LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, les sciences et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je m’appelle Ratna Omidvar, sénatrice indépendante de l’Ontario et présidente de ce comité. Je vais demander à mes collègues autour de la table de se présenter avant que nous ne passions à nos témoins.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.
La présidente : Bienvenue, sénatrice, à ce comité. Nous espérons vous garder avec nous.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.
[Traduction]
La présidente : Nous accueillons également Clare Annett, notre analyste intérimaire de la Bibliothèque du Parlement. Clare est notre analyste pendant que Laura Blackmore prend un bref repos grandement mérité.
Chers collègues, le comité entreprend aujourd’hui son étude de la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Comme nous le savons tous, c’est un phénomène qui prend de l’ampleur. Le comité a décidé de mieux comprendre ses contours et son contexte afin que nous puissions faire des recommandations raisonnables au gouvernement du Canada.
Nous accueillons aujourd’hui un groupe de témoins exceptionnels : Kareem El-Assal, directeur des politiques, CanadaVisa.com; Naomi Alboim, chercheuse principale en politiques, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la migration et l’intégration, Université métropolitaine de Toronto; et Jenna L. Hennebry, cofondatrice, International Migration Research Centre, et professeure, École d’affaires internationales Balsillie, Université Wilfrid Laurier.
Merci beaucoup aux témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. J’invite maintenant les témoins à faire une déclaration préliminaire. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, et j’ai tendance à être assez ferme au sujet de ces cinq minutes. Ces cinq minutes seront suivies de questions de la part des membres du comité.
Madame Alboim, c’est vous qui allez commencer. La parole est à vous.
Naomi Alboim, chercheuse principale en politiques, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la migration et l’intégration, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs.
Mardi, le gouvernement a annoncé que les niveaux d’immigration allaient passer à 500 000 en 2025. C’est important parce que l’immigration représente 90 % de la croissance de la population active au Canada.
Mes observations d’aujourd’hui porteront sur les façons de trouver des solutions pratiques à ce que je considère comme un décalage systémique entre les programmes fédéraux d’immigration et l’évolution des besoins du marché du travail. Je commencerai par décrire brièvement quatre enjeux stratégiques interreliés, puis je proposerai sept recommandations pratiques qui peuvent aider à renforcer la résilience et la souplesse du système d’immigration canadien.
Le premier problème, c’est que le Canada dépend de plus en plus des travailleurs temporaires pour répondre aux besoins du marché du travail. En 2021, le Canada a admis plus de deux fois plus d’immigrants temporaires que d’immigrants permanents. Nous comptons beaucoup sur les travailleurs temporaires pour des emplois essentiels dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la santé, des soins, du transport et de la construction. Les projections du marché du travail jusqu’en 2028 indiquent que le tiers des emplois vacants par année seront dans des secteurs employant une main-d’œuvre peu qualifiée comme l’hôtellerie, le tourisme et le commerce de détail, qui recourent habituellement à des travailleurs temporaires pour répondre aux besoins courants.
Au cours du deuxième trimestre de cette année, les employeurs ont reçu l’autorisation d’embaucher plus du double de travailleurs étrangers temporaires par année depuis au moins 2017. Cela a coïncidé avec l’élargissement de l’accès au volet des travailleurs étrangers temporaires à bas salaire. Les économistes soutiennent que cette nouvelle politique décourage la hausse des salaires, l’amélioration des conditions de travail et l’investissement dans la technologie et la formation pour stimuler la productivité. Cela met également plus de travailleurs temporaires à risque d’être exploités.
Le deuxième problème, c’est que le Canada n’a pas de plan global pour l’admission des nouveaux arrivants temporaires ou pour leur transition vers la résidence permanente, malgré le fait que de plus en plus de gens vivent déjà au Canada avec un statut temporaire lorsqu’ils deviennent permanents.
Le plan d’immigration pluriannuel ne vise que les résidents permanents. Il n’y a pas de cibles pour les travailleurs qui entrent dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou du Programme de mobilité internationale, ou encore comme étudiants étrangers. Il n’y a pas de cibles ni de stratégies précises pour leur transition vers la résidence permanente. Il n’y a pas de programmes ou de mesures de soutien pour leur permettre de réussir leur transition vers la résidence permanente.
Troisièmement, les programmes fédéraux d’immigration économique pour la résidence permanente ne répondent pas à l’évolution du marché du travail et des besoins des régions en travailleurs essentiels et peu qualifiés.
L’admissibilité au bassin d’Entrée express exige un capital humain élevé, sur le plan de la langue, de l’éducation et de l’expérience de travail dans des postes de gestion, des professions libérales et d’autres professions spécialisées. Cela exclut de nombreuses professions essentielles peu spécialisées, où une grande partie de la demande de main-d’œuvre existe actuellement et se poursuivra à l’avenir. Pourtant, de nombreux immigrants sélectionnés pour leurs compétences professionnelles finissent par être sous-employés en raison d’un manque de reconnaissance de leurs qualifications.
Quatrièmement, le gouvernement fédéral a adopté une série de mesures provisoires pour mieux répondre aux besoins du marché du travail. Toutefois, cela a ajouté de la confusion et de la complexité à un système déjà complexe : des petits projets pilotes d’une durée limitée pour des secteurs et des régions précis; des politiques publiques temporaires ponctuelles pour les travailleurs de la construction sans statut et les demandeurs d’asile qui ont travaillé dans le secteur de la santé pendant la pandémie de COVID-19; un programme d’une durée limitée pour les travailleurs temporaires dans les professions essentielles afin qu’ils puissent faire la transition vers la résidence permanente; des dispositions temporaires pour élargir l’accès et faciliter l’embauche de travailleurs temporaires à bas salaire; et un projet pilote pour retirer la limite hebdomadaire de 20 heures de travail pour les étudiants étrangers pendant leurs études.
Madame la présidente, j’ai terminé cette partie. J’ai maintenant des recommandations, mais je suis prête à les garder pour la discussion si j’ai déjà épuisé le temps alloué.
La présidente : Merci, madame Alboim. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous arriverons à vos recommandations lorsque nous poserons nos questions parce que nous voulons les entendre.
Monsieur El-Assal, merci d’être ici. Vos cinq minutes, s’il vous plaît.
Kareem El-Assal, directeur des politiques, CanadaVisa.com, à titre personnel : J’aimerais commencer par dire que Mme Alboim et moi-même semblons avoir rédigé le même exposé. Vous verrez, je pense, que mes observations complètent les siennes.
Malgré le nombre record de résidents permanents et temporaires accueillis, le Canada continue d’avoir de la difficulté à combler les pénuries de travailleurs dans des secteurs essentiels de notre économie.
L’un des problèmes, c’est que nos programmes de résidence permanente de la catégorie de l’immigration économique s’adressent aux candidats qui entrent dans la Classification nationale des professions — ou CNP — et qui sont donc considérés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux comme des immigrants hautement qualifiés. Cependant, comme la pandémie l’a souligné, nous avons d’importantes pénuries de travailleurs dans tous les secteurs de l’économie et dans des emplois que nos gouvernements qualifient de peu spécialisés. Ce sont des emplois qu’ils définissent comme relevant des cotes de compétence C et D de la CNP.
Ce qui est tout à leur honneur, c’est que les deux ordres de gouvernement ont créé plus de voies d’immigration pour les travailleurs peu qualifiés au cours des dernières années.
Cependant, ils continuent tous les deux d’accorder la priorité à la sélection des immigrants hautement qualifiés. Prenons l’exemple du gouvernement fédéral. Si vous examinez le Plan des niveaux d’immigration publié mardi, plus de 80 % des immigrants de la nouvelle catégorie économique qui seront sélectionnés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, seront des candidats hautement qualifiés. Au cours des dernières années, IRCC a lancé des projets pilotes, notamment pour les aides familiaux et le secteur agroalimentaire, mais le plafond pour chaque projet pilote n’est que de 2 750 nouvelles demandes chaque année. En fait, nous savons que ces plafonds sont beaucoup trop bas pour remédier aux pénuries de travailleurs essentiels.
Prenons le secteur agroalimentaire. Bien que ce secteur représente environ 60 % des nouvelles arrivées au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, IRCC n’a alloué que 1 % des admissions totales au titre de la catégorie économique au Canada au projet pilote sur l’agroalimentaire.
Les calculs ne tiennent tout simplement pas la route.
Voici quelques recommandations sur la façon dont notre système d’immigration peut mieux répondre à la pénurie de travailleurs essentiels aux niveaux C et D de la CNP.
Premièrement, nous n’avons pas besoin de réinventer la roue en ce qui concerne la définition de « travailleurs essentiels ». Au début de la pandémie, Sécurité publique Canada a classé certains travailleurs comme étant essentiels pour préserver la vie, la santé et le fonctionnement social de base. De plus, en mai 2021, IRCC a adopté une politique publique spéciale pour permettre à un maximum de 90 000 travailleurs essentiels et diplômés internationaux de présenter une demande de résidence permanente. La politique s’appliquait à 40 professions de la santé et à 95 emplois définis comme essentiels par IRCC, notamment des emplois dans divers secteurs, comme l’agroalimentaire, le transport, le commerce de détail et la construction. Ces définitions, ainsi que les données de Statistique Canada sur la population active et les données réelles du Programme des travailleurs étrangers temporaires, sont suffisantes pour nous aider à mieux définir les professions essentielles de type C et D de la CNP que nous devrions cibler au moyen de nos programmes d’immigration.
Deuxièmement, nous devrions utiliser une approche fondée sur des données probantes pour déterminer le nombre de travailleurs essentiels auxquels nous offrirons la résidence permanente dans le cadre des programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux chaque année. Cet exercice devrait s’appuyer sur une analyse économique et des données sur la population active pour déterminer la cible, et il devrait comprendre des révisions annuelles fondées sur les conditions sur le terrain.
Troisièmement, le gouvernement fédéral peut augmenter les allocations aux provinces et aux territoires dans le cadre du Programme des candidats des provinces, à condition qu’ils les utilisent pour les travailleurs essentiels des niveaux C et D de la CNP. C’est quelque chose qu’IRCC a déjà fait avec les provinces, quoique à très petite échelle.
Quatrièmement, IRCC devrait mettre en place un programme fédéral permanent des travailleurs essentiels. L’avantage d’un nouveau programme, c’est qu’il créerait plus de voies d’accès à la résidence permanente pour les candidats qui ne sont actuellement pas admissibles à Entrée express et à d’autres voies d’accès pour les travailleurs hautement qualifiés. Le programme pourrait comprendre des caractéristiques comme un système de points dont la pondération serait déterminée par l’analyse longitudinale de Statistique Canada et les caractéristiques du capital humain qui prédisent le mieux les résultats économiques des immigrants. IRCC pourrait lancer des rondes d’invitation mensuelles, avec des admissions en continu, afin de donner aux candidats une chance équitable d’entrer. Cela permettrait également à IRCC de n’inviter que les personnes ayant obtenu les meilleurs résultats.
Avant de conclure, je voudrais rappeler que l’un de nos défis précédents était que nos niveaux d’immigration atteignaient la moitié des niveaux prévus d’ici 2025. Auparavant, nous n’avions pas une grande marge de manœuvre. Maintenant, nous en avons une. Comme le Canada devrait accueillir 300 000 immigrants de la catégorie économique d’ici 2025, nous avons certainement la souplesse nécessaire pour allouer plus de places de résidence permanente aux travailleurs essentiels moins qualifiés. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur El-Assal.
Madame Hennebry, vous avez la parole.
Jenna L. Hennebry, cofondatrice, International Migration Research Centre; professeure, École d’affaires internationales Balsillie, Université Wilfrid Laurier, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invitée.
Premièrement, je vais commencer par mentionner trois choses dont nous avons absolument besoin. Nous avons besoin de voies directes vers la résidence permanente pour les travailleurs migrants temporaires qui sont déjà au pays; nous avons besoin de voies directes vers la résidence permanente pour ceux qui sont à l’extérieur du pays et nous devons mettre fin à l’utilisation de permis de travail fermés.
