LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 5 décembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 34 (HE), pour étudier la teneur du projet de loi C-71, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2024), et à huis clos pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à la réunion. Je m’appelle Rosemary Moodie et je suis une sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.
Avant de commencer, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Arnot : Bonjour, tout le monde. Je suis David Arnot, sénateur de la Saskatchewan.
La sénatrice Senior : Paulette Senior, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Osler : Flordeliz « Gigi » Osler, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonjour, monsieur le ministre. René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Bienvenue au comité. Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec.
Le sénateur Brazeau : Bonjour à vous tous. Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Bonjour. Je suis Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, du territoire visé par le Traité no 6, en Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-71, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2024). Dans le premier groupe de témoins, nous accueillons l’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Le ministre est accompagné des représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, suivants : Pemi Gill, sous‑ministre adjointe, Prestation des services, Uyen Hoang, directrice générale, Politique de citoyenneté et de l’expérience internationale Canada, Stephanie Jay-Tosh, directrice principale par intérim, Législation et politique du programme et Me Erika Schneidereit, avocate, Services juridiques.
Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui.
Nous entendrons d’abord le ministre, qui fera une déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité. Monsieur le ministre, vous avez cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Je vous remercie, madame la présidente et sénateurs.
Tout d’abord, il se peut que mon personnel me demande de m’absenter pour un vote qui aura lieu dans les 30 prochaines minutes. Vous me verrez faire ce qui ressemble à un égoportrait, mais il s’agit en fait d’un vote, comme vous le savez, et nous reviendrons ensuite aux délibérations.
Je tiens à vous remercier et à reconnaître que nous sommes réunis ici aujourd’hui sur les territoires traditionnels et non cédés du peuple algonquin anishinaabeg.
Je vous remercie de me donner l’occasion de discuter d’un projet de loi d’une importance cruciale, soit le projet de loi C-71, que plusieurs d’entre vous connaissent bien. Il apporte des modifications essentielles à la Loi sur la citoyenneté. Je vous remercie de prendre le temps de mener une étude préliminaire, car c’est important compte tenu des contraintes de temps auxquelles nous faisons face en raison de l’imminence d’une échéance imposée par le tribunal.
Le projet de loi établit un cadre clair pour la citoyenneté par filiation, avec l’objectif immédiat de rétablir la citoyenneté des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ».
[Français]
Il s’appuie sur le travail effectué dans le cadre du projet de loi S-245 et, selon moi, il l’améliore. Les modifications apportées à la Loi sur la citoyenneté en 2009 et en 2015, il faut se le rappeler, ont permis de résoudre la majorité des anciens cas de Canadiens dépossédés de leur citoyenneté en leur accordant la citoyenneté ou en la rétablissant, et en dispensant toute personne de présenter une demande afin de conserver sa citoyenneté avant son 28e anniversaire.
Depuis 2009, environ 20 000 Canadiens dépossédés de leur citoyenneté se sont manifestés pour réclamer leur citoyenneté grâce à ces modifications législatives. Toutefois, une petite cohorte demeure touchée, soit celle des personnes qui sont nées à l’étranger de parents canadiens et qui font partie de la deuxième génération ou des générations subséquentes, particulièrement entre 1977 et 1981. Ces personnes ont perdu leur citoyenneté avant l’entrée en vigueur des modifications de 2009 et n’ont pas de moyen clair pour la rétablir.
[Traduction]
Le projet de loi C-71 établit un cadre révisé pour régir la citoyenneté par filiation et il rétablit la citoyenneté des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » et de leurs descendants. Il aborde également des questions soulevées dans la récente décision d’un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario en prévoyant une voie d’accès à la citoyenneté pour les personnes nées ou adoptées à l’étranger au-delà de la première génération.
Le projet de loi élargira l’accès à la citoyenneté par filiation d’une manière plus complète et plus inclusive qu’auparavant, et il rétablira la citoyenneté de la catégorie des personnes que nous appelons les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Il propose également que toutes les personnes nées à l’étranger de parents canadiens avant l’entrée en vigueur de ce projet de loi deviennent citoyennes par filiation, y compris les personnes qui étaient auparavant exclues par la limite de la première génération.
Après l’entrée en vigueur du projet de loi, les enfants nés ou adoptés à l’étranger de parents canadiens eux-mêmes nés à l’étranger pourront avoir accès à la citoyenneté si leur parent peut démontrer un lien substantiel avec le Canada, confirmé par le total cumulatif de trois années passées au pays avant la naissance ou l’adoption de l’enfant, selon le cas.
[Français]
Le projet de loi C-71 donne également suite à la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, selon laquelle les principales dispositions de la restriction à la première génération applicable à la citoyenneté par filiation sont considérées comme inconstitutionnelles et portent atteinte aux droits à l’égalité et à la mobilité.
La cour a reconnu que cette restriction était trop sévère et qu’elle ne tenait pas compte des liens importants que de nombreux descendants de Canadiens entretiennent avec le Canada.
Dans le cadre du projet de loi C-71, nous visons à tenir compte des préoccupations de la cour en remplaçant la restriction à la première génération par le critère sur le lien manifeste, afin de veiller à ce que les personnes ayant des liens étroits avec le Canada puissent transmettre leur citoyenneté aux générations futures.
[Traduction]
Une autre caractéristique du projet de loi, c’est qu’il continue à minimiser les différences entre les enfants nés ou adoptés par des parents canadiens à l’étranger. Une fois la loi en vigueur, les enfants adoptés à l’étranger au cours de la deuxième génération et au-delà après l’entrée en vigueur du projet de loi auront accès à l’attribution directe de la citoyenneté aux personnes adoptées, à condition, bien entendu, que leur parent adoptif puisse satisfaire au même critère de lien substantiel.
Enfin, le projet de loi C-71 permettra aux personnes qui obtiennent automatiquement la citoyenneté en vertu des nouvelles règles, mais qui ne souhaitent pas la conserver pour diverses raisons, d’avoir accès au processus de renonciation simplifié déjà en place. Cette disposition est particulièrement importante pour les personnes qui travaillent dans des pays où la double citoyenneté n’est pas autorisée ou où le fait de détenir une autre citoyenneté pourrait entraîner des complications juridiques ou professionnelles.
[Français]
Je suis fier d’avoir présenté le projet de loi C-71. J’estime que le projet de loi, dans sa forme actuelle, est inclusif et protège la valeur de la citoyenneté canadienne.
[Traduction]
Je vous remercie. Je tiens à souligner que certaines personnes qui sont touchées par le projet de loi sont présentes aujourd’hui, notamment un très jeune homme et un moins jeune homme qui se trouve juste derrière moi. Il s’agit de Don Chapman, que vous avez déjà entendu, car il se bat pour cette loi depuis des années. Je voulais simplement leur souhaiter la bienvenue ici aujourd’hui, madame la présidente. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce groupe de témoins, sénateurs, vous disposez de quatre minutes pour poser vos questions et entendre les réponses.
La parole est d’abord à la sénatrice Bernard, la vice-présidente du comité.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie, monsieur le ministre, et je remercie également vos fonctionnaires d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais d’abord vous poser une question très simple. Le gouvernement a-t-il effectué une analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, de ce projet de loi et, le cas échéant, quelles sont les principales conclusions de cette analyse?
M. Miller : C’est une question très importante, sénatrice Bernard. Comme vous le savez, toute proposition que nous présentons au Cabinet fait l’objet d’une ACS+, même si cette analyse est parfois, selon moi, de qualité inégale.
Comme il est souligné dans l’affaire judiciaire, le juge a estimé que les femmes, en particulier, étaient indûment touchées par le déni de ce droit garanti par la Charte. Nous croyons que pour la première fois de notre histoire, la Loi sur la citoyenneté sera conforme à la Charte. Je pense que c’est important.
Toutefois, comme vous le savez, l’inégalité frappe de façon inégale. En effet, l’analyse que nous avons effectuée dans le cadre de la présentation au Cabinet pour faire adopter ce projet de loi contenait une chose pour laquelle je tiens à remercier le ministère, qui a effectué une analyse qui a confirmé les conclusions énoncées publiquement par le tribunal, c’est-à-dire que les femmes, en particulier, sont indûment touchées par le déni de ce droit, une situation que nous rectifions aujourd’hui grâce à ce projet de loi.
La sénatrice Bernard : Êtes-vous convaincu que le projet de loi permettra effectivement de rectifier ce préjugé sexiste?
