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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-235, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario.

[Traduction]

Je suis la présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Bienvenue à nos invités et aux gens qui nous regardent sur les ondes. Nous nous excusons du retard, et nous essayons de voir si nous pouvons prolonger la séance de 10 minutes. Quoi qu’il en soit, le temps dont nous disposons tous maintenant est plus limité. Je demande la collaboration de tout le monde.

Laissez-moi d’abord souhaiter la bienvenue à tout le monde encore et aux membres du public qui regardent nos délibérations. Avant de commencer, je voudrais faire un tour de table très rapide pour que mes collègues se présentent aux témoins et au public.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, division sénatoriale Victoria, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, division sénatoriale De la Durantaye, au Québec

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La présidente : Merci, chers collègues.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-235, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Nous accueillons aujourd’hui notre premier groupe de témoins : Shalini Konanur, directrice générale et avocate à la Clinique Juridique Sud‑Asiatique de l’Ontario; Danette Edwards, avocate générale par intérim au Black Legal Action Centre; Andrew Brouwer, avocat principal au Bureau du droit des réfugiés d’Aide juridique Ontario, et Fatuma Alyaan. Merci beaucoup de vous être joints à nous aujourd’hui.

Nous allons commencer par les déclarations préliminaires. Madame Alyaan et monsieur Brouwer, vous êtes les premiers; Mmes Konanur et Edwards suivront. Étant donné que notre heure de début a été reportée, je vais devoir vous demander de vous en tenir à quatre minutes chacun.

Fatuma Alyaan, à titre personnel : Merci, madame la présidente et sénatrice Jaffer, de m’avoir invitée à prendre la parole devant ce comité essentiel. Je comparais aujourd’hui non seulement pour ma famille, mais aussi pour de nombreux autres jeunes et anciens enfants pris en charge qui n’ont pas cette possibilité. Je me présente également en tant que l’une des nombreuses personnes qui ont lutté pour garder leur famille unie alors qu’elles risquaient d’être expulsées du Canada.

Je veux vous dire ce que les lois actuelles nous ont fait et pourquoi elles doivent être modifiées.

La protection de l’enfance a causé une séparation et des torts durables à nos familles. En tant qu’enfants séparés de leurs parents et de leurs proches, nous avons vécu des situations traumatisantes, et nous avons subi beaucoup de stress. Songez au stress que subissent les enfants victimes de mauvais traitements et de négligence, qui essaient de défendre leurs propres droits, sachant qu’ils pourraient être punis encore plus pour s’être exprimés. Nous portons le poids émotionnel et mental de tout cela, et nous le portons seuls.

Mon frère et moi avons été enlevés à notre famille et placés dans le système alors que nous étions de jeunes enfants, à peine quelques mois après notre arrivée au pays. Je n’avais que 8 ans, et Abdoul avait 6 ans, presque le même âge que mes deux enfants maintenant. Nous avons été séparés l’un de l’autre et avons passé le reste de notre enfance de foyer d’accueil en foyer d’accueil sous la responsabilité du gouvernement plutôt que de notre famille. Ma tante Asha, qui nous avait emmenés au Canada, s’est battue pendant des années pour nous ravoir. Après des années de traumatisme et de souffrance, mon frère et moi avons appris, à l’âge adulte, que, même si nous vivions au pays depuis que nous étions petits — pris en charge par le gouvernement —, nous n’avions toujours pas le statut complet au Canada. Nous ne l’avons appris que parce que l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC, s’affairait à expulser Abdoul.

Notre enfance, à Abdoul et moi, a été un combat pour survivre dans le système de protection de l’enfance. Ce système remplaçait notre famille, mais il ne nous a pas procuré la citoyenneté dont nous avions besoin pour être traités sur un pied d’égalité avec les autres enfants et pour avoir accès aux ressources et au soutien qu’il nous fallait pour nous épanouir. Le résultat de cette enfance difficile a été que, depuis que nous sommes adultes, nous avons passé la majeure partie de notre temps à lutter pour garder notre famille unie.

Par conséquent, honorables sénateurs, le projet de loi doit être adopté pour mettre fin au tort que les services d’aide à l’enfance et l’expulsion causent aux enfants réfugiés et immigrants — comme mon frère et moi — au Canada. J’ai 31 ans, et je ne suis toujours pas citoyenne, même si j’ai vécu au pays presque toute ma vie. Ce fait a une incidence sur ma capacité de travailler et d’accéder au logement et aux soins de santé. Cette situation nous expose à la possibilité d’être expulsés du seul pays que nous connaissons… de chez nous. Les enfants pris en charge ne devraient pas avoir à attendre de quitter le système pour obtenir la citoyenneté, bien sûr. D’après mon expérience, il n’y a aucune raison de retarder leur obtention du statut de citoyen à part entière. J’ai entendu dire que les organismes d’aide à l’enfance prennent des mesures pour tenter d’éviter de telles situations dans l’avenir. Mais, pour Abdoul et moi, il est déjà trop tard. Il y a longtemps que nous avons atteint l’âge de ne plus être pris en charge. Je vous supplie de saisir cette occasion d’empêcher d’autres enfants de vivre ce que nous avons vécu.

Il y a six ans, le premier ministre a dit qu’il fallait faire quelque chose. Pourtant, nous nous battons encore, et nous n’avons toujours pas notre citoyenneté. D’autres membres de familles ont été expulsés, et d’autres familles ont été séparées pendant que nous nous battions. Nous devons cesser d’utiliser l’immigration et la protection de l’enfance pour punir les gens.

Un changement important consiste à accorder automatiquement la citoyenneté à tous les enfants dont les « parents » ont fait partie des gouvernements provinciaux et national par l’intermédiaire des systèmes de protection de l’enfance. Je vous prie d’appuyer le projet de loi dès aujourd’hui.

Merci.

La présidente : Merci, madame Alyaan.

Me Andrew Brouwer, avocat principal, Bureau du droit des réfugiés, Aide juridique Ontario : Merci. Madame la présidente, sénatrice Jaffer et honorables membres du comité, je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à vous parler aujourd’hui de ce projet de loi très important. Mon bureau vous exhortera à l’adopter également.

Je suis avocat spécialisé en droit des réfugiés. Je pratique depuis 20 ans et, depuis une dizaine d’années, j’occupe le poste d’avocat général au Bureau du droit des réfugiés d’Aide juridique Ontario. Aujourd’hui, je suis accompagné de mon collègue Samuel Loeb.

Notre bureau représente des dizaines de jeunes qui sont arrivés au Canada alors qu’ils étaient enfants — souvent à titre de résidents permanents —, qui ont été pris en charge ou supervisés par les services de protection de l’enfance et qui sont passés par le système de justice pénale pour les adolescents, entraînés dans ce qu’on appelle le pipeline de l’aide à l’enfance à la prison.

Comme Me Edwards le soulignera sous peu, la grande majorité de ces enfants sont racisés. Dans une ville ontarienne, par exemple, 65 % des enfants pris en charge par l’État s’identifient comme Afro-Canadiens. Il s’agit d’une ville où seulement 8 % de la population générale s’identifie ainsi. Cette surreprésentation importante se poursuit dans les prisons canadiennes.

Lorsqu’il s’agit de jeunes qui ne sont pas des citoyens, il y a un autre préjudice. Pour eux, le pipeline de l’aide à l’enfance ne mène pas seulement à la prison; il se poursuit jusqu’à l’expulsion vers un pays qu’ils ne connaissent même pas. Comme Mme Alyaan l’a expliqué, l’histoire de sa famille en est un exemple.

Lorsque les enfants atteignent l’âge de ne plus être pris en charge, bon nombre d’entre eux ne connaissent pas leur statut d’immigration. Ils supposent simplement — avec raison — que, comme ils vivent au Canada depuis des années, ils sont des citoyens canadiens. Dans bien des cas, la première fois que ces jeunes apprennent qu’ils ne sont pas citoyens canadiens, c’est lorsque des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada leur rendent visite en prison pour les informer qu’ils sont en voie d’être expulsés.

Après des années à vivre des événements souvent traumatisants dans les systèmes de protection de l’enfance et de justice pénale, bon nombre de ces personnes souffrent de maladie mentale et sont maintenant exposées à une autre atteinte à leur dignité : être expulsées vers un pays qu’elles ne connaissent pas et dont elles ne parlent peut-être même pas la langue. C’est le rejet ultime par le pays qu’elles croyaient être le leur. C’est la défaillance finale du système.

Le projet de loi contribuera à corriger cette situation. Il reconnaît que ces personnes majoritairement racisées qui ont grandi au Canada, qui sont sous la tutelle ou la supervision d’organismes de protection de l’enfance, ont droit à un traitement égal en tant que membres à part entière de la collectivité canadienne. Il s’agit d’une mesure modeste, mais audacieuse et désespérément nécessaire pour réparer une partie des torts causés par le racisme systémique dans les systèmes d’aide à l’enfance, de justice pénale et d’exécution de la loi en matière d’immigration.

En tant qu’avocats, il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous devons respecter les limites de la loi actuelle, mais elle est injuste. Le projet de loi S-235 prévoit un recours.

Permettez-moi de conclure par une brève observation. J’étais présent il y a deux semaines lorsque les représentants du gouvernement ont comparu devant vous. J’ai entendu les préoccupations qu’ils ont soulevées au sujet des prétendues conséquences imprévues. À notre avis, ils n’ont rien soulevé qui ne puisse être résolu par le comité, soit en rejetant certaines préoccupations comme étant non fondées, soit en modifiant le projet de loi de manière à s’assurer que ces préoccupations seront pleinement prises en compte. J’espère que nous pourrons les aborder pendant la période de questions. Merci.

La présidente : Merci.

Me Shalini Konanur, directrice générale et avocate, Clinique Juridique Sud-Asiatique de l’Ontario : Merci. Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité. Je voudrais prendre un instant pour remercier Mme Alyaan de nous avoir raconté son histoire, et je tiens à vous dire clairement que la Clinique Juridique Sud-Asiatique de l’Ontario appuie sans réserve le projet de loi S-235.

Je tiens à vous dire à quel point je suis enchantée de comparaître aujourd’hui et du fait que nous parlons de ce problème et d’importants changements potentiels, parce que notre clinique juridique travaille auprès de 2 000 à 3 000 personnes dans la province relativement à des questions d’immigration. Contrairement à Me Brouwer, nous travaillons de l’autre côté, celui des non-réfugiés, auprès de personnes qui n’ont pas de statut ou qui sont en train d’être renvoyées et qui ont besoin d’un statut temporaire : les plus vulnérables de notre système. Nous faisons des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire pour voir si nous pouvons régler ces situations. Nous présentons des observations sur l’admissibilité criminelle pour voir si nous pouvons mettre fin à ces renvois. Nous adressons des demandes de report à l’Agence des services frontaliers du Canada pour voir si nous pouvons convaincre les responsables de ne pas renvoyer les personnes dont il est question aujourd’hui. Nous présentons des requêtes en sursis à la Cour fédérale… et de permis de séjour temporaire. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à ce sujet. Nous nous occupons également d’autorisations de retour au Canada.

Au fil des ans, nous avons travaillé auprès de plusieurs jeunes qui ont reçu les services du système de protection de l’enfance relativement à leur cas. J’ai pu obtenir des statistiques pour 2023. À l’heure actuelle, nous soutenons 23 enfants dans de telles affaires concernant des questions d’immigration.

Nous travaillons également auprès d’un certain nombre d’adultes qui ont quitté le système de protection de l’enfance dans la situation précise qui a déjà été décrite. C’est-à-dire qu’ils ont découvert qu’ils n’ont pas le statut d’immigration nécessaire pour empêcher un renvoi qui a été déclenché par une interdiction de territoire pour criminalité.

Je veux vous dire rapidement ce que je sais. Ce que je sais de mon travail, c’est que ces problèmes touchent de façon disproportionnée les enfants racisés. Nous savons déjà que les données nous indiquent que les enfants autochtones, noirs et racisés sont trop surveillés par le système de justice pénale et le système de protection de l’enfance. Des populations de personnes sortent du système de protection de l’enfance et n’ont pas la citoyenneté. Nous le savons. Des obstacles systémiques et structurels les ont empêchés d’obtenir la citoyenneté. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui : pour parler du projet de loi.

