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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 9 septembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour procéder à l’examen, afin d’en faire rapport, de questions concernant la sécurité nationale et la défense en général.

Le sénateur Hassan Yussuff (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour.

Avant de commencer, je demanderais aux sénateurs et aux autres participants en personne de lire les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques données sur les fiches déposées sur la table. Merci de votre collaboration.

Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Hassan Yussuff, sénateur de l’Ontario, et je préside le comité. Je suis accompagné aujourd’hui de mes collègues du comité, que j’invite à se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec

[Traduction]

Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.

La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Nous entamons aujourd’hui notre étude de l’effet de la désinformation russe sur le Canada. Nous souhaitons la bienvenue aux trois groupes d’experts qui ont été invités à nous donner leurs éclairages sur ce sujet.

Le premier groupe sera composé de M. Peter Madou, sous-ministre adjoint, Exigences en matière de renseignement opérationnel et d’évaluation au sein du Service canadien du renseignement de sécurité; de Mme Bridget Walshe, dirigeante associée du Centre canadien pour la cybersécurité au Centre de la sécurité des télécommunications Canada; de Mme Larisa Galadza, directrice générale, Direction générale des cyberactivités, des technologies critiques et de la résilience démocratique à Affaires mondiales Canada; de M. Sébastien Aubertin-Giguère, sous-ministre adjoint délégué, Sécurité et cybersécurité nationale à Sécurité publique Canada, ainsi que de Mme Sarah Stinson, directrice des opérations, Institutions démocratiques au Bureau du Conseil privé.

Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons maintenant écouter vos déclarations liminaires. Vu le nombre de témoins dans ce groupe, j’ai cru comprendre que le temps accordé pour vos exposés a été limité à trois minutes afin que vous ayez tous du temps de parole. Merci à l’avance.

Monsieur Madou, à vous l’honneur.

Peter Madou, sous-ministre adjoint, Exigences en matière de renseignement opérationnel et d’évaluation, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Je m’appelle Pete Madou et je suis sous-ministre adjoint responsable des exigences en matière de renseignement opérationnel et d’évaluation au Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS.

J’aimerais d’abord remercier le comité d’avoir invité le SCRS à prendre part à cette étude. Le SCRS reconnaît la valeur et l’importance des efforts que vous et vos collègues de la Chambre déployez pour surmonter le défi que représente la désinformation russe. C’est avec plaisir que nous saisissons cette occasion de mettre en lumière le rôle que joue le SCRS pour protéger les Canadiens et les Canadiennes contre ces menaces.

[Français]

La désinformation est un problème complexe auquel le SCRS doit faire face, tout comme le gouvernement du Canada et ses alliés démocratiques à l’étranger. La désinformation porte préjudice aux champs d’intérêt démocratiques mondiaux et peut avoir des répercussions très néfastes pour la cohésion sociale.

Des États étrangers recourent à la désinformation pour discréditer les idées canadiennes et promouvoir les leurs, propager des discours incendiaires pour attiser les tensions, manipuler les normes internationales, semer la division entre les alliés et les partenaires et ébranler les valeurs de la population canadienne et sa foi dans la démocratie. Pour ce faire, ces États peuvent exploiter des médias traditionnels et non traditionnels.

[Traduction]

Le SCRS enquête sur les activités de désinformation lorsqu’elles sont influencées par l’étranger, conformément aux dispositions de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. En outre, ces activités doivent être préjudiciables aux intérêts du Canada, être de nature clandestine ou trompeuse et constituer une menace.

Or, le SCRS a constaté qu’un nombre croissant d’États étrangers, la Russie en tête de liste, ont développé et mis en œuvre des programmes pour faire de l’ingérence en ligne dans l’exercice de leurs activités quotidiennes. Les campagnes de désinformation sont la pierre angulaire de la stratégie mondiale d’ingérence étrangère de la Russie. Elles sont focalisées sur les secteurs d’importance stratégique et visent surtout les pays voisins, les États de l’ancien bloc soviétique ainsi que les États membres du Groupe des cinq et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ou OTAN, notamment le Canada.

Ces efforts ne favorisent personne, mais visent à semer la division et la méfiance envers les institutions démocratiques.

[Français]

La désinformation russe ne touche pas le Canada aussi durement que certains de ses alliés. Cependant, dans un contexte géopolitique en constante évolution, le Canada doit rester vigilant quant aux possibilités d’une éventuelle intensification de cette activité contre les processus démocratiques.

Le SCRS continue de collaborer avec la communauté canadienne, les groupes de défense, les entreprises, les associations de l’industrie, les institutions universitaires, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les corps dirigeants autochtones et les administrations municipales pour les tenir au fait des menaces pesant sur la sécurité nationale du Canada et leur donner l’information dont ils ont besoin pour protéger leurs intérêts.

[Traduction]

En terminant, je tiens à préciser que le SCRS ne peut pas fournir publiquement d’informations sur ses activités opérationnelles ni sur les enquêtes criminelles des forces d’application de la loi. Cela dit, je ferai tout en mon pouvoir pour répondre à vos questions.

Le président : Madame Walshe, c’est à vous.

Bridget Walshe, dirigeante associée, Centre canadien pour la cybersécurité, Centre de la sécurité des télécommunications Canada : Bonjour, monsieur le président, distingués membres du Comité. Merci de cette invitation à prendre la parole devant vous aujourd’hui.

Je m’appelle Bridget Walshe. Je suis la dirigeante associée du Centre canadien pour la cybersécurité, que l’on nomme plus brièvement le Centre pour la cybersécurité.

[Français]

Nous sommes l’autorité technique du Canada en matière de cybersécurité. Au sein du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, le Centre pour la cybersécurité constitue la source unifiée de conseils, d’avis, de services et de soutien spécialisés en matière de cybersécurité pour les Canadiennes et les Canadiens ainsi que pour les organisations canadiennes.

[Traduction]

Le Centre travaille en étroite collaboration avec le gouvernement, les responsables d’infrastructures essentielles, les entreprises canadiennes et des partenaires internationaux pour nous préparer et intervenir en cas d’incidents de cybersécurité, en atténuer les conséquences et permettre le rétablissement des activités. Bien que la désinformation soit une pratique de longue date entre adversaires, l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a changé la compréhension mondiale de la façon dont les cyberactivités sont utilisées pour appuyer des opérations en temps de guerre.

[Français]

Le programme imprévisible de cyberactivité de la Russie enfreint régulièrement les normes du cyberespace et soutient l’ambition de Moscou de vouloir confronter et déstabiliser le Canada et ses alliés.

[Traduction]

Comme il est souligné dans notre récent Rapport d’évaluation des cybermenaces nationales, la Russie considère presque certainement son programme de cyberactivité comme faisant partie intégrante d’une stratégie à plusieurs niveaux visant à influencer et à façonner l’environnement de l’information. La Russie conjugue les activités de cyberespionnage conventionnelles et les attaques de réseaux informatiques aux activités de désinformation et d’influence afin de promouvoir son statut mondial et de renforcer les discours pro-Russie; de miner la confiance envers les institutions démocratiques; d’inciter la population à appuyer les efforts de guerre de la Russie, tant au pays qu’à l’étranger, et d’affaiblir ou de gêner psychologiquement ses adversaires.

À l’instar d’autres pays, la Russie a intégré l’intelligence artificielle à ses campagnes de désinformation, qui font en sorte qu’il est difficile pour les Canadiens de distinguer le vrai du faux.

La désinformation se propage en ligne.

[Français]

Nous encourageons les Canadiennes et les Canadiens à adopter des pratiques exemplaires en cybersécurité, notamment des pratiques sécuritaires en matière de médias sociaux, surtout pour les personnes qui occupent des postes publics.

[Traduction]

Il faut rester vigilant face à tout courriel non sollicité ou inhabituel, et éviter de cliquer sur des liens insérés dans des courriels suspects. Il est aussi recommandé d’utiliser tous les paramètres de sécurité possibles, comme l’authentification multifacteur et de faire preuve de jugement lors de la publication d’informations.

Nous faisons notre priorité de la surveillance des cybermenaces auxquelles le Canada est exposé, et le Centre pour la sécurité continuera de se concentrer sur la lutte contre ces menaces au fur et à mesure de leur évolution

Une fois de plus, merci de cette invitation à prendre la parole devant vous aujourd’hui afin de vous présenter le travail vital accompli au Centre de la sécurité des télécommunications Canada, ou CST, et au Centre pour la cybersécurité.

Le président : Merci.

Madame Galadza, nous vous écoutons.

Larisa Galadza, directrice générale, Direction générale des cyberactivités, des technologies critiques et de la résilience démocratique, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président, et merci, distingués membres du comité.

C’est un bonheur pour moi de vous faire part de ce que nous savons à Affaires mondiales Canada au sujet des activités de désinformation de la Russie.

[Français]

Je m’appelle Larisa Galadza. Je suis directrice générale de la Direction générale des cyberactivités, des technologies critiques et de la résilience démocratique à Affaires mondiales Canada.

[Traduction]

Une de mes responsabilités touche au Mécanisme de réponse rapide, ou MMR, du G7.

[Français]

Depuis sa création, le Mécanisme de réponse rapide du G7 s’est principalement concentré sur la lutte contre les menaces étrangères pour la démocratie, comme les opérations d’information.

[Traduction]

Les analystes des données du Mécanisme de réponse rapide utilisent des méthodes de recherche et des données de source ouverte pour surveiller l’écosystème mondial d’information numérique dans le cadre d’activités d’information soutenues par des organismes étrangers. Ce travail permet au Canada et à son réseau d’alliés et de partenaires de détecter, de corriger et de dénoncer les stratagèmes malveillants du Kremlin.

Comme mes collègues l’ont expliqué, l’objectif de la Russie est de saper la confiance dans les institutions et les processus démocratiques ainsi que les processus électoraux, de substituer aux faits des discours hostiles et fallacieux, et de créer ou d’exacerber les dissensions dans nos sociétés.

La Russie propage sa rhétorique de manière détournée et fait en sorte de miner le principe de l’égalité des chances. Pour ce faire, elle suscite l’indignation dans toutes les sphères du spectre politique en exploitant les enjeux sociaux et en cherchant à exacerber les fractures sociales.

Chaque fois que des influenceurs et des représentants de l’autorité reprennent à leur compte les messages de la Russie, ils gagnent en crédibilité.

Les activités d’information de la Russie sont des entreprises de longue haleine. Ses stratagèmes visent en effet à éroder et à fragiliser la cohésion sociale sur le long terme.

Les documents de mise en accusation de l’entreprise Tenet Media par le gouvernement fédéral américain exposent clairement comment la Russie blanchit des millions de dollars qu’elle verse à des créateurs de contenu afin qu’ils propagent des discours clivants sur des sujets comme l’immigration, l’inflation et d’autres enjeux touchant des politiques nationales et internationales.

[Français]

L’exploitation de ces types de sujets et de récits controversés peut poser de sérieux problèmes, ce qui nous confirme que le Canada n’est pas à l’abri de récits faux et trompeurs.

[Traduction]

Récemment, Affaires mondiales Canada a dénoncé des organes comme RT — appelé anciennement Russia Today —, qui se faisait passer pour un organe médiatique, mais qui en fait est maintenant un organisme de renseignement de la Russie.

Nous avons de plus dénoncé le financement par le Kremlin de sociétés comme Social Design Agency et Structura, aux commandes de Doppelganger, un réseau élaboré et complexe de désinformation qui inonde l’espace d’information de pourriels dans lesquels on trouve du contenu inauthentique, des documents falsifiés et des hypertrucages.

L’analyse du MRR a mis au jour de nombreux stratagèmes, y compris le recours par la Russie à des niveaux de chaînes partenaires génériques pour promouvoir des points de vue pro-Kremlin, ou à des voies détournées pour atteindre des publics occidentaux pour contourner les sanctions imposées aux médias d’État russes par des pays européens et nord-américains.

Les campagnes de désinformation de la Russie ont eu des incidences importantes à l’échelle mondiale. Nous avons suivi ses activités malveillantes dans le cadre des élections tenues récemment dans la République de Moldova.

Le Kremlin a soutenu divers influenceurs et candidats prorusses qui entretiennent des liens avec la Russie. Il a ainsi injecté près de 100 millions d’euros pour entraver le processus des élections présidentielles.

En Afrique subsaharienne, après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, les activités de désinformation de la Russie ont instrumentalisé les enjeux de l’approvisionnement alimentaire et de la famine en insinuant faussement que les sanctions occidentales étaient responsables de l’insécurité alimentaire.

[Français]

La désinformation est un outil de subversion utilisé par la Russie pour atteindre ses objectifs stratégiques. Elle a une portée mondiale, mais les tactiques sont adaptées à la région ou au pays qu’elle cherche à influencer.

Mieux nous comprendrons les réseaux, les tactiques et les stratégies de désinformation de la Russie, mieux nous pourrons y répondre.

[Traduction]

Merci de l’intérêt que vous portez à ce sujet.

Le président : Je vous en prie.

[Français]

Sébastien Aubertin-Giguère, sous-ministre adjoint délégué, Sécurité et cybersécurité nationale, Sécurité publique Canada : Bonjour. Je m’appelle Sébastien Aubertin-Giguère, sous-ministre adjoint délégué, Sécurité et cybersécurité nationale, Sécurité publique Canada. Je suis aussi le coordonnateur de la lutte contre l’ingérence étrangère.

[Traduction]

La Russie considère la manipulation de l’information comme un outil clé pour promouvoir ses intérêts. Au cours de la dernière décennie, la Fédération de Russie a intensifié ses activités de manipulation de l’information et d’ingérence contre les pays membres de l’OTAN et leurs partenaires démocratiques, y compris le Canada.

Les efforts de la Russie en matière d’information sont omniprésents, abondamment financés et dirigés par le Kremlin, mais ils sont déployés par un vaste réseau d’agents répartis dans de nombreux pays.

[Français]

La Russie utilise une panoplie de canaux et de techniques pour manipuler de l’information et ses techniques sont en constante évolution, mais la Russie cherche habituellement à atteindre des objectifs stratégiques.

[Traduction]

Premièrement, elle cherche à déstabiliser les sociétés démocratiques occidentales par l’effritement de la cohésion sociale et de la confiance de la population envers les institutions.

Deuxièmement, la Russie veut s’attaquer à l’unité de l’OTAN et bloquer le soutien de l’Occident à l’Ukraine. L’infrastructure d’influence de la Russie est orchestrée de manière à tirer profit de façon opportuniste des événements et des crises afin de polariser davantage notre société. Nous surveillons étroitement ces activités.

Le Canada dispose d’outils perfectionnés pour lutter contre cette menace. Nous poursuivons la mise au point de nouvelles politiques et de réponses opérationnelles.

De plus, le gouvernement canadien prend des mesures pour s’attaquer de façon plus globale à la menace de l’ingérence étrangère. Le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, a reçu la sanction royale en juin 2024.

Le projet de loi C-70 ajoute de nouvelles infractions criminelles à la liste déjà prévue à la Loi sur l’ingérence étrangère et la protection de l’information. Notamment, il sera criminel au Canada d’agir d’une manière propre à nuire à la sécurité du pays sur l’ordre d’une puissance étrangère, en association avec elle ou pour son profit, ou de s’ingérer de manière subreptice dans un processus politique au Canada pour le compte d’une puissance étrangère.

Le projet de loi C-70 édicte également la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, qui crée une obligation d’enregistrement pour les personnes qui agissent pour le compte de commettants étrangers afin d’influencer des activités liées à nos processus politiques ou gouvernementaux.

Je souligne que la condamnation récente de RT aux États-Unis comportait des accusations portées au titre de la Foreign Agents Registration Act, l’équivalent fonctionnel de notre Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère.

Je serai ravi de discuter de ces questions avec le comité. Merci.

Le président : Nous entendrons maintenant Mme Sarah Stinson, notre dernière témoin, mais non la moindre.

Sarah Stinson, directrice des opérations, Institutions démocratiques, Bureau du Conseil privé : Bonjour, monsieur le président, et bonjour, distingués sénateurs. Je m’appelle Sarah Stinson. Je suis la directrice des opérations, Institutions démocratiques, au Bureau du Conseil privé, ou BCP.

Je suis ravie de témoigner devant vous aujourd’hui afin de vous parler de ce que nous faisons pour aider le ministre LeBlanc à mener à bien son mandat qui consiste à diriger une réponse gouvernementale intégrée pour protéger les institutions démocratiques du Canada, dont le processus électoral fédéral, de l’ingérence étrangère et de la désinformation.

Nous arrivons au terme d’une année record pour ce qui concerne les activités électorales. Plus de la moitié de la population mondiale a été appelée aux urnes, et il est plus important que jamais d’assurer la protection des institutions canadiennes contre les menaces, y compris la désinformation.

Dans le budget de 2022, le gouvernement a annoncé la création de l’Unité pour la protection de la démocratie au sein du Secrétariat des institutions démocratiques du Bureau du Conseil privé. L’Unité a été chargée de coordonner, d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures pangouvernementales de lutte à la désinformation et de protection de la démocratie.

[Français]

Un élément clé de ce travail est la coordination pangouvernementale du Plan pour protéger la démocratie canadienne, qui a été établi avant les élections générales de 2019.

Le plan a été mis à jour avant les élections générales de 2021, tout comme la prise de mesures ayant pour but d’améliorer la résilience des citoyens et l’état de préparation des organisations de lutte contre l’ingérence étrangère et de bâtir un écosystème d’informations saines.

Nous améliorons constamment le plan et veillons à ce qu’il tienne compte des difficultés actuelles et qu’il s’adapte aux nouveaux enjeux, conformément au mandat du ministre LeBlanc.

Comme la protection de la démocratie exige une approche dans toute la société et à l’échelle du gouvernement, nous travaillons en étroite collaboration avec d’autres ministères et organismes fédéraux ainsi qu’avec les provinces, les territoires, les municipalités, les organisations de la société civile, les universitaires et d’autres partenaires à l’échelle mondiale.

Nous avons un intérêt mutuel et direct à l’égard de la communication de l’information et de l’élaboration des pratiques exemplaires. Cette collaboration comprend la mise au point d’outils de renforcement de la résilience pour contrer la désinformation et accroître la sensibilisation à la menace d’ingérence étrangère.

Ces outils ont été communiqués aux parlementaires, aux partis politiques, aux fonctionnaires ainsi qu’aux gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Merci à vous tous pour vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Pour que chaque membre puisse participer pleinement aux délibérations, je vais limiter les tours réservés à chacun à quatre minutes, y compris les réponses. Je vous prie de poser des questions succinctes et de nommer la personne à qui elles s’adressent.

C’est notre vice-président, le sénateur Dagenais, qui va poser les premières questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Aubertin-Giguère.

Sur le plan politique, l’élection du nouveau président américain Donald Trump risque-t-elle d’augmenter la désinformation dont le Canada pourrait être victime de la part de la Russie? De plus, son premier mandat comme président des États-Unis donne-t-il des pistes pour mieux se défendre ou pour réduire les capacités de la Russie?

M. Aubertin-Giguère : Je ne suis pas en mesure de commenter la politique de nos voisins du Sud. Je dirais toutefois qu’il existe aux États-Unis différentes perceptions de la désinformation selon les différents partis. Par exemple, certains croient que la désinformation est plus une question de liberté d’expression, ce qui entraîne différentes attitudes au moment de combattre cette désinformation.

On est donc bien conscient des différentes perspectives sur ce phénomène et on essaie de s’adapter à la situation.

Le sénateur Dagenais : Merci.

Ma prochaine question s’adresse à Mme Stinson. J’aimerais savoir de quelle façon les informations qui vous sont communiquées par les services de renseignement sont totalement ou partiellement communiquées aux politiciens. Est-ce qu’il y a des informations qui sont retenues ou systématiquement non partagées? Si oui, quels sont les motifs de rétention?

Mme Stinson : Merci beaucoup de votre question.

[Traduction]

Le Secrétariat des institutions démocratiques du Bureau du Conseil privé travaille en étroite collaboration avec le Secrétariat de la sécurité et du renseignement, qui relève également du Bureau. Nous ne recevons pas de renseignement directement des organismes de renseignement, y compris le SCRS. Nous utilisons plutôt l’information dans le cadre du processus d’élaboration des politiques une fois que l’analyse a été effectuée par les organismes de renseignement ou le Secrétariat de la sécurité et du renseignement du Bureau du Conseil privé.

Je ne suis donc pas au courant du genre de renseignement qui est transmis aux politiciens, que ce soit au Cabinet du premier ministre, au ministre de la Sécurité publique ou à d’autres parties intéressées ou qui doivent recevoir cette information. Notre rôle est davantage lié à l’élaboration de politiques, et notamment de mesures que je propose d’inclure dans le plan de protection de la démocratie canadienne.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Madou.

Pouvez-vous nous donner un aperçu ou des exemples de la désinformation qui se font au Canada, comparativement à d’autres pays qui font partie, tout comme nous, du Groupe des cinq? De plus, sommes-nous aussi bien équipés que ces derniers pour faire de la détection et réagir?

M. Madou : Merci de votre question, sénateur.

Je crois que, a priori, une grande partie de la désinformation à laquelle nous faisons face est assez similaire à celle des autres pays, puisqu’une bonne partie de cette information se trouve en ligne et est donc accessible à la majeure partie de la population qui navigue sur Internet ou sur les réseaux sociaux.

