LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 29 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général et, à huis clos, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons ce matin notre étude des services locaux et régionaux offerts par CBC/Radio-Canada.
[Français]
À cet égard, le comité accueille des fonctionnaires du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
[Traduction]
Nous accueillons Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, et Michael Craig, directeur, Programmation et distribution audiovisuelle, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
Bienvenue. Merci de vous être joints à nous.
Je vais demander à mes collègues de se présenter brièvement.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.
Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, de Kennebec, au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Downe : Percy Downe, de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, du Traité no 6, de la Saskatchewan.
Le président : Merci.
Notre invité, M. Shortliffe, disposera de cinq minutes pour ses remarques préliminaires, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Vous avez la parole, Monsieur Shortliffe.
Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Bonjour et merci de nous avoir invités à comparaître devant votre comité.
Avant de commencer, j’aimerais remercier le peuple algonquin anishinabe de m’accueillir ici en tant qu’invité sur son territoire non cédé et non rétrocédé. J’aimerais également remercier le peuple anishinabe d’être le gardien de la terre et des eaux de cette région depuis des temps immémoriaux.
Comme vous l’avez remarqué, je suis accompagné de Michael Craig.
[Français]
Comme vous le savez, le CRTC est un tribunal quasi judiciaire indépendant qui réglemente le secteur canadien des communications dans l’intérêt public. Le CRTC tient des audiences publiques sur des enjeux de télécommunication et de radiodiffusion et prend des décisions fondées sur le dossier public.
Sur le plan de la radiodiffusion, nous mettons en œuvre la Loi sur la diffusion continue en ligne et nous modernisons le cadre de radiodiffusion du Canada. Cela s’ajoute au travail sans relâche que nous faisons dans le domaine de la radiodiffusion, qui comprend l’attribution de licences et la détermination des conditions de service selon lesquelles les radiodiffuseurs peuvent exercer leurs activités au Canada. Un de ces radiodiffuseurs, bien sûr, est la Société Radio-Canada, ou CBC/Radio-Canada, dont la programmation fait l’objet de la réunion d’aujourd’hui.
De son côté, le CRTC impose des exigences qui aident CBC/Radio-Canada à remplir son mandat dans les deux langues officielles pour tous ses services. Le CRTC a renouvelé la licence de radiodiffusion de CBC/Radio-Canada en juillet 2022 et a changé certaines de ces exigences.
[Traduction]
Le CRTC a imposé des exigences améliorées en matière de rapports à la CBC/Radio-Canada pour permettre aux parties prenantes d’évaluer son rendement à l’égard de son mandat, tout particulièrement pour les peuples autochtones, les personnes racisées et celles de la communauté 2ELGBTQIA+ et bien d’autres. Parallèlement, le CRTC a retiré certaines exigences que CBC/Radio-Canada a surpassées régulièrement, comme la production indépendante. Afin d’assurer la conformité, nous recevons des rapports annuels détaillés de CBC/Radio-Canada sur différents aspects de ses licences, en plus d’autres exigences en matière de production de rapports.
En septembre 2022, le gouverneur en conseil a ordonné au CRTC de réexaminer certains aspects des conditions de licence de CBC/Radio-Canada après des requêtes de parties prenantes qui ont soulevé des préoccupations au sujet de certaines conditions. Plus précisément, le gouverneur en conseil a demandé de quelle façon le CRTC allait s’assurer que CBC/Radio-Canada continuerait à contribuer significativement aux nouvelles locales, à la programmation pour les enfants, à la programmation originale en français et à la programmation indépendante.
À la suite du renvoi, le Parlement a adopté la Loi sur la diffusion continue en ligne. Nous examinons actuellement ces éléments de la licence touchés par le réexamen, tout en déterminant comment la Loi sur la diffusion continue en ligne peut aider à nous assurer que ces éléments sont abordés. Nous continuons de surveiller les activités de CBC/Radio-Canada au moyen de ses rapports annuels. À l’heure actuelle, ces activités respectent ou dépassent les exigences.
[Français]
Bien que le processus d’examen soit en cours, permettez-moi d’assurer au comité que le CRTC priorise les questions liées à la programmation de CBC/Radio-Canada qui sont à l’étude, particulièrement l’accès aux services de radio et de télévision locales et régionales, ainsi que les services en ligne. L’accès au contenu local est une priorité importante de notre travail de mise en œuvre de la Loi sur la diffusion continue en ligne. Ces changements nécessaires au cadre de radiodiffusion sont importants et complexes. De nombreuses questions interreliées doivent être abordées. C’est pourquoi nous tenons de vastes consultations tout en agissant rapidement.