Je vais parler de deux ou trois choses que j’aimerais souligner au sujet des tendances. Les autres témoins nous ont déjà dit que les chiffres augmentent. Ce n’est pas nouveau; les chiffres augmentent depuis plus d’une décennie. En fait, depuis 2013, les entrées de migrants temporaires ont dépassé celles des résidents permanents. Nous savons également que même si nous avons accueilli, en 2021, un nombre record d’immigrants permanents, qui se rapproche du nombre de migrants temporaires qui travaillent au Canada, nous sommes toujours confrontés à une réalité où, selon les données sur l’effectif au 31 décembre des migrants temporaires qui travaillaient au Canada en 2021, si l’on inclut le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, ou PTAS, on parle de plus de 550 000 travailleurs qui n’ont pas été comptés et qui travaillaient dans l’agriculture pendant l’été.
Ce sont donc de très gros chiffres.
Nous constatons que la demande des employeurs guide ce programme. Ce n’est pas nouveau non plus. En fait, nous voyons que la demande des employeurs en est de plus en plus le moteur. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme de mobilité internationale, ou PMI, sont en grande partie guidés par les employeurs. Nous constatons également que l’accès aux travailleurs à bas salaire s’est élargi suite aux changements qui ont été mis en œuvre récemment, en avril, et qui ont permis une croissance de 20 % du volet à bas salaire du Programme des travailleurs temporaires.
De plus, sept industries — l’agriculture, les services alimentaires et le secteur des soins, par exemple — comptent jusqu’à 30 % de travailleurs étrangers temporaires.
Nous constatons que les employeurs modifient les modèles de production, cherchent des solutions de main-d’œuvre plus souples et juste-à-temps plutôt que d’investir dans la formation et le perfectionnement des compétences, et modifient les conditions de travail et les salaires afin d’attirer et de retenir des travailleurs résidents. La réalité, c’est que beaucoup de travailleurs migrants temporaires, que ce soit dans le cadre du PMI, du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou des permis de travail pour les étudiants étrangers, font face à des risques accrus de violation des droits de la personne et des droits du travail, ainsi qu’à des risques pour la santé physique et mentale attribuables aux séparations familiales, ainsi qu’à des obstacles à l’accès aux soins de santé. Par exemple, l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive pour les femmes migrantes temporaires est particulièrement difficile.
Les risques ne sont pas les mêmes d’une catégorie à l’autre. Nous avons vu des secteurs de l’économie qui sont moins protégés par le droit à la négociation collective. Par exemple, les travailleurs agricoles et les aides familiaux font face à des risques accrus, à des difficultés liées à la protection des droits des travailleurs, à l’accès à la justice, et bon nombre d’entre eux risquent de perdre leur statut parce qu’ils n’ont pas de voie d’accès à un autre emploi ou à la résidence permanente.
C’est particulièrement problématique pour ceux qui ont des permis de travail fermés ou liés. Il s’agit de situations plus précaires où la vulnérabilité aux abus et à l’exploitation, y compris la traite de personnes, est accrue. C’est pourquoi le gouvernement fédéral a mis en œuvre le permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, reconnaissant que les permis liés favorisent les employeurs et peuvent mettre les travailleurs migrants dans des situations de vulnérabilité. C’est pourquoi le Conseil canadien pour les réfugiés, par exemple, vient de lancer une campagne contre les permis de travail fermés.
Ce n’est pas nouveau non plus. Nous avons vu de nombreux rapports du vérificateur général et d’autres. En fait, les délibérations du Sénat ont soulevé les problèmes que pose le Programme des travailleurs étrangers temporaires depuis des décennies. La plupart de ces problèmes sont aussi contraires au droit international et à des cadres normatifs comme l’AECG, auquel le Canada est partie.
Pour ce qui est de la prestation de services et de l’accès aux services au niveau communautaire, il est vraiment difficile pour les collectivités de réagir. Nous l’avons vu avec les Ukrainiens, par exemple, qui ont reçu des permis de travail temporaires, mais qui n’ont pas le même niveau d’accès aux services et aux aides à l’établissement que les réfugiés et les résidents permanents. Nous avons donc créé une situation où de plus en plus de migrants temporaires arrivent dans les collectivités sans le soutien dont ils ont besoin pour avoir accès aux services et protéger leurs droits.
Nous essayons également de suivre une trajectoire de migration en deux étapes.
La présidente : Nous nous pencherons peut-être sur le processus en deux étapes pendant la période de questions.
Mme Hennebry : Bien sûr. Je vais m’arrêter là.
La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Honorables sénateurs, veuillez indiquer si votre question s’adresse à un, deux, ou à tous les témoins. Les sénateurs auront quatre minutes pour poser leur question, ce qui comprend la réponse des témoins. Avant de poser des questions, j’aimerais demander aux sénateurs de ne pas se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette. Cela permettra d’éviter tout retour de son qui pourrait avoir une incidence négative sur le personnel du comité dans la salle.
Je vais exercer ma prérogative de présidente et donner mes quatre minutes à Mme Alboim pour qu’elle énonce ses sept recommandations.
Mme Alboim : Merci beaucoup. Les quatre premières recommandations visent à renforcer Entrée express afin de mieux répondre aux besoins du marché du travail.
Premièrement : créer des voies d’accès à la résidence permanente au sein d’Entrée express pour les demandeurs peu qualifiés qui ont de l’expérience dans des professions essentielles ou à forte demande, que ce soit au Canada ou à l’étranger. Cela pourrait se faire en élargissant les critères de sélection pour entrer dans le bassin d’Entrée express afin d’inclure ceux qui travaillent dans des professions à forte demande et peu spécialisées.
Deuxièmement : utiliser le nouveau pouvoir ministériel récemment conféré par le projet de loi C-19 pour permettre de puiser dans le bassin d’Entrée express en fonction des professions et des régions essentielles ou à forte demande. Cela se ferait en consultation avec les provinces, les territoires, les employeurs, d’autres ministères, les fournisseurs d’information sur le marché du travail et d’autres intervenants afin de déterminer les chiffres, les catégories à établir et la fréquence des rondes d’invitation de façon transparente.
Troisièmement : utiliser les rondes d’invitation autant que possible pour l’entrée initiale, en tant que résident permanent, arrivant de l’étranger accompagné de membres de sa famille, et admissible à tous les soutiens et services.
Quatrièmement : accélérer le traitement des demandes afin d’y répondre rapidement au lieu que les employeurs aient à embaucher des travailleurs temporaires pour combler rapidement leurs besoins du marché du travail.
Les trois autres très brèves recommandations tiennent compte du fait que certains travailleurs arriveront encore comme travailleurs temporaires.
Cinquièmement : inclure des cibles pour les travailleurs temporaires, les étudiants étrangers et les demandeurs d’asile dans des plans pluriannuels des niveaux d’immigration afin que la planification des services, de l’infrastructure, de la surveillance, des inspections et de la transition vers la résidence permanente puisse être effectuée pour les personnes admissibles.
Sixièmement : fournir des services d’établissement et de formation linguistique ciblés et de véritables protections de la main-d’œuvre aux nouveaux arrivants temporaires et aux membres de leur famille qui les accompagnent.
Enfin, pour les personnes admissibles en vertu des critères élargis d’Entrée express, assurer des voies d’accès transparentes à la résidence permanente. Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Alboim, et merci à tous nos témoins. Si vous avez vos mémoires par écrit, nous aimerions les recevoir. Si vous les avez dans les deux langues officielles, cela nous facilitera beaucoup la tâche. Veuillez nous les envoyer.
Nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues.
La sénatrice Bovey : Je remercie tous les témoins. Vous nous avez donné beaucoup d’information, et j’ai deux questions.
Monsieur El-Assal, j’ai lu votre rapport de mai 2018 intitulé Canada 2040 : No Immigration Versus More Immigration, et je me demande si vous pourriez — en quelques minutes seulement — nous dire en quoi le nouvel objectif de 500 000 immigrants arrivant au Canada pourrait modifier les conclusions que vous avez tirées dans cet article. Dans le même ordre d’idées, j’aimerais savoir si vous pensez que nous sommes en concurrence avec d’autres pays de l’OCDE. Je reviens tout juste du Royaume-Uni, où le Brexit a entraîné une importante pénurie de main-d’œuvre qualifiée, et je me demande où nous en sommes dans cette situation mondiale. J’aurai ensuite une question pour Mme Alboim.
M. El-Assal : Mes conclusions sont les mêmes après l’annonce de mardi. Ce que nous disons dans le rapport de 2018, c’est que, compte tenu du vieillissement de la population et du faible taux de natalité au Canada, nous devrons faire passer le taux d’immigration à environ 1 % par année.
Après l’annonce de mardi, le gouvernement va le hausser de façon plus énergique, et le taux sera de 1,3 % d’ici 2025. Nous avons absolument besoin de niveaux d’immigration plus élevés, mais je vous dirais, sénatrice, que nous devrions maintenant nous concentrer sur la façon de préparer ces nouveaux arrivants à s’établir et à s’intégrer le plus efficacement possible. Je ne pense plus que ce soit une question de chiffres. Nous avons atteint le critère quantitatif. Maintenant, c’est davantage une question qualitative.
Pouvez-vous me rappeler votre deuxième question, s’il vous plaît?
La sénatrice Bovey : La concurrence internationale pour les travailleurs immigrants qui découle certainement de ce qui se passe avec le Brexit au Royaume-Uni.
M. El-Assal : Je vous remercie de cette question, sénatrice. World Education Services, un organisme sans but lucratif au Canada, a mené un certain nombre de sondages auprès de résidents permanents éventuels au Canada tout au long de la pandémie. Je crois qu’il a fait trois sondages au total. Et ces nouveaux arrivants potentiels continuent d’indiquer qu’ils ont les yeux rivés sur le Canada. Oui, il est vrai qu’ils envisagent d’autres options, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis, mais ils tiennent toujours à venir ici.
Néanmoins, je dirais que nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Nous devons continuer à trouver des moyens de demeurer concurrentiels. Nous devons également reconnaître que la pandémie a quelque peu érodé notre position concurrentielle, et cela est démontré par le fait que nos arriérés et délais de traitement ont augmenté considérablement et qu’ils continuent de demeurer élevés.
Nous avons un excellent système d’immigration. Nous devrions en être fiers. C’est l’un des meilleurs au monde. Cela ne fait aucun doute. Mais en même temps, nous devons continuer à trouver des façons de gérer notre système d’immigration le plus efficacement possible afin de pouvoir attirer le plus rapidement possible des talents étrangers.
La sénatrice Bovey : Merci. Madame Alboim, j’ai trouvé intéressant votre article selon lequel « il faut en faire plus pour aider les travailleurs peu qualifiés à obtenir la résidence permanente », mais vous avez aussi parlé de certaines personnes qui ont une formation professionnelle et qui n’obtiennent pas les permis nécessaires pour travailler au Canada, et je suppose qu’il s’agit principalement de médecins et d’ingénieurs. Je me demande si vous pouvez nous dire rapidement si vous considérez cela comme un obstacle important.
La présidente : C’est une question à un million de dollars. Votre temps est écoulé. Nous avons besoin d’un million d’heures, je crois, et Mme Alboim accepterait de répondre à cette question, mais nous y reviendrons si nous en avons le temps.
Le sénateur Patterson : Merci. Je vais peut-être poser cette question d’actualité à la sénatrice Bovey. Est-ce que Mme Alboim pourrait nous parler des obstacles que la question de la qualification représente pour les professionnels?
Mme Alboim : Je vous remercie de la question. C’est un enjeu sur lequel moi-même et de nombreuses autres personnes travaillons depuis des décennies. Il y a eu un peu de progrès dans certaines professions et, dans certains cas, beaucoup de progrès. Dans d’autres cas, les progrès ne sont pas suffisants. Il y a de nombreuses raisons à cela.