Au Canada, nous sommes sans doute un peu moins menacés que les États-Unis le sont quand on en vient à la Russie, si l’on veut faire une comparaison. Par contre, la désinformation qui a touché les Canadiens ces derniers temps a surtout eu une incidence sur notre disposition face à l’Ukraine. Cette désinformation avait peut-être pour but d’essayer d’atteindre l’opinion publique ou de polariser la population sur l’appui de notre gouvernement à l’Ukraine. Voilà un exemple concret de ce qui nous a affectés en tant que pays.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Je tiens également à remercier le sénateur Kutcher d’avoir proposé ce sujet d’étude au comité.

Nous sommes très différents des Américains en ceci que nous ne conservons pas nos titres pour le restant de nos jours. Néanmoins, je tiens à remercier Larisa Galadza pour son travail d’ambassadrice en Ukraine. Ce compliment, comme de raison, entraîne la question que je m’apprête à vous poser.

Concernant le Mécanisme de réponse rapide, un de nos bons coups quand nous avons assuré la présidence du Groupe des Sept, ou G7 — le dernier, en 2018 —, l’information que j’ai eue à ce sujet semble indiquer que c’est le gouvernement canadien qui le maintient en vie. Vous avez un secrétariat, qui comporte maintenant une unité spéciale pour l’Europe de l’Est. Les autres membres du G7 font-ils preuve de la même volonté d’atteindre les objectifs de ce mécanisme? Est-ce qu’ils fournissent du financement, entre autres? Je pense à des pays comme l’Allemagne et l’Italie, qui sont les cibles privilégiées de l’ingérence de RT et d’autres organes russes. Pouvez-vous nous donner un portrait de la situation exacte de ce mécanisme et nous dire si le Canada pourrait profiter de son retour à la présidence l’an prochain pour le redynamiser un tant soit peu?

Mme Galadza : Merci beaucoup pour votre reconnaissance et votre question. Je suis très heureuse de pouvoir dire que le Mécanisme de réponse rapide du G7 est plus dynamique et plus inclusif que jamais. Le niveau d’activité augmente d’année en année. Il ne concerne plus seulement le G7. Un bon nombre de pays partenaires s’y sont greffés. Chaque pays a sa propre unité qui assure la surveillance d’une partie de l’écosystème numérique qui revêt une importance particulière pour lui.

Le secrétariat du MRR du G7 se trouve au Canada, et c’est donc nous qui coordonnons les activités des membres qui sont liées au mécanisme. Nous avons nous-mêmes une solide capacité qui nous permet d’assurer une surveillance des principaux auteurs de menaces à l’œuvre dans l’espace d’information en Russie, mais ailleurs aussi.

Nous observons une volonté accrue de répondre d’une manière collaborative. Pour que ce soit possible, il faut établir des protocoles et je suis convaincue que ce travail sera au programme au cours de notre présidence. J’ai rencontré des représentants italiens et, comme je l’ai dit, le mécanisme suscite un intérêt croissant parce que, malheureusement, les pays constatent les opérations constantes et manifestes des acteurs malveillants dans leur espace d’information. Nous savons qu’une réponse collective est la plus efficace pour répondre à ces activités malveillantes.

Le sénateur Boehm : Est-ce que le financement du secrétariat provient uniquement du Canada?

Mme Galadza : Oui.

Le sénateur Boehm : Dans la foulée de la première question du sénateur Dagenais, pouvez-vous nous dire si vous anticipez des changements venant de Washington? Je sais qu’il est encore tôt, mais la machine américaine est très puissante, sur le plan des activités de collecte de renseignements et dans d’autres domaines. Est-il possible que les Américains en viennent à considérer que c’est un outil inutile?

Mme Galadza : Selon l’information que nous avons, les Américains sont aussi inquiets que nous devant l’ingérence d’acteurs étrangers dans leur espace d’information.

Le sénateur Boehm : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci à vous tous de votre présence. Je reprends à mon compte les observations de mon collègue. Merci encore.

J’ai parfois le sentiment que le Canada vit un deuxième épisode de la saga Igor Gouzenko. Des membres de ce comité sont au courant des enjeux liés à l’effet de la désinformation au Canada. Merci d’avoir parlé du réseau Doppelganger et des influenceurs, qui reçoivent de l’argent, ou pas, de même que des acteurs au long cours, qui sont nombreux à recevoir de l’argent et qui restent à couvert pendant un temps, se manifestent tout à coup et retournent dans leur cachette. Je ne pense pas que le public comprend vraiment l’ampleur et la perniciosité de la désinformation russe. J’en ai pris conscience il y a une dizaine d’années seulement, dans le secteur de la santé et de la vaccination… J’ai réalisé à ce moment que la désinformation sur la vaccination venait de la Russie.

Des recherches universitaires nous ont appris qu’il existe trois façons de contrer efficacement la désinformation au niveau public. La première consiste à faire de la démystification préventive, la deuxième à faire de la démystification corrective, et la troisième à faire de la vérification des faits.

Mais il faut agir vite et recourir à une communication efficace. Les mesures doivent cibler des communautés précises. Elles doivent aussi être suivies d’actions musclées visant à faire cesser les opérations des acteurs qui propagent la désinformation.

Pouvez-vous nous expliquer ce que le gouvernement canadien fait exactement à chacune de ces étapes? Pouvez-vous nous confirmer que des mesures de démystification préventive et corrective, de même que de vérification des faits sont mises en œuvre, que de telles mesures touchent les activités du gouvernement, et qu’elles sont prises à la fois par des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux?

Mme Stinson : Merci beaucoup de cette question. Je peux dire un mot sur les mesures de démystification préventive. Comme je l’ai souligné, un des quatre piliers du plan de protection de la démocratie au Canada vise le renforcement de la résilience des citoyens. C’est un élément essentiel des activités de démystification préventive, qui assure que les Canadiens qui ont des doutes sur l’information diffusée en ligne ou d’autres éléments ont une compétence médiatique suffisante. Le renforcement de ces compétences au sein de la population est une des meilleures armes à notre disposition.

Certains programmes d’éducation aux médias sont pilotés par Patrimoine Canada. L’Initiative de citoyenneté numérique, dans le contexte de la guerre russe contre l’Ukraine, a financé 11 projets de renforcement de la résilience et d’éducation aux médias des citoyens canadiens qui étaient axés sur cet enjeu. En fait, ils ont été mis en place pour la première fois en 2019 dans le cadre d’un programme issu du premier plan de protection de la démocratie canadienne qui avait été instauré en vue des élections générales tenues cette année-là.

J’aimerais aussi souligner que plus récemment, au printemps 2023, le gouvernement a investi 5,5 millions de dollars sur 3 ans dans le Réseau canadien de recherche sur les médias numériques. Vous avez parlé de programmes gouvernementaux, mais des programmes et des activités sont aussi pilotés par des organismes de la société civile. La lutte contre ces menaces mobilise l’ensemble de la société. Le Réseau canadien de recherche sur les médias numériques comprend près d’une douzaine d’organismes qui étudient les phénomènes de la désinformation, de l’ingérence étrangère et de la santé globale de l’écosystème de l’information à l’échelle du Canada. Ils ont publié une série de rapports, dont un récent sur l’organisme Tenet Media. Ils sont très au fait de leur effet sur l’écosystème canadien de l’information et sur leur travail effectué à l’Université McGill et à l’Université de Toronto.

Pour terminer, j’ajouterai que le ministre LeBlanc a aussi mis en route quelques travaux dans les domaines de la démystification préventive et corrective. Dans ma déclaration liminaire, j’ai parlé d’outils qui ont été communiqués aux parlementaires à l’échelon fédéral, mais aussi à l’échelon des provinces et des municipalités, par l’entremise de la Fédération canadienne des municipalités dans ce dernier cas. Ces programmes s’adressent aux élus, aux leaders communautaires et aux fonctionnaires.

Tous ces efforts sont axés sur la sensibilisation et l’accès à des approches et à des outils permettant aux gens de réagir efficacement s’ils ont l’impression de faire face à une menace.

Nous collaborons aussi avec l’École de la fonction publique du Canada afin de mettre au point, avec l’aide de l’Université d’Ottawa, des modules de formation à l’intention des fonctionnaires. L’objectif de cette formation sera de renforcer la résilience au sein de la fonction publique. Merci.

La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. Je voudrais poursuivre sur un des thèmes évoqués. Il a été question de la confiance du public dans les institutions et du fait que les Canadiens qui vivent à l’étranger sont également touchés. Je vais me concentrer sur les Forces armées canadiennes. Je savais que votre nom me disait quelque chose, mais je n’avais pas encore réalisé pourquoi.

Nous savons maintenant que la désinformation russe s’est attaquée à la crédibilité des Forces armées canadiennes depuis l’opération Unifier, déployée à Lviv. À de nombreuses reprises, des médias russes ont tenté d’infiltrer des groupes d’aide aux personnes survivantes d’inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes afin d’obtenir de l’information sur des officiers et de faire sortir ces histoires.

Nous savons que jusqu’à aujourd’hui, notre cheffe d’état-major de la Défense a vécu des moments horribles en raison de fausses accusations concernant la période où elle était en Irak. Le but de ces accusations était de la discréditer aux yeux des Canadiens, mais aussi aux yeux des membres des Forces armées canadiennes.

Nous devons nous concentrer sur le Canada — c’est ce que nous faisons —, mais il ne faut pas oublier qu’un organisme fédéral est chargé d’exécuter des opérations de défense et de sécurité, surtout à l’étranger, au nom du Canada. Cela dit, c’est quelque chose dont on parle rarement. Je suis d’accord qu’il faut continuer de faire de la démystification, mais c’est un espace très calme.

Ce genre d’incidents auxquels sont exposés des diplomates à l’étranger, que ce soit en Chine, en Ukraine ou ailleurs, devraient-ils être signalés sur une base régulière? Pour l’instant, le public canadien ne reçoit pas d’informations qui lui permettraient de mieux comprendre les activités de nos représentants officiels au Canada et à l’étranger. J’irais jusqu’à affirmer qu’il pourrait même y avoir des incidences sur la capacité de recrutement des Forces armées canadiennes. C’était une petite digression que vous n’êtes pas obligés de commenter.

Ces activités devraient-elles faire l’objet de comptes rendus non classifiés, dans la mesure du possible, pour aider les Canadiens à comprendre les attaques contre des représentants officiels comme les membres du corps diplomatique ou de vos Forces armées canadiennes? Le représentant de Sécurité publique Canada pourrait peut-être répondre en premier, ou quiconque d’autre se sent concerné.

M. Aubertin-Giguère : Merci de cette question. Pour ce qui est des composantes essentielles de notre capacité de réponse, Mme Stinson a parlé de l’infrastructure que nous avons mise en place pour les périodes électorales et les processus démocratiques. Mme Galadza a parlé du Mécanisme de réponse rapide du G7 et de sa capacité à attirer l’attention sur certains stratagèmes auxquels recourent ces acteurs.

L’étape suivante devrait viser à instaurer une approche de communication plus musclée dans tous les ministères, pour qu’ils puissent défendre les intérêts liés à leurs propres valeurs. Un travail plus connecté pour détecter les preuves de ces stratagèmes et offrir le soutien aux différents ministères afin qu’ils puissent les dénoncer et faire non pas de la démystification, mais plutôt mettre les choses au clair quant à la source d’information ou de suspicion…

Les efforts doivent être déployés à l’échelle du gouvernement, mais comme je l’ai dit, les composantes essentielles sont en place pour ce qui concerne les valeurs fondamentales qui sont en jeu en période électorale. Il faut élargir nos efforts.

Mme Walshe : Je pourrais ajouter que notre gouvernement a réagi à certaines campagnes russes de désinformation. Comme vous l’avez évoqué, des raisons impératives nous obligent à classifier certaines informations. Cela dit, nous avons déclassifié certaines informations pour dénoncer des stratagèmes précis. Dans un cas, la désinformation visait les Forces armées canadiennes. C’est un travail d’une grande importance.

M. Madou : Merci de cette question. Une bonne partie de notre travail est classifié, mais nous diffusons quand même beaucoup d’information ouverte en différentes langues qui s’adresse à différentes communautés. Nous avons aussi lancé une campagne d’information sur la plateforme X, ou Twitter anciennement, sur le renforcement de la résilience des Canadiens à l’égard de la désinformation qui s’adresse à eux. Bien entendu, nous avons un programme de liaison très dynamique grâce auquel nous établissons des liens avec les universitaires, différentes communautés et différents paliers de gouvernement.

Dans le cas des informations classifiées, outre les enquêtes que nous menons, nous informons les ministères touchés, même si l’information n’est pas publique. Nous contribuons aussi au renforcement de la résilience en transmettant des informations à Affaires mondiales Canada ou à d’autres organismes de la communauté de la sécurité et du renseignement, ou SR.

La sénatrice Dasko : Merci à tous les témoins de leur présence. Je suis heureuse de revoir l’ambassadrice.

J’ai consulté le site d’Affaires mondiales. On y voit une liste de messages de désinformation provenant de la Russie et d’arguments qui les réfutent.

Le site est très utile, mais j’aurais aimé qu’il donne un peu plus de contexte à propos de ces messages. Je vais donc vous poser des questions à leur sujet. Lesquels parmi les messages figurant sur la liste, ou d’autres, sont les plus fréquemment diffusés par les Russes? Quels sont les principaux messages? Est-ce que c’est le message comme quoi la montée en puissance de l’OTAN a provoqué l’invasion de l’Ukraine? Quels sont les messages de désinformation les plus fréquemment propagés par la Russie au Canada? Ma première question porte sur la fréquence.

La deuxième porte sur leur incidence. Avez-vous une idée de l’incidence de certains messages sur les Canadiens? Et cela m’amène à une troisième question plus large… Comme je ne sais pas trop à qui adresser ces questions, quiconque se sent interpellé pourra y répondre. Trois témoins ont parlé de l’incidence sur la cohésion sociale au Canada. C’est un vaste sujet. Avez-vous une idée de l’incidence réelle de ces messages sur la cohésion sociale?

Je comprends ce qu’ils essaient de faire. Ce que je veux savoir, c’est dans quelle mesure ils arrivent à leurs fins, et j’ai posé trois questions pour mieux comprendre.

Mme Galadza : Sur la question de la fréquence, mes collègues seront mieux placés que moi pour vous dire ce qu’ils constatent. La Russie cible les Canadiens et les citoyens de pays aux vues similaires concernant l’Ukraine. Le message est adapté aux citoyens de ces pays, mais également à ceux de l’Ukraine. La mésinformation touche l’histoire, des perspectives révisionnistes sur la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. D’autres messages de désinformation portent sur l’effritement des appuis à l’Ukraine au Canada, aux États-Unis et en Europe. Ces messages visent à inquiéter les Ukrainiens, mais aussi à convaincre les Canadiens… J’ai entendu des Canadiens affirmer qu’il y a de moins en moins d’appuis, et même que nous ne les appuyons plus du tout. Ces messages alimentent aussi l’hostilité contre les réfugiés en racontant que les Ukrainiens qui fuient l’agression militaire incessante de la Russie ne sont plus les bienvenus en Europe, en Amérique du Nord ou ailleurs. Et il y a bien sûr le message classique bien connu selon lequel l’invasion est une réponse aux ingérences de l’OTAN. C’est la rhétorique que la Russie utilise constamment.

D’après nos observations, ce sont les messages les plus fréquents. Pour ce qui est de leurs incidences, elles sont très difficiles à déterminer, notamment dans notre propre société. Nous savons toutefois que les incidences sont décuplées quand la désinformation russe est propagée par des influenceurs et des autorités crédibles. Une fois que le mal est fait, c’est très difficile de faire de la démystification ou d’y remédier.

Pour ce qui concerne la cohésion sociale, ils utilisent certaines tactiques de mésinformation, mais ils sèment aussi la discorde. Le résultat est qu’il devient de plus en plus difficile d’avoir des débats dans un pays, que les divisions existantes s’aggravent et qu’il en apparaît d’autres sur des sujets sensibles. C’est donc un autre genre de tactique. Comme je l’ai souligné dans ma déclaration liminaire, ils ne ciblent pas vraiment la gauche ou la droite du spectre politique. Ils tirent partout où il y a un foyer de discorde, ils jettent de l’huile sur le feu en se servant de l’espace d’information, et ils rendent le débat public plus difficile.

Le président : Je ne veux offenser personne, mais le temps est écoulé.

Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup à vous tous d’être des nôtres. Votre travail me rassure, mais il me laisse aussi un peu perplexe. J’aimerais vous demander de résumer, en une ou deux phrases, ce que fait votre organisme et ce qui le distingue des autres. Et si quelqu’un pouvait ensuite lier tous ces éléments entre eux, cela nous aiderait. Pour éviter les oublis ou les chevauchements, je vais faire un tour de table.

Mme Stinson : Le Secrétariat des institutions démocratiques du Bureau du Conseil privé coordonne l’approche pangouvernementale de protection de la démocratie au Canada, particulièrement en période électorale, mais nous le faisons de plus en plus en tout temps. Nous collaborons avec tous les ministères concernés et nous harmonisons les efforts entre les programmes, les mesures et les initiatives pertinents au titre du mandat du ministre LeBlanc.

Cela comprend les outils de résilience des citoyens, de même que le soutien donné par l’entremise de notre travail stratégique lié au Mécanisme de réponse rapide. Bien entendu, nous agissons au titre des pouvoirs conférés à chaque ministre, mais notre rôle est de coordonner l’ensemble des interventions dans le cadre du plan de protection de la démocratie au Canada.

Le sénateur Cardozo : Donc, vous assurez la coordination…

Mme Stinson : Exactement.

Le sénateur Cardozo : Et pour ce qui est de l’ingérence étrangère…

M. Aubertin-Giguère : Sécurité publique Canada est un ministère de coordination des politiques. Nous collaborons avec nos partenaires au Canada à l’établissement de réponses, de politiques et de mesures législatives efficaces pour lutter contre divers enjeux liés à la sécurité nationale, et en particulier contre l’ingérence étrangère. Nous avons aussi été l’organisme, ou le ministère responsable du nouveau projet de loi C-70, ainsi que de la mise en œuvre du Registre pour la transparence en matière d’influence étrangère.

Mme Walshe : Le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications nous confère de multiples responsabilités. Une de ces responsabilités est liée à la collecte de renseignement étranger. C’est mon domaine et, comme je l’ai dit, nous avons même recueilli de l’information sur la désinformation russe qui a été déclassifiée et diffusée afin d’informer le public.

La cybersécurité fait aussi partie de nos grandes responsabilités. Elle relève du Centre canadien pour la cybersécurité, où je travaille. Notre travail consiste à étudier très attentivement les techniques, les outils et les menaces liés à ceux que des acteurs comme les Russes utilisent, y compris pour leurs activités de désinformation. Nous déployons divers moyens pour contrer ces menaces, dont les évaluations des menaces qui sont accessibles au public. Dans les évaluations des menaces contre les processus démocratiques que nous publions régulièrement — la dernière remonte à une année environ, et nous venons aussi de publier une évaluation d’une cybermenace à la sécurité nationale en octobre —, nous décrivons les outils et les techniques utilisés afin que le public comprenne de quoi il retourne, surtout si des personnalités publiques ou d’autres sont pris pour cibles. Nous parlons des techniques comme l’intelligence artificielle, de la manière dont les auteurs de menaces s’en servent pour propager de la désinformation.

M. Madou : Merci de poser cette question. Au SCRS, nous agissons essentiellement en vertu de notre loi habilitante. Vous avez tout à fait raison quand vous dites que le monde de la désinformation est très large et que la liberté d’expression peut être mise en cause. Ce concept et celui de l’ingérence étrangère peuvent se recouper. S’il y a atteinte aux intérêts du Canada et s’il y a des éléments trompeurs, clandestins ou menaçants, il y a matière à enquête et c’est de notre ressort. Quand une enquête est lancée, nous pouvons collaborer avec le reste de la communauté SR, prendre des mesures d’atténuation des menaces, mais nous pouvons aussi publier de l’information semblable à celle dont vient de parler ma collègue. De notre point de vue, il y a des liens quand il est question d’ingérence étrangère par des acteurs hostiles.

Mme Galadza : À Affaires mondiales Canada, nous sommes à l’affût de ce qui se passe dans le monde et qui est susceptible d’affaiblir notre résilience démocratique. Ce travail concerne l’ingérence étrangère. Dans mon unité, nous traitons l’information ouverte et non l’information classifiée. Nous suivons ce qui se passe du côté des sources ouvertes. Nous collaborons également avec d’autres pays pour les activités de coordination, de surveillance et de réponse, et nous donnons des conseils dans le cadre des efforts déployés à l’échelle du gouvernement du Canada. Je travaille constamment avec ces gens. Nous donnons des conseils sur les incidences de ces menaces et des réponses à celles-ci sur les politiques étrangères.

Le sénateur Cardozo : Monsieur Madou, avez-vous parlé de la communauté SR?

M. Madou : Oui. La communauté SR est la communauté de la sécurité et du renseignement.

Le sénateur Cardozo : D’accord. Et qui en fait partie à part votre organisme?

M. Madou : Nous avons des collègues au CST et au Centre canadien pour la cybersécurité, à Affaires mondiales Canada, où il y a aussi une communauté de la sécurité et du renseignement, au ministère de la Sécurité publique, de même qu’au sein de la Gendarmerie royale du Canada et de l’Agence des services frontaliers du Canada. La communauté SR englobe les organismes d’enquête du Canada.