En juin, nous avons publié une décision importante qui exige que les services de diffusion continue en ligne fassent une contribution de base au système de radiodiffusion canadien. Ce financement sera affecté à des fonds éprouvés pour appuyer les nouvelles régionales et locales, les artistes indépendants et émergents et d’autres secteurs qui ont des besoins immédiats.
[Traduction]
De plus, nous tiendrons bientôt des consultations publiques sur des questions d’importance pour les Canadiens telles que la mise à jour des exigences réglementaires pour donner plus de latitude aux radiodiffuseurs traditionnels et la mise à jour de la définition de contenu canadien pour le secteur audiovisuel. Nous tiendrons également des audiences sur les relations entre les petits, moyens et grands joueurs du système de radiodiffusion traditionnel, y compris les entreprises de diffusion continue en ligne. Nous nous pencherons également sur la diffusion continue radio et audio en ligne au Canada, notamment sur la définition de contenu audio et sur le soutien à apporter à la musique canadienne.
[Français]
Nous sommes impatients de connaître le point de vue de la population canadienne sur ces enjeux. Nous avons également priorisé notre travail sur la Loi sur les nouvelles en ligne, en soulignant que cette dernière aidera les organes de presse partout au Canada, y compris CBC/Radio-Canada.
[Traduction]
En fait, nous avons rendu hier notre décision sur la demande d’exemption de Google, qui pourra ainsi fournir au Collectif Canadien de Journalisme du financement que le collectif remettra ensuite aux médias d’information canadiens.
Merci encore de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui. CBC/Radio-Canada est résolue à répondre aux attentes des Canadiens à l’égard des radiodiffuseurs et du système de radiodiffusion. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Je vais laisser la sénatrice Miville-Dechêne poser ses questions. Je vais poser les miennes ensuite, si cela vous convient.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi?
La sénatrice Simons : Vous êtes la vice-présidente...
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, c’est gentil.
Ce comité s’intéresse en général au mandat local et régional de Radio-Canada, dont vous avez peu parlé. Vous avez dit que CBC/Radio-Canada avait dépassé les demandes, ce qui me semble très positif. Toutefois, sur le terrain, on ne peut faire autrement que de remarquer qu’en région, au Québec, il y a moins de bulletins locaux et de présence sur le terrain à l’extérieur de Montréal. Je pense en particulier à l’Acadie et aux provinces maritimes, qui doivent toutes se rabattre sur un bulletin produit à Moncton. En fait, Radio-Canada diminue son empreinte et sa présence en région.
Prenez-vous note de cette réalité? Formulez-vous des remarques et des demandes à ce sujet? Je suis consciente que le mandat, sur ce point, précise que Radio-Canada doit travailler selon ses moyens. Je suis consciente du mandat, qui est vague à ce point. Cependant, vous êtes quand même le CRTC. Que dites‑vous et que faites-vous à ce sujet pour les francophones?
M. Shortliffe : Merci pour la question. C’est une question importante. Je dois dire que les licences qui existent actuellement exigent un certain nombre d’heures de programmation locale.
Il n’y a pas beaucoup de détails sur les exigences des licences relatives à la programmation locale. CBC/Radio-Canada excède le nombre d’heures, mais tout est une question de qualité et de richesse.
La sénatrice Miville-Dechêne : Et du lieu.
M. Shortliffe : Et du lieu, oui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Quand on fait un bulletin de nouvelles à partir de Québec pour Rimouski et Matane, ce n’est pas tout à fait régional.
M. Shortliffe : Vous avez raison. Nous avons entendu parler de ces enjeux et c’est important pour nous. Les licences existent, mais nous savons qu’elles doivent changer en raison de la Loi sur les nouvelles en ligne. C’est notre intention, avant la fin de 2025, de commencer à renouveler toutes les licences pour les joueurs canadiens, ce qui inclut CBC/Radio-Canada. À ce moment-là, nous pourrions soulever la question, pas seulement sur le nombre d’heures, qui était la décision du CRTC en 2022, mais peut-être sur les questions liées à certaines localités spécifiques.