Ce qui est assez déconcertant, cependant, c’est que même lorsque les organismes de réglementation qui ont la responsabilité désignée d’évaluer les titres de compétence que les gens ont obtenus à l’étranger, même lorsqu’ils trouvent qu’ils sont équivalents aux qualifications canadiennes — ou lorsqu’après une petite mise à niveau ou une transition ils sont jugés équivalents —, ces personnes ont encore beaucoup de difficulté à trouver un emploi. Le problème se pose encore, dans certains cas, chez les employeurs qui ne font pas confiance aux compétences des gens qui ont fait leurs études à l’étranger.
La pandémie de COVID-19 a évidemment créé une crise dans le domaine des soins de santé, mais aussi une réelle opportunité. Il y a eu quelques avancées à cet égard, en particulier dans la profession infirmière et, dans certains cas, dans la profession médicale, pour permettre à un plus grand nombre de personnes d’exercer leur profession sous supervision ou avec des permis limités ou temporaires sur la voie de la pleine reconnaissance. Il y a donc eu des progrès, mais pas assez.
Nous continuons de constater que même ceux qui ont des titres de compétence reconnus sont sous-employés au lieu d’être en mesure d’utiliser pleinement leurs qualifications non seulement à leur avantage, mais à notre avantage à tous.
Le sénateur Patterson : Madame Alboim, vous nous avez présenté sept recommandations très claires. Vous y avez probablement réfléchi à fond, mais quel est le mécanisme pour créer ces nouvelles voies et utiliser le pouvoir ministériel et les rondes d’invitation? Cela peut-il se faire sans modification législative? Est-ce quelque chose que notre comité peut faire en recommandant des changements aux politiques ou peut-être aux règlements? Ce sont des questions urgentes. Je pense que nous voudrons peut-être recommander des changements.
Mme Alboim : Oui, bon nombre des recommandations que je formule peuvent être mises en œuvre sans modification législative.
L’un des aspects de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, c’est qu’il s’agit d’une loi-cadre qui prévoit des règlements et des instructions ministérielles. Les instructions ministérielles peuvent, en fait, apporter des changements importants, comme nous l’avons vu avec le projet de loi C-19, ce qui donne encore plus de possibilités au ministre d’apporter des modifications.
Le changement le plus important, à mon avis, serait de modifier les critères d’admissibilité pour entrer dans le bassin d’Entrée express. Une fois que les gens seraient dans ce bassin, les instructions ministérielles permettraient d’inviter les personnes possédant les compétences recherchées, y compris les travailleurs moins qualifiés. Si le système Entrée express ne s’applique qu’aux emplois 0, A et B, c’est-à-dire aux postes de gestion, de professionnels et de travailleurs qualifiés, il ne sera guère utile.
La présidente : Merci, madame Alboim. Nous devons passer à la sénatrice McPhedran.
La sénatrice McPhedran : Merci à chacun de nos témoins. C’est un plaisir de vous revoir, madame Alboim. Cela fait un certain nombre d’années. J’ai une question pour vous tous qui va au-delà de certaines des questions plus détaillées qui ont été soulevées ici aujourd’hui.
Je vais situer ma question dans le contexte de mon expérience personnelle, que partagent plusieurs autres sénateurs qui ont travaillé avec diligence pour faciliter l’accès au Canada des Afghans dispersés dans de nombreux pays, qui sont arrivés à mi-chemin de notre processus, mais que nous ne voyons pas encore ici.
Avant de poser ma question, je tiens à dire que je suis reconnaissante et admirative du dévouement de nombreux employés d’IRCC. Quoi qu’il en soit, je dois vous poser la question suivante : ma conclusion provisoire, après avoir travaillé au cours de la dernière année sur ce genre de cas, où nous avons des gens prêts à venir immédiatement au Canada, en mettant cela dans le contexte de l’objectif de 500 000, qui constitue, je pense, un excellent pas en avant pour notre pays en général, est que la capacité de traiter les dossiers et de régler les problèmes qui sont inévitables dans ce genre de traitement complexe des êtres humains représente un énorme défi.
Nous constatons des retards importants. Les facteurs de risque importants augmentent avec le temps.
Puis-je vous demander de nous parler des principaux changements qui devront être apportés aux politiques de gestion et aux approches pratiques en matière d’emploi dans les organismes et les ministères canadiens? Ma question porte précisément sur les mécanismes internes des ministères chargés d’apporter ces changements.
La présidente : Chers collègues, vous avez moins de 40 secondes pour répondre à cette question. Je vais d’abord donner la parole à Mme Hennebry.
Mme Hennebry : Quarante secondes? Je pense que ce que Mme Alboim a décrit est faisable. Je crois que cela peut se faire non pas par l’entremise de la LIPR, mais par l’entremise des recommandations, et que cela peut se faire grâce à un changement de politique.
Nous nous engageons sur une pente glissante lorsque nous commençons à essayer de transformer les processus de détermination du statut de réfugié en processus de migration, alors je ferais une mise en garde à ce sujet. Je préconiserais plutôt de travailler avec les processus de réinstallation des réfugiés pour accroître le nombre de réfugiés et les services qui doivent être fournis afin de permettre une transition plus rapide.
M. El-Assal : Mme Alboim sera peut-être mieux placée que moi pour en parler.
La présidente : Merci.
Mme Alboim : Si vous me le permettez, sénatrice, je vous remercie de votre question.
Il ne fait aucun doute que la situation en Afghanistan est très complexe et pleine de difficultés, mais il y a des choses qui peuvent être faites et qui ne le sont pas. Il s’agit d’utiliser d’autres voies.
Nous pouvons faire venir de nombreux Afghans comme étudiants étrangers, par exemple. Les universités font la queue avec de l’argent pour aider les étudiants afghans à venir au pays, mais il y a une règle qui dit que les étudiants doivent être prêts à rentrer chez eux à la fin de leur visa d’étudiant. Vous éliminez cela, et les universités pourraient faire venir non seulement des étudiants, mais aussi des gens pour enseigner à l’université. Nous savons que beaucoup de femmes afghanes, étudiantes et chargées de cours, par exemple, sont maintenant déplacées.
La présidente : Merci, madame Alboim. Je m’excuse, chers collègues, mais quatre minutes, c’est équitable pour tout le monde.
Le sénateur Kutcher : Je remercie nos témoins de leur présence.
C’est une série de questions connexes auxquelles n’importe qui peut répondre. Je mettrai l’accent sur les travailleurs de la santé essentiels dont on a besoin pour répondre au vieillissement de la population, en particulier les préposés aux services de soutien à la personne et les préposés aux soins personnels. Je tiens à mentionner qu’il s’agit de travailleurs moins qualifiés, et non pas peu qualifiés. Cela fait une grande différence.
Est-ce que de grandes organisations commerciales comme Revera présentent une demande pour faire venir ces personnes? Qu’en est-il d’une famille dont un aîné souhaite vieillir chez lui? Notre plus grand besoin au Canada est la possibilité de vieillir chez soi. Quelles sont les voies d’accès à la certification? Il n’y a pas de permis d’exercice pour les préposés aux services personnels; il y a des programmes de certification. Est-ce que les gens qui viennent ici à titre de préposés aux soins personnels ou de préposés aux services de soutien à la personne obtiennent de l’aide pour obtenir leur certification canadienne dans ce domaine?
Quelles sont les voies d’accès à la résidence permanente, y compris les services d’établissement, pour ceux qui arrivent dans le cadre de ce genre d’approche?
La présidente : Qui aimerait répondre à cette question en premier?
M. El-Assal : Je peux commencer. Je vous remercie, sénateur, de votre question. C’est un énorme problème qu’il faut régler le plus tôt possible.
Au cours de la dernière décennie, le nombre d’aides familiaux au Canada a diminué de plus de la moitié pour ce qui est du nombre de résidents permanents, même si notre société a rapidement vieilli au cours de la même période.
Malheureusement, à l’heure actuelle, nous n’avons que deux programmes pilotes fédéraux en place, avec un maximum de 2 750 places chacun. Comme nous avons un grand besoin de ces travailleurs dans notre économie pour soutenir les enfants et les familles, les plafonds pour les deux programmes sont rapidement atteints, dans un délai de 30 jours. Les programmes sont ouverts chaque année en janvier et, à la fin du mois, ils sont plafonnés, et les candidats ne peuvent plus présenter de demande.
Un autre problème important, c’est que, par le passé, le Programme des travailleurs étrangers temporaires était offert aux Canadiens qui présentaient des demandes pour faire venir des aides familiaux temporaires. Comme le Canada accueillait un plus grand nombre d’aides familiaux à titre de résidents permanents, bon nombre de ces travailleurs étrangers temporaires passaient par le programme géré par IRCC. Comme je viens de le dire, ce n’est plus le cas.
De plus, il ne faut pas oublier que le Programme des travailleurs étrangers temporaires est très onéreux. C’est cher. C’est 1 000 $ par demande. Les taux d’approbation sont aléatoires. Lorsque les familles présentent une demande, elles prennent un risque énorme.
La dernière chose que je tiens à souligner, c’est que le délai de traitement est très long.
Ce sont des choses que nous devons corriger.
Le sénateur Kutcher : Je pose la même question aux autres invités. Puis-je faire une observation? Peut-être devrions-nous consacrer un peu d’attention à cette question dans notre rapport. C’est l’un des plus grands problèmes que nous ayons aujourd’hui dans le domaine de la santé.
La présidente : Nous entendrons les aides familiaux lors des prochaines réunions.
Madame Hennebry?
Mme Hennebry : Les obstacles à l’accès à la résidence permanente restent élevés pour ce groupe. Comme l’a souligné ma collègue, le nombre de places qu’offrent les voies existantes a diminué. Les particuliers doivent souvent passer par des recruteurs tiers pour avoir accès à des employés de soutien à la personne. En ajoutant une autre dimension, nous avons, en fait, créé un plus grand potentiel d’exploitation, d’abus et de mauvaise utilisation du programme dans ce contexte également. Il faut faire davantage pour régler ce problème.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à nos deux témoins et concerne les situations d’exploitation.
Je suis du Québec et cela a été documenté durant la COVID, entre autres, pour certains travailleurs agricoles saisonniers. Ma question sera assez pointue. Je vais prendre l’exemple du logement. On parle souvent du type de logement, d’un logement digne et salubre, de la quantité de personnes qui sont dans cet espace habitable et de mauvaises conditions. Je me demande comment on peut régler ce genre de situation. Est-ce que cela prend de nouveaux règlements, des obligations, des standards, plus d’inspections? Que fait-on pour améliorer la situation? Quelles seraient les solutions?
J’aimerais avoir une réponse de nos deux témoins, si le temps le permet. Je n’ai pas de préférence quant à la première personne qui répondra.
[Traduction]
M. El-Assal : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Je tiens à souligner que des règlements rigoureux sont en place. Ces employeurs peuvent se voir imposer des amendes et des pénalités, comme l’interdiction de recourir au Programme des travailleurs étrangers temporaires s’ils en abusent. C’est un des éléments.
L’autre aspect sur lequel le Canada cherche à se pencher davantage, mais que nous pouvons évidemment améliorer, c’est l’éducation des travailleurs étrangers qui arrivent et l’offre de véritables protections.
Il y a longtemps que les travailleurs sont terrifiés parce que leurs permis de travail sont liés à l’employeur. S’ils portent plainte contre leur employeur au gouvernement, ils perdront leur emploi, et s’ils perdent leur emploi, ils ne pourront plus rester au Canada.
Nous devons faire preuve de bon sens et veiller à ce qu’ils soient protégés sur ce front, c’est-à-dire qu’ils puissent porter plainte et ensuite changer d’employeur, peut-être dans le même secteur ou dans un autre. Cela leur donne la possibilité d’éviter ces situations d’exploitation ou d’en sortir.