Le sénateur Cardozo : Merci.

La sénatrice Anderson : Pouvez-vous nous parler davantage de la désinformation propagée par la Russie au sujet de l’Arctique compte tenu de la situation géopolitique et de l’intérêt grandissant à l’égard de la voie navigable dans cette région, des perspectives économiques et de son potentiel en matière de défense stratégique? Quelles sont les mesures prises pour contrer la désinformation? Ou plus précisément, de quelle manière collaborez-vous avec les communautés et les territoires du Nord canadien pour assurer une communication ouverte?

M. Madou : Merci de poser cette question, madame la sénatrice. Le SCRS, en plus d’assurer la surveillance, de mener des enquêtes et d’essayer d’atténuer la menace que pose l’ingérence étrangère de façon plus générale, y compris celle qui provient de la Russie et des multiples vecteurs de menaces dont elle est la source, table sur la mobilisation pour renforcer la résilience. Nous sommes en lien avec de nombreuses communautés et avec les gouvernements des territoires, de même qu’avec l’industrie et d’autres secteurs qui ont un rôle dans ce domaine afin de les aider à bâtir leur résilience.

Nous faisons certes ce travail en collaboration avec nos collègues de l’ensemble de la communauté, mais nous jouons ce rôle.

M. Aubertin-Giguère : Ce n’est pas la principale cible de la Russie pour ce qui est de ses activités de désinformation, mais ce qu’il faut retenir surtout, c’est qu’elle a des revendications territoriales qui font concurrence aux nôtres dans le Nord. Le second élément est que la Russie agit en quelque sorte comme agent de la paix dans cette région où elle a très clairement des intérêts stratégiques et des plans de militarisation du Nord. Ce sont les principaux messages, ou les plus importants. Je n’ai pas eu connaissance d’un quelconque effort constructif de la Russie à l’égard des populations nordiques.

La sénatrice Anderson : Je vais élargir un peu ma question. Selon certains écrits, la Russie a ciblé l’OTAN, et particulièrement ses activités dans l’Arctique. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Aubertin-Giguère : La Russie prend systématiquement l’OTAN pour cible dans tout ce qu’elle fait. Elle accuse constamment les pays membres de l’OTAN de militariser diverses régions, et elle se positionne en gardienne de la paix. La réalité, c’est que la doctrine russe vise explicitement à militariser le Nord et à investir des ressources importantes pour renforcer sa position dans cette région.

Dans ses messages, la Russie cible principalement le système de défense nord-américain comme nous le concevons traditionnellement.

Mme Galadza : J’ajouterais que dans l’Arctique, la stratégie publiée vendredi dernier reconnaît la vulnérabilité du Nord eu égard à la désinformation. On y explique que la sécurité de l’Arctique doit être envisagée de manière traditionnelle et non traditionnelle. Ce cadre non traditionnel englobe la désinformation. Et c’est un fait que la Russie martèle sur son territoire l’idée d’un Occident hostile pour justifier entre autres ses plans de militarisation de l’Arctique.

Mme Walshe : Nous entretenons des liens solides et nous consacrons du temps à la collaboration avec l’ensemble des provinces et des territoires, certes, mais étant donné la nature unique des gouvernements dans le Nord, nous accordons la priorité à une collaboration étroite avec eux. Nous nous assurons de leur transmettre l’information sur les menaces, et notamment celles qui viennent de la désinformation. Nous donnons également des conseils et des orientations aux différents paliers de gouvernement pour les aider à se préparer à lutter contre les menaces auxquelles ils font face.

Le sénateur Al Zaibak : Ma question s’adresse à Mme Walshe. Selon votre analyse, quelles sont les méthodes privilégiées par les acteurs russes pour s’infiltrer dans l’espace d’information canadien?

Mme Walshe : Je peux parler des méthodes russes de mésinformation et de désinformation en ligne que nous avons observées. Certains de mes collègues seraient peut-être mieux placés que moi pour vous parler d’autres aspects de cela.

Dans les déclarations liminaires, il a été question du fait que la désinformation semble plus crédible et que le public y adhérera davantage si le message provient d’une personne de confiance ou s’il existe déjà dans l’espace d’information. Ce que nous avons observé ou remarqué, surtout pour ce qui concerne la Russie et d’autres pays, c’est que l’intelligence artificielle facilite la propagation et la promotion de ces messages. Par exemple, ils peuvent créer de faux comptes sur une plateforme de média social pour diffuser un message et faire en sorte qu’il suscite davantage d’intérêt. Ils peuvent aussi recourir à l’intelligence artificielle pour propager des messages semblables en créant de faux contenus comme des hypertrucages. Nous avons remarqué qu’au fil du temps, depuis deux ou trois ans, cette capacité a augmenté et la Russie en tire profit pour propager des messages qui existent déjà.

Le sénateur Al Zaibak : Comment un citoyen ordinaire peut-il détecter cette désinformation scandaleuse et identifier la source?

Mme Walshe : C’est vraiment difficile. Mes collègues ont déjà parlé de la démystification préventive ou de la démystification en général comme moyens de dénoncer des messages en particulier, mais aussi pour identifier les sources fiables et, comme c’est toujours recommandé, pour bien examiner l’information donnée et vérifier si elle correspond à quelque chose qui est considéré comme véridique. Pour s’immuniser en amont contre la mésinformation ou la désinformation, la première chose à faire est de poser les bonnes questions sur le contenu. La première étape est toujours de sécuriser les comptes. Les gens doivent être vigilants et se demander si ce qu’ils voient vient d’un vrai compte, si un avis indique que le compte a été vérifié. Dans le cas des sites publics, il faut être à l’affût et signaler les comptes faussement attribués à un utilisateur. Les gens doivent être à l’affût pour repérer les fausses informations et les faux comptes.

Le sénateur Al Zaibak : Merci. J’ai une question importante. Avons-nous lancé une campagne pour contrer cette mésinformation? Avons-nous une réponse? Je ne sais pas si c’est le cas ou non. Je suis ici pour le demander. J’aimerais aussi savoir si nous avons la capacité d’intercepter et de filtrer ce type d’informations avant que le public y ait accès. Je lance la question à la cantonade.

M. Madou : Je vous remercie de votre question. La meilleure façon de lutter contre la désinformation est d’avoir, comme le disait mon collègue, des sources d’information fiables, y compris le gouvernement. Dans le monde de la liberté d’expression et des médias sociaux internationaux en ligne, tenter de filtrer ce qui est identifié comme étant de la désinformation constitue un défi de taille.

En tant qu’organisme et en tant que communauté, nous devrions avoir les moyens, quand nous tombons sur des choses qui semblent être des fausses, de les contrer en les signalant à ceux qui hébergent les sites Web en question ou en publiant nos propres messages pour les dénoncer et pour parler autrement du sujet. C’est ainsi que nous essayons, en tant que communauté, de traiter ce problème.

M. Aubertin-Giguère : On ne contre pas la désinformation par de la désinformation. On la contre par l’intégrité de l’information, et c’est ce que nous disons.

Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre présence. Nos questions forment une sorte de boucle en huit, parce que mes questions ressemblent tellement à celles de la sénatrice Dasko.

La désinformation russe est-elle la plus répandue, plus que celle de la Chine ou d’autres pays adversaires? Comment la Russie cible-t-elle précisément les institutions canadiennes, en particulier les institutions politiques, et comment leur nuit-elle?

Vous avez mentionné qu’elle vise à semer la division. Nous avons déjà beaucoup de dissensions ici. Alors, comment s’y prend la Russie pour les exacerber? L’effet est-il durable? La discorde que la Russie cherche à semer est-elle suffisamment répandue, punitive et durable pour retourner l’opinion publique contre nos institutions?

M. Aubertin-Giguère : La Chine essaie de donner d’elle-même une image positive. Elle se préoccupe plus de choses qui ne devraient pas être dites et contrôle donc les messages, alors que la Russie a une approche plus négative de l’information. Elle cherche principalement à cibler les points faibles d’une population sur le plan des tensions sociales, à les amplifier et, parfois, à fournir des informations contradictoires afin que les gens finissent par ne plus croire ce qu’ils voient. Telle a été son approche. Elle est beaucoup plus agressive à cet égard, et ce, depuis longtemps. Ce sont toutes des techniques soviétiques, même.

Je dirai que le problème en l’espèce est que les messages négatifs ne disparaissent pas, en particulier dans notre paysage de l’information. Ils ont un impact, c’est certain, qui est, de plus, difficile à mesurer, mais il est préoccupant de voir des messages qui sont manifestement de la désinformation russe devenir courants ou être adoptés par certains cercles d’influenceurs et par des personnalités des médias sociaux.

M. Madou : Si je puis me permettre, à propos de l’impact, parce qu’il est mentionné dans quelques-unes des questions, il me semble que l’extrémisme violent est un effet secondaire de tout cet espace de désinformation et des clivages sociaux qu’il crée dans nos collectivités. C’est un effet secondaire, mais la confusion qui est créée — et ce que nous constatons du point de vue du Service — fait que l’extrémisme violent est clairement en augmentation chez les jeunes. Nous pouvons attribuer ce phénomène en partie au fait que beaucoup dans cette génération vivent en ligne et qu’en consommant autant de désinformation et d’opinions divergentes, et en y étant soumis, il se crée cette confusion qui incite certains à la violence. Ce n’est pas le seul effet, mais c’est sans aucun doute un effet secondaire de ce...

Le sénateur Richards : Est-ce que c’est directement la Russie ou y a-t-il aussi d’autres acteurs malveillants?

M. Madou : C’est l’amalgame de toute cette désinformation qui ne vient donc pas d’un seul pays.

Le sénateur Richards : Je vous remercie.

Le président : Chers collègues, il est 17 heures, mais comme nous n’avons que deux intervenants dans le prochain groupe, et que quatre personnes ont indiqué qu’elles souhaitent participer à la deuxième série de questions, si vous pouvez tous poser à la suite une question succincte. Ensuite, nous demanderons aux intervenants de répondre de manière tout aussi succincte, et nous essaierons d’avoir assez de temps pour que les quatre sénateurs suivants puissent poser une question.

Veuillez chacun poser vos questions, après quoi nous passerons les réponses.

Le sénateur Boehm : Je vous remercie, monsieur le président. Je suis un modèle de concision. Alors, allons-y.

Madame Stinson, j’ai une question pour vous. Je suppose qu’Élections Canada a pris des mesures et est prêt pour le jour où des élections seront déclenchées dans notre pays. Les Allemands auront des élections en février. L’activité électorale ne manque pas.

Pouvez-vous nous dire si vous informez le ministre LeBlanc que nous sommes assez résilients, en comparaison d’autres pays, pour faire face à la désinformation? Permettez-moi de vous donner un exemple.

X reste la plateforme la plus populaire. Je l’utilise. Je ne publie plus grand-chose, à cause de ce qu’elle est devenue, mais son propriétaire était parfaitement préparé à faire pencher la balance en diffusant des théories du complot ou en essayant d’influencer les élections grâce au pouvoir de cette plateforme qui, bien sûr, est pleine de robots et d’autres choses.

Qu’en pensez-vous?

Le président : Nous reviendrons pour votre réponse dans une minute.

Le sénateur Kutcher : Par l’intermédiaire de la présidence, pouvons-nous demander à chacun des intervenants de nous fournir par écrit les réponses aux questions précises que j’ai posées et auxquelles il n’a pas été répondu? Premièrement, quelles sont exactement les activités de prédémystification menées par votre organisation, qui les mènent et sont-elles efficaces?

Deuxièmement, à quelles activités de postdémystification votre organisation se livre-t-elle exactement, qui les mène, qui financez-vous pour les mener et sont-elles efficaces?

Troisièmement, à quelles activités de vérification des faits votre organisation se livre-t-elle exactement, qui les mènent et sont-elles efficaces?

En ce qui concerne l’efficacité, je veux savoir pour le public aussi.

Et, au fait, le palier municipal ne sait pas quoi faire. Je me suis renseigné.

Que fait au juste le gouvernement pour arrêter les acteurs malveillants? Par exemple, combien de réseaux zombies ont été fermés au cours des deux ou trois derniers mois, et quelles sont les mesures particulières que vous avez prises pour mettre fin aux activités d’acteurs malveillants?

Je vous remercie.

La sénatrice Patterson : Ma question fait merveilleusement suite à celles de mon collègue. Je la poserai donc aussi à Mme Stinson.

Nous savons aussi que dans une fédération, c’est la fédération elle-même du Canada qui est attaquée. Beaucoup de ces activités intenses de vérification des faits et de démenti nécessitent une coopération provinciale et territoriale, y compris jusque dans nos écoles.

Voici ma question : comment aidons-nous à collaborer avec les provinces et les territoires — par exemple — pour équiper les écoles primaires et les maternelles?

Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Madou et est fort succincte. Dans quelle mesure les médias traditionnels canadiens sont-ils utilisés par les Russes pour véhiculer de la désinformation? Certains font-ils l’objet de manipulation sans en être conscients?

Le sénateur Gignac : Merci encore pour ce que vous faites. Vous maintenez la confiance du public envers nos institutions. La Corée du Nord est très impliquée pour ce qui est des cyberattaques. Quel est le rôle de la Corée du Nord et de son partenariat avec la Russie concernant la désinformation russe?

[Traduction]

Mme Stinson : En réponse, sénateur, à votre question, je soulignerai trois éléments.

Le premier est le travail que nous effectuons en examinant des pratiques exemplaires internationales. À cet égard, nous avons notamment étudié les élections britanniques de juillet dernier. Nous avons examiné l’Union européenne et la France pour savoir comment elles réagissent à la manipulation de l’information et à l’ingérence étrangère, quels outils et quelles mesures elles ont mis en place, et nous nous sommes demandé si ces mesures sont envisageables dans un contexte canadien.

Ainsi, nous avons examiné de très près le modèle VIGINUM pour voir comment la France aborde l’intégralité de la manipulation de l’information par des acteurs étatiques étrangers dans l’espace national français. Ce sont là d’excellentes sources d’inspiration pour nous en matière de politiques.

Cela comprend la façon dont ils travaillent avec les plateformes de médias sociaux. Comme vous le savez peut-être, avant les élections générales de 2019 et 2021, le gouvernement du Canada a conclu un accord volontaire avec certaines des principales plateformes afin de garantir — en sachant que c’était volontaire — le respect des principes d’intégrité, d’authenticité et de transparence. Le paysage a considérablement changé depuis 2021.

Je pense notamment, à propos des recommandations qui découleront de l’enquête publique sur l’ingérence étrangère, entre autres examens et recommandations, que nous devrons trouver une formule, dans le contexte du processus électoral, pour travailler au mieux avec les plateformes de médias sociaux afin de les inciter à garantir, au minimum, le respect de leurs normes communautaires et l’intégrité pendant la période électorale. Il s’agit d’un espace en constante mutation.

Je soulignerai aussi, à propos du ministre LeBlanc, que vous avez mentionné Élections Canada. Le Parlement étudie actuellement le projet de loi C-65 relatif aux responsabilités du ministre LeBlanc en ce qui concerne la Loi électorale du Canada, et ce projet de loi porte à la fois sur les mesures relatives à la participation et les mesures de protection de la vie privée, mais il contient aussi des dispositions en matière de protection qui visent à renforcer encore la loi contre l’ingérence étrangère, en particulier en ce qui concerne les fonds étrangers et l’utilisation de monnaies non traçables, comme les cryptomonnaies, et d’autres mesures.

C’est par l’intermédiaire du secrétariat des Institutions démocratiques que nous conseillons le ministre LeBlanc en ce qui concerne l’administration des élections, car cette responsabilité incombe à Élections Canada.

Le président : Je vous remercie.

Pour ce qui est de la question du sénateur Kutcher, je vous saurais gré de bien vouloir répondre par écrit aux points très précis qu’il a soulevés dans un certain nombre de domaines quant à ce que fait chaque ministère et à la manière dont c’est coordonné. Je pense que cela sera très utile, car nous examinerons les observations et les réponses lorsque nous formulerons pour finir les conclusions de notre étude.

La sénatrice Patterson avait une question semblable qui pouvait s’y greffer.

Le sénateur Dagenais avait une question pour M. Madou.

[Français]

M. Madou : Merci pour votre question, sénateur. Évidemment, j’aborde la question du point de vue du SCRS et de la façon dont nous traitons l’ingérence étrangère. Nous examinons les tactiques et les acteurs. Nous n’examinons pas les médias dans leur ensemble. Ce que je peux dire, c’est qu’il ne fait aucun doute, selon moi, que les médias traditionnels comprennent un grand nombre de personnes, mais je pense que les médias plus traditionnels sont peut-être plus rigoureux dans la vérification des faits et l’examen des informations, surtout s’il s’agit de médias qui ont leur origine au Canada et non en ligne, des médias dont l’origine est plus nébuleuse. Il est clair qu’on peut faire confiance à plusieurs de nos sources médiatiques plus traditionnelles. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’on ne tente pas de les influencer. Les médias traditionnels qui ont de multiples sources et qui vérifient les faits avant de publier leurs reportages seront plus crédibles.

M. Aubertin-Giguère : La Russie n’a pas l’habitude d’utiliser les médias traditionnels; elle fait plutôt appel aux médias alternatifs ou à la création de médias de toutes pièces pour commencer des histoires. Il arrive parfois que des histoires commencent par des opérations russes, fassent boule de neige et se retrouvent dans les médias plus traditionnels. Toutefois, c’est plutôt rare. Ce n’est pas leur principal mode opératoire.

[Traduction]

Le président : Pouvez-vous répondre brièvement à la question du sénateur Gignac?

[Français]

M. Aubertin-Giguère : La Corée du Nord est très active en cybersécurité, mais n’est pas un acteur de désinformation.

[Traduction]

Le président : Quelqu’un a-t-il une réponse en quelques mots?

[Français]

Mme Walshe : À propos de la menace par la Corée du Nord?

Le sénateur Gignac : La Corée du Nord collabore-t-elle avec la Russie?

Mme Walshe : Ce n’est pas une collaboration.

[Traduction]

Quand je pense à la Corée du Nord en tant qu’acteur de la cybermenace, c’est certainement une menace que nous notons dans nos évaluations comme étant une menace que nous suivons, à la fois pour le Canada et pour la région. Les principaux acteurs de la menace que nous voyons sont la République populaire de Chine et la Russie, qui sont des acteurs de la menace beaucoup plus importants et plus capables. Il convient de noter que la Corée du Nord constitue une menace.

Mme Galadza : Je voudrais ajouter que la Russie se donne beaucoup de mal pour dissimuler sa participation à la propagation d’histoires ou aux activités destinées à semer de la discorde. C’est une leçon importante et quelque chose que les Canadiens doivent comprendre, car nous ne pouvons pas avoir une longueur d’avance sur toutes les campagnes, tous les mensonges et toutes les exagérations, mais les gens doivent savoir que cela se produit.

Il est particulièrement important que les influenceurs le sachent. Nos dirigeants et nos personnalités le comprennent, mais les influenceurs — au sens des médias sociaux — doivent également savoir qu’ils sont instrumentalisés par la Russie dans la propagation de la désinformation. Comme je l’ai dit, la Russie se donne beaucoup de mal pour dissimuler son rôle dans la propagation de la désinformation et dans la contestation sociale.

Le président : Chers collègues, voilà qui clôt notre premier panel. Je tiens à remercier Mme Walshe, Mme Galadza, M. Madou, M. Aubertin-Giguère et Mme Stinson de toutes leurs observations. Je vous saurais gré de bien vouloir répondre par écrit aux questions auxquelles vous n’avez pas eu le temps de répondre. Je vous en serai très reconnaissant.

Au nom du comité, je vous remercie du travail important que vous accomplissez au nom du pays. Comme vous le savez, c’est un défi de taille que nous devons relever dans notre pays et notre démocratie pour que les Canadiens soient fiers de leur gouvernement et du travail qu’il accomplit en leur nom. Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Je vous remercie aussi d’être restés un peu plus longtemps que prévu. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré.

Chers collègues, nous passons maintenant au deuxième panel. À l’intention des personnes qui se joignent à nous en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour notre étude sur l’effet de la désinformation russe sur le Canada.

Nous souhaitons la bienvenue à deux de nos témoins qui témoigneront par Zoom.

Jean-Christophe Boucher est professeur agrégé à l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary; et Pekka Kallioniemi est chercheur non résident à l’International Centre for Defence and Security, également par vidéoconférence.

Cela étant dit, nous vous remercions d’être des nôtres aujourd’hui. Nous vous invitons à présenter vos observations préliminaires, puis les membres du comité vous poseront des questions.

Jean-Christophe Boucher, professeur agrégé, École de politiques publiques, Université de Calgary, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président, membres du comité, de m’avoir invité. C’est toujours formidable de prendre un vol de Calgary à Ottawa. Je suis originaire d’Aylmer. Je suis toujours heureux de revenir.

Je suis professeur agrégé à l’Université de Calgary. Je travaille à l’École de politiques publiques du département de sciences politiques. Mon équipe de recherche est financée par différents organismes au Canada, par le ministère de la Défense nationale, par Patrimoine canadien. Nous avons également des subventions du Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH.

Nous travaillons avec des partenaires qui font partie d’équipes de recherche en Allemagne, en France, au Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous avons des projets qui concernent la désinformation russe et chinoise. Je me ferai un plaisir de parler de l’un comme de l’autre.