Comment dire? Il y a un rôle pour les conseils d’administration de CBC/Radio-Canada et nous faisons des efforts. En même temps, il y a de grandes préoccupations quant au besoin d’avoir plus d’informations locales, pas seulement parce que c’est important pour le mandat de CBC/Radio-Canada, mais parce qu’il y a une diminution des journaux locaux et des radios locales. Il est raisonnable de se demander ceci : est-ce le rôle du diffuseur public de s’assurer qu’il y ait plus de contenu? Je suis certain que c’est une question à se poser pour nous à l’avenir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parlez de la fin de 2025; vous dites que vous allez examiner cela. Cependant, je pense à tous les francophones qui sont à l’ouest du Québec; il y a des communautés pour qui Radio-Canada, c’est le seul endroit où l’on parle français. Il y a des stations qui sont trop petites et qui se battent pour leur survie. Il me semble qu’il y a une certaine urgence : si on veut que les francophones survivent à travers le Canada, encore faut-il qu’ils se retrouvent quelque part.
M. Shortliffe : C’est une bonne question. Nous faisons un effort pour assurer plus de soutien pour les communautés francophones, pas seulement en ce qui a trait à CBC/Radio-Canada, mais aussi pour d’autres stations. Je prends note de votre préoccupation. Je peux dire qu’il s’agit d’une priorité. Cela figure dans la Loi sur les nouvelles en ligne et c’est une grande partie de notre planification. Cependant, il y a beaucoup de choses à faire. C’est une priorité, mais il y en a d’autres.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Je dois vous dire, monsieur Shortliffe, que le sujet me passionne. Ma thèse de maîtrise, qui remonte à la nuit des temps, portait sur CBC, son mandat et ses responsabilités dans les régions. J’ai travaillé six ans comme productrice à CBC.
Au cours de ma carrière dans le journalisme, j’ai vu la programmation locale de CBC rétrécir comme peau de chagrin, non pas seulement dans la division de l’information, mais aussi du côté de la production musicale, théâtrale et documentaire. Des postes régionaux ont été supprimés et les émissions produites en région ont disparu des ondes.
Je poursuis dans la foulée de la question de la sénatrice Miville-Dechêne. Quels outils de mesure avez-vous employés pour conclure que CBC/Radio-Canada va au-delà de ses responsabilités liées à la programmation régionale?
M. Shortliffe : Les conditions des licences prévoient un nombre minimal d’heures de programmation régionale. Dans la dernière licence de radiodiffusion, nous avons assoupli les conditions applicables à la programmation dans les grandes régions métropolitaines parce que les exigences ont toujours été dépassées à ces endroits.
La sénatrice Simons : En êtes-vous certain? Sur quoi vous fondez-vous pour dire que les exigences ont été dépassées à des endroits comme Edmonton, Calgary ou Winnipeg?
M. Shortliffe : Je me fonde sur le nombre d’heures de leur programmation locale.
La sénatrice Simons : Encore une fois, comment avez-vous mesuré le nombre d’heures? Combien d’heures devaient-ils produire? C’est ce que j’essaie de comprendre.
M. Shortliffe : Les conditions de licence précédentes prévoyaient qu’il fallait produire 14 heures...
La sénatrice Simons : Sur quelle période devaient-ils produire 14 heures?
M. Shortliffe : Ils devaient produire 14 heures de programmation locale par semaine.
La sénatrice Simons : Ce nombre d’heures englobe-t-il l’ensemble des secteurs — radio, télévision, réseaux français et anglais?
M. Shortliffe : Non. Le nombre d’heures s’applique seulement à la télévision.
La sénatrice Simons : Je ne parle pas de la télévision. Je parle de la radio.
M. Shortliffe : Vous parlez de la radio?
Avez-vous les chiffres sous les yeux?
Je peux vous faire parvenir les chiffres.
La sénatrice Simons : J’aimerais savoir si ces chiffres ont diminué au cours des 20 ou 30 dernières années. Même si vous me dites qu’ils dépassent leurs cibles, si vous ne me dites pas quelles sont les cibles, je ne suis pas plus avancée.
Lorsque vous avez assoupli les normes, l’avez-vous seulement fait pour la télévision, ou également pour la radio?
M. Shortliffe : Les normes ont été assouplies uniquement pour la télévision dans les grands centres métropolitains.
La sénatrice Simons : Par quoi cet assouplissement s’est-il soldé?
M. Shortliffe : Dans les grands centres métropolitains, où les attentes ont été réduites à 14 heures de production locale par semaine, les normes se chiffrent entre 14 heures 45 minutes et 16 heures.
La sénatrice Simons : Ces 14 heures sont-elles consacrées à la télévision locale qui diffuse de l’information, des affaires publiques et des émissions?
M. Shortliffe : Oui.
La sénatrice Simons : Quatorze heures, ce n’est pas beaucoup.
M. Shortliffe : C’est la norme qui avait été fixée.
La sénatrice Simons : C’est deux heures par jour.
