LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 septembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je veux d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et au public qui regarde notre réunion. Je m’appelle Ratna Omidvar. Je suis une sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.
Avant d’entamer nos discussions, puis-je demander à mes collègues de bien vouloir se présenter? Nous allons faire un tour de table en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy, et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Sénatrice Moodie, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Osler : Sénatrice Gigi Osler, du Manitoba.
La sénatrice McPhedran : Sénatrice Marilou McPhedran, également du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Mégie : Sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La présidente : Merci à tous mes collègues.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la main-d’œuvre temporaire et migrante au Canada. Nous allons accueillir dans un premier temps deux témoins par vidéoconférence. Nous souhaitons la bienvenue à Mme Catherine Bryan, professeure agrégée à l’École de travail social de l’Université Dalhousie; ainsi qu’à M. Donald Walmsley, directeur général des Services d’établissement des immigrants à Neepawa et dans les secteurs avoisinants.
Merci à vous deux d’être des nôtres aujourd’hui. Vous avez droit à cinq minutes chacun pour nous présenter vos observations préliminaires, après quoi les sénateurs vous poseront leurs questions. Madame Bryan, vous pouvez commencer.
Catherine Bryan, professeure agrégée, École de travail social, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci. Depuis 15 ans, je mène des recherches ethnographiques sur l’immigration au Canada en m’intéressant tout particulièrement aux expériences des travailleurs migrants et de leurs familles, de même qu’aux systèmes et aux pratiques qui façonnent ces expériences.
J’aimerais profiter des cinq minutes à ma disposition aujourd’hui pour mettre en lumière deux caractéristiques de la main-d’œuvre temporaire. Il y a d’abord la sous-évaluation des marchés du travail au sein desquels on retrouve une concentration de migrants ayant le statut de résidents temporaires.
Il est important de noter que ces marchés du travail correspondent souvent à des secteurs essentiels comme ceux de la production et de l’approvisionnement alimentaires, des services et de l’accueil, de l’entretien ménager et des soins. Malgré le caractère essentiel de ces emplois, on constate une dévalorisation persistante de cette main-d’œuvre et des travailleurs de soutien dans ces secteurs. En témoignent les taux de rémunération, les conditions de travail et le statut social associé notamment au travail dans le domaine de l’alimentation.
Je peux vous donner l’exemple de l’épicerie située à proximité de mon bureau. Les étudiants qui y travaillent — dont certains sont des étudiants étrangers ayant des permis de séjour temporaire — n’ont pas les moyens de se payer les aliments qu’ils vendent. Ce sont tous des aliments produits localement, la plupart du temps dans des fermes devant faire appel à des travailleurs agricoles saisonniers.
La semaine dernière, j’ai rencontré plusieurs infirmières formées à l’étranger qui étaient toutes travailleuses étrangères temporaires en Nouvelle-Écosse. Elles travaillaient comme aides de soins à domicile ou aides au service de soins personnels et avaient toutes un emploi supplémentaire en entretien ménager, simplement pour arriver à joindre les deux bouts.
En février, j’ai rencontré à Manille des travailleurs qui se dirigeaient vers la Colombie-Britannique pour y occuper un emploi dans un établissement de restauration rapide. Ils étaient très enthousiastes à l’idée de toucher des salaires canadiens et à la perspective d’obtenir le soutien de leur employeur pour leur demande de résidence permanente. Lorsque je leur ai rendu visite en Colombie-Britannique en juin, ils arrivaient à peine à payer leur loyer, parce que leur rémunération dépassait tout juste le salaire minimum et qu’ils travaillaient chaque semaine moins d’heures que ce qui était prévu dans leur contrat.
Plutôt que de se demander si ce ne sont pas les niveaux de rémunération qui expliquent les pénuries de main-d’œuvre les ayant amenés au départ à recruter des travailleurs migrants, les employeurs vont souvent blâmer par exemple la nature éreintante du travail et le fait que les Canadiens ne veulent pas occuper de tels emplois.
Il y a deux ans, j’ai rencontré l’exploitant d’une usine de transformation du poisson en Nouvelle-Écosse qui ne recrutait pas de travailleurs étrangers temporaires. Il avait réussi à garder ses employés locaux malgré que leurs tâches étaient salissantes et dangereuses. Il a indiqué que c’est parce qu’il les payait bien.
D’autres exploitants appliquent une logique différente. Selon eux, la réduction des coûts de main-d’œuvre est la seule façon de préserver la viabilité et la rentabilité d’une entreprise dans les secteurs de la transformation du poisson, de l’agriculture, de l’alimentation au détail ou même des soins de santé. On pourrait faire valoir que cette logique est acceptée en raison du fait que ces secteurs sont déjà dévalorisés à différents égards.
Les programmes favorisant le recrutement de migrants ne permettent pas uniquement d’avoir accès à de la main-d’œuvre. Ils donnent aussi accès à des travailleurs très vulnérables à l’exploitation en raison de leur dépendance à l’égard de leur employeur et de la précarité de leur statut juridique. La menace d’exclusion s’inscrivant dans ce type d’arrangement a directement pour effet de rendre ces travailleurs plus vulnérables à un large éventail de mauvais traitements.
Cela m’amène au second élément que je souhaitais faire ressortir. Même lorsque la menace d’expulsion est atténuée via d’autres mécanismes conférant un statut temporaire permettant une plus grande mobilité de la main-d’œuvre à l’intérieur du Canada, l’exploitation persiste. Il existe différents programmes facilitant la transition des travailleurs migrants temporaires vers le statut de résident permanent. Bien que ces programmes permettent de contrer certaines des caractéristiques du travail temporaire les plus propices à l’exploitation, ils ont aussi tendance à renforcer le lien de dépendance qui est à la base même de ces procédés. Tout cela est attribuable au fait que le soutien d’un employeur est requis.
Entre 2009 et 2014, j’ai rencontré 80 travailleurs étrangers temporaires qui ont fait la transition vers la résidence permanente avec le soutien de leur employeur au Manitoba. Comme ils s’étaient fait dire qu’ils pourraient demeurer au Canada et que leurs familles pourraient y être réunies, ces travailleurs sont devenus encore plus disposés à accepter de mauvaises conditions de travail et encore moins enclins à s’en plaindre. En plein cœur de la pandémie, j’ai rencontré des travailleurs migrants du secteur de la transformation du poisson en Nouvelle-Écosse qui avaient été embauchés en vertu d’un contrat de trois mois. Ils ont tout fait pour obtenir un emploi permanent qui leur aurait permis d’obtenir leur résidence permanente. Comme la fin de la saison rendait la chose impossible, ils ont dû se déplacer vers le Nouveau-Brunswick. Dernier exemple, toujours durant la pandémie, l’exploitant d’un établissement de restauration rapide de l’Île-du-Prince-Édouard a annulé les contrats des travailleurs temporaires qu’il avait déjà recrutés aux Philippines, pour se tourner plutôt vers une main‑d’œuvre plus facilement accessible d’étudiants étrangers qui, de par la précarité de leur statut juridique et leurs aspirations quant à la résidence et à la citoyenneté, deviennent tout aussi vulnérables que les travailleurs étrangers temporaires dont les contrats ont été annulés.
Dans les secteurs où la main-d’œuvre est déjà sous-évaluée de façon chronique, l’importance accordée aux employeurs dans le processus d’intégration des migrants dont le statut juridique est précaire ne fait qu’exacerber un déséquilibre des pouvoirs qui est d’emblée problématique ainsi que les risques que les arrangements de travail mènent à l’exploitation. En outre, si l’on revient à notre exemple des serveurs au comptoir en Colombie‑Britannique, lorsque les employeurs peuvent modifier les horaires de travail pour mitiger une baisse de rentabilité, malgré le fait qu’ils emploient des travailleurs temporaires, ces travailleurs en paient le prix non seulement à court terme, mais aussi du point de vue de leurs projets d’immigration à long terme.
En conclusion, la politique d’immigration est un instrument offrant une grande capacité d’adaptation dans un contexte où les vulnérabilités sont déjà endémiques dans certains secteurs essentiels, ce qui permet d’atteindre des niveaux de productivité et de rentabilité plus élevés par rapport à ce qui serait possible avec la main-d’œuvre locale. Cela est attribuable au fait que dans un contexte social visant par ailleurs supposément l’équité, le statut juridique demeure un mécanisme efficace pour procéder à une stratification du marché du travail. La seule solution à ce problème réside dans une simplification de l’accès à la résidence permanente pour ceux qui désirent l’obtenir, ainsi que dans une rémunération équitable pour tous les travailleurs au Canada, peu importe qui ils sont et d’où ils viennent.
Je veux remercier encore une fois le comité de m’avoir invitée à comparaître, et je serai ravie de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, madame Bryan. Monsieur Walmsley, vous avez cinq minutes.
Donald Walmsley, directeur général, Neepawa and Area Immigrant Settlement Services : Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier les membres du comité de m’avoir invité à prendre la parole concernant la situation des travailleurs temporaires et migrants dans notre région. Celle-ci est composée de plusieurs municipalités rurales du Manitoba, Neepawa étant la plus grande de ces petites localités.
Depuis 2010, Neepawa reçoit régulièrement bon nombre de travailleurs temporaires. Nous accueillons ainsi quelque 200 nouveaux travailleurs temporaires chaque année. Ce recrutement vise principalement à combler les besoins de HyLife, l’usine locale de transformation des viandes.
Il faut noter que la grande majorité de ces travailleurs temporaires ont l’intention de faire venir leur famille au Canada et d’obtenir éventuellement le statut de résident permanent. L’arrivée régulière de ces travailleurs temporaires a tout changé pour notre localité et les secteurs avoisinants.
En 2010, la population de Neepawa se chiffrait à environ 3 400 habitants, un nombre qui n’avait pas changé depuis 70 ans. Le recensement de 2021 a révélé que notre population était passée à 5 685, mais des estimations plus récentes indiquent que l’on aurait dépassé les 6 000 habitants, ce qui représente un taux de croissance extraordinaire au fil des 12 dernières années.
Il faut aussi tenir compte de l’impact de ce qu’on appelle la « migration secondaire » à partir de Neepawa vers les localités avoisinantes. Il est difficile de quantifier les répercussions de l’arrivée d’un aussi grand nombre de nouveaux venus, mais j’espère vous avoir donné une bonne idée de la situation dans notre région au cours des 12 dernières années. J’aimerais maintenant vous présenter un aperçu de certains des impacts et des problèmes ressentis dans différents domaines.
Du point de vue des soins de santé, les taux de natalité ont augmenté. L’accès à un médecin de famille est difficile. Il faut prodiguer davantage de soins prénatals et postnatals. Il y a aussi des problèmes liés à l’état général de santé. Il y a des différences quant au régime alimentaire, aux habitudes de cuisson, et à certaines maladies associées à l’alimentation comme le diabète et l’hypertension. Il y a aussi des variations quant à l’attitude à l’égard des professionnels de la santé en plus de la nécessité de former ces professionnels en fonction de cette nouvelle réalité.
Dans le domaine de l’éducation, il y a un impact sur les écoles du fait du plus grand nombre de familles comptant de jeunes enfants. Il faut donc davantage d’écoles, de personnel et de fournitures. La question de la langue peut-être problématique, et les systèmes scolaires peuvent différer d’une culture à l’autre. À Neepawa, une classe moyenne compte de 60 à 70 % d’enfants de nouveaux arrivants sur le total de 1 410 élèves qu’accueillent les trois écoles locales. Il y a aussi des besoins du point de vue de l’éducation des adultes.
Sur le plan de l’emploi, il y a une diversité dans les cultures cohabitant en milieu de travail. En outre, de 25 à 30 % de nos travailleurs temporaires ont fait des études à l’étranger, mais sont incapables de trouver un emploi dans leur domaine. Un changement de la situation professionnelle peut entraîner un changement de la dynamique familiale. Le processus de reconnaissance des titres de compétence est complexe et inefficace. Par ailleurs, de nombreux immigrants exploitent leur propre entreprise. Il convient aussi de mobiliser les employeurs en les renseignant sur la réalité des nouveaux arrivants qui pourraient travailler pour eux.
Autre élément, la réceptivité des collectivités d’accueil et des secteurs qui les entourent est essentielle à l’intégration de ceux qui sont dans un premier temps des travailleurs étrangers temporaires. Ces collectivités doivent planifier leurs infrastructures en fonction de ces nouveaux besoins, ce qui exige l’engagement actif de tous les intervenants. Il ne s’agit pas seulement d’intégrer les nouveaux arrivants, mais aussi de bien combiner les forces et les valeurs culturelles de tout le monde. Il est important de valider les apports positifs de chacun, mais il faut également décider ce que nous sommes prêts à accepter ou non dans le contexte de notre culture canadienne.
