LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 21 septembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et au public qui regarde notre réunion. Je m’appelle Ratna Omidvar. Je suis une sénatrice de l’Ontario et je suis la présidente de ce comité.
Avant d’entamer nos discussions, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter. Nous pouvons commencer avec ma collègue, la sénatrice Seidman.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de Toronto.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, sénatrice de Montréal, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Osler : Flordeliz Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, de Caraquet, au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Petten : Iris Petten, sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy. Je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue.
La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Angèle Losier, directrice générale du Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick, ou le CAFi. Je vous remercie de votre présence. Vous disposerez de cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons des questions. La parole est à vous.
[Français]
Angèle Losier, directrice générale, Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick : Madame la présidente, membres du comité, mesdames et messieurs, bonjour et merci de m’accueillir. Je suis très heureuse de comparaître devant votre comité. Au nom de notre président, Marcel Goguen, du Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick, nous vous offrons notre appui continu dans un rôle d’action politique au nom des travailleurs temporaires étrangers. Nous vous remercions de l’invitation à venir témoigner devant vous aujourd’hui pour discuter de cette importante question. Je m’appelle Angèle Losier, directrice générale.
Le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick (CAFi) est un organisme sans but lucratif fondé en 2005. Composé de 30 employés, sa mission consiste à soutenir l’intégration des personnes immigrantes au sein de la francophonie du Nouveau-Brunswick. Par son engagement, le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick facilite le rapprochement entre les diverses cultures et participe à l’enrichissement culturel des communautés.
Notre organisme offre de nombreux programmes qui veillent à la pleine intégration sociale, culturelle et économique, comme des services d’accueil et d’établissement, l’évaluation des besoins, de l’accompagnement psychosocial, des programmes d’intégration à l’emploi, des programmes culturels et divers programmes de francisation pour les adultes et les enfants. Au moyen des services d’accueil et d’accompagnement, nous veillons à ce que nos clients puissent avoir toutes les informations pertinentes pour leur installation et leur vie au Canada.
Notre organisme possède deux bureaux principaux, soit à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, ainsi que dans la municipalité rurale de Cap-Acadie. Ce dernier bureau accueille principalement des travailleurs étrangers temporaires en provenance du Mexique, de la Jamaïque ou des Philippines. Le nombre de clients qui ont été servis est d’environ 186 travailleurs temporaires, ce qui représente 25 % de notre clientèle, qui a aussi augmenté de 60 % au cours de la dernière année.
Notre organisme est principalement financé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à 55 % et par le ministère provincial de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail à 45 %, pour un financement total de 2,5 millions de dollars.
Le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick croit que le recrutement des travailleurs étrangers temporaires est une stratégie de développement économique viable pour de nombreuses régions et entreprises. Cela peut contribuer à combler la pénurie de main-d’œuvre, à soutenir la croissance économique et à diversifier notre population locale. L’économie de la région de Cap-Acadie et de Shediac, au Nouveau-Brunswick, repose sur l’industrie de la transformation des fruits de mer. Les employeurs ont énormément besoin de faire du recrutement à l’international. Selon les employeurs, nous vivons actuellement une crise de la main-d’œuvre, mais aussi une crise du logement. Les entreprises ont également besoin d’une main-d’œuvre bilingue dans notre communauté.
Pour ce qui est des travailleurs temporaires, nous accueillons principalement deux types de travailleurs. Certains individus viennent seuls pour un contrat, habituellement d’une durée de neuf mois, et retournent dans leur pays d’origine pour revenir l’année suivante. Nous accueillons également des individus avec leur famille, principalement des mères monoparentales, qui travaillent avec un permis de travail fermé et qui vont entreprendre des démarches pour recevoir la résidence permanente.
Je voudrais discuter brièvement des défis que nous avons au sein de notre organisme ou auprès de nos clients. Nos communautés éloignées ne possèdent actuellement pas les ressources de transport ou d’hébergement pour accueillir tous ces nouveaux arrivants. Les centres en matière d’établissement, dont le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick, sont confrontés au fait que le financement fédéral ne sert que les résidents permanents. Les agences sont donc limitées dans l’offre de services pour les travailleurs temporaires.
L’un des défis qui freinent l’intégration de nos clients reste la barrière de la langue, bien que nous travaillions fort au sein de notre organisation pour offrir ce que l’on appelle des cercles de conversation. Raluca Bejean est coauteure du rapport d’un groupe de recherche des universités Dalhousie et Saint-Thomas et de l’Institut Cooper. Quinze travailleurs migrants du Nouveau-Brunswick ont été interviewés dans le cadre de leur enquête. Plusieurs d’entre eux disent s’être sentis comme des étrangers et affirment avoir été traités différemment des travailleurs locaux. Lorsque les travailleurs temporaires sont victimes de cela, ils ne peuvent pas parler ou porter plainte, parce qu’ils ont peur des répercussions s’ils le font et qu’ils craignent de perdre leur emploi. De plus, ils ont peur de ne pas être retenus pour travailler au pays l’année suivante. Nous avons entendu dire qu’ils vivent du racisme et qu’ils sont moins rémunérés que les Canadiens; les employeurs ne respectent pas toujours les contrats et leur donnent parfois moins d’heures de travail que prévu, ce qui signifie un salaire moindre. Des défis sont également constatés sur les plans du transport, de l’accès aux garderies, du logement et du manque d’occasions de socialiser en milieu rural.
Notre organisme a aussi rencontré des clients qui ont affirmé avoir payé un consultant dans leur pays d’origine, environ 10 000 $ chacun, pour avoir accès à un permis de travail fermé. Une fois arrivés sur place, puisqu’il n’y avait pas de logements disponibles, les travailleurs étaient hébergés chez l’employeur et dormaient sur le sol dans la cuisine. Les travailleurs n’avaient pas de quarts de travail, donc pas de salaire. L’employeur a alors proposé de les renvoyer à un autre site où il n’y avait ni transport ni hébergement. Ces clients ont fini par soumettre une demande pour travailleurs vulnérables pour changer leur permis de travail pour un statut ouvert.
Dans une autre situation que nous avons vue également, une vingtaine de clients sont arrivés du Mexique. Les travailleurs sont restés quatre semaines sans travailler. Des clients ont demandé des renseignements sur les banques alimentaires. Il arrive parfois qu’ils doivent travailler 60 heures par semaine, puis il y a des semaines où ils ne travaillent pas. Le nombre d’heures que les travailleurs peuvent travailler dépend du rythme de la saison de la pêche. Les employeurs leur donnent la possibilité de rester neuf mois, même s’ils n’ont pas forcément de travail. Si certains se plaignent, l’employeur paie le billet d’avion du retour au pays. Il est probable qu’ils ne reviendront pas pour la prochaine saison.
Je vous ai parlé de quelques situations, sans nécessairement exposer toutes celles que nous avons vécues au sein de notre organisation.
En raison des défis identifiés par nos clients, le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick souhaite faire des recommandations afin de soutenir les droits et les besoins des travailleurs étrangers temporaires, mais aussi des entreprises qui accueillent ces travailleurs. Nous espérons voir un travail de collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, y compris avec les centres en matière d’établissement qui accueillent les travailleurs étrangers temporaires, afin de veiller au respect des droits des travailleurs étrangers temporaires, de prendre en charge directement les plaintes des travailleurs et de s’assurer que les droits des travailleurs et les normes du travail sont toujours respectés. Nous espérons offrir gratuitement de la formation linguistique aux travailleurs étrangers temporaires, en tenant compte de leurs horaires de travail.
Nous espérons également renforcer la formation sur les compétences interculturelles et les mesures de surveillance auprès des entreprises qui font du recrutement à l’échelle internationale et mettre à la disposition des travailleurs temporaires des moyens de porter plainte en toute sécurité, en leur offrant un soutien juridique pour qu’ils connaissent leurs droits et leurs responsabilités en matière d’immigration dans le pays où ils travaillent.
Nous aimerions aussi autoriser un transfert de permis de travail à un autre employeur ou à une autre industrie qui a aussi besoin d’employés pour une période de travail déterminée, afin de terminer le contrat et de renforcer les capacités des centres qui travaillent en matière d’établissement, qui sont tous des organismes à but non lucratif, pour qu’ils puissent mieux accompagner les travailleurs étrangers temporaires dans leur intégration socioculturelle. Enfin, nous souhaiterions conclure des ententes bilatérales avec certains pays en matière de recrutement de travailleurs afin de diminuer les risques de fraude.
Pour terminer, les entreprises de nos régions doivent être ingénieuses et trouver des stratégies afin d’assurer le transport et l’hébergement et de répondre aux besoins des travailleurs étrangers temporaires. Nous croyons que certaines entreprises de nos régions ont fait preuve de pratiques exemplaires et ont développé une expertise afin d’assurer une qualité de vie aux travailleurs étrangers temporaires.
Notre organisme reste à la disposition de votre comité, des entreprises et des gouvernements fédéral et provincial pour apporter notre soutien à ce dossier. Merci de votre attention.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, madame Losier. Je vais donner la parole à mes collègues pour qu’ils vous posent des questions. Vous savez sans doute que la semaine dernière, nous étions dans votre région, et nous y avons rencontré des employeurs et des travailleurs migrants. Nous avons bien à l’esprit certaines des préoccupations et des recommandations que vous nous avez présentées. Je vous remercie.
Permettez-moi de commencer en vous posant une question bien précise. J’espère que vous pourrez satisfaire ma curiosité.
Vous avez dit que dans certains cas, les travailleurs temporaires devaient payer plus de 10 000 $ — ou près de 10 000 $ — pour obtenir les services de consultants. Avez‑vous réalisé des sondages auprès des travailleurs de votre région pour confirmer si les consultants sont en marge du programme ou s’ils en font partie?
[Français]
Mme Losier : Je ne suis pas certaine de comprendre la question. Vous m’avez parlé d’un sondage, mais je n’ai pas compris le reste de la question.
[Traduction]
La présidente : J’aimerais savoir si votre organisme a sondé les travailleurs étrangers temporaires à propos de leurs interactions avec les consultants en immigration, les consultants en matière d’emploi, etc. Nous avons entendu dire que les travailleurs ont recours aux consultants. Cette pratique fait-elle partie du système?
[Français]
Mme Losier : Malheureusement, nous avons vécu plusieurs situations où des clients ont dû faire des démarches auprès de consultants à l’international. Ils ont déboursé des sommes importantes, et ce, régulièrement. Nous sommes exposés à cette situation. Je pense à un travailleur temporaire dans la région de Moncton qui ne venait pas travailler dans le secteur des pêches. Il a déboursé une somme importante. Arrivé à l’aéroport de Montréal, il ne savait pas encore qui était son employeur et finalement, il a appris qu’il s’en allait au Nouveau-Brunswick. Il n’avait pas de transport pour se rendre au Nouveau-Brunswick. Il a dû contacter quelqu’un qu’il connaissait; un ami est allé le chercher. Il s’est finalement rendu au Nouveau-Brunswick et se trouve actuellement dans un refuge pour travailleurs temporaires à Moncton. Malheureusement, ce sont des situations que nous voyons régulièrement au CAFi.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Je vous remercie de votre présence. Il est important, dans le cadre de notre étude, que nous entendions des représentants de toutes les régions du pays. Comme je suis originaire de la Nouvelle-Écosse, je suis toujours ravie d’accueillir des Canadiens de l’Atlantique à notre comité.