M. Miller : Oui, je le suis certainement. Je pense que ce projet de loi représente la dernière étape d’un processus de rectification qui dure depuis plus d’une décennie. Donc, à ma connaissance, la réponse est oui.
La sénatrice Bernard : Vous avez parlé du projet de loi S-245 et du fait que le projet de loi actuel en est le prolongement. Je me demande toutefois s’il reste des groupes de « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » pour lesquels ce projet de loi n’apportera pas de solution.
M. Miller : Le projet de loi S-245, présenté par la sénatrice Martin, était moins ambitieux. Je tiens à souligner le travail qu’elle a accompli par la suite. Nous avons travaillé très fort avec les comités pour élargir la portée de ce projet de loi. Je pense qu’il était approprié d’avoir un projet de loi d’initiative gouvernementale dans le cadre de ce projet. Je pense que le projet de loi vise les personnes ayant droit à la citoyenneté canadienne. Il y aura peut-être des désaccords avec les personnes qui estiment que la citoyenneté canadienne, quel que soit le lien avec le Canada, devrait être transmise à perpétuité. Il s’agit d’une question d’égalité pour des catégories qui sont essentiellement semblables et comparables.
Je pense qu’il est juste d’imposer une restriction selon laquelle il faut présenter un lien substantiel avec le Canada, conformément à la Loi de naturalisation. Il y a certainement des gens qui ne sont pas d’accord avec moi, mais je crois que nous sommes sur la bonne voie en ce moment, sénatrice Bernard.
La sénatrice Bernard : Monsieur le ministre, hier, un témoin a soulevé des préoccupations au sujet des personnes autochtones du Canada qui vivent peut-être aux États-Unis ou ailleurs et qui n’ont pas la citoyenneté canadienne, malgré leur statut. A-t-on tenu compte, dans le cadre des délibérations de la Chambre des communes, de l’impact du projet de loi C-71 sur les enfants et les familles autochtones en particulier?
M. Miller : Ils seront naturellement touchés par ces dispositions, sénatrice. Les antécédents mouvementés du Canada avec les peuples autochtones soulèvent la question de savoir ce que signifie la citoyenneté canadienne pour une personne autochtone. Il y a des groupes qui parviennent à équilibrer la notion de double citoyenneté — même si ce n’est pas le terme exact — entre la citoyenneté autochtone et la citoyenneté canadienne, et d’autres qui rejettent la citoyenneté canadienne pour leur propre identité. Il y a donc certainement des personnes qui ne voudraient pas de cette citoyenneté, même si elle se superposait aux autres.
Je ne pense pas que cela permettra de résoudre tous les problèmes liés à l’identité et à l’appartenance des peuples autochtones et à la relation tendue qu’ils entretiennent peut-être avec le Canada. Mais il s’agit certainement d’un pas dans la bonne direction. J’ai certainement parlé à des personnes qui vivent à l’étranger et qui souhaitent être en mesure de récupérer leur citoyenneté ou au moins d’avoir les documents nécessaires pour prouver qu’elles viennent du Canada. Ce sont des Autochtones qui seront également visés par cette mesure.
Je ne pense pas que nous puissions garantir que nous traitons correctement, dans le cadre de ce projet de loi, les questions d’identité et d’appartenance liées aux peuples autochtones sans qu’ils soient présents pour nous en dire plus à ce sujet. Mais il s’agit d’une question qui nous préoccupe toujours lorsque nous présentons ces projets de loi. Je pense qu’une analyse plus approfondie est parfois…
La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui, monsieur le ministre, et je remercie également les représentants de votre ministère d’être ici. J’aimerais vous poser quatre questions. Elles sont assez brèves et simples et j’espère donc que nous pourrons obtenir des réponses.
Ma première question concerne le fait que nous avons établi, hier, avec pratiquement tous nos témoins sauf un, qu’il devrait y avoir une exigence de lien substantiel avec le Canada, comme c’est le cas dans le projet de loi, mais le critère des 1 095 jours a soulevé certaines questions. J’aimerais donc savoir pourquoi ce nombre a été choisi.
M. Miller : Tout simplement parce qu’il correspond au nombre de jours qui est actuellement exigé pour qu’une personne devienne une citoyenne naturelle du Canada, ou plutôt pour qu’elle soit naturalisée. Cela suit de près la loi en vigueur, sénatrice.
La sénatrice Seidman : Il s’agit d’un total cumulatif sur une période donnée. Elle pourrait donc être de 10 ou 20 ans.
M. Miller : Oui, en effet.
La sénatrice Seidman : Ce n’est pas une période de cinq ans…
M. Miller : C’est votre première question, et vous en avez donc probablement trois autres. Si je déduis correctement l’objectif de votre question, je pense que si nous devions limiter cela à la période de cinq ans, nous risquerions de créer une autre série de « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Nous avons donc estimé qu’il était juste, dans le contexte, de prévoir un nombre plus grand.
La sénatrice Seidman : D’accord, je comprends. Nous avons émis des hypothèses.
Pour ma prochaine question, j’aimerais savoir combien de personnes seront visées par le projet de loi, selon vous. À quel nombre peut-on s’attendre?
M. Miller : Je ne pense pas pouvoir vous donner un chiffre exact aujourd’hui. La vraie réponse, c’est que nous ne le savons pas. Il y a un certain écart entre le chiffre de Don Chapman et celui d’IRCC, et nous ne serions probablement pas d’accord sur tout. Le ministère traite actuellement environ 700 noms. La dernière vague touchée par la dernière série de modifications comptait environ 20 000 personnes. Le nombre augmentera manifestement d’une année à l’autre, mais cela représentera moins d’une centaine de cas à traiter selon ces critères. Ce nombre va certainement augmenter, mais je ne pense pas que cela signifiera des centaines ou des milliers de cas supplémentaires.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie. Le tribunal a fixé au 19 décembre la date limite pour que le gouvernement se conforme à la décision qui a été rendue. Compte tenu de la situation à la Chambre et du fait que nous procédons à une étude préalable, j’aimerais savoir si le gouvernement a demandé une prolongation de la date limite du 19 décembre.
M. Miller : Oui, nous l’avons fait. Je crois qu’il s’agit de trois mois. Les demandes récentes au tribunal, si elles n’ont pas déjà été présentées, ont été autorisées à être présentées. Nous avons demandé une prolongation d’au moins trois mois.
La sénatrice Seidman : Quand vous attendez-vous à recevoir une réponse? Le savez-vous?
M. Miller : Je n’en suis pas certain.
La sénatrice Seidman : La date d’entrée en vigueur… Il n’y a pas encore de date d’entrée en vigueur, mais elle sera fixée par décret. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Miller : J’essaie de me rappeler le raisonnement sous‑jacent, ce qui est plutôt de la torture mentale, mais une date avait été déterminée à un moment donné, mais nous ne voulions pas imposer cette contrainte au tribunal. Il faut prendre certains règlements, mais nous voulons le faire le plus rapidement possible.
La sénatrice Seidman : Avez-vous une idée du temps que cela prendrait?
M. Miller : Non, pas pour le moment, mais nous pourrions vous fournir une réponse par écrit.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie. J’ai posé toutes mes questions.
La sénatrice Osler : Je remercie le ministre et les représentants d’être ici aujourd’hui. Monsieur le ministre, j’aimerais vous poser deux questions.
Vous engagerez-vous à examiner sérieusement les témoignages entendus par notre comité et à apporter les changements nécessaires au projet de loi C-71 avant qu’il ne quitte la Chambre des communes? Le Sénat n’est pas encore saisi du projet de loi, et notre comité effectue une étude préalable du projet de loi C-71. Le projet de loi est actuellement à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre, ce qui signifie que la Chambre a la possibilité d’entendre d’autres témoignages et le pouvoir d’apporter des changements. Monsieur le ministre, pouvons-nous obtenir un engagement de votre part?
M. Miller : Dans la mesure où je suis d’accord avec les témoignages et qu’ils m’ont convaincu, je demanderais certainement à mon équipe de travailler sur la forme que prendraient certains amendements présentés à la Chambre. Je pense que le Sénat doit prendre ses propres décisions quant aux amendements qu’il proposera, le cas échéant, à la suite de son étude.
Je comprends la nature d’une étude préalable et je remercie le Sénat de l’avoir entreprise. C’est important. Je peux vous assurer que mon équipe et moi-même accordons une grande attention aux témoignages entendus, car nous les trouvons utiles et éclairés. Nous entendons différents niveaux de témoignages et certains d’entre eux sont contradictoires. Je ne peux donc pas m’engager à tout faire, mais nous tenons certainement compte de tout cela.