Pour ce qui est de la santé mentale et du bien-être, nous avons des valeurs culturelles différentes. L’impact de l’expérience d’immigration, avec le choc culturel qui l’accompagne, est en soi très important. Souvent, les services offerts avant l’arrivée au pays ne sont pas suffisants pour bien préparer les immigrants qui viennent au Canada. Pour composer avec les attitudes concernant la santé mentale dans les différentes cultures, nous devons pouvoir compter sur des ressources, de l’expertise et des travailleurs capables de tenir compte des traumatismes vécus. Pour ce qui est d’autre part de l’impact de l’immigration sur les jeunes, nous ne savons pas vraiment s’ils s’adaptent aussi facilement qu’on le croit.
Les immigrants changent le portrait des loisirs. La préférence la plus marquée est peut-être désormais pour le basket-ball, le soccer ou le cricket, plutôt que pour le hockey.
De leur côté, les employeurs doivent informer les immigrants des particularités de l’environnement de travail au Canada. On doit également sensibiliser les employeurs à la possibilité d’embaucher de nouveaux arrivants et les former quant à la marche à suivre à cette fin. La plupart des immigrants arrivent au Canada avec des compétences acquises en travaillant à l’étranger. Il s’agit simplement de faire concorder le tout.
Parmi les autres défis à relever, notons le financement, la dotation, la formation du personnel, le manque d’uniformité des technologies, l’insuffisance des recherches portant expressément sur les régions rurales des différentes provinces, et la reconnaissance du fait que les services et les débouchés peuvent varier d’une province à l’autre. Il faut se demander si notre population d’immigrants s’intègre véritablement à la collectivité ou s’il persiste plutôt des silos culturels résultant du mode de soutien que nous leur offrons.
J’ai tenté de vous brosser un tableau plutôt général de la situation des immigrants dans la zone de service où je travaille. Il ne s’agit pas du tout d’un compte rendu exhaustif, mais j’espère bien que l’on y trouvera matière à discussion. Les informations transmises sont le fruit de 10 années de travail dans la région ainsi que d’observations sur le secteur dans son ensemble.
Je vous remercie beaucoup, et j’ai grand‑hâte d’entendre vos commentaires et vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Walmsley.
Vous avez tous les deux respecté le temps imparti. Mes collègues pourront donc disposer de cinq minutes chacun pour leurs questions et vos réponses. Nous allons d’abord entendre la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Il y a une chose que je peux vous dire à tous les deux; vous parlez beaucoup trop vite pour que je puisse espérer prendre des notes.
J’ai sous les yeux un document produit par Tomoya Obokata, rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage pour les Nations unies. On y traite de différents enjeux. L’auteur est préoccupé par le fait que certaines catégories de travailleurs migrants sont rendues vulnérables aux formes contemporaines d’esclavage au Canada en raison des politiques régissant leur statut d’immigration, leur emploi et leur logement dans notre pays. Vous avez tous les deux fait allusion à ces éléments dans vos observations.
Vous faites particulièrement valoir que le secteur de l’agriculture et des travailleurs étrangers temporaires faiblement rémunérés est un terreau fertile pour ce qu’on qualifie de « forme d’esclavage ».
On mentionnait notamment les permis de travail associés à un emploi donné. Des gens qui interviennent auprès des travailleurs migrants nous en ont aussi parlé. Nous avons également eu droit au point de vue des employeurs qui font valoir qu’ils investissent des sommes considérables pour faire venir des immigrants au Canada et qu’ils risqueraient, si on leur octroyait des permis de travail ouverts, de les voir partir au bout de quelques semaines au bénéfice d’un autre employeur qui n’aurait pas assumé les frais associés à leur venue au Canada.
Comment un comité comme le nôtre peut-il peser le pour et le contre dans une telle situation? Comment régler le problème quand les intéressés de part et d’autre sont très préoccupés par les changements qui pourraient être apportés?
La présidente : Est-ce que la question était pour Mme Bryan ou pour nos deux témoins?
La sénatrice Cordy : Pour les deux, s’ils veulent bien y répondre.
Mme Bryan : Le permis de travail fermé est en quelque sorte l’élément le plus préoccupant parce qu’il lie le travailleur à l’employeur. Il devient alors très difficile pour les travailleurs de se plaindre des difficultés qu’ils peuvent éprouver, sans compter qu’il leur est presque impossible de quitter leur emploi. Ce n’est toutefois pas totalement impossible. Parmi tous ces travailleurs auxquels j’ai pu parler — y compris ceux mentionnés dans mon allocution —, certains ont pu trouver un autre employeur ailleurs au Canada. Ils ont certaines possibilités de se déplacer. C’est beaucoup moins évident pour les travailleurs agricoles. Leur situation est particulièrement problématique du fait qu’ils risquent de ne pas être recrutés de nouveau s’ils se montrent trop critiques envers l’employeur.
Il y a aussi différentes modalités prévues dans ces ententes bilatérales qui empêchent les travailleurs de pouvoir aller ailleurs et les mettent à la merci des différentes volontés de l’employeur. Même les bons employeurs peuvent bénéficier des perspectives d’exploitation rendues possibles par ces programmes.
Comme je l’indiquais, on pourrait régler une partie de ces problèmes en permettant aux travailleurs de faire la transition vers la résidence permanente. Cependant, il faut modifier la façon dont les employeurs sont intégrés à ce processus. Nous avons des exemples d’employeurs qui, d’une certaine manière, recrutent directement dans le cadre du Programme des candidats des provinces. Les coûts à assumer au départ pour ces employeurs sont plus faibles parce qu’ils n’ont pas à payer pour le logement. Ils ne défraient pas non plus les billets d’avion et tout le reste, ce qui minimise leurs déboursés. Les travailleurs en question arrivent toutefois au Canada avec le statut de résident permanent ou encore dans une situation leur permettant de l’obtenir plus rapidement. Ils peuvent agir avec plus de liberté et d’autonomie que ce serait le cas autrement. Cela ne signifie pas que ce mode de recrutement de la main-d’œuvre est à l’abri de problèmes imprévus. Cependant, si l’on fait abstraction du caractère temporaire des emplois, c’est assurément une piste de solution très intéressante pour éviter les difficultés dont vous avez fait état.
La sénatrice Cordy : Merci. Monsieur Walmsley, vous avez fait un survol rapide des nombreux défis associés à la croissance rapide de la population. Vous avez parlé de la nécessité de faire correspondre tous les éléments qui entrent en jeu, et j’ai trouvé que c’était une bonne façon de décrire la situation.
Comment composez-vous avec les difficultés associées à ces augmentations de la population attribuables à la venue de nombreux nouveaux arrivants? Vous avez dressé une liste de toutes les transformations en prévision desquelles une collectivité n’est pas nécessairement bien préparée, notamment au chapitre des soins de santé et de l’éducation. Comment vous y prenez-vous dans votre coin de pays?
M. Walmsley : Tout d’abord, lorsque j’ai commencé, j’avais des cheveux. Je n’en ai plus un seul maintenant.
C’est intéressant. J’écoute Mme Bryan et ce qu’elle dit est tout à fait juste. Le permis de travail fermé représente un défi, mais cela dépend de l’organisme concerné. J’ai parlé plus tôt d’une certaine grande usine de transformation de viande. L’entreprise paie pour faire venir des gens en avion. Ces travailleurs temporaires titulaires d’un permis de travail fermé viennent occuper un emploi syndiqué. La marge de manœuvre est donc un peu plus grande. Le problème se pose avec les travailleurs agricoles saisonniers. Dans leur cas, il n’y a pas de structure précise. Nous ne savons pas qui sont ces travailleurs. Nous avons ces renseignements pour les autres, mais c’est un défi. Comment peut-on résoudre ce problème? Tous les enjeux soulevés par Mme Bryan sont tout à fait pertinents. Il y a une dynamique alimentée par la crainte, ce qui crée des problèmes pour l’employeur et pour le travailleur temporaire.
En ce qui concerne votre question sur la manière dont nous faisons fonctionner les choses, il faut un énorme travail de collaboration, de réseautage, de diffusion de renseignements et de sensibilisation des collectivités environnantes. La collectivité doit être réceptive. Je trouve que les collectivités rurales sont souvent plus réceptives — surtout à une époque où de nombreuses collectivités rurales, certainement au Manitoba, étaient en difficulté. Elles devenaient plutôt rustiques et bucoliques et comptaient de nombreuses résidences pour personnes âgées. Mais de nombreux jeunes gens arrivent soudainement et sont heureux de vivre dans ces collectivités.
C’est beaucoup de travail, mais on semble s’entendre. J’ai parlé des différences culturelles. On ne peut pas les nier, et ce, des deux côtés. Nos régions rurales sont le fruit de vagues d’immigration passées. Chaque vague a apporté un mode de pensée différent dans une région. Je ne cesse de répéter aux gens que dans 10 ou 15 ans, nous verrons l’impact des différentes façons de voir les choses.
Par exemple, la plupart de nos nouveaux arrivants font partie de familles multigénérationnelles. C’est quelque chose que nous, au Manitoba, et peut-être dans d’autres régions…
La présidente : Je vous remercie, monsieur Walmsley. Je suis certaine que nous aurons amplement le temps d’approfondir ce sujet au cours de la séance.
La sénatrice Osler : Je tiens à remercier les deux témoins d’être ici aujourd’hui. J’aimerais revenir sur le commentaire de Mme Bryan sur la façon dont le programme répond aux besoins des employeurs.
Ma question s’adresse à M. Walmsley, qui aura ainsi un peu plus de temps pour poursuivre sa réflexion. J’aimerais connaître vos recommandations précises sur la façon dont le Programme des travailleurs étrangers temporaires pourrait mieux soutenir et intégrer ces travailleurs internationaux dans les collectivités rurales. Quelles lacunes du programme recommanderiez-vous de combler pour mieux intégrer les travailleurs dans les collectivités rurales?
M. Walmsley : Je vais me concentrer sur la situation des travailleurs agricoles saisonniers, car j’ai l’impression que c’est le volet qui est le moins encadré. Aucun contrôle n’est exercé dans ce domaine. Nous n’avons pas trouvé d’organisme qui exerce la surveillance nécessaire pour obtenir des renseignements sur la localisation de ces travailleurs agricoles saisonniers, surtout dans les petites régions rurales.
Nous devons nous doter d’un mécanisme qui nous permettrait de savoir non seulement où se trouvent ces travailleurs, mais aussi qui est leur employeur et d’un mécanisme qui permet également aux personnes susceptibles d’apporter un soutien d’avoir accès aux travailleurs. Les employeurs contrôlent souvent ces travailleurs de très près et ne leur donnent pas la possibilité de faire des choses aussi simples que d’aller à un rendez-vous chez l’ophtalmologiste, car dans certaines exploitations agricoles, la poussière des plantes peut causer des problèmes oculaires. Ce type de situation s’est déjà produit. L’employeur affirme que ses employés sont occupés et qu’ils doivent travailler. Il faut donc encadrer cela davantage. Les personnes qui viennent occuper un poste syndiqué dans de grandes exploitations profitent d’une meilleure structure et d’une accessibilité accrue.
Les collectivités doivent être informées à l’avance, de sorte que si elles n’ont jamais accueilli de nouveaux arrivants ou de travailleurs temporaires, elles peuvent être mises au courant des changements culturels qui se produiront, afin de se montrer ouvertes et accueillantes. Les communautés religieuses sont utiles à cet égard, car elles offrent un soutien important à de nombreux arrivants et elles représentent parfois le seul soutien auquel ces personnes ont accès. Cela répond-il à votre question, sénatrice?
La sénatrice Osler : Votre réponse est très utile. Je vous remercie. Je vais maintenant céder le reste de mon temps à mes collègues.
La présidente : C’est très bien. Peut-être allez-vous me le céder, car j’aimerais poser une question.
Madame Bryan, nous revenons tout juste d’une mission d’étude dans les Maritimes. Nous ne sommes pas allés en Nouvelle-Écosse, mais nous sommes allés au Nouveau‑Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. J’aimerais que vous nous parliez de la source que vous avez citée, à savoir que les employeurs de la Nouvelle-Écosse choisissent de payer des salaires plus élevés et de faire appel à la main-d’œuvre locale plutôt qu’aux travailleurs étrangers temporaires. Avez-vous d’autres données à cet égard? Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les salaires sont plus élevés?
