LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président de ce comité. J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : d’abord, la vice-présidente de ce comité, la sénatrice Miville-Dechêne. Nous avons également avec nous ce soir le sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Dasko, de l’Ontario; le sénateur Dawson, du Québec; le sénateur Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador; la sénatrice Galvez, du Québec; la sénatrice Simons, de l’Alberta; la sénatrice Sorensen, de l’Alberta.
Nous nous réunissons pour continuer notre étude de l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.
[Traduction]
Nous avons le plaisir d’accueillir ce soir, du Conseil des académies canadiennes, M. Scott Vaughan, président du Comité d’experts sur la résilience aux catastrophes face aux changements climatiques, M. Jérôme Marty, directeur de projet et, de la Canada West Foundation, M. John Law, agrégé supérieur. Bienvenue et merci de vous joindre à nous virtuellement.
Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de M. Marty, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Monsieur Marty, vous avez la parole.
Jérôme Marty, directeur de projet, Conseil des académies canadiennes : Merci beaucoup. Malheureusement, M. Vaughan s’est heurté à des problèmes techniques, alors il n’a pas réussi à se brancher. Je vais donc présenter sa déclaration préliminaire.
Monsieur le président, madame la vice-présidente, honorables membres du Comité permanent des transports et des communications, je vous remercie de nous avoir invités. Mon nom est Jerôme Marty, directeur de projet du Conseil des académies canadiennes, le CAC.
Cette semaine, le CAC a publié un rapport intitulé Bâtir un Canada résilient. Nous l’avons distribué aux membres du Sénat. J’ai le plaisir d’être accompagné en ligne par M. Scott Vaughan, qui a présidé ce projet. Je vais faire une brève déclaration pour décrire ce rapport, puis nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions des membres du comité.
Je vais donc brièvement décrire le contenu de ce rapport ainsi que sa responsabilité et son commanditaire.
On a demandé au CAC de répondre à la question suivante : quelles sont les principales possibilités d’améliorer la résilience du Canada aux catastrophes en améliorant l’intégration de la recherche et des pratiques de réduction des risques de catastrophe à celles de l’adaptation aux changements climatiques?
Sécurité publique Canada était le principal commanditaire de cette évaluation, et plusieurs autres ministères l’ont coparrainée, dont Transports Canada, Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada.
Sécurité publique Canada a également posé les trois sous-questions suivantes :
Quels sont les obstacles institutionnels ainsi que les mesures incitatives et dissuasives qui empêchent l’intégration efficace de l’adaptation aux changements climatiques et de la gestion des risques de catastrophes au Canada?
Quels outils, sources de données, méthodes et cadres liés au climat sont sous-utilisés dans les initiatives actuelles de réduction des risques de catastrophes au Canada ? Quels outils, sources de données, méthodes et cadres de réduction des risques de catastrophes sont sous-utilisés dans les initiatives et pratiques d’adaptation au climat?
Quelles capacités d’adaptation et de réduction des risques de catastrophes seront nécessaires à l’avenir pour améliorer la résilience aux catastrophes naturelles liées au climat?
Pour répondre à cette question, le CAC a réuni un groupe multidisciplinaire de 11 experts qui ont apporté un vaste éventail de connaissances, d’expertise et d’expérience aux délibérations sur le sujet. Ils possédaient de l’expérience dans un certain nombre de domaines, notamment le développement durable, les assurances, la planification, les politiques et la résilience. Ce groupe a consulté des experts au Canada et à l’étranger entre 2020 et 2021. Le rapport a été examiné par des pairs avant sa publication au début de 2022.
Le contexte du présent rapport est de mieux en mieux compris et fait l’objet de nombreux titres de presse. Dans un climat changeant, les catastrophes constituent une menace immédiate et croissante pour les familles, les collectivités et l’économie canadiennes. Ce rapport indique que jusque dans les années 1960, le Canada enregistrait en moyenne une trentaine de catastrophes liées au climat par décennie. Ce nombre est passé à 100 par décennie, notamment à cause de l’augmentation des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes.
Les catastrophes liées au climat ont entraîné des dommages assurés de 2,4 milliards de dollars au Canada en 2020 seulement. Compte tenu des vagues de chaleur, des incendies de forêt et des inondations sans précédent en 2021, ce chiffre va considérablement augmenter.
Le rapport relève plusieurs facteurs à l’origine de cette augmentation des catastrophes : les décisions en matière d’aménagement du territoire et la croissance de la population dans les zones vulnérables comme les zones inondables, qui augmentent le coût des pertes lorsque des catastrophes se produisent. Les auteurs du rapport observent que le Canada est susceptible de subir des impacts simultanés, en cascade et non linéaires. Qu’est-ce que cela signifie? Les catastrophes qui se chevauchent peuvent se produire simultanément. Ou encore, une catastrophe antérieure, comme la série d’incendies de forêt qu’a subie la Colombie-Britannique en été 2021, a pu aggraver les effets des inondations qui se sont produites à la fin de l’année 2021.
L’évaluation des risques tous risques est un outil permettant d’anticiper ces risques interconnectés. Le gouvernement effectue ces évaluations des risques, mais contrairement à la plupart des autres pays de l’OCDE, elles ne sont pas accessibles au public canadien. Toutefois, les méthodologies utilisées sont publiques.
Je tiens cependant à préciser que les évaluations des risques tous risques reposent actuellement sur des normes climatiques historiques, qui sont de moins en moins fiables. Par exemple, lorsque les contrôles de planification et de développement dépendent de la cartographie des plaines inondables qui est basée sur des conditions historiques et, dans de nombreuses régions du Canada, dépassée ou inexistante, les collectivités continuent souvent à investir dans le développement de bâtiments et d’infrastructures à des endroits qui deviendront de plus en plus sujets aux inondations dans un climat changeant. Cela peut aussi causer une mauvaise adaptation si le fait de s’attaquer à un risque en exacerbe un autre par inadvertance.
Un dernier mot sur le contexte : depuis la publication de ce rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies a publié son rapport sur les risques actuels et sur l’augmentation inévitable des catastrophes liées au climat, et le programme des Nations unies pour l’environnement a publié un rapport sur les risques croissants d’incendies de forêt liés au changement climatique.
Le groupe d’experts a principalement conclu que les programmes de réduction des risques de catastrophes et d’adaptation au climat ne sont pas intégrés. Les programmes de réduction des risques de catastrophes et les intervenants de première ligne se concentrent sur la réponse et sur la récupération à court terme suivant les catastrophes. Leurs structures hiérarchiques vont, à juste titre, du haut vers le bas et sont axées sur le commandement et le contrôle. En revanche, les programmes d’adaptation au climat se concentrent sur la prévention des catastrophes et sur la reconstruction à plus long terme. Leurs structures ont tendance à être plus ascendantes et collaboratives.
Cette incapacité d’intégrer l’adaptation au changement climatique dans les activités, les politiques et les outils de réduction des risques de catastrophes réduit l’efficacité des investissements publics dans la résilience aux catastrophes.
L’importance de la prévention des catastrophes est un thème récurrent du rapport. La plupart des gouvernements continuent à sous-investir dans l’atténuation, ce qui complique l’intervention et le rétablissement. Le Canada en paie le prix, car il doit faire des versements de plus en plus élevés, par exemple dans le cadre des Accords d’aide financière en cas de catastrophe.
Les arguments économiques en faveur de l’investissement dans la prévention des catastrophes sont convaincants : les auteurs du rapport soulignent par exemple que pour chaque dollar dépensé pour la prévention, on peut éviter jusqu’à 11 $ de coûts d’intervention et de rétablissement. Il s’agit notamment d’investissements peu coûteux dans des clapets anti-refoulement que l’on installe dans les sous-sols pour éviter les inondations, ou dans des matériaux de toiture résistants au feu.
Le groupe d’experts a examiné trois façons de soutenir une meilleure intégration : les données et l’information, les finances et la gouvernance.
Tout d’abord, en ce qui concerne les données et l’information, le groupe d’experts a noté l’importance de fournir des données sur les récentes catastrophes climatiques qui soient opportunes, complètes, accessibles aux spécialistes et aux utilisateurs en général, et surtout fiables. L’accès public à l’évaluation des risques tous risques du Canada est une solution possible. On pourrait aussi améliorer la base de données canadienne sur les catastrophes afin que les Canadiens se fassent une meilleure idée des tendances dans leur région.
Un domaine important des données et des connaissances est le savoir autochtone et local. Le groupe d’experts a consacré beaucoup de temps au savoir autochtone, notant par exemple les cas où des pratiques traditionnelles d’intendance forestière, comme le brûlage culturel, semblent avoir réduit les risques d’incendies de forêt. Il a également relevé des incidents au cours desquels les opérations de réduction des risques de catastrophes ignoraient les droits que les ordres d’évacuation réservent aux communautés des Premières Nations.
Deuxièmement, le groupe d’experts s’est penché sur le rôle des finances. Il examine cinq domaines : l’assurance habitation, les partenariats entre le secteur privé et le secteur public, les secours publics en cas de catastrophe, les investissements dans les infrastructures publiques et les règles de divulgation des risques à venir. Ici aussi, plusieurs défis se posent. La méconnaissance de l’exposition aux risques d’inondations et d’incendies et la mauvaise compréhension des types de périls et de dommages qui sont ou non couverts par les différentes polices d’assurance créent un risque. Ce risque menace les ménages lorsqu’une couverture inadéquate entraîne des charges financières imprévues. Il frappe aussi les gouvernements qui doivent ensuite prêter secours aux victimes de ces catastrophes. Une fois que les polices d’assurance sont payées et que les fonds publics de redressement sont déboursés, il arrive souvent que le terrain soit à nouveau propice aux catastrophes si l’on reconstruit des structures vulnérables dans des endroits tout aussi exposés.
Le troisième et dernier domaine concerne la gouvernance. Compte tenu de l’ampleur des risques climatiques, le groupe d’experts a souligné l’importance d’une collaboration de l’ensemble de la société. Il ajoute que pour rendre l’intégration opérationnelle, il faudra fixer des mandats gouvernementaux et des directives allant du haut vers le bas. Cela sera important lorsque le gouvernement publiera, en 2022, sa stratégie nationale d’adaptation au climat.
En partant de la base, il est essentiel de tirer parti des connaissances et des capacités des collectivités pour que les activités et les politiques de réduction des risques de catastrophes et les politiques d’adaptation améliorent la résilience et incitent les personnes les plus touchées par les catastrophes à accepter les décisions prises. Au sommet de la hiérarchie, les gouvernements centraux peuvent fournir du financement et de l’information essentielle tout en coordonnant le tout. Les gouvernements centraux peuvent également élaborer des politiques, des règlements, des codes et des normes, qui seront autant de moteurs de progrès au niveau local. Toutefois, il sera crucial que les mandats s’accompagnent de ressources financières adéquates et de renseignements pertinents pour garantir le succès au niveau local.
