LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 29 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour son étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je m’appelle Ratna Omidvar. Je suis une sénatrice de l’Ontario et je préside ce comité.
Aujourd’hui, notre comité entame son étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide. Nous accueillons l’honorable Carolyn Bennett, c.p., députée, ministre de la Santé mentale et des Dépendances; Mme Candice St-Aubin, vice-présidente de la Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques à l’Agence de la santé publique du Canada; Mme Heather Jeffrey, sous-ministre déléguée à Santé Canada; Mme Suki Wong, directrice générale, Direction de la santé mentale, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada; Mme Rhonda Kropp, vice-présidente associée, Recherche — Stratégie, aux Instituts de recherche en santé du Canada; Mme Stephanie Priest, directrice générale, Centre de la santé mentale et du bien-être, Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques à l’Agence de la santé publique du Canada; et le Dr Tom Wong, médecin en chef de la santé publique, Services aux Autochtones Canada. Merci de vous joindre à nous. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous accordez.
J’invite la ministre à prononcer sa déclaration liminaire. Madame la ministre, vous l’avez fait à maintes reprises. Vous savez que cinq minutes sont accordées pour les déclarations liminaires et que de nombreuses questions vous seront posées par la suite. Nous vous écoutons, madame la ministre.
L’honorable Carolyn Bennett, c.p., députée, ministre de la Santé mentale et des Dépendances : Madame la présidente, honorables membres du comité, je vous remercie. Je suis plus que ravie de venir contribuer à votre étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide, une étude qui arrive à un moment on ne peut plus opportun.
[Français]
J’aimerais commencer par souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Le suicide touche des gens de tous les âges et de tous les milieux, partout au pays. Il demeure en outre la deuxième cause de décès chez les jeunes au Canada. La pandémie a ajouté une couche nouvelle de complexité à ce problème.
[Traduction]
Au cours des deux dernières années, de nombreuses personnes de partout au Canada ont signalé une augmentation du stress, de l’anxiété, de la dépression et de la solitude. Nous savons également que les pensées suicidaires ont été beaucoup plus répandues en 2021 qu’en 2019, avant le début de la pandémie. Comme vous le savez tous, le Cadre fédéral de prévention du suicide a été conçu il y a près de 6 ans, conformément à la Loi concernant l’établissement d’un cadre fédéral de prévention du suicide qui est entrée en vigueur en décembre 2012, il y a près de 10 ans.
Le cadre avait pour but de faire concorder les activités fédérales en matière de prévention du suicide avec trois objectifs : la réduction de la stigmatisation et l’augmentation de la sensibilisation; l’établissement de liens entre les personnes, les renseignements et les ressources; et l’avancement des connaissances et des données probantes afin de mieux comprendre le suicide et d’orienter la prévention, le traitement et le rétablissement.
Nous élaborons actuellement un plan d’action national pour la prévention du suicide afin de mettre à jour la démarche du gouvernement du Canada à cet égard, et nous espérons le dévoiler l’automne prochain.
Au cours de l’année à venir, nous allons mobiliser tous les ministères fédéraux et nous adresser aux provinces et aux territoires, ainsi qu’aux communautés autochtones et aux personnes qui vivent ou ont vécu cette situation, afin de transformer le cadre actuel en un plan beaucoup plus détaillé, orienté vers l’action et fondé sur des données probantes.
Je vous remercie de m’avoir invitée à participer à cette importante étude qui arrive à point nommé, alors que nous travaillons à un plan d’action national pour la prévention du suicide qui viendra remplacer le cadre. La discussion d’aujourd’hui et les idées et recommandations qui en découleront joueront un rôle absolument crucial dans l’élaboration de cette nouvelle approche. Comme vous le savez pour la plupart, nous nous sommes engagés à mettre en place, d’ici le 30 novembre 2023, un numéro 988 destiné à la prévention du suicide et au soutien en cas de crise de santé mentale. Les partenaires à l’échelle du pays travaillent actuellement à la planification de cette ligne d’assistance, mais le soutien en cas de crise, comme vous le savez tous, ne représente qu’une partie d’un plan efficace de prévention du suicide.
Je suis impatiente de vous entendre sur les aspects auxquels nous devons porter notre attention, et plus particulièrement sur la nécessité de fonder notre approche sur des preuves. Qu’est-ce qui a fonctionné? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? Nous nous penchons sur les réalisations par rapport aux résultats, sur la nécessité d’un dépistage précoce et d’un traitement intensif pour les personnes souffrant de maladies mentales et de toxicomanie, ainsi que sur la nécessité d’améliorer la formation des médecins de famille.
[Français]
Nous devons agir en aval pour traiter les facteurs de risque tels que la maltraitance des enfants.
Nous devons améliorer les facteurs de protection, par exemple en rehaussant le niveau de connaissances en matière de santé mentale afin que les gens puissent identifier et aider les personnes à risque.
[Traduction]
Nous avons beaucoup investi dans la mise en œuvre du service pancanadien de prévention du suicide appelé Parlons suicide Canada. Dans le budget de 2019, le gouvernement a prévu 25 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir la viabilité et la mise en œuvre de ce service, et nous avons fait d’autres investissements en amont dans la promotion de la santé mentale et la prévention des maladies, ainsi que dans la prévention de la violence familiale ou fondée sur le sexe. Nous admettons toutefois que le but de ces investissements n’était pas précisément de réduire les taux de suicide.
Nous sommes déterminés à miser sur les résultats de l’étude de ce comité et du travail en cours sur le plan d’action national, de manière à tirer le maximum des connaissances des experts, des communautés et des personnes qui vivent ou ont vécu une telle situation, afin de mettre en œuvre une stratégie vraiment efficace qui repose sur des données probantes.
Les gens m’ont déjà entendue dire qu’une stratégie doit cerner l’enjeu, l’échéancier et les mesures à prendre. Il ne peut pas simplement s’agir d’une liste de choses que nous faisons déjà. Le suicide est un problème trop grave pour que les fonds soient consacrés à des idées au détriment de programmes fondés sur des données probantes qui sauvent réellement des vies.
Avec votre aide, je m’engage à créer un plan d’action fédéral de prévention du suicide efficace, complet et fondé sur des données probantes. Je me réjouis à l’idée d’une discussion beaucoup plus approfondie, orientée par vos questions et par les résultats de l’étude de ce comité. Madame la présidente, nous voudrons peut-être avoir des échanges continus avec vous pour vous faire part de ce que nous entendons et de la façon dont nous pouvons mettre en œuvre les idées que nous avons avant de finaliser le plan d’action.
La présidente : Je vous remercie, madame la ministre. Je trouve gratifiant de constater que notre étude arrive à point nommé. À cette fin, je vais demander aux sénateurs de poser leurs questions à la ministre ou à toute autre personne du groupe. Comme toujours, chers collègues, chaque intervenant aura cinq minutes pour ses questions et pour les réponses.
La première intervenante sera la vice-présidente du comité, la sénatrice Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Bovey : Madame la ministre, je suis ravie de vous voir. Dommage que nous parlions d’un sujet aussi difficile. C’est une question qui nous a tous touchés de très près d’une manière ou d’une autre. Comme vous le savez, je reviens tout juste d’un autre voyage dans l’Arctique. Vous savez que les cas de suicide dans le Nord sont horribles, bien que la situation soit également très grave dans l’ensemble du pays.
Le but de notre étude est de définir un cadre de travail. Comme vous l’avez dit, le cadre fédéral actuel a été élaboré il y a six ans. Vous travaillez à prendre ce cadre et à le mettre en œuvre. Oui, des mesures très importantes ont été prises.
Mais comme nous nous concentrons maintenant sur le cadre qui arrive à point nommé, comme vous le dites, veuillez nous dire ce que vous aimeriez voir dans ce cadre qui n’a pas été abordé dans les cadres précédents.
Mme Bennett : Pour tout plan d’action, l’aspect le plus important sur lequel nous devons nous concentrer est la responsabilité des résultats. Nous devons financer ce qui fonctionne et cesser de financer ce qui ne fonctionne pas même si nous en tirons de la satisfaction.
Je pense que la pire approche en matière de santé publique était celle de céder à la pulsion de passer à l’action : « Nous devons faire quelque chose. Voilà quelque chose. Allons-y. » Nous devons être en mesure d’évaluer la situation, mais nous devons également nous montrer très responsables concernant ce qui se passe au sein de la famille fédérale.
Nous collaborons en cette matière avec les provinces et les territoires, mais nous obtenons certains des pires résultats chez les personnes dont nous sommes directement responsables : les membres des Premières Nations, les Inuits, les Métis, les militaires, les membres de la GRC, les gens du Service correctionnel. Nous devons en réalité nous montrer responsables dans tous les ministères.
C’est l’une des choses que la ministre déléguée et la vice-présidente tentent de faire, avec le même sérieux que nous avons mis à répondre à la CVR, la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, et à l’enquête sur les FFADA, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Les outils se trouvent souvent dans d’autres ministères. Le gouvernement fédéral doit être efficace. Comment voulez-vous que les provinces et les territoires nous prennent au sérieux si nous ne nous occupons pas des populations dont nous avons la responsabilité et si nous n’obtenons pas de résultats?
La sénatrice Bovey : Dans le temps qu’il me reste, puis-je poser une dernière question fondée sur mon expérience? Durant la pandémie de COVID, je recevais des appels à toute heure du jour et de la nuit, principalement de la part d’artistes qui étaient manifestement au bord du gouffre. Comme le sait mon collègue, le sénateur Kutcher, je ne savais pas trop quels conseils leur donner ou quoi faire, si ce n’est de rester debout toute la nuit et de leur parler. Je leur suggérais, par exemple, de recommencer à peindre. Passons donc à l’action.
Ce cadre devrait-il viser à sensibiliser ceux d’entre nous qui ne sont pas médecins et qui ne font pas partie du système de soins de santé mentale? Comment pouvons-nous savoir comment aider une personne en crise?
Mme Bennett : Le travail effectué par le Dr Kutcher sur les connaissances en santé mentale et sur la nécessité d’aider les gens à avoir les outils nécessaires pour identifier les personnes à risque, mais aussi pour les aiguiller vers une aide réelle, sera extrêmement important.
Vous avez mentionné les artistes. Nous savons maintenant que les communautés racisées veulent obtenir une aide adaptée à leurs besoins. Les agriculteurs souhaitent la même chose. Il faut reconnaître que les moyennes ne disent pas tout, car il y a certains secteurs de notre société qui s’en sortent très mal et où les pertes de vie sont bien plus nombreuses.
Le sénateur Patterson : Merci, madame la ministre. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir accepté de comparaître au début de cette étude que nous venons d’entreprendre.
Vous avez joué un grand rôle au Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne lorsque vous assumiez cette responsabilité. Je sais que vous êtes bien consciente du travail important effectué par l’ITK, l’Inuit Tapiriit Kanatami, en vue d’élaborer une stratégie de prévention du suicide propre aux Inuits, stratégie que le gouvernement fédéral a financée par l’entremise de la table de concertation de la Couronne.
Je pense que vous y avez fait allusion dans votre déclaration : pour qu’un cadre national soit efficace, il faut une coordination étroite entre les fournisseurs de services et les gouvernements provinciaux et territoriaux qui offrent les services sur le terrain, et non une approche cloisonnée.
Si je regarde tous les intervenants qui jouent un rôle dans le Nord, voici ce que je constate. La ministre Hajdu est responsable des services supplémentaires pour la population autochtone du Nunavut, qui compte 86 % d’Autochtones. Le ministre Miller détient le mandat pour le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. La NTI, soit la Nunavut Tunngavik Incorporated, et l’ITK défendent les intérêts des bénéficiaires inuits du Nunavut. Enfin, il y a le principal fournisseur de services, le gouvernement du Nunavut.
Pourriez-vous nous expliquer comment vous coordonnez le travail important en matière de santé mentale — et la prévention du suicide en est un élément crucial —, au sein de la famille fédérale et, je dirais surtout, avec les gouvernements territoriaux et provinciaux qui fournissent des services sur le terrain?
Mme Bennett : Quelle excellente question. Il y a aussi le ministre Vandal qui est directement responsable de ce dossier, en collaboration avec les premiers ministres provinciaux.
