appliqué des sanctions contre des entités et des personnes impliquées dans des opérations russes de désinformation. À ce jour, nous avons infligé des sanctions à sept personnes et trois entités pour leur rôle dans la diffusion de désinformation ciblant des auditoires ukrainiens. Nous finançons également des projets pour appuyer des efforts pansociétaux pour contrer la désinformation.

Nous reconnaissons depuis longtemps qu’aucun gouvernement ne peut régler seul ce problème, c’est pourquoi il est important de collaborer avec la société civile et le monde universitaire. Par exemple, le Canada verse 2,5 millions de dollars à l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale afin de renforcer la capacité des organismes de la société civile de contrer avec efficacité la manipulation de l’information par des acteurs étrangers.

Sur ce, je pense que je vais conclure mes observations préliminaires. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Vous êtes pile dans les temps. Je vous remercie, madame Denham.

Nous passons maintenant à M. Sami Khoury. Nous sommes heureux que vous soyez de nouveau parmi nous. Si vous êtes prêt, vous avez la parole. Nous avons hâte de vous entendre.

Sami Khoury, dirigeant principal, Centre canadien pour la cybersécurité, Centre de la sécurité des télécommunications : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Pour commencer, j’aimerais donner un aperçu des cybermenaces en concentrant mon propos sur les menaces qui viennent de la Russie. Je donnerai ensuite un aperçu des efforts entrepris par le Centre de la sécurité des télécommunications pour encourager une réaction mondiale unifiée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

[Français]

La technologie progressant à un rythme rapide, le contexte des cybermenaces évolue lui aussi constamment au Canada. Dans un environnement mondial marqué par des événements déstabilisants, les auteures et auteurs de menaces adaptent leurs activités et utilisent des technologies perturbatrices émergentes, comme l’intelligence artificielle générative, pour atteindre leurs objectifs financiers, géopolitiques et idéologiques.

[Traduction]

La cybercriminalité, y compris les rançongiciels, reste la cybermenace à laquelle les Canadiens et les organismes canadiens sont les plus exposés. Toutefois, les programmes d’État de la Russie, de la Chine, de l’Iran et de la Corée du Nord demeurent la principale cybermenace stratégique pour le Canada.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a donné au monde une nouvelle perspective sur le recours à des cyberactivités pour appuyer des opérations de guerre. Les cyberactivités malveillantes contre l’Ukraine cautionnées par la Russie ont perturbé ou tenté de perturber les activités d’organismes du secteur public, du secteur des finances et du secteur de l’énergie, souvent en parallèle avec des opérations militaires conventionnelles. Les cyberactivités et les activités militaires ont également été appuyées par des opérations coordonnées de désinformation.

Le rapport non classifié Évaluation des cybermenaces nationales du Centre pour la cybersécurité a mentionné que les États-nations ont de plus en plus la volonté et la capacité d’avoir recours à la mésinformation et à la désinformation pour promouvoir leurs intérêts géopolitiques.

En outre, avec les technologies de l’intelligence artificielle, il est plus facile de créer de faux contenus et ceux-ci sont plus difficiles à détecter. Les États adversaires font constamment circuler et amplifient de faux contenus pour appuyer leurs intérêts.

[Français]

Depuis l’invasion russe en Ukraine, nous avons observé de nombreuses campagnes de désinformation en ligne qui ont été parrainées par la Russie et qui visent à transmettre de la fausse information sur la participation du Canada dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine et sur des alliés de l’OTAN, dans le but de les discréditer.

Par exemple, les médias contrôlés ont reçu l’ordre d’inclure des images trafiquées de membres des Forces armées canadiennes déployés en première ligne et de publier de fausses allégations selon lesquelles les Forces armées canadiennes commettent des crimes de guerre.

[Traduction]

Au-delà de la désinformation, les acteurs parrainés par les États ciblent les infrastructures essentielles pour recueillir de l’information à la faveur d’activités d’espionnage, pour se prépositionner en cas d’hostilités futures et comme une forme de projection de puissance et d’intimidation.

L’invasion de l’Ukraine a montré que la Russie est de plus en plus disposée à se servir de cyberactivités contre des infrastructures essentielles pour exercer des pressions en politique étrangère.

Plus près de chez nous, des auteurs étrangers de cybermenaces, dont des acteurs appuyés par la Russie, tentent de cibler les réseaux d’infrastructures essentielles du Canada ainsi que leurs technologies opérationnelles et technologies de l’information.

Bien que je ne puisse pas donner de détails concernant les opérations du Centre de la sécurité des télécommunications ou du Centre canadien pour la cybersécurité, je peux confirmer que nous avons suivi des cybermenaces et que nous collaborons avec l’Ukraine pour assurer la surveillance et la détection des menaces potentielles, mener des enquêtes et prendre des mesures actives pour faire face à ces menaces.

Le Centre canadien pour la cybersécurité travaille également en étroite collaboration avec des partenaires canadiens et des alliés étrangers pour encourager une réaction mondiale unifiée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plus précisément, nous avons mené une surveillance axée sur les cyberactivités malveillantes de la Russie contre le Canada, l’Ukraine et l’OTAN; nous avons renforcé les défenses du gouvernement du Canada contre les cybermenaces connues appuyées par la Russie et nous avons contré la désinformation russe; nous avons échangé des renseignements sur les cybermenaces avec des partenaires clés en Ukraine, avec nos alliés au sein de l’OTAN et avec les responsables des infrastructures essentielles du Canada; et nous avons fourni des renseignements et un appui en matière de cybersécurité à l’opération Unifier, la mission d’instruction des Forces armées canadiennes en soutien à l’Ukraine.

À la demande de nos alliés lettons, le Centre canadien pour la cybersécurité a également déployé du personnel pour contribuer à la défense des infrastructures essentielles et du réseau du gouvernement de la Lettonie contre les cybermenaces.

[Français]

Ces déploiements s’inscrivent dans une mission conjointe faisant appel à des spécialistes de la cybersécurité des Forces armées canadiennes, du Centre canadien pour la cybersécurité et de son équivalent letton.

Cette mission conjointe a aidé à défendre un allié de l’OTAN contre des cybermenaces adverses.

[Traduction]

La mise à jour de la semaine dernière de la politique de défense, Notre Nord, fort et libre, met en lumière la nécessité de réagir à des changements majeurs à l’échelle mondiale et à l’évolution des menaces.

Comme vous l’avez entendu de la bouche du ministre, le gouvernement a annoncé un engagement de 8,1 milliards de dollars en investissements supplémentaires dans les capacités de défense du Canada au cours des cinq prochaines années. Cela comprend un engagement de 1 milliard de dollars pour le programme des cyberopérations étrangères du Centre de la sécurité des télécommunications et pour renforcer les capacités de collecte de renseignements étrangers.

En tout, la mise à jour de la politique de défense prévoit 2,8 milliards de dollars sur 20 ans pour les cybercapacités. Ces investissements permettront au Canada de prendre des mesures dans le cyberespace pour contrer les menaces, promouvoir ses intérêts en politique étrangère et appuyer des opérations militaires.

[Français]

En conclusion, à mesure que nous nous adaptons à un environnement de menace qui évolue sans cesse, nous continuerons de travailler étroitement avec nos partenaires de la collectivité des cinq et de tirer avantage de notre expertise et de nos capacités techniques et opérationnelles uniques, pour assurer en toute confiance la résilience du Canada par rapport aux cybermenaces et à la désinformation.

[Traduction]

Sur ce, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur Khoury.

Chers collègues, les témoins sont avec nous pour une heure. Pour que la participation pleine et entière de chaque membre soit possible, nous limitons la question et la réponse à quatre minutes. Veuillez poser des questions succinctes et mentionner à qui vous les adressez.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Khoury. La guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans. Il y a un an avant la guerre et maintenant un an depuis le début de la guerre. La désinformation russe avait sûrement commencé bien avant le début du conflit.

Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les cyberopérations russes ont changé ou évolué dans le temps? De plus, en général, combien de temps faut-il avant de repérer et de différencier le vrai du faux?

M. Khoury : Je vous remercie pour la question.

Effectivement, la Russie a une obsession avec l’Ukraine depuis 2014 ou 2015. Il y a eu une série de cyberactivités qui ont commencé à ce moment-là; certaines ont été assez dommageables sur le plan de l’infrastructure critique.

Nous sommes bien informés par nos équipes de renseignement et par le partenariat que nous avons avec nos collègues de la collectivité des cinq pour savoir ce qui se passe sur le chantier ukrainien. On a vu l’évolution des tactiques russes et une adaptation assez rapide de ces tactiques. Donc, dès qu’on détecte quelque chose, on émet un bulletin pour aider nos communautés à se défendre. On a constaté que souvent, en moins de 24 heures, les Russes adaptent ou modifient leurs techniques pour essayer de contourner un peu ce que nous faisons. Donc, ils sont assez agiles pour s’adapter à nos mesures.

Nous, avec l’Ukraine et avec nos partenaires de la collectivité des cinq, nous avons un bon pouls de leurs activités et nous aidons nos collègues ukrainiens. De plus, on s’informe sur les manières de défendre le Canada et nous augmentons la résilience de nos organisations.

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question s’adresse à Mme Anderson. J’aimerais parler avec vous des prises de décisions du gouvernement en relation avec la désinformation véhiculée par les Russes. Est-ce que les signalements des cyberopérations russes par le Centre canadien pour la cybersécurité ont entraîné des changements dans les prises de décisions? Est-ce que les signalements sont parfois arrivés trop tard pour vous donner un éclairage plus réel de la situation?

Kelly Anderson, directrice, Direction de la politique internationale, Affaires mondiales Canada : Merci pour la question. Je dirais qu’on travaille très étroitement avec M. Khoury et son équipe. Donc, on a de l’information assez rapidement pour décider ce qu’on doit faire concernant les questions de cybersécurité.

Cela dit, le processus pour déterminer si on va faire une attribution publique concernant les questions de cybersécurité est assez long, parce qu’on veut être vraiment certain, au sein de la communauté fédérale, de connaître la nature de l’événement et qu’on prend en considération les effets qui ont trait au cadre des activités responsables des États dans le cyberespace.

Cela inclut l’impact sur le droit international, mais aussi certaines normes de comportement responsable.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins d’être ici.

Ma question au groupe de témoins concerne l’éventuelle concordance entre les cyberopérations, comme le piratage et les campagnes de désinformation, et l’action militaire de la Russie en Ukraine. Quels risques cette concordance représente-t-elle pour la cybersécurité du Canada?

J’aimerais ajouter une autre question : le gouvernement du Canada fournit-il un financement suffisant pour contrer les opérations de cybersécurité au Canada?

M. Khoury : Je vous remercie pour votre question. Je peux répondre à la première partie.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, nous assistons à une synchronisation entre la coopération canadienne et les cyberopérations. L’objectif de la Russie était d’affaiblir la société civile et le gouvernement par des cyberopérations et aussi d’infliger des dommages qui ont touché, par exemple, les infrastructures de télécommunication en Ukraine.

Toutes ces cyberactivités nous en apprennent beaucoup. Nous les surveillons de près dans le cadre de notre mission de renseignement étranger, mais aussi dans le cadre du partenariat avec nos alliés. Nous transformons le plus vite possible ce que nous apprennent ces cyberactivités en alertes, en bulletins et en avis pour promouvoir la résilience. Ces efforts ont commencé avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Nous avions l’impression que ces activités avaient lieu, et nous avons publié plusieurs alertes avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour demander aux responsables d’organisme d’être vigilants et de surveiller leurs technologies de l’information.

Mme Denham : Concernant la désinformation, encore une fois, la Russie utilise toute une panoplie d’outils, et elle les utilise de manière très stratégique pour les faire concorder. En ce qui concerne la désinformation, plus précisément, ce que l’on a vu avant l’invasion était l’un des discours — et vous le connaissez probablement tous —, à l’époque, selon lequel l’Ukraine était aux mains des nazis. Les personnes présentes ont probablement entendu cette histoire. Tout cela avait commencé plus d’un an plus tôt dans les campagnes de désinformation russes. En 2021, quand on examinait les médias d’État russes, le nazisme était mentionné dans environ 3 % des cas; juste avant l’invasion, il était mentionné dans plus de 20 % de ce qui se racontait. On voit donc l’inondation de l’espace du discours.

C’est l’une des tactiques.

Combinée à des cyberactivités, elle correspond à la pose de fondations; il s’agit que non seulement les Ukrainiens, mais aussi la communauté internationale, s’interrogent sur les mesures prises et sur celles qui le seront — et, en fait, il y a, espérons-le, une tentative de susciter l’appui pour cette invasion illégale.

Nous devons prendre conscience du fait que les opérations militaires sont complètement liées à certaines des activités de désinformation et autres préparées, et souvent devancées par elles, parfois de plusieurs mois et années.

Le sénateur Oh : Qu’en est-il du financement par le gouvernement? Faut-il relever le financement pour mener une contre-offensive?

Mme Denham : Nous examinons en permanence le soutien nécessaire. La mise à jour de la politique de défense et un financement viennent d’être annoncés. Il y a toujours un examen récurrent.

En ce qui concerne notre équipe chargée de la désinformation, il y a eu une annonce après notre création en 2018, une reconnaissance de la puissance de la désinformation propre à la Russie. Cette équipe a été élargie en 2022.

Nous procédons en permanence à des examens. Bien entendu, s’il y a plus de ressources, nous pouvons les mettre à profit. Toutefois, nous examinons en permanence ces besoins.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie chacun d’entre vous ainsi que vos équipes d’être ici aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissante.

Madame Denham, vous avez mentionné que le Canada aide l’Ukraine à se défendre dans le cyberespace. Je me demande à quel point cette coopération est poussée. Surtout, s’étend-elle à des opérations offensives? Je m’interroge sur les normes de guerre en ce qui concerne les cyberopérations. Appuyer les cyberopérations de l’Ukraine, est-ce une zone grise ou cela équivaudrait-il à envoyer des troupes canadiennes sur le terrain? J’essaie de faire la distinction.

La Russie, par exemple — vous en avez parlé —, agit constamment en ligne ici, au Canada. Je pense qu’il serait légitime que le Canada aide l’Ukraine à essayer de mettre hors service une centrale électrique en menant une cyberattaque, par exemple. Ou cela reviendrait-il à déclarer la guerre à la Russie?

J’essaie de faire la distinction entre le cyberespace et les troupes sur le terrain.

Mme Denham : Je vais peut-être commencer, et si mes collègues souhaitent ajouter quelque chose, ils le feront ensuite. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de donner des détails sur les opérations militaires. Une grande partie du travail que nous effectuons et auquel je faisais référence consiste à développer les cybercapacités civiles avec l’Ukraine. C’est le mécanisme de Tallinn que nous avons mentionné. Il y a les opérations militaires — et la Défense nationale ou d’autres participent davantage à ces discussions —, mais il est tout aussi important de renforcer la résilience de la société civile et des organismes ukrainiens pour qu’ils puissent réagir aux cyberincidents qui se produisent. C’est distinct, comme vous le dites, d’une opération militaire.

L’autre élément important auquel nous prêtons toujours attention, comme nous l’avons mentionné, concerne les normes de l’ONU pour un comportement responsable des États dans le cyberespace. Donc, chaque fois que nous prenons ou que nous préconisons une mesure, Affaires mondiales Canada donne un avis concernant sa conformité avec ce dont il a été convenu dans le cadre adopté par l’ONU.

C’est en grande partie le sujet de nos discussions avec nos collègues du reste du gouvernement en ce qui concerne les capacités que nous appuyons ainsi que la teneur des avis et recommandations concernant le comportement dans le cyberespace.

Je ne sais pas si M. Khoury souhaite ajouter quelque chose.

M. Khoury : Je vous remercie pour votre question.

Le Canada est un ardent défenseur de l’Ukraine et il agit par l’intermédiaire des Forces canadiennes. Je laisse aux responsables des Forces canadiennes le soin d’expliquer ce qu’elles font sur le terrain, mais nous avons collaboré avec elles pour transmettre par leur intermédiaire des renseignements ou des conseils en matière de cyberdéfense à des partenaires ukrainiens sur place, pour qu’ils acquièrent une certaine résilience dans leur société. Nous avons aussi collaboré avec des pays voisins, comme la Lettonie, pour mettre en place cette dimension de résilience également sur le périmètre.

Nous savons que la Russie a des cybercapacités assez impressionnantes, et elle n’a pas hésité à en faire usage en 2015 et en 2016 pour paralyser le réseau électrique en Ukraine. Nous en sommes bien conscients. Chaque fois que nous voyons quelque chose d’inhabituel ou de suspect en Ukraine, nous voulons en tirer les leçons, parce que nous ne voulons pas que ces capacités soient mises en œuvre au Canada.

Dans la perspective de l’équipe que nous formons, nous nous préoccupons beaucoup de la question de la cyberdéfense et de l’amélioration de la résilience nationale au Canada face à toutes ces menaces.

Le président : C’est une question que nous nous posions tous, sénatrice Deacon; je vous remercie de l’avoir posée.

Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’être ici. C’est toujours un plaisir de voir d’anciens collègues comparaître en tant que témoins.

Madame Denham, vous avez mentionné le Mécanisme de réponse rapide du G7, qui a été mis en place par les chefs d’État et de gouvernement en 2018 et discuté pour la première fois par les ministres des Affaires étrangères, puis par les chefs d’État et de gouvernement. Si ma mémoire est bonne, car j’ai assisté à ces discussions, il y avait une certaine inquiétude quant à la viabilité du Mécanisme de réponse rapide et quant à sa pérennité au fil des présidences du G7, quant aux modalités de son financement et quant à savoir s’il aurait l’agilité nécessaire pour permettre son élargissement.

J’ai rencontré l’ambassadeur de Lettonie cet après-midi. Nous avons beaucoup parlé de la coopération entre le Canada et la Lettonie. La Lettonie ne cherche absolument pas à se joindre au G7, mais, tout d’abord, y a-t-il suffisamment de place au sein du mécanisme pour élargir la coopération à des pays qui ne font pas partie du G7? Le mécanisme est-il suffisamment financé? Enfin, est-il vraiment rapide? Parce que, dans les administrations, « réponse » et « rapide » sont des termes qui ne sont habituellement pas associés l’un à l’autre.

Est-ce que cela fonctionne efficacement?

Mme Denham : Je vous remercie pour votre question et pour le travail que vous avez effectué à l’époque où cela se mettait en place. Je vais m’efforcer d’aborder un à un tous les points que vous avez évoqués.

En ce qui concerne le maintien de l’intérêt ou de la dynamique qui sous-tend la structure, habituellement, au G7, quand des initiatives sont annoncées, elles le sont par une présidence, et il arrive que la présidence suivante estime que la question n’a pas la même importance ou la même pertinence. Il arrive qu’une partie de l’énergie consacrée à la question se dissipe.

À l’époque, il a été décidé que le Canada maintiendrait un secrétariat du Mécanisme de réponse rapide. Il a été décidé de ne pas procéder de la manière habituelle. C’était à mon avis une excellente décision, à l’époque, parce que, maintenir le secrétariat, c’était maintenir l’attention des Canadiens et le leadership du Canada sur la question, et nous avons également pu maintenir l’attention depuis 2018 et poursuivre le développement et la promotion du Mécanisme de réponse rapide, pour qu’il soit plus réactif et plus agile, ainsi que l’élargissement de l’initiative à des pays qui ne sont pas membres du G7.