Monsieur le président et chers collègues, permettez-moi de conclure en observant que les catastrophes résultent de l’interaction entre les collectivités et les risques naturels. Elles sont les conséquences des choix humains individuels et sociétaux. La résilience est un choix visant à réduire les risques. Il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes de la vulnérabilité et de l’exposition aux aléas.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie encore une fois de nous avoir invités. Je me ferai un plaisir de recevoir vos commentaires et de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Marty. Je vais maintenant céder la parole à M. John Law pour sa déclaration préliminaire. Monsieur Law, vous avez la parole.
John Law, agrégé supérieur, Canada West Foundation : Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de participer à ce débat.
Je vais aborder la question à l’autre extrémité du spectre. Je vais présenter au comité la version préliminaire d’un rapport que j’ai rédigé avec mes collègues de la Canada West Foundation et que nous publierons au cours de la première semaine de mai. Cet ouvrage a reçu l’appui d’une coalition d’associations professionnelles nationales, dont le Conseil canadien des affaires, la Chambre de commerce du Canada, l’Association canadienne de la construction, la Western Canada Roadbuilders and Heavy Construction Association et le Western Transportation Advisory Council, ou WESTAC.
Dans ce rapport, nous soutenons qu’il est urgent que le Canada établisse un premier plan national pour améliorer la résilience de ses infrastructures de commerce et de transport. Nous avons tiré parti de l’expérience accumulée au cours de nos huit années de travail dans ce domaine. Nous avons mené de vastes consultations auprès de l’industrie et des gouvernements de tout le pays. Nous avons également passé beaucoup de temps à discuter avec des intervenants d’autres pays qui nous ont suggéré des pratiques exemplaires qui, à notre avis, éclaireront l’élaboration de ce plan.
J’aimerais commencer par parler de certains des événements survenus au cours de ces dernières années, notamment la pandémie de la COVID-19 et la destruction généralisée de l’environnement causée par de violents phénomènes météorologiques. La chaîne d’approvisionnement internationale a subi des perturbations sans précédent, et nous faisons maintenant face à l’invasion russe en Ukraine. Tout cela a créé un niveau d’incertitude et de risques que nous n’avions jamais vus. Je tiens à souligner très particulièrement que ces difficultés interdépendantes, ces événements qui font la manchette depuis deux ans, ont mis en lumière une série de conditions qui existent depuis bien plus que ces deux dernières années. En fait, elles sont la source des problèmes auxquels nous nous heurtons depuis près d’une décennie.
C’est certainement le cas des infrastructures de commerce et de transport du Canada. Elles sont à la base des chaînes d’approvisionnement qui acheminent les produits canadiens vers les marchés internationaux. Voilà pourquoi il sera crucial d’établir une approche nationale cohérente de compréhension et de quantification des risques afin d’assurer la résilience face à cette panoplie de défis interconnectés, qui comprennent évidemment les changements climatiques.
Dans le contexte actuel de risques et d’incertitudes, il est urgent de repenser la façon dont les infrastructures canadiennes sont planifiées, livrées et exploitées. L’ampleur, le rythme et l’interdépendance des menaces que j’ai décrites sont plus difficiles à gérer que jamais, de sorte que nous devons adapter nos infrastructures pour qu’elles soient plus résilientes. Autrement dit, nous devons adopter de nouvelles pratiques fondées sur une approche nationale systémique et uniforme pour comprendre et quantifier les risques et les avantages.
L’un des objectifs de notre rapport sur les changements climatiques est d’établir une feuille de route qui intègre une approche plus globale de la résilience et de la prise de décisions sur les infrastructures. Ces pratiques exemplaires visent non seulement à définir les vulnérabilités et les interdépendances en vue de planifier les infrastructures, mais à établir des approches qui renforcent la confiance et le soutien de la collectivité en encourageant une plus grande transparence de la prise de décisions et la reconnaissance des besoins régionaux.
À court terme, on peut s’attendre à ce que les infrastructures des transports et les chaînes d’approvisionnement demeurent fragiles et assujettissent les secteurs public et privé à des niveaux d’endettement plus élevés que jamais.
Dans ces conditions, si nous prenons de mauvaises mesures politiques en ignorant les expériences vécues pendant la dernière décennie, nous risquons non seulement de faire dérailler la reprise économique, mais aussi d’inaugurer ce que Peter Hall, l’économiste en chef d’EDC, qui est sur le point de prendre sa retraite, qualifie de décennie perdue pour l’économie canadienne.
Les recommandations de notre rapport offrent un point de départ permanent d’analyse approfondie et continue et d’atténuation des répercussions climatiques, dont les résultats pourront être diffusés dans tout le pays et entre les catégories d’actifs. Dans l’ensemble, ces recommandations nous invitent à mener une évaluation plus rigoureuse des avantages, des coûts et des risques. Elles survivront les changements gouvernementaux en mettant l’accent sur des approches réfléchies et stratégiques qui s’appuient sur les pratiques exemplaires plutôt que sur des tendances éphémères.
Notre rapport s’intitule From Shovel Ready to Shovel Worthy: The Path to a National Trade Infrastructure Plan That Can Enable the Next Generation of Economic Growth.
Je vais vous présenter brièvement les points saillants de ce rapport. Pourquoi cette catégorie d’infrastructures est-elle si importante? Si nous convenons dès le début que les changements climatiques constituent l’enjeu principal de la génération actuelle, j’ajouterais que l’une de nos plus grandes recommandations consiste à déterminer comment financer notre lutte contre les changements climatiques. Le commerce et les infrastructures de transport en sont des éléments essentiels. Les infrastructures commerciales favorisent le commerce qui génère les deux tiers du PIB canadien. Ce fait est beaucoup plus important pour le Canada que pour des pays comme les États-Unis, où le revenu national que génère le commerce ne représente qu’environ 25 % du PIB. Nous sommes un cas extrême. Nous n’avons pas de marchés nationaux aussi étendus que les États-Unis. Les économies d’échelle nous obligent à nous tourner vers les marchés internationaux pour demeurer concurrentiels. Le commerce est très important pour le Canada.
Pourquoi avons-nous besoin d’infrastructures commerciales? Mon collègue de la Canada West Foundation, M. Carlo Dade, dit que nous en avons besoin parce qu’elles paient les infrastructures commerciales que nous désirons. Elles paient non seulement l’atténuation des changements climatiques, mais aussi les hôpitaux, les foyers de soins spéciaux, les écoles et le remboursement de la dette. Nous affirmons dans ce rapport que si nous ne faisons pas les choses correctement, si nous n’en faisons pas une priorité dès maintenant, nous ferons dérailler la reprise économique du Canada après la pandémie et que, ce qui serait encore pire, nous risquons de mettre en péril la prochaine génération de croissance économique au pays, qui, selon nous, présente des possibilités de croissance considérables.
Un dernier mot rapide sur le problème. Je ne passerai pas beaucoup de temps là-dessus. Notre rapport souligne qu’il y a 10 ans, en 2009-2010, le Canada se classait parmi les 10 pays qui avaient des infrastructures de qualité, selon le Forum économique mondial et la Banque mondiale.
Dix ans plus tard, nos infrastructures globales se retrouvent au 26e rang dans le monde, et nos infrastructures de commerce et de transport sont au 31e rang. Voilà pourquoi cet enjeu est si important. Lorsque j'en discutais avec les membres de l’industrie ces dernières années, je pensais qu’il était désuet, mais les intervenants de l’industrie canadienne affirment qu’il est pertinent non seulement pour les données que nous en retirons, mais, ce qui est encore plus important, parce qu’il reflète la situation réelle des entreprises canadiennes qui se heurtent à de graves problèmes logistiques en cherchant à livrer leurs produits dans les marchés internationaux. Comme ces entreprises se trouvent en première ligne, elles constatent dans certains pays concurrents des améliorations qui ont eu une incidence directe sur leur capacité de retenir leurs clients et d’en acquérir de nouveaux.
Regardons un peu nos voisins du Sud qui, dans certaines catégories, n’ont pas accordé la priorité à cet enjeu au cours de ces dernières années. Toutefois, l’administration Biden, comme les membres du comité le savent, a injecté des centaines de milliards de dollars dans un nouveau programme d’infrastructures afin de régler le problème. Elle mène un certain nombre de programmes initiaux qui sont axés exactement sur les bons enjeux, conformément aux pratiques exemplaires internationales.
Que représente la notion de projets dignes de démarrer et prêts à démarrer? Nous avons essayé de tirer des pratiques exemplaires de l’expérience d’autres pays qui ont une longueur d’avance sur le Canada dans ce domaine et de les combiner à certaines leçons que nous avons tirées de nos réussites au pays. Nous les avons réunies en un ensemble de sept éléments qui, selon nous, pourrait former la base d’un nouveau plan national.
Je vais les passer en revue rapidement. Premièrement, nous devons définir le réseau national des corridors commerciaux du Canada pour que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Il faut effectuer l’inventaire des principaux actifs de commerce et de transport qui composent notre réseau national. Heureusement, dans la plupart des cas, nous ne partons pas de zéro. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, Transports Canada a fait de l’excellent travail en menant ce qu’on appelle des évaluations régionales du transport pour chaque région du pays, qui définissent et mettent en évidence non seulement les principaux actifs de transport et les exportations facilitées par les réseaux de transport, mais aussi les principaux partenaires. Ces évaluations indiquent aussi les goulots d’étranglement qu’il faut éliminer pour régler le problème.
Le deuxième des sept éléments est la détermination des critères d’importance nationale. Cela nous permettra d’établir les bonnes priorités et d’accomplir le meilleur travail possible dans les secteurs qui en ont besoin.
Le troisième élément consiste à profiter des conseils indépendants qui nous viennent du secteur privé. Celui-ci nous offre, entre autres choses, au moins deux sources importantes de renseignements. Une nous vient des propriétaires et des exploitants d’une grande partie des infrastructures, qui possèdent des connaissances et une grande expertise de la chaîne d’approvisionnement que la plupart des gouvernements canadiens ne reçoivent pas et ne voient pas.
L’autre source est celle des travailleurs de première ligne, qui s’occupent quotidiennement de ces problèmes. Elle est à la base des pratiques exemplaires que les autres pays suivent pour établir leurs plans.
Quatrièmement, les auteurs de notre rapport soulignent qu’il est important de développer et d’entretenir une réserve de projets à long terme. Ces projets de 15 à 30 ans nous permettent de comprendre les avantages que chacun nous apporte ainsi que les incidences qu’ils ont sur le réseau dans son ensemble. Ils nous aident donc à cerner les endroits où injecter plus d’argent pour optimiser le réseau.
La cinquième de nos recommandations est une caractéristique clé de la lutte contre les changements climatiques. Il s’agit de mener des évaluations régulières pour mesurer les progrès. Toutes les administrations qui suivent des pratiques exemplaires vérifient ou évaluent régulièrement les projets qu’elles ont mis en œuvre. Elles examinent la planification, la structure, les forces et les faiblesses de leurs processus et, chaque année ou tous les deux ans, elles y apportent des améliorations.
