LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 19 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h (HE), avec vidéoconférence, pour son étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je m’appelle Ratna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario et je préside ce comité.
Avant de souhaiter la bienvenue à nos témoins, j’aimerais émettre un avertissement quant au contenu de notre réunion d’aujourd’hui puisque nous poursuivons notre étude sur le Cadre fédéral de prévention du suicide. Nous allons discuter de sujets liés au suicide et à la santé mentale. Ces sujets peuvent être douloureux pour les gens qui sont dans la salle avec nous, ainsi que pour ceux qui nous regardent et nous écoutent de chez eux. Les numéros de téléphone des lignes d’assistance en cas de crise seront diffusés pendant cette réunion. Nous rappelons également aux sénateurs et aux employés du Parlement que le Programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat est à leur disposition et qu’il offre des services de counselling à court terme pour toutes préoccupations personnelles et professionnelles, ainsi que des services de counselling en situation de crise.
Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons en personne Mme Stewart, directrice des Services du bien-être communautaire de la Métis Nation of Ontario, qui représente le Ralliement national des Métis. Bienvenue, madame Stewart.
Nous recevons également, par vidéoconférence, madame Jocelyn W. Formsma, la directrice générale de l’Association nationale des centres d’amitié. Bienvenue, madame Formsma. Je vous remercie toutes deux de vous joindre à nous aujourd’hui.
Avant de débuter, je souhaite rappeler à tous que l’étude se concentre sur le Cadre fédéral de prévention du suicide qui a été publié en 2012. J’aimerais que vos commentaires portent autant que possible sur le cadre. Cette demande s’adresse tant aux témoins qu’aux membres du comité.
J’invite Mmes Stewart et Formsma à prononcer leurs déclarations préliminaires. Comme le veut la pratique, vous disposez de cinq minutes chacune, puis les sénateurs poseront leurs questions pendant des séries de questions de cinq minutes également.
Madame Stewart, vous avez la parole.
Wendy Stewart, directrice, Services du bien-être communautaire, Métis Nation of Ontario, Ralliement national des Métis : Tawnshi. Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité. Marsee et merci de me donner l’occasion de participer à votre séance d’aujourd’hui. Je m’adresse à vous en ma qualité de membre du groupe technique sur la santé du Ralliement national des Métis afin de vous faire part des perspectives des membres dirigeants sur l’étude concernant le Cadre fédéral de prévention du suicide.
Les Métis représentent un peuple autochtone distinct tel que défini à l’article 35 de la Constitution. Les membres dirigeants métis — la Métis Nation British Columbia, la Métis Nation of Alberta, la Métis Nation-Saskatchewan et la Métis Nation of Ontario — forment le Ralliement national des Métis. La nation métisse, forte de ses propres identité collective, langue et mode de vie, continue à promouvoir ses droits à l’autodétermination, y compris à l’autonomie gouvernementale au Canada grâce à des registres et des structures de gouvernance élues démocratiquement. Chaque membre dirigeant a le mandat de représenter ses propres citoyens.
En tant que peuple autochtone reconnu par la Constitution, les citoyens métis doivent se prévaloir du même droit inhérent que les Premières Nations et les Inuits d’améliorer leur sort et de jouir d’un état de santé général comparable à la population canadienne. Ils ont aussi le droit de transformer la prestation de services en soins de santé pour que le modèle privilégie la prévention, le bien-être et la promotion de la santé plutôt que d’être axé sur le traitement des maladies.
Nous sommes donc reconnaissants d’avoir été invités à nous prononcer sur le Cadre fédéral de prévention du suicide. Permettez-moi de vous relater le récit d’Alex, un adolescent métis qui a été envoyé dans 17 maisons de santé et qui a été vu par 23 travailleurs sociaux différents sur une période de 11 ans. Alors qu’il était confié aux maisons de santé, Alex a été victime de maltraitance et de négligence. On lui a aussi refusé l’accès à des mesures de soutien en santé mentale ou à tout lien significatif avec sa famille ou la culture métisse. À la fin de sa vie, Alex a été placé seul, sans soutien, dans une chambre d’hôtel d’Abbotsford, en Colombie-Britannique, pendant 49 jours. Il s’est enlevé la vie en sautant de la fenêtre de cette même chambre. Laissons les statistiques de côté : son sort représente une tragédie pour la communauté.
En 2016, le Cadre fédéral de prévention du suicide ne faisait état d’aucune donnée probante sur les taux de suicide et d’aucun plan d’action. En 2018, un rapport d’étape a donné lieu à certaines améliorations, notamment en fournissant le taux de prévalence. Or, il ne comprenait toujours pas de plan d’action pour répondre adéquatement aux besoins du peuple métis.
Deux ans plus tard, la situation n’a pas beaucoup changé : le document fournit certaines données en santé sur les taux de prévalence chez les Métis, mais aucune stratégie de bien-être mental ou de prévention du suicide propre aux Métis. En outre, si on évaluait les trois rapports en les plaçant l’un à côté de l’autre, on constaterait encore une fois que les Métis brillent par leur absence. Il est impossible d’évaluer les avancées quand un groupe n’est pas adéquatement inclus dans un document.
La tendance nous porte à croire que le rapport de 2022 reflètera la même situation. Ce n’est que dans les deux dernières années que la nation métisse a reçu du financement fédéral pour contribuer aux initiatives pour le bien-être et la promotion de la vie des Métis. Malgré cette amélioration, l’investissement n’est que temporaire; les membres dirigeants doivent donc se démener pour assurer la prestation d’un continuum de soins dans leurs communautés respectives.
Dans la vision métisse du monde, le suicide et la promotion de la vie sont interreliés. Toute mesure qui promeut la vie peut aussi prévenir le suicide. Bien qu’utile, un modèle de prévention du suicide sans optique de promotion de la vie fait fi des circonstances uniques du peuple métis, de nos histoires et des effets continus de la colonisation sur notre bien-être. Cette approche s’appuie également sur les déficits plutôt que sur la mise à profit des incroyables forces de nos communautés.
Dans une perspective plus large, les rares données sur la santé suggèrent que les statistiques les plus facilement accessibles sous-estiment les disparités et les résultats de la santé des Métis. Comme on l’a énoncé à divers forums, il est essentiel que les communautés métisses aient accès aux données sur la santé appropriées pour bien comprendre et influencer les initiatives à ce sujet à l’avenir.
Pour ce faire, il faut inclure les données sur la santé des Métis de façon significative afin de mettre à profit les meilleures données probantes, connaissances et pratiques existantes. Cette approche faciliterait également la mobilisation des communautés métisses pour répondre aux besoins actuels en interventions de promotion de la vie et de prévention du suicide. Finalement, les communautés métisses pourraient appuyer les propositions de financement et renforcer les initiatives de promotion de la vie.
La nation métisse s’engage aussi à veiller à ce que les populations à risque dans nos communautés reçoivent les soins dont elles ont besoin. Ces populations comprennent, sans s’y limiter, les populations aux diverses identités de genre, les femmes, les filles, les jeunes, les aînés et les personnes se heurtant à des obstacles géographiques. L’étude de ce cadre démontre sans aucun doute qu’une place doit être réservée pour la nation métisse afin qu’elle appuie ces efforts. Votre cadre mentionne la mise à profit des partenariats s’appuyant sur des décennies de recherche et de conversations communautaires, sur les comités consultatifs propres aux Métis et englobant toutes les populations ainsi que sur les tables de discussion formelles des gouvernements. Les gouvernements métis s’efforcent de fournir des possibilités appropriées sur le plan de la culture et axées sur l’autodétermination en santé et en bien-être qui tiennent compte du profil de santé unique des Métis dans nos communautés.
Pour terminer, nous ne voulons pas pleurer un autre Alex. Nous devons avoir notre place dans le prochain rapport du cadre. Nous portons l’espoir que notre présence ici aujourd’hui — une inclusion qui n’est pas sans importance — nous permettra de proposer des initiatives de prévention du suicide et de promotion de la vie pour les Métis. Ce faisant, nous préviendrons les morts inutiles des Alex de ce monde.
Je vous remercie à nouveau de cette occasion d’exprimer l’importance d’une mobilisation et d’une participation significatives de la nation métisse et de porter la voix des citoyens métis. Nous serons heureux de répondre à toute question de votre part. Marsee. Merci.
La présidente : Merci, madame Stewart.
Madame Formsma, vous avez la parole.
Jocelyn W. Formsma, directrice générale, Association nationale des centres d’amitié : Bonjour à tous. [mots prononcés dans une langue autochtone]
Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis la ville de Whitehorse, sur les territoires ancestraux des Premières Nations Taa’an Kwächän et Kwanlin Dün.
Je suis vraiment reconnaissante de l’occasion de pouvoir m’exprimer aujourd’hui à ce sujet. Je n’ai pas pu préparer des notes d’allocution avant la réunion, mais j’aimerais aborder certains enjeux dans ma déclaration liminaire. Tout d’abord, j’ai le plaisir et le privilège d’occuper le poste de directrice générale de l’Association nationale des centres d’amitié. Ma communauté est la Première Nation Moose Cree et je viens du territoire du Traité no 9 dans le Nord de l’Ontario, soit de la nation Nishnawbe Aski sur le territoire Mushkegowuk aux abords de la côte de la Baie James, à laquelle je reviendrai plus tard.
Je crois comprendre que le comité sénatorial examine le Cadre fédéral sur la prévention du suicide et rédigera un rapport à son sujet. Le comité se penche plus précisément sur l’efficacité des mesures depuis la création du cadre.
Afin que vous connaissiez certains de mes antécédents, je préciserai que je défends les droits des enfants autochtones et que je promeus la mobilisation des jeunes depuis fort longtemps. J’ai participé à au moins deux rondes de consultations pour l’examen par le comité de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
J’ai travaillé de part et d’autre de la frontière canado-américaine sur les droits des enfants, et en particulier sur la protection de l’enfance. J’ai aussi rédigé des textes sur le respect des droits des enfants autochtones consacrés dans la Convention relative aux droits de l’enfant et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Dans ma jeunesse, j’ai été présidente du conseil des jeunes de l’Association nationale des centres d’amitié et représentante du NAN Decade for Youth Council, qui s’appelle maintenant Oshkaatisak et qui se trouve toujours dans la nation Nishnawbe Aski, ou territoire NAN en anglais. Pendant de nombreuses années, nous avons coopéré avec le NAN Decade for Youth Council de la nation Nishnawbe Aski précisément sur la prévention du suicide grâce à l’initiative NAN Decade for Youth Development. L’initiative a été couronnée de succès, et nous nous penchons maintenant sur le projet qui lui succédera : le programme Choose Life, qui sera offert, je crois, partout dans le Nord de l’Ontario en vertu du programme du principe de Jordan.
À l’heure actuelle, le financement fédéral pour les jeunes Autochtones se fait assez rare. Bien entendu, l’Association nationale des centres d’amitié, ou ANCA, bénéficie du soutien des Programmes urbains pour les peuples autochtones. Les coordonnateurs jeunesse et la programmation jeunesse sont admissibles à ces enveloppes de financement, mais les montants versés sont loin de suffire pour offrir le large éventail de services que les centres d’amitié fournissent, y compris la programmation jeunesse.
Pendant de nombreuses années, nous avons été responsables de l’Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones, ou CUPJA. À mon avis, ce programme était formidable et offrait un nombre inouï de mesures de soutien aux jeunes Autochtones de partout au pays. J’ai moi-même tiré parti de ce programme et j’y attribue une part du succès que j’ai connu ainsi que certaines des mesures d’appui précoces qui m’ont aidée dans ma jeunesse.