Mme Bryan : Cela démontre un peu comment l’ethnographie et l’anthropologie peuvent fonctionner. Nous avons rencontré cet employeur dans le cadre de nos recherches sur la transformation du poisson et plus précisément sur les travailleurs migrants dans le secteur de la transformation du poisson. Nous avons tenté de parler à des employeurs de ce secteur qui embauchent et recrutent des travailleurs étrangers temporaires. Cela s’est révélé une expérience difficile, car il existe une sorte de culture du secret à cet égard. Mais dans le cadre de nos efforts, nous avons trouvé un employeur qui avait réussi à retenir sa main-d’œuvre canadienne ou locale. Les salaires faisaient partie de l’équation, mais il offre également un ensemble complet d’avantages sociaux. Il nous a raconté l’anecdote d’un employé qui avait trouvé du travail ailleurs, mais il lui a offert plus d’argent et un poste différent.
Ce que j’essaie de dire, c’est que le fait de payer aux gens le salaire dont ils ont besoin pour survivre — je suis peut-être naïve — contribue grandement à retenir les travailleurs. Je ne pense pas que ce soit si compliqué.
C’est le point que faisait valoir cet employeur et c’est également le point que je tente de faire valoir.
La présidente : Cet employeur semble être une exception. De nombreux employeurs nous ont dit que sans une main-d’œuvre migrante temporaire, ils devraient fermer leurs usines.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Bryan. Si je comprends bien, dans vos travaux de recherche sur les travailleurs étrangers temporaires, êtes-vous remontée jusqu’au début de la création de ce programme? Je pose la question, car quand on a voyagé récemment avec le comité, les employeurs nous ont dit que sans ces travailleurs, ils fermeraient boutique. Pourtant, avant ce programme, ils étaient déjà ouverts. Donc, pour ce qui est de l’idée de passer des travailleurs locaux aux travailleurs étrangers, s’il y a une cause ou une raison... La raison est notamment d’augmenter la main-d’œuvre, mais y a-t-il d’autres raisons et d’autres défis qui sous-tendent le tout?
[Traduction]
Mme Bryan : Je pense que ce que je tentais de communiquer dans ma déclaration préliminaire, c’est que dans un secteur comme celui des soins infirmiers, qui est constamment et systématiquement sous-financé, le travail devient de plus en plus difficile dans le contexte, par exemple, d’une pandémie. Il est évident que les travailleurs locaux refuseront ce travail s’ils ont d’autres choix. Je pense qu’il y a une part de vérité dans cette rhétorique de la pénurie de main-d’œuvre. En même temps, les employeurs ont l’habitude de trouver le moyen le plus efficace de réduire les coûts. Je pense que, de plus en plus, le moyen le plus simple d’y arriver pour les employeurs est de réduire les coûts liés à la main-d’œuvre. Cela signifie qu’ils s’appuient sur de nouvelles sources de main-d’œuvre où les gens peuvent être plus enclins à accepter des salaires moins élevés que ceux que les travailleurs locaux sont prêts à accepter. Bien entendu, comme le découvrent de nombreux travailleurs étrangers temporaires lorsqu’ils arrivent au Canada, ces salaires ne correspondent pas tout à fait au coût de la vie dans notre pays. Les salaires finissent donc par servir à soutenir une vie de simple subsistance au Canada.
[Français]
La sénatrice Mégie : Comme il faut que les employeurs fassent la preuve qu’ils n’ont pas pu trouver de la main-d’œuvre locale avant d’avoir l’autorisation de faire venir la main-d’œuvre étrangère, je me suis demandé si c’est parce que la main-d’œuvre locale ne voulait pas faire le travail, ou est-ce parce qu’ils sont à la recherche de main-d’œuvre bon marché?
[Traduction]
Mme Bryan : Je pense que c’est probablement une combinaison de ces éléments. La main-d’œuvre locale n’est pas disposée à occuper ces emplois parce que ce sont des emplois déplaisants, dangereux et sous-payés. Les gens savent qu’ils ne pourront pas subvenir à leurs besoins avec le revenu qu’ils tireront de cet emploi. Encore une fois, je pense que l’augmentation des salaires — c’est-à-dire offrir des salaires suffisants pour vivre — permettrait de remédier à ce problème.
D’autre part, les travailleurs étrangers temporaires offrent également toutes sortes d’autres avantages. Il y a la valeur qu’un employeur peut obtenir en payant des salaires moins élevés, mais il y a aussi le fait que, par exemple, dans le secteur des services et de l’hôtellerie, la plupart des personnes qui arrivent dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires sont toutes titulaires d’un diplôme d’études supérieures. Les infirmières philippines sont un autre excellent exemple, car ces fournisseuses de soins à domicile fournissent à leur employeur un service et une valeur qui dépassent de loin leur taux de rémunération, non seulement parce que ce taux est peu élevé, mais aussi parce que ces personnes occupent un emploi bien en dessous de leurs compétences. Il s’agit en effet de personnes hautement qualifiées. Les travailleurs auxquels j’ai fait référence dans ma déclaration préliminaire étaient tous des ingénieurs électriciens qui travaillaient dans des usines de transformation du poisson. Ce type de décalage génère une grande valeur ajoutée pour les employeurs.
La présidente : Je vais utiliser vos 10 dernières secondes pour poser une question à laquelle il sera possible de répondre plus tard, car je dois donner du temps à mes collègues ici présents.
Les employeurs paient l’étude d’impact sur le marché du travail, le logement, les billets d’avion, l’assurance-maladie provisoire et d’autres coûts. Je ne suis donc pas certaine que les employeurs réalisent vraiment des économies. Je vais laisser cette question en suspens pour que vous y réfléchissiez et que vous nous reveniez avec une réponse plus tard.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur un point soulevé par Mme Bryan au sujet du déséquilibre de pouvoir omniprésent qui sévit dans les situations dont nous discutons ici. Ma question s’adresse à la fois à M. Walmsley et à Mme Bryan. Juste avant, j’aimerais préciser que je suis née et que j’ai grandi à Neepawa, au Manitoba, c’est-à-dire le Neepawa d’il y a 70 ans. C’est vraiment étonnant d’y retourner maintenant et de voir tous les changements.
Il y a environ un an, le gouvernement du Canada a mis en œuvre des règlements concernant les travailleurs étrangers temporaires dans le cadre du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. À l’époque, le gouvernement a déclaré que ces règlements visaient à renforcer la protection des travailleurs étrangers temporaires et à améliorer l’intégrité du Programme des travailleurs étrangers temporaires.
J’aimerais donc savoir si vous avez vu des preuves à l’appui de cette déclaration. Si oui, pourriez-vous nous faire part de votre expérience et de vos observations?
M. Walmsley : Non, pas vraiment. Nous en avons entendu parler, mais nous attendons toujours de voir comment cela se traduira sur le terrain. La réponse simple, c’est non.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.
Mme Bryan : Je pense qu’il y a de bons exemples dans quelques endroits. Par exemple, lorsque j’ai effectué des travaux sur le terrain dans le cadre de mon doctorat, les travaux qui étaient menés au Manitoba pour assurer le suivi de l’endroit où les travailleurs se trouvaient pour donner suite aux plaintes étaient rigoureux et inspirants.
Je pense que le fait de permettre aux travailleurs étrangers temporaires — dans les métiers peu spécialisés — d’accéder à la résidence permanente permet de remédier à certaines des tendances les plus axées sur l’exploitation du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Bien entendu, les travailleurs agricoles saisonniers sont exclus de cette transition, ce qui les laisse dans une incertitude constante et dans un cycle incessant d’allées et venues. Je crois que cela convient à certaines personnes et à leur famille, mais je pense que la résidence permanente devrait également être offerte aux travailleurs agricoles saisonniers qui souhaitent rester au pays. Je crois que dans ce cas-ci, il s’agit d’une question de compétences, c’est‑à‑dire les compétences que nous valorisons et celles qui sont mises en valeur par l’entremise de ce programme. Mais je pense que, de la même manière…
La sénatrice McPhedran : Je suis désolée, mais je tiens à avoir assez de temps pour poser une deuxième question. Veuillez m’excuser, mais j’aimerais passer à la question suivante, à laquelle j’aimerais que vous répondiez tous les deux.
La deuxième partie de ma question porte, encore une fois, sur une annonce assez récente, c’est-à-dire une annonce qui a été faite il y a un peu plus d’un an, soit en avril 2022, par le gouvernement, qui indiquait qu’il mettait en place un processus de recours hiérarchique visant à informer les intervenants provinciaux dans les 48 heures des situations où la santé et la sécurité des travailleurs étrangers temporaires étaient en danger immédiat.
Avez-vous vu des manifestations concrètes de cette mesure et si oui, pourriez-vous nous faire part de vos observations? Veuillez tous les deux répondre à cette question, s’il vous plaît. J’aimerais d’abord entendre la réponse de Mme Bryan, et ensuite celle de M. Walmsley.
Mme Bryan : Nous pouvons passer immédiatement à la prochaine question, car je n’ai vu aucune preuve de la mise en œuvre ou du lancement d’une telle initiative pour les travailleurs avec lesquels je suis en communication.
M. Walmsley : Je me fais l’écho des déclarations de Mme Bryan.
La sénatrice McPhedran : Si vous observiez de telles manifestions, qu’est-ce qui vous indiquerait que ces nouveaux règlements fonctionnent réellement? C’est une question hypothétique, mais je pense qu’elle est pertinente.
Mme Bryan : Pour moi, il faudrait qu’il y ait des conséquences concrètes pour l’employeur. Je ne sais pas à quoi ressemblerait de telles conséquences ou si cela signifierait qu’il ne pourrait plus avoir recours à des travailleurs étrangers ou autre chose, mais il faudrait qu’il y ait des conséquences pour ce type de comportement.
M. Walmsley : Je suis d’accord et je dirais également que cela permettrait de faire savoir que certaines choses peuvent arriver et qu’on peut décider de remédier à certains problèmes.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Cormier : Ma première question s’adresse à M. Walmsley.
Vous avez parlé des défis qui se posent sur le plan culturel. Pouvez-vous nous donner des exemples de stratégies ou de programmes communautaires innovateurs qui se sont avérés efficaces pour intégrer les travailleurs étrangers temporaires dans les collectivités rurales et éloignées? Pouvez-vous aussi nous dire comment, à votre avis, le gouvernement fédéral pourrait améliorer ces programmes, car certains problèmes ont été portés à notre attention lors de notre mission au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard?
J’espère que vous pourrez répondre à cette question, monsieur.
M. Walmsley : L’une des mesures qui ont été très utiles dans notre volet, c’est que lorsque de nouveaux travailleurs étrangers temporaires arrivent, par exemple, à l’usine de transformation de viande, nous participons à la session d’orientation qui leur est offerte, ce qui signifie que notre employé qui travaille avec les travailleurs étrangers temporaires est en mesure de leur parler du programme et de se présenter à titre de personne-ressource.
En outre, lorsqu’on pense aux différents volets, au bout du compte, il s’agit de renseigner les gens. Il faut aider les nouveaux travailleurs temporaires à comprendre la culture dans laquelle ils arrivent, car les gens se font beaucoup d’idées fausses. Nous ne réussissons pas nécessairement à bien informer les gens avant leur arrivée des conditions auxquelles ils feront face, par exemple, au Manitoba, en février, lorsqu’il fait -25 degrés et que tout est recouvert de neige.
Nous examinons donc les différents volets, nous tentons de donner des renseignements aux nouveaux arrivants, nous les aidons avec les rajustements aux prestations fiscales pour enfants — ou toute autre composante essentielle — et nous les aidons à comprendre le contexte culturel. Nous avons un programme préscolaire qui aborde des sujets tels que le rôle des parents au Canada, le développement de l’enfant, les différences et la façon de s’adapter au travail.
Le sénateur Cormier : Puis-je vous demander quel genre de travail vous faites avec les collectivités? Si ces travailleurs doivent s’adapter à la collectivité, les collectivités doivent également s’adapter à ces travailleurs. Quel genre de travail faites-vous et comment le gouvernement fédéral vous aide-t-il à cet égard?
M. Walmsley : En fait, nous collaborons beaucoup avec les services de loisirs, les conseils municipaux et différentes organisations au sein de la collectivité. Nous proposons des ateliers. Nous encourageons et soutenons toute forme d’intégration. Dans une petite collectivité, on peut avoir accès à un plus grand nombre de personnes que dans un centre urbain. Nous les amenons à participer à une partie du processus. Ils doivent participer au processus.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, monsieur.
[Français]
Ma question s’adresse à Mme Bryan.
