LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 27 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis Ratna Omidvar, présidente du comité et sénatrice indépendante de l’Ontario. Je prie maintenant mes collègues de se présenter.
Le sénateur Patterson : Dennis Glen Patterson, du Nunavut. Bonjour.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue, madame la ministre.
La sénatrice Pate : Je suis Kim Pate. Je suis heureuse de votre présence, madame la ministre. Je me trouve sur les rives de la rivière Kitchissippi, un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour, je m’appelle Chantal Petitclerc, je suis une sénatrice du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Je m’appelle Marilou McPhedran et je suis sénatrice indépendante et non affiliée du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Clement : Bonjour, je suis la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Bonjour, madame la ministre. Je suis Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La présidente : Merci beaucoup, madame la ministre, d’avoir trouvé le temps de vous présenter au comité. Merci à vous également, chers collègues.
Nous en sommes au dernier groupe de témoins pour nos délibérations relatives à l’Analyse comparative entre les sexes plus. Normalement, nous procédons dans l’ordre inverse, mais cette fois-ci, la ministre et ses collègues passent en dernier, ce qui nous donnera une perspective légèrement différente, puisque nous avons déjà pris connaissance des conseils de tellement d’experts.
Madame la ministre Ien, je vous invite à présenter vos remarques préliminaires. Vous disposez de cinq minutes pour le faire, puis il y aura une période réservée aux questions des membres du comité.
[Français]
L’honorable Marci Ien, c.p., députée, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, Femmes et Égalité des genres Canada : Merci, madame la présidente, de me donner l’occasion de participer à la discussion opportune du Comité sur le rôle de l’analyse comparative entre les sexes plus dans le processus d’élaboration des politiques.
[Traduction]
D’entrée de jeu, je tiens à signaler que nous nous trouvons ensemble, aujourd’hui, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Les discussions qui entourent l’Analyse comparée entre les sexes plus, ou ACS Plus, sont aussi pertinentes que d’actualité. Je vous remercie de mener cette importante étude, avec tout le travail qu’elle implique.
Pour moi, l’ACS Plus, c’est en quelque sorte une façon de considérer ma propre vie. Je suis la somme des intersections entre les diverses identités qui font de moi la personne qui se trouve devant vous aujourd’hui. Il en va de même pour tous les Canadiens et, à vrai dire, tout le monde sur Terre. Ce qui fait de nous qui nous sommes, les diverses identités que nous assumons et la place que nous occupons dans le monde ont une incidence sur notre façon de nous frayer un chemin parmi les autres humains.
L’ACS Plus est le principal outil utilisé par le gouvernement afin d’éclairer les initiatives de l’État de façon à ce qu’elles soient inclusives et à ce qu’elles répondent aux besoins d’une population diversifiée. Nous examinons tout dans cette optique afin que les politiques que nous mettons au point en tant que gouvernement rejoignent les Canadiens précisément là où ils sont.
Lorsqu’on procède à l’ACS Plus, on tient compte des personnes touchées par un problème que l’on essaie de régler et de la façon dont nos initiatives peuvent être adaptées pour répondre à leurs besoins diversifiés et éliminer les obstacles et les inégalités. Cela contribue à faire en sorte que l’égalité, la diversité et l’égalité des chances soient au cœur de toutes les activités gouvernementales.
L’ACS Plus est intersectionnelle dans sa conception, ce qui signifie qu’elle prend en compte, outre le sexe, un éventail de facteurs comme l’origine ethnique, l’âge, l’orientation sexuelle et le revenu. De la même façon que les facteurs identitaires interagissent entre eux, ils recoupent également les normes et les attitudes sociales, ainsi que les systèmes — je le répète — les systèmes de discrimination pour réaliser des expériences uniques de pouvoir, de privilège et de marginalisation.
Lorsque nous considérons la pandémie de COVID-19, on peut comprendre pourquoi l’ACS Plus est un outil important pour éclairer l’élaboration de programmes et de politiques. Les femmes, les filles, les jeunes, les Autochtones et les personnes racisées et 2ELGBTQI+ ont été touchés.
Par exemple, les femmes et d’autres personnes en quête d’équité ont été confrontées à des problèmes de santé mentale pendant la pandémie. En particulier, 57 % des femmes, 71 % des personnes de diverses identités de genre et 64 % des jeunes ont déclaré que leur santé mentale s’était détériorée.
De plus, les femmes, en particulier les jeunes femmes, les femmes autochtones, les immigrantes, les femmes en situation de handicap ou présentant des besoins spéciaux et les femmes des minorités visibles, ont subi de façon disproportionnée les pertes d’emploi liées à la COVID-19. En mars 2020, les pertes d’emploi chez les femmes étaient en effet près du double de celles des hommes. Lorsque l’économie a commencé à rouvrir, en mai 2020, l’emploi a aussi repris deux fois plus rapidement chez les hommes que chez les femmes.
Cependant, il est également important de noter qu’il y avait des différences au sein des groupes. Par exemple, prenons le cas d’une mère seule qui travaille dans un secteur essentiel et qui doit trouver le moyen de prendre soin de ses enfants quand l’école est fermée. Le fait que cette personne soit une mère sans conjoint, principal soutien de la famille et seule personne qui s’occupe de ses enfants amplifie les répercussions de la pandémie.
Ces diverses couches d’identité, qui sont impossibles à comprendre si on s’en tient strictement aux chiffres, font toute l’importance de l’ACS Plus : il s’agit de faire sortir des personnes de l’ombre. Il faut utiliser des données subdivisées pour considérer notre monde subdivisé dans toute sa réalité; ce doit être quelque chose qui va de soi et non qui est simplement souhaitable.
Grâce à la multitude de fonctionnaires qui maintiennent leur engagement à son égard depuis 1995, l’ACS Plus se trouve aujourd’hui au cœur de tout processus décisionnel.
Pour constamment refléter les enjeux de l’heure, l’ACS Plus a évolué grâce à un processus d’amélioration continue. Le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, ou FEGC, travaille avec des partenaires du Secrétariat du Conseil du Trésor et du Bureau du Conseil privé pour améliorer la mise en œuvre de l’ACS Plus à l’échelle du gouvernement et assurer sa conduite rigoureuse dans les activités de l’État.
En adoptant l’ACS Plus, on continue de l’adapter. C’est une démarche constante. De plus en plus de personnes se reconnaissent dans notre travail. Cela dit, malgré les progrès dont témoignent ces réalisations, il y a toujours place à l’amélioration. Nous en sommes conscients.
Au cours de la réalisation de l’ACS Plus, FEGC décèle les lacunes et les surveille, avec le soutien essentiel du Secrétariat du Conseil du Trésor et du Bureau du Conseil privé, dans le but de bien cibler la formation et les ressources. Il importe de noter que c’est aux experts en la manière, c’est-à-dire le ministère ou l’organisation qui présente une proposition ou une initiative particulière, qu’il incombe de faire une ACS Plus approfondie et rigoureuse.
Depuis 2016, et en réponse à un audit de 2015 du vérificateur général du Canada, nous surveillons la réalisation de l’ACS Plus au moyen d’un sondage annuel effectué auprès des ministères et des organismes fédéraux. Le rapport du vérificateur général de mai 2022 a confirmé nos constats à la suite des sondages annuels.
La présidente : Nous vous saurions gré de terminer rapidement. Nous n’avons que peu de temps avec vous et nous tenons à vous poser autant de questions que possible.
Mme Ien : Pour conclure, il reste beaucoup à faire et il en restera toujours, mais le Canada est l’un des rares pays à systématiquement examiner la façon dont les questions de genre et d’égalité sont intégrées dans toutes les activités gouvernementales, dans le but d’améliorer continuellement l’application de l’ACS Plus. Il s’agit de travailler main dans la main, efficacement, pour faire progresser la justice, l’équité, la diversité et l’inclusion pour toutes et tous.
La présidente : Chers collègues, passons maintenant aux questions. Cependant, contrairement à la pratique habituelle, mais compte tenu des contraintes de temps, les questions d’un sénateur et les réponses de la ministre seront dans chaque cas limitées à quatre minutes. Avant de poser une question ou d’y répondre, veillez à ne pas être trop près du micro ou, si vous devez vous en approcher, à enlever votre oreillette, car les rétroactions acoustiques sont susceptibles de blesser le personnel du comité.
Madame la ministre, je vais user de mes prérogatives en tant que présidente du comité pour vous poser quelques questions. En témoignage, quelqu’un a dit que vous êtes la championne officielle et la figure de proue des objectifs en matière d’ACS Plus au Parlement. Vous engagez-vous, le gouvernement et vous, à fournir aux parlementaires une analyse comparative entre les sexes plus sur tous les projets de loi qui leur seront soumis?
Mme Ien : Merci beaucoup de la question. On fait le travail, et j’aimerais vous en fournir quelques exemples.