Mme Hennebry : Même si, sur papier, nous avons des mécanismes de réglementation, ils sont en grande partie fondés sur l’observation volontaire. Ils reposent sur un système fondé sur les plaintes, dans la plupart des cas, où les travailleurs doivent eux-mêmes se plaindre ou défendre leurs droits. Il est très difficile pour les travailleurs de le faire à cause du déséquilibre de pouvoir employeur-employé, qui a été bien démontré.
Bien qu’il y ait eu certains mécanismes de conformité, comme la publication du nom des employeurs qui n’ont pas respecté les règles en matière de logement lorsqu’ils ont présenté une demande dans le cadre du processus d’évaluation de l’impact sur le marché du travail, ou EIMT, il s’agit de petits nombres. Je viens de jeter un coup d’œil aux données les plus récentes pour 2022, et je crois que nous n’en avons qu’un seul pour le premier trimestre. Ces chiffres sont très faibles. Cela ne fonctionne pas nécessairement comme un mécanisme de conformité réglementaire, en particulier en ce qui concerne le logement. C’est pourquoi le Programme des travailleurs étrangers temporaires a récemment fait l’objet d’un examen en ce qui concerne le logement.
De nombreux organismes ont fait valoir que le système actuel ne permet pas aux travailleurs d’avoir un logement sûr. C’est très variable. Cela varie d’une région à l’autre. Il est très difficile pour les travailleurs d’avoir accès à un logement sûr.
Les précisions qui ont été données dans la norme de logement qui a été publiée récemment sont insuffisantes pour améliorer le logement en général pour les travailleurs migrants, particulièrement en agriculture.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma première question s’adressera à M. El-Assal. Lorsqu’on parle de délais et qu’on parle de l’Entrée express, quelle est la différence de délai entre la voie expresse et la voie dite normale pour les travailleurs temporaires?
[Traduction]
M. El-Assal : Pour Entrée express, la norme de traitement est de six mois ou moins. C’est le plus rapide de tous les programmes de résidence permanente de la catégorie économique. Habituellement, pour tous les autres programmes, le temps de traitement — le temps de traitement réel, et non la norme — est d’environ 24 mois, voire plus.
En ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires, cela dépend du programme dans le cadre duquel ils présentent une demande, ainsi que du pays source. Pour les pays d’où le gouvernement canadien reçoit beaucoup de demandes, le délai de traitement a tendance à être plus long. Par exemple, les demandes récentes de permis de travail en provenance de l’Inde ont pris environ un an ou plus.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci. Je suis contente que vous ayez abordé le sujet des pays, car c’est celui de ma deuxième question. Celle-ci pourrait s’adresser à vous et à Mme Alboim.
Je sais qu’il y a des ententes entre le Canada et certains pays — par le passé, d’autres témoins nous en ont parlé dans le cadre d’autres sujets — en ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires (TET). La liste est-elle longue? Y a-t-il beaucoup de pays qui bénéficient de cette entente? J’aurai une sous-question ensuite, si possible.
[Traduction]
Mme Alboim : Il y a des ententes, notamment en ce qui concerne le Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Il y a un certain nombre de pays — Mme Hennebry doit connaître leur nombre exact —, mais ce sont essentiellement les pays des Caraïbes, le Mexique et certains pays d’Amérique latine qui ont conclu des ententes avec le Canada dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers.
Nous avons d’autres accords sur le commerce qui comprennent des accords d’échange de main-d’œuvre, comme l’accord de libre-échange avec les États-Unis et l’Europe. Un certain nombre d’accords sur le commerce comportent une disposition sur la mobilité de la main-d’œuvre, mais ces éléments sont relativement limités.
Le Programme de mobilité internationale, ou PMI, qui permet aux travailleurs étrangers temporaires de venir au pays, offre la possibilité d’échanger des travailleurs entre les pays — ou simplement de faire venir des gens de ces pays.
Le PMI est l’un des mécanismes qui permettent aux gens de profiter de ces accords.
[Français]
La sénatrice Mégie : Parfait, merci. J’aimerais poser une sous-question. Vous avez mentionné les Caraïbes et je pense que Haïti n’en fait pas partie. Pourtant, il y a un grand besoin de travailleurs francophones au Québec et partout au Canada; on en a besoin aussi dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Dans un article publié il y a longtemps sur le site Internet de Radio-Canada, on notait que certains travailleurs qui ne parlaient pas la langue lorsqu’ils arrivaient dans le milieu voyaient leur efficacité diminuée et que cela les rendait vulnérables au début, puisqu’ils n’étaient pas en mesure de communiquer avec leur employeur.
Qu’en pensez-vous, surtout pour les travailleurs francophones?
[Traduction]
La présidente : Sénatrice Mégie, nous réserverons cette question très importante pour le deuxième tour. Nous nous souviendrons tous de cette question.
La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à Mme Hennebry. Vous avez parlé de la traite de personnes.
Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage, dans la mesure du possible, sur ce que vous savez au sujet de la traite de personnes, en relation avec les travailleurs étrangers temporaires. Tout ce que vous pouvez nous dire au sujet de l’incidence de ce phénomène, l’endroit où il se produit, comment il se produit, tout ce que vous savez. Merci.
Mme Hennebry : Merci, sénatrice.
La traite de personnes dont les migrants internationaux sont victimes au Canada se produit habituellement en raison de problèmes liés aux dispositions relatives aux permis de travail.
Souvent, lorsque leur permis de travail arrive à expiration, les travailleurs n’ont pas la possibilité de le prolonger, de trouver un autre emploi, et ils ne peuvent pas présenter une demande de résidence permanente parce qu’ils ne remplissent pas les critères de compétences et autres critères du capital humain. Ils se tournent alors vers des intermédiaires et d’autres personnes pour les aider à rester. C’est là que se situe la vulnérabilité. Souvent, ces cas se produisent lorsque les documents relatifs au permis de travail arrivent au terme de leur validité.
De plus, nous le voyons souvent lorsque des personnes arrivent avec des permis de travail légitimes, ou ce qu’elles croient être des permis de travail légitimes, mais occupent des emplois qui ne correspondent pas à ce qui leur a été spécifié. Elles viennent travailler dans le domaine du divertissement, par exemple, et se retrouvent à travailler dans des fêtes privées ou dans des services d’escorte, sans pouvoir se sortir de ces situations à cause des réalités de la traite de personnes. Souvent, elles ont été trompées. Elles travaillent dans des conditions auxquelles elles ne s’attendaient pas, elles peuvent avoir perdu l’accès à leurs documents dans ce processus, elles ne connaissent pas leurs droits et sont souvent exclues.
Cela se produit aussi dans des situations de travail forcé qui sont également plus fréquentes parce que la traite est beaucoup plus difficile à définir sur le plan juridique. Nous avons été en mesure de documenter de nombreux cas où des travailleurs étrangers temporaires ont été victimes de travail forcé.
Encore une fois, les personnes qui ont un permis de travail lié à un employeur donné sont encore plus vulnérables que les autres et ont beaucoup de mal à trouver un autre emploi. Par exemple, tous ceux qui participent au PTAS se trouvent dans une situation où ils ne peuvent pas facilement changer d’employeur.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Patterson : Nous avons reçu des conseils très clairs sur l’amélioration des voies d’accès à la résidence permanente. En mai 2022, la Chambre des communes a adopté une motion visant à élargir les voies d’immigration économique pour les travailleurs de tous les niveaux de compétence. Je sais que le gouvernement a publié récemment — je crois que c’était en mai 2022 — la Stratégie visant à accroître les transitions vers la résidence permanente.
Madame Alboim, vous avez dit qu’il fallait trouver une façon de permettre à ces travailleurs de classe C et D d’accéder au système Entrée express. Je me demande si vous connaissez la stratégie du gouvernement. Le pilier 2 de sa stratégie indique qu’il « vise à réformer le système Entrée express, notamment en assouplissant les outils de sélection des immigrants [...] ».
Cela me semble un peu bureaucratique, mais le gouvernement écoute-t-il le genre de conseils clairs que nous avons entendus aujourd’hui sur la réforme d’Entrée express? Le savez-vous?
Mme Alboim : D’après ce que j’ai compris, on envisage d’utiliser les instructions ministérielles pour puiser davantage de candidats dans le bassin d’Entrée express, mais on ne parle pas encore d’élargir ce bassin. On parle donc toujours de limiter le bassin aux catégories 0, A, B. Ce que je dis, c’est que si vous n’êtes pas dans le bassin, vous ne pouvez pas être sélectionné, peu importe la souplesse de la sélection. Je propose qu’on élargisse le bassin de candidats admissibles en y ajoutant ceux qui exercent des professions C et D, des emplois à forte demande et des emplois essentiels, afin qu’ils puissent être sélectionnés dans le bassin par instruction ministérielle.
Le sénateur Patterson : Je comprends, merci.
La sénatrice Bovey : J’aimerais revenir à la question que j’ai posée plus tôt au sujet des gens qui ont reçu une formation professionnelle dans d’autres pays et qui constatent qu’ils doivent se recycler lorsqu’ils viennent au Canada. Je suis particulièrement préoccupée par les professions de la médecine et du génie, comme j’en ai parlé plus tôt. Compte tenu du temps dont nous disposons, je me demande si Mme Alboim pourrait nous envoyer de la documentation sur ces chiffres et sur les arrangements qui ont été pris avec les universités du Canada en vue d’accélérer la formation afin que nous puissions répondre à certains de nos besoins en médecine et en génie. Merci.
La présidente : Je crois qu’il nous reste une minute pour revenir à la question de la sénatrice Mégie sur l’immigration francophone, en ce qui concerne Haïti. Quelqu’un veut-il répondre à cette question?
Sénatrice Mégie, pouvez-vous répéter la question très brièvement?
[Français]
La sénatrice Mégie : Pourquoi Haïti n’est-il pas sur la liste des pays où on recrute les TET?
Vous savez qu’au Québec, on aurait besoin de travailleurs francophones à cause de la vulnérabilité que cela crée lorsque la personne ne parle pas la langue. Pourriez-vous m’expliquer s’il y a des raisons pour qu’Haïti ne fasse pas partie de l’entente?
[Traduction]
Mme Alboim : Je ne sais pas si Mme Hennebry veut répondre à cette question.
Je vais commencer, puis je lui céderai la parole.
Le Québec est dans une position très privilégiée en ce sens qu’il a sa propre entente en matière d’immigration et qu’il peut effectivement mettre en place des programmes économiques de son côté, sans nécessairement avoir à négocier par l’entremise du gouvernement fédéral. Je ne sais pas quelles ententes existent actuellement au Québec pour Haïti, mais il me semble qu’il serait possible pour le Québec de mettre cela en place.
Madame Hennebry, vous pouvez répondre. Je ne sais pas si des participants au PTAS sont déjà venus d’Haïti. Ils ne sont jamais venus d’Haïti? Il faudrait donc que ce soit quelque chose de nouveau, mais faisable si le gouvernement du Québec voulait poursuivre cela avec le gouvernement d’Haïti. C’est une entente de gouvernement à gouvernement pour le PTAS.
La présidente : Merci, chers collègues.
Nous sommes arrivés à la fin de cette première heure de témoignages.
Je remercie les témoins de leur présence et de leur sagesse. Nous vous encourageons à nous envoyer des documents, des exposés et des mémoires; ils sont toujours les bienvenus.
Chers collègues, nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons, par vidéoconférence, Fred Bergman, analyste principal des politiques, Conseil économique des provinces de l’Atlantique, et Doug Ramsey, professeur et directeur par intérim, Institut de développement rural, Université de Brandon. Pour le moment, M. Ramsey a des difficultés techniques, mais nous espérons l’accueillir le plus tôt possible. Par contre, cela nous donne le luxe de nous concentrer uniquement sur vous, monsieur Bergman. Quel privilège!
Comme nous avons l’habitude de le faire, nous vous accorderons cinq minutes pour vos observations, après quoi nos sénateurs vous poseront des questions. Monsieur Bergman, vous avez la parole.