Vendredi, nous avons tenu le Sommet national sur le mieux-être mental des Autochtones avec la ministre Hajdu. C’était intéressant de voir les séances en petits groupes dédiées aux Inuits, ce qui a vraiment mis en exergue la nécessité d’une coordination et d’une intégration.
Je vais rencontrer le ministre Main la semaine prochaine. Nous aurons une réunion ce mois-ci avec tous mes homologues provinciaux et territoriaux de la Santé mentale et des Dépendances, ainsi qu’avec les ministres de la Santé s’il n’y a pas de ministre distinct. Nous organiserons ensuite la réunion des ministres de la Santé, qui aura lieu en novembre.
De toute évidence, les provinces et les territoires ont relevé six domaines prioritaires sur lesquels ils veulent se pencher : des services intégrés pour les jeunes, une meilleure formation en santé mentale à l’intention des médecins de famille, l’utilisation de ressources numériques, sanitaires et humaines, le traitement de la toxicomanie et les maladies mentales complexes. Il y a tellement de gens qui souffrent d’une maladie mentale, mais qui finissent aussi par consommer des substances et qui peuvent finir par s’enlever la vie. Voilà donc les six domaines que les provinces et les territoires ont choisis. Nous essayons d’élaborer des normes nationales dans ces domaines afin que les gens puissent obtenir des soins, peu importe où ils vivent au pays.
On entend également parler des bons coups réalisés selon une approche ascendante, comme le programme de Rebecca Kudloo à Baker Lake. Il faut savoir ce qui fonctionne dans ces communautés afin de pouvoir coordonner le soutien à cet égard et de libérer des fonds pour passer à des solutions fondées sur des données probantes.
Tout le monde veut travailler ensemble et s’engage à le faire, mais un plan d’action doit prendre en considération tous les dirigeants, surtout ceux à l’échelle communautaire et ceux qui vivent ou ont vécu une telle situation, si nous tenons à bien faire les choses.
Le sénateur Patterson : C’est très utile, madame la ministre. Le comité accueille favorablement votre idée selon laquelle nous pourrions vous transmettre nos commentaires au fur et à mesure de l’élaboration de votre plan d’action. Nous tenons tous à réaliser des progrès dans ce dossier. Les taux de suicide n’ont pas vraiment diminué, hélas, et je n’ai pas besoin de vous rappeler le problème chez les Inuits. Merci.
Mme Bennett : Comme vous le savez, nous devons aborder des enjeux particuliers, allant de la colonisation aux traumatismes intergénérationnels.
Madame la présidente, peut-être que plus tard dans l’année, nous pourrions nous réunir dans le cadre d’un dîner ou d’un déjeuner informel, comme nous l’avons déjà fait, pour simplement échanger des idées de façon moins formelle. J’en serais très heureuse.
La présidente : Merci pour cette invitation. Nous allons certainement y donner suite.
Le sénateur Kutcher : Merci, madame la ministre, et merci à votre équipe de hauts fonctionnaires d’être des nôtres aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je tiens à souligner, madame la ministre, que votre nomination historique témoigne de l’importance que revêtent la santé mentale et la lutte contre la toxicomanie pour tous les Canadiens.
J’ai été très heureux de vous entendre dire que notre réunion arrive à point nommé et que l’on a l’intention de transformer le cadre en un plan d’action. Je m’en réjouis.
Un des éléments qui manquent dans le cadre actuel, c’est une stratégie d’évaluation. Nous savons que les taux de suicide au Canada n’ont pas changé depuis la création du cadre.
Comment le nouveau cadre créera-t-il un volet évaluation? Je ne demande pas « si » on le fera, mais bien « comment ». Mettra-t-on l’accent sur les principaux indicateurs de résultats, à savoir les taux de suicide, le nombre d’hospitalisations attribuables à une tentative de suicide et le nombre de visites aux urgences à la suite d’une tentative de suicide? Voilà les principaux indicateurs qui nous permettent de mesurer les répercussions, au lieu de chercher à établir si une personne se sent mieux après avoir suivi un programme. Le plan sera-t-il axé sur ces domaines?
Mme Bennett : Tout à fait. C’est ainsi que nous passons de l’évaluation à la recherche appliquée. La collaboration avec le milieu universitaire a été d’une grande importance pour le travail que nous avons accompli jusqu’à présent. Vous et moi sommes d’avis qu’il faut commencer par la recherche, puis transformer les connaissances en une politique et, enfin, trouver la volonté politique de passer à la pratique. Mais il faut ensuite mener des travaux de recherche appliquée sur ce qui a été mis en place pour s’assurer que l’on améliore les questions de recherche et que l’on pose les bonnes questions. Il s’agit, selon moi, de poser les questions suivantes : « Sauvons-nous des vies? Réglons-nous ce problème de manière concrète? »
Avant d’activer le numéro 988, nous ferions mieux d’instaurer la capacité nécessaire. Ainsi, lorsque les gens composeront ce numéro — et c’est ce qu’on nous a dit —, il y aura des personnes compétentes qui prendront ces appels. Avons-nous une équipe qui pourrait intervenir en cas de besoin? Avons-nous un endroit où emmener ces gens? Nous devons disposer d’une stratégie complète. Cela signifie qu’avec l’aide des chercheurs et grâce à la reddition de comptes et à la transparence des données, nous pourrons déterminer si nous gagnons ou perdons en fonction du nombre de vies sauvées.
Le sénateur Kutcher : Je suis très heureux de vous entendre parler de l’importance du lien entre la recherche appliquée et les orientations stratégiques pour ce numéro à trois chiffres. Nous voulons savoir s’il permet réellement de réduire les taux de suicide au Canada ou s’il n’est qu’un autre numéro à composer en cas de crise. Ce serait vraiment important.
Permettez-moi de formuler la question un peu différemment : au fur et à mesure de l’élaboration de ce plan d’action, aurons-nous la possibilité de commander auprès d’experts indépendants, ou d’obtenir d’une autre manière, un examen de la participation du secteur privé à la prévention du suicide? On vend toutes sortes de programmes de ce genre. Des gens bien intentionnés les achètent. Je doute toutefois des bonnes intentions de ceux qui les vendent. Il y a absence de preuve dans bien des cas. Aurons-nous l’occasion de porter un regard critique sur ce genre d’activités au Canada afin que les Canadiens puissent être certains de l’efficacité des programmes destinés à prévenir le suicide?
Mme Bennett : J’aimerais bien connaître ces réponses parce que nous avons assisté à l’émergence de diverses industries dans ce domaine. Lorsque je travaillais au ministère des Affaires autochtones, les programmes de sensibilisation inefficaces finissaient par se retrouver au bureau d’un conseil de bande. Je le répète, il ne s’agit pas de se contenter du minimum.
J’ai vu certains de ces programmes donner de bons résultats dans le milieu carcéral. À Stony Mountain, les détenus purgeant une peine à perpétuité ont reçu une formation pour savoir comment identifier et accompagner les nouveaux détenus. Cela a fait baisser leur taux de suicide. Cependant, je veux aussi savoir quelles autres initiatives ont été couronnées de succès.
Avec l’aide du comité, je serai très heureuse de tenir compte de vos suggestions d’idées, s’il y a lieu, quant à la façon de procéder pour mener un examen externe sur certains des intervenants du secteur privé qui œuvrent dans le domaine de la prévention du suicide.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Vous avez peut-être lu ou entendu cette histoire très triste, au Québec, de cette jeune fille, Amélie Champagne qui, après une tentative de suicide, s’est retrouvée à l’urgence pendant quelques jours dans une ville qui n’était pas la sienne. On l’a laissée partir vers Montréal, puis plus tard, elle s’est suicidée. Je ne vous demanderai pas de faire un commentaire sur ce cas en particulier, mais cela met beaucoup en lumière les lacunes en matière de prévention, d’accès aux soins d’urgence et aux services de santé. Évidemment, quand on regarde le Québec, on sait qu’il y a énormément de défis pour ce qui est de l’accès aux soins d’urgence et aux services de santé.
Comment voyez-vous le rôle du gouvernement fédéral pour ce qui est de veiller à combler ces écarts afin que de telles tragédies ne se produisent plus?
Mme Bennett : C’est une bonne question.
Je pense que les soins après une visite à l’urgence sont absolument essentiels pour donner de bons résultats. Également, l’information transmise aux médecins de famille est très importante.
Dans le système de santé, il est toujours nécessaire que l’information concernant une visite à une salle d’urgence soit communiquée aux Services intégrés pour les jeunes. C’est très important d’établir une communication avec les Services intégrés pour les jeunes afin de pouvoir bénéficier de soins de bonne qualité par la suite.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Brazeau : Merci, madame la ministre, d’être des nôtres. Tout d’abord, histoire d’être totalement transparent, je ne suis pas encore membre du comité, mais étant donné cette étude, je pourrai peut-être le devenir.
J’ai été ravi d’apprendre votre nomination l’année dernière. J’ai communiqué avec votre bureau. Malheureusement, je n’ai pas encore eu de vos nouvelles. En tout cas, je suis content que vous soyez ici aujourd’hui.
J’ai fait une tentative de suicide le 2 août 2014 et, à nouveau, le 18 janvier 2016. Ce n’est pas parce que je suis un homme et, de surcroît, un Autochtone — à cause de ces deux faits — que je cours plus de risques de me suicider que n’importe qui d’autre dans cette salle.
Le 16 novembre 2021, une affaire a éclaté dans les journaux à propos de 12 tentatives de suicide à Lac-Rapide, au Québec, une communauté juste au nord de ma communauté algonquine, au nord de Kitigan Zibi. Douze tentatives de suicide; deux personnes sont mortes.
Le gouvernement ne cesse de parler de vérité et de réconciliation. Passons donc à cette réconciliation, car la vérité est trop horrible. Nous savons que les Autochtones risquent davantage de se suicider. Compte tenu de tout ce que nous savons sur le traumatisme intergénérationnel des pensionnats, que fait le gouvernement? Pour parvenir à la réconciliation, nous devons réparer les torts causés. Nous devons aider les gens qui souffrent.
Je suis un sénateur du Canada. Je souffrais, alors j’ai tenté de me suicider. Mais j’ai de la chance parce que je suis ici aujourd’hui pour vous parler d’une question qui me tient à cœur. Que fera le gouvernement pour les Autochtones, une bonne fois pour toutes? Il est temps d’arrêter les conneries bureaucratiques sur ce qu’il faut faire pour obtenir des résultats. Non. Qu’allons-nous faire concrètement?
Entre 2017 et 2019, mon bureau a réalisé une étude sur la prévention du suicide. Nous savons que 75 % des suicides sont commis par des hommes. Ce chiffre augmente si la personne est autochtone. Les communautés inuites du Canada affichent les taux de suicide les plus élevés au monde. Nous le savons. Dans le cadre de l’étude menée par mon bureau, nous avons communiqué avec tous les gouvernements provinciaux. Nous voulions savoir ce qu’ils faisaient en matière de prévention du suicide.
Voici l’essentiel — et il ne s’agit pas d’un affrontement entre hommes et femmes —, mais 75 % des suicides sont commis par des hommes. Or, quand on examine ce que les gouvernements provinciaux offrent aux hommes et aux femmes en matière de programmes ou d’aide, on constate une énorme disparité. Aujourd’hui, je ne sais pas où aller si j’ai besoin d’aide. Je sais où appeler, mais le numéro est si long. J’ai fait deux tentatives de suicide, et je ne connais toujours pas le numéro. Nous allons maintenant le remplacer par un numéro à trois chiffres. Cela peut aider. Si nous savons que ce sont les hommes, les Autochtones, qui se suicident, pourquoi ne ciblons-nous pas nos programmes en fonction de leurs besoins? Voilà ma question.
Mme Bennett : C’est une question très importante et très percutante. Vous avez l’impression que les gens ne connaissent pas la vérité, et c’est là un des facteurs. Les gens ne connaissent pas la vérité sur les traumatismes intergénérationnels, la maltraitance des enfants ou toutes les choses qui prédisposent les gens à penser que le suicide est la seule option.