Dernièrement, je suis allée à Winnipeg, au Manitoba, dans la circonscription de Winnipeg-Centre, dont la députée est Leah Gazan. On trouve dans cette circonscription un centre à faibles restrictions destiné aux Autochtones appelé Velma’s House. Il avait besoin d’aide. Lorsque je l’ai visité cet été avec quelques collègues, peu importe où je regardais, tout semblait sur le point de tourner au désastre. Le centre aurait pu passer au feu à tout moment. Pourtant, il hébergeait alors autant de femmes qu’il le pouvait. À mon arrivée, des femmes dormaient sur le porche et même en dessous. Il fallait de l’aide. Nous avons donc mobilisé divers rouages de l’appareil gouvernemental — et c’est là de l’ACS Plus — et travaillé au-delà des lignes de parti pour venir en aide au centre.
C’est notre pratique habituelle. Leah Gazan a apporté sa contribution. La ministre Hajdu a apporté sa contribution. Le ministre Hussen a apporté sa contribution. Le ministre Miller a apporté sa contribution. Nous avons uni nos efforts afin que les femmes autochtones qui fuient la violence familiale dans Winnipeg-Centre aient accès à un nouveau centre et que celui-ci dispose du financement nécessaire pour couvrir ses frais de fonctionnement et d’immobilisations durant des années. C’est là un exemple de mobilisation de divers rouages de l’appareil gouvernemental et de travail au-delà des lignes de parti pour faire tout en notre pouvoir afin de concrétiser un tel projet. C’est parce que l’ACS Plus, madame la présidente, est un mode de vie.
La présidente : Merci beaucoup. Je suis convaincue que mes collègues vous relanceront sur le sujet. Cela dit, j’aimerais savoir ce que vous pensez de la terminologie et du vocabulaire employés. On parle d’ACS Plus. Des témoins nous ont dit que le « plus » constitue d’office un concept hiérarchique qui arrive en deuxième position par rapport au sexe, qui est quelque chose qui est bien sûr important, mais pas aux dépens de...
Mme Ien : Oui, ce n’est pas aussi intégral.
La présidente : Pensez-vous qu’il est nécessaire, sous votre direction, de revoir la nomenclature ou la valorisation des concepts afin de tout ramener à la notion d’équité?
Mme Ien : La question est fort pertinente. À vrai dire, c’est un débat qui suit son cours. Dans notre nouveau Plan d’action 2ELGBTQI+, vous constaterez que les « 2E » sont au début. Ce n’est pas pour rien. Les personnes bispirituelles sont maintenant la première considération à l’échelle de l’État. Un débat est bel et bien entamé sur ce que vous dites, et nous sommes tout à fait disposés à le poursuivre. Nous le faisons, d’ailleurs. Il anime l’ensemble du Cabinet. Il anime l’ensemble de l’appareil gouvernemental. Comme le montre ce que nous proposons dans le Plan d’action 2ELGBTQI+, nous le prenons très au sérieux.
La présidente : Je vous remercie, madame la ministre.
Le sénateur Patterson : Merci d’être parmi nous, madame la ministre. Ce que vous avez raconté sur l’excellent travail que vous avez accompli à Winnipeg nous a interpellés, mais, avec tout le respect que je vous dois, une question demeure. Vous avez dit collaborer à la fois avec le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor. Veillerez-vous alors à ce que l’ACS Plus constitue l’une des listes de vérification qui accompagnent chaque mémoire présenté au Cabinet relativement à chaque projet de loi?
Mme Ien : C’est pour ainsi dit déjà le cas, monsieur le sénateur. Respectueusement, je dirais même que cela fait partie intégrante du fonctionnement du Cabinet. Cela fait partie intégrante du travail de l’appareil gouvernemental. On tient continuellement compte de l’ACS Plus.
Vous avez dit — je reviens à madame la présidente — que je suis la championne de la question, sa figure de proue. C’est tout à fait juste, monsieur le sénateur, car je le suis. Je considère tout à travers cet unique prisme. C’est ce que je suis. Je suis une Noire avec deux enfants, mais sans conjoint. Il n’y a pour moi aucun autre prisme, monsieur le sénateur.
Le sénateur Patterson : Votre plan d’action de 2016 à 2020 sur l’analyse entre les sexes est venu à échéance. Envisagez-vous de mettre au point un autre plan d’action ou un cadre? Si c’est le cas, contiendra-t-il un mécanisme d’évaluation?
Mme Ien : Le travail se poursuit, monsieur le sénateur. Je vais passer la parole à Mme Smylie, qui en sait plus à ce sujet. Je reviens à peine de Berlin, où j’ai rencontré mes homologues du G7. Il faut se rappeler que le Canada est un chef de file dans ce dossier depuis 25 ans. En parlant à mes anciennes collègues, de l’honorable Jean Augustine à Maryam Monsef, en passant par Patty Hajdu, Hedy Fry et les nombreuses autres personnes qui se sont occupées de ce dossier, j’ai compris que le Canada est un chef de file. C’est ce que j’ai constaté à la réunion du G7. C’est grâce à nous que le Royaume-Uni dispose d’un cadre sur l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus. Le Royaume-Uni s’est inspiré de nous. Les tableaux de bord que j’ai vus contenaient beaucoup de questions et de réponses portant uniquement sur le Canada et sur le fait que notre pays est un chef de file dans ce dossier.
Je le répète, honorables sénateurs, je reconnais qu’il reste beaucoup de travail à faire. Toutefois, je tiens à préciser aux fins du compte rendu que nous sommes des chefs de file dans ce dossier. Je demande maintenant à Mme Smylie de donner des précisions à ce sujet. Je vous remercie de votre question.
Lisa Smylie, directrice générale, Direction générale de la recherche, des résultats et de la livraison, Femmes et Égalité des genres Canada : Je vous remercie de m’avoir invitée ici. Je consacre ma carrière à l’ACS Plus depuis 1996. Rien n’est plus cher à mon cœur.
Pour répondre directement à la question du sénateur concernant le plan d’action, celui-ci faisait suite à la vérification de 2015 du vérificateur général. Un autre rapport de vérification a été publié en mai dernier, et nous collaborons avec le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor pour élaborer un nouveau plan d’action afin de donner suite aux recommandations formulées dans ce rapport.
Le sénateur Patterson : Qu’en est-il de l’évaluation?
Mme Smylie : En ce qui concerne l’évaluation, il est important de surveiller l’incidence de l’ACS Plus et de vérifier dans quelle mesure elle est appliquée. Cette information était évidente dans le rapport de la vérificatrice. Nous aurons un plan d’action qui donnera suite aux recommandations.
La sénatrice Dasko : Merci, madame la ministre, d’être ici aujourd’hui.
Ma question fait suite aux observations concernant le rapport de la vérificatrice générale. La vérificatrice a soulevé un certain nombre de problèmes. J’aimerais que vous me disiez lesquels sont importants selon vous. Pouvez-vous établir l’ordre de priorité des problèmes que le bureau de la vérificatrice a soulevés? De plus, qu’a-t-on prévu pour régler les problèmes qui ont été soulevés? Veuillez vous concentrer sur ces éléments.
Mme Ien : Merci beaucoup de votre question. Je répondrai ceci : données désagrégées, données désagrégées et données désagrégées. Madame la sénatrice, comme j’ai déjà été journaliste, je connais le pouvoir des chiffres. Nous ne pouvons pas progresser si nous ne savons pas ce qui se passe. La pandémie a exposé très clairement qui sont les laissés-pour-compte, ce que nous ne faisions pas et les domaines où nous devions en faire davantage.
Par conséquent, je ne peux imaginer un monde où nous ne disposons pas de chiffres précis concernant les personnes touchées dans le cadre d’une approche intersectionnelle. Je me plais à dire qu’une partie de ce travail s’effectue sur le terrain, et c’est le cas, parce que je suis vraiment une personne de terrain. Notre équipe travaille beaucoup sur le terrain. Pour ce faire, il faut parler aux jeunes de partout au Canada et comprendre dans quelle mesure ils sont touchés. Ensuite, il faut séparer les données entre divers groupes : les jeunes Autochtones, les jeunes racisés, les jeunes handicapés, les jeunes des régions rurales et les femmes. Enfin, il faut comprendre ce dont ils ont besoin en appliquant l’ACS Plus ainsi qu’une approche intersectionnelle.
La seule voie à suivre est d’obtenir ces données, puis de continuer à bâtir sur ces acquis.
La sénatrice Dasko : J’ai deux ou trois autres questions à poser.
La vérificatrice générale a aussi ciblé comme problème le moment choisi pour effectuer l’analyse, qui a souvent lieu très tard dans le processus, et elle a indiqué que le manque d’exhaustivité des données dans les ministères était également lié à un manque de capacité. Comment s’attaque-t-on à ces problèmes?
Je vais poser une autre question : pouvez-vous faire part aux députés et aux sénateurs de l’ACS Plus qui est actuellement menée au sein du gouvernement?