Son prédécesseur, le programme Connexions culturelles pour la jeunesse autochtone, n’a pas fait long feu. L’intégralité de la programmation jeunesse a été éliminée en 2018, et rien ne l’a vraiment remplacée. J’ai déjà mentionné le programme Choose Life. Les autres programmes fédéraux actuels se rapportent davantage aux échanges pour les jeunes, au marché du travail, à l’emploi, au bénévolat et à la réconciliation. Or, aucun programme par nous et pour nous, les peuples autochtones, n’existe.
En guise de conclusion, je ne peux me prononcer sur l’efficacité du cadre pour les enfants et les jeunes Autochtones des milieux urbains, mais je peux affirmer que, afin de sauver plus de vies, nous devons mettre l’accent sur les connexions, la culture et la communauté pour les enfants autochtones et les jeunes de partout au pays. Nous devons éradiquer les querelles liées aux champs de compétence afin qu’elles n’empêchent aucun jeune Autochtone, peu importe son lieu de résidence, de recevoir l’appui nécessaire. De plus, nous devons bonifier la programmation pour les enfants et les jeunes Autochtones, y compris le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones, et rétablir les programmes nationaux pour les enfants et les jeunes Autochtones.
Je vous remercie sincèrement de votre temps.
La présidente : Merci beaucoup, madame Formsma. Comme le veut la pratique actuelle, nous allons maintenant entendre les questions des sénateurs.
Je n’ai pas besoin de vous rappeler que chaque sénateur dispose de cinq minutes pour poser sa question et écouter la réponse. Honorables collègues, je vous serais reconnaissante de préciser à quel témoin s’adresse votre question.
La sénatrice Bovey, du Manitoba, qui est la vice-présidente du comité, posera la première question. Elle sera suivie du sénateur Patterson, du Nunavut, et du sénateur Kutcher, le parrain de l’étude.
La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier les deux témoins. Je suis vraiment ravie d’avoir entendu vos points de vue. J’ai aimé le fait, madame Stewart, que vous avez parlé de l’importance de la promotion et de la protection de la vie et, madame Formsma, que vous avez abordé les connexions, la culture et la communauté. Vous êtes toutes deux tournées vers l’avenir, ce que je trouve louable.
Alors que nous nous penchons sur ce cadre, j’aimerais connaître vos réflexions quant à ce qui y manque, selon vous.
Madame Stewart, je sais que vous avez dit que l’expérience et les réalités des Métis n’y sont pas représentées. Je suis curieuse de savoir comment vous croyez qu’elles devraient y être exprimées. Quelles données actuellement lacunaires dans le cadre aideraient à souligner l’importance d’inclure les Métis et les centres d’amitié dans le cadre?
Ma dernière question se veut une réflexion sur le rôle, à vos yeux, de la recherche pour que le cadre offre des plans d’action viables. Répondez aux sujets qui vous parlent dans ce que j’ai mentionné. Je suis certaine que d’autres reprendront les thèmes que vous ne pourrez aborder.
Madame Stewart, veuillez commencer.
Mme Stewart : Bien sûr. Merci de ces questions.
Ironiquement, le forum sur la santé du Ralliement national des Métis a lieu cette semaine à Gatineau. Nous y discutons des données dans l’optique des Métis : l’intendance des données, l’accès aux données, la diffusion de nos données à la nation et la tenue d’un dialogue sur le sens des données.
Bien que le cadre comporte maintenant des données, c’est la première fois que nous en prenons connaissance. Les données ont été présentées sans consultation. Dans certaines analyses conjointes effectuées à l’heure actuelle, on pense souvent aux Métis après coup.
Tout ce que nous demandons, c’est qu’une discussion poussée — vous savez, un dialogue sur les données — ait lieu dès le départ. Nous voulons également que des consultations complètes aient lieu afin de demander aux communautés ce qu’une donnée veut dire plutôt que de l’interpréter sans nous et de nous la présenter par la suite.
Pour ce qui est des activités de promotion de la vie porteuses de sens, nous nous appuyons sur les déterminants sociaux de la santé propres aux Métis. Nous disposons d’un rapport sur les déterminants sociaux de la santé que nous pouvons fournir au Sénat.
Nous nous intéressons à ce qui se rapporte aux proches parents et à la communauté métisse en particulier. L’approche panautochtone rend souvent les Métis invisibles. Je le répète, nous voulons simplement une mobilisation plus concrète. Notre communauté forme une population autochtone officielle. Nous aimerions que, un jour, on nous consacre le même dialogue équitable. Merci.
La sénatrice Bovey : Madame Formsma, j’aimerais savoir si vous pouvez nous faire part de vos réflexions quant à la recherche qui, selon vous, est nécessaire pour influencer le cadre et ainsi y inclure les programmes que vous jugez nécessaires.
Mme Formsma : Certainement.
Qu’est-ce qu’il manque? Je crois que rien ne manque réellement dans le cadre. Ce qu’il manque, c’est la mise en œuvre sur le terrain. Je répète constamment à mon équipe de l’ANCA que, peu importe ce que nous faisons, nous devons cerner ses effets sur le terrain. Il faut savoir en quoi nos initiatives sont importantes pour quelqu’un qui franchit le pas de la porte d’un centre d’amitié. En quoi aideront-elles un jeune qui n’a pas les ressources nécessaires pour gérer ses pensées qui peuvent être suicidaires, qui souffre de dépression ou qui se sent déconnecté? Tout ce que nous faisons doit faire une différence pour eux. Les initiatives doivent avoir une incidence sur la vie de ces enfants ou de ces jeunes.
Il manque le volet de mise en œuvre.
Les données sont également lacunaires. Comme on le sait, bien des organisations, communautés et gouvernements autochtones ne possèdent pas la capacité nécessaire pour recueillir et analyser les données eux-mêmes. Nous nous heurtons à ce problème en ce moment même. Nous avons quand même décidé de commencer le travail et de créer notre propre base de données. Nous nous retrouvons maintenant à devoir pourvoir des postes pour la saisie de données dans la base de données et pour l’analyse. Je détiens des données sur la programmation jeunesse s’échelonnant sur des décennies que je ne peux toujours pas utiliser parce qu’il me manque du personnel pour épurer les données et nous indiquer ce qu’elles révèlent pour cette période.
Il va sans dire que des projets de recherche peuvent s’avérer très utiles. Nous misons sur la recherche menée par la communauté. Il ne faut pas se limiter à la recherche des chercheurs dans des établissements universitaires. En fait, nous avons élaboré un cadre et un système où les centres d’amitié et les organismes communautaires mènent les recherches. Ainsi, les résultats de ces recherches revêtent une réelle importance pour elles.
Le projet de recherche pour la thèse de doctorat de notre coordonnatrice principale de recherche porte sur l’incidence concrète des deux programmes que j’ai mentionnés — l’Initiative des centres urbains polyvalents pour les jeunes Autochtones et Connexions culturelles pour la jeunesse autochtone — dans les vies des jeunes Autochtones. Lorsque la recherche sera terminée — et j’espère qu’elle la rendra publique lorsqu’elle l’aura finie —, nous en apprendrons beaucoup sur ce qui compte réellement pour les jeunes et sur la façon d’accroître leur sécurité.
La sénatrice Bovey : Merci.
Le sénateur Patterson : Merci aux deux témoins.
Je vais d’abord m’adresser à Mme Stewart. Vous avez dit, si j’ai bien compris, que les Métis font partie des peuples autochtones reconnus dans la Constitution et qu’ils devraient donc être dotés des droits inhérents dont se prévalent les autres groupes autochtones au Canada. Je connais très bien la table ronde de partenariat entre les Inuits et la Couronne, qui a accompli beaucoup de choses sur le suicide. Nous en apprendrons davantage à ce sujet plus tard au comité.
L’Accord Canada-Nation métisse a-t-il permis de s’attaquer aux problèmes qui, selon vous, sont ignorés ou mis de côté?
Mme Stewart : Un dialogue significatif a été entamé vers la reconnaissance du peuple métis et la mise en œuvre de l’accord à plusieurs niveaux, au-delà des initiatives sur la santé mentale et le mieux-être. Je dirais donc que l’accord est en effet très utile.
Avons-nous encore du travail à faire? Le rapport indique clairement que c’est le cas. Nous sommes très ouverts à cet égard.
Le sénateur Patterson : Merci. Je m’adresse aux deux témoins. La ministre de la Santé mentale et des Dépendances et le médecin hygiéniste en chef de la santé publique de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, ont fait part de leur intention de mener des consultations auprès des organisations autochtones. C’est une bonne chose. Les consultations menées par la ministre Bennett porteront sur le plan d’action promis pour l’automne 2023 et sur la mobilisation des communautés autochtones. Quant au médecin hygiéniste en chef de la santé publique de SAC, il enjoindra les organisations métisses et les autres organisations autochtones à soutenir les évaluations des résultats dirigées par les Inuits.
J’aimerais vous demander si vous avez participé à ces consultations. Est-ce que chacune d’entre vous pourrait donner une brève réponse?
Mme Stewart : Madame Formsma, voulez-vous commencer?
Mme Formsma : Volontiers, merci. Nous participons aux consultations. Un dialogue s’est tenu à Toronto il y a quelques semaines. Par contre, notre position est un peu bizarre. Nous soutenons et comprenons entièrement les relations de nation à nation que le gouvernement entretient avec les gouvernements des Métis, des Premières Nations et des Inuits. Nous œuvrons dans la société civile, où nous avons un réseau de bénévoles. Nous sommes un carrefour communautaire qui fournit une grande variété de programmes et de services. Nous ne représentons personne. Lorsque se tiennent plusieurs dialogues et conversations, de même que la planification de mesures et la planification stratégique liées aux questions autochtones, nous nous rendons compte que les forums fédéraux sont tous bâtis selon un modèle de représentation, ce qui ne nous permet pas d’y participer. Voilà quelque chose que je voulais souligner.
J’ai parlé plus tôt des querelles de compétences, dans lesquelles sont embourbés bon nombre d’Autochtones vivant en milieu urbain. La vaste majorité des Autochtones ont adopté ce mode de vie. Nous entretenons divers types de relations avec nos gouvernements respectifs des Premières Nations, métis et inuits. À titre de réseau composé d’organisations de la société civile, nous voulons faire entendre notre voix ailleurs que dans le cadre de la relation de nation à nation, afin de donner le point de vue et de faire part de la réalité et de l’expérience des centaines de milliers de personnes que nous aidons chaque jour et des millions de personnes que nous aidons chaque année. Cela dit, nous n’en sommes pas encore là. Ce sera mon seul commentaire. J’espère que j’ai répondu à votre question.
Le sénateur Patterson : Merci.
Mme Stewart : Quant au Ralliement national des Métis, tous les participants à la table de concertation technique sur la santé seraient d’accord pour dire que nous avons entamé un dialogue constructif avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, et SAC. Encore une fois, un dialogue avec toutes les organisations membres se tient à la table de concertation technique, mais aussi avec les différents ordres de gouvernement. Ce dialogue significatif se déroule bien jusqu’à présent.
Le sénateur Patterson : Madame Formsma, vous avec parlé de l’importance des programmes nationaux destinés aux enfants et aux jeunes Autochtones. Pourriez-vous nous expliquer, brièvement tout de suite ou plus tard, comment fonctionnait ce programme et pourquoi il était si efficace? Je tiens en haute estime le travail que font les centres d’amitié. Je pense donc que nous retirerions beaucoup de votre expérience de travail avec le défunt programme.