Depuis 15 ans, la Russie mène une offensive massive dans l’espace de l’information. Elle livre, en somme, une guerre de l’information à l’échelle mondiale. Elle cherche à fragiliser — vous l’avez vu — nos sociétés occidentales de l’intérieur. Elle essaie d’exposer et d’attiser les flammes du radicalisme, les conflits sociaux et de promouvoir ses propres points de vue.

Nous devons notamment nous adapter pour comprendre que les opérations d’information russes, comme les chinoises, s’adaptent dans l’espace d’information. Tout ce qui date d’avant 2022 est dépassé. Nous devons adapter notre façon de penser. Ce que j’essaie de faire passer ici, c’est ce que nous apprenons aujourd’hui et pas ce que nous savions sur la désinformation russe.

Si nous essayons de réfléchir à la désinformation russe, nous devons considérer les Russes comme un acteur stratégique. À ce titre, ils transmettent et structurent donc leurs guerres de l’information autour de trois grands éléments. C’est stratégique parce qu’ils savent ce qu’ils veulent dire.

Les Russes ont une idée précise de leurs objectifs, qu’ils poursuivent. Ce ne sont pas des agents du chaos. Ils ont une idée de ce qu’ils veulent dire et ils essaient de le dire. Si nous y pensons, ils ont essentiellement trois types d’objectifs.

Des objectifs à long terme. Ils essaient de redéfinir la répartition du pouvoir sur la scène politique mondiale et de faire en sorte de reprendre la place qu’ils ont perdue sous l’Union soviétique. Nombre de leurs opérations d’information sont conçues autour de leur entreprise de recherche de statut. Ce faisant, ils cherchent aussi à affaiblir l’alliance de l’OTAN en Europe.

Dans nos projets sur la région indo-pacifique, nous voyons qu’ils essaient d’affaiblir le Japon, en menant des opérations d’influence sur les Japonais, parfois en coordination avec les Chinois. L’OTAN n’est pas la seule visée. Nous commençons à les voir mener ces activités presque partout dans le monde.

Leur objectif à moyen terme est de saper et d’affaiblir la société occidentale. Ils encouragent des valeurs antilibérales, l’intolérance à l’égard des immigrés, des personnes racisées, des membres de la communauté LGBTQ, et ils cherchent, au fond, à éroder la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques occidentales.

Leur objectif à court terme est généralement de soutenir leurs opérations militaires en Ukraine. Lorsque l’on réfléchit à la manière dont les Russes structurent leurs façons de faire — j’ai entendu les questions sur ce qui est plus courant —, il faut penser à ces trois types d’idées.

Ils sont stratégiques parce qu’ils affectent des ressources importantes à leurs opérations d’information. Les Russes, comme les Chinois, dépensent des milliards de dollars pour essayer d’influencer les attitudes et les comportements des Occidentaux.

Ce que nous constatons dans les données, c’est qu’ils sont actifs, et très actifs dans certains endroits qui correspondent à leurs intérêts stratégiques. En Afrique, par exemple, ils sont actifs dans certains types de pays, mais pas dans d’autres. Ils sont actifs dans certains pays occidentaux et pas dans d’autres. Ils affectent leurs ressources de manière à servir au mieux leurs intérêts. Ils réfléchissent minutieusement à tout cela.

La troisième chose que nous devons dire, c’est qu’ils sont stratégiques parce qu’ils étudient les publics. Les Russes sont doués pour étudier les publics, la façon dont ces messages — et ce qu’ils essaient de transmettre — sont compris par le public, puis ils les font passer. Il faut que nous le comprenions.

Qu’est-ce que cela veut dire pour le Canada? Cela veut dire certaines choses. D’une part, les Russes propagent certains types de discours. Ils le font depuis longtemps. Ils étaient déjà actifs avant la guerre en Ukraine.

En fait, nous avons un ensemble de données sur la Crimée en 2014. Nous voyons que les Russes agissaient alors dans l’espace de l’information.

Pour être honnête, ils ont pénétré notre espace de l’information, surtout à l’extrême droite. J’ai entendu quelques-unes des questions. Je pense que certains d’entre nous essayaient de le faire comprendre.

En théorie, en ce moment, si vous examinez les ensembles de données, les Russes exploitent les idées à la fois de l’extrême gauche et de l’extrême droite, et ils les encouragent.

En ce moment, si vous examinez les ensembles de données, ils sont complètement intégrés dans l’écosystème canadien de l’extrême droite. Qu’est-ce que cela veut dire? Je pourrais être précis.

Premièrement, nous savons, par exemple, par des documents qui ont fuité qu’ils passent beaucoup de temps à étudier cet écosystème de l’extrême droite. Ainsi, nous savons, par des documents qui ont fuité, qu’ils s’intéressent à Rebel News et comment leurs messages en découlent.

Deuxièmement, nous savons qu’ils ont payé des Canadiens pour qu’ils fassent des commentaires. Il s’agissait parfois d’Américains. Vous parliez d’impact. Certains de ces commentateurs et influenceurs qui ont été payés avec de l’argent russe étaient des influenceurs de premier plan pendant le convoi de la liberté. Ces personnes qui ont participé au « convoi de la liberté », des Américains qui véhiculaient des discours anti-canadiens et antigouvernementaux, étaient en fait payées par les Russes. Je pense que nous devons comprendre ce que cela donne.

Troisièmement, nous constatons qu’il existe un lien entre Rebel News et la désinformation russe. En fait, depuis le début de la guerre, Rebel News diffuse de la désinformation russe. Son principal collaborateur pour les affaires internationales travaille pour RT International. En somme, Rebel News est directement lié aux médias d’État russes. C’est encore le cas aujourd’hui. Au fond, ils contournent l’interdiction qui vise RT au Canada en employant quelqu’un qui promeut leur désinformation, et nous le constatons dans l’espace de l’information.

Si vous voulez poser des questions sur l’influence et les effets, nous pouvons en parler.

Le président : Je vous remercie, monsieur Boucher.

Monsieur Kallioniemi, vous pouvez présenter vos observations. Je vous remercie.

Pekka Kallioniemi, chercheur non-résident, International Centre for Defence and Security, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Je m’appelle Pekka Kallioniemi. Je suis finlandais et spécialiste des médias sociaux et de la désinformation. Depuis quelques années, je m’intéresse surtout au volet russe de la désinformation en ligne.

On peut dire sans risque de se tromper que pendant les 10 dernières années au moins, les opérations d’influence en ligne russes ont été les plus efficaces du monde. Le Kremlin a cherché à perturber des élections et des référendums dans le monde entier.

La campagne massive menée par la Russie dans les médias sociaux avant les élections présidentielles en Roumanie en est le dernier exemple en date. Un candidat inconnu, pro-Kremlin et anti-OTAN, a obtenu plus de 20 % des suffrages au premier tour, uniquement en faisant campagne sur TikTok. Le scrutin a finalement été annulé en raison de la campagne d’ingérence russe massive révélée par les services de renseignement roumains.

Dans bien des pays, les Russes embauchent et manipulent des personnes pour qu’elles propagent de fausses histoires en ligne, et le Canada ne fait pas exception. Plusieurs personnalités publiques répètent les points de vue du Kremlin, par exemple, sur l’Ukraine et la Syrie. Tenet Media a déjà été mentionné ici, mais différents universitaires, journalistes et autres personnalités sociales diffusent les mensonges de la Russie en ligne. Certains sont motivés par l’argent, d’autres par l’idéologie ou par leur ego. Certains sont peut-être même victimes du chantage russe connu sous le nom de « kompromat ».

Voilà comment la Russie opère habituellement. Elle cache l’origine du message. C’est aussi l’une des principales raisons pour lesquelles ses messages sont si efficaces. Elle réussit à donner l’impression qu’ils sont spontanés et locaux.

Évidemment, tout cela sera — et est déjà dans une certaine mesure — renforcé par l’utilisation de l’IA générative.

Depuis février 2022, le principal objectif des opérations d’influence de la Russie est de faire cesser toute forme d’aide militaire à l’Ukraine. À long terme, elle essaie également de déstabiliser les sociétés occidentales, de saper la confiance dans les institutions démocratiques et d’affaiblir ses adversaires en semant la division et la confusion. Son raisonnement est que tout pays qui se concentre sur des conflits internes a, en général, une politique étrangère plus faible. Nous l’avons vu dans le cas des États-Unis, par exemple.

D’après mon évaluation, les opérations en ligne de la Russie au Canada portaient principalement sur les mêmes sujets qu’en Finlande, à savoir l’OTAN, l’aide à l’Ukraine, l’immigration, les populations autochtones de l’Arctique, les politiques identitaires, l’inflation, et ainsi de suite. Un des plus gros efforts précédents, au Canada et en Finlande, concernait les restrictions liées à la COVID-19 et les vaccins contre la COVID-19.

La désinformation russe a rarement un effet important sur la société finlandaise. Alors, comment luttons-nous contre la désinformation russe en Finlande? Tout d’abord, nous sommes quelque peu protégés par notre mémoire collective de la lutte contre les Soviétiques dans les années 1930 et 1940, mais notre plus grande arme contre les mensonges russes, c’est notre niveau élevé d’éducation aux médias.

L’éducation finlandaise aux médias est largement considérée comme l’une des meilleures au monde. Dès la maternelle, les enfants finlandais apprennent, par des histoires, à analyser et à évaluer l’information de manière critique. L’intégration de l’éducation aux médias et de l’esprit critique dans les programmes scolaires peut renforcer efficacement la résilience des sociétés face aux influences extérieures. Il s’agit évidemment d’une solution à long terme, qui prend du temps. Beaucoup de choses peuvent également être faites à court terme. Par exemple, une société civile active est extrêmement efficace pour prévenir et démentir les mensonges de la Russie et pour y réagir rapidement.

Permettez-moi d’expliquer brièvement pourquoi c’est important. Généralement, les gens retiennent mieux la première version des événements. C’est pourquoi le Kremlin s’empresse souvent de publier la première version de tout événement majeur. Après que les Russes et les séparatistes ukrainiens ont abattu le vol MH17 en 2014, tuant 298 personnes, le Kremlin a rapidement inventé huit versions différentes de ce qui s’était passé. Ces fausses histoires ont finalement été démenties par un groupe d’enquête indépendant, Bellingcat, mais des personnes continuent de douter de ce qui s’est réellement passé. Donc, c’est souvent la première version qui est retenue, d’où toute l’importance du predémystification.

Tout gouvernement qui souhaite lutter contre les opérations d’influence de la Russie ou d’autres acteurs malveillants a besoin de solutions à court et à long terme.

En conclusion, les campagnes de type russe fonctionnent bien dans ce que l’on appelle les environnements de faible confiance, c’est-à-dire les sociétés où les gens ont généralement peu confiance dans les journalistes, les politiciens, les institutions, etc. La désinformation russe vise à réduire encore plus cette confiance. En créant une société saine et heureuse qui fait confiance à ses décideurs et à ses autres institutions, nous pouvons accroître notre résilience face à ces opérations d’influence malveillantes.

Depuis sept ans, la Finlande est le pays le plus heureux du monde, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les mensonges de la Russie n’ont guère de prise sur notre population. Le Canada n’est pas si loin derrière. Vous êtes au 15e au classement, ce qui est également très bien.

Je vais m’arrêter là. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, monsieur Kallioniemi.

Chers collègues, nous passons maintenant aux questions. Nous n’avons de temps que pour trois minutes chacun. Si vous pouvez rester concis dans vos questions, nous essaierons d’obtenir des réponses pour tout le monde. Nous commencerons par le vice-président, le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Boucher.

La subtilité n’est pas nécessairement ce qui caractérise ceux qui font de la désinformation; c’est souvent la répétition de faussetés qui fait que la population se met à croire ce qu’elle lit, ce qu’elle entend ou ce qu’elle voit.

Y a-t-il des mécanismes qui permettent de mesurer les effets de la désinformation dans l’esprit de la population en général? Est-il possible de déterminer le genre de faussetés qui ont le plus de chances de convaincre les gens? Dans quels secteurs une partie de la population canadienne est-elle la plus vulnérable? Y a-t-il des cordes sensibles plus faciles à atteindre récemment?

M. Boucher : Sur la première question des effets de la répétition sur les messages, les études montrent que ce n’est généralement pas que la répétition, mais également la rapidité à laquelle ces messages sont transmis. Autrement dit, la première personne qui arrive dans l’espace informationnel et qui parvient à diffuser un message gagne d’une certaine façon la guerre informationnelle, et c’est très difficile après-coup de vérifier les faits ou de reprendre la même initiative par la suite.

L’Université de Calgary a fait une étude en 2022, et d’autres groupes partout au Canada ont fait la même étude, qui a consisté à essayer de définir, par exemple, la mesure de la pénétration de la propagande russe chez les Canadiens. On a posé quatre questions sur la Russie, et toutes les études montrent presque la même chose : dans une large mesure, les gens qui votent ou qui sont à l’extrême droite de l’échiquier sont plus vulnérables à la désinformation que les autres Canadiens. Dans cette étude, 80 % des gens qui voulaient voter pour le Parti populaire du Canada croyaient que les mentions de désinformation russe étaient vraies, et on a également remarqué que les conservateurs étaient de 10 à 15 fois plus susceptibles de partager de la désinformation russe que les autres Canadiens. C’est un problème.

Je viens de l’Alberta et, naturellement, c’est une conversation qu’on a souvent dans nos milieux albertains. On sait donc dans ce contexte que les gens qui ont tendance à voter à droite sont plus vulnérables, et ce n’est pas tant une question d’informations que de réseaux d’informations. Comme je le disais, dans certains cas, l’écosystème informationnel de l’extrême droite s’abreuve déjà de la désinformation russe et est, dans une large mesure, lié à des groupes d’extrême droite américains qui font eux-mêmes partie des réseaux de désinformation russe. C’est dans ce contexte qu’on voit leurs effets les plus importants. J’ai vu la même chose en France et d’autres groupes de recherche ont vu sensiblement les mêmes choses également.

Si vous me demandez où il faudrait mettre l’accent et ce qu’il faudrait vraiment faire, je dirais qu’il faudrait mettre notre argent et plus de temps dans l’environnement et dans l’écosystème d’extrême droite, avoir des conversations sur les raisons pour lesquelles on veut être en Ukraine et savoir pourquoi on partage et on défend nos valeurs de démocratie canadienne. On pourrait ainsi espérer avoir plus d’impact dans cet environnement. Ce n’est pas pour rien que les Russes financent des influenceurs d’extrême droite; c’est là qu’ils ont le plus grand impact.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous les deux de votre présence.

Monsieur Kallioniemi, c’est un plaisir de vous voir face à face après les longues discussions que nous avons eues.

Monsieur Boucher, le Canada a-t-il actuellement une stratégie globale et efficace pour contrer la désinformation russe? Sinon, quelle pourrait-elle être?

Monsieur Kallioniemi, votre livre, Vatnik Soup, est remarquable, et j’invite tous mes collègues à le lire. Vous avez également « Vatnik Soup » sur Twitter ou X. Vous y nommez quelques Canadiens et quelques Américains intéressants, dont certains sont candidats à des postes très élevés. Pouvez-vous nous expliquer comment, en ayant cette information, notre gouvernement pourrait être en mesure de travailler dans cet espace?

M. Boucher : C’est une excellente question. Ma réponse est non. Ce que je constate actuellement, c’est que nous piétinons depuis deux ou trois ans dans la plupart des efforts que nous déployons pour lutter contre la manipulation de l’information par les Chinois, les Russes, les Iraniens et les gouvernements indiens. Nous ne progressons pas pour trois grandes raisons. Premièrement, nous ne savons pas ce que nous voulons dire. Il n’y a pas de stratégie pour les arguments sur ce que nous défendons et les raisons pour lesquelles nous pensons que le Canada est le meilleur pays du monde. C’est, à mon avis, un problème majeur.

Deuxièmement, nous ne dépensons pas l’argent nécessaire. Il y a beaucoup de fonctionnaires dévoués, et vous avez vu la plupart d’entre eux au comité. Dans tout le gouvernement du Canada, je vois des gens qui se consacrent à la défense de la démocratie et de nos valeurs, et je vois qu’ils comprennent les problèmes. Ce que je ne vois pas, c’est l’argent. Vous savez aussi bien que moi, lorsque j’enseigne les politiques publiques, je dis qu’il faut suivre l’argent si l’on veut savoir ce que les pays font. Quand je voyage dans le monde, que je vais en France, au Japon, en Allemagne et au Royaume-Uni, je vois que l’on consacre des centaines de millions à cette tâche. Au Canada, ce n’est pas le cas.

Troisièmement, nous sommes encore réticents à l’idée de nous adresser à nos populations vulnérables qui se nourrissent de la désinformation de l’extrême gauche ou de l’extrême droite et de parler avec elles. Nous sommes très prompts à parler de censure et de liberté d’expression, mais d’une manière ou d’une autre, nous avons nous-mêmes perdu la liberté d’expression nécessaire pour défendre ces valeurs. Il y a une différence entre censurer quelqu’un et défendre ses propres valeurs.

Enfin, il y a un manque de volonté politique pour ce qui est de vraiment s’attaquer à ce problème, plus au Canada qu’ailleurs dans le monde, malheureusement.

M. Kallioniemi : À quoi peut servir cette information? Par exemple, j’ai fait des recherches. J’ai publié des renseignements sur différentes personnes que je considère comme étant pro-Kremlin ou qui propagent les histoires du Kremlin. Il est très important de constituer le réseau que forment ces personnes, de voir comment elles communiquent entre elles et comment elles amplifient mutuellement leurs messages, si l’on veut avoir une vue d’ensemble de ce qui se passe sur la scène de la désinformation russe. Il est extrêmement utile de disposer de ce type de cartographie pour analyser le réseau.

Comme M. Boucher l’a dit précédemment, il est très important de suivre l’argent. S’il est possible de suivre les flux d’argent au sein de ces réseaux, cela peut également se révéler très utile, car on suppose, surtout après Tenet Media, que nombre de ces personnes sont payées par le Kremlin. Je pense donc qu’il s’agit là des éléments clés.

La sénatrice Patterson : Il est très difficile de passer après le sénateur Kutcher, car il a couvert une bonne partie de ma question.

Je voudrais me concentrer sur les groupes vulnérables dont vous parlez, car nous pensons qu’il serait très embarrassant, pour le Canadien moyen, de se faire mener en bateau par un État étranger, mais encore une fois, nous devons comprendre qu’il y a un grand élément psychologique dans tout cela. Nous savons qu’en augmentant l’éducation aux médias, la Finlande connaît beaucoup de succès en matière de prévention. Comment pouvons-nous commencer à parler aux Canadiens à tous les niveaux et à adapter et formuler les messages? Quels messages les Canadiens devraient-ils recevoir, même au sein de ces groupes vulnérables, sachant qu’il leur appartient de changer d’avis? Quels messages devrions-nous transmettre?

M. Boucher : C’est une excellente question, et nous n’avons pas encore vu ce genre d’arguments. Tout le monde parle de predémystification, et je crois vraiment que c’est la meilleure façon de dépenser de l’argent et d’être informé sur ce sujet.

Pour réaliser un predémystification efficace, il vous faut trois types d’information. Premièrement, vous devez savoir ce que vous voulez dire ou transmettre comme information — pourquoi défendons-nous l’Ukraine? Pourquoi est-ce important? Pourquoi est-ce que cela témoigne de ce que cela signifie d’être canadien? Pourquoi est-il important que les Canadiens soient tolérants et qu’ils aient des valeurs démocratiques ?— et dire qu’il ne s’agit pas d’un débat, mais de nos valeurs et de ce que nous pensons à ce sujet.

Deuxièmement, il faut également savoir ce que ciblent les acteurs malveillants. Nous les suivons à la trace. Nous savons qu’ils ciblent l’extrême gauche. Nous savons qui sont les personnes qui vont sur RT et à quels écosystèmes elles appartiennent. C’est là que nous devrions dépenser notre argent, au lieu d’essayer de mener ces campagnes de communication massives et de nous adresser à tous les Canadiens. Peut-être que nous devrions parler avec certains Canadiens.

Troisièmement, nous devons connaître nos publics et savoir quels types de questions et de messages leur parlent. Quel type de colère alimente leurs griefs? Beaucoup de ces griefs sont légitimes. Il ne s’agit pas de les balayer du revers de la main, mais de comprendre pourquoi ils pensent comme ils le font et de dialoguer avec eux de manière respectueuse. Cela ne veut pas dire que nous les convaincrons, mais au moins, nous remplirons l’espace de l’information avec notre propre information, et alors les Russes ou les Chinois devront nous combattre au lieu que ce soit nous qui les combattions. C’est sur cela que nous devons transférer notre énergie et nos efforts, et nous ne le faisons pas.

Le président : Monsieur Kallioniemi, avez-vous quelque chose à ajouter sur cette question?

M. Kallioniemi : Oui, je pense que de très bons points ont été soulevés. Le groupe cible à prendre également en compte est celui des personnes marginalisées, car ce sont elles qui risquent le plus d’être radicalisées à l’avenir. Une étude explique que les deux principaux facteurs qui poussent les gens à croire à la désinformation sont l’angoisse et le sentiment de marginalisation. Ces personnes ont l’impression de ne rien avoir à apporter à la société et elles se sentent angoissées à cause de la façon dont le monde est fait. Donc, si nous pouvons parler à ces populations, je pense que c’est là que nous pouvons vraiment faire bouger les choses.