Cela m’amène à l’autre question : l’initiative ne se limite pas aux membres du G7. Je l’envisagerais de la façon suivante : la réaction est un élément essentiel, et quand il faut réagir, la réaction est dirigée et coordonnée par les membres du G7. Par exemple, une déclaration signée par les pays du G7 peut avoir un impact considérable. Quand il faut dénoncer quelque chose, nous voulons que l’attention se concentre sur le G7. Toutefois, nous avons bâti des relations : d’autres pays participent aux discussions; nous avons noué des liens avec des universitaires qui ne travaillent pas pour un gouvernement. Je crois que Marcus Kolga comparaîtra plus tard.

Nous avons donc essayé d’élargir ce réseau au-delà des pays du G7; par exemple, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et d’autres pays qui s’intéressent à la question participent à l’échange de renseignements qui est au centre de l’initiative.

Le sénateur Boehm : Participent-ils aussi au financement, ou le financement nous incombe-t-il strictement étant donné que le secrétariat est au Canada?

Mme Denham : Le Canada finance le secrétariat. Les pays respectifs sont responsables de la mise en place des structures, quelles qu’elles soient, dont ils ont besoin au sein de leurs entités nationales, tout comme les observateurs. Différents pays peuvent porter un intérêt différent à une question donnée, et cet intérêt est corrélé aux ressources investies.

À ce jour, le Mécanisme de réponse rapide a été axé avant tout sur la manipulation de l’information et la désinformation; c’est là que nous avons commencé, là que notre attention s’est portée.

Pour répondre à votre question quant à notre agilité, nous avons également reconnu que la question de la répression transnationale est une préoccupation majeure. Nous avons mis sur pied un groupe de travail à l’intérieur du Mécanisme de réponse rapide, et nous travaillons avec des collègues dans ce domaine. Encore une fois, le Mécanisme de réponse rapide concernait les menaces pour la démocratie. La désinformation était le principal sujet de préoccupation à l’époque, mais nous devons continuer à élargir le champ et à faire preuve d’agilité pour relever ces défis. La répression transnationale est l’un des défis auxquels nous nous attaquons.

Enfin, pour conclure à propos de la rapidité avec laquelle les fonctionnaires peuvent réagir, cette question touche deux dimensions : une de ces dimensions est que nous nous fondons tous sur des renseignements non classifiés, de sources ouvertes; par conséquent, nous pouvons agir promptement, puisque nous pouvons les diffuser rapidement. Il n’est pas nécessaire de déclassifier les renseignements; ils peuvent être diffusés en dehors du Groupe des cinq. Cette approche a renforcé notre compréhension des problèmes.

La réponse collective est la dimension dans laquelle les défis ont surgi; c’est là que le secrétariat a constaté une difficulté. Nous communiquons avec nos collègues du G7, parce qu’il est très difficile de se mettre d’accord pour parler d’une seule voix, en tant que G7, quand nous nous apprêtons à dénoncer certains actes. Tous les pays ont réagi individuellement. Parfois, le Canada a réagi avec quelques-uns des membres, mais la priorité pour nous, c’est que nous devons être plus actifs dans le domaine de la réponse maintenant que nous avons mis en place les entités sur lesquelles elle repose.

Le sénateur Boehm : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Puis-je vous demander de nous en dire un peu plus sur les différentes attaques qui ont lieu? Madame Denham, vous avez parlé de la désinformation, et je pense que vous avez mentionné la question de la production alimentaire en Ukraine. Dans quelle mesure ces histoires sont‑elles vraies, puisque l’Ukraine produit une grande quantité de blé dont une grande partie, si j’ai bien compris, est exportée vers l’Afrique? Où est la vérité et où est la désinformation dans ce dossier? En général, en plus de la désinformation, quels autres types de cyberattaques observe-t-on? De véritables techniques de guerre sont-elles mises en œuvre?

Mme Denham : Je vais peut-être d’abord dire un mot à propos de la désinformation et demander à M. Khoury d’en dire plus sur les cyberattaques.

C’est un excellent exemple de discours construit par la Russie pour faire porter à l’Ukraine la responsabilité de la crise alimentaire mondiale après l’invasion, mais, en réalité, depuis plusieurs années, une crise alimentaire mondiale se profilait, liée à une production insuffisante de blé et à des difficultés d’expédition du blé dans différentes régions du monde. Le problème a été exacerbé et aggravé par la COVID. Les difficultés sont donc apparues progressivement.

Ensuite, avec l’invasion russe, la Russie a pointé du doigt l’Ukraine, l’accusant de ne pas expédier le blé hors du pays, alors que c’était la Russie qui était responsable des blocus et qui ne laissait pas sortir les navires, les transports. Donc, la Russie prend une part de vérité, l’existence d’une crise alimentaire mondiale — l’Ukraine est depuis longtemps l’un des principaux exportateurs —, mais elle la manipule pour donner l’impression que la crise alimentaire est imputable à l’Ukraine, alors que, en réalité, la Russie a envahi l’Ukraine, mis en place des blocus, dévasté les cultures agricoles et pris pour cible différentes infrastructures. C’est donc la Russie qui, par son invasion, a exacerbé la crise alimentaire.

Cet exemple illustre la manipulation de l’information pour miner la crédibilité d’autres pays.

Le sénateur Cardozo : L’autre élément, c’est la diffusion de cette information à grande échelle?

Mme Denham : Je vais donner une brève réponse. Le cyberespace et le numérique sont souvent mêlés. On dit qu’il s’agit d’une cyberopération et, bien sûr, il y a des définitions précises.

Une façon simple d’envisager la question est de penser à un piratage et à une fuite : le piratage est la cyberattaque; il s’agit de viser les infrastructures, de détruire, de pénétrer par effraction et d’accéder à l’information; la fuite est la désinformation, la manipulation de l’information. Donc, quand il est question de cyberinfrastructures, quand on parle de cyberincidents, les pirates prennent pour cible les infrastructures ou détruisent quelque chose, dans cette perspective; et la désinformation est la manipulation de l’information qui vient peut-être d’un cyberincident, mais pas toujours, si cette explication est utile.

M. Khoury : Je vous remercie pour votre question. J’ajouterais que nous avons observé une hausse du degré de sophistication des cyberactivités de la Russie en Ukraine, du vandalisme ciblant des sites Web aux attaques par déni de service contre des sites Web. Il s’agit d’empêcher d’y avoir accès. À l’autre extrême, on a assisté à de nombreuses vagues, à l’époque, du maliciel effaceur. Ce que l’on entend au fond par effaceur, c’est un code introduit dans un réseau et dont la seule fonction est d’effacer toutes les données sur ce réseau; il s’agit donc d’un programme destructeur.

Les Russes ont tenté de faire déferler plusieurs vagues de maliciels effaceurs sur les infrastructures publiques ukrainiennes. Bon nombre de ces maliciels ont été interceptés. Des contre‑mesures étaient mises au point pour les rendre inefficaces, mais c’était un jeu du chat et de la souris : les Russes lançaient un maliciel, qui était détecté; nous nous adaptions, ils le modifiaient, et ainsi de suite.

À l’autre extrême, les Russes ont montré, dès 2015-2016, qu’ils ont la capacité, par exemple, de mettre hors service le réseau électrique. Il y a donc une gradation, du simple vandalisme contre des sites Web à la panne d’électricité dans une région donnée du pays en utilisant des moyens cybernétiques.

Le sénateur Cardozo : Peuvent-ils s’en prendre avec succès à des chars, par exemple, les empêcher de fonctionner, leur faire faire demi-tour ou d’autres choses du même ordre?

M. Khoury : Je ne suis pas au fait des technologies militaires; quelqu’un de la Défense nationale pourrait peut-être vous en dire plus. Toutefois, nous vivons dans un monde connecté. Est-ce possible? Ce l’est peut-être.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Madame Denham, vous avez dit que sept personnes ont été sanctionnées. Pouvez-vous nous en dire plus? Je crois que vous venez de le mentionner : que pouvez-vous nous en dire? Je pense que cela nous aidera à comprendre ce qui est considéré comme sanctionnable, que cela nous dira quelque chose de la situation.

Mme Denham : Bien sûr. En ce qui concerne les sanctions que le Canada a imposées — et il y a eu plusieurs sanctions depuis l’invasion illégale —, je n’ai pas le chiffre exact avec moi. Pour ce qui est de la désinformation, permettez-moi de commencer en disant que, dans notre régime de sanctions, que nous devons appliquer très judicieusement, quelques critères doivent être remplis pour que des sanctions puissent être imposées. Premièrement, il faut être en mesure de justifier les sanctions à l’aide de renseignements; il faut donc des renseignements de sources ouvertes pour prouver les faits; deuxièmement, il y a le critère des indications de violations graves des droits de la personne; troisièmement…

Mme Anderson : Il y a le critère de la corruption internationale.

Mme Denham : Je vous remercie : il y a le critère de la corruption internationale. J’oublie toujours le troisième.

Ce sont là les domaines pour lesquels nous pouvons imposer des sanctions et que l’équipe étudie pour déterminer si les personnes contre lesquelles des sanctions ont été suggérées ou recommandées entrent dans une de ces catégories. À l’heure actuelle, les cyberactivités ne font pas partie de ces trois domaines. Ce que nous avons pu faire, c’est imposer des sanctions pour désinformation. Il y a eu d’autres sanctions dont vous avez entendu parler — des communiqués publics au sujet de la corruption et d’autres violations des droits de la personne en Ukraine — et ces dossiers subissent un examen, sont approuvés et, dans la mesure du possible, quand c’est possible, nous transmettons l’information à des personnes aux vues similaires dans d’autres pays, parce que la portée et l’effet potentiel des sanctions sont plus grands quand plusieurs sanctions sont imposées aux mêmes personnes par plusieurs pays.

La sénatrice Dasko : L’Ukraine a-t-elle jamais été sanctionnée, et par qui?

Mme Denham : Je parlais de séries de sanctions prises par le Canada contre les Russes qui avaient été identifiés comme des participants à des campagnes de désinformation qui avaient été lancées, ou comme des personnes qui appuyaient ces campagnes ou qui y étaient impliquées.

La sénatrice Dasko : Au Canada?

Mme Denham : Non, en Ukraine.

La sénatrice Dasko : Nos lois sanctionnent des acteurs en Ukraine qui diffusent de la désinformation. C’est ce que je comprends.

Mme Denham : Oui, les personnes qui ont été sanctionnées étaient des acteurs russes — et non des Ukrainiens — impliqués dans des campagnes de désinformation, qui prenaient l’Ukraine pour cible ou qui minaient l’appui à l’Ukraine sur la scène internationale.

La sénatrice Dasko : Quel genre de sanctions leur avons‑nous imposées?

Mme Denham : Je peux en parler de manière générale. Encore une fois, il s’agit de sanctions économiques.

La sénatrice Dasko : Ces renseignements sont-ils publics?

Mme Denham : Les séries de sanctions sont toutes rendues publiques; vous pouvez trouver le nom des personnes concernées. Je ne les ai pas tous ici avec moi. Cependant, si l’on pense aux sanctions économiques, les exemples qui ont été rendus publics sont entre autres le blocage des avoirs, le gel des avoirs, parmi d’autres.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’écosystème de la cybersécurité. Il y a de plus en plus d’entreprises spécialisées en cybersécurité qui vendent leurs services, des entreprises qui deviennent de futurs NVIDIA et qui explosent au marché boursier.

J’essaie de voir comment — ou même si — ces entreprises protègent bien nos infrastructures. Est-ce que ce sont ces entreprises qui aident à protéger nos infrastructures essentielles? Je pense au système d’électricité, au système bancaire canadien, aux transactions bancaires et à toutes les cibles stratégiques des infrastructures civiles qui pourraient être visées. Est-ce que vous les soutenez? Est-ce que vous donnez de l’information à ces entreprises ou à ces organismes, que ce soit Hydro-Québec ou un autre, qui gèrent des infrastructures essentielles ou stratégiques? Est-ce qu’on laisse plutôt les grandes entreprises privées — il y a des entreprises israéliennes et américaines — qui sont spécialisées dans la cybersécurité conseiller nos organismes ou entreprises stratégiques?

M. Khoury : Merci pour la question. Le partenariat est très important pour nous, que ce soit à l’échelle fédérale ou provinciale ou avec les organisations. Nous travaillons avec tout le monde pour tisser des partenariats afin d’échanger de l’information, pas seulement en temps de crise, mais pour maintenir un bon rythme dans l’échange d’information. Que ce soit avec les grandes banques ou avec des organismes comme Hydro-Québec ou d’autres, nous avons des partenariats qui nous permettent justement, quand nous avons quelque chose à partager, de le faire et de promouvoir un échange de connaissances techniques, comme ce que nous constatons et comment nous pouvons les aider à mieux se défendre.

Comme vous l’avez constaté, il y a beaucoup de compagnies commerciales qui se spécialisent dans le domaine de la cybersécurité. Au Centre canadien pour la cybersécurité, nous ne sommes pas en mesure de recommander la compagnie A plutôt que la compagnie B. Nous suggérons aux gens de prendre en considération certains facteurs avant de choisir avec qui ils vont faire affaire. Principalement, les grosses entreprises ont leurs propres équipes de cybersécurité et elles se fient sur des organismes comme nous ou d’autres compagnies spécialisées pour recevoir ce qu’on appelle en anglais du threat intel, pour être en mesure de mieux se protéger ensuite. C’est comme cela que nous fonctionnons : ultimement, chacun doit jouer son rôle, mais de prime à bord, le partenariat est présent dans tout ce qu’on fait.

Le sénateur Carignan : Vous n’avez pas de modus operandi fixé d’avance pour un secteur, avec des normes de communication ou de rapidité d’information? Peut-être que oui, mais je me pose la question, parce qu’on voit ce qui se passe avec la Commission sur l’ingérence étrangère. On voit qu’il y a des délais; on voit qu’il y a une décision qui est prise de transmettre de l’information, de ne pas la transmettre ou de la transmettre dans un certain délai. Comment est-ce que cela fonctionne, et comment peut-on transmettre rapidement l’information pertinente sans qu’elle reste sur un bureau en pensant que ce n’est pas nécessairement important maintenant, mais que cela pourrait l’être, effectivement?

M. Khoury : Nos équipes veillent 24 heures par jour, 7 jours sur 7, sur tout ce qui se passe dans le monde cyber. Nous tentons de réagir le plus vite possible. S’il s’agit d’information de nature classifiée, en l’espace de quelques heures, nous pouvons la déclassifier pour la partager avec le secteur privé. Pour votre premier point sur les normes, il n’y a pas de normes pour le secteur privé à l’heure actuelle, mais le projet de loi C-26, qui est présentement à l’étude au Parlement, permettra d’établir des normes dans quatre principaux secteurs. En travaillant avec nos homologues des provinces et territoires, nous espérons développer un système semblable ou équivalent pour les secteurs qui ne sont pas couverts par le projet de loi C-26.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être ici. J’ai deux questions. Premièrement, j’aimerais revenir à ce qu’a demandé ma collègue la sénatrice Deacon. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, qu’avons-nous appris dans le contexte des dimensions cybernétiques de la guerre? Il s’agit d’un tout nouveau domaine qui — me semble-t-il — dominera ce nouveau siècle : la manière de faire la guerre et, de façon plus importante encore, la manière d’utiliser l’information. De façon analogue, quelle est la réaction de notre pays? Nous jouons un rôle important sur le terrain en appuyant l’Ukraine d’une multitude de façons pour l’aider à relever les défis auxquels elle est confrontée. Qu’avons-nous appris et comment ces leçons nous éclairent-elles face à nos propres défis et quand nous sommes aux prises avec ce genre de problèmes?

M. Khoury : Je vous remercie pour votre question. Nous avons appris ce dont la Russie a fait la démonstration, à savoir que les cyberopérations sont un outil de plus dans la gamme de capacités dont dispose une armée ou un pays, et que la synchronisation entre les opérations peut être assez dommageable. Il ne s’agit pas seulement de puissance cinétique; si l’on combine la puissance cinétique et la puissance cybernétique, on peut avoir plus d’impact. Nous tirons de nombreux enseignements de ce que fait la Russie, quand cela fonctionne et quand cela ne fonctionne pas, parce que, dans le contexte du conflit, beaucoup de choses ne se sont pas déroulées comme planifiés du côté russe. C’est en partie à cause de la résilience de la société ukrainienne, qui est la cible de cyberattaques depuis de nombreuses années et qui a gagné en résilience. C’est ce que nous préconisons au Canada : il faut renforcer la résilience au sein de la société pour être en mesure de résister à des conflits ou à des cyberconflits potentiels.

L’autre chose, c’est le concept dont nous avons également parlé : le prépositionnement par rapport aux infrastructures essentielles. Ce n’est pas en temps de guerre que l’ennemi s’en prendra à nous. Parfois, il peut se dissimuler à l’intérieur de nos propres réseaux, et, en temps de conflit, passer à l’action. C’est pourquoi nous travaillons également assidûment avec les exploitants des infrastructures essentielles pour nous assurer qu’ils sont à l’affût de tout signe d’activité suspecte dans leur réseau, parce que nous voulons éviter le scénario qui a été mis au jour l’été dernier avec Volt Typhoon, un acteur de la République populaire de Chine qui se dissimulait dans un réseau d’infrastructures essentielles.

Le sénateur Yussuff : Avons-nous des capacités semblables dans notre réaction? Nous ne sommes pas en guerre avec qui que ce soit, mais avons-nous la capacité de prendre pour cible une société et des infrastructures comme notre société et nos infrastructures sont prises pour cible?

M. Khoury : Dans le cadre des pouvoirs du Centre de la sécurité des télécommunications, nous pouvons mener des cyberopérations actives et défensives. Il y a tout un régime d’approbation pour déterminer le moment où ces pouvoirs sont utilisés. Au-delà de cela, nous ne faisons pas de commentaires en public à propos des opérations qui ont été menées en vertu de ces pouvoirs.

Le sénateur Yussuff : Dans le contexte de la désinformation, de larges répercussions se font sentir sur la société canadienne, presque de manière régulière. Le gouvernement n’a pas tendance à réagir rapidement à la désinformation.

Comment pouvons-nous mieux travailler dans l’organisation de la société civile, compte tenu de l’ampleur du problème et du degré auquel il est présent dans la société canadienne, qu’il s’agisse des jeunes ou des adultes? Tous les jours, des informations qui ne sont pas vraies sont répandues. Nous sommes confrontés à ce problème avec la Russie et la Chine, et avec d’autres acteurs. Il s’agit d’un énorme défi pour notre pays. Comment améliorer notre capacité de réaction et renforcer les capacités dans la société civile?

Mme Denham : M. Khoury l’a également mentionné, nous prêtons une grande attention aux discussions sur la résilience de la société dans son ensemble. J’ai parlé du Mécanisme de réponse rapide.

Dans certains cas, ce sont les gouvernements qui sont les mieux placés; par exemple, nous pouvons apprendre au contact de nos alliés, constater ce qui se fait à l’international ainsi qu’entendre parler de certaines tactiques et en faire part aux organismes nationaux du Canada. Nous pouvons nous familiariser avec certains discours pour nous assurer que la population comprend, quand il y a certains discours, lesquels sont de la désinformation, et mieux occuper la scène de l’information, c’est ce que je dirais.

Certains demandent aux gouvernements de dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas le rôle des gouvernements. Nous devons dire : voici les tactiques que nous observons. Voici le type de discours que nous voyons. Voici les renseignements factuels sur ce que nous faisons ou sur notre réaction. La résilience à l’échelle de la société devient alors réalité quand différents experts de la société civile et du monde universitaire investissent dans leurs capacités à comprendre ce qui caractérise cet environnement.

Quelques entités canadiennes ont des compétences dans ce domaine. Vous en entendrez certaines. Continuons à investir dans ces capacités. Encore une fois, quand il est question de dénoncer certaines tactiques, le gouvernement n’est pas toujours le mieux placé; ce sont plutôt les médias, les universitaires, les personnes qui ont une compréhension plus fine de l’information qu’elles consomment.

