LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 17 h 27 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour et bienvenue à tous. Je m’appelle Ratna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario et je suis présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Avant de commencer, je tiens à rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants les mesures préventives importantes suivantes.
Afin de prévenir les incidents acoustiques perturbateurs et potentiellement dangereux qui peuvent causer des blessures, tous les participants en personne doivent tenir leur oreillette éloignée de leur micro en tout temps.
Comme l’indique le communiqué de la Présidente qui a été transmis à tous les sénateurs le lundi 29 avril, de nouvelles mesures ont été adoptées pour prévenir les incidents acoustiques.
Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit considérablement le risque de rétroaction acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. Veuillez utiliser uniquement les oreillettes noires approuvées.
Par défaut, toutes les oreillettes non utilisées seront débranchées au début de chaque réunion.
Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la poser face contre table à l’endroit indiqué au centre de l’autocollant qui se trouve devant vous.
Vous pouvez également consulter le document sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques.
Veuillez vous asseoir de manière à assurer une distance maximale entre les micros — ce sera plus difficile aujourd’hui, mais nous devons tout de même essayer de le faire. Les participants doivent brancher leur oreillette uniquement sur la console de microphone située directement devant eux. Ces mesures ont été adoptées pour nous permettre de mener nos activités sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Je vous remercie tous de votre collaboration.
Avant de souhaiter la bienvenue aux témoins, permettez-moi de faire une mise en garde sur la teneur de cette réunion. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. Nous pourrions discuter non seulement de violence conjugale, mais également d’autres sujets sensibles, comme la violence fondée sur le sexe, le suicide et l’usage de substances et la toxicomanie. Ces sujets pourraient affecter les gens dans la salle et ceux qui regardent et écoutent la diffusion.
Tous les Canadiens peuvent obtenir du soutien en santé mentale par message texte ou par téléphone en composant le 9-8-8. Les sénateurs et les employés du Parlement peuvent également s’adresser au programme d’aide aux employés et à la famille du Sénat, où ils pourront obtenir des services de consultation à court terme sur des questions personnelles ou professionnelles et de l’aide en cas de crise.
Je présente aux témoins, qui ont attendu si longtemps, nos plus sincères excuses. Certaines choses échappent au contrôle des membres de ce comité. Nous avons six témoins. Normalement, nos réunions durent deux heures. Malheureusement, nous n’avons que 45 minutes pour celle d’aujourd’hui. Nous aurons donc très peu de temps pour entendre nos six témoins.
Chers collègues, chaque témoin fera sa déclaration de cinq minutes, et nous poserons ensuite nos questions. Les témoins ont généreusement accepté d’y répondre par écrit, et nous les en remercions sincèrement.
Les sénateurs vont d’abord se présenter aux témoins et au grand public, à commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Je vous remercie beaucoup pour votre patience. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous aujourd’hui.
La sénatrice Dasko : Je suis Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Kingston : Joan Kingston, sénatrice du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
La présidente : Passons à notre grand groupe de témoins. Nous accueillons, par vidéoconférence, M. David Stevenson, directeur général de la campagne Moose Hide; et Mme Dodie Jordaan, directrice générale de Ka Ni Kanichihk Inc. En personne, nous avons Mme Bonnie Brayton, directrice générale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada. Nous accueillons aussi Mme Brittany Jakubiec, directrice de la recherche à Egale Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence. Nous recevons également Dr Rob Whitley, professeur agrégé au département de psychiatrie de l’Université McGill; et Me Gurmat Randhawa, avocate-conseil à la Clinique juridique sud-asiatique de l’Ontario.
Je vous remercie tous de prendre le temps de nous donner votre point de vue. Nous allons commencer par les observations préliminaires du représentant de la campagne Moose Hide. Monsieur Stevenson, vous avez la parole. Chaque témoin disposera de cinq minutes.
David Stevenson, directeur général, campagne Moose Hide : Je vous remercie, madame la présidente, de me donner l’occasion de comparaître devant ce comité.
Dirigée par des Autochtones, la campagne Moose Hide est un mouvement populaire d’hommes et de garçons — et de tout Canadien — qui sont déterminés à travailler ensemble pour mettre fin à la violence fondée sur le genre, à la violence à l’égard des femmes, des enfants et de toutes les personnes qui se situent à différents points dans le continuum des genres, en mettant particulièrement l’accent sur l’élimination de la violence faite aux femmes et aux enfants autochtones.
La campagne Moose Hide a débuté en 2011, lorsque ses cofondateurs — Paul Lacerte et sa fille, Raven — participaient à leur chasse à l’orignal annuelle sur le territoire traditionnel de la Première Nation de Carrier.
Leur territoire de chasse traditionnel, qui est celui de leur famille depuis des générations, est aujourd’hui traversé par la tristement célèbre route des larmes, la route 16, dans le Nord de la Colombie-Britannique, où tant de femmes autochtones et non autochtones ont été portées disparues ou assassinées.
Ce matin-là, au bord de la route des larmes, Paul et Raven ont eu la chance d’apercevoir un orignal. Ils ont décidé d’en tanner la peau et de la découper en petits carrés. Ils ont obtenu 20 000 carrés qu’ils ont distribués avec 20 000 fiches écrites à la main sur lesquelles on pouvait lire : « Si vous portez cette épinglette en peau d’orignal, vous vous engagez à ne pas commettre d’actes de violence dans votre vie et à travailler avec d’autres hommes et garçons pour mettre fin à la violence dans nos familles et nos collectivités » et, en fait, dans la nation.