La présidente : Sénateur Patterson, pourrions-nous obtenir ces informations lors de la deuxième série de questions? Notre temps est écoulé et je suis consciente que...
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous noter ma question, madame la présidente?
La présidente : Je vais noter votre question et peut-être que Mme Formsma pourra revenir plus tard avec les informations.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins pour leurs interventions. Lors de séances précédentes, d’autres témoins ont fait remarquer que le cadre encourageait, non pas les méthodes éprouvées de prévention du suicide, mais plutôt celles dont l’efficacité n’a pas été prouvée. Les stratégies d’intervention générales qui peuvent améliorer les déterminants sociaux de la santé et renforcer les communautés sont absolument cruciales, mais elles ne sont pas en place. Nous le savons. Cela dit, même si elles étaient en place, elles ne pourraient pas prévenir tous les suicides dans les communautés.
Ma question porte sur les interventions additionnelles qui pourraient être envisagées. Je voudrais vous demander à toutes les deux comment, selon vous, nous pourrions déterminer quelles interventions additionnelles, mis à part le renforcement des communautés, seraient nécessaires pour faire diminuer les taux de suicide au sein des populations autochtones. Pouvons-nous appliquer des mesures déjà éprouvées ou devons-nous faire des recherches pour les trouver?
Mme Formsma : Merci. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, les peuples, les enfants et les jeunes autochtones constituent le segment de la population canadienne qui enregistre la plus forte croissance. Les Autochtones forment la seule tranche de la population qui connaît une croissance, alors que le Canada est aux prises avec des problèmes démographiques.
Malgré tout, le financement et les mesures du gouvernement fédéral, plus particulièrement les investissements destinés au bien-être des enfants et des jeunes, sont faméliques et désorganisés.
Nous participons à la planification de mesures liées à un cadre national pour les enfants. Nous avons dit très clairement à plusieurs ministères les mesures qu’ils devaient prendre au sujet des programmes pour les jeunes qui existent déjà et nous leur avons précisé quels nouveaux programmes devaient être créés.
En gros, vous ne pouvez pas, en même temps, poser des obstacles à l’engagement des jeunes Autochtones et vous attendre à ce qu’ils participent. Vous leur demandez en quelque sorte de faire plus, mais avec certaines des ressources fournies par Service jeunesse Canada... J’essaie d’être brève. Certains programmes fonctionnent. J’ai travaillé avec deux programmes du centre urbain polyvalent pour les jeunes Autochtones.
Je vais peut-être répondre brièvement à l’autre question du sénateur. Ce programme polyvalent a fonctionné parce qu’il était fait par des jeunes, pour des jeunes. Il répondait vraiment à leurs besoins, peu importe leur communauté. Le programme s’adaptait aussi bien aux besoins des jeunes qui résident au centre-ville de Vancouver, dans le Nord du Manitoba ou à Whitehorse qu’aux besoins de ceux qui vivent au centre-ville de Toronto.
C’était la beauté de ce programme : il était assez flexible pour répondre aux besoins des jeunes de différentes communautés, et il était dirigé par des jeunes. Je pense qu’il devrait être réinstauré et élargi pour desservir toutes les communautés autochtones, pas seulement celles des centres urbains, mais aussi les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Je ne pourrai jamais dire à quel point ce programme était magnifique.
Mme Stewart : Dans le même ordre d’idées, je dirais qu’aucun programme ne devrait être mis sur pied sans l’apport des jeunes, particulièrement des jeunes Métis.
Au sujet des interventions précoces auprès des enfants, si nous nous demandons comment mesurer les répercussions à long terme, il faudrait en fait que nous commencions à investir dans la petite enfance.
Par exemple, dans certains programmes gérés par nos organisations membres, les interventions précoces permettent d’établir un diagnostic et d’évaluer les problèmes à l’école et à la maison... Comment pouvons-nous changer les choses pour améliorer le bien-être général de la personne concernée, et sa capacité à se débrouiller à l’école et pour qu’elle se retrouve dans un environnement qui lui convient?
Pour l’heure, nous ne le savons pas. Nous ne disposons pas de toutes ces informations. En ce qui concerne l’accès à ces informations et notre capacité à recenser ce que nous avons et ce que nous n’avons pas, ce serait vraiment utile de tenir un dialogue constructif de nation à nation sur l’accès aux données.
Si vous le souhaitez, nous pouvons revenir au comité avec davantage d’informations à ce sujet, notamment l’état des lieux du point de vue des Métis et nos recommandations quant aux résultats souhaités. Nous serions prêtes à le faire.
Le sénateur Kutcher : Ce serait fantastique. Je voulais également que nous parlions du programme mentionné par Mme Formsma et de ses répercussions sur la prévention du suicide. Y a-t-il des données qui démontrent que le programme que vous avez mis en place contribue vraiment à réduire le taux de suicide? Nous aimerions beaucoup obtenir ces données.
La présidente : Oui. Ces données nous seraient utiles pour notre étude.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Formsma. Vous avez tantôt parlé des cliniques d’amitié. Avant, cet après-midi, j’étais dans un autre groupe et j’ai entendu beaucoup de bien au sujet de ce que les centres de santé sont en mesure de faire.
Quand vous aurez l’occasion d’être appelée et d’être consultée pour le plan d’action national, est-ce que vous allez demander tout ce que vous avez dit tantôt, comme l’élargissement et l’augmentation des fonds? D’après ce que je viens d’entendre, ce serait une bonne chose de l’inclure dans le plan d’action.
Vous qui êtes sur le terrain, comment voyez-vous cette mise en œuvre?
[Traduction]
Mme Formsma : Merci. Nous avons accompli beaucoup et nous continuons à redoubler d’efforts dans la lutte contre le racisme qui sévit dans les soins de santé et pour améliorer l’éducation, l’accès à la justice et le bien-être des enfants et des jeunes. Nous constatons invariablement que les résultats sont meilleurs lorsque nous bâtissons nos propres programmes. Nous avons présenté récemment notre mémoire prébudgétaire, que nous nous efforçons de promouvoir tous azimuts. Vous pouvez nous fournir les bases du programme, mais permettez-nous de l’élargir et de sortir des ornières. Le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones constitue un autre exemple d’initiative qui fonctionne bien et qui devrait être instauré dans toutes les communautés. La tâche serait simple dans ce cas, car nous disposons de beaucoup de données sur ce programme par ailleurs déjà établi.
Le travail que nous avons accompli pour la nation Nishnawbe Aski avec le programme Decade for Youth a généré beaucoup de données et d’informations sur ce qui fonctionne bien. Quant à savoir comment mesurer la diminution des suicides, nous y avons réfléchi lorsque nous étions au conseil de Decade for Youth. Il est plutôt difficile de déterminer le nombre de personnes qui ne commettent pas de suicide. Nous avons donc essayé de voir les choses par l’autre bout de la lorgnette. Nous avons décidé de mesurer notre taux de succès en fonction du taux de participation des jeunes dans le territoire. Quarante-neuf communautés des Premières Nations se rendent à ces centres en avion.
Lorsque nous cherchons à tenir compte de certains de ces aspects, les pratiques exemplaires du réseau des centres d’amitié consistent, elles aussi, à mesurer le taux de participation. Nous réussissons très bien lorsque nous parvenons à le faire nous-mêmes et que nous disposons des ressources nécessaires.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci. Vous dites que certains peuvent y aller par avion. Est-ce que le plan d’action et l’élargissement pourraient engendrer plusieurs points de service qui pourraient être accessibles à plus de monde?
L’autre chose que vous avez dite avant était que les centres d’amitié n’avaient pas trop de sens pour les gens. Est-ce que vous avez prévu un plan de communication pour que les gens sachent à quoi sert un centre d’amitié, pour pouvoir venir vers vous?
[Traduction]
Mme Formsma : C’est une des tâches qui nous attendent au cours des deux prochains mois. Les conversations sur le budget ont lieu en ce moment. Nous voulons nous assurer que les gens disposent des informations nécessaires pour y participer. Nous voulons en tout temps travailler de concert avec les gouvernements des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Nous reconnaissons les contributions et le soutien que les gouvernements tentent d’apporter à leurs citoyens.
Le chevauchement ou la concurrence ne sont que des faux-fuyants. En effet, nous avons suffisamment de ressources pour répondre aux divers besoins des membres des communautés partout au pays. Le scénario idéal auquel nous devons tendre, c’est de trouver des moyens variés de respecter les droits fondamentaux de la personne et de fournir aux jeunes Autochtones différents moyens de communiquer et de connecter. Nous ne devrions pas avoir comme objectif le strict minimum. Nous devrions essayer de trouver les meilleures solutions possibles pour que les jeunes Autochtones des communautés des Premières Nations, inuites ou métisses, peu importe où ils se trouvent au pays, obtiennent le même soutien que n’importe quel autre jeune au pays en matière de droits de la personne, de liens avec leur culture et leur communauté et d’accès au logement et à la nourriture. Ils doivent être fiers de qui ils sont au même titre que les autres. Voilà ce que nous devrions viser. Nos objectifs doivent être élevés.
Nous travaillons en effet sur la mise en place de certains de ces points de communication pour que les gens sachent quels sont les rôles des centres d’amitié dans leur vie, particulièrement ceux des centres urbains. Nous sommes le premier point de contact continu avec de nombreux Autochtones qui se trouvent en milieu urbain, y compris dans les communautés rurales, éloignées et du Nord. Je veux parler des Autochtones qui ne vivent pas dans les réserves, ni dans les installations et les territoires des Métis, ni dans l’Inuit Nunangat.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Ma question sera posée également en français.
Ma question porte sur ce qu’il se passe sur le terrain. On entend que, quand il s’agit des consultations faites, elles ne sont souvent pas assez adéquates, suffisantes ou optimales. Sur le terrain, à l’étape des programmes et services, pouvez-vous me dire si les membres des communautés inuites, métisses et des Premières Nations sont au centre des décisions et de la mise en place de ces programmes et services? Sinon, devraient-elles l’être?
Ma question s’adresse aux deux témoins. Peut-être que Mme Stewart peut répondre d’abord.
[Traduction]
Mme Stewart : Rapidement, je dirais que pour la première fois, nous pouvons entrevoir un vrai engagement. Ce n’était pas le cas dans le passé, comme l’indiquent clairement les données probantes contenues dans les rapports. Le fait que vous ayez invité le Ralliement national des Métis à parler de ce problème précis aujourd’hui prouve que l’engagement est amorcé. Nous sommes ravis de le constater. Notre relation avec SAC et RCAANC... Nous avons pu affecter les fonds que nous avions reçus en réponse à la COVID à des solutions permettant de remédier aux problèmes de santé mentale et de favoriser le mieux-être. Cet argent s’est avéré vraiment utile pour nous tous. Une collaboration commence à se dessiner. C’est ce que démontreront les données que nous obtiendrons plus tard et c’est ce que disent déjà les membres des communautés, qui soulignent à quel point vous avez aidé les Métis de tous les territoires à satisfaire aux besoins des communautés dans le respect de leur culture. Nous vous en remercions. Nous constatons un changement.