Nous savons également qu’un grand nombre des clients qui ont été reconnus coupables d’infractions criminelles finiront par être interdits de territoire en droit de l’immigration, ce qui enclenche le processus de renvoi et d’expulsion.

Une chose à laquelle je pense beaucoup, c’est le fait que, dans bien des cas dont je suis témoin, le comportement criminel est souvent lié aux événements traumatisants vécus dans l’enfance et au sein du système de protection de l’enfance. On peut voir un fil conducteur dans le comportement et dans l’activité criminelle qui découlent de cette expérience traumatisante. Nous n’avons presque jamais réussi à empêcher la perte du statut et le renvoi de ces personnes. Nos tentatives de faire autoriser leur retour au Canada ont presque toujours échoué, ce qui explique en partie pourquoi nous sommes là aujourd’hui, c’est-à-dire pour en parler.

Comme le temps nous est compté, je ne veux pas trop parler des clients que je vois, mais je vous ai remis mes observations écrites et mes notes d’allocution qui contiennent une description des clients auprès de qui je travaille.

J’aimerais vous parler d’un client actuel qui a été pris en charge par les services d’aide à l’enfance, qui est sorti de ce système et qui fait maintenant l’objet d’une mesure de renvoi et d’une mesure d’expulsion. Il vit au pays depuis 29 ans, soit depuis l’âge de trois ans.

En conclusion, les populations que nous servons et les personnes qui sont touchées par ce projet de loi sont, de mon point de vue, des Canadiens. Ce sont des enfants canadiens; ce sont des adultes canadiens. Ils ont grandi au Canada. Ils ont été élevés par des familles et des services de protection de l’enfance et ils ont fait partie de ces systèmes. Ils ont été éduqués par notre système d’éducation canadien. Les personnes auprès de qui je travaille sont intégrées dans la collectivité et contribuent à la société, tout comme mes propres enfants. Sans aucune ambiguïté, elles croient — et je vous le dis fermement — que le Canada est leur patrie. La seule chose qui les distingue est le fait qu’elles ne détiennent pas la citoyenneté canadienne ou n’y ont pas accès en raison des obstacles législatifs que nous avons créés. Je suis ravie que nous étudiions un projet de loi qui commencera à éliminer ces obstacles. Merci.

La présidente : Merci, Me Konanur.

Me Danette Edwards, avocate générale par intérim, Black Legal Action Centre : Bonjour, madame la présidente, sénatrice Jaffer et honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.

Le Black Legal Action Centre, ou BLAC, est une clinique d’aide juridique indépendante qui offre des services gratuits aux gens de partout en Ontario.

Le BLAC dirige une coalition appelée Our System, Our Children, Our Responsibility, ce qui signifie, en français, notre système, nos enfants, notre responsabilité. Le titre à lui seul se passe d’explications. Il s’agit d’une campagne contre l’expulsion de survivants de la protection de l’enfance.

Le BLAC est un mentor organisationnel pour l’ensemble des survivants de la protection de l’enfance. Nous recevons fréquemment des appels de gens de la collectivité qui ont besoin d’une aide urgente, qui font face à l’expulsion ou à d’autres problèmes de droit pénal.

Au BLAC, nous ne nous occupons pas spécifiquement des cas d’immigration dans notre pratique comme le fait la Clinique Juridique Sud-Asiatique de l’Ontario, mais nous sommes profondément préoccupés par la relation et le lien entre le racisme systémique contre les Noirs et ses répercussions négatives sur les communautés que nous servons. Nous nous soucions des droits des Noirs au Canada.

En 2016, dans le rapport du programme One Vision One Voice, une municipalité de l’Ontario a affirmé que les enfants noirs représentaient 65 % des enfants pris en charge par des groupes, malgré le fait qu’ils ne représentaient que 8 % de la population de la municipalité. En dépit des taux de négligence et de violence physique, sexuelle et émotionnelle semblables à ceux des enfants blancs, les enfants noirs sont plus susceptibles dans une proportion de 40 % d’être visés par une enquête et, dans une proportion de 18 %, de voir la violence dont ils font l’objet corroborée.

La Commission ontarienne des droits de la personne a également constaté que la proportion d’enfants noirs admis en foyer d’accueil était 2,2 fois plus élevée que leur proportion de la population d’enfants. Ces statistiques sont éloquentes.

Les Noirs sont généralement surreprésentés dans le système de protection de l’enfance, en grande partie parce que les politiques de protection de l’enfance du Canada sont oppressives, que les pratiques discrétionnaires sont empreintes de préjugés et que les services adaptés à la culture ne réagissent pas. Au Canada, lorsqu’un enfant est pris en charge, la responsabilité parentale est transférée aux forces de l’ordre. Elles sont responsables de choses comme le règlement des différends, la discipline et le respect des règles du foyer. Souvent, c’est là que les enfants noirs ont affaire avec le système de justice pénale pour la première fois.

Pour je ne sais quelle raison, les Noirs, qu’ils soient adultes ou enfants, sont perçus comme ne méritant pas notre compassion. On considère qu’il est tout à fait acceptable d’expulser un enfant qui a vécu toute sa vie au Canada — vous avez entendu des exemples — vers un pays qu’il n’a jamais connu. On ne tient pas compte du fait qu’une personne a déjà purgé sa peine, et elle fait l’objet d’un deuxième niveau de punition : l’expulsion du Canada.

D’après les données disponibles, nous savons qu’il est difficile d’obtenir la citoyenneté canadienne à part entière si on vient d’un pays où les Noirs sont prédominants. Nous savons que les familles noires sont beaucoup plus surveillées et appréhendées par les services de protection de l’enfance. Nous savons que les Noirs reçoivent toujours des peines plus sévères dans le système de justice pénale. Et nous savons que l’expulsion des enfants que nous avons échoué à protéger n’est pas la solution. Les enfants ne devraient pas être pénalisés parce qu’ils n’ont pas de statut d’immigration. C’est une question sur laquelle ils n’ont que peu ou pas de contrôle.

Nous croyons que le projet de loi S-235 est conforme à la stratégie du gouvernement fédéral en matière de justice pour les personnes noires, qui vise à faire en sorte que les Noirs aient accès à une protection et à un traitement égaux devant la loi au Canada. Elle répond à l’appel à l’action de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations unies.

En vertu des doctrines internationales des droits de la personne et du droit de la famille, le Canada a l’obligation de veiller à ce que les enfants aient la possibilité de devenir citoyens de ce grand pays. Il devrait être fier de fournir à ses enfants les plus vulnérables un endroit où ils peuvent avoir leur place, un chez‑soi.

En terminant, nous demandons que le Canada honore ses engagements et accorde la dignité et la citoyenneté à ces enfants. Veuillez appuyer le projet de loi S-235, car il reconnaît les obstacles structurels liés au racisme auxquels font face les enfants noirs pris dans les systèmes de protection de l’enfance et de justice pénale. Merci.

La présidente : Merci à tous nos témoins. C’était un témoignage convaincant. Vous travaillez sur le terrain à cet égard. Vous le vivez. Vous avez beaucoup de crédibilité. Je crois parler en notre nom à tous lorsque je dis qu’il s’agit d’une injustice que nous devons corriger. Trouvons la bonne façon de le faire.

Nous avons beaucoup de collègues qui ont beaucoup de questions à poser. Chers collègues, vous disposerez aujourd’hui de trois minutes chacun, pour vos questions et les réponses y compris.

Maître Brouwer, pendant la période de questions, si vous pouviez nous donner votre point de vue sur la façon de dissiper les préoccupations soulevées il y a environ une semaine, nous vous en serions très reconnaissants; je demanderais la même chose aux autres témoins. La première question sera posée par la sénatrice Cordy, la vice-présidente du comité.

La sénatrice Cordy : Je vais essayer de poser ma question en une minute et demie. Merci beaucoup. C’était un témoignage très convaincant et très sincère. Je vous en suis reconnaissante.

Lorsqu’ils ont comparu, les représentants du gouvernement nous ont dit qu’on manquait de données. Or, nous savons que, si nous voulons apporter des changements, surtout avec le gouvernement, il faut des données pour y parvenir, parce que c’est plus convaincant. Afin de pouvoir parler d’une voix forte, on a besoin des données que le gouvernement nous a dit ne pas avoir. Nous avons également entendu parler de la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et des personnes racisées.

Avez-vous les données que le gouvernement a dit ne pas avoir, sur le nombre d’enfants qui atteignent l’âge de sortir du système? Je crois, maître Konanur, que vous en avez parlé. Ils ne sont peut-être pas officiellement des Canadiens, mais tout leur être est canadien. Que faites-vous? Avez-vous un moyen d’obtenir l’information, ou est-ce problématique?

Me Konanur : Notre clinique et le Black Legal Action Centre collaborent avec l’Agence des services frontaliers du Canada depuis un certain nombre d’années sur cette question et d’autres enjeux liés à la collecte de données. Je pense que le problème tient au fait que les personnes qui peuvent recueillir les données sont les agents de l’ASFC. En tant que société civile, nous ne sommes pas en mesure de recueillir des données nationales à ce sujet, et c’est pourquoi, lorsque j’ai pris la parole, je n’ai pu vous donner qu’une idée de ce qui se passe dans notre clinique. En 2023, nous avons aidé 23 enfants. C’est un chiffre microcosmique d’une toute petite organisation dans une région du pays.

Je pense que, de façon analogue, c’est la même question qui m’a été posée lorsque j’ai parlé devant le comité au sujet des changements relatifs au mariage forcé. Nous n’avons pas les données, alors n’apportons pas de changements. Ce que nous ont dit nos homologues du Royaume-Uni, c’est que, si on sait quel est le problème, on n’a pas besoin des données pour apporter des changements. Si on a suffisamment de preuves crédibles, on n’en a pas besoin. Le Canada a suivi ce conseil. Il a créé un changement législatif sur le mariage forcé sans les données.

J’ai l’impression que nous sommes dans la même situation. Lorsque nous participons à ces séances de comité et que nous pouvons vous faire part de notre expérience sur le terrain — et qu’elle est crédible —, on peut considérer que c’est l’impulsion nécessaire pour faire avancer les choses.

La sénatrice Seidman : Je vais passer directement à vous, maître Brouwer, et je vais accepter votre offre. En effet, nous avons entendu parler de conséquences imprévues. L’ASFC et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, ont dit que le projet de loi ne semble pas concorder avec les catégories de citoyenneté décrites dans la Loi sur la citoyenneté et que, sans une disposition transitoire, il accorderait automatiquement la citoyenneté à une nouvelle catégorie de personnes dès la sanction royale, rétroactivement à toutes les personnes qui répondent aux critères. C’est une source de préoccupation.

Je vais maintenant vous donner l’occasion de proposer une façon de modifier le projet de loi de manière à éviter ce genre de situation.

Me Brouwer : Bien sûr. Merci beaucoup de me donner l’occasion de répondre à cette question.

En ce qui concerne la concordance avec les catégories, je suppose qu’il y a deux réponses. Les catégories existent dans la loi; cela n’empêche pas qu’on les modifie de façon générale. Mais, plus précisément, je pense qu’il y a une façon de dissiper les préoccupations des agents d’immigration, c’est-à-dire en retirant la disposition telle qu’elle a été rédigée de la citoyenneté de plein droit et en l’intégrant dans la citoyenneté par attribution. Il s’agit essentiellement de la déplacer deux articles plus bas. Plutôt que de devenir citoyens immédiatement après la sanction royale, les personnes qui entrent dans la même catégorie pourraient présenter une demande de citoyenneté. Je pense qu’il s’agit d’une solution relativement simple — et je peux vous fournir le libellé de certaines dispositions — qui permettrait de dissiper un grand nombre des préoccupations soulevées par le ministère, notamment en ce qui concerne le caractère volontaire et le consentement. Si nous transformons cela en processus de demande par attribution, on exprime sa volonté ou son consentement en faisant la demande. C’est relativement simple.

Je ne veux pas entrer dans les détails. Je serai heureux d’envoyer quelque chose par écrit au sujet d’amendements connexes.

La sénatrice Seidman : Le comité vous serait très reconnaissant si vous réussissiez à l’envoyer à la greffière pour que nous puissions tous en prendre connaissance.

La présidente : C’est une idée vraiment intéressante. J’aimerais que la sénatrice Jaffer nous dise ce qu’elle en pense en tant que marraine du projet de loi. Nous y viendrons.