Les deux derniers éléments nous permettront de mettre à jour les renseignements sur les infrastructures en effectuant notamment des prévisions et des modélisations pour éclairer la prise de décisions. Ils nous aideront à établir des politiques stratégiques qui démontrent à nos clients internationaux que le Canada a la ferme intention d’apporter ces améliorations. Nous devrons aussi transmettre ces renseignements et ces données aux divers groupes de travail du pays qui participent actuellement à ce projet. Merci.
Le président : Merci, monsieur Law. Vous préconisez depuis longtemps une approche stratégique de l’investissement dans les portes d’entrée et les corridors commerciaux du Canada. Je ne sais pas dans quelle mesure nous agissons stratégiquement à cet égard au Canada, mais pouvez-vous nous dire comment les provinces et le gouvernement fédéral intègrent la résilience climatique dans leurs investissements sur les portes d’entrée commerciales du Canada? À l’heure actuelle, intégrons-nous efficacement la résilience aux changements climatiques dans ces investissements?
Mon autre question est la suivante : alors nous prévoyons une hausse de la température mondiale de plus de 1,5 degré, quel genre d’investissement sera nécessaire pour renforcer la résilience des infrastructures nationales à l’avenir?
M. Law : Je vous remercie pour ces questions. En effet, nous n’avons pas respecté notre promesse d’adopter une approche plus stratégique. En fait, notre rapport indique dès le début que l’approche « prêt à démarrer » est à la base de la problématique du système. Nous n’avons pas mis assez d’accent sur le rendement à long terme des investissements qui sont importants dans cet enjeu.
Je pense que nos efforts en matière de résilience aux changements climatiques, même s’ils commencent à faire partie des considérations liées aux projets, ne sont généralement pas inclus dans les processus d’approvisionnement et dans les opérations quotidiennes. Il y a là d’importantes possibilités d’amélioration. Je pense que cette approche se développe, mais que nous avons encore beaucoup de travail à faire.
Quant à savoir quel est le bon niveau d’investissement, nous affirmons depuis longtemps que nous n’investissons pas assez dans une catégorie d’infrastructures où nous devrions investir davantage. Le seul programme quasi permanent que nous ayons dans la myriade de programmes d’infrastructures menés au niveau fédéral, c’est le Fonds national des corridors commerciaux, et je ne veux d’aucune façon enlever quoi que ce soit à l’engagement pour ce fonds, car à mon avis, il est extrêmement important. Mais 2 milliards de dollars ne constituent qu’un petit pourcentage des 188 milliards de dollars nécessaires pour apporter des améliorations efficaces.
Le président : Merci, monsieur Law.
La sénatrice Galvez : Je suis tout à fait d’accord avec tout ce que vous avez dit, mais j’ai l’impression qu’il y a deux questions qui n’ont pas été abordées.
Ma première question porte sur la destruction des infrastructures par des phénomènes météorologiques extrêmes. Dans toutes les solutions que vous proposez, vous soulignez l’importance de la collaboration et de l’apport des ingénieurs. Nos universités préparent-elles les ingénieurs à concevoir, à planifier et à renforcer la résilience, comme vous l’espérez? Nous savons que nous n’investissons pas assez dans les infrastructures. Qu’en est-il de l’éducation?
Ma deuxième question est la suivante : la réduction des risques et le renforcement de la résilience coûtent très cher. Que pensez-vous de la répartition des responsabilités de réduire les risques? Qui devrait payer pour cela, le secteur public seulement ou les secteurs public et privé? Merci.
M. Law : Je ne sais pas laquelle des questions s’adressait à moi, mais permettez-moi de m’aventurer à répondre à toutes les deux, ne serait-ce qu’en partie.
Je suis d’accord avec vous pour dire que la vision de notre système d’éducation est un peu étroite quand il s’agit de la formation de nos ingénieurs. Je le dis à titre d’ancien sous-ministre des Transports. Nous avons une trajectoire bien établie dans ma propre administration — et je dirais que dans d’autres avec lesquelles j’ai travaillé — en ce qui a trait au développement de notre capacité d’ingénierie pour répondre aux besoins de nos ministères. Je sais qu’il y en a plusieurs qui s’intéressent à cette capacité et qu’elle est très recherchée. Je travaille actuellement avec deux ou trois qui cherchent à accroître les compétences de leurs ingénieurs pour régler le problème. Malheureusement, je pense qu’il faudra un certain temps pour que cet effort de perfectionnement devienne systématique. C’est sur notre écran radar et ça va même au-delà. C’est une priorité. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire pour accélérer les choses.
Pour ce qui est du risque et de la question de savoir qui devrait assumer une partie des coûts, j’estime depuis longtemps que ce problème n’est pas exclusif au gouvernement fédéral ou aux gouvernements en général. Dans bien des cas, le secteur privé est le propriétaire ou l’exploitant majoritaire d’une grande partie de notre importante infrastructure, et il fait des investissements majeurs. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Je pense qu’un aspect que nous devons apprécier, c’est la collaboration, comme vous disiez. Une des principales leçons tirées d’un programme qui continue de recevoir des félicitations depuis 10 ans, soit l’Initiative de la Porte et du Corridor de l’Asie-Pacifique, c’est que lorsque le gouvernement annonce son engagement à l’égard d’un projet, il reçoit souvent des visites non sollicitées du secteur privé, qui lui présente une liste de projets qui vont dépendre de l’investissement public annoncé. Je me souviens d’en avoir parlé à des hauts fonctionnaires de Transports Canada à l’époque, qui m’ont appris qu’ils se sont retrouvés avec une charte de projet beaucoup plus éclairée une fois que le secteur privé s’était présenté. Dans cet esprit de collaboration pour définir la portée, la planification et le financement de ces projets, nous devons à mon avis réfléchir de façon beaucoup plus créative à la manière de rallier les forces des secteurs public et privé.
M. Marty : Je vous remercie de votre question, sénatrice Galvez. Côté formation, le rapport rappelle l’existence de nouveaux programmes conçus pour que les ingénieurs tiennent compte de l’adaptation aux changements climatiques dans l’exercice de leur métier. Je songe au Protocole du Comité sur la vulnérabilité de l’ingénierie des infrastructures publiques, le CVIIP, par exemple, qui aide à intégrer des solutions climatiques à la conception des infrastructures. Le groupe d’experts a également abordé l’idée que nous avons besoin de nouvelles normes, et que les ingénieurs doivent les intégrer aux nouvelles conceptions.
Une des principales lacunes dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques et de la prévention des catastrophes ne concerne pas nécessairement uniquement les ingénieurs. Il s’agit de s’assurer que l’information disponible dans un domaine peut être transférée à un autre. Le groupe d’experts a vraiment fait valoir qu’une option consiste à avoir des courtiers du savoir — des gens qui seront en mesure de colliger et de diffuser toute l’information des modèles et des données complexes qui, tout en étant facilement accessibles, sont moins faciles à transférer aux professionnels.
Une autre lacune qui a été soulignée dans le rapport et qui nécessitera une certaine attention à l’avenir concerne le rôle des solutions naturelles. Il s’agit de nouvelles solutions, de nouvelles façons d’atténuer et de limiter les risques, mais il reste à comprendre quelle en est l’efficacité, la durée de cette efficacité et les lieux où elle peut s’avérer optimale. Pour l’heure, on peut affirmer que les ingénieurs n’adoptent pas tellement de solutions naturelles, et c’est parce que nous manquons d’information sur leur efficacité. Ce sera une lacune dans la formation des prochaines générations d’ingénieurs et de climatologues spécialisés. Ça s’en vient. En fait, j’ai appris récemment à l’Université Western que le premier programme d’études supérieures porte justement là-dessus, pour nous assurer de comprendre les moyens d’atténuer les catastrophes climatiques et offrir des solutions aux nouvelles générations.
Quant à la deuxième question au sujet de la répartition des risques, le rapport fait nettement valoir que c’est une approche pansociétale qui s’impose. Un élément clé serait peut-être d’examiner les préjugés. Nous avons tous nos propres préjugés. J’ai les miens, vous les vôtres, le gouvernement a les siens, et ils sont un facteur important pour comprendre ce que nous pouvons faire et ce dont nous sommes responsables. Nous pouvons consacrer toute une séance aux préjugés, car il s’agit d’un sujet aussi complexe qu’important qu’il faut reconnaître en ce qui concerne le risque climatique. Je vous remercie de vos questions.
[Français]
Le sénateur Cormier : Mes deux questions vont s’adresser à M. Marty et je vais les poser en français.
Je vous remercie pour vos présentations et pour ce rapport dont on a pris connaissance avec beaucoup d’intérêt, monsieur Marty. Les questions que je vais vous poser concernent la gouvernance et la question de la transparence. Dans votre rapport, vous dites que vous faisiez état que les décideurs ne seraient pas adéquatement tenus responsables des mesures qui ont conduit à l’exposition et la vulnérabilité des populations d’infrastructure. Évidemment, dans le contexte où on essaie d’évaluer l’impact des actions et la nécessité d’agir en conséquence, je voudrais que vous nous en parliez davantage. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il accroître sa responsabilité à l’égard de ses propres infrastructures?
Je passe à ma deuxième question. Dans le document ETR — l’évaluation tous risques —, il est dit que les informations contenues dans ce document ne sont pas accessibles au public. De plus, elles couvrent un horizon de cinq ans et ne tiennent pas compte des conditions climatiques futures prévues.
Mes deux questions sont les suivantes : comment le gouvernement fédéral pourrait-il accroître sa responsabilité à l’égard de ses propres infrastructures afin qu’on puisse vraiment évaluer, mesurer et agir en conséquence? Le gouvernement est-il suffisamment transparent par rapport à ces questions? Pourrait-il être plus transparent? Si oui, de quelle manière, selon vous?
M. Marty : Merci de votre question, sénateur Cormier. J’aurais vraiment aimé que le président du panel soit ici pour répondre à ces questions très intéressantes.
Pour la première question, en matière de responsabilité, le rapport met l’accent sur le fait que les responsabilités sont vraiment divisées entre les différents ordres de gouvernement. Un gouvernement seul ne peut pas avoir toute la responsabilité puisque toutes les décisions qui concernent l’occupation du territoire sont divisées entre les municipalités, les communautés, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.
C’est un grand défi d’aligner tous ces ordres de gouvernement et de s’assurer qu’ils vont tous dans la même direction. Ce que je pourrais dire, c’est qu’on parle d’infrastructures, et les infrastructures exigent des solutions à long terme parce qu’elles nécessitent des solutions qui sont importantes. Ce sont des solutions à long terme qui doivent être apportées et des investissements qui devront aussi être à long terme.
Quand on regarde ce qui est fait en ce moment, par exemple dans le cas des inondations, on voit que le gouvernement fédéral a annoncé qu’on allait avoir une augmentation de la capacité de cartographier les zones inondables. Ce sont des choses importantes à faire pour chaque type de risque. On le fait pour les inondations, on pourrait aussi avoir les mêmes approches pour les feux. On commence à connaître de nouvelles zones où il n’y a jamais eu de feux et où il y en a maintenant.