Mme Formsma : Nous commençons, nous aussi, à déceler un peu plus d’engagement. Nous devons tenir compte des réalités des populations. Nous devons composer continuellement avec des politiques et des décisions du gouvernement fédéral qui occultent les réalités de la plupart des Autochtones se trouvant dans les centres urbains. J’ai mentionné les querelles de compétences. Parfois, nous faisons face à cet obstacle lorsque nous essayons de justifier le besoin de programmes pour les milieux urbains. Par exemple, le gouvernement fédéral veut savoir à quelle hauteur les provinces et les territoires ont contribué, puisque, selon lui, c’est leur champ de compétence. Nous répliquons en disant que nous sommes une fédération composée d’associations régionales qui sollicitent presque continuellement les gouvernements provinciaux et que nous ne demandons au fédéral que la composante qui relève de lui.
Il y a différentes manières de voir les consultations. Pour ma part, je préfère faire parvenir les ressources sur le terrain et les exploiter immédiatement. Par la suite, les consultations et les activités d’engagement permettent de savoir ce qui a été accompli et quelles sont les lacunes. Il vaut mieux procéder de cette manière que de mettre au point un modèle parfait à la suite de consultations parfaites, mais qui ne se concrétise pas, faute de financement. Nous pouvons gaspiller énormément d’argent et d’énergie avec les consultations — et nous l’avons fait —, mais en nous rendant dans les communautés — comme je l’ai dit, je vous parle du Skookum Jim Friendship Centre à Whitehorse —, nous constatons que les gens savent ce dont ils ont besoin. C’est en collaboration avec eux que je trouve comment leur fournir les ressources qui répondent aux besoins de la communauté. Nous faisons la même chose pour toutes les communautés au Canada qui comptent un centre d’amitié.
Pour les ressources, je regarde toujours qui est payé et qui prend les décisions. Si ce sont les consultants, les entrepreneurs et leur personnel, et non pas les personnes qui font le travail sur le terrain, nous devons faire quelque chose.
Nous essayons depuis très longtemps de renverser la tendance pour que les ressources se rendent d’abord sur le terrain. Dans le cadre des consultations et des activités d’engagement, on nous dit que nous ne pouvons pas fournir les ressources à temps pour remédier aux situations en temps réel.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup aux témoins, Mme Stewart et Mme Formsma, d’être avec nous aujourd’hui. Je veux essayer de mieux comprendre — c’est peut-être juste moi — tout ce qui concerne la coopération, le partage des ressources, et les exigences auxquelles vos organisations et vos dirigeants doivent se soumettre pour interagir avec plusieurs organismes fédéraux, plusieurs ministres fédéraux et plusieurs fonctionnaires liés à ces ministres.
Presque tout le monde dans la salle et avec nous en ligne sait ce qui se passe lorsqu’une organisation aux ressources plutôt modestes essaie d’accéder à tous les échelons du gouvernement fédéral et connaît la difficulté que cela représente quand plusieurs ministères et plusieurs ministres entrent en jeu. Je ne présume pas de votre réponse à ce sujet. Je m’appuie sur mes propres années de militantisme. Pouvez-vous nous parler du scénario idéal pour vous, compte tenu de vos ressources, compte tenu de l’orientation que vous souhaitez donner à la prévention du suicide? Je vous demande cela parce que nous avons la possibilité de faire des recommandations et des observations. Si vous êtes à l’aise de nous dire la vérité sur votre expérience, nous serons assurément heureux de l’entendre.
Mme Stewart : Au nom du ralliement, je suis vraiment contente que vous ayez posé cette question, car, soyons honnêtes, nous pouvons tous, en tant qu’Autochtones, dire que la mobilisation est épuisante. Nos communautés sont épuisées. Elles ne veulent plus discuter. Premièrement, elles veulent voir de l’action. Deuxièmement, pour ceux d’entre nous qui doivent s’engager auprès du gouvernement, c’est épuisant. Les agences avec lesquelles nous devons discuter sont multiples et comportent de multiples facettes. En outre, nous discutons également avec les gouvernements provinciaux et, évidemment, avec les administrations respectives. Nous parlons d’une stratégie fédérale — de portée nationale — en matière de suicide, et pourtant nous discutons souvent de données relevant des provinces, nous accédons à ces données aux échelons régionaux, puis nous discutons avec différents ministres, différents portefeuilles, sans parler des personnes qui sont en conflit ou qui risquent d’être en conflit avec la loi. Et nous savons que notre système de justice pénale est devenu l’établissement de santé mentale par défaut.
Parmi les autres choses dont on ne parle pas ici en ce moment, il y a les stratégies de réduction des méfaits. Les Métis n’ont aucun accès à des services et à des mesures de soutien culturellement appropriés en matière de toxicomanie. Nous commençons seulement à y avoir accès dans nos propres territoires, mais pour ce qui est de l’accès à la terre et de l’accès à des établissements de traitement résidentiels pour aider à régler certains de ces problèmes, là encore, il faut s’adresser à un autre ministère. Personne ne veut parler d’infrastructure.
Oui, je pourrais parler longuement, mais je vais m’en tenir là. Je pense que vous comprenez. Merci.
Mme Formsma : Oui, je pense que nos expériences sont très similaires. La capacité que nous avons ne correspond pas aux besoins. Nous travaillons avec plusieurs ministères, et c’est difficile. Chaque jour, nous essayons de faire ce que nous pouvons. Nous sommes en train de renforcer nos capacités, et nous en sommes satisfaits, mais nous devons encore faire mieux. Par exemple, pour témoigner devant ce comité et pour répondre à l’invitation d’un autre comité, même si j’ai des analystes politiques, c’est essentiellement moi qui rassemble l’information et qui puise dans mon expérience personnelle pour parler de certaines de ces questions. L’idéal serait que je puisse compter sur des gens qui répondraient à chaque demande d’information et de collaboration que nous recevons.
Ils nous tendent la main, incontestablement. Je constate une augmentation des invitations à discuter, mais nous n’avons pas vraiment la capacité d’y répondre. Nous devons donc trouver un juste équilibre dans l’affectation de nos ressources. Je ne veux pas que nous devenions une énorme organisation qui absorbe toutes les ressources, alors qu’il est préférable que ces ressources soient utilisées sur le terrain. Nous devons constamment nous demander ce qui est suffisant et ce que nous pouvons faire avec ce que nous avons. Est-ce que cela signifie que nous devons retirer des ressources à nos communautés pour continuer de faire ce travail? Il faut trouver un juste équilibre.
Le sénateur Brazeau : Merci à vous deux d’être avec nous cet après-midi. De toute évidence, c’est une question qui est importante pour ce comité — comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup de membres autour de la table du comité — et pour moi, personnellement. J’ai deux questions à poser. Tout d’abord, nous parlons de la prévention du suicide et des peuples autochtones, et nous savons que ces derniers sont surreprésentés dans les taux de suicide. Ma question est assez simple. Quand vous traitez avec les gens du gouvernement fédéral, est-ce que vous trouvez qu’ils se soucient de la prévention du suicide chez les Autochtones?
Mme Stewart : Je pense que oui; ils s’en soucient. Nous échangeons. Nous discutons de cela en ce moment même. Encore une fois, nous demandons instamment un véritable engagement. Se préoccuper du problème est une chose. C’en est une autre de faire quelque chose de marquant qui soit culturellement adapté et particulier à une communauté. Merci.
Mme Formsma : J’évalue les choses en fonction de l’efficacité. Bien sûr que je suis contente que des gens se soucient de la situation. Je les en remercie. Mais sont-ils réellement efficaces dans ce qu’ils essaient d’accomplir? C’est la question que je me pose. Est-ce que les structures, l’argent et les annonces sont vraiment adaptés aux besoins sur le terrain, comme je l’ai dit? Est-ce que l’efficacité correspond vraiment à ce qui est prévu? Si ce n’est pas le cas, c’est sur cela que nous devons travailler et nous concentrer.
Une annonce ne va pas aider la personne qui se réveille le matin avec l’idée de ne plus être en vie à la fin de la journée. L’efficacité, c’est quand cette personne a accès aux ressources lorsqu’elle demande de l’aide, et quand il y a quelqu’un pour répondre, si elle appelle à l’aide. Est-ce qu’il y a des services de soutien dans la communauté, que celle-ci soit une communauté urbaine, inuite ou métisse, ou une communauté des Premières Nations? C’est ce que je mesure : l’efficacité. Il n’est pas si important de savoir si quelqu’un s’en soucie ou non.
Le sénateur Brazeau : Le paragraphe 91(24) de la Constitution indique que le gouvernement fédéral a compétence sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». Pour avoir été à la tête d’une organisation nationale, je peux dire que la position du gouvernement fédéral a toujours été de limiter sa responsabilité à l’égard des peuples autochtones. Cependant, en 2016, il y a eu un arrêt de la Cour suprême. L’un de mes prédécesseurs, le regretté Harry Daniels, qui s’est battu sans relâche, est allé devant la Cour suprême et a dit : « Arrêtez de donner aux Autochtones des étiquettes selon qu’ils vivent ou non dans une réserve, qu’ils soient inscrits ou non, qu’ils vivent en milieu urbain ou éloigné. Les Autochtones sont des Autochtones. »
À cause des politiques gouvernementales, nous avons toutes ces étiquettes différentes. C’est principalement une question de santé, qui relève donc davantage de la compétence des provinces, mais tous les peuples autochtones relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Dans la réalité, il n’agit pas en conséquence, mais en principe il a la responsabilité de tous les peuples autochtones. Pensez-vous que le gouvernement fédéral dilue ses responsabilités ou s’en dégage en affirmant que cette question est plutôt de compétence provinciale? Et peut-être que c’est la raison pour laquelle vos organisations ne reçoivent pas le financement dont elles ont besoin pour mettre en place de bons programmes de prévention du suicide qui fonctionnent, qui sont adaptés à la culture et qui sont accessibles aux Autochtones.
Mme Stewart : Au nom du Ralliement national des Métis, je dirais que nous sommes tous impatients de poursuivre les échanges afin de parler réellement de ces engagements. Ils ne se sont pas encore pleinement concrétisés. Nous sommes ici, à cette table, à discuter de cela. Encore une fois, nous ne cessons d’exhorter le gouvernement. Nous attendons toujours des prestations de santé, sans parler des interventions en matière de suicide. Donc, encore une fois, nous nous en réjouissons. Nous pouvons également mettre à votre disposition un rapport qui énonce nos demandes et nos priorités.
Mme Formsma : Les querelles de compétences sont un problème dont nous n’avons même pas commencé à parler. Il n’y a pas de tribune pour aborder les défis que le fédéralisme a causés, avec le partage des compétences entre les provinces et le fédéral prévu dans les dispositions que vous avez mentionnées. Il est question des Autochtones en milieu urbain ou des peuples autochtones. Où que nous soyons, les gouvernements doivent se pencher sur les gens et sur la façon de les aider, quelle que soit la compétence. Donc, oui, c’est un problème. Nous devons le résoudre, car il s’agit de bien-être, de santé, d’éducation et ainsi de suite.
La sénatrice McCallum : Merci à vous deux de vos témoignages et, surtout, du travail que vous accomplissez. C’est renversant. J’ai été confrontée au suicide chez les enfants lorsque je travaillais dans le Nord en tant que professionnelle de la santé. C’est incroyable, tout ce que vous avez à considérer, avec très peu de pouvoir et très peu de fonds.