Bon nombre des éléments dont vous avez parlé aujourd’hui sont des choses que nous avons entendues dans d’autres régions. Je me demande donc — du point de vue du gouvernement fédéral — si les programmes pour les travailleurs migrants ont besoin d’être redéfinis. Devons-nous les réexaminer? Le Programme des travailleurs étrangers temporaires a été élaboré dans les années 1970, et nous voici bien des années plus tard avec beaucoup plus de travailleurs migrants au Canada, dont beaucoup se rendent dans le Canada atlantique. Ce programme répond-il à la demande? Faut-il y apporter des changements qui le rendraient plus efficace et plus facile d’utilisation pour les employeurs et les travailleurs migrants?
[Français]
Mme Losier : Merci pour votre question. En fait, le programme est en place depuis plusieurs années. En tant qu’organisme travaillant en matière d’établissement, nous sommes exposés à plusieurs entreprises qui nous questionnent sur tout le processus et sur la façon dont nous procédons pour faire venir des gens à l’étranger.
Notre mandat n’est pas de faire du recrutement à l’international, mais il y a un manque d’éducation au sein des entreprises sur le processus de recrutement. Ce manque d’éducation de la part des entreprises les met à risque de moins bien accompagner les travailleurs temporaires. L’éducation est nécessaire. A-t-on la possibilité de revoir le processus? Nous ne recrutons pas, donc je ne pourrais pas vous parler de toutes les étapes du processus, mais les entreprises nous ont rapporté que le recrutement est un travail laborieux.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Je vous remercie. Vous avez soulevé un très bon point. Nous devons mieux renseigner les travailleurs migrants et les entreprises qui veulent les recruter.
Vous avez également parlé du problème de la langue. Nous avons appris — bien sûr, nous ferions la même chose — que les travailleurs, en particulier dans les régions rurales, côtoient les autres travailleurs qui parlent leur langue. C’est bien qu’il y a d’autres travailleurs qui parlent leur langue, mais le fait de passer du temps avec eux ne les aidera pas à apprendre le français ou l’anglais, qui sont les langues du Canada. Le Nouveau-Brunswick est d’ailleurs la seule province officiellement bilingue.
Comment aider les travailleurs à apprendre le français ou l’anglais dans les régions rurales? Il s’agit d’un défi. Je reviens tout juste de Terre-Neuve — j’étais dans les collectivités de pêcheurs et les régions rurales —, et je peux vous dire que les gens sont confrontés aux mêmes défis. Que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous changer la donne?
[Français]
Mme Losier : Comme je l’ai mentionné dans nos recommandations, il faut être en mesure d’offrir des programmes accessibles aux travailleurs temporaires. Ils travaillent de longues heures, ils ont souvent des familles et il leur est très difficile de trouver du temps pour faire l’apprentissage d’une autre langue. Vous avez raison de mentionner que les travailleurs temporaires se regroupent. Les gens du Mexique vont vivre ensemble, par exemple. C’est très difficile pour eux de s’exposer à une autre langue. La culture acadienne francophone a une particularité importante et nous voulons pouvoir en faire la promotion dans notre communauté.
Certaines initiatives du gouvernement fédéral offrent des programmes de langue. À l’heure actuelle, ces initiatives sont offertes par les collèges communautaires et sont financées par IRCC. Cependant, aux dernières nouvelles, il s’agissait de projets pilotes. Le financement fédéral que nous recevons est destiné surtout aux résidents permanents. Notre organisme ne reçoit pas un financement suffisant pour offrir des cours de langue aux travailleurs temporaires, parce que nous recevons seulement un petit financement du gouvernement provincial pour les appuyer.
Nous voudrions être en mesure d’offrir de l’aide aux travailleurs temporaires pour l’apprentissage de la langue, parce que c’est ce qui leur permettra de mieux s’intégrer dans la communauté et de briser les barrières au sein de la communauté d’accueil, qui s’ouvrira davantage aux nouveaux arrivants. Les gens de la communauté savent que les nouveaux arrivants parlent surtout espagnol et la barrière est très difficile à briser en raison de la langue. Nous rappelons toujours l’importance d’offrir de la formation. Il faut que les programmes soient accessibles et les projets pilotes mis en place avec le collège communautaire étaient de la formation en ligne.
Le défi est de retenir nos travailleurs et de les amener à s’engager à suivre des cours de langue. Cela pose un défi, parce que ces personnes travaillent de longues heures. Nous avons des cercles de conversation qui nous permettent de créer un réseautage et de développer une relation avec les clients pour justement former des liens dans la communauté. Toutefois, ces cercles de conversation ne suffisent pas; nous avons besoin de formation linguistique. C’est un sujet très important. Il s’agit de trouver comment faire pour retenir et rejoindre ces personnes.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, Mme Losier sera avec nous pendant une heure. Je vais donc être très généreuse quant au temps dont vous disposerez pour vos questions et vos réponses. Je sais que nous n’avons pas l’habitude de fonctionner ainsi.
[Français]
La sénatrice Osler : Merci d’être ici aujourd’hui, madame Losier.
[Traduction]
La semaine passée, si ma mémoire est bonne, nous avons rencontré des représentants du CAFi en Acadie. Les membres du comité sont toujours heureux d’entendre parler d’exemples concrets, comme ceux que vous nous avez présentés.
[Français]
Je vais poser deux questions en anglais.
[Traduction]
Ma première question est la suivante : d’après votre expérience, quels sont les défis en matière de soins de santé auxquels les travailleurs et les employeurs sont confrontés?
Y a-t-il des pays où les travailleurs ont plus souvent eu recours aux consultants en immigration, ce qui aurait créé plus de problèmes pour ces travailleurs, notamment en ce qui concerne les paiements, l’endroit où ils allaient travailler ou comment ils se rendraient à leur lieu de travail? Y a-t-il des pays où les travailleurs ont eu plus de problèmes avec les consultants en immigration?
[Français]
Mme Losier : J’ai compris que vous aviez deux questions. La première est-elle bien de savoir quels sont les besoins en santé?
[Traduction]
La sénatrice Osler : Pourriez-vous nous parler des problèmes d’accès aux soins de santé auxquels les travailleurs ont été confrontés? Par ailleurs, les employeurs vous ont-ils parlé de difficultés en matière d’accès aux soins de santé?
[Français]
Mme Losier : Comme je suis à la direction générale, je n’ai pas toujours connaissance de toutes les situations avec les employés. Il m’est donc difficile de vous donner des exemples particuliers. Il ne faut pas oublier que les travailleurs temporaires dans la région de Shediac—Cap-Acadie n’ont pratiquement pas accès à des soins de santé, étant donné la distance. Sans moyen de transport, ces gens ne peuvent pas se rendre dans des établissements de soins de santé. La distance dans les régions rurales éloignées fait en sorte qu’il est très difficile d’avoir accès à des soins de santé.
La deuxième question concernait les consultants. Sans vouloir généraliser — et je ne veux pas cibler certains pays —, je crois qu’à l’heure actuelle, les cas concernent des compagnies de l’Algérie. Des consultants de l’Algérie avaient fait des démarches auprès de travailleurs temporaires et les clients avaient dû payer des sommes importantes pour obtenir un permis de travail. Nous avons le nom de la compagnie, mais bon.
La sénatrice Osler : Merci.
Le sénateur Cormier : Merci d’être là, madame Losier. J’apprécie beaucoup que vous preniez le temps d’être avec nous, d’autant plus que le CAFi joue un rôle absolument essentiel dans l’offre de services pour favoriser l’accueil et l’intégration des travailleurs temporaires. Nous avons eu l’occasion de vous entendre et je sais que vous faites face à des défis de financement énormes. De plus, vous êtes dans un contexte minoritaire. Vous travaillez dans des milieux francophones et acadiens. Je tiens d’abord à reconnaître ce fait, car vous avez une grande spécificité dont on doit tenir compte dans le financement que vous obtenez. Vous recevez de l’argent du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial.
J’ai deux questions pour vous. Vous recevez beaucoup d’information sur les défis que rencontrent les travailleurs. De quels mécanismes disposez-vous pour transmettre cette information au gouvernement fédéral ou au gouvernement provincial? Avez-vous la capacité de transmettre ces données concrètement et de faire rapport sur les enjeux dont vous avez connaissance? J’aimerais comprendre ce processus très important.
Mme Losier : Ce sont nos agents d’accueil qui établissent des liens avec les clients. Nos clients développent des relations très privilégiées avec nos employés. Il est difficile pour un nouvel arrivant, par peur de représailles, de s’ouvrir et de dire qu’il vit des défis. Sur le plan local, nous essayons de répondre aux besoins de base spécifiques. Certains clients viennent nous voir s’ils ont besoin d’avoir recours à des banques alimentaires. Nous entamons alors des démarches en ce sens. Nous travaillons également avec les municipalités pour répondre aux besoins.
Bien sûr, défendre tous les droits des travailleurs temporaires va au-delà de nos ressources. Nous accompagnons plutôt les clients vers les ressources fédérales pour qu’ils puissent obtenir de l’aide. Le parcours que certains travailleurs plus vulnérables doivent emprunter pour obtenir de l’aide n’est pas toujours clair et l’exercice requiert beaucoup d’accompagnement.
Le sénateur Cormier : J’ai une question plus spécifique. Êtes-vous en mesure de faire rapport au gouvernement fédéral sur ce que vous entendez sur le terrain et sur les défis que rencontrent les travailleurs? Êtes-vous en mesure d’en faire rapport? Avez-vous des interlocuteurs au gouvernement fédéral à qui vous pouvez faire rapport?
Mme Losier : Nous siégeons à différents comités. IRCC participe au comité pour l’Atlantique. Nous siégeons également à des comités provinciaux où l’on retrouve des représentants d’IRCC. Dans certaines situations particulières avec des clients, on préfère traiter le problème directement avec nos agents d’accueil ou avec les directeurs fédéraux-régionaux de l’Atlantique. Nous avons des liens étroits avec des employés d’IRCC.
Le sénateur Cormier : Ma prochaine question touche la formation linguistique, et vous en avez parlé. Le Comité des langues officielles a déposé tout récemment un rapport sur la formation linguistique des travailleurs. IRCC ne finance pas les services d’établissement offerts aux résidents temporaires, c’est‑à-dire la formation linguistique et les services à l’emploi. Par ailleurs, nous savons que le programme de mobilité francophone a vu une diminution des compétences en français.