Traditionnellement, le Canada n’est pas un pays qui a connu des campagnes de désinformation massives. Nous n’y sommes pas habitués. Je parle à des élèves du secondaire et je les encourage à faire preuve de discernement : quand on voit quelque chose, comment y réagit-on? Si l’on a des émotions qui traduisent un grand enthousiasme ou une grande colère, il y a quelque chose de louche. Il faut apprendre à faire preuve d’un plus grand discernement.

Il faut veiller à avoir les capacités et il faut apprendre au contact de nos alliés à l’international, et dans notre système au Canada, il faut appuyer le monde universitaire et les experts qui travaillent sur ces questions pour qu’ils puissent apporter leur pierre à l’édifice dans le domaine de l’éducation.

Par ailleurs, il y a tout un travail mené par le ministère du Patrimoine canadien en collaborant avec les médias et en bâtissant l’écosystème en question. C’est vraiment un effort de l’ensemble de la société.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie.

Le sénateur McNair : Ma question s’adresse à M. Khoury. Comment le Centre de la sécurité des télécommunications contre-t-il les programmes particuliers de désinformation qui ciblent les Canadiens? Avez-vous la capacité de réagir à ces campagnes de désinformation? À en juger par votre réponse au sénateur Yussuff, il semble que nous ayons une capacité limitée de riposter d’une manière ou d’une autre en suivant un processus d’approbation.

M. Khoury : Je vous remercie pour votre question.

Nous ne sommes pas un organisme de réglementation s’agissant de l’information. Nous cherchons des signes que les États-nations utilisent des moyens cybernétiques pour exercer une influence ou promouvoir la désinformation.

Dans certains cas, nous réfutons ce qui est dit — dans le cas des images trafiquées de soldats canadiens, parce que nous avions des renseignements prouvant le contraire. Il s’agissait d’un cas particulier dans lequel le gouvernement a approuvé la publication d’une réaction en suivant la procédure appropriée.

En ce qui concerne nos pouvoirs, il s’agit de pouvoirs permettant de mener des cyberopérations et non des campagnes de désinformation à proprement parler. Il s’agit d’imposer un coût à nos adversaires en utilisant des moyens cybernétiques. Il peut s’agir de paralyser des infrastructures, par exemple, ou d’une intervention du même ordre, purement cybernétique.

En ce qui concerne la lutte contre les discours, je laisserai ma collègue, Mme Denham parler du rôle du Mécanisme de réponse rapide pour dénoncer la mésinformation.

Mme Denham : Pour ajouter quelques exemples, le Mécanisme de réponse rapide publie également un rapport annuel, dans lequel nous présentons la position commune à laquelle nous parvenons avec nos collègues du G7 concernant les tactiques observées et les pays qui les mettent en œuvre. Deux rapports annuels sont actuellement disponibles en ligne, ceux de 2021 et de 2022.

Nous avons un site Web qui a été mis en place. Il concerne en particulier la désinformation qui visait l’Ukraine, la désinformation russe, s’entend. Il cherche à réfuter la désinformation à l’aide de faits. Par exemple, des experts donnent des entrevues, expliquent les tactiques qu’ils observent, la forme qu’elles prennent; c’est ensuite publié sur le site Web.

Nous avons mené des campagnes dans les médias sociaux. Avant la tenue de scrutins régionaux ou avant que la Russie n’intervienne pour annexer différents territoires… Nous avons publié un scénario qui contient les étapes habituelles que la Russie suit chaque fois. Elle modifie les programmes scolaires dans les écoles. Nous avons noté les dix étapes, la dernière étant l’annexion du territoire. Il s’agit de présenter l’information. Il s’agit de réfuter les discours que nous observons et d’occuper l’espace à l’aide d’un contre-discours. Ce sont quelques-unes des mesures que nous avons prises, en plus de la diffusion de renseignements par l’intermédiaire du Mécanisme de réponse rapide.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez dit, monsieur Khoury, que les Russes réagissent rapidement à vos signalements et corrigent le tir.

Les questions que cela soulève dans mon esprit sont les suivantes : est-ce que vos communications sont trop publiques, est-ce qu’elles pourraient être infiltrées et où prennent-ils leurs informations pour corriger le tir?

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : En complément à la question de mon collègue le sénateur Yussuff à propos de l’apprentissage, j’ai lu que des centrales électriques ukrainiennes ont été mises hors ligne il y a quelque temps à la suite de cyberattaques russes menées avant la guerre et qu’elles sont isolées du reste des cyberinfrastructures de leur entreprise. Est-ce quelque chose que nous pratiquons ici, au Canada, ou que nous considérons? Quelles autres mesures prises par l’Ukraine pour protéger ses infrastructures pourrions-nous envisager?

La sénatrice Dasko : Certains des messages que vous avez mentionnés et que j’ai vus dans les documents semblent simplistes — par exemple, il y a des nazis en Ukraine, ou quand la Russie affirme croire en la liberté, alors que, en réalité, il n’y a pas de journalisme indépendant en Russie; les journalistes ont quitté le pays, ou sont en prison —; il y a ce genre de messages hautement invraisemblables, qui n’ont aucune crédibilité.

Il y a certainement des messages plus crédibles, qui ressortent et qui portent. Je me demande si vous pouvez m’en dire plus sur certains de ces messages qui ressortent plus nettement. Je suppose que ceux que j’ai mentionnés sont complètement ridicules; à tout le moins, ils le sont à mes yeux.

Mme Denham : Je vais dire un mot rapidement. Les autres réponses sont pour M. Khoury.

Ces discours vous semblent peut-être totalement invraisemblables, mais ils ont trouvé un puissant écho, en particulier à l’international et auprès d’auditoires étrangers.

La sénatrice Dasko : Que la Russie croit en la liberté d’expression?

Mme Denham : Certains auditoires le pensent. En ce qui concerne la capacité d’adaptation de la Russie, elle regarde quels messages semblent trouver un écho et circulent, et elle les amplifie.

Quand la Russie met à l’essai un discours qui dit qu’elle croit en la liberté, si ce discours ne trouve pas vraiment d’écho, elle crée d’autres messages. Elle regarde quels messages trouvent le plus d’écho.

Certains des messages les plus persistants, depuis le début, concernent le nazisme; un autre concerne la présence en Ukraine d’armes nucléaires et biologiques sous le contrôle des puissances occidentales; la Russie a nié des attaques menées contre des civils. Nous l’avons constaté à maintes reprises. Un autre message qui a circulé plus récemment sème le doute concernant les armes envoyées à l’Ukraine et suggère qu’elles auraient été vendues sur le marché noir, en particulier au Hamas et à d’autres.

Vous avez probablement entendu certains éléments de ces discours; ils trouvent un puissant écho auprès de différents auditoires à l’international, et ces messages sont ceux que la Russie amplifie.

Le président : Je donnerai une réponse très brève aux deux autres questions.

[Français]

M. Khoury : Dans certains cas, ce sont des messages publics, mais les Russes constatent que leur technique ne fonctionne pas. C’est de cette manière qu’ils s’adaptent pour comprendre pourquoi cela n’a pas fonctionné. Donc, ils changent le code et si on l’attrape, cela ne fonctionne pas non plus. C’est un jeu entre eux et nous.

[Traduction]

À la question de savoir si nous prenons des mesures d’hygiène, je réponds oui. Par exemple, dans le cas d’une centrale hydroélectrique, nous recommandons toujours de séparer le réseau des technologies de l’information de celui des technologies opérationnelles, le réseau des technologies opérationnelles étant le réseau opérationnel de l’électricité. Il faut s’assurer qu’il n’est pas accessible à partir d’Internet pour éviter d’avoir le problème que l’Ukraine a rencontré en 2015 et en 2016.

Le président : Je vous remercie, monsieur Khoury, madame Denham et madame Anderson, pour vos réponses très complètes à beaucoup de questions difficiles. Nous vous remercions pour le travail que vous accomplissez. Nous parlons d’un aspect de ce travail aujourd’hui. Nous savons qu’il y en a beaucoup d’autres.

Au nom de mes collègues autour de la table, de nos collègues au Sénat et des Canadiens, je vous remercie pour le travail très important que vous effectuez chaque jour.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Anthony Seaboyer, directeur du Centre pour la sécurité des forces armées et de la société au Collège militaire royal du Canada; Svitlana Matviyenko, professeure agrégée d’analyse critique des médias à l’École de communication de l’Université Simon Fraser; et Aaron Erlich, professeur agrégé au Département de science politique de l’Université McGill. Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.

Je vous invite à présenter vos déclarations préliminaires, qui seront suivies des questions de nos membres. Madame Svitlana Matviyenko, ce soir, nous commençons par vous. Si vous êtes prête, vous avez la parole.

Svitlana Matviyenko, professeure agrégée, Analyse critique des médias, École de communication, Université Simon Fraser, à titre personnel : Je tenais à être ici et je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de mon témoignage aujourd’hui.

Comme le confirment d’abondantes recherches et enquêtes, depuis plusieurs décennies, le gouvernement russe pratique la désinformation multivectorielle et mène une cyberguerre contre l’Ukraine et de nombreuses communautés à l’international. Les moyens et la dynamique de cette guerre ont considérablement changé après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Aujourd’hui, les techniques de désinformation russes sont passées de la manipulation de l’opinion à un système de production stratégique de terreur.

En général, on entend par désinformation une information fausse qui vise délibérément à induire l’opinion publique en erreur et à manipuler l’opinion publique, soit avec finesse, comme l’a fait par exemple Russia Today au Canada entre 2009 et 2022, en bâtissant progressivement une relation de confiance avec le public pour devenir un outil parfait qui a amplifié et propagé de l’information dans l’intérêt du gouvernement russe à un moment choisi, soit plus énergiquement en ciblant les utilisateurs canadiens directement dans les médias sociaux à partir de faux comptes.

Compte tenu de la portée, de l’intensité et de la nature de la guerre de l’information menée depuis 2022, le terme « désinformation » ne peut plus décrire de façon appropriée l’effet produit sur les utilisateurs et les intentions de l’agresseur en Ukraine. Comprenez-moi bien : la désinformation reste l’une des techniques fondamentales de déstabilisation, mais, dans le contexte de la guerre totale, elle fait partie intégrante de faits de guerre plus complexes qui prennent la forme d’opérations tant cinétiques que cybernétiques.

Aujourd’hui, en Ukraine, l’agresseur russe ne cherche pas à mésinformer, mais à terroriser. Ainsi, pour l’usager canadien, le fait que l’État et les médias russes nient les attaques contre des infrastructures civiles ukrainiennes, le génocide à Boutcha ou la destruction du barrage de Kakhovka peut bel et bien constituer de la désinformation qui, en l’absence d’information crédible, est susceptible d’engendrer de l’incertitude ou du bruit. Cette désinformation n’a toutefois pas le même effet sur les Ukrainiens, puisqu’ils sont soumis à de la violence à répétition. En plus d’être témoins des horreurs de la guerre, ils reçoivent en effet de la désinformation dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux. Ils doivent la combattre tout en étant ciblés par des drones ou des missiles, privés de sommeil et traumatisés par leurs pertes individuelles et communes.

Il s’agit d’un terrorisme ouvertement axé sur l’attrition, l’intimidation, la provocation et l’escalade. La Russie vise ainsi un objectif de suppression et de subjugation des Ukrainiens, de façon à éroder leur dignité humaine et, ce faisant, leur capacité de résistance à son agression.

La stratégie de terreur de la Russie n’est d’ailleurs pas confinée aux frontières de l’Ukraine. Mes recherches suivent aussi le fil de sa militarisation de l’infrastructure nucléaire, depuis l’occupation de la centrale nucléaire de Tchernobyl jusqu’à celle de la centrale nucléaire de Zaporijjia, dans le but de brandir la menace nucléaire pour terroriser la population planétaire.

Une catastrophe nucléaire ou une frappe nucléaire ne laissent personne indifférent. Comme on le dit en études des médias, la radiation est un média de masse qui, avant Internet, a mondialisé la planète et aboli les distances. Sa matière aussi mortelle qu’invisible serait en mesure d’atteindre n’importe qui, n’importe où. Conjuguée à la menace nucléaire, la désinformation atteint ses objectifs d’autant plus efficacement.

C’est ce qui m’est revenu à l’esprit, hier soir, lorsqu’un chauffeur de taxi d’Ottawa qui semblait initialement très contrarié par les « dépenses du gouvernement », comme il disait, a sauté du coq à l’âne pour parler de la guerre en Ukraine. Il a expliqué son raisonnement en demandant avec véhémence: « Si l’Ukraine ne peut pas remporter la guerre, pourquoi envoyer des armes là-bas? Les Russes ont des bombes nucléaires. »

Je sais, et vous aussi sans doute, qu’il est courant de faire la combinaison logique de ces sujets dans la même phrase. Ce n’est pas une coïncidence : c’est l’effet de la terreur, plus précisément de la terreur nucléaire, puisque la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine conjugue cybernétique et nucléaire.

Je vous remercie et je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci, madame Matviyenko. Passons maintenant à Anthony Seaboyer. Quand vous serez prêt, allez-y.

Anthony Seaboyer, directeur, Centre pour la sécurité des forces armées et de la société, Collège militaire royal du Canada, à titre individuel : Je vous remercie de m’avoir invité à intervenir. Mes travaux portent sur l’instrumentalisation de l’information à des fins militaires par les régimes autoritaires comme ceux de la Chine, de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord. Je m’intéresse aux méthodes qu’ils emploient pour s’en prendre aux démocraties au moyen de la désinformation ainsi que de tactiques hybrides et en zone grise dans le but de déstabiliser des pays de droit démocratiques comme le Canada, en particulier au moyen d’applications fondées sur l’intelligence artificielle. C’est là-dessus que je me concentre.

Ces applications rendent les infoattaques contre les démocraties considérablement plus efficaces. Les sociétés démocratiques doivent de toute urgence redoubler d’efforts pour se prémunir contre les tentatives d’instrumentaliser l’information dans le but de les influencer ou d’éroder la démocratie.

J’attire votre attention sur le fait qu’en employant des applications fondées sur l’intelligence artificielle, la Russie accroît l’effet corrosif de ses campagnes de désinformation en Ukraine et dans les États démocratiques, bien au-delà de ce qui était le cas jusqu’ici. Ce que je veux que vous reteniez, c’est que, vu les dernières percées en matière d’intelligence artificielle, les campagnes de désinformation de la Russie sont nettement plus efficaces qu’auparavant, de plus grande envergure, et plus difficiles à détecter par les auditoires cibles et pour quiconque qui cherche à y résister. Elles sont plus perfectionnées, et il est extrêmement plus difficile de s’en prémunir. La désinformation russe représente une menace plus grave que jamais auparavant pour les démocraties, et de loin.

La différence vient du fait que les applications fondées sur l’intelligence artificielle permettent à la Russie d’opérer des frappes de désinformation plus subtiles, plus plausibles et microciblées qui sont mises au point à l’issue d’une analyse des faits. La Russie procède ainsi depuis longtemps. Il s’agit de « contrôle réflexif à la russe », une méthode qu’elle applique depuis au moins les années 1960. La nouveauté, c’est la précision et l’ampleur des opérations que les applications fondées sur l’intelligence artificielle rendent possibles.

Je pourrais donner de nombreux exemples de cette technique, mais je m’en tiendrai à quelques-uns qui ciblent en particulier l’armée ukrainienne. La Russie utilise l’intelligence artificielle générative pour falsifier des ordres politiques et militaires, éroder le moral des Ukrainiens et du milieu de la sécurité, semer la discorde entre alliés et discréditer de hauts gradés. Elle cible à la fois des soldats, indirectement, et des citoyens, directement, en légitimant les manifestations violentes de manière à semer la confusion parmi les auditoires cibles, à polariser les sociétés, à discréditer les autorités politiques, à remettre en cause la légitimité des processus décisionnels et des régimes politiques ainsi qu’à radicaliser les auditoires cibles.

Nous sommes tous bien au fait de ce qui s’est passé aux États‑Unis, alors j’aimerais attirer votre attention en particulier sur le deuxième pays en importance en matière d’aide militaire à l’Ukraine, c’est-à-dire l’Allemagne. La Russie s’en est prise à l’Allemagne au moyen d’une campagne qui a mobilisé au-delà de 50 000 comptes dédiés. Ces comptes publiaient quotidiennement plus de 200 000 billets de désinformation pour remettre en question l’aide à l’Ukraine en affirmant qu’elle nuisait à la prospérité économique de l’Allemagne et que cela risquait de se solder par une guerre nucléaire.

Les messages russes étaient rédigés de façon à ressembler à de vrais billets de sites d’information légitimes, jusque dans le ton et le style, quelque chose qui était jusqu’ici extrêmement difficile à accomplir et irréalisable à grande échelle, mais que l’intelligence artificielle fait très bien. Au-delà de leur contenu, pour le lecteur, les billets étaient pratiquement impossibles à distinguer de ceux que publient réellement Der Spiegel ou le Süddeutsche Zeitung.

La Russie se sert ainsi de l’intelligence artificielle de manière à créer des écosystèmes d’information parallèles en amplifiant et en relayant activement l’expression de doutes et de malaises sur le soutien de l’Ukraine par l’Allemagne, non seulement en Allemagne même, mais aussi au Canada, aux États-Unis et ailleurs en Occident.

Pour le Kremlin comme pour tout autre État autoritaire et non démocratique — la Chine, par exemple —, l’existence même de démocraties fait figure de menace à la survie du régime. C’est d’ailleurs pourquoi ils agissent ainsi. Les régimes autocratiques autoritaires dont le pouvoir politique repose sur la répression, la violence, la censure et la corruption ne peuvent pas soutenir la concurrence face aux conditions de vie des civils dans les démocraties de droit. Les démocraties libérales sont de toute évidence supérieures aux dictatures totalitaires, que ce soit sur le plan des conditions de vie, du développement économique, de la stabilité politique ou du bonheur général de la population. Ces régimes ressentent donc une pression très intense et ils s’efforcent de la contrer au moyen de la désinformation.

Les campagnes russes de désinformation fondées sur l’intelligence artificielle ne se limitent pas au ciblage individuel en contexte électoral, par exemple. Il s’agit d’exercer un contrôle réflexif dans un sens beaucoup plus large, de manière à induire des changements de comportement en recadrant la perception individuelle du monde. Au-delà de cela, néanmoins, elles visent avant tout à éradiquer la formation spontanée d’une volonté politique.

Pour ce faire, les Russes appliquent une méthode complexe dans le but de provoquer une surcharge cognitive au sein des auditoires cibles: ils inondent les espaces d’information dans le cadre de campagnes de désinformation ciblées tout en répandant de la mésinformation de manière à créer du bruit et à générer de la confusion.

Le volume titanesque d’information que les applications fondées sur l’intelligence artificielle arrivent à générer finit par suffoquer les auditoires. Ils en reçoivent tellement et ils ont tellement de mal à distinguer le vrai du faux qu’ils finissent par délaisser les sources journalistiques, avec pour conséquence une apathie informationnelle.

Au fil du temps, l’apathie informationnelle engendre une espèce de blocage mental: les auditoires cibles sont tellement dépassés qu’ils cessent de s’investir dans le processus politique.

C’est ainsi que les régimes autoritaires atteignent leur objectif final: parce que l’information a été exploitée, les gens ont l’impression de ne plus avoir de libre arbitre, ce qui enraie pour ainsi dire les sociétés civiles tout en empêchant la formation spontanée d’une volonté politique. Les applications fondées sur l’intelligence artificielle accélèrent et facilitent grandement la perte du libre arbitre. En conséquence, les campagnes de désinformation russes fondées sur l’intelligence artificielle constituent une menace existentielle pour la société démocratique canadienne et notre mode de vie. Je vous remercie de votre attention.