Il s’agit d’un problème communautaire associé à des torts de longue date causés par le colonialisme. Nous portons encore cela en nous, et les pertes de vies individuelles tragiques en sont la conséquence. Que faire de cette personne au sein d’une communauté accablée par les traumatismes dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, des soins aux enfants, et ainsi de suite? Les querelles de compétences et l’impossibilité de transférer les droits constituent un problème majeur.
Les déterminants sociaux de la santé sont très importants. Si on ne s’occupe pas des déterminants sociaux de la santé, pensez-vous que l’engagement individuel... et je pense aux professionnels de la santé mentale qui se déplaceraient, aux thérapeutes. Ils vont travailler et, à la fin, si on les retire du milieu, il ne reste plus rien. Vous êtes de retour à la case départ, n’est-ce pas? Comment faire face à cela? Que recommandez-vous comme solutions?
Mme Stewart : En ce qui concerne le Ralliement national des Métis et tous les membres dirigeants de nos tables de concertation sur la santé, nos gouvernements provinciaux et territoriaux sont bien placés pour fournir aux communautés métisses les services et le soutien appropriés en fonction des distinctions. En particulier, au cours des trois dernières années, nous avons été très reconnaissants de recevoir, pour la première fois, des fonds du gouvernement fédéral à l’appui des initiatives de santé mentale et de bien-être. Notre préoccupation porte uniquement sur la question de savoir ce que nous allons faire après la fin de ce financement. Ces communautés en sont venues à compter sur nous en tant qu’institution culturellement sûre et professionnelle pour les services et le soutien. C’est comme un lien de parenté, un lien avec la culture. C’est la situation actuelle. Encore une fois, outre le cadre, nous sommes impatients d’avoir le dialogue sur l’enjeu de la continuité des soins et des services culturellement appropriés pour les Métis du Canada. Merci.
Mme Formsma : Je ne pense pas qu’il y ait assez de temps pour passer en revue tout ce dont nous avons besoin et les recommandations que nous avons formulées. Mais je peux vous dire que ce que nous avons fait et ce que nous continuons de faire, c’est écouter les communautés. Nous nous sommes engagés à être un bon partenaire national, à communiquer ce que nous entendons sur le terrain et à proposer des options pratiques et pragmatiques pour l’avenir. Il n’y a pas de solution facile, mais, à l’heure actuelle, nous n’avons pas de mécanisme pour même commencer à parler des problèmes de compétence.
Je suis d’accord avec ma collègue sur la continuité des services. Je déteste l’idée que nous soyons montés les uns contre les autres à cause de notre lieu de résidence : en ville, dans une réserve ou dans le Nord. Nous avons établi notre réseau de sorte que, même si nous avons une voix nationale et un bureau national qui travaille avec le gouvernement fédéral à des questions de portée nationale, nous recevons nos directives de plus de 100 communautés au Canada où se trouvent des centres d’amitié. Ces centres sont gérés par les communautés en fonction de la culture de ces lieux urbains locaux. Ce sont des Premières Nations, des Métis, des Inuits, selon la communauté dans laquelle on se trouve. Les solutions doivent être fondées sur la réalité et non, comme je le dis parfois, sur des pensées et des sentiments. Elles doivent être fondées sur de bonnes données. Nous avons besoin de mécanismes appropriés pour avoir une vue d’ensemble et ainsi prendre les meilleures décisions sur les politiques de programme et les moyens d’aller de l’avant.
La présidente : Merci, madame Formsma.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous deux et à vos organisations pour le travail que vous accomplissez malgré les défis qui se présentent. Je sais que la sénatrice McPhedran a parlé du financement, de la recherche de fonds, et j’ai entendu cela il y a de nombreuses années au Comité des affaires sociales, sous la présidence du sénateur Kirby, lorsque nous nous penchions sur la santé mentale et la maladie mentale. Les organisations disaient alors qu’elles avaient un employé presque à temps plein qui cherchait simplement à savoir où demander de l’argent. Cette frustration est toujours présente, malheureusement, 20 ans plus tard.
Madame Formsma, vous avez dit que vous commencez à voir un meilleur partenariat avec le gouvernement pour l’élaboration d’un cadre. Les cadres sont un excellent outil pour faire avancer les choses, et c’est formidable de les avoir comme lignes directrices, mais vous avez également parlé, d’autre part, du financement pour les jeunes. Vous avez dit qu’il est rare et qu’il est loin des montants dont vous avez besoin pour les programmes. Ma question est la suivante. Quel que soit l’intérêt d’un cadre de travail, n’y a-t-il pas des problèmes de financement, en particulier pour les programmes destinés aux jeunes, car nous devons évidemment nous concentrer sur le taux de suicide chez les jeunes autochtones? Nous savons que c’est là que tout commence. Vous avez également dit que le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones était une réussite. Est-ce qu’il y a assez d’argent pour que ce programme puisse continuer? Comment cela affectera-t-il votre programmation?
Mme Formsma : J’adorerais que le Programme d’aide préscolaire qui fonctionne en milieu urbain soit présent dans tous les centres d’amitié. Ce n’est pas le cas pour l’instant. À mon avis, qu’il s’agisse de prévention du suicide ou de santé mentale, les gouvernements dépenseront probablement l’argent de toute façon. Il s’agit de savoir où ils mettent la priorité.
Vous allez consacrer de l’argent au système de protection de l’enfance, au système judiciaire, aux prisons. Nous savons combien d’Autochtones sont incarcérés et combien sont dans le système de protection de l’enfance, par exemple. Vous payez donc pour cela de toute façon.
Ce que nous disons, c’est que si nous investissons dès le départ dans la prévention, dans les liens et dans ce qui donne de la force, alors nous verrons les nombres diminuer en aval. Cela peut prendre un peu de temps, mais je suis tout à fait convaincue que nous verrons une diminution des dépenses liées aux remèdes par la suite. Nous voulons voir l’investissement initial. Nous verrons plus de personnes désireuses de rester en vie et de continuer à contribuer à la vie de leur communauté si nous parvenons à investir les fonds nécessaires en amont.
C’est là que je demanderais où est la priorité. Il est tellement important que nous fassions ces investissements en amont.
Vous pourriez aussi vouloir invoquer l’argument économique que nous entendons maintenant et dire que nous ne pouvons pas dépenser tout cet argent. Eh bien, encore une fois, nous parlons du segment de la population canadienne qui connaît la croissance la plus rapide, mais nous n’investissons rien dans leur développement, dans les enfants et les jeunes? Cela n’a aucun sens d’un point de vue économique. Les enfants et les jeunes autochtones seront appelés à participer au marché du travail ou à combler les besoins en main-d’œuvre, et vous allez compter là-dessus. Vous devez vous assurer que les gens ont une bonne vie pour pouvoir contribuer de multiples façons à leurs économies locales, qu’il s’agisse de celles des Autochtones ou de la société canadienne dans son ensemble. Je déteste avancer cet argument économique, mais c’est manifestement quelque chose qui trouve un écho auprès des décideurs à l’heure actuelle, et nous devons donc en tenir compte.
Pour nous, les jeunes Autochtones ne sont pas seulement des corps destinés à satisfaire ce besoin de main-d’œuvre, mais si nous les considérons comme les futurs moteurs de nos économies de demain, alors nous devons réfléchir aux types d’investissements qu’il faut leur consacrer dès que possible, de sorte que nous puissions bénéficier de leurs grandes et merveilleuses idées et de leurs efforts, plus tard.
La présidente : Merci beaucoup aux témoins.
Ceci nous amène à la fin de la période consacrée à ce groupe de témoins. Je tiens à remercier chaleureusement Mmes Stewart et Formsma pour leur participation à notre étude. Votre sagesse et vos connaissances sur le terrain, associées au langage puissant que vous avez utilisé, trouveront certainement écho dans notre étude. Je tiens à vous remercier.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons en personne, d’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, président, et Daniel Afram, conseiller principal en politiques; et par vidéoconférence, de l’Université du Manitoba, la Dre Polina Anang, professeure adjointe de psychiatrie au Max Rady College of Medicine.
Je vais inviter nos témoins à présenter leurs déclarations liminaires. Comme toujours, chacun d’entre vous disposera de cinq minutes pour sa déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions de nos collègues sénateurs. Monsieur Obed, vous avez la parole.
Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Je vous remercie beaucoup. Je suis très heureux d’être avec vous tous en personne. Je vous remercie, madame la présidente et madame la vice-présidente, de nous donner l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui.
L’Inuit Tapiriit Kanatami, ou l’ITK, est un organisme national qui représente les 65 000 Inuits du Canada. Nous occupons environ 51 collectivités réparties sur plus de 40 % de la masse terrestre et 72 % du littoral du Canada. Notre modèle de gouvernance est structuré par nos organismes de revendications territoriales. Des membres de Nunavut Tunngavik Incorporated, de la Société Makivik, du gouvernement du Nunatsiavut et de la Société régionale inuvialuit forment le conseil d’administration de l’ITK et élisent notre présidence. Je suis donc ici à titre de représentant des Inuits canadiens par l’entremise de ce modèle de gouvernance.
Nous avons également fait de grands progrès dans le cadre de nos travaux avec le gouvernement du Canada en ce qui concerne des questions stratégiques telles que le mieux-être mental et la prévention du suicide par l’entremise du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ainsi que des relations actuelles et suivies avec Santé Canada, l’Agence de la santé publique du Canada, Relations Couronne-Autochtones et Services aux Autochtones Canada, qui sont des chefs de file dans le domaine du mieux-être mental, de la santé mentale et de la prévention du suicide.
En 2016, Inuit Tapiriit Kanatami a publié la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits. C’est la première stratégie qui a profité d’un financement fédéral dès le premier jour. En effet, nous avons reçu un financement initial de 9 millions de dollars sur trois ans.
En 2019, par l’entremise d’une proposition prébudgétaire, l’ITK a reçu 50 millions de dollars sur 10 ans pour poursuivre la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits. Et tout récemment, dans le budget de 2022, nous avons reçu 11 millions de dollars supplémentaires pour des activités de prévention du suicide qui permettent de mettre en œuvre notre stratégie pour l’exercice financier en cours et le suivant.
Notre stratégie est axée sur la sensibilisation aux enjeux généraux, sur les données probantes et sur les Inuits. La stratégie vise d’abord et avant tout à créer l’équité sociale, à favoriser la continuité culturelle, à élever des enfants inuits en santé, à assurer l’accès à un continuum de services en matière de mieux-être mental pour les Inuits, à soulager les traumatismes et les deuils non résolus et à mobiliser les connaissances inuites pour la résilience et la prévention du suicide.
Les taux de suicide chez les Inuits sont de 6 à 25 fois plus élevés que les taux nationaux, selon la région et la démographie.
Ce problème existe depuis le milieu des années 1970. Même si, traditionnellement, les Inuits ont eu des taux de suicide moins élevés, nous reconnaissons qu’à titre de peuple, nous ne sommes pas plus à risque d’avoir des tendances suicidaires pour la seule raison que nous sommes des Inuits. Une multitude de facteurs nous ont placés dans ce scénario, et c’est la raison pour laquelle nous croyons que la mise en œuvre de notre stratégie et la collaboration avec le gouvernement fédéral nous permettront de faire tout ce qui est possible pour réduire les taux de suicide dans tout l’Inuit Nunangat. Nous avons été en mesure de mettre en œuvre un large éventail d’initiatives et j’ai hâte de vous parler, au cours de la prochaine heure, de la nature de ces initiatives et de leurs liens avec le cadre fédéral dont vous discutez aujourd’hui. Nakurmiik.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Obed. Docteure Anang, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
Dre Polina Anang, professeure adjointe de psychiatrie, Max Rady College of Medicine, Université du Manitoba, à titre personnel : Je suis vraiment désolée de ne pas comparaître en personne. Honorables sénateurs et membres du comité, je m’appelle Polina Anang. Je suis née en Ukraine de parents juifs ashkénazes. J’ai grandi en Union soviétique et j’ai déménagé en Allemagne de l’Ouest à titre de réfugiée en 1989. Ma famille vit à Winnipeg depuis 2008. Je suis psychiatre agréée pour enfants et adolescents, et je m’intéresse particulièrement à la recherche participative communautaire.