S’il s’agit d’une citoyenneté octroyée, qui en fait la demande? Ne sommes-nous pas dans la même situation trouble qu’auparavant? Les enfants ont un droit, mais ils doivent en faire la demande. Ils ratent la date limite, alors ils ne sont plus... alors, qui présenterait la demande?

Me Brouwer : Merci. La façon dont je vois cette proposition et le projet de loi, c’est qu’ils vont de pair avec les changements apportés précédemment qui permettraient aux autorités de la protection de l’enfance de présenter des demandes de citoyenneté pendant que les enfants sont pris en charge. À mon avis, le projet de loi s’applique à ceux pour qui cette demande n’a pas été faite et qui ont atteint l’âge de sortir du système; ils sont âgés de 18 ans ou adultes, et c’est à ce moment-là qu’ils pourraient présenter une demande.

La présidente : Merci.

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Je vais commencer par Me Edwards.

J’aimerais vous poser des questions sur certaines des conséquences imprévues dont le comité a entendu parler. Des témoins précédents ont dit craindre que le projet de loi n’incite les autorités à placer les enfants en foyer d’accueil à titre de « membres de la famille prêts à aider », ce qui permettrait l’envoi d’enfants non accompagnés au Canada afin qu’ils obtiennent la citoyenneté pour leur famille.

Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure ce scénario est probable?

Me Edwards : Je vous remercie de poser la question.

À notre avis, ce risque est négligeable et presque inexistant. Supposer que les gens envoient leurs enfants dans un autre pays pour qu’ils soient pris en charge par le système de protection de l’enfance… dans la plupart des pays, c’est un concept complètement étranger; ils ne savent pas que l’État a la capacité de prendre les enfants en charge.

Nous avons également parlé avec le personnel et les responsables des politiques du Centre for Refugee Children, et ils nous ont dit que le nombre d’enfants admissibles pris en charge par l’État ou par le système de protection de l’enfance est de deux chiffres; c’est probablement moins de 100 par année. Je pense que ce pourrait être moins de 100 par deux ans.

En ce qui concerne le fait d’inciter les gens à envoyer leurs enfants au Canada pour qu’ils soient pris en charge par le système de protection de l’enfance, en tant que parent, c’est extrême. Ce n’est certainement pas quelque chose que le commun des mortels envisagerait. Quand on y pense en tant que parent, ce n’est pas quelque chose à quoi un parent soumettrait volontairement son enfant.

La sénatrice Osler : Madame la présidente, s’il reste du temps, peut-être que les autres témoins voudraient donner leur avis.

Me Konanur : J’ai travaillé à la clinique juridique de Mississauga et à la Clinique Juridique Sud-Asiatique de l’Ontario. J’ai travaillé principalement auprès de familles noires et brunes dans le domaine de l’immigration. Je n’ai pas vu de telle situation au cours de mes 20 années de pratique. J’ai vu le contraire : des familles qui se battent pour que leurs enfants ne soient plus pris en charge.

Je n’ai pas vu votre scénario se produire, alors je ne crois pas que l’idée selon laquelle on ouvrirait les vannes se confirme au vu de ce qui se passe réellement.

La présidente : Chers collègues, nous prolongeons la séance jusqu’à 17 h 35 afin d’avoir un peu plus de temps. Sénatrice Jaffer, vous êtes la marraine du projet de loi. C’est important pour vous. Vous le réclamez depuis trois ans. Nous voulons vous entendre poser vos questions; allez-y.

La sénatrice Jaffer : Merci d’avoir rendu cela possible. Merci à vous tous d’être ici. Je vais commencer par Mme Alyaan.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier. Vous avez été extrêmement courageuse. Il n’a pas été facile pour vous de venir comparaître. Je ne vous remercierai jamais assez de votre présence. Vous êtes venue non seulement pour votre propre bien, mais aussi pour celui de votre frère. Merci. Je tiens également à remercier M. Desmond Cole de vous avoir invitée à comparaître aujourd’hui et de vous avoir donné le soutien dont vous avez besoin pour venir.

J’ai quelques brèves questions. Vous venez de la Somalie, et vous avez dit que votre frère et vous êtes arrivés ici à l’âge de 6 et 8 ans.

Mme Alyaan : Oui.

La sénatrice Jaffer : Et vous avez été séparés presque immédiatement.

Mme Alyaan : Oui.

La sénatrice Jaffer : Votre tante s’est-elle battue pour vous ravoir?

Mme Alyaan : Elle se bat encore aujourd’hui.

La sénatrice Jaffer : Qu’est-ce qui a été dit? Pourquoi ne vous a-t-on pas rendus à votre tante?

Mme Alyaan : Pour être honnête, je ne connais pas la réponse à cette question.

La sénatrice Jaffer : D’accord.

Votre tante a-t-elle essayé d’obtenir la citoyenneté pour vous?

Mme Alyaan : Oui. Elle a obtenu sa citoyenneté vers 2004 alors qu’elle se battait encore pour nous. Elle a tenté de présenter une demande en notre nom, et on lui a dit « non » parce que nous étions sous la tutelle des services de protection de l’enfance.

La sénatrice Jaffer : Récemment, vous êtes allée à l’hôpital. Que s’est-il passé à ce moment-là? Vous étiez gravement malade.

Mme Alyaan : On a refusé de me voir.

La sénatrice Jaffer : Pourquoi?

Mme Alyaan : Parce que je n’ai pas de carte d’assurance-maladie. Je ne peux pas payer.

La sénatrice Jaffer : Et combien vous a-t-on dit que cela vous coûterait?

Mme Alyaan : Ce serait 1 000 $ simplement pour parler à un médecin, et, si j’avais besoin d’examens et d’analyses, ce serait plus cher.

La sénatrice Jaffer : Qu’avez-vous fait?

Mme Alyaan : J’ai dû partir.

La sénatrice Jaffer : Je n’arrive pas à croire à quel point vous êtes courageuse.

Vous avez réussi à vous rendre à une assemblée publique à l’arrivée du premier ministre Trudeau. Vous lui avez posé une question, que je vais lire aux fins du compte rendu. « La question que je vous pose est la suivante : s’il s’agissait de votre fils, feriez-vous quelque chose pour l’empêcher d’être expulsé? »

Le premier ministre vous a répondu qu’il était au courant du cas de votre frère, et il a dit :

Quand nous avons constaté que le système avait échoué à protéger votre frère… les conséquences qu’ont eues sur lui les difficultés auxquelles il fait face, et que nous avons vu les problèmes réels auxquels nous sommes confrontés dans le système, cela nous a ouvert les yeux sur des situations que bon nombre d’entre nous savaient qu’elles avaient lieu dans de nombreuses collectivités, mais auxquelles nous devons continuer de nous attaquer.

Savez-vous s’il a réglé la situation?

Mme Alyaan : D’après ce que je crois savoir, elle n’est pas réglée.

La sénatrice Jaffer : D’accord.

Vous n’avez pas la citoyenneté non plus?

Mme Alyaan : Je n’ai pas la citoyenneté.

La sénatrice Jaffer : Pourquoi n’avez-vous pas la citoyenneté?

Mme Alyaan : Je n’ai pas les bons documents. Je n’arrive pas à les obtenir.

La sénatrice Jaffer : Vous n’avez pas les documents nécessaires?

Mme Alyaan : Non.

La sénatrice Jaffer : Alors, vous n’avez commis aucun crime, mais vous n’avez tout de même pas la citoyenneté?

Mme Alyaan : Exactement.

La sénatrice Jaffer : S’il me reste du temps pour une autre question, madame Konanur, vous avez mentionné un fil conducteur. Qu’entendez-vous par un fil conducteur?

Me Konanur : Tout à fait.

Dans ma vie de tous les jours, je vois des gens qui s’adressent à nous en tant qu’adultes et qui ont des démêlés avec le droit pénal. Lorsque nous commençons à découvrir pourquoi et ce qui s’est passé afin de pouvoir présenter des arguments en leur faveur, nous constatons qu’un grand nombre de ces clients sont en difficulté parce qu’ils ont vécu dans leur enfance des événements très traumatisants liés à la protection de l’enfance. Alors, d’une certaine façon, il est très difficile de dire : « Eh bien, nous vous avons placé dans ce système. Il vous a mené là où vous en êtes aujourd’hui, et nous allons maintenant vous renvoyer. » Ce fil conducteur est aussi simple que cela.

Dans le cadre de notre travail avec l’Agence des services frontaliers du Canada et le ministère de l’Immigration, il est pratiquement impossible d’empêcher la perte de la résidence permanente ou du statut et les renvois. Si la personne part, je lui dis : « Vous ne reviendrez pas », parce que je sais qu’on ne pourra pas la faire revenir. J’ai vu des situations où la personne est partie et les choses ne se sont pas bien passées. Nous avons perdu des clients.

Ce qui est difficile, c’est que je les considère collectivement comme nos enfants. J’ai des enfants. C’est la question que Mme Alyaan a posée : si c’était votre enfant, que feriez-vous?

La sénatrice Jaffer : J’ai une brève question, madame la présidente. Merci de votre indulgence.

Lorsque les fonctionnaires sont venus comparaître l’autre jour, ils ont dit que, si une personne est expulsée, il existe dans son pays des réseaux par lesquels elle peut revenir. D’après votre expérience, avez-vous vu quelqu’un revenir?

Me Konanur : Non. J’essaie de faire ce travail depuis 20 ans, et je n’ai pas réussi à obtenir ces autorisations. J’ai un cas en ce moment où la demande a été refusée. L’affaire a été instruite à la Cour fédérale et a été renvoyée; la demande a été rejetée à nouveau il y a deux jours.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Moodie : Merci beaucoup de comparaître aujourd’hui. Vous en particulier, madame Alyaan.

Ma question s’adresse à Me Brouwer. Je voudrais revenir un peu sur ces conséquences imprévues, et plus particulièrement sur l’une d’entre elles. Les fonctionnaires nous ont fait remarquer que la citoyenneté automatique pourrait causer des problèmes dans le cas des personnes qui sont toujours citoyennes d’un autre pays qui ne permet pas la double citoyenneté.

Pouvez-vous nous en parler? Je sais que vous parlez d’un processus de demande volontaire. Il vient avec certains problèmes liés à l’accès, à l’éducation, à la capacité de s’y retrouver dans le processus, et ainsi de suite. Pourriez-vous nous parler un peu des défis que pose le processus?

Me Brouwer : Bien sûr. Merci beaucoup. Je vais demander à mes collègues d’intervenir si elles ont quelque chose à ajouter.

Ma première réponse à la question concernant le caractère volontaire et la perte de statut, c’est que cette disposition demeure une attribution de plein droit ou une citoyenneté de plein droit, ou qu’elle soit passée à l’article 5, dans un cas comme dans l’autre, la personne doit prendre une mesure pour obtenir la citoyenneté. Même si c’est de plein droit, la personne devra faire une demande de certificat de citoyenneté. Alors, elle prend une mesure.

En ce qui concerne le fait d’obtenir des conseils adéquats avant de prendre cette mesure, c’est évidemment très important. Nous travaillons dans des cliniques juridiques et pouvons parler de la façon de fournir ces conseils. Cependant, je pense qu’il s’agit de la première réponse au problème qui a été soulevé par le gouvernement. De mon point de vue, ce n’est pas vraiment une préoccupation, honnêtement.

La sénatrice Moodie : Qu’en est-il du problème que nous rencontrons et que Mme Alyaan a rencontré, c’est-à-dire l’absence de documents? Comment pouvons-nous contourner ce problème si nous mettons en place un tel système?

Me Brouwer : Dans une certaine mesure, on exigera des documents d’une façon ou d’une autre. Ce que vous voyez dans le projet de loi, c’est une disposition précise visant à contourner les obstacles liés aux formalités administratives. Le gouvernement devra se fier à une déclaration de la personne, sauf s’il y a des preuves du contraire. Si la personne déclare qu’elle a été prise en charge pendant un an, cette déclaration devrait suffire. En droit, si on adopte le projet de loi tel qu’il est rédigé actuellement, on élimine des obstacles très importants auxquels la plupart des demandeurs doivent faire face.

