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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence, à 11 h 32 (HE), pour étudier le Cadre fédéral de prévention du suicide, et pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je déclare de nouveau la séance ouverte. Je vais devoir commencer par le début pour que les témoins puissent entendre le contexte.

Avant d’accueillir nos témoins, j’aimerais faire une mise en garde sur le contenu. Pour notre premier groupe de témoins, notre comité poursuit son étude du Cadre fédéral de prévention du suicide. Nous discuterons de sujets liés au suicide et à la santé mentale. Ces sujets peuvent être douloureux pour les gens qui sont dans la salle avec nous, ainsi que pour ceux qui nous regardent et nous écoutent.

Les numéros de téléphone des lignes d’assistance en cas de crise seront diffusés pendant cette réunion. Nous rappelons également aux sénateurs et aux employés du Parlement que le Programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat est à leur disposition et qu’il offre des services de counseling à court terme pour toutes préoccupations personnelles et professionnelles, ainsi que des services de counseling en situation de crise.

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons par vidéoconférence le Dr Sidney Kennedy, professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Toronto, le Dr J. John Mann, directeur du Centre Conte pour la prévention du suicide de l’Université Columbia, et le Dr Gustavo Turecki, professeur titulaire et directeur, Département de psychiatrie de l’Université McGill. Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous avons hâte d’entendre vos commentaires. Je tiens à rappeler à tout le monde que l’étude porte sur l’évaluation du Cadre fédéral de prévention du suicide publié en 2012 plutôt que sur les idées et les connaissances concernant la prévention du suicide en soi.

J’aimerais demander aux témoins et aux membres du comité de garder cela à l’esprit. J’invite maintenant chacun d’entre vous à faire une déclaration préliminaire. Veuillez vous en tenir à cinq minutes. Nous passerons ensuite aux questions.

Docteur Kennedy, vous avez la parole.

Dr Sidney Kennedy, professeur, Département de psychiatrie, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invité à prendre la parole devant le Comité sénatorial permanent sur le Cadre fédéral de prévention du suicide.

La mort par suicide demeure l’une des 10 principales causes de décès chez les jeunes de tous âges, et il s’agit de la deuxième cause de décès chez les jeunes de 15 à 24 ans au Canada. Il y a de nombreux facteurs de risque, des facteurs multifactoriels et certains facteurs de protection. Le suicide n’est pas un problème médical, mais il est associé à de nombreux troubles mentaux, notamment la dépression, les troubles liés à la consommation de substances et les troubles bipolaires.

Des facteurs de risque importants peuvent entraîner une transition, et le concept d’acquisition de capacités est pertinent, car une personne peut avoir des idées noires, ce qui se traduit par une tentative de suicide ou, en fin de compte, par la mort par suicide.

Le cadre ne fournit pas de renseignements adéquats sur la gestion aiguë des crises suicidaires. Il fait un excellent travail à bien des égards en mettant en évidence les objectifs à long terme dans le domaine de la santé publique, en réduisant la stigmatisation, en favorisant la sensibilisation, en reliant les Canadiens, en fournissant des informations et des ressources et en accélérant la recherche.

Le domaine du traitement médical aigu dans la collectivité, à l’urgence ou ailleurs mérite plus d’attention. Je ne parlerai pas au nom du Dr Mann, mais il a certainement souligné, dans des communications récentes, de nombreux aspects des traitements médicaux qui peuvent réduire le risque d’un acte suicidaire aigu, ce qui peut souvent sauver des vies. Il s’agit d’aspects auxquels on ne répond pas adéquatement.

Il y a beaucoup plus de domaines de recherche biologique en ce qui concerne certains des travaux d’imagerie du cerveau qui peuvent être effectués pour évaluer différentes réponses dans ce que nous considérons comme une imagerie fonctionnelle du cerveau.

Enfin, les pratiques exemplaires sont importantes, mais ce ne sont peut-être pas des traitements fondés sur des données très probantes. Je pense également qu’il y a un risque à approuver des traitements en fonction de leur accessibilité plutôt qu’en fonction de l’efficacité et, en fait, d’une sécurité éprouvées.

Mon dernier exemple est celui de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, ou l’ACMTS, qui examine l’efficacité clinique des psychothérapies axées sur le suicide par rapport aux thérapies qui ne portent pas expressément sur le suicide offertes aux personnes en situation de crise. Cinq essais ont été relevés. Trois étaient des essais contrôlés randomisés. Il n’y avait essentiellement aucune différence entre les psychothérapies générales et les thérapies plus particulières, mais nous continuons de suivre des approches qui semblent pertinentes plutôt que des approches fondées sur des données probantes.

Ce sont là mes impressions du document évolutif qui est apparu au cours des dernières années. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Kennedy.

Dr J. John Mann, directeur, Centre Conte pour la prévention du suicide, Université Columbia, à titre personnel : Je vous remercie. Je suis honoré d’avoir été invité à participer à vos délibérations.

Je dois dire d’emblée que je n’ai lu aucun de ces documents ni aucun plan, alors je n’ai aucune idée de ce que vous envisagez pour le moment. Ce que je peux faire, c’est résumer un document exhaustif que mes collègues et moi avons rédigé très récemment dans l’American Journal of Psychiatry. Dans ce document, nous avons tenté d’évaluer les données à l’appui de l’efficacité des différentes stratégies de prévention du suicide, puis de classer chacune de ces stratégies pour déterminer si elles peuvent être appliquées dans une ville, un État ou une nation.

Essentiellement, les principales conclusions de cet article sont que la mesure probablement la plus efficace démontrée dans les études — 10 études sur 12 — est de former les médecins de soins primaires pour mieux reconnaître et diagnostiquer la dépression majeure pour ensuite la traiter plus efficacement. Vous remarquerez que le mot « suicide » ne figure pas dans cet objectif. Néanmoins, des études nous ont appris qu’environ la moitié des suicides sont le résultat d’une complication d’un épisode dépressif majeur. S’il était possible de former les médecins de soins primaires du pays pour qu’ils puissent mieux reconnaître et traiter la dépression, nous pourrions sauver beaucoup de vies.

L’autre chose qu’il est important de savoir, c’est que les gens qui se suicident dans les 30 jours suivants verront deux fois plus de médecins de soins primaires, d’internistes ou d’obstétriciens-gynécologues que de psychiatres ou de professionnels de la santé mentale. Il serait important de concentrer les efforts sur l’orientation de ces patients. Environ 40 % de ces patients verront un professionnel de cette catégorie dans les 30 premiers jours avant leur décès, et environ 80 % en verront dans l’année précédant leur décès. Ce groupe de médecins est donc particulièrement bien placé pour sauver beaucoup de vies.

Il est possible d’appliquer ce programme en l’étendant aux médecins internes, aux urgentologues, aux obstétriciens-gynécologues, et ainsi de suite, ce qui pourrait avoir un effet multiplicateur.

Le prochain domaine qui démontre clairement que cette approche fonctionne est la sensibilisation et le suivi. Lorsqu’un patient se présente en situation de crise suicidaire à une unité d’hospitalisation, à un service d’urgence ou devant un professionnel de la santé, c’est-à-dire lorsqu’il se présente en situation de crise suicidaire aiguë ou qu’il a des idées qu’il n’est pas certain de pouvoir maîtriser, il faudrait mettre sur pied une forme de suivi actif. Autrement dit, si le patient ne se présente pas à un rendez-vous donné, quelqu’un pourra communiquer avec lui et lui envoyer des courriels pour lui demander comment il se porte sur une période de quelques mois ou d’un an, c’est‑à‑dire la période la plus à risque pour ce groupe de patients. Si nous pouvions empêcher les gens de passer à l’acte en effectuant un suivi diligent, nous pourrions réduire de moitié le taux de tentatives de suicide dans cette population.

Le troisième élément qui fonctionne est la restriction. Par exemple, comme vous le savez, au sud de la frontière, aux États‑Unis, il existe un gros problème concernant les armes à feu que certains utilisent pour mettre fin à leurs jours. La moitié des suicides aux États-Unis sont le résultat de blessures auto‑infligées par une arme à feu. Le problème avec les armes à feu, c’est que le taux de mortalité par tentative est extrêmement élevé, et il est très difficile de sauver des gens. Si nous pouvions empêcher les gens d’avoir accès aux méthodes les plus létales, ils seraient alors forcés d’utiliser des méthodes moins létales, ce qui nous donnerait une occasion de les décourager de passer à l’acte. N’oubliez pas qu’une personne qui survit à une tentative de suicide n’a que 20 % de chances de mourir par suicide par la suite; il est donc très important d’essayer d’empêcher le plus possible que les gens aient accès aux méthodes les plus meurtrières.

Le quatrième domaine où il y a des preuves suggérant une possibilité d’amélioration du risque de suicide concerne les médias. Les médias devraient être bien informés pour ne pas faire de sensationnalisme sur le suicide et pour se concentrer sur le fait qu’il existe des traitements pour le prévenir et aider les gens. Et je ne parle pas uniquement de la presse écrite et des médias électroniques, je parle aussi des médias sociaux. C’est un combat extrêmement important pour essayer de prévenir au moins un petit nombre de suicides, particulièrement chez les jeunes.

La présidente : Merci, docteur Mann.

[Français]

Dr Gustavo Turecki, professeur titulaire et directeur, Département de psychiatrie, Université McGill, à titre personnel : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Merci de votre invitation à témoigner devant ce comité et, surtout, merci de l’intérêt que vous portez à la question du suicide au Canada.

[Traduction]

Le Cadre fédéral de prévention du suicide comprend de bonnes intentions et de bons objectifs généraux, mais il manque de détails et, surtout, de postes budgétaires particulièrement liés aux six éléments d’action. J’aimerais également dire que le cadre manque de buts et de résultats précis et, surtout, de méthodes pour quantifier le succès des six éléments qui doivent être mis en œuvre.

Par exemple, je vais me concentrer sur le sixième élément, qui demande une augmentation de la recherche et des pratiques fondées sur des données probantes pour la prévention du suicide.

Au cours des cinq dernières années, j’ai présidé le comité canadien chargé de définir un programme national de recherche sur le suicide et sa prévention. Ce comité a été coordonné par l’Agence de la santé publique du Canada, en collaboration avec la Commission de la santé mentale du Canada.