La sénatrice Osler : Merci de cette réponse, monsieur le ministre.
Ma deuxième question est la suivante : plusieurs témoins ont soulevé des craintes que la Loi sur la citoyenneté cause du tort aux familles autochtones, aux enfants adoptés et à d’autres. Quelles consultations votre ministère a-t-il menées pour s’assurer que ces groupes et leurs préoccupations soient pris en compte dans les dispositions du projet de loi?
M. Miller : Présentement, le travail qui se fait ici nous importe. Nous avons entendu ces groupes et leurs points de vue. Nous faisons face à une situation un peu difficile, à cause du délai imposé par les tribunaux. Les circonstances ne demandent pas nécessairement au gouvernement de faire ce qu’il veut, y compris de vastes consultations. Cette année, nous avons considéré, y compris dans ma réflexion qui m’a amené à ne pas interjeter appel de la décision — je pense que c’est important —, les nombreux points de vue que nous avons entendus de la part des groupes autochtones, des familles ayant des enfants adoptés, des familles et d’un grand nombre de Canadiens qui veulent réclamer leur citoyenneté et, ce faisant, leur identité.
Je ne veux pas vous laisser l’impression que cela n’a pas été fait ou que nous l’avons fait de manière cavalière. Ce n’est pas le cas, loin de là. En fait, s’il y a des plaintes, c’est que nous n’avons pas agi assez vite, étant donné que ce n’est pas conforme à la Charte. Je ne pense pas que notre examen des témoignages et des mémoires soit une opération toute simple. Il faut tenir compte de ces témoignages dans cette partie importante de votre rôle dans le processus législatif pour proposer des amendements qui vous paraissent sensés. En définitive, la Chambre des communes pourrait ne pas être d’accord, mais c’est la nature de notre système législatif.
La sénatrice Osler : Merci, monsieur le ministre.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bienvenue, monsieur le ministre, ainsi qu’à votre personnel. Merci de faire ce pas en avant pour régler cette question. J’ai bien entendu votre réponse à la sénatrice Seidman sur les 1 095 jours. Puisque cela s’étale dans le temps sur une période d’admissibilité qui n’est pas définie, y a-t-il un risque que des gens veuillent accéder aux Canadiens de convenance, qui pourraient bénéficier des avantages de la citoyenneté sans établir de lien durable réel, puisqu’un tel lien peut s’établir sur une longue période? Voilà ma première question.
Deuxièmement, vous avez choisi les 1 095 jours. À mon avis, il y a une complexité; pourquoi ne pas avoir choisi l’inscription à titre d’électeur sous le régime de la Loi électorale du Canada, qui est facilement identifiable? Pourquoi ne pas avoir choisi cette formule-là? Sinon, pourquoi pas? C’est beaucoup plus simple que d’avoir à prouver ces 1 095 jours. Voilà pour ma première question à deux parties.
M. Miller : Ce sont des questions fort pertinentes et intéressantes. Pourquoi n’avons-nous pas choisi d’autres critères? On pourrait en débattre. Je crois que c’était juste et raisonnable d’établir un critère bien connu dans le domaine de la naturalisation, et pas nécessairement quelque chose qui se confond. Oui, c’est naturel et conséquent de devenir citoyen canadien ou citoyenne canadienne et de pouvoir voter, mais en faisant référence à un processus auquel les gens qui ont accès à la citoyenneté canadienne doivent se soumettre, c’est-à-dire à une période indéterminée, et pas à l’intérieur d’une période de cinq ans. Je vais m’expliquer à ce titre.
Même si la période s’étale, souvenons-nous qu’une personne qui n’a pas cette citoyenneté de droit, quand le projet de loi aura force de loi, devra prouver qu’elle a vécu à l’intérieur du Canada pendant une période quand même longue de trois ans et des miettes. Ce n’est pas rien. Oui, cela peut s’étaler en théorie sur une quarantaine d’années, mais on parle d’une personne. Ce n’est pas la convenance d’une personne qui a attendu jusqu’à l’âge de 60 ans, qui découvre soudainement qu’elle est Canadienne et qu’elle a les semaines requises au Canada pour le prouver.
C’est beaucoup de spéculation sur des personnes qui ne se sont pas présentées devant moi. Je ne peux pas vous donner des exemples précis là-dessus, mais je pense que même si l’on élargit le critère du temps, il faut avoir établi un lien assez important au Canada, mis à part le fait que cela ne s’inscrit pas à l’intérieur d’une période de cinq ans. On a beaucoup parlé de cette situation en ce qui concerne les gens qui ont été au Liban. Plusieurs restrictions de l’ancien gouvernement Harper sont survenues à cause de cette réalité. Cela a été prouvé comme étant injuste et inconstitutionnel. On essaie de rectifier un problème créé justement parce qu’on a imposé des critères qui étaient artificiels et inconstitutionnels.
[Traduction]
La présidente : Votre temps est écoulé, je suis désolée. C’était une réponse complète.
Compte tenu du temps que nous avons perdu, je vais vous accorder trois minutes par question.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Monsieur le ministre, ce projet de loi a été présenté le 23 mai de cette année. À ma connaissance, il y a eu des discours à la Chambre des communes les 16 et 17 septembre de cette année. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la Chambre des communes n’a pas étudié ce projet de loi et qu’on demande au Sénat de faire une étude préalable du projet de loi avant son arrivée?
Je sais qu’il y a une ordonnance de la cour et des délais à respecter, mais pourquoi la Chambre des communes n’a-t-elle pas étudié ce projet de loi?
M. Miller : Vous êtes sans doute au courant de ce qui se passe à la Chambre des communes. N’eût été cela, la Chambre des communes tiendrait un débat en comité. Pour l’instant, c’est la sclérose, avec les motions de privilège qui sont invoquées et débattues à outrance. On essaie d’accélérer les choses, surtout avec l’échéance de la date de la cour qui nous plane au-dessus de la tête.
C’est la raison pour laquelle je suis reconnaissant que vous fassiez cette étude préalable. On essaie de convaincre la cour qu’on utilise tous les moyens nécessaires pour adopter un projet de loi très important et structurant pour quelque chose d’aussi important que la citoyenneté et de rectifier des lacunes dans la Charte canadienne des droits et libertés. Je suis reconnaissant de votre flexibilité. En réalité, à la Chambre des communes, il est impossible de faire quoi que ce soit actuellement sans mettre fin au débat sur le privilège, à de rares exceptions. Il se peut qu’on doive prendre des décisions dans trois mois si on n’a pas le délai supplémentaire accordé par la cour. La raison principale de tout cela, c’est parce qu’on est dans une situation de sclérose à la Chambre des communes.
Le sénateur Brazeau : Il est important d’avoir cela pour les écrits. Ma deuxième question est simple : on a entendu hier des témoins qui ont dit qu’il y a des enfants qui ont le statut de membres de Premières Nations, mais qui n’ont pas la citoyenneté canadienne. Au Canada, l’inverse est aussi vrai : il y a des gens qui ont la citoyenneté canadienne, mais qui n’ont pas le statut de membres des Premières Nations. Comment le projet de loi va-t-il répondre à ces situations problématiques qui existent depuis longtemps au Canada?
M. Miller : Je dirais qu’il y a une certaine hypocrisie, car on peut avoir le statut avec la définition de la Loi sur les Indiens et ne pas être citoyen canadien en même temps. Je connais beaucoup de gens à Akwesasne, avec la frontière qui longe la communauté, qui ont ce défi. Malheureusement, je pense que ce projet de loi ne va pas rectifier tous les cas qui existent par rapport à cette réalité, mais elle va en rectifier plusieurs par la bande, en raison de la notion de la première génération et de la lacune qui existe présentement dans la loi.
Tout cela est à suivre; c’est naturel de penser que quelqu’un qui aurait le statut de membre de Première Nation en vertu de la Loi sur les Indiens devrait automatiquement avoir la citoyenneté canadienne. C’est ridicule.
Je connais un chef dans l’Ouest qui a le même défi. Il est né en Caroline du Nord; il est le chef de la nation Siksika et il a le statut, mais il n’est pas encore Canadien. Il faudrait quasiment faire une exception pour qu’il soit Canadien.
Le sénateur Brazeau : Il y en a quelques-uns. Merci.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous avec vos fonctionnaires, parce que j’ai une question pour eux. Je commence par vous. Savez-vous ce que cela coûte à un citoyen de demander la nationalité canadienne, par personne? Ce que j’essaie de vous expliquer, c’est que si cela coûte très cher au citoyen, ce sera peut-être difficile pour lui de la demander. Cela arrive que le temps passe, les enfants n’ont pas fait la demande et ils ont oublié.