Fred Bergman, analyste principal des politiques, Conseil économique des provinces de l’Atlantique : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
En commençant par les points clés, le vieillissement de la population et les départs à la retraite contribuent au resserrement des conditions du marché du travail dans la région de l’Atlantique. Au cours des cinq dernières années, la majorité de la croissance de la population dans la région de l’Atlantique était attribuable à l’immigration et aux résidents non permanents. L’immigration peut aider à minimiser l’incidence du vieillissement de la population sur le marché du travail.
En ce qui concerne les tendances du marché du travail, le vieillissement de la population et les départs à la retraite contribuent au resserrement des conditions du marché du travail dans la région de l’Atlantique. Un marché du travail restreint survient lorsque le nombre de postes vacants augmente alors que les travailleurs disponibles se font rares. Le taux de postes vacants dans la région était de 5,3 % au deuxième trimestre de 2022, soit environ un point de pourcentage plus haut qu’au trimestre précédent. Le taux de chômage dans la région de l’Atlantique est passé d’environ 11,6 % en 2001, à environ 7,2 % en septembre de cette année. Environ 22 % des 2,5 millions de personnes de la région étaient âgées de 65 ans et plus au 1er juillet 2022, soit près du double des 11,5 % que les aînés représentaient en 1990. Près de 19 000 personnes, soit 1,5 %, de la population active de la région, avaient pris leur retraite en 2021.
Il n’y a pas assez de jeunes travailleurs pour remplacer les retraités. Le Conseil économique des provinces de l’Atlantique, ou CEPA, a montré, dans sa recherche intitulée Les anées à venir, qu’il n’y avait que 7 nouveaux jeunes travailleurs à la recherche d’un emploi pour 10 personnes qui prenaient leur retraite dans la région en 2020, comparativement à environ 20 jeunes travailleurs pour 10 retraités en 1990.
La recherche menée par le CEPA pour la série Les années à venir montre également que notre main-d’œuvre diminuera d’environ 130 000 personnes d’ici 2030, sans qu’il y ait plus de gens qui déménagent dans la région ou qu’une plus grande proportion de la population actuelle se joigne au marché du travail.
Le CEPA estime que la région doit retenir en moyenne de 13 000 à 16 000 immigrants par année pour soutenir la croissance économique. Comme la région n’a retenu que 75 % des nouveaux immigrants, elle devra attirer de 18 000 à 22 000 immigrants par année pour répondre à ses besoins futurs en main-d’œuvre.
En ce qui concerne les tendances démographiques, au cours des cinq dernières années, la plus grande partie de la croissance de la population dans la région de l’Atlantique a été attribuable à l’immigration et aux résidents non permanents, y compris les résidents temporaires au Canada titulaires d’un permis de travail ou d’études. Entre les recensements de 2016 et de 2021, l’immigration et les résidents non permanents ont représenté environ 94 % de la croissance de la population dans les Maritimes, tandis qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, ils ont contribué à minimiser le déclin de la population. Le nombre d’immigrants au Canada atlantique est en voie d’atteindre plus de 25 000 cette année, fracassant le record précédent de 19 000 en 2021.
Attirer et retenir les jeunes immigrants peut ralentir le vieillissement de la population de la région. La recherche du CEPA pour la série Les années à venir révèle que la proportion d’aînés passera de 22 % à 28 % d’ici 2040. Cependant, sans la migration intérieure, les aînés représenteraient 31 % de la population de notre région en 2040.
J’ai quelques recommandations.
Nous devons accroître l’immigration, non seulement pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre, mais aussi pour générer des changements positifs à long terme dans l’économie. La simplification de l’immigration dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires et la réduction des arriérés de traitement peuvent contribuer à réduire les pénuries de main‑d’œuvre.
Pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre, il faut une vaste série de politiques, comme l’a souligné le CEPA dans ses travaux sur la recherche de talents. Les employeurs devraient cibler les groupes sous-représentés sur le marché du travail lorsqu’ils embauchent. Il est également important que les organisations aient en place des politiques en matière de diversité, d’équité et d’inclusion.
Les établissements d’enseignement doivent améliorer la qualité de l’éducation en offrant de la formation en compétences essentielles, notamment en numératie, en communication, en travail d’équipe, en numérique, en pensée critique et en apprentissage continu. La délivrance de permis d’études ou de travail aux étudiants étrangers et aux établissements d’enseignement postsecondaire peut entraîner une réduction modeste des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Nous espérions que le professeur Ramsey puisse se joindre à nous, mais il semble que nous ayons toujours un problème technique. Nous allons poursuivre avec les questions à M. Bergman, puis nous reviendrons, si possible, à M. Ramsey.
La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier M. Bergman. Je comprends la situation dans la région de l’Atlantique. L’article de la CBC du 26 octobre dernier souligne d’ailleurs votre point de vue.
Je suis intriguée par le besoin dont vous parlez pour ces travailleurs immigrants pour les universités, l’éducation et la formation. Pourriez-vous nous en dire davantage, s’il vous plaît, au sujet des travailleurs temporaires et migrants?
M. Bergman : Avec plaisir. Le Programme d’immigration au Canada atlantique cible les travailleurs étrangers temporaires ainsi que les étudiants étrangers dans le cadre de ses trois volets. Entre 2017 et 2021, environ 12 000 résidents permanents ou plus sont arrivés dans la région de l’Atlantique dans le cadre du Programme d’immigration au Canada atlantique. C’est un programme important pour la région. Je crois qu’il y a même eu un communiqué quotidien de Statistique Canada dans lequel on indiquait que ce programme pourrait servir de point de repère pour s’attaquer au vieillissement de la population au Canada et promouvoir le développement économique au Canada.
Au cours de la dernière année, le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans les universités de l’Atlantique a augmenté d’environ 15,5 %. Nous sommes donc sur la bonne voie. Environ 21 800 étrangers se sont inscrits cet automne à titre d’étudiants à temps plein titulaires d’un visa.
La sénatrice Bovey : Merci. Dans l’espoir que nous puissions entendre notre témoin de l’Université de Brandon, j’aimerais garder le reste de mon temps, s’il vous plaît, pour lui poser une question.
La présidente : Bien sûr. Il faudra être mathématiquement courageux à ce sujet. Il vous reste trois minutes.
La sénatrice Bovey : En tant que Manitobaine, j’aimerais pouvoir lui poser des questions. Merci.
La présidente : Je comprends parfaitement.
Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Bergman. Il semble que le Conseil économique des provinces de l’Atlantique ait fait des recherches vraiment rigoureuses et opportunes sur les questions que nous étudions, notamment les raisons pour lesquelles il y a une crise de la main-d’œuvre dans la région de l’Atlantique.
Seriez-vous en mesure de nous laisser par écrit cette information que vous nous avez donnée oralement? Y a-t-il un rapport ou une étude qui pourrait être communiqué à notre comité?
M. Bergman : Nous avons présenté un mémoire hier à la greffière du comité. Il s’agit d’un mémoire de deux pages, qui est essentiellement mon exposé d’aujourd’hui. De plus, habituellement, seuls les membres du CEPA ont accès aux publications de nos membres. Certains des renseignements que je pourrais fournir aujourd’hui ne s’adressent habituellement qu’aux membres du CEPA, mais nous pourrions communiquer des documents au gouvernement du Canada, au besoin, parce que certains organismes du gouvernement fédéral sont membres du CEPA. Nous n’avons pas de recherche en cours sur l’immigration ou les programmes des travailleurs étrangers temporaires pour l’instant, mais nous avons fait de la recherche à ce sujet par le passé.
Le sénateur Patterson : Vous avez dit que les niveaux d’immigration sont de 13 000 à 16 000 par année, mais qu’ils devraient vraiment être plus élevés pour répondre à la demande de main-d’œuvre en raison de l’attrition; les gens partent. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cela se produit?
M. Bergman : Essentiellement, nous surveillons nos taux de maintien en poste des immigrants qui viennent dans la région de l’Atlantique. Les chiffres les plus récents montrent que le taux de maintien en poste des immigrants récents dans la région de l’Atlantique est d’environ 75 %. Pour chaque 100 % qui disent que leur destination prévue est la région de l’Atlantique, d’après les dossiers fiscaux — essentiellement, c’est ainsi que le suivi est effectué —, dans un délai d’un an, 25 % d’entre eux partent pour d’autres régions du Canada ou, peut-être à l’extrême, retournent dans un autre pays.
Cependant, le taux de maintien en poste sur cinq ans dans l’ensemble de la région de l’Atlantique n’est que d’environ 49 %. Il est certain que les services d’établissement des immigrants sont importants pour attirer des immigrants dans la région, pour les aider à s’adapter à la culture et à la langue d’ici, pour les aider à trouver un emploi, un logement, une garderie, et ainsi de suite. L’infrastructure est une préoccupation réelle dans la région de l’Atlantique en ce qui concerne l’accès à des logements abordables et à des services de garde d’enfants. Évidemment, nous aurons bientôt des services de garde à 10 $ par jour grâce à des ententes conclues entre le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux du Canada. Pour les grands centres urbains comme Halifax, il est évident que le transport en commun est également un problème, alors l’accès au transport est également important.
La présidente : Merci. Monsieur Ramsey, on me dit que vous êtes de retour. Merveilleux. Vous avez cinq minutes.
Doug Ramsey, professeur et directeur par intérim, Institut de développement rural, Université de Brandon, à titre personnel : Je suis vraiment désolé. Je vous remercie de m’avoir invité et de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Puisque je suis le directeur par intérim, je suis un peu en remplacement. Je vais vous parler de mon expérience au Manitoba en tant que professeur et du travail effectué par l’Institut de développement rural, ou RDI. Dans le document que j’ai déposé, il y a un lien vers toutes les recherches menées par RDI depuis la fin des années 1990 et qui devraient éclairer ce comité.
Je vais parler des travailleurs étrangers temporaires et du secteur de la transformation des aliments au Manitoba.
Comme nous le savons, une grande partie du travail dans les régions rurales du Canada est de nature saisonnière. Cela rend difficile l’établissement d’une carrière ou la vie dans certaines régions. L’agriculture et le tourisme en sont deux exemples importants. Les deux secteurs sont sensibles au facteur temps. Il y a les cultures avec la saison des récoltes, des exploitations animales qui doivent fonctionner 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par année, et le tourisme — tout, jusqu’au fait de rencontrer des clients qui ont besoin de services. Dans le secteur de l’agriculture, les agriculteurs de nombreuses régions du Canada ont compté sur les travailleurs étrangers temporaires, les programmes de main-d’œuvre agricole, et un exemple particulier concerne le Sud de l’Ontario. Même le secteur des serres, qui est ouvert toute l’année, dépend des travailleurs étrangers. Mais même si ce n’est pas saisonnier, qu’il s’agisse de tourisme à l’année ou d’agriculture de production, ces deux secteurs sont bien connus pour être des secteurs de main-d’œuvre peu rémunérés. Il est donc devenu de plus en plus difficile pour ces deux secteurs d’obtenir une main-d’œuvre constante et fiable.
Dans l’ancienne ceinture du tabac du sud de l’Ontario — je ne connais pas vraiment la collectivité, mais dans les comtés de Brant, de Norfolk, d’Oxford et d’Essex —, les agriculteurs dépendent depuis longtemps de la main-d’œuvre agricole temporaire. Avant de chercher des travailleurs à l’étranger, les agriculteurs recrutaient des gens du Québec et du Canada atlantique. Dans la chanson Tillsonburg, Stompin’ Tom Connors raconte sa véritable histoire et parle de l’endroit où il a déjà travaillé.
Avant cela, même pendant la Grande Dépression, le Sud et le Sud-Ouest de l’Ontario étaient des régions de prédilection pour des milliers de chômeurs qui étaient prêts à travailler pour se nourrir et se loger. Le travail y a toujours été précaire.