Vous avez publié en 2019 un article qui s’intitule « Labour, population, and precarity: temporary foreign workers transition to permanent residency in rural Manitoba ». Dans cet article, vous évoquez le cas d’un petit hôtel au Manitoba qui compte sur le recrutement des réseaux transnationaux, c’est-à-dire qu’il compte sur la capacité des employés étrangers temporaires à faire appel à des membres de leur famille et à des amis pour venir travailler. On a entendu cela aussi au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard.
Ma question est la suivante : puisque vous parlez de cet enjeu de transition vers la résidence permanente, est-ce que cette dynamique, qui est de faire appel aux familles et aux amis pour venir travailler, pose des défis de transition vers la résidence permanente, ou est-ce que cela facilite cette transition? J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Mme Bryan : Je pense que cela facilite la transition. Si les migrants sont en mesure de le faire, de recommander un ami, un membre de la famille ou un ancien collègue avec qui ils ont déjà travaillé, cela permet différents types de réunification familiale ou le rétablissement de liens et de réseaux sociaux importants là où ils sont réinstallés, ce qui, tout bien considéré, est une très bonne chose.
Il reste que ces personnes se sont bien intégrées dans la collectivité locale. C’est un merveilleux exemple d’une collectivité rurale qui accueille favorablement une main-d’œuvre migrante.
Mais, oui, l’employeur a été en mesure de le faire de manière assez stratégique et, comme je l’ai dit plus tôt, de recourir au Programme des candidats des provinces, ou PCP, pour faciliter la venue de certaines de ces personnes. Des membres de la famille et des amis sont arrivés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, donc en suivant le processus régulier, mais d’autres ont été soutenus immédiatement par le Programme des candidats des provinces.
Ce soutien de l’employeur a généré un véritable sentiment de loyauté. Les employés qui sont arrivés avec le statut de résident permanent sont peut-être partis six ans plus tard, mais ils étaient tout à fait disposés à rester avec l’employeur pendant une longue période.
La présidente : Merci, madame Bryan.
La sénatrice Dasko : Je remercie les deux témoins de leur présence. J’ai une question pour chacun d’entre vous.
Madame Bryan, à la lumière de vos observations sur les bas salaires et l’importance d’essayer de les augmenter, pensez-vous qu’il serait viable d’augmenter les niveaux de salaire de manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de recourir au programme? Proposeriez-vous cette solution pour résoudre le problème de la pénurie de main-d’œuvre? Est-elle viable? Je m’appuie sur vos commentaires puisque vous avez beaucoup parlé des bas salaires et je me demande si c’est une solution viable.
Voilà ma question. Merci.
Mme Bryan : Je ne peux peut-être pas parler de la viabilité ou de ce à quoi cela ressemblerait exactement, mais je pense que si les gens sont en mesure d’avoir un salaire décent, les choses sont beaucoup plus faciles pour eux. On aurait probablement moins recours à des travailleurs étrangers temporaires si ces secteurs offraient des salaires décents aux gens.
En même temps, je suis en faveur de l’immigration et je pense que les gens devraient pouvoir venir ici. Toutefois, lorsqu’ils viennent ici, ils doivent aussi gagner des salaires et des revenus qui leur permettent de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.
La sénatrice Dasko : Pensez-vous que nous pouvons résoudre le problème sans le programme? Pouvons-nous nous débrouiller? Pouvons-nous avoir suffisamment de main-d’œuvre sans ce programme?
Mme Bryan : Je pense que oui. Et sinon, peut-être que simplifier l’accès à la résidence permanente permettrait de résoudre certains de ces problèmes.
Cependant, concernant le point qu’a soulevé la présidente un peu plus tôt, soit que l’employeur ne réalise pas d’économies en raison de tous les coûts associés au programme, je dirais que les travailleurs étrangers temporaires apportent une grande valeur ajoutée qui va au-delà de la question des économies que peut réaliser l’employeur ou de ses dépenses. Ils ont tendance à travailler plus dur parce qu’ils sont dépendants et vulnérables. Il y a donc tous ces avantages supplémentaires.
La sénatrice Dasko : Merci. Monsieur Walmsley, vous avez beaucoup parlé des effets qu’a l’arrivée de la main-d’œuvre étrangère migrante sur la collectivité, et vous avez évoqué des défis, appelons-les ainsi, positifs et négatifs.
Nous avons entendu parler de ces questions durant notre passage dans l’Est du Canada, mais globalement, diriez-vous que l’arrivée massive d’immigrants à Neepawa a été une expérience positive pour la collectivité ou y a-t-il encore des problèmes qui rendent les choses difficiles et qu’il faut vraiment régler? Tentez de répondre à cette question, s’il vous plaît.
M. Walmsley : C’est une question intéressante. Sans équivoque, je dirais qu’il s’agit d’une expérience positive. Nous l’avons constaté dans toutes sortes de situations sur le plan de la mobilisation. Il est très difficile de trouver une entreprise dans la collectivité qui ne compte pas au moins un nouvel arrivant maintenant.
Pour revenir à la question de la réunification des familles, beaucoup plus de travailleurs temporaires viennent ici. Nous aidons, entre autres, au parrainage des membres de la famille pour qu’ils viennent ici. En général, s’il s’agit d’un membre de la famille qui est un adulte, il viendra avec un permis de travail ouvert. Cela change la dynamique. Beaucoup de personnes obtiennent leur statut de résident permanent et restent. C’est ce qui explique l’augmentation spectaculaire de la population au sein de la collectivité.
La situation est très positive dans de nombreux secteurs. Dans le secteur de l’éducation, la population des écoles a augmenté. On observe le même phénomène dans la communauté confessionnelle. Notre église catholique locale était sur le point de fermer. Aujourd’hui, il y a des gens debout aux messes. Ce n’est qu’un exemple, mais il y a une mobilisation très importante au sein de la collectivité. Je dirais que c’est très positif.
La sénatrice Dasko : Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Walmsley. J’aurais une question sur la vulnérabilité des travailleurs temporaires. Nous en avons parlé à plusieurs reprises au comité. La plupart du temps, quand on a parlé de la vulnérabilité de ces travailleurs, on a fait le lien avec une vulnérabilité qui est liée à la relation de dépendance avec l’employeur.
Cependant, tout à l’heure, je vous ai entendu nommer tous les défis auxquels font face ces petites communautés pour accueillir ces travailleurs et pour l’accès aux services de santé, à l’éducation et aux loisirs. Je me demandais ceci : si cet accueil ne se fait pas correctement, pourrions-nous aller jusqu’à dire que nous nous retrouvons avec deux niveaux de vulnérabilité chez ces personnes?
[Traduction]
M. Walmsley : C’est une question intrigante, et je dirais que oui. L’endroit où les personnes se trouvent est un facteur déterminant. Si elles sont dans un milieu rural assez éloigné, les défis seront plus importants. Si elles sont proches d’une grande collectivité, plus de gens les connaissent ou sont au courant de leur présence. Il y a plus de surveillance, faute d’un meilleur terme. Donc, oui, il y a différents niveaux de vulnérabilité. Je pense que c’est tout à fait vrai.
Cela nous ramène à ce que j’ai dit plus tôt, à savoir qu’il faut qu’un certain contrôle soit exercé. Nous avons besoin de quelqu’un à qui nous pouvons nous adresser et dire « écoutez, nous avons des préoccupations et nous aimerions savoir ce que nous pouvons faire ».
J’espère avoir répondu à votre question.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Oui, absolument. Selon votre expérience, quand on a une industrie et qu’on a besoin d’accueillir ces travailleurs, est-ce qu’on prépare leur arrivée en amont, ou est-ce que les travailleurs arrivent et on trouve des solutions par la suite? Sommes-nous efficaces pour prévoir quels seront les besoins — au-delà des besoins du travail comme tel — pour intégrer ces personnes dans la communauté, ou reste-t-il encore beaucoup de choses à faire?
[Traduction]
M. Walmsley : Combien de temps avez-vous? Oui. Lorsqu’on parle de l’étendue des renseignements préalables à l’arrivée, tout dépend de l’industrie qui fait venir les travailleurs. Les industries qui le font depuis un certain temps vont de l’avant et recrutent, mais ce n’est pas toujours le cas pour les autres. Cela dépend vraiment d’un certain nombre de facteurs différents. Il ne s’agit pas d’une situation claire.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Madame Bryan, monsieur Walmsley, je vous remercie de votre contribution très instructive aux délibérations d’aujourd’hui.
Je pense que ce que nous avons du mal à comprendre, entre autres, c’est la mesure dans laquelle l’une ou l’autre de ces questions prévaut dans ces collectivités. Il semble qu’il n’y ait pas de données — de renseignements — quant au nombre de personnes qui veulent rester ici. Nous avons entendu dire qu’elles ne veulent jamais rester. Très peu le souhaitent. Vous nous avez dit que la plupart des gens veulent rester.
Pouvez-vous nous dire si de telles données existent, à votre connaissance? Quelqu’un se penche-t-il sur la question? Est-ce que des données sont réunies quelque part?
M. Walmsley : De mon point de vue, toutes les données que nous avons sont vieilles. Nous n’avons rien de nouveau. C’est pourquoi j’ai parlé de recherches portant expressément sur certaines régions, en particulier les régions rurales. Il faut comprendre que chaque province est différente. Les besoins diffèrent et il n’y a pas suffisamment de recherches.
J’appuie régulièrement diverses demandes de recherche parce que nous avons besoin de ce genre de données.
La sénatrice Moodie : Voulez-vous intervenir, madame Bryan?
Mme Bryan : Je suis du même avis. Nous manquons de données quantifiables sur le nombre de personnes, ce qu’elles veulent, l’endroit où elles se trouvent et leur expérience ou leur parcours.
Cependant, l’autre élément qui complique les choses, c’est que lorsque nous parlons de la main-d’œuvre immigrante temporaire, nous pensons généralement aux personnes qui viennent ici dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou aux travailleurs agricoles saisonniers.
Il y a des cohortes de migrants temporaires qui travaillent au Canada et qui ne sont pas pris en compte dans cette discussion. Les étudiants étrangers essaient également de rendre permanent leur statut de résident au Canada. Ce sont des résidents temporaires qui sont dans une situation précaire et qui travaillent. Il en va de même pour les demandeurs d’asile. En Nouvelle‑Écosse, des demandeurs d’asile ont travaillé sur la ligne de front des soins de santé pendant la pandémie de COVID.
Cette main-d’œuvre ou ces secteurs sont marqués par différentes situations de précarité, dont certaines sont liées au statut d’immigrant, mais il y a un certain nombre de situations. Il me semble que nous n’avons aucun moyen de saisir le tout d’un point de vue statistique. Pour répondre à votre question : pas vraiment.
La sénatrice Moodie : Vous avez mentionné la surveillance. D’après ce que nous comprenons, c’est Service Canada qui assure cette surveillance. Pourriez-vous nous dire quel genre de travail le ministère fait, s’il vous plaît?
M. Walmsley : Je vais parler de mon expérience et de celle de mes collègues.
C’est aléatoire. J’ai l’habitude de savoir où aller et à qui parler de certaines choses. Dans cette situation, c’est difficile. Je dois dire, peut-être, qu’il brille par son absence. Non pas qu’il n’y ait rien, mais nous ne le voyons pas et on ne fait pas en sorte que nous sachions où aller.
La sénatrice Moodie : Merci.
La sénatrice Osler : Je voulais revenir sur une observation intéressante de M. Walmsley. Lorsque notre comité s’est rendu au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard dans le cadre de sa mission d’étude, on nous a dit que les organismes communautaires qui fournissent des services d’établissement ne sont pas censés offrir un soutien en matière de services d’intégration aux travailleurs temporaires et aux travailleurs migrants.
Je m’interroge. Après vous avoir entendu parler du travail qu’accomplit votre organisme, soit Neepawa and Area Immigrant Settlement Services, des services qu’il offre aux travailleurs temporaires, est-ce qu’on parle ici d’une différence provinciale? Comment se fait-il que vous puissiez aider les travailleurs au Manitoba alors que dans les provinces de l’Atlantique, on nous a dit qu’on n’était pas censé le faire?
M. Walmsley : Vous avez raison. Si un organisme est financé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, pour fournir des services d’établissement, la population cible est constituée de résidents permanents, de réfugiés et de personnes bénéficiant d’un statut de protection. Cependant, si l’on a des contacts et que l’on est attentif et que l’on jette un coup d’œil, on peut accéder à d’autres fonds gouvernementaux.