M. Miller : Pourriez-vous préciser si vous parlez des frais associés à la preuve de citoyenneté ou à la demande de citoyenneté?
La sénatrice Mégie : Je parle des frais pour le processus.
M. Miller : Cela peut être cher de faire la demande, évidemment. C’est 75 $ pour la preuve de citoyenneté. Cependant, pour le processus, si on engage un avocat, cela peut coûter cher, mais c’est 530 $ pour une personne qui demande la citoyenneté canadienne.
La sénatrice Mégie : Cela peut varier selon la situation de la personne.
M. Miller : Oui; si la personne a automatiquement droit à la citoyenneté, quand elle va chercher ses cartes et les preuves, c’est 75 $. La demande pour une personne qui est résidente permanente, c’est 530 $, en plus des frais supplémentaires associés, mais cela ne revient pas au gouvernement.
La sénatrice Mégie : On en a discuté hier avec d’autres témoins. Étant donné la difficulté pour un citoyen de naviguer sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, est-ce qu’il n’y aurait pas lieu d’avoir un ombudsman ou quelqu’un qui aide à la navigation sur le système, parce que c’est plus difficile pour eux?
M. Miller : C’est quelque chose qu’on pourrait étudier. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait présentement. Je sais qu’il y a beaucoup d’embûches dans le contexte actuel de savoir qu’ils sont admissibles à la citoyenneté canadienne; ce n’est pas quelque chose à quoi l’on a réfléchi de façon proactive. Nous avons été réactifs jusqu’à présent. Le projet de loi est une preuve du fait que nous sommes en mode proactif, avec la suspension du procès juridique pour passer à l’attaque et pour rectifier une lacune relative à la Charte qui existe dans la Loi sur la citoyenneté.
La sénatrice Mégie : Merci. Des témoins ont suggéré hier d’établir un registre, comme cela se fait en Allemagne. Ce serait un registre de noms qui permettrait que la personne s’inscrive pour avoir le statut de citoyen; cela pourrait notamment permettre d’indiquer une date X qui lui serait demandée. Ce serait peut-être plus facile de voir le nombre de jours où la personne est restée au Canada? Pourrais-je avoir une réponse écrite plus tard, madame la présidente? Est-ce que j’ai du temps pour une deuxième question? Peut-être au deuxième tour.
M. Miller : Nous pourrons faire un suivi, madame la sénatrice.
[Traduction]
La sénatrice Senior : Je pense que ma question est en quelque sorte liée à ce dont la sénatrice Mégie parlait en dernier. Quel est votre plan pour vous assurer que les gens dans différentes régions du monde, d’ici ou d’ailleurs, connaissent le projet de loi C-71 lorsqu’il entrera en vigueur? Quelles mesures allez-vous prendre pour informer les gens que ce projet de loi pourrait les toucher?
M. Miller : Mis à part le gars derrière moi, qui en a parlé haut et fort.
La sénatrice Senior : Oui, c’est vrai.
M. Miller : Comme je l’ai dit à la sénatrice Mégie, nous étions jusqu’ici en mode réactif face aux décisions des tribunaux. Mon ministère et mon équipe accélèrent la cadence et sont proactifs. Nous voulons nous assurer de rectifier le tir concernant cette violation de la Charte, qui constitue une infraction bien plus grave que toute autre atteinte à la loi. La situation est grave, et les gens ont des droits.
Il y a beaucoup de monde qui est au courant, qui lutte depuis de nombreuses années. C’est donc un jour important pour ces gens. Mais la prochaine étape, c’est de bien comprendre qui est touché.
Dans un monde où les gens sont de plus en plus mobiles et de moins en moins liés à leur pays, je pense qu’il importe d’avoir des paramètres et des critères sur ce que la citoyenneté signifie pour les gens, mais on doit aussi avoir la capacité de la demander quand on sait qu’on y a droit.
Mes enfants sont tous nés à l’étranger, et leurs enfants l’auraient été aussi, si la loi était demeurée inchangée et que nous étions restés là-bas, n’étant pas admissibles. Je pense que ces liens sont importants pour établir l’identité. Et cela nous touche de près dans bien des cas dans un pays qui est toujours plus mobile.
Mais ces paramètres sont importants. Je pense que le rôle du gouvernement du Canada dans cette communication est important, mais limité dans sa capacité d’application. Nous allons examiner des solutions pour nous assurer que les gens connaissent leurs droits lorsque le projet de loi aura été adopté.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’ai deux questions et je vais tenter de les concentrer pour réussir à obtenir certaines réponses.
Hier, on a entendu plusieurs témoignages et questions sur une différence de traitement pour les enfants naturels par opposition aux enfants adoptés. On a donc essayé de décortiquer ce scénario pour en arriver à la conclusion que, selon ma compréhension, il y aurait un traitement différent pour un enfant adopté qui aurait à son tour un enfant. Il y a là une difficulté.
Je voulais avoir votre point de vue là-dessus. Si c’est le cas, j’aimerais aussi comprendre la logique derrière ce choix de politique.
M. Miller : Je soupçonne que c’est également la question du sénateur Arnot.
La sénatrice Petitclerc : Possiblement.
M. Miller : Je l’ai signalé et je l’ai dit très clairement : si l’on me fait part d’une situation qui prouve une discrimination potentielle, je suis prêt à la rectifier dans le projet de loi.
La façon dont fonctionne le projet de loi, c’est qu’il y a des gens qui, dès la mise en vigueur de la loi, seraient dès lors considérés comme des citoyens canadiens, qu’ils soient adoptés ou non. Après l’adoption de la loi, la situation d’une personne qui serait adoptée par une famille a moins rapport avec la personne elle-même que la capacité du parent de cette personne à prouver qu’il ou elle était un citoyen ou une citoyenne canadienne.
Dans mon esprit, cela traite les gens de façon égale et équitable. Cependant, s’il y a des exemples qui peuvent m’être présentés, je suis preneur, et j’essaie aussi. Je ne crois pas que cette question soit réglée ici, mais nous sommes assez flexibles pour examiner s’il n’y a pas d’amendements qui pourraient créer de nouvelles situations de discrimination ou qui pourraient en rectifier de potentielles.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
J’étais curieuse de savoir si, en ce qui concerne les preuves que l’on va exiger dans les documents, on a considéré les difficultés possibles. Par exemple, si l’on passe de trois ans et si cela s’étend sur plusieurs années, et s’il se produit certaines situations de vie... Où conserver tous ces documents? En fait, est-ce qu’il y a une certaine flexibilité dans cette demande de documents pour justifier leur présence physique? Est-ce qu’on sent que ce sera réaliste?
M. Miller : C’est ça, l’important. Je pense que l’on manque de temps, alors on va vous envoyer une réponse écrite, mais nous pouvons déjà dire qu’il ne sera pas question de vérifier les cachets sur les passeports.
[Traduction]
La présidente : Ce serait très utile, monsieur le ministre, parce que le temps est écoulé.
Le sénateur Arnot : Monsieur le ministre, vous avez parlé des témoignages que nous entendons aujourd’hui. Je peux vous dire qu’il y a une lacune, parce que des intervenants dans ma circonscription ne pourront pas témoigner. Je tiens à dire que j’ai rencontré des électeurs dans mon bureau en Saskatchewan et que j’ai vu l’angoisse de parents qui pleuraient sincèrement. Ils pensent que ce projet de loi ne les aidera pas.
J’ai fait une remarque excessive hier, et je vais m’excuser auprès de mes collègues plus tard ici. J’étais en colère à l’idée que l’on n’entende pas ces gens. Je le dis simplement pour préciser que je vous ai rencontré un certain nombre de fois. Vous connaissez Kat Lanteigne, qui représente environ 4 000 Canadiens. Je pense que ce projet de loi dans sa forme actuelle traite les enfants à qui on accorde la citoyenneté comme étant nés à l’étranger. Par conséquent, ils ne sont pas considérés comme égaux face aux enfants adoptés canadiens ou aux enfants canadiens naturalisés ou parrainés. Je crois que ce projet de loi les place à l’écart.
En traitant l’adoption par octroi direct avec l’autre catégorie, on risque de violer les droits issus de la Charte de l’enfant adopté. J’en suis convaincu, et d’autres ont aussi exprimé des inquiétudes — comme l’Association du Barreau canadien — quant aux violations des droits conférés par la Charte pour lesquelles il faut aussi faire le ménage.