Ma déclaration préliminaire a été corédigée par des membres du groupe de jeunes Building on Strengths à Naujaat, à savoir James Junior Kopak, Veronica Uttak, Lydia Haqpi, Shelly Iguptak, Diana et Deana Kringayark, Brenden Angotingoar, Suzanne Putulik, Jonathan Ijjangiaq, Cathy Katokra, Amber Kringayark, Lou et Nathaniel Kopak, Diane et Eva Uttak et Julieanne Kringuk. Ce groupe de jeunes a été créé dans le cadre d’un partenariat entre les jeunes de Naujaat et l’équipe de l’Université du Manitoba, afin d’améliorer la résilience des jeunes et de créer un sentiment d’appartenance, d’autonomisation et d’accomplissement. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que le travail clinique seul ne serait pas une réponse adéquate à la crise en matière de santé mentale qui sévit dans la collectivité. En effet, même si nous avions un nombre suffisant de psychiatres, de psychologues et de travailleurs sociaux pour répondre aux besoins de la population du Nunavut — ce qui, comme vous le savez, n’est pas possible compte tenu des ressources limitées —, cela ne permettait pas de freiner la détérioration de la santé mentale. Les gens du Sud du pays qui ont reçu une formation traditionnelle ne connaissent pas bien la culture inuite et comprennent très peu les réalités sur le terrain, surtout lorsque ces services sont offerts exclusivement par télésanté.
La participation des jeunes Inuits m’a enseigné la résilience, l’ingéniosité, la générosité et la gentillesse. Je crois qu’il est important de se demander pourquoi et comment les gens perdent espoir au lieu de se concentrer sur les traitements après les faits. Les jeunes Inuits ont mis l’accent sur les mêmes facteurs en amont ou sur les mêmes déterminants sociaux de la santé cernés par les chercheurs en santé publique, soit les logements surpeuplés, la mauvaise qualité des logements, le manque de possibilités d’éducation postsecondaire, le manque de possibilités économiques et le manque d’activités récréatives.
Je pense qu’il est essentiel que le Cadre fédéral de prévention du suicide adopte une approche multidimensionnelle en affectant suffisamment de ressources à la création de conditions qui permettront aux gens de vivre sainement. Malgré l’importance des facteurs contextuels, étant donné ma propre expertise, je concentrerai mes arguments sur un aspect précis de la prévention du suicide, à savoir la formation de prestataires locaux de services en matière de santé mentale.
Il a été démontré que l’alliance thérapeutique est l’aspect le plus salutaire de la thérapie axée sur la communication. La plupart des patients inuits préfèrent la thérapie axée sur la communication aux options psychopharmacologiques. Malheureusement, la plupart des cliniciens qui travaillent au Nunavut ne restent pas assez longtemps pour établir une alliance thérapeutique avec leurs patients. Comme solution de rechange, il sera important de renforcer les capacités locales, ce qui permettra d’assurer la continuité des soins et la mise en valeur de la culture et d’éliminer la barrière linguistique. Cela permettra aussi d’améliorer la compréhension systémique de l’héritage postcolonial et des traumatismes intergénérationnels. Plusieurs défis doivent être relevés et les candidats doivent donc être choisis avec soin, car les luttes internes contre les traumatismes et les toxicomanies actuelles compromettront leur capacité d’aider les autres. Certains membres de la collectivité préféreront encore s’ouvrir à quelqu’un de l’extérieur. Les petites collectivités rendent ce travail très complexe.
La qualité de la formation donnée représente un autre défi. Je ne saurais trop insister sur l’importance de normes de scolarité élevées pour ce type de formation. Malheureusement, lorsqu’il y a une forte demande et un état de détresse encore plus prononcé, des entités du secteur privé peuvent tenter de combler les lacunes avec des offres qui contiennent tous les mots à la mode, mais très peu d’expertise fondée sur des preuves. Sans des normes académiques rigoureuses et une accréditation adéquate, cette formation ne préparera pas les travailleurs inuits en santé mentale aux nuances et aux complexités des interventions thérapeutiques requises. Des normes élevées en matière d’enseignement et une supervision continue devraient donc être considérées comme étant des éléments essentiels de cette formation.
Même si je prévois de nombreux défis, je crois également que cela aura des effets positifs considérables. Les travailleurs inuits en santé mentale revitaliseront la thérapie axée sur la communication et créeront une nouvelle acceptation culturelle de la santé mentale comme étant intrinsèquement avantageuse pour les membres de la collectivité. Ils démantèleront les stigmates de la santé mentale en donnant l’exemple d’une ouverture à la fois aux valeurs traditionnelles inuites — Inuit Qaujimajatuqangit — et à la validation psychologique de l’acceptation des émotions et du courage de partager ses sentiments avec les autres. Les prestataires inuits de services en matière de santé mentale amélioreront la résilience de leur collectivité en transférant la responsabilité du bien-être. Enfin, cela créera des occasions professionnelles enrichissantes pour les Inuits au sein de leur propre collectivité.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité sénatorial sur cette question extrêmement importante. Qujannamiik.
La présidente : Je vous remercie, docteure Anang. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Nous entendrons d’abord la vice-présidente du comité, la sénatrice Pat Bovey, du Manitoba, qui sera suivie du sénateur Patterson, du Nunavut, puis du sénateur Kutcher, de la Nouvelle-Écosse. Le sénateur Kutcher est le parrain de l’étude.
La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier M. Obed et la Dre Anang. Je vous ai trouvé tous les deux très convaincants.
Je trouve intéressant que vous ayez tous les deux souligné l’importance des approches fondées sur des données probantes. La continuité culturelle a évidemment été mentionnée dans chacune de vos déclarations préliminaires. Monsieur Obed, vous connaissez certainement mon intérêt pour le Nord et le nombre de fois où j’y suis allée pour me pencher sur ces questions.
Votre Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits m’intrigue et j’étais vraiment heureuse d’en entendre parler aujourd’hui. Vous avez dit que vous seriez prêts à parler de la relation entre cette stratégie et le cadre fédéral, et c’est donc la question que je vous pose aujourd’hui. Si j’ai le temps, j’aimerais aussi poser une question à la Dre Anang.
M. Obed : Je vous remercie, sénatrice Bovey. Le cadre fait référence aux peuples autochtones. Il fait également référence à la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits. Une partie du texte offre également le contexte des peuples autochtones. Il est très convenable et correspond bien au reste du cadre.
À la page 20 du cadre, on peut lire qu’en ce qui concerne les taux de suicide, il est « parfois même nul » si la continuité culturelle est présente dans les collectivités autochtones. J’aimerais remettre en question le bien-fondé de cette conclusion et préciser que pendant la pandémie de COVID-19, nous avons tous reconnu l’importance d’une santé publique fondée sur des données probantes. Il a été très important d’entendre des fonctionnaires et des administrateurs en chef de la santé publique. Certaines conclusions issues de la recherche sur la prévention du suicide chez les Autochtones ne rempliraient certainement pas le critère selon lequel elles doivent être fondées sur des données probantes.
Je dirais que je ne connais pas de société sur terre qui n’a pas été touchée par le suicide. Il est donc malheureux qu’on puisse trouver, dans le cadre fédéral, une référence au fait que si, d’une certaine façon, nous avions une culture, il n’y aurait pas de suicide dans nos collectivités.
La sénatrice Bovey : Et des collectivités prospères sur le plan culturel.
M. Obed : Oui, certainement. Cela ne signifie pas que la culture n’est pas importante. La culture est extrêmement importante, surtout à titre de facteur de protection. Toutefois, lorsqu’il s’agit de suicide, les facteurs de risque et les facteurs de protection ne sont pas équilibrés. Ainsi, un facteur de protection particulier ne signifie pas qu’une personne n’est aucunement à risque de se suicider.
Pour revenir à la situation du cadre, et plus particulièrement en ce qui concerne l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous serions heureux qu’il y ait un lien encore plus étroit entre les fonds que nous avons reçus et le cadre, surtout que le cadre découle de la loi et que nos fonds proviennent de budgets fédéraux ou d’enveloppes fédérales correspondantes pour la santé mentale.
Nous aimerions donc établir des liens plus étroits entre notre stratégie et le travail de plus grande envergure qui se fait dans le domaine de la prévention du suicide, car je crois que nous devons travailler ensemble — le travail autochtone et non autochtone dans ce domaine — pour nous assurer d’avoir les meilleures chances de réussir.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie.
Docteure Anang, je sais que mon temps est probablement presque écoulé. Très rapidement, les travaux que vous avez menés avec les jeunes Inuits m’intéressent beaucoup. Si mon temps est écoulé, docteure Anang, pourriez-vous nous faire parvenir le rapport en question ou un résumé de ces travaux? C’est très important dans le contexte de votre déclaration préliminaire et du cadre sur lequel nous travaillons.
Dre Anang : Je vous remercie, sénatrice. Ces travaux se poursuivent, car nous avons commencé en 2017, et le groupe de jeunes se réunit chaque semaine. Je serais heureuse de vous envoyer les deux articles que nous avons publiés jusqu’à présent.
J’ai très hâte de poursuivre ces travaux.
La sénatrice Bovey : Nous serions très heureux de recevoir ces deux articles. Je vous remercie.
Le sénateur Patterson : Bienvenue aux témoins. Je suis heureux de vous revoir, monsieur Obed. J’aimerais approfondir le sujet des questions de la sénatrice Bovey, c’est-à-dire la relation entre votre Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits, qui est très bien conçue et a été lancée en 2016, et le cadre fédéral.
Nous devons formuler au gouvernement fédéral des recommandations sur le cadre, son efficacité et les façons de l’améliorer, y compris en ce qui concerne le financement, comme vous l’avez mentionné. Pourriez-vous nous en dire plus à cet égard? Comment votre stratégie contribue-t-elle au cadre? Devrait-elle être intégrée au cadre, étant donné que les Inuits font face à des crises de santé publique graves, démoralisantes et aiguës? Devrait-elle être annexée au cadre? Devrait-elle être intégrée au cadre ou reconnue par le cadre? Qu’en pensez-vous?
Que nous recommanderiez-vous d’inclure dans nos recommandations?
M. Obed : Dans certains cas, nos travaux pourraient suivre ceux du gouvernement fédéral de trop près, surtout dans les scénarios où il y a un changement de gouvernement ou un changement d’attitude à l’égard de certains cadres ou stratégies que le gouvernement fédéral met sur pied ou même à l’égard de l’application de la loi. Dans ce cas précis, il s’agit toutefois d’un défi canadien et d’un défi dans le cadre duquel le gouvernement doit absolument tenir compte des caractéristiques uniques des Inuits dans la façon dont il répond à la crise actuelle.
Nous avons fait le travail nécessaire pour créer une stratégie qui, selon nous, est généralement conforme aux autres stratégies de prévention du suicide. Nous serions heureux de pouvoir établir un lien plus officiel entre notre stratégie et le cadre à notre disposition.