Mme Smylie : Comme vous l’avez souligné, grâce au rapport de la vérificatrice, nous savons que le moment choisi pour effectuer l’ACS Plus et que l’exhaustivité des données liées à celle-ci ne répondent pas aux exigences auxquelles ils devraient répondre. Ainsi, en juin 2021, notre ministère, Femmes et Égalité des genres Canada, a publié une nouvelle série d’outils pour indiquer clairement aux gens à quel moment il faut entamer une ACS Plus. Elle doit être entreprise avant que l’on songe à des options pour une initiative ou à l’orientation d’une initiative. Nous avons publié un guide étape par étape pour le faire clairement savoir aux ministères.
Toutefois, l’ACS Plus se poursuit tout au long du processus : elle ne prend pas fin une fois l’initiative élaborée. Il faut la poursuivre tout au long de la mise en œuvre, de la surveillance et, pour en revenir au point soulevé dans la question précédente, de l’évaluation.
Avec ce guide, nous avons également publié un recueil d’outils, qui comprend un outil pour chaque facteur dont il faut tenir compte dans le cadre d’une ACS Plus. Nous voulions tenter de renforcer les capacités sur la question que vous avez soulevée afin de tenir compte d’une foule de facteurs selon une approche intersectionnelle.
Ainsi, nous surveillons actuellement dans quelle mesure l’application de l’ACS Plus s’améliore pour les mesures présentées au Cabinet. Nous avons constaté une amélioration attribuable aux outils, mais nous savons qu’il y a encore place à l’amélioration.
La présidente : Le temps de la sénatrice Dasko est écoulé. Nous espérons que nous pourrons obtenir des réponses au reste des questions.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous. Est-ce que l'ACS Plus en général pourrait être effectuée juste par une entité comme la Bibliothèque du Parlement?
[Traduction]
Mme Ien : Peut-elle être effectuée par une seule entité centrale?
[Français]
La sénatrice Mégie : Oui, comme la Bibliothèque du Parlement, par exemple.
[Traduction]
Mme Smylie : Nous avons découvert et des experts nous ont dit qu’il est mieux que l’ACS Plus soit effectuée par ceux qui élaborent les initiatives. Si nous confions la tâche d’effectuer l’ACS Plus à une entité unique qui ne participe pas à l’élaboration des initiatives, je ne crois pas qu’elle aura l’incidence maximale qu’elle pourrait avoir.
Notre approche est la suivante : il revient à chaque ministère d’effectuer une ACS Plus pour tous les aspects de la prise de décisions. Cela ne se limite pas à l’élaboration des programmes et des politiques pour le public, cela concerne aussi la prise de décisions internes entourant les politiques de ressources humaines pour la fonction publique et les pratiques d’approvisionnement.
Je suppose qu’il est toujours possible qu’une seule personne soit responsable d’effectuer l’ACS Plus, mais je doute beaucoup de l’incidence qu’elle aurait. Je crois même qu’elle n’en aurait aucune.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une deuxième question. J’ai cru comprendre que parfois, quand certains ministères font des ACS Plus, ils gardent les informations; ce n’est pas privé, mais c’est confidentiel. Y a-t-il une possibilité d’ouvrir et de rendre toutes les ACS Plus publiques, même si ce n’est pas pour une étude déterminée? Je parle de toutes les ACS Plus, quel que soit le ministère qui les a faites. Peut-on les rendre publiques pour permettre aux gens de comprendre le projet pour lequel l’ACS Plus est effectuée?
[Traduction]
Mme Ien : Vous parlez de transparence, madame la sénatrice, ce qui est très important, j’en conviens.
Je tiens aussi à revenir à la question à laquelle Mme Smylie a répondu précédemment et à parler de l’importance des intervenants lorsqu’il est question de l’ACS Plus, des programmes et de la façon de les mettre en œuvre. De plus, il est important de discuter avec des intervenants à l’extérieur du gouvernement pour comprendre pleinement ce que nous devons faire. Voilà pourquoi la Bibliothèque du Parlement pourrait ne pas convenir aussi bien, étant donné qu’elle ne procéderait pas ainsi.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une question. On a reçu des témoins qui nous ont dit que selon l’expérience qu’ils avaient, le fait de vivre dans une situation de handicap n’est pas toujours une dimension qui est couverte dans les ACS Plus. On l’a entendu dans le cadre de cette étude, mais dans d’autres comités aussi, dans le cadre d’études de projet de loi. On entend souvent le message que dans cette grande conversation sur l’équité, la diversité et l’inclusion, on oublie souvent les personnes qui vivent en situation de handicap. On parle de l’ACS Plus, des LGBTQ2S+ et des groupes racialisés. Comment peut-on s’assurer que les personnes en situation de handicap ne sont pas les grandes oubliées dans ce genre d’analyse et en sachant aussi qu’elles forment un groupe qui n’est pas homogène et qui est très diversifié?
Mme Ien : Merci pour la question, sénatrice.
[Traduction]
C’est une question tellement importante. Ma collègue, la ministre Qualtrough, vient de présenter le tout premier Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada. Il a tout à voir avec l’ACS Plus et le fait que l’ensemble du Cabinet s’efforce de placer l’ACS Plus au cœur de ses préoccupations, et c’est ce qu’il fait.
Je vais le répéter : il s’agit là du genre de conversations que nous avons eues et que nous continuons d’avoir notamment avec des intervenants des quatre coins du pays pour déterminer comment bien faire les choses et inclure les personnes handicapées. Puis il y a la question de l’intersectionnalité : les femmes handicapées, les membres de la communauté 2ELGBTQI en situation de handicap et les aînés handicapés. Il existe beaucoup d’intersectionnalités différentes. Vous avez absolument raison, madame la sénatrice. Lorsqu’on examine cette question sous l’angle de la pandémie, pendant laquelle nous avons tant appris, nous constatons que ce sont ces groupes, ceux constitués de personnes handicapées, qui ont le plus souffert. Par conséquent, ils se trouvent au cœur de cette démarche. Voilà pourquoi j’en ai parlé dans ma déclaration liminaire. C’est le genre de données désagrégées dont nous avons besoin en plus grande quantité pour continuer de concentrer nos efforts sur ces groupes et de collaborer avec tous mes collègues, mais aussi avec la ministre Qualtrough, bien sûr, afin de faire avancer les choses.
La sénatrice Cordy : Je remercie madame la ministre et les fonctionnaires de son ministère d’être venus témoigner aujourd’hui.
J’ai examiné votre lettre de mandat du premier ministre, et votre ministère et vous êtes ultimement responsables de donner la priorité à l’élaboration d’un plan décennal pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe et de continuer à chapeauter le processus d’évaluation de l’ACS Plus. Voici ma question : a-t-on établi une base de référence pour connaître les progrès que nous avons réalisés? Parfois, nous entendons toutes sortes de choses, mais nous ignorons quel était le point de départ. Ceux qui ne participent pas autant que nous aux activités gouvernementales et qui tentent de suivre ce dossier ont parfois du mal à le faire. Existe-t-il des données facilement mesurables que le public peut consulter?
Mme Ien : C’est une excellente question. Comme Mme Smylie l’a souligné, elle s’occupe de ce dossier depuis le tout début, et nous voulons vous présenter les progrès réalisés de 1995 à aujourd’hui ainsi que les résultats mesurables. Madame la sénatrice, je tiens à souligner de nouveau à quel point il est important que les données désagrégées soient incluses dans les résultats mesurables.
Mme Smylie : Nous avons assurément fait des progrès depuis 1995. Les ACS Plus font partie des mémoires au Cabinet et des présentations au Conseil du Trésor. Depuis 2016 et 2018, il s’agit d’un élément obligatoire du processus budgétaire. En ce qui concerne la surveillance de la mise en œuvre et l’établissement de bases de référence, pour donner suite au rapport de vérification de 2015, nous avons mené une enquête sur la mise en œuvre en 2016. La toute première enquête a eu lieu en 2016. Les résultats de l’enquête se trouvent sur le site Web du ministère pour que le public puisse les consulter. Depuis lors, nous avons mené cette enquête à quatre reprises, et dans le cadre du mandat de la ministre visant à améliorer le cadre et les paramètres de l’ACS Plus, nous examinons ces données pour déterminer comment elles peuvent guider l’amélioration du cadre et comment nous pouvons mieux surveiller la mise en œuvre de l’ACS Plus à l’avenir.
Une autre façon d’examiner les bases de référence passe par le budget fédéral. En 2018, nous avons publié pour la première fois l’ACS Plus du budget. Je tiens à donner quelques chiffres. Dans l’ACS Plus du budget de 2022, la plupart des ACS Plus, soit 78 %, avaient été entamées au début du processus, alors que, en 2019, le taux était de 51 %. Ensuite, 85 % des initiatives ont tenu compte de l’ACS Plus du budget de 2022 par rapport à 8 % en 2019.
Ainsi, nous examinons des bases de référence et nous surveillons les mêmes indicateurs au fil du temps. Selon moi, c’est très important pour évaluer nos progrès et l’incidence de l’ACS Plus.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup tous les deux pour cette réponse très claire. C’était très bien.
Je vais vous poser une question selon un point de vue complètement différent. Notre comité se penche sur un cadre de prévention du suicide, et nous avons entendu d’excellents témoignages, notamment un témoignage très émouvant de la part d’un de nos collègues. Ce que j’en ai retenu, c’est que le taux de suicide chez les hommes est énorme et qu’il est supérieur à celui des femmes. On nous a donné les nombreuses raisons qui expliquent cela, et je les ai examinées plus en détail après le témoignage.