La sénatrice Patterson : Je vous remercie.

Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins. Ma question est pour Pekka Kallioniemi. M. Boucher vient de mentionner des écosystèmes et, en Finlande, vous avez eu environ 80 ans pour développer votre propre écosystème pour contrer la mésinformation, la désinformation et la propagande flagrante de votre voisin, que ce soit l’Union soviétique dans un premier temps ou l’actuelle Fédération de Russie.

La Suède a également développé son propre écosystème. Soudain, vous êtes tous deux membres de l’OTAN. Selon vous, combien de références croisées et de discussions sur les pratiques exemplaires peut-on et doit-on avoir et est-ce que cela pourrait être en partie étendu à des discussions avec le Groupe des cinq un peu plus que les consultations régulières qui ont lieu de temps en temps de manière bilatérale entre le SCRS, par exemple, et d’autres services de renseignement, y compris le vôtre? Qu’en pensez-vous?

M. Kallioniemi : Je ne peux pas vraiment parler au nom des services de renseignement. Je pense que la collaboration au sein de l’OTAN est essentielle et que beaucoup de pays pourraient s’inspirer du système finlandais, qui met l’accent sur l’éducation, et, bien sûr, du système suédois, qui est également très bon. J’ai l’impression qu’en Finlande, nous avons beaucoup d’angles morts. Par exemple, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans les pays du Sud ou en Chine. Je pense donc que cette collaboration serait très utile en ce moment pour avoir une vue d’ensemble de la situation et nous défendre contre la désinformation, car nous parlons beaucoup de la Russie, mais il n’y a pas que la Russie. Il y a aussi la Chine. L’Iran est également un acteur important. Je pense que cette collaboration est cruciale, si nous voulons réussir dans la guerre de l’information qui se joue actuellement.

M. Boucher : Il est certainement intéressant de voir comment la Russie bouge ses pions. Certains pays comme la Finlande, l’Ukraine ou même Taïwan sont à l’avant-garde de ces relations, de sorte que leur résilience face à la désinformation est élevée. Nous réalisons des études en Lettonie pour essayer de voir comment les Lettons réagissent à la désinformation et nous constatons qu’ils la repèrent facilement. Au Canada, c’est plus difficile.

Il me semble que nous en sommes encore à penser qu’il s’agit d’un débat, nous pensons avoir une discussion de bonne foi avec d’autres acteurs et nous essayons de déterminer quels sont les faits. Or, ce n’est pas le cas. Nous sommes dans une bataille d’arguments, alors que nous devrions dire que telles sont nos valeurs, que c’est ce que nous pensons et que peu nous importe ce que disent la Russie ou la Chine. Nous devons défendre ces valeurs à chaque instant. Nous ne sommes plus capables de le faire, et c’est la même chose dans le monde entier. Les Français ont la même conversation, les Japonais et les Allemands aussi. Ce que c’est que d’être allemand. Il faudra du temps pour y parvenir.

Nous avons besoin d’une volonté politique et de dirigeants politiques comme vous pour mener ces conversations, car cela ne se fera pas sans beaucoup de soutien de la part de nos dirigeants.

La sénatrice Dasko : Merci à tous les deux de votre présence aujourd’hui. Monsieur Boucher, vous avez dit que nous devons défendre nos valeurs et parler fermement. Êtes-vous d’accord pour dire que le message selon lequel rien ne va plus au Canada fait le jeu de la désinformation russe?

M. Boucher : Tout à fait. Les Russes savent très bien faire valoir dans toutes les sociétés que les valeurs démocratiques sont corrompues, et ils utilisent toutes sortes de moyens pour promouvoir cette idée. C’est de cette façon que les forces antilibérales établissent un lien entre les opinions russes et nos propres sociétés.

En fait, à propos des pays du Sud, quand nous examinons les ensembles de données des pays du Sud, en Afrique, ce message, cet argument selon lequel les valeurs occidentales sont corrompues parle aux populations locales. Oui, c’est vrai.

La sénatrice Dasko : Rien ne va plus. Oui, je vous remercie.

M. Boucher : C’est un problème.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Comme vous le savez, il faut, pour une communication efficace, des messages ciblés destinés à des publics ciblés. En ce qui concerne les Russes — et vous avez parlé de l’influence de la droite, qui pourrait n’être qu’une chambre d’écho —, ma question est la suivante : quels sont les publics ciblés par les Russes? S’agit-il uniquement de la droite ou s’intéressent-ils aussi à d’autres segments de la société canadienne?

M. Boucher : C’est une bonne question. Dans les ensembles de données que nous avons, les messages sont efficaces sur l’extrême gauche et sur l’extrême droite.

La sénatrice Dasko : Et les Russes se concentrent sur ces deux extrêmes?

M. Boucher : En effet.

Nous voyons des comptes russes amplifier leur contenu et collaborer avec les deux extrêmes. Certains de ces influenceurs vont sur RT, ils vont en Russie. Ils se comportent vraiment comme s’il s’agissait d’une conversation normale, et nous les voyons faire les deux.

Dans d’autres pays, ils exploitent d’autres types de griefs. Par exemple, dans la région indo-pacifique, la Russie exploite les opinions anti-japonaises dans la société coréenne.

Ils tirent parti de toutes les situations. Ils essaient de trouver des moyens d’accroître les griefs au sein d’une société, et ensuite, ils amplifient ces messages. Peu leur importe d’avoir raison ou tort. Tout ce qui compte pour eux, c’est l’impact.

La sénatrice Dasko : Beaucoup de Canadiens sont sur les réseaux sociaux. Le Canadien moyen voit-il beaucoup de désinformation russe ou un peu, et quels messages voit-il?

M. Boucher : Cela dépend de la plateforme. Nous menons des projets sur TikTok, et il est surprenant de constater à quelle vitesse la Chine et la Russie se sont misent à l’exploiter.

Dans les ensembles de données dont nous disposons, les jeunes Canadiens ont plus de mal à repérer la désinformation russe et chinoise que les Canadiens plus âgés, ce qui nous dit qu’il y a quelque chose dans la façon dont les gens consomment l’information.

Je dirai que la plupart des gens qui suivent X ou TikTok ou YouTube et ce genre de plateformes seront exposés d’une manière ou d’une autre à ces messages, surtout s’ils sont relayés par des influenceurs qui sont bien perçus dans nos sociétés, qui ont des médias d’information comme Rebel News ou quelque chose comme ça.

En Alberta, beaucoup de gens suivent Rebel News. En fait, quand je donne des cours aux unités de la Réserve, j’entends parfois des gens dire qu’ils lisent Rebel News tous les jours. C’est intéressant. Vous êtes maintenant réserviste, soldat, et vous lisez les médias, mais vous n’avez pas vraiment d’éducation aux médias.

Le ministère de la Défense nationale a commis une bourde dernièrement à ce propos : des personnes partageaient du contenu d’extrême droite et, faute d’éducation aux médias, elles ne savaient pas pourquoi cela posait un problème.

Souvent, nous lisons des choses en pensant qu’elles sont inoffensives, mais nous pouvons les relier à des idées russes ou à des agents d’influence russes à l’étranger.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais poursuivre la conversation que vous aviez avec la sénatrice Dasko.

Vous avez mentionné que Rebel News a des influenceurs. Pouvez-vous nous dire de qui il s’agit et nous expliquer comment ils agissent?

Vous avez parlé de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Qui se trouve à l’extrême gauche? Nous imaginons souvent que ce sont les syndicats et les militants pacifistes, et je ne pense pas que ce soient eux.

M. Boucher : En effet, non.

Le sénateur Cardozo : On entend des rumeurs selon lesquelles, dans certaines manifestations palestiniennes, il y a...

M. Boucher : C’est exact.

Le sénateur Cardozo : ... des influenceurs. Pouvez-vous nous dire plus précisément qui se trouve à l’extrême droite et à l’extrême gauche et comment ils exercent une influence?

M. Boucher : C’est ce que nous observons dans les écosystèmes d’extrême droite, comme nous l’avons vu dans le Convoi de la liberté, d’ailleurs. Il existe désormais un écosystème mondial d’extrême droite dans lequel des groupes d’extrême droite canadiens sont associés à des Américains et à d’autres personnes.

Au Canada, Rebel News est probablement l’écosystème d’extrême droite le plus influent. Il recueille des millions de vues. Il a des liens internationaux avec des Américains.

Certaines personnes embauchées par Tenet Media étaient en fait des anciens de Rebel News et si l’on examine leurs liens avec les Américains, on constate que Jack Posobiec aux États-Unis fait partie de l’écosystème de Rebel News, tout comme Tucker Carlson. Ils sont bien établis et bien développés.

À l’extrême gauche, nous voyons, par exemple — je pourrais vous montrer un tas d’influenceurs. Beaucoup d’entre eux sont associés à Global Research. Certains d’entre eux écrivent pour différents types d’organisations. Beaucoup d’entre eux sont propalestiniens. Ils étaient pro-Assad.

Par exemple, certains influenceurs canadiens associés à The Grayzone, comme Aaron Maté ou Max Blumenthal, collaborent avec RT depuis toujours. Ils ont en fait été formés pendant le conflit syrien en 2014. Ils sont allés en Syrie et ont été formés dans le cadre d’opérations de renseignement russes. Au moment de l’invasion russe, ils se sont tous activés et ont défendu l’invasion russe en essayant d’embrouiller le monde de l’information.

Aujourd’hui, certains tournent autour des ministres Joly ou Freeland et les critiquent pour leur soutien à l’Ukraine. Ils essaient de faire valoir l’argument selon lequel nous sommes bellicistes, alors que la Russie est effectivement le seul pays qui fait la guerre.

Ils sont très actifs. Certains se rendent en Russie. Dimitri Lascaris, par exemple, s’est rendu en Crimée : « Regardez comme tout va bien ici, c’est incroyable. » Beaucoup d’entre eux étaient liés à certaines manifestations récentes contre l’OTAN.

C’est vraiment ce groupe qui a des affinités idéologiques et des opinions anticapitalistes. Ce ne sont pas les syndicats. Il ne s’agit pas du type d’extrême gauche auquel nous pensons habituellement. Ils sont vraiment associés à ces groupes.

Il est intéressant de constater que ces groupes ont tendance à défendre les opérations de renseignement iraniennes, syriennes, russes et chinoises et ils participent à ces conversations. Ils s’activent un peu dans ces dossiers.

Le sénateur Cardozo : Il s’agit en fait de personnes qu’on paie d’une manière ou d’une autre pour agir comme des influenceurs dans ces mouvements?

L’autre question que j’aimerais vous poser concerne CBC/Radio-Canada. Un parti politique a proposé de couper les vivres à la société. Certains disent que c’est en quelque sorte la seule organisation médiatique survivante alors que la télévision et les journaux du secteur privé sont en train de s’effondrer. Que pensez-vous de la façon dont CBC/Radio-Canada...

Le président : Monsieur Boucher, vous avez très peu de temps, alors vous devez être très bref.

M. Boucher : Je pense que la présence de médias publics aide à alimenter la conversation, mais il n’est pas question ici de faits, mais d’une bataille de messages. Je ne pense pas que CBC/Radio-Canada devrait faire ce travail. Je pense que c’est le travail des dirigeants politiques et des Canadiens.

Les médias d’État russes représentent 3 milliards de dollars. Nous allons au combat armés d’un tire-pois si nous voulons vraiment nous plaindre du financement de CBC/Radio-Canada.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’essaie de comprendre, monsieur Boucher. En principe, la Russie est un pays communiste d’extrême gauche qui fait la promotion de la gauche et du socialisme. Est-ce à dire que, à la lumière de tout ce qui vient de la gauche ou de l’extrême gauche, la Russie n’a pas intérêt à soutenir le wokisme, tout en discréditant la droite, qui sera plus en faveur de l’armée et des dépenses militaires? J’essaie de voir la logique de vos propos. En passant, ce n’est pas parce qu’on vous a mis les mots dans la bouche que le Canada est brisé, mais la critique politique doit rester.

M. Boucher : Absolument.

Le sénateur Carignan : Le fait de lui mettre l’étiquette, quand on utilise ce mot, et d’affirmer que l’on fait de la propagande russe est un peu fort.

M. Boucher : Je ne crois pas que le fait de dire que notre pays a des problèmes constitue de la propagande russe. Toutefois, les Russes utiliseront cet argument pour véhiculer et faire avancer leurs intérêts.

Il faut comprendre que l’orientation de la Russie n’est plus ce qu’elle était. Quand on regarde Vladimir Poutine et les gens autour de lui, on se rend compte que ce ne sont pas des communistes. Ce sont, dans une large mesure, des gens qui font la promotion de valeurs qui ne sont pas libérales, c’est-à-dire des valeurs traditionnelles, autoritaires et populistes. Il est clair que ces images trouvent des échos tant chez la droite que chez la gauche. Des gens de la droite seront, par exemple, traditionalistes ou anti-LGBTQ et entendront les propos de la Russie en disant qu’ils sont en faveur des valeurs traditionnelles et qu’il est vrai que les wokes sont un problème au Canada. Les gens de la gauche diront qu’il est vrai que le gouvernement canadien est corrompu et capitaliste et qu’il faut mettre fin à tout cela.

En science politique, il y a ce qu’on appelle la théorie du fer à cheval, c’est-à-dire que si on va jusqu’à l’extrême d’un côté, on se retrouvera de l’autre côté. C’est ce qui permet de générer cette conversation.

Les Russes sont très bons pour amplifier les arguments anti-élitistes.

Le sénateur Carignan : En résumé, ils cherchent à créer le chaos.

M. Boucher : Absolument.

Le sénateur Carignan : En soutenant autant un discours d’extrême gauche qu’un discours de l’autre côté.

M. Boucher : C’est ce que je crois et c’est ce que disent les données, c’est-à-dire que chaque fois qu’on voit ce phénomène, c’est la même chose.

Le sénateur Carignan : Le danger est que cela discrédite aussi le message où je critique de bonne foi le gouvernement sur certains éléments, mais eux amplifieront et discréditeront ce message ou encourageront les gens à le discréditer.

M. Boucher : Absolument.

Le sénateur Carignan : Alors, on joue de tous les côtés.

M. Boucher : À mon avis, si on voulait vraiment procéder ainsi, il faudrait une base de bipartisanerie, c’est-à-dire que notre seuil zéro est que l’on défend l’Ukraine, et voici nos valeurs de tolérance, de démocratie et de liberté. Peu importe qui essaiera d’exploiter cet argument, nous ne l’accepterons pas et nous le défendrons. Nous avons besoin de politiciens et de leaders politiques qui tracent cette ligne dans le sable et disent que c’est là qu’on s’arrête. Le problème est que l’on voit des politiciens en France, en Allemagne et aux États-Unis qui utilisent ces récits pour amplifier et gagner la joute politique. On vend alors notre pays pour les intérêts d’un autre et il se pose un problème éthique. Aussi longtemps qu’il y aura un consensus politique sur des enjeux spécifiques, les Russes auront de la difficulté à s’engager là-dedans, car en regardant à droite et à gauche, ils verront que tout le monde est d’accord sur les mêmes enjeux et qu’il n’y a aucun débat dans ce contexte.

Un bon exemple est le fait que, lorsque les conservateurs se sont opposés au traité de libre-échange avec l’Ukraine, les Russes ont adoré ça. Je comprends le point de vue des conservateurs, qui voulaient mettre cette motion de l’avant. Toutefois, cette démarche a servi la Russie.

Le sénateur Carignan : Comment identifiez-vous la source russe? La source russe anti-Ukraine, je peux la comprendre. J’ai déjà parlé avec des Russes et je comprends le raisonnement. La source russe sur un élément de politique qui n’a rien à voir avec l’Ukraine — comme le vaccin —, comment l’identifiez-vous?

[Traduction]

M. Boucher : Il y a deux options : la création de contenu ou l’amplification du contenu. Parfois, les Russes créent du contenu, de façon à lever des obstacles, ou ils trouvent du contenu qui leur plaît et ils l’amplifient. Dans les ensembles de données, vous verrez parfois une observation arriver, et les bots l’amplifieront. Ils ne sont pas obligés de prendre la peine de le créer, mais ils font parfois les deux.

Le président : Nous avons trois collègues qui souhaitent intervenir dans le deuxième tour. Nous disposons d’environ deux minutes pour chacun. Si vous pouviez poser vos questions et laisser environ une minute pour les réponses, ce serait très utile.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une courte question pour M. Boucher. Ce qui se passe ailleurs peut sûrement être pris en considération pour lutter contre la désinformation. D’après vous, les Russes ont-ils fait de la désinformation efficace lors des dernières élections américaines? Pourraient-ils avoir le même impact lors des prochaines élections canadiennes?

M. Boucher : Je crois que la réponse est oui dans les deux cas. De toute évidence, les Russes avaient intérêt à ce que le Parti républicain l’emporte. Toutes les données montrent que les républicains étaient moins favorables à l’Ukraine que les démocrates. Par conséquent, avoir une administration Trump en place joue en faveur des intérêts de la Russie.

Naturellement, tout ce réseau ne sait plus quoi faire de son temps et aura l’Allemagne et le Canada au buffet, après avoir réussi à faire valoir ces intérêts dans la campagne américaine. Est-ce que cela a changé la donne de 0 à 100? Non. Les démocrates auraient-ils gagné sans les Russes? Probablement pas. Toutefois, il est indéniable que cela a aidé les républicains.

Le sénateur Dagenais : Cela pourrait donc avoir un effet sur les élections canadiennes.

M. Boucher : Je crois qu’on verra peut-être l’extrême droite américaine s’immiscer dans notre espace informationnel et essayer de faire la promotion de ses valeurs afin de manipuler ou de changer l’opinion des Canadiens, oui.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : J’ai la même question pour nos deux invités. Serait-il raisonnable de dire que le Canada n’est pas en guerre contre la Russie dans le domaine de la désinformation, mais que la Russie est en guerre contre le Canada?

M. Boucher : J’ai un peu monopolisé le micro. Je vais laisser mon collègue répondre.

M. Kallioniemi : Je dirais que c’est tout à fait vrai. En général, les démocraties occidentales sont dans une guerre de l’information avec la Russie, et ce, depuis longtemps. Il s’agit également d’une guerre très asymétrique puisque la Russie peut répandre des mensonges, tandis que nous devons ensuite réagir à ces mensonges.

Pendant la Guerre froide, l’Occident établissait l’ordre du jour dans ce type de guerre de l’information, mais aujourd’hui, les rôles ont changé : la Russie établit activement l’ordre du jour, et nous réagissons généralement. Il me semble que si nous ne consacrons pas davantage de ressources à cette guerre de l’information, les démocraties occidentales perdront la guerre de l’information.

M. Boucher : J’ai l’impression que nous avons cédé le champ de bataille et que les Russes et les Chinois sont en train de gagner la partie. J’espère que nous n’entrerons pas en guerre dans un avenir proche, parce qu’à l’heure actuelle, nous n’avons pas les capacités ou les moyens de lutter réellement contre la vague de propagande qui va s’abattre sur nous.

J’aimerais souligner que dans les ensembles de données que nous observons actuellement dans la région indo-pacifique, nous voyons les opérations d’influence russes et chinoises coordonner leurs activités. Ainsi, si nous espérons isoler les Russes des Chinois, c’est de moins en moins possible. En fait, ils collaborent désormais et s’engagent dans l’amplification de leurs comptes respectifs, en utilisant leurs publics respectifs et en poussant les mêmes messages. Nous menons actuellement une bataille contre des régimes autocratiques intolérants et nous devons être prudents face à l’avenir. Partout, j’ai l’impression que nous devons mener cette bataille, mais que nous n’avons pas encore commencé.

La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. Comme vous le savez, l’OTAN parle maintenant du « domaine de la sécurité cognitive » dont il faut tenir compte et la sécurité humaine doit probablement faire l’objet d’autant d’attention que nous en accordons à la sécurité de l’État afin d’aborder l’ensemble du spectre des conflits. Nous devons commencer à l’envisager différemment.

De votre point de vue à tous les deux, le fait que la Russie doive se retirer de la Syrie et de ses bases est une perte. Comment va-t-elle maquiller la réalité? Cela ressemble à l’incursion de l’Ukraine en Russie. Comment les Russes vont-ils dépeindre la situation à leur avantage? Nous devons également chercher des occasions de diffuser des messages positifs à propos des pertes actuelles de la Russie.

M. Boucher : Je suppose qu’ils vont inverser le scénario et critiquer l’Occident pour avoir provoqué la fin de la Syrie et nous imputer la responsabilité du chaos qui suivra. J’ai l’impression que c’est ce qu’ils vont faire. D’habitude, le scénario est clair : blâmer l’Occident et dire que la Russie est une avant-garde contre cela. C’est probablement ce qu’ils vont dire.

M. Kallioniemi : C’est déjà commencé. À l’heure actuelle, ils disent que l’État islamique d’Irak et de Syrie, autrement dit Daech ou les extrémistes ont pris le contrôle du pays, et qu’il deviendra une nation extrêmement fondamentaliste. C’est la voie qu’ils suivront. Ils soutiendront ou affirmeront que l’ancienne Syrie dite laïque était une meilleure option que ce qui arrive maintenant.