Me Konanur : J’ajouterais que, dans bien d’autres parties de notre travail en matière d’immigration, lorsque des problèmes de documentation et de sécurité surviennent, nos services d’immigration renoncent régulièrement aux exigences. S’ils sont satisfaits de ce qui a été fourni, ils renoncent aux exigences. Par conséquent, il est faux de dire que cela ne se fait pas déjà. Cela arrive tout le temps.

La présidente : J’aimerais revenir sur une question de la sénatrice Moodie. Monsieur Brouwer, en ce qui concerne votre proposition de citoyenneté par demande, comment tiendrait-elle compte de la question de la rétroactivité? Si la loi est adoptée, qu’arrivera-t-il aux personnes qui ont atteint l’âge de sortir du système et qui pourraient être expulsées? Quelles mesures proposeriez-vous dans le projet de loi pour dissiper les préoccupations concernant la rétroactivité?

Me Brouwer : Eh bien, si cette disposition est déplacée à l’article 5 — si j’ai bien compris l’opération — la personne devient citoyenne après avoir présenté la demande et s’être vu octroyer la citoyenneté. Elle devient citoyenne au moment où sa demande est approuvée.

En droit, le libellé actuel de la disposition reconnaîtrait que les gens sont des citoyens et qu’ils doivent revendiquer leur citoyenneté. En fait, la citoyenneté n’est pas documentée tant qu’ils n’ont pas suivi ce processus. Selon mon interprétation du projet de loi, il n’y a pas de rétroactivité réelle.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à vous, monsieur Brouwer. C’est afin de mieux comprendre les barrières.

La Loi sur la citoyenneté prévoit actuellement des exceptions ministérielles à l’exigence selon lesquelles toutes les demandes de citoyenneté présentées par des personnes de moins de 18 ans doivent être soumises par des représentants ayant la garde ou des représentants de l’État, ce qui crée un mécanisme permettant aux mineurs de demander eux-mêmes la citoyenneté.

Quels sont les obstacles auxquels sont actuellement confrontés les mineurs qui tentent d’obtenir la citoyenneté au moyen de ce mécanisme? Comment le projet de loi que nous avons devant nous répond-il à ces obstacles?

Me Brouwer : Merci beaucoup.

[Traduction]

Je m’excuse de mon français médiocre.

J’ai deux réponses. En ce qui concerne les obstacles qui existent actuellement pour les enfants pris en charge, je dirais que le prochain groupe de témoins sera probablement mieux placé pour répondre. Ce sont les témoins du prochain groupe.

À ce que je crois savoir actuellement, l’information et le soutien sont le principal obstacle. Il faut sensibiliser davantage tous les organismes d’aide à l’enfance au fait qu’il s’agit d’une option, et il faut offrir un soutien suffisant à ces organismes ou aux fournisseurs de services juridiques de toutes les provinces pour veiller à ce que les demandes soient présentées.

L’autre question concerne le lien entre le projet de loi et l’amendement précédent. Comme je crois l’avoir dit, je considère qu’il s’agit de deux solutions au même problème. La disposition qui a été adoptée précédemment vise à annuler ou à éviter les circonstances futures des personnes qui atteignent l’âge de ne plus être prises en charge sans avoir de statut. Alors, pourvu qu’on offre suffisamment de soutien aux organisations pour qu’elles puissent présenter des demandes pendant que les enfants sont pris en charge, nous ne nous retrouverons pas dans la situation actuelle où des gens atteignent l’âge de sortir du système sans avoir de statut.

Le projet de loi est nécessaire pour toutes les personnes qui ont déjà atteint l’âge d’en sortir. Soyons réalistes, des personnes passent entre les mailles du filet et continueront de passer entre les mailles du filet. Nous avons besoin de cette disposition pour les personnes dans le cas de qui le moment était mal choisi pour présenter une demande lorsqu’elles étaient encore prises en charge ou dans le cas de qui l’organisation n’était pas au courant… ou pour je ne sais quelle raison. Si on n’a pas présenté de demande alors qu’elles étaient mineures et prises en charge, nous avons besoin du projet de loi afin de veiller à ce qu’elles ne finissent pas par se faire expulser à cause de cette situation.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à vous, madame Konanur. Puisque la protection de l’enfance relève des compétences des provinces et territoires, si ce projet de loi devenait loi, que resterait-il comme barrières ou défis, au niveau des provinces, pour que cela se passe bien?

[Traduction]

Me Konanur : Je vous remercie infiniment de poser cette question, parce que nous travaillons dans les deux administrations, alors nous voyons ces barrières régulièrement. Évidemment, le prochain groupe de témoins vous donnera plus d’information. Cependant, ce que j’observe dans mon travail quotidien, c’est un lien avec les systèmes de protection de l’enfance qui communiquent avec nous pour obtenir de l’aide. Tout le monde est aux prises avec des problèmes de capacités. Dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet de loi comme celui-ci, nous devons parler des mesures de soutien qui s’y rattachent, qui sont destinées à ces systèmes. Je vois parfois de très bonnes intentions de la part des services d’aide à l’enfance, mais ils n’ont tout simplement aucune capacité de faire le travail.

Je dois dire que l’Ontario a le système de cliniques d’aide juridique le plus solide du pays. Partout ailleurs où je voyage, les intervenants ont un dixième de ce que nous pouvons faire. Par conséquent, nous devons envisager d’harmoniser les mesures de soutien. Dans le cadre de la création de ce projet de loi, nous devons aussi réfléchir à la façon dont il est appuyé de toutes les manières possibles.

Concernant la question qui vient tout juste d’être posée, je voudrais vraiment ajouter rapidement que nous travaillons, en fait, sur les permis ministériels, les exceptions ministérielles et les dispenses relatives à la citoyenneté. Ces processus prennent énormément de temps. La barrière, ce sont les délais importants.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup. Vous l’avez dit puis j’essaie de comprendre.

[Traduction]

Vous avez dit quelques fois qu’il est presque impossible d’empêcher une expulsion ou de faire revenir quelqu’un. Ce que j’entends, c’est que cela s’explique en grande partie par les formalités administratives et la paperasse. Quel est le nœud du problème? Est-ce le système?

Me Konanur : Le nœud du problème, c’est la loi. On l’a modifiée afin de la rendre très stricte. Par conséquent, si vous êtes reconnu coupable de certains crimes, boum, vous êtes interdit de territoire pour criminalité en vertu des lois sur l’immigration, et il est presque impossible d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire en vue d’y changer quelque chose. C’est cette modification de la loi qui place le frère de Fatuma dans la situation où il se trouve. En fait, lorsque je pratiquais il y a très, très longtemps, nous aurions peut-être pu obtenir la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. La loi ne le permet plus. Vous pouvez toujours essayer, mais je dois vous dire en des termes on ne peut plus clairs qu’il est presque impossible de faire revenir les gens une fois qu’ils ont été renvoyés.

La sénatrice Bernard : Je veux simplement remercier tous les témoins. Merci d’être ici. Merci de votre travail. Mme Alyaan, je tiens à vous remercier de continuer à être une ardente militante. Votre voix est importante dans le cadre de ce débat.

J’ai beaucoup de questions, mais je sais que je ne pourrai pas toutes les poser. Je vais en poser une. Je vais commencer par vous, maître Edwards. J’aimerais revenir sur la question que la sénatrice Osler a posée au sujet des « membres de la famille prêts à aider ». Je vois des fils conducteurs.

Vous avez parlé du pipeline de la protection de l’enfance à la prison, ainsi que du pipeline de la prison à l’expulsion. Je pense que l’autre lien dans le pipeline, c’est ce qui se passe dans le système d’éducation. L’autre chose dont vous avez parlé et qui, je crois, fait partie du pipeline, c’est la réalité du racisme systémique contre les Noirs. J’aimerais donc parler plus précisément du racisme systémique contre les Noirs.

Cela a-t-il même quelque chose à voir avec la question des « membres de la famille prêts à aider »? Quel rôle cela joue-t-il dans le pipeline? Comment peut-on interrompre le pipeline de façon à ce que les gens ne se retrouvent pas là où ils sont?

Me Edwards : L’interruption du pipeline, comme vous l’avez si bien dit, commence par le système d’éducation. Les enfants noirs font l’objet de suspensions, d’exclusions et de procédures disciplinaires inutiles, même à l’école primaire. Je suis sûre que vous avez tous vu les manchettes concernant des enfants noirs de quatre ans qui sont enfermés seuls dans des salles d’entreposage ou simplement expulsés de l’école parce qu’ils se sont disputés avec un autre enfant.

Les systèmes scolaires n’ont plus recours aux mesures disciplinaires positives. Comme je l’ai dit dans mon exposé, ils se déchargent de leurs responsabilités sur les forces de l’ordre. Les enfants sont criminalisés.

L’autre jour, dans la région de Peel, je crois, un certain nombre d’écolières se sont disputées à l’école. Un policier en civil était sur les lieux. Elles sont maintenant accusées d’avoir agressé un agent de la paix. Elles ne savaient pas que cette personne était un policier puisqu’il était en civil. En fait, pourquoi y avait-il un policier en civil dans l’école?

Oui, tout commence par là. Ils sont retirés à leurs parents. Il y a eu le cas très célèbre de l’enseignant qui a appelé les autorités de protection de l’enfance au sujet d’un parent qui avait envoyé son enfant à l’école avec un roti. Je suis sûre que vous savez tous de quoi il s’agit; c’est un pain plat. L’enseignant trouvait que c’était un repas inadéquat.

Ce ne sont pas des histoires que nous inventons; ce sont des choses qui se passent sur le terrain. Les accusations sont ridicules. Je vous ai donné les statistiques, et il y a des rapports qui les corroborent. Cela se répercute sur les enfants.

Il y a longtemps, pour être menacé d’expulsion, il fallait recevoir une peine d’emprisonnement de deux ans. Maintenant, c’est une peine de six mois. Une telle réduction alimente beaucoup plus rapidement le pipeline. On crée ces chiffres. Les Noirs sont arrêtés de façon disproportionnée par la police. La Commission ontarienne des droits de la personne a produit des rapports à ce sujet. On nous arrête, on nous fouille, on porte des accusations excessives contre nous, on nous emprisonne et on nous refuse la libération sous caution.

Une foule de raisons expliquent la représentation disproportionnée des Noirs dans le système. Nous devons examiner les facteurs systémiques. Nous devons le faire.

La sénatrice McPhedran : J’ai une brève question. Très souvent, dans des situations qui semblent sans issue, on espère qu’il y aura une certaine réaction ministérielle. Quelle a été votre expérience à cet égard? Avez-vous constaté un changement? Je suppose que oui. Pouvez-vous relier cela avec le projet de loi?

Me Konanur : J’ai actuellement 19 dossiers de permis ministériels. Le temps d’attente moyen pour obtenir une réponse est de huit ou neuf ans. Je ne peux même pas m’adresser aux tribunaux pour demander ce qu’on appelle un mandamus, c’est‑à‑dire pour leur demander de forcer le gouvernement à prendre une décision, car ils ont statué que, dans les cas de permis ministériels, un délai de 8 à 10 ans est raisonnable.

Le fait est que ces recours extraordinaires ne sont que cela, des recours extraordinaires, et qu’ils ont peu de chances d’aboutir. Pendant ce temps, vous rencontrez des clients qui, parce qu’ils n’ont pas la citoyenneté, n’ont jamais le droit de voter. Ils ont de la difficulté à accéder à certaines choses, selon leur statut. Ils doivent vivre dans le néant, sans statut, dans un pays qui est le leur.

C’est vraiment difficile. En réalité, l’idée qu’il existe une soupape de sécurité est fausse.

La sénatrice McPhedran : Merci. Quelqu’un d’autre a des commentaires à formuler?

Me Brouwer : Je peux ajouter quelque chose. Je ne sais pas si cela avait un lien avec le témoignage des fonctionnaires concernant le nouveau permis de séjour temporaire et les instructions ministérielles, mais si c’est le cas, il est essentiel de voir l’énorme différence entre un permis de séjour temporaire au titre des instructions ministérielles et la citoyenneté canadienne.

Selon les nouvelles instructions ministérielles, la délivrance du permis de séjour temporaire est entièrement discrétionnaire. C’est le ministre qui avise les agents qu’ils peuvent délivrer un permis d’un an — ou peut-être de deux ans — autorisant une personne à rester au Canada, sans statut au-delà de ce délai. À la fin de ces deux années, la personne pourrait présenter une demande de renouvellement. Peut-être que cela fonctionnera; peut-être que non. En cas de changement de gouvernement, ces instructions ministérielles pourraient être abrogées.