Le comité a fait de l’excellent travail pour élaborer un programme vaste qui intègre des éléments de preuve visant à guider les médecins, mais il a aussi subi une influence politique. Encore plus important, les recommandations n’étaient assorties d’aucun poste budgétaire.

D’importantes omissions de cet exercice étaient que les principaux bailleurs de fonds de la recherche au Canada n’étaient que des observateurs. Comment pouvons-nous espérer l’adoption d’un programme de recherche comme celui-ci alors que les Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, et d’autres organismes des trois conseils et qui appuient directement la recherche au Canada n’ont pas joué un rôle central dans cet exercice? De plus, comment peut-il fonctionner avec succès lorsqu’il n’y a pas d’enveloppe budgétaire associée à ces travaux? Il n’y a pas de nouvelles enveloppes budgétaires au Canada pour appuyer un programme d’élaboration d’un plan national de recherche sur le suicide.

Aussi, les deux témoins précédents nous ont dit que le suicide est fortement associé à la maladie mentale, particulièrement la dépression et les états dépressifs connexes. Cependant, la plupart des personnes qui sont déprimées et qui ont des idées suicidaires manifestes ne se suicideront pas et elles risquent peu d’avoir des pensées suicidaires.

Il est essentiel d’investir dans la recherche. Bien que nous en sachions beaucoup sur la prévention du suicide, comme on l’a déjà dit, l’exercice de détermination des risques et de dépistage des personnes à risque, par exemple, dans les situations d’urgence, est au mieux approximatif. Nous devons investir massivement dans le développement de nouvelles connaissances pour cerner plus précisément les personnes à risque et déterminer ensuite comment mieux répondre. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Turecki.

Je tiens à vous signaler que le Dr Turecki ne sera avec nous que pour les cinq prochaines minutes, si j’ai bien compris. Les sénateurs doivent lui poser des questions maintenant ou demander à la greffière d’obtenir une réponse du Dr Turecki.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous les trois. Sur ce, je vais commencer par vous, docteur Turecki, si vous me le permettez. Je suis vraiment intriguée par vos commentaires sur la recherche et l’absence de dispositions de financement dans le cadre que nous recommandons d’actualiser.

J’ai simplement deux questions, si vous me le permettez. Vous avez parlé des bailleurs de fonds de la recherche, et je le comprends très bien. Dans quelle mesure la recherche qui se fait actuellement dans les universités ou dans le secteur scientifique pourrait-elle combler certaines des lacunes actuelles du cadre?

Dr Turecki : Je n’ai pas les chiffres exacts pour vous répondre, mais je dirais que ce n’est certainement pas suffisant. Il n’y a pas de politique claire au Canada pour promouvoir la recherche sur le suicide. Il y a certainement des recherches sur le suicide, mais il n’y a pas de plan d’action en tant que tel.

L’exercice que nous avons effectué et qui était lié à la sixième priorité du cadre visait principalement à définir un programme pour déterminer les priorités de financement. Comme je l’ai dit, aucune nouvelle enveloppe budgétaire n’est prévue à cet égard. Après avoir travaillé sur ce programme pendant cinq ans, je ne vois pas très bien comment on pourrait y arriver.

La sénatrice Bovey : Le Dr Kennedy a dit que le cadre actuel n’est pas suffisant en ce qui concerne la gestion des crises de suicide. Le Dr Mann a mentionné la nécessité d’inclure les besoins en matière de diagnostic et d’accroître le rôle des soins primaires, ainsi que de la sensibilisation et du suivi. Ce sont de grands enjeux à ajouter à un cadre.

Est-ce que toutes ces questions, pour vous trois, devraient être énoncées ou intégrées à la recherche qui permettra d’établir les mesures quantitatives dont nous avons besoin pour aller de l’avant? Savons-nous combien il y a de chaires de recherche canadiennes dans les universités qui s’occupent de cette question à l’heure actuelle?

Dr Kennedy : Je peux dire qu’il y en a moins de cinq.

La sénatrice Bovey : C’est ce que je craignais. Si l’on combine vos trois témoignages, la recherche portant sur la gestion des crises de suicide, les besoins en matière de diagnostic, de soins primaires et de suivi, diriez-vous que ce sont les principaux enjeux qui doivent être inclus dans la prochaine version d’un cadre canadien de prévention du suicide?

Dr Mann : Je vous ai présenté les outils de base dont nous disposons actuellement. Nous pouvons sauver des vies canadiennes en utilisant les outils que nous avons déjà. Mais ces outils sont imparfaits. Ils peuvent être améliorés. Pour améliorer ces outils, il faut investir dans la recherche nécessaire.

Donc, s’il fallait mettre l’accent sur un seul élément, nous prendrions du retard sur le reste et donc sur ce qui pourrait être l’avenir des mesures de prévention du suicide. Si vous examinez nos trois témoignages, vous verrez que nous avons abordé des éléments de chacune de ces deux voies, mais je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que vous devriez suivre les deux voies en même temps pour sauver la vie de Canadiens avec les outils dont vous disposez maintenant et qu’il faut élaborer de meilleurs outils pour les années à venir.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins d’être venus nous faire part de leur expérience et de leur sagesse. Nous pouvons vraiment en tirer parti.

Notre nouvelle ministre de la Santé mentale et des Dépendances a déclaré ce qui suit devant le comité :

Le suicide est un problème trop grave pour que les fonds soient consacrés à des idées au détriment de programmes fondés sur des données probantes qui sauvent réellement des vies.

Elle s’est engagée à élaborer un plan d’action fondé sur les meilleures données probantes disponibles.

Docteur Mann, vous nous avez donné de très bons conseils sur ce qui devrait figurer dans le cadre fondé sur des données probantes. J’aimerais que l’article du Dr Mann paru en 2021 dans l’American Journal of Psychiatry soit mis à la disposition du comité ainsi que du Dr Turecki.

La ministre parlait d’un élément à deux volets. Il faut nous assurer que les éléments fondés sur des données probantes que nous avons déjà en main sont inclus dans le cadre pour nous guider, comme l’a dit le Dr Mann. Il faut également s’assurer que les éléments qui sont dans le cadre pour lesquels il y a peu de données probantes n’accaparent pas une bonne partie des postes budgétaires et de l’orientation.

Docteur Mann, dans le cadre de votre travail, vous avez parlé de mesures qui fonctionnent et qui sont utiles.

Il y a deux ou trois choses sur lesquelles j’aimerais connaître votre opinion concernant leur utilité et sur la question de savoir s’ils ont atteint leur seuil d’efficacité. Il s’agit d’abord d’une formation générale sur la prévention du suicide dans la population, ensuite des programmes particuliers visant à promouvoir la sensibilisation au suicide et des interventions qui favorisent la santé mentale, et enfin le mieux-être et le bien-être en général. Pour chacun de ces trois domaines, pourriez-vous dire au comité ce que vous pensez de la solidité des données probantes selon lesquelles chacun d’eux aide à prévenir les suicides?

Dr Mann : Merci beaucoup. La formation en prévention du suicide ne s’est pas révélée efficace. Le dépistage de la dépression au niveau de la population est aussi efficace que n’importe quelle autre approche. Chez les adultes, il n’y a pas d’essai de contrôle en formation de prévention du suicide. Elle ne peut pas vraiment être considérée comme fondée sur des données probantes.

En ce qui concerne les jeunes, il a été démontré que cette formation n’était pas efficace. Dans les écoles secondaires, il n’a pas été démontré que l’éducation des enseignants, des travailleurs sociaux, des parents, entre autres, en santé mentale, en suicide et ainsi de suite, était efficace. L’éducation des élèves du secondaire s’est révélée efficace. Ce n’est pas la même chose que la formation en prévention du suicide. En général, je mettrais de côté la formation en prévention du suicide en tant qu’outil factuel disponible.

Deuxièmement, comme je l’ai souligné, l’éducation chevauche la formation en prévention du suicide, mais il semble que si vous vous concentrez sur l’éducation des élèves du secondaire, il y aurait un effet bénéfique de réduction des comportements suicidaires et de tentatives de suicide chez les élèves du secondaire. Elle semble une approche viable. Le fait de parler de suicide et de dépression et de l’expliquer aux élèves ne les met pas à risque. Les étudiants qui ont besoin d’aide sont plus susceptibles d’en obtenir ou d’y avoir accès.

Enfin, l’approche la moins efficace est la formation sur le mieux-être au niveau de la population générale. L’idée qu’on peut faire de tous les parents de meilleurs parents, faire de tous les conjoints de meilleurs conjoints et de rendre les gens plus résilients n’a jamais fait ses preuves. C’est l’approche la plus coûteuse et la moins ciblée et, à mon avis, c’est une perte de temps et d’efforts.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup de votre réponse.

La présidente : Merci beaucoup de ces commentaires.

Le sénateur Brazeau : Bonjour à vous, chers médecins, et merci de votre participation à cette étude. Nous étudions le Cadre fédéral de prévention du suicide, mais en même temps, on nous suggère de ne pas parler de prévention du suicide.

Avant l’entrée en vigueur du cadre, il y avait 0,07 décès par suicide pour 100 000 décès par année. Après l’imposition du cadre, les chiffres sont restés essentiellement les mêmes. Cependant, lorsque nous parlons de la surreprésentation des Autochtones dans le nombre de suicides chez les hommes, nous constatons qu’ils ont 2 fois plus de chances, et que les femmes ont 4,2 fois plus de chances de se suicider. Les hommes inuits ont 7 fois plus de chances de se suicider, et entre 15 et 24 ans, c’est 24 fois plus.

S’il y a toujours une surreprésentation et si nous avons un cadre de travail pour régler ce problème, que pouvons-nous inclure ou recommander pour que, à l’avenir, nous nous occupions des statistiques qui posent problème? S’il y a une surreprésentation des cas de suicide au sein des populations autochtones, que pouvons-nous inclure dans ce cadre pour traiter précisément de ces populations?