Ce que nous constatons, c’est que les gens ont besoin de soins adaptés aux réalités culturelles, de soins qui tiennent compte des traumatismes subis. L’Association des médecins autochtones du Canada et la Dre Nel Wieman effectuent un travail très important à cet égard. À titre de première femme psychiatre autochtone, la Dre Wieman est également membre du conseil d’administration des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC. Nous devons appliquer le principe « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». Nous pourrons trouver des solutions si nous en apprenons plus sur le rôle de leadership des professionnels autochtones dans ce domaine, y compris sur celui des gardiens du savoir et des aînés.
L’une des plus récentes études des IRSC sur la consommation de substances à Kílala Lelum, dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, révèle que les personnes qui préservent un lien avec leur langue et leur culture sont moins susceptibles, en matière de récidive, de se procurer de la drogue dans la rue. Il est très important de comprendre que nous devons appuyer les programmes dont l’efficacité est attestée par les communautés autochtones.
Je suis d’accord avec vous. Il est vrai que les hommes sont, malheureusement, plus susceptibles de se suicider que les femmes, et nous devons tenir compte de ces chiffres. Nous avons besoin d’un plan d’action qui remédie à la situation et qui reconnaît qu’il est peu probable que la personne au bout du fil d’une ligne d’écoute soit en mesure de répondre aux besoins des appelants. Comment nous assurer que les conseils sont adaptés aux réalités culturelles, que la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être est la bonne ressource?
J’ai rencontré Alvin Fiddler cette semaine. D’ailleurs, la NAN, la Nation Nishnawbe Aski, a sa propre ligne d’écoute. Nous devons nous assurer qu’il n’y a pas de mauvais numéro, pas de mauvaise porte. La raison pour laquelle nous avons dû attendre pour obtenir le numéro 988, c’est que les régions où le taux de suicide est parmi les plus élevés n’ont pas accès à la technologie nécessaire pour le raccordement. Comment pourrions-nous lancer un service qui ne serait pas accessible aux personnes les plus durement touchées?
Nous espérons que vous continuerez à collaborer avec nous dans ce dossier. J’aimerais beaucoup savoir ce que vous avez appris dans le cadre de vos discussions avec les provinces et les territoires. Je suis sûre que le comité serait enchanté d’en tenir compte dans son étude. Nous veillerons à ce que toute votre expérience, passée et présente, soit mise à profit dans la conception du plan.
Le sénateur Brazeau : Merci beaucoup. Pour compléter rapidement, il ne s’agit évidemment pas de moi. Il s’agit de ceux qui souffrent continuellement. Je suppose que ma question est la suivante. Vous êtes médecin. Avec tout ce que nous savons sur les traumatismes post-générationnels et tous les torts que le gouvernement du Canada a causés aux peuples des Premières Nations — ma question est simple — le gouvernement du Canada croit-il, et croyez-vous personnellement qu’il est de la responsabilité du gouvernement fédéral d’entrer dans une phase de réparation pour les méfaits qui ont été commis — lorsqu’il est question de santé mentale et de prévention du suicide — afin qu’il y ait une réconciliation?
J’ai tendance à anticiper l’avenir. Il me reste quelques années à vivre ici, une vingtaine d’années. Si nous ne faisons pas quelque chose aujourd’hui — et je sais que les élections vont et viennent —, je vais faire une prédiction audacieuse : dans 20 ans, nous parlerons encore de cela. Au chapitre des suicides, les Autochtones seront surreprésentés. Ils ne recevront pas l’aide dont ils ont besoin. Voici ce que nous devons faire. Nous devons mettre en place quelque chose. Je sais qu’il y aura toujours des suicides, mais l’essentiel est d’essayer de les prévenir autant que possible.
Voilà la chance que nous avons de faire en sorte que dans 15 ou 20 ans, nous ne parlions plus de la même chose. Parce qu’il y a 15, 20 ans, quand j’ai commencé ma carrière, nous parlions de la même chose. Je ne suis pas né hier.
Mme Bennett : Je pense que ce que vous dites, c’est ce que tout le monde dans cette pièce croit : nous ne voulons pas avoir cette conversation à nouveau dans 20 ans. Nous voulons en fait mettre en place des choses qui fonctionnent et qui comprennent ce qu’est le traumatisme intergénérationnel. Je pense que les gens ne comprennent pas ce que cela signifie, qu’il s’agisse de l’épigénétique ou des lacunes parentales. Toutes les choses que nous savons faire partie de l’appartenance des gens, cette identité culturelle personnelle bien assise, votre résilience — toutes ces choses ont été anéanties durant l’épisode des pensionnats.
La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens est là, mais allons-y et faisons le travail qu’il faut pour arriver concrètement au processus de guérison et pour l’accélérer, un travail qui aura été conçu par les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous serons là pour soutenir cet exercice de toutes les façons possibles afin d’accélérer le cheminement des gens vers la guérison.
La présidente : Le sénateur Mockler a cédé son temps et, comme vous pouvez le constater, le sénateur Brazeau l’a bien utilisé.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, madame la ministre, d’être avec nous. Excusez mon retard, vous avez peut-être dit des choses qui ont trait à la question que je vais poser.
À la suite de votre réponse à la question du sénateur Brazeau, vous avez dit qu’il fallait avoir un plan d’action, j’ajoute le terme « adapté aux communautés autochtones ». Est-ce possible d’y arriver au moyen du Cadre fédéral de prévention du suicide? J’ajouterais une deuxième question : comment peut-on faire le portrait des différentes communautés culturelles du Canada si les provinces ne recueillent pas ces informations? Est-ce que le cadre peut le permettre?
Mme Bennett : C’est une excellente question et je pense que le plan doit comporter des particularités pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, mais doit aussi tenir compte des différences entre les Premières Nations, donc des différences en matière de géographie et de capacité; ce n’est pas one size fits all, même parmi les Premières Nations.
La diversité, les chiffres et les données sont très importants pour élaborer un plan de façon responsable et transparente. Pendant la pandémie de COVID-19, je crois que c’était la première fois que je m’informais sur les provinces et les territoires, pour ce qui est des visites dans les salles d’urgence, des hospitalisations, des soins intensifs. C’est transparent pour tous les Canadiens de déterminer les différences entre les champs de compétences. À mon avis, c’est aussi très important d’avoir de la transparence entre les résultats pour les communautés diverses et aussi, il faut tenir compte de la réalité de la stigmatisation pour les personnes de l’Asie du Sud et les Africains — c’est une grande honte là-bas —, et les députés m’ont parlé de l’importance d’avoir des soins intensifs pour eux. De plus, il y a un grand taux de suicide chez les étudiants étrangers.
[Traduction]
Comme on le dit en anglais, si vous le mesurez, vous le savez, et si vous le savez, vous devez faire quelque chose. N’est-ce pas?
[Français]
Je pense qu’un plan sur les chiffres pour la diversité du Canada serait inutile.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame la ministre.
La sénatrice Dasko : Lorsque j’étais dans le secteur de la recherche sur l’opinion publique, j’ai travaillé sur de nombreux dossiers pour Santé Canada, alors c’est vraiment formidable de vous voir continuer à faire ce précieux travail. Je vous remercie d’être ici.
Nous avons donc parlé d’un segment particulier de la société canadienne. Je veux maintenant parler du public canadien. L’un de vos objectifs est de réduire la stigmatisation et de sensibiliser le public. Pourriez-vous décrire les progrès que vous avez réalisés dans ce domaine jusqu’à présent? Quels sont les indicateurs dont vous disposez qui pourraient montrer si vous avez fait des progrès? C’est la première question.
Deuxièmement, d’après la recherche universitaire — et je ne suis pas particulièrement versée dans ce domaine —, quelle est la relation entre la sensibilisation et la réduction de la stigmatisation d’une part et la prévention du suicide d’autre part? Y a-t-il une relation réelle entre les deux et, dans l’affirmative, comment cela fonctionne-t-il? Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il en est?
Mme Bennett : C’est un aspect à l’égard duquel nous avons tous un rôle à jouer. Comme nous l’avons dit au début, la COVID a aggravé les choses. Cependant, en ce qui concerne la stigmatisation, elle les a peut-être améliorées un peu. Parce que nous étions tous en difficulté, les gens ont été un peu plus enclins à admettre qu’ils étaient en difficulté, tant en matière de santé mentale que de toxicomanie.
Si nous pouvons profiter de ces progrès pour dire que « la santé mentale est la santé »... Vous ne seriez pas gêné de dire à quelqu’un que votre tension artérielle est élevée, mais comment pouvons-nous faire des progrès à cet égard?
Par ailleurs, les membres des communautés sud-asiatiques et africaines nous disent que la stigmatisation est si forte qu’ils n’en parlent même pas à leurs parents ou à leur famille. C’est la même chose pour les étudiants étrangers. Nous devons trouver des leaders dans ces communautés pour qu’ils puissent prendre l’initiative dans ce domaine. De nombreux députés de la communauté sud-asiatique sont venus me voir pour me dire que je ne savais pas à quel point la situation était mauvaise pour les leurs. La communauté africaine d’Edmonton que j’ai rencontrée — la troisième plus grande communauté noire du Canada — a un réseau de thérapeutes noirs qui peuvent l’aider.
S’il y a une stigmatisation très marquée, les gens ne cherchent pas d’aide. Ils sont trop gênés de demander de l’aide ou d’admettre qu’ils ont des difficultés. Nous voulons que les gens puissent accéder aux soins en santé mentale. C’est pourquoi nous souhaitons nous pencher sur le type de travail que le Dr Kutcher a effectué sur nos connaissances au sujet de la santé mentale. Comment faire savoir aux gens qu’il est normal de ne pas aller bien et de chercher de l’aide? Dans le domaine de la toxicomanie, nous constatons que les gens ne disent pas vraiment la vérité. Quant aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie et qui, par conséquent, finissent par s’enlever la vie, nous devons nous occuper de tous ces aspects.
La sénatrice Dasko : Je peux donc interpréter ce que vous avez dit en affirmant que l’accent n’est pas vraiment mis sur la sensibilisation du public, mais sur des groupes cibles où il y a des circonstances particulières?
Mme Bennett : Nous voulons que les écoles secondaires soient au fait de la santé mentale. Le sénateur Kutcher disait que c’est quelque chose qui s’est amorcé dans les écoles publiques en Alberta. Il faut que les gens comprennent que la santé mentale, c’est la santé, et qu’il ne suffit pas d’apprendre la santé reproductive en 10e année. Nous devons faire en sorte que les gens comprennent ce qu’ils ressentent.
Les pensionnats ont vraiment fait disparaître... Dans la roue de la médecine, il y a le quadrant mental, le quadrant physique, le quadrant émotionnel et le quadrant spirituel. Ne pas être capable d’admettre ses sentiments, ne pas être capable de les décrire, c’est mortel. Les gens ne peuvent pas admettre ce qu’ils ressentent à cause de la stigmatisation ou parce qu’ils n’ont pas d’expérience en la matière, ou qu’on ne leur a jamais appris qu’il était normal de pleurer ou d’exprimer leurs difficultés.
[Français]
Le sénateur Mockler : Madame la ministre, je veux vous féliciter et j’applaudis aussi votre intérêt pour le Cadre fédéral de prévention du suicide.
Madame la présidente, j’aimerais aussi reconnaître votre leadership sur cette question et je félicite notre collègue, le sénateur Kutcher, qui a toujours à cœur ce dossier.
[Traduction]
Je vous remercie de votre temps, et je cède le reste de mes cinq minutes au sénateur Kutcher.
La présidente : Le sénateur Kutcher devra attendre le deuxième tour. Merci, sénateur Mockler.
Mme Bennett : Madame la présidente, en raison du point soulevé par le sénateur Mockler, l’une des choses que je n’ai pas mentionnées dans mes observations liminaires est l’importance d’un permis d’exercice national pour la communauté francophone, pour la communauté autochtone, pour les jeunes qui ont déjà un conseiller, mais qui vont à l’école ailleurs, afin qu’ils puissent maintenir cette communication avec leur conseiller. C’est la même chose s’ils ont un conseiller francophone ou s’ils veulent un conseiller autochtone — c’est une chose sur laquelle le ministre Duclos et moi-même allons insister lors de la réunion des ministres de la Santé.