À ce jour, nous avons distribué plus de six millions d’épinglettes en peau d’orignal. Nos recherches indiquent que chaque épinglette en peau d’orignal suscite au moins cinq conversations. Cela représente au moins 30 millions de conversations qui ont lieu au Canada dans les écoles, de la maternelle à la dernière année du secondaire, chez les Premières Nations, au sein des gouvernements et des entreprises, dans les secteurs confessionnels, dans les forces de police et dans les services de soutien professionnel, pour ne nommer que quelques-uns des milieux où les épinglettes en peau d’orignal ont été distribuées.
Les épinglettes en peau d’orignal ne sont pas un insigne d’honneur et ne signalent aucune vertu particulière. Il s’agit d’un médicament lié à la terre contre un problème social qui touche tous les Canadiens. Les épinglettes en peau d’orignal offrent aux Canadiens une occasion concrète d’établir des liens et d’accroître la sensibilisation et les connaissances pour lutter contre la violence conjugale. Comme il s’agit d’un médicament traditionnel, nous promettons à jamais de les distribuer gratuitement.
Depuis 2011, nous organisons également des cérémonies annuelles à l’occasion de la Journée de la campagne Moose Hide. Celle de cette année aura lieu le 16 mai. Il s’agit d’une cérémonie au cours de laquelle nous invitons tous les Canadiens à jeûner pendant une journée et à mobiliser les membres de leurs collectivités et de leurs organisations afin d’élaborer et de prendre des mesures concrètes pour lutter contre la violence conjugale. Notre vision est qu’un jour, un million de Canadiens se joindront à nous dans ce jeûne pour mettre fin à la violence faite aux femmes, aux enfants et à toutes les personnes qui se situent à différents points dans le continuum des genres.
Comme vous le savez, la violence conjugale est désormais considérée comme une épidémie au Canada. Toutefois, contrairement à la COVID-19, il n’est pas nécessaire que des spécialistes trouvent un vaccin pour nous. Nos recherches et notre expérience nous indiquent que nous devons travailler ensemble pour offrir à tous les Canadiens la possibilité d’acquérir les connaissances, les compétences et les aptitudes nécessaires pour bâtir des familles, des collectivités et des organisations sûres et inclusives.
Dans cette optique, la campagne Moose Hide appuie le projet de loi S-249 et son appel à l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.
Étant donné que les victimes de la violence fondée sur le genre sont généralement des femmes — et, de manière disproportionnée, des femmes autochtones —, cette stratégie doit refléter les engagements pris par le Canada de travailler avec les peuples autochtones pour faire face à la crise et elle doit permettre d’y donner suite.
Notamment, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées engagent le gouvernement canadien à travailler avec les peuples autochtones pour élaborer et mettre en œuvre un plan d’action national visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones.
En outre, l’article 22.2 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada est maintenant légalement tenu de respecter, nous oblige à :
[...] [prendre] des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.
Enfin, la stratégie nationale devrait intégrer et soutenir les efforts continus qui sont déployés dans le cadre d’initiatives locales dirigées par des Autochtones qui aident les Canadiens à prendre des mesures concrètes de lutte contre la violence conjugale.
De nombreuses initiatives locales dirigées par des Autochtones permettent d’accomplir ce travail important. Nous sommes fiers que la campagne Moose Hide soit l’une d’entre elles. Une stratégie nationale peut contribuer à mobiliser la société contre la violence conjugale en soutenant ces initiatives.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous donner plus de détails.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Stevenson. Nous passons maintenant à Mme Dodie Jordaan.
Dodie Jordaan, directrice générale, Ka Ni Kanichihk Inc. : Merci.
« Ka Ni Kanichihk » est un mot en cri qui signifie « ceux qui dirigent ». Notre organisation offre des programmes et des services adaptés à la culture qui sont axés sur la plénitude et le bien-être et qui s’appuient sur les forces et la résilience des peuples autochtones. Nous le faisons pour aider nos gens à s’aider eux-mêmes, établir des relations saines et créer un avenir durable pour notre collectivité.
Ka Ni Kanichihk utilise une approche de décolonisation pour améliorer la santé et le bien-être des Autochtones et transformer les relations sociales. Dans un cadre sécurisant sur le plan culturel, Ka Ni Kanichihk offre une gamme de programmes et de services à court et à long terme, principalement aux Autochtones.
On sait que trop de femmes autochtones continuent de subir diverses formes de violence : marginalisation économique, dépossession culturelle, lois institutionnelles patriarcales, violence sexuelle et violence fondée sur la race. La conséquence la plus extrême est la disparition et l’assassinat de femmes, de filles et de personnes bispirituelles autochtones dont nous sommes au courant aujourd’hui. Cette situation est exacerbée par la double culture du blâme et de l’indifférence qui continue de prévaloir.
Au Canada, les femmes autochtones ont cinq fois plus de risques que les autres femmes du même âge de mourir des suites de violences. Les femmes et les filles autochtones — les enfants — sont 12 fois plus susceptibles d’être assassinées ou portées disparues que toute autre femme au Canada, et 16 fois plus que les femmes blanches.
Au Canada, les coûts annuels des dépenses directes liées à la violence contre les femmes ont été estimés à 684 millions de dollars pour le système de justice pénale, 187 millions de dollars pour les services de police et 294 millions de dollars pour le counselling et la formation, soit plus de 1 milliard de dollars par année au total.
Les Autochtones ont toujours su ce que les études confirment aujourd’hui — si nous voulons réduire et éliminer la violence, il faut rétablir le statut et le rôle des femmes autochtones. Les connaissances culturelles et la réappropriation de la culture sont fondamentales à cet égard.