Dr Mann : Cette réponse est très simple. Si vous avez une éclosion d’une maladie hautement infectieuse dans une région, vous envoyez des experts étudier ce qui s’est passé. Même ceux d’entre nous qui ne sont pas au Canada savent qu’il y a un gros problème chez les Inuits et les Premières Nations. Ils méritent d’être traités de la même façon que tous les autres. Il n’y a pas lieu d’extrapoler et de spéculer en examinant la population urbaine de Toronto et en essayant de comprendre ce qui se passe. La solution, c’est que vous devriez commencer au bas de l’échelle, c’est-à-dire faire une enquête d’autopsie psychologique. On devrait interroger en détail les familles des 50 ou 100 prochaines personnes qui se seront suicidées dans ces populations et ces régions afin d’obtenir les faits. Pourquoi sont‑elles mortes? Nous l’avons fait dans divers contextes, dans différents pays et dans différentes populations. C’est ainsi que nous avons déterminé qui est à risque et quels sont les facteurs réels. Vous devez éliminer toute forme de spéculation et de mythes.

Dr Turecki : L’étude dont parle le Dr Mann a été réalisée. Il s’agit d’une étude de sept ans menée au Nunavut sur la mortalité par suicide chez les Inuits, qui, comme vous l’avez souligné, sénateur, est l’un des groupes les plus à risque. L’étude a conclu que plusieurs des facteurs de risque que nous voyons dans les régions urbaines s’appliquent également à la réalité inuite, tout comme plusieurs autres facteurs propres à cette communauté.

Je comprends qu’il y a beaucoup de difficultés à mettre en œuvre les recommandations de ces études et à les suivre — cette étude en particulier ainsi que d’autres études qui ont été menées. Pour répondre à votre question, la première chose, c’est que les preuves que ces études ont générées doivent être prises en compte dans l’élaboration des plans d’action associés au cadre. À ma connaissance, on ne l’a pas fait.

Deuxièmement, comme je l’ai dit au début, il faut prendre des mesures précises pour déterminer ce que le cadre doit accomplir et dans quel délai, ce qui ne s’est pas produit non plus. Il est donc très difficile de répondre à votre question, parce que nous ne savons pas exactement ce qui a été mis en place et quels ont été les résultats.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse au Dr Mann. Dans votre article intitulé « Improving Suicide Prevention Through Evidence-Based Strategies: A Systematic Review », vous parlez des avantages de former les prestataires de soins primaires pour qu’ils puissent détecter les signes et les symptômes de la dépression et la traiter.

Actuellement, les soins primaires ne sont pas un élément central du cadre fédéral. Comment pensez-vous que ce type de formation des prestataires de soins primaires pourrait figurer dans un nouveau plan d’action fédéral?

[Traduction]

Dr Mann : Merci. Je suis désolé d’avoir fait perdre du temps au comité en vous demandant de répéter, mais je comprends maintenant la question.

La réponse, c’est que c’est l’un des meilleurs outils que nous ayons, alors il est clair, d’après ce genre d’interventions en éducation médicale, qu’il faut un programme d’éducation permanente avec des cours de mise à jour; sinon, tout ce qui a été enseigné sera oublié après deux ans. Nous pouvons ainsi réduire considérablement le nombre de décès attribuables au suicide.

Il me semble qu’il faudrait investir dans des programmes d’éducation ciblant les groupes de médecins que j’ai mentionnés, en commençant par les omnipraticiens, puis les internistes, les obstétriciens-gynécologues et les urgentologues. Ce sont là les cibles évidentes pour les types de médecins, et nous pourrions ainsi sauver des vies.

Nous avons besoin d’un budget pour réussir. Lorsque la terrible crise des opioïdes a commencé, qui sévit toujours notamment aux États-Unis, nous avons trouvé des fonds pour offrir une formation en ligne obligatoire à chaque médecin aux États-Unis sur la façon de gérer la douleur et d’utiliser les opioïdes. Maintenant, nous devons avoir le même genre d’attitude et faire les mêmes investissements en ressources pour la prévention du suicide, mais en mettant l’accent sur la reconnaissance et le traitement de la dépression.

Comme le Dr Turecki l’a souligné, nous pourrions ainsi traiter beaucoup de personnes atteintes de dépression qui n’iront pas jusqu’au suicide. Ces personnes atteintes de dépression auront une meilleure qualité de vie. Elles retourneront plus rapidement à leur emploi. Elles n’utiliseront plus les prestations de chômage. Il y aura de nombreux bénéfices pour la société, et ces avantages compenseront largement les investissements.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une question complémentaire. J’ai très bien compris votre réponse; c’est bien. Voyez-vous la nécessité d’adopter des lignes directrices en ligne ou en présentiel pour la prise en charge active de patients qui sont passés par l’hôpital, qui ont eu leur congé ou qui, pendant leur hospitalisation, ont juste présenté un comportement suicidaire? Est-ce que vous croyez que ces lignes directrices pourraient s’appliquer après le congé de l’hôpital pour maintenir le même suivi? Voyez-vous la pertinence de tout cela?

[Traduction]

Dr Mann : Oui. Je pense qu’on peut créer un protocole normalisé de sensibilisation et de suivi qui peut être utilisé régulièrement dans toutes les cliniques et tous les hôpitaux. Il y a des pays, comme le Danemark, par exemple, où l’on intensifie considérablement cette approche afin de réduire les comportements suicidaires. En fait, les tentatives de suicide, si l’on examine la littérature, sont environ deux fois moins nombreuses chez ces personnes dans l’année qui suit leur congé avec l’aide de telles stratégies.

[Français]

Dr Turecki : Je peux faire un commentaire à ce sujet. C’est très important de développer un programme de suivi posturgence ou postaccès aux services d’urgence. Souvent, on perd des gens par la suite. Les gens se présentent et après, il n’y a pas de suivi. C’est un problème très bien documenté au Québec. Vous avez peut-être vu le cas d’Amélie Champagne la semaine dernière qui a généré beaucoup de discussions dans les médias. Je pense que c’est exactement le genre de service qu’il faut offrir.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : Je me demande ce qui serait un bon plan de soins au-delà de l’événement aigu dans une méthodologie de suivi. Quels seraient les composants de ce plan? Est-ce que les pays dont vous parlez qui mettent à l’échelle ce genre de plans qui permettent de dispenser des soins par l’entremise d’hôpitaux, de cliniques ou d’autres canaux connaissent également des pénuries aiguës de personnel dans les services de psychiatrie, avec des psychiatres formés? Comment peuvent-ils composer avec les ressources très limitées de psychiatres qui sont moindres que les besoins?

C’est l’un de nos problèmes. Je suis médecin. Je vois des patients à titre de pédiatre en soins primaires. Je vois des patients, et souvent, s’il y a un épisode aigu, nous n’avons aucune orientation pour mener des suivis. Est-ce qu’on demande à des personnes formées en soins primaires de continuer à prodiguer des soins? Et comment pouvons-nous transmettre le dossier pour offrir des soins appropriés nécessaires? Quel est le plan de suivi que vous recommanderiez?

Dr Kennedy : Permettez-moi de commencer. Je pense que c’est une très bonne question.

Pour ce qui est du dépistage, nous savons qu’il n’est pas rentable de dépister toute une population. Je pense qu’à partir de là, nous devons mieux cerner les groupes à risque, et tout comme nous le ferions dans le cas du cancer, par exemple, une personne atteinte d’un cancer de stade 4 serait examinée plus fréquemment ou recevrait un traitement supplémentaire.

Je pense que nous n’avons pas cerné, dans le cadre de nos services de santé mentale, les personnes qui ont besoin d’un traitement intensif, alors que les spécialistes ne font, en quelque sorte, presque pas d’interventions primaires. Ils font des interventions tertiaires.

Nous avons besoin de plus de ressources, mais nous devons aussi faire plus de dépistage, pour ainsi dire, dans notre propre profession, je crois.

La sénatrice Moodie : Docteur Mann, qu’en pensez-vous? Lorsque vous parlez de stratégies de suivi et d’expansion aux spécialistes, s’agit-il d’un suivi auprès d’une population?

Dr Mann : Il ne fait aucun doute qu’il faut déployer plus de ressources, ce qui coûte de l’argent.

Des études réalisées au Royaume-Uni et au Danemark démontrent que lorsqu’on investit dans l’infrastructure pour accroître le personnel, la formation, les rendez-vous cliniques et la continuité des soins, le degré d’amélioration est proportionnel à la baisse des taux de suicide et des taux de tentatives de suicide. Vous obtenez ce dans quoi vous investissez, pourvu que vous investissiez dans les secteurs les plus pertinents, et ce que vous suggérez, c’est une approche de suivi qui sélectionne automatiquement les patients les plus à risque, parce que ce sont eux qui sont en situation de crise. Ce n’est pas un service offert d’office à tous les patients. Il faut se concentrer sur ce qui peut être détecté rapidement en tant que patient présentant le risque le plus élevé.

Nous savons que le risque est plus grand au cours de la première année suivant la situation de crise. Donc si les prestataires de soins peuvent mener un suivi auprès de leurs patients pendant cette période de 12 mois, le risque de suicide diminue considérablement. Nous devons les aider à traverser cette période de crise.

La sénatrice Moodie : J’ai une question complémentaire pour vous, docteur Turecki.

Vous avez mentionné le fait qu’il y a eu peu de consultations au sujet de l’élaboration de ce cadre pour des organismes clés comme les Instituts de recherche en santé du Canada et autres. Un plan d’action est en cours d’élaboration. Est-ce que vous et d’autres organisations avez été consultés?

Dr Turecki : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je ne sais pas de quel plan d’action vous parlez. Si ce plan d’action est lié au cadre, c’est celui que j’ai mentionné. Oui, c’est le programme national canadien de recherche sur le suicide.

La sénatrice Moodie : Je parle de celui dont la ministre Bennett nous a parlé lorsqu’elle a témoigné ici. Ils sont en train d’élaborer un plan d’action pour la prévention du suicide.

Dr Turecki : Ce n’est pas un plan d’action récent.

La présidente : Je crains que nous devions nous arrêter ici. Il nous reste très peu de temps.

La sénatrice Cordy : Je remercie les témoins de leurs exposés. J’aimerais revenir à la question du sénateur Brazeau, car je ne suis pas certaine d’avoir compris la réponse. Nous avons tous entendu qu’il y a une surreprésentation des cas de suicide au sein de la population autochtone et chez les jeunes Autochtones. Vous avez parlé d’une étude de sept ans qui a été réalisée au Nunavut. Sans compter les régions du Nord, nous savons également que le taux de suicide chez les Autochtones vivant en milieu urbain est très élevé. Vous avez tous parlé d’investir dans des ressources et dans les secteurs les plus pertinents. C’est un peu ce que nous aimerions faire lorsque nous terminerons notre étude.