Je pense que les provinces et les territoires veulent le faire, et je pense que les collèges se sont un peu mis en travers du chemin. Nous devons trouver une solution.
La sénatrice Moodie : Merci, madame la ministre, d’être ici aujourd’hui. J’aime toujours les discussions que nous avons au sujet des soins de santé.
Je voudrais passer à l’accès aux soins. En tant que pédiatre, que ce soit par le passé ou à l’heure actuelle, l’accès aux soins pour les enfants est probablement le plus grand problème auquel nous avons toujours été confrontés. L’accès aux soins d’urgence et l’accès aux soins post-événement restent les plus gros problèmes. Nous sommes ici pour évaluer le cadre actuel, alors parlons de ce que nous savons.
D’après ce que nous avons appris du cadre actuel, que comprenons-nous de l’état de l’accès aux soins, qu’il s’agisse de soins intensifs ou de soins post-événement?
Deuxièmement, alors que nous nous dirigeons vers un plan d’action national, des discussions sont-elles en cours avec les provinces pour obtenir leur accord afin de recueillir des données sur les résultats? Cela nous aiderait à comprendre où en est l’accès aux soins. De cette façon, nous pourrions vraiment avoir une idée concrète de la situation actuelle.
Mme Bennett : Je pense que le rapport sera cinglant à ce sujet, et nous ne pouvons pas faire cela sans les données.
L’accès aux soins est vraiment important. Dans le cadre de nombreux travaux antérieurs, les pédiatres et les psychiatres pédiatriques nous ont dit qu’il nous fallait être en mesure de repérer les psychoses précoces et d’offrir aux gens le traitement approprié... Un grand nombre des décès que nous avons vus, tant par suicide que par surdose — parfois, une jeune personne atteinte de schizophrénie finit par consommer de la drogue et s’enlève la vie, accidentellement ou volontairement... Lorsqu’il est établi qu’un enfant a des besoins, nous devons l’aider immédiatement.
Ce genre de données sur les listes d’attente est malheureusement imparfait. En tant que médecin de famille, j’ai parfois constaté que le temps d’attente ne commençait que lorsque la personne arrivait chez le cardiologue. Le cardiologue disait combien de temps il fallait pour amener le patient en chirurgie, et non combien de temps je devais attendre pour que le patient voie le cardiologue.
Lorsque nous examinons ces données d’accès, nous devons nous assurer qu’il s’agit du premier moment ou peut-être même de la première fois qu’ils ont appelé une ligne. C’est pourquoi les SIJ, les Services intégrés pour les jeunes, sont si importants. Parce que les enfants et les jeunes s’inscrivent et qu’ils sont disposés, pour une quelconque raison, à communiquer les données qui les concernent. Ils veulent que leur conseiller sache qu’ils sont allés aux urgences la fin de semaine dernière. Ils sont prêts à avoir ce genre de tableau intégré qui nous permet de vraiment examiner les délais entre le moment où ils verbalisent leurs inquiétudes et celui où ils obtiennent effectivement ce genre d’aide.
En ce qui concerne les soins en étapes — du conseil par les pairs aux médecins de famille, en passant par les travailleurs sociaux, les psychologues et les spécialistes de haut niveau en soins psychiatriques —, nous devons également être en mesure de mesurer le temps qu’il leur a fallu pour franchir chacune des étapes. Comme nous l’avons vu avec la tragédie de la santé mentale périnatale et avec l’étude de la Dre Simone Vigod, sur les 40 personnes qui sont venues demander de l’aide, seules deux ont eu besoin du psychiatre hautement spécialisé en périnatalité. La plupart des autres ont été aidées par un autre niveau de soins. Comme vous le savez, le suicide est un risque très présent chez les personnes en période post-partum qui ne reçoivent pas le type de soutien dont elles ont besoin.
La présidente : Madame la ministre, nous avons tous parlé de la coordination, et nous avons souligné son importance et son caractère névralgique. Laissons de côté les provinces pour une minute. Je connais la tournure que prendrait cette conversation. Ma question porte sur la coordination à l’échelon fédéral, avec les ministères et organismes fédéraux. Permettez-moi de présumer que même si la coordination existe, elle peut toujours être améliorée. Comment souhaiteriez-vous qu’elle soit améliorée? Envisageriez-vous la création d’une table ronde ministérielle de haut niveau pour faire face à la crise de suicides?
Mme Bennett : Oui, et je pense que dans la prochaine heure, vous entendrez ce que les fonctionnaires ont fait exactement à ce propos. J’ai des échanges avec la ministre Anand, la ministre Hajdu et le ministre Mendicino au sujet du service correctionnel, qui est l’un de mes sujets. Je pense que la question des pénitenciers est également très importante.
Je voudrais commencer par votre première question. J’ai convoité l’approche du NHS, le National Health Service du Royaume-Uni, où, en tant que médecin de famille, je pouvais simplement consulter l’ordinateur et obtenir pour le jeune devant moi un rendez-vous de soutien en santé mentale pour le lendemain. Je pense que nous pouvons aspirer à des systèmes qui fonctionneraient, mais je pense que nous avons la responsabilité, au sein de la famille fédérale, de mieux coordonner tout cela. J’ai été assez surprise lorsque j’ai parlé avec Scott McLeod, qui est à la tête des autorités réglementaires et qui vient de l’armée. En matière de thérapie, l’armée a une courbe de réponse attendue, et si les gens n’atteignent pas cette courbe, alors ils obtiennent un deuxième avis ou quelque chose arrive.
Je pense donc qu’il y a des modalités qui sont utilisées dans d’autres ministères et qui pourraient s’avérer utiles ou non si nous pouvions obtenir le genre de recherche et de preuves dont nous pensons avoir besoin dans toute la famille fédérale.
La présidente : Merci, madame la ministre. Permettez-moi de revenir à mon peuple, les Sud-Asiatiques du Canada. Ils sont 1,6 million. Des recherches ont montré qu’ils souffrent de taux élevés de troubles d’anxiété et d’humeur et que leur taux de suicide est élevé. Vous avez mentionné les stigmates sociaux liés à la divulgation, sans parler du counselling. Est-ce que le cadre, tel qu’il est, a évalué correctement la profondeur du problème dans la communauté sud-asiatique? Aussi, que vous a-t-il conseillé de faire que vous pourriez traduire concrètement dans votre plan d’action?
Mme Bennett : Je pense que Mme St-Aubin parlera un peu plus de la façon dont les choses sont évaluées. Lorsque j’étais à Peel cet été, j’ai appris que le centre de détresse sud-asiatique avait reçu 150 000 $ pour s’occuper précisément de cette communauté au moyen d’une ligne d’écoute téléphonique. Je pense que nous voulons savoir ce qu’il est advenu de cet argent. Cela a-t-il fonctionné? Comment mesure-t-on ce qui fonctionne? L’argent que nous avons donné à TAIBU à Scarborough pour évaluer les soins primaires dans la communauté noire... Reçoivent-ils suffisamment d’aide? C’est la même chose pour l’Institut Harriet Tubman de l’Université York, qui évalue le soutien en santé mentale des étudiants noirs de niveau postsecondaire dans tout le pays.
Avec les Instituts de recherche en santé du Canada et d’autres intervenants du monde universitaire, je pense que nous commençons à obtenir le genre de réponses que ce comité demande, et qui serviront de base à un plan d’action sérieux apte à donner des résultats.
La présidente : Merci, madame la ministre. Permettez-moi de vous rappeler, à vous et à vos collègues, que 85 % des Sud-Asiatiques sont moins susceptibles de se faire soigner que les autres. Restons-en là.
Le sénateur Kutcher : Madame la ministre, en ce qui concerne votre réflexion sur le plan d’action, l’une des choses que nous avons constatées à partir des récentes analyses documentaires de Mann, Dillon et Mustafa, par exemple, c’est que la seule intervention solide en matière de prévention du suicide est probablement la formation des médecins de soins primaires pour identifier et traiter. Cela laisse de côté tous les autres médecins, le personnel infirmier ainsi que le personnel infirmier des cliniques spécialisées. Le plan d’action s’attachera-t-il vraiment à faire en sorte que tous les prestataires de services à la personne aient la capacité d’agir, c’est-à-dire les enseignants, les conseillers, tous les prestataires de services à la personne, et pas seulement quelques médecins de famille? Ce type de formation, dispensée dans tous les domaines, pourrait contribuer à un dépistage et à un traitement précoces. Elle doit être dispensée dans les écoles de médecine, dans les écoles de soins infirmiers, dans les écoles où l’on forme les travailleurs sociaux et dans les programmes de formation postuniversitaire. Ce plan va-t-il tenir compte de cela?
Mme Bennett : Tout à fait. Comme l’a dit le Collège des médecins de famille du Canada, il compte prolonger d’un an sa résidence de deux ans, une idée que j’ai reçue, sur laquelle je me suis penchée et à laquelle j’ai réfléchi. Le collège craint en effet que les personnes qui terminent leur résidence ne soient pas à l’aise avec les questions liées à la santé mentale, aux dépendances et à la douleur. Il pourrait donc être intéressant pour le comité de demander des détails au collège sur cette troisième année de résidence.
De ce que j’ai pu glaner dans certaines cliniques de désintoxication, les résidents qui s’y présentent et y obtiennent leur première expérience pratique en la matière l’apprécient et sont ensuite prêts à poursuivre leur cheminement. Même chose chez les médecins de famille. Il nous faut plus de généralistes qui sont à l’aise dans ces domaines. Je suis d’accord que cela vaut pour l’ensemble des fournisseurs de soins de santé. Tout le monde doit s’améliorer à cet égard. Nous ne pouvons pas laisser le personnel des urgences croire que la personne tente simplement d’attirer l’attention et adopter une approche plutôt condescendante qui entraîne des pertes de vies.
Je pense également, sénateur Kutcher, au travail que vous faites sur les barbiers, les coiffeurs, les chauffeurs de taxi et les barmans, qui peuvent eux aussi avoir des connaissances en santé mentale. Accroître les connaissances de tous les Canadiens en santé mentale me paraît ici notre but ultime. Tout le monde devrait être en mesure de reconnaître les signes qu’une personne n’est pas elle-même.
La présidente : Merci beaucoup de votre temps, madame la ministre. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous acceptons votre invitation à déjeuner.
Notre séance se poursuit maintenant avec des questions à l’intention des fonctionnaires. Il n’y aura pas de déclaration liminaire, ce qui nous donnera beaucoup de temps pour approfondir le sujet. Comme toujours, la première question est le privilège de la vice-présidente, la sénatrice Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Bovey : Merci, madame la présidente.
Je dois dire que la discussion que nous avons eue avec la ministre a été fort importante et éclairante.
Je veux revenir sur une question que je lui ai posée et que le sénateur Kutcher a ensuite approfondie de façon beaucoup plus structurée. Il s’agit de la sensibilisation de la population et de la formation de toute personne qui, comme nous, occupe un quelconque rôle public, soit les enseignants, les infirmières, bref toute personne qui interagit avec les gens. De quelle façon, selon vous, ce cadre mis à jour et votre plan d’action y contribuent-ils, à la lumière des particularités culturelles et de la nature unique de bien des cultures qui forment le Canada? Je fais référence ici aux Autochtones, aux immigrants et aux personnes nées au Canada, mais dont le bagage culturel est multiple.
J’aimerais vous entendre un peu plus là-dessus.
Heather Jeffrey, sous-ministre déléguée, Santé Canada : Comme l’a expliqué la ministre, la prévention et l’intervention précoce constituent un élément crucial du cadre pour nous. Idéalement, une plus grande sensibilisation et une formation accrue en santé mentale, dans la même veine que le travail mené par le sénateur Kutcher, contribueront à réduire la stigmatisation et aideront les gens à demander de l’aide plus tôt. C’est primordial pour prévenir le suicide. Nous devons avoir des lignes d’écoute téléphoniques. Nous avons évidemment besoin de ces soutiens d’urgence. Toutefois, cette sensibilisation plus large est essentielle. La réduction de la stigmatisation dans certaines communautés est en outre importante.