Le président : M. Erlich est notre dernier témoin. Lorsque vous serez prêt, allez-y.

[Français]

Aaron Erlich, professeur agrégé, Département de science politique, Université McGill, à titre personnel : Bon après‑midi à tous.

[Traduction]

Je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui.

Je suis un chercheur en sciences humaines quantitatives et surtout comportementales. J’étudie donc le côté humain de l’équation. Je m’intéresse aux facteurs démographiques, politiques et sociaux de la désinformation ainsi qu’aux moyens d’immuniser les gens contre la désinformation, d’accroître leur résilience, comme l’a dit quelqu’un dans le panel précédent, leur résilience informationnelle.

Depuis 2014, je mène régulièrement des expériences en laboratoire et des enquêtes à grande échelle en Ukraine, un pays que j’étudie et où je me rends depuis 2003.

Voici brièvement les six points à retenir, en fonction de mes recherches empiriques.

Primo, il faut vraiment miser sur le développement de l’esprit critique, au Canada et ailleurs dans le monde. Nous avons reproduit en Ukraine de vastes études qui avaient été réalisées aux États-Unis. Tout semble indiquer que l’amélioration de l’aptitude au raisonnement critique et le fait de rappeler aux gens d’user de sens critique face au contenu médiatique les rendent moins susceptibles de croire la désinformation sans pour autant nuire à la confiance qu’inspire le contenu factuellement vrai. Il faut procéder à ce genre d’études en permanence, ici et à l’étranger. Comme l’ont signalé les intervenants précédents, le déluge de désinformation créée par intelligence artificielle, en grande partie par des forces pro-Kremlin, met durement à l’épreuve la faculté de discernement individuelle. À n’en pas douter, nous sommes prêts pour ce qui s’en vient. La capacité de générer un volume considérable de faux contenu commence tout juste à être exceptionnelle.

Nous avons beaucoup à apprendre de l’Ukraine. Dans les études que nous avons menées, l’Ukraine obtient de très bons résultats relativement à la détection de désinformation, malgré tout ce que celle-ci entraîne. À l’exception des nouvelles économiques, l’Ukrainien moyen arrive à distinguer le vrai du faux. C’est ce que montrent nos études. Il se fait aussi là-bas des choses intéressantes qui se rapportent aux questions d’autres intervenants. Par exemple, il existe en Ukraine un programme universitaire axé strictement sur la désinformation et la résilience informationnelle.

Secundo, il faut inculquer des compétences aux personnes qui ont des liens avec la Russie et d’autres contextes autoritaires de façon à mieux contrer la propagande des États autoritaires comme la Russie sur leur territoire. Je pense qu’on fait souvent abstraction de l’importance que revêt ce que croient les gens qui fournissent de l’information à ceux qui sont sur place. C’est difficile de rétablir les faits quand on n’est qu’un inconnu parmi d’autres. Dernièrement, une équipe et moi avons envoyé un quart de millions de messages à des Russes, des messages rédigés par des équipes d’universitaires chevronnés, mais un seul d’entre eux a engendré de l’interaction avec l’information sur l’Ukraine. En revanche, pour un autre projet, dans le cadre d’une étude pilote, nous avons interrogé des Ukrainiens à propos de leurs communications avec leurs proches en Russie. Environ 11 millions de citoyens russes ont de la famille en Ukraine. Même si beaucoup de participants n’avaient pas l’impression de pouvoir convaincre leur parenté de quoi que ce soit, certains ont rapporté avoir réussi.

Tertio, il faut miser sur la réorientation linguistique. La langue employée pour communiquer un message fait la différence. Nous en sommes très conscients au Canada. Beaucoup d’Ukrainiens choisissent désormais de lire en ukrainien plutôt qu’en russe. Dans les études menées avant l’invasion proprement dite, environ 50 % des Ukrainiens répondaient aux questions en russe, mais maintenant, c’est souvent 10 %. Nous sommes en train de réaliser des études pour déterminer si les gens croient moins la désinformation lorsqu’ils la lisent en ukrainien plutôt qu’en russe, et les résultats préliminaires laissent présager que c’est le cas.

Il faut par ailleurs aider les ONG à cibler les populations difficiles à joindre et compter sur la créativité des acteurs locaux. Les gens les plus susceptibles à la désinformation ne consultent pas les médias traditionnels et ils n’utilisent pas les réseaux sociaux. Les publicités sur les sites de jeu en ligne, par exemple, représentent un moyen créatif de tenter de les joindre dans leur propre contexte. L’idée est venue d’une ONG ukrainienne dont l’équipe sait comment cibler des segments de population en Ukraine.

Les sénateurs devraient aussi s’intéresser aux effets des interdictions de diffusion ou de publication. Des travaux de recherche impressionnants sur l’Ukraine auxquels je n’ai pas participé ont montré qu’interdire les chaînes de télévision russes a fait perdre du terrain à Poutine et aux discours prorusses. L’Ukraine a interdit les médias d’État russes, mais aussi Vkontakte, un concurrent russe de LinkedIn, ce qui a contribué à limiter l’exposition au contenu préjudiciable et malveillant, quoique non sans porter atteinte à la liberté d’expression.

Comme les intervenants du premier panel, je pense qu’il est nécessaire de continuer à soutenir la recherche à grande échelle dans ce domaine, non seulement en ce qui concerne les médias, mais aussi sous l’angle social et comportemental. Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions. Pour résumer, nous disposons de quatre minutes pour les questions et les réponses, alors vous savez à quoi vous en tenir. Nous commençons avec notre vice-président, le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Erlich. Lorsqu’on regarde les cyberopérations et la désinformation lancées par les Russes depuis le début de la guerre en Ukraine, est-ce qu’on a des exemples permettant de conclure que les tactiques des Russes ont réellement porté leurs fruits? Ou alors, avec un certain recul, peut-on conclure qu’aucune de leurs attaques n’a eu un effet dévastateur?

[Traduction]

M. Erlich : Merci beaucoup de la question. Ce que je peux dire, c’est que dans les études menées avant l’invasion à proprement parler, il y a beaucoup d’information. Par exemple, il était question à l’occasion de nazis. La plupart des Ukrainiens ne croient pas à ces histoires-là. Là où la Russie semble avoir eu plus de succès, et c’est peut-être encore le cas aujourd’hui, je pense, c’est en matière d’économie. L’économie de l’Ukraine va tellement mal depuis tellement longtemps — rappelons-nous entre autres que la corruption y est endémique — que les Ukrainiens sont très susceptibles à la désinformation de nature économique. Je suis incapable de dire exactement si son effet peut être qualifié de dévastateur, mais il n’en reste pas moins que le domaine le plus sensible, c’est tout ce qui touche l’économie. C’est là où la désinformation risque le plus d’influencer l’opinion publique en Ukraine.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Matviyenko, on a accueilli plusieurs réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre.

Avec vos expériences sur le terrain, pourriez-vous nous dire si la désinformation peut avoir eu un effet important sur la prise de décisions d’une partie de la population civile qui tente d’échapper à la guerre?

[Traduction]

Mme Matviyenko : Je vous remercie de votre question. Je ne le crois pas. Je pense que les Ukrainiens sont en mesure de trouver l’information nécessaire. Le Canada est généralement perçu comme un pays accueillant. J’étais en Ukraine au moment de l’invasion, alors j’ai moi-même répondu à beaucoup de questions. J’ai passé 2021 et 2002 là-bas, alors j’ai pu constater de moi-même quelle était la situation avant l’invasion et comment les choses ont évolué la première année.

Je communiquais avec beaucoup de gens. Ils savaient que je vis au Canada, alors j’ai reçu de nombreux appels à l’aide. J’ai été renversée. Le lien de confiance reste donc solide.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une autre question pour vous, madame Matviyenko.

Est-ce que vous pourriez comparer les opérations de désinformation menées ici au Canada à celles qui sont faites aux États-Unis, ou encore à celles qui sont faites en Europe ou dans certains pays qui sont plus proches que nous de la Russie?

Si c’est possible, j’aimerais savoir si vous voyez une différence entre les messages et les objectifs des Russes selon ceux à qui ils s’adressent.

[Traduction]

Mme Matviyenko : Je dirais que oui. Je ne peux probablement pas vous fournir d’exemple précis, mais comme quelqu’un l’a dit dans le panel précédent, la désinformation, en tant que pratique, évolue constamment. C’est on ne peut plus vrai. On constate au fil du temps qu’il y a des formes de désinformation, des mèmes ou des sujets qui apparaissent et qui disparaissent, alors qu’il y en a d’autres qui s’incrustent.

C’est curieux de constater l’évolution de cette histoire de nazis. Elle ne remonte d’ailleurs pas du tout qu’à plusieurs années. Tout a commencé en 2004, durant la campagne présidentielle Iouchtchenko-Ianoukovitch. C’était la première fois que Ianoukovitch retenait les services d’un conseiller politique russe. C’est à ce moment-là que l’idée de semer la zizanie au pays a vu le jour. Ils ont décidé, on ne sait pas trop pourquoi, d’associer Iouchtchenko et nazisme. Après quelques années, le discours s’est estompé, mais il a refait soudainement surface il y a plusieurs années. Il arrive qu’il y ait une histoire derrière ce genre de discours, et elle est parfois très ancienne, alors c’est intéressant de remonter à la source.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

Le sénateur Boehm : Je remercie notre panel d’universitaires. Vous avez tous fait d’excellentes présentations, très informatives.

Ma question s’adresse au professeur Erlich. Dans l’article que vous avez coécrit avec le professeur Calvin Garner, vous parlez de la capacité des Ukrainiens à distinguer la désinformation pro‑Kremlin des renseignements factuels. Selon votre présentation, vous avez constaté que, malgré des années d’exposition constante à la désinformation russe, l’Ukrainien moyen est en mesure de distinguer les histoires vraies des affirmations qui relèvent de la désinformation pro-Kremlin.

Selon vos travaux — et peut-être que les autres participants du panel auront eux aussi une opinion sur la question —, quelles pratiques le Canada devrait-il adopter pour contrer la propagande sur son territoire? Je ne perds pas de vue le fait que, chaque fois qu’un gouvernement présente une mesure législative, la question de la liberté d’expression et de l’atteinte à nos libertés sur la toile se pose. Je me demande ce que vous en pensez, à la lumière de vos travaux.

M. Erlich : Merci, monsieur le sénateur. C’est une excellente question, et je me la pose moi-même, car si l’Ukraine obtient d’aussi bons résultats, c’est sans doute principalement à cause de l’invasion de 2014. D’une certaine façon, c’est peut-être la pire erreur de Poutine: il a vraiment donné aux Ukrainiens l’occasion d’apprendre à gérer tout cela.

Une des choses qu’il faut absolument, c’est faire comprendre aux gens qu’il y a urgence. J’hésite à dire qu’il faut leur faire peur. Je ne veux pas employer le mot « peur », mais il n’en reste pas moins que les gens doivent prendre conscience que le temps presse et qu’ils ne doivent pas rester sans rien faire. Les Ukrainiens ont réagi, eux. Ils ne pouvaient plus rester sans rien faire. Ils ont ressenti l’urgence d’apprendre comment gérer tout cela. Je suis certain que mes collègues ici présents en auront beaucoup à dire, mais si vous parliez avec ceux qui se trouvent sur le terrain, ils vous diraient que personne ne croit quoi que ce soit avant d’avoir tout confirmé et reconfirmé. À entendre les Ukrainiens, on croirait qu’ils ont consulté un manuel: « J’ai confirmé l’information auprès de trois sources et j’ai consulté deux copines, dont une à Kherson, alors je sais que c’est vrai. » Ils ont compris l’urgence d’agir.

L’essentiel, c’est par conséquent de faire tout ce qui peut convaincre les gens qu’il y a urgence. Si je savais de quoi il s’agit, cependant, je serais sans doute beaucoup plus riche.

M. Seaboyer : Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de l’Ukraine, oui, mais surtout d’autres pays qui sont ciblés depuis longtemps. La Finlande, par exemple, adopte une approche pangouvernementale axée sur la gouvernance en sensibilisant les enfants dès la maternelle à la pensée critique. Il y a beaucoup de choses éthiquement possibles. Mes travaux portent sur la lutte éthique contre la désinformation et sur la contre-communication éthique. Il y a vraiment de quoi faire.

Pour nous inspirer de la Finlande, prenons par exemple les émissions de télévision à heure de grande écoute où l’on parle du fait que la Russie cible les Finlandais. On y explique pourquoi elle le fait et les messages exacts qu’elle transmet. On prévient la population des faussetés qui sont véhiculées. Nous avons beaucoup à apprendre sur ce plan.

Je suis du même avis que M. Erlich. Selon moi, ce qui nous manque, au Canada, c’est une prise de conscience de la menace. C’est en partie dû au fait que nous ne sommes pas aussi ciblés que, par exemple, les États-Unis. Néanmoins, l’infrastructure nécessaire pour cibler le Canada autant que les États-Unis est déjà là, avec les chambres d’écho. Il faut donc informer la population et la conscientiser au problème, puis financer la recherche. Il a beaucoup été question du Mécanisme de réponse rapide, un volet exceptionnel d’Affaires mondiales Canada. L’équipe ne chôme pas, mais elle est gravement sous-financée. Quand on pense au nombre de personnes qui la composent, c’est incroyable qu’elle arrive à en faire autant. Ses rapports sont exceptionnels, mais il faut hausser nettement son financement, ainsi que celui d’autres mécanismes gouvernementaux de lutte contre les infoattaques destinées à désinformer.

Le sénateur Boehm : Dans notre cas, la menace n’est pas existentielle. Je pense que c’est sans doute un facteur majeur.

Mme Matviyenko : Je suis entièrement d’accord avec mes collègues. J’ajouterais que la vérification des faits est évidemment un incontournable. D’ailleurs, en Ukraine, depuis 10 ans, les gens apprennent à le faire presque spontanément. C’est une compétence, et il faut un certain temps, mais elle s’acquiert.

Cela dit, selon ce que l’on constate, la désinformation ne passe pas que par les faits. Elle fait appel aux émotions, à la peur, même à la terreur. C’est ce que j’essayais de dire. Ce sont des éléments plus complexes, et c’est probablement là-dessus qu’il faut engager le débat social, mettre les choses en contexte ainsi que miser sur la sensibilisation et le journalisme de terrain. Ce qu’il manque vraiment dans le paysage médiatique canadien, pour comprendre l’évolution des événements, ce sont des constats sur le terrain. Je travaille depuis longtemps avec les médias et je constate un problème énorme sur ce plan.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, madame, messieurs, de votre présence.

Voici ma question: comment le Canada peut-il se concerter avec ses alliés et ses partenaires du monde entier de façon à coordonner la réaction aux campagnes de désinformation et aux cyberopérations de la Russie envers l’Ukraine? Réagissons-nous efficacement aux efforts de la Russie en matière de cybersécurité? Avons-nous les reins assez solides?

M. Seaboyer : Sur cette dernière question, à savoir si nous avons les reins assez solides : absolument pas. Ce n’est absolument pas le cas. Divers facteurs sont en cause. Il y a notamment le financement, mais aussi notre ordre fondé sur des règles. En effet, nous avons la transparence et la reddition de comptes à cœur, et nous cherchons à tout prix à éviter leurs effets indésirables, sauf que ce n’est pas le cas de nos adversaires. La Russie et la Chine ne se soucient pas des effets indésirables. Elles vont diffuser 180 messages différents sur un même sujet — pensons par exemple, dans le cas de la Russie, à l’appareil MH17 qui a été abattu —, peu importe la crédibilité qui leur sera accordée et leurs effets sur les auditoires cibles. Nous ne procédons pas ainsi, nous ne le pouvons pas, nous n’avons pas besoin de le faire et nous ne le voulons pas. Nous avons une éthique complètement différente et des règlements différents à ce sujet, ce qui confère un avantage considérable à l’adversaire, un avantage qu’il exploite délibérément. Il sait que nous ne pouvons pas agir ainsi, mais j’estime d’après mes recherches que nous n’avons pas à combattre le feu par le feu. Combattre le feu par le feu, c’est devenir l’ennemi, auquel cas cela ne sert à rien de combattre l’ennemi.

Je cherche à mettre au point des méthodes d’influence éthiques et fondées sur l’intelligence artificielle. Je n’en suis qu’aux débuts, mais c’est possible d’influencer des auditoires cibles ouvertement et en toute transparence, au moyen d’opérations blanches, en les informant des risques en cause dans les pays concernés. La différence, c’est la corruption fondamentale qui règne en Russie, la corruption fondamentale qui règne en Chine et les conditions de vie des gens. En parler et y conscientiser la population peuvent être des moyens très efficaces de rééquilibrer le jeu et de contrer les attaques.

Le sénateur Oh : Y a-t-il d’autres commentaires? Personne?

La sénatrice M. Deacon : Je vais ouvrir une petite parenthèse. J’écoute et j’avoue que nous avons directement pris conscience de cette réalité au cours de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Sotchi, en 2014, lorsqu’il a fallu faire comprendre aux jeunes quelles batailles peuvent ou non être livrées. Tout ce que vous dites aujourd’hui nous donne à réfléchir en nous rappelant les efforts qui se poursuivent dans ce domaine. De plus, l’un des points les plus importants dont il a été question aujourd’hui, en particulier dans les interventions de M. Erlich, c’est la nécessité de cultiver la pensée critique chez les jeunes. Nous avons rencontré des centaines d’enseignants la semaine dernière, et ils cherchent simplement des réponses. Ils veulent savoir comment aider les élèves à composer avec la désinformation, comment s’y prendre. Il y a des tonnes d’exemples d’activités qu’ils peuvent leur faire faire, mais en vous écoutant parler d’inculquer des compétences en réflexion critique, je me dis que je suis d’accord avec vous sur toute la ligne. Je redoute par contre que les gens qui ont le plus besoin d’être sensibilisés soient les moins disposés à faire confiance de près ou de loin aux messages d’intérêt public sur la question. Comment l’État peut-il arriver à convaincre les gens les moins disposés à l’écouter ou à lui faire confiance?

Je vous invite à y réfléchir le premier, puis si quelqu’un d’autre veut intervenir, ce serait fantastique.

M. Erlich : Merci de la question. C’est une excellente question. J’ai dit qu’il faut approcher les gens sur leur propre terrain. Je pense que c’est nécessaire. Il faut aussi absolument cibler des communautés données. J’ai un exemple en tête. J’ai travaillé un petit peu au Nigeria. Le gouvernement a fait appel à un rappeur célèbre pour parler du sujet. J’ai signalé que des ONG ukrainiennes affichent de la publicité sur des sites de pari sportif ou de pornographie, car les gens qui y vont ne sont pas du genre à assister à des cours d’esprit critique de niveau secondaire. Quand on parle de sensibilisation de base, oui, on peut rejoindre les gens, mais il faut se demander où ils passent leurs temps libres lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte. Il y a beaucoup d’excellents travaux de recherche là-dessus. Il faut ensuite se demander quel genre de personnes arriveront à convaincre ces adultes. Pour certaines tranches de la population, ce pourrait être des chefs religieux. En Afrique subsaharienne, lorsqu’on fait appel à eux pour contrer la désinformation au cours des services religieux, les résultats sont très positifs. Il n’est pas rare qu’on fasse appel à des personnalités sportives. On procède par essais et erreurs, mais aussi en ciblant des auditoires et en se demandant qui serait le mieux à même de convaincre différents groupes au Canada. Est-ce que ce serait une étoile du hockey? Dans le cas de la région du Grand Toronto, est-ce que ce serait plutôt une chanteuse populaire, par exemple? Il n’y a pas de solution mur à mur. Il faut à la fois apprendre à connaître les communautés pour déterminer qui sont les personnes susceptibles de les convaincre et procéder par ciblage judicieux sur Internet.