Il y a trois peuples autochtones dans notre pays, et cela n’empêcherait pas les Premières Nations ou les Métis de présenter aussi des stratégies ou des champs d’action qui contribueraient au cadre.
Cela fonctionne mieux de concert avec la politique sur l’Inuit Nunangat qui a récemment été adoptée par le gouvernement fédéral. Tous les programmes, services et lois envisagés par le gouvernement fédéral sont touchés par la politique sur l’Inuit Nunangat dans la façon dont le gouvernement fédéral crée sa réponse.
Avant l’adoption de la politique sur l’Inuit Nunangat, on tenait compte des Inuits d’une manière fragmentée lorsqu’on abordait des questions qui les concernaient. Lorsque la politique sur l’Inuit Nunangat est appliquée au cadre, à sa mise en œuvre et aux fonds associés, elle serait également une aide essentielle à la mise en œuvre.
Le simple fait de faire référence à la politique sur l’Inuit Nunangat dans la mise en œuvre de ce cadre de prévention du suicide nous serait extrêmement utile.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie.
Docteure Anang, je suis au courant du travail que vous faites à Naujaat. J’aimerais donc vous poser quelques questions très précises sur ce sujet. Vous avez parlé de l’importance d’avoir des conseillers formés par des Inuits qui resteraient dans la collectivité et ne feraient pas l’aller-retour. À l’heure actuelle, le Nunavut semble exiger une maîtrise en service social, et très peu d’Inuits ont ce diplôme. Vous avez dit que les titres de compétence sont importants, et j’aimerais donc savoir comment nous pouvons concevoir un programme de formation qui serait accessible aux Inuits.
Vous avez parlé des solutions apportées par les intervenants du secteur privé, qui interviennent parfois trop rapidement et ne règlent rien. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Nous voulons savoir où les fonds sont mal dépensés et comment ils peuvent être bien dépensés.
La présidente : Docteure Anang, je vous demanderais de répondre en 20 secondes. Si le temps le permet, nous vous donnerons l’occasion de revenir sur cette question plus tard.
Dre Anang : Merci. Je travaille en liaison très étroite avec les intervenants de santé mentale de la communauté de Naujaat. C’est dans leur formation que j’investirais.
Je ne crois pas possible de demeurer dans la communauté et de décrocher une maîtrise en travail social ou un diplôme en psychologie, mais on peut créer un programme d’études. S’il est universitaire, ça signifie nécessairement l’apport d’une université dans sa création.
Ce programme peut être suivi simultanément en virtuel et en présentiel, cibler les intervenants déjà sur le terrain, à un titre quelconque, dans les centres de soins ou dans les salles communautaires. J’en suis convaincue.
Il me faudrait plus de 20 secondes pour seulement effleurer la formation que reçoivent les infirmières de la santé mentale travaillant en milieu communautaire. Les compagnies privées qui donnent cette formation...
La présidente : Merci, docteure. Je dois malheureusement vous interrompre. Le sénateur Kutcher accordera peut-être une partie de son temps à ce sujet.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous les deux d’être ici. Après une contextualisation rapide des observations de la Dre Anang, je lui demanderais de nous communiquer par écrit ses recommandations précises pour améliorer les effectifs affectés à la santé mentale. L’Organisation mondiale de la santé le fait depuis longtemps, par son programme d’action Combler les lacunes en santé mentale, dont l’apport est considérable. Vikram Patel a créé toutes sortes de programmes en Inde, et mon groupe les a tous mis en œuvre en Afrique subsaharienne. Ils marchent. Merci de vous en charger.
Monsieur Obed, heureux de vous revoir. À notre dernière rencontre, vous avez dû partir vous occuper d’un suicide survenu dans votre communauté. J’en suis désolé. Merci de tenir bon.
Vous avez dit que les interventions pour la prévention du suicide chez les Autochtones se conforment rarement au critère des données probantes. Comment le cadre fédéral peut-il assurer la conformité des interventions choisies à ce critère?
M. Obed : Oui. La prévention doit tenir compte de tellement de facteurs qu’il devient parfois facile d’en privilégier un et de s’imaginer qu’il est à lui seul la clé vers la diminution des suicides dans nos communautés, particulièrement quand nous savons que nous voulons enraciner chez nos enfants et nos communautés la culture, la langue et les occasions à saisir sur le territoire.
Ces occasions sont très réjouissantes. J’ai parfois souhaité qu’il y en ait plus qui soient uniquement des programmes issus de la communauté qu’on célébrerait uniquement pour leur caractère réjouissant.
Oui, absolument, on renforce des facteurs de protection intégrables dans le prisme de la prévention du suicide, mais une grande partie de notre travail concerne des problèmes comme les troubles mentaux non diagnostiqués, les séquelles des agressions sexuelles subies dans l’enfance, la consommation de cannabis au début de l’adolescence et ses effets sur le développement du cerveau. D’après la recherche, nous devons nous y focaliser pour influer en mieux sur nos communautés.
Il s’agit en partie de réorganiser nos objectifs ou, du moins, les exprimer et bien les dénommer, tout en adoptant une démarche fondée sur des données probantes qui peut englober une démarche très positive axée sur la communauté.
Le sénateur Kutcher : Merci. Je suis absolument d’accord. Vous faites partie de ceux qui ont travaillé sur le rapport de 2017 de la Chambre des communes, dans lequel tout ça figure, un travail pour lequel je vous remercie.
Si je pouvais désigner à votre attention trois sujets de réflexion qui exigeront chacun un grand coup de collier : investir dans des communautés dirigées par les Autochtones, économiquement viables et en santé et respectueuses des valeurs culturelles; assurer l’accessibilité de spécialistes autochtones des soins de santé, y compris mentale, respectueux des valeurs culturelles; mettre au point et exécuter des interventions efficaces de prévention du suicide chez les Autochtones, uniques en leur genre, fondées sur des données probantes. Serait-il raisonnable d’y réfléchir de cette façon?
M. Obed : Ces éléments coïncident absolument avec une partie de notre travail de mise en œuvre. Si je devais en parler dans nos communautés, je privilégierais la nécessité d’aimer nos enfants. Nous devons les faire grandir dans un milieu sûr et sain, les nourrir suffisamment, les éduquer, mais, avant tout, les protéger. Ce serait ma priorité si je devais n’en choisir qu’une seule.
Ensuite, nous discutons de ce que nous pouvons faire pour ceux qui soignent ces enfants, et c’est là qu’intervient l’investissement dans les communautés et l’appui à la santé mentale. Pour avoir des communautés solides et en bonne santé, il faut investir dans les familles, les parents et les soignants. D’après la recherche fondée sur les données probantes et la compréhension suivie de nos progrès, il s’agirait de corréler nos efforts au fil du temps non seulement à la mortalité par suicide, mais, aussi, à d’autres indicateurs de l’atteinte du premier objectif : l’amour de nos enfants qui grandissent dans un milieu sûr, en ayant à leur disposition tout ce qu’il faut pour réussir en ce monde.
Le sénateur Brazeau : Merci à vous deux d’être ici. Merci pour votre travail de prévention du suicide.
Je vais me répéter. Nous étudions le Cadre fédéral de prévention du suicide, mais on nous demande de na pas parler de prévention du suicide.
Je poserai néanmoins la question. Nous n’avons pas trop de quoi être fiers. Non mais, les communautés inuites connaissent certains des taux les plus élevés de suicide dans le monde. Ici rassemblés, nous essayons de trouver des solutions pour les prévenir, mais en n’étant pas censés prononcer le mot. Je vous le demande sans détour. Avez-vous vu le documentaire de Radio-Canada de 2020, Imialuk : La méchante boisson? L’alcool n’est pas le seul fléau, évidemment, mais à quel point lui et d’autres toxiques sont-ils répandus dans les communautés inuites? Ce documentaire se fondait sur l’ampleur du trafic de stupéfiants dans ces communautés. Beaucoup d’individus se bourrent les poches aux dépens des enfants et des autres Inuits.
Le documentaire montre que Postes Canada, les compagnies aériennes et la Société des alcools du Québec savent ce qui se passe. Je voudrais connaître votre opinion sur, précisément, la prédominance et la gravité du problème et sur la façon de s’y attaquer pour diminuer les statistiques. C’est en effet l’objectif. Nous ne préviendrons pas tous les suicides, mais nous pouvons certainement en réduire le nombre. C’est la raison de notre présence ici.
M. Obed : Les toxicomanies et l’alcoolisme sont des fléaux dans les communautés inuites. Beaucoup d’entre elles ont tenté d’instituer et de maintenir des politiques qu’elles croyaient en mesure de les protéger. Certaines ont totalement interdit l’alcool, d’autres l’assujettissent à un permis qu’il faut demander et d’autres, encore, autorisent seulement certains alcools. C’est ce qui rend très profitables les trafics. Mais, socialement, ça conduit à certains comportements de consommation, particulièrement de l’alcool.
Feriez-vous venir par avion trois caisses de bière ou deux bouteilles d’alcool? Si vous savez que vous n’en avez pas le droit, quel est votre comportement de buveur par rapport à celui que vous auriez, sinon, s’il s’agissait uniquement de consommer une bière, un vendredi dans la soirée, en regardant une partie de hockey? Ça s’inscrit dans notre relation complexe, je suppose, avec la consommation d’alcool. Ça évolue ensuite selon des scénarios qui augmentent le risque pour le buveur. Son attitude face à l’alcoolisme ou aux toxicomanies détermine fortement ses choix en fonction de son accès à certains alcools en certains moments, puis de son exposition à un risque accru ou à une période d’idées suicidaires.
Nous devons réussir à avoir une relation plus facile à conserver, plus normale avec ces substances et comprendre les rapports qui existent entre les politiques et les attitudes à l’égard des substances et les idées et les risques de suicide. Le sujet est vraiment ardu, et nous ne possédons pas la réponse. Mais nous voyons certainement à quel point c’est difficile et à quel point les effets dans nos résultats sont réels.
Le sénateur Brazeau : Merci. Sachez que, comme je l’ai dit, je ne suis pas fier de cette statistique sur le suicide chez nos sœurs et frères inuits parmi tant d’autres également. Moi-même, j’ai éprouvé des problèmes de consommation et vécu des expériences, mais je vous offre mon aide à vous et aux communautés inuites, sous quelque forme que ce soit. Il suffit de la demander tellement c’est près de mon cœur.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à vous, docteure Anang. Si nous avons le temps, j’apprécierais une réponse de nos deux témoins. Merci d’être présents avec nous aujourd’hui.
On parle du Cadre fédéral de prévention du suicide et j’ai entendu plusieurs de nos témoins nous parler de l’importance de ce qui se fait sur le terrain dans les communautés et par ces communautés qui connaissent les gens et les besoins et qui sont à même d’être des experts pour trouver des pistes de solution. Je veux vous entendre et connaître votre avis sur l’importance de s’assurer que les pistes de solution sont amenées par les gens dans la communauté et sur le terrain.
Évidemment, on a un regard scientifique et académique, et on a un cadre fédéral. Faut-il donner la priorité à ceux qui sont dans les communautés et sur le terrain?
[Traduction]
Dre Anang : Quelle belle question. Merci beaucoup.