La sénatrice Patterson : Quel est leur auditoire? Est-ce nous, ou est-ce l’équipe locale? Ou est-ce les BRICS?

M. Boucher : Les pays du BRICS.

La sénatrice Patterson : Merci.

Le président : Merci beaucoup. Ceci nous amène à la fin de la discussion avec ce groupe. Je tiens à remercier sincèrement MM. Boucher et Kallioniemi d’avoir pris le temps de participer à notre discussion. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir participé à notre étude. Je vous remercie de nouveau d’avoir été patients avec nous, comme nous avons dépassé le temps imparti. Je vous remercie de nouveau d’être venus nous voir.

Nous allons maintenant passer au dernier groupe. Ce soir, je souhaite la bienvenue à nos nouveaux témoins. Tout d’abord, Francis L. Graves, président d’EKOS Research Associates, Marcus Kolga, directeur de DisinfoWatch et chercheur principal de l’Institut Macdonald-Laurier, par vidéoconférence. Brian McQuinn, codirecteur du Centre sur l’intelligence artificielle, les données et les conflits et professeur agrégé au Département de politique et d’études internationales de l’Université de Regina. Merci beaucoup de vous joindre à nous. Nous vous invitons à faire vos déclarations liminaires. Si vous pouvez vous en tenir à cinq minutes environ, ce sera parfait. Ensuite, les membres du comité auront l’occasion de vous poser des questions.

Francis L. Graves, président, EKOS Research Associates Inc. : Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité de m’avoir invité à parler de ce sujet important.

Au départ, en tant que membre du groupe de travail fédéral sur la confiance à l’égard des vaccins, j’ai commencé à étudier la désinformation et la mésinformation. Récemment, nous avons élargi le champ d’études et nous nous penchons sur ces enjeux depuis un certain temps. Je constate que les Canadiens sont préoccupés par beaucoup de choses, mais qu’ils placent en tête de leurs préoccupations la polarisation liée à la désinformation. Même si l’on peut penser que d’autres problèmes nous empêchent de dormir, celui-ci figure en bonne place sur la liste, si ce n’est en tête de liste.

Bien qu’il me soit impossible de démêler clairement les impacts de l’activité russe, les liens extrêmement improbables dont je parlerai aujourd’hui sur les attitudes envers la Russie sont liés à leurs activités. Cela a été corroboré par des collègues en Europe et dans d’autres pays qui comprennent l’écosystème de la désinformation bien mieux que moi. Mes travaux portent sur l’impact et la montée en puissance de la désinformation à l’aide de grands échantillons scientifiques de la population canadienne. En grande partie, ces travaux ont été menés dans le cadre de la publication Surveillance du risque qui existe depuis mars 2020, curieusement, il y a cinq ans.

Au départ, nous examinions les questions liées aux vaccins contre la COVID, mais le champ d’application s’est élargi à d’autres types de risques. Nous constatons qu’il existe des liens étroits à travers une gamme de désinformation, y compris les perspectives sur la Russie, les perspectives sur l’OTAN, l’Ukraine et la géopolitique en général. Au fur et à mesure que nous élargissions notre champ d’action et que nous consultions d’autres chercheurs dans d’autres pays, nous nous sommes familiarisés avec les répercussions de la désinformation en tant qu’outil de l’art de gouverner et nous avons trouvé des preuves évidentes de la portée et de l’efficacité de la désinformation russe. Je ne dispose pas de l’analyse criminalistique de l’écosystème de la désinformation, mais je suis en mesure de dresser un tableau presque incontestable de ses effets. Je vais vous donner quelques exemples.

Au début de la guerre avec l’Ukraine, nous avons demandé aux Canadiens : « Que devrait faire le Canada pour aider l’Ukraine? » Nous avons testé six types d’interventions différentes, allant de l’aide létale à l’aide non létale. Les Canadiens se sont montrés majoritairement très compatissants envers l’Ukraine et très en colère contre la Russie, ce qui s’est clairement reflété dans nos recherches.

Sur un coup de tête, j’ai dit : « Ventilons les résultats selon que vous avez été vaccinés ou non ». Cela n’avait rien à voir. J’ai pris les 90 % de Canadiens vaccinés et je leur ai demandé : « Laquelle de ces mesures devrions-nous prendre? » Dans ce groupe, seuls 2 % ont répondu qu’il ne fallait rien faire. Il y avait un énorme consensus. Comment les 10 % de Canadiens non vaccinés répondaient-ils à cette question? Ce n’était pas un peu différent. Ce n’était pas un peu plus ou 10 fois plus. Ils étaient 52 fois plus nombreux à dire qu’il ne fallait rien faire. Il s’agit d’un groupe qui ne pouvait probablement pas situer l’Ukraine sur une carte un mois plus tôt, mais qui s’est soudain mis à échafauder des théories de conspiration exotiques. Quand je me suis entretenu avec mes collègues européens qui étudiaient le rôle de la Russie dans les élections européennes, ils m’ont dit qu’ils ne s’étaient pas préoccupés des élections françaises pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu’ils concentraient tous leurs efforts sur cette question. On a constaté que cela influençait fortement les attitudes, comme vous pouvez le voir dans cette relation particulière.

Dans un test plus récent, réalisé il y a tout juste un mois, nous avons fait une mise à jour et interrogé les Canadiens sur leur degré d’inquiétude à l’égard de l’influence étrangère et nous avons ventilé les résultats par pays pour voir si leurs attitudes variaient. Tout d’abord, les inquiétudes concernant la désinformation augmentent modestement de pair avec le niveau de désinformation. Si nous prenons le groupe de Canadiens qui affichent les niveaux les plus élevés de désinformation et qui se trompent à toutes les questions, ils sont extrêmement insistants sur le fait que la Chine est un très mauvais élève et que la situation empire : 85 %. Ce même groupe, interrogé sur la Russie, n’a pas répondu à 85 %, mais à 25 %. Ce genre d’écarts impondérables ne sont pas des artefacts statistiques; ils sont le reflet d’un programme de désinformation très efficace qui produit des attitudes plus sympathiques et favorables à l’égard de la Russie et, par corollaire, des attitudes moins favorables à l’égard de l’Ukraine, de l’OTAN et d’autres endroits.

Pour conclure — je sais que j’ai peu de temps — les Canadiens sont fortement polarisés comme jamais. Je dirais que les perspectives canadiennes sont plus sombres et plus divisées que ce que j’ai vu au cours de ma très longue carrière. Cette situation est directement liée à la désinformation qui est désormais utilisée comme un outil de l’art de gouverner et qui est amplifiée et renforcée en Amérique du Nord par d’autres sources. Au fil du temps, nous avons constaté que la sympathie pour l’Ukraine, par exemple, a diminué, mais qu’elle s’exprime dans toute une série d’autres domaines, qu’il s’agisse du changement climatique, de l’attitude à l’égard de l’OTAN ou de l’attitude à l’égard des vaccins.

Quand nous interrogeons les Canadiens à ce sujet, ils répondent que la désinformation a un effet extrêmement corrosif sur notre société, notre économie et notre démocratie, et qu’elle produit une polarisation effective, c’est-à-dire que nous ne nous aimons tout simplement plus comme par le passé. Dans quelques domaines de consensus, ils disent avec insistance qu’ils aimeraient que le gouvernement fédéral renforce nos institutions pour nous en prémunir et qu’il prenne des mesures énergiques. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci. Monsieur Kolga, c’est un plaisir de vous revoir ici.

Marcus Kolga, directeur, DisinfoWatch and chercheur principal, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m’offrir le privilège de m’adresser à vous.

Je vais concentrer mes remarques sur les nouvelles preuves des opérations d’information et d’influence de la Russie, telles que révélées dans l’acte d’accusation de Tenet Media et la divulgation simultanée d’un affidavit du FBI concernant la campagne du réseau russe Doppelganger. Ces opérations ont des répercussions importantes sur la souveraineté de l’environnement informationnel du Canada.

L’objectif principal du Kremlin en ciblant le Canada et nos alliés est double : servir son programme géopolitique et miner notre démocratie.

Pour réaliser ces objectifs, le Kremlin inonde notre écosystème de l’information d’un mélange toxique de désinformation et de haine. Ce mélange vise à éroder le soutien populaire à l’Ukraine, à l’OTAN et à nos alliés, tout en incitant à la haine envers les Canadiens d’origine ukrainienne.

L’effondrement de la cohésion de notre société et de la confiance dans notre démocratie sont des objectifs tout aussi importants pour le Kremlin. Pour y parvenir, le Kremlin surveille, cerne et exploite les questions nationales les plus polarisantes, puis diffuse, légitime et amplifie les voix et les récits des extrêmes — tant à gauche qu’à droite — afin d’exercer une tension maximale sur notre tissu social jusqu’à ce qu’il commence à se déchirer.

Nous le savons parce que nous en avons des preuves concrètes : ces tactiques émanent directement de l’administration présidentielle russe et du conseiller le plus écouté de Vladimir Poutine, Sergei Kiriyenko.

En septembre, une déclaration sous serment dévoilée par le FBI a révélé les détails de réunions officielles entre Kiriyenko et des agents du Kremlin chargés de mener ces opérations. Leurs objectifs étaient notamment de fomenter la colère, la haine et la division au sein des sociétés occidentales et d’inciter au conflit au moyen de la désinformation afin de servir les intérêts russes.

Les principales directives du Kremlin communiquées lors de ces réunions comprenaient la surveillance régulière des médias occidentaux afin de répertorier et d’exploiter les sujets polarisants, le ciblage des activistes et des journalistes en minant leur crédibilité, la création de faux documents, d’hypertrucages et de contenus audio fabriqués pour inciter au conflit, mais aussi le recrutement d’influenceurs occidentaux pour amplifier les messages alignés sur le Kremlin.

Nous disposons désormais de nouvelles preuves de la manière dont ces opérations sont menées. Le récent acte d’accusation du département de la Justice des États-Unis a identifié deux influenceurs canadiens de premier plan sur les médias sociaux auxquels le Kremlin aurait versé 10 millions de dollars américains pour créer la plateforme en ligne Tenet Media. Cette opération aurait été contrôlée par des employés des médias d’État russes de RT, une plateforme contrôlée par le gouvernement russe qui a été désignée par Affaires mondiales Canada et le département d’État américain comme un élément clé de l’appareil du renseignement russe.

Le contenu financé par RT a été amplifié par les réseaux de médias sociaux, y compris par des influenceurs majeurs comme Elon Musk qui aurait retransmis le contenu de Tenet Media au moins 60 fois à ses 206 millions d’abonnés.

Ce serait une erreur de supposer que les contenus produits par ces influenceurs qui ne sont pas explicitement pro-russes ne servent pas les objectifs de la guerre de l’information du Kremlin.

Les contenus antigouvernementaux, antimédias, anti-immigrés et anti-LGBTQ qu’ils génèrent contribuent aux objectifs du Kremlin visant à éroder notre cohésion sociale. Ces opérations transcendent les frontières géographiques, comme Pekka Kallioniemi l’a souligné et elles semblent fonctionner, comme Frank Graves l’a démontré.

Le Kremlin sélectionne explicitement des influenceurs tels que ceux impliqués dans Tenet Media pour leur capacité à joindre de vastes auditoires et pour l’alignement de leurs opinions et de leurs messages sur les objectifs du Kremlin.

Que peut-on faire? La bonne nouvelle, c’est que nous disposons d’outils tels que les sanctions pour décourager ces opérations. Par exemple, RT a été placée sur la liste des sanctions du Canada en 2022, ce qui rend toute collaboration avec elle illégale.

L’acte d’accusation américain indique que des fonds de RT ont afflué sur des comptes bancaires canadiens en 2023. Toute violation potentielle doit faire l’objet d’une enquête et de poursuites, ce qui est essentiel à l’intégrité et à l’effet dissuasif de nos sanctions. La mise en œuvre en bonne et due forme du projet de loi C-70 et le Registre canadien pour la transparence en matière d’influence étrangère devraient aussi être utiles. Nous disposons également d’outils tels que l’ouvrage intitulé Vatnik Soup de Pekka Kallioniemi qui révèle la présence de plusieurs influenceurs d’obédience russe au Canada.

La mauvaise nouvelle, c’est que l’affaire Tenet Media n’est que la partie émergée de l’iceberg. Des universitaires et des extrémistes canadiens d’extrême gauche et d’extrême droite continuent de collaborer avec des médias d’État russes, comme RT et avec des groupes de réflexion contrôlés par le Kremlin, comme le Valdai Club de Vladimir Poutine et le Russian International Affairs Council.

En conclusion, la menace est évidente. Les espaces d’information et la souveraineté cognitive du Canada sont attaqués par les opérations de renseignement russes. Une prise de conscience croissante de la menace est un début.

Nous devons cesser d’admirer le problème et nous concentrer sur la perturbation, la prévention et la dissuasion de ces opérations afin de protéger notre démocratie et notre société.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Kolga.

Notre dernier témoin est M. Brian McQuinn. Monsieur McQuinn, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre participation.

Brian McQuinn, co-directeur, Centre sur l’intelligence artificielle, les données et les conflits et professeur agrégé, Département de politique et d’études internationales, Université de Regina, à titre personnel : Je vous remercie de l’honneur qui m’est fait d’être ici.

J’aimerais aborder trois points qui me semblent importants. Je vais adapter un peu ce que j’allais dire en fonction de ce que mes estimés collègues ont déjà dit.

Il y a trois choses que je souhaite examiner : premièrement, qu’est-ce qui nous attend dans les deux prochaines années? Nous sommes à la veille d’atteindre un point de basculement dans l’ère des opérations d’influence.

Deuxièmement, je veux examiner la fin de la recherche sur l’extrémisme de droite. Certains de mes collègues ont été trop polis, d’une certaine manière, pour en parler, mais c’est important.

Enfin, je me pencherai sur les détails du fonctionnement des opérations d’influence russes au Canada, sur l’impact et les mécanismes qui sont au cœur des questions posées par les sénateurs. Je vais évoquer nos constatations issues de l’une des études les plus importantes menées ici au Canada.

Comme mes collègues l’ont mentionné, les opérations russes et les influenceurs étrangers utilisent continuellement les plateformes numériques et nos libertés démocratiques pour miner la confiance sociale, polariser les communautés et éroder la confiance dans les institutions. C’est un lieu commun que nous entendons tout le temps.

Dans tout cela, on oublie souvent la mesure dans laquelle ils sont capables d’orienter le discours public. La formulation des enjeux et, en tant que professeur, la façon dont les étudiants sont influencés et les idées qu’ils ont en tête au départ — l’un des précédents Présidents a parlé de l’idée que la première histoire entendue, la première explication est souvent celle qui reste. C’est un sujet que nous allons aborder. J’espère que nous nous y attarderons un peu.

La première chose dont je veux parler est la raison pour laquelle nous sommes sur le point d’assister à un point de basculement dans les opérations d’influence.

De plus en plus, depuis qu’Elon Musk a pris le contrôle de Twitter, maintenant X, et qu’il a viré toutes les équipes chargées de la confiance et de la sécurité, les autres plateformes ont commencé à lui emboîter le pas. Remarquez qu’il n’en a pas payé le prix. Le gouvernement américain ne s’est pas interposé en disant qu’il allait intervenir.

Tout compte fait, la modération n’existe tout simplement pas, non seulement en Amérique du Nord, mais surtout en dehors de l’Amérique du Nord. Je donne de nombreux exemples dans les questions où nous pouvons parler de l’étendue de cette absence, ce qui signifie que nous sommes sur le point de vivre l’anarchie, et ce, depuis l’année dernière environ.

L’investiture de Donald Trump à la fin de janvier va donner un coup de fouet à la plus grande opération d’influence de la Russie dans le monde. Le parti républicain retransmet et amplifie plus de messages russes que n’importe quel autre écosystème dans le monde, et il est de loin le plus important. Cette opération va prendre une ampleur mondiale dont personne ne soupçonne l’impact. Nous sommes en terrain inconnu.

De plus en plus, les chercheurs du monde entier — mais surtout aux États-Unis, et j’y reviendrai plus en détail dans un instant — ne peuvent pas étudier les données des médias sociaux elles-mêmes. Les plateformes coupent l’interface de programmation d’applications, ou API.

Nous vivons de plus en plus dans un monde multipolaire. Avec la montée en puissance de la Chine comme prétendant de force presque égale, qui détient la vérité, et selon la mesure dans laquelle cela va se jouer, ces quatre éléments différents vont se conjuguer pour créer une période à laquelle je ne pense pas que quiconque soit préparé.

Le deuxième point que je souhaite aborder est la mesure dans laquelle la recherche sur les opérations d’influence a pratiquement cessé aux États-Unis. Il y a évidemment une énorme communauté de chercheurs, mais grâce à diverses méthodes — qu’il s’agisse des Républicains qui font témoigner des gens au Congrès —, la plupart des chercheurs ont essentiellement cessé leurs activités.

L’exemple le plus extrême est celui du centre de recherche sur la mésinformation de l’Université de Stanford, le Stanford Internet Observatory, qui a été fermé en raison de contestations juridiques et du simple fait d’être harcelé par les élus républicains. C’est efficace. On limite ainsi les sujets d’étude. C’est une occasion pour les chercheurs canadiens. Nous sommes parmi les rares à pouvoir le faire. Nous produisons des recherches qui, du moins aux États-Unis, sont très appréciées. Il y a là une occasion à saisir. Les Canadiens pourraient s’estimer aptes à faire grandement progresser les connaissances sur le sujet.

En pratique, comment font-ils? Nous avons étudié 200 000 comptes Twitter basés au Canada, mais dont l’ensemble de l’écosystème permettait de mener des campagnes d’influence russe adaptées aux Canadiens. Nous avons cherché à savoir comment ils s’y prenaient.

Comme les témoins précédents l’ont dit, ils ont ciblé à la fois l’extrême gauche et l’extrême droite, mais seulement dans un rapport de deux pour un. En fait d’impact, ils constituent dans cette communauté l’une des communautés en ligne les plus actives du Canada.

Nous l’avons comparée à l’écosystème en ligne des députés et nous avons constaté que l’écosystème de l’influence russe produisait 27 fois plus d’engagement que l’écosystème entourant les députés.

Notre constatation la plus importante est que 83 % de l’écosystème est composé de Canadiens moyens. C’est à la fois une occasion et un défi. Cela nous montre que nous avons la capacité d’exercer une influence importante sur la façon dont les choses se déroulent. En même temps, les Canadiens moyens le font souvent sans s’en rendre compte.

Le dernier point que je souhaite aborder est simplement que, dans les trois mois précédant l’invasion, nous avons vu tripler le nombre de campagnes et d’informations ciblant les Canadiens en préparation de l’invasion.

Le président : Merci, monsieur McQuinn.

Nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues. Comme d’habitude, nous limiterons chaque question, y compris les réponses, à quatre minutes. Posez des questions succinctes et dites à qui elles s’adressent. La première question revient à notre collègue et vice-président du comité, le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Graves. Les recherches ont montré une nette différence des valeurs sociales entre le Québec et le reste du Canada. Vous venez vous-même de dire qu’il y a une différence évidente entre les réactions des personnes qui sont vaccinées et celles qui ne le sont pas. Pensez-vous que la désinformation russe peut s’adapter de façon efficace à la population des différentes régions du Canada? Si oui, avez-vous des exemples du type de messages qu’ils peuvent utiliser de façon variable, notamment au Québec, en Ontario, en Alberta ou en Colombie-Britannique?

[Traduction]

M. Graves : Oui, les méthodes sont adaptées aux groupes démographiques et aux régions. Elles sont ciblées.

Par exemple, nos recherches au Québec suggèrent que les Québécois sont moins susceptibles d’apparaître dans le spectre, plus susceptibles d’apparaître au milieu des niveaux de désinformation, ce qui est une constatation positive.

Cependant, nous constatons également d’énormes différences dans la manière dont les différents segments de notre société sont touchés et par quels médias. Par exemple, nous avons constaté que parmi toutes les plateformes de médias sociaux, YouTube était de loin la plus efficace et la plus répandue.

Les jeunes hommes, d’ailleurs, présentent un niveau de désinformation extrême quatre à cinq fois supérieur à celui des jeunes femmes. Beaucoup d’entre eux, voire la plupart, sont sur YouTube tous les jours pour obtenir de l’information pilotée par des algorithmes qui s’ajustent en fonction de ce qu’ils ont regardé, et c’est extrêmement efficace.

Le problème, c’est que si vous dites que nous pouvons peut-être combattre cela ou leur parler, ils vivent dans un monde insulaire où toutes les autres sources de données sont considérées comme de « fausses nouvelles » et ils ne les consomment pas vraiment.

Nous avons découvert une relation intéressante selon laquelle votre niveau de confiance dans votre connaissance de l’information que vous pensez être vraie est curviligne. Les personnes qui répondent correctement à la plupart des questions, ce qui est heureusement le cas d’environ la moitié des Canadiens, sont assez confiantes dans leur capacité à faire le tri. En revanche, les 7 % qui sont radicalisés et qui croient toutes les questions que nous leur posons, qui sont assez simples, affichent des niveaux de confiance encore plus élevés.

J’aimerais souligner également que nous n’avons pas beaucoup parlé du lien entre ces tactiques et les élections. Nos recherches montrent que le prédicteur peut-être le plus puissant de vos enjeux préférés et prioritaires et de vos choix partisans est lié aux niveaux de désinformation, ce que nous n’aurions pas vu il y a cinq ans.