Les rapports qui ont été publiés au Manitoba, comme ceux sur Phoenix Sinclair, en 2014, et sur Tina Fontaine, en 2019, le rapport intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et bien d’autres rapports — ainsi que les recommandations qu’ils contiennent — mettent en évidence le fait qu’il est urgent d’accélérer le processus de réappropriation culturelle. Parmi les raisons sous-jacentes, il y a les pertes culturelles profondes, notamment le rôle amoindri des femmes et des enfants. Si le savoir culturel autochtone n’avait pas été si durement touché, les choses auraient été bien différentes et il n’y aurait pas aujourd’hui près de 10 000 enfants autochtones pris en charge par l’État.
Au Manitoba, le procès du tueur en série Jeremy Skibicki, qui est en cours, montre bien que les femmes autochtones sont prises pour cible — et pourquoi. La violence faite aux femmes découle des rapports de force inégaux entre les hommes et les femmes qui existent au sein de la société. Dans un contexte plus large, les relations d’inégalité dans le milieu politique, le domaine de la religion, les médias et les normes culturelles discriminatoires perpétuent la violence contre les filles et les femmes.
La violence à l’égard des femmes est un problème mondial qui ne touche pas qu’un groupe spécifique de femmes dans la société. Toutefois, la violence peut prendre des formes différentes en fonction de facteurs comme l’orientation sexuelle, la religion, l’origine ethnique, la classe sociale, l’âge et la nationalité. Il est important de souligner que les femmes immigrantes et autochtones sont encore plus marginalisées en raison du racisme, qui contribue à la violence et qui est intériorisé par les personnes marginalisées, ce qui restreint leur pouvoir sur les plans social et personnel. La pauvreté, le fait d’être isolé de la famille et des amis, les difficultés linguistiques et l’itinérance contribuent également à la victimisation des femmes les plus vulnérables de la société.
En résumé, Ka Ni Kanichihk soutient les efforts que déploie le Sénat dans le but d’élaborer une stratégie pour la prévention de la violence conjugale, en incluant les adultes, les jeunes et les enfants vivant dans des foyers, mais souligne que cette stratégie doit considérer les femmes autochtones comme des titulaires de droits tout à fait capables de définir et de mettre en œuvre une stratégie sûre.
En outre, nous avons des réserves au sujet de l’alinéa 3(2)d) :
l’obligation des professionnels de la santé de signaler à la police les actes de violence conjugale qui, à leur avis, auraient été subis par leurs patients;
Des études montrent que de telles obligations réduisent considérablement la probabilité que les personnes demandent de l’aide et peuvent aggraver la situation de bon nombre d’entre elles. Il existe également des différences importantes dans les services et les interventions en fonction de l’identité sexuelle, de la race et de l’origine ethnique — en particulier pour les femmes autochtones.
Cette situation soulève un certain nombre de préoccupations pour de nombreuses victimes de violence et explique pourquoi elles choisissent de ne pas signaler les actes de violence qu’elles subissent à la police. Parmi les facteurs, il y a l’augmentation de la violence, qui multiplie les risques que la victime soit assassinée par l’agresseur; l’intervention des services à l’enfance et à la famille; les répercussions sur sa situation économique, dont la perte d’emploi ou l’itinérance; l’intervention des tribunaux et de la justice, etc.
Nous devons insister sur la recommandation 4.5 qui figure dans les 231 appels à la justice :
Nous demandons à tous les gouvernements d’établir un programme de revenu annuel garanti pour tous les Canadiens, y compris les Autochtones, afin qu’ils puissent répondre à tous leurs besoins sociaux et économiques. Ce revenu doit tenir compte des divers besoins, réalités et emplacements géographiques.
Le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées doit servir de référence pour l’élaboration d’une stratégie visant à prévenir la violence conjugale.
Merci.
La présidente : Nous passons maintenant à Mme Bonnie Brayton, directrice générale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada.
Bonnie Brayton, directrice générale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Merci au comité de nous avoir invités à prendre la parole aujourd’hui. Je suis heureuse d’être ici avec vous sur le territoire algonquin anishinabe non cédé.
Depuis la dernière fois que j’ai témoigné devant ce comité, de nouvelles données de Statistique Canada ont confirmé que 30 % de toutes les femmes au Canada vivent avec un handicap — soit près d’un tiers des femmes à l’heure actuelle. Je suis sûre que vous savez, compte tenu des comparutions précédentes du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada et de l’information que vous avez examinée auparavant, que cela signifie qu’un tiers de la population est très mal desservi à bien des égards, en particulier lorsqu’on parle de violence conjugale. Je vous rappelle que l’oppression croisée fait en sorte que pour les femmes noires et autochtones et les personnes LGBTQ, les taux de handicap sont plus élevés.
Les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre sont vulnérables à la violence, y compris au contrôle coercitif, en raison du manque d’options en matière de soins et de moyens de subsistance, des obstacles à l’indépendance financière et du capacitisme systémique qui limite souvent leur pouvoir de décision et leur autonomie.
Au Canada, les taux de victimisation sous diverses formes sont plus élevés chez les filles et les femmes handicapées que chez les hommes et les garçons handicapés et les personnes non handicapées. Fait important, la forme de violence la plus courante qu’elles subissent est le contrôle coercitif. Plus de la moitié des femmes et des filles handicapées auront subi une forme ou une autre de contrôle coercitif au cours de leur vie. Parmi les filles handicapées, 40 % ont subi de la violence physique ou sexuelle avant l’âge de 15 ans.