Dans un contexte minoritaire francophone comme celui dans lequel vous travaillez, considérant que vous voulez aussi aider les gens à socialiser et à s’intégrer, et pour ceux qui aimeraient éventuellement obtenir un statut de résident permanent, quel est votre point de vue sur la question de la formation linguistique? Vous en avez parlé, mais croyez-vous qu’il est de bon augure de diminuer les exigences linguistiques pour aider les travailleurs qui arrivent au Nouveau-Brunswick à faire face aux défis d’intégration linguistique? Que pouvez-vous nous dire de plus à ce sujet?
Mme Losier : C’est drôle que vous posiez la question, parce que nous connaissons une personne actuellement qui est francophone et qui n’a même pas passé son examen de français. Ce pourrait donc être une recommandation que l’on pourrait faire. Peut-être que si l’on réduisait les exigences linguistiques, cela permettrait aux personnes de faire une demande de résidence permanente plus rapidement pour apprendre le français ensuite. Évidemment, la question linguistique pose un défi pour nos travailleurs temporaires, surtout s’ils n’ont pas accès aux cours de langue. Le fait de diminuer les exigences linguistiques pourrait être une solution.
Le sénateur Cormier : Merci.
La sénatrice Mégie : Merci d’être avec nous, madame Losier. J’aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Cormier sur le volet linguistique.
Vous siégez à plusieurs comités pour faire part des problèmes que vous rencontrez dans votre province. Pouvez-vous vous faire entendre sur le fait que le Canada devrait prioriser les travailleurs issus de pays francophones pour votre province? Le pays le plus proche de vous, d’un point de vue géographique, c’est Haïti. Y aurait-il une possibilité que le Canada intervienne pour diriger ce groupe?
Vous avez dit qu’il fallait établir une entente bilatérale avec les pays. Or, chaque fois que je pose la question lors des réunions, on nous répond qu’il n’y a pas d’entente bilatérale avec Haïti.
Pensez-vous qu’il est nécessaire de passer obligatoirement par des accords bilatéraux pour qu’un pays puisse profiter de ce programme?
Mme Losier : Je ne suis pas à l’aise de répondre à cette question. J’ai compris de la rencontre de la semaine dernière qu’il y a eu une question concernant la sécurité pour Haïti. Je ne suis pas en mesure de vous dire pourquoi les entreprises sont portées à aller vers le Mexique, la Jamaïque ou les Philippines. Évidemment, ce sont des pays où les travailleurs temporaires ne sont pas francophones.
Est-ce qu’on pourrait aller chercher des gens dans des pays francophones? Je pense que oui. Cela pourrait renforcer la question linguistique d’avoir des francophones; on pourrait aussi, à l’inverse, offrir des cours d’anglais. Je pense qu’il y a une ouverture, mais qu’il faut mieux étudier la question.
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre présence, madame Losier. Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir accordé plus de temps. J’ai l’intention d’en profiter pleinement.
Vous nous avez parlé — comme d’autres intervenants — de conditions de logement qui posaient problème. D’après ce que nous avons compris, une partie de la surveillance et de l’application des normes et des règles relève de Service Canada.
Nous comprenons qu’il existe des préoccupations quant au partage des compétences en matière de logement entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités.
Votre agence agit-elle parfois comme tierce partie plaignante auprès de Service Canada au sujet de conditions qui sont portées à votre attention, afin de protéger les travailleurs? Dans l’affirmative, quelle réponse avez-vous reçue et quelle a été votre expérience en ce qui concerne la surveillance et l’application des normes et des règles par Service Canada?
Y a-t-il d’autres agences, à part Service Canada, qui pourraient jouer un rôle de surveillance et veiller à l’application des normes et des règles de façon à protéger les travailleurs? Pourriez-vous répondre d’abord à ces deux questions, s’il vous plaît?
[Français]
Mme Losier : Merci de la question. Évidemment, notre organisation est un organisme d’accueil et d’établissement. On n’a pas nécessairement le financement ou la capacité nécessaires pour militer sur toutes les situations. Notre mandat n’est pas de militer. Tout ce qu’on peut faire, c’est accompagner les clients vers les ressources.
Dans la région de Cap-Acadie, on a seulement cinq employés qui servent cette population de travailleurs temporaires et de résidents permanents qui s’installent. Quand on a des clients préoccupés par les conditions de leur logement, on va les rediriger vers des services. On comprend qu’il y a des limites pour eux pour ce qui est de connaître le système auquel ils sont confrontés pour recevoir de meilleurs services en matière de logement. On va s’assurer d’établir des liens entre les services et nos clients. On fait un suivi avec eux pour voir si tout se passe bien. De notre côté, c’est ce qu’on peut faire à l’heure actuelle. On est quand même très limité comme ressource.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Je comprends cela, et je vous remercie de votre réponse. Je comprends très bien les limites auxquelles vous faites face en raison de ma propre expérience avec les organismes d’aide à l’établissement en Nouvelle-Écosse. J’y reviendrai dans un instant.
Examinons cette question plus en détail. Je crois comprendre que votre organisme n’a pas la capacité de mener ce travail. Savez-vous s’il existe un organisme indépendant de Service Canada qui pourrait protéger les travailleurs en cas de plainte? D’après vous, qu’a fait Service Canada pour enquêter et faire valoir les préoccupations soulevées en matière de logement?
[Français]
Mme Losier : Selon mon expérience, je sais qu’il y a eu quelques situations où des travailleurs se sont plaints de la condition des logements, notamment dans la région de Moncton. Ce n’était pas nécessairement des travailleurs temporaires. À ma connaissance, cela avait été réglé. Devrait-il y avoir une autre agence de surveillance? Oui, mais pas seulement pour le logement. Il faudrait une association qui peut mieux accompagner les travailleurs temporaires sur toute la question des droits, notamment l’accès aux soins de santé et au logement, et les aider à défendre leurs droits lorsqu’ils manquent d’heures de travail. Il faut mieux s’organiser pour mieux protéger tous les droits des travailleurs temporaires. À l’heure actuelle, il semble y avoir un manque lorsqu’il s’agit de rediriger les gens vers une association qui pourra mieux les accompagner.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie, madame Losier. Je tiens à ce que mes collègues sachent que je n’ai pas demandé à l’avance à Mme Losier de dire cela, parce que sa réponse me mène tout naturellement à ma prochaine question.
Nous savons que les organismes d’aide à l’établissement ne reçoivent pas de financement pour soutenir les travailleurs étrangers temporaires. D’ailleurs, d’après mon expérience, certains d’entre eux se sont fait dire qu’il était interdit de le faire, et lorsqu’ils ont apporté leur soutien à ces travailleurs, on leur a dit que leur financement pourrait être réexaminé.
Pouvez-vous nous parler des changements qui pourraient être apportés aux organismes d’établissement et à la réglementation pour permettre à ces organismes d’accomplir ce travail important pour les travailleurs étrangers temporaires et d’accéder à des fonds afin qu’ils aient la capacité d’accomplir ce travail?
[Français]
Mme Losier : Nous l’avons déjà mentionné. Le financement principal de notre organisation vient du gouvernement fédéral. Ce financement est destiné principalement aux résidents permanents. En tant qu’association en matière d’établissement, si on était en mesure de recevoir des fonds supplémentaires et d’élargir la clientèle que nous pouvons servir, notamment les travailleurs temporaires, grâce au financement fédéral, cela nous permettrait de mettre en place des programmes et d’avoir des gens qui sont formés pour accompagner les travailleurs temporaires. C’est sûr qu’un financement supplémentaire du gouvernement fédéral nous permettrait de servir les travailleurs étrangers temporaires.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Si je comprends bien ce que vous avez dit, votre suggestion serait de modifier la réglementation afin que les organismes d’établissement puissent aider les travailleurs étrangers temporaires et disposer d’un financement ciblé pour qu’ils soient en mesure de répondre à leurs besoins. Est-ce bien ce que vous dites?
[Français]
Mme Losier : Oui, c’est bien cela.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Pourriez-vous dire cela, s’il vous plaît? Il faut vraiment que vous le disiez pour que nous puissions utiliser votre témoignage.
La présidente : Je pense, sénateur Kutcher, que notre témoin a dit qu’elle aimerait que ces recommandations soient formulées. Cela figure au compte rendu, et nous pourrons donc présenter des recommandations en ce sens.
La sénatrice Petten : Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole. Je connais bien le sujet dont nous parlons aujourd’hui en tant qu’employeuse qui a embauché un grand nombre de ces travailleurs dans une autre vie. Je suis aussi bien au fait de la situation à Terre-Neuve-et-Labrador.
Je suis un peu surprise par les éléments négatifs et tous les problèmes qui ont été soulevés. N’est-il pas dans l’intérêt des employeurs d’avoir des gens qui travaillent, qui sont heureux et qui voudraient revenir travailler dans leur entreprise? Les employeurs sont confrontés à une main-d’œuvre vieillissante et ils ont des problèmes de productivité. Ils risquent même de devoir fermer leurs portes. Ils doivent donc trouver des solutions.
Cette année, je sais que des Mexicains ont été embauchés à l’usine où j’ai travaillé. Il s’agit d’une usine de transformation des fruits de mer. L’usine a regroupé ces travailleurs pour qu’ils soient à l’aise. Vous savez, il y a une barrière linguistique, même en anglais. Les travailleurs avaient donc au moins une personne avec laquelle ils pouvaient communiquer et ils pouvaient s’entraider. J’ai voulu leur rendre visite au début de l’année, au printemps, lorsqu’ils sont arrivés. Ils n’étaient pas là et j’étais déçue, car j’aurais aimé leur parler et leur souhaiter la bienvenue. Ils étaient tous partis à la banque pour ouvrir leurs comptes bancaires parce qu’il n’y avait qu’une seule personne dans leur groupe qui pouvait les aider.
À Terre-Neuve-et-Labrador, pour tenter de résoudre ce problème, on essaie de travailler en partenariat avec les organismes de financement pour trouver de meilleures conditions de logement.
À l’usine dont je viens de parler, on a acheté une maison pour la transformer en dortoir. Les travailleurs ont donc pu se prévaloir de certaines installations et ont pu travailler ensemble. L’usine a aussi nommé des personnes vers qui les travailleurs pouvaient se tourner en cas de problème. Elle a mis sur pied une sorte de système de jumelage. Il y a des exemples positifs.
Mais il existe encore beaucoup de problèmes. Qu’il s’agisse du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou des habitants de ces collectivités rurales, il y a un problème d’accès aux soins de santé, point final. C’est la réalité de la vie en région rurale. La province tente de régler ce problème.
Je me demande si les provinces ont un rôle à jouer. Elles pourraient s’entretenir avec certains organismes et peut-être exiger qu’une accréditation soit mise en place. Les organismes devraient peut-être discuter avec les représentants des provinces de la mise en place de certaines règles. Je sais que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a accueilli beaucoup d’Ukrainiens.