N’avons-nous pas suffisamment d’informations pour planifier une stratégie et une voie à suivre? Le taux de suicide au sein des communautés autochtones n’a rien de nouveau. Nous le savons depuis très longtemps. Pourtant, il semble y avoir plus d’études. Les études sont excellentes, mais pour aller de l’avant avec un cadre propre aux peuples autochtones, il faut garder à l’esprit ce que vous avez dit au sujet de l’investissement dans les secteurs pertinents et non dans des secteurs qui ne feront pas de différence.

Dr Turecki : Je crois que nous disposons de renseignements importants pour élaborer une stratégie d’intervention dans les collectivités autochtones, en gardant à l’esprit qu’elles ne sont pas toutes pareilles. Il existe beaucoup de différences. Les facteurs de risque qui s’appliquent au Nunavut, par exemple, ne s’appliqueraient pas nécessairement à une collectivité en Colombie-Britannique ou ailleurs. Nous avons suffisamment de connaissances pour intervenir et élaborer des stratégies pour les appuyer. Toutefois, le suicide est une question complexe et nos connaissances ne sont vraiment pas complètes. Les réalités des communautés sont à la fois différentes et complexes. Il y a aussi des facteurs culturels et politiques qui entrent en ligne de compte. Cela dit, je pense que nous sommes prêts et que nous devrions agir — en fait, nous aurions dû le faire depuis longtemps.

Je tiens à vous remercier encore une fois de l’invitation et à m’excuser, mais je dois partir. Je dois faire une conférence dans cinq minutes.

La présidente : Merci de vous être joint à nous.

La sénatrice Cordy : Docteur Mann, vous avez dit que nous devons investir dans les secteurs les plus pertinents. Savez-vous quels seraient les secteurs les plus pertinents pour les communautés autochtones, pour lesquelles les cas sont si élevés?

Dr Mann : Avez-vous posé cette question à quelqu’un en particulier?

La sénatrice Cordy : Oui, au docteur Mann.

Dr Kennedy : Comme tous les Canadiens, je ne saurais pas vous répondre précisément. Toutefois, il vaut la peine de revenir sur le commentaire selon lequel la recherche est presque en concurrence avec la prestation de soins cliniques, car l’évaluation des soins cliniques fait partie de la recherche. Il existe certaines méthodologies, notamment des essais adaptatifs. Lorsqu’on compare deux ou trois traitements et que l’on constate en cours de route que l’un ne fonctionne pas aussi bien que les autres, on peut s’adapter et arrêter un traitement coûteux et continu qui n’est pas aussi efficace que les autres. Il est important de comprendre que la recherche est intégrée aux programmes cliniques.

La présidente : Merci, docteur Kennedy.

Le sénateur Patterson : Je remercie nos témoins. Nous avons entendu au comité que l’accès à des moyens létaux est l’un des quatre facteurs présents dans les cas de suicide et peut-être la prévention du suicide. Docteur Mann, vous avez parlé de la prévalence des armes à feu aux États-Unis et de leur présence dans la moitié des cas de suicide. Nous avons le même problème dans les collectivités inuites où je vis. L’économie traditionnelle de la chasse est très active, et il y a des armes à feu dans chaque foyer.

L’une de nos règles les plus anciennes en matière de contrôle des armes à feu au Canada, en plus de l’exigence relative aux permis de possession et d’acquisition, exige l’entreposage sécuritaire des armes à feu, notamment les verrous d’arme, et l’entreposage séparé des munitions. Et je peux vous dire que ces règles ne sont pas respectées dans une large mesure. Compte tenu des problèmes liés aux armes à feu et au suicide aux États‑Unis, avez-vous des commentaires à faire sur la question de savoir si l’entreposage sécuritaire des armes à feu, c’est-à-dire leur entreposage dans des armoires verrouillées avec des verrous d’arme et des munitions entreposées séparément de l’arme, pourrait avoir un effet sur la réduction des taux élevés de suicide chez les Inuits qui ont des armes à feu dans presque tous les foyers?

Dr Mann : D’après de nombreuses recherches effectuées un peu partout dans le monde, je prédis que plus il y a de mesures de sécurité liées aux armes à feu en place, moins il y a de risque de suicide par arme à feu. Elles fonctionnent assurément. Soit aucune arme à feu, soit moins. Pour quiconque possède une arme à feu par nécessité, l’entreposage des armes à feu devient critique. C’est-à-dire que les exigences d’entreposage doivent assurer une séparation de l’arme et des munitions. Nous avons plaidé en faveur des armes intelligentes munies d’une gâchette sécurisée par empreinte digitale du propriétaire. Nous estimons qu’il est probablement acceptable de soumettre les gens à un contrôle pour l’achat impulsif d’armes, mais la plupart des gens se tuent avec une arme à feu qui est dans la maison depuis des années.

Ce que vous décrivez, c’est exactement ce qui devrait être fait, et ces mesures devraient être appliquées rigoureusement pour créer une culture de sécurité.

La présidente : Je suis désolée, mais nous ne pouvons pas faire un deuxième tour. En fait, je n’ai pas le temps de poser ma propre question, mais ça va.

Merci beaucoup à nos témoins de nous avoir fait part de leurs commentaires et de leur sagesse. C’est vraiment important pour nous, alors je tiens à vous remercier encore une fois d’avoir pris le temps de venir.

Chers collègues, nous avons donc entendu tous nos témoins. Je vais maintenant demander à nos prochains témoins d’allumer leur caméra.

La présidente : Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons Yolande Bouka, professeure adjointe, Département des sciences politiques, Université Queen’s; Paulette Senior, présidente et directrice générale de la Fondation canadienne des femmes; et Jane Stinson, chercheuse associée de l’Institut canadien de recherches sur les femmes.

J’aimerais vous inviter à faire une déclaration préliminaire. Vous disposerez de cinq minutes, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Professeure Bouka, nous allons commencer par vous.

Yolande Bouka, professeure adjointe, Département des sciences politiques, Université Queen’s, à titre personnel : Bonjour et merci beaucoup de m’accueillir aujourd’hui. Je suis ravie d’avoir été invitée à cette séance, tous les protocoles étant respectés.

Je suis Yolande Bouka, professeure adjointe au Département des sciences politiques de l’Université Queen’s. Mes recherches et mon enseignement portent sur le genre, la politique africaine, la sécurité, la violence politique et l’éthique de la recherche sur le terrain dans les sociétés touchées par des conflits. Une partie de mes recherches actuelles porte sur la participation des femmes aux groupes armés non étatiques, et avec deux collègues de l’Université Queen’s, je mène une étude comparative sur les femmes, notamment la mise en œuvre de mesures de paix et de sécurité dans trois organisations régionales, soit l’OTAN, l’Union africaine et la région de l’Asie. Je suis l’une des codirectrices du réseau Femmes, paix et sécurité financé par le ministère de la Défense nationale. Je suis également membre de l’équipe d’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, du groupe Defence and Security Foresight, le DSF, financé par le ministère de la Défense nationale. Ce programme est dirigé par Mme Bessma Momani de l’Université de Waterloo, et l’équipe de l’ACS Plus est dirigée par Mme Maya Eichler de l’Université Mount Vincent.

Je vais me concentrer sur le travail que j’ai fait avec le DSF dans le cadre de ce groupe. Nous travaillons avec des universitaires et des décideurs pour les aider à appliquer l’outil ACS Plus à leurs documents d’orientation axés sur l’évaluation des risques et l’analyse des conflits. En collaboration avec Mme Nadège Compaoré de l’Université de Toronto, je me concentre sur la recherche en Afrique, et nous rencontrons des universitaires et des analystes des politiques avant la rédaction de leur document, si possible; sinon, après l’achèvement de la première ébauche, pour voir comment appliquer la Trousse d’outils sur l’ACS Plus que nous avons élaborée. Cette trousse d’outils est disponible en ligne, et je peux vous la faire parvenir.

Nous nous assurons que les auteurs et les analystes comprennent l’ACS Plus, les approches fondées sur le sexe et la diversité, la différence entre le sexe et le genre et le cadre d’analyse intersectionnelle.

Nous les encourageons ensuite à répondre à une série de questions portant sur l’établissement du programme, la recherche, le développement et les conclusions et les recommandations. Certaines des questions à l’ordre du jour portent sur la question de savoir qui prend l’initiative de décider des priorités de la recherche et qui participe à l’élaboration des questions de recherche, et quels types de données et de concepts sont utilisés dans la recherche.

Certaines des questions sur le développement de la recherche visent à cerner les biais dans les cadres que nous utilisons, c’est‑à‑dire qui recueille les données qui éclairent la recherche et qui sont les principaux acteurs qui participeront à l’analyse. Après avoir fait ce travail pendant quelques années, je trouve très intéressant de voir comment l’ACS Plus est conceptualisée et appliquée dans divers contextes de sécurité. Certains universitaires et analystes se sont bien penchés sur des questions qui ne seraient jamais abordées autrement.

Cependant, il est difficile d’appliquer l’outil après coup. Souvent, nous rencontrons des chercheurs et des universitaires une fois qu’ils ont mené leurs recherches et qu’ils essaient de façonner leurs réponses stratégiques a posteriori. Par conséquent, certaines des questions que nous abordons dans notre trousse d’outils ne peuvent être utilisées ou appliquées correctement.

Même si certains participants sont prêts à inclure le processus, il y a encore beaucoup de résistance de la part des universitaires et des conseillers en politiques.

Le dernier point que je veux soulever avant de terminer mes observations, c’est que l’illustration souvent utilisée pour comprendre l’intersectionnalité est une fleur qui représente le genre et le sexe. Nous sommes tous familiers avec cet exemple. Cependant, l’un des problèmes, c’est que trois éléments sont souvent omis de ce cadre, à savoir le temps, le lieu et l’espace. Ces analyses varient en fonction du temps, et il faut souvent faire une étude longitudinale. Les éléments changent en fonction de l’endroit où se trouvent les personnes ou les groupes, mais aussi en fonction de leur place dans les sociétés, des géographies et du système international, selon la personne qui effectue l’analyse. Je peux répondre à des questions à ce sujet si vous le souhaitez.