Ce constat est particulièrement préoccupant étant donné qu’il y a un lien entre la violence subie dans l’enfance et la victimisation ultérieure. Les mêmes données révèlent que les femmes atteintes de troubles cognitifs ou de troubles de santé mentale sont quatre fois plus susceptibles d’avoir subi de la violence que les femmes non handicapées.
La criminalisation du contrôle coercitif — si elle est établie à partir des expériences des personnes les plus marginalisées — peut rendre justice aux diverses personnes handicapées survivantes. Nous vous encourageons donc à en faire un thème important de vos réflexions.
Il est essentiel d’élargir les notions de violence conjugale. Le terme « violence conjugale » ne permet pas de saisir la dynamique de la violence fondée sur le genre que subissent des filles et des femmes handicapées.
La définition actuelle de la notion de « personnes qui entretiennent un lien » exclut de nombreuses personnes qui exercent un contrôle coercitif sur des femmes et des filles handicapées et ne tient pas compte des lieux où le contrôle coercitif est exercé.
Nous avons cinq recommandations. La première consiste à élargir les notions de violence conjugale. Nous devons élargir la définition actuelle de « personnes qui entretiennent un lien » pour y inclure les personnes avec lesquelles les femmes et les filles handicapées sont dans une relation de dépendance, de confiance et de pouvoir. Ces personnes peuvent restreindre considérablement l’indépendance et l’autonomie des femmes et des filles handicapées, ce qui leur cause un préjudice considérable. Les femmes âgées en sont un exemple. Il peut s’agir de leurs fils, de leurs neveux et de leurs frères qui peuvent, par exemple, contrôler leurs finances ou être chargés de les conduire à des rendez-vous médicaux ou à des activités sociales.
De nombreuses femmes handicapées ont également besoin d’aide pour les tâches quotidiennes, qui est fournie par des aidants officiels ou informels. Compte tenu de la crise actuelle des soins au Canada, où le manque de personnel soignant signifie que les personnes handicapées ont très peu d’options quant à ceux qui peuvent leur prodiguer des soins, elles ont souvent de nombreux besoins non comblés.
Les femmes qui vivent dans des établissements collectifs, comme les centres d’hébergement et les foyers de groupe, sont particulièrement exposées au contrôle coercitif.
Nous demandons instamment à votre comité et au comité de la justice d’élargir la définition des « personnes qui entretiennent un lien » afin d’inclure les soignants officiels et informels ou les parents qui vivent en dehors du même ménage, ainsi que des lieux tels que les centres de soins et d’autres établissements. Un bon exemple de ce type de libellé se trouve à l’article 153.1 du Code criminel, concernant l’exploitation sexuelle des personnes handicapées, qui stipule que :
Toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’une personne ayant une déficience mentale ou physique ou à l’égard de laquelle celle-ci est en situation de dépendance…
Encore une fois, il s’agit d’un élément très important à prendre en compte.
Notre deuxième recommandation porte sur la définition du terme « violence ».
Le projet de loi S-249 doit inclure une définition de la violence qui indique que la violence fondée sur le genre est un concept en évolution qui prend de nouvelles formes dans des contextes émergents. Lorsque nous regardons le chemin parcouru pour comprendre la discrimination intersectionnelle, il est évident qu’il faut repenser certains des termes et concepts traditionnels que nous avons utilisés. Plus précisément, nous plaidons vigoureusement pour l’inclusion d’exemples spécifiques de violence fondée sur le genre subie par les femmes et les filles handicapées, étant donné que les formes spécifiques de violence fondée sur le genre qu’elles subissent ne sont souvent pas prises en compte dans les définitions classiques de la violence fondée sur le genre.
Si l’on m’en donne le temps, je m’expliquerai davantage.
Je passe maintenant à la troisième recommandation, qui consiste à s’engager explicitement à collaborer avec des victimes, des prestataires de services et des organismes de défense divers.
Les consultations doivent commencer par assurer une participation significative des groupes de victimes — les survivantes — qui connaissent les taux les plus élevés de multiples formes d’abus, de violence et de discrimination, ainsi que des obstacles importants à l’accès aux soins, aux services et à la justice.
Les différents groupes de victimes — les survivantes — ont des expériences diverses de la violence fondée sur le genre et ont donc des besoins spécifiques dont il faut tenir compte pour évaluer les réponses adéquates. Il convient également de préciser que les consultations porteront également sur les notions d’accessibilité et d’inclusion pour les diverses femmes et filles.
En ce qui concerne les recommandations 4 et 5, l’examen après deux ans doit comprendre de véritables consultations en continu avec des victimes, des prestataires de services et des organismes de défense divers.
Enfin, il est urgent de disposer de données et de rapports désagrégés plus récents pour étayer les politiques et l’engagement du Canada à mettre pleinement en œuvre le plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe au Canada.
Merci. Meegwetch.
La présidente : Merci, Madame Brayton. Nous allons maintenant entendre Brittany Jakubiec, de la direction de la recherche à Egale Canada.
Brittany Jakubiec, direction de la recherche, Egale Canada : Merci et bonsoir.
Egale est une organisation nationale pour les personnes et les enjeux 2ELGBTQI+. Nous améliorons la vie des personnes 2ELGBTQI+ par la recherche, l’éducation, la sensibilisation et la défense des droits de la personne et de l’égalité au Canada et dans le monde.
Nous vous remercions d’avoir invité Egale à participer à cette réunion du comité sur le projet de loi S-249.