Aucune voie ne mène d’un permis de séjour temporaire à la citoyenneté. Vous êtes assis entre deux chaises pendant deux autres années. Deux autres années sans véritable statut. Ce n’est pas tout à fait exact dans la mesure où vous êtes protégé contre un renvoi imminent, mais c’est tout. Ce n’est pas du tout la même chose que de reconnaître que ces enfants sont nos enfants, qu’ils ont grandi ici, qu’ils sont Canadiens et qu’ils méritent d’être traités comme des Canadiens.

Me Konanur : Puis-je ajouter quelque chose rapidement?

La sénatrice McPhedran : Je vous en prie.

Me Konanur : Nous avons collaboré à l’élaboration d’une politique publique sur le permis de séjour temporaire pour les victimes de violence familiale. Il y a des instructions ministérielles à ce sujet. Nous présentons des demandes pour ce permis depuis trois ans. Au départ, lorsque les instructions ont été publiées, il était considéré comme un droit. Au cours de la dernière année, la plupart des demandes présentées par notre clinique ont été refusées pour des motifs discrétionnaires.

On peut donc constater un changement dans la façon dont les agents envisagent ces cas, peu importe l’intention qui sous-tend la demande de permis de séjour temporaire.

La présidente : J’ai une dernière question pour Mme Alyaan. Merci beaucoup d’être ici avec nous et de nous faire part de votre histoire.

Est-il juste de présumer que, si le projet de loi est adopté et qu’il reçoit la sanction royale, vous demanderez la citoyenneté?

Mme Alyaan : Je le ferai certainement, oui.

La présidente : Et est-ce que votre frère présentera une demande de citoyenneté?

Mme Alyaan : Oui.

La présidente : Pouvez-vous nous dire en quoi cela changerait votre vie?

Mme Alyaan : Elle changerait du tout au tout. Je ne peux pas travailler. Je ne peux pas aller à l’école. Je ne peux pas obtenir de soins de santé. Cela changerait complètement ma vie. J’aurais accès à tout ce à quoi les gens dans cette salle ont accès. Je pourrais travailler. Je pourrais subvenir aux besoins de mes deux enfants. Je n’ai pas à rester à la maison, malade, en pensant que quelque chose va se passer, que je vais les laisser et qu’ils vont se retrouver dans la même situation que moi.

Cela serait très utile et changerait beaucoup de choses. Ce n’est pas seulement pour moi et mon frère; il y a tellement d’autres enfants qui n’ont pas la chance que j’ai de pouvoir prendre la parole. C’est pourquoi je suis ici aujourd’hui. C’est pourquoi j’espère sincèrement que vous tiendrez compte de cela et que le projet de loi sera adopté.

La présidente : Merci beaucoup aux témoins. Vous nous avez aidés à beaucoup mieux comprendre le contexte et les solutions.

Chers collègues, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Si les témoins du premier groupe veulent rester pour les écouter, ils sont les bienvenus.

Le deuxième groupe de témoins que nous accueillons comporte des représentantes de la Société d’aide à l’enfance de Peel. Elles ont été reconnues dans cette enceinte aujourd’hui en tant qu’invitées du sénateur Oh. Bienvenue parmi nous. Il s’agit de Mary Beth Moellenkamp, directrice générale; de Danielle Ungara, gestionnaire, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance; de Fatima Mukai, spécialiste de l’immigration, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance; et de Liz Okai, gestionnaire, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance. Elles représentent toutes le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance de la Société d’aide à l’enfance de Peel.

Par vidéoconférence, nous accueillons Terence Hamilton, spécialiste en matière de politiques à UNICEF Canada.

Je remercie tous les témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Je leur rappelle qu’ils disposeront de quatre minutes pour faire leur déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité leur poseront des questions. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de la Société d’aide à l’enfance de Peel. Madame Moellenkamp, vous avez la parole.

Mary Beth Moellenkamp, directrice générale, Société d’aide à l’enfance de Peel : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de nous accueillir ici aujourd’hui. C’est un plaisir d’annoncer que nous sommes favorables au projet de loi S-235. Nous sommes ici pour parler au nom des enfants et des jeunes à qui nous offrons des services au sein des systèmes de protection de l’enfance de l’Ontario.

Le Centre d’excellence en immigration pour la protection de l’enfance — ou CWICE, d’après l’acronyme anglais — de la Société d’aide à l’enfance de Peel, offre des services de consultation et un soutien essentiels aux professionnels de la protection de l’enfance en mettant l’accent sur les recoupements complexes entre la protection de l’enfance et l’immigration. Grâce au financement du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, nous participons à l’établissement de partenariats et de protocoles aux échelons local, provincial et fédéral en vue de régler des problèmes liés à l’immigration. Pour dire les choses simplement, nous avons écouté le premier groupe de témoins, et nous voulons prévenir certains des problèmes dont ils vous ont parlé plus tôt aujourd’hui.

Les enfants, les jeunes et les familles à qui nous offrons des services sont parmi les plus vulnérables de nos villes et de nos collectivités. Nos enfants et nos jeunes se sentent souvent invisibles, et ils se heurtent à des obstacles que d’autres enfants et jeunes ne rencontrent pas. Comme il a été dit plus tôt, pour eux, la citoyenneté est plus qu’un statut juridique. Elle symbolise l’acceptation et procure un sentiment d’appartenance. Ces jeunes, en tant que pupilles de l’État, doivent être reconnus comme des enfants du Canada et se voir accorder toutes les chances de s’intégrer pleinement à la société.

En 2017, la modification de la Loi sur la citoyenneté a permis aux organismes de protection de l’enfance de présenter des demandes de citoyenneté au nom des enfants sous leur tutelle, et c’était un point de départ essentiel. Cependant, comme nous l’avons entendu, les nombreux documents requis pour les enfants pris en charge sont souvent impossibles à obtenir, ce qui amène bon nombre d’entre eux à quitter notre système sans pièces d’identité valides ni citoyenneté.

Le projet de loi a pour objet de permettre aux enfants sous la tutelle de l’État d’acquérir la citoyenneté, mais d’une manière qui s’apparente à l’acquisition par filiation. Dans un tel cas de figure, les organismes provinciaux ou territoriaux de protection de l’enfance qui sont légalement responsables de l’enfant faciliteraient le processus.

Les commentaires formulés par les communautés autochtones et notre propre expérience auprès de notre clientèle mettent en évidence les répercussions profondes, durables et générationnelles des politiques au sein des secteurs de la protection de l’enfance et de l’immigration. Nous savons que nous devons faire mieux, et cela exige que les systèmes provinciaux et fédéral collaborent en vue de combler les lacunes législatives et travaillent en partenariat afin de s’attaquer à cette question complexe.

Le projet de loi S-235 est censé permettre une gestion cohérente et empathique des dossiers de citoyenneté des enfants et des jeunes qui vivent en famille d’accueil, et prévenir ainsi le risque d’apatridie, d’expulsion et de traumatismes connexes. Il représente une excellente occasion d’améliorer la vie de ces jeunes en leur offrant la sécurité et le sentiment d’appartenance essentiels à leur bien-être et à leur réussite future.

Sur ce, je cède la parole à Mme Ungara.

Danielle Ungara, gestionnaire, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, Société d’aide à l’enfance de Peel : Honorables sénatrices et sénateurs, il est difficile de comprendre que quelqu’un qui a été placé en famille d’accueil à l’âge de cinq ans et qui est maintenant un adulte en 2023 n’ait toujours pas la citoyenneté. C’est pourtant le cas pour un petit groupe de personnes. En cinq ans, le CWICE a traité 170 dossiers de citoyenneté qui lui ont été confiés. Nous avons cherché à défendre le droit des enfants à la citoyenneté et à faire en sorte que leur intérêt supérieur soit pris en considération. Cependant, nous avons été témoins des répercussions négatives d’une citoyenneté qui se fait attendre depuis longtemps, et aujourd’hui, 16 personnes en Ontario font face à des obstacles importants. Il y a notamment une personne de 16 ans qui est née en Syrie et qui vit au Canada depuis l’âge de 6 ans, de même qu’une personne de 17 ans née en Jamaïque et une autre de 19 ans née au Pakistan, qui ont été placées en famille d’accueil à l’âge de 13 et de 12 ans respectivement. Aucune d’entre elles n’a présenté de demande de citoyenneté.

Le projet de loi S-235 permet d’espérer que des enfants de notre pays pourront obtenir la citoyenneté et éviter l’expulsion. L’adoption de ces modifications permettra de créer des voies et des résultats plus équitables. Je cède maintenant la parole à ma collègue.

Fatima Mukai, spécialiste de l’immigration, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, Société d’aide à l’enfance de Peel : Il y a plus de 10 ans, j’ai travaillé auprès de membres d’une fratrie en famille d’accueil. J’ai récemment appris que l’aîné avait été expulsé vers un pays ravagé par la guerre, où il est mort peu de temps après. Cela a traumatisé ses frères et sœurs survivants. La santé mentale de l’un d’eux s’est rapidement détériorée et, jusqu’à tout récemment, il était menacé d’expulsion.

En tant que spécialiste en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, j’ai travaillé directement auprès de plusieurs personnes qui avaient besoin d’une demande d’attribution de la citoyenneté, que ce soit pendant qu’elles étaient en famille d’accueil ou après qu’elles sont devenues des adultes. Elles ont toutes subi un traumatisme important, et plus de la moitié d’entre elles ont des problèmes de santé mentale ou de développement.

Dans d’autres cas, cela a été un facteur de complication dans leurs démêlés avec le système de justice pénale. J’ai vu comment la citoyenneté peut permettre d’éviter des situations pénibles et de réduire les obstacles que doivent surmonter les enfants en famille d’accueil.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vous exhorte à appuyer le projet de loi S-235. Merci.

La présidente : Merci. Madame Okai, malheureusement, nous avons largement dépassé les quatre minutes dont vous disposiez. Nous devons permettre à M. Hamilton d’utiliser ses quatre minutes. J’espère que nous pourrons vous poser des questions, madame Okai. Veuillez m’excuser.

Terence Hamilton, spécialiste en matière de politiques, UNICEF Canada : Merci. Je vais essayer d’être bref.

Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis Toronto, sur le territoire traditionnel des Wendat, des Petun, des Haudenosaunee et des Anishinaabe, qui est visé par le Traité no 13.

Comme vous le savez probablement, l’UNICEF a pour mission de promouvoir les droits fondamentaux universels des enfants, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, ou CDE. En tant qu’unique organisme mentionné dans cette convention, l’UNICEF se considère comme le porte‑étendard des droits de l’enfant dans tous les pays où il est présent.

Ici, au Canada, nous prônons l’intégration complète de la CDE au droit national, l’utilisation de pratiques exemplaires mondiales en matière de gouvernance des droits de l’enfant et la prise en compte des voix et des opinions des enfants et des jeunes dans le cadre des décisions qui les touchent.

L’un des principaux processus que nous préconisons à cet égard est le recours à l’évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant, ou ERDE. À l’instar de l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS plus, l’ERDE sert à analyser les répercussions positives et négatives des politiques ou des lois sur les droits de divers enfants.

UNICEF Canada, qui préconise depuis longtemps l’utilisation de l’ERDE au Canada, a eu le plaisir d’aider le ministère de la Justice du Canada à élaborer un module de formation sur l’ERDE ainsi qu’un modèle d’ERDE, qui a été publié en juin dernier.

Conformément aux considérations que je viens d’exposer, je vais utiliser le temps de parole qu’il me reste aujourd’hui pour donner un bref aperçu des répercussions du projet de loi à l’étude sur les droits des enfants.

UNICEF Canada accueille favorablement le projet de loi S-235, étant d’avis qu’il s’agit d’une solution mesurée et axée sur les droits de l’enfant au problème que représente le fait que des enfants pris en charge par les systèmes de protection de l’enfance du Canada ne reçoivent pas toujours le statut de citoyen canadien auquel ils ont droit.

Une grande partie du débat sur cette question a porté sur le risque d’expulsion auquel sont exposés ceux qui n’ont pas la citoyenneté et qui sont reconnus coupables d’un acte criminel, ce qui est compréhensible. Cette situation n’est pas représentative de la plupart des enfants en famille d’accueil qui n’ont pas la citoyenneté canadienne, mais il s’agit d’un effet typique de systèmes au sein desquels les droits des enfants ne se voient pas accorder un rang de priorité adéquat et ne sont pas bien protégés.