Le tabac était unique, puisque chaque ferme exigeait qu’un petit nombre de personnes — de 5 à 10, outre les membres de la famille — travaillent de la plantation en mai jusqu’au classement et à l’emballage en octobre et en novembre. On cultive encore le tabac dans l’ancienne ceinture de tabac, mais au cours des 20 dernières années, la région s’est tournée vers d’autres cultures. Il est courant pour les travailleurs étrangers de passer d’une culture à l’autre, comme les asperges, les fruits, le tabac, le ginseng et les pommes.
La menace de perdre ce segment de travailleurs a représenté un problème pendant la pandémie de COVID-19 et a fait les manchettes à l’échelle nationale pendant un certain temps. Au‑delà des questions d’économie et de fonctionnalité qui ont été soulevées pour les exploitations agricoles canadiennes, c’est vraiment devenu une question de sécurité alimentaire pour le Canada.
Avec le tourisme au Manitoba, comme ailleurs au Canada et même dans le monde, de nouveaux immigrants arrivent au Canada pour travailler dans le secteur des services, y compris les hôtels et les restaurants. Russell, au Manitoba, en est un bon exemple. La station de ski Asessippi attire des gens de l’Australie et l’hôtel de Russell attire des gens des Philippines.
Je vais maintenant passer au secteur de la transformation des aliments. J’ai déménagé au Manitoba en 1999, pour y occuper un nouvel emploi. C’était à l’époque où Maple Leaf a ouvert ses portes. Il a fallu un certain nombre d’années avant que la compagnie puisse offrir un milieu de travail à deux quarts de travail complet et fonctionnel, et l’usine emploie maintenant 2 200 personnes. Environ 80 % de la main-d’œuvre de cette usine vient maintenant de l’extérieur du Canada. Le premier programme de recrutement international a été un programme pilote au Mexique. Depuis, il y a eu du recrutement en Ukraine, en Colombie, en Chine, au Salvador et, plus récemment, à l’île Maurice et au Honduras.
Maple Leaf est passée d’un taux de roulement de 90 % des employés embauchés à l’échelle locale et régionale au Canada à un taux de maintien en poste de 90 %. Autrement dit, la main‑d’œuvre immigrante au Canada a permis à l’usine Maple Leaf de Brandon de fonctionner. Qu’est-ce que cela signifie pour Brandon? La ville est passée d’une population de 40 000 à plus de 50 000 personnes.
Neepawa est un autre exemple dans le secteur du porc avec l’usine de transformation de porc HyLife, qui a récemment été agrandie. Dans les notes que j’ai présentées, je vous ai fourni des données indiquant que Neepawa est passée d’une collectivité en déclin à une collectivité stable et qu’elle est devenue l’une des collectivités dont la croissance est la plus rapide au Manitoba, passant de 3 300 personnes en 2001 à près de 6 000 en 2021. En 2016, selon le recensement, 43 % de la population était philippine, et l’an dernier, ce chiffre était passé à 50 %. Très important. On peut voir la viabilité des écoles, des entreprises et de la collectivité qui en a résulté.
En résumé, il existe un long dossier. J’ai inclus le site Web qui contient des liens vers des rapports, des recherches et des présentations. Je peux dire que RDI est en train d’embaucher un nouveau directeur, et l’une des initiatives que j’ai poursuivies pendant mon mandat de directeur par intérim était de favoriser le dialogue avec Westman Immigrant Services, où le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. J’encourage le comité à communiquer avec Westman Immigrant Services pour obtenir de plus amples renseignements sur la façon dont les nouveaux arrivants au Manitoba — dans le Sud-Ouest du Manitoba — ont joué un rôle essentiel. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Ramsey.
La sénatrice Bovey : Je suis ravie que vous ayez pu reprendre contact avec nous. Merci, monsieur Ramsey. Je tiens à souligner le travail très important que fait RDI, à mon avis, et qui m’impressionne depuis un certain nombre d’années.
Peut-être pourriez-vous approfondir un peu la question de Maple Leaf, car j’ai participé à certains des programmes visant les immigrants qui déménagent dans l’Ouest du Manitoba pour travailler avec Maple Leaf. J’ai été frappée par votre statistique selon laquelle on est passé d’un taux de roulement de 90 % à un taux de maintien en poste de 90 % . Vous pourriez peut-être nous parler du maintien en poste des travailleurs immigrants. Merci.
M. Ramsey : J’ai deux ou trois choses à ajouter. En 1999, Maple Leaf a commencé à recruter localement. La compagnie avait une entente avec la Fédération des Métis. Ensuite, ils sont allés en Ontario et dans le Canada atlantique, et c’est là qu’ils ont affiché un taux de roulement élevé. C’est un travail très difficile et il faut un certain type de personne. Donc, pour passer à une main-d’œuvre internationale — tout d’abord, une fois arrivé, il faut ensuite conserver son emploi. Mais les gens savaient en s’en venant — vous faites ce long bout de chemin et vous savez ce que vous êtes en train de faire —, alors qu’à l’échelle locale et régionale, les gens voulaient simplement obtenir un emploi.
Cela dit, la municipalité et Maple Leaf ont pris certaines mesures, dont des services de garde et l’adaptation des services d’autobus. Westman Immigrant Services a évidemment joué un rôle central dans l’intégration et la participation des gens à la collectivité. J’habite à trois rues d’un restaurant mauritanien. Ce changement est tout simplement incroyable. Je pense que ces mesures et le fait d’immigrer en famille sont deux volets importants. J’ai grandi près de fermes productrices de tabac en Ontario, et l’une des raisons de leur échec a été que les gens faisaient de l’auto-stop pour venir travailler dans la région de la ceinture du tabac. S’ils n’aimaient pas l’emploi, ils démissionnaient. Eh bien, quand on quitte un pays avec sa famille pour venir s’installer ici, on a pris un engagement assez important et on se présente au travail. C’est ce qui s’est passé, mais Maple Leaf a effectivement apporté des changements opérationnels. La municipalité a aussi apporté des changements fonctionnels et modifié des services. Westman Immigrant Services a également joué un rôle.
Un dernier point : quand un certain nombre de gens originaires d’une même région se retrouvent, ils forment une communauté, et je pense que c’est vraiment important. À mon avis, c’est la raison pour laquelle la communauté philippine a si bien réussi à Winnipeg et à Russell, et c’est pourquoi nous obtenons des résultats dans la région de Brandon et à Neepawa. C’est une collectivité accueillante, et là où on pensait que des écoles et des hôpitaux allaient fermer, voilà que tout prend de l’expansion. C’est fantastique à voir.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Ramsey.
J’aimerais vous poser à tous les deux une question qui me tracasse. Les économistes partent du principe que, si on augmente les salaires dans les secteurs où les postes sont difficiles à combler, on pourra résorber l’écart du marché du travail. Je n’ai aucune preuve pour étayer mon argument, mais j’ai l’impression, monsieur Ramsey, que c’est ce que vous avez fait d’une certaine façon. Peut-on prévoir que, si on augmente les salaires, disons dans le secteur de la transformation des aliments ou dans celui de la cueillette des bleuets, des Canadiens au chômage seront enclins à occuper ces emplois de façon plus permanente?
M. Bergman : Je peux vous donner une première réponse. Nous avons récemment effectué une étude sur les compétences de la main-d’œuvre dans le cadre de nos recherches sur les moyens de trouver des talents, et j’ai dirigé la partie portant sur l’hébergement et les services alimentaires, mais nous avons également examiné le secteur manufacturier, notamment les domaines de la fabrication de pointe et de la transformation des fruits de mer. Nous avons généralement constaté, dans les secteurs où les salaires sont moins élevés, que les hausses salariales ne sont pas toujours la meilleure solution. Cela peut coûter un peu plus cher dans ces entreprises. Elles ne peuvent pas toujours se le permettre, parce que, si on augmente les coûts salariaux, on réduit les profits, et il peut alors être nécessaire d’augmenter les prix, mais cela risque de réduire les ventes. Certaines peuvent se le permettre, d’autres pas.
Par ailleurs, le salaire devrait correspondre au niveau de compétence nécessaire, au degré de scolarité, au niveau d’expérience professionnelle et ainsi de suite. En augmentant les salaires dans un secteur pour y remédier à la pénurie de main‑d’œuvre, on risque d’exercer des pressions sur d’autres secteurs et d’autres employeurs pour qu’ils augmentent également les salaires. On amplifie donc en quelque sorte le problème de l’inflation au Canada, du côté des prix comme du côté des salaires. Dans certains secteurs où les salaires sont élevés, les augmentations salariales peuvent être utiles, mais, dans ceux où les salaires sont bas, ce n’est peut-être pas aussi efficace.
M. Ramsey : Je suis d’accord. Je dirais simplement que, dans de nombreux secteurs, cela pose la question de la saisonnalité. On peut bien gagner 12 ou 40 $ l’heure, mais, si on ne travaille que 10 ou 12 semaines par an, ce ne sera toujours pas une carrière intéressante. Cela dit, je ne sais pas, mais, parmi les étudiants, il y a peut-être une légère augmentation dans le secteur agricole, mais j’en doute.
La présidente : Monsieur Ramsey, ai-je bien compris que vous avez fait allusion à ce que j’appellerais un « établissement en grappe »? Autrement dit, si une grappe de la même communauté est accueillie, l’établissement devient un peu plus facile. Vous avez parlé de la communauté philippine de Brandon, par opposition à des gens de toutes origines, qui ajoute une autre richesse. Mes propres observations au Manitoba et dans l’Ouest m’incitent à penser qu’une approche en grappe aide effectivement à assurer une permanence dans la collectivité. Êtes-vous d’accord avec cette conclusion?
M. Ramsey : Oui. Je suis actuellement en congé sabbatique en Allemagne et j’ai passé une heure cet après-midi avec des gens qui parlent anglais; mon mal de tête allemand a disparu. Je pense donc que c’est extrêmement important. Autrement dit, on a besoin de voisins et d’amis qui ont des intérêts semblables, et la langue en est un de taille, n’est-ce pas?
La présidente : Merci. Je dois m’arrêter pour être juste envers tout le monde.
Le sénateur Kutcher : Ma question s’adresse à M. Bergman et porte sur les étudiants du postsecondaire. Je n’arrive pas à croire que cela fait une dizaine d’années qu’a été publié le rapport Ivany sur le moteur de croissance que sont les universités et les collèges communautaires, notamment pour les étudiants étrangers, qui constituent un bassin idéal de résidents permanents à la fin de leurs études. Ma question est triple.
Premièrement, que font les étudiants du postsecondaire dans la région de l’Atlantique pour mettre en place des mesures de soutien aux étudiants étrangers afin d’améliorer leurs compétences linguistiques, d’encourager leur adaptation culturelle et de les informer des voies possibles vers la résidence permanente, notamment pour les aider à trouver un emploi à temps partiel?
Deuxièmement, je m’interroge au sujet des rapports faisant état de retards importants, depuis six mois, dans l’obtention de visas pour les étudiants étrangers qui viennent dans la région de l’Atlantique. Je me demande si ce problème a été corrigé.
Troisièmement, dans quelle proportion les étudiants étrangers qui viennent dans la région de l’Atlantique restent-ils effectivement comme résidents permanents par rapport à ceux qui veulent y rester.
M. Bergman : Je ne suis pas sûr de connaître le pourcentage d’étudiants qui restent dans la région de l’Atlantique. Il faudrait que je vérifie si nous pouvons le calculer. À vrai dire, le 22 juin dernier, Statistique Canada a publié un rapport dans Le Quotidien intitulé L’immigration comme source de main‑d’œuvre. Vers la fin de ce rapport, on parle de la transition des travailleurs étrangers temporaires et des étudiants étrangers au statut de résident permanent. Il est donc question ici de ceux qui sont enclins à rester au Canada après avoir obtenu leur diplôme. Le Programme d’immigration au Canada atlantique en profite évidemment pour attirer des étudiants.
Certaines universités les aident effectivement à trouver du travail. Si je me souviens bien, des mesures ont récemment été prises pour permettre aux étudiants de travailler plus de 20 heures par semaine à l’extérieur du campus. Avant cela, le nombre d’heures de travail autorisé pendant les études était un peu un obstacle.