L’ACS Plus permettrait-elle d’examiner les raisons pour lesquelles le taux de suicide chez les hommes est si élevé et les façons de trouver des programmes et des politiques efficaces sur ce plan?
La présidente : Sénatrice Cordy, votre temps de parole est écoulé. Nous pourrons peut-être obtenir une réponse à cette question de la part des fonctionnaires.
La sénatrice McPhedran : Un an et presque un jour — comment allez-vous, madame la ministre?
Mme Ien : Je vous remercie. Quelqu’un a dû me rappeler que cela faisait un an. Un de mes collègues qui a été assermenté au Cabinet il y a un an me l’a rappelé en disant « c’est ton anniversaire », et j’ai fait « ah, oui ».
La sénatrice McPhedran : C’est une période occupée.
Mme Ien : En effet. Merci beaucoup.
La sénatrice McPhedran : Je vais reprendre la question de la sénatrice Cordy. Vous sembliez prête à nous donner une réponse. Allez-y, je vous en prie.
Mme Ien : Je vous remercie beaucoup de m’en donner l’occasion.
L’une des premières personnes que j’ai rencontrées après avoir été nommée ministre était une aînée. Elle m’avait alors donné de judicieux conseils. Elle m’avait dit une chose très importante : un aigle ne peut pas voler avec une seule aile. Cela veut dire qu’en ce qui concerne la violence fondée sur le sexe ainsi que l’ACS Plus — quand nous examinons toutes ces choses —, il ne peut pas être question uniquement des femmes. Il doit être aussi question des hommes et des garçons. Un aigle ne peut pas voler avec une seule aile.
Alors oui, madame la sénatrice, des programmes sont mis en œuvre. Par l’entremise de Femmes et Égalité des genres Canada, ou FEGC, des fonds servent à financer des programmes destinés expressément aux hommes et aux garçons dans l’ensemble du pays. Quand nous parlons du taux de suicide chez les hommes, il est important que nous fassions porter la discussion sur ce qui se passe avant qu’ils n’en arrivent là, lorsqu’ils sont des garçons et des adolescents.
Nous avons parlé brièvement de la santé mentale. Étant la mère d’un garçon et d’une fille, je peux vous dire que la pandémie a été une période très difficile pour les enfants. Or, je suis dans une position privilégiée. Mes deux enfants ont vécu des difficultés, mais je suis en mesure d’obtenir de l’aide pour eux lorsque cela arrive. J’ai bien du mal à dormir la nuit quand je sais que d’autres n’ont pas cette chance. Alors, oui, les hommes et les garçons occupent une place importante dans ce que nous faisons, et j’insiste sur les garçons parce qu’il importe de les atteindre avant qu’ils en arrivent à ce point-là. Bon nombre des facteurs ayant une incidence sur les chiffres que nous observons — et je ne suis pas médecin, évidemment — interviennent tôt dans la vie des gens. Par conséquent, il s’agit vraiment de faire le travail plus tôt et de soutenir plus tôt ceux qui font le travail.
La sénatrice McPhedran : Je vais maintenant vous poser une question très directe.
Mme Ien : Ce n’est pas une surprise, sénatrice. Vous aimez être très directe.
La sénatrice McPhedran : Elle fait suite à la question polie de la sénatrice Dasko concernant la présentation et le moment choisi. Pourquoi le gouvernement continue-t-il de garder secrète l’ACS Plus au Cabinet? Comment pouvons-nous obtenir ces renseignements plus tôt afin d’être en mesure de les utiliser?
Mme Ien : C’est une bonne question. Comme vous l’avez souligné, j’en suis à un an et un jour, alors il y a encore du travail à faire. Je dois poursuivre le travail en cours avec mes collègues du Cabinet et le gouvernement afin de mettre en œuvre précisément ce dont vous parlez.
La sénatrice McPhedran : Donc, vous vous y engagez?
Mme Ien : Vous êtes incroyable.
La sénatrice McPhedran : Oui?
Mme Ien : Je m’y engage.
La sénatrice McPhedran : Merci.
La présidente : Madame la ministre, nous comprenons que ces mémoires au Cabinet sont confidentiels, et si vous n’êtes pas en mesure de les communiquer aux parlementaires, pourriez-vous au moins envisager de fournir un résumé de leurs conclusions?
La sénatrice Pate : Cela fait parfaitement le lien avec la question que je veux poser. Merci beaucoup. Je remercie encore une fois madame la ministre et les fonctionnaires d’être ici.
Je voudrais parler de ce même sujet et de la façon dont nous pouvons avoir accès à l’information. Nous avons demandé et reçu, par exemple, de l’information au comité des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du projet de loi C-5, dont le Sénat est actuellement saisi. Nous avons demandé à voir l’analyse comparative entre les sexes plus, qui indiquait que les femmes autochtones, en particulier, étaient largement surreprésentées, mais il manquait le volet d’analyse pour montrer... On espérait que le projet de loi aurait une incidence, mais rien ne prouvait qu’il y en aurait une. Il y avait un résumé des données, mais aucune analyse indiquant que le projet de loi n’atteindrait pas cet objectif.
Je suis curieuse de savoir comment vous, qui êtes la championne... Bien sûr, cela ne dépend pas que de vous, mais comment pouvons-nous obtenir de l’information exacte afin que nous puissions évaluer avec exactitude l’analyse et l’incidence des mesures législatives et des politiques?
Mme Ien : C’est une autre excellente question.
Madame la sénatrice, nous travaillons en partenariat. Les rôles du Bureau du Conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada entrent en jeu, ici.
Je dois vous dire que j’accepte toutes les recommandations du comité. Je suis impatiente de savoir ce que, selon vous, nous pouvons faire à l’avenir, mais je dirai que c’est vraiment un partenariat.
La sénatrice Pate : Pour ce qui est d’avoir accès à l’information, y a-t-il un mécanisme que vous nous encouragez à utiliser pour obtenir la composante liée à l’analyse?
Mme Ien : Je vais me pencher là-dessus et je serai heureuse de vous revenir avec une réponse à ce sujet.
Merci beaucoup, madame la sénatrice.
La présidente : Merci, madame la ministre. Comme vous pouvez le voir, nous y tenons beaucoup. Nous comptons donc sur votre engagement à faire tout ce que vous pouvez, en tant que championne et dirigeante, pour nous communiquer ces renseignements, soit les données et l’analyse.
La sénatrice Clement : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir mentionné l’honorable Jean Augustine. Toute réunion où l’on cite son nom s’annonce intéressante, alors je vous sais gré de cette mention, en particulier dans ce contexte.
Vous avez parlé du Conseil du Trésor et du Conseil privé ainsi que de leurs rôles. Nous savons que les ministères, comme nous tous, ont traversé une période particulièrement difficile ces dernières années. Il y a plus de travail que jamais.
J’aimerais savoir ce que fait le gouvernement pour obliger ou inciter les ministères à recueillir et à analyser des données. Ils peuvent considérer cela comme un fardeau, mais il faut que ce soit fait. Comment pouvons-nous les inciter à le faire? Que faites-vous sur ce plan?
Mme Ien : Merci beaucoup.
La sous-ministre pourra très bien répondre à cette question.
Frances McRae, sous-ministre, Femmes et Égalité des genres Canada : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.
La ministre a mentionné le partenariat avec le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, et vous savez sans doute que, dans le rapport de la vérificatrice générale — en fait, dans de nombreux rapports de la vérificatrice générale au cours des dernières années —, ce partage des rôles a été reconnu, et nous avons travaillé avec les organismes centraux sur chacune des mesures prises pour donner suite aux vérifications.
C’est que, évidemment, ce sont les organismes centraux — le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor — qui sont aux leviers de commande au sein du gouvernement, en collaboration avec d’autres ministères, pour établir les règles relatives à l’élaboration des mémoires au Cabinet et des présentations au Conseil du Trésor et pour déterminer quels types de renseignements sont requis afin que les ministres et le Cabinet puissent prendre des décisions éclairées.
Pour ce qui est de la transparence et des résumés de documents, je pense que des progrès ont été réalisés sur ce plan au cours des dernières années. Je vais laisser Mme Smylie vous en parler plus en détail. C’est vrai que nous communiquons avec les ministères pour leur parler de la qualité de leurs documents.
La présidente : Les représentants du ministère sont avec nous pour encore 45 minutes, alors je vous prie de m’excuser, madame McRae. Puisque nous avons la ministre avec nous pour encore une nanoseconde...
Mme Ien : Oui, une nanoseconde.
La présidente : ... je crois que mes collègues ont quelques questions de plus à lui poser.
Sénatrice Clement, nous reviendrons à vous pour une réponse complète à votre question.
Le sénateur Patterson : Femmes et Égalité des genres Canada a effectué un sondage sur la mise en œuvre de l’ACS Plus en 2021. Je voudrais vous demander si vous pourriez nous parler des résultats de ce sondage et nous en fournir les données désagrégées.