On ne peut pas comparer un parent adoptif à une mère biologique, car il n’a aucune responsabilité juridique envers l’enfant dans cette relation parent-enfant jusqu’à ce que les tribunaux ou le gouvernement n’accordent aux parents adoptifs des droits parentaux et des droits de citoyenneté. C’est un processus très détaillé et fastidieux d’adopter un enfant d’un autre pays, de passer par le système de justice là-bas, avant de passer par celui au Canada. Cela me semble redondant et, en fait, insultant pour les parents dans cette situation.
Je vais donc présenter un amendement, à moins que vous ne le fassiez vous-même à la Chambre avant que le projet de loi ne revienne au Sénat. Il faut exempter les enfants qui reçoivent la citoyenneté après que l’adoption est terminée en ce qui a trait au critère de lien substantiel, parce que l’examen que réalisent les tribunaux dans les deux pays est rigoureux. C’est donc redondant.
Alors que je fais ce commentaire, je me demande si vous pourriez me donner votre accord. Je ne veux pas en faire un amendement s’il va...
M. Miller : Je pense qu’il convient de savoir exactement de quoi nous parlons. Selon la façon dont vous présentez les choses, sénateur, et je dois examiner le détail... Vous avez dit que si quelqu’un recevait la citoyenneté après son adoption, il ne serait même pas concerné par ce projet de loi, parce qu’il est déjà citoyen. J’essaie donc de comprendre de quoi il en retourne.
Je veux mieux comprendre de quoi nous parlons ici. Dans tous les cas, qu’on soit citoyen naturalisé ou, comme moi, qu’on ait la chance d’avoir reçu la citoyenneté, on est égaux devant la loi. Ce projet de loi, tel qu’étudié par ce comité et qui, je l’espère, sera adopté par le Sénat, permettra aux gens de devenir citoyens canadiens qu’ils soient adoptés ou non par application du projet de loi avant son entrée en vigueur.
Puis, il y a le critère du lien substantiel axé sur le parent, et pas tant sur la personne adoptée. Je ne sais pas comment on crée cette inégalité.
Cela dit, je le reconnais, et c’est important pour vous d’entendre le point de vue des gens de votre région, mais nous devons considérer plus avant ce qui est présenté et réaliser une analyse en bonne et due forme, pour éviter de causer de la discrimination indirecte contre ceux qui vont demander pourquoi, si l’on accorde la citoyenneté automatiquement pour certaines gens, d’autres doivent répondre au critère du lien substantiel.
J’espère que nous ne parlons pas de pommes et d’oranges ici et que nous comparons deux catégories comparables. Nous sommes prêts à examiner votre proposition. Je ne cherche pas à vous décourager de présenter votre amendement, voilà ce que je dis.
La présidente : Je demanderais à la sénatrice McPhedran de poser sa question.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue, monsieur le ministre, mesdames les fonctionnaires. Merci de votre présence.
Je veux renchérir sur la question soulevée par la sénatrice Bernard. Dans l’analyse comparative des sexes que vous avez réalisée, vous êtes-vous penchés précisément sur l’article 28 de la Charte, la garantie de l’égalité des sexes?
M. Miller : Je devrai examiner à nouveau cette analyse. L’analyse et la conformité à la Charte des documents et du projet de loi sont rigoureuses. L’analyse porte sur l’entièreté de la Charte. Donc, la réponse est oui.
Je devrai relire l’ACS pour voir si l’on tient compte de ces données en particulier. Les avis que nous obtenons du ministère de la Justice et notre travail pour présenter des documents au Cabinet incluent cet examen.
La sénatrice McPhedran : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Dans un rapport de 2008, le comité recommandait que le gouvernement accorde, dans un proche avenir, la priorité au remplacement complet de l’actuelle Loi sur la citoyenneté par une nouvelle loi sur la citoyenneté qui serait plus claire et simple. Certains qualifiaient la Loi sur la citoyenneté actuelle de ramassis de mesures techniques et estimaient que les gens en général devraient pouvoir comprendre la Loi sur la citoyenneté, comprendre le système et déterminer s’ils sont des citoyens.
Dans quelle mesure les modifications prévues dans le projet de loi C-71 ont-elles été rédigées de manière à être simples et faciles à comprendre pour les personnes concernées, particulièrement celles qui n’ont pas d’avocat? Que compte faire votre ministère pour remanier la Loi sur la citoyenneté de manière à ce qu’elle soit plus claire et simple, conformément aux recommandations que le comité avait faites en 2008?
M. Miller : Je pense qu’on peut toujours accuser nos légistes de ne pas être clairs, surtout dans la législation qui en résulte. C’est un effort constant.
Dans un projet de loi qui compte remédier à une décision de la cour qui nous demande de façon précipitée de modifier la Loi sur la citoyenneté, il n’y a pas lieu de faire une révision complète, une refonte totale. C’est l’évidence même. Je pense que c’est une bonne idée. Dans le contexte d’un gouvernement qui a, tout au plus, un an et des priorités très importantes en matière d’immigration, je vous dirais que ce n’est pas la priorité n° 1 de mon ministère.
Le sénateur Cormier : Si vous aviez cette latitude, jugez-vous qu’il faudrait quand même —
M. Miller : Absolument. Évidemment, on l’a vu avec les personnes qui se sont présentées en cour pour le contester. Il y a beaucoup d’inexactitudes et de choses dans la Loi sur la citoyenneté qui vont à l’encontre de la Charte. Je crois qu’il est important de les rectifier. Je crois qu’une révision complète s’impose à un moment donné dans le meilleur des mondes. Comme vous le savez, on ne se retrouve pas dans le meilleur des mondes à ce moment-ci.
Le sénateur Cormier : Merci.
[Traduction]
La présidente : Monsieur le ministre, je sais que vous avez accepté de dépasser le temps. Je vous en remercie. Avons-nous cinq minutes de plus? Nous allons demander aux deux prochains sénateurs de limiter leurs questions à deux minutes et demie chacun.
M. Miller : La plupart des ministres ne contrôlent pas leur horaire dans une large mesure de toute façon, mais nous avons cinq minutes.
La présidente : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur le ministre.
Je répète que la version actuelle du projet de loi risque de violer l’article 15 de la Charte. J’espère qu’on ne va pas forcer les électeurs que je connais à intenter une poursuite devant la Cour suprême du Canada pour régler ce problème.
L’amendement que j’ai proposé dans une question à la Chambre du Sénat va protéger les enfants adoptés contre les torts potentiels du projet de loi et d’autres changements réglementaires au droit de l’immigration à l’avenir.
Vous connaissez Mme Kat Lanteigne. Vous avez entendu ses arguments. Je parle en son nom présentement, parce qu’elle ne peut pas être ici et parler en son propre nom.
Allez-vous travailler avec elle pour garantir que l’on va régler d’une façon ou d’une autre les anomalies ou les lacunes qu’elle voit dans le projet de loi actuellement si nécessaire, avant que le projet de loi ne quitte la Chambre des communes?
M. Miller : Je pense pouvoir dire sans me tromper que notre équipe sera très heureuse de lui parler de ce que prévoit ce projet de loi et de répondre à ses préoccupations.
Je ne peux pas m’engager à appuyer un amendement particulier sans le lire et l’examiner.
Le sénateur Arnot : La dernière fois que je vous ai rencontré, je crois que vous demandiez à Mme Gill de produire un document qui apaiserait mes craintes. Je n’ai toujours pas vu ce document. Nous devons respecter des délais serrés.
M. Miller : Nous pouvons vous remettre ce que vous devez entendre. Je ne sais pas si cela va complètement apaiser vos craintes, mais vous devriez au moins recevoir une réponse écrite, comme nous l’avons promis.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Dasko : Monsieur le ministre, vous avez dit que vous traitiez 700 noms à l’heure actuelle. La sénatrice Seidman vous a posé des questions sur les chiffres. Je veux poursuivre sur cette lancée.
Il y a 700 noms en traitement, puis vous n’étiez pas certain des chiffres à venir. Quels sont les pays touchés? Quels sont les pays pour lesquels vous prévoyez le traitement actuel, et quelles sont vos attentes à venir pour les pays concernés?
M. Miller : Je vais devoir vous répondre de mémoire d’après mes connaissances sur les Canadiens à l’étranger. Tout d’abord, il y a des gens au Canada, aux États-Unis, au Liban. Nous sommes tous au courant de la genèse de l’absurdité qu’il y avait, de la violation des droits des gens qui a mené à la présente situation, ou au moins de la médiatisation de cette situation et de la fureur de la population.