M. Shortliffe : C’était la norme en vigueur pendant les 10 dernières années. Nous n’avons pas...
La sénatrice Simons : Quelle était la norme auparavant?
M. Shortliffe : Je suis désolé. Il va falloir que je fasse des recherches pour répondre à cette question.
La sénatrice Simons : Ce sont ces chiffres-là qu’il faut connaître. Je trouve crucial de comprendre quelles sont les normes pour la radio parce que la télévision, pour moi, en raison entre autres de mon passé de productrice à la radio pendant six ans... C’était la radio locale qui enregistrait et diffusait les concerts de l’orchestre symphonique, les festivals de musique folk et les pièces de théâtre du festival international Fringe d’Edmonton et du festival Fringe de Saskatoon. Toute cette programmation s’est évaporée.
J’aimerais bien voir les chiffres sur la radio.
M. Shortliffe : Me permettez-vous de vous poser une question?
La sénatrice Simons : Oui. Bien sûr.
M. Shortliffe : Je vous pose cette question de bonne foi. Je veux m’assurer de bien comprendre vos préoccupations. Selon les commentaires de la sénatrice Miville-Dechêne, il y a en fait deux choses qui vous préoccupent. Il y a, d’une part, le nombre d’heures de programmation, et d’autre part, le contenu de la programmation en question.
La sénatrice Simons : C’est exact.
M. Shortliffe : Vous voulez vous assurer que les journalistes font des reportages à l’extérieur des grands centres. Vous avez parlé de cet enjeu tout à l’heure.
La sénatrice Simons : Je ne parlais pas des journalistes.
À vrai dire, nos préoccupations sont plus vastes. Il fut un temps où Tommy Banks — qui est devenu sénateur par la suite — animait une émission consacrée à la musique produite par la chaîne locale de CBC à Edmonton. Cette époque est révolue.
Jadis, Edmonton produisait The Irrelevant Show, une des émissions à sketches les plus écoutées à CBC. Cette émission a disparu des ondes et toute la programmation anglaise a été consolidée à Toronto.
En remplissant les cases horaires avec des émissions d’affaires publiques et des émissions à contenu léger, nous sommes loin des grandes productions qui font connaître de nouveaux talents et qui alimentent le réseau. Ce serait important d’obtenir des chiffres.
Je vais vous poser ma question avant que mon temps ne soit écoulé.
Vous avez dit que vous aviez approuvé hier l’exemption de Google d’une mesure que nous connaissons sur le bout des doigts au comité. Je veux parler du projet de loi C-18.
M. Shortliffe : Oui.
La sénatrice Simons : Google a choisi un collectif de petits médias indépendants qui sera chargé de la répartition des fonds. Pourriez-vous me dire le montant des sommes que le collectif versera aux stations régionales de CBC/Radio-Canada conformément au modèle établi dans le projet de loi C-18?
M. Shortliffe : Je ne sais pas exactement combien d’argent sera versé aux régions. Un plafond de 7 millions a été fixé pour CBC/Radio-Canada dans les règlements pris par le gouvernement. Les sommes seront affectées en fonction du nombre d’équivalents temps plein.
Il faudrait que je parle au Collectif canadien de journalisme, ou CCJ, qui administre les fonds. Le CRTC ne les administre pas directement.
Une fois que CBC/Radio-Canada aura fait sa demande au CCJ, ce sera à elle de décider le montant de la somme allouée aux régions.
La sénatrice Simons : Nous avons rencontré les représentants de Patrimoine canadien la semaine dernière. Ils sont convaincus du caractère inapproprié pour le gouvernement de donner des directives à CBC/Radio-Canada sur la façon de dépenser les fonds qui lui sont alloués. Ils ont dit que l’indépendance du réseau public devait être protégée.
Le CRTC détient-il le pouvoir de décider où vont les fonds...
M. Shortliffe : Le projet de loi C-18 ne lui confère pas ce pouvoir. Les règlements énoncent clairement que le rôle du CRTC est d’approuver ou non la demande d’exemption. Nous ne pouvons pas donner de directives au Collectif canadien de journalisme sur l’allocation des fonds ou le choix des organismes qui recevront des fonds au titre du projet de loi.
La sénatrice Simons : Le CCJ peut-il établir ses propres critères? Lorsque nous avons débattu du projet de loi C-18, nous avons travaillé à corps perdu pour apporter toutes sortes d’amendements afin que les Autochtones, les personnes racisées et les personnes noires obtiennent suffisamment de fonds, et que les francophones et les stations locales obtiennent leur part également.