La collecte de données non regroupées est l’un des secteurs où nous avons fait des pas de géants depuis 10 ans. Il est crucial de procéder à ce genre d’analyse de façon beaucoup plus ciblée, que ce soit par genre ou par communauté, pour que l’évaluation des programmes soit efficace, vu toutes les réactions possibles à certains de ces problèmes dans les communautés culturelles et les difficultés précises que vivent les communautés dues au traumatisme auquel la ministre Bennett a fait allusion.
La sénatrice Bovey : Ne croyez-vous pas que la crainte de demander de l’aide est un autre aspect? Cela me semble différent de la stigmatisation associée à la demande d’aide. Je ne suis absolument pas qualifiée en la matière, mais si je me fonde sur les situations dans lesquelles je me suis retrouvée, les gens expriment de grandes craintes.
Mme Jeffrey : C’est assurément un élément clé. Le soutien par les pairs et l’aide par les pairs, dans les services à la jeunesse intégrés par exemple, sont l’un des volets où nous avons constaté que les interventions étaient les plus efficaces. Toutefois, globalement, dans différents secteurs, c’est avec des gens qui partagent leur expérience que les personnes sont les plus à l’aise de parler.
Durant la pandémie, la perte de lien social a été l’un des principaux facteurs de la hausse des taux d’anxiété et de crise que nous avons constatée. Un éventail d’outils seront nécessaires pour joindre ces personnes. Je souhaite maintenant céder la parole à Mme St-Aubin, qui traitera plus expressément du cadre.
Candice St-Aubin, vice-présidente, Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention de maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada : Merci pour cette question, sénatrice.
Pour enchaîner sur les propos de Mme Jeffrey, le cadre a d’abord pris forme il y a quelques années, mais nous sortons aujourd’hui d’une pandémie de plus de deux ans. À l’origine, le cadre était davantage structuré pour servir à la coordination par le fédéral. Puisque nous avons maintenant accès au travail effectué pendant la pandémie, que nous pouvons enfin consulter autant que possible des données et des renseignements cruciaux tirés de notre surveillance pour cerner les réalités non regroupées uniques de ces sous-populations, nous en avons tiré des leçons. Nous disposons également du travail de ce comité et, bien sûr, de celui du sénateur Kutcher sur les connaissances permettant aux gens d’être au fait de ces réalités et de formuler ce qu’ils vivent.
Il y a une crainte. Je pense ici au système de soins de santé, à ce qui vient de se produire avec Mme Echaquan et aux changements au sein des populations autochtones. On craint de se rendre dans un établissement de soins, on craint ce qui va s’y produire. Donc, s’assurer que l’on tient compte des différences culturelles et des réalités linguistiques et que l’on offre des accommodements en ce sens fait partie de la conversation.
Le cadre fédéral tel qu’il est constitue un point de départ. Nous devons cependant aller plus loin. Nous avons certes entendu la ministre Bennet demander qui allait prendre l’appel, qui allait répondre à ces questions et où la personne en détresse irait. Ces éléments doivent être explorés dans le continuum des services. Il y a des questions potentiellement liées à la crainte, et non uniquement à la stigmatisation, voire même à la crainte liée aux personnes qui pourraient être présentes là où nous déciderons d’aller.
La présidente : Honorables sénateurs, je vous rappelle qu’il y a également des témoins qui participent à la séance virtuellement, dont Stephanie Priest, qui travaille à l’Agence de la santé publique du Canada; Rhonda Kropp, des Instituts de recherche en santé du Canada; et le Dr Tom Wong, de Services aux Autochtones Canada.
Le sénateur Patterson : Premièrement, est-ce que l’Agence de la santé publique du Canada, ou l’ASPC, peut soumettre au comité la liste des programmes ou interventions de prévention du suicide financés par le gouvernement fédéral pour la période de 2016 à 2020, avec les montants versés et les critères utilisés, le cas échéant, pour évaluer s’ils ont permis une baisse importante et soutenue des cas de suicide au sein de la population ciblée?
Deuxièmement, selon la loi sur le cadre, l’ASPC doit faire rapport à la population canadienne sur ses réalisations et activités liées au cadre tous les deux ans. Vous l’avez fait en 2018 et en 2020. Quand comptez-vous déposer le rapport de 2022?
Troisièmement, la ministre Bennett nous a clairement dit, si je l’ai bien comprise, que le cadre va pour ainsi dire être remplacé par un plan d’action. Y aura-t-il la moindre interaction entre le cadre et le plan d’action quand ce dernier sera lancé?
Mme St-Aubin : Merci pour cette question. Nous visons un dépôt du prochain rapport des réalisations en décembre de cette année, sans quoi nous serons en 2023. Il faut donc le déposer. Le plan d’action a aussi fait l’objet d’un projet de loi d’initiative parlementaire adopté à l’unanimité par le Parlement. Il ne remplace pas forcément le cadre. Je crois qu’il le complémente, qu’il contribue à sa mise en œuvre et qu’il le rend plus concret et quantifiable, ce que nous espérons tous concrétiser. Voilà où réside sa grande importance.
Évidemment, nous serions heureux de vous fournir nos programmes par écrit, mais les programmes de prévention du suicide sont-ils les programmes fédéraux? Je veux m’en assurer, car, dans les faits, nous ne finançons que les lignes d’écoute téléphoniques.
Le sénateur Patterson : Les programmes financés par le gouvernement fédéral.
Mme St-Aubin : Au sein de tous les ministères? Oui, nous pouvons le faire. Pas de souci.
Le sénateur Patterson : Ce serait utile. Merci.
Le sénateur Kutcher : Merci, madame la présidente. Dans la même veine que le sénateur Patterson, j’ai trois questions. La première s’adresse aux personnes dans la salle, puis les deux autres aux personnes qui témoignent par visioconférence.
Actuellement, le cadre ne cerne pas la moindre preuve de l’efficacité des interventions et n’en fait pas la promotion. C’est le néant. Il fait également la promotion d’activités qui ne fonctionnent pas. Le cadre fait la promotion de beaucoup d’entre elles. Est-ce que le nouveau plan d’action met l’accent sur la promotion de ce que nous savons être efficace, est-ce qu’il permet l’étude de ce que nous ne connaissons pas encore bien plutôt que de promouvoir ce que nous savons être inefficace? Voilà pour la première question.
Maintenant, à l’intention des IRSC. Quelle est la stratégie pour orienter la recherche sur la prévention du suicide aux IRSC? L’accent sera-t-il simplement mis sur l’Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, soit l’INSMT, ou adopterez-vous une approche à l’échelle de l’organisation? Le cas échéant, de quelle façon sera-t-elle conçue et de quelle façon les activités du gouvernement fédéral étayeront-elles cette stratégie?
L’autre question s’adresse au Dr Wong. Selon Pollock et coll., dans le cadre d’une triste étude publiée dans BMC Public Health, plus de 108 millions de dollars ont été investis dans la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones en une décennie environ, mais une évaluation de ce programme n’a permis que d’en établir les extrants et non les résultats. Pouvez-vous nous rassurer quant à la véritable évaluation des résultats et non des extrants des programmes à venir?
Mme St-Aubin : Oui, merci pour cette remarque. Le plan d’action sert exactement à cela. Se fonder sur les données probantes pour établir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de même que la façon d’en accroître la portée adéquatement. C’est là que les conversations dont j’ai parlé entrent en jeu et, bien sûr, que les recommandations issues de cette étude viendront étayer ce processus, en plus des conversations soutenues et du travail de la ministre avec ses tables rondes dans les provinces et territoires et ses rencontres avec les leaders autochtones et les communautés comme telles. Oui, nous tendons vers cela. Merci.
Dr Tom Wong, médecin en chef de la santé publique, Services aux Autochtones Canada : Merci beaucoup. Je m’appelle Tom Wong. Puis-je répondre à la question sur les résultats?
La présidente : Bien sûr. Allez-y, je vous prie.
Dr Wong : En effet, évaluer les résultats est ce qui compte le plus pour nous et nos partenaires. Soutenir l’évaluation des résultats par les Autochtones, y compris collaborer entre autres avec Carol Hopkins et Brenda Restoule, toutes les deux Ph. D., est l’une des choses sur lesquelles nous travaillons activement avec tous nos partenaires des Premières Nations, autochtones, inuits et métis. Merci.
Rhonda Kropp, vice-présidente, Recherche — Stratégie, Instituts de recherche en santé du Canada : Merci énormément pour cette question, sénateur. Pour répondre à votre première question sur notre plan et confirmer s’il repose uniquement sur l’INSMT, la réponse est non. Bien que notre institut de la santé mentale et des toxicomanies joue évidemment un rôle on ne peut plus central dans les recherches que nous menons tant en santé mentale qu’en prévention du suicide, selon la nature du sujet exploré, il faut que cette question soit abordée par l’ensemble de nos instituts. Tout le monde est concerné; nous avons déjà parlé aujourd’hui de la nécessité de tenir compte de la diversité des populations. Donc, nos investissements de plus de 500 millions de dollars au cours des cinq dernières années ne visaient pas uniquement cet institut, mais bien l’ensemble de l’organisation.
J’aimerais souligner en réponse à votre deuxième question que nous sommes là, que nous allons être là et que nous appuyons déjà nos collègues de l’Agence de la santé publique dans le déploiement de leur plan d’action afin de veiller à ce qu’il repose sur les meilleures données probantes possibles, certaines issues de travaux financés par les IRSC, d’autres provenant de l’extérieur de nos activités de financement. Nous voulons nous assurer que, dans leur réflexion sur la façon d’évaluer ce plan d’action, ils s’intéressent à différentes méthodes d’évaluation et à la meilleure façon de procéder pour chacune afin que les renseignements sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas soient colligés très rapidement et puissent être appliqués très vite, comme le modèle des systèmes de santé en apprentissage, du point de vue de la recherche que nous finançons.
La sénatrice Petitclerc : Ma question est très ciblée. Je ne sais pas trop qui parmi vous pourrait me répondre.
Quand on pense à la population plus jeune, aux jeunes adultes et aux adolescents, quand il est question de sensibilisation, nous voulons évidemment mettre l’accent sur ce dont ils ont besoin en matière de renseignements et de contenu. Je me demande si nous tenons compte de la façon dont ils veulent que l’on communique avec eux. Je le souligne parce que nous avons parlé de ce numéro de téléphone d’urgence, et je trouve cela super, mais nous savons aussi que les adolescents n’utilisent plus leur téléphone de cette façon. Ils veulent être sur les médias sociaux ou dans un clavardoir. J’ai entendu une histoire quelque part sur les boîtes de clavardage d’urgence. Tenons-nous compte du type de médias dont ils ont exactement besoin pour maximiser le contenu que nous voulons partager avec eux? Je ne sais pas trop qui parmi vous pourrait me répondre.
Mme Jeffrey : C’est vraiment une bonne question. Le monde et le paysage technologique et des communications évoluent à toute vitesse. Il n’y a pas de solution universelle. La gamme des services à la jeunesse offre de tout. Il y a des services à la jeunesse intégrés, comme Foundry et d’autres du genre partout au pays, où nous cheminons vers une norme nationale; il y a également des lignes directrices généralement reconnues quant à la façon de procéder en personne, au traitement direct et à l’entraide par les pairs. Bref, une gamme complète de services. C’est une façon d’accéder aux services qui s’avère très efficace.
Durant la pandémie, on a déployé de grands efforts pour trouver de nouvelles façons de joindre les personnes qui étaient à distance en raison des exigences imposées par la COVID. Nous avons lancé Espace mieux-être Canada, une plateforme qui offre d’autres sources aux Canadiens qui se sentent isolés et ont besoin de renseignements ou d’aide pour y remédier. Quand on consulte les données non regroupées, on constate que les jeunes ont en grande partie choisi de recourir aux fonctions de clavardage et de textos accessibles sur le site. Nos lignes d’écoute téléphoniques permettent également les textos et d’autres formes de communication. Aussi, il est possible d’utiliser ce service pour accéder directement à un conseiller en ligne, au besoin.
Il y a eu beaucoup de progrès en très peu de temps. Terminer l’élaboration de l’évaluation et du suivi de ces nouvelles approches, avec l’aide des IRSC et d’autres intervenants, est selon moi l’un des grands défis que nous avons. À quel point sont-elles efficaces? D’après les chiffres et les données en temps réel dont nous disposons, il semble qu’il y avait un besoin et une avidité pour cela. Mais l’efficacité de toutes ces formes de communication pour différentes populations est quelque chose qui constituera une grande partie de notre plan d’action.