Ce fait est reconnu dès les premières lignes du préambule projet de loi S-235, où sont énoncées les obligations du Canada en tant qu’État partie à la CDE, et où il est mentionné que la protection des enfants et la défense de leurs droits constituent « une valeur fondamentale de la société canadienne ».

Autrement dit, le projet de loi S-235 remet les enfants vulnérables n’ayant pas la citoyenneté canadienne et les droits de ces enfants au cœur de la discussion, là où ils devraient être.

Comme la sénatrice Jaffer l’a souligné dans son discours à titre de marraine en juin, et comme mes collègues l’ont dit aujourd’hui, si bon nombre des adultes n’avaient pas la citoyenneté, c’est principalement parce que les services canadiens de protection de l’enfance auxquels ils avaient été confiés n’ont pas présenté de demande en leur nom afin qu’ils obtiennent la citoyenneté, à laquelle ils auraient dû avoir droit.

Certains d’entre eux n’étaient même pas conscients du fait qu’ils n’étaient pas citoyens canadiens avant d’avoir des démêlés avec le système de justice pénale à l’âge adulte.

À notre avis, il s’agit d’une violation flagrante des droits des enfants.

L’État et, par extension, l’organisme de protection de l’enfance tenant lieu de parent ont le devoir de protéger et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est éminemment raisonnable de supposer que la présentation d’une demande de citoyenneté canadienne pour le compte d’un enfant non citoyen pris en charge par les services de protection de l’enfance serait dans l’intérêt supérieur de cet enfant.

Selon les articles 7 et 8 de la CDE, tous les enfants ont droit à un nom et à une nationalité légalement enregistrés. Lorsqu’un enfant est privé d’un élément constitutif de son identité, le Canada, en tant qu’État partie à cette convention, a le devoir de fournir une aide et une protection adéquates en vue du rétablissement rapide de son identité.

En outre, dans le cadre de la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit d’un enfant d’être entendu sur toute question l’intéressant en vertu de l’article 12 est considéré comme l’un des quatre principes directeurs de la CDE. Toute procédure administrative relative au statut d’immigration d’un enfant qui se déroule à l’insu de cet enfant et sans sa participation est clairement incompatible avec l’article 12.

Bien sûr, pour pouvoir participer véritablement à une procédure l’intéressant, l’enfant doit être informé de la décision à l’étude, et ce, dans une langue qu’il comprend. Ainsi, l’enfant qui n’a jamais été informé de la possibilité de présenter une demande de citoyenneté est privé de son droit d’exprimer son opinion sur une question qui revêt une importance évidente pour lui.

La présidente : Merci, monsieur Hamilton. Je suis désolé, mais votre temps est écoulé. Vous aurez peut-être l’occasion de poursuivre en répondant à des questions. Nous allons passer aux questions. Il y a une longue liste de sénateurs qui veulent en poser. Nous disposons de trois minutes chacun. Madame Okai, je vais vous céder mon temps de parole. Vous venez de loin. Vous pouvez faire votre déclaration maintenant.

Liz Okai, gestionnaire, Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, Société d’aide à l’enfance de Peel : Merci. En conclusion, honorables sénateurs, les enfants placés en famille d’accueil doivent surmonter plusieurs obstacles afin d’obtenir la citoyenneté, notamment des déficiences intellectuelles, des troubles du développement et l’absence de documents d’identité. Nous avons aussi mentionné la criminalité, et surtout le manque de connaissances de la part des professionnels de la protection de l’enfance.

Il est important de noter qu’une grande partie de ces jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice souffrent de traumatismes non résolus, de maladies mentales, de troubles du développement et de déficiences intellectuelles. Le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance soutient les enfants et les jeunes de l’Ontario dans le cadre du processus de demande de citoyenneté, mais il y a de nombreux autres enfants au Canada qui ne bénéficient peut-être pas de services et de mesures de soutien semblables. Le projet de loi S-235 assurerait une uniformité indispensable au moment de garantir l’équité à l’échelle du Canada pour ce groupe d’enfants vulnérables. Le projet de loi permettra d’éviter que des jeunes et de jeunes adultes soient expulsés vers des pays qu’ils ne connaissent pas ou avec lesquels ils n’ont aucun lien.

Honorables sénateurs, il s’agit d’enfants canadiens qui ont besoin d’un sentiment d’appartenance et de permanence, et nous avons le devoir envers eux de faire en sorte que cela devienne une réalité. Merci beaucoup de nous avoir prêté une oreille attentive.

La présidente : Merci, madame Okai.

La sénatrice Cordy : Merci à tous les témoins. Vous avez été excellents, et comme votre soutien au projet de loi est unanime, je vais vous poser des questions sur ce qui se passe ailleurs.

Monsieur Hamilton, vous avez fait allusion à des pratiques exemplaires mondiales. Je me demande si vous pourriez en mentionner quelques-unes. Madame Okai, vous avez parlé d’obstacles à surmonter. J’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet, car je sais que vous deviez faire vite.

La présidente : Monsieur Hamilton, allez-y en premier.

M. Hamilton : Je serai bref. J’ai communiqué avec des collègues de l’UNICEF de partout dans le monde pour essayer de trouver un texte législatif comparable à celui que vous êtes en train d’étudier, et je n’ai rien trouvé. Je dirais que le Canada a encore une fois l’occasion de faire preuve de leadership dans le domaine des droits de l’enfant en étant l’un des premiers pays à adopter une loi de ce genre.

Mme Okai : Merci. En ce qui concerne les obstacles, je mentionnerais tout d’abord le manque de connaissances de la part des professionnels de la protection de l’enfance. Le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance est en train de combler cette lacune. Nous offrons une formation nationale pour sensibiliser les gens à cette question.

Parmi les autres obstacles, il y a le fait que, bien souvent, ces enfants ne savent même pas qu’ils sont des non-citoyens, ou le fait qu’ils n’ont pas de renseignements à fournir aux professionnels qui leur en demandent. Ils n’ont pas les connaissances. Ils n’ont pas leur propre histoire.

Le simple fait de demander la citoyenneté a été difficile. Une fois qu’ils quittent leur famille d’accueil, c’est encore pire. Les obstacles ont été le manque de connaissances, l’absence de mesures de soutien : l’aspect financier. À un coût de 630 $, l’adolescent ou le jeune adulte se dira peut-être : « Je le ferai quand j’aurai de l’argent », et il met cela en veilleuse.

Ensuite, il y a les déficiences intellectuelles et cognitives. Une demande de citoyenneté exige beaucoup de renseignements et une foule de démarches. Ils ne peuvent pas y arriver sans le soutien que nous sommes en mesure d’offrir.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à tous les membres du groupe de témoins d’être ici aujourd’hui alors que nous essayons de comprendre les aspects importants du projet de loi.

Je pense que je vais m’adresser à la Société d’aide à l’enfance de Peel, car je crois comprendre que des organisations comme le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, comme vous l’avez dit, et l’Ontario Council of Agencies Serving Immigrants disposent d’une infrastructure importante pour traiter les questions relatives à l’immigration et à la citoyenneté des enfants pris en charge en Ontario.

J’aimerais que vous me disiez, compte tenu des enjeux nationaux associés à ce projet de loi et des autres provinces, régions et territoires qui devront composer avec lui, quels types de services, de mesures de soutien et de ressources administratives sont nécessaires à l’échelon provincial pour faciliter la mise en œuvre de ce genre de texte législatif? Quiconque souhaite répondre à cette question peut le faire.

Mme Moellenkamp : En Ontario — vous avez raison —, nous avons mis en place de façon proactive une infrastructure pour régler ce problème. Nous sommes la seule province à avoir quelque chose de ce genre.

En 2020, nous avons réuni des dirigeants de partout au Canada pour discuter de cette question et de ce qui serait nécessaire pour établir un cadre national en réponse à cela. En fait, c’était une question de financement et de ce à quoi cela pourrait ressembler.

Il est toujours difficile — nous en avons un peu entendu parler ici — de déterminer quelle est la responsabilité de la province et quelle est la responsabilité du gouvernement fédéral.

À mon avis, nous pourrions créer un cadre national. Nous avons conclu des ententes bilatérales pour éliminer la violence fondée sur le sexe et d’autres éléments. J’aimerais que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s’engagent à vraiment parler de cette question, car la prise en charge des enfants et des jeunes ainsi que la protection de l’enfance relèvent des provinces, mais l’immigration et la citoyenneté relèvent du gouvernement fédéral.

Donc, si nous pouvions travailler ensemble et avoir des principes, des normes et des processus cohérents, je pense que nous pourrions mettre en œuvre le projet de loi de façon uniforme partout au Canada.

La sénatrice Seidman : En ce qui concerne les ressources et l’infrastructure, si j’ai bien compris, vous dites qu’il s’agit de financement.

Mme Moellenkamp : C’est le financement. D’autres provinces nous ont dit que, si elles avaient les fonds, elles nous financeraient pour que nous fassions le travail à leur place. Il y a une certaine uniformité dans la façon dont cela fonctionne et dans la manière de les aider à s’y retrouver entre la protection de l’enfance et le système d’immigration.

Donc, cela dépend de la province et de la disponibilité des fonds dont elle dispose pour régler le problème.

Bien honnêtement, en ce qui concerne la compréhension du problème — et vous avez entendu Mme Mukai en parler —, il a fallu un certain temps aux services de protection de l’enfance pour comprendre les répercussions que cela a eues sur les enfants et les jeunes. Si vous ne vous trouvez pas dans une collectivité dont la population est diversifiée ou qui dispose d’un point d’entrée, ce n’est peut-être pas une grande préoccupation. Nous avons entendu parler des défis liés aux données.

Ainsi, jusqu’à ce que l’on considère qu’il s’agit d’un défi ou d’un problème, les services de protection de l’enfance réagissent généralement de manière réactive plutôt que proactive. L’une des choses dont nous sommes fiers en Ontario, c’est que nous avons pu prendre des mesures proactives à cet égard. Nous n’avions pas de financement. Nous avons commencé par nous-mêmes, en tant qu’organisation, puis le gouvernement provincial a apporté son aide.

Nous devons en parler davantage à l’échelle nationale.

La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse au Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance. C’est la même question que j’ai posée au premier groupe de témoins.

Le comité a entendu d’autres témoins qui ont dit craindre que le projet de loi n’incite à placer les enfants dans des familles d’accueil en tant que « membres de la famille prêts à aider », c’est-à-dire que des enfants seraient envoyés au Canada non accompagnés dans le but d’obtenir la citoyenneté pour leur famille.

Qui se sent le mieux placé pour nous dire, selon votre expérience et votre opinion, dans quelle mesure cette situation est probable?

Mme Ungara : Je peux répondre à cette question. Merci beaucoup.

Vous savez peut-être que nous travaillons auprès d’enfants non accompagnés et séparés de leur famille. Au cours des dernières années, nous en avons vu généralement une cinquantaine par année. Puis, l’an dernier, ce nombre a plus que doublé, passant à 122 enfants et jeunes, principalement en Ontario. Nous avons pu travailler avec une organisation — Jewish Immigrant Aid Services, ou JIAS, à Toronto — financée par IRCC, afin de mener une étude l’année dernière. Nous avons publié ce rapport cette année et formulé des recommandations en vue d’un cadre national.

Nous entendons parfois ce mythe selon lequel les enfants pourraient être utilisés comme point d’ancrage. La réalité, c’est que nous disposons de peu de preuves permettant d’affirmer que les enfants sont utilisés comme points d’ancrage et que leur famille arrive par la suite. Nous savons qu’il existe des dispositions limitées concernant les enfants dans le processus de réunification une fois qu’ils sont arrivés au pays.

Nous estimons également que rien ne prouve que les enfants et les jeunes, ou les familles, ont une connaissance approfondie du système d’immigration avant leur arrivée.

La sénatrice Osler : Merci. Monsieur Hamilton, souhaitez-vous vous prononcer?

M. Hamilton : Bien sûr.

D’après ce que nous ont dit les experts de première ligne aujourd’hui, l’enfant qui mérite la citoyenneté devrait être au centre de la conversation. Il existe d’autres mécanismes qui peuvent être désignés en ce qui concerne la mauvaise utilisation du système ou les personnes qui font des demandes qu’elles ne devraient pas faire.