Le CCJ pourra-t-il décider que les 7 millions de dollars versés à CBC/Radio-Canada ne serviront pas à éclairer l’édifice de l’administration centrale, mais plutôt à financer des productions en français en Acadie ou à Edmonton?
M. Shortliffe : Sauf erreur, conformément aux règlements pris par le gouvernement, le CRTC ne peut pas donner de directives, et le CCJ non plus. Le CCJ doit se servir de la formule réglementaire pour diviser les fonds. Ce sont les organismes qui reçoivent les fonds qui décident ensuite comment ils les utiliseront.
La sénatrice Simons : Ainsi, tous ces amendements...
Le président : Merci, sénatrice Simons. Je cède la parole au sénateur Downe.
Le sénateur Downe : Au début de la pandémie, en mars 2020, CBC a annulé l’émission locale CBC Compass diffusée à l’Île-du-Prince-Édouard. C’était la seule émission télévisée produite localement dans la province. Cette décision contrevenait directement aux conditions de licence du réseau établies par le CRTC. La licence prévoyait un nombre d’heures minimal de programmation locale et la tenue de consultations publiques avant d’apporter des modifications aux heures de diffusion. Rien de tout cela n’a été fait. Pourquoi le CRTC n’a‑t‑il pas imposé de sanctions à CBC?
M. Shortliffe : Je dois préciser que je témoigne à titre de fonctionnaire. Je ne peux pas parler des délibérations internes de la commission. Je peux dire par contre que la commission a renouvelé la licence après l’annulation de l’émission. Après avoir examiné le dossier, elle a conclu que les mesures en question ne violaient pas intentionnellement les conditions de licence. La décision a été conditionnée par la pandémie mondiale. Par conséquent, comme c’était un cas de force majeure, la violation n’a pas nécessité la tenue d’une audience publique. C’est la commission qui a décidé de renouveler la licence.
Le sénateur Downe : Aucune autre station de télévision du secteur privé au Canada n’a pris une décision semblable. CBC — qui est financée par les contribuables canadiens, y compris les contribuables de l’Île-du-Prince-Édouard — a été la seule à le faire dans une province qui compte un fort pourcentage de personnes âgées et où la pénétration d’Internet est faible dans certaines régions. Nous dépendions énormément du bulletin de nouvelles télévisé local pour obtenir de l’information à un moment où, je vous le rappelle, les gens ne savaient pas si le poivron vert acheté à l’épicerie devait être passé au micro-ondes pour éviter d’attraper la Covid. Nous étions coupés de l’information à un moment très crucial. C’était très décevant.
Nous avons également été surpris d’apprendre qu’on organise des audiences publiques pour consulter la population sur ses besoins. Le CRTC tient des audiences. CBC prend des engagements. Le CRTC prend des engagements. Toutefois, aux termes de la loi, le CRTC ne peut pas refuser une licence à CBC. C’est une véritable parodie. Des Canadiens bien intentionnés prennent le temps d’envoyer des mémoires. CBC prend des engagements qu’elle n’a aucunement l’intention de tenir, comme on a pu le voir à l’Île-du-Prince-Édouard. Elle fait fi complètement des conditions imposées par le CRTC. On dirait que c’est un projet pour se créer du travail.
M. Shortliffe : Si vous me le permettez, je vais mentionner deux éléments.
Le sénateur Downe : Bien sûr, allez-y.
M. Shortliffe : Selon notre évaluation à ce moment, CBC avait pris cette décision non pas parce qu’elle ne voulait pas diffuser le programme, mais parce que des employés étaient malades ou réticents à se rendre au travail. Vous avez tout à fait raison de dire que cela ne s’est pas produit chez les autres diffuseurs.
Pour faire une comparaison, lorsqu’une canalisation d’eau principale s’est rompue à Montréal plus tôt cette année, Bell Canada, soit CTV, et TVA n’ont pas été en mesure de diffuser leurs programmes pendant quelques jours. Ce n’était pas volontaire. C’était le résultat des circonstances. La commission s’est bel et bien penchée sur la question au moment du renouvellement des licences, mais selon son évaluation, c’est ce qui s’était produit pendant la COVID.
Je dirais toutefois que vous soulevez un bon point, à savoir l’importance de CBC pour assurer la sécurité publique, et c’est bien noté.
Vous avez aussi raison de dire que nous ne pouvons pas leur refuser une licence. Toutefois, nous pouvons les convoquer à une audience obligatoire et, aux termes de la Loi sur les nouvelles en ligne, nous pouvons maintenant leur imposer, dans le cadre d’un processus très long, des sanctions administratives pécuniaires. Le processus est plus complexe que pour tout autre acteur, car il faut tenir une audience publique et faire un rapport au ministre du Patrimoine canadien qui doit le déposer au Parlement pendant 15 jours. Nous disposons donc de ces outils.