Il faut améliorer l’évaluation de la théorie du changement de l’ACS Plus dans chacun des contextes, ce qui signifie qu’une fois que nous avons évalué la situation initiale pour l’élaboration des politiques, il faut savoir quelle est la théorie du changement dans un contexte particulier qui mènera au résultat optimal. On part parfois de l’hypothèse que si on applique la trousse d’outils, on arrivera au résultat idéal, sans vraiment discuter de la théorie du changement.

La dernière chose que je veux mentionner, c’est que l’ACS Plus des intervenants est nécessaire bien au-delà du groupe ciblé. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

Paulette Senior, présidente et directrice générale, Fondation canadienne des femmes : Merci, sénatrice.

De même, les protocoles ont été observés. Je vais commencer, car le temps est limité. Je suis heureuse de me joindre à vous aujourd’hui.

Il y a quelques années, le gouvernement fédéral a pris un engagement très ferme à l’égard de l’ACS Plus dans l’ensemble du gouvernement. Nous l’avons vu dans les budgets fédéraux, mais il faut une mise en œuvre complète à l’échelle du gouvernement. Jusqu’à présent, nous savons qu’elle a été appliquée de façon quelque peu inégale d’un ministère à l’autre. Comme l’a souligné la vérificatrice générale dans son rapport de mai 2022, les ministères et organismes fédéraux ont besoin de plus de soutien pour intégrer pleinement l’ACS Plus dans la conception des politiques, des programmes et des initiatives. Le suivi et la production de rapports sur les résultats pour divers groupes de femmes et de personnes de diverses identités de genre doivent également être améliorés.

Que peut nous dire l’ACS Plus? Elle nous indique comment une tendance économique ou une décision politique influera sur le sexe, mais aussi comment elle se recoupe pour les populations qui subissent les répercussions de la discrimination systémique fondée sur la race, l’identité autochtone, la capacité, l’âge, le statut socioéconomique, la sexualité, et cetera. Nous préconisons de centrer les populations de femmes et de personnes de diverses identités de genre marginalisées par de multiples niveaux de discrimination dans toutes les politiques et tous les programmes gouvernementaux. Nous savons qu’on ne peut y arriver sans comprendre qui sont ces populations, comment elles sont touchées différemment et quelles sont les causes sous-jacentes de leur marginalisation.

Nous commençons à décortiquer ces éléments lorsque nous appliquons l’ACS Plus à l’élaboration des politiques. Par exemple, lorsque les mesures de confinement liées à la pandémie ont commencé en 2020, il y a eu des pertes d’emploi à un niveau record. L’analyse comparative entre les sexes a révélé des pertes d’emplois massives en mars, surtout chez les femmes, avec une forte augmentation du chômage des hommes en avril [Difficultés techniques] par rapport aux femmes, alors que les secteurs de la construction et de la fabrication non essentielle ont été fermés.

Une analyse intersectionnelle de l’ACS Plus a révélé que les pertes d’emploi étaient fortement concentrées chez les personnes à faible revenu de la population fortement racisée, principalement les femmes gagnant 16 $ l’heure ou moins, dont 50 % ont perdu leur emploi. Les 10 % de ceux qui gagnent 48 $ ou plus l’heure ont été 1 % à perdre leur emploi, et c’était toutes des femmes. Les femmes de la tranche inférieure de 20 % ont perdu leur emploi à un taux 50 fois plus élevé que les personnes ayant les revenus les plus élevés.

Donc, lorsque nous constatons des progrès dans la mise en œuvre de l’ACS Plus, le gouvernement a apporté des changements prometteurs en réponse au rapport de 2015 du vérificateur général sur la mise en œuvre de l’ACS Plus, notamment l’obligation de l’inclure dans toutes les propositions budgétaires fédérales, les présentations au Conseil du Trésor, les mémoires au Cabinet et les investissements dans la recherche et les données désagrégées.

Nos collègues qui travaillent sur les questions d’égalité entre les sexes à l’échelle mondiale signalent qu’Affaires mondiales Canada, qui a adopté une politique étrangère féministe, a réalisé une ACS Plus efficace dans l’ensemble des ministères. Dans le cadre d’une collaboration avec Affaires mondiales Canada, les modèles de libre-échange comprennent l’ACS Plus, de sorte qu’elle existe dès le début du processus. Affaires mondiales Canada tient également un conseil auprès des organisations de la société civile vouées à l’égalité entre les sexes qui travaillent à l’échelle mondiale.

À ce stade-ci, nous savons qu’il reste du travail à faire. Au sein du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, nous avons vu une misogynie systémique s’enraciner dans les forces militaires et policières au Canada, comme l’ont montré les nombreux cas d’agression sexuelle et d’inconduite au cours des dernières années, ainsi que dans le rapport et les recommandations de Louise Arbour sur les forces armées. À ce stade-ci, il y a un besoin urgent d’intégrer l’ACS Plus au travail de Sécurité publique Canada.

Il y a des exemples pratiques que je me ferai un plaisir de vous donner plus tard, si le temps le permet.

Aussi, il nous faut un plan d’action pour l’économie, donc pour les femmes dans l’économie. La Fondation canadienne des femmes a accueilli favorablement l’annonce de la possibilité d’ouvrir la porte à une planification économique soutenue, avec l’intégration de l’ACS Plus et l’élaboration de politiques sur l’égalité des sexes, l’équité en matière d’emploi et l’élimination de la discrimination systémique dans la politique économique centrale.

Nous avons constaté des progrès importants dans les grandes initiatives stratégiques en matière de garde d’enfants, conformément à l’ACS Plus, mais il existe encore des occasions ratées pour l’harmoniser davantage. Nous encourageons le gouvernement à créer un plan d’action pangouvernemental à long terme pour les femmes dans l’économie en tenant compte de l’ACS Plus et en appuyant la planification économique intersectionnelle sexospécifique.

Enfin, en ce qui concerne les changements climatiques, jusqu’à maintenant, le plan fédéral de lutte contre les changements climatiques comporte des lacunes. Nous avons entendu que Femmes et Égalité des genres Canada, ou FEGC, a été chargé d’élaborer cette optique, et nous avons hâte de voir son travail et d’y contribuer de notre mieux.

Cela dit, le travail relatif à l’ACS Plus doit être intégré dans chaque ministère afin que l’analyse se fasse au tout début de l’élaboration des politiques et qu’elle soit intégrée aux choix faits dès le départ. Les plans d’action sur les changements climatiques devraient comporter l’ACS Plus dès l’étape de la conception. Voilà ce que j’avais à dire pour l’instant. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Senior.

Jane Stinson, chercheuse associée, Institut canadien de recherches sur les femmes : Merci, madame la présidente. J’aimerais commencer par souligner que je vis sur le territoire non cédé des peuples algonquin et anishinabe. Le travail que je fais sur l’intersectionnalité et l’ACS Plus vise à reconnaître et à aborder la discrimination et la marginalisation des peuples autochtones, ainsi que d’autres peuples.

L’ICREF, l’Institut canadien de recherches sur les femmes, est ravi d’avoir l’occasion de faire part au comité de ses réflexions sur les mesures visant à faire progresser l’analyse comparative entre les sexes plus au sein du gouvernement fédéral. J’ai personnellement travaillé sur plusieurs projets d’ACS Plus de l’ICREF au sein du gouvernement fédéral au cours des quatre dernières années.

L’ICREF a une longue histoire en matière d’analyse comparative entre les sexes, qui remonte aux années 1990 dans le cadre du groupe de féministes qui exerçaient des pressions aux Nations unies, ce qui a amené le Canada à adopter ses engagements de mettre en œuvre l’analyse comparative entre les sexes.

Au cours des quatre dernières années en particulier, l’ICREF a travaillé à l’application d’une analyse comparative entre les sexes plus dans certains ministères et organismes fédéraux. Malheureusement, les progrès du gouvernement fédéral dans l’adoption de cette analyse ont été lents, et il n’est pas clair si les mesures de l’ACS Plus permettent réellement d’obtenir de meilleurs résultats en matière d’égalité entre les sexes, de diversité et d’inclusion. C’est ce que disait le dernier rapport de la vérificatrice générale du Canada.

En septembre 2022, la vérificatrice générale a recommandé au comité que les principaux organismes fédéraux qui favorisent l’ACS Plus — le Bureau du Conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor et Femmes et Égalité des genres Canada, ou FEGC — doivent collaborer davantage pour s’assurer que l’ACS Plus produit l’intégration complète nécessaire pour fournir des résultats réels pour les Canadiennes et les Canadiens. L’ICREF appuie cette recommandation.

Nous recommandons aussi que FEGC soit mandaté pour élaborer un plan plus clair de formation sur l’analyse comparative entre les sexes plus à l’échelle du gouvernement fédéral. FEGC devrait également participer à la réalisation d’un audit et d’une évaluation plus approfondis de l’ACS Plus au sein du gouvernement fédéral. Plus précisément, nous pensons que trois domaines méritent une attention particulière. Il s’agit de la formation, de l’application de l’ACS Plus et des résultats générés par son application.

Par exemple, nous recommandons que les questions suivantes soient posées. En ce qui concerne la formation, par exemple, combien de ministères et d’organismes fédéraux ont exigé que tout leur personnel suive le cours de formation en ligne sur l’ACS Plus? Et nous devons reconnaître que ce n’est là qu’une introduction à l’analyse comparative entre les sexes. La prochaine question est donc encore plus importante. Combien de ministères et d’organismes ont élaboré une analyse comparative entre les sexes plus adaptée à leur travail dans leur ministère ou organisme?

Cette question est liée à la mise en œuvre. Combien de ministères et d’organismes fédéraux ont appliqué l’ACS Plus à leur travail? Il est très important d’obtenir ces réponses, à la fois pour déterminer les organismes qui ne l’appliquent pas, mais aussi pour déterminer ceux qui le font et pour tirer parti des exemples positifs. L’ICREF en connaît quelques-uns pour y avoir travaillé. Par exemple, au cours des quatre dernières années, je crois, nous avons travaillé à différents projets avec l’Agence d’évaluation d’impact du Canada afin d’élaborer des documents pour faciliter l’application de l’ACS Plus et l’intersectionnalité dans les processus d’évaluation d’impact, comme l’exige actuellement la législation.