[Français]
Mme St-Aubin : Merci, sénatrice, pour la question. J’ajouterais que nous nous inquiétons également pour les jeunes autochtones, les jeunes canadiens noirs, et cetera. Nous avons des fonds que nous versons aux centres de recherche et aux communautés. Je pense en particulier ici à la santé mentale des Canadiens noirs; nous y avons consacré un fonds spécifique. Nous avons un projet qui vise à travailler avec les jeunes, autour du basketball et d’un centre communautaire. C’est le leadership noir canadien qui nous a conseillés. Il faut tester pour avoir les données afin de voir si cela résonne directement avec cette population, en particulier en comparaison avec les autres jeunes partout au Canada. Nous avons plusieurs méthodes pour voir comment cela marche et avec qui. La linguistique culturelle et la géographie sont importantes aussi.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
La sénatrice Mégie : Je pense que ma question pourrait s’adresser à Mme St-Aubin comme à Mme Priest. Vous avez toutes deux parlé de l’évaluation de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Quand vous allez trouver ce qui ne fonctionne pas, est-ce que votre mandat va se prolonger pour savoir pourquoi cela ne fonctionne pas, et qu’est-ce qu’on peut faire pour arranger cela?
Mme St-Aubin : Merci, madame la sénatrice. C’est une très bonne question. Je vois ma collègue Mme Priest qui bouge sa tête pour dire oui.
Nous avons des fonds, des interventions qui se font par étapes. À la première étape, nous voyons ce qui marche ou pas. Si cela ne marche pas, ce projet est fini, mais il y a une deuxième étape où l’on regarde pourquoi. Je vais me tourner vers Stephanie, qui va donner plus de détails.
Stephanie Priest, directrice générale, Centre de santé mentale et de bien-être, Direction générale de la promotion de la santé et de la prévention de maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada : Merci. C’est une très bonne question. Si vous me le permettez, j’aimerais parler en anglais parce que mon français est un peu limité.
[Traduction]
En ce qui concerne la question que vous avez posée, il ne s’agit pas seulement de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas; le « pourquoi » est également un élément essentiel. Comme Mme St-Aubin l’a déclaré, nous devons nous assurer que, lorsque nous mettons en œuvre nos nouvelles mesures de prévention du suicide, nous ne nous contentons pas d’examiner ce qui ne fonctionne pas. Nous devons aussi chercher à savoir pourquoi cela ne fonctionne pas, car certaines mesures fonctionnent auprès de certaines populations, alors que d’autres mesures fonctionnent auprès d’autres populations; les résultats ne sont pas toujours les mêmes. Il est donc absolument essentiel de disposer d’une composante scientifique de mise en œuvre liée aux interventions, une composante qui peut être évaluée en même temps. Comme Mme St-Aubin l’a indiqué, nous avons une certaine expérience en la matière. Dans le cadre de certains de nos programmes actuels de promotion de la santé mentale, nous cherchons à étudier la mise en œuvre — la raison pour laquelle quelque chose fonctionne ou échoue — et à communiquer cette information, afin que nous puissions nous appuyer sur cette expérience pour concevoir notre plan d’action de prévention du suicide. C’est un excellent point que j’avais également noté au cours de la conversation.
[Français]
La sénatrice Mégie : Dans le domaine de la santé mentale, il y a plein de professionnels de la santé, y compris des psychiatres. Cependant, ce sont les médecins de famille qui sont en première ligne pour rencontrer les personnes qui se plaignent d’un problème de santé mentale et que, même s’ils ne s’en plaignent pas, le médecin de famille pourra détecter.
Quelque chose est-il prévu en relation avec les collèges des médecins, afin de promouvoir la formation des médecins de famille à ce sujet? Je sais que vous travaillez au niveau fédéral, mais les collèges des médecins dépendent un peu de vous aussi, n’est-ce pas?
Avez-vous une réponse à ma question?
Mme Jeffrey : Oui, le rôle des médecins de famille est très important; l’attachement d’un individu à son médecin de famille est l’un des facteurs importants pour le succès d’un programme de traitement.
[Traduction]
Nous travaillons avec le Collège des médecins de famille et d’autres intervenants dans le cadre de notre plan d’action concernant les ressources humaines en santé. Comme nous le savons tous, le système est soumis à de fortes pressions. Il est très important que tous les différents membres de la famille des soins de santé, qui vont des médecins aux infirmières, en passant par les psychologues et les pairs-conseillers... comme nous en parlions plus tôt, il y a toute une gamme de différentes professions qui contribuent aux soins intégrés.
Comme la ministre Bennett l’a mentionné, je pense, le Collège des médecins de famille prolonge son programme de formation d’une année, précisément pour s’assurer que les nouveaux médecins de famille connaissent bien le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie et se sentent prêts à traiter des cas de ce genre, et au lieu de se contenter de renvoyer les patients à des spécialistes, qui sont en nombre insuffisant et dont tous les patients n’ont peut-être pas besoin.
Donc, dans ce modèle de soins échelonnés, l’idée est qu’une personne cherchant de l’aide visite, idéalement, son médecin de famille ou son fournisseur de soins de santé et soit orientée vers le niveau de soins approprié au sein de ce système. Ainsi, elle aurait rapidement accès à ces services, de sorte que le recours aux services d’urgence ne serait effectivement possible qu’en cas d’urgence, lorsque survient une situation de crise réelle. Les personnes qui connaissent différents niveaux de détresse pourraient être interceptées beaucoup plus tôt dans leur détresse et être orientées vers le point de service approprié. C’est là un élément essentiel du système pour pouvoir faire face à la situation.
La sénatrice Dasko : Je reviens à ma question concernant la sensibilisation du public et le fait qu’il s’agit d’un objectif important pour sensibiliser le public, améliorer les connaissances et réduire la stigmatisation.
Pouvez-vous me dire si la sensibilisation du public a évolué au cours de la période que vous avez étudiée? La stigmatisation a-t-elle été réduite? Les connaissances ont-elles augmenté? Si vous avez effectué de telles recherches, pourriez-vous décrire leurs résultats et la manière dont cette question a été abordée?
Mme St-Aubin : Je vous remercie, madame la sénatrice de votre question. Ce que je peux dire, c’est qu’en ce qui concerne la réduction de la stigmatisation, l’accroissement des connaissances et l’augmentation de la sensibilisation du public, aucune mesure n’est associée au cadre. C’est la raison pour laquelle le plan d’action est essentiel, c’est-à-dire pour jeter les bases de ces mesures. Il existe de nombreux programmes, dans le cadre desquels on investit dans la mobilisation des connaissances en se fondant sur diverses interventions qui sont éprouvées en ce moment. Il se pourrait que des recherches soient menées. Pour en parler, il faudrait que je m’en remette à mes collègues des IRSC. Nous devons examiner une série de données empirique à cet égard.
Puis-je affirmer précisément que le taux de suicide a diminué de tel ou tel pourcentage? Pour être très franche, je ne peux pas le faire. Au cours des dernières années, nos programmes d’intervention les plus récents ont porté sur la promotion de la santé mentale, c’est-à-dire sur la définition d’une bonne santé mentale, par opposition à la prévention du suicide. Ces programmes comportent une composante de mobilisation et d’application des connaissances, et ce, en mettant l’accent sur les groupes méritant l’équité ou sur ceux que nous avons distingués comme étant les plus à risque grâce aux données et à la surveillance.
La diffusion de l’information a donc été incluse à dessein dans ces programmes, car il est important de transmettre l’information, mais celle-ci doit être fondée sur des données probantes. Elle doit reposer sur ce qui fonctionne et ne pas continuer à promouvoir ce qui ne fonctionne pas.
Mme Kropp : Je me contenterai d’étoffer ce que Mme St‑Aubin a mentionné pour dire qu’en ce qui concerne les données, les études montreront des résultats différents, bien sûr, en fonction des populations qu’elles étudient. Si nous, les Canadiens, voulons être en mesure de mesurer de manière cohérente les résultats obtenus auprès de populations très diverses au fil du temps, nous devons faire un effort pour établir des normes cohérentes par rapport auxquelles nous effectuons ces mesures.
Oui, nous pouvons résumer les résultats des recherches pour montrer ce que différentes études feront, mais pour reprendre l’argument de Mme St-Aubin, l’importance du plan d’action consiste, en partie, à pouvoir énoncer les résultats que nous voulons mentionner et déterminer comment nous allons les mesurer.
Mme Priest : Je peux également compléter les observations de Mmes Kropp et St-Aubin.
Non, comme cela a déjà été décrit, nous ne disposons pas de ce genre de mesures des résultats, mais nous avons effectué un travail que nous devrions être en mesure d’inclure dans notre rapport d’étape plus tard cette année, en examinant certains des domaines dans lesquels il y a des lacunes en matière de recherches sur la prévention du suicide. Nous avons fait ce que nous appelons une mise en lumière des répercussions de la stigmatisation et de quelques-unes des lacunes que pourrions souhaiter combler dans le cadre de recherches à venir.
Dans le cadre de ce travail, nous avons constaté l’importance de réduire la stigmatisation pour encourager la recherche d’aide. Nous avons parlé de la façon dont la stigmatisation peut favoriser des normes comportementales liées à la honte et la peur. Ces normes sont très individuelles.
L’une des lacunes distinguées dans le cadre de ce travail concernait également la stigmatisation structurelle, dont nous n’avons pas beaucoup parlé. Il est nécessaire de mieux comprendre certains des autres obstacles systémiques plus larges et la manière dont ils influent sur les différents groupes en ce qui concerne la recherche d’aide en particulier, mais aussi comment ces obstacles nuisent à la prévention du suicide et à l’accès aux services.
[Français]
Le sénateur Mockler : Ma question s’adresse aux représentants de Santé Canada.
[Traduction]
Je lisais justement le rapport envoyé au premier ministre par la greffière du Conseil privé et secrétaire du Cabinet. Je vais citer les paroles de Mme Charette qui figurent à la page portant sur la façon dont nous exécutons nos programmes. Elle dit au premier ministre ce qui suit :
La santé mentale est une question profondément personnelle. Ce qui est une situation difficile pour une personne peut sembler tout à fait gérable pour une autre. Ce qui semble facile un jour peut sembler impossible le lendemain.
D’après mon expérience de parlementaire, elle a raison à ce sujet.
Je sais qu’il existe une application associée au site Web d’Espace Mieux-être Canada, une application qui a été mentionnée à titre de ressource. Pourriez-vous, par l’intermédiaire de la présidence, fournir au comité les données relatives aux résultats qu’Espace Mieux-être Canada a recueillies, ainsi que les données sur l’utilisation de l’application? Avons-nous un accord à ce sujet?
La présidente : Je crois vous avoir vu hocher la tête pour indiquer que vous consentiez à nous envoyer ces données. Je vous en remercie infiniment.
Sénateur Mockler, il vous reste du temps. Préférez-vous que je passe à la prochaine intervenante?
Le sénateur Mockler : Non, merci, madame la présidente.
La présidente : D’accord. Nous allons maintenant donner la parole à la sénatrice Moodie avant d’amorcer la deuxième série de questions.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
Je veux revenir sur cette barrière du système appelée accès. Le sénateur Brazeau nous a parlé un peu du fait qu’il était lui-même en situation de crise. La sénatrice Petitclerc nous a donné un exemple d’une situation très triste, et il y a un grand nombre de situations comme celle-ci; tous ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine des soins de santé les connaissent.
Ma question porte sur les pénuries reconnues de spécialistes. C’est formidable d’avoir un système de soins progressifs, dans lequel nous pouvons faire progresser les soins à tous les niveaux disponibles, en fonction des besoins. Cependant, lorsque nous avons besoin de spécialistes pour prendre en charge et poursuivre les soins, après la crise. La situation à laquelle nous faisons face en réalité — et j’espère que vous pourrez nous faire part de votre savoir à cet égard — existe-t-il des données pour documenter le fait qu’il y a une limite ou une restriction en matière de soins à ce niveau? Parce que c’est l’un des problèmes que nous devons résoudre. Nous devons suivre de près l’évolution de ce problème, nous devons le démasquer et nous devons démontrer comment fonctionnent les mesures visant à modifier la restriction des soins à ce niveau.