Je suis respectueusement en désaccord avec vous quand vous dites que nous n’avons pas d’outils pour faire en sorte que CBC respecte ses engagements. Je soulignerais que le projet de loi adopté par le Parlement accorde plus de privilèges à CBC, en un sens, qu’aux autres diffuseurs, mais nous leur imposons aussi plus de conditions qu’à tout autre diffuseur.
Le sénateur Downe : Je vous remercie de votre réponse. Je veux tout d’abord parler du personnel. On m’a dit que les employés de CBC Charlottetown étaient tout à fait disposés à rentrer travailler. Ils ne sont donc pas responsables de cette annulation. Ils étaient prêts à faire ce qui était nécessaire pour protéger tout le monde. Ils voulaient faire leur travail et fournir ce service aux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard qui en étaient extrêmement dépendants.
Je suis scandalisé de voir qu’on permet que cela continue. C’est vraiment une gamique, selon moi, dans le cadre de laquelle le CRTC n’agit pas. CBC agit en contravention de sa licence. Le CRTC ne prend aucune mesure. On assiste à cette parodie, comme je l’ai dit, dans le cadre de laquelle des Canadiens bien intentionnés soumettent des mémoires, le CRTC tient une audience, et CBC prend des engagements. Non seulement ces engagements ne sont pas respectés, mais en plus, personne n’est sanctionné. C’est le cœur du problème, à mon avis.
Voici ma dernière question. Le comité a entendu des témoignages sur l’indépendance de CBC. La lettre de mandat envoyé par le premier ministre au ministre responsable de CBC en 2020 prévoyait que ses dirigeants devaient renforcer le mandat régional de CBC/Radio-Canada pour qu’elle diffuse plus de nouvelles locales. Ma question s’inscrit dans la foulée de celles de la sénatrice Simons.
En 2020, le mandat consistait donc à augmenter les nouvelles locales, mais je viens d’entendre qu’il n’y a pas eu d’augmentation au cours des 10 dernières années. Est-ce exact?
M. Shortliffe : Il n’y a pas eu d’augmentation substantielle, non.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins.
Je suis nouveau au comité. Je comprends que le CRTC est un tribunal administratif indépendant du pouvoir politique, et que vous êtes là pour juger de la qualité des services qu’offre CBC/Radio-Canada. Pour juger de la qualité de ses services, il faut se pencher sur son mode de financement. Avez-vous une opinion sur le financement? La dernière fois que j’ai regardé le financement de notre radiodiffuseur public, on était au 17e rang parmi les 20 pays occidentaux, avec environ 33 $ par habitant. C’est environ 100 $ par habitant au Royaume-Uni pour la BBC. Faites-vous des analyses comparatives avec vos homologues d’autres pays? Le modèle de financement n’est pas le même. Pour juger de la qualité du service, il faudrait peut-être examiner le financement. Estimez-vous que le financement du diffuseur public est à la hauteur actuellement?
M. Shortliffe : Merci pour les questions.
Je dois être prudent. Nous faisons une comparaison avec le Royaume-Uni et avec d’autres pays. Récemment, il y a eu une conférence de radiodiffuseurs publics ici à Ottawa, et j’ai eu l’occasion de discuter avec des dizaines de radiodiffuseurs publics.
Évidemment, ce serait plus simple pour CBC/Radio-Canada de remplir son mandat avec plus de financement. Ce n’est pas le rôle du CRTC de faire du lobbying auprès du gouvernement en ce qui concerne le financement. C’est plutôt la tâche de Patrimoine canadien. Cela étant dit, quand il y a un examen de licence, une des questions que nous posons est de savoir si CBC/Radio-Canada est capable de respecter certains aspects si nous les imposons. C’est une question pour nous. Notre rôle n’est pas d’imposer au gouvernement des seuils de financement. En même temps, c’est sûr que le niveau de financement pour CBC/Radio-Canada est moindre que pour d’autres diffuseurs publics.
Le sénateur Gignac : J’essaie de savoir qui fait quoi. Patrimoine canadien fait partie du gouvernement. Y a-t-il des experts indépendants qui peuvent nous éclairer? Les dommages collatéraux font en sorte que la société d’État, contrairement à certains pays, va chercher des revenus de publicité. Cela crée des problèmes aux radiodiffuseurs privés en réduisant les revenus publicitaires qu’ils peuvent obtenir. Environ 18 % des revenus de CBC/Radio-Canada viennent de la publicité. Cela crée des problèmes à des radiodiffuseurs privés qui doivent fermer leur entreprise en région. Qui fait quoi? Y a-t-il des experts au Canada? Dites-vous que c’est délicat et que vous ne vous prononcez pas là-dessus? Patrimoine canadien, c’est le gouvernement. J’essaie de savoir qui pourrait nous éclairer. Nous sommes indépendants au Sénat. Nous voulons faire de bonnes recommandations.