Mme Ien : Bien sûr, sénateur.
La ventilation, s’il vous plaît.
Mme Smylie : Je voudrais dire très rapidement que lorsque nous effectuons le sondage sur la mise en œuvre, nous recueillons des données auprès des ministères, et nous avons donc des données désagrégées à un niveau très élevé. Il ne s’agit pas de microdonnées pouvant être désagrégées, mais je vais vous donner quelques résultats de...
Le sénateur Patterson : Je me demande s’ils pourraient être déposés auprès de la greffière.
Mme Smylie : Ils sont publiés sur le site Web.
Sont-ils déjà sur le site Web? Pas ceux-ci? Nous prévoyons de les publier.
Le sénateur Patterson : Selon ce que nous ont dit des témoins, les sondages de votre propre ministère ont indiqué que seulement 39 % des ministères effectuaient très tôt une ACS Plus, et qu’ils en effectuaient une seulement 60 % du temps. J’aimerais savoir si vous cherchez à mettre l’accent sur l’importance du moment choisi pour effectuer une ACS Plus.
Ensuite, la vérificatrice générale a dit que cette analyse ne devrait pas seulement s’appliquer aux nouvelles politiques, mais aussi aux politiques déjà en vigueur. Êtes-vous favorable à ce qu’on réalise une ACS Plus relativement aux politiques déjà en place?
Merci.
Mme Ien : Merci beaucoup, sénateur. Votre question comporte plusieurs éléments.
Notre réponse au rapport de la vérificatrice générale sera présentée sous peu, et tout cela en fera partie.
Le sénateur Patterson : Qu’en est-il du fait que la plupart des ministères ne commencent pas leur analyse suffisamment tôt?
Mme Ien : Encore une fois, sénateur, comme l’a souligné Mme Smylie, nous nous efforçons en tant que centre d’expertise avec tous les ministères de faire augmenter ces chiffres.
Vous avez mentionné les 60 %; ce n’est pas le pourcentage que nous voulons obtenir, mais il y a une amélioration d’année en année.
La présidente : Merci beaucoup.
Madame la ministre, resterez-vous avec nous encore quelques minutes? Je peux voir rapidement que des personnes aimeraient vous poser d’autres questions. Je tiens à respecter le temps dont vous disposez.
Mme Ien : Je vérifie avec la personne qui s’occupe de gérer mon temps et, apparemment, je peux vous accorder encore cinq minutes, madame la présidente. C’est un plaisir pour moi d’être ici pour cinq minutes de plus.
La présidente : Par conséquent, permettez-moi de vous poser une question, madame la ministre.
Nous nous tournons vers vous, nous nous fions à vous, selon ce que nous avons entendu de la part des dirigeants de la société civile et d’autres parties, car, honnêtement, vous êtes la défenseure et la leader de ce dossier. Pouvez-vous nous dire si votre ministère a établi des jalons pour augmenter l’intégration de cet enjeu dans les travaux des ministères, de manière à ce que ces derniers participent à l’analyse comparative entre les sexes plus, du début du processus jusqu’à l’étape de l’évaluation après coup? Établir un point de repère pour accroître la participation.
Mme Ien : Je vais commencer puis je vais laisser la parole à Mme Smylie, parce que les données sont essentielles pour obtenir des chiffres précis.
Pour répondre à votre question, oui. Nous collaborons avec les ministères et l’ensemble du gouvernement de façon exhaustive pour veiller à ce que la participation aux analyses comparatives entre les sexes plus suive une tendance à la hausse, y compris dans la manière d’appliquer les données recueillies. Je le répète, c’est une approche pangouvernementale — comme nous l’avons mentionné ce matin et cet après-midi. Vous avez souligné, à juste titre, que nous sommes les défenseurs et les leaders de ce dossier. Nous sommes tous responsables de réaliser des progrès. Le travail à faire est entre nos mains.
Mme Smylie : Nous avons examiné attentivement les paramètres en termes de ressources dédiées à l’analyse comparative entre les sexes plus. Voici quelques points saillants.
Entre 2019 et 2020, nous avons constaté une augmentation de 12 % des ressources que les ministères consacrent à l’analyse comparative entre les sexes plus. Par ailleurs, il y a eu 6 % plus de champions attitrés à cet enjeu au sein des ministères. Le nombre de ministères qui ont mis en place un plan de mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes plus s’est accru de 9 %. Finalement, en une seule année, le nombre de ministères ayant une politique officielle en matière d’analyse comparative entre les sexes plus a augmenté de 12 %.
Ce n’est qu’un petit nombre d’éléments sur lesquels nous centrons notre attention pour encadrer les ministères afin de veiller à ce qu’ils aient l’infrastructure et le soutien requis pour participer à l’analyse comparative entre les sexes plus.
La présidente : Pouvez-vous nous aider à combler les écarts entre ce que nous avons entendu de la part des membres de la société civile — le sénateur Patterson a présenté des chiffres — et vos propres données? Y a-t-il quelque chose que nous n’avons pas bien cerné? Les données sont-elles mesurées différemment? Une clarification serait utile.
Chers collègues, le temps est venu de remercier la ministre de nous avoir si généreusement offert son temps ainsi que ses observations et réponses réfléchies à nos questions.
Madame la ministre, vous pourrez prendre connaissance de notre étude. Nous espérons que vous répondrez à nos recommandations le plus tôt possible et que vous y donnerez suite avec des mesures concrètes.
Mme Ien : Merci.
La présidente : J’aimerais resouhaiter la bienvenue aux représentants du gouvernement. Je vous remercie de votre participation à cette étude. Votre contribution est grandement appréciée.
Nous allons poursuivre notre séance en adressant nos questions aux deux représentants du gouvernement. Vous nous avez déjà fourni quelques informations.
J’aimerais commencer par la question de la sénatrice Clement, car je crois lui avoir coupé la parole. Sénatrice, voulez-vous nous rafraîchir la mémoire et répéter votre question?
La sénatrice Clement : Madame Smylie, vous aviez commencé à nous fournir des pourcentages sur l’augmentation de la participation. Ma question porte sur la manière dont vous vous y prenez pour inciter ou obliger les ministères, déjà surchargés de travail, à faire ces analyses cruciales. Comment vous y prendrez-vous pour les soutenir ou les inciter à faire ces analyses afin d’obtenir un taux de participation supérieur à 12 %, soit une augmentation de 25 % à 30 %?
Mme Smylie : D’abord, je tiens à préciser que notre ministère n’a pas nécessairement les leviers pour forcer quiconque à faire quoi que ce soit. Ce sont les organismes centraux qui possèdent ces leviers. Il est évident que nous collaborons étroitement avec les organismes centraux pour examiner la question de l’analyse comparative entre les sexes plus et faire en sorte que les responsables accomplissent leur mandat.
Nous arrivons à inciter les gens à participer à l’analyse comparative entre les sexes plus et à promouvoir cet enjeu en misant sur l’établissement de liens. Un réseau des champions de l’analyse comparative entre les sexes plus a été créé et il agit comme point de convergence pour tous les ministères. Nous travaillons avec les membres de ce réseau pour nous assurer que les ministères ont la capacité requise pour exécuter les analyses.
Nous offrons de la formation aux fonctionnaires. Dans le cadre de ces séances de formation, nous rappelons aux participants que faire l’analyse comparative entre les sexes plus correspond à une bonne pratique en matière de service public. Si nous ne tenons pas compte de l’impact des initiatives que nous mettons en place pour résoudre des problèmes ni des personnes qui sont touchées, et si nous n’adaptons pas nos initiatives aux besoins des divers segments de la population canadienne, alors que faisons-nous dans la fonction publique?
Nous incitons les ministères en leur faisant comprendre que cet enjeu est une partie essentielle des fondements de la fonction publique. Nous leur fournissons des conseils, des outils et de la formation pour servir la population canadienne et intégrer l’analyse comparative entre les sexes plus dans la prise de décisions.
Mme McRae : Je pourrais compléter la réponse de Mme Smylie.
La ministre a parlé de données. Évidemment, les données ont leur importance, mais le savoir l’est tout autant. Il est essentiel de savoir qui sont les personnes touchées par les enjeux et de connaître l’impact des solutions.
L’un des objectifs de la formation est de s’assurer que les ministères comprennent qu’il ne faut pas seulement examiner les chiffres et les données pour déterminer la qualité d’une politique, d’une mesure réglementaire, d’un programme ou d’un service, mais qu’ils ont l’obligation de parler aux personnes concernées. Les ministères doivent prendre les moyens nécessaires pour consulter les personnes touchées par leurs décisions.
Précédemment, la sénatrice Petitclerc a abordé l’homogénéité. C’est un aspect à ne pas négliger. Comme elle le disait, la situation est totalement différente quand il est question d’une personne handicapée. Si l’on tient compte d’un seul facteur, par exemple le milieu rural ou urbain, tous les autres facteurs étant égaux — ce qui n’est évidemment jamais le cas — la situation, l’expérience vécue par la personne ou la capacité des personnes concernées pour avoir accès aux mesures d’aide appropriées ou à des politiques adéquates du gouvernement est très différente.