Actuellement, nous bénéficions d’un financement par l’intermédiaire d’Emploi et Développement social Canada, ou EDSC, pour offrir un programme de travailleurs étrangers temporaires dans le cadre d’un projet pour les Prairies qui est basé à Calgary, ou qui est contrôlé à Calgary. J’ai sauté sur l’occasion dès que j’ai pu, car il y avait un réel manque. De 1996 à 2013, le Manitoba fournissait presque exclusivement du travail à des travailleurs étrangers temporaires en utilisant des fonds du gouvernement fédéral parce qu’il était responsable du programme. Le tout a été rapatrié en 2013, et c’est à ce moment‑là que dans le cadre du programme d’établissement, on est passé des travailleurs étrangers temporaires aux résidents permanents — il y avait une grande lacune. Nous avons eu la chance de participer. C’est en grande partie en raison des chiffres et du fait que les gens nous connaissaient. Voilà pourquoi nous sommes en mesure de le faire.
La sénatrice Osler : J’ai une autre question sur le sujet, monsieur Walmsley. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure ces renseignements et les renseignements pour trouver le financement sont accessibles? Dans quelle mesure l’information est-elle accessible et facile à trouver, que ce soit sur le site d’IRCC ou sur celui d’EDSC?
M. Walmsley : Le site Web d’IRCC ne contient pas d’information, mais celui d’ESDC en contient peut-être. Nous l’avons obtenu grâce à des gens que nous connaissons. Ce genre de contact est important dans ce secteur. C’est ainsi que nous élaborons des programmes. Nous travaillons en partenariat avec de nombreuses autres organisations. Je n’ai pas eu l’occasion d’aller sur le site Web, tout simplement parce que je n’avais pas à le faire. Il se peut que l’information y soit.
La sénatrice Osler : Merci, monsieur Walmsley. Nous avons vérifié, et nous n’avons pas trouvé ces informations sur le site Web.
M. Walmsley : D’accord.
La présidente : Monsieur Walmsley, recommanderiez-vous qu’IRCC améliore sa compréhension en ce qui concerne les personnes auxquelles les services d’établissement devraient s’adresser?
M. Walmsley : Je pense qu’il est important que tout organisme qui fournit des services pendant une longue période procède à une évaluation pour déterminer s’il répond aux besoins de la population et s’il doit augmenter les services qu’il fournit. Jusqu’à maintenant, ces organismes se sont toujours occupés d’une population en particulier. J’aimerais bien procéder à cet exercice, car il y a des services que nous pourrions offrir aux résidents permanents, mais nous ne pouvons pas le faire. Par exemple, nous ne pouvons pas offrir des cours d’anglais. Nous n’avons pas le droit de le faire.
La présidente : Merci. Il reste une minute pour le sénateur Cormier.
Le sénateur Cormier : J’ai besoin de davantage de temps, car je dois mettre ma question en contexte.
La présidente : Vous pouvez poser votre question, sénateur Cormier, et les témoins pourront vous répondre par écrit.
Le sénateur Cormier : D’accord. Nous avons reçu une représentante du Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick, le CAFi, ici, la semaine dernière, et j’ai fait un suivi auprès de cet organisme. Lorsque des employés de cet organisme accueillent des travailleurs, ils leur expliquent leurs droits et tout le reste, mais ils ne disposent d’aucun mécanisme pour faire part au gouvernement fédéral des enjeux auxquels sont confrontés les travailleurs étrangers sur le plan de la santé et des conditions de travail. J’ai été étonné d’apprendre qu’il n’existe aucun mécanisme à cet égard. Il semble que le gouvernement fédéral ne dispose d’aucun mécanisme pour consulter ces organismes.
Si c’est effectivement le cas, cela constitue un problème important. Avez-vous de l’information à nous fournir à ce sujet? Est-ce que c’est ainsi ailleurs? Voilà mes questions, madame la présidente.
La présidente : M. Walmsley et Mme Bryan pourront sans doute répondre par écrit. Sénateur Cormier, nous recevrons la semaine prochaine la sous-ministre d’IRCC, alors je vous suggère de lui poser aussi ces questions.
Le sénateur Cormier : C’est ce que je vais faire.
La présidente : Je remercie infiniment nos témoins. Nous aurions pu nous entretenir avec vous pendant encore une heure. Je vous remercie d’avoir pris le temps de comparaître devant nous et de nous avoir fait profiter de votre sagesse. Nous vous en sommes sincèrement reconnaissants.
Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins. Nous recevons Arin Goswami et Anmol Sanotra, qui comparaissent en personne. Ils sont membres du Naujawan Support Network. Nous recevons également, par vidéoconférence, Larissa Bezo, présidente et cheffe de la direction du Bureau canadien de l’éducation internationale.
Je vous remercie beaucoup pour votre présence. Nous sommes particulièrement heureux d’avoir des témoins en personne aujourd’hui. Je vous rappelle que chaque organisme dispose de cinq minutes pour faire une déclaration liminaire. Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité. Nous allons commencer par le Naujawan Support Network. Monsieur Goswami et monsieur Sanotra, la parole est à vous. Vous disposez ensemble de cinq minutes. Je le sais, ce n’est pas beaucoup.
Anmol Sanotra, membre, Naujawan Support Network : Merci. Nous en avons tenu compte.
Honorables membres du Sénat du Canada, distingués membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie et chers concitoyens canadiens, je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui. Je m’appelle Anmol Sanotra, et je suis accompagné par Arin Goswami. Nous sommes membres du Naujawan Support Network, le NSN, un organisme réunissant des étudiants étrangers et de jeunes travailleurs immigrants de Brampton, en Ontario. Le mot « Naujawan » qui figure dans le nom de notre organisme signifie « jeunes gens » en punjabi.
Nous avons mis sur pied cet organisme, car le taux de suicide et le taux de décès au travail chez les étudiants étrangers au Canada sont alarmants. Cette situation est attribuable en bonne partie à l’exploitation au travail. L’exploitation nous prive de notre dignité, de notre jeunesse et de notre santé mentale et nous coûte parfois la vie. Les étudiants étrangers contribuent à l’économie canadienne à hauteur de 8 milliards de dollars par année et constituent l’épine dorsale de villes et de municipalités partout au pays. Nous exhortons les membres du Sénat à agir immédiatement pour mettre fin à l’exploitation des étudiants étrangers au Canada. Pour commencer, il faut éliminer pour de bon la limite de 20 heures de travail hebdomadaire imposée aux étudiants étrangers; deuxièmement, il faut revoir le code du travail pour imposer des sanctions importantes aux employeurs qui volent des salaires; et troisièmement, il faut offrir une voie d’accès à la résidence permanente rapide et équitable. Nous allons en dire davantage à propos de ces trois éléments durant le temps qu’il nous reste.
Premièrement, la limite de 20 heures de travail imposée aux étudiants étrangers facilite l’exploitation à notre égard. Plutôt que de nous aider à nous concentrer sur nos études, comme le prétend le gouvernement, cette limite fait en sorte qu’il est plus difficile pour les étudiants de faire valoir leurs droits au travail. Nous l’avons constaté en présence d’employeurs qui refusent de verser le salaire minimum à des étudiants étrangers parce qu’ils ont travaillé plus de 20 heures et qui les menacent de les faire expulser du pays ou de porter des accusations criminelles contre eux s’ils les dénoncent.
La limite de 20 heures de travail a été levée pendant un certain temps durant la pandémie et elle a été à nouveau levée jusqu’à la fin de l’année, et on n’a constaté aucune incidence négative sur les études des étudiants. Suspendre l’application de cette limite a permis de démontrer que les étudiants sont en mesure de se concentrer sur leurs études tout en travaillant plus de 20 heures par semaine. Selon notre expérience, cela a fait en sorte que les étudiants osent davantage s’opposer à des situations abusives et à des conditions dangereuses au travail, car ils craignent moins de subir des représailles de la part de leur employeur. Éliminer la limite de 20 heures de travail constituerait un pas dans la bonne direction puisque cela donnerait aux étudiants une plus grande assurance.
Arin Goswami, membre, Naujawan Support Network : La deuxième préoccupation tient au fait que des employeurs volent régulièrement le salaire d’étudiants étrangers. Nous travaillons dans divers secteurs, comme le camionnage, les entrepôts, les usines, les restaurants et la construction. Dans tous ces secteurs, le vol de salaires est devenu un rite de passage.
Des employeurs volent nos salaires pour toutes sortes de raisons, que ce soit lorsque nous nous plaignons de conditions de travail dangereuses ou nous démissionnons, ou bien lorsque de l’équipement est endommagé ou notre rendement n’est pas satisfaisant. Lorsque nous protestons et demandons notre dû, des employeurs répondent avec violence, notamment en proférant des menaces de mort et en nous agressant, et en intentant des poursuites pour diffamation de plusieurs millions de dollars.
Pour éviter nos protestations, des employeurs se moquent de nous en nous encourageant à nous adresser au tribunal du travail, sachant que le processus est fastidieux, lent et inaccessible pour la plupart des travailleurs, particulièrement pour ceux à l’échelon fédéral, qui disposent de seulement six mois pour présenter une demande et qui doivent ensuite attendre des années avant qu’un ordre de paiement soit édicté.
Même lorsqu’un ordre de paiement est donné, les employeurs en font fi parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas forcés d’obtempérer. Le tribunal du travail offre très peu de protection aux travailleurs et incite plutôt les employeurs à voler les salaires. Le système a besoin d’une révision en profondeur afin de le rendre plus accessible aux travailleurs et d’accroître considérablement les sanctions visant les employeurs qui volent des salaires.
Le dernier problème que nous voulons souligner est l’importance qu’occupe l’emploi pour l’obtention de la résidence permanente. À l’heure actuelle, les étudiants étrangers ne peuvent pas obtenir la résidence permanente sans la bénédiction d’un employeur. Les étudiants doivent travailler pendant de longues périodes pour un employeur et ils ne doivent pas dire un mot au sujet de l’exploitation et des situations abusives qu’ils subissent dans le cadre de leur emploi. S’ils dénoncent ces problèmes, l’employeur les renvoie, et en plus, il refuse de leur remettre les lettres de recommandation et les documents dont ils ont besoin pour présenter une demande de résidence permanente. C’est un problème très sérieux qui donne lieu à de graves abus. Des étudiants étrangers nous ont raconté que leur employeur leur avait demandé une somme d’argent ou même de signer un contrat de travail d’un an en échange des lettres de recommandation nécessaires.
Pour mettre un terme à ce genre d’exploitation, il faudrait offrir aux étudiants étrangers un accès plus rapide à la résidence permanente et éliminer l’exigence selon laquelle ils doivent obtenir l’appui de leur employeur.
Nous vous remercions encore une fois de nous avoir invités à comparaître devant vous. Merci de nous avoir écoutés. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie beaucoup.
Larissa Bezo, présidente et cheffe de la direction, Bureau canadien de l’éducation internationale : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de contribuer aux délibérations du comité sur ces importants et opportuns sujets d’étude que sont les travailleurs étrangers temporaires et les perspectives économiques du Canada.
En tant que dirigeante du Bureau canadien de l’éducation internationale, le BCEI, mes observations porteront sur des sujets concernant le marché du travail qui touchent les étudiants étrangers. Je vais aborder trois sujets. Premièrement, je parlerai de ce que le BCEI a appris à la suite de son plus récent sondage biennal des étudiants internationaux à propos des expériences sur le marché du travail des étudiants étrangers au Canada. Deuxièmement, j’expliquerai ce que nous espérons apprendre dans le cadre d’un projet novateur que nous menons et qui porte sur l’accès au marché du travail et l’intégration des étudiants étrangers. Troisièmement, je vous ferai part de ce que fait le BCEI pour améliorer les connaissances concernant la mesure dans laquelle les étudiants étrangers contribuent au marché du travail durant leur séjour au Canada et après leurs études, qu’ils restent au pays, qu’ils retournent dans leur pays ou qu’ils aillent s’établir ailleurs.
Avant de commencer, je tiens à souligner que le BCEI est conscient du fait que le comité effectue son étude dans un contexte où se tient un discours public de plus en plus enflammé et, malheureusement, très étroit sur la crise du logement abordable qui sévit au pays. Trop souvent, on mise sur des solutions faciles du côté de la demande. On fait valoir que la solution est de plafonner le nombre d’étudiants étrangers, que cela n’aura aucun effet négatif, que nous avons besoin de solutions rapides dans l’immédiat et que nous pourrons nous pencher plus tard sur des politiques plus intelligentes et plus nuancées, car, peu importe les mesures que nous prenons, le Canada attirera toujours des étudiants talentueux du monde entier. Toutefois, cela n’est pas garanti.