M. Shortliffe : J’ai passé 23 ans à Patrimoine canadien. C’est le rôle de Patrimoine canadien de conseiller le gouvernement en ce qui concerne le mandat de CBC/Radio-Canada et de faire en sorte qu’il y ait assez de fonds pour cela. C’est le choix du gouvernement d’avoir un modèle mixte de financement.
Le sénateur Gignac : Je parlais de diffuseurs privés. Pensons à M. Péladeau de Québecor et à d’autres. D’autres pays financent à 100 % les diffuseurs publics. Ainsi, CBC/Radio-Canada va jouer dans la tarte de la publicité. Cela cause des dommages collatéraux aux radiodiffuseurs privés. Vous en souciez-vous? Vous occupez-vous de cela? Qui s’occupe de cela?
M. Shortliffe : C’est un mélange entre nous et Patrimoine canadien. M. Péladeau et d’autres radiodiffuseurs privés ont réclamé une diminution de nos exigences pour les radiodiffuseurs privés. C’est notre intention d’étudier la question sous peu. J’ai mentionné dans mon discours qu’il y a d’autres processus qui viennent. Le temps alloué aux publicités diminue et cela affecte tous les radiodiffuseurs au Canada. Un des rôles du CRTC est de faire en sorte que tous les systèmes de radiodiffusion fonctionnent, pas seulement CBC/Radio-Canada. C’est une de nos priorités.
Le sénateur Gignac : On est en 2024. Ce n’est pas nouveau. Vous êtes en train de me dire que c’est votre intention de vous pencher là-dessus. Vous ne l’avez pas encore fait depuis cinq ans? C’est une constatation que les radiodiffuseurs privés ont des problèmes et ferment leurs stations. On dit publiquement depuis un bon moment déjà que le modèle d’affaires fait en sorte que CBC/Radio-Canada fait une concurrence déloyale au secteur privé. Je suis surpris que vous n’ayez pas encore fait de recommandations. Vous vous penchez là-dessus, vous allez le faire, c’est une bonne nouvelle, mais je suis un peu étonné que vous ne vous soyez pas penché sur la question avant.
M. Shortliffe : Ce n’est pas que nous n’y avons pas pensé auparavant. Toutefois, avec l’adoption du projet de loi C-11, nous avons de nouveaux outils. Il est nécessaire de tenir des audiences publiques, ce qui demande beaucoup de temps. Nous sommes prêts à aller de l’avant avec notre planification. Je ne peux pas partager les plans, car nous sommes un tribunal quasi judiciaire, et je n’ai pas l’autorisation.
La grande préoccupation, c’est le fonctionnement du système en entier, pas seulement CBC/Radio-Canada; on veut s’assurer qu’il y a des radiodiffuseurs dans le secteur privé, particulièrement en région. Il est relativement simple de s’assurer qu’il y a des productions à Toronto, Vancouver, Montréal. Il est important d’avoir ces productions. Cela coûte plus cher d’avoir d’autres centres de production, ce qui explique la tendance à se concentrer dans certaines grandes villes. L’un de nos rôles est de faire en sorte qu’il y ait de bonnes productions en région.
Le sénateur Gignac : CBC/Radio-Canada est admissible au programme des enveloppes de rendement du Fonds des médias du Canada, ce qui a amené un certain inconfort. Les radiodiffuseurs privés ont des problèmes de financement. CBC/Radio-Canada va chercher 36 % des revenus de ce programme. Cela aurait été très utile que l’étude que vous allez faire ait été faite avant d’accorder à CBC/Radio-Canada 36 % de l’enveloppe.
[Traduction]
Le président : J’ai quelques questions aussi à poser à nos témoins. J’ai écouté vos échanges avec le sénateur Downe. Il a parlé de ce qui s’est passé pendant la COVID, et vous avez dit qu’il s’agissait de circonstances exceptionnelles et que ce n’était pas volontaire de la part de CBC. J’ai du mal à comprendre cela, car, au bout du compte, quand on demande à CBC/Radio-Canada de couvrir l’actualité régionale dans les régions du pays qui sont très éloignées, n’avons-nous pas besoin qu’elle le fasse dans les pires moments, soit lorsque nous sommes en pleine pandémie, lorsqu’une canalisation d’eau s’est rompue, ou lors des situations d’urgence? Si elle ne peut pas le faire dans ces moments cruciaux, pourquoi le gouvernement continue-t-il d’augmenter les subventions qui lui sont accordées et qui atteignent maintenant 1,3 milliard ou 1,4 milliard de dollars. Pourquoi le CRTC continue-t-il d’être aussi indulgent?