C’est le travail fondamental que nous demandons aux ministères d’accomplir. Nous leur demandons de ne pas se limiter à suivre la formation, mais à appliquer le savoir dans la réalité, notamment en tenant compte des expériences vécues par les personnes concernées.
La sénatrice Clement : À mon avis, ce type de conversations occasionne souvent un malaise quand il s’agit de connaître l’expérience vécue par autrui. L’option privilégiée consiste souvent à éviter d’en parler. Cela donne lieu à des réponses homogènes, tout simplement parce qu’il y a un inconfort à poser des questions. Il y a une grande distinction entre parler aux Canadiens et aider les Canadiens à se sentir à l’aise de se confier à propos de sujets sensibles.
La formation tient-elle compte de cet aspect? Beaucoup de personnes accomplissent des tâches qui touchent aux émotions et elles ne veulent plus participer. Elles sont fatiguées de faire tout le travail et de parler autant.
Donc, formez-vous vos participants de manière à les aider à passer outre ce malaise ou à faire preuve de délicatesse à propos des sujets sensibles afin d’obtenir les renseignements voulus, de manière respectueuse?
Mme McRae : Je peux peut-être faire un survol de la situation actuelle dans la fonction publique. Ensuite, Mme Smylie pourrait donner plus de détails sur la formation.
Vous êtes probablement au courant que le Bureau du Conseil privé a lancé un appel à l’action en faveur de la lutte contre le racisme et la discrimination dans la fonction publique, au sein de nos propres institutions. Dans le cadre de notre travail dans la fonction publique, nous devons être à l’aise de parler de ces sujets sensibles et de nous retrouver dans une situation où il faut parler. En fait, il faut réfléchir et apprendre.
La fonction publique axe beaucoup d’efforts sur une autre priorité, la réconciliation. Là encore, il faut miser sur la sensibilisation et l’éducation, en plus de faire preuve d’humilité sur nos connaissances et notre expérience comparativement à d’autres personnes.
C’est un long parcours. Tous les Canadiens marchent vers la sensibilisation et la compréhension à l’égard des expériences vécues et la vie de personnes touchées. Je m’arrête ici.
Je laisse le soin à Mme Smylie de donner des détails sur la formation et d’aborder le fait pour les participants d’être à l’aise et engagés.
Mme Smylie : La formation offerte comporte deux aspects qui portent sur ce que vous avez soulevé. L’un d’eux est...
La présidente : Malheureusement, je dois être stricte sur le temps alloué.
La sénatrice McPhedran : Je peux prendre la balle au bon.
J’ai peut-être été inattentive, mais je n’ai pas entendu le mot « incitatif » dans votre liste. Évidemment, compte tenu de vos années d’expérience dans ce dossier, madame Smylie, c’est une recommandation qui a été formulée depuis des années. C’est comme la carotte et le bâton, etc. Nous savons que les gens changent leurs comportements s’ils sont récompensés à le faire. Par ailleurs, nous savons que ce sont les cadres supérieurs qui peuvent jouer un rôle de catalyseur pour que le changement systémique souhaité se concrétise.
En ce qui concerne la création d’incitatifs et d’indicateurs au niveau de la haute direction de la fonction publique, quelle est la situation en termes de progrès réels?
Mme Smylie : Pour ce qui est des incitatifs, la lettre de mandat de la ministre énonce cet engagement pour améliorer l’analyse comparative entre les sexes plus. L’une des choses que nous faisons pour l’appuyer dans la réalisation de sa lettre de mandat est de trouver les meilleures pratiques ailleurs dans le monde. Au Royaume-Uni, le Government Equalities Office a mis sur pied une équipe chargée de découvrir les perspectives sur le comportement. Pour arriver à créer des incitatifs sur les enjeux en question, elle procède à des analyses sur l’intégration des genres. Nous examinons leurs travaux pour établir des pratiques exemplaires. Nous examinons comment leur approche ciblée et axée sur les perspectives du comportement a donné des résultats. Notre objectif est de les incorporer dans une approche améliorée en matière d’analyse comparative entre les sexes plus.
La sénatrice McPhedran : Pensez-vous que cela mènera à des mesures législatives, à des règlements, à des directives ou règles du Conseil du Trésor? Allez-vous codifier vos conclusions d’une quelconque manière?
Mme McRae : Je pense que la ministre faisait référence à la réponse au rapport de la vérificatrice générale et à d’autres rapports quand elle a affirmé qu’il reste beaucoup à faire. Nous pouvons démontrer que, au fil des années, un certain nombre de mesures et de politiques ayant été mises en place compliquent la réalisation des analyses comparatives entre les sexes plus. En outre, nous pouvons démontrer, au moyen d’exemples, qu’une analyse comparative entre les sexes plus de grande qualité entraîne des résultats concrets dans la vie des personnes touchées.
La sénatrice McPhedran : Si je comprends bien, vous pencher vers « non » comme réponse à ma question.
Mme McRae : J’en arrive à une réponse à votre question. Progressivement, dans les faits, nous devons tenir compte de ce qui fonctionne afin d’améliorer le rendement des gens dans ce domaine. Si les progrès n’arrivent pas assez vite, si le gouvernement détermine que les choses ne bougent pas aussi vite que voulu, il a des options.
La sénatrice McPhedran : La personne qui vous questionne en ce moment est une guerrière chevronnée dans la défense du féminisme. C’est un sujet qui me tient à cœur depuis longtemps. Je serais portée à croire que si nous voulons agir comme des leaders, à la lumière de ce que nous avons accompli depuis 20 ans — je ne suis pas si convaincue que nous sommes encore des leaders aujourd’hui —, si nous voulons continuer d’être des chefs de file, alors pourquoi attendre de voir ce que font les autres pays? Pourquoi n’allons-nous pas de l’avant en mettant en place nos propres projets tout en ravivant le leadership qui faisait notre renommée autrefois?
Mme McRae : Comme je l’ai mentionné, sénatrice, le travail est fait de manière progressive, par exemple, la budgétisation sexospécifique introduite en 2018. Je pense que le gouvernement a démontré sa détermination à faire des progrès pour intégrer cet enjeu dans les exigences, la réglementation et la transparence.
En ce qui concerne l’avenir, comme la ministre l’a mentionné, nous comptons sur l’appui de partenaires au sein de l’appareil gouvernemental, notamment le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor, avec qui collaborer pour réaliser des progrès au sein des ministères et des organismes. C’est ce que nous faisons. J’ai bon espoir que notre réponse et celle que nous développons avec les organismes centraux tiendra compte des recommandations de la vérificatrice générale, y compris comment obtenir des résultats plus rapidement et de manière plus élargie.
La sénatrice Cordy : Merci.
Ma question fait le suivi des questions de la sénatrice Clement, et aussi, un peu, de la sénatrice McPhedran. Nous savons qu’il y a des lacunes dans les données sur certaines populations, notamment les communautés autochtones. Parfois, on veut étudier un sujet et il manque cruellement de données.
Par ailleurs, nos comités sont composés de personnes aux diverses origines — un interlocuteur précédent a mentionné qu’il y a des personnes nerveuses à l’idée de poser les bonnes questions. Cependant, quand une personne fait partie d’une minorité, elle est souvent craintive d’être perçue comme différente. Par conséquent, elle peut vouloir donner une réponse qui, sans être fausse, ne dresse pas l’ensemble du portrait.
Comment vous assurez-vous d’obtenir des données valides et approfondies auprès de ces populations?
Mme Smylie : Quand on pense aux données, on pense souvent seulement en termes de chiffres et de données quantitatives. Ce sont des éléments importants. Je suis statisticienne, alors je comprends le pouvoir des données quantitatives et j’y crois. Cependant, cela ne représente pas la totalité des données. Il est aussi important de solliciter la participation des personnes, de leur parler, d’obtenir des détails sur leur vécu. Afin d’y arriver — pour donner suite aux questions précédentes — il faut inviter des personnes de divers horizons autour de la table pour poser des questions et alimenter la conversation.
Ce n’est ni moi ni un seul fonctionnaire, seul dans une pièce, qui peut mener l’analyse comparative entre les sexes plus. Quand nous formons les gens, nous parlons de l’importance de mettre en place des équipes diversifiées pour faire ce travail d’analyse afin d’inclure différentes expériences vécues dans l’équation. Nous prenons soin d’examiner attentivement nos préjugés inconscients. En ce qui concerne le processus d’analyse comparative entre les sexes plus, nous sommes tous aptes à découvrir les sensibilités culturelles et les connaissances des personnes avec qui nous interagissons.
Voilà certaines des méthodes utilisées pour procéder à nos analyses comparatives entre les sexes plus.
La sénatrice Cordy : Vous déplacez-vous dans les collectivités ou préférez-vous inviter les participants à Ottawa ou à Halifax ou à n’importe quel autre endroit où vous êtes?