M. Seaboyer : La recherche montre — et je pourrai vous fournir des ressources — qu’entre 15 et 25 % de la population, dépendamment du pays, veulent croire à la désinformation. Ces gens y sont disposés et ils sont les plus difficiles à joindre. C’est au plus 25 % de la population. Je ne recommanderais pas de se concentrer principalement sur eux. Il y en a encore 25 % au moins qui sont très susceptibles à la pensée critique et à la sensibilisation. Ce sont ces personnes-là, avec les 50 % restantes, qui peuvent être persuadées.

J’ai évoqué le contrôle réflexif à la russe. Le contrôle réflexif à la russe est très vulnérable à la sensibilisation des gens par rapport à ce qui se passe, au pourquoi et au comment, ainsi qu’à la façon de reconnaître la désinformation. Quand on sait tout cela et qu’on ne veut pas croire à la désinformation, on risque beaucoup moins de s’y faire prendre. C’est l’exception. La sensibilisation est très efficace. Néanmoins, ce que je tenais à vous faire remarquer, c’est que tout cela survient dans un contexte de surcharge informationnelle. La capacité cognitive est surstimulée. La démarche devient trop épuisante et trop désagréable, alors les gens se désintéressent du processus politique. Il faut alors procéder autrement. Selon moi, c’est aussi une question de médiatique: sur quelles sources se base-t-on et combien de temps consacre-t-on à tirer les choses au clair? Il faut aussi se concentrer là-dessus.

Le sénateur Cardozo : Ma première question s’adresse au professeur Seaboyer. Vous avez évoqué la falsification d’ordres militaires. Je me demande quelle est la probabilité que cela se produise en ce moment ou dans un avenir proche, qu’il s’agisse par exemple de faire tirer des chars d’assaut sur leurs propres troupes plutôt que sur l’ennemi, de déployer des chasseurs à réaction dans la mauvaise direction ou d’éviter qu’ils ne fassent ce qu’ils sont censés faire dans tel ou tel contexte. Sommes-nous sur le point d’en arriver là?

M. Seaboyer : Pour ce qui est de la falsification d’ordres, le cas le plus connu est celui d’un hypertrucage créé par les Russes pour donner l’impression que le président Zelensky appelait ses troupes à se rendre à la Russie. On falsifie des documents. Cela n’a rien de nouveau, mais avec l’intelligence artificielle, c’est beaucoup plus facile à faire et beaucoup plus difficile à distinguer de documents réels ou légitimes. Vous parlez plutôt d’opérations de piratage. Ce n’est pas mon domaine d’expertise — moi, c’est la désinformation —, mais dans ce cas‑là, la réponse simple, c’est que plus l’évolution technologique va dans le sens des produits connectés, plus les systèmes autonomes sont pilotés de loin et plus les essaims de drones, par exemple, peuvent être piratés dans le but de bloquer leur GPS ou d’empêcher la désignation d’objectif, voire de la changer. Plus on compte sur l’intelligence artificielle, le numérique et l’automatisation, plus les risques grandissent, et c’est exponentiel.

Le sénateur Cardozo : Professeure Matviyenko, vous avez dit qu’en Ukraine, les gens ont appris à vérifier les faits. C’est formidable. Je n’ai pas l’impression que c’est le cas ici, alors quelles leçons peut-on tirer de leur expérience? Comment peut‑on donner l’habitude aux jeunes de vérifier les faits alors que tout ce qu’ils veulent, c’est lire un bref slogan sur Instagram avant de passer à autre chose?

Mme Matviyenko : C’est très vrai. Il y a une façon particulière d’utiliser la technologie qui s’est tout à fait imposée, popularisée, etc. On y est fortement attaché. Évidemment, en tant que pédagogue, j’enseigne aux étudiants ce qu’on appelle la médiatique ainsi que les techniques des médias afin justement de prendre du recul. Nous discutons de la construction des messages diffusés dans les médias et de l’intention qui se cache derrière.

Je pense qu’aujourd’hui, on le fait presque moins, un petit peu, qu’à mes débuts. À une époque, je dirais il y a une dizaine d’années, à l’avènement des applications, de l’iPhone, etc., il y avait une certaine crainte que notre intimité nouvelle avec la technologie nous transforme soudainement. Ensuite, cela s’est normalisé. Il y avait manifestement plus de cours qu’aujourd’hui. La question suscitait davantage d’attention et de critiques. Aujourd’hui, par contre, cette intimité semble pour ainsi dire aller de soi. C’est quelque chose dont on ne parle pas assez. On pense avoir déjà tout compris, mais ce n’est pas le cas. Parce que l’intimité s’est accrue, qu’elle s’est resserrée, nous avons l’impression que tous les messages s’adressent à nous, qu’ils ont été préparés à notre attention. Ils appellent quasiment à une relation de confiance. C’est ainsi que les choses se présentent dans les sociétés où les gens vivent paisiblement. Toute menace fait alors l’effet d’un électrochoc. Je ne dis pas d’amplifier la menace, mais il faut insister davantage sur la gravité de la situation, car ce qui se passe dans le monde ne s’arrête pas aux frontières. Tellement de choses se déroulent depuis quelque temps. Pensons à l’infiltration d’agents russes ici et ailleurs. Un peu partout, on s’en prend aux infrastructures critiques.

Il y a des choses qui se passent. La guerre nous guette de très près. Il faut discuter de tout cela de manière rationnelle, en gardant la tête froide, sans amplifier la peur. La médiatique, c’est essentiel pour arriver à discerner ce qu’une situation particulière implique pour soi.

Le sénateur Cardozo : Merci.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être parmi nous.

Je commence par vous, monsieur Erlich. Vous avez choisi vos mots avec beaucoup de précision, ce qui est plutôt rare pour quelqu’un qui s’adresse à un groupe parlementaire. Vous avez employé les mots « pensée critique ». Si je me base sur ce que vous avez dit, la réalité politique de notre pays n’a rien de rassurant. Il faut inculquer la pensée critique aux gens. Il me semble néanmoins que si nous nous lancions, ce ne serait pas dans le but de tirer des leçons de ce que les Finlandais font au début du secondaire et à l’université, puisque la technologie qui nous permet actuellement de nous informer a déjà proliféré, alors nous n’y changerons rien. Je ne pense pas que nous ayons appris à la dure comment repenser notre utilisation de la technologie.

Étant donné vos travaux d’analyse ainsi que les recherches que vous menez actuellement afin de comprendre ce qu’il nous faut pour mieux réagir, j’aimerais donc savoir ce que vous pensez.

M. Erlich : Merci de la question. J’ai l’impression que le professeur Seaboyer en aura beaucoup à dire lui aussi.

Il n’y a pas que la Finlande. Beaucoup de pays d’Europe de l’Est ont institué des programmes primaires et universitaires. Ils ont même des ministères ou des sous-ministères qui s’occupent expressément de la question.

Loin de moi l’idée de dire aux fonctionnaires ce qu’ils devraient faire, nécessairement, mais ce serait sans doute très utile d’effectuer une tournée pour étudier les programmes et les diverses solutions qui existent. La Finlande est un exemple très particulier, alors ce qui fonctionne là-bas pourrait ne pas fonctionner ou, dans le cas contraire, on ne pourrait pas nécessairement se contenter de reproduire la formule telle quelle. L’idéal, ce serait d’examiner la multitude d’exemples qui existent, de façon à choisir ceux qui conviennent le mieux au contexte canadien.

Mes collègues auront sans doute quelque chose à ajouter.

Le sénateur Yussuff : Étant donné que la guerre informatique est une réalité banale dans les pays désireux de causer des perturbations, mais surtout de nuire, pensez-vous que notre société dispose des outils nécessaires pour déterminer ce qu’il faut faire? Par ailleurs, à quel point tirons-nous des enseignements de ce qui se passe en Ukraine et dans les pays qui sont en conflit avec d’autres, notamment au Proche-Orient?

Ces conflits ne se régleront pas de sitôt. Ils semblent plutôt vouloir se normaliser, ce qui représente un problème de taille pour les États démocratiques qui entendent y réagir. Les gens font de moins en moins confiance aux gouvernements pour obtenir de l’information on ne peut plus fondamentale. Comment notre société peut-elle composer avec la situation?

M. Seaboyer : Il y a deux problèmes, l’un du côté des particuliers et l’autre du gouvernement. Dans le milieu militaire, on se dit que si quelque chose n’explose pas, ce n’est pas dangereux. Or, je dirais qu’un téléphone cellulaire peut s’avérer plus dangereux qu’un porte-avions. Il faut être au fait des conséquences et des effets de la guerre non cinétique, c’est‑à‑dire, par exemple, l’instrumentalisation de l’information, la façon d’en faire une arme. Notre apprentissage se poursuit, puisque les façons d’exploiter l’information se renouvellent continuellement, au fil des mois.

Pour ce qui est des particuliers, ils sont pris au piège du confort et de la facilité. De plus en plus de choses se font plus rapidement et plus commodément avec un téléphone, sauf que nous ignorons les effets psychologiques de cette réalité, sur nous et sur notre cerveau. Un téléphone, c’est un peu comme une machine à sous conçue pour provoquer des émotions afin de nous inciter à continuer à l’utiliser.

On a de toute évidence intérêt à mieux comprendre les facteurs psychologiques et biologiques que fait intervenir la conception des appareils.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins de leur présence. J’ai posé une question au dernier panel sur les messages qui ressortent et je veux poursuivre sur la même lancée avec le professeur Seaboyer.

Pour qu’un message ressorte, il doit d’abord communiquer quelque chose, mais aussi cibler un auditoire donné. Vous en avez vous-même parlé au début de votre intervention. Il était question de la Russie. J’aimerais que vous m’en disiez davantage sur le microciblage. Quels auditoires vise-t-on? Vous pouvez parler des messages aussi, mais ce qui m’intéresse, en particulier, ce sont les auditoires en cause dans ce que vous avez dit. Je vous prie de m’éclairer davantage.

M. Seaboyer : La Russie cible individuellement ses auditoires dans différents pays, de façon très précise. Prenons par exemple une cible polonaise qui est favorable à l’armée ukrainienne: on recourra à divers scénarios en faisant appel à des réalités historiques, à l’humour ou à la culture. L’intelligence artificielle permet de le faire avec beaucoup plus d’efficacité, puisqu’on peut moissonner les espaces numériques pour cerner avec précision les préférences des auditoires cibles : à quel moment vont-ils sur Internet, par quel moyen le font-ils et avec quel contenu interagissent-ils? C’est le premier élément.

Le deuxième, et il nous ramène à la question que vous avez posée au panel précédent, c’est qu’il faut comprendre pourquoi des messages qui nous apparaissent tout à fait anodins s’avèrent en fait d’une efficacité redoutable. Un message peut avoir au moins deux objectifs distincts. Le premier, c’est la communication directe d’information dans le but de modifier directement le comportement. Un exemple : votez ou ne votez pas pour tel ou tel candidat. Ce n’est cependant qu’un seul aspect du message.

L’autre objectif, et il est complètement différent, c’est de répandre tellement d’information et d’en inonder les auditoires cibles au point de leur faire perdre confiance en elle en leur donnant l’impression qu’il leur est impossible de déterminer ce qu’il se passe vraiment. Du point de vue psychologique, dans une telle situation, l’humain est fait pour croire ce qu’il entend le plus souvent ou la voix la plus forte. On agit donc ainsi de façon délibérée. Après tout, les gouvernements des régimes autoritaires sont ceux dont la voix porte le plus. Lorsque les gens ont l’impression d’être incapables de distinguer le vrai du faux, ils prêtent l’oreille à la voix la plus forte tout en perdant confiance dans les autres autorités.

Le microciblage repose sur des données très explicites et très précises qui visent des auditoires très restreints. Selon l’objectif de la campagne, il peut s’agir de personnes, de groupes, de politiciens ou de citoyens. Quand vont-ils sur Internet? À quelle heure sont-ils le plus vulnérables à la désinformation? Ce sont des choses que les données permettent de déterminer. Le message est ensuite préparé dans les moindres détails, jusqu’à sa couleur, au ton employé ou au recours éventuel à l’humour. On se fonde sur ce que l’on connaît de l’auditoire individuel qui est ciblé.

L’intelligence artificielle permet simplement de moissonner et d’utiliser une quantité de données autrement plus considérable qu’auparavant et de cibler les infoattaques avec beaucoup plus de précision que par le passé.

La sénatrice Dasko : Concentrons-nous sur le Canada et les tentatives de la Russie au Canada, qui ne sont pas aussi intenses que celles qu’elle fait dans bien d’autres pays. Quels types d’auditoires les Russes cibleraient-ils au Canada, et avec quels genres de messages? En avez-vous une idée?

M. Seaboyer : Bien sûr.

La sénatrice Dasko : La question s’adresse aussi aux autres intervenants.

M. Seaboyer : En ce moment, les Russes ciblent le soutien aux systèmes d’armement et l’aide financière à l’Ukraine. Ils cherchent à donner l’impression qu’une guerre se prépare et que le Canada est pour ainsi dire impliqué dans une guerre. Ils tentent de cibler les civils, par exemple des personnes qui croient déjà ce genre de choses, dans une certaine mesure, et qui sont donc plus susceptibles de se laisser convaincre, mais aussi des auditoires plus larges et des politiciens, directement et indirectement.

Leur principal objectif, c’est de faire en sorte que les gens cessent d’être favorables l’aide militaire à l’Ukraine, de changer leur perception à la fois de la Russie et de Poutine, ainsi que de miner la démocratie au Canada en donnant l’impression que notre système est injuste et inéquitable, par exemple parce que les élections sont manipulées.

La sénatrice Dasko : Ce n’est pas le même genre de message qu’en Ukraine. S’efforcer avant tout de miner le soutien envers l’Ukraine, ce n’est pas tout à fait la même chose que ce que vous avez dit en dernier. C’est un autre sujet, le fait de miner le soutien pour la démocratie.

M. Seaboyer : Vous avez parfaitement raison. Il y a des messages continus, par exemple sur le fait que l’OTAN se montre agressive ou qu’elle menace la Russie, des messages qui circulent depuis bien des années déjà. Les Russes les répandent en continu. Il y a aussi d’autres messages, plus récents, qui se rapportent expressément à l’Ukraine.

La sénatrice Dasko : Est-il question des personnes mal informées au Canada? Est-ce que ce sont elles que les Russes ciblent?

M. Seaboyer : Tout dépend de la campagne dont on parle, mais c’est beaucoup plus large.

Tout d’abord, ils ciblent les personnes qui se trouvent aux extrêmes du spectre politique. Dans l’ensemble, ils ne s’intéressent pas à celles qui sont au centre parce qu’elles sont plus difficiles à radicaliser. Ils cherchent à radicaliser les gens qui, à cause de leur système de croyances, sont plus réceptifs.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’essaie de voir comment on peut s’en sortir. On ne veut pas combattre le feu par le feu, on ne veut pas faire de la désinformation de l’autre côté ou de la contre‑propagande. Si l’État commence à faire de la propagande ou à donner de l’information, les gens vont commencer à se méfier de l’information provenant de l’État.

Si on utilise l’information qui vient de sources indépendantes vérifiées et médiatiques... Les gens se méfient aussi des médias, les médias financés par l’État, les médias financés par des compagnies.

Avec tout cela, on essaie d’instruire les gens, de leur donner une formation et de les éduquer à être critiques par rapport à l’information, mais parfois, si on est critique, on se met à douter de toute information.

En lisant mes notes pour me préparer à la réunion d’aujourd’hui, j’ai lu certains articles sur la façon dont l’Europe contrait la désinformation; il y avait une liste d’environ 20 choses à faire ou à ne pas faire.

Je me demande de quelle façon on attaque ce problème. Autrement dit, comment informe-t-on nos gens sans leur mettre le doute dans la tête? Comment les empêcher de croire que tout peut être déformé, avec le résultat qu’ils se referment sur eux‑mêmes?

M. Seaboyer : C’est une bonne question.

[Traduction]

Mes travaux actuels visent à mettre au point des campagnes d’influence éthiques, y compris à l’aide de l’intelligence artificielle.

Je propose de mener des opérations blanches parfaitement transparentes. Il s’agit d’annoncer ce que l’on fait, comment on le fait et pourquoi on le fait, à visage entièrement découvert, mais dans le but d’exploiter les vulnérabilités dans les espaces d’information des régimes autoritaires adverses.

En fait de vulnérabilité majeure, pensons entre autres à la corruption des plus hauts échelons de l’État. Une fois que l’on sait ce que la Chine et la Russie censurent le plus dans les discours dissidents, ce qu’elles veulent taire devient évident.

Je dis donc de ne pas créer de désinformation, évidemment, de ne pas mentir. Ce n’est pas nécessaire.

[Français]

Ce n’est absolument pas nécessaire.

[Traduction]

Il suffit de parler des conditions de vie réelles en les comparant aux nôtres. Au Canada, on peut publier ce qu’on veut sur Internet. Du moment qu’on respecte les limites de la loi, on ne sera jamais emprisonné. En Chine, par contre, quand on critique le gouvernement sur Internet, on fait 20 ans de prison. Nous pouvons parler de ce genre de choses. Nous pouvons faire le nécessaire pour mieux informer les gens qui s’intéressent à la question. Il y aura un effet boule de neige.

Je propose de lancer des opérations strictement blanches en annonçant officiellement ce que l’on fait et en expliquant le pourquoi et le comment. Parlons de conditions de vie dans les pays visés. Il y a beaucoup de vulnérabilités dans leurs espaces d’information.

La sénatrice M. Deacon : Je m’interroge. Quand on analyse l’information et la désinformation, on a l’impression que le soutien envers l’Ukraine perd du terrain dans le monde. Je cherche à comprendre quel est l’effet de la désinformation prorusse sur le soutien à long terme. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Après tout, nous ne pouvons pas cerner précisément toutes les causes et tous les effets. Je me demande dans quelle mesure la désinformation convainc certains pays de réduire leur soutien.

M. Erlich : Je vais répondre brièvement avant de laisser la parole aux autres.

Les campagnes de cette nature se greffent souvent à des intérêts politiques nationaux qui sont déjà défavorables à l’Ukraine. On se sert des acteurs politiques, peu importe leur mouvance. Du moment qu’ils n’expriment aucun soutien envers l’Ukraine, on en ajoute une couche tout en diffusant le message voulu.

On ne commence pas en véhiculant son propre message. Il s’agit d’en trouver un qui est déjà populaire sur le terrain, quels que soient les intérêts politiques ou le pays en cause, et on y arrive presque toujours. C’est parce que c’est généralement coûteux. Il faut mettre la main à la poche. Il y a toujours des intérêts politiques particuliers. C’était tout à fait limpide dans le cas du plan de financement du Congrès des États-Unis.

M. Seaboyer : Il y a deux côtés à la médaille.

C’est impossible de mesurer concrètement à quel point la désinformation influence les comportements. Nous pouvons déterminer qui interagit avec les messages, qui les relaie et qui les commente, mais pas qui sont les personnes dont le comportement a changé en conséquence. Pour l’instant, ce n’est pas mesurable. Cela dit, il y a une certaine corrélation. Peut-on parler de causalité? C’est difficile à dire. Cependant, d’après mes travaux, j’ai vraiment l’impression que oui, quoique ce soit difficile à démontrer.

Nous voyons où les campagnes sont le plus efficaces et où elles sont concentrées, et nous observons aussi l’évolution du soutien. Je dirais que certains messages sont efficaces. La Russie ne sait pas quels messages sont efficaces. Nous non plus. Elle en diffuse tellement, alors certains frappent la cible. C’est l’approche que la Russie emploie.