La violence entre partenaires intimes est un problème auquel sont confrontées les personnes 2ELGBTQI+ au Canada et dans le monde. Il est nécessaire de faire plus de sensibilisation à ces questions, car les expériences de VPI peuvent avoir un impact sur le travail, la santé et la qualité de vie des personnes queer, trans et non binaires. Il existe également des formes uniques de VPI qui affectent les personnes 2ELGBTQI, notamment la violence identitaire, la VPI spécifique aux transgenres et la violence à l’égard des personnes âgées.
Le mémoire que nous avons soumis souligne les taux de VPI parmi les femmes des minorités sexuelles, les personnes trans, les hommes gais et bisexuels ayant des rapports sexuels avec des hommes et les adultes plus âgés, ainsi que la violence dans les fréquentations amoureuses parmi les jeunes 2ELGBTQI+. Cependant, en général, il manque de données de recherche sur ces expériences, et un soutien et des programmes inadéquats pour les victimes 2ELGBTQI+ de la VPI et de la violence dans les fréquentations amoureuses.
Nous savons également que les expériences de VPI sont aggravées et exacerbées pour les personnes 2ELGBTQI+ autochtones, racisées et handicapées et qu’il existe des facteurs de risque et des expériences de VPI uniques chez les jeunes et les adultes plus âgés 2ELGBTQI+. Par exemple, l’abus financier et le contrôle coercitif sont les types d’abus les plus courants signalés par les adultes plus âgés, et les jeunes 2ELGBTQI+ pourraient être moins enclins à divulguer des expériences de violence dans les fréquentations amoureuses s’ils n’ont pas partagé leur identité de genre ou leur orientation sexuelle, car cela révélerait à la fois l’identité du jeune et ses expériences de violence dans les fréquentations amoureuses.
Il faut souligner que certaines populations sont confrontées à des taux plus élevés de violence de la part d’un partenaire intime. Par exemple, les femmes issues de minorités sexuelles subissent des taux de violence disproportionnés par rapport aux femmes hétérosexuelles. Dans une étude canadienne, 67 % des femmes lesbiennes, gaies ou bisexuelles avaient subi au moins un type de VPI, contre 44 % des femmes hétérosexuelles. En outre, les femmes bisexuelles sont encore plus exposées à la VPI, les incidents signalés étant plus nombreux lorsqu’elles sont en couple avec un homme.
Un autre exemple est la VPI chez les personnes trans et non binaires, qui sont plus susceptibles d’être victimes de VPI que leurs homologues cisgenres, les taux de VPI étant particulièrement élevés chez les femmes trans. Les personnes transgenres sont également vulnérables à la VPI spécifique aux transgenres, un type de violence unique par lequel les auteurs exploitent et instrumentalisent la transphobie sociétale, rendant ainsi leurs paroles et leurs actes plus nocifs.
En ce qui concerne les impacts de la VPI sur les personnes 2ELGBTQI+, d’une manière générale, les expériences de VPI peuvent entraîner une détérioration de l’état de santé et de la santé mentale, des impacts sur l’emploi tels que la perte d’emploi, des épisodes de pauvreté, ainsi que de logement précaire et d’itinérance.
Compte tenu de la prévalence et des facteurs de risque uniques de la VPI et de la violence dans les fréquentations amoureuses chez les personnes 2ELGBTQI+ au Canada, Egale appuie l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la VPI et recommande un amendement au projet de loi pour inclure une référence aux populations les plus touchées par la VPI, y compris les personnes 2ELGBTQI+, afin que toute stratégie nationale puisse inclure, traiter et prendre en compte les expériences de ceux qui font face à des taux plus élevés de VPI.
J’appuie également les recommandations partagées jusqu’à présent par les témoins experts au cours de la réunion d’aujourd’hui concernant la mise de l’avant des recommandations du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que la recommandation d’une consultation véritable des victimes survivantes et des prestataires de services. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Vient ensuite le Dr Rob Whitley, professeur agrégé, Département de psychiatrie, Université McGill.
Dr Rob Whitley, professeur agrégé, Département de psychiatrie, Université McGill : Madame la présidente et honorables sénateurs, bonsoir. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.
Je viens ici avec un message simple et clair : la violence entre partenaires intimes à l’encontre des hommes est un problème réel, fréquent et pourtant complètement ignoré au Canada. J’implore le comité de prendre ce phénomène très au sérieux lors de son étude du projet de loi.
Selon une enquête menée en 2019 par Statistique Canada, 2,7 % des hommes ont été victimes de violence de la part d’un partenaire intime au cours des cinq années précédentes, soit environ 280 000 hommes. Cette enquête et d’autres données indiquent que les hommes représentent environ un tiers de toutes les victimes de VPI.
La recherche indique que les formes de violence les plus courantes subies par les hommes sont les coups de pied, les morsures et les gifles, mais aussi les coups de poing, les agressions sexuelles et les agressions armées.
Certains de mes collègues chercheurs ont recueilli des témoignages d’hommes victimes dont la lecture est poignante. J’aimerais en citer quelques-uns.
Un homme victime a déclaré que la violence d’un partenaire intime « … m’a laissé avec une perte de vision d’un œil, un SSPT et un traumatisme cérébral ».
Un autre a dit :
J’ai essayé de me tuer… J’ai pris tous les somnifères que j’ai pu trouver, j’ai bu un peu et j’étais content que ce soit fini.
Cette violence est un facteur de risque pour les problèmes de santé mentale dont la prévalence est élevée chez les hommes, notamment l’abus d’alcool, le syndrome de stress post-traumatique et la suicidalité.