Ma réponse s’adressera à vous et à votre prédécesseur. Quand j’ai interrogé les jeunes, nous avons surtout parlé des changements qu’ils souhaitaient dans leurs communautés, de leurs objets de fierté et de ce qu’ils voulaient améliorer pour leurs enfants. Quand je leur ai demandé quelle était la chose qu’ils voulaient voir disparaître, leur réponse unanime a été « l’alcool ». Voilà pourquoi je crois qu’il faut écouter la communauté. C’est une réponse difficile. Cette recherche qualitative axée sur la communauté a besoin de temps, alors que le financement, habituellement, dure peu. Elle a besoin de temps pour nouer des rapports, établir la confiance, combler l’écart entre nos attentes en matière d’instruction alors que les enfants ne vont pas plus loin que la fin de leurs études secondaires ou décrochent avant. Ils ont des choses très importantes à dire et comprennent vraiment bien ce qui se passe autour d’eux et ce qui les concerne.
Le dialogue a besoin de temps pour commencer, et notre financement ne « comprend » pas que tant de temps soit consacré à jeter les bases de la confiance. L’avenir, c’est de donner aux membres de la communauté voix au chapitre et leur donner la chance de déterminer comment rendre l’avenir vivable pour leurs enfants.
La présidente : Il vous reste une minute pour questionner les autres témoins.
La sénatrice Petitclerc : Pouvez-vous répondre à ma question : Quelle est l’importance de se focaliser sur les personnes sur le terrain, de connaître la communauté et de décider ce qui est bon pour elles?
M. Obed : Oui, absolument, et il est bon de reconnaître aussi les personnes si nombreuses qui, dans nos communautés, veillent à la sécurité d’autrui, les mentors, les enseignants, les membres de la famille élargie. Elles sont si nombreuses à se soucier des personnes exposées à un risque, qui interviennent en leur faveur en temps de besoin. Voilà pourquoi nous, l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous avons travaillé à offrir des programmes particuliers d’intervention contre le suicide et avons créé une trousse de premiers soins pour les Inuits, en partenariat avec d’autres organismes canadiens spécialistes de la santé mentale.
Le fait que notre stratégie nationale est axée sur la communauté se situe au cœur de ce que nous faisons. Nous reconnaissons notre besoin de ressources pour réaliser des choses à l’échelon national, particulièrement en ce qui concerne l’élaboration de politiques ou la recherche.
Mais il est certain que nous voulons changer la vie des membres de la communauté, leur donner plus de ressources ainsi qu’aux personnes exposées au risque de suicide, pour que, dans le besoin, elles gardent l’espoir.
La sénatrice McCallum : Merci tous les deux d’être ici. Merci de votre travail.
Docteure Anang, vous avez dit qu’il importait de comprendre pourquoi on perdait l’espoir. Est-ce seulement l’espoir, ou l’enjeu est-il beaucoup plus grand? J’ai eu une poussée d’anxiété si mauvaise que j’ai compris ceux qui se suicident. Vous savez, cette énergie intérieure si erratique, qu’on ne peut tenir en place? J’ai vraiment dû m’astreindre pendant huit heures à marcher lentement dans le froid et à me boucher les oreilles.
Quand j’en ai pris conscience, j’ai consulté un médecin qui m’a dit que c’était de l’anxiété, puis je me suis dit que je pouvais affronter ça. Mais beaucoup ignorent ce que c’est, et ils s’en accommodent.
Comment enseigner aux gens, dans la communauté, où le colonialisme, par exemple, a enseigné l’impuissance, parce que c’est ce que les pensionnats nous ont enseigné? Nous formulons des prédictions autoréalisatrices dans les domaines où on nous a dénigrés. Même à 70 ans, il me suffit encore d’un rien pour que je revendique le statut de victime, malgré tout le travail personnel que j’ai accompli. Comment travailler avec quelqu’un qui, intérieurement prend tant de place? Parfois, il ne soupçonne même pas tout ce qu’il transporte, sachant qu’on peut le conduire en lieu sûr, en un lieu où il saura qu’il est important.
Le sujet dont nous n’avons pas parlé, c’est la violence sexuelle. Elle est partout, mais nos communautés n’en parlent pas. Elles n’ont pas de programmes à offrir. Elles neutraliseront les méfaits de l’alcool, et j’ai vu l’efficacité de ce programme dans une communauté, mais cette violence, on ne semble jamais s’y attaquer.
Le cadre s’occupe-t-il de la violence sexuelle, ou croyez-vous plutôt que cette violence joue un rôle important dans ce qui arrive?
Dre Anang : Merci pour votre question vraiment importante. Le traumatisme sexuel joue un rôle important dans mon opinion de clinicienne, comme l’anxiété, comme le fait d’être le témoin de la violence entre partenaires intimes.
Je reviens à l’observation de M. Obed : l’important, réellement, c’est de procurer des expériences positives, emmener les jeunes sur le territoire, créer des souvenirs d’une solidarité ainsi que de plaisirs et d’un sentiment de mieux-être partagés.
Je suis également d’accord avec M. Obed, quand il dit que la famille, les cousins et les amis font partie de ce qui nous gardera en sûreté. Je retourne à Naujaat depuis 2012 et, comme j’en viens à connaître les familles, je peux demander vers qui elles vont; quelle maison est sûre. Pouvoir parler de ce qu’est une attaque de panique, comment l’anxiété vient et va, comme ce sentiment épouvantable peut le faire. Combien il est important d’avoir un ami, une tante, une grand-mère qui offrira un bol de soupe, une tasse de thé et un moment pour reprendre son souffle. C’est vraiment important.
Le sénateur Patterson : J’ai une brève question pour la Dre Anang. Vous avez parlé de l’importance d’un financement permanent, et je pense que nous pouvons apprendre du travail très important que vous faites à Naujaat. Pouvez-vous nous dire comment vous avez financé votre travail et nous parler de la façon dont le cadre fédéral pourrait améliorer l’efficacité des programmes financés par le gouvernement fédéral?
Dre Anang : Le premier financement que j’ai obtenu provenait du gouvernement du Nunavut en 2017. Il ne nous a plus remis de fonds depuis, mais nous avons reçu un petit financement du secteur privé. L’Association médicale canadienne a financé des déplacements sur les terres pour les jeunes. L’année dernière, c’est l’organisme de bienfaisance True North qui a financé nos déplacements. L’Université du Manitoba finance le temps que je consacre à la recherche, et tout l’argent que nous pouvons obtenir sert directement à trouver des guides et aux déplacements sur le territoire.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à la Dre Anang.
Comme vous le savez, la formation des professionnels, que ce soit en santé mentale ou autre, relève des provinces et des universités. Vous avez dit qu’on pourrait demander aux universités de former ces professionnels.
Pendant que la ministre Bennett élabore son plan d’action, pensez-vous que ce serait le bon moment, au cours de vos rencontres de consultation, de lui demander s’il serait possible de faire quelque chose sur mesure pour vous, pour la communauté? M. Obed parlait des thérapies incrustées dans la communauté, de mettre les familles dedans. Quels conseils pourriez-vous donner ou quelles recommandations pourriez-vous faire à Mme Bennett? Peut-être qu’on pourrait commencer par cette recommandation par l’entremise de notre comité.
[Traduction]
Dre Anang : Merci, sénatrice. Je recommanderais que la formation fasse partie du mandat de chaque professionnel qui se rend au Nunavut ou qui travaille d’une certaine façon pour le territoire.
Je pense que la mentalité coloniale qui consiste à prendre l’avion pour offrir des services sur place et ensuite revenir n’est pas une bonne stratégie à long terme. Je crois que lorsque je séjourne à Naujaat, l’une des meilleures choses que je peux faire, c’est passer du temps avec l’infirmière en santé mentale dans la collectivité et les travailleurs inuits des services d’approche pour les aider, car ils seront là après mon départ. Mon meilleur emploi du temps consiste à les aider à apprendre comment offrir des traitements. Je pense qu’il est bon de dire que les gens qui offrent des services devraient offrir quelque chose de viable et participer à la formation qui peut s’accumuler au fil du temps afin de donner aux fournisseurs de services locaux la capacité de faire le travail eux-mêmes avec un soutien à l’avenir.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Tout d’abord, je tiens à souligner, monsieur Obed, que je pense qu’en 2010, la stratégie de prévention du suicide que vous utilisiez mettait l’accent sur les déterminants sociaux de la santé, et c’est ce que nous entendons encore aujourd’hui. La question porte sur la structure du genre de travaux de recherche en cours, et les deux témoins peuvent répondre, s’il vous plaît.
Je vais bien situer ma question en mentionnant, comme vous le savez forcément, que le gouvernement australien finance le centre de pratiques exemplaires pour la prévention du suicide chez les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres. Dans ce contexte, le gouvernement australien est la principale autorité en matière de prévention du suicide chez les aborigènes et a mis au point un certain nombre de stratégies qui, je crois que nous pouvons l’affirmer, tiennent compte des traumatismes vécus, et d’après ce que je comprends des conclusions tirées par ce centre, elles correspondent beaucoup à ce que les témoins ont dit aujourd’hui.
Voici ma question pour vous deux : devons-nous changer la structure des installations de recherche — elles peuvent être en ligne — que nous avons actuellement, ou faut-il améliorer ce que nous avons?
M. Obed : Tout d’abord, en ce qui concerne la prévention du suicide chez les Autochtones, il est question de la conversation proprement dite. J’ai témoigné à la Chambre des communes lorsqu’il y a eu la séance d’urgence, et j’ai été renversé de voir à quel point une grande partie des interventions étaient anecdotiques et mal documentées, même si les gens étaient bien intentionnés. Ce qu’une personne a appris sur le suicide chez les Autochtones au cours de sa vie n’a rien à voir avec des résultats fondés sur des données probantes. C’est ce que nous devons faire. Nous devons avoir une discussion intelligente au pays à propos de la prévention du suicide, y compris chez les Inuits, et aussi sur les interventions et les programmes de recherche nécessaires.
Je dirais que nous devons aussi travailler avec la GRC et d’autres administrations pour avoir les meilleures données possible que nous pourrons ensuite utiliser pour comprendre la situation à mesure qu’elle se présente à nous. Nous n’avons toujours pas, en tant qu’Inuits, les données propres aux Inuits dont nous avons besoin pour comprendre les suicides commis et les idées suicidaires dans nos collectivités.
La sénatrice McPhedran : Et la structure?
M. Obed : Il serait extrêmement important d’avoir un centre où nous pourrions travailler en collaboration et en partenariat, dans ce domaine. Nous pourrions également améliorer ainsi la façon dont le Canada réagit aux mesures de prévention du suicide ailleurs dans le monde. Chose certaine, cela nous aiderait à ne pas fonctionner en vase clos dans le cadre d’une discussion plus vaste qui ne va parfois nulle part sur le plan de l’efficacité.
Dre Anang : Je pense que la structure mise en place en Nouvelle-Zélande et en Australie fonctionne très bien. Nous avons quelque chose à apprendre de la réussite de la mise en œuvre de cette prestation parallèle pour le mieux-être autochtone.
La présidente : Chers collègues, merci. Je m’excuse d’avoir restreint vos interventions, mais mon temps est également limité.
Nous allons poursuivre demain notre étude sur la prévention du suicide. Les 15 dernières minutes de la réunion seront consacrées à la rédaction de directives. Si des thèmes, des recommandations ou des citations vous intéressent plus particulièrement, veuillez être prêts à nous les présenter. L’analyste a dit qu’elle serait heureuse de recevoir vos autres observations d’ici le mercredi 26 octobre 2022.
(La séance est levée.)