Je présume qu’il y a toutes sortes de gens venant de différents pays d’Europe. Je n’exclurais pas Hong Kong non plus.
De plus en plus, si l’on examine la diaspora de gens venant au Canada, je n’exclurais pas l’Inde ou la Chine à ce moment-ci, ou peut-être les Philippines. Mais ce n’est que de la spéculation pour l’instant. Nous devrons vous donner une réponse cohérente. Nous pourrions sans doute vous en donner une idée par écrit.
La sénatrice Dasko : Concernant les 700 noms actuellement traités.
M. Miller : Je ne connais pas leurs nationalités.
La sénatrice Dasko : Ah non?
M. Miller : Non. Je présume qu’elles varient. On ne suit peut‑être pas cette variable. Je ne sais pas si nous faisons le suivi des nationalités actuelles, par rapport aux droits des gens de devenir canadiens.
La sénatrice Dasko : Oui.
M. Miller : Nous pouvons dire qu’ils sont tous canadiens, au moins ceux qui sont admissibles.
La sénatrice Dasko : Merci.
La présidente : Merci, monsieur le ministre.
Sénateurs, cela nous amène à la fin de ce témoignage. Je tiens à remercier le ministre de son témoignage aujourd’hui. Les fonctionnaires demeureront dans la salle pour répondre à nos questions durant la seconde moitié de cette réunion.
Je remercie les fonctionnaires d’être ici pour répondre à nos autres questions. Sénateurs, nous vous donnerons quatre minutes par question, ce qui inclut la réponse. La première question viendra de la sénatrice Seidman.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d’essayer de répondre un peu plus en détail à certaines questions, si possible. Je veux reparler du cumul de 1 095 jours. J’essaie encore de comprendre pourquoi nous avons fait ce choix et à quel point vous pensez qu’il sera difficile pour les candidats de prouver ce cumul de 1 095 jours.
Un sénateur a indiqué que ce que nous avons entendu hier concernait le registre et que cela entraîne ses propres complications, mais soyons réalistes, on parle de comptabiliser 1 095 jours sur 30 ans, donc il n’y a pas de limite de temps. J’aimerais vous entendre davantage sur tout cet enjeu.
Pemi Gill, sous-ministre adjointe, Prestation des services, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Bien sûr. Je vous remercie. Je parlerai de deux éléments distincts se rapportant aux 1 095 jours, par souci de clarté.
Pour les citoyens par filiation antérieurs à l’entrée en vigueur, le critère des 1 095 jours de lien substantiel ne s’applique pas, de sorte qu’il ne s’applique qu’à partir de l’entrée en vigueur.
À partir de cette date, si un parent souhaite transmettre sa citoyenneté à la génération suivante — à quiconque appartenant à la deuxième génération ou à celles d’après —, le critère du lien substantiel de 1 095 jours s’appliquera. L’objectif est d’établir la relation du parent, et non de l’enfant, avec le Canada.
En fait, il s’agit d’une période limitée dans le temps, car elle est antérieure à la naissance de l’enfant et, dans le cas d’une adoption, antérieure à la date d’adoption. La période ne s’échelonnerait donc pas sur 40 ans. Cela serait — cela pourrait être le cas si quelqu’un... L’objectif est vraiment d’établir le lien entre le parent et le Canada.
Nous avons des exigences similaires en ce qui concerne la présence au Canada pour la naturalisation. Pour l’obtention de la citoyenneté par attribution, les exigences sont les mêmes, mais sur une période de cinq ans. Là encore, les demandeurs doivent fournir des documents. Nous acceptons différents types de documents. Par exemple, pour la carte de résident permanent, les personnes qui sont des résidents permanents du Canada et qui reçoivent leur document d’entrée et de sortie du Canada doivent également satisfaire à un critère de présence physique d’un certain nombre de jours.
Là encore, des passeports antérieurs tamponnés, des dossiers scolaires, des dossiers d’emploi et des explications appuyées par des photos sont autant de documents qui peuvent être fournis pour démontrer la présence nécessaire dans le temps.
La sénatrice Seidman : Je voudrais juste demander, pour que je comprenne bien, pourquoi la décision a été prise de ne pas fixer de délai. La période est en quelque sorte illimitée pour l’accumulation de 1 095 jours alors qu’on aurait pu la limiter à, disons, cinq ans.
Mme Gill : La mesure vise à faciliter la transmission de la citoyenneté canadienne aux descendants des citoyens canadiens. Ces personnes peuvent avoir cumulé, par exemple, des séjours d’études au Canada chaque été ou des visites à leurs grands‑parents, de sorte qu’elles ont tissé un lien avec le Canada sur de nombreuses années et non pas sur une courte période.
En outre, comme on recherche un lien entre le parent et le Canada, la période est antérieure à la date de naissance ou d’adoption. Par conséquent, la période d’accumulation est un peu plus souple; on ne demande pas d’événements marquants à un moment précis.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence. Le ministre nous a dit que le gouvernement est en mode réactif plutôt que proactif. Hier, j’ai demandé aux témoins quelles mesures le gouvernement fédéral devrait prendre pour informer efficacement les personnes de leur admissibilité à la citoyenneté, maintenant et après l’adoption éventuelle du projet de loi C-71. On nous a entre autres suggéré d’assurer la transparence en mettant à jour le site Web d’IRCC et en nommant un ombudsman pour les questions de citoyenneté.
Le gouvernement dispose-t-il d’un plan proactif pour informer les personnes concernées?
Mme Gill : Je vous remercie. Je parlerai d’abord de ce qui est déjà accessible sur le site Web et ensuite des plans au moment de l’entrée en vigueur.
Nous avons publié sur notre site Web des informations destinées au public concernant la limite de la première génération, c’est-à-dire la décision du tribunal. En outre, si vous tapez « Suis-je Canadien? » sur Google, le premier résultat sera notre site Web, qui contient des renseignements sur les mesures provisoires.
Ainsi, les personnes qui sont actuellement touchées par la limite de la première génération, comme l’a mentionné le ministre, ont déposé 700 demandes. Il s’agit de personnes qui pourraient prétendre à la citoyenneté par filiation, mais qui, pour l’instant, n’y ont pas droit en raison de la limite de la première génération.
Sur notre site Web, un petit assistant vous permet de déterminer si vous avez une circonstance urgente ou une raison d’ordre humanitaire directement liée à la limite de la première génération, ce qui donne également droit à une approche provisoire. En outre, si les circonstances ne sont pas urgentes, nous conservons ces demandes afin que ces clients deviennent des citoyens par filiation après l’adoption du projet de loi. Ces informations sont facilement accessibles. Elles se retrouvent toutes sur le site Web.
Deuxièmement, en ce qui concerne la planification de l’entrée en vigueur, le ministère s’est engagé à être proactif et à assurer une mise en œuvre rapide. Le travail est déjà en cours pour modifier les formulaires de demande et pour dresser la liste des documents pouvant être soumis pour satisfaire aux exigences.
Nous avons beaucoup communiqué avec les parties prenantes, entre autres, et nous aurons un plan proactif lorsque le projet de loi entrera en vigueur.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie toutes. La première question que je souhaite poser fait suite à celle de la sénatrice Osler sur le site Web. Certains témoins nous ont dit qu’il était très difficile de naviguer sur le site, ce qui en soi pourrait constituer un obstacle pour les utilisateurs. Avez-vous entendu de tels commentaires sur votre site Web? Dans l’affirmative, des projets sont-ils en cours pour rendre le site un peu plus convivial pour ceux qui pourraient en avoir besoin?
Je dois admettre que je n’ai pas moi-même consulté le site Web, mais des témoins nous ont dit qu’il est compliqué.
Mme Gill : Oui, je peux également comprendre ce commentaire. Je soulignerais ce que j’ai expliqué en réponse à la question de la sénatrice précédente sur les informations accessibles. Nous avons reçu ces commentaires au sujet des mesures ou solutions provisoires qui pourraient être à la disposition des personnes touchées par la limite de la première génération. Nous avons apporté des modifications au site Web au cours de l’été pour qu’elles soient plus faciles à comprendre. Nous avons veillé à ce que des bandeaux soient placés à plusieurs endroits du site Web où il est question de citoyenneté.
En outre, nous avons ajouté cet assistant pour aider les clients à répondre aux questions déterminant s’ils répondent ou non aux exigences d’une mesure provisoire. L’outil a été ajouté pour faciliter la compréhension des implications de la décision du tribunal et du projet de loi C-71.