J’exhorte les membres du comité à tenir compte des risques sur le plan de la réputation du Canada que pose le débat actuel. Il n’y a pas de gains faciles, et nous devons veiller à éviter les mesures mal conçues qui pourraient se révéler contre‑productives. Nous avons plutôt besoin de solutions équilibrées, réfléchies et fondées sur des données probantes qui rehaussent la réputation du Canada à l’échelle internationale à titre de pays où les étudiants étrangers sont non seulement les bienvenus et sont en sécurité, mais aussi où ils peuvent s’attendre à obtenir une éducation de grande qualité. Nous devons davantage nous concentrer sur les façons dont l’écosystème et le secteur canadiens de l’éducation internationale peuvent mieux contribuer à aider les étudiants étrangers à réaliser leurs aspirations sur le plan des études et dans leurs vies professionnelles et personnelles.
Bien que notre sondage des étudiants internationaux de 2021 ait été mené durant une pandémie mondiale au cours de laquelle de nombreux étudiants suivaient leurs cours en ligne, certains des résultats sont instructifs. Premièrement, environ la moitié des plus de 40 000 étudiants étrangers qui ont répondu au sondage ont déclaré travailler à temps partiel durant leurs études. Deuxièmement, parmi les répondants qui avaient travaillé ou travaillaient, plus de 4 sur 10 ont affirmé avoir de la difficulté à trouver un emploi. Un bon nombre d’entre eux ont attribué cette difficulté à leur incapacité à comprendre les attentes des employeurs canadiens, à la culture du travail au Canada et au fait que leurs éventuels employeurs connaissaient mal les règles régissant l’embauche d’étudiants étrangers ou ils étaient découragés par celles-ci. Troisièmement, les étudiantes étaient plus susceptibles que les étudiants d’attribuer leur difficulté à trouver un emploi à leur manque d’expérience de travail au Canada ou de façon générale, et elles étaient également plus susceptibles d’affirmer qu’elles avaient du mal à faire valoir leurs compétences et qu’elles n’avaient pas confiance en leurs compétences.
Un aspect préoccupant est l’absence de liens avec la collectivité qu’ont mentionnée un nombre considérable d’étudiants hors campus. Ils ont dit ne pas ressentir un sentiment d’appartenance. Cet aspect est inquiétant pour plusieurs raisons. Il a été clairement démontré que les étudiants étrangers qui établissent tôt des liens dans la collectivité et qui créent des liens profonds sont davantage susceptibles de connaître du succès dans leurs études.
Nous devons adopter une nouvelle approche et instaurer une collaboration plus étroite entre les établissements et les collectivités qui accueillent ces étudiants étrangers et qui bénéficient de leur contribution. Cela implique d’amener les employeurs et les groupes de bénévoles à reconnaître les besoins uniques des étudiants étrangers nouvellement arrivés afin d’y répondre. C’est tout l’écosystème de l’éducation internationale qui en bénéficiera, tant les étudiants que les collectivités et les entreprises.
Je tenais aussi à attirer l’attention du comité sur un projet de recherche mené par le BCEI, en collaboration avec la ville de Hamilton, la Chambre de commerce de Hamilton, l’Université McMaster et le Mohawk College, ainsi qu’avec le soutien du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur. Ce projet vise à examiner les réseaux, les programmes et les services qui aident les étudiants étrangers à intégrer le marché du travail et à devenir des résidents permanents en Ontario. Le travail consiste à élaborer un cadre des mesures de soutien les plus efficaces pour mettre à la disposition des dirigeants et des décideurs de la collectivité des mesures à appliquer qui peuvent être également mises en place dans d’autres collectivités. Notre objectif est simple : recueillir des données probantes, faire connaître les défis qui se posent à l’échelle de l’écosystème, mettre de l’avant les mesures qui fonctionnent et élaborer des outils pratiques et des conseils qui auront des effets positifs pour les étudiants et les collectivités.
Enfin, comme le comité le sait déjà très bien, l’absence d’information complète et à jour sur l’éducation internationale au Canada constitue un problème constant pour les décideurs à tous les niveaux.
Les enjeux sont trop élevés pour que nous continuions à naviguer à l’aveuglette. C’est pour cette raison que le BCEI préconise la création d’un centre d’excellence sur la mobilisation des étudiants étrangers de talent, en vue de recueillir et de communiquer de l’information sur les pratiques exemplaires et d’élaborer des outils de planification destinés aux établissements, aux employeurs, aux collectivités d’accueil et aux décideurs afin de réaliser des progrès à ce chapitre.
Je serai ravie d’en dire plus long au sujet de ces éléments et à propos d’autres aspects. Je suis prête à répondre aux questions des membres du comité.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, madame Bezo. Chers collègues, comme à l’habitude, vous disposez de cinq minutes pour les questions et réponses.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à tous les trois. Vous nous avez fourni beaucoup d’informations en peu de temps, et il s’agit d’informations intéressantes. Certaines universités ont affirmé qu’on promet mer et monde aux étudiants. On leur dit qu’ils trouveront un emploi et que tout sera merveilleux ici, mais ils arrivent dans des universités où les étudiants étrangers sont nombreux et où ils font face à des problèmes importants. Ils n’arrivent pas à trouver du travail, ce qui leur cause de gros problèmes financiers. Avez-vous constaté cela? Peut-être que les représentants du Bureau canadien de l’éducation internationale peuvent répondre en premier.
M. Goswami : Pardonnez-moi, mais nous ne représentons pas le Bureau canadien...
La sénatrice Cordy : Veuillez m’excuser. C’est le seul nom que j’ai. Dans ce cas, madame Bezo, voudriez-vous nous parler de la mise sur pied d’un centre d’excellence? Cela me paraît une bonne idée. Vous avez aussi parlé de la nécessité d’effectuer de la recherche, car nous ne disposons pas de suffisamment d’information. Pourriez-vous nous parler des promesses faites aux étudiants, qui ne correspondent pas à la réalité? Est-ce courant? J’en entends parler et j’ai lu sur le sujet. À quel point est-ce courant?
Deuxièmement, qu’en est-il de la nécessité de disposer de renseignements à jour et de créer un centre d’excellence? Voilà mes deux questions pour vous.
Mme Bezo : Je vous remercie pour ces deux questions. En ce qui a trait aux attentes des étudiants par rapport à la réalité et à leur expérience réelle, ce que nous observons de plus en plus — et cela a fait l’objet de discussions dans les derniers mois et durant la dernière année — c’est que le parcours des étudiants qui viennent au Canada commence lorsqu’ils examinent les divers programmes d’étude au pays et qu’ils envisagent de présenter une demande de permis d’études.
Le problème qui se pose, notamment — et nous en voyons les conséquences très malheureuses —, c’est qu’un grand nombre des agents et des partenaires de recrutement qui cherchent à attirer des étudiants au Canada sont très respectueux de l’éthique et ils présentent les possibilités de façon réaliste, mais il existe certains agents sans scrupules qui créent des attentes irréalistes chez les étudiants et passent sous silence les problèmes auxquels ils risquent de faire face sur le plan de l’adaptation, de l’épanouissement au sein de la collectivité, de la recherche d’emploi, etc.
C’est un problème auquel il faut s’attaquer en s’assurant de disposer de cadres robustes et en communiquant très clairement aux étudiants ce à quoi ils doivent s’attendre.
Un autre défi à relever au pays, c’est le nombre important d’étudiants internationaux qui souhaitent non seulement venir étudier au Canada, mais aussi y demeurer après leurs études. L’enquête que nous avons menée, au BCEI, nous a appris que 60 % des étudiants voulaient obtenir le statut de résident permanent. Il va sans dire que le nombre de nouveaux immigrants que le Canada est prêt à accueillir chaque année est très élevé. Toutefois, nous ne sommes pas en mesure en tant que pays de convertir tous les étudiants internationaux en résidents permanents. C’est une des recommandations que nous avons présentées au ministère. Pour que les options soient mieux comprises, nous estimons qu’il faut expliciter clairement le processus à suivre pour étudier et rester par la suite au Canada. Il faut également greffer des mesures de soutien à ce même processus pour assurer le succès et le bien-être général des étudiants.
Quant au centre d’excellence dont j’ai parlé, c’est en fait une proposition que le BCEI a soumise dans le cadre de nos conversations avec le gouvernement canadien sur la future stratégie d’éducation internationale du Canada. Étant donné les 800 000 étudiants que le Canada accueille en ce moment — un nombre qui devrait augmenter au cours des deux prochaines années —, nous sommes fermement convaincus de la nécessité de mettre sur pied une structure permettant de regrouper et d’échanger des données qui orienteraient les décisions stratégiques au niveau communautaire, provincial, territorial et national.
Nous avons des employeurs et nous sommes aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre. Nous avons des besoins stratégiques dans plusieurs domaines tels que l’adaptation aux changements climatiques ou l’atteinte de la cible de zéro émission nette. Les talents issus du monde entier pourraient nous aider à trouver des solutions dans plusieurs filières au Canada. Mais dans un environnement...
La présidente : Merci, madame Bezo.
Plusieurs sénateurs veulent poser des questions et c’est extrêmement tentant de discuter des étudiants étrangers dans une perspective mondiale. Vous savez que ce sujet me tient à cœur. Mais cette étude porte sur la relation des étudiants internationaux avec le marché du travail. Je propose donc que nous nous en tenions au sujet de l’étude, même si c’est extrêmement tentant, y compris pour moi, de s’en éloigner un peu.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Ma question s’adresse à Naujawan Support Network, ou NSN. Pourriez-vous faire part au comité des expériences vécues au Canada par les étudiants internationaux lorsqu’ils tentent d’accéder à l’assurance-maladie et au système de soins de santé? Avez-vous des mesures à recommander qui pourraient faciliter leur expérience?
M. Sanotra : À propos des soins de santé, comme les assurances font habituellement partie des droits de scolarité des étudiants internationaux, j’estime qu’elles devraient faire partie des programmes d’orientation offerts à ces étudiants. En fait, les étudiants sont aux prises avec les mêmes problèmes que l’ensemble de la population, notamment les longs temps d’attente dans les hôpitaux. Ce qui s’ajoute dans leur cas, c’est qu’ils ne savent pas comment s’inscrire à une clinique de quartier et se dépêtrer dans le système médical canadien s’ils ont un problème.
Un de mes amis a connu ce type de problème. Il était assis avec moi à la maison et il ne savait pas où aller, car il ne connaissait pas assez bien le système. Voilà un des obstacles avec lesquels mes amis et moi avons été confrontés lorsque nous étions étudiants.
M. Goswami : En ce moment, nous faisons une manifestation à Mississauga. Une jeune femme et sa cousine — âgées respectivement de 19 et 20 ans — travaillent dans une boulangerie où des vols de salaire totalisant 185 000 $ ont été commis à l’endroit des 37 personnes qui y travaillent. Nous manifestons devant la boulangerie ou, en fait, devant ce qui en este. L’entreprise est insolvable. Nous sommes restés là 32 jours. Nous en sommes au 32e jour de manifestation et nous recevrons le dernier versement qui s’élève à 39 000 $. Jusqu’à présent, nous avons été en mesure de récupérer 146 000 $.
Les deux sœurs — nous les appelons des sœurs, car dans notre culture, cousine et sœur, c’est la même chose — habitent ensemble. Celle de 19 ans a perdu en grande partie l’usage de son pouce après que sa main s’est coincée dans une machine à la boulangerie. L’entreprise n’a rien fait pour l’aider. La jeune femme a hurlé, mais n’a pas reçu d’assistance. Elle a dû aller voir le superviseur, qui lui a dit d’attendre dans une pièce. Une travailleuse qui se trouvait dans une autre pièce au moment de l’incident a pu entendre les cris, qui n’ont pas semblé se rendre aux oreilles des gestionnaires. En un mot, personne n’a appelé d’ambulance. La pauvre était assise là avec la main en sang. Elle a dû demander à sa tante de lui appeler un Uber. Elle a été amenée aux urgences, où elle a reçu des soins. Cette jeune femme de 19 ans, qui commence tout juste dans la vie, n’a pas retrouvé entièrement l’usage de son pouce droit.
Sa sœur a elle aussi eu un accident il y a quelques jours. Pendant qu’elle coupait des aliments dans la cuisine, le couteau dont elle se servait lui a heurté le ventre. Elle ne savait pas quoi faire. Elle a une assurance. Ils ont tous une assurance, mais là n’est pas la question. Il faut savoir quoi faire. Ce sont des enfants. Rappelez-vous les décisions que vous preniez lorsque vous aviez 19 ou 20 ans. Je ne compte pas les mauvaises décisions que j’ai prises lorsque j’avais cet âge. La jeune fille de 20 ans est venue manifester le lendemain de sa blessure. Elle a parlé de son état seulement lorsque nous avons commencé à plier bagage. Nous avons discuté avec elle et nous avons fait ce qu’il fallait pour qu’elle soit admise à l’hôpital le lendemain. Elle a eu quatre points de suture sur le ventre.