Cela fait-il partie du plan d’action pour les années à venir?
Mme Jeffrey : L’une des parties clés du plan d’action consiste à dresser la carte des difficultés d’accès. C’est l’un des aspects qui intéresse le plus, les Canadiens et le gouvernement fédéral. La situation n’est pas la même pour toutes les spécialisations de l’ensemble du système de soins de santé; certains spécialistes sont moins disponibles que d’autres. Dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, en particulier, il est nécessaire d’évaluer un large éventail de spécialisations distinctes qui ont une incidence sur les soins de santé mentale. Il existe une variété de volets de soins de santé et de types de fournisseurs qui peuvent répondre à ces besoins.
L’accès est un problème plus vaste qui touche l’ensemble du système de soins de santé. Le gouvernement fédéral a financé des transferts pour raison de santé mentale et des accords bilatéraux avec les provinces sur une période de 10 ans. Cette période est à peu près à moitié écoulée, et l’accès aux soins est l’un des aspects prioritaires de ce financement. Les provinces et les territoires établissent en ce moment leurs priorités pour les cinq prochaines années, soit jusqu’en 2027.
Je le répète, il est très important cette année de réévaluer où nous en sommes en ce qui concerne les pénuries et d’examiner non seulement la façon d’accroître le nombre de spécialistes au moyen d’un recrutement et d’une formation supplémentaires, mais aussi la façon de maintenir en poste les fournisseurs de soins de santé que nous avons. Pendant la pandémie de COVID-19, en particulier, mais aussi parce que ces personnes sont des fournisseurs de soins de santé de première ligne, les Canadiens ont vécu une période de grande tension et de difficultés. Dans de nombreux secteurs de la profession, le taux d’attrition attribuable aux personnes qui quittent la profession prématurément ou se dirigent vers d’autres professions est également un risque élevé.
Notre stratégie en matière de soins de santé devra prendre en compte toutes ces différentes dimensions qui ont une incidence sur le nombre de fournisseurs de services que nous avons. Je dirais que, pour soutenir les soins de santé mentale, la feuille de route des ressources humaines doit représenter une partie importante de notre plan d’action, mais aussi une partie du plan plus large que nous élaborons pour les soins de santé au Canada.
La sénatrice Moodie : Comme nous parlons de santé mentale, j’aimerais surtout savoir quelles stratégies concrètes font partie de votre plan d’action pour procéder à l’élimination des pénuries bien reconnues. Nous sommes au courant de ces pénuries. Nous sommes même en train de modifier la définition des soins actifs. Je vois un enfant, et j’entends des idées suicidaires; je veux l’envoyer se faire soigner quelque part, mais il n’y a aucun endroit qui offre ces soins. C’est un problème avec lequel nous sommes tous aux prises.
Ces personnes jouent un rôle très important. Il ne s’agit pas de conseillers scolaires, mais de spécialistes.
La présidente : Avant de passer à la deuxième série de questions — et oui, sénateur Mockler, votre nom figure sur ma liste — je vais poser une très brève question à nos témoins en ligne.
Madame Priest, vous avez formulé des observations sur la stigmatisation structurelle. Vous pourriez peut-être nous dire si le cadre de travail a aidé à distinguer et à contrer les manifestations de stigmatisation structurelle dans notre système et nos communautés, et ce sur quoi le plan d’action devrait être axé, à votre avis, en ce qui concerne la stigmatisation structurelle.
Ensuite, si je dispose d’une minute, j’aurai une question à poser au Dr Wong.
Mme Priest : Je vous remercie de votre question.
La première partie de votre question concerne les mesures pour contrer la stigmatisation structurelle que prévoit le cadre fédéral de prévention du suicide actuellement en vigueur. Il n’est pas axé sur la stigmatisation structurelle. Nous n’avons pas mis l’accent sur la stigmatisation structurelle; nous nous sommes davantage concentrés sur la sensibilisation et sur l’examen de la stigmatisation d’un point de vue individuel. Nous avons déployé certains efforts relatifs aux messages responsables, et d’autres ministères ont effectué un travail semblable. Donc, non, nous n’avons pas mis l’accent sur cet aspect.
Je pense que la partie suivante de votre question concerne l’occasion pour nous d’examiner cette question dans le cadre d’un plan d’action national. La réponse est « tout à fait ». C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai évoqué ce problème. Je pense qu’il y a beaucoup d’efforts déployés dans le cadre de certains de nos autres travaux dont nous pouvons nous inspirer en ce qui concerne la stigmatisation structurelle, qu’il s’agisse de la prévention des préjudices et de la stigmatisation liés à la consommation de drogues et d’alcool et à d’autres aspects.
Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine, et nous aimerions qu’un plus grand nombre de recherches soient menées dans ce domaine. Nous sommes ouverts aux idées et aux points de vue du comité et d’autres experts sur la façon dont la stigmatisation structurelle peut être abordée dans le cadre d’un plan de prévention du suicide.
La présidente : Merci.
Docteur Wong, en votre qualité de médecin en chef de la santé publique à Services aux Autochtones Canada, je me demande si vous pourriez nous dire ce que vous pensez de l’état de la coordination entre les ministres et les ministères, si vous pensez que cette coordination pourrait être améliorée et, le cas échéant, de quelle façon elle pourrait être améliorée.
Dr Wong : Merci.
À l’heure actuelle, des groupes de travail et des comités intensifs et permanents, où des représentants de l’Agence de la santé publique du Canada, de Santé Canada, de Service correctionnel du Canada et d’autres ministères fédéraux jouent un rôle, se réunissent à ce sujet.
Cependant, là où je vois une possibilité de travail supplémentaire, c’est en ce qui concerne l’établissement d’une table de discussion collective entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les autres groupes racisés et marginalisés. En ce moment, des discussions fédérales-provinciales-territoriales ont lieu. Des discussions entre diverses parties fédérales ont lieu, et des discussions entre le gouvernement fédéra, les Métis, les Premières Nations et les Inuits ont lieu. Nous avons besoin de créer une table de discussion collective entre les groupes fédéraux, provinciaux et territoriaux, les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les autres groupes marginalisés. Merci.
La présidente : Merci. Vos observations étaient très utiles — c’est-à-dire les observations que vous avez formulées tous les deux. Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions.
La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier chacun de vous. Je pense que cette discussion est très utile et importante.
Je voudrais poursuivre en posant une question au sujet de la déclaration de la ministre, si vous le permettez. Peu m’importe qui y répond.
La ministre Bennett a fait des commentaires positifs à propos du service de santé national du Royaume-Uni. Je me demande s’il y a des pratiques ou des leçons particulières que nous pouvons tirer du Royaume-Uni en ce qui concerne les enfants, les questions relatives à la diversité et au suicide, la stigmatisation et les craintes ou les résultats et la coordination.
Je vais parler à titre personnel pendant une minute. J’ai des enfants qui vivent au Royaume-Uni, et ils ne sont pas toujours très élogieux à l’égard du service de santé national du Royaume-Uni. Y a-t-il des leçons positives à tirer de cette organisation, ou y a-t-il, dans leurs données et leurs résultats, des manifestations de problèmes que nous devrions éviter?
Mme Jeffrey : Je peux répondre en partie à la question, et mes collègues pourront aussi donner leur opinion.
En élaborant notre plan d’action national, nous voulons notamment apprendre de nos homologues internationaux. Nous allons participer bientôt à un sommet mondial sur la santé mentale qui nous donnera aussi l’occasion d’avoir des discussions en personne et de participer à des tables rondes internationales sur nombre de ces sujets importants. Il s’agit d’un processus d’apprentissage continu. Au sujet des NHS, la structure au Royaume-Uni est, bien évidemment, très différente de la nôtre. Ils n’ont pas un système fédératif comme le Canada, mais je pense que cela leur a permis d’adopter des stratégies centralisées et de mettre en place des systèmes de soins intégrés.
Le fait d’avoir un système fédéral ne veut pas dire que nous ne pouvons pas aspirer à en faire autant, comme la ministre l’a dit. Nous discutons avec eux et avec nos autres homologues. Nous avons rencontré récemment les responsables britanniques chargés des normes et des directives. Nous examinons leurs façons de procéder. Nous mettons en commun nos pratiques exemplaires.
Même si notre système n’est pas directement comparable au leur, nous pouvons assurément nous inspirer de ce qu’ils ont mis en place dans des régions déterminées en ce qui concerne les soins de santé numériques, la transmission des dossiers de santé et l’accès. Ce sont des exemples de ce que nous examinons.
La sénatrice Bovey : Je parle d’une maladie différente, mais je sais, dans un cas très personnel, que les NHS mettent à contribution quatre disciplines médicales différentes qui travaillent ensemble pour s’occuper du problème que connaît ma famille. Est-ce que le genre de travail d’équipe qui se fait au Royaume-Uni en santé mentale et en prévention du suicide pourrait nous être utile?
Mme St-Aubin : Stephanie Priest est celle qui est en contact étroit avec le Royaume-Uni et sait ce que nous faisons précisément en santé mentale. Toutefois, je peux vous dire que nous commençons déjà à voir de petites équipes interdisciplinaires, très petites, se mettre en place en santé mentale au Canada. On en entend parler dans les discussions que nous avons au sujet de la ligne d’écoute 988 et aussi sur la scène internationale. Nous travaillons en étroite collaboration avec les États-Unis. Nous leur emboîtons le pas, en fait, car ils viennent de déployer la leur. Le Royaume-Uni est un exemple, mais nous travaillons aussi avec d’autres pays pour le faire. Il ne faut pas que ce soit seulement une discipline, il faut que ce soit multidisciplinaire.
Le sénateur Patterson : Ma question s’adresse à l’Agence de la santé publique du Canada. Dans votre rapport d’étape de 2020, il était question des travaux réalisés dans le cadre du plan d’action national pour la prévention du suicide, après l’adoption unanime de la motion par le Parlement en 2019. Il y est question de continuer à faciliter la coordination et la collaboration.
Pourriez-vous nous dire où en est l’élaboration de ce plan d’action actuellement?
Mme St-Aubin : Je vous remercie de la question, sénateur. Nous avons un comité de coordination fédéral qui réunit les ministères fédéraux et qui nous fait rapport. Nous recueillons l’information en vue de la publication de notre rapport de 2022 en décembre.
Je vais céder la parole à Stephanie Priest, qui est la présidente du comité, pour vous dire où nous en sommes.
Mme Priest : Le comité de coordination fédéral a été mis sur pied lors de la création du Cadre fédéral de prévention du suicide et il se concentre actuellement sur l’échange de renseignements et participe à l’élaboration des rapports d’étape sur le cadre. Votre question au sujet du plan d’action national est en lien, je crois avec la motion M-174, adoptée à l’unanimité en 2019. C’est pourquoi il en a été question dans le rapport d’étape de 2020. C’était une occasion pour nous d’aller de l’avant. Puis la pandémie de COVID a frappé, et nous avons réorienté nos efforts vers la réponse à la COVID dans le domaine de la santé mentale et, bien entendu, dans d’autres domaines.
Le plan d’action dont nous parlons est le même auquel la ministre Bennett a fait allusion. C’est pour nous l’occasion d’intégrer les éléments généraux dans le Cadre fédéral de prévention du suicide. Comme je l’ai mentionné, le cadre législatif comprend six éléments prescrits, regroupés sous trois objectifs, qui sont toutefois très généraux. Quand la mise en œuvre d’un plan d’action s’articule autour d’éléments clés — des preuves, des lignes directrices et des pratiques exemplaires —, c’est ici que nous avons l’occasion d’agir. Nous venons tout juste de rétablir le contact avec les principales organisations et d’autres intervenants pour discuter de la façon de mettre en œuvre efficacement le plan d’action. Encore une fois, c’est ce dont la ministre Bennett a parlé dans sa déclaration liminaire. Pour le comité, et d’autres, et pour nos partenaires internationaux, c’est une bonne occasion de rendre les choses plus concrètes et axées sur les résultats en évaluation.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie. Je souligne que le rapport de 2020 mentionnait, au sujet du plan d’action national sur la prévention du suicide, qu’il n’y avait pas de nouvelles ressources attribuées au plan d’action, un point à souligner, à mon avis. Voici donc ma question : disposez-vous de ressources suffisantes pour faire le travail?