M. Shortliffe : Je vous remercie de la question. Il est difficile pour moi d’y répondre. Je reconnais qu’il est extrêmement important que CBC/Radio-Canada fournisse des services locaux et des services en temps de crise. Les membres du comité et d’autres intervenants ont bien insisté sur ce point, et nous allons examiner cela dans le cadre de notre examen sur les alertes d’urgence et le 911. Nous devons nous pencher sur toute cette question et sur la résilience des systèmes.
Nous espérons que CBC a tiré des leçons de ce qui s’est passé et qu’elle peut faire mieux. Comme je l’ai dit, la commission a examiné la situation à ce moment et a accepté l’idée qu’elle se trouvait dans une situation hors de son contrôle. Je comprends que le sénateur Downe, respectueusement, n’est pas d’accord, mais c’était notre évaluation de la situation à ce moment.
Au sujet de son financement, c’est une question qui relève du gouvernement. Ce n’est pas le CRTC qui l’établit.
Le président : Nous avions des gens du ministère la semaine dernière et ils ont renvoyé la balle au CRTC et à Radio-Canada. Nous avons des gens du CRTC devant nous aujourd’hui et quand on leur demande quelles sont les conséquences quand la société ne respecte pas les modalités de sa licence, bien sûr, ils renvoient la balle au gouvernement. Nous voyons donc où se trouve le problème.
Pour revenir au point soulevé par la sénatrice Simons, ma deuxième question est la suivante : comment fait-on pour mesurer le succès et quels sont les indicateurs qui marquent la réussite ou l’échec? Vous avez parlé des heures, ce qui semble raisonnable. Naturellement, vous vous préoccupez du nombre d’heures de service; la sénatrice Simons, quant à elle, se préoccupe davantage du contenu et de ce qui est offert aux Canadiens. J’ai un indicateur différent, soit les cotes d’écoute. Selon vous, les cotes d’écoute de CBC/Radio-Canada, pour ce qui est précisément de la radiodiffusion locale d’un océan à l’autre, sont-elles satisfaisantes?
M. Shortliffe : J’hésite à me prononcer sur la question, car je suis ici à titre de représentant de la commission. Je ne suis pas, bien entendu, la commission. Je dirais que CBC/Radio-Canada doit être pertinente pour l’ensemble des Canadiens. Ses cotes d’écoute pourraient assurément être meilleures. C’est une question qui se pose, tout à fait.
Si je peux me permettre de revenir sur un point que vous avez mentionné, je pense qu’il est juste de dire que nous renvoyons la balle à Patrimoine canadien au sujet du financement. Pour ce qui est de demander des comptes à la société — et nous allons tenir un plus grand nombre d’audiences publiques à son sujet à l’avenir —, j’encouragerais les sénateurs et tous les Canadiens à y participer, car nous devons agir sur la base du dossier public. Nous avons des outils que nous pouvons utiliser pour lui demander de rendre des comptes.
Le président : C’est ma dernière question avant de céder la parole à la sénatrice Dasko. Au cours des dernières années, CBC/Radio-Canada a fermé de nombreuses salles de nouvelles partout au pays, en particulier dans le secteur de la radiodiffusion régionale, et elle a mis à pied beaucoup de journalistes. L’an dernier, nous avons adopté le projet de loi C-11, à mon avis sous de faux prétextes. Selon vous, ce projet a-t-il permis, d’une façon ou d’une autre, de renverser la tendance à l’égard de la fermeture des salles de nouvelles et de la mise à pied des journalistes?
M. Shortliffe : Je dirais que nous sommes en train de le faire. Notre décision de l’été dernier visait notamment à ce que les services de diffusion continue versent une contribution de base à des fonds pour appuyer les nouvelles locales, tant à la radio qu’à la télévision. Je dois mentionner que selon notre évaluation, les besoins les plus pressants n’étaient pas du côté de CBC/Radio-Canada ou des grands diffuseurs, mais des diffuseurs indépendants qui font face aux pressions financières les plus importantes. Quand nous avons pris cette décision, je pense que nous avons dit explicitement que c’était une première étape