Le président : Voilà qui conclut ce panel, merci beaucoup.

Je vous remercie, madame Matviyenko, monsieur Seaboyer et monsieur Erlich, de ces échanges riches en information. Nous vous savons gré de nous avoir consacré du temps. Comme vous avez pu le constater, vous avez considérablement alimenté nos réflexions en nous fournissant de l’information très pertinente dans le cadre de notre examen en profondeur de la question ukrainienne, que nous avons entamé depuis plusieurs semaines. Ce panel a assurément été l’un des plus édifiants. Grâce à vous, nous comprenons beaucoup mieux les tenants et les aboutissants de la situation complexe de l’Ukraine.

Je vous remercie donc en vous souhaitant une excellente continuation à tous. Merci d’avoir pris le temps de venir.

Chers collègues, venons-en maintenant à notre dernier panel pour aujourd’hui.

Pour la gouverne des personnes à l’écoute, aux quatre coins du Canada, je rappelle que notre réunion de ce soir porte sur la désinformation et les cyberopérations dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine menée par la Russie. Pour la prochaine heure, nous accueillons Jean-Christophe Boucher, professeur agrégé à l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary, et Analtoliy Gruzd, professeur et co-directeur du Laboratoire des Médias Sociaux à l’Université métropolitaine de Toronto. Nous souhaitons par ailleurs bon retour parmi nous à Marcus Kolga, directeur de DisinfoWatch et chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier.

Je vous remercie tous de votre présence et je vous invite maintenant à prononcer votre déclaration liminaire, qui sera suivie d’une période de questions. Commençons par Jean‑Christophe Boucher.

Bienvenue, monsieur Boucher. Allez-y quand vous voulez.

Jean-Christophe Boucher, professeur agrégé, École de politiques publiques, Université de Calgary, à titre personnel : Je sais que je ne dispose que de cinq minutes, alors je ferai très court.

À l’Université de Calgary, je dirige une équipe de recherche financée par le ministère de la Défense nationale et le Conseil de recherches en sciences humaines qui réalise diverses études sur l’ingérence étrangère tout en se penchant sur la désinformation issue de l’extrême droite chinoise et russe. Notre équipe se compose majoritairement d’analystes de données, alors nous moissonnons Twitter et d’autres réseaux sociaux, puis nous nous servons de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle pour tirer les choses au clair.

En ce qui a trait à la désinformation russe, nous nous concentrons sur trois grands volets. Nous examinons la propagande russe sur Twitter. Nous avons d’ailleurs mené une étude à ce sujet au début de la guerre. Nous examinons aussi, en ce moment, la stratégie de communication de la Russie dans les réseaux sociaux, sur Telegram, Facebook et Twitter. Nous avons également réalisé une enquête en 2022 sur la vulnérabilité du Canada à la désinformation russe. C’est en gros la base de mon travail. Si les rapports de recherche vous intéressent, je me ferai un plaisir de vous les transmettre.

La première chose que je voudrais dire, c’est que les campagnes russes de communication stratégique et de désinformation au Canada sont stratégiques. Qu’est-ce que cela signifie? Deux choses. D’une part, elles ont une façon assez exhaustive, cohérente et constante d’intervenir dans l’espace informationnel. Certains appellent cela la théorie du chaos. Je pense que c’est inexact. Les Russes sont stratégiques, car ils essaient de promouvoir trois choses. D’une part, ils essaient de faire avancer des objectifs stratégiques à long terme, en mettant l’accent sur la confrontation de la Russie avec l’Occident, sur la place de la Russie dans le système international, et sur des discours antiaméricains et anti-OTAN. C’est ce qu’ils font partout dans le monde, et il en va de même au Canada.

La deuxième chose, c’est qu’ils poursuivent également des objectifs opérationnels, que j’appelle des objectifs à moyen terme. Il s’agit en fait de fragiliser la société, de promouvoir la méfiance à l’égard des institutions démocratiques. C’est là que nous les voyons essentiellement accentuer un message amplificateur qui va à l’encontre des discours canadiens; par exemple, des positions anti-LGBTQ.

À court terme, ils ont des objectifs tactiques axés sur la guerre en Ukraine. Ils diffusent de la désinformation sur la guerre en Ukraine pour essayer de négocier et de promouvoir leur point de vue sur cette guerre. Ils sont assez constants dans ces trois types de messages. Si nous voulons nous inscrire en faux contre ces messages, nous devrons nous y attaquer de manière systématique.

Les Russes sont également stratégiques parce qu’ils comprennent bien le public canadien; en fait, ils le comprennent probablement mieux que le gouvernement canadien lui-même. Ils exploitent nos écosystèmes de manière stratégique. Ils se concentrent sur deux groupes : l’extrême droite et l’extrême gauche.

À l’extrême droite, ils amplifient des messages — en français et en anglais — qui prônent des opinions populistes, anti‑immigration et anti-LGBTQ. Nous l’avons observé. Nous disposons de données à ce sujet, montrant qu’ils entrent dans l’espace informationnel, qu’ils amplifient ces opinions et, d’une certaine manière, qu’ils en amplifient l’inauthenticité.

Nous constatons qu’ils dialoguent également avec l’extrême gauche. Ils créent du contenu pour eux. Ils collaborent avec certains membres de l’extrême gauche au Canada qui suivent les ministres et qui sont allés en Russie. Ils participent aux programmes de RT. Ils sont idéologiquement liés à ces opinions. Les Russes sont intéressés par la promotion de ces idées. C’est une bonne façon de comprendre comment les Russes procèdent pour segmenter le public.

En ce qui concerne les vulnérabilités des Canadiens, je m’intéresse maintenant aux enquêtes sur la désinformation russe, qui portent sur les Canadiens les plus vulnérables à la désinformation russe. Malheureusement, dans nos données, nous constatons deux choses. D’une part, les jeunes Canadiens ont plus de mal à comprendre la désinformation russe. D’autre part, les personnes issues de milieux ruraux ou moins éduquées ont également du mal à reconnaître la désinformation russe.

Quand on regarde les partis politiques et l’affiliation, malheureusement, les gens de droite, ceux qui votent pour le Parti populaire du Canada et, à certains égards, les conservateurs ont plus de mal à reconnaître la désinformation russe. C’est une préoccupation pour les députés fédéraux et provinciaux de ma province, l’Alberta, qui viennent me voir pour me demander comment ils peuvent lutter contre ce phénomène. Ils me disent qu’ils découvrent de plus en plus de choses de ce genre lorsqu’ils font du porte-à-porte. C’est une préoccupation de plus en plus importante.

En conclusion, nous constatons que les Russes sont impliqués dans l’espace informationnel. Ils ont réussi, surtout à droite, à faire passer leurs idées. Certains groupes d’extrême droite reprennent aujourd’hui leur discours.

À l’heure actuelle, les données des sondages laissent penser que, de plus en plus, les Canadiens — en particulier ceux de droite — sont influencés par ce type de discours. À long terme, cela nuira à notre capacité à nous investir pour l’Ukraine et à la soutenir.

Merci beaucoup.

Le président : Merci.

Anatoliy Gruzd, professeur et codirecteur, Laboratoire des médias sociaux, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Merci de nous donner l’occasion de discuter de la menace de la désinformation russe dans le contexte de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Je m’appelle Anatoliy Gruzd, et je suis titulaire d’une chaire de recherche du Canada et professeur à l’Université métropolitaine de Toronto.

Aujourd’hui, mes propos n’engagent que moi. Ils s’appuient sur les recherches que j’ai menées avec mon collaborateur Philip Mai et mes collègues du Laboratoire des médias sociaux, où nous étudions la diffusion de mésinformation, la confidentialité de l’information et les incidences des médias sociaux sur la société.

Le Kremlin a depuis longtemps recours à des opérations d’information à l’échelle nationale et internationale. Ces dernières années, nous avons vu que la Russie a étendu ces efforts à l’utilisation de robots, de trolls, de pirates informatiques et d’autres intermédiaires afin de créer un environnement plus favorable à ses opérations dans le domaine de l’information.

Leurs campagnes d’influence se déroulent souvent sur plusieurs plateformes numériques et s’appuient sur des techniques telles que la création de faux profils et de faux sites Web, ainsi que l’usurpation d’identité de politiciens, de journalistes et d’organismes publics, l’attaque de comptes d’activistes et l’amplification de sujets polarisants.

Les Canadiens ne sont pas à l’abri de la désinformation russe. Selon notre enquête nationale de 2022, 51 % des Canadiens ont déclaré avoir vu des discours prorusses sur les médias sociaux dans le contexte de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Nous constatons qu’il existe un lien étroit entre l’exposition à de tels discours et la croyance en ceux-ci.

Nous avons également constaté que les croyances antérieures et le raisonnement politique d’une personne la rendent plus sensible à la désinformation. Par exemple, les Canadiens — comme nous l’avons entendu — qui ont des opinions de droite et ceux qui font confiance aux médias partisans sont plus susceptibles de croire aux renseignements favorables au Kremlin.

Si elles ne sont pas contrecarrées, les opérations d’information parrainées par des États étrangers peuvent miner la démocratie canadienne. La question que nous souhaitons aborder est la suivante : que pouvons-nous faire pour atténuer les risques?

Le blocage des médias étatiques comme RT News n’est que partiellement efficace, car le Kremlin contourne les sanctions en copiant le contenu et en le diffusant par d’autres canaux. En fait, le Kremlin s’appuie également sur les comptes de médias sociaux de ses services diplomatiques, comme l’ambassade de Russie à Ottawa, et sur des personnalités médiatiques occidentales qui lui sont favorables, directement ou indirectement.

Pour lutter contre la désinformation orchestrée par des États, les plateformes numériques devraient être obligées de développer leurs partenariats avec des organismes de vérification des faits et de faciliter l’accès à des nouvelles crédibles.

Malheureusement, comme nous l’avons vu ces dernières années, les plateformes numériques se sont essentiellement retirées du secteur de l’information. Avec la fermeture ou la réduction des effectifs des salles de presse dans tout le pays, davantage de Canadiens se tourneront vers les influenceurs des médias sociaux plutôt que vers les journalistes. Cette situation est préoccupante, car nos recherches indiquent que les personnes qui font confiance aux médias traditionnels sont moins sensibles à la désinformation pro-Kremlin. Par conséquent, investir dans une communauté journalistique forte et renforcer la confiance dans les médias traditionnels permettrait de lutter efficacement contre les opérations d’information au Canada.

Une autre ligne de défense que j’aimerais aborder est la mise en œuvre de stratégies proactives ou de « prebunking », c’est‑à‑dire éduquer les Canadiens et les prévenir des campagnes de désinformation en ligne. Nous avons déjà entendu parler de certaines de ces stratégies aujourd’hui. Par exemple, la diffusion de messages d’intérêt public et de jeux éducatifs reprenant les fausses allégations, les tactiques et les sources utilisées par nos adversaires étrangers peuvent réduire la force de persuasion perçue des opérations d’information.

Nous avons également constaté une utilisation croissante de l’intelligence artificielle générative pour créer de la désinformation au sujet de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Là encore, nous en avons entendu quelques exemples aujourd’hui.

Bien que la plupart des récentes contrefaçons par intelligence artificielle aient été rapidement démystifiées, je m’attends à une augmentation de l’utilisation, de la fréquence et de l’ampleur de cette utilisation, plus particulièrement dans les domaines de l’ingénierie sociale et des attaques visant à nuire à la réputation.

Par conséquent, nous devons sensibiliser et éduquer au danger de la désinformation et à l’importance de la cybersécurité non seulement le grand public, mais aussi les décideurs et les fonctionnaires qui sont souvent la cible de telles attaques; en outre, la réalisation d’évaluations de l’état de préparation de ces personnes permettrait de recenser les vulnérabilités existantes.

En conclusion, nous ne devons pas sous-estimer la capacité des opérations d’information du Kremlin à saper la confiance du public dans les institutions gouvernementales au fil du temps. Le sociomuselage de sources individuelles n’est peut-être pas aussi efficace, car il pourrait également saper la confiance envers le gouvernement et légitimer la censure.

Une approche plus nuancée devrait prendre en compte les différentes formes d’opérations d’information qu’elles prennent, et élaborer des stratégies pour les combattre plus directement. Il pourrait s’agir d’exiger des grandes plateformes de médias sociaux qu’elles renforcent leurs équipes chargées de la confiance et de la sécurité au Canada, qu’elles partagent leurs données avec les chercheurs et les journalistes afin d’accroître la transparence, et qu’elles soutiennent des audits indépendants.

Les écoles doivent mettre à jour les programmes de culture numérique pour faire face aux défis d’aujourd’hui tels que l’intelligence artificielle générative. Pour le grand public, le gouvernement doit élaborer des campagnes afin d’éduquer les Canadiens sur l’ingérence étrangère. Certains aspects de ces campagnes éducatives doivent être axés sur les diasporas au Canada et en tenir compte, car elles sont plus susceptibles d’être ciblées par des États étrangers.

Merci.

Le président : Merci.

Marcus Kolga, directeur, DisinfoWatch et chercheur principal, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel : Merci de m’avoir invité ici aujourd’hui.

Je suis un praticien et un activiste qui surveille et tente de dénoncer les opérations d’information russes depuis 2007, année où, dans une nouvelle phase de ses opérations d’information, la Russie a commencé à cibler l’Estonie.

L’objectif principal des opérations d’information et d’influence russes est, bien entendu, de fausser notre compréhension du monde qui nous entoure et, en fin de compte, de manipuler et d’influencer nos processus démocratiques et nos décisions politiques. Ce n’est pas nouveau.

En 1945, un employé des services de renseignement soviétiques en poste à l’ambassade soviétique à Ottawa a fait défection. Il a souligné l’ampleur de ce travail en identifiant des dizaines de Canadiens qui travaillaient avec les Soviétiques en vue d’influencer nos processus démocratiques. Pour le Kremlin, ces opérations sont bien sûr plus importantes aujourd’hui que jamais. Cette menace, sous la forme d’une guerre de l’information et d’une atteinte à notre souveraineté cognitive, est persistante et croissante.

Les campagnes de désinformation, dont l’exécution prenait autrefois des années, se déroulent désormais en quelques minutes grâce aux médias sociaux, à l’intelligence artificielle et à une armée d’influenceurs pro-Kremlin qui amplifient les discours d’information russes au Canada.

En Russie, le Kremlin utilise des opérations d’information contre son propre peuple afin de consolider le pouvoir et de faire taire les critiques. Poutine est en train de construire un rideau de fer virtuel contrôlé par l’État autour de l’environnement d’information de la Russie; il contrôle tous les médias. Le Kremlin a criminalisé la plupart des médias indépendants et des organisations de la société civile en les qualifiant d’indésirables ou de terroristes. La liste comprend l’ensemble de la communauté LGBTQ en Russie, et même l’Institut Macdonald‑Laurier du Canada.

À l’étranger, le Kremlin cherche à diviser, et à semer la confusion et le chaos partout où cela est possible. La rupture de la cohésion au sein de nos alliances internationales, comme l’OTAN, est un objectif du Kremlin depuis 75 ans. En Occident, la Russie cherche à nous diviser en exploitant les deux côtés de questions politiques sensibles, dans le but d’éroder notre confiance envers nos institutions démocratiques, nos médias, nos dirigeants, notre société civile et, en fin de compte, notre confiance les uns envers les autres.

Au Canada, nous avons observé des opérations d’information russes qui amplifient l’hésitation face aux vaccins, même avant la pandémie de COVID-19, en ciblant le vaccin ROR et d’autres vaccins pour enfants. Des voix antigouvernementales extrémistes d’extrême droite au sein du mouvement du convoi pour la liberté ont été diffusées par les médias publics russes en 2022. Au Canada aussi, des extrémistes et des plateformes d’extrême droite amplifient les discours anti-LGBTQ de la Russie.

Du côté de l’extrême gauche canadienne, des influenceurs anti-ukrainiens continuent d’écrire pour des médias d’État russe sanctionnés et des groupes de réflexion contrôlés par le Kremlin, et d’apparaître dans ces médias. L’Ukraine, bien sûr, a été la cible principale des opérations d’information et d’influence russes au cours des dernières années, avec pour objectif d’éroder le soutien du public et du gouvernement envers l’Ukraine. Ces opérations comprennent de fausses allégations sur la corruption et la revente des armes que l’Occident a données à l’Ukraine. Cela inclut également les affirmations orwelliennes de Vladimir Poutine selon lesquelles la Russie n’a pas commencé la guerre et qu’elle attaque l’Ukraine pour y mettre fin. Il s’agit également de discours visant à inciter la haine à l’égard des Ukrainiens. De plus, ces discours véhiculent des accusations sans fondement selon lesquelles le président Zelenski, son gouvernement et les Ukrainiens seraient des néonazis.

Selon l’expert juridique canadien en droits de la personne Yonah Diamond, du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, ce discours fait partie des accusations du Kremlin et constitue une tactique miroir par laquelle la Russie définit et présente l’Ukraine et les Ukrainiens comme une menace existentielle, ce qui fait que la haine et la violence à l’égard des Ukrainiens semblent avoir un caractère défensif et justifiable. Ces idées sont reprises par des plateformes d’extrême droite et d’extrême gauche au Canada, et elles continuent d’être diffusées dans certaines parties de la diaspora russe au Canada, ce qui constitue une menace de radicalisation par la voie de services de diffusion en ligne canadiens qui échappent aux restrictions imposées aux médias d’État russes au Canada, et peut-être aussi à nos sanctions.

Ces discours ont également une incidence sur les Canadiens. Selon le Congrès ukrainien, les incidents de haine et de violence à l’encontre des Canadiens d’origine ukrainienne ont augmenté au cours des deux dernières années. L’an dernier, le vice-consul honoraire d’Estonie à Toronto a reçu une lettre menaçant de répandre de l’anthrax si la communauté estonienne continuait à soutenir l’Ukraine.

La portée de ces messages est d’autant plus grande qu’ils circulent entre les plateformes et les influenceurs d’extrême gauche et d’extrême droite.

Au bas du fer à cheval du spectre politique, on retrouve des politiciens américains d’extrême droite comme Marjorie Taylor‑Greene, qui amplifie régulièrement ces fausses affirmations sur l’Ukraine, et des plateformes d’extrême gauche comme Global Research de Montréal.

Cela semble avoir une incidence sur les opinions et les politiques de l’Occident à l’égard de l’Ukraine. Selon un sondage réalisé auprès des électeurs conservateurs, le soutien envers l’Ukraine a considérablement diminué au cours des deux dernières années. En 2022, seulement 20 % des électeurs conservateurs croyaient que le Canada était trop généreux envers l’Ukraine, contre 43 % en février 2024. Aux États-Unis, 48 % des électeurs républicains estiment aujourd’hui que leur pays est trop généreux envers l’Ukraine, contre seulement 9 % en mars 2022.

Bien que le Canada ait pris des mesures majeures pour défendre notre souveraineté cognitive, nous avons encore beaucoup à apprendre de nos alliés en Ukraine et des pays baltes pour combattre ces discours et les influenceurs qui les amplifient au Canada et dans le monde occidental.

Je vais m’arrêter là pour l’instant. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons aux questions. Vous connaissez les règles. Vous disposez de quatre minutes, et cela englobe à la fois les questions et les réponses. Nous allons procéder aussi rapidement que possible.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Boucher. J’aimerais vous parler d’un aspect de l’utilisation des médias sociaux comme Twitter — qui est devenu X — par rapport à leur véritable portée sur la désinformation. Prenons le phénomène qui fait que les gens vont « retweeter » et qui est très important sur ces plateformes. Est-ce qu’on ne rejoint pas toujours les mêmes personnes en faisant cela, ce qui diminue l’impact réel des Russes dans leurs tentatives de désinformation au moyen de ce moyen de communication?