La responsabilité, encore une fois, c’est quelque chose qui est difficile. Quand on pense au développement dans la région de la Colombie-Britannique, à Vancouver, où le prix des propriétés est très élevé, c’est très difficile pour les municipalités de ne pas considérer certains territoires qui, on le sait, sont en danger. Peut-être qu’un des éléments que les ordres de gouvernement supérieur pourraient apporter serait d’amener, de partager cette information et d’être sûr que nous sommes informés sur les zones à risque aujourd’hui et sur celles qui le seront très certainement, pas seulement dans un futur proche, mais aussi dans le futur lointain.
Le sénateur Cormier : Je comprends donc que cette information n’est pas transmise. Pourquoi ne l’est-elle pas?
M. Marty : Cette information n’existe pas toujours. Dans le cas des inondations, c’est un travail qui est en cours aujourd’hui. Si on pense à la Base de données canadienne sur les catastrophes, celle-ci a de nombreux problèmes. Elle n’est pas mise à jour régulièrement.
Dans le rapport, vous pouvez le voir, on rapporte les données seulement jusqu’à 2019, bien qu’on sait très bien que depuis 2019, on a eu de nombreuses catastrophes, malheureusement, au Canada. Ces données ne sont pas mises à jour à une fréquence qui permet vraiment d’évaluer en temps réel les besoins. On ne parlera pas du futur non plus, bien que ces données seraient aussi très importantes pour améliorer les prédictions.
En même temps, j’ai un peu touché à l’autre partie de votre question sur l’ETR. Pouvez-vous me répéter la question?
Le sénateur Cormier : Le document dit que l’information n’est pas publique. Ma question de fond est qu’il est difficile d’agir quand une information n’est pas rendue publique. Comme vous le disiez, comme il y a plusieurs partenaires concernés, si cette information n’est pas de nature publique, transmise et partagée, comment peut-on avoir des solutions tangibles pour l’avenir?
M. Marty : Dans le cas des analyses multirisques, qui sont aussi considérées comme n’étant pas transparentes ou partagées publiquement, c’est sûr que dans ces discussions, le panel a reconnu que certaines informations sont confidentielles et ne peuvent pas être partagées. Il y a d’autres sources de risque qui pourraient être affectées et augmentées si toutes les informations étaient publiques.
Néanmoins, dans le contexte de l’infrastructure, pour augmenter la résilience et appliquer des mesures d’adaptation au climat, d’après le panel, il semblerait que cette information devrait être partagée de façon beaucoup plus transparente.
Le sénateur Cormier : Merci, monsieur Marty.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Je pense que ma question s’adresse plutôt à M. Marty, mais je serais heureuse d’entendre l’un ou l’autre des experts, et la deuxième partie de ma question s’adressera peut-être davantage à M. Law.
Monsieur Marty, je tiens à dire à quel point j’apprécie votre commentaire selon lequel les collectivités sont les plus touchées. Pour vous donner un peu de contexte — mes collègues le savent —, je vis à Banff, en Alberta, et j’en suis l’ancienne mairesse. Parlons donc de préjugés. C’est peut-être là que je veux en venir avec ma question.
Les phénomènes météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques représentent un risque grave pour le secteur touristique du Canada. Les incendies, les inondations et d’autres conditions météorologiques extrêmes peuvent empêcher les visiteurs de se rendre à une destination touristique canadienne et, certes, imposer un fardeau aux agents qui pourraient devoir se charger de l’évacuation non seulement des résidants, mais aussi des touristes. Dans une ville comme Banff, qui compte 9 000 habitants et 25 000 à 40 000 visiteurs par jour, c’est une entreprise monstre qui fait peur rien que d’y penser.
Même les destinations qui ne sont pas directement touchées par une catastrophe peuvent en souffrir. Je songe à la fumée des feux de forêt qui arrive de n’importe où à des lieues de là.
Nous savons que le climat a des répercussions sur la viabilité des routes, des sentiers et des cours d’eau, et même si nous semblons pouvoir obtenir le nombre exact des coûts réels associés à une catastrophe causée par les changements climatiques, je suis curieuse de savoir s’il existe des données ponctuelles sur les répercussions économiques des conditions météorologiques extrêmes sur le secteur touristique canadien, ou si c’est trop précis, tout au moins sur les coûts supplémentaires découlant de ces catastrophes? Je pense bien entendu au vécu de la Colombie-Britannique ces derniers mois.
Je vais glisser une deuxième question, car je crois qu’on a dit que le gouvernement fédéral essaie de collaborer avec les municipalités. Comment cela se passe-t-il, et quels sont certains des obstacles à la collaboration avec les collectivités locales? Je suis persuadée qu’il y en a qui sont fondés sur toutes sortes de variables dans une municipalité.
Merci.
M. Marty : Merci, sénatrice Sorensen. Nous n’avons pas examiné attentivement les différents secteurs, mais les chiffres que nous avons présentés sont ceux que tout le monde déclare, c’est-à-dire les pertes assurées. Il y a de bons mécanismes et de bonnes données à suivre sur le coût des catastrophes dans le domaine des assurances.
Le rapport souligne que personne n’a vraiment évalué le coût global d’une catastrophe. Il y a beaucoup à ajouter sur les répercussions sociales et sanitaires — tous ces domaines connexes qui ne sont pas nécessairement pris en compte dans la façon dont nous mesurons les répercussions des catastrophes. Il y a donc beaucoup à faire.
J’aimerais souligner quelque chose. Vous avez parlé des collectivités qui sont relocalisées en réponse à des incendies, par exemple. Il faut examiner attentivement la façon dont nous réagissons aux catastrophes dans les collectivités éloignées, en particulier dans les collectivités autochtones. Les dirigeants autochtones nous ont dit que, parfois, ils possèdent des connaissances qui leur permettront de rester dans leur collectivité et d’éviter la réinstallation. Le coût humain de la réinstallation, dans certains cas, a été plus élevé que le coût des catastrophes elles-mêmes, faute d’adaptation ou du fait que le nouvel endroit n’est malheureusement pas nécessairement prêt à accueillir les gens.
Le rapport fait état de nombreux obstacles, et je dois reparler des préjugés. Il est essentiel que la population et les décideurs soient bien conscients des préjugés qu’ils causent et qui influencent leurs décisions. Les gens pensent que les catastrophes se produisent peut-être une fois, mais pas deux. C’est une erreur. Nous l’avons vu maintenant. Certaines publications montrent même que les politiciens préfèrent parfois investir dans une intervention ponctuelle en cas de catastrophe parce que la récompense est plus grande s’ils font une bonne intervention au lieu d’investir pour prévenir des catastrophes qui ne se produiront peut-être jamais pendant leur mandat.
Ce sont des éléments très importants dont il faut tenir compte lorsqu’on pense à la nécessité d’inclure l’adaptation aux changements climatiques dans les interventions en cas de catastrophe.
M. Law : J’ai une brève réponse à ajouter à ce qui a été dit plus tôt.
En ce qui concerne les obstacles à la coopération, j’aimerais faire quelques brèves observations.
La première porte sur la capacité prévisionnelle des municipalités dans le cadre de certains de ces efforts. Notre vécu en matière de rétablissement à l’issue de ce genre de problèmes nous a appris que dans bien des cas, il y a des ensembles de compétences, mais parfois un manque d’expérience. Mais qui pourrait leur en vouloir? Je me souviens de me faire dire, lorsque j’étais sous-ministre, qu’un incident de telle ou telle sorte ne se produisait qu’une fois tous les 75 ans. Je me demande donc ce que vous feriez? Vous préparer, comme je l’ai dit plus tôt, pour vous retrouver aux prises avec le même problème deux ans plus tard sans vraiment avoir songé à préparer les intervenants comme il faut.
C’est simplement un commentaire.
La sénatrice Sorensen : Merci à tous les deux.
Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à M. Marty. J’en ai une deuxième, mais je pourrais le faire au deuxième tour. Celle-là s’adresserait à M. Law.
Monsieur Marty, dans l’introduction du rapport Bâtir un Canada résilient, on peut lire :
Les répercussions de ces événements [météorologiques extrêmes] n’ont jamais été aussi graves que durant l’été et l’automne 2021. Plus d’une douzaine de records de température ont été fracassés au Canada, Squamish, en Colombie-Britannique, ayant atteint plus de 40 °C.
Le rapport signale ensuite que :
Le bureau du coroner de la province a enregistré une hausse de 300 % des décès inattendus durant la semaine du 25 juin, laquelle a été attribuée aux vagues de chaleur qui ont touché durant plusieurs jours l’ouest du Canada [...]
Il est très difficile pour le comité d’entendre ces chiffres, mais je pense qu’ils devraient être rendus publics.
Lors d’événements météorologiques extrêmes, les infrastructures essentielles sont essentielles, y compris le secteur des technologies de l’information et de la communication. Ma question porte sur les progrès technologiques, qui sont plus intégrés que jamais et qui exigent des délais de transfert et de traitement des données plus rapides. Si j’ai bien compris, les capacités sans fil de la cinquième génération, ou 5G, nécessiteront un plus grand nombre et une plus grande densité d’infrastructures de télécommunications.
Ma question est la suivante : ces progrès et cette augmentation de l’infrastructure face à des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents et violents, y compris les vagues de chaleur, présenteront-ils de nouveaux risques pour la résilience des infrastructures essentielles, et sommes-nous prêts?
M. Marty : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. Je vais y répondre en partie, car nous n’avons pas vraiment abordé le sujet du secteur des technologies de l’information et de la communication.
Il y a des technologies émergentes qui peuvent aider, même sur le terrain. Nous avons par exemple des systèmes d’avertissement sur la côte canadienne dans des régions à risque. Certains membres du comité ont suggéré que nous nous dotions d’un système semblable dans les collectivités vulnérables aux incendies. Nous n’avons pas de système d’avertissement pour les incendies. C’est un système qui pourrait être utile et qui pourrait bénéficier des percées de la communication et de la technologie dans ce domaine.
Comme l’un des membres de notre groupe est un expert en données et en modélisation, nous commençons à en savoir plus long sur la capacité de cartographier les catastrophes et de comprendre les tendances à long terme. Les nouvelles technologies nous offrent une vision plus précise de l’étendue des zones à risque et nous permettent de repérer celles où le danger est de plus en plus imminent.
La modélisation cartographique des inondations sera toujours très utile, non seulement pour les grandes municipalités, mais aussi pour les localités éloignées.
Je ne suis pas très satisfait de ma réponse, sénateur Klyne, mais je veux bien vous fournir une meilleure réponse par écrit, si c’est possible. Merci.
Le sénateur Klyne : Monsieur Law, dans l’une des réponses que vous avez fournies à titre de complément — et je crois que c’était en réponse à la question du président ou à celle de la sénatrice Galvez —, vous avez parlé de la collaboration dans le contexte des compétences fédérales, provinciales, territoriales et municipales. Si nous examinons les lettres de mandat des ministères dans la mesure où elles portent sur les infrastructures essentielles, comme celles de Transports Canada et Ressources naturelles Canada, il y est souvent question de suivre une approche pangouvernementale. Je songe notamment aux corridors et infrastructures de transport du Canada, aux chaînes d’approvisionnement et aux changements climatiques. Il faudra un effort national.