Fait inquiétant, les recherches montrent que les hommes victimes de violence conjugale sont souvent traités comme s’ils étaient atteints d’une pathologie et parfois considérés avec suspicion par les organismes mêmes qui devraient les aider. Par exemple, d’après les recherches du professeur Don Dutton de l’Université de la Colombie-Britannique, plus de la moitié des hommes qui ont appelé la police ont déclaré avoir été traités comme l’auteur de la violence plutôt que comme la victime. D’autres recherches montrent que les victimes masculines sont souvent méprisées, ridiculisées ou traitées de menteurs par les professionnels de la santé et par la police.
Je vous présente d’autres témoignages de victimes masculines. Un homme a déclaré : « J’ai appelé une ligne d’aide aux victimes de violence conjugale, et on m’a dit que c’était ma faute! »
Un autre a dit :
Je l’ai dénoncée à la police. La police m’a demandé ce que j’avais fait pour mériter qu’elle me batte. J’ai dit que je n’avais rien fait; la police a répondu que c’était peu probable.
Un autre a tout simplement dit : « [...] la police, elle a ri. »
Il n’est donc pas étonnant que les études montrent que moins de 20 % des victimes masculines signalent les actes de violence à la police ou à un professionnel de la santé, ce qui signifie que d’innombrables hommes souffrent en silence partout au Canada.
Ces attitudes et comportements stigmatisants contribuent peut-être à l’absence totale de services, de programmes et de soutien pour les hommes victimes de violence conjugale. Selon un rapport publié en 2020 par l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels — qui a témoigné, je crois, devant le comité la semaine dernière —, seulement 3 % des refuges pour les victimes de violence se mettent au service des hommes, et à ma connaissance, aucun établissement au Canada ne vient en aide uniquement aux hommes.
Le rapport dit aussi :
Les ressources à la disposition des survivants masculins sont peu nombreuses, et des hommes ont été traumatisés davantage par leur tentative d’obtenir de l’aide.
On y ajoute :
Lorsque les hommes demandent de l’aide, ils sont parfois traités avec méfiance, et les fournisseurs de services ne sont pas toujours outillés pour prendre en charge leurs traumatismes.
Honorables sénateurs, je tiens à souligner que je ne suis pas en train de vous faire part de mon opinion subjective; je ne fais que vous présenter des données et des témoignages tirés de sources valables et fiables, y compris Statistique Canada et le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, ainsi que les résultats de recherches évaluées par des pairs financées par le gouvernement canadien. Tous les résultats convergent.
Compte tenu des données que je vous ai présentées, il est impératif que toute nouvelle stratégie nationale soit inclusive et qu’elle soit axée à la fois sur les victimes masculines et féminines. Elle doit inclure des objectifs et des mesures spécifiques pour les hommes.
Premièrement, la situation exige d’accroître le soutien offert aux hommes victimes de violence conjugale, sans porter atteinte au soutien apporté actuellement aux femmes. Il pourrait s’agir d’augmenter le financement des refuges qui accueillent et des hommes et des femmes, ainsi que d’améliorer les soins tenant compte des traumatismes à l’intention des hommes.
Deuxièmement, il est urgent de sensibiliser et de former les principaux intervenants, tels que les policiers, les prestataires de soins de santé et les magistrats, par rapport aux réalités de la violence conjugale envers les hommes, ainsi qu’aux expériences communes négatives vécues par les victimes masculines aux mains de la police et de l’appareil judiciaire. On pourrait ainsi briser les préjugés nuisibles et les stéréotypes injustes.
Troisièmement, il faut axer davantage de recherches et de mesures sur l’élaboration, l’évaluation et la diffusion de programmes de prévention destinés aux autrices de violence conjugale. Les programmes actuels sont presque exclusivement axés sur les hommes hétérosexuels.
Pour conclure, je ne demande pas du tout que l’argent réservé au soutien offert aux femmes soit affecté plutôt au soutien apporté aux hommes. Si je vous parle des hommes, c’est pour combler une lacune, car je sais que nombre d’autres témoignages et mémoires porteront sur les femmes. Je ne demande pas que les ressources soient divisées également. Je demande simplement d’élargir les services, d’accroître la sensibilisation et de créer des programmes novateurs pour venir en aide aux victimes masculines, qui sont souvent oubliées.
En somme, j’appuie le projet de loi, mais je répète que toute stratégie efficace et inclusive doit être axée sur les victimes et masculines et féminines. Merci.
La présidente : Merci, docteur Whitley. Je donne maintenant la parole à notre dernière témoin, mais non la moindre : Me Randhawa, de la SALCO.
Me Gurmat Randhawa, avocate-conseil, Clinique d’aide juridique pour la communauté sud-asiatique de l’Ontario : Bonsoir, madame la présidente, honorables membres du comité. Je m’appelle Gurmat Randhawa et je suis ici au nom de la Clinique d’aide juridique pour la communauté sud-asiatique de l’Ontario, ou la SALCO.
La SALCO est une clinique d’aide juridique qui travaille auprès de personnes originaires d’Asie du Sud à faible revenu en Ontario. Durant les 10 dernières années seulement, nous avons travaillé directement avec un peu plus de 3 700 clients victimes de violence conjugale dans divers domaines du droit, dont le maintien du revenu, la famille, l’immigration et le logement. Depuis 2020, soit depuis 4 ans, nous avons remarqué une augmentation constante de 15 à 25 % par année du nombre de cas de violence conjugale.