Vous constaterez que l’appétit pour la lutte contre les différents types de désinformation — et les Russes sont très bons dans ce domaine, peut-être les meilleurs — est tempéré parce que la voie du succès politique est de plus en plus pavée de désinformation, ce qui fait que quiconque dit que nous allons essayer d’y mettre fin — soit dit en passant, le mandat des Canadiens eux-mêmes est écrasant. Indépendamment de leurs allégeances politiques ou de leur idéologie, environ 90 % des Canadiens disent que nous ne devrions vraiment pas laisser ce genre de choses exister en politique; nous ne devrions pas utiliser l’IA générative pour produire de fausses nouvelles; tous ces contenus devraient être marqués d’un filigrane numérique et ainsi de suite.

Il y a un fort consensus et aussi une forte dose d’impatience et d’insatisfaction chez les Canadiens, qui estiment que nous n’avançons pas assez vite, que nous sommes trop lents. Ils regardent des choses comme la législation européenne sur les services numériques et certaines des mesures qui sont en cours en Australie — je n’ai pas testé celle-ci — et ils disent : « Pourquoi sommes-nous si lents à agir dans ce domaine? »

Je vous demande, en tant que décideurs, de réfléchir aux moyens d’accélérer notre réaction.

Le sénateur Kutcher : Merci à tous d’être venus. J’ai deux questions, une pour M. Kolga et M. McQuinn, et une autre question pour M. Graves, mais je vais les poser en même temps et vous demander d’y répondre.

La première question s’adresse à MM. Kolga et McQuinn. D’autres témoins nous ont dit que le Canada ne disposait pas d’une stratégie globale et efficace pour contrer la désinformation russe. À votre avis, que pourrait faire le Canada qu’il ne fait pas actuellement et qui pourrait nous être utile?

Je m’adresse ensuite à M. Graves. J’ai récemment rédigé un document sur les options politiques et les attaques de troll ont été très intéressantes. J’ai regardé les pseudonymes Twitter de ces personnes et ils se regroupent avec la désinformation sur la santé, le déni du changement climatique, diverses théories du complot, anti-LGBTQ+ et pro-Russie contre l’Ukraine. C’est le genre de grappes qui se forment.

La question est la suivante. Ces cibles font-elles partie de la campagne de désinformation de la Russie? Les Russes ciblent-ils ces domaines précis dans leur campagne de désinformation?

M. Kolga : Je surveille, analyse et dénonce la désinformation russe depuis une quinzaine d’années. Je pense qu’au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons fait beaucoup de progrès dans la réponse gouvernementale. Affaires mondiales Canada et le mécanisme de réaction rapide sont devenus extraordinairement efficaces et courageux en dénonçant les récits de désinformation russe, en les expliquant et en les décomposant pour les Canadiens afin que ceux-ci les comprennent. Pour le Canadien moyen, je pense que c’est une étape importante dans la résolution de ce problème. Nous pourrions en faire beaucoup plus. Nous pourrions regarder ce qui se fait en Finlande. Je crois que le témoin précédent, Pekka Kallioniemi, a décrit la stratégie de la Finlande en matière de médias numériques pour ce qui est des jeunes et de l’éducation. Nous pourrions nous inspirer de la Suède, qui a mis sur pied une agence de défense psychologique au cours des 18 derniers mois chargée de traiter ces questions.

Nous avons besoin d’une plus grande coordination au sein du gouvernement et, encore une fois, l’éducation doit en faire partie.

M. Graves : La Finlande est un excellent exemple, car dans les tests mondiaux portant sur la propension à être victime de désinformation, elle est en première place. La Finlande va dans les classes, dans les jardins d’enfants, et montre des vidéos TikTok qui sont spécieuses et fallacieuses, et encourage les compétences très tôt dans la vie.

Un des points que je souhaite souligner est que la désinformation, en particulier celle qui est modérément menée, a une certaine plasticité. J’ai constaté que même en revenant vers les personnes interrogées qui ont manifesté des formes importantes de désinformation et en expliquant que cela ne peut pas être vrai à cause de ceci et de cela, un grand nombre d’entre elles diront : « Vous savez quoi? Je pense que vous avez raison. » Mais nous n’avons pas les contacts nécessaires. Nous n’avons pas de plateforme. Nous ne parlons pas aux bons endroits, et ils ne regardent pas les endroits où nous essayons de faire passer ces messages.

Nous améliorons un peu notre technologie pour comprendre quelles méthodes seront utiles. Je ne connais pas les limites. C’est très clair pour moi et, en fait, j’ai trouvé ironique de découvrir que les personnes non vaccinées étaient 52 fois plus susceptibles de penser que nous ne devrions rien faire en Ukraine. Ce résultat a été publié dans le Washington Post à l’époque et dans Russia Today. Russia Today, bien sûr, a dit : « Regardez, ces gens qui n’ont pas été dupés pour prendre le vaccin comprennent en fait que nous avons vraiment le droit d’être en Ukraine » et ainsi de suite.

Ce qui est troublant, c’est que ces problèmes se sont aggravés avec le temps. Le nombre de personnes qui ont une opinion négative sur l’Ukraine et notre participation à l’OTAN est encore minoritaire, mais il augmente — c’est très inquiétant —, ce qui suggère que nous ne sommes même pas en train de faire du surplace sur ce front. Il y a d’autres grands...

Le président : Monsieur Graves, vous devez conclure pour donner une chance à vos collègues, désolé.

M. McQuinn : Merci beaucoup. M. Graves faisait partie de l’équipe qui a produit le rapport dont j’ai parlé tout à l’heure, je laisserai donc ses observations sur l’approche pangouvernementale.

Du côté des chercheurs, je pense qu’il est important de prendre conscience du pouvoir qu’on a — par exemple, le Brésil s’est récemment opposé à Elon Musk et il a gagné. Ils l’ont banni. Toutes sortes de choses ont été dites, mais très discrètement, ils ont payé leur amende et banni les comptes. Qu’est-ce qui empêcherait le Canada d’adopter une position semblable, en disant : « Si vous ne donnez pas aux chercheurs canadiens, ou aux chercheurs en général, l’accès aux données de nos Canadiens sur vos plateformes, nous n’autoriserons pas ces plateformes au Canada »?

Cela ne semble pas être une demande déraisonnable, mais ce serait une position assez sérieuse, et il est évident qu’il en résulterait probablement de nombreuses réactions politiques. Je pense que c’est l’un des éléments importants qu’il faut toujours dire : sans données, nous ne pouvons pas vous dire ce qui se passe, et de plus en plus, les plateformes nous empêchent de vous le dire.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur Graves, je vous écoutais plus tôt et vous utilisez de façon indistincte — je n’ai pas vu la distinction — les termes « mésinformation » et « désinformation », comme si c’était la même chose, alors que ce sont deux termes différents. Vous avez parlé des gens qui n’ont pas été vaccinés, comparativement à ceux qui s’opposent à la guerre ou qui s’opposent à la question de l’Ukraine. Comment pouvez-vous établir une corrélation de cause à effet? Vous ne savez pas ce qu’ils ont utilisé comme sources d’information. Je connais plusieurs personnes qui ont refusé de se faire administrer le vaccin; il s’agissait davantage d’un trait de personnalité ou d’une personne qui estimait que cela concernait de sa liberté individuelle et ce qui était bon pour elle.

D’autre part, sur d’autres sujets, comme la guerre en Ukraine, une personne peut penser : « Qu’allons-nous faire là? Ça ne me donne rien à moi. » Ce n’est pas une question de désinformation ou de personnes qui ont été victimes de mésinformation, car il s’agit de deux choses différentes, mais plutôt un trait de personnalité de la personne. J’ai de la difficulté à voir comment vous faites le lien avec cela.

[Traduction]

M. Graves : Tout d’abord, en tant que chercheur et statisticien, voir des choses qui ne sont pas un peu plus élevées, pas 2 fois plus élevées, pas 10 fois plus élevées, mais 52 fois plus élevées, je n’ai jamais vu ce genre de relations. Je n’ai pas mené d’expérience d’assignation aléatoire contrôlée et je ne peux donc pas être absolument certain de l’influence causale. Soit dit en passant, cette étude a également été triangulée dans des échanges avec des experts européens qui surveillent l’ingérence russe dans les campagnes électorales et qui le font très sérieusement, et ils ont dit que cela faisait exactement écho aux problèmes qu’ils avaient étudiés. Ils ont dit qu’il s’agissait d’un écho des problèmes qu’ils avaient étudiés et qu’ils avaient fait des recherches approfondies.

En ce qui concerne la différence entre la désinformation et la mésinformation, d’un point de vue pragmatique, c’est la même chose. Un répondant ou un citoyen ne sait pas s’il s’agit de désinformation ou de mésinformation. Il y a désinformation lorsque la personne qui fournit le renseignement sait qu’il est faux. Si je vous demande à quelle heure arrive le bus et que je dis, par hasard, « Je pense qu’il arrive dans 10 minutes », c’est de la désinformation. C’est de la mésinformation si le bus arrive dans 15 minutes, mais si je vous dis cela alors que je sais qu’il arrive dans 20 minutes et que vous manquez votre bus, c’est de la désinformation.

Le fait est que lorsque nous interrogeons les Canadiens sur ces différences, ils sont cinq fois plus préoccupés par l’effort conscient de tromperie par la désinformation que par la mésinformation. Ils établissent très clairement ces distinctions. Je ne porte aucun jugement moral sur ceux qui ont décidé de se faire vacciner ou non. En tant que membre du groupe de travail fédéral sur la confiance dans les vaccins, je voulais que tout le monde se fasse vacciner parce que les vaccins sont sûrs et efficaces, etc.

Je pense également, et j’insiste sur ce point, qu’il soit important que cette partie de notre société — qui est de plus en plus importante, est affectée et se laisse séduire par le charme de la désinformation — ne soit pas mise au pilori ou ridiculisée. Cela ne sert à rien. Les rejeter comme un panier de déplorables ou une frange radicale ajoute de l’énergie émotionnelle au feu qui a créé les conditions pour lesquelles ils sont réceptifs à la désinformation en premier lieu. Nous devons être prudents à cet égard, tout en sachant que nombre des prescriptions qu’ils recommandent ne seraient pas dans l’intérêt de notre économie, de notre démocratie ou de la santé publique, par exemple.

D’ailleurs, les mesures que j’utilise sont tirées de la documentation internationale. J’essaie d’être très prudent dans la manière dont je les sélectionne. Je ne prends rien dont je ne connais pas la réponse. Je prends les choses et je les évalue sur une échelle allant de « plutôt vrai » à « surtout vrai ». On n’obtient pas de points, et si l’on ne sait pas, on obtient encore moins de points.

Voici un exemple de question : les gouvernements dissimulent-ils intentionnellement le nombre réel de décès dus aux vaccins? Je sais comment ces données sont assemblées et quels sont les effets indésirables, et je sais que le nombre de personnes décédées se situe entre 4 et 400. Pour que quelque chose soit enregistré en partant du niveau des médecins, puis des hôpitaux, des municipalités, des provinces et du gouvernement fédéral, il faudrait la collusion de milliers de fonctionnaires à différents ordres de gouvernement pour arriver à une action intentionnelle de dissimulation du nombre réel de vaccins. En clair, ce n’est pas vrai, mais 30 % des Canadiens pensent que c’est vrai.

Cette panoplie de tromperie et de désinformation s’étend à de nombreux autres domaines. Je ne veux pas entrer dans tous les exemples, mais dans tous les cas, nous prenons soin d’emprunter des questions qui sont tirées de la littérature internationale afin de pouvoir les comparer à celles d’autres pays pour voir s’il y a des différences. Il s’agit également de questions dont je connais vraiment les réponses. Je les teste formellement à l’aide de mesures de fiabilité et de validité, et elles donnent de très bons résultats.

La sénatrice Patterson : Monsieur Graves, cette question s’adresse à vous. Ce qui est intéressant, c’est que de nombreux Canadiens veulent que nous ne fassions rien à ce sujet, alors qu’aucun d’entre eux ne pense qu’il y a un problème; nous avons donc un drôle de paradoxe ici. Une chose que nous ne faisons pas très bien en tant que Canadiens, c’est interpréter les données. Nous prenons un point de données et le rendons causal, par exemple. Comme vous l’avez dit, il y a de la désinformation et de la mésinformation, et l’un des outils que nous utilisons est de nous concentrer sur le nombre de 400 décès dus aux vaccins, par exemple. Que pouvons-nous faire pour aider les Canadiens à mieux s’informer? Encore une fois, le centre de gravité ici, c’est d’essayer de comprendre les données qu’ils lisent et d’avoir un contexte pour les accompagner.

M. Graves : C’est une excellente question et, tout d’abord, j’aimerais souligner qu’il y a trois ans, le Canada, qui se trouve aujourd’hui plongé dans les plus faibles degrés de confiance dans le gouvernement que nous ayons jamais vus, avait en fait atteint son niveau le plus élevé en 30 ans. Nous avons dû nous poser la question : « Pourquoi cela s’est-il produit? » Cela s’est produit parce que le Canada s’est extraordinairement bien débrouillé dans le déploiement du vaccin, de la Subvention salariale d’urgence du Canada, de la Prestation canadienne d’urgence et ainsi de suite. Avec le recul, ces mesures sont un peu plus ouvertes à la critique, mais à l’époque, elles étaient considérées presque unanimement comme bonnes, quand il s’agissait de problèmes de vie ou de mort que les personnes ne pouvaient pas affronter seules et que le secteur privé n’allait pas gérer seul; c’était donc un rôle parfait pour le gouvernement. Les citoyens ont récompensé le gouvernement en lui accordant une confiance inégalée depuis 30 ans et en lui confiant la direction du pays, ce qui s’est effondré au cours des trois dernières années. Je dirais que cela est dû en grande partie aux effets corrosifs de ces campagnes de désinformation accélérées, qui affaiblissent et diminuent le degré de confiance envers les institutions.

Voici un petit exemple. Je me suis penché sur des données rétrospectives concernant les élections américaines. Cinquante-deux pour cent des personnes ayant voté pour Donald Trump pensaient que les Haïtiens enlevaient des chiens et des chats et les mangeaient. Cela semble amusant, sauf que beaucoup de ces personnes n’auraient pas voté si elles n’avaient pas été convaincues de la véracité de ces propos. Nous devons nous demander dans quelle mesure c’est amusant, mais perturbe en réalité le résultat des élections dans les sociétés occidentales avancées. C’est une question sur laquelle nous devons nous interroger.

La sénatrice Patterson : Puis-je transmettre cela aux autres témoins présents aujourd’hui? Monsieur McQuinn, vous avez parlé des étudiants qui commencent des études universitaires et qui vont faire des recherches, publier des opinions et accéder à des postes d’influence dans le milieu universitaire. Comment pouvons-nous aborder cette question? Comment cette question est-elle abordée dans les universités? Parce que nous n’entendons pas ce qu’il y a de mieux à ce sujet de notre côté.

M. McQuinn : C’est une réponse compliquée. Il y a deux choses qu’il est important de souligner. La première est que nous nous éloignons de plus en plus — et M. Kolga peut également en parler — de la notion de désinformation et de mésinformation pour nous tourner vers la notion de campagne d’influence et de campagne de répression. Nous prenons en compte les objectifs à atteindre. Les campagnes d’information les plus efficaces utilisent en fait une combinaison de vérités, de demi-vérités et de mensonges. Nous avons réalisé une étude sur l’influence des talibans avant la prise de pouvoir en Afghanistan. Nous avons examiné l’ensemble de l’écosystème, soit plus de 150 000 comptes, et nous leur avons demandé de quoi ils parlaient. Tout le monde pensait qu’il s’agissait de désinformation. Il s’est avéré que ce n’était qu’une petite partie. Ils parlaient vraiment des lieux qu’ils avaient pris et les présentaient comme des endroits paisibles, chimériques. C’était en partie vrai, donc vous voyez que leur capacité à façonner la situation était une combinaison de ces éléments.

Pour revenir aux questions précédentes concernant les objectifs des Russes, la manière dont ils les utilisent et la question de savoir s’il s’agit de désinformation, cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, ce sont les résultats. Comme nous le voyons avec les étudiants, ils arrivent avec un ensemble de cadres qui correspondent à ce que les opérations d’influence russes aimeraient voir. Je pense que c’est là l’essentiel.

Que faisons-nous? M. Kolga a déjà parlé d’étudier la question à l’école intermédiaire. Beaucoup de pays le font dès l’école intermédiaire, sans attendre l’université. À ce stade, nous avons des gens qui arrivent et qui ont déjà une vision du monde, que nous devons ensuite, je ne dirais pas déconstruire, mais informer davantage, et ils doivent commencer à réfléchir à la manière dont ils vont naviguer dans ce monde.

En tant qu’État démocratique, nous sommes toujours désavantagés — je pense qu’il est toujours important de s’en souvenir — parce que nous travaillons plus lentement et que nous ne pouvons pas attaquer avec les mêmes mécanismes de mensonges purs qu’eux, de sorte que nous serons toujours désavantagés. L’approche doit être plus structurelle, car on ne peut pas réagir de la même manière, œil pour œil, dent pour dent. Il faut une approche beaucoup plus structurelle et holistique qui ne sera jamais aussi réactive.

Le président : Je suis désolé, monsieur Kolga. Nous devrons revenir à vous au deuxième tour.

Le sénateur Cardozo : J’ai une question pour vous trois, alors si vous pouvez prendre une minute chacun, ce serait bien.

Vous avez parlé du fait que la Russie est très proche des républicains, et je ne comprends pas comment cela a pu se produire par rapport à il y a 10 ans, mais nous y voilà. Est-ce que cela peut se produire ici? Nous constatons, comme l’a dit le groupe précédent, qu’il y a des liens entre la Russie et Rebel News. C’est la première question. La deuxième est la suivante : comme de nombreux médias traditionnels — radio, télévision ou presse écrite — sont en train de disparaître, le radiodiffuseur public, CBC/Radio-Canada, devient-il de plus en plus important?

M. Graves : J’aimerais bien répondre à cette question, si possible, parce que je l’ai étudiée et qu’elle est carrément prise dans le tourbillon de la désinformation. Seul un quart de la population environ souhaite supprimer CBC/Radio-Canada. C’est l’organe d’information qui jouit de la plus grande confiance, et de loin. Les gens disent que la société offre un bon rapport qualité-prix. Je leur dis quel en est le prix.

Lorsque j’évalue cela sur le continuum des questions auxquelles les gens se sont trompés et qui n’ont rien à voir avec la CBC/Radio-Canada, le genre de questions dont je viens de parler, cela permet énormément de prédire s’ils pensent que nous devrions cesser de financer CBC/Radio-Canada ou non. Nous constatons, par exemple, que ceux qui écoutent régulièrement CBC/Radio-Canada ou d’autres grands médias d’information sont en fait moins susceptibles de le penser.

Je voudrais insister rapidement sur le rôle de l’éducation à l’université, car de toutes les données démographiques, c’est le meilleur indicateur, et la prophylaxie contre la désinformation consiste à développer des compétences de raisonnement critique. Il y a toutes sortes de raisons à cela, mais voici une petite statistique. Au début de ce siècle, lorsque j’ai demandé aux gens : « Pensez-vous qu’une formation universitaire est un bon investissement économique? » 85 % des Canadiens répondaient par l’affirmative. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40 %. Je dirais que c’est lié à cette même polarisation et à cette crise épistémique où nous n’avons plus seulement le droit d’avoir nos propres opinions, mais nous pouvons avoir nos propres faits. Nous pouvons tous avoir nos propres faits. C’est vraiment inquiétant, et ce problème s’inscrit parfaitement dans l’autre problème.

M. Kolga : Très rapidement, je ne classerais pas Rebel News dans la catégorie des médias conservateurs. C’est un média populiste illibéral qui adopte essentiellement l’approche du boyau d’incendie et pousse les renseignements dans une chambre d’écho. Il n’épouse aucune valeur conservatrice traditionnelle.

En ce qui concerne les conservateurs, je pense qu’il faut rappeler que les médias d’État russes ont, depuis 2014, ciblé des députés conservateurs. Stephen Harper a été une cible importante. Andrew Scheer a été une cible. Chris Alexander et Jason Kenney, et même Shuvaloy Majumdar, un député plus récent, a été la cible des opérations d’information russes et de leurs positions sur l’Ukraine.

Je dirais également que la Russie cible aussi l’extrême gauche au Canada. Grayzone News. Un des intervenants précédents a mentionné Global Research. Ce sont des plateformes avec des abonnés importants, donc ils exploitent les deux côtés, l’extrême gauche et l’extrême droite, et ce qu’ils font, c’est transformer l’information en arme. Nous avons parlé plus tôt de désinformation et de mésinformation. En ce qui concerne la Russie, ce n’est que la manipulation de l’information et la transformation de l’information en arme pour, encore une fois, éroder la cohésion de notre société et fausser notre perception du monde qui nous entoure.

Je ne pense pas que la désinformation et la mésinformation, ces deux termes, jouent un rôle quelconque lorsque nous parlons des opérations d’information russes ciblant les Canadiens.

M. McQuinn : Juste un point, parce que je suis d’accord avec tout ce qu’a dit M. Kolga. Quand j’ai dit « républicains », j’aurais probablement dû dire « Donald Trump », parce que je pense qu’à certains égards, la structure républicaine classique aurait réagi très différemment, et c’est ce que nous voyons. C’est important. Je pense qu’il est erroné d’appeler cela un parti républicain. C’est désormais le parti Trump.