Je me demande quels conseils vous avez à donner sur la façon dont le gouvernement fédéral — au lieu de travailler de l’intérieur avec le secteur privé et d’autres, leur imposant ses politiques et ses idées — peut collaborer au moyen d’une vaste consultation avec les provinces, les territoires, les municipalités, le secteur privé et les partenaires autochtones. Peut-il mener des consultations poussées et adopter une approche plus externe pour élaborer des politiques, des programmes et des réponses en vue de définir une approche nationale pour résoudre les problèmes liés aux changements climatiques et à l’innovation en matière d’infrastructure autour des corridors de transport? Quels conseils donneriez-vous au gouvernement fédéral sur la façon de regrouper tout cela et de le faire au moyen de consultations préalables?
M. Law : Eh bien, tout d’abord, je tiens à dire, sénateur, que je suis tout à fait d’accord avec votre approche. Notre rapport tente de fournir suffisamment de renseignements sur ce que nous considérons comme des éléments importants de la collaboration entre les divers ordres de gouvernement, certes, mais nous cherchons surtout à mobiliser les collectivités du secteur privé dans le cadre du processus. C’est une initiative partagée, c’est certain. Il suffit de jeter un coup d’œil aux responsabilités qui incombent au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux pour constater qu’il y a différents niveaux de responsabilité en ce qui concerne la façon dont ils doivent envisager ces problèmes.
Cela dit, nous avons retenu certaines suggestions. Nous avons délibérément laissé de la place à la négociation, car elle sera nécessaire à notre avis.
Toutefois, pour revenir à ce que vous avez dit au sujet d’aller de l’extérieur vers l’intérieur, nous pensons qu’il y a une réelle occasion de créer une plateforme de communication différente et qu’il faut reconnaître les différents domaines d’expertise qui peuvent être mis à contribution pour éclairer la façon de s’y prendre. La plupart des gens de l’industrie avec qui nous avons parlé estiment que le rôle de chef de file, le rôle de rassembleur, est approprié pour le gouvernement fédéral. Les provinces, bien sûr, partagent la responsabilité de l’exécution et de la mise en œuvre de l’infrastructure, en particulier des réseaux routiers partout au pays. Il y a aussi les ports et les aéroports et d’autres aspects qui relèvent des municipalités et qui sont tout aussi importants.
Un avantage de cette formule, c’est qu’on peut se faire conseiller par d’autres pays qui ont su s’y prendre. Nous avons collaboré avec les gens du Royaume-Uni et d’Infrastructure Australie. Au cours de sa dernière série de consultations annuelles, Infrastructure Australie a rencontré plus de 5 000 intervenants aux intérêts divers. L’organisme suit un processus bien défini et établi concernant les commentaires et la façon dont ces consultations sont menées.
C’était tout un nivellement du processus, et nous avons eu droit à d’excellentes suggestions que nous pouvons adapter et intégrer chez nous. Nous avons un gros obstacle à surmonter. Bon nombre des intervenants dans les divers secteurs de ce dossier ont des positions bien ancrées qui vont poser des défis à mon avis, même en ce qui concerne la diffusion des données.
D’autres ont surmonté ce problème, et je pense que nous pouvons nous inspirer de certains modèles pour déterminer comment appliquer cela au Canada.
[Français]
L’honorable Paula Simons : Je dois dire que mon ami le sénateur Cormier a volé ma première question pour M. Marty.
[Traduction]
Je ne veux pas dire que j’étais une ancienne journaliste parce que ça me fait vieillir, mais j’ai été journaliste pendant 30 ans, et l’accès à l’information a son coin bien à lui dans mon cœur et dans mon âme. Ma question toute courte est la suivante : pensez-vous que nous pouvons faire quelque chose pour changer la culture du secret? Je comprends ce que vous avez dit au sujet du fait qu’une grande partie de ces renseignements sont de nature exclusive, qu’ils ont une valeur marchande et qu’ils ont une incidence sur le prix des propriétés, mais ce serait merveilleux si nous pouvions en arriver à un point où il y a unanimité à l’égard de la nécessité d’obtenir l’information qu’il faut pour pouvoir faire une planification exacte.
Mon autre question s’adresse à M. Law. La capacité ferroviaire de transport de marchandises au Canada est dépassée depuis des années. J’ai parfois l’impression qu’elle est la Cendrillon de la politique publique canadienne. Nous nous attendons simplement à ce que le chemin de fer fasse son travail, sans plus. Dans la foulée des inondations en Colombie-Britannique et du récent quasi-lock-out à CP Rail, pourriez-vous nous dire ce que nous devons faire au Canada pour la création d’une infrastructure ferroviaire de transport de marchandises adaptée aux futurs besoins du siècle?
M. Marty : Je vous remercie de votre question. Je vais parler rapidement de la première, celle qui portait sur la transparence et que le sénateur Cormier s’est adjugée.
Il y a des mesures faciles à prendre, comme signaler les catastrophes dès qu’elles se produisent, sans laisser le temps passer. Des bases de données existent, et nous devons nous assurer qu’elles sont à jour.
Pour ce qui est des questions plus générales de transparence, le groupe d’experts a fait valoir que toutes les approches relatives aux dangers et aux risques sont efficaces pour examiner un large éventail de questions. Bien que le cadre existe, l’information et les résultats de ces évaluations des risques ne sont pas rendus publics. Je pense donc qu’il est nécessaire de diffuser toutes ces évaluations, car elles sont complexes et que la communication des risques soulève toute une série de défis. Aussi, si nous pouvons communiquer efficacement ce que signifient ces approches et comment elles fonctionnent ensemble, cela aura un effet sur les populations qui, nous l’espérons, prendront des mesures en conséquence. Il s’agit de convaincre tout le monde de se rallier face à ces questions de changement climatique, et cela va de mes enfants jusqu’aux principaux décideurs. C’est un grand défi.
La sénatrice Simons : Monsieur Law, vous avez parlé du déraillement de la reprise. C’est ce qui m’inquiète. Il n’y a pas de reprise possible sans le chemin de fer.
M. Law : Je ne saurais pas du tout vous contredire, sénatrice. Le transport ferroviaire fait partie intégrante du réseau. Je décris souvent les défis de la chaîne d’approvisionnement, et je pense que les reportages récents des médias les ont décrits plus activement et mieux que moi, de sorte que le grand public est au courant de ces enjeux qui ont fait les manchettes. Compte tenu de l’interdépendance, je dirais deux ou trois choses. Vous avez posé une grosse question à laquelle je suis loin de pouvoir répondre, mais dans la mesure où nous devons réfléchir sérieusement à la capacité de transport ferroviaire de marchandises comme élément de solution, il y a deux ou trois aspects qui, à mon avis, représentent un point de départ important pour essayer de réaliser des progrès dans ce domaine.
L’un d’eux c’est que les chemins de fer, du moins les grandes compagnies de chemins de fer du pays, ont fait des investissements importants. Les programmes d’investissement en capital de CP et de CN sont vastes. Cependant, je pense qu’il y a des possibilités de collaboration accrue quant à l’usage réservé à ces investissements.
Je vais vous donner un exemple. Lorsque j’ai travaillé avec certains expéditeurs et compagnies de chemins de fer, on m’a parlé de compagnies qui réclamaient des améliorations qui nécessitaient des investissements de la part des expéditeurs. Il y a eu d’excellents exemples où des investissements complémentaires ont permis d’améliorer considérablement le débit et la fluidité du réseau.
Cela ne veut pas dire que tout le monde était entièrement satisfait du résultat ou pensait que l’information qui avait servi à prendre ces décisions était parfaite. Il me semble que c’est une des principales raisons pour lesquelles nous avons recommandé un plan national comportant de telles caractéristiques. Ce ne sont pas des éléments indépendants. Pour vous donner un exemple, côté immobilisations, une dépense ferroviaire aura nécessairement un impact direct sur le réseau, bien au-delà de ce qui se fait localement. Je pense que c’est une caractéristique importante. Il y a moyen d’atteindre des objectifs faciles pour établir la confiance et il existe des exemples de collaboration entre les différents membres de l’industrie et, dans certains cas, le gouvernement lui-même, qui nous en donnent vraiment l’occasion. En l’absence de cela, je suis tout à fait d’accord avec vous que nous ne verrons pas de progrès.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup pour vos déclarations, mais je dois dire que le tableau dressé par M. Marty est assez déprimant. Vous parlez beaucoup de mentalités à changer, alors que le plus difficile à faire dans la société est de changer ces mentalités. Vous parliez des biais. Ce n’est certainement pas le Comité des transports qui a le pouvoir de changer les mentalités des politiciens qui pensent souvent à plus court terme. J’essaie de trouver une solution élégante à ce problème. Vous parlez aussi de différents paliers de gouvernement qui se relancent mutuellement la responsabilité, ce qui fait que personne n’est responsable. Pour toutes les choses dont vous avez parlé — l’analyse multirisque, les cartographies, les banques de données —, qui est coupable? Qui est responsable? Qui doit changer? Parlons-nous du gouvernement fédéral? Devrait-il y avoir un rôle accru dans cette préparation aux changements climatiques? Est-ce que c’est juste que tout le monde doit se serrer les coudes et y aller alors qu’on sait que ce n’est pas la façon de fonctionner de la fédération? Bref, je suis un peu sceptique, mais pourriez-vous au moins nous donner une raison d’être optimistes?
M. Marty : Oui, vous avez raison, sénatrice Miville-Dechêne, c’est un tableau déprimant. Je pense que pour le panel, le message important était de souligner l’urgence quant à la façon d’intégrer l’adaptation au climat à la manière dont nous devons répondre aux catastrophes. Il y a des messages prometteurs et des pratiques existantes. De plus en plus, nous pouvons observer que dans le monde de l’ingénierie et de la conception, ces types de mesures sont gérées de manière intégrée. Nous allons dans une meilleure direction. On commence à le faire. Cela pourrait être plus, bien sûr.
Les ingénieurs d’il y a 10 ou 20 ans ne font pas le même travail que les ingénieurs d’aujourd’hui. Au minimum, je pense que beaucoup de professionnels qui conçoivent les infrastructures se posent désormais la question suivante : doit-on intégrer un aspect lié au changement climatique pour s’assurer que les infrastructures que nous concevons tiendront le coup pendant plusieurs décennies?
Puis, d’un point de vue positif, je dirais qu’il y a une nouvelle prise de conscience, que les communautés ont un rôle à jouer, et ce rôle consiste à apporter des connaissances. Nous comprenons l’importance des connaissances qui existent localement et à l’échelle communautaire. Nous pouvons également voir, maintenant, dans de nombreuses communautés, que la prise de décision est transférée davantage vers la base de la communauté. Ainsi, le partage ou le transfert des décisions, si vous voulez, dans le contexte du changement climatique, est de plus en plus partagé et c’est une bonne nouvelle.