Ensuite, bon nombre de ces travailleurs temporaires ne sont ici que pendant un certain temps. Beaucoup d’entre eux veulent rester. Ils doivent pouvoir être soutenus et peut-être même encouragés à fonder des entreprises ou à poursuivre leur vie au Canada. Nous avons besoin de plus de gens pour accomplir le travail dans ces régions.
Les provinces pourraient-elles s’impliquer davantage par le biais d’un partenariat avec les organismes et les employeurs? Elles doivent être en mesure de surveiller de près ce qu’ils doivent faire et ce qui n’est pas acceptable. Ils doivent être rappelés à l’ordre s’il y a un problème.
Je ne vois pas pourquoi ils ne s’occuperaient pas de ces travailleurs, parce qu’ils en ont tant besoin. C’est ce que j’ai du mal à comprendre.
[Français]
Mme Losier : Comme organisation, l’un de nos plus grands défis, c’est de recevoir un financement pour appuyer l’employabilité ainsi que tous les volets qui y sont liés. À l’heure actuelle, pour la planification de nos activités, nous ne recevons pas de financement pour offrir des programmes, que ce soit pour soutenir les employeurs ou même pour accompagner les travailleurs vers l’employabilité. Nous savons bien qu’avec le renouvellement du financement, il est très clair que tout ce qui touche l’employabilité pour notre association ne sera pas accessible pour les quatre prochaines années ou selon nos prochaines ententes de financement.
Comme association, cela nous freine énormément pour ce qui est de développer des programmes. Ce que nous pouvons faire, c’est continuer à développer des partenariats. Évidemment, à l’échelle régionale, comme à Shediac et à Cap-Acadie, nos employés établissent des liens très forts avec les entreprises. Nous voulons aussi être une porte d’entrée pour les entreprises, établir des liens et mieux accompagner les employeurs. Cependant, sur le plan du financement, comme petit organisme sans but lucratif, la tâche est très importante.
[Traduction]
La sénatrice Burey : J’ai eu le privilège de rencontrer des représentants de votre organisme. Je vous remercie du travail que vous accomplissez avec si peu de ressources. Vous avez même élargi vos opérations.
Je voulais ajouter quelque chose à la question posée par la sénatrice Cordy. Je ne prétends pas que vous serez en mesure de concevoir le système. Vous avez toutefois soulevé des observations importantes sur ce qui se passe sur le terrain, sur les problèmes et les domaines où les abus se produisent. Ces observations nous aideront — au niveau fédéral et provincial — à concevoir un système qui répondra aux besoins de la main‑d’œuvre internationale, des collectivités et des entreprises. Selon votre expérience sur le terrain, qu’est-ce qui pourrait nous être utile? Voilà ce que nous voulons savoir. Vous avez formulé des recommandations très importantes.
Je m’intéresse particulièrement à l’augmentation de 60 % des permis fermés que vous avez évoquée. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? D’où viennent ces permis fermés? Leur prévalence crée-t-elle un environnement propice à plus d’abus? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
[Français]
Mme Losier : La provenance des permis de travail pour les travailleurs que nous avons reçus au cours de la dernière année était surtout pour des gens des Philippines, du Mexique et de la Jamaïque. Ce sont les trois principaux pays d’origine de nos travailleurs temporaires.
Nous ne voulons pas généraliser : nous avons parlé de quelques situations sur les quelque 186 travailleurs temporaires qui sont arrivés au cours des dernières années. Il y a d’autres situations où des travailleurs — c’étaient des gens qui venaient du Maroc aussi... Il s’agit de situations qui peuvent se produire. Est-ce que c’était la question, savoir la provenance des travailleurs étrangers et ce que nous pouvions faire?
[Traduction]
La sénatrice Burey : Oui. J’aimerais en savoir plus au sujet des permis de travail fermés. D’où vient la main-d’œuvre internationale? Constatons-nous davantage d’abus? Ce sont mes questions.
[Français]
Mme Losier : Les principaux employeurs de la région de Shediac et Cap-Acadie sont dans l’industrie de la transformation du poisson. C’est la principale industrie de la région. Deux employeurs n’étaient pas dans l’industrie de la pêche, mais dans celle de la restauration. Nous avons aussi des gens dans l’industrie de la pêche.
[Traduction]
La sénatrice Burey : J’aimerais savoir où se trouvent les problèmes les plus importants dans notre système et quelle est la cause de la plupart de ces problèmes.
Dans vos recommandations, vous avez également parlé de la création d’ententes bilatérales. Nous savons que certains pays ont conclu des ententes bilatérales. Pourquoi avez-vous formulé cette recommandation? En avez-vous entendu parler sur le terrain? Les gens qui sont venus demander de l’aide en ont-ils parlé?
[Français]
Mme Losier : Pour nous, il faut être en mesure d’assurer la sécurité des travailleurs temporaires. Le fait que les gens arrivent ici et nous disent qu’ils ont payé des sommes importantes à des consultants d’autres pays... Nous nous disons que si nous pouvions avoir directement des ententes avec des pays où nous pourrions assurer la sécurité par rapport à la question des consultants... Lorsque nous entendons parler de ces situations, cela n’est pas de notre ressort et nous ne savons pas vraiment comment accompagner ces gens. Nous n’avons pas la capacité ni les ressources pour le faire. Notre recommandation est de voir comment nous pourrions faire venir ces gens ici dans un contexte de sécurité, pour que les gens ne sentent pas qu’ils ont été victimes de fraude.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je vous remercie de votre présence.
La semaine dernière, lors de notre voyage, nous avons rencontré un certain nombre d’employeurs. Il est clair que nous avons rencontré de bons employeurs. Je ne pense pas qu’un employeur médiocre aurait voulu s’entretenir avec nous. Nous pouvons donc dire que notre échantillon d’employeurs n’était pas représentatif.
Néanmoins, nous avons entendu parler de quelques-uns de ces problèmes qui sont très préoccupants. J’aimerais connaître votre avis, parce que vous n’avez pas de données précises sur les employeurs.
Diriez-vous que la plupart des employeurs sont de bons employeurs et qu’il n’y en a que quelques-uns qui réservent un mauvais traitement aux travailleurs? Avez-vous l’impression que beaucoup d’employeurs traitent mal les travailleurs? J’essaie de me faire une idée. Je sais que vous ne pouvez pas nous donner une proportion exacte, mais avez-vous une idée? Diriez-vous que quelques-uns sont mauvais, mais que la plupart sont bons? Ou est-ce l’inverse?
[Français]
Mme Losier : Il est évident que nous travaillons dans une très petite région. Si un ou deux employeurs font subir un mauvais traitement à nos clients, par rapport à la population que nous avons, ce sont déjà deux de trop. Est-ce que je crois que certaines entreprises font preuve d’ingéniosité et ont appris à bien travailler avec les travailleurs temporaires?
Je suis tout à fait d’accord. Vous avez justement rencontré, lors de votre visite, des entreprises qui font preuve de bienveillance envers les clients travailleurs temporaires. Malheureusement — et je pense que c’est peut-être par manque de connaissances sur les méthodes collaboratives de travail et sur l’interculturalité avec les clients —, il y a quelques entreprises fautives. Est-ce que je pense que la majorité des entrepreneurs de la région font du bon travail? Je pense que oui, j’espère que oui, mais on voit quand même certaines situations se produire.
J’ai toujours la perspective suivante : on veut combler la pénurie de main-d’œuvre, car c’est un besoin de l’entrepreneur, mais il faut aussi réaliser que le travailleur temporaire a aussi des besoins. Pour lui, il s’agit d’avoir une meilleure qualité de vie, de santé et de sécurité et de subvenir à ses besoins et aux besoins de sa famille. Comment faire pour arriver à un juste milieu où les deux pourront s’entendre? C’est la raison pour laquelle on fait venir ces gens ici. Merci.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, madame Losier.
Nous allons passer à la deuxième série de questions, mais avant, si mes collègues me le permettent, j’aimerais poser une brève question à Mme Losier.
Pendant notre voyage au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons rencontré des employeurs et des travailleurs. Sénatrice Petten, je comprends votre point de vue et je confirme que nous avons rencontré des employeurs modèles, mais nous avons aussi entendu parler de brebis galeuses. Je ne saurais vous dire si les brebis galeuses sont l’exception ou la règle puisque, comme la sénatrice Dasko l’a souligné, ce dossier est fondé sur des observations et non sur des données. C’est le problème qui se présente à nous.
De nombreux employeurs — en fait, tous les employeurs — nous ont dit que sans travailleurs migrants, ils seraient obligés de fermer les portes de leurs entreprises du jour au lendemain. Jusqu’à maintenant, la discussion a porté sur ce que pouvaient faire les gouvernements et votre organisme.
En vous fondant sur votre travail, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez que les employeurs pourraient faire de plus?
[Français]
Mme Losier : Comme je l’expliquais plus tôt, les entreprises veulent embaucher de la main-d’œuvre, donc elles vont chercher des gens à l’international. Il y a aussi la question de l’ouverture sur la culture des gens que les entreprises font venir ici. Je pense qu’elles ont aussi la responsabilité d’assurer une intégration complète de ces travailleurs. Je ne voudrais pas que les gens soient perçus comme de la main-d’œuvre uniquement; ils sont aussi des humains, des gens qui ont des besoins.
J’aimerais vraiment que les entreprises soient plus ouvertes à mieux intégrer les nouveaux arrivants dans le milieu de leur entreprise. Je pense qu’il manque peut-être de formation au sein des entreprises, pour mieux accompagner et voir aux besoins des travailleurs temporaires au sein de la communauté d’accueil. Il faudrait aussi que les entreprises offrent de la formation aux employés de la communauté d’accueil, et donc que tous les autres employés de l’entreprise qui ne viennent pas d’un autre pays soient en mesure de soutenir un collègue qui vient du Mexique, mais qui a des difficultés, qui ne comprend pas et avec qui on ne peut pas discuter. Il faut comprendre aussi que, comme Canadiens, il faut s’adapter au processus d’apprentissage de nos collègues qui viennent d’un autre pays.