À l’heure actuelle, nous travaillons en collaboration pour élaborer une méthodologie et des outils d’approche intersectionnelle des évaluations des répercussions sur la santé. De plus, nous avons travaillé sur une formation personnalisée pour appliquer l’ACS Plus aux travaux du Plan de gestion des produits chimiques de Santé Canada. Il s’agissait d’un projet de premier plan du ministre, ce qui signifie qu’il revêtait une grande importance au sein du ministère et que les autres en connaissaient l’existence. C’étaient des signaux importants à envoyer.

Troisièmement, il faut poser des questions sur les résultats. On devrait demander aux ministères et aux organismes fédéraux de fournir des exemples de la façon dont l’application de l’ACS Plus à leur travail a mené à des résultats différents. En quoi a‑t‑elle modifié de façon substantielle ou structurelle les programmes ou les pratiques? Parce que c’est le résultat souhaité.

L’ICREF serait ravi d’avoir l’occasion de travailler avec FEGC pour élaborer un tel plan, pour effectuer un audit et une évaluation plus approfondis. Le travail de la vérificatrice générale est extrêmement important, mais je pense que c’est l’approche la plus proactive pour cerner les besoins. Quels sont les exemples de réussite qui peuvent aider à éclairer l’élaboration de matériel de formation axé sur l’application de l’ACS Plus, qui doit être personnalisé?

L’ICREF a une expérience pertinente, tout comme les femmes que vous avez entendues plus tôt avant moi. Nous disposons d’un vaste réseau d’experts en analyse comparative entre les sexes auquel nous pouvons faire appel, et nous aimerions contribuer à renforcer l’application de l’ACS Plus au sein du gouvernement fédéral afin que nous puissions atteindre les résultats promis. Merci beaucoup. Vos commentaires sont les bienvenus.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Bovey : Merci. J’aimerais remercier nos témoins. Je souscris certainement à l’objectif qui consiste à obtenir des résultats. Je partage votre préoccupation au sujet de l’intersectionnalité et du manque d’uniformité dans la mise en œuvre à l’échelle du gouvernement.

Ma question est très simple. Madame Stinson, vous avez parlé un peu de la nécessité d’une méthodologie et d’une formation pour que nous puissions augmenter le taux d’utilisation. J’aimerais savoir ce que vous pensez qu’il faut faire pour éliminer cette résistance dont a parlé la professeure Bouka, et ce qu’il faut faire pour encourager le travail d’ACS Plus et l’intersectionnalité.

Ma question est la suivante : de quels outils avons-nous besoin, c’est-à-dire ce qu’il nous manque? Comment éliminer la résistance pour que l’application ne pose plus de problème? Je pose la question à tous les témoins.

Mme Stinson : Excellente question. Je pense que les exigences sont extrêmement importantes.

Cela s’explique en partie par le fait que la législation exige maintenant que les évaluations d’impact comportent une analyse intersectionnelle. C’est peut-être une combinaison de la méthode de la carotte et du bâton. Je veux dire le bâton est utilisé dans le sens de briser la résistance.

Il y aura toujours de la résistance, semble-t-il. Chaque fois que nous offrons de la formation, environ un tiers des participants ne sont pas vraiment intéressés et y résistent, mais il faut le faire quand même. Il y aura toujours de la résistance, mais il faut quand même aller de l’avant. Il est extrêmement important d’en faire une exigence.

Mme Bouka : L’un des défis consiste à déterminer à quel moment le concept de l’ACS Plus est présenté à la population en général, de la même façon que l’équité, la diversité et l’inclusion ont commencé à être introduites dans les discussions au secondaire ou au primaire. Je parle ici du long terme plutôt que du court terme. Il faut que les gens connaissent le concept et qu’ils le normalisent. Pour certaines personnes, ce n’est pas une fois qu’elles arrivent comme employées au gouvernement que ce genre de questions et de conversations vont changer leurs idées, notamment si elles ont déjà des opinions arrêtées sur la pertinence de ces sujets.

La normalisation de ces types de conversations dans le discours public aiderait à la mise en œuvre dans les politiques et au sein du gouvernement.

Mme Senior : Je ne peux que supposer que lorsque nous adoptons des politiques, nous aimerions qu’elles réussissent. Il n’est pas logique de le présenter comme un cadre législatif, car les répercussions ne sont pas là. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut prendre le sujet au sérieux, malgré la résistance.

L’autre élément d’encouragement, c’est la façon dont le Canada est louangé. Il se trouve que je siège au Conseil consultatif sur l’égalité entre les sexes en Allemagne. C’est l’une des choses que d’autres pays envisagent, ils prennent en exemple notre façon de l’introduire au Canada. Le fait que c’est quelque chose qui est prévu par la législation et qui est lié au Conseil du Trésor est vraiment perçu comme une énorme amélioration. Il reste toutefois à mettre le tout en œuvre.

Le Canada peut être un chef de file dans ce domaine, si nous prenons le sujet au sérieux et si nous cherchons des moyens de le mettre en œuvre de façon beaucoup plus efficace.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le sénateur Patterson : Je pense aux recommandations que le comité devrait faire au gouvernement du Canada à la suite de cette étude. J’essaie de prendre des notes sur ce que j’entends.

Madame Senior, j’ai pensé qu’après les statistiques que vous nous avez fournies au sujet des perturbations en milieu de travail qui touchent les minorités et les femmes, vous pourriez recommander la création d’une stratégie pangouvernementale à long terme sur les femmes dans l’économie comme une priorité pour nous.

Madame Bouka, vous travaillez avec le ministère de la Défense nationale, et Mme Senior a parlé des défis que doit relever ce ministère. Quelle serait votre principale recommandation à l’intention de notre comité pour que nous la soumettions au gouvernement fédéral dans notre rapport sur cette étude?

Je pourrais commencer par Mme Senior. Quelle serait une stratégie pangouvernementale à long terme axée sur les femmes dans l’économie?

Mme Senior : Bien sûr. Ce qu’il faut à ce stade-ci, c’est des investissements pour réaliser la mise en œuvre complète à l’étape de la conception, ce dont j’ai parlé plus tôt, dans l’ensemble du gouvernement et pour produire les données désagrégées, c’est‑à‑dire les preuves nécessaires pour appuyer la mise en œuvre complète. C’est ce que je dirais.

L’économie est un aspect. Les changements climatiques en sont un autre. La violence fondée sur le sexe est aussi un aspect. Ce qu’il nous faut, c’est une approche pangouvernementale à ce stade-ci et les investissements nécessaires.

Mme Stinson : J’appuie certainement ces recommandations. J’aimerais revenir à ce que je disais tout à l’heure, c’est-à-dire une plus grande collaboration de la part de FEGC avec les autres intervenants à l’extérieur du gouvernement qui travaillent dans ce domaine et qui ont une expertise en matière d’analyse comparative entre les sexes plus, afin de mettre l’accent sur la formation et l’utilisation.

Je souscris certainement à ce qui a été dit au sujet de l’importance de faire les choses dès le départ. Il faut que ce soit intégré au début du processus.

Mme Bouka : Je suis d’accord avec mes collègues. Il faut une intégration dès le début, à la conception, et il faut atteindre des résultats précis qui seront évalués.

J’ajouterais également à cette combinaison qu’il est important de se rappeler que le succès des politiques dépend également des attentes des citoyens à l’égard de la mise en œuvre. Les électeurs participent également au processus qui consiste à prendre en compte ces questions particulières.

Il faut non seulement une approche pangouvernementale, mais aussi une approche où les citoyens sont habilités et encouragés à participer à ces conversations aux niveaux local, provincial et fédéral afin d’établir une attente.

Les Canadiens ont des attentes à l’égard de l’environnement, par exemple. Ont-ils également des attentes à l’égard de l’ACS Plus et de sa mise en œuvre au sein des administrations locales, des conseils scolaires et des politiques des gouvernements fédéral et provinciaux? Il y a aussi une intégration à faire au sein de la population.

Le sénateur Patterson : Madame Bouka, on accorde beaucoup d’attention au ministère de la Défense nationale. Je sais que vous y êtes peut-être liée. Vous travaillez avec eux et peut-être pour eux. Y a-t-il de bonnes choses qui s’y passent? Font-ils des progrès?

Mme Bouka : Il y a de bonnes conversations et de bons échanges entre les décideurs universitaires, le MDN et le gouvernement du Canada dans son ensemble, mais comme le diraient mes collègues, il faut absolument un changement de culture au sein du ministère de la Défense nationale dans son ensemble, et cela prend du temps. Les conversations sont en cours, et il reste à voir dans quelle mesure tous les intervenants sont engagés à l’égard de certains de ces changements.

Je ne veux pas parler au nom du MDN, mais en tant qu’observatrice, ce que je vois, c’est qu’au moins, d’après le travail que nous faisons, il y a des conversations en cours.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

La présidente : Professeure Bouka, permettez-moi d’intervenir pour poser une question.

Vous avez souligné que la conversation sur l’ACS Plus doit être présentée aux citoyens, qu’elle doit être localisée et d’actualité. Bien que je sois d’accord avec vous, j’ai de la difficulté à avoir une conversation sur l’ACS Plus avec les gens ordinaires. Ils me disent : « De quoi s’agit-il? » C’est un concept qui est propre au gouvernement et à l’appareil gouvernemental.

Aimeriez-vous voir une recommandation concernant l’image de marque de l’acronyme « ACS Plus »?

Mme Bouka : C’est une question très intéressante. Je commencerais par vous répondre par une autre question : quelle est notre priorité? Le nom de l’ACS Plus ou le degré de confort de la population à l’égard des questions d’égalité des sexes dans notre pays?

J’enseigne l’égalité entre les sexes et au sein des politiques à l’Université Queen’s, et la plupart de mes étudiants ne connaissent pas le concept de l’ACS Plus, mais nos cours les initient à des discussions plus générales sur les politiques, l’égalité entre les sexes et l’intersectionnalité.

L’image de marque n’est pas nécessairement un problème, mais les thèmes et les objectifs doivent faire partie du débat public. Par la suite, l’ACS Plus sera reconnue comme une priorité stratégique. Mais avant tout, il faut entendre un certain niveau de politique publique ou de relations publiques sur les questions de genre au-delà de cette discussion sur l’égalité ou l’égalité descriptive. Qu’est-ce que cela signifie vraiment pour être substantiel? Il faut faire un travail de relations publiques avec le gouvernement fédéral dans toutes les administrations et avec la population.