L’acquisition d’une expérience professionnelle au Canada peut évidemment contribuer à l’obtention de la résidence permanente. Il est donc important que ces gens puissent travailler. Comme on le sait, les frais de scolarité des étudiants étrangers sont beaucoup plus élevés, et il est donc important qu’ils puissent gagner un revenu pour payer ces frais durant leur séjour ici.
Le logement est un problème dans certaines universités. Cela a fait l’objet de rapports à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard et à l’Université de Moncton. Une nouvelle résidence vient d’ouvrir à l’Université Dalhousie, ici à Halifax, pour essayer de régler certains de ces problèmes.
Je sais que l’Université du Cap-Breton fait de l’excellent travail pour attirer des étudiants étrangers et les aider à trouver du travail, un logement, et cetera. Cela a vraiment fait augmenter le nombre d’inscriptions dans les dernières années. Elles ont sûrement diminué pendant la pandémie. Il y a certainement eu un certain recul. Mais je ne sais pas exactement ce qui se fait actuellement.
Le sénateur Arnot : Merci. Je serai très concis.
Ma question s’adresse à la fois à M. Ramsey et à M. Bergman. Vu depuis la Saskatchewan, où je suis sénateur, on peut dire que les problèmes qu’affrontent le Manitoba et les régions rurales du Canada sont très semblables.
L’étude entreprise par le comité est très importante, mais elle porte sur des problèmes de longue date et à multiples facettes et sur les nombreux obstacles à l’embauche de travailleurs immigrants quand les conditions le justifient dans les régions rurales du Canada. Je remarque que le gouvernement de la Saskatchewan manifeste de l’insatisfaction à l’égard de certains de ces enjeux. Il a récemment annoncé dans le discours du Trône qu’il allait créer et administrer ses propres politiques et programmes d’immigration. Ces mesures offriraient la souplesse et l’agilité nécessaires pour répondre aux besoins de l’économie de la Saskatchewan.
Voici ma question aux témoins : est-ce une approche viable selon vous?
M. Ramsey : Chez Maple Leaf, le recrutement initial s’est fait dans le cadre du programme pilote du Manitoba. Le gouvernement fédéral a pour ainsi dire permis au Manitoba de prendre les rênes pour qu’il puisse combler les besoins de main‑d’œuvre dans les régions rurales de la province. Il y a là beaucoup de possibilités. Mais je crois que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer.
Personnellement, j’aimerais que la fédération soit — je ne sais pas si le mot « responsable » est le bon —, mais qu’il y ait quelque chose comme la Loi sur la santé, avec des règles à suivre, mais qui laisserait aux provinces et aux territoires suffisamment de latitude pour répondre à leurs propres besoins. Il y a des similitudes, comme vous l’avez dit. Mais chaque région est différente. Chacune d’elles a des besoins différents à différents moments. Il faudrait prévoir une certaine souplesse.
M. Bergman : Parmi les travailleurs étrangers temporaires embauchés dans la région de l’Atlantique, ceux qui avaient ce qu’on appelle une EIMT favorable représentaient environ 3 % de la main-d’œuvre en 2021. Je crois que dans les domaines de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche, ils représentaient environ 7 % de notre main-d’œuvre. Et, dans le secteur manufacturier, ils représentaient environ 5 %.
Il est certain que les travailleurs étrangers temporaires sont un élément important, surtout dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire en général, et l’agroalimentaire comprend aussi la transformation des produits de la mer. Il est donc important d’y attirer des travailleurs.
Je sais qu’ici, en Nouvelle-Écosse, au cours de la dernière année, on a apporté des changements au secteur de l’hébergement et des services alimentaires pour attirer davantage de travailleurs étrangers temporaires dans des emplois comme l’entretien ménager, le service d’aliments et de boissons, la cuisine, qu’il s’agisse d’apprentis ou de chefs, et cetera.
C’est assurément un élément important de notre main-d’œuvre dans les secteurs saisonniers dont M. Ramsey a parlé. Dans la région de l’Atlantique, il est difficile d’attirer des travailleurs dans ces secteurs.
La sénatrice McPhedran : Merci à nos témoins.
Je suis née et j’ai grandi à Neepawa, au Manitoba, et ce que j’entends aujourd’hui est très différent de la ville où j’ai grandi.
Ma question est brève. Le programme pilote dont vous avez parlé, qui a vraiment été un bon point de départ pour la croissance et l’épanouissement de la municipalité de Neepawa sur les plans économique et social... est-il exact que le Manitoba l’a en fait annulé et qu’il n’y a rien de semblable actuellement dans la province?
M. Ramsey : Je veux d’abord le désigner correctement : il s’agissait du Programme des candidats des provinces. C’était un programme pilote. Il fallait le feu vert du gouvernement fédéral pour qu’il devienne opérationnel. Je ne suis donc pas certain que ce soit le Manitoba qui y a mis fin. Je crois que c’est le gouvernement fédéral qui l’a fait. Mais je ne suis pas sûr.
La sénatrice McPhedran : Je crois que c’est le Manitoba qui y a renoncé. Nous pouvons le vérifier.
M. Ramsey : Vraiment? Excusez-moi.
La sénatrice McPhedran : Nous pouvons le vérifier.
La présidente : Et nous le ferons. Sénatrice McPhedran, une question complémentaire?
La sénatrice McPhedran : La question, c’est la stratégie.
La présidente : Peut-être pourrons-nous vous revenir au deuxième tour.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma question en français. J’aimerais obtenir une réponse de chacun des témoins, et peut-être que M. Bergman peut débuter.
C’est une question très large parce que c’est notre première réunion portant sur cette étude. Ce que j’entends est que ce sujet est assez vaste et complexe, et qu’il comporte plusieurs défis, obstacles, angles et aspects différents. On s’engage dans cette nouvelle étude et on en est encore à finaliser ce plan de travail. Je vous demanderais simplement quelles devraient être les priorités si on devait s’attaquer à deux, trois ou quatre d’entre elles?
[Traduction]
M. Bergman : Oui, certainement, madame la sénatrice, et c’est une excellente question.
Je peux vous dire que, dans la région de l’Atlantique, l’immigration change vraiment la donne. L’Île-du-Prince-Édouard est le fer de lance de la croissance démographique au Canada depuis cinq ans, principalement en raison d’une augmentation de l’immigration.
Dans le mémoire que nous avons déposé hier et que j’ai présenté aujourd’hui, nous parlons de la contribution de l’immigration à la résolution du problème du vieillissement de la population. Nous en avons la preuve dans l’Île-du-Prince-Édouard, où l’âge médian était de 43,9 ans en 2016 et où il est de 41,7 ans en 2022. L’âge médian a donc commencé à diminuer, et c’est parce que l’immigration permet d’attirer des travailleurs et des gens plus jeunes.
Les immigrants vieillissent, eux aussi, bien entendu, comme les Canadiens. Ce n’est pas une solution permanente.
L’immigration est très importante à cet égard, tout comme les travailleurs étrangers temporaires. Le rapport que j’ai cité et qui a été rendu public par Statistique Canada le 22 juin atteste que le nombre de participants au Programme des travailleurs étrangers temporaires a été multiplié par sept entre 2000 et 2019. Beaucoup d’employeurs au Canada profitent donc des travailleurs étrangers temporaires. Le programme a vraiment pris de l’ampleur au fil des ans. Le rapport indique que même le nombre d’étudiants étrangers a été multiplié par 16 entre 2000 et 2019. Ces chiffres sont valables à l’échelle nationale; ils ne sont pas propres à la région de l’Atlantique.
Comme je l’ai souligné dans notre mémoire, l’immigration et le Programme des travailleurs étrangers temporaires sont des moyens primordiaux auxquels nous devons nous attacher. Le titre des cibles publiées au début de la semaine pour l’immigration est éloquent et renvoie à un plan pour la croissance économique du Canada. Le CEPA serait d’accord avec ce point de vue.
Quant aux arriérés de traitement, nous n’avons pas de chiffres sur les étudiants étrangers — on m’a posé une question à ce sujet tout à l’heure —, mais je sais qu’environ 40 % du Programme des candidats des provinces accuse actuellement un retard à l’échelle nationale. Ici, dans la région de l’Atlantique, le Nouveau-Brunswick a récemment déclaré à quelques reprises qu’il y avait environ 10 000 résidents permanents...
La présidente : Je vais donner au représentant du Manitoba l’occasion de répondre à cette importante question.
M. Bergman : Oui, certainement. Merci.
La présidente : Monsieur Ramsey, au sujet des priorités.
M. Ramsey : Oui, les priorités. J’ai manqué la toute première partie de la question, parce que j’essayais de m’y retrouver dans les boutons de Zoom, mais, grâce à cette précision, je crois comprendre l’essentiel.
Tout d’abord, il y a un arriéré du côté de l’éducation postsecondaire. Les universités — même à Brandon — et le réseau collégial accueillent de plus en plus d’étudiants étrangers. Il serait prioritaire de faciliter la venue de ces étudiants. Je sais que, dans le cadre de notre programme d’études supérieures, environ huit personnes n’ont pas pu se présenter à l’automne en raison de l’arriéré.
J’aimerais revenir à l’agriculture. C’est aussi une question de sécurité alimentaire. La rentabilité du secteur agricole pose problème depuis très longtemps. J’aimerais donc qu’on accorde la priorité à ce secteur pour que les agriculteurs sachent à l’avance à quoi ils peuvent s’attendre, combien de gens ils peuvent faire venir, qui et d’où. C’est extrêmement important pour les agriculteurs qui, assis à leur table de cuisine, essaient de planifier l’année suivante.
La présidente : Merci beaucoup de ces réponses.
Sénatrice Petitclerc, votre temps est écoulé. Nous passons donc au suivant.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je m’adresserais au début à M. Bergman. Considérant que la crise de la main-d’œuvre affecte tous les pans de l’économie et qu’il y a déjà près d’un million de postes disponibles au Canada, que pensez-vous de l’abolition de l’étude d’impact sur le marché qui coûte déjà 1 000 $ aux employeurs? Pensez-vous que cela serait pertinent ou utile, ou que cela faciliterait l’embauche des TET?
[Traduction]
M. Bergman : C’est effectivement une solution. Il y a maintenant des exemptions à l’EIMT dans certaines circonstances. Comme c’est le cas de beaucoup de changements apportés aux programmes d’immigration ou, en l’occurrence, au Programme des travailleurs étrangers, il est souvent préférable de mettre un projet pilote à l’essai pour voir comment telle exemption fonctionnerait dans la pratique et si elle serait effectivement utile avant de la généraliser. Mais tout ce qui permet de simplifier le processus et d’accueillir plus rapidement des TET, des travailleurs étrangers temporaires, est très utile.
En général, dans de nombreuses filières, la procédure s’étend souvent sur 14 mois ou plus. Cela est vrai de certains programmes d’immigration, mais je ne sais plus quel est le délai de traitement des demandes des TET. Cela dit, dans le cadre de notre récente étude sur les secteurs de l’hébergement et des services alimentaires, on nous a fait part de certaines préoccupations concernant le Programme des TET. Selon le cas, les travailleurs n’y étaient pas admissibles ou cela prenait trop de temps, ou encore la procédure suivait son cours, mais ne permettait pas de faire venir des gens dans le cadre du programme. Ces gens ont donc passé des mois et des mois à suivre une procédure pour rien, ce qui peut être très frustrant.
La présidente : Monsieur Ramsey, avez-vous une réponse à cette question?
M. Ramsey : Je vais seulement y ajouter.
Je suis d’accord avec l’idée d’un projet pilote. Nous savons qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, mais nous ne savons pas dans quelle mesure elle est durable. Pour apporter un changement général... j’ai l’impression de contredire ce que je viens de dire au sujet de l’agriculture, mais je pense qu’il faut envisager les choses de façon stratégique et bien réfléchir. Nous ne savons rien de la durée ni de l’ampleur de la pénurie de main‑d’œuvre actuelle, après la pandémie de COVID-19, notamment dans le secteur des services.