Comme nous l’ont dit les représentantes du centre pour les enfants réfugiés et d’autres personnes, il s’agit de petits nombres. Nous devrions nous assurer en priorité que les enfants qui ont droit à la citoyenneté se la voient effectivement accorder en vertu de la loi.

La sénatrice Osler : Merci.

La sénatrice Jaffer : J’ai deux questions. Tout d’abord, je tiens à remercier les représentantes du CWICE. Vous m’avez donné beaucoup d’information et de ressources et vous m’avez appuyée dès le début. Merci beaucoup à vous toutes.

J’ai une question pour vous, madame Moellenkamp. Pouvez‑vous nous en dire davantage — Mme Alyaan en a parlé un peu — sur la façon dont le fait de ne pas avoir la citoyenneté a affecté les personnes dont vous vous occupez et qui ont atteint l’âge de cesser d’être prises en charge?

Mme Moellenkamp : Je me ferai un plaisir de répondre à cette question.

Le premier groupe de témoins a évoqué les répercussions sur les enfants et les jeunes qui ne peuvent pas accéder à l’éducation postsecondaire, ainsi que les problèmes de sous-emploi. En ce qui concerne les enfants et les jeunes qui entrent dans le système de protection de l’enfance, nous savons déjà que nous faisons face à des problèmes de surreprésentation, en particulier chez les enfants et les jeunes noirs, racisés et autochtones. Si on ajoute à cela le fait qu’ils ont des antécédents de traumatisme lié à la violence ou à la négligence, puis le fait qu’ils n’ont pas la citoyenneté ou ce sentiment d’appartenance — et nous pensons à ce que nous entendons au sujet de la possibilité que des enfants et des jeunes entrent dans le système de justice —, ce sont des répercussions auxquelles nos enfants et nos jeunes font face en raison de cet obstacle systémique.

Ce sentiment d’appartenance, nous ne pouvons pas comprendre ce qu’il représente pour un enfant ou un jeune. Si nous pouvons régler ce problème et leur donner ce sentiment de sécurité, ils pourront s’épanouir. C’est ce que nous voulons : changer les résultats pour les enfants et les jeunes. Nous savons quels sont ces résultats, alors nous devons éliminer le plus d’obstacles possible afin d’y arriver.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. J’ai une question pour vous, monsieur Hamilton. Le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant, et l’un des articles de cette convention porte sur la demande de citoyenneté concernant des personnes prises en charge. Quel est le bilan du Canada à cet égard, monsieur Hamilton?

M. Hamilton : Le Canada est signataire de la convention et l’a ratifiée, mais il ne l’a pas pleinement mise en œuvre dans le droit national, ce que nous réclamons depuis longtemps.

En ce qui concerne les droits des enfants qui n’ont pas de citoyenneté, le Canada a été un chef de file à l’échelle internationale pour ce qui est de leur obtenir une citoyenneté, soit dans leur pays d’origine, soit ici. Mais lorsqu’il s’agit d’enfants visés par ce projet de loi — des enfants qui ont peut‑être la citoyenneté d’un pays sur papier, mais qui, en réalité, n’ont jamais résidé dans ce pays depuis leur plus jeune âge —, il est évident que le Canada ne respecte pas l’esprit et l’intention des articles 7 et 8, qui ont trait à la nationalité en vertu de la convention. C’est mon opinion.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Terence, je suis heureuse de vous voir.

J’aimerais me concentrer sur une question. Vous représentez la Société de l’aide à l’enfance de Peel. Je suis pédiatre. Je sais comment les enfants sont enlevés à leur famille. Vous avez un rôle à jouer à cet égard. En même temps, vous semblez comprendre intimement le problème auquel font face les enfants qui ont atteint l’âge de ne plus être pris en charge.

Quel est le taux d’échec à Mississauga, où vous êtes établi, et pourquoi avez-vous ce taux d’échec, malgré la quantité incroyable d’informations, les ressources et la vision dont vous disposez?

Mme Moellenkamp : Je peux répondre à cette question.

L’une des choses que nous faisons en tant que système en Ontario, c’est d’examiner la façon de restructurer le système de protection de l’enfance. Je dirais qu’il s’agit d’un passage d’une approche axée uniquement sur la protection des enfants à une approche axée sur le bien-être des enfants, des jeunes et des familles. Il s’agit d’investir dans la santé et l’intervention précoces, et de travailler avec des partenaires ethnoculturels afin de pouvoir modifier et restructurer le système de manière à éviter que les enfants soient pris en charge. Nous en connaissons les résultats; nous voulons les garder chez eux et dans leur collectivité.

Ce que je peux dire avec fierté au sujet de la région de Peel, c’est que, malgré une population de 1,5 million d’habitants, moins de 150 enfants sont pris en charge. C’est grâce aux programmes que nous offrons et au travail que nous faisons auprès des collectivités. En ce qui concerne le travail du CWICE, parce que cela fonctionne pour nous depuis cinq ans, nous ne voyons pas d’enfants quitter nos services sans que la question de la citoyenneté ait été réglée ou, à tout le moins, sans qu’un processus soit enclenché à cet effet.

Ce que nous voulions faire, puisque l’aéroport international Pearson se trouve sur notre territoire, et parce que nous devions acquérir cette expertise, car nous voyions de nouveaux arrivants venir à Peel et nous ne pouvions pas le faire… nous ne voulions pas qu’un enfant de Sudbury ou d’une autre région de l’Ontario ait une expérience différente que celle dont tiraient profit les enfants et les jeunes de notre région.

En fait, nous sommes devenus un centre d’excellence désigné par d’autres organismes d’aide à l’enfance de l’Ontario afin d’aider à l’accomplissement de ce travail. Nous commençons à voir ces changements parce que nous sommes capables de faire le travail. Ils ont parlé de l’enseignement et de la prestation de services qu’ils offrent.

Une partie du rôle du Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance est de veiller à ce que tout enfant ou jeune qui nous a quittés ait la possibilité de revenir. Nous nous sommes engagés à dire : « Si nous vous avons laissé tomber auparavant, nous serons là pour vous aider à vous orienter dans le processus. » C’est pourquoi nous défendons le projet de loi S-235, à savoir pour nous aider à faire cela et pour faciliter ce processus.

La sénatrice Moodie : À côté de vous se trouve Toronto, l’une des régions où le problème est le plus important. Dites-moi comment vous les avez aidés. Quel est le problème? Est-ce le financement? Votre message ne se répand-il pas parce que votre enseignement, votre expertise, ne leur est pas accessible? Ils sont juste à côté de vous.

Mme Mukai : Si vous me permettez de répondre à cette question, les travailleurs sociaux sont habituellement là pour effectuer du travail social, mais ils ne connaissent pas très bien les questions d’immigration. Souvent, on voit des dossiers que personne n’a examinés depuis de nombreuses années. Personne ne les a intégrés au dossier de l’enfant. Cela, honorables sénateurs, a changé. Avec la restructuration, il est maintenant obligatoire d’examiner cela et d’avoir des documents pour chaque enfant en Ontario. Je ne peux pas parler pour les autres provinces, mais nous sommes en train de changer. Nous traçons la voie.

La sénatrice Moodie : Avez-vous les données?

Mme Mukai : Je vais demander à Mme Ungara de répondre.

Mme Ungara : Nous avons certaines données, mais pas les chiffres exacts que vous espérez.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question est assez simple et complexe à la fois. Je comprends que le projet de loi vient régler certaines barrières que vous identifiez dans le système. Y a-t-il des enjeux que vous soulevez qui ne sont pas pris en compte dans le projet de loi et qui devraient l’être? Y a-t-il des éléments, des barrières que vous avez identifiés qui ne sont pas dans le projet de loi et qui pourraient y être?

C’est une question qui semble théorique, mais qui permettrait de mieux comprendre ce qui est couvert par le projet de loi, pour vous. Ma question s’adresse à l’ensemble des témoins.

[Traduction]

Mme Ungara : Merci de cette excellente question. J’aimerais beaucoup entendre les réponses de tout le monde sur la théorie.

Nous sommes toutes des travailleuses sociales autorisées qui ont des dizaines d’années d’expérience de travail auprès des enfants, et nous sommes toutes ici pour appuyer le projet de loi. Nous croyons qu’il intègre systématiquement non seulement les droits de l’enfant — c’est-à-dire les choses dont notre collègue en ligne a parlé —, mais aussi l’intérêt supérieur de l’enfant.

Je pense qu’on a parlé un peu de la question, aujourd’hui et par le passé. Nous savons que ce n’est pas une hypothèse; il s’agit d’une réalité qui est intégrée dans le projet de loi. Nous savons aussi que ce que le projet de loi tente de régler ne vise peut-être pas tous les enfants, mais qu’il vise ceux qui sont actuellement exclus. Il entend inclure les personnes les plus vulnérables qui ne sont peut-être pas déjà visées. Je pense qu’il est assez complet dans sa portée.

J’invite mes collègues à répondre également.

Mme Okai : Merci, Danielle. Le projet de loi S-235 vise à éliminer les obstacles dont nous avons parlé. S’il est adopté, je pense que les enfants faisant partie du groupe vulnérable recevront les bons services et deviendront des citoyens canadiens. En fait, le projet de loi supprime les obstacles dont nous avons parlé. Merci.

M. Hamilton : Merci, sénateur. C’est une excellente question. Ce qui pourrait être ajouté dans le projet de loi, ce sont des dispositions permettant aux enfants eux-mêmes de prendre part à cette décision ou, du moins, d’en être informés. Cela peut sembler un élément évident de ce type de processus, mais, comme il ressort des récits de survivants du système de protection de l’enfance, qui sont bien avancés dans l’âge adulte lorsqu’on leur apprend qu’ils ne sont pas des citoyens canadiens, contrairement à ce qu’ils pensaient, c’est profondément symptomatique d’une culture dans laquelle l’opinion éclairée des enfants est peu prise en compte.

Au sujet de la question posée par le groupe de témoins précédent à propos des enfants qui pourraient perdre la citoyenneté d’un autre pays afin de recevoir automatiquement la citoyenneté canadienne, l’option de leur demander est toujours présente. Pour revenir à ce que disait Me Brouwer, le fait de s’assurer qu’ils disposent de l’information nécessaire à une prise de décision éclairée serait un ajout formidable au projet de loi à l’étude.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous de votre témoignage d’aujourd’hui. J’ai deux questions. J’espère pouvoir les poser toutes les deux.

Tout d’abord, le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance dessert l’ensemble de l’Ontario. Je ne sais pas s’il existe une organisation semblable dans une autre province ou un autre territoire. Je suppose que non. Si le projet de loi était adopté, pensez-vous qu’il serait utile que le Canada envisage cette solution? Je vais situer la question dans un contexte plus large, parce que mon autre question porte sur le fait de cesser d’être pris en charge. Je me demande si votre organisation a commencé à faire ce travail, à développer cette expertise, à cause des enjeux liés au fait de cesser d’être pris en charge.

Pendant la pandémie de COVID-19, de nombreuses provinces ont apporté des changements concernant le fait de cesser d’être pris en charge. Il n’existe pas de normes nationales à ce sujet. Pourriez-vous nous dire en quoi ces changements sont liés, s’ils ont éclairé votre travail et en quoi cela pourrait être pertinent si le projet de loi est adopté?

Mme Moellenkamp : Je peux commencer. Absolument, si nous pouvions avoir une organisation nationale. J’ai fait part de cette question lorsque nous avons réuni de hauts dirigeants de partout au Canada en 2020. C’est ce qu’ils ont demandé, à savoir que, s’il y avait du financement, pourquoi le CWICE ne pourrait‑il pas faire cela à l’échelle du Canada? Nous avons travaillé avec d’autres organismes gouvernementaux qui nous ont demandé de tenir des consultations et de soutenir d’autres provinces également en raison de l’expertise que nous avons acquise. Je pense que c’est quelque chose que nous pourrions partager et qui contribuerait à la fois à l’uniformité et à la mise en œuvre.