Grâce à notre travail, nous savons que les personnes sans statut d’immigration ou dont le statut d’immigration est précaire sont extrêmement vulnérables à la violence conjugale, et qu’en même temps, elles ont un accès limité aux services de soutien en matière de logement, de revenu et de santé. Le manque de ressources et d’infrastructures sociales force les clients à demeurer dans des situations où ils subissent de la violence conjugale.
La SALCO appuie le projet de loi S-249, mais nous recommandons d’y apporter des amendements. Nous recommandons d’abord qu’il soit amendé afin de créer un plan d’action, inscrit dans la loi, visant à prévenir la violence conjugale. Les consultations sont essentielles pour apporter des changements. Toutefois, une stratégie qui est élaborée à partir de consultations, mais qui ne prévoit pas de mécanismes de reddition de comptes pour veiller à son application a peu d’incidence.
Nous recommandons aussi que les consultations proposées dans le projet de loi soient ouvertes aux victimes et aux survivants de la violence conjugale qui voudraient y participer. La consultation des personnes qui ont fait face à la violence conjugale devrait être au cœur de ce processus.
En outre, nous recommandons que le projet de loi S-249 prévoie obligatoirement, en plus de la consultation, une analyse documentaire des centaines de recommandations formulées par le gouvernement, la police et la société civile, par exemple dans le cadre du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Nous espérons que cette analyse orientera les consultations proposées dans le projet de loi.
Nous recommandons également d’amender l’alinéa 3(2)a) afin d’énumérer certains des systèmes essentiels que nous considérons comme inadéquats, dont les soins de santé, le logement, le soutien du revenu et le soutien juridique. C’est à ces égards que nous voyons le plus souvent des problèmes chez nos clients, surtout chez ceux qui n’ont pas de statut d’immigration ou dont le statut d’immigration est précaire.
De plus, nous recommandons de supprimer l’alinéa 3(2)d), qui porte sur la consultation relative aux obligations en matière de déclaration. Nous constatons dans de nombreux cas que la déclaration de l’incident à la police sans le consentement de la victime ou du survivant entraîne une escalade de la violence. Dans certains cas, la victime ou le survivant est même placé en détention par les services d’immigration et expulsé du pays. Il arrive aussi parfois que la déclaration entraîne une double accusation; la victime ou le survivant est aussi inculpé en fonction des déclarations faites par l’agresseur. Par ailleurs, les obligations en matière de déclaration contribuent à la surreprésentation des personnes racisées et autochtones au sein du système de justice pénale du Canada.
Dans les faits, nous voyons de bien meilleurs résultats, par exemple, quand les professionnels de la santé fournissent des renseignements et offrent des ressources aux victimes en privé et qu’ils les laissent décider de ce qu’elles veulent faire. Si la consultation liée à cet alinéa a lieu, il est essentiel de tenir compte des conséquences prévues et imprévues des déclarations à la police, en particulier pour les communautés noires, racisées et autochtones.
Dans le cadre de notre travail, nous continuons de constater que le filet de sécurité auquel ont accès les victimes qui envisagent de quitter leur agresseur est inadéquat. Environ 55 % de nos clients victimes de violence conjugale choisissent de rester dans cette situation parce que les systèmes actuels ne répondent tout simplement pas à leurs besoins. Les insuffisances des systèmes en place se multiplient en présence de vulnérabilités intersectionnelles, comme le statut d’immigration, la pauvreté, les problèmes de santé, les barrières linguistiques ou culturelles, et plus encore. Nous le voyons constamment.
En conclusion, le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais pour que les consultations portent des fruits, il est essentiel d’examiner attentivement les véritables obstacles auxquels les victimes font face. Les consultations proposées doivent être ouvertes aux perspectives de diverses communautés. Elles doivent également tirer parti du travail exceptionnel accompli au fil des années dans le cadre du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe et d’autres initiatives de la société civile. Ainsi, nous pourrons créer des ressources et des services qui offrent de la protection et qui favorisent la prévention. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Maintenant, nous allons procéder d’une manière inhabituelle. Il nous reste environ 10 minutes. Je vais demander à mes collègues de poser leurs questions. Chères collègues, je vous prie de préciser si votre question s’adresse à tous les témoins ou à un témoin en particulier.
Je remercie encore une fois les témoins d’avoir accepté de déployer des efforts supplémentaires pour nous fournir leurs réponses par écrit. Mesdames et messieurs, je vous assure que vos réponses seront consignées dans les dossiers du comité et dans les « annales de l’histoire », pour ainsi dire. Vos voix seront entendues. Il aurait été préférable de procéder autrement, mais je n’ai pas d’autres choix.
Chères collègues, je vous invite à poser vos questions.
La sénatrice Moodie : Ma question porte sur les jeunes. La violence conjugale ne touche pas seulement les adultes; les adolescents peuvent aussi subir de la violence aux mains de leurs partenaires amoureux. Des études montrent que les jeunes qui ont été interrogés ont été victimes de violence psychologique, de cyberviolence et de violence physique dans leurs fréquentations amoureuses. Le projet de loi tient-il adéquatement compte des expériences des jeunes? Faudrait-il y apporter des amendements afin qu’il réponde mieux à leurs besoins?
La présidente : Merci, sénatrice Moodie. Je précise que nous vous enverrons la transcription intégrale de la réunion; vous n’êtes donc pas obligés de tout noter ni de retenir toutes les questions.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence. Ma question s’adresse au premier groupe de témoins, les représentants de la campagne Moose Hide et de Ka Ni Kanichihk. En vertu du projet de loi S-249, le ministre doit mener des consultations pour légiférer sur l’obligation des professionnels de la santé de signaler à la police les actes de violence conjugale qui, à leur avis, auraient été subis par leurs patients.