Les situations comme celles-là sont bien réelles. Les gens ont une assurance, mais ils ne savent pas quoi faire en cas d’incident. En théorie, les soins de santé sont accessibles, mais en pratique, ils ne le sont pas vraiment. La faille se trouve là.
La sénatrice Osler : Merci.
La sénatrice McPhedran : Selon un rapport publié récemment en Ontario, de nombreuses étudiantes internationales qui doivent se trouver un travail pour survivre ont signalé une augmentation de diverses formes de harcèlement en milieu de travail, y compris le harcèlement sexuel. Le rapport décrit la situation en Ontario seulement. Observez-vous une tendance similaire dans la région de Brampton, où vous êtes?
M. Goswami : Je vais commencer, mais M. Sanotra voudra peut-être ajouter quelque chose. Dans nos communautés, il est très difficile de discuter des agressions sexuelles et encore plus de les dénoncer. Nous en avons entendu parler, mais je n’ai jamais travaillé sur des cas impliquant ce genre d’incident. Ces choses arrivent, c’est indubitable, mais je n’en ai jamais vu dans le cadre de mon travail. Précisons que NSN existe seulement depuis juillet 2021. Nous avons récupéré depuis la création de l’organisme plus de 500 000 $ en salaires. Nous nous concentrons surtout sur le vol de salaire. L’exploitation des travailleurs peut prendre de multiples formes, et nous faisons ce que nous pouvons pour contrer cela.
La sénatrice McPhedran : Madame Bezo, vouliez-vous répondre?
Mme Bezo : Nous avons mené en 2021 une enquête auprès des étudiants internationaux pour nous faire une idée des cas de harcèlement ayant été déclarés. La question portait sur le harcèlement en général et ne mentionnait pas explicitement le harcèlement sexuel. Nous voulions avoir une idée des expériences vécues dans les campus et dans la communauté, y compris en milieu de travail. La plupart des étudiants ont qualifié leur expérience de positive.
Par contre, les étudiants qui déclaraient une extrême vulnérabilité selon d’autres indicateurs de l’enquête avaient tendance à rapporter des expériences négatives comportant du harcèlement ou d’autres types d’agressions. Les expériences en question ne sont pas spécifiques à l’Ontario. Elles ont été rapportées par des étudiants qui se sont retrouvés dans des situations précaires qui les ont rendus particulièrement vulnérables.
La sénatrice McPhedran : Merci. Le rapport qui porte sur la Colombie-Britannique présente quant à lui plusieurs recommandations formulées à la suite de la conclusion selon laquelle les étudiants internationaux sont devenus les nouveaux travailleurs étrangers temporaires. Les étudiants n’ont pas le choix; ils doivent accepter le premier emploi disponible pour survivre.
Le rapport recommande entre autres — j’aimerais entendre brièvement vos commentaires là-dessus — qu’un test d’anglais obligatoire soit ajouté aux demandes de permis d’études et que le montant minimum pour entrer au pays soit augmenté à 20 000 $.
Il y a d’autres recommandations, mais j’aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez de celles-là, qui sont très ciblées.
M. Goswami : Je vais commencer, mais M. Sanotra pourra ajouter quelque chose s’il le souhaite. Ce ne sont pas les critères pour entrer au Canada qui ne sont pas assez exigeants. Ils sont amplement restrictifs.
Le problème, c’est l’exploitation. Quelqu’un a dit tout à l’heure que les étudiants se faisaient promettre mer et monde. M. Sanotra peut certainement en parler, mais selon ce que nous observons, la solution n’est pas de rendre plus restrictif le processus d’obtention de la résidence permanente, car ce sont en fait les nombreux obstacles qui compliquent l’accès à la résidence permanente qui sont problématiques. Un de ces obstacles est l’obligation pour les employeurs de prouver que les étudiants sont de bons employés et qu’ils ont travaillé pour eux pendant un an.
La sénatrice McPhedran : Votre collègue veut-il faire un commentaire? Notre temps est extrêmement limité.
M. Sanotra : Le fait de lever la barre pour les résultats scolaires et de hausser à 20 000 $ le montant initial ne réglera pas le problème. En effet, les travailleurs qui respectent ces exigences ne se font pas payer pour autant. Voilà où se trouve le problème selon nous.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Je vais revenir au vol de salaire. Existe-t-il au Canada des données quantitatives sur ce fléau? Comme vous le savez probablement, l’Australie a mené en 2019 une vaste étude sur le sujet auprès de 5 000 étudiants. L’étude a révélé que les trois quarts des étudiants étaient rémunérés à des taux inférieurs au salaire minimum, particulièrement ceux qui maîtrisaient mal la langue. Fait intéressant, les étudiants diplômés ne seraient pas mieux payés, peu importe leur emploi. Environ 40 % d’entre eux n’iraient pas chercher de l’aide par peur de subir des représailles. Ce rapport renferme plusieurs recommandations que le comité pourrait peut-être examiner.
Avez-vous un gros volume de données quantitatives? Combien d’étudiants sont touchés? Quels sont les dommages collatéraux du vol de salaire?
M. Goswami : Nous avons rencontré le ministre du Travail de l’Ontario récemment. Le contenu de la rencontre est publié dans nos comptes de médias sociaux. Je pourrais vous transmettre le tout par écrit si vous le souhaitez. Bon nombre des problèmes qui sont observés en Australie existent aussi au Canada. Des membres de notre groupe ont déménagé en Australie en raison des obstacles qu’ils doivent surmonter au Canada et de la plus grande efficacité des mesures établies par le gouvernement de l’Australie pour lutter contre le vol de salaire.
Le sénateur Kutcher : Madame Bezo, je suis ravi de vous revoir. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que votre étude a révélé à propos du vol de salaire?
Mme Bezo : Nous n’avons pas recueilli de données portant expressément sur le vol de salaire. En revanche, nous lancerons en 2023 — dans deux semaines — la partie subséquente de notre enquête, qui brosse un tableau beaucoup plus détaillé des expériences des étudiants dans le marché du travail et qui décortique certaines des difficultés qui y sont rattachées.
Une de ces difficultés est liée au cadre stratégique qui porte sur la capacité des étudiants de travailler pendant leurs études. Nous remettrons ces résultats au comité dès que possible.
Le sénateur Kutcher : Mon autre question est très précise. Elle porte sur l’expérience de travail et le statut de résident permanent, particulièrement pour les étudiants aux études supérieures. En fait, à mes yeux, ces derniers sont plutôt des experts émergents, car ils ne sont plus vraiment des étudiants. Ils travaillent dans des laboratoires humides ou secs, et ils exécutent des tâches très complexes et techniques.
En ce moment, leur programme de quatre ans compte pour une année d’expérience de travail. Ce calcul n’avantage pas du tout les étudiants qui veulent obtenir la résidence permanente. Certains abandonnent leurs études supérieures pour travailler pendant un an et pouvoir présenter une demande plus rapidement.
Connaissez-vous ce problème? Avez-vous une idée de son ampleur? Dans l’affirmative, des efforts sont-ils déployés pour que les étudiants diplômés soient traités de la même manière que les travailleurs?
Mme Bezo : Le BCEI ne possède pas de données quantitatives sur le sujet, mais nous savons très bien que c’est une barrière. En fait, il y a un problème plus vaste. Je pense aux étudiants qui acquièrent diverses expériences de travail, mais qui ne parviennent pas à les faire reconnaître dans le cadre du permis d’études et des politiques qui encadrent le travail pendant les études. Nous avons porté le problème à l’attention du ministère, car les étudiants ne peuvent pas saisir les occasions de bénévolat ou les occasions d’emploi qui leur permettraient d’accumuler des crédits si ces occasions ne font pas partie des exigences de leur programme d’études. Cette restriction les empêche aussi de s’intégrer dans le marché du travail et dans la communauté.
Le sénateur Kutcher : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à Mme Bezo.
Vous avez justement fait référence à ce sondage que vous avez mené en 2021. Le sondage a révélé que de nombreux étudiants étrangers éprouvent des difficultés à se trouver un emploi au Canada, notamment en raison de leur incapacité à comprendre les attentes particulières des employeurs canadiens.
Voici ma question. D’une part, est-ce que vous avez des précisions sur ces attentes? Quelles sont les attentes auxquelles les travailleurs ne peuvent pas répondre? Quelles sont les raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas répondre à ces attentes? Enfin, en troisième lieu, quelles solutions et quels programmes pourraient permettre d’améliorer cette situation assurément problématique, tant pour les employeurs que pour les étudiants étrangers qui travaillent dans ces entreprises?
[Traduction]
Mme Bezo : Merci de votre question. De notre point de vue, les établissements d’enseignement au pays pourraient facilement jouer un rôle plus proactif, notamment en offrant aux étudiants internationaux une formation préparatoire à l’emploi. Nous constatons que plusieurs initiatives de la sorte prennent forme un peu partout au pays.
Mais notre enquête révèle aussi que le sexe devrait être pris en compte dans cette formation étant donné les limites et les barrières supplémentaires que j’ai mentionnées tout à l’heure, qui touchent surtout les étudiantes internationales.
Nous discernons également une excellente occasion de collaboration entre les établissements d’enseignement, les employeurs et les groupes communautaires. Il faut insuffler davantage de sensibilisation et de collaboration dans l’écosystème pour favoriser la mise en place de processus viables qui permettront aux étudiants d’être embauchés et qui aideront les employeurs à comprendre certains des aspects uniques du travail avec les étudiants. Comme l’enquête l’a révélé, les principales difficultés sont dues à l’ignorance de certains aspects liés aux attentes, y compris celles concernant le comportement, ainsi qu’à la méconnaissance des nuances de la culture du marché du travail. Elles sont dues également en contrepartie à la réserve des employeurs, qui est bien réelle.
Les 750 chambres de commerce ont adopté des résolutions dans lesquelles elles reconnaissent la valeur des étudiants étrangers, mais lorsque nous parlons aux employeurs membres, ils se disent découragés par le cadre de réglementation et le cadre de la politique d’immigration, de sorte que par défaut, souvent, ils s’abstiennent de passer par ce processus d’embauche d’un étudiant simplement parce qu’ils n’arrivent pas à s’y retrouver.
[Français]
Le sénateur Cormier : Est-ce que j’ai bien compris que vous alliez faire un autre sondage en 2023? Si oui, quand ces résultats seront disponibles, serait-il possible de les partager avec le comité? Ce serait bien s’ils nous arrivaient à temps pour notre étude.
[Traduction]
Mme Bezo : Oui, nous entreprendrons cette étude dans quelques semaines. Nous aurons probablement des données brutes d’ici la fin de l’année et je serai ravie de les transmettre au comité. Un des aspects que nous voulons examiner est l’entrepreneuriat chez les étudiants étrangers afin de savoir quelle proportion d’étudiants étrangers souhaite lancer une entreprise au Canada et comprendre ce qu’ils considéreraient comme des obstacles à ce type de projets et de croissance, parmi d’autres éléments liés à leur parcours professionnel futur et à leurs expériences sur le marché du travail, pendant et après les études.
La sénatrice Petitclerc : Vous avez parlé de deux jeunes femmes qui ont été blessées. Je tiens à comprendre en quoi consistent les défis ou les problèmes, sur les plans des assurances et des recours, non seulement dans les cas de blessures, mais aussi les cas d’abus et de mauvais traitements. Le comité a entendu à maintes reprises que parfois, même s’il existe des services, des outils et des recours, les travailleurs n’y recourent pas assez ou autant qu’ils le pourraient. Est-ce parce qu’ils ne savent pas qu’ils existent? Vous avez mentionné l’âge. Dans ce cas, est-ce parce qu’ils sont plus jeunes ou qu’ils ont peur d’aller chercher l’aide et les services dont ils ont besoin et de faire valoir leurs droits?
M. Sanotra : Dans certains cas, ils ne savent pas où aller. Dans certains cas... Disons qu’ils travaillent plus que les 20 heures permises et qu’ils se blessent. L’employeur ne voudra pas qu’ils signalent la blessure et les dissuadera de le faire. En même temps, ce sera lié à leur statut d’immigrant, dans une certaine mesure. En raison de ces craintes, les gens auront tendance à ne pas divulguer leur état. Ils préféreront rester chez eux au lieu de se manifester et de se faire soigner.
La sénatrice Petitclerc : C’est donc une question de rapport de force.