M. Boucher : Je dirais oui et non. Oui, dans la mesure où c’est vrai que lorsqu’on commence à regarder les influenceurs, ceux qui retweetent ont plus d’influence sur la plateforme. Toutefois, ce qu’on voit dans les données, c’est que généralement, ces personnes ont des millions de personnes qui les suivent. Dans certains cas, certains de ces influenceurs ne s’attardent pas nécessairement à l’Ukraine mais travaillent sur le masculinisme, par exemple. Donc, leur portée est parfois plus importante que ce que l’on pourrait croire.

Twitter, c’est très 2022, et la plateforme est moins pertinente pour eux. Par contre, on commence à voir d’autres plateformes, comme Telegram, TikTok, Reddit, Facebook et YouTube font partie de l’arsenal informationnel des agents associés au régime à Moscou. Par exemple, maintenant, on voit dans les sondages que les jeunes disent de plus en plus que leur principale source d’information, c’est YouTube. Or, sur YouTube, il n’y a à peu près pas de modération. Il y a des recommandations qui se font à travers les algorithmes où les gens tombent sur du contenu non retransmis sur Twitter, et cela a de plus en plus un impact effectif sur les jeunes.

Dans notre sondage, on a vu que les jeunes étaient moins en mesure d’identifier la désinformation que ceux qui sont plus âgés. On critique toujours les plus vieux en disant qu’ils ne comprennent pas l’environnement des médias sociaux et que c’est pour ça qu’ils sont désinformés. Dans mes sondages, ce que je vois, ce sont des jeunes qui ont de la difficulté à faire la différence entre le vrai et le faux. Il faut donc s’attarder à cela. Je m’attarderais moins à X et plus à l’ensemble de l’organisation. Le problème majeur qu’on a au Canada, c’est notre capacité à collecter des données et à surveiller l’environnement; elle est à peu près nulle. Le gouvernement canadien, à part les services de renseignement, a très peu de capacité, alors on ne sait pas ce qui se passe sur les médias sociaux et on est toujours à la traîne dans cet environnement.

Une des recommandations que je ferais, c’est d’augmenter de façon assez radicale les capacités du gouvernement canadien. Le groupe qui fait partie d’Affaires mondiales Canada, Mécanisme de réponse rapide du Canada, est le seul qui travaille vraiment là‑dessus. Ses effectifs sont largement en deçà de ce dont on a besoin. La Russie dépense 3 ou 4 milliards de dollars par année en matière de désinformation. Combien dépense le Canada? Peut-être 20 millions ou 30 millions, si l’on regarde l’ensemble des ministères? C’est trop peu.

Le sénateur Dagenais : Au-delà des médias sociaux, est-ce que les Russes ont réussi à s’infiltrer dans des médias plus traditionnels au Canada, comme les journaux et la télévision, pour véhiculer certaines informations ou des opinions, afin d’influencer la prise de décisions politiques ou soulever la désapprobation populaire face à certaines prises de position des pays alliés contre le régime soviétique?

M. Boucher : C’est une bonne question. Je ne sais pas. Par contre, ce que je vois, c’est que quand on lit et qu’on analyse ce que les gens disent... En français, dans Le Devoir et dans La Presse, il y a parfois certains auteurs qui véhiculent une position qui est prorusse et pro-Kremlin, à la grande consternation de tous ceux qui travaillent sur cet enjeu. Je le vois plus souvent en français qu’en anglais. Lorsque je regarde les médias anglophones, je vois cette tendance plutôt dans les médias de droite et d’extrême droite. Est-ce qu’il y a une infiltration pure et dure? Non, mais on voit de plus en plus que certains auteurs se sentent libres de véhiculer ces objectifs et ces récits. On a essayé de faire une étude sur la pénétration des récits de propagande russe dans les médias traditionnels. Le phénomène est marginal, mais la tendance augmente. M. Kolga en parlait plus tôt : cela explique l’érosion lente du soutien à l’Ukraine et c’est de plus en plus difficile de s’engager dans ce terrain-là.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Boehm : Je vous remercie de votre présence. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Dagenais.

Monsieur Boucher, votre groupe de recherche et vous — du moins d’après le document de 2022 — avez recueilli plus de 6,2 millions de gazouillis, comme on les appelait déjà — on parle maintenant de publications. Vous avez conclu que l’influence russe sur les médias sociaux est répandue. Je suppose qu’on peut présumer qu’elle est encore plus répandue maintenant.

Quelle est la probabilité qu’un utilisateur moyen des médias sociaux au Canada rencontre de la désinformation russe en s’adonnant à du défilement morbide, puisqu’il s’agit d’un sujet en quelque sorte morbide? De plus, vous avez mentionné les groupes démographiques — les personnes qui vivent en milieu urbain par rapport à celles qui vivent en milieu rural, et les jeunes par rapport aux personnes plus âgées —, mais avez-vous observé d’autres groupes ciblés? J’aimerais également connaître votre opinion au sujet de la republication par les politiciens, qui le font peut-être innocemment pour soutenir leur point de vue, mais qui, essentiellement, republient de la propagande.

M. Boucher : C’est une excellente question. Les données — tant celles recueillies sur les médias sociaux que celles issues du sondage — montrent que 80 % des Canadiens ne sont pas touchés par ce genre de discours. Le problème, c’est que 20 % des Canadiens se font enfirouaper et n’en dérogent plus, et ces 20 % ont une grande incidence sur notre vie politique et leur influence s’accroît lentement mais sûrement dans la sphère politique — surtout dans ma province. Voilà le problème. Une partie de la population est vulnérable. Quatre-vingts pour cent des gens sont intouchés, mais il n’en demeure pas moins que 20 % des gens se laissent prendre au piège et n’en ressortent pas, puis, lentement mais sûrement, ils ont une incidence sur les autres.

Au chapitre de la démystification préventive, si j’étais responsable des communications stratégiques au nom du gouvernement du Canada, je concentrerais mes efforts sur ces groupes. Certains députés provinciaux et fédéraux de ma province — qui sont conservateurs, bien entendu — me demandent parfois si j’aimerais donner une présentation à des groupes ou une allocution publique au sujet de la désinformation russe. Ils sont préoccupés par l’incidence de celle-ci sur la population et les groupes qu’ils représentent. C’est un peu ce que je présenterais. Il y a à la fois du bon et du mauvais.

La deuxième question portait sur les conservateurs.

Le sénateur Boehm : Je n’ai pas mentionné...

M. Boucher : Je suis d’accord. Toutefois, je crois tout de même que c’est là le problème. Selon moi, il faut admettre que l’élite politique a une incidence massive dans ce milieu. L’influence des réseaux est beaucoup plus efficace pour propager la désinformation que l’information elle-même. Quand on regarde les données, on constate que les gens mal renseignés sont mal renseignés à propos de tout. L’information a peu d’importance; tout dépend des positions adoptées selon qu’on fait partie ou non du groupe. Ma propre position est que l’élite politique a tout intérêt à être à l’affût de ces questions et à communiquer ce message à tout le monde. Si elle s’exprime d’une voix forte, les gens vont l’écouter.

Je crois également que lorsque nous sommes ambivalents à l’égard de ces questions, nous devenons et rendons la société plus vulnérable à la désinformation russe. L’ingérence étrangère est un crime commis parce que l’occasion se présente. Il faut une cible adéquate, un acteur malveillant et de la négligence dans l’application de la loi. Les acteurs malveillants vont commettre ces actes de toute manière. À l’heure actuelle, nous appliquons peu la loi en matière d’ingérence étrangère. Toutefois, ce que nous pouvons faire, c’est rendre la cible adéquate de moins en moins importante. Par exemple, si les partis unissent leur voix pour dire: « Nous appuyons résolument l’Ukraine. Quoi que vous fassiez ou que vous tentiez de raconter dans notre environnement d’information, nous ne changerons pas d’idée. »

À mon avis — et c’est ce que je demande à mes collègues d’Alberta —, vous devez vous exprimer plus fort à propos de ces questions. Vous ne devez pas avoir peur d’appuyer l’Ukraine. Vous devez dire : « C’est une question de valeurs. Quel que soit le parti que nous appuyons, nous soutenons la démocratie et la primauté du droit. Ce sont des valeurs et des principes fondamentaux. » Défendez ces derniers. Voilà ma réponse.

Le sénateur Cardozo : J’ai quelques questions.

Monsieur Boucher, je crois comprendre que l’extrême droite est plus touchée que l’extrême gauche. Je classerais certains des exemples de l’extrême gauche que vous avez donnés dans la catégorie de l’extrême droite, en quelque sorte. Les gens soutiennent le régime russe.

Je me demande pourquoi les conservateurs traditionnels aux États-Unis délaissent l’Ukraine. Nous observons un peu la même chose au Canada. Pourquoi cela se produit-il?

Monsieur Gruzd, j’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur les programmes d’éducation sur les médias. Ils sont extrêmement importants. Que pouvons-nous faire davantage?

M. Boucher : Je vais répondre rapidement...

Le sénateur Cardozo : Ne vous précipitez pas trop.

M. Boucher : Je parle ainsi en français comme en anglais. Je suis désolé.

Je crois qu’à l’heure actuelle, l’auditoire de croissance pour les Russes est l’extrême droite et les conservateurs. Je serais prêt à parier là-dessus. Il semble qu’à l’heure actuelle, c’est au niveau de l’extrême droite qu’ils gagnent le plus de terrain. Si nous parlions de l’Iran ou des factions parrainées par l’Iran, je parlerais de l’extrême gauche, mais en ce qui concerne la désinformation russe, c’est ce qui semble être l’écosystème. C’est en partie en raison des Américains. Les Russes ont réussi à convaincre une grande partie de l’électorat américain et des influenceurs tels que Tucker Carlson ou Marjorie Taylor Greene de croire leur discours. Malheureusement, cela a des répercussions au Canada. Nos écosystèmes sont sensiblement les mêmes. Les groupes canadiens de l’extrême droite sont intégrés aux groupes américains de l’extrême droite, et cela a de l’importance.

Cela se produit pour bien des raisons. L’une d’elles est la division. Lorsque nous effectuons des sondages sur la division, nous constatons parfois que les gens ont une relation efficace avec leur parti, et il appartient en réalité aux partis de déterminer quels messages ils vont véhiculer. Aux États-Unis, le parti s’oriente vers la droite, et les éléments du mouvement Make America Great Again, ou MAGA, se situent pour la plupart à l’extrême droite. On observe maintenant une montée des valeurs antilibérales de l’autocratie et de l’antipluralisme au sein de l’extrême droite, ce qui est inquiétant. Les Russes trouvent autant de moyens de s’en mêler.

Au Canada, cela s’observe de plus en plus. Lentement mais sûrement, le Parti conservateur — notamment dans ma province, malheureusement — est de plus en plus influencé par l’extrême droite. Il devient parfois de plus en plus difficile de faire la distinction, et les écosystèmes d’information commencent lentement mais sûrement à converger, si bien que des problèmes surviennent au sein de ces écosystèmes. J’ai l’impression que ce que nous observons aux États-Unis, nous l’observerons au Canada, à moins que les dirigeants politiques en décident autrement.

M. Gruzd : La question portait sur l’éducation sur les médias, mais d’abord, j’aimerais répondre brièvement à la question précédente. Environ 51 % des Canadiens ont été exposés à de l’information pro-Kremlin. Je serais ravi de donner des statistiques en fonction de chaque plateforme, mais malheureusement, les plateformes ne fournissent pas les données aux chercheurs comme nous. D’ailleurs, c’est une autre préoccupation dont je serais ravi de discuter avec vous si le temps le permet.

Je reviens au programme d’éducation sur les médias. D’autres témoins ont beaucoup parlé de littératie numérique et de l’importance de la pensée critique. C’est vrai, mais je ne veux pas que ce soit la seule chose que le comité retienne de ces témoignages, car cela place toute la responsabilité sur les épaules de l’utilisateur. Les plateformes de médias sociaux sont très complexes et sont régies par des algorithmes. Essentiellement, ce sont des boîtes noires. On ne peut simplement se fier aux particuliers, quoiqu’il fasse faire des efforts là aussi.

À l’heure actuelle, l’intelligence artificielle générative pose un défi particulier aux programmes de littératie numérique. De nos jours, lorsqu’un clip audio est généré par intelligence artificielle, on ne peut pas vraiment en confirmer ou en nier l’authenticité. Donc, on a beau éduquer les gens, il est impossible pour l’oreille humaine de faire la différence entre les deux. Je crois qu’en ce qui concerne les technologies, certains problèmes peuvent se régler au moyen de la littératie numérique, mais d’autres nécessitent que l’on discute avec les plateformes.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici aujourd’hui. Monsieur Gruzd, vous avez donné beaucoup de renseignements en peu de temps par rapport à certains aspects, ce qui est tout à fait correct, mais pourriez-vous parler un peu plus longuement des évaluations de l’état de préparation que vous avez mentionnées?

M. Gruzd : L’idée est de réfléchir à qui sont les principales cibles des opérations d’information, en l’occurrence, les opérations d’information russes. Les décideurs, les politiciens et les fonctionnaires seraient des cibles de premier ordre. Je crains que si nous intervenons uniquement auprès du grand public, nous allons rater le groupe le plus important. Dans mon discours liminaire, lorsque j’ai parlé d’évaluations de l’état de préparation, je parlais de ce groupe de personnes qui ont beaucoup d’abonnés à leurs publications en ligne et que beaucoup de gens écoutent hors ligne, car s’ils republient un message, accidentellement ou pas, cela aura des effets démesurés.

La question qui nous préoccupe est le public général, mais nous devrions nous attarder sur l’état de préparation des représentants élus et d’autres s’ils devaient faire face à une opération d’information.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Monsieur Kolga, je crois que les sénateurs ici présents connaissent peut-être déjà la réponse, mais étant donné la manière dont vous vous êtes présenté, et d’après votre expérience, je serais curieuse de savoir quelle était la situation en Russie pendant les récentes élections.

M. Kolga : L’environnement d’information est complètement coupé du reste du monde. Seules quelques plateformes peuvent toujours pénétrer en Russie, YouTube et Telegram, mais la plupart des Russes sont conditionnés depuis 24 ans à croire que seul l’État dit la vérité, qu’il est entouré d’ennemis, qu’il s’agisse des États-Unis, de l’OTAN ou de l’Union européenne, et qu’à l’intérieur du pays, la communauté LGBTQ est un ennemi. Ainsi, si vous vous trouvez en Russie, vous êtes entouré de tous ces ennemis et on vous présente une seule option, une seule personne qui puisse diriger le gouvernement et vous protéger de ces ennemis : Vladimir Poutine. Les Russes sont bombardés de ce genre de message et de messages anti-Ukraine que l’on caractériserait d’incitation à la haine. Tout cela mis ensemble crée une réalité complètement différente. La plupart des Russes vivent dans un univers parallèle contrôlé par l’État. C’est intentionnel.

La sénatrice M. Deacon : Y a-t-il un moyen d’y remédier?

M. Kolga : Oui. La solution serait que les démocraties occidentales s’unissent pour soutenir les médias russes indépendants. Une communauté importante vit en Lettonie à l’heure actuelle, de même qu’à Vilnius. Ces gouvernements offrent un soutien à cette communauté. Tous les grands médias indépendants mènent leurs activités depuis l’étranger, alors une solution serait de collaborer avec eux pour pénétrer le rideau de fer derrière lequel Poutine isole son pays. Nous pouvons également appuyer les organismes de la société civile russes, qui vivent également en exil à l’heure actuelle. Nous pouvons les soutenir et financer leurs activités en préparation pour le jour où ce régime n’existera plus. Car, il cessera d’exister un jour, mais en ce moment, nous avons l’occasion d’appuyer ces forces prodémocratie qui s’alignent avec nos valeurs afin qu’elles puissent prospérer le moment venu.

Le sénateur McNair : Je remercie les témoins d’être ici ce soir. Il n’est pas facile d’être le troisième groupe de témoins de la soirée. Vous avez très bien couvert le sujet et avez su maintenir l’attention du groupe. Ma question s’adresse à M. Kolga. Vous avez dit que la Russie mène des campagnes de désinformation au Canada pour tenter d’influencer l’opinion publique des Canadiens à l’égard de l’Ukraine. Je suis curieux. Comment votre organisme mesure-t-il ces opérations de désinformation et quels paramètres utilisez-vous pour déterminer si une campagne est un succès ou un échec?

M. Kolga : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Il est très difficile de mesurer si une opération est un succès, mais nous tentons d’utiliser ce qu’on appelle la « Breakout Scale » ou « échelle de propagation », laquelle a été proposée il y a quelques années par un expert nommé, Ben Nimmo, qui est aujourd’hui à la tête du service d’évaluation des risques de Facebook.

Essentiellement, cela nous permet d’évaluer rapidement un discours. Dès que nous l’apercevons, nous le surveillons et déterminons l’impact qu’il pourrait avoir et qu’il a. Prenons par exemple, le discours selon lequel le gouvernement de l’Ukraine serait dirigé par des néonazis. Initialement, ce discours serait apparu dans un média d’État russe — une seule plateforme — et a peut-être été observé sur certaines plateformes marginales, mais alors, il ne nous préoccupe pas trop parce que l’impact est probablement assez limité. Il nous préoccupe un peu plus lorsqu’il se propage à d’autres plateformes. En effet, lorsque le discours qui s’observait sur un média d’État russe se retrouve sur Twitter, Facebook ou Instagram, cela devient un peu plus préoccupant, et nous commençons donc à le surveiller de plus près. Nous devenons très préoccupés lorsque ce discours fait le saut vers les médias traditionnels. Lorsque ce discours est repris par la télévision canadienne ou par un chroniqueur dans un journal ou par une chaîne de radio, cela devient extrêmement préoccupant, surtout lorsqu’un représentant élu, un influenceur ou un journaliste important le répète et que cela a une incidence sur les décisions stratégiques ou provoque une intervention politique quelconque. Voilà l’échelle que nous utilisons, et lorsque nous voyons ces discours progresser d’une phase à l’autre, nous déterminons quel genre de mesure prendre, si nous l’exposons au grand jour ou si nous tentons de le combattre. Rien ne remplace le genre de travail que font mes collègues en analysant à fond les données et en effectuant ce genre de recherche quantitative. Toutefois, comme je l’ai dit, c’est une façon rapide de déterminer quel pourrait être l’impact de ces discours et à quelle étape de leur cycle de vie ils en sont.

Le sénateur McNair : J’ai une autre brève question, si je puis. Monsieur Kolga, quelles sont, selon vous, les conséquences de cette désinformation pour la diaspora russe au Canada. Je crois savoir que des services de diffusion en continu accordent toujours du temps d’antenne aux médias d’État russes. Cela vous préoccupe-t-il?