Toutefois, le projet de loi ne définit pas le terme « professionnel de la santé ». L’appel à l’action no 22 de la Commission de vérité et réconciliation demande au :
« [...] système de soins de santé canadien de reconnaître la valeur des pratiques de guérison autochtones et d’utiliser ces pratiques dans le traitement des patients autochtones [...] »
Si les guérisseurs autochtones sont reconnus comme des professionnels de la santé, à vos yeux, l’obligation des professionnels de la santé de signaler à la police les actes de violence conjugale qui, à leur avis, auraient été subis par leurs patients pourrait-elle avoir des conséquences imprévues?
La sénatrice Petitclerc : Ma question est pour Mme Brayton. Je remercie tous les témoins de leur souplesse et des réponses qu’ils nous fourniront par écrit. Nous savons que les femmes handicapées sont plus souvent victimes de violence conjugale. Nous savons aussi que dans tous les cas de violence conjugale, il y a des obstacles à la déclaration. Je soupçonne que c’est particulièrement vrai chez les femmes en situation de handicap. Ma question est la suivante : comment pouvons-nous trouver des solutions pour lever les obstacles potentiels associés directement aux handicaps? Je pense, par exemple, à l’accessibilité des refuges et aux besoins liés aux soins personnels. La réponse ne se trouve peut-être pas dans le projet de loi, mais dans une stratégie éventuelle. Dans quelle mesure est-il important que la stratégie élimine les obstacles pour les femmes en situation de handicap?
La présidente : Je sais que les témoins voudraient répondre immédiatement, mais il faudra attendre.
La sénatrice Cordy : Je vais essayer de poser deux questions. La première est pour le M. Whitley. Vous avez parlé des problèmes causés par le manque de refuges réservés aux hommes. Quelles réactions les hommes qui signalent des actes de violence conjugale suscitent-ils auprès des autorités et quels défis doivent-ils affronter?
Ma deuxième question concerne la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse, la province que je représente. Dans son rapport, elle souligne que la Nouvelle-Écosse et le Canada font face à une épidémie de violence conjugale. D’après vous, le problème est-il en train de prendre l’ampleur d’une épidémie au Canada? Vous avez tous présenté des premières mesures à prendre pour l’enrayer, s’il s’agit bel et bien d’une épidémie. Certes, les données que vous avez présentées ce soir montrent que si ce n’est pas encore une épidémie, c’est près de le devenir.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse aussi à M. Whitley et concerne la violence faite aux hommes. Avez‑vous déjà pensé à une stratégie, même en dehors du projet de loi, justement pour former les professionnels de la santé, et surtout le corps policier, afin que lorsqu’ils reçoivent des appels de la part des hommes, ils sachent que cela existe? Avez-vous pensé à une stratégie pour les informer de cela?
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à tous les témoins. Durant son témoignage, la représentante de Femmes et Égalité des genres Canada, ou FEGC, nous a parlé des ressources que le ministère a consacrées à la violence fondée sur le sexe. J’aimerais vous demander si, à votre avis, le projet de loi S-249 ajoute aux ressources déjà affectées soit à cet enjeu particulier, soit au dossier dans son ensemble. Ajoute-t-il ou enlève-t-il quelque chose aux efforts déjà déployés? J’aimerais savoir ce que vous en pensez, compte tenu des programmes et des fonds que le gouvernement fédéral a déjà mis en place. Vos réponses peuvent être brèves. Elles ne doivent pas être très longues et elles devraient porter spécifiquement sur le projet de loi S-249.
La présidente : Ma question est brève. Elle porte sur l’alinéa 3(2)c) du projet de loi, qui oblige plusieurs intervenants — les établissements de soins de santé, les médecins et les infirmiers praticiens — à donner aux patients des renseignements sur l’accès à de l’aide juridique. Nous savons tous qu’il est difficile d’obtenir de l’aide juridique et que le système d’aide juridique est surchargé. Selon vous, cette recommandation est-elle raisonnable? La proposition est-elle réalisable?
Merci.
La sénatrice Kingston : Je suis ici au nom d’un autre sénateur. J’ai deux questions écrites. Puis-je les présenter au comité, madame la présidente? Il y en a une pour le Dr Whitley et une pour Brittany Jakubiec. Elles sont écrites. Est-ce que je devrais vous les envoyer, est-ce que je devrais en lire une ou est-ce que je devrais les lire toutes les deux?
La présidente : Notre temps est écoulé; je vous demanderais donc de les lire rapidement pour les consigner au compte rendu.
La sénatrice Kingston : Docteur Whitley, à la lumière des données de Statistique Canada que vous avez présentées, à votre avis, faudrait-il amender le projet de loi S-249 de sorte que les hommes soient nommés explicitement comme des victimes de violence conjugale pour veiller à ce que la stratégie nationale tienne compte des besoins et des réalités qui leur sont propres et y répondent?
Brittany Jakubiec, selon vous, quel amendent pourrait être apporté au projet de loi S-249 pour inclure la mention des personnes 2ELGBTQI+, y compris les hommes homosexuels, les hommes bisexuels et les autres hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes? Ces populations, qui sont parmi les plus touchées par la violence conjugale, devraient-elles être nommées explicitement dans le projet de loi?
La présidente : Encore une fois, je remercie sincèrement les témoins d’abord d’avoir fait preuve de patience, ensuite de mettre leur expertise à notre disposition, et finalement de déployer des efforts supplémentaires aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissante. Au nom de l’ensemble de mes collègues, je vous remercie vivement.
(La séance est levée.)