Mme Smylie : Je ne sais pas comment chaque ministère procède. Toutefois, dans le cadre de notre formation sur l’analyse comparative entre les sexes plus, nous avons établi une série de questions auxquelles les fonctionnaires doivent répondre pour jeter les bases de leur engagement. L’objectif est de rencontrer les gens là où ils veulent et au moment qui leur convient. Il ne s’agit pas toujours de les faire venir à nous. Parfois, c’est nous qui allons vers les gens pour leur parler de ce qui fonctionne pour eux, connaître comment ils veulent participer et apprendre ce qu’est un véritable dialogue pour eux. Ce sont tous des éléments que nous transmettons aux ministères pour mener les analyses comparatives entre les sexes plus.
La sénatrice Cordy : Merci.
La sénatrice Petitclerc : Merci de votre présence et de vos réponses. Nous avons les données — que beaucoup disent qu’elles sont parfois incomplètes et imparfaites — ce dont nous sommes conscients. Mais disons que nous avons l’analyse, les données, les résultats, et que tout est bon, dans quelle mesure sommes-nous capables d’utiliser ces chiffres — et pas seulement des chiffres, ces données, et de les traduire en services et en programmes?
Savons-nous si nous parvenons à faire en sorte que ces informations sont appliquées dans les services et les programmes? Avons-nous un processus ou un moyen d’évaluer notre performance afin de déterminer si les services et les programmes sont dans la bonne voie?
Mme McRae : Je vais commencer à répondre à cette question. Je voudrais revenir sur le commentaire de la sénatrice Cordy. En ce qui concerne la manière dont on noue le dialogue avec les gens, je pense qu’il est important de souligner qu’en période post-COVID, compte tenu de ce que nous avons appris, le recours au mode hybride pour communiquer avec les gens en ligne, même en face à face, là où ils se trouvent, offre aux fonctionnaires une plus grande possibilité d’avoir des échanges avec des communautés beaucoup plus diverses qu’ils n’auraient pu le faire dans le passé. Je tenais à le mentionner.
Quant à la question de l’application des connaissances, c’est là qu’intervient l’enquête sur la mise en œuvre que nous sommes en train de mener. C’est un domaine où les gens doivent non seulement analyser, mais aussi démontrer aux ministres, dans leurs propositions, qu’ils ont pris en compte l’analyse. L’analyse n’est pas simplement menée dans le but de cocher une case.
Si l’analyse révèle l’existence d’obstacles pour certains groupes de personnes et de Canadiens, il faut alors démontrer dans la proposition que l’on en a tenu compte dans la conception.
Cela étant dit, je pense que la vérificatrice générale a également indiqué dans son rapport que nous pouvons faire mieux pour passer de l’analyse à l’évaluation de la mise en œuvre et des résultats. Nous prenons donc cette recommandation au sérieux.
Mme Smylie : Un commentaire en ce qui concerne certaines données et ce que nous examinons pour déterminer le progrès accompli : pensons aux budgets fédéraux qui se sont succédé. En 2019, dans seulement 8 % des propositions on avait utilisé les résultats d’analyses comparatives entre les sexes plus pour concevoir des mesures d’adaptation et assurer un accès sans obstacle. Ce pourcentage est passé à 15 % dans le budget de 2021, et il est maintenant de 85 % dans le budget de 2022. Ce n’est pas parfait, mais vous pouvez voir que nous commençons à faire des progrès : plutôt que de mener l’ACS Plus pour ensuite la laisser de côté, on se sert des informations pour adapter les mesures.
La présidente : Merci. J’ai le temps de poser moi-même quelques questions, ce qui est rare. Je pense que l’une ou l’autre d’entre vous peut répondre.
Un certain nombre d’organisations de la société civile sont venues témoigner dans le cadre de notre étude. Nous avons entendu la Fondation canadienne des femmes, l’Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC, et l’organisme Elevate. On nous a dit qu’ils possèdent déjà une riche expertise en matière d’analyse de l’ACS Plus. Ces organismes affirment qu’ils sont en mesure de mener l’analyse et d’en utiliser les résultats pour éclairer la prise de décisions de leur propre institution.
Je me demande si Femmes et Égalité des genres Canada, ou FRGC, fait des efforts pour réunir la communauté de l’ACS Plus du gouvernement et celle de la société civile afin de faire progresser la connaissance, la compréhension et les idées plus profondément que dans les tours du gouvernement.
Mme Smylie : Peut-être devrais-je répondre à cette question. En un mot, la réponse est oui. Par exemple, lors de la conception des outils et des ressources pour l’ACS Plus, nous avons travaillé avec des gens comme Sarah Kaplan, qui nous a aidés à concevoir certaines compétences pour l’ACS Plus. Nous avons travaillé avec la Fondation canadienne des femmes et l’organisme Development Alternatives with Women for a New Era, ou DAWN, dont vous avez entendu parler, pour concevoir des outils pour l’ACS Plus. Services aux Autochtones Canada et le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord travaillent avec des organisations comme Pauktuutit et Les Femmes Michif Otipemisiwak pour élaborer des documents sur l’ACS Plus. Nous tirons parti de cette expertise. Nous comptons sur elle. Nous l’accueillons à bras ouverts.
Nous faisons venir des personnes de la société civile pour parler à notre réseau de champions de l’ACS Plus et à notre réseau de coordonnateurs de l’ACS Plus. Nous les invitons, nous travaillons avec eux et nous nous appuyons sur leur expertise. Elle est inestimable.
La présidente : Ces conversations sont-elles fortuites ou sont-elles structurées et institutionnalisées comme quelque chose que le gouvernement fait au moins sur une base annuelle? Nous avons beaucoup entendu parler de la capacité et du manque de capacité à faire l’ACS Plus. On nous a dit et répété qu’une communauté de praticiens de l’ACS Plus était souhaitable. Je voudrais savoir si c’est un hasard ou si vous mettez en place une structure et un cadre institutionnel autour de ces communications.
Mme Smylie : Nous tenons une réunion des champions tous les trimestres. Nous tenons des réunions mensuelles avec les coordonnateurs. Nous invitons régulièrement des experts à ces réunions. Selon moi, les choses sont aussi structurées qu’elles puissent l’être.
Nous n’avons pas de calendrier fixe pour inviter des experts, mais les ordres du jour sont établis bien à l’avance et nous réfléchissons aux besoins de la communauté de pratique que nous avons créée.
La présidente : Dans quelle mesure établissez-vous des liens avec le monde universitaire, car après tout, c’est lui qui développe une grande partie de la science et de l’expertise? Dans quelle mesure les universités développent-elles la science et l’enseignent-elles à leurs étudiants afin que nous puissions embaucher des personnes qui sont au fait de la science, de la méthodologie et des connaissances relatives à l’analyse ACS Plus?
Mme Smylie : Je pense que les universitaires sont les mieux placés pour parler de ce qu’ils enseignent dans leurs cours individuels. Je ne pourrais pas en parler.
La présidente : Non, dans quelle mesure êtes-vous connectés en tant qu’employeurs potentiels?
Mme Smylie : Absolument. Nous sommes en contact avec des universitaires. Par exemple, l’an dernier, nous avons accueilli trois stagiaires de l’Université Wilfred Laurier. Nous les avons fait venir et leur avons demandé d’effectuer une rotation par l’intermédiaire de l’ACS Plus dans le cadre de leur programme coopératif. Nous nous efforçons donc de renforcer les capacités de l’ACS Plus en début de carrière.
J’ai parlé de notre travail avec Sarah Kaplan pour identifier les compétences. Nous collaborons couramment avec des universitaires pour cerner les lacunes en matière de connaissances et de données et pour combler ces lacunes. Nous sommes régulièrement en contact, et la relation est mutuellement bénéfique. Nous formons leurs étudiants et ils nous aident à développer notre expertise également.
Mme McRae : En outre, nous avons parlé de la responsabilité de l’analyse et de l’évaluation de l’ACS Plus au sein de l’organisation responsable. Ces organisations collaborent avec des universitaires dans le cadre de leur travail. Je sais, par exemple, que vous avez reçu le Diversity Institute comme témoin. À l’époque où je travaillais au sein d’un autre ministère, nous avons collaboré étroitement avec le Diversity Institute sur le sujet des femmes entrepreneures, en mettant l’accent sur l’intersectionnalité et sur l’analyse, les données et le partage des connaissances.
Bien que nous, en tant que ministère, fassions appel à des universitaires, la formation et les attentes font que les ministères et les organismes responsables de politiques collaborent non seulement auprès d’universitaires spécialisés dans leur domaine, quel que soit le projet qu’ils mènent, mais aussi auprès de ceux qui sont touchés par les politiques et les programmes.
La sénatrice Pate : En plus d’une analyse ACS Plus, il est censé y avoir des analyses de la Charte dont l’intersection, généralement lorsqu’il est question de l’article 15, est extrêmement importante.