La présidente : Merci.

La sénatrice Moodie : Je remercie nos invitées d’aujourd’hui. Madame Stinson, je vous remercie de la feuille de route claire que vous nous avez fournie pour un cadre d’évaluation. Vous nous avez dit comment aborder l’évaluation et vous nous avez donné les questions et les mesures à considérer. Je pense que ce sera très utile.

Je voulais vous poser deux questions. Pouvez-vous aller un peu plus loin en nous disant qui, selon vous, doit être ultimement responsable de veiller à ce que l’ACS Plus soit appliquée au sein de notre gouvernement et de nos organismes? Devrions-nous centraliser cette responsabilité dans un ministère en particulier, par exemple, FEGC?

Ma deuxième question porte sur la reddition de comptes. À votre avis, quels produits devraient faire l’objet d’un rapport au Parlement ou être publiés à des fins d’examen public dans le cadre de la responsabilisation des organismes gouvernementaux qui recueillent, comprennent et utilisent des données pour élaborer des politiques?

Mme Stinson : Je vous remercie de vos questions. Pour ce qui est de la première concernant qui devrait être responsable, nous estimons que FEGC joue un rôle important. J’hésite seulement à déclarer qu’ils auraient le pouvoir ultime de s’assurer que les choses sont faites.

Merci pour l’autre point qui a été soulevé au sujet de l’approche pangouvernementale. Je pense que FEGC possède une expertise, que le ministère devrait acquérir une expertise accrue, et qu’il devrait être en mesure de faire une grande partie de ce travail, mais il faudrait également que l’autorité soit reconnue au gouvernement. Je crois certainement que les exigences budgétaires et les autres exigences sont importantes.

Pour ce qui devrait être déclaré et publié, nous avons fourni une liste. Certains des autres témoins ont suggéré d’autres éléments qui pourraient être inclus.

Personnellement, je pense que ce n’est pas seulement la vérificatrice générale qui devrait leur taper sur les doigts. Il devrait s’agir davantage d’une responsabilité et d’un processus permanents, avec des publications annuelles sur les objectifs stratégiques et les progrès que nous faisons pour les atteindre dans l’avancement de l’analyse comparative entre les sexes plus.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup aux témoins. Je vous suis très reconnaissant d’être venues et de nous avoir fait part de vos commentaires.

Ma question s’éloigne légèrement des discussions que nous avons eues jusqu’à maintenant. Nous en avons parlé avec d’autres témoins, mais je n’ai pas encore assez d’informations à ce sujet, alors j’espère que vous pourrez m’aider.

Les gens doivent apprendre à faire une bonne analyse comparative entre les sexes plus, n’est-ce pas? D’accord. Il faut donc les former pour le faire, n’est-ce pas? Ça va pour l’instant.

Voici ma question : dans quelle mesure la formation est-elle efficace? Vous avez mentionné que vous pouvez évaluer, pas dans les politiques, mais au niveau individuel, lorsque des programmes de formation sont offerts aux fonctionnaires responsables de cette analyse, dans quelle mesure ces programmes de formation sont efficaces. Ceux qui suivent les programmes de formation s’améliorent-ils? À quel point? Combien sont-ils? À quel pourcentage?

Sont-ils ensuite en mesure d’effectuer une analyse comparative entre les sexes plus? Quelles sont les données à ce sujet? Y a-t-il un seuil qu’ils sont censés atteindre? Par exemple, dans vos cours à l’Université Queen’s, il y a un seuil de réussite, est-ce la même chose pour ces formations?

Est-ce que les améliorations démontrées diminuent au fil du temps? Toutes nos compétences peuvent diminuer avec le temps. Y a-t-il une analyse de l’incidence de ces programmes de formation sur la décroissance au fil du temps? Devrait-il y avoir des programmes de mise à jour?

Est-ce que tous ces programmes de formation dont j’entends parler donnent les mêmes résultats? Y a-t-il un moyen de savoir si ces programmes répondent à certains critères et s’ils donnent ce genre de résultats? Si ces programmes ne répondent pas à ces critères, quels programmes devrions-nous utiliser? C’est à ce niveau où je suis perdu à ce sujet. Merci.

Mme Bouka : D’accord, merci beaucoup de votre question. Je ne peux répondre à la question que dans le contexte dans lequel je travaille. J’espère que Mme Stinson et Mme Senior seront en mesure de fournir d’autres renseignements parce qu’elles travaillent davantage dans ce domaine.

Pour ce qui est du travail que je fais avec des universitaires et des analystes des politiques, nous fournissons une trousse d’outils et une formation, et de multiples itérations de conversations. Cependant, nous n’avons pas d’évaluation de base. Notre programme n’exige aucune évaluation de base, notamment ce que les participants savent déjà et les résultats d’apprentissage attendus, ce qui se produit souvent en classe, par exemple.

Nous évaluons la qualité du rapport sur la politique. Les documents de politique sont envoyés au ministère de la Défense nationale et à d’autres intervenants gouvernementaux. Nous essayons d’améliorer la qualité des réponses à la trousse d’outils et aux questions. C’est effectué dans un cadre très limité.

En général, la base de référence sera le document initial. Ensuite, nous faisons de multiples itérations de conversations et nous espérons qu’elles règlent les problèmes.

Dans notre contexte, il n’y a pas de réussite ou d’échec. On n’exige pas nécessairement qu’ils répondent à toutes les questions. Le groupe Defence and Security Foresight exige que chaque publication soit soumise à notre processus. C’est dans le cadre d’une liste de vérification. Si je ne me trompe pas — et j’aimerais que mes collègues interviennent —, c’est souvent dans le cadre d’une liste de vérification. La qualité, l’intensité et la viabilité de la mise en œuvre de ces politiques ne sont généralement pas nécessairement évaluées.

Je vais m’en remettre à mes collègues, qui ont plus d’expérience de travail avec le gouvernement sur ces questions. Merci.

Mme Stinson : Vous avez bien cerné le problème concernant une grosse lacune et des éléments qui pourraient être ajoutés à l’évaluation. Je ne pense pas qu’il y ait de système d’évaluation de la formation à l’heure actuelle, et certainement pas à l’échelle du gouvernement. Le cours en ligne sur l’ACS Plus de FEGC est bon, mais il s’agit d’une introduction. Lorsqu’on communique avec nous, c’est habituellement que le personnel a suivi le cours et que l’organisme se demande comment l’appliquer à son travail. C’est pourquoi j’insiste sur l’utilisation. La formation est souvent plus efficace lorsque les gens comprennent ce qu’elle signifie dans le contexte de leur travail.

Le Plan de gestion des produits chimiques de Santé Canada, dans le cadre duquel nous avons collaboré avec le personnel pour examiner le processus de travail, est un exemple de réussite. Les employés ont élaboré leur propre flux de travail, puis nous avons travaillé avec eux pour déterminer où, dans ce flux de travail, il est important de poser des questions liées à l’ACS Plus.

Comme la professeure Bouka l’a mentionné, il s’agit souvent de poser des questions et de réfléchir aux répercussions des politiques sur les différents groupes en quête d’équité.

J’insiste sur l’importance de la formation continue et des conversations, comme l’a mentionné la professeure Bouka, et sur la nature itérative de cette formation. Je travaille sur ce dossier depuis longtemps, et il faut beaucoup de réflexion pour comprendre ce que cela signifie réellement et comment nous l’appliquons de façon concrète au travail. Il ne s’agit pas d’une seule formation pour tout résoudre. C’est un processus continu de compréhension et d’approfondissement de cette compréhension.

Mme Senior : Mes collègues ont très bien répondu à votre question. Je peux ajouter que l’ACS Plus n’est pas un concept facile à comprendre, tout comme l’intersectionnalité. Il y a cinq ou six ans, dans le secteur où Mme Stinson et moi travaillons, le simple fait d’essayer de convaincre nos pairs de l’importance de ce concept a nécessité une éducation continue, la défense des droits et de l’apprentissage pour bien faire les choses, et ce travail continue.

C’est un nouveau concept qui doit être concrétisé. Il s’agit des efforts que nous faisons en ce moment. Pour ce qui est du résultat, les statistiques nous disent qu’il y a une meilleure façon de faire ce travail. L’ACS Plus vise à déterminer comment, afin que tout le monde en profite et que nous puissions réellement faire une différence sur le terrain pour les personnes touchées, en fonction des statistiques que nous avons toutes communiquées plus tôt. Il faut le faire. C’est un travail continu. Nous n’en sommes qu’au début. Toutefois, pour tout nouveau concept qui est introduit — et comme le concept d’égalité entre les sexes l’a été il y a quelques décennies —, les éléments de la responsabilisation, de la formation et de l’éducation doivent être compris et mis en œuvre pour qu’ils prennent racine. Je pense que c’est là où nous en sommes maintenant.

La présidente : Merci. Ma question s’adresse à Mme Senior. La Fondation canadienne des femmes n’est pas un gouvernement, mais une institution nationale. Elle donne des millions de dollars en subventions à des organismes, des mouvements et des organismes de bienfaisance partout au Canada. Je suis à peu près certaine que vous appliquez une solide ACS Plus non seulement à l’octroi de subventions, mais aussi à la compréhension des répercussions de votre travail, ce qui est évidemment l’objet de tout cela.

Pouvez-vous nous dire s’il y a des pratiques que vous connaissez au sein de la Fondation canadienne des femmes que vous aimeriez recommander au gouvernement?

Mme Senior : Je vous remercie de la question, sénatrice. Nous sommes un organisme national qui finance des organismes qui se concentrent sur divers aspects du travail en matière d’égalité entre les sexes, de la violence liée au sexe au développement économique des femmes, en passant par le leadership des femmes, l’autonomisation des filles et la capacité des gens de vivre dans une société saine, prospère et sécuritaire. Ce que nous savons provient des statistiques qui orientent notre travail, ainsi que des organisations auprès desquelles nous recevons des évaluations. Nous nous assurons de faire une évaluation de tous nos secteurs de subvention afin de pouvoir utiliser ces renseignements pour améliorer continuellement nos programmes de subvention. Ce que nous savons de ces données, c’est que ceux qui sont confrontés à de multiples obstacles — en raison de problèmes liés à l’invalidité, au racisme, au statut socioéconomique, à l’identité autochtone, et cetera — sont ceux qui sont laissés pour compte en matière d’accès aux services, de prospérité économique et de possibilité de vivre dans un environnement sûr. Nous utilisons ensuite les pouvoirs dont nous disposons en matière d’outils d’investissement pour nous concentrer sur les organisations qui desservent ces populations en particulier.