Si j’allais travailler au Maroc demain matin, j’aurais très probablement besoin de mesures d’adaptation comme employée, peu importe le milieu de travail où je me retrouverais. Il y a un besoin de compréhension de la part de la communauté canadienne vis-à-vis les gens qui arrivent au pays et qui viennent travailler dans nos milieux de travail.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, madame Losier. Je me demande si vous avez aussi des observations à faire sur les étiquettes. Vous avez employé les termes « travailleurs étrangers » et « travailleurs migrants temporaires ». D’après vous, d’autres termes seraient-ils mieux choisis, surtout en français, qui diffère manifestement de l’anglais? Vous n’avez pas à répondre maintenant. Si vous avez des suggestions, je vous prie de nous les envoyer.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je voudrais revenir sur la question des défis qu’ont les entreprises dans leur capacité d’assurer une bonne intégration des travailleurs. On a justement entendu des employeurs, lors de notre mission au Nouveau-Brunswick, qui avaient des entreprises familiales au départ, des entreprises qui sont devenues plus grandes, mais n’avaient pas de direction des ressources humaines et n’avaient pas de compétences ou de ressources à cet effet. Dans le cadre de ces programmes destinés à l’accueil des travailleurs étrangers, y a-t-il, à votre avis, des programmes qui pourraient être destinés plus précisément aux employeurs pour les soutenir dans ce travail d’intégration sociale et culturelle, puisqu’il y a de multiples enjeux culturels d’intégration? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Mme Losier : C’est une très bonne question; j’aimerais avoir plus de temps pour y réfléchir. C’est sûr qu’on exige et qu’on espère que l’employeur ou la personne responsable des ressources humaines ait suivi une formation. On s’entend pour dire que la formation dure peut-être une demi-journée ou quelques heures; on n’a pas de contrôle sur ce qui va se passer par la suite. Est-ce qu’on pourrait avoir des programmes d’accompagnement pour les entreprises pour recevoir une formation, mais aussi faire un suivi? Notre organisme offrira bientôt de la formation à l’échelle provinciale à l’intention de certaines entreprises qui font justement venir des gens de l’international. La question que nous avons posée à l’entrepreneur est la suivante : « Oui, on vous offrira de la formation, mais qu’allez-vous prendre comme engagement par la suite? » Ce dialogue est nécessaire pour connaître l’engagement de l’entreprise et savoir ce qui se passera ensuite, mais il faudrait peut-être aussi avoir une organisation qui ferait un suivi auprès des entreprises.
Le sénateur Cormier : Est-ce que vous seriez en mesure d’assurer ce suivi si...
[Traduction]
La présidente : Sénateur Cormier, je crains que ma générosité ait atteint sa limite. Sénateur Kutcher, je suis désolée, mais notre temps est écoulé. Je remercie Mme Losier d’avoir été sur la sellette pendant une heure entière et d’avoir si généreusement répondu à nos questions. Si vous avez d’autres observations ou d’autres idées, nous vous invitons à nous les envoyer par écrit.
Merci beaucoup à vous toutes et tous, ainsi qu’à la témoin.
Nous accueillons maintenant le deuxième groupe de témoins. Merci beaucoup à Mme Teresa Acheson, présidente de la Fédération du travail du Yukon, de se joindre à nous en personne.
Nous recevons aussi M. Charles Cirtwill, président et chef de la direction de l’Institut des politiques du Nord.
Je vous remercie tous les deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Les deux témoins disposeront de cinq minutes chacun pour faire une déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions.
Madame Acheson, vous disposez des cinq premières minutes.
Teresa Acheson, présidente, Fédération du travail du Yukon : Je vous remercie de nous avoir invités à la séance d’aujourd’hui. Nous sommes ravis de participer à votre étude sur l’importante question du programme canadien des travailleurs temporaires et migrants.
La Fédération du travail du Yukon est affiliée au Congrès du travail du Canada depuis 1980. Nous représentons l’ensemble des 24 000 travailleurs du Yukon grâce au soutien financier de nos 7 000 membres syndicaux d’un coin à l’autre du territoire. Je suis Teresa Acheson, présidente de la Fédération du travail du Yukon. Je suis accompagnée — si Internet fonctionne — de ma collègue Mme Donna-Marie Haughton, représentante en matière d’équité.
J’aimerais commencer par vous donner un aperçu des réalités de la vie dans une collectivité nordique. Nous endurons des froids extrêmes et la noirceur six mois par année. Le coût de la vie est élevé et l’accès aux services limité. Par ailleurs, il est de plus en plus nécessaire de faire tomber les barrières linguistiques pour les nouveaux arrivants. Les peuples autochtones redécouvrent leurs langues, et l’inuktitut est l’une des langues officielles du Nunavut. En outre, les Premières Nations sont majoritaires dans certaines collectivités, la diversité culturelle prend de l’expansion, et de nouvelles associations communautaires culturelles voient le jour. Sur le marché du travail du Yukon, les bons travailleurs ont tendance à passer du secteur privé au secteur public, ce qui crée un cycle continu de postes vacants. L’économie yukonnaise connaît la croissance la plus rapide au Canada, et le taux de chômage du Yukon est l’un des plus faibles au pays.
Un fossé profond sépare les secteurs public et privé, ainsi que les petits et les grands employeurs. Au Yukon, 46 % des travailleurs sont employés par la fonction publique. Selon le Northern Safety Network Yukon, 80 % des employeurs qui suivent des cours en vue d’obtenir le certificat de reconnaissance, ou COR, nécessaire pour soumissionner pour des contrats gouvernementaux comptent moins de 10 employés.
L’isolement dans les collectivités nordiques est bien réel, leurs infrastructures sont insuffisantes, et la consommation et l’abus de substances augmentent. Le travail saisonnier occupe une place importante dans les collectivités du Nord, avec la saison du tourisme et la saison de la construction. Le Yukon est un endroit magnifique. Il offre beaucoup d’espace pour croître et prospérer, ainsi que la possibilité de former de nouvelles communautés, de fonder des foyers, de gagner sa vie et de bâtir un avenir sûr au Canada.
Par ailleurs, les perspectives des Premières Nations et la réconciliation doivent faire partie du parcours des nouveaux arrivants.
Dans l’avenir, nous voulons que les volets d’immigration vers le Yukon demeurent ouverts et accessibles, et que le nombre d’immigrants puisse augmenter. Nous demandons aussi d’agrandir le bureau d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, car la présence d’experts locaux pouvant entrer en contact avec les bureaux de traitement et mettre leurs connaissances locales à leur service est extrêmement précieuse. Il devrait y avoir des liens étroits entre les bureaux d’immigration fédéraux et territoriaux, les services frontaliers, les services d’établissement et les acteurs du milieu du travail.
Le gouvernement devrait allouer des fonds au soutien des personnes qui souhaitent travailler et qui veulent contribuer à l’économie canadienne.
Nous croyons également qu’il serait utile d’adopter une approche en matière d’immigration holistique et centrée sur les travailleurs. Prenez l’exemple de l’Association franco-yukonnaise : parce qu’elle tisse des liens avec les employeurs, qu’elle favorise l’emploi, qu’elle aide les candidats à préparer leurs demandes et qu’elle offre des services d’établissement et des activités communautaires, les nouveaux arrivants et les employeurs la voient comme un organisme responsable et digne de confiance.
Rendez les choses plus simples pour les employeurs et les employés. Simplifiez le système. Réduisez les risques de perte liés à l’intimidation, aux erreurs, à la fraude et aux intermédiaires qui affaiblissent les liens avec les travailleurs sur le terrain.
Les travailleurs doivent avoir accès à des services de formation et de perfectionnement continus, que ce soit pour leur emploi actuel ou leur carrière précédente. De tels services peuvent également contribuer à nouer des liens avec la communauté.
Offrez la possibilité d’octroyer des permis de travail ouverts dans le cadre du programme des candidats, au-delà des emplois à temps plein et à la discrétion du travailleur.
Continuez à offrir aux visiteurs la possibilité d’obtenir un permis de travail durant leur séjour au pays, et faites en sorte que le traitement des permis de travail protège les travailleurs vulnérables.
Sensibilisez les travailleurs à la réconciliation et aux cultures des Premières Nations liées aux collectivités auxquelles ils appartiendront.
Créez des liens positifs entre les travailleurs et le système mis en place pour les soutenir afin qu’ils ne craignent pas de courir des risques ou d’être pénalisés s’ils y ont recours.
Incluez l’intégration communautaire, par exemple l’engagement communautaire bénévole, dans le processus d’immigration ou dans les services d’établissement.
Éliminez les obstacles que doivent surmonter les employeurs et considérez la possibilité de créer des volets pour les petites entreprises.
Par ailleurs, il faut aussi faire de la sensibilisation auprès des collectivités nordiques et leur fournir de l’information et du soutien efficace pour les aider à accueillir les travailleurs migrants nouvellement arrivés au Canada. Cela comprend la sensibilisation au racisme systémique qui sévit peut-être encore aujourd’hui.
Je tiens à mentionner que durant notre dernier congrès, la Fédération du travail du Yukon a reçu le mandat d’enquêter sur le besoin de mettre sur pied un centre d’action des travailleurs au Yukon. Jusqu’à maintenant, les recherches montrent que les travailleurs nouvellement arrivés au Canada et les travailleurs nouvellement arrivés au Yukon sont les plus vulnérables et qu’ils auraient avantage à avoir accès à une source unique de services de soutien à l’emploi et à l’établissement.
La présidente : Je vous remercie, madame Acheson. Monsieur Cirtwill, vous disposez de cinq minutes.
Charles Cirtwill, président et chef de la direction, Institut des politiques du Nord : Merci beaucoup de m’avoir invité à m’adresser au comité aujourd’hui.
Comme vous le savez, je suis Charles Cirtwill, président et chef de la direction de l’Institut des politiques du Nord, ou l’IPN. L’IPN est un institut indépendant qui offre un service complet de recherche en politique publique fondée sur des données probantes. Nous sommes basés dans le Nord de l’Ontario, et notre travail est axé sur les enjeux touchant les diverses régions du Nord de l’Ontario.
Si vous cherchez à nous positionner sur l’échiquier politique, je vous dirais qu’il y a des jours où nous nous apparentons au Centre canadien de politiques alternatives, et d’autres jours où nous nous rapprochons plutôt de l’Institut Fraser. Comme nous aimons le dire, ça dépend. Nous avons des bureaux à Thunder Bay et à Kirkland Lake. Nos bureaux sont situés à quelque 1 000 kilomètres l’un de l’autre, ce qui est à peu près la même distance qui sépare Québec et Halifax. Il n’y a pas de service ferroviaire voyageurs direct entre nos deux bureaux ni de liaison aérienne régulière. Pour parcourir la troisième étape du voyage, on peut faire un trajet en autobus de 21 heures, plus une nuitée.
Si je vous parle des problèmes de transport durant une discussion sur la main-d’œuvre temporaire dans les collectivités nordiques, c’est pour souligner qu’il est difficile de faire venir des travailleurs temporaires dans le Nord de l’Ontario. C’est là une des raisons pour lesquelles la main-d’œuvre temporaire du Nord de l’Ontario ne ressemble pas à ce que l’on voit dans les films d’Hollywood. Ce ne sont pas des travailleurs agricoles migrants qui voyagent en autobus et qui vivent dans des logements collectifs. Dans le Nord de l’Ontario, la main-d’œuvre temporaire est constituée de milliers d’étudiants étrangers. En 2019, il y avait environ 3 000 titulaires de permis de travail dans tout le Nord de l’Ontario. Il y avait aussi quelque 8 000 titulaires de permis d’études, et les titulaires de permis d’études occupaient des emplois. D’après les données sur la population active, en 2021, les résidents non permanents représentaient environ 2 % de la main-d’œuvre du Nord de l’Ontario. Les résidents non permanents se chiffraient à quelque 7 500, ce qui veut dire que 75 % d’entre eux — les personnes occupant ou recherchant activement un emploi — étaient des étudiants.