Quand nous pensons à l’adaptation aux changements climatiques, beaucoup de choses sont maintenant faites par les communautés. Je n’essaie donc pas d’être déprimant et d’être uniquement négatif. Il est vrai que le message global est un message d’urgence, mais les investissements qui sont en cours, si on pense aux grands investissements d’infrastructure à l’échelle fédérale, ceux-ci nécessitent que l’on tienne compte du climat pour aller de l’avant et c’est très important; cela permettra, nous l’espérons, d’améliorer la situation.
Le rapport que vous avez en main n’a pas pris en compte tous les aspects du changement climatique. Il ne s’est penché que sur deux aspects et je tiens à le souligner. Il y a l’adaptation, mais aussi la réduction des risques; il y a toutes ces autres dimensions de la santé, du bien-être et d’autres qui font partie d’une approche globale qui est nécessaire pour être plus résilients aux changements climatiques.
[Traduction]
Le président : Je tiens à rappeler aux téléspectateurs qu’il s’agit du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, et nous entreprenons une étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.
Le sénateur Dawson : Monsieur Law, bienvenue au comité. Je serai plus optimiste. Je reconnais que c’est un défi.
La porte d’entrée du Pacifique est un bon exemple de coopération entre les municipalités, de coopération au niveau des ports, de coopération fédérale ... [Difficultés techniques] ... Son succès reposait sur la coopération. Je reconnais que la transparence est importante, mais lorsque le gouvernement et des entités privées doivent gérer des investissements à long terme — c’est l’un des défis, et la sénatrice Galvez l’a soulevé, lorsqu’il est question de l’influence de l’argent sur le processus décisionnel. Nous avons eu du succès avec la porte d’entrée du Pacifique. Serions-nous en mesure d’obtenir son acceptation sociale, si c’était à refaire aujourd’hui?
M. Law : J’ai bon espoir qu’il sera possible de faire des progrès dans ce dossier, sénateur. J’étais sur le terrain pour le travail qui a été effectué dans le cadre de l’Initiative de la Porte et du Corridor de l’Asie-Pacifique. Au départ, les ministres des Transports de l’Ouest canadien s’y sont solidement ancrés et le ministre Lapierre, qui était alors ministre fédéral des Transports, a fait preuve de leadership. Il a été en mesure de réunir le groupe pour aider à cerner les possibilités et les intérêts régionaux et élargir ce modèle, comme vous l’avez dit, pour inclure les intervenants non gouvernementaux qui avaient un rôle à jouer dans ce processus.
Il ne fait aucun doute que les caractéristiques du « oui, mais pas chez moi » qui interviennent parfois dans les questions liées à la mise en service de nouvelles infrastructures de transport sont difficiles, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais je crois aussi qu’il y a des voies à suivre où il y a un terrain d’entente pour apporter des améliorations.
On a formulé d’excellentes suggestions. En ce qui concerne la vallée du Bas-Fraser, il y a eu des initiatives comme le Gateway Transport Collaboration Forum, qui est opérationnel et qui a essentiellement adopté le modèle de l’Asie-Pacifique pour ses analyses de rentabilisation. Le Fonds national des corridors commerciaux a réussi à approuver de 17 à 20 nouveaux projets dans un délai relativement court, sur la base d’une collaboration similaire. Il s’agit en partie de reconnaître les besoins des divers intervenants dès le début du processus et de veiller à ce qu’ils participent aux futures discussions.
Oui, il y a probablement d’autres défis à relever, mais le succès de certaines de ces initiatives me permet d’être optimiste et de croire qu’il y a des leçons que nous pouvons appliquer dans le processus.
La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à M. Marty.
Dans vos observations, vous avez accordé de l’importance à la protection en cas de catastrophe, disant que, dans nos efforts visant à apporter des changements et à progresser, c’était l’une des pierres angulaires. Nous avons beaucoup parlé du rôle du secteur privé et du gouvernement.
Quel est le rôle du public, cependant? Que demandons-nous aux Canadiens eux-mêmes de faire dans ces scénarios visant à régler les problèmes? Les invitons-nous à apporter de grands changements dans leur vie? De modifier considérablement leur comportement? De payer plus d’impôts? De se passer des commodités qu’ils ont fini par apprécier dans leur mode de vie?
Voilà une vaste question très ouverte. Essentiellement, quel est le rôle du Canadien moyen dans les changements que vous jugez nécessaires, particulièrement en matière de prévention des catastrophes, mais aussi sur d’autres plans?
M. Marty : Je vous remercie de vos questions, sénatrice Dasko. Le rapport illustre par plusieurs exemples ce que le public peut faire pour contribuer à atténuer les risques de catastrophe. Il y a des choses simples qu’on peut faire à la maison, comme installer un clapet anti-retour pour éviter le refoulement des égouts, par exemple.
La sénatrice Dasko : Oui.
M. Marty : Il pourrait s’agir de se doter de systèmes fonctionnels pour prévenir les incendies. Ce sont des choses simples.
Il faut ensuite savoir à quoi s’en tenir sur l’endroit où on décide de vivre. Il faut pour cela que les gens aient l’information nécessaire pour savoir où ils se trouvent et quel est leur niveau de risque lorsqu’ils acquièrent une maison qui peut être située dans une zone à risque.
Le rapport ne traite pas du rôle du public dans l’atténuation des changements climatiques. Cela dépasse de loin la portée du rapport, certainement, et peut-être même la portée des discussions que nous avons ce soir.
Nous parlons ici d’infrastructures et de transports. On reconnaît qu’il y a des infrastructures dans les régions urbaines. Il y a au Canada un net clivage entre zones urbaines et régions éloignées. Pour ce qui est du transport et des communications, nous ne pouvons nous permettre de perdre quoi que ce soit, ni dans les collectivités éloignées ni dans les zones urbaines.
Le public doit comprendre que s’il veut recevoir des denrées alimentaires... Nous avons eu des pénuries alimentaires en Colombie-Britannique, par exemple, lors des dernières catastrophes, parce que des infrastructures ont flanché dans un certain nombre de régions. Il s’agit de comprendre à quel point les problèmes à surmonter en cas de catastrophe sont vastes et complexes.
J’ajouterais, sénatrice Dasko, que lorsque nous discutons avec les dirigeants autochtones, surtout dans le Nord du Canada et au Yukon, nous constatons que leurs collectivités font un travail vraiment intéressant pour réduire les risques pour elles-mêmes et leurs infrastructures. Je pense à la gestion des matières combustibles sur les terres. Ils font des efforts. Je songe au brûlage dirigé et à des interventions importantes qui se rattachent aux connaissances de ces communautés et qui pourraient être bénéfiques à d’autres si on les faisait connaître. Ce sont des choses qu’on peut faire de sa propre initiative.
Une dernière réflexion au sujet de l’optimisme, sénatrice Miville-Dechêne. Vous m’avez fait réfléchir à votre question.
Nous parlons beaucoup de « rebâtir en mieux ». C’est une expression qu’on entend souvent, et elle est utilisée à bon escient pour justifier le fait que nous devons réfléchir à ce que nous allons tâcher de mieux faire, compte tenu des changements climatiques. Peut-être que, vu ces changements, en particulier en ce qui concerne les infrastructures, il faudrait se demander ce que nous devons mieux bâtir pour l’avenir et reconnaître qu’il y a des zones où nous ne pouvons pas nous permettre de reconstruire parce que nous savons maintenant qu’il y a des dangers. Sinon dans l’immédiat, du moins dans quelques années.
Cette réflexion se fait. Dans le contexte des changements climatiques, nous devrions nous lancer des défis et nous demander si nous voulons rebâtir ou s’il faut construire différemment et nous tourner vers l’avenir. Pour en revenir à la sénatrice Miville-Dechêne, c’est un message d’espoir, car nous voulons faire mieux à l’avenir et il y a des façons d’y réfléchir.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le président : Ma question s’adresse également à M. Marty, mais peut-être que M. Law pourrait intervenir.
Le Conseil des académies canadiennes a publié un rapport intitulé Bâtir un Canada résilient, dans lequel il conclut que nous ne réussissons pas à intégrer pleinement l’adaptation aux changements climatiques dans les activités, les politiques et les outils de réduction des risques de catastrophe.
Vous avez fait valoir que cela met des collectivités canadiennes en danger. Pouvez-vous tous les deux nous donner un exemple précis de la façon dont les collectivités sont mises à risque? De plus, dans les décennies à venir, comment le risque augmentera-t-il? De quelles régions au juste s’agit-il?
M. Marty : Pour vous donner des exemples précis, nous pouvons remonter à l’automne dernier. Le comité d’adaptation aux changements climatiques a prédit que nous devrions affronter davantage de conditions extrêmes. Cette notion de conditions extrêmes a été galvaudée, peut-être pour de bonnes raisons, parce que nous pensions qu’elles ne se concrétiseraient jamais. Mais ce qui s’est passé l’automne dernier en Colombie-Britannique, où les inondations ont succédé aux incendies, c’est que, premièrement, même si nous savions que les modèles et les données montraient que ces extrêmes pouvaient survenir, nous n’avons jamais été prêts à les affronter. De plus, la science nous a montré qu’il y avait un risque d’effets en cascade, et nous n’avons jamais pensé que cela se produirait. Et c’est arrivé.
C’est l’exemple le plus frappant. Je suis certain que le groupe d’experts du rapport sera d’accord. Nous avons vu arriver quelque chose que nous n’aurions jamais cru possible. C’est l’exemple d’échec qui se profile derrière les propos que j’ai tenus.
M. Law : Voici quelques exemples tirés de mon expérience, dans le secteur des transports en particulier, qui sont analogues à celui qui vient d’être donné.
Je me souviens d’une situation où il y a eu un effondrement de terrain, suivi d’une inondation dans le Sud de la Saskatchewan, ce qui a essentiellement entraîné la fermeture du réseau routier national et directement touché la ligne principale du CP, je crois. Nous savions depuis un certain temps, grâce à une évaluation géotechnique, qu’il y avait là une zone à risque, mais nous n’avons pas assez investi dans des initiatives d’assainissement plutôt simples pour ajouter des ponceaux et des systèmes de drainage supplémentaires. Ensuite, nous nous sommes immédiatement demandé ce que nous allions faire pour rétablir le réseau, compte tenu du volume de circulation et de la valeur des marchandises transportées sur cette ligne de chemin de fer. Qu’allions-nous faire? Allions-nous rebâtir ou non quelque chose immédiatement dans le même secteur?
Nous avons fini par apporter une solution rapide pour commencer, mais nous avons reconnu qu’il fallait changer les choses. Heureusement, une fois que j’ai quitté les fonctions que j’occupais alors, des gens plus intelligents se sont imposés. Ils ont proposé une solution qui a réglé le problème.