Selon mon expérience, qui est longue de 30 ou 40 ans — pas aussi longue que celle de la sénatrice McPhedran —, de plus en plus de résumés comme celui que nous avons obtenu du ministère de la Justice pour le projet de loi C-5, servent en fait à justifier ce que le gouvernement souhaite faire, plutôt qu’à montrer l’impact intersectionnel qu’aura le projet de loi ou la politique, et à indiquer si la mesure favorise réellement la Charte — et non pas si elle résistera à une contestation de la Charte, qui se produit dans 5 % des cas. Je me demande comment nous pouvons en arriver à ce stade — c’est-à-dire que les ministères font une analyse complète et précise de l’impact interactionnel, de l’impact en matière des droits de la Charte et qu’ils fournissent ensuite cette information aux parlementaires afin d’améliorer les projets de loi et les politiques — et ne pas laisser la situation telle qu’elle doit être contestée devant les tribunaux ou par la société civile.
Mme McRae : Je vous remercie de votre question sur la façon dont nous abordons l’analyse de l’ACS Plus en tant que fonctionnaires. Je pense qu’elle nous ramène à quelque chose dont nous avons parlé plus tôt, à savoir que nos préjugés ne doivent pas interférer avec la façon dont nous effectuons nos analyses. L’idée est que nous ne devrions pas être en train de proposer une idée et de chercher ensuite comment faire passer cette idée et cette politique, plutôt que de comprendre ce qui est nécessaire et de concevoir ensuite la politique ou le programme en fonction de cela. C’est une chose dont parle la vérificatrice générale dans son rapport. Pour nous, il s’agit vraiment de mener une analyse et une réflexion en amont, plutôt que de procéder à une évaluation après que les gens ont déjà une idée de ce qu’ils veulent faire.
Je suis convaincue que, lorsque nous réfléchissons à ce que nous voulons que les fonctionnaires fassent pour le Canada, et lorsque nous nous appuyons sur leurs valeurs et leur sens de l’éthique en matière de justice et de service à tous les Canadiens, une partie de notre formation et de notre insistance vise à ce qu’ils se penchent sur ces questions dès le début, et non une fois que l’on a convenu de ce qui devrait être fait.
La sénatrice Dasko : De mémoire, pouvez-vous nous parler d’exemples de réussites où l’ACS a bien intégré l’intersectionnalité? Y a-t-il une ou plusieurs études de cas que vous pourriez présenter comme modèles pour que les autres ministères sachent ce qu’est une excellente analyse qui est bien faite et qui a une incidence sur les politiques et les résultats? Il serait fort utile d’en entendre parler brièvement.
Mme Smylie : Dans le cadre de la formation sur l’ACS Plus, j’utilise un des exemples récents d’analyses qui ont été effectuées pendant la prise de mesures d’urgence visant la COVID-19. C’est souvent un « déclic » pour les participants. Ils comprennent de quoi je parle.
J’attire l’attention sur l’aide aux étudiants, sur les fonds d’urgence qui leur ont été accordés pendant la COVID-19. L’ACS Plus qui a été effectuée sur le sujet a conclu que les étudiants étaient effectivement touchés par la COVID-19. Ils ont perdu des emplois et des sources de revenus. Au lieu de créer une approche unique pour tous, la mesure a été adaptée aux étudiants ayant des personnes à charge, aux étudiants autochtones et aux étudiants handicapés, en tenant compte des expériences et des circonstances propres à chacun de ces groupes. J’utilise cet exemple que tout le monde peut comprendre à un niveau fondamental.
Mme McRae : J’ai un exemple en tête. Nous en avons parlé plus tôt avec la sénatrice McPhedran.
Alors que je faisais partie d’une autre organisation, j’ai été responsable de la mise au point du programme pour les femmes en entrepreneuriat. L’aspect intéressant dans ce travail, c’est que les gens avaient tendance à dire qu’une femme entrepreneure était une femme entrepreneure, mais nous avons rapidement établi — au moyen d’échanges avec des membres de la collectivité et des ressources comme les universitaires de l’Institut de la diversité — qu’une femme entrepreneure noire d’Halifax, une autre qui vit dans une réserve et une autre qui se trouve dans le Nord ont une expérience et des obstacles différents. Elles ont des défis différents de ceux d’une femme entrepreneure dont la langue maternelle n’est pas la langue officielle de la province où elle se trouve, par exemple. Je pourrais continuer longtemps.
Nous avons spécialement conçu le programme pour que les idées que nous allions financer viennent de la collectivité. Nous avons précisé que nous voulions entendre les points de vue des femmes entrepreneures handicapées pour qu’elles nous expliquent les obstacles particuliers qui se dressaient sur leur chemin et les solutions qu’elles proposaient.
Tout le programme a été conçu de façon à ce que les personnes devant surmonter les obstacles soient celles qui les cernent, qu’elles proposent les solutions et qu’elles mènent leur mise en application au moyen d’une proposition que nous allions financer.
Il est toujours révélateur que, lorsque les gens entendent « femme entrepreneure », ils pensent à un groupe uniforme. Il ne s’agit pourtant pas d’un seul groupe de personnes. C’est l’un de mes meilleurs exemples.
La présidente : Merci beaucoup d’avoir posé cette question. C’est bien d’entendre aussi les bonnes nouvelles. J’ai une dernière question, mais elle n’est pas aussi profonde que celle de la sénatrice Dasko. Ma question porte sur les liens évidents entre ce que vous faites et le travail du Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme. Après tout, la notion de race est un aspect important de l’ACS Plus. Je pense que vous voyez où je veux en venir.
Comment les deux ministères collaborent-ils? Pouvez-vous nous donner un autre exemple de réussite découlant de cette relation?
Mme McRae : Je vais laisser Mme Smylie parler des détails de notre relation avec le secrétariat.
Je vous dirai toutefois que j’ai de bonnes discussions avec mes homologues de Patrimoine canadien, au niveau des sous-ministres, notamment sur les stratégies de lutte contre le racisme et les façons pour nous de collaborer.
Nous pensons que l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, qu’elle porte ce nom ou un autre, vise fondamentalement l’équité, la justice et l’inclusion. Il est probable — et indiqué — que différents aspects de l’intersectionnalité prennent plus d’importance que d’autres selon les initiatives.
Vous avez parlé plus tôt, comme l’ont aussi fait certains témoins, de la question du sexe et de la place centrale qu’elle occupe dans l’outil qu’est l’analyse comparative entre les sexes, en vous demandant si le poids qui lui est accordé est approprié. Nous écoutons attentivement les parties prenantes et nous sommes ouverts aux recommandations du comité à ce sujet.
Nous sommes convaincus — et c’est mentionné dans la lettre de mandat de la ministre — que l’ACS Plus établit des liens avec d’autres caractéristiques. Dans la lettre de mandat de la ministre, il est indiqué que nous devons améliorer :
[...] le cadre et les paramètres de cet outil d’analyse, en portant une attention particulière à l’analyse intersectionnelle de diverses caractéristiques, parmi lesquelles l’ethnicité, l’identité autochtone, la ruralité, les handicaps et l’identité sexuelle.
La lettre de mandat nomme des ministres avec qui la ministre Ien doit travailler. Une fois qu’il est établi que des ministres doivent faire partie de la solution, les organisations collaborent étroitement avec les ministères et les organismes qu’ils chapeautent.
La présidente : Chers collègues, je promets que ce sera vraiment ma dernière question. Nous menons une autre étude, au Comité des droits de la personne, sur l’islamophobie. J’ai été stupéfaite d’apprendre, et c’est aussi le cas d’un grand nombre de mes collègues, que le degré d’islamophobie au pays est plus élevé que partout ailleurs dans le monde.
Je veux savoir si cet aspect — il n’est pas seulement question de la race et du sexe, mais aussi de la religion maintenant — est pris en compte et à quel degré ou s’il est complètement mis de côté. Devrait-il être inclus compte tenu du fait que l’islamophobie restreint les possibilités, notamment en matière d’emploi?
Mme Smylie : J’ai parlé des outils que nous avons publiés en juin 2021, du guide étape par étape et du recueil d’outils sur chacun des facteurs dont il faut tenir compte. Nous avons travaillé avec le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme de Patrimoine canadien ainsi que d’autres ministères pour mettre au point cet ensemble d’outils. En particulier, le secrétariat nous a aidés à créer l’outil sur la race, la racialisation et la religion dans le cadre de l’ACS Plus.
Les outils présentent des questions que les gens devraient se poser. Pour tenir compte de la religion, de la race et de la racialisation dans le cadre de l’ACS Plus, que doit-on se demander? À quels genres de questions doit-on trouver les réponses? Comment procède-t-on à cette analyse? Nous fournissons également des sources de données au sujet d’une partie de ces points.
Idéalement, c’est pris en compte. C’est inclus dans nos lignes directrices. Ces facteurs font partie de l’ACS Plus, et nous avons un ensemble d’outils pour aider les gens à en tenir compte et à faire une analyse complète.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris le temps de nous faire profiter de votre expertise et de votre sagesse pour nous aider à compléter l’information dont nous disposons pour faire cette étude. Je ne doute pas que vous attendez avec impatience notre rapport. Encore une fois, nous vous sommes très reconnaissants de votre aide.
(La séance se poursuit à huis clos.)