La sénatrice Bernard : J’aimerais poser une question sur le profil démographique des citoyens canadiens de la première et de la deuxième génération.
Avez-vous des informations sur l’identité des personnes nées à l’étranger et sur les pays où elles sont les plus susceptibles d’être nées?
Mme Gill : À l’heure actuelle, le gouvernement du Canada ne recense pas les naissances à l’étranger. Par conséquent, nous ne connaissons pas le nombre de Canadiens nés à l’étranger.
Je crois que nous avons déjà communiqué le nombre qui a été confirmé, à savoir le nombre de citoyens canadiens à l’étranger qui demandent un passeport. Il s’agit des citoyens canadiens résidant à l’étranger qui demandent un passeport. Ils font tous partie de la première génération, car ils sont admissibles à la citoyenneté canadienne en vertu d’une disposition existante, ou car ils sont des Canadiens naturalisés. Par conséquent, c’est un peu comme si on comparait des pommes et des oranges, car si vous avez droit à un passeport canadien, c’est parce que vous êtes un citoyen canadien, par le biais d’un des moyens donnant la citoyenneté canadienne. Il en existe trois : la naissance en sol canadien, la citoyenneté par filiation, sur laquelle porte le projet de loi C-71, et la voie de la naturalisation.
La sénatrice Bernard : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vais reposer la question que j’ai posée au ministre : pourquoi ne pas avoir pris comme déterminant, par exemple, l’inscription à titre d’électeur sous le régime de la Loi électorale du Canada? Nous savons que vous êtes un ministère occupé. J’imagine que la gestion de l’identification des 1 095 jours, de toute la documentation et de la fourniture de toute cette démarche demande énormément de suivi de votre part. Pourquoi ne pas avoir simplement pris l’inscription à titre d’électeur sous le régime de la Loi électorale du Canada? Pourquoi cette option n’a-t-elle pas été choisie?
[Traduction]
Mme Gill : Je vous remercie. Nous étudierons cette question après la réunion. Nous devrons examiner les renseignements que détient Élections Canada, et nous serons heureux de fournir une réponse par écrit.
La sénatrice Muggli : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Je voudrais revenir sur les préoccupations du sénateur Arnot concernant les enfants adoptés. Des personnes très inquiètes de l’incidence que le projet de loi pourrait avoir sur elles ont également communiqué avec moi. J’aimerais que vous vous engagiez à consulter les parties prenantes et les responsables juridiques concernés afin d’examiner la possibilité d’une violation de l’article 15 de la Charte en ce qui concerne les enfants adoptés.
Mme Gill : Ce que je peux dire, c’est que nous nous sommes appuyés sur le projet de loi S-245. Quand le projet de loi a été déposé, nous avons rencontré de nombreuses parties prenantes, dont certaines ont été mentionnées aujourd’hui, et nous avons pris en compte l’information. Si c’est utile, je pourrais expliquer les mécanismes entourant l’adoption dans le projet de loi C-71.
Pour l’adoption, il y a deux aspects. Je parlerai des circonstances pour les personnes qui ont été adoptées avant la date d’entrée en vigueur. Pour les enfants qui ont été adoptés avant la date d’entrée en vigueur et qui font partie de la deuxième génération ou d’une génération ultérieure — c’est‑à‑dire, bien sûr, toute personne dont le parent est actuellement citoyen canadien et adopte un enfant à l’étranger —, la procédure d’adoption directe déjà en place aujourd’hui s’appliquera.
Lorsque ce projet de loi sera adopté, toute personne adoptée dans la deuxième génération à l’étranger aura accès à l’attribution d’adoption directe pour la citoyenneté. C’est ce qui est offert aujourd’hui aux personnes de la première génération. Cette possibilité sera également offerte à toute personne de la deuxième génération. Un enfant adopté au Canada qui a son propre enfant né au Canada remettra le compteur des générations à zéro, pour ainsi dire. Tout dépend donc du parent et de l’endroit où il se trouve. Cela s’applique également si vous avez été adopté au Canada. Dans le cas contraire, vous n’avez pas la nationalité de vos parents à ce moment-là, même si vous vous trouvez physiquement au Canada. De ce point de vue, le traitement est équitable.
Si l’adoption a lieu après la date d’entrée en vigueur, c’est là que le critère du lien substantiel entre les parents et le Canada entre en jeu, et ce lien est antérieur à l’adoption.
La sénatrice Muggli : Pourquoi est-ce nécessaire pour ce groupe?
Mme Gill : L’exigence est la même pour les personnes adoptées à l’étranger ou nées à l’étranger dans une deuxième génération. Je pourrais prendre un exemple, ce qui aide parfois à clarifier les exigences. Je veillerai à utiliser les bons noms et à ne pas tout mélanger.
Par exemple, Ali est né en Espagne en 2014 et il est adopté en 2015 par des parents canadiens également nés à l’étranger. En vertu de la loi actuelle, Ali ne peut pas demander la citoyenneté, car aucun de ses parents canadiens ne peut lui transmettre la citoyenneté : les parents sont nés à l’étranger et ils ont ensuite adopté Ali à l’étranger.
Cependant, lorsque le projet de loi C-71 entrera en vigueur, Ali pourra demander l’attribution directe de la citoyenneté, qui est actuellement offerte à toute personne dont les parents sont nés au Canada. Le traitement sera donc équitable de ce point de vue. De plus, à l’heure actuelle, si Ali est né en 2014 en Espagne et que ses parents sont citoyens canadiens, il est citoyen canadien parce qu’il est de la première génération. Par contre, si ses parents étaient nés à l’étranger, il ne serait pas admissible. Par conséquent, même s’il est un enfant né d’un citoyen canadien, parce que ce citoyen canadien est né à l’étranger, il faut satisfaire au test du lien substantiel.
En faisant du critère du lien substantiel une indication de la relation du parent avec le Canada, on l’applique à la fois aux personnes nées à l’étranger et à celles qui sont adoptées à l’étranger dans la deuxième génération ou dans une génération ultérieure.
[Français]
La sénatrice Youance : Ma question est liée à la question précédente et à votre réponse. Cela veut dire qu’une fois que le projet de loi C-71 sera mis en vigueur, il y aura deux catégories. Permettez-moi de le dire comme cela. Une catégorie de personnes aura la citoyenneté par filiation. Automatiquement, elles redeviennent la génération zéro et elles n’auront pas à prouver le test de lien substantiel. Par contre, il y a une deuxième catégorie de personnes à qui l’on octroiera la citoyenneté. Elles passeront par un processus de naturalisation. Quelles sont les conséquences pour leurs vies?
Ceux qui sont citoyens par filiation ont un retour de citoyenneté automatique, alors que les autres deviennent citoyens à partir du moment où la demande est acceptée. Quelles sont les conséquences pour ceux qui ont l’octroi de citoyenneté, par exemple, sur leur régime d’assurance ou qui subissent éventuellement un processus de révocation de citoyenneté? Est‑ce que les critères sont différents? Pour les personnes à qui l’on octroie la citoyenneté, c’est lié au processus de naturalisation, comme les résidents permanents. Est-ce que les critères de perte de citoyenneté seront les mêmes pour les personnes qui font partie de cette deuxième catégorie? J’espère que c’est assez clair.
Mme Gill : J’espère que j’ai bien compris toutes les questions.
[Traduction]
L’attribution de la citoyenneté est la voie d’un Canadien naturalisé, et la Loi sur la citoyenneté prévoit des dispositions pour révoquer la citoyenneté lorsqu’une personne fait une fausse déclaration ou fournit de fausses informations. Dans ce cas, en vertu de la Loi sur la citoyenneté, nous pourrions demander la révocation de la citoyenneté, et la personne reprendrait alors son statut antérieur. Par exemple, la personne redeviendrait un résident permanent ou un ressortissant étranger.
Pour les personnes visées par le projet de loi C-71, il s’agit de la citoyenneté par filiation. Conformément à la Loi sur la citoyenneté, il existe trois façons d’obtenir le statut légal de citoyen : la naissance au Canada; la naturalisation, c’est-à-dire l’attribution de la citoyenneté qui peut être révoquée; et la citoyenneté par filiation, qui signifie que vous êtes citoyen canadien parce que vos parents vous ont donné ce statut. Par conséquent, vous êtes citoyen canadien à partir de l’adoption ou de la naissance. Dans ces circonstances, la révocation n’est pas possible.