Mme St-Aubin : Je vous remercie de la question, sénateur. Vous avez raison. Il n’y a pas de ressources définies tant pour le cadre que pour la mise en œuvre du plan d’action national. Cela dit, nous sommes encore en train de travailler sur la forme que prendra le plan d’action national. Nous espérons assurément que les conservations que nous avons avec tous nos partenaires et que cette étude aujourd’hui nous permettront d’obtenir plus de ressources au besoin.
Au sortir de la pandémie, le taux de mortalité par suicide est stable, mais ce n’est pas assez. Encore une fois, même si nous disposons des fonds nécessaires pour faire le travail actuel, il faut toujours plus de financement si on juge qu’il s’agit d’une priorité. Je pense que les conservations que nous avons en font pour nous tous une priorité.
Le sénateur Mockler : J’ai une question qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai entendu les propos du Dr Wong, que je veux féliciter. Lorsque vous parlez des rencontres fédérales-provinciales-territoriales, nous sommes tous conscients des compétences provinciales. Cela étant dit, j’ai passé 24 ans dans une autre assemblée — l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick —, et nous savons tous à quel point le respect des compétences est important.
J’ai quelques questions. La ministre a mentionné plus tôt qu’en novembre — je crois que c’est de cette année —, il y aura une rencontre fédérale-provinciale-territoriale. Est-ce que cet ordre de renvoi sera à l’ordre du jour de cette rencontre? Les provinces ou les territoires montrent-ils de la résistance face à cet ordre de renvoi ou au cadre que nous examinons? Sont-ils tous d’accord avec le programme?
Mme Jeffrey : Je peux répondre à la question. Les provinces et les territoires, bien sûr, sont les fournisseurs des soins de santé au Canada. Il est essentiel que nous travaillions ensemble. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à maints égards — réglementation, normes, directives, recherches, financement —, mais ce sont les provinces qui assurent la prestation des soins sur le terrain et qui sont les plus près des besoins.
Je dois dire qu’avec la nomination de la ministre Bennett, nous avons été en mesure de braquer les projecteurs sur la santé mentale et la toxicomanie, et elle a des interlocuteurs directs dans nombre de provinces et de territoires. Nous collaborons avec eux, et nous aurons une rencontre qui sera expressément consacrée à ces questions. Il y aura une rencontre élargie en novembre où ces questions seront également à l’ordre du jour.
Il s’agit de questions cruciales. Au sortir de la pandémie, les provinces et les territoires sentent parfaitement qu’ils ont besoin d’améliorer les services de santé mentale et de toxicomanie. Ils sentent aussi la pression sur les ressources humaines et en santé à laquelle la sénatrice Moodie a fait allusion un peu plus tôt. Ce plan d’action, avec l’intérêt et la prise de conscience renouvelés qu’il suscite à l’égard des défis que nous devons relever, est une occasion sans pareille d’agir. Nous n’avons éprouvé aucune résistance, bien au contraire. Les provinces et les territoires ont même pris les devants pour faire de ces enjeux de grandes priorités.
Mme St-Aubin : Sénateur Mockler, c’est une très bonne question. La plupart des provinces et territoires, sinon l’ensemble, ont un cadre, une stratégie ou un programme quelconque de prévention du suicide, mais à des niveaux très différents. Avec l’arrivée du gouvernement fédéral comme interlocuteur, nous devons faire en sorte de donner l’impression que nous ne voulons pas prendre les choses en main. L’idée est plutôt de voir ce que nous pouvons faire pour les aider, jouer un rôle de coordination et apprendre les uns des autres. C’est assurément ce que nous enseigne la ligne 988 et les lignes de prévention du suicide. Nous discutons avec nos homologues provinciaux et territoriaux qui ont leurs propres programmes, le Québec, et cetera. Nous voulons nous assurer de procéder en complémentarité.
Le sénateur Kutcher : J’ai une question générale. Je me demande si vous pourriez nous dire — pas maintenant, mais un peu plus tard — ce sur quoi nous ne devrions pas oublier d’insister dans notre rapport. C’est une possibilité ouverte. Nous avons discuté de nombreux sujets ici, mais à votre avis, qu’est-ce que nous ne devons pas oublier, parce que vous y jouez un rôle actif?
L’autre élément porte sur les données. Nous nous rappelons tous avec émotion les discussions que nous avons eues sur les données pendant la pandémie, et le moment où nous nous sommes rendu compte avec consternation que nous n’avions pas de données concrètes sur la santé mentale de la population. Il n’y avait pas de données administratives collectives, collaboratives sur l’utilisation des services en santé mentale, et aucune donnée sur les résultats.
Serait-il utile pour vous que nous insistions sur les données et l’absolu besoin que nous en avons? De plus, avons-nous un programme national de surveillance du suicide en place, ou prévoyez-vous en mettre un en place? Un tel programme serait-il utile pour mieux comprendre ce que nous faisons et comment nous le faisons?
Mme St-Aubin : Nous parlons le même langage. C’est merveilleux. Je vais commencer par le dernier segment, soit le système national de surveillance du suicide. Je vois Rhonda Kropp, une ancienne collègue, qui a mené les discussions à propos de la forme que prendrait la collecte de données sur la surveillance du suicide à l’échelle du pays. Nous n’avons pas de système ayant une portée pancanadienne à l’heure actuelle. La pandémie de la COVID nous a un peu ouvert la voie parce que nous avons dû agir proactivement de manière stratégique pour tenter d’avoir accès aux données de nos homologues provinciaux et territoriaux, et nous l’avons fait aussi dans le dossier des opioïdes. Des membres de mon équipe ont dépêché des agents de surveillance dans les bureaux des coroners en chef et des médecins légistes en chef pour tenter d’obtenir des données sur la mortalité liée aux opioïdes. Nous le faisons aussi pour les données sur les visites aux services médicaux d’urgence et dans les salles d’urgence. Nous avons tiré des leçons de la COVID et de la crise des opioïdes qui l’a précédée. Nous examinons maintenant comment cela peut se traduire pour le suicide. Comment peut-on avoir accès aux données sur le suicide en temps opportun? C’est exactement ce que vous demandiez à la ministre au sujet des visites aux services médicaux d’urgence et dans les salles d’urgence.
Vous avez demandé ce que j’aimerais voir dans votre étude, eh bien, ce sont des innovations de ce genre. J’aimerais aussi vous voir pousser votre étude un peu plus loin et savoir comment concrétiser le tout.
Je vais céder la parole à Rhonda Kropp pour répondre à la première partie de votre question sur les données, dont nous nous réjouissons toujours.
Mme Kropp : Je vous remercie beaucoup de la question. C’est une question qui me tient beaucoup à cœur également.
Il serait sans doute utile que le comité examine certains éléments pendant ses délibérations et son étude. Il faudrait notamment aller au-delà de ce que nous faisons actuellement au chapitre des évaluations. On mentionne souvent dans les rapports qu’il faut évaluer et obtenir des résultats, ce qui ne veut pas nécessairement dire que nous devons effectuer une recherche évaluative ponctuelle, rédiger un rapport et le mettre de côté. Nous avons l’occasion, je pense, de réfléchir à l’idée d’intégrer les évaluations dans la prestation même des soins afin d’obtenir des données probantes qui pourront être générées et utilisées plus rapidement qu’à l’heure actuelle.
Il est toujours utile de procéder à des recherches évaluatives pour ensuite faire de notre mieux pour travailler avec nos partenaires afin d’appliquer les résultats dans les soins. Toutefois, quand on intègre la recherche dans un système de santé apprenant, on est alors beaucoup plus près des soins; elle fait partie intégrante de l’équipe et on peut ainsi réduire le délai pour passer des conclusions des recherches à l’adaptation des soins, de notre système ou de nos modèles.
Je suggérerais que, lorsqu’on pense évaluation, qu’on se demande si on peut penser plus large. Peut-on penser à des modèles qui nous permettent d’utiliser les données plus rapidement afin que les soins soient plus efficients et plus efficaces pour tous les Canadiens?
Pour ajouter à ce que Mme St-Aubin a dit au sujet des données, mon deuxième point serait qu’il faut se rappeler que l’information doit servir à répondre à certaines questions. Différentes données seront nécessaires pour répondre à différentes questions. Dans certains cas, les données de surveillance vont servir à telle chose. Dans certains cas, les données de recherche vont servir à telle chose. Dans d’autres cas, il nous faut simplement d’autres méthodologies. Si on garde en tête les questions et le fait que la collecte des données vise à y répondre, nous serons dans une bien meilleure position qu’en les recueillant et en nous croisant ensuite les doigts pour qu’elles le fassent.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je ne sais pas qui pourra répondre à ma question, mais la plupart d’entre vous êtes à Santé Canada. En observant les statistiques des principales causes de décès, la catégorie des accidents présente de trois à cinq fois plus de décès que le suicide, qui est catégorisé comme une lésion auto-infligée. Se pourrait-il que les gens soient placés dans la mauvaise catégorie et que cela masque certains suicides, involontairement, dans les statistiques? Y a-t-il un moyen de corriger cela pour avoir des données un peu plus précises à ce sujet?
Mme St-Aubin : Merci beaucoup pour cette question, madame la sénatrice. Oui, nous sommes d’accord qu’il est possible que les données ne soient pas exactement parfaites. Est-ce un accident involontaire ou un suicide? C’est la même chose pour la mentalité des opioïdes ou des substances. Y a-t-il une chance de les corriger? Oui, je crois que les discussions — et comme Mme Kropp l’a dit —, qu’il faut poser les bonnes questions pour s’assurer que les données sont assez spécifiques pour qu’on obtienne les vrais chiffres. Je n’ai pas les données avec moi maintenant, mais oui, je crois que les discussions avec les sénateurs pour soulever la question des indicateurs, la façon de les mesurer et leurs définitions sont importantes. C’est un aspect dont on n’a pas discuté aujourd’hui : quelles sont les définitions du suicide, des accidents, etc. C’est tellement important —
[Traduction]
Pour avoir une réelle incidence et la mesurer, il faut avoir des définitions et poser les bonnes questions. Vous avez donc raison, oui.
Mme Jeffrey : Les recherches que nous avons vues montrent que le nombre de cas déclarés de suicide est largement inférieur au nombre de cas réels, et cela est lié en bonne partie au fait que les coroners ou les fournisseurs de soins veulent épargner à la famille la douleur de cette conclusion. La sous-déclaration est bien documentée. Cela devra faire partie d’une stratégie sur les données plus vaste et du volet des définitions dont Mme St-Aubin vient de parler, mais c’est un vrai problème.
Mme Priest : J’aimerais simplement ajouter que notre équipe de surveillance à l’Agence de la santé publique s’emploie à resserrer les liens avec les coroners et les médecins légistes en chef pour remédier au problème ou à la déclaration erronée de certains décès, leur catégorisation et leur codage. Il s’agit, bien sûr, d’un processus continu.
Il faut mesurer le nombre de décès, bien entendu, mais il y a aussi d’autres éléments que nous voudrions examiner pour bien comprendre ce qui se passe. Une fois que nous obtenons les données, toutes sortes de données, une bonne part du travail consiste ensuite à savoir comment les utiliser pour guider et orienter nos politiques et les mesures à prendre. Je dirais simplement que la conversion de ces données est également cruciale.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. J’avais aussi quelques questions, mais notre temps est malheureusement écoulé.
J’aimerais remercier mes collègues et nos témoins de leur temps. Les discussions ont été fort utiles pour faire progresser nos travaux.
Honorables sénateurs, notre prochaine rencontre aura lieu mercredi à 16 heures, et nous poursuivrons notre étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide. Je sais que le sujet de cette étude n’est pas facile. J’aimerais donc rappeler aux sénateurs et aux membres de leur personnel qu’ils peuvent communiquer avec le Programme d’aide aux employés pour obtenir des services de conseils gratuits à court terme, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour des problèmes de nature personnelle ou professionnelle, de même que des services de consultation d’urgence.
Comme il n’y a pas d’autres questions, la séance est levée.
(La séance est levée.)