Leur taux de participation était de 82,5 %, tandis que celui de la population en général était de 56,8 %, ce qui donne une différence de 30 %. Le taux de chômage chez les résidents non permanents était de 7,3 %, comparativement à 10,5 % chez le reste de la population. Cela dit, les résidents non permanents étaient fortement regroupés dans deux secteurs : 24,4 % d’entre eux travaillaient dans le commerce de détail, comparativement à environ 12 % chez le reste de la population, soit presque le double; et 26,1 % travaillaient dans le secteur de l’hébergement et des services de restauration, par rapport à environ 6 % chez la population en général.
Tous ces travailleurs actifs ne faisaient pas et ne font toujours pas beaucoup d’argent. En 2019, le revenu médian après impôt des résidents non permanents était d’un peu plus de 14 000 $, comparativement à environ 36 000 $ chez l’ensemble des travailleurs rémunérés du Nord de l’Ontario. L’écart s’explique principalement par la limite de 20 heures de travail imposée aux étudiants. Nous entendons dire que la levée temporaire de cette limite en 2023 a aidé les entreprises à pallier les pénuries de main-d’œuvre et qu’elle a amélioré la qualité de vie des étudiants. Il vaudrait la peine de considérer la possibilité de prolonger cet essai de quelques années afin de nous donner le temps de bien en évaluer les effets.
Comment se fait-il que les collectivités du Nord de l’Ontario dépendent si fortement des étudiants étrangers pour pourvoir leurs postes vacants? Malheureusement, le système d’immigration lui-même est partiellement responsable de cette situation. La manière dont le Canada a conçu son système crée des pénuries. Que dit l’inscription sur la statue de la Liberté? « Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, Qui en rangs serrés... » Voilà le rêve américain : de faire partie d’une classe économique à son arrivée, de jouir de possibilités qu’on n’aurait pas ailleurs, pour ensuite atteindre une classe économique supérieure. Au Canada, c’est complètement différent. Appelons cela le rêve laurentien. Notre version serait plutôt : « Donnez-moi vos personnes très instruites, qui pensent comme nous, parlent comme nous, lisent les mêmes livres que nous, ont même peut‑être un peu d’argent de côté. Ceux qui appartiennent à la classe moyenne ou qui travaillent fort pour en faire partie, non merci. Si vous êtes à l’extérieur du Canada, vous pouvez aller faire vos efforts ailleurs. »
Ce résumé peut sembler un peu sévère, surtout compte tenu de l’excellent bilan du Canada à l’égard des réfugiés au fil des années. Toutefois, il traduit bien le principe sous-jacent de notre stratégie relative à l’immigration économique.
Notre système de points ignore sans vergogne le marché du travail canadien. Il crée un faux surplus de certains types de connaissances et une rareté artificielle d’autres types de savoir. Les conséquences de telles manipulations étaient faciles à prédire : du chômage et du sous-emploi chez les gens très instruits, et une pénurie de personnes possédant les compétences que nous avons explicitement dit ne pas rechercher. C’est la raison pour laquelle au Canada, les médecins conduisent des taxis et les infirmières autorisées travaillent comme techniciennes de laboratoire.
Au cours des 20 dernières années, des provinces, des régions, des collectivités, des employeurs et des immigrants au désespoir ont résolument cherché des moyens de contourner, de surmonter ou de sauter ces barrières artificielles. Grâce au Programme des candidats des provinces, les provinces ont pu remplacer les priorités établies par Ottawa par leurs propres priorités. L’Entrée express pour l’immigration francophone et les initiatives d’accueil communautaires ont fourni les ressources nécessaires pour attirer des francophones partout au pays et pour les convaincre de rester, surtout dans les collectivités francophones rurales et nordiques. De son côté, le Programme d’immigration au Canada atlantique relie directement les immigrants à des postes vacants dans la région.
Le Programme pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord a donné les mêmes résultats positifs dans les collectivités du Nord de l’Ontario. Ce programme devrait connaître encore plus de succès grâce à l’élargissement des limites géographiques des régions situées autour des centres urbains nordiques.
Cependant, nous connaissons maintenant une pénurie de logements, et nous entendons des plaintes...
La présidente : Je vous demande pardon, monsieur Cirtwill, pour plusieurs raisons. D’abord, j’ai mal prononcé votre nom. Je suis désolée. Est-ce qu’on le prononce « Cirtwill »?
M. Cirtwill : C’est bien cela.
La présidente : Je vous remercie et je m’excuse de vous interrompre. Avec un peu de chance, vous pourrez présenter le reste de vos observations durant la période de questions.
Chers collègues, nous allons procéder comme d’habitude pour la période de questions. Nous allons faire un tour de table, et chaque sénateur disposera de cinq minutes pour les questions et les réponses. Si vous le permettez, je vais poser une première question à Mme Acheson.
Madame Acheson, j’ai remarqué qu’au Yukon, les travailleurs migrants sont surreprésentés dans une industrie très particulière, soit l’industrie cinématographique. C’est très différent de ce que nous avons entendu jusqu’à maintenant, qui concernait les secteurs des produits laitiers, de l’agriculture et de la transformation du homard.
Selon mes notes, 80 % des 100 travailleurs étrangers temporaires du Yukon, donc 80, travaillent dans l’industrie cinématographique. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène? Qu’y a-t-il de si particulier au Yukon?
Mme Acheson : La meilleure explication que je peux vous donner, c’est que d’après ce que je comprends, ils viennent au Yukon parce que c’est un très bon endroit pour tourner des films. Ils sont attirés par nos paysages. L’autre facteur qui doit entrer en ligne de compte, c’est qu’ils comprennent le système et que le système fonctionne bien pour eux. Il s’agit véritablement de travail étranger temporaire. J’ai l’impression que la majorité de ces travailleurs accompagnent un employeur, qu’ils ont déjà un emploi à l’étranger et qu’ils viennent temporairement au Canada pour tourner des films.
Beaucoup des observations que nous vous avons présentées ne s’appliquent pas vraiment à eux parce qu’ils sont moins à risque que d’autres travailleurs temporaires qui viennent au Canada. Ces gens viennent dans le but précis de travailler au Yukon; ils ont un employeur et une situation stable dans leur pays d’origine.
C’est ce que montrent les données récentes de l’industrie cinématographique.
La présidente : C’est une perspective intéressante. Merci beaucoup. Monsieur Cirtwill, je vous remercie d’avoir abordé le sujet des étudiants étrangers. Mes collègues auront sûrement des questions pour vous.
La sénatrice Cordy : Je vais commencer par M. Cirtwill, mais je vous remercie tous les deux. Il est intéressant d’inclure les régions plus éloignées dans notre étude.
Monsieur Cirtwill, vous avez parlé du système de points et du système d’immigration. Dernièrement, j’ai lu beaucoup de choses sur nos difficultés à trouver la main-d’œuvre dont nous avons besoin en 2023. Mon groupe au Sénat a examiné la question du logement, lundi, dans le cadre d’une série de réunions qui ont duré toute la journée. Ce que nous avons entendu, et que vous avez commencé à dire, je pense, sans vouloir vous prêter des propos, c’est qu’étant donné le système de points, notre système d’immigration est conçu pour faire venir des comptables, des avocats, et cetera, mais pas pour faire venir la main-d’œuvre dont nous avons besoin en 2023 pour construire des maisons, par exemple. Vous avez commencé à aborder le sujet peu avant la fin de votre temps de parole. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?
M. Cirtwill : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. La bonne nouvelle, c’est que vous avez tout à fait raison. C’est précisément ce que j’allais dire. Au cours des 20 dernières années, nous avons constaté que toutes les exceptions liées à l’immigration et à l’accès aux travailleurs étrangers temporaires, et cetera, qui ont été demandées visaient à pourvoir des postes vacants, des emplois en demande qui ne sont pas occupés par des gens déjà au pays. Nous avons vu des exemples fort intéressants au provincial, notamment en Ontario, où l’élargissement du programme Entrée express pour les travailleurs hautement qualifiés est en place et fonctionne depuis 2019. Nous nous réjouissons de voir le fédéral emboîter le pas. Ce programme doit être élargi.
La semaine dernière, nous avons vu l’annonce du nouveau programme Entrée express pour les travailleurs du secteur des transports. Le gouvernement fédéral fait la bonne chose en accélérant le processus, car la pénurie de pilotes, en particulier en régions éloignées, représente un grave problème dans le nord de l’Ontario.
Si nous sommes vraiment sérieux par rapport aux minéraux critiques... Le secteur des transports éprouve des pénuries de main-d’œuvre depuis longtemps; ce changement sera également utile. Donc, c’est tout à fait exact : nous pouvons miser sur le système existant en améliorant et en élargissant ce qui fonctionne.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie de cette réponse.
Madame Acheson, j’ai des questions sur l’industrie cinématographique. Je pense que tout le monde s’est dit : « Wow, c’est ça. » Quels sont les défis? Dans le Nord, il y a sans doute des défis qui n’existent pas en ville, et inversement. Il y a le coût élevé de la vie, le froid et tout ce que vous avez mentionné.
Les travailleurs étrangers temporaires qui vont au Yukon ont-ils tendance à rester à Whitehorse ou à aller à l’extérieur de la ville? On parle de collectivités isolées dans le sud du pays, mais au Yukon, on parlerait certainement de collectivités très isolées.
Mme Acheson : Vous avez raison, ils sont très éloignés.
Au Yukon, les services sont centrés sur Whitehorse. On tient pour acquis que Whitehorse est la plaque tournante pour obtenir des services ou un accès à des services publics ou à d’autres renseignements. Plus on s’éloigne et plus on va vers les petites collectivités, moins il y a d’infrastructures.
Dans les collectivités nordiques situées à l’extérieur de Whitehorse, on trouve parfois une petite épicerie ou un magasin général, un bureau de poste et des services de santé à temps partiel. Le Yukon compte quelques magasins à grande surface, mais pas de Costco, pas de magasins haut de gamme ni de grands centres commerciaux. Pour se procurer des articles spécialisés, la plupart des gens doivent magasiner en ligne.
Je tiens aussi à mentionner que Mme Haughton ne peut participer à la séance, car nous manquons d’infrastructures.
J’habite à 30 minutes de Whitehorse. Lorsque je me rends chez moi en voiture, je perds le service de téléphonie cellulaire et l’accès à Internet. Le service est limité et coûteux. Donc, à certains endroits, la seule option est la ligne d’abonné numérique, ou DSL, qui est une connexion lente et limitée. Essentiellement, la fibre optique n’est pas disponible à l’extérieur de la capitale.
Voilà certains facteurs à considérer pour les travailleurs migrants qui arrivent, car habituellement, ils comptent sur ce genre d’infrastructure pour garder contact avec leur famille restée dans leur pays d’origine et subvenir à ses besoins, ou encore pour accéder à des services d’aide. C’est une réalité qu’il faut comprendre : l’infrastructure est là, mais elle est coûteuse et n’est pas fiable.