[Français]
La sénatrice Youance : C’est clair. Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Senior : Je pense que le ministre a mentionné — si j’ai bien compris — que le coût d’une demande s’élève à environ 75 $ par personne. S’il s’agit de 75 $ par personne, avez-vous une idée du nombre de personnes qu’il faudrait comptabiliser annuellement pour établir un budget pour les demandes vous parvenant?
Mme Gill : Oui. Les frais varient selon les différentes demandes de citoyenneté. Comme l’a dit le ministre, une demande d’attribution de la citoyenneté coûte 530 $ pour un adulte. Pour les mineurs, les frais sont différents.
Les frais de 75 $ sont pour les Canadiens qui sont citoyens par filiation et qui souhaitent que le ministère confirme leur citoyenneté canadienne et leur fournisse une preuve de citoyenneté. C’est ce que nous appelons la « demande de preuve de citoyenneté. » C’est celle qui se rapporte au projet de loi C-71.
Dans ce cas, si je suis citoyen par filiation, mais que je n’ai pas de document parce que je suis né à l’étranger d’un parent citoyen canadien et que j’aimerais obtenir un document prouvant que je suis citoyen canadien, je demanderais au ministère une preuve de citoyenneté, moyennant des frais de 75 $.
De nombreux autres citoyens canadiens naturalisés peuvent également demander une preuve de citoyenneté. Si, à un moment donné, quelqu’un perd son document de citoyenneté canadienne ou s’il a besoin d’une mise à jour, il peut également faire une demande.
Le plus pertinent pour le nombre, c’est que nous avons publié des informations sur la limite de la première génération et, comme l’a dit le ministre, nous avons environ 700 demandes dans la catégorie des preuves de citoyenneté où le client est touché par la limite de la première génération.
La sénatrice Senior : Je ne suis pas certaine que l’explication répond à ma question. Est-ce que les coûts sont nuls?
Mme Gill : Est-ce que les coûts sont nuls pour quoi?
La sénatrice Senior : Sur le plan des coûts.
Mme Gill : Pour le projet de loi C-71. Oui. Nous ne prévoyons pas un grand nombre de nouvelles demandes de preuves de citoyenneté. Comme nous ne recensons pas les naissances à l’étranger, nous ne connaissons pas le nombre précis. Cependant, nous pouvons le répartir en différentes cohortes de clients qui seraient touchés par le projet de loi.
La première est la cohorte qui précède l’entrée en vigueur. Il y a ensuite les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » de l’article 8. Il s’agit des personnes nées à l’étranger dans la deuxième génération ou les générations suivantes entre 1977 et 1981, et qui ont ensuite perdu leur citoyenneté.
Nous savons qu’environ 35 à 40 personnes de cette catégorie se manifestent chaque année. C’est une des cohortes. Elles se manifestent, et c’est donc ce nombre que nous anticipons pour cette partie de la clientèle touchée par le projet de loi C-71.
La deuxième cohorte est celle des descendants des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » qui ont déjà bénéficié d’une mesure corrective. Là encore, il s’agit d’une situation antérieure à l’entrée en vigueur. Bien que nous ayons déjà corrigé la situation pour la majorité des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », certains de leurs descendants n’ont pas bénéficié d’une telle correction à l’époque. Ce projet de loi remédiera également à la situation de leurs descendants.
Lorsque nous avons apporté les corrections pour les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » en 2009 et 2015, environ 20 000 personnes se sont manifestées, mais nous n’avons pas constaté de forte augmentation. Les demandes sont plutôt arrivées au compte-gouttes. Cette fois-ci, ce sont les descendants de cette cohorte qui seront concernés. La cohorte serait donc plus petite.
La troisième cohorte visée par le projet de loi C-71, ce sont les personnes actuellement touchées par la limite de la première génération. Les personnes pourraient se manifester après l’entrée en vigueur de la mesure. Jusqu’à maintenant, les demandes sont peu nombreuses. Ce sont les 700 demandes dont le ministre a parlé.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je n’ai qu’une courte question de clarification. On a parlé d’être proactif plutôt que réactif. On veut être plus proactif. On a entendu les histoires d’individus qui, à 20 ou 25 ans, pour toutes sortes de raisons, pensaient qu’ils étaient Canadiens et réalisaient qu’ils ne l’étaient pas. C’est le cœur de tout ça. Je tente de saisir si, avec ce projet de loi, ce genre de situation va se reproduire. Le processus pour être citoyen canadien, je le comprends. Sera-t-on proactif? Je comprends qu’on ne peut pas être proactif pour trouver ces individus. Il y aura donc encore des situations où quelqu’un va s’en rendre compte, et ce, pour toutes sortes de raisons. Ai-je tort?
Mme Gill : Je comprends bien. Malheureusement, c’est non.
[Traduction]
C’est parce qu’au bout du compte, un individu peut penser qu’il est citoyen canadien ou qu’il ne l’est pas, et c’est lorsqu’une demande est présentée qu’on évalue la situation du parent. En vertu de la Loi sur la citoyenneté, il faut trouver la disposition législative qui permet d’établir que l’individu en question est un citoyen canadien.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : C’est trop complexe. On ne pourrait pas retrouver ces individus avant qu’ils se manifestent. C’est très complexe.
[Traduction]
Mme Gill : Non. Il se peut que les personnes se trouvent à l’étranger. C’est pourquoi les individus qui croient détenir la citoyenneté canadienne et qui en veulent la preuve doivent déposer une demande de preuve de citoyenneté auprès du ministère.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je l’ai bien compris. Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Madame Gill, vous connaissez les questions que j’ai soulevées. Je le répète, les gens de ma province et Kat Lanteigne, qui vit en Ontario, sont d’avis que le projet de loi comprend une ambiguïté ou une lacune qu’il faudrait corriger au moyen d’un simple amendement. J’ai proposé un amendement en ce sens. J’espère que vous pourrez l’examiner et nous dire si la Chambre des communes l’adoptera ou non.
Ces gens ont reçu beaucoup de conseils juridiques à ce sujet, et les propos qu’ils ont entendus aujourd’hui et hier n’ont pas calmé leurs inquiétudes. Je sais qu’ils nous écoutent. Selon vous, que pourrait-on faire pour régler ce problème le plus rapidement possible?
Uyen Hoang, directrice générale, Politique de citoyenneté et de l’expérience internationale Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Je vous remercie pour la question, sénateur Arnot. Je vais revenir un peu en arrière pour expliquer la structure et l’objectif de la Loi sur la citoyenneté. La loi a toujours visé à traiter les enfants nés à l’étranger et adoptés par des citoyens canadiens et les enfants nés à l’étranger de parents canadiens de la manière la plus similaire possible.
Si le projet de loi C-71 est adopté, du fait que les citoyens qui ont été adoptés à l’étranger sont traités de la même manière que les citoyens par filiation qui sont nés à l’étranger, tous devront remplir le critère relatif au lien manifeste pour transmettre la citoyenneté canadienne à leur enfant né à l’étranger ou pour que leur enfant adopté à l’étranger soit admissible à l’attribution directe de la citoyenneté — l’article 5.1.
Si le projet de loi C-71 est amendé par suppression du critère relatif au lien manifeste pour les adoptions internationales, et si la mesure traite les personnes adoptées comme des citoyens naturalisés plutôt que des citoyens par filiation — à l’instar des enfants nés à l’étranger de parents canadiens —, les deux groupes ne seront pas traités de la même manière.
Les enfants adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens auront droit à un traitement préférentiel par rapport aux enfants nés à l’étranger de parents canadiens. Ces derniers devront répondre à des exigences différentes et plus lourdes pour transmettre leur citoyenneté par filiation.
De plus, si le critère relatif au lien manifeste est retiré du projet de loi C-71 pour les adoptions internationales, un enfant né à l’étranger et adopté par un parent canadien pourrait à son tour adopter un enfant né à l’étranger et lui transmettre la citoyenneté canadienne, même si lui-même n’avait jamais vécu au Canada. Ainsi, la citoyenneté par filiation pourrait être transmise d’une génération à l’autre, même si les personnes en question n’avaient jamais vécu au Canada.
La présidente : Merci.
Sénateurs, sénatrices, c’est ici que prend fin cette partie de la réunion. Je remercie tous les fonctionnaires pour leurs témoignages.
Chers collègues, nous allons suspendre brièvement la séance avant de poursuivre à huis clos. Je demanderais aux fonctionnaires et aux autres membres du public de quitter la salle.
(La séance se poursuit à huis clos.)