Pour répondre à votre question sur les normes nationales concernant les enfants qui atteignent l’âge de cesser d’être pris en charge, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup voir, pour ce qui est de régler les problèmes liés à l’identité, à l’éducation, à la santé… tous les domaines où, nous le savons, nos enfants et nos jeunes, lorsqu’ils nous quittent, ne réussissent pas aussi bien que les enfants et les jeunes de la population en général. Alors, comment pouvons-nous apporter ces changements?

En Ontario, nous avons récemment apporté des changements. Nous aidons maintenant les enfants et les jeunes jusqu’à l’âge de 23 ans, en sachant que ce travail nous permet de nous assurer qu’ils ont des liens au Canada et de régler des problèmes, ce qui nous donne plus de temps pour travailler et passer du temps avec eux. Si nous pouvions avoir une certaine uniformité à cet égard et des investissements uniformes d’une province à l’autre, je pense que nous verrions des changements à l’échelle nationale pour nos enfants et nos jeunes.

Mme Okai : J’aimerais ajouter, concernant la première partie de la question, que le Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, ou le CWICE, est déjà utilisé par d’autres provinces pour de la formation. Il devient national, mais nous avançons lentement. Environ quatre provinces reçoivent déjà de la formation de notre part, des professionnels de la protection de l’enfance. Si le projet de loi est adopté, nous espérons que cette formation pourra être étendue à l’ensemble du pays.

La sénatrice Bernard : Nous nous demandons tous quelles provinces.

Mme Ungara : Il s’agit de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse, de la Saskatchewan et, plus récemment, du Manitoba.

La présidente : Nous avons ici des sénateurs de toutes les provinces et de tous les territoires.

Mme Ungara : J’ai oublié de mentionner l’Île-du-Prince-Édouard; je suis désolée.

La présidente : Il y a peut-être des moyens détournés que nous pouvons utiliser pour défendre nos intérêts.

Permettez-moi de poser la question suivante à tous nos témoins — une seule réponse par personne, s’il vous plaît — : l’Ontario et d’autres provinces du Canada ont un ombudsman des enfants qui tient le rôle particulier d’enquêter sur les plaintes et les problèmes qui peuvent être systémiques dans le système. Est-ce que l’ombudsman des enfants d’une province a publié un rapport sur cet aspect particulier de la mauvaise gouvernance, si je peux m’exprimer ainsi?

Mme Moellenkamp : Je n’ai pas vu cela, en ce qui concerne l’attention portée à cette question. Cependant, nous avons travaillé en collaboration avec notre ancien intervenant provincial sur ces questions afin de relever certains de ces défis. Lorsque nous avons mis sur pied le CWICE, ils ont fait partie du processus. Mais, comme nous l’avons entendu, il se peut qu’il y ait des problèmes de données dans ces éléments et, franchement, un manque de sensibilisation quant à la façon dont cela recoupe le système de protection de l’enfance.

Lorsqu’on ne comprend pas les répercussions et les obstacles auxquels font face les enfants et les jeunes, je ne pense pas qu’il y ait une réponse systémique plus large quant à la façon dont nous tenons les systèmes et les provinces responsables à cet égard.

La présidente : Il s’agit d’un problème typiquement canadien. On parle de services aux enfants, qui sont de compétence provinciale. On parle de responsabilité nationale. On parle d’argent et de pouvoir. J’espère que nous serons en mesure de refléter toute votre sagesse lorsque nous ferons rapport au Sénat sur ce projet de loi.

La sénatrice Petitclerc : J’ai une question simple. J’essaie d’avoir une vue d’ensemble. Ai-je raison de supposer que, si les familles des services de protection de l’enfance n’ont pas le soutien d’un centre ou autre, elles n’ont pas la responsabilité ou la motivation de s’engager dans un processus d’obtention de la citoyenneté, ou ne sont pas encouragées à le faire? Autrement dit, est-ce parce qu’elles ne sont pas au courant, ou parce que ce n’est pas leur rôle?

Mme Mukai : La question n’est pas de savoir si ces jeunes sont au courant de leur responsabilité en tant que citoyens canadiens potentiels. Le problème est qu’ils sont incapables d’accéder aux services, de comprendre les formulaires — certains d’entre eux — ou même d’avoir un ordinateur pour remplir une demande. Ils n’ont pas l’argent pour payer les 630 $ nécessaires, car un jeune qui vit dans un abribus est incapable de se procurer 630 $. Une personne qui passe d’un refuge à un divan ou d’un divan à un refuge perdra ses documents; c’est un autre problème. Ils perdent tout, et ils n’ont plus rien. Ils ne savent même pas par où commencer.

Heureusement, certains d’entre eux ont eu la chance de communiquer avec leur ancien travailleur social, même si des années se sont écoulées, et ce dernier met la personne en contact avec le CWICE.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Mme Okai : En ce qui concerne les professionnels de la protection de l’enfance, historiquement, la protection de l’enfance n’avait rien à voir avec l’immigration. C’est pourquoi ils n’en tiennent même pas compte dans les évaluations. On dit à présent qu’il faut procéder à une évaluation holistique. Si un enfant est pris en charge, ils demandent des documents. Ils voient s’ils ne sont pas citoyens. S’ils s’occupent de leurs besoins émotionnels et physiques, l’immigration doit en faire partie. C’est ce qu’il faut enseigner, et cela fait partie de la formation que nous offrons aux professionnels de la protection de l’enfance.

Maintenant, ils commencent à se pencher sur la question, et ils s’adressent au CWICE pour obtenir de l’aide et du soutien avec les services.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La présidente : Monsieur Hamilton, j’ai une question pour vous. Ce ne doit pas être un problème unique au Canada. Les mineurs immigrants ou migrants doivent faire face à des défis en Allemagne, en Suède et, bien sûr, aux États-Unis. À votre connaissance, y a-t-il d’autres pays qui s’attaquent à ce problème de la même façon que nous ou d’autres façons?

M. Hamilton : Je dirais, madame la sénatrice, que la discussion précédente a vraiment mis en lumière le problème auquel nous faisons face ici, à savoir que les services de protection de l’enfance sont souvent administrés au palier provincial ou territorial, et que nous examinons la question de l’immigration au palier fédéral.

Dans d’autres pays, l’intégration de la protection de l’enfance et de l’immigration est plus simple dans les ministères, sans parler de la structure de la Société d’aide à l’enfance que nous avons ici en Ontario, qui la décentralise davantage.

Pour répondre à votre question, pour le meilleur ou pour le pire, c’est simplifié. En ce qui concerne ce que vous avez dit au sujet des normes nationales ou de l’établissement du CWICE dans toutes les administrations, cela dépasse la portée du projet de loi, mais c’est là qu’un commissaire fédéral ou un ombudsman pour les enfants serait vraiment utile. Ce bureau pourrait servir de genre de centre d’échanges d’information sur ces questions, surtout en ce qui concerne la compétence fédérale en matière d’immigration, entre autres, mais aussi pour établir des normes uniformes. Dans le domaine des droits de l’enfant, l’absence de normes entre les provinces et les territoires est une préoccupation bien documentée lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre de la convention par le Canada.

La présidente : Je vous remercie. Je pense que nous avons entendu des arguments à la Chambre à propos de la création d’un poste d’ombudsman fédéral pour les enfants.

La sénatrice Bernard : C’est une question très importante, alors je suis heureuse d’avoir l’occasion de la poser. Le groupe de témoins précédent a parlé de la surreprésentation des enfants à la peau noire ou brune parmi ceux qui sont touchés par ces lois et, par conséquent, par ce que nous essayons de régler. Je sais que c’était l’un des enjeux du projet One Vision One Voice.

Je ne sais pas si le projet One Vision One Voice a mené à une partie de votre travail. Je ne sais pas s’ils ont pu terminer leur travail. Est-ce que certains d’entre vous aimeraient commenter cette question de la surreprésentation et des problèmes liés au racisme, et au racisme envers les Noirs en particulier?

Mme Moellenkamp : Je peux répondre. One Vision One Voice œuvre toujours en Ontario dans le but de régler les problèmes de surreprésentation. En fait, en tant que système, nous examinons les façons dont nous pouvons lutter contre le racisme envers les Noirs dans le cadre de notre modèle de prestation de services et de nos structures.

Lorsque nous parlons de racisme, c’est dans de multiples systèmes : les politiques, les lois et tout ce que nous créons. Pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine de la protection de l’enfance, lorsque nous pensons à la surreprésentation et à la disproportionnalité, nous le constatons souvent de façon directe parce que nous travaillons avec plusieurs systèmes, de l’éducation à la police en passant par les soins de santé, et tous ces éléments.

Notre travail dans le domaine de la protection de l’enfance consiste à nous demander comment défendre ces systèmes. Comment pouvons-nous commencer à changer nos modèles afin de faire les choses différemment?

J’ai parlé de certains programmes. Je peux vous donner l’exemple de Peel, où nous travaillons avec des partenaires ethnoculturels en vue de commencer à nous attaquer à ce problème. Nous avons en place des programmes en collaboration avec notre communauté noire, notre communauté sud-asiatique et notre communauté de l’Asie du Sud-Est, parce que nous devons adapter notre intervention. Nous l’avons fait à Peel, qui est un microcosme de nombreuses autres collectivités du Canada. C’est probablement l’une des collectivités les plus diversifiées au Canada. Nous commençons à voir cette gestion de la diversité s’étendre ailleurs en Ontario.

Nous avons fait de grands progrès pour ce qui est de rapatrier les enfants et les jeunes dans leur collectivité et de ne pas les placer en foyer d’accueil. Nous avons cependant entendu parler de la surreprésentation. Nous savons que les enfants et les jeunes noirs sont 2,2 fois plus susceptibles de faire l’objet d’une enquête; les enfants autochtones sont six fois plus susceptibles de faire l’objet d’une enquête. Nous avons encore ce travail à faire, et il faut que nous puissions changer le système par l’intermédiaire des structures et des politiques, mais nous devons aussi faire notre travail dans le domaine de la protection de l’enfance, et nous continuons de le faire. Nous savons que cela fait partie du travail que nous devons continuer de faire.

Quel est le lien avec la question? Quand on pense aux enfants ou aux jeunes de la collectivité, à ceux qui sont acceptés et qui ont accès aux ressources et reçoivent ce soutien, puis à ceux qui font face à des obstacles, on constate assurément qu’un nombre disproportionné d’enfants et de jeunes noirs et racisés se tournent vers ces systèmes et se heurtent à ces obstacles.

Nous devons faire mieux. Même si le travail du CWICE et de One Vision One Voice n’est pas lié, il se recoupe, parce que les enfants et les jeunes qui sont touchés proviennent souvent de collectivités semblables, et nous devons en faire plus.

M. Hamilton : Sénatrice, il y a également un problème d’attribution d’un caractère pathologique lorsqu’il s’agit non seulement de savoir quels enfants sont pris en charge par le système de protection de l’enfance, mais aussi de savoir ce que l’avenir leur réserve. En ce qui concerne le projet de loi actuel, il est évident que la question a été définie par ce droit de protection contre l’expulsion; cependant, il existe, bien sûr, des droits positifs et actifs concernant l’obtention de la citoyenneté.

La citoyenneté donne accès à de nombreux droits civils, y compris le droit de voter et de se présenter aux élections; le droit de recevoir certains types de soins de santé et de l’éducation, ainsi que d’occuper un emploi; le droit de servir dans les forces armées du pays, et ainsi de suite.

Les enfants qui grandissent dans les systèmes de protection de l’enfance du Canada méritent d’être considérés comme des êtres humains, des détenteurs de droits et de futurs Canadiens qui peuvent devenir députés, sénateurs et autres membres respectés de la société canadienne, plutôt que comme une catégorie marginalisée d’enfants ayant des droits limités, qui, en grandissant, risquent d’être condamnés au criminel et d’être expulsés.

La présidente : Voilà une merveilleuse aspiration sur laquelle mettre fin à la séance. Merci beaucoup à tous nos témoins.

J’aimerais dire une chose à la Société d’aide à l’enfance de Peel. Alors que nous étudions cette situation particulièrement troublante depuis plus de deux ans, j’ai toujours été préoccupée par le manque de reddition de comptes et de responsabilité des sociétés de protection de l’enfance, qui n’assument plus leurs responsabilités à l’égard des personnes les plus vulnérables dont elles ont la charge. Le leadership de la Société d’aide à l’enfance de Peel m’a redonné confiance. Je vous félicite pour votre leadership. Merci beaucoup à vous tous de votre présence.

(La séance est levée.)

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