M. Sanotra : Oui.
La sénatrice Petitclerc : Juste une petite question — sur un sujet totalement différent — parce que c’est quelque chose que nous avons constaté dans d’autres contextes. Pour ce qui est des étudiants, réussissons-nous à leur fournir des renseignements adaptés à leur âge? Par exemple, dans d’autres situations, nous avons entendu dire qu’on invitait les gens à se renseigner en consultant un site Web. Nous savons que les jeunes de 19 ans ne vont jamais sur un site Web. Ils veulent que l’information leur parvienne sur les médias sociaux. Fait-on même l’effort de savoir quel est le public cible?
M. Goswami : Je rejette cette prémisse. Je trouve que la plupart des jeunes de 19 ans vont constamment sur les sites Web, mais il y a du vrai là-dedans. Cela nous amène principalement au problème dont M. Sanotra a parlé. Supposons que je vais à l’hôpital, qu’on découvre que je me suis blessé à la boulangerie où je travaille et que mon employeur a ensuite des problèmes, cela signifie qu’il ne m’écrira pas la lettre qu’il devait me donner, de sorte que je n’obtiendrai jamais la résidence permanente. C’est aussi simple que cela. Pour eux, c’est inquiétant.
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. C’est très utile.
La présidente : Permettez-moi de poser quelques questions aux représentants du Naujawan Support Network. J’aimerais faire suite à la question posée par la sénatrice Petitclerc. IRCC devrait-il lever l’exigence que le demandeur présente une lettre d’approbation d’un employeur comme condition pour l’obtention de la résidence permanente?
M. Goswami : En fait, c’est ce que nous demandons. Cela mettrait fin à ce genre d’exploitation. Nous voulons que les obstacles à la résidence permanente soient levés, en particulier celui-là.
La présidente : Je vais poursuivre sur le même sujet, le travail des étudiants étrangers. Vous avez parlé de vol de salaire, ce qui est troublant. Ma question est la suivante : au Canada, les normes du marché du travail et leur application relèvent de la compétence des provinces. Selon vous, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer pour veiller à ce que les étudiants étrangers soient traités équitablement sur leur lieu de travail?
M. Sanotra : Au niveau fédéral, en particulier dans l’industrie du camionnage, la plupart des étudiants étrangers deviennent chauffeurs de camion. Nous avons souligné un point au niveau fédéral, à savoir qu’un employé a seulement six mois pour intenter un recours devant le tribunal fédéral du travail. Cette limite est parfois... Ils attendent que l’employeur les paie; il leur doit trois chèques de paie consécutifs et cherche à gagner du temps. Il y a aussi un lien avec leur résidence permanente, à certains égards. L’application pose problème. Dans certains cas, lorsque le tribunal fédéral du travail a ordonné à l’employeur de payer, il n’y a toujours pas de garantie que les travailleurs seront payés. Je viens de m’occuper d’un dossier dans lequel le gouvernement fédéral a émis une ordonnance de paiement pour les deux dernières années, à compter de 2021, et l’employé n’avait toujours pas été payé.
La présidente : Je vois. Je vous remercie de cette information.
Madame Bezo, je me demande si vous avez un commentaire à faire sur le rôle du gouvernement fédéral dans les normes du marché du travail applicables aux étudiants étrangers.
Mme Bezo : Avec du recul, considérant la façon dont nous trouvons des solutions à certains enjeux à l’échelle pancanadienne pour saisir les occasions qui s’offrent à la fois au Canada et à nos étudiants étrangers, je pense qu’il convient de reconnaître qu’il existe au pays des questions de compétence qui compliquent la planification liée au marché du travail, notamment, selon moi, la collaboration nécessaire entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires pour trouver ces solutions. En réalité, compte tenu de la question de compétence, nos homologues fédéraux peuvent avoir certains leviers, mais il s’agit pour le moment d’une approche très cloisonnée. De notre point de vue, nous souhaitons une collaboration accrue à l’échelle pancanadienne en général, mais aussi pour régler certains des problèmes dont nous avons parlé par rapport aux vulnérabilités des étudiants employés sur le marché du travail.
La présidente : Merci, madame Bezo. Chers collègues, nous avons le temps pour un deuxième tour.
La sénatrice McPhedran : Pour revenir aux points dont j’ai parlé plus tôt, j’aimerais avoir les observations de chacun au sujet du type de surveillance. Parle-t-on d’enquêtes, d’une ligne d’assistance téléphonique, de ressources accrues à l’échelle communautaire? Est-ce tout cela à la fois? Décrivez-nous les mesures qui, selon vous, seraient beaucoup plus efficaces pour répondre réellement à la crise que vivent de nombreux étudiants étrangers actuellement.
M. Goswami : Je pense que notre première demande est d’éliminer la limite de 20 heures de travail pour les étudiants étrangers. Cela va de pair avec ce que nous disions. S’ils travaillent plus de 20 heures et qu’ils craignent qu’on le découvre, ils n’iront pas à l’hôpital. Je pense que c’est la mesure la plus rapide. Elle est déjà en place et prendra alors fin en décembre de cette année, je crois. Il serait très facile de rendre cela permanent. C’est la solution la plus facile que j’ai à proposer.
M. Sanotra : Le deuxième point que j’aimerais souligner est l’application. Si un employé n’est pas payé, s’il a reçu un ordre de paiement du ministère du Travail, il devrait être payé. Ce n’est toujours pas le cas. La troisième chose, dont nous avons déjà discuté, est l’exigence de fournir une lettre d’emploi de l’employeur. La nécessité d’obtenir l’aval de l’employeur pour la transition vers la résidence permanente représente un problème considérable pour les étudiants étrangers. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains ne présentent pas de demande. Lever cette exigence devrait aider, dans une certaine mesure.
Mme Bezo : L’une de nos constatations, dans le cadre de notre sondage auprès des étudiants étrangers, c’est que parmi nos étudiants, les plus vulnérables connaissent les services de soutien et leur accordent une bonne note, mais n’ont pas recours à ces services. Je pense qu’il y a là un obstacle à l’utilisation des nombreux services de soutien offerts. Il faut s’attaquer à ce problème en sensibilisant les étudiants, en les encourageant à se manifester et à accéder aux services offerts. Nous avons en effet constaté un écart considérable, en particulier chez nos étudiants étrangers les plus vulnérables.
L’autre défi est la mobilisation et l’intégration de l’écosystème qui est en place pour les étudiants et qui comprend les acteurs de la communauté, les administrations municipales, et cetera. Il convient de relier ces aspects. Certains organismes interviennent de différentes manières, mais nous n’avons pas une approche cohérente garantissant que nos étudiants ont du soutien, que nous pouvons gérer les vulnérabilités existantes, que ce soit dans leurs expériences de travail ou leurs expériences dans la communauté. En matière d’inclusion, nos collectivités ne doivent pas se contenter de belles paroles.
Bon nombre de ces collectivités ont choisi de devenir des destinations de choix pour les étudiants étrangers. Par conséquent, cela signifie qu’elles ont l’obligation de fournir un soutien adéquat et de veiller à ce que tous les intervenants auprès des étudiants fournissent réellement un soutien approprié. Il reste du travail à faire à cet égard, de notre point de vue.
La sénatrice McPhedran : Je voulais me concentrer davantage sur la discussion relative à la santé et poser une question spécifique sur la santé mentale. Nous venons d’entendre Mme Bezo parler d’hésitation générale, mais auriez-vous quelque chose à nous dire sur la santé mentale?
M. Sanotra : J’aimerais que vous vous mettiez à la place d’un étudiant étranger de 18 ou 19 ans qui arrive dans un nouveau pays et qui doit encore se familiariser avec la météo, les formalités et la langue. En même temps, même s’il travaille 20 heures, il n’a aucune garantie d’être payé.
Voilà le principal défi auquel nous sommes confrontés dans notre groupe et avec les gens qui font appel à nous. Dans la plupart des cas, le montant s’accumule. On ne parle pas d’une ou deux semaines de salaire, mais de quelques mois d’un salaire qui leur a été promis.
La sénatrice McPhedran : J’en déduis que vous considérez l’insécurité financière découlant du vol de salaires par les employeurs comme un facteur de stress important.
M. Sanotra : Oui.
La sénatrice McPhedran : Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Goswami : Juste pour faire écho...
La sénatrice McPhedran : Très bien. Si vous voulez faire écho, j’aimerais demander à Mme Bezo de répondre.
Mme Bezo : C’est un exercice d’équilibre. Nous savons, d’après nos sondages, qu’un étudiant sur trois qui étudie au Canada doit travailler pour payer ses études. Deux tiers des étudiants ne travaillent pas, selon notre sondage, mais le tiers des étudiants entre dans la catégorie dont nous avons parlé : les étudiants qui subissent des pressions sur la santé mentale, des pressions financières et des difficultés pour établir l’équilibre entre les engagements liées au travail et aux études. Ces étudiants subissent d’énormes pressions qui vont au-delà de l’adaptation et de l’intégration, en particulier durant la première année au pays. Voilà ce qui ressort très clairement de notre sondage.
Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français. Premièrement, j’aimerais savoir dans quel genre d’entreprise ils travaillent.
[Français]
Je ne sais pas si les employés et les étudiants dont vous parlez travaillent dans des entreprises qui sont sous réglementation fédérale comme les secteurs des communications et des banques. Je crois savoir que ces employés peuvent déposer des plaintes relatives aux normes du travail auprès du Programme du travail, y compris des plaintes pécuniaires pour salaire impayé.
Pouvez-vous nous dire si ce programme est fréquemment utilisé par ce type d’employés par les personnes dont vous nous parlez? Si ce n’est pas le cas, pourquoi?
Si oui, quel est le taux de satisfaction à l’égard de ce programme?
[Traduction]
M. Sanotra : Les travailleurs qui font appel à nous proviennent principalement des secteurs du camionnage, de l’entreposage, du travail en usine, de la restauration et de la construction. Pour la plupart, les personnes qui sont assujetties à la réglementation fédérale en vertu du Code canadien du travail sont des camionneurs appelés à traverser les frontières, soit vers les États-Unis, soit les frontières provinciales. Ils sont peu nombreux. Toutefois, en vertu du Code canadien du travail, comme je l’ai indiqué, ils n’ont que six mois pour présenter leur demande.
S’ils ne reçoivent pas leur paie après qu’une ordonnance de paiement a été rendue, il n’existe aucun mécanisme pour faire appliquer l’ordonnance. Le problème est là.
[Français]
Le sénateur Cormier : Que pouvez-vous nous dire à propos de ce programme, madame Bezo?
[Traduction]
Mme Bezo : Rien de précis pour ce programme.
La présidente : Pour ce qui est des salaires, le gouvernement fédéral appuie-t-il vos efforts pour obtenir justice pour vos membres?
M. Goswami : À ce sujet, les dossiers de certains de nos travailleurs sont actuellement en instance judiciaire. L’aide du gouvernement fédéral se limite à cela.
La présidente : À titre de précision, recevez-vous un soutien financier, des subventions et des contributions du gouvernement fédéral?
M. Goswami : Non. Actuellement, pas à ma connaissance, non.
La présidente : Devriez-vous en recevoir?
M. Goswami : J’ai entendu le sénateur indiquer que je devrais dire...
La présidente : Non, nous devons nous assurer que cela figure au compte rendu.
M. Goswami : Oui, s’il vous plaît. Absolument.
La présidente : Je vous remercie. Étant donné le rôle de plus en plus important des étudiants étrangers dans des secteurs essentiels de l’économie et du marché du travail canadiens, pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait, en fait, fournir des conseils sur la transition vers le marché du travail dans les universités et les collèges?
M. Goswami : En fait, c’est quelque chose que nous avons commencé à faire nous-mêmes. Nous faisons une tournée des universités pour informer les gens de leurs droits. Nous menons une campagne intitulée « Connaissez vos droits ». Nous recevons des invitations de conseils d’étudiants d’Asie du Sud, d’étudiants immigrants dans les collèges et d’associations étudiantes de toutes sortes. Ils entendent parler du travail du Naujawan Support Network. Nous allons dans les différents collèges pour parler de leurs droits et les informer sur le salaire minimum.
La présidente : De toute évidence, vous faites cela sans aucun soutien du gouvernement fédéral.
M. Goswami : Aucun pour le moment, non.
M. Sanotra : Non.
La présidente : Chers collègues, c’est ainsi que se termine cette partie avec notre deuxième groupe de témoins. Chers témoins, je vous remercie beaucoup. Vous nous avez présenté des points de vue d’une grande importance et nous vous en sommes très reconnaissants.
Chers collègues, nous devrions ajouter les étudiants étrangers internationaux comme sujet général sur notre longue liste d’études.
(La séance est levée.)