Mais, comme mon collègue le sait, le même genre de problématique a été observé dans le Nord. Je me souviens des premières discussions sur les répercussions des changements climatiques sur les transports dont nous avons entendu parler à la table nationale. Elles concernaient le Nord, où, parfois, des routes de glace saisonnières constituaient à peu près le seul moyen d’accès à certaines collectivités pour acheminer leur ravitaillement de toute l’année. Tout à coup, la saison a été écourtée ou, dans certains cas, a carrément disparu. Nous avons dû envisager, pour la première fois, de nouvelles façons d’aborder le problème. Cela correspond à une caractéristique constante dans ce qui a été décrit. Tant que nous ne ferons pas preuve de plus d’ambition à l’égard de certaines des recommandations en matière de prévention qui ont déjà été formulées dans le rapport, nous devrons adopter une approche hybride consistant à fournir des mesures correctives intermédiaires et des solutions à court terme pour contourner les problèmes. Mais je pense que de plus en plus, là où nous pouvons avoir un plan à long terme, notre rapport, qui sera publié dans une ou deux semaines, met en lumière les circonstances où d’autres administrations ont commencé à être beaucoup plus proactives pour être en mesure de faire une évaluation.
En Australie, on a déjà estimé les coûts directs des changements climatiques sur une base annuelle pour les 20 prochaines années. Les Australiens ont établi le budget des projets et, dans bien des cas, ils ont dressé l’inventaire des projets nécessaires pour régler ces problèmes dans le cadre de leurs programmes.
Il ne s’agit pas de partir de zéro quand un incident survient. Dans bien des cas, ils ont anticipé et ils ont commencé à se rapprocher de l’extrémité du spectre dans la façon d’aborder ces problèmes.
Le président : Merci. En fait, c’est une excellente transition vers ma prochaine question.
La réduction des risques de catastrophe exige une combinaison de systèmes d’information adaptés aux besoins des décideurs et de mécanismes de financement et d’assurance souples qui appuient l’investissement proactif. À ce propos, que pensez-vous, l’un ou l’autre ou l’un et l’autre, des niveaux de financement estimatifs que, selon vous, nous devrons obtenir du gouvernement au cours des prochaines années et décennies pour régler ces problèmes?
M. Marty : Compte tenu du contenu du rapport, je ne pense pas pouvoir vous donner une estimation du niveau de financement. M. Law pourra peut-être intervenir.
M. Law : Je crains de ne pas pouvoir faire mieux. C’est une vaste question. Des pays qui ont peut-être de 5 à 10 ans d’avance sur nous ont de bien meilleures données à ce sujet. Je ne suis pas au courant des coûts globaux pour certains de ces différents endroits, mais je sais que des travaux ont été effectués dans ce domaine sur une base sectorielle.
Il existe un certain nombre d’outils de financement. En fait, le Canada s’est fort bien tiré d’affaire. Nous avons trouvé des mécanismes différents de prestation des services et des approches de la construction qui ont permis une meilleure innovation dans certains de ces domaines. Je crois qu’il faudrait en faire un peu plus de ce côté. Mais je suis désolé, je ne peux pas vous donner un chiffre absolu.
Le président : J’aurais été étonné que vous le puissiez. Évidemment, ma prochaine question est ma dernière. Je commence le deuxième tour. Nous reconnaissons tous que, pour atténuer ces problèmes, nous avons besoin de la collaboration de tous les ordres de gouvernement. Nous sommes probablement tous d’accord pour dire que le gouvernement fédéral devrait prendre l’initiative et jouer le rôle central. Il faut trouver un mécanisme qui, outre un plan stratégique et un cadre national, comporte un budget. Si nous ne savons pas exactement ce que nous voulons faire et avec qui, ce que nous pouvons dépenser, ce qu’il faut dépenser, nous continuerons de tourner en rond. Êtes-vous d’accord?
M. Law : Je suis d’accord avec vous pour dire que nous avons besoin non seulement des mécanismes, mais aussi des ressources voulues. Sans cela, je conviens que nous aurons du mal à aller de l’avant.
Ce qui m’a étonné au sujet de programmes précédents, c’est que nous avons certes parlé de la Porte de l’Asie-Pacifique et de l’Initiative des corridors de commerce et de transport, mais que d’autres programmes aussi ont eu du succès. Pour la première fois en 20 ans, le réseau routier national a été reconstruit à peu près au même moment de la mise en place de la Porte de l’Asie-Pacifique. D’autres programmes, comme celui des portes d’entrée et des passages frontaliers, ont été mis en place en vue d’améliorer les passages frontaliers et l’accès aux États-Unis et entre les provinces. À mon avis, nous avons besoin de ressources de ce côté.
D’après ce que j’ai compris, on a de plus en plus envisagé, par exemple au FNCC, d’appuyer la mise en place de meilleures sources d’information, de renseignement commercial et ainsi de suite, de façon à rassembler tout ce qu’il faut pour éclairer la prise des décisions et nous aider à comprendre les coûts qui y sont associés. Tant que nous n’agirons pas de façon systémique — et nous avons décrit certaines façons de le faire, selon nous, dans le rapport qui sera publié —, je ne pense pas que nous puissions accomplir des progrès importants dans ce domaine. C’est une façon de dire, en beaucoup de mots, que je suis d’accord avec vous.
M. Marty : J’ajouterais, monsieur le président, que le travail actuel d’élaboration de la Stratégie nationale d’adaptation est une façon de définir un cadre qui fera appel à de multiples ordres de gouvernement, et des consultations sont en cours pour élaborer de telles stratégies. Ceux qui s’intéressent à l’adaptation aux changements climatiques, du moins, considèrent vraiment cette stratégie comme un document très important pour aller de l’avant, pour intégrer l’adaptation aux changements climatiques à la réduction des risques de catastrophe.
La sénatrice Simons : Pendant les inondations en Colombie-Britannique, j’ai parlé à divers intervenants de l’industrie ferroviaire. Je les ai interrogés au sujet de l’idée de « rebâtir en mieux » ou, comme M. Marty nous a appris à le dire, de bâtir en mieux pour l’avenir. Je leur ai demandé s’ils allaient construire une infrastructure ferroviaire plus résiliente. Leur message? Non, parce que cela coûterait trop cher et que ce serait un fardeau injuste pour leurs actionnaires, qu’il était moins coûteux de remplacer les rails emportés par d’autres rails qui seraient inévitablement emportés à leur tour.
Cela nous ramène au point dont M. Law a parlé, celui de la place que la propriété privée occupe dans les infrastructures absolument essentielles à l’économie canadienne. C’est la tension qui sous-tend la politique canadienne des transports depuis le début de la Confédération, où l’État n’a pas construit son propre chemin de fer, préférant conclure toutes sortes d’ententes avec le CP, y compris sur un allégement fiscal à perpétuité dans les Prairies.
Comment en sommes-nous arrivés à mettre en balance les intérêts des actionnaires des sociétés ferroviaires multinationales et les intérêts de l’économie canadienne, qui dépendent absolument du fonctionnement de l’infrastructure ferroviaire?
M. Law : Madame la sénatrice, vous posez des questions difficiles. Voici quelques réflexions. Tout d’abord, au cours des consultations que j’ai menées auprès de différents membres de l’industrie du transport, j’en ai entendu certains soutenir qu’il y a plus de latitude, que les chemins de fer se débrouillent relativement bien, merci, et qu’il faut tenir compte d’autres intérêts afin de laisser la latitude nécessaire pour affronter les réalités économiques dont vous avez parlé.
Chose certaine, les compagnies ferroviaires ne partagent pas ce point de vue. Selon moi, nous devons vraiment élaborer une vision nationale qui puisse l’emporter sur les perspectives plus locales à cet égard. Cela ne veut absolument pas dire que nous n’avons pas besoin d’être concurrentiels, à l’échelle tant nationale qu’internationale, dans notre contexte commercial. C’est essentiel. Dans l’ensemble, les chemins de fer canadiens se sont distingués par leur capacité de bien réussir dans ce cadre, si on les compare à d’autres entreprises dans l’espace nord-américain.
Il me semble que si nous voulons faire le saut et y arriver, nous devons pouvoir définir une vision qui reconnaît les avantages inhérents. Les compagnies ferroviaires n’auront rien à transporter si nous ne proposons pas des produits concurrentiels qui répondent aux besoins des marchés mondiaux.
Il est dans leur intérêt supérieur, à un moment donné, d’être en mesure d’appuyer ce qui, à mon avis, est une valeur plus importante et de plus haut niveau. À mon avis, il faut commencer par définir ce à quoi cela ressemblera à l’échelle nationale à l’avenir, c’est-à-dire une vision à plus long terme qui ne varie pas au gré des jours, des années ou des assemblées d’actionnaires. Nous devons établir une cible qui précise ce à quoi nous aspirons d’ici 15 ou 20 ans et nous mettre à l’œuvre.
La sénatrice Galvez : J’avoue d’emblée que je n’ai pas non plus de données sur les coûts, mais, étrangement, je suis sûre d’une chose : l’action coûte toujours moins cher que l’inaction. Compte tenu de la tendance des coûts de chaque épisode météorologique extrême et du nombre de ces épisodes et étant donné que ces coûts sont sous-estimés, vu ce que vous avez dit, nous n’allons pas tarder à consacrer une bonne part de notre PIB à la reconstruction. Qu’en pensez-vous?
À propos de ce qu’il reste d’optimisme, j’ai discuté ce matin avec des étudiants en génie civil de la nécessité de modifier notre façon de concevoir les infrastructures, de rendre celles que nous allons concevoir et construire plus robustes, plus souples, avec une duplication. Une partie du problème tient aux anciennes infrastructures.
Pour rester optimistes, nous devons peut-être faire les calculs à court et à long terme. Nous constatons une augmentation du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes, qui s’aggravent de façon exponentielle et se multiplient. Nous ne sommes donc pas prêts à faire face à ces phénomènes combinés. Qu’est-ce qui viendra en premier, une bonne préparation ou une déclaration de faillite parce que nous n’aurons pas les moyens de reconstruire?
Peut-être pourriez-vous nous dire quelle est la priorité et ce qu’il faut faire. Comme nous sommes des législateurs et que nos outils sont législatifs, que devrions-nous recommander dans ce rapport?
M. Marty : Merci, madame la sénatrice Galvez. Je dirai pour commencer que, si vous avez consulté quelques rapports du CAC, vous savez que nous ne formulons jamais de recommandations. Pour répondre aux questions qui nous sont posées, nous tenons à décrire les faits avérés et à communiquer cette information à ceux qui commandent le rapport et au grand public. Il appartient ensuite à ceux qui reçoivent le rapport de formuler des recommandations et de prendre les mesures qui leur semblent le plus efficaces.
Quant à la prévention, je suis tout à fait d’accord avec vous. Comme je l’ai dit dans mes observations, les avantages de la prévention sont sans commune mesure avec le coût de la reconstruction et du rétablissement.
Il semblerait même que le chiffre soit plus élevé, mais je crois que le rendement s’établit à 11 $. Le chiffre est encore plus élevé pour l’infrastructure. Voilà qui montre en fait que, au niveau de l’infrastructure, il est possible de s’attaquer au problème et d’intégrer à la conception des solutions pour résister aux changements climatiques. Le rendement observé pour l’infrastructure se situe parmi les meilleurs.
Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que nous devons tenir compte de l’infrastructure existante et vieillissante et de la nouvelle. C’est un défi pour ceux qui conçoivent l’infrastructure. Il est possible d’adopter de nouvelles normes pour les nouvelles constructions qui seront mises en place et conçues pour durer le plus longtemps possible, pendant toute la période sur laquelle peuvent porter nos prévisions des impacts possibles. Mais il est très difficile de s’adapter à l’infrastructure vieillissante. Je n’ai pas de solution à proposer, mais c’est une distinction très importante à faire.
M. Law : J’ai une brève observation complémentaire. Je simplifie peut-être à outrance, mais je songe aux programmes d’aide en cas de catastrophe que je qualifie de programmes d’assurance. Par le passé, les programmes fédéraux et provinciaux fournissaient souvent du financement en fonction de la structure des programmes pour ramener les sinistrés à la situation antérieure à la catastrophe. C’est ainsi que les programmes sont conçus.
Et si nous faisions autrement? Que se passerait-il si nous proposions plutôt des avantages supplémentaires, des incitatifs aux termes du programme lorsqu’il est établi que le rendement sur l’investissement est différent? Ce serait un autre débat. La mesure serait d’un autre ordre. Cela est étroitement lié à l’établissement des coûts du cycle de vie. Si nous comparions des éléments vraiment comparables, nous pourrions revoir les programmes qui encourageraient et même exigeraient l’application d’un filtre. Dans d’autres pays, en effet, plusieurs filtres sont appliqués. Il faut répondre à des questions avant d’avoir droit à des fonds. Ainsi, au moins, il faut se soumettre à un certain processus.
Je ne sais pas trop, et je ne suis pas un expert en programmes d’aide en cas de catastrophe, mais je sais en tant que praticien que, lorsque j’étais au gouvernement, nous avons souvent dû appliquer des critères qui ne tenaient aucun compte de l’avenir. Il s’agissait plutôt — corrigez-moi si je me trompe — de programmes d’assurance et non de programmes visant à faire avancer la cause.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Law.
Notre étude porte sur l’impact des changements climatiques sur les infrastructures essentielles et l’impact des infrastructures essentielles sur les changements climatiques.
Dans le mémoire que la Canada West Foundation a soumis à Infrastructure Canada en 2001 dans le cadre des consultations sur l’évaluation nationale des infrastructures du Canada, il était indiqué que les infrastructures commerciales devraient être priorisées.
J’aimerais avoir une précision : on peut comprendre la dimension économique, mais diriez-vous que les infrastructures commerciales sont davantage troublées par les changements climatiques?
Est-ce que vous avez une position assez claire par rapport à cela, pour dire si les infrastructures commerciales sont plus enclines à subir les changements climatiques? Aussi, ces infrastructures ont-elles un impact sur les changements climatiques?
Je pose la question, monsieur Law, sur le plan des priorités. Il me semble que, ce qu’on essaie de déterminer dans un futur rapport, c’est quelles sont les priorités sur lesquelles le gouvernement fédéral devrait se pencher.
J’aimerais bien vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
M. Law : Monsieur le sénateur, c’est une très bonne question. Je ne sais pas si nos travaux ont tenu compte précisément de la distinction entre infrastructures commerciales et infrastructures publiques pour voir si les unes sont plus à risque que les autres. Ce que je dirais, cependant, c’est que nous sommes fermement convaincus qu’il faut, pour les investissements tant commerciaux que publics, une évaluation beaucoup plus rigoureuse du rendement pour considérer qu’il s’agit non seulement d’une dépense à court terme, mais aussi d’un investissement.
Quant à mon observation et à la réponse donnée à la question précédente, c’est le point de vue que nous avons adopté sur la façon de procéder qui changerait l’optique : du court au long terme, de simples dépenses consacrées à un projet isolé à une conception des conséquences de l’investissement pour le réseau. Ainsi, nous comprendrions ce que cela signifie pour l’ensemble du système.
Nous avons beaucoup parlé de l’intégration de la chaîne d’approvisionnement. Chez moi, j’expliquais souvent aux hommes et femmes politiques comment, dans bien des cas, le produit est acheminé. Il part de l’exploitation agricole ou d’une source de production locale, est transporté par camion, mis à bord d’un train, transbordé sur un navire à destination de l’étranger. Il faut comprendre la chaîne d’approvisionnement dans tous ses éléments, du début à la fin.
C’est un élément clé de ce qu’il faut faire pour adopter une vision beaucoup plus systémique de l’évaluation. Je ne suis pas sûr que dans la plupart des cas, par le passé, nous ayons appliqué les bons critères d’évaluation. Dans un cas comme dans l’autre, nous ferions bien, concernant les infrastructures commerciales et publiques, d’appliquer des critères de cette nature. Il s’agit de critères d’importance nationale.
Voici quelques exemples qui viennent d’autres administrations. Un critère que nous avons en fait utilisé par le passé pour la Porte de l’Asie-Pacifique et qui est maintenant commun aux pratiques exemplaires les plus avancées au niveau international, consiste à se demander si l’investissement améliore la fluidité du réseau dans son ensemble. Le programme lui-même peut le faire.
Un autre critère souvent utilisé est celui du rendement direct de l’investissement. Il s’agit de comprendre, quand on engage une dépense, si on peut en attendre un certain rendement qui compense la dépense même, et de comprendre dans quelle mesure elle le fait.
Troisièmement, la dépense fait-elle apparaître une nouvelle capacité de production économique? Y a-t-il une possibilité de développement économique, de développement des entreprises ou de croissance qui s’y rattache à une échelle telle qu’elle soit dans l’intérêt national et que nous devions la faciliter? Voilà le genre de critère à appliquer pour prendre ces décisions.
Je dois réfléchir davantage à votre question au sujet de la distinction entre commercial et public, mais je pense que les mêmes critères s’appliquent d’un côté comme de l’autre. Ainsi, nous pourrions mieux ordonner les choses et établir les priorités de premier, deuxième et troisième rang.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
Le président : Le Canada a une économie d’exportation de ressources. Selon RNCan, les exportations de ressources apportent près de 300 milliards de dollars à notre PIB. La part du PIB qui correspond au seul secteur pétrolier et gazier du Canada s’élevait à 128 milliards de dollars en 2017. Le renforcement de la résilience de l’infrastructure nationale nécessite évidemment des investissements importants. Ils doivent venir de quelque part.
Les deux témoins pourraient-ils me donner une idée de la façon d’intégrer le fait que l’économie canadienne est axée sur l’exportation des ressources et la nécessité de faire les investissements nécessaires pour renforcer la résilience de l’infrastructure nationale?
M. Law : C’est avec plaisir que je vais répondre en premier. Si nous recommandons d’accorder la priorité à l’infrastructure des transports, c’est en partie parce qu’elle facilite les exportations et les activités commerciales dont vous avez parlé. Sur ce plan, la résilience a toujours été un problème majeur.
Je me souviens de la première visite que j’ai faite en Chine avec une partie de la délégation commerciale canadienne. Les Chinois avaient alors des connaissances détaillées au sujet des perturbations dans l’Ouest du Canada, perturbations liées au climat, aux transports en hiver, aux relations de travail. Nous avions un problème de camionnage sur la côte Ouest. Nos clients comprenaient bien tout cela.
À mon avis, il y a un rendement possible qui financerait la dépense et même d’autres choses. À dire vrai, je ne pense pas que notre économie soit bien positionnée pour progresser et saisir les occasions qui se présentent.
Un seul fait : selon les prévisions, la classe moyenne mondiale devrait s’accroître notablement, soit d’environ 3 milliards de personnes. Elle peut acheter des produits que nous produisons très bien au Canada. Mais nous devons trouver une façon de nous attaquer aux problèmes de résilience et de fiabilité. Cette difficulté pèse de plus en plus sur notre compétitivité.
Tout cela fait partie d’un ensemble collectif dont nous devons tenir compte lorsque nous avançons ces propositions. Si nous nous y prenons correctement, notre capacité d’exportation s’en trouvera accrue.
M. Marty : Je peux ajouter quelques mots, monsieur le président. Le rapport n’a pas fourni beaucoup de détails sur vos questions précises, c’est-à-dire l’importance des ressources naturelles dans l’économie canadienne et celle de l’entretien des infrastructures. Mais je dirais que les conclusions du rapport mettent en évidence le fait que nous devons avoir une connaissance approfondie des risques pour tous les actifs, y compris les infrastructures, et que cette information est inégale. Elle n’est pas disponible pour toutes les sources de risque qui existent. Encore une fois, je dirais qu’une approche tous risques pourrait vraiment aider à cerner les risques associés à des dangers particuliers et à prévenir les répercussions sur les infrastructures en particulier.
[Français]
Le président : Merci. Sénatrice Miville-Dechêne, vous avez le dernier mot.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une brève question pour M. Law. Vous avez dit plusieurs fois qu’il y a plusieurs pays qui sont en avance sur nous, sur ces questions. Comme le comité commence ses travaux, y a-t-il des pays vers lesquels vous nous dirigeriez, qui pourraient être des modèles intéressants dont nous pourrions nous inspirer?
[Traduction]
M. Law : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Nous nous sommes intéressés à une demi-douzaine de pays qui, selon nous — en fait, indépendamment de ce que nous en pensons — sont reconnus comme offrant des pratiques exemplaires à l’échelle internationale.
Infrastructure Australia est un excellent modèle en raison de la façon dont elle a abordé la question. Les Australiens ont légiféré. Ils s’intéressent à la question depuis 2008. Ils font des mises à jour tous les ans ou aux deux ans. Ils font des vérifications régulières. Ils ont un programme intégré qui a évolué à partir du secteur des transports et s’étend maintenant à tous les secteurs de l’infrastructure qui sont nécessaires d’un point de vue national. La National Infrastructure Commission du Royaume-Uni est un autre excellent modèle. Il y a eu des améliorations récemment en Nouvelle-Zélande et en Malaisie. Ce sont les quatre modèles utiles qui me viennent à l’esprit.
Dans bien des cas, ils ont fait un excellent travail en publiant des mises à jour de leurs rapports respectifs sur la voie à suivre et sur certains des projets clés. Presque tous ont trouvé des façons d’intégrer le secteur privé. Ils ont allongé les parcours de préparation des projets, qui s’étalent sur plusieurs années. Je crois que le Royaume-Uni travaille sur un horizon de 30 ans, l’Australie de 15 et la Nouvelle-Zélande de 20. Ils ont adopté une approche très globale et, dans la plupart des cas, ils y travaillent depuis près d’une décennie. Ces pays ont beaucoup à nous apprendre. Il y en a d’autres, mais je commencerais par ces trois ou quatre-là.
Le président : Je profite de l’occasion pour remercier de sa participation M. John Law, agrégé supérieur de la Canada West Foundation.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur Jérôme Marty, directeur de projets au Conseil des académies canadiennes.
[Traduction]
Je dois dire que votre témoignage a été très fécond. Les deux heures ont passé très rapidement. Nous vous sommes reconnaissants de la patience avec laquelle vous avez répondu à toutes nos questions. Chers collègues, la séance est levée. J’attends la prochaine avec impatience.
(La séance est levée.)