La sénatrice Cordy : Quel rôle de la Fédération du travail du Yukon joue-t-elle pour la venue de travailleurs migrants dans la région?
La présidente : Nous devrons attendre au prochain tour pour la réponse à cette question.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Acheson.
Notre comité a entendu parler des difficultés d’intégration des travailleurs dans les communautés, sur divers plans : logement, langue, transport, accès aux services de garde, socialisation. Dans votre déclaration, vous avez parlé des réalités de la vie dans le Nord avec les peuples autochtones. Dans le contexte canadien, l’intégration dans la société canadienne comprend — devrait comprendre — une sensibilisation à la culture autochtone.
Ma question comporte trois volets. Offre-t-on une formation ou des programmes de sensibilisation culturelle aux travailleurs? Le cas échéant, qui en assure la prestation? Enfin, à votre avis, ces formations et programmes suffisent-ils pour aider les travailleurs à mieux comprendre le contexte canadien dans lequel ils se trouvent?
Mme Acheson : Ce sont d’excellentes questions.
J’ai essayé de communiquer avec diverses ressources avant de venir ici. Je ne sais pas s’il y a toujours une intention de faire de la sensibilisation culturelle dans tous les cas, mais cela peut être offert au besoin à certains endroits. Par exemple, l’Université du Yukon offre un cours 101 sur les Premières Nations. Le cours est offert aux employés du gouvernement du Yukon, entre autres.
À l’échelle des communautés, il serait important que la sensibilisation culturelle soit offerte par la communauté dont les gens sont appelés à faire partie, puisque chaque communauté peut avoir des particularités uniques.
Avant de venir ici, j’ai essayé de me renseigner auprès de certains gouvernements autonomes des Premières Nations du Yukon, mais je n’ai pas eu assez de réponses pour vous en dire davantage aujourd’hui. Par exemple, j’ai accueilli un Ougandais venu visiter le Yukon. Il a eu l’occasion de faire ce qu’on appelle une visite guidée à pied avec une jeune femme employée par le gouvernement du Canada qui expliquait la culture et l’histoire autochtones le long du rivage. Le visiteur s’est exclamé : « Wow, je ne savais pas ça. » Cette visite lui a été très utile pour le reste de son séjour et dans ses interactions avec les communautés qu’il visitait.
La sénatrice Osler : J’ai une petite question complémentaire. Madame Acheson, il semble qu’il incombe aux travailleurs de trouver des programmes ou formations de sensibilisation culturelle et que les gouvernements, les employeurs ou les communautés n’offrent pas de tels programmes actuellement. Est-ce exact?
Mme Acheson : Encore une fois, je vais formuler des hypothèses, car je ne connais pas l’ensemble des rouages de leurs systèmes. Cependant, d’après ce que j’ai vu jusqu’à maintenant, je ne pense pas que c’est intentionnel. La sensibilisation, le cas échéant, pourrait être de portée limitée, en ce sens qu’on pourrait simplement indiquer que les Premières Nations ou les diverses communautés ont chacune des particularités culturelles distinctes dont il faut être conscient. Cependant, pour une sensibilisation plus approfondie, je pense qu’il reste beaucoup de travail à faire.
La sénatrice Osler : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français, madame Acheson, et celle-ci concerne l’Association franco-yukonnaise. Leur site Web nous dit qu’ils sont très actifs sur le plan du recrutement international et ils ont une série d’activités qui s’en viennent, comme du réseautage, une tournée de liaison d’IRCC et des déjeuners-causeries. Ma question comporte plusieurs volets. Tout d’abord, cette association accueille-t-elle des travailleurs étrangers temporaires? D’où viennent-ils? Dans quel secteur d’activité travaillent-ils? Considérant que c’est une organisation francophone, quels sont les défis que rencontrent ces travailleurs au Yukon? Ces travailleurs étrangers temporaires prévoient-ils ou non d’obtenir leur résidence permanente?
[Traduction]
Mme Acheson : Je vais répondre de mon mieux.
Vous avez posé une question sur le pays d’origine des travailleurs étrangers. En guise de contexte, dans les années 1990, le Yukon accueillait surtout des immigrants originaires des Philippines et de pays asiatiques. Plus récemment, nous constatons une diversité culturelle accrue, avec des ressortissants de l’Inde et de pays africains.
Vous serez probablement intéressé de savoir que la communauté francophone du Yukon constate qu’on accueille des immigrants pour qui le français est la deuxième ou troisième langue. J’ai mentionné que l’Association franco-yukonnaise a une approche plus globale de la recherche préalable à l’emploi, durant l’emploi et après l’emploi. Elle a des services qui vont dans les pays francophones pour faire connaître les possibilités d’emploi. Ensuite, elle offre de l’aide aux gens — aux employeurs du Yukon et aux employés — dans le cadre du processus de candidature, ainsi que des services d’établissement. S’ils ont besoin d’aide pour un rendez-vous médical, quelqu’un peut les accompagner et faire la traduction.
À ce sujet, j’ai entendu du bon et du mauvais. D’un côté, il est très utile de regrouper toutes sortes de ressources en un seul endroit, comme le fait la communauté francophone, essentiellement, en offrant de nombreux services ou ressources au même endroit. D’un autre côté, s’il y a des lacunes ou si des informations erronées sont transmises à un travailleur temporaire qui arrive, ce travailleur n’aura pas d’autre endroit pour obtenir de l’aide par la suite. Il y a de l’incertitude, car ils dépendent de la communauté francophone pour avoir des informations.
J’ai donc entendu les deux côtés de la médaille.
Le sénateur Cormier : Concernant la résidence permanente, les travailleurs qui viennent au pays sous l’égide de l’association prévoient-ils, pour la plupart, demander la résidence permanente?
Mme Acheson : Oui, la plupart des gens qui viennent au Yukon prévoient demander la résidence permanente.
Le Programme des candidats du Yukon est très populaire. En fait, il est déjà sursollicité cette année. Si je ne me trompe pas, le quota pour le Yukon est de 420 candidats, et on compte actuellement 600 candidats. On observe une augmentation du nombre d’étudiants.
Au Yukon, comme notre homologue l’a indiqué, les étudiants de l’Ontario constatent que s’ils viennent au Yukon pour obtenir un permis de travail, ils ne seront pas en concurrence avec des milliers d’autres personnes, de sorte que cela pourrait représenter, pour eux, une occasion d’obtenir plus rapidement la résidence permanente.
Toutefois, il faut aussi savoir que le permis délivré aux étudiants des cycles supérieurs est un permis de travail ouvert pouvant — ou non — mener à la résidence permanente, contrairement à celui du Programme des candidats du Yukon, qui est un permis de travail fermé, ce qui signifie que la personne peut uniquement travailler pour un employeur, à temps plein, et ne peut travailler pour d’autres employeurs. On a aussi fait valoir que le candidat — le travailleur — doit décider s’il conserve un permis ouvert ou s’il opte pour un permis de travail fermé.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je vais poser ma question en français.
J’ai vu que le cinéma et le tourisme représentaient la majorité des postes disponibles pour les migrants temporaires. Y a-t-il d’autres secteurs ou d’autres industries où ces migrants temporaires peuvent travailler? Le cas échéant, y a-t-il d’autres secteurs, comme les ressources naturelles, où les migrants pourraient aussi s’investir?
[Traduction]
Mme Acheson : Oui. Nous n’avons pas vu les autres secteurs, car cela dépend à la fois des connaissances de l’employeur au sujet de programme et de la façon dont il y a accès et fait une demande. À cela s’ajoute l’accès des employés.
L’industrie cinématographique a compris comment cela fonctionne, et comment venir ici et recourir aux travailleurs temporaires. À mon avis, il y a certainement des occasions dans le secteur minier, car l’industrie minière a pris de l’expansion au Yukon.
En outre, il y a récemment eu des efforts pour améliorer l’industrie agricole au Yukon. Pour l’avenir, c’est une bonne chose pour la durabilité dans le Nord, mais cela pourrait ouvrir la porte à certaines tragédies qu’on a vues dans le Sud avec des travailleurs migrants de l’industrie agricole. À mesure que nous développerons le secteur agricole, il sera important, à l’avenir, de veiller à mettre en place des mécanismes pour protéger les travailleurs vulnérables dans ces situations.
Oui, il y a certainement d’autres possibilités. Je dirais qu’au Yukon, même les employeurs ignorent comment naviguer dans le système et tirer parti des options offertes. À titre d’exemple, j’ai connaissance d’une personne qui a reçu une dizaine d’offres d’emploi au Yukon, mais un seul des employeurs concernés était prêt à remplir les formulaires du programme des candidats pour elle.
[Français]
La sénatrice Mégie : Votre fédération ne pourrait-elle pas se donner pour mandat de répertorier les différents secteurs qui auraient besoin de ces personnes et proposer un mode d’emploi aux employeurs, afin qu’ils sachent quoi faire pour aller chercher ces travailleurs? Je ne sais pas si cela entre dans le mandat de votre fédération.
[Traduction]
Mme Acheson : Oui, j’en serais ravie, mais je vais vous donner une autre information au sujet du Nord : la Fédération du travail du Yukon, c’est moi. Il n’y a personne d’autre que moi. C’est très différent des grandes provinces. La Fédération du travail de la Colombie-Britannique emploie 50 personnes pour accomplir son travail. Je fais de mon mieux, mais tout ce que je fais, je le fais en partenariat avec d’autres.
Je suis venue ici, mais les informations que j’ai proviennent de discussions avec les responsables des normes d’emploi du Yukon et de l’immigration au Yukon. Nous avons un représentant d’IRCC au Yukon qui a commencé en mars 2023. Je vois aussi un lien avec le Northern Safety Network Yukon, car cet organisme a déjà mis en place un processus pour établir les normes de sécurité en milieu de travail, et vérifie si les employeurs ont mis en place ses procédures de sécurité.
Si vous envisagez de faire venir des travailleurs au Yukon, le fait qu’un employeur possède déjà ce qu’on appelle une certification COR ou SECOR signifie en général que les travailleurs courent moins de risques d’accidents ou de blessures sur ce lieu de travail.
Mais oui, c’est une excellente idée. J’aimerais bien faire cette étude et colliger des renseignements, mais je dois admettre que ce sera en collaboration avec d’autres personnes.
La présidente : Madame Acheson, je vais vous donner un peu de répit. Permettez-moi de poser une question à M. Cirtwill.
Je suis intriguée par votre témoignage selon lequel ce sont en réalité les étudiants étrangers qui constituent la main-d’œuvre des industries dans le Nord.
Avez-vous une ventilation des secteurs dans lesquels les étudiants tendent à travailler? Ils ont un permis de travail ouvert, de sorte qu’ils peuvent passer d’un employeur à un autre, ce qui est un avantage intéressant par rapport au permis de travail fermé. Je me demande si vous avez des renseignements sur le nombre d’étudiants qui retournent à l’université pour terminer leurs études ou qui continuent simplement de travailler.