M. Kolga : Cela me préoccupe énormément. Quelque 500 000 personnes au Canada s’identifient comme étant Russes. Le gouvernement canadien a fait du bon travail en imposant des sanctions à tous les médias d’État russes. Nous avons également banni ces derniers de nos ondes publiques. Malheureusement, ils sont toujours accessibles en ligne, mais ils le sont également par la voie de services de diffusion en continu situés au Canada, comparables à l’Amazon Fire Stick ou à Roku. Essentiellement, on peut aller dans une boutique de Toronto, acheter un petit dispositif doté d’un connecteur USB et brancher celui-ci à son téléviseur. Pour 12 $ ou 15 $ par mois, le téléspectateur peut visionner en continu tous les médias d’État russes dans son salon. Dans un article publié récemment dans Logic, le journaliste Martin Patriquin a interviewé, ici au Canada, Alla Kadysh, une journaliste connue qui parle russe. Celle-ci estime qu’au moins le tiers des foyers russes au Canada utilisent ce service. Cela signifie que le tiers de ces Canadiens sont exposés au contenu extrêmement toxique que les médias d’État russes injectent quotidiennement dans l’esprit des Russes, dont les messages d’incitation à la haine contre l’Ukraine. Je suis donc très préoccupé par ces services, et je me demande s’ils ne vont pas à l’encontre de nos sanctions, puisque ces organismes génèrent un revenu en rediffusant les médias d’État russes. Je crois que le gouvernement et nos autorités doivent examiner de près ces services et déterminer s’ils sont même conformes à nos lois.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur Boucher, en 2022, vous avez fait une étude sur la propagande, particulièrement sur Twitter. En résumé, 75 % de cette propagande était pro‑ukrainienne et 25 % était prorusse. C’était donc 35 % de contenu, même si 25 % des gazouillis étaient prorusses.

Est-ce que la situation a évolué? Qu’est-ce que le gouvernement canadien fait pour régler la situation, ou du moins pour en diminuer l’impact? Dans votre article de 2022, vous étiez assez critique par rapport au gouvernement canadien, en parlant de ce qu’il ne faisait pas ou plutôt de ce qu’il devrait faire.

J’aimerais également vous entendre sur le fait qu’un premier ministre a mentionné que l’ingérence étrangère sur le vote n’était pas grave, qu’il y a seulement quelques députés qui ont perdu leur poste, mais que cela n’a pas changé le résultat du gouvernement élu.

M. Boucher : Je vais y aller doucement. Ce qui est intéressant, c’est que lorsqu’on a fait cette étude en 2022, c’était les premiers mois de la guerre; on ne connaissait rien de l’écosystème et on ignorait comment la situation se développerait — mon collègue M. Kolga a travaillé là-dessus lui aussi.

Aujourd’hui, c’est à peu près la même chose. Les acteurs qu’on a identifiés à l’époque sont les mêmes qu’aujourd’hui. Ce sont exactement les mêmes. C’est assez étonnant et cela nous a surpris. Chaque année, ce sont les mêmes personnes, on les connaît et on sait ce qu’elles vont dire.

Cela nous a permis d’avoir une meilleure compréhension de l’écosystème. À mon avis, aujourd’hui, l’écosystème de l’extrême gauche n’a pas grossi et il commence à travailler davantage sur des récits plus poussés au sujet de l’Iran et des groupes antisémites. Cependant, l’extrême droite continue de grandir; d’une certaine façon, j’ai l’impression que ce petit 25 % est un peu plus fort et important aujourd’hui.

La deuxième question était la suivante : que fait le gouvernement canadien? Je reste tout aussi critique. Franchement, le gouvernement canadien et les fonctionnaires travaillent très fort et ils sont compétents. Cela m’étonne de voir à quel point ils prennent leur travail au sérieux dans tous les ministères, comme Affaires mondiales Canada, la Défense nationale et le Conseil privé. Toutefois, ils n’ont ni les outils ni les politiques nécessaires pour les aider à faire quoi que ce soit.

Les conversations que j’ai avec les gens d’Affaires mondiales Canada, c’est qu’on veut donner des réponses. Oui, mais des réponses sur quoi, comment et où? Dans les faits, on ne le fait pas vraiment. Malgré deux ans de guerre, des événements se sont produits avec le gouvernement de l’Inde, l’Iran, le Hamas et la Chine. Il y a plein d’acteurs qui s’immiscent et polluent notre espace informationnel et tentent d’influencer nos concitoyens, mais il n’y a pas vraiment de réponse du gouvernement canadien à cet effet.

Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est que lorsque j’ai des conversations sur les élections de 2025, ce n’est pas clair si le Canada a un plan et s’il sait quoi faire. Comme le disait M. Gruzd, les outils qui se développent aujourd’hui, comme le deepfake ou l’intelligence artificielle générative, tant qu’en audio et en vidéo qu’en texte, seront quatre fois plus efficaces dans un an.

Cette année, c’est celle du grand essai. Tout le monde parle de 4 milliards de personnes qui participeront à des élections, mais ce n’est pas si important; ce qui est important, ce sont les 300 millions d’électeurs qui voteront aux États-Unis. Tous les acteurs vont mettre les ressources requises pour essayer d’influencer ce groupe, parce que ce sont eux qui auront le plus d’impact sur la guerre en Ukraine. Cela veut dire que pendant un an, ils vont tester tous les outils d’intelligence artificielle et d’intelligence artificielle générative.

Lorsque les élections de 2025 se tiendront au Canada, on se retrouvera avec un groupe qui passera un an à s’entraîner pour essayer de manipuler l’espace informationnel aux États-Unis et on en sera encore là. Je sais que les gens au gouvernement canadien sont très sérieux et concernés par cet événement-là, mais je ne vois pas encore de plan ni d’effectifs. Les équipes d’Affaires mondiales Canada sont toutes petites. Ce sont trois ou quatre personnes qui travaillent très fort, mais qui gèrent 83 dossiers; ils passent leur temps à breffer les ministres et à coordonner les gens au sein des ministères. Au final, il n’y a pas vraiment de programme qui est mis de l’avant pour dire : « Voici ce qui se fait et comment on le fait. Voici nos actions et comment on les mesure. » Je pense que c’est un problème.

Les échos que j’ai de l’intérieur du gouvernement, c’est que tout le monde pense que c’est un problème. Le premier ministre dit que ce n’est pas grave. Je pense qu’il a tort. Je pense que tous les partis politiques au Canada devraient critiquer unanimement toute ingérence de qui que ce soit, que ce soit l’extrême droite, les Russes, les Chinois, les Iraniens ou les Indiens. Les Canadiens ont le droit de décider de leur avenir entre eux et le gouvernement canadien et tous les partis politiques confondus devraient en faire une position de principe, c’est-à-dire que l’on se fout d’où vient l’ingérence — que cela vienne des États-Unis, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, il faut protéger l’espace cognitif du Canada.

Je suis en désaccord avec lui. J’ai la même conversation que les conservateurs, qui sont un peu indolents face à l’extrême droite qui vient des Américains. Ils se disent : « Bof, est-ce qu’on va faire quelque chose pour cela? » Oui, ce qui est bon pour les libéraux est bon pour le NPD et les conservateurs. Je pense que comme société, il faut s’attaquer au problème.

[Traduction]

M. Kolga : J’aurais quelques observations à formuler brièvement. La Russie exploite réellement l’extrême droite. Cette dernière promeut les discours anti-OTAN et anticolonialisme et répète les discours russes qui accusent l’Ukraine d’avoir déclenché cette guerre et de prolonger la souffrance des Ukrainiens. Cela a des répercussions sur le débat de la majorité à savoir que faire à propos de l’Ukraine, que ce soit imposer la paix ou continuer de fournir des armes. On présente la chose sous un angle différent et cela a manifestement des répercussions. Je crois que nous avons tous entendu ces discours dans les médias traditionnels.

En ce qui concerne ce que doit faire le Canada, je suis entièrement d’accord avec M. Boucher. J’ajouterais simplement que les Européens font beaucoup pour nous au moyen de leur législation sur les services numériques. Cette dernière exige des comptes des grandes entreprises de médias sociaux. Peut-être devrions-nous examiner comment nous pouvons soutenir ces efforts de l’Europe.

J’aimerais parler du Mécanisme de réponse rapide d’Affaires mondiales. Il est très efficace. Je m’entretiens constamment avec des collègues européens, des représentants élus, et ils me parlent tous de l’efficacité du mécanisme pour diffuser l’information et sensibiliser nos alliés à certains de ces discours. Donc, il fait du bon travail. Nous devons collaborer plus étroitement avec la société civile, car celle-ci est flexible et capable de s’adapter et d’intervenir rapidement. Elle peut dénoncer ces discours pour sensibiliser la population. Il faut absolument collaborer davantage avec elle.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.

Revenons un peu en arrière. Je ne parle pas de l’Ukraine, mais de la pandémie. Comme vous le savez, le fait qu’une portion importante de la population ne croit pas aux bienfaits de la vaccination a causé des perturbations. Cela a perturbé la façon dont la société interviendrait normalement en réponse à une crise majeure. Le mouvement anti-vaccin a attaqué une chose qui, pour beaucoup d’entre nous, est fondamentale. Bien entendu, il a utilisé tous les outils dont vous avez parlé. Cela s’est passé ici, au Canada, et pas à cause de la Russie. C’était l’œuvre de nos propres concitoyens. La source de leur information et la manière dont ils l’ont propagée étaient extrêmement perturbatrices. Nous étudions maintenant la chose à plus grande échelle. Nous constatons que les acteurs, les États et les particuliers malveillants représentent une menace importante pour le fonctionnement de la démocratie. Cela comprend l’ingérence étrangère dont a parlé M. Boucher.

Quelle leçon pouvons-nous tirer de l’étranger? Même si cette menace n’est pas nouvelle, les démocraties libérales n’ont toujours pas trouvé de solution adéquate pour la combattre et établir un consensus parmi les citoyens. Certaines personnes s’opposent à toute atteinte à ce que la désinformation comme l’information puisse faire partie de leur vie. Ils considèrent qu’ils ont le droit d’y avoir accès et qu’elles ne doivent faire l’objet d’aucune restriction. Des plateformes de médias sociaux ne filtrent aucunement ce que nous pouvons voir ou ce qui peut nous influencer au quotidien.

Selon moi, pour combattre efficacement le problème, le Canada devrait s’inspirer des pratiques exemplaires à l’étranger. Or, je ne saurais nommer un pays qui gère la situation assurément mieux que nous. Certes, certains déploient des efforts considérables. Il faut également reconnaître que des efforts de coordination s’effectuent à l’échelle internationale. Je crois que le G7 a tenu des réunions à ce sujet. Quoi qu’il en soit, nous n’avons toujours pas trouvé de solution adéquate.

Pendant ce temps, les gens qui excellent à perturber considérablement notre vie poursuivent leurs activités. Quelles leçons pouvons-nous tirer de l’étranger? Pour combattre le problème, nous devons comprendre la meilleure façon de le gérer, et je crois que la société canadienne, et encore moins nos voisins du sud, ne sont pas prêts à ce qu’on restreigne, par la voie législative, la manière dont les gens peuvent recevoir l’information.

M. Boucher : Premièrement, beaucoup de gens profitent de la diffusion de désinformation. Il existe un droit fondamental d’exprimer son point de vue et ses croyances, mais en tirer un revenu ne constitue pas un droit. Je crois que nous pouvons réglementer certains aspects ou, à tout le moins, accroître la transparence. Si vous êtes un influenceur ou que vous avez un site Web, vous devriez divulguer vos sources de financement en toute transparence. Qui vous a donné de l’argent par la voie de GoFundMe, par exemple? Je crois qu’exposer cela au grand jour aiderait beaucoup à comprendre qui dépense des millions de dollars pour propager ces opinions.

Le mouvement anti-vaccination n’était pas simplement quelques personnes ayant une certaine opinion à l’égard des vaccins. Il s’agissait de sociétés et de groupes qui ont dépensé des millions de dollars en publicité pour tenter de rallier d’autres gens à leur cause.

Le discours anti-LGBTQ n’est pas simplement quelques citoyens préoccupés. Ce sont en fait des groupes parrainés par les États-Unis qui dépensent des millions de dollars pour faire valoir leurs opinions auprès des Canadiens.

Nous pouvons nous attaquer à cet aspect. Non pas en censurant le discours, mais en limitant l’amplification. Chacun a le droit de dire ce qu’il veut, mais pas de dépenser beaucoup d’argent pour diffuser cette opinion à grande échelle. Quiconque le fait doit le faire en toute transparence. Vous voulez propager un discours anti-vaccination? Qui vous finance? Ce milliardaire ou ce millionnaire associé à tel groupe ou à telle société ou à tel mouvement. Ainsi, la pratique demeure légale, mais à tout le moins, on comprend mieux le contexte.

Deuxièmement, certains États travaillent en quelque sorte à cela en groupe. Par exemple, les Australiens ont mis sur pied l’Australian Strategic Policy Institute ou institut de politique stratégique de l’Australie, qui est financé soit par le ministère de la Défense nationale, soit par celui de la Sécurité publique, et qui combat très bien la désinformation, en particulier celle qui provient de la Chine. Le Canada n’a pas d’équivalent. Cet organisme australien est très efficace. D’ailleurs, le travail qu’il fait nous aide parfois. C’est lui qui nous a fourni l’information concernant les campagnes de « spamouflage » de la Chine concernant des personnalités publiques. Nous pouvons suivre cet exemple et investir dans un organisme comparable.

Troisièmement, nous avons appris que vérifier les faits ne fonctionne pas. C’est ce qui ressort de la plupart des données que nous avons recueillies et de la plupart des études et des travaux que nous effectuons. Lorsqu’elle fonctionne, le résultat est éphémère, mais la plupart du temps, elle ne fait que renforcer l’opinion des gens.

À l’heure actuelle, on estime que la démystification préventive est le moyen le plus efficace de combattre la mésinformation et la désinformation, mais je vois peu de bons discours de démystification préventive ou de bonnes façons de diffuser ces derniers. Nous pouvons consacrer beaucoup de temps et d’efforts à cette fin dans les prochaines années et voir si c’est un moyen efficace de combattre la désinformation.

M. Gruzd : Nous pouvons tirer de nombreuses leçons de la pandémie de COVID-19 en matière de mésinformation ainsi que des mesures d’intervention que nous avons prises dans divers secteurs de notre société.

D’abord, pour ce qui est des plateformes, on a rapidement appris à identifier les sources d’information. Chaque fois qu’on publie un message lié au virus de la COVID-19 ou à de futurs vaccins, on insère un lien menant directement à Santé Canada, où l’on peut trouver de l’information crédible.

Les plateformes de médias sociaux ont investi dans la vérification des faits. Je ne suis pas d’accord avec mon collègue; elles font des efforts. Toutefois, les études montrent effectivement que ces efforts ne donnent pas nécessairement de résultats à long terme.

De nombreuses plateformes ont instauré la vérification des faits pour dénoncer les affirmations fausses ou induisant en erreur. Nous avons également vu que YouTube — dont nous avons parlé précédemment — a démonétisé les vidéos anti‑vaccination. Immédiatement, les utilisateurs de YouTube se sont mis à recommander davantage de vidéos pro-vaccination que de vidéos anti-vaccination. C’est ce que notre étude a démontré.

Nous pouvons tirer de nombreuses leçons. Je mentionne les mesures prises, la plupart du temps volontairement, par les plateformes pendant la pandémie. Lorsque les pressions sociétales ont cessé, les plateformes ont rapidement mis fin à ces efforts. L’identification des sources et la vérification des faits ont disparu. Un élément potentiellement positif qui demeure, ce sont les initiatives pour la transparence relativement aux publicités politiques, grâce auxquelles nous pouvons voir qui finance quelles publicités à des fins politiques pendant les campagnes électorales et concernant les dossiers importants.

Je crois que nous pouvons beaucoup apprendre de la pandémie de COVID-19. La question est de savoir pourquoi ces efforts n’ont pas été maintenus. On constate que divers intervenants dans notre société ont abandonné la cause et nous pouvons les motiver à renouveler leurs efforts.

M. Kolga : Selon moi, liberté d’expression ne signifie pas exemption de tout examen. Il faut dénoncer les acteurs qui propagent de la désinformation. Je crois que, en tant que société, nous avons peur de le faire. Nous devons suivre l’exemple de nos alliés européens, qui dénoncent efficacement les plateformes et les particuliers qui propagent ce genre de discours.

Les gouvernements comme ceux de la Russie, de la Chine et de l’Iran n’ont aucun droit de s’exprimer dans notre pays. Ils n’ont aucun droit de porter atteinte à notre souveraineté cognitive ou à la souveraineté de notre environnement d’information. Il faut les bloquer autant que possible. Encore une fois, nous devons suivre l’exemple de nos alliés européens, qui les ont complètement bloqués de leur environnement d’information.

Qui a des pratiques exemplaires? L’Union européenne réussit bien. EUvsDisinfo est une merveilleuse plateforme qui combine la démystification et la vérification de faits, en plus de mettre en contexte ces discours. Quand on la consulte, on comprend pourquoi ces gouvernements étrangers exploitent certains discours et qui sont leurs cibles.

Je crois également que la vérification des faits est importante pour les journalistes et les gestionnaires des salles de nouvelles, qui recherchent en fait cette information. Dénonçons cette information en ligne, comme le fait DisinfoWatch. Nous estimons que c’est utile et nous savons que les médias utilisent bel et bien ce service.

La sénatrice Dasko : Ma question visait à savoir quelles mesures devraient être prises, selon les témoins, et j’estime qu’ils y ont bien répondu.

J’ai toutefois une petite question supplémentaire pour le professeur Gruzd. Vous avez dit avoir réalisé un sondage et que, d’après les résultats, 51 % des Canadiens auraient vu les discours propagés par la Russie. Vous n’avez pas demandé aux gens s’ils avaient vu des discours propagés par la Russie; vous leur avez demandé s’ils avaient vu tel ou tel message, n’est-ce pas? Quels messages avez-vous demandé aux gens s’ils les avaient vus?

M. Gruzd : Nous avons effectué quelques sondages nationaux de ce genre. Chaque fois que nous demandons aux Canadiens quels genres de discours ils ont vus dans diverses plateformes de médias sociaux, nous nous fondons sur les tendances actuelles, sur les discours que nous observons en tant que chercheurs dans les données que nous analysons. Lorsque nous avons réalisé ce sondage, des discours circulaient à savoir qui est responsable de la guerre en Ukraine : l’Ukraine l’a déclenchée, et donc en est la cause; l’OTAN ou l’expansion de l’OTAN en est la cause; l’affirmation nazie selon laquelle le nationalisme ukrainien est un mouvement néo-nazi. Ce sont des discours courants que nous observons.

La sénatrice Dasko : Donc 51 % des Canadiens ont vu l’un de ces discours, et d’après le professeur Boucher, environ 20 % ont cru ces messages. C’est bien cela?

M. Gruzd : Oui. Le sondage demandait ensuite aux répondants dans quelle mesure ils avaient cru ces messages. Ce n’est pas un simple oui ou non, il y a une échelle. Le discours selon lequel l’expansion de l’OTAN a amené la Russie à attaquer l’Ukraine pour se défendre est celui qui est considéré comme étant le plus crédible au Canada. Cependant, environ 30 % des Canadiens croient que le mouvement nationaliste ukrainien est néo-nazi.

Ces statistiques sont inquiétantes. Évidemment, on parle d’une échelle, et il se peut que les personnes qui croient tout à fait à ces discours ne participent pas à nos sondages. Cela dit, nous devons certainement intervenir à l’égard du reste.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le président : Chers collègues, cela met fin aux témoignages de ce groupe de témoins ainsi qu’à la réunion d’aujourd’hui. Je tiens à remercier sincèrement M. Boucher, M. Gruzd et M. Kolga d’avoir su capter notre attention jusqu’à la dernière minute, malgré l’heure tardive. Ces discussions approfondies donnent matière à réflexion et sont préoccupantes. On sonne l’alarme et réclame des stratégies d’intervention plus rigoureuses. Vous avez tous pu constater le niveau d’intérêt élevé dans la salle. Merci beaucoup d’avoir contribué à cette très importante discussion.

Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu le lundi 29 avril, à 16 heures, heure de l’Est. Nous y discuterons des tensions au Moyen-Orient.

Encore une fois, je vous remercie de votre participation aujourd’hui. Je souhaite à tous une bonne soirée.

(La séance est levée.)

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