La présidente : Merci. Si vous le permettez, avant de passer à la deuxième série de questions, je vais en poser une moi‑même — et, chers collègues, il reste du temps pour un deuxième tour.
Ma question s’adresse à vous deux. Vous avez tous les deux parlé des pénuries de main-d’œuvre, principalement dans les secteurs de l’agriculture et de la transformation des aliments. Dans certaines régions du Canada, surtout dans l’Atlantique, ces emplois sont saisonniers, mais ce ne sont pas des emplois temporaires; ce sont des emplois permanents qui sont saisonniers. Il pourrait en être de même pour certains emplois au Manitoba.
Ne serait-il pas temps d’envisager de délivrer des permis de travail ouverts pour ce secteur plutôt que des permis de travail liés à un employeur? Il n’y a pas qu’une ferme bleuetière dans les Maritimes; il y en a beaucoup. Il n’y a pas qu’une usine de transformation de la viande au Manitoba; il y en a beaucoup.
On nous a également parlé des difficultés des gens qui sont liés à un seul employeur.
Pourrait-on envisager un permis de travail à l’échelle d’un secteur — disons à l’échelle régionale — par opposition à un permis de travail fermé? Que pensez-vous de cette proposition?
M. Ramsey : Je peux commencer par parler de l’agriculture, en prenant l’exemple du Sud de l’Ontario.
L’idée semble bonne, mais c’est dans les détails que se trouvent les soucis. Compte tenu des règlements que les agriculteurs doivent respecter — en matière de santé, d’eau, de logement — pour s’assurer que les gens vivent et travaillent dans un environnement sain et sécuritaire, je ne suis pas certain qu’ils seraient très heureux de savoir que les travailleurs pourraient simplement se poser où ils le veulent. Ils investissent dans leur ferme pour faire venir des gens, y compris dans le transport aller et retour.
Cela pourrait fonctionner dans certains secteurs, mais je ne sais pas comment les agriculteurs réagiraient. Il faudrait que j’aille prendre un café avec eux.
La présidente : Monsieur Bergman?
M. Bergman : Oui. C’est une excellente question, madame la présidente.
La dynamique est complexe. D’abord, qui présenterait une demande au nom du secteur? Les associations sectorielles?
Quand nous avons fait notre étude, nous avions même envisagé la mise en commun ou le partage de la main-d’œuvre entre les employeurs. C’est ce à quoi tend votre question. Mais n’oubliez pas que tous les secteurs d’activité sont en concurrence. Qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’aquaculture, de la transformation des fruits de mer ou d’autres secteurs, tous sont en concurrence pour trouver de la main-d’œuvre. Nous avons parlé de l’éventualité d’augmenter les salaires pour attirer la main-d’œuvre. Si un le fait, tout le monde le fait. Est-on alors vraiment plus concurrentiel ou n’est-on pas simplement en train de payer des salaires plus élevés à ce stade?
Il faut réfléchir longuement au fonctionnement de la procédure. Si les associations sectorielles sont en faveur, c’est peut-être viable — si elles peuvent suivre la procédure de demande. Mais comment ces coûts seront-ils répercutés? Les cotisations serviront-elles à récupérer les coûts de présentation des demandes de TET? Les associations se heurteront aux mêmes problèmes d’arriéré de traitement que d’autres, comme les employeurs.
La présidente : C’est toujours dans les détails que cela se passe, comme vous l’avez souligné à juste titre.
Nous allons maintenant passer à une deuxième série de questions.
La sénatrice Bovey : J’aimerais revenir à la situation des étudiants étrangers, si vous le permettez. Tout à l’heure, la sénatrice Mégie a posé une question au sujet d’étudiants afghans désireux de venir au Canada. Le problème, évidemment, c’est que, sur les visas, ils doivent indiquer qu’ils retourneront dans leur pays d’origine.
Hier soir, j’ai assisté à un événement où une situation semblable s’est présentée pour des étudiants ukrainiens inscrits à l’Université du Manitoba. Compte tenu de ce qui se passe actuellement en Ukraine, leurs comptes bancaires ont été gelés. Ils craignaient d’être expulsés parce qu’ils ne pouvaient pas payer leurs frais de scolarité et leur loyer. L’université a heureusement créé un fonds spécial qui leur permet de rester. Sinon, ils auraient dû retourner en Ukraine.
Ne devrait-on pas prévoir de mesures dans les règlements à venir pour les étudiants étrangers venant de régions du monde frappées par des crises internationales?
Monsieur Ramsey, comme vous êtes dans le milieu universitaire, vous pourriez peut-être répondre en premier.
M. Ramsey : Je vais vous parler de mon expérience de professeur d’université.
À Brandon, nous avons un comité de l’organisme Entraide universitaire mondiale du Canada ou EUMC, qui accueille trois ou quatre étudiants par an. L’élargissement de ce programme serait une bonne chose. Il y a beaucoup de problèmes partout dans le monde. Je le vis tous les jours, ici en Allemagne, en regardant les nouvelles. Ce serait merveilleux de pouvoir faire venir des étudiants qui cherchent une nouvelle vie grâce à l’éducation au Canada, qu’ils viennent d’Ukraine, d’Afghanistan ou d’Iran. Je pense que c’est une excellente idée.
La sénatrice Bovey : Monsieur Bergman, avez-vous des réflexions à ce sujet?
M. Bergman : En mai 2019, nous avons publié un bulletin du CEPA, le Conseil économique des provinces de l’Atlantique. On commençait déjà à enregistrer des gains démographiques dans la région. Je me souviens d’avoir examiné les données. Une partie était attribuable à la crise des réfugiés syriens en 2017-2019. Il y a eu un afflux de réfugiés syriens, et pas seulement des étudiants étrangers, évidemment; certains sont devenus des résidents permanents. Le salon de coiffure situé au rez-de-chaussée de notre immeuble, où je me trouve en ce moment, est une entreprise créée par un réfugié syrien. Cela change la donne à cet égard, effectivement.
Le gouvernement fédéral a évidemment accéléré le traitement des demandes des réfugiés ukrainiens en raison du conflit actuel. C’est vrai qu’il faut en profiter pour combler les besoins de main-d’œuvre, mais la raison la plus importante est évidemment d’ordre humanitaire.
Le sénateur Patterson : Nos deux témoins ont parlé des arriérés de traitement. Un autre témoin nous a dit ce matin que la norme de traitement du programme d’Entrée express est de six mois, ce qui m’a surpris. Je viens de célébrer la fin d’une saga de huit ans au terme de laquelle un de mes électeurs a obtenu la résidence permanente grâce à la procédure d’Entrée express. Les délais de traitement sont habituellement plutôt de l’ordre de 24 mois.
Quelles mesures recommanderiez-vous pour régler ce problème? Est-ce que des normes de traitement sont intégrées aux lignes directrices du ministère? J’aimerais vous demander à tous les deux si vous avez quelque chose à dire sur la façon dont on traite l’arriéré. Merci.
M. Bergman : C’est une question difficile. Évidemment, il y a déjà des cibles. Mais il y a un arriéré même avec des cibles. C’est une partie de la réponse à votre question, et c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, pour le Programme des candidats des provinces et pour Entrée express, l’arriéré est d’environ 40 %. Je crois que l’arriéré de traitement au Nouveau-Brunswick pour toutes les demandes de résidence permanente est d’environ 10 000, et il se peut que ce soit la même chose en Nouvelle-Écosse. L’arriéré est très réel et très important. Mais nous savons qu’il y aura beaucoup d’immigrants dans le Canada atlantique l’an prochain.
J’ai dit dans mon exposé que nous sommes en voie d’atteindre le chiffre d’environ 25 000 résidents permanents dans le Canada atlantique cette année. Nous allons probablement en avoir 30 000 l’an prochain, en partie à cause de l’arriéré. Ils finiront par arriver, mais il est malheureux que nous ne puissions pas les faire venir plus tôt.
M. Ramsey : La question reste de savoir dans quelle mesure cela découle de la pandémie. Il y a toujours eu un arriéré. Il y a eu des arriérés de toutes sortes, qu’il s’agisse de passeports ou de soins de santé, par exemple. Je ne voudrais pas réécrire le tout en sachant qu’une partie du problème pourrait se régler de lui-même à court terme.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le sénateur Arnot : Monsieur Ramsey, vous avez parlé d’un projet pilote et de son succès. Êtes-vous convaincu que les projets pilotes ont permis de tirer des leçons et de les appliquer correctement aux politiques au Canada? Je pense en particulier à la grave situation des travailleurs temporaires saisonniers dans les régions rurales du Canada — la Saskatchewan et le Manitoba.
M. Ramsey : Le Programme des candidats des provinces a connu beaucoup de succès parce qu’il visait les besoins des collectivités. J’ai parlé du secteur de la transformation du porc, mais on peut aussi penser à Winkler et Morden, dans le Sud du Manitoba — des collectivités en croissance, elles aussi. Elles avaient des besoins dans le secteur agricole et dans le secteur manufacturier.
Il s’agit de faire venir des familles, pas des travailleurs seuls. Quand on fait venir des familles qui ont des liens avec la collectivité... Winkler a très bien réussi à attirer des gens dont on savait qu’ils seraient les bienvenus et qu’ils feraient partie de la collectivité dès le premier jour. Seule une collectivité, par l’entremise de sa province, peut faire ce genre de travail et obtenir les résultats constatés dans des endroits comme Winkler, Neepawa et Brandon.
La présidente : Monsieur Ramsey, vous êtes en faveur de l’accueil de travailleurs étrangers temporaires pour combler les pénuries de main-d’œuvre essentielles, mais vous êtes encore plus en faveur de l’accueil de ces travailleurs avec leurs familles afin qu’ils soient plus susceptibles de rester et de s’établir : ai-je bien compris ce que vous avez dit?
M. Ramsey : Je dis qu’il est plus efficace de faire venir des familles. C’est ce que nous avons constaté au Manitoba. Toutes les recherches du Rural Development Institute l’attestent. J’invite le comité à communiquer avec Westman Immigrant Services, qui pourra aussi vous raconter ce qui se passe.
La présidente : Monsieur Bergman, avez-vous également observé dans le Canada atlantique que, quand des travailleurs étrangers temporaires arrivent avec leur famille et bénéficient d’un certain soutien communautaire, ils sont plus susceptibles de réussir, de rester et de demander la résidence permanente, et donc de s’intégrer à la population?
M. Bergman : J’ai aussi répondu à votre question sur les grappes tout à l’heure. Il y a 15 ou 20 ans, selon la base de données longitudinales sur l’immigration de Statistique Canada, entre 84 et 85 % des immigrants s’installaient dans trois grands centres urbains au Canada, à savoir Montréal, Toronto et la région métropolitaine de Vancouver.
Ce pourcentage a légèrement diminué au fil du temps. Même dans le dernier rapport du 22 juin dont j’ai parlé et dans les données sur l’immigration publiées le 26 octobre, on constate que le pourcentage d’immigrants qui s’installent dans ces trois centres urbains est aujourd’hui plus faible. C’est que des populations de minorités visibles et d’immigrants sont en train de se développer dans d’autres régions du pays.
Il est certain que, si ces travailleurs amènent leur famille avec eux et qu’on crée une grappe et un sentiment d’appartenance à une communauté, cela peut aider. Mais il reste ces grands pôles d’attraction. Les grandes villes restent les endroits où il y a plus de gens qui parlent leur langue, qui respectent leur culture et à qui ils peuvent s’identifier. Ce sont des décisions personnelles.
La présidente : Oui. À un moment donné, on demandera peut-être au comité d’examiner l’expérience de Winnipeg et de la communauté philippine, mais notre temps est maintenant écoulé.
Chers collègues, la séance est levée. Nous nous réunirons de nouveau pour cette étude la semaine suivant notre congé. Merci.
(La séance est levée.)