M. Cirtwill : Je vous remercie de votre question, madame la présidente. La réponse courte, c’est que les chiffres que j’ai cités concernent les étudiants qui cumulent études et travail. Dans tout le Nord de l’Ontario, on compte près de 10 000 personnes qui étudient et travaillent en même temps.
Quant aux secteurs, les deux plus importants secteurs sont ceux que j’ai mentionnés, soit la vente au détail ainsi que le divertissement et l’accueil, c’est-à-dire les restaurants et les hôtels. Cela représente près de 50 % de cette population. Le reste est réparti dans les secteurs habituels.
Je peux certainement transmettre les chiffres au comité. Ils se retrouvent dans pratiquement tous les secteurs : services de consultation, services-conseils aux entreprises, administration, soins de santé et, en particulier, éducation de la petite enfance et soins de longue durée. Il y a beaucoup d’activités de ce côté.
Encore une fois, il est intéressant de souligner que dans le secteur des soins de longue durée, on tend à voir des gens surqualifiés — considérant leurs diplômes internationaux — qui occupent des emplois de premier échelon, essentiellement, dans le but d’acquérir de l’expérience au Canada, ce qui leur sera ensuite utile pour leur demande de résidence permanente.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Petten : Ma question s’adresse encore une fois à M. Cirtwill et concerne les étudiants. C’est un phénomène intéressant qui est en train de se produire. Je pense que c’est la même chose partout au Canada : les universités veulent attirer les étudiants étrangers. Bien sûr, les universités et l’enseignement postsecondaire relèvent de la responsabilité des provinces. Beaucoup d’entre elles veulent attirer les étudiants étrangers en raison des frais de scolarité accrus qu’elles perçoivent d’eux.
Si j’ai bien compris, vous avez mentionné la limite de 20 heures de travail pendant les études. Je crois que cette limite a été levée en novembre dernier. Désormais, il n’y a plus de limite, même pas 20 heures.
Je me demande comment vous envisagez la prospérité de vos communautés si vous deviez continuer sans ces étudiants.
M. Cirtwill : Merci pour cette question, sénatrice. Je ferai une petite précision. Si j’ai bien compris, l’augmentation de 20 à 40 heures a été instaurée en novembre dernier, mais il s’agissait d’un changement temporaire qui expire en décembre de cette année. Il nous reste trois mois.
D’après ce que j’ai compris, cette mesure a été une véritable manne. Je reçois beaucoup d’étudiants étrangers qui travaillent avec nous ici, soit directement en tant qu’employés, soit dans le cadre des nombreux projets de recherche que nous menons. Ils sont évidemment très enthousiastes à l’idée de pouvoir travailler plus longtemps. C’est un grand défi de trouver les ressources nécessaires pour payer le loyer, la nourriture, les frais de transport et autres pendant qu’ils sont ici.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, sur la responsabilité provinciale, je la formulerais un peu différemment, dans la mesure où de nombreux établissements postsecondaires du pays (des collèges et des universités) souhaitent particulièrement attirer des étudiants étrangers non seulement en raison des frais de scolarité plus élevés qu’ils peuvent recevoir d’eux, mais aussi en raison des frais de scolarité moins élevés qu’ils peuvent recevoir des étudiants nationaux, dont le nombre diminue.
Voyez-vous, en Ontario, par exemple, nous avons un plafond sur les frais de scolarité nationaux, ce qui, bien sûr, rend les étudiants internationaux encore plus attrayants pour les entreprises qui paient les factures pour payer l’électricité et essayer de garder les professeurs en place pour enseigner les cours que les étudiants veulent.
Vous avez tout à fait raison. S’il devait y avoir un plafond au nombre d’étudiants internationaux, par exemple, ou une réduction du nombre d’étudiants internationaux au pays, NPI a fait une analyse économique pendant la COVID qui porte à croire qu’une réduction ne serait-ce que de 20 % du nombre d’étudiants internationaux aurait un impact négatif de 20 à 50 millions de dollars rien que sur les frais de scolarité. À cela s’ajoute l’impact économique de leur consommation, ce qui représenterait une perte supplémentaire de 50 millions de dollars pour l’économie du Nord de l’Ontario. Pour des communautés de 1 500, 2 000 ou 2 500 personnes, comme c’est le cas dans beaucoup de nos petits campus, ce serait un gros coup et ce serait difficile à remplacer.
La présidente : Puis-je vous demander une précision, monsieur Cirtwill?
Vous nous avez donné des chiffres et avez dit que s’il y avait une baisse du nombre d’étudiants étrangers, l’impact serait de 50 millions de dollars sur les frais de scolarité et de 50 millions de dollars sur les économies locales qui dépendent de ces personnes. Ces chiffres sont-ils pour le Nord de l’Ontario seulement ou pour l’ensemble du pays ?
M. Cirtwill : Ils sont pour le Nord de l’Ontario seulement.
La présidente : Ils sont pour le Nord de l’Ontario seulement.
M. Cirtwill : Absolument.
La présidente : Merci.
M. Cirtwill : J’enverrai une copie de cette étude à votre greffière.
La présidente : Merci beaucoup. Il est toujours bon de connaître les faits.
La sénatrice Dasko : Je m’intéresse moi aussi au sort des étudiants étrangers. Monsieur Cirtwill, vous avez dit tout à l’heure qu’ils travaillent dans le commerce de détail et les services alimentaires. Pourquoi n’y a-t-il pas assez de résidents locaux pour occuper les emplois dans ces secteurs?
J’ai visité de nombreuses villes du Nord, comme Sault Ste. Marie, North Bay. Elles me semblent être des villes dynamiques et prospères. Je me demande où sont les résidents locaux et pourquoi ils ne sont pas en mesure d’occuper ces emplois.
Ensuite, quel est le sort des étudiants étrangers? Peuvent-ils rester au Canada? Peuvent-ils devenir résidents permanents? Quelle est la procédure à suivre pour rester dans ce pays?
M. Cirtwill : Merci de ces questions, sénatrice.
La première réponse, c’est qu’il est compliqué de savoir exactement pourquoi la population nationale ne suffit pas pour occuper ces emplois. Les raisons les plus importantes en sont, premièrement, que nous ne sommes pas si nombreux. Notre taux de natalité a globalement baissé depuis quarante ans, de sorte que les chiffres ont chuté. La seule population nationale qui continue de croître à un rythme important est celle des Premières Nations et des Autochtones.
La deuxième raison pour laquelle nous constatons un tel manque de travailleurs dans ces secteurs, c’est que ces emplois ont toujours été principalement occupés par les étudiants et les personnes ayant un statut temporaire, qui y acquièrent une expérience professionnelle, puis s’orientent vers des professions libérales. Le fait que nous n’ayons plus autant de jeunes qu’avant a fait diminuer l’offre nationale naturelle.
Cela fait aussi au moins quarante ans, depuis que je suis entré sur le marché du travail, qu’on communique à chaque génération d’enfants que les emplois dans ces secteurs (le commerce de détail, le transport et l’hébergement) sont majoritairement des emplois sans avenir. J’ai souvent entendu l’expression « McJob ». Les étudiants ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’occuper ces emplois au Canada. Bien souvent, si les étudiants étrangers cherchent ces emplois activement et avec enthousiasme, c’est qu’ils ont besoin d’argent et qu’ils sont prêts à travailler.
La deuxième question que vous avez posée consiste à savoir ce qu’il advient des étudiants étrangers. Il s’agit là d’une autre question complexe. Beaucoup d’entre eux, pour obtenir un permis d’études, en fait, doivent signer un document par lequel ils renoncent à rester au Canada. C’est encore une règle. Cela complexifie toujours la donne.
Beaucoup d’autres personnes trouveront un emploi à temps partiel pendant leur troisième cycle et s’organiseront avec leur employeur, honnêtement, pour contourner le système. Il y a beaucoup de chefs d’équipe dans le secteur de la vente au détail parce qu’un poste de chef d’équipe donne plus de points. Il se peut que vous ne fassiez que retourner des hamburgers ou cuire des frites, mais votre titre sera celui de chef d’équipe pour grimper dans l’échelle.
Pour ceux qui veulent rester, les possibilités sont nombreuses, plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Quant à ceux qui ne veulent pas rester, ils acquièrent l’expérience dont ils ont besoin, paient leurs factures et font profiter le marché mondial de leur expérience acquise au Canada.
Nous avons très bonne réputation en matière d’éducation à l’échelle internationale, soit dit en passant. Je le souligne.
La sénatrice Dasko : Merci beaucoup.
La présidente : Si je peux poursuivre dans la même veine, monsieur Cirtwill, vous avez parlé du rôle que jouent les étudiants étrangers dans l’économie du Nord. La sénatrice Dasko a posé une question sur la main-d’œuvre locale, où se trouve‑t‑elle?
Les économistes nous disent qu’il suffit aux employeurs d’augmenter les salaires. Si l’on augmente les salaires, le problème de l’offre et de la demande se réglera de lui-même, grâce à une concurrence accrue. Que répondez-vous à cette affirmation?
M. Cirtwill : Je vous dirais que selon nos recherches sur les avantages concurrentiels dans le Nord de l’Ontario, si vous êtes infirmière, vous serez mieux payée; dans le Nord de l’Ontario, la pénurie subsiste. Si vous êtes technicien médical dans le Nord de l’Ontario, vous serez mieux payé que la moyenne provinciale; il y a toujours pénurie là aussi. Si vous êtes éducatrice à la petite enfance dans le Nord de l’Ontario, vous gagnerez plus que la moyenne provinciale; il y a toujours pénurie.
De manière générale, je suis d’accord avec les économistes qui disent que les employeurs doivent faire un effort pour payer davantage leurs employés et rendre leurs postes plus attrayants, ce qui ne fait aucun doute. Mais chaque levier économique est influencé par tous les autres.
Dans une certaine mesure, les questions de transport, d’accès à Internet — en fait, la Fédération du travail du Yukon se résume à une seule personne. Ce genre de choses est important. Elles ont une incidence sur le pouvoir d’attraction. Il y a une limite à ce que les employeurs peuvent payer.
La présidente : Merci beaucoup. Nous y reviendrons, j’en suis sûre, lorsque nous rencontrerons les économistes prévus à notre programme.
Chers collègues, il nous reste un peu de temps.
La sénatrice Petten : Je voulais faire un commentaire à Mme Acheson. J’ai beaucoup aimé votre approche proactive concernant ce que les employeurs peuvent faire, comme d’encourager le bénévolat dans la communauté. C’est un excellent moyen pour eux de s’intégrer et de sentir qu’ils font partie d’une communauté. J’ai trouvé votre commentaire excellent. C’est l’une des principales choses que je retiens de ces témoignages. Je vous remercie.
La présidente : Nous sortons grandis de vos témoignages. Chers collègues, ils étaient en grande partie différents des autres et nouveaux parce que nous traitons du Yukon et des régions nordiques. Nous tenons à vous remercier chaleureusement.
(La séance est levée.)