Par exemple, il y a des années, nous n’étions pas en mesure de verser des fonds aux collectivités éloignées ou nordiques. Lorsque nous avons examiné nos pratiques, nous avons constaté que nous étions l’obstacle des gens qui souhaitent présenter une demande. Nous avons dû créer une stratégie et une approche différentes dans le cadre de notre Stratégie pour le Nord. Nous nous sommes adressés à des organisations pour leur demander ce dont elles avaient besoin pour avoir accès aux fonds nécessaires pour régler leurs problèmes, pour mettre en place les programmes qui sont importants pour les femmes dans le Nord, par exemple. C’est ce que nous avons réussi à faire avec beaucoup de succès au cours des trois ou quatre dernières années, c’est-à-dire affecter ces fonds à ces collectivités.

Qu’elles soient dirigées par des Autochtones ou des membres des communautés racisées, ou qu’elles s’adressent aux femmes handicapées, nous nous assurons qu’au sein des organisations que nous finançons, les personnes sont des experts dans leurs propres communautés afin que nous puissions obtenir le genre de répercussions que nous cherchons à avoir dans ces régions. J’espère que cela répond à votre question, sénatrice.

La présidente : En effet. Je crois vous avoir entendu dire que c’est plus qu’une liste de vérification.

Mme Senior : C’est bien plus qu’une liste de vérification.

La présidente : C’est une approche circulaire et itérative.

Ceux qui souhaitent apporter un éclairage pourraient répondre à ma prochaine question. Des témoins nous ont déjà dit que le « plus » dans l’ACS Plus est une considération secondaire. Il est perçu et reçu comme une considération secondaire, et il désavantage intrinsèquement une communauté déjà largement défavorisée. Certains ont dit qu’il valait mieux séparer les deux, pour donner de l’importance à la question, mais il y a aussi des points de vue qui disent que non, que séparer les deux serait en fait un pas en arrière. J’aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

Mme Stinson : Il est difficile de tout faire. Il faut tenir compte du sexe et de toutes les considérations liées au « plus », et c’est ce que signifie l’intersectionnalité. Je pense qu’il est important de garder le tout ensemble et de débattre avec la façon dont nous faisons l’ACS Plus, ou ce que je préférerais appeler une analyse intersectionnelle. Comment pouvons-nous essayer de reconnaître les multiples systèmes d’oppression, d’exploitation, de discrimination ou tout autre langage utilisé et qui touche négativement des groupes de personnes? Votre expérience n’est pas seulement, disons, comme femme ou comme personne de couleur, c’est la combinaison de nos expériences. Il ne s’agit pas seulement de nos identités, mais des systèmes dans lesquels nous évoluons. C’est difficile, et je pense que nous devons continuer à lutter contre ces enjeux.

Mme Bouka : Je ne sais pas comment on peut faire une ACS sans le « plus ». Le cadre analytique lui-même repose sur une approche intersectionnelle. Quand nous parlons de genre, de sexualité, de statut d’immigration, de race et ainsi de suite, de quelles femmes s’agit-il? De quel groupe du spectre du sexe parlons-nous? Parlons-nous seulement des femmes? Parlons‑nous des hommes et de la masculinité et des obstacles dans ces conversations à la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes? Ou s’agit-il de personnes non conformistes? Voulons‑nous qu’ils fassent partie de l’analyse?

Au sein de ces groupes, comme Mme Stinson l’a mentionné, il y a différentes couches au pays et à l’international. Il m’est difficile de le conceptualiser. La façon dont je l’enseigne et je l’applique dans mon travail de politique, à partir du moment où vous avez — et peut-être que les gens n’aiment pas ce terme — une perspective féministe pour comprendre les questions de sécurité, de stabilité et de changements climatiques, vous devez adopter une approche intersectionnelle si vous voulez avoir une plus grande portée auprès des personnes que vous essayez d’influencer. Autrement, sans le « plus » implicite, cela suppose que vous parlez d’une norme particulière d’analyse comparative entre les sexes ou d’un groupe particulier. Et qui représente cette norme? Au Canada, il pourrait s’agir, par exemple, d’une femme anglophone blanche d’une certaine classe. Cette catégorie exclut un très important groupe de personnes.

Je ne sais pas comment on peut faire une ACS sans le « plus ». Je n’ai pas participé aux discussions sur l’étiquetage de ce terme en particulier, mais je comprends l’importance d’inclure l’intersectionnalité. Nous devons nous poser la question de savoir dans quelle mesure l’intersectionnalité devrait faire partie de l’ACS, peu importe si elle comprend le « plus ». On ne peut pas faire une ACS sans le « plus », surtout dans un pays comme le Canada, si nous voulons ultimement mettre en œuvre une politique étrangère féministe, une politique étrangère ou une politique intérieure qui comporte une définition large du genre et de l’inclusion.

C’est une question de marketing, mais c’est aussi une compréhension fondamentale de la nature de ces lentilles, de leur histoire et de leurs objectifs.

La présidente : C’était une excellente réponse. Merci beaucoup. Malheureusement, je crois que le gouvernement du Canada ne met pas l’accent sur le « plus », et nous l’avons constaté dans divers rapports.

Je vais demander à Mme Senior son point de vue.

Mme Senior : Je ne comprends pas comment nous pouvons continuer à adopter une politique et une pratique fondées sur l’exclusion. L’ACS sans le « plus » suppose une forme d’exclusion. Si nous voulons être la société inclusive que nous souhaitons, nous ne devons pas simplement ajouter le « plus »; nous devons nommer le « plus ». Nous devons déterminer ce que signifie le « plus ».

Comme mes collègues témoins, je crois que nous devons le préciser. Qui sont les personnes qui font partie de ce « plus »? Ce qui nous manque avec l’ACS Plus, dans sa forme actuelle, c’est la limitation du libellé. Je suis sur la bonne voie pour trouver un libellé qui reflétera ce que nous essayons de faire, et je veux être capable de mettre en œuvre ces mesures de manière à ce que les gens puissent les appliquer plus facilement.

Le mieux que nous puissions faire et que nous avons fait, c’est l’intersectionnalité. C’est le mieux que nous ayons fait. Lorsqu’on considère ce que cela signifie sur le plan conceptuel, il s’agit d’examiner les gens dans leur situation et les diverses intersections par lesquelles leur vie est touchée.

Si nous envisageons les choses de cette façon, nous finirons peut-être par en arriver à un meilleur cadre qui nous permettra de traduire la situation dans un langage qui convient à tout le monde. D’ici là, nous avons l’ACS Plus et l’intersectionnalité.

La présidente : Lorsqu’il sera question de libellé, et j’espère que ce sera dans les trois ou quatre prochaines semaines, vous pourrez nous l’envoyer.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être ici avec nous aujourd’hui. Ma question porte sur l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, et sur l’intersectionnalité. Lorsque vous voulez recueillir des données désagrégées, comment devraient-elles être rapportées, publiées et utilisées, surtout quand on va chercher les données des provinces? Est-ce que toutes les provinces utilisent les mêmes normes en matière de recueil des données?

[Traduction]

La présidente : Professeure Bouka, je crois que cette question relève de votre compétence?

Mme Bouka : En fait, elle ne relève pas de mon domaine d’expertise. Si nous prenons la santé publique, par exemple, nous savons que pendant la pandémie de COVID-19, il y a eu beaucoup de conversations au sujet de la ségrégation raciale. Dans un article que ma sœur et moi avons publié récemment, nous avons parlé du statut d’immigrant comme l’un des critères qui devraient être utilisés pour recueillir des données.

Comment utilisez-vous alors ces données? Il y a eu beaucoup de débats dans les cercles universitaires ainsi que des liens avec les politiques au sujet des risques associés à la façon dont ces données sont publiées et à quelles fins. Ce peut être une arme à double tranchant. Mais je vais laisser ma collègue vous en dire plus.

Mme Stinson : Il est clair que les données sont importantes. Le rôle de Statistique Canada est extrêmement important dans la collecte des données. Statistique Canada a établi un centre de statistiques sur l’égalité entre les sexes, la diversité et l’inclusion qui tente de revenir sur d’anciennes données et, je crois, d’intégrer certains indicateurs de l’ACS Plus. Cependant, à l’avenir, ils le font pour s’assurer que nous recueillons des données qui contribuent à une analyse intersectionnelle.

Plutôt que de compter sur les provinces, je préférerais de loin que Statistique Canada joue un rôle central pour s’assurer d’avoir des données cohérentes à l’échelle du pays.

Ils ont commencé à le faire, et je pense qu’ils ont probablement besoin de plus d’aide pour y arriver et pour publier leurs données. Je pense toutefois qu’ils ont lancé un petit tableau de bord et qu’ils essaient de faire passer les choses.

La présidente : Merci beaucoup.

Mme Senior : Je souscris à ce que les autres témoins ont dit. Nous sommes l’un des organismes qui ont rencontré des représentants de Statistique Canada, d’Imagine Canada et d’autres organisations pour savoir ce qu’ils mesurent et ce dont nous avons besoin dans le secteur pour être beaucoup plus précis, surtout pour les fondations, en ce qui concerne les investissements que nous faisons dans les collectivités.

Les données désagrégées sont extrêmement instructives et utiles. Il est important que Statistique Canada adopte cette approche officielle, tout comme nous.

J’allais soulever un autre point. J’ai perdu mon idée, mais ça me reviendra peut-être.

La présidente : Oui, dites-le-nous si elle vous revient.

Chers collègues, je pense que nous avons terminé notre examen avec nos excellentes témoins très qualifiées. Chers témoins, je tiens à vous remercier tous de nous avoir fait part de votre sagesse et de vos points de vue, d’autant plus que vous avez été informés il y a relativement peu de temps. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu le mercredi 19 octobre, à 16 heures, et nous poursuivrons notre étude du Cadre fédéral de prévention du suicide.

(La séance est levée.)

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