Il est vraiment important que nous l’identifiions. Les Russes n’ont ni droite ni gauche. Ils n’ont pas non plus, nécessairement, de préférence. Tout ce qui les intéresse, c’est de savoir comment amplifier le plus possible le discours. Une des choses que j’ai trouvées les plus intéressantes est une étude réalisée il y a quelques années sur le discours en ligne de Black Lives Matter. La majorité des partisans les plus fervents et les plus enragés des deux camps étaient en fait des agents russes. Ils amplifiaient le discours des deux camps, ce qui a été clairement démontré. Ce n’est pas la politique qui est importante, mais l’impact et la capacité de l’utiliser.

Je terminerai par une dernière idée. Ce que les Russes font et ce qu’ils ont découvert, c’est que si l’idée qu’ils propagent est étroitement liée aux collectivités dans lesquelles ils la propagent, elle est plus efficace. Chaque jour, ils diffusent différentes choses — la plupart d’entre elles ne fonctionnent pas, mais quelques-unes deviennent virales. C’est une sorte de rotation des thèmes qui sont diffusés. Ils n’en font pas qu’un seul. Ils les diffusent de manière tout à fait extraordinaire.

Le président : Votre temps est écoulé. Je vous revois au deuxième tour. Sénatrice Dasko. J’essaie d’être juste envers tout le monde.

La sénatrice Dasko : Merci, monsieur le président.

J’ai une question pour MM. Graves et Kolga. Le thème de la polarisation a souvent été abordé. Nous avons entendu parler de la polarisation des enjeux dans notre conversation d’aujourd’hui. Nous avons entendu parler de la polarisation démographique. Vous avez mentionné les jeunes. Il y a aussi les théories du complot. Il y a beaucoup de couches à la polarisation. Monsieur Kolga, vous avez parlé de polarisation aussi. J’essaie juste de comprendre à quoi ressemble cette polarisation — il y a beaucoup de corrélations entre les points de vue qui sont polarisés.

Est-ce une population dont la distribution est, disons, bimodale? Est-ce cela que nous observons? Ou est-ce un certain segment qui se situe à une extrémité, où toutes ces idées — permettez-moi de les qualifier de folles, c’est la seule façon pour moi de les décrire — se rejoignent, et c’est le segment polarisé, et tous les autres sont dispersés dans différents modes de pensée? Cette question a-t-elle un sens?

M. Graves : Je peux essayer de répondre rapidement à cette question. J’ai étudié la question avec beaucoup d’attention, et il y a une progression monotone avec notre indice sur différentes choses, les enjeux, par exemple.

Par exemple, si je prends la question « Dans quelle mesure le changement climatique est-il une priorité importante? » Je constate que sur les 40 à 50 % de Canadiens — cela dépend, car je fais varier les échelles de temps en temps — qui répondent correctement à toutes les questions, 90 % déclarent que c’est une priorité très importante. Chez les personnes modérément désinformées, ce chiffre tombe à 70 %, par exemple. Pour les personnes plus désinformées, ce chiffre tombe à 40 %. Lorsque je passe au groupe le plus désinformé, qui se trompe dans la plupart des questions, le pourcentage est de 3 %. On passe donc de 85 % de personnes qui disent « C’est une priorité importante, c’est une crise existentielle pour notre pays » à 3 % à la polarité; et ce genre de répartition incroyablement puissante est quelque chose que nous voyons dans un large éventail d’enjeux, et je n’ai jamais vu cela par le passé.

La sénatrice Dasko : Mais il y a une immense corrélation entre toutes ces opinions.

M. Graves : Oh, oui.

La sénatrice Dasko : Eh bien, la désinformation est mesurée par une série de questions, mais nous avons ensuite une polarisation sur toute une série d’enjeux qui sont en corrélation avec cela, est-ce bien ce que vous dites?

M. Graves : Exactement. Cela empêche vraiment d’avoir un cadre consensuel pour aborder certains des enjeux importants de notre époque, parce qu’il y a des degrés incroyables de polarisation — et, soit dit en passant, ce genre de polarisation se transforme non seulement en « Je ne suis pas d’accord avec vous sur cette question », mais devient ce que nous appelons une polarisation affective : « Je ne vous aime pas, je ne veux pas que vous viviez dans ma rue, je ne veux pas que vous sortiez avec ma fille. » C’est une forme particulièrement insidieuse de polarisation, qui paralyse notre cohésion sociale, notre respect envers notre prochain et nos concitoyens, et c’est quelque chose qui n’existait pas à ce point il y a 5 ou 10 ans.

La sénatrice Dasko : Quel pourcentage de la population se trouve dans ce segment extrême, diriez-vous?

M. Graves : Environ 7 %. Oui, ils sont radicalisés. Ils partagent en fait certaines caractéristiques. Ils recherchent le chaos et manquent de conscience professionnelle. Ainsi, lorsque nous leur posons des questions comme « J’aime beaucoup voir des catastrophes dans des pays étrangers », ils répondent « Oui ». Ce groupe n’est pas particulièrement accessible. Ce qui nous préoccupe, c’est le degré de contamination des autres. Mais le groupe qui se situe entre 40 et 50 %, qui est modérément... il y a beaucoup de plasticité. Ils changeront d’avis. En fait, lorsque je fais une analyse longitudinale transversale — longitudinale des mêmes personnes, à la section transversale, il semble que rien ne change. Lorsque nous avons mesuré ces renseignements à différents moments, à sept mois d’intervalle, la moitié des personnes ont changé d’avis, à la hausse ou à la baisse, et nous avons pu trouver des clés pour expliquer ce phénomène. C’est donc important. Il nous reste à trouver comment le faire et où aller. La plupart d’entre eux, lorsqu’ils sortent de l’état de désinformation, se disent : « Oh, j’aurais aimé que quelqu’un me le dise. »

Une des choses que nous avons constatées dans notre analyse, c’est que les personnes qui ont contracté la COVID longue nous ont dit : « Pourquoi ne m’avez-vous pas dit que cela allait se produire? » Cette désinformation est vraiment nuisible. » Il nous faut trouver une sorte d’incitation moins choquante que contracter une condition post-COVID. Mais le fait est qu’il existe une plasticité. Les gens changent d’avis.

La sénatrice Dasko : C’est vrai. Dans les autres segments.

Monsieur Kolga, vous avez parlé de polarisation. Comment voyez-vous l’évolution de la polarisation? Comment la décririez-vous? Vous avez utilisé le terme, je voulais donc vous interroger à ce sujet.

M. Kolga : Ce que je fais depuis plusieurs années, c’est analyser les récits injectés dans notre espace d’information par les opérateurs russes. Ce qu’ils savent très bien faire, et ce à quoi ils sont devenus exceptionnellement doués, en particulier, depuis la COVID, c’est identifier les récits et les questions qui sont les plus polarisants et devenir essentiellement des semeurs de rage, en jetant de l’huile sur le feu de ces enjeux. Et cela n’a pas d’importance — je veux dire, l’Ukraine mise à part, c’est n’importe quel enjeu qui nous polarise.

M. McQuinn a évoqué la question de Black Lives Matter. C’est une des premières qui a vu le jour et pour laquelle il était très clair que la Russie amplifiait les récits des deux côtés de cette question. Elle a fait de même avec les questions environnementales. C’est sur les questions anti-OTAN et anti-Occident que l’on voit ces récits se rejoindre à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Lorsque les influenceurs sont exploités, qu’ils bénéficient d’une plateforme, nous voyons certains de ces récits s’infiltrer au centre également, chez ceux qui ne font pas partie de l’extrême gauche et de l’extrême droite. C’est l’étude sur laquelle M. McQuinn et moi-même avons travaillé, pour voir comment les Canadiens ordinaires étaient touchés par cette situation.

Les réseaux que nous voyons en ligne ne sont pas isolés; les Canadiens ordinaires voient ce qui s’y passe et sont exposés à ces récits. Nous ne faisons pas assez d’efforts pour empêcher la contamination de ceux qui ne sont pas aux extrêmes.

Le président : Nous allons maintenant passer au deuxième tour. Sénateurs, vous disposez chacun de deux minutes, y compris les réponses à vos questions. Faites preuve de concision dans vos questions et vous obtiendrez une réponse.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Kolga. On parle beaucoup de la désinformation en provenance de la Russie. Pouvez-vous nous parler de l’utilisation de la désinformation par d’autre pays et de l’ampleur de leur menace pour le Canada?

[Traduction]

M. Kolga : Bien sûr, merci pour cette question.

D’autres intervenants nous ont parlé de la Chine. La Chine a essayé d’imiter les opérations d’information russes, mais n’y est pas parvenue. Quiconque a consulté les plateformes des médias d’État chinois, en particulier les plateformes de langue anglaise, sera probablement d’accord avec moi pour dire que l’information qu’on y trouve est indigeste. Elle est rédigée dans une langue que tout Canadien normal a du mal à assimiler. Ils n’ont donc pas très bien fait les choses. D’aucuns suggèrent que la Chine se tourne vers la Russie pour sous-traiter ce travail aux Russes, parce qu’ils sont très efficaces dans ce domaine.

La Chine est extrêmement efficace dans l’espace médiatique en langue chinoise et dans le contrôle de sa diaspora, non seulement ici au Canada, mais aussi dans d’autres pays. Elle le fait par ses opérations d’influence, c’est-à-dire par le truchement de ses missions diplomatiques dans les pays étrangers, etc. Ils sont très efficaces sur ce plan.

L’Iran aussi est très efficace dans le contrôle de ses communautés de la diaspora, mais il ne réussit pas aussi bien à influer sur le discours dans l’espace d’information anglophone.

Nous voyons également l’Inde monter en puissance. L’Inde et plusieurs de ses plus grandes plateformes de langue anglaise ont aussi, inexplicablement pour l’instant, commencé à amplifier les récits russes. C’est probablement pour attirer des clics et des revenus, mais elles deviennent aussi un amplificateur de la désinformation russe. C’est du moins ce que nous constatons actuellement.

La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. En écoutant tout cela, nous devons nous rappeler que la Russie utilise l’information comme une arme. Ce n’est pas parce qu’elle se soucie de la vérité. Elle fait de l’information une arme, ce qui, je pense, est assez difficile à comprendre pour les Canadiens. Elle utilise des techniques que l’on pourrait qualifier d’infiltration pour attirer des groupes; si j’utilise ici des termes militaires, c’est pour une très bonne raison : je pense qu’ils peuvent nous aider à comprendre pourquoi nous nous demandons ce qui se passe.

Lorsqu’on est sur la défensive, comme le sont les Canadiens, on a du mal à comprendre le concept de la liberté d’expression.

Monsieur Kolga, je vais revenir à mon autre question, à savoir les étudiants en âge d’aller à l’université en particulier, parce qu’ils sont en âge de voter et qu’ils hériteront de ce que nous faisons aujourd’hui. Que pouvons-nous faire pour les aider à comprendre que ce sont des outils qui sont utilisés contre eux, d’une manière douce, pour ainsi dire? Par ailleurs, comment pouvons-nous réellement intégrer dans l’enseignement universitaire des compétences de pensée critique qui sont particulièrement liées à cette question, tandis que nous visons le long terme en essayant d’éduquer dès le jardin d’enfants? Je vous remercie.

M. Kolga : Je laisserai M. McQuinn parler de ce que nous pouvons faire dans les universités, mais pour revenir au modèle finlandais, les Finlandais sont extraordinairement efficaces lorsqu’il s’agit d’injecter la maîtrise des médias numériques dans chaque cours tout au long de l’apprentissage d’un enfant, de la maternelle jusqu’à l’obtention du diplôme de fin d’études secondaires, ainsi qu’à l’université.

Vous pouvez avoir un cours sur les statistiques, et le programme comportera une éducation aux médias numériques et à la pensée critique pour ce qui est des opérations d’information. Il en va de même pour un cours de sciences ou un cours sur les médias sociaux. Tous les cours intègrent ces notions.

C’est différent de notre système où nous nous penchons sur la désinformation et la mésinformation et où nous essayons de sensibiliser les jeunes Canadiens, mais c’est souvent un seul cours. Il peut s’agir d’une heure par semestre ou par an. Il y a des personnes de la société civile qui font ce travail, mais il n’est pas fait de manière aussi systématique qu’en Finlande.

Nous devons vraiment nous inspirer de pays comme la Finlande qui vaccinent tous leurs jeunes contre cette menace. Nous devons nous en inspirer dans nos propres systèmes scolaires.

M. McQuinn : C’est là que la pensée critique — et je pense que la réponse est intégrée dans votre question. Nous avons commencé à changer la façon dont nous envisageons la pensée critique dans nos classes, et elle devient plus explicite. Malheureusement, la réalité est qu’elle n’est pas considérée comme une priorité dans les universités. D’après mon expérience, nous nous concentrons davantage sur l’intelligence artificielle générative et son impact sur les devoirs. C’est un point sur lequel j’implore ce comité d’insister davantage. Dans la mesure où je vois un problème international — parce que je mène des études internationales — la moitié des étudiants ont déjà ces idées en tête qui sont tout à fait extraordinaires. Les Russes réussissent à façonner certaines idées d’une manière qui, à mon avis, n’est pas appréciée à sa juste valeur.

Lorsque 70 % de mes étudiants s’informent sur TikTok — oui, j’ai eu la même réaction que vous —, quelles mesures le gouvernement canadien prend-il à l’égard de TikTok? Nous avons des fonctionnaires extraordinairement brillants. Ils se moqueraient probablement de l’idée de produire 300 segments TikTok par jour, mais c’est probablement ce qu’ils devraient faire. S’ils le faisaient tous, les jeunes de 20 ans ne le regarderont pas, je peux vous le dire.

Il s’agit de devoir construire une infrastructure qui est très semblable. Ce n’est pas notre façon de penser.

Le défi est cette inadéquation des systèmes et des institutions.

Le sénateur Cardozo : La question de la construction d’une nouvelle infrastructure qui fonctionnerait sur les médias sociaux est certainement importante. Je trouve toujours bizarre que lorsque nous avons un problème avec X, personne ne puisse le résoudre en créant une autre plateforme qui aura autant de succès.

Monsieur McQuinn, nous en avons un peu parlé, mais comment l’influence se produit-elle? Les influenceurs sont-ils assis à Moscou ou paient-ils des gens au Canada pour qu’ils deviennent des influenceurs au Canada et ailleurs?

M. McQuinn : Je vais donner une réponse très courte et passer ensuite la parole à M. Kolga, parce qu’il est vraiment le spécialiste du Canada. Je parlerai d’un point de vue structurel.

Une des choses que nous avons constatées, c’est la capacité des fermes qui produisent les récits — il y a des fermes qui sont adaptées aux différentes parties de ce segment, de l’extrême droite à l’extrême gauche — et, chaque jour, elles regardent les nouvelles et en extraient tout ce qui se passe dans la journée qu’elles utilisent comme une arme qu’elles dirigent sur leur cible. C’est littéralement institutionnalisé. Nous devrions disposer d’une infrastructure équivalente, que des fonctionnaires ne pourraient pas gérer, car ce n’est tout simplement pas leur façon de penser, afin d’atteindre le même degré d’efficacité. La question est de savoir qui ferait cela et qui le financerait.

Monsieur Kolga, je vous laisse la parole, car c’est vraiment votre domaine.

M. Kolga : Merci, monsieur McQuinn.

Les Russes font cela avec beaucoup de succès depuis 100 ans. Ils identifient les élus influents. Je crois que le sénateur Kutcher a mentionné Igor Gouzenko, dont les dossiers ont révélé cette pratique en 1945. Il s’agit d’élus, de journalistes, d’universitaires — ils ont fait cela pendant la Seconde Guerre mondiale et tout au long de la guerre froide. Ils poursuivent ce travail aujourd’hui.

Je pense que l’acte d’accusation de Tenet Media est très clair. Ils identifient les personnes les plus influentes. Ils entrent en contact avec elles d’une manière ou d’une autre, soit en utilisant de l’argent, soit en recourant à d’autres moyens. C’est ainsi qu’ils procèdent. C’est ainsi que la Russie opère. Elle a remporté un énorme succès en procédant de la sorte.

Nous n’avons absolument pas réussi à perturber ces opérations. Nous n’avons pas réussi à les dissuader et à les empêcher. C’est un domaine sur lequel nous devons commencer à nous pencher.

La vérification des faits est un travail important, mais si nous voulons vraiment nous attaquer à la racine du problème, il faut s’en prendre à ces influenceurs et les dénoncer pour que les Canadiens sachent qui ils sont et quelles voix ils amplifient dans ce pays.

Le président : Merci, chers collègues. Ceci nous amène à la fin de ce panel. Je tiens à remercier sincèrement MM. Graves, Kolga et McQuinn. Le comité vous est très reconnaissant d’avoir participé à notre étude aujourd’hui et d’avoir pris le temps de partager vos idées et vos recherches avec nous aujourd’hui. Nous vous en remercions sincèrement. Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré.

Chers collègues, je m’en voudrais de ne pas souligner qu’aujourd’hui est le dernier jour de notre collègue, le sénateur Dagenais, qui siège à ce comité depuis que j’en fais partie. Il est le plus ancien membre de ce comité. J’aimerais profiter de l’occasion pour dire quelques mots.

Il est certain que ses anciens présidents, s’ils étaient ici, feraient écho à la même chose. Je tiens à le remercier pour son engagement sincère envers notre grand pays. Sa carrière n’a pas commencé au Sénat, mais il s’y est retrouvé en fin de carrière. Il a commencé comme agent de police, et il a servi avec honneur. Plus tard, il a été délégué, directeur régional, vice-président chargé des finances et, comme moi, il a été président du syndicat représentant les policiers. Et surtout, c’est ce qui l’a amené au Sénat.

Il a été nommé par l’ancien premier ministre, Stephen Harper. Il a siégé à de nombreux comités du Sénat. Au début de l’année prochaine, il prendra sa retraite du Sénat. Étant donné qu’il s’agit probablement de la dernière réunion de ce comité pour cette année, je tiens à le remercier de toutes ses contributions depuis qu’il est ici. Il nous a apporté un soutien sans faille en tant que vice-président, mais aussi, dans toutes les études que j’ai menées depuis que je suis ici et auxquelles je participe, il a apporté une riche contribution au débat et a montré ce qu’est la collégialité.

Il n’a jamais abusé de ses responsabilités au sein du comité, à ma connaissance. Il s’est toujours montré disposé à vous accueillir en tant que nouveau député, mais aussi à vous soutenir dans vos efforts pour réussir au sein de ce comité.

En notre nom à tous, je tiens à le féliciter pour son départ à la retraite dans un avenir proche. Je lui souhaite beaucoup de santé et j’espère qu’il reviendra vite nous rendre visite pour nous décrire la belle vie dont il jouira très bientôt.

La parole est au sénateur Dagenais.

Le sénateur Dagenais : Tout d’abord, il est environ 19 h 30. J’aimerais vous remercier tous pour votre soutien, et vous êtes de très bons collègues. C’est la première fois que je prononce mon discours en anglais. Je vais exercer mon anglais.

Merci, monsieur le président. J’ai aimé travailler avec vous et je vous souhaite bonne chance pour l’avenir.

Merci à tous mes collègues. Ce fut une expérience merveilleuse. Cela fait maintenant 12 ans que je siège au Comité permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, dont environ 10 ans en tant que vice-président.

Je voudrais remercier Ericka Paajanen, car je me souviens de l’époque où je présidais ce comité : ce n’est pas facile, mais vous êtes là, et c’est tellement important.

Je voudrais remercier les analystes et les interprètes. Ce n’est pas facile de traduire mes expressions québécoises. Je voudrais remercier tous les techniciens et les témoins, parce que quand on a de bons témoins, c’est très intéressant.

Maintenant, je reconnais qu’il est temps d’écrire un autre chapitre de ma vie. J’ai beaucoup aimé cette période. Au cours de mes 13 années au Sénat, j’ai vécu une expérience formidable.

Je vous remercie, chers collègues.

Des voix : Bravo!

Le président : Chers collègues, c’est notre dernière réunion de l’année. Nous ne nous réunirons pas la semaine prochaine, car nous entrons dans les dernières étapes du travail au Sénat.

Je pense que je m’en voudrais de ne pas remercier notre greffière pour sa constance à nous guider au sein de ce comité dans notre important travail, mais aussi à organiser nos témoins et, lorsque nous avons des perturbations, à faire en sorte que les choses se passent le mieux possible.

Je tiens à remercier nos analystes pour l’énorme travail qu’ils accomplissent en nous aidant à préparer le comité et, dans les coulisses, les personnes que nous ne voyons pas, nos traducteurs, nos conseillers techniques et autres, qui, bien sûr, assurent le bon déroulement des travaux du comité afin que le public puisse participer et que les témoins, qui témoignent de loin, puissent le faire.

Au nom des sénateurs qui siègent à ce comité, je tiens à remercier l’ensemble du personnel pour les efforts considérables qu’il déploie afin d’aider les sénateurs à coordonner leurs activités et leur emploi du temps. Surtout, je tiens à souhaiter à tous de joyeuses fêtes et une bonne santé. Au plaisir de vous revoir ici au début de la nouvelle année.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais remercier les pages, qui sont également très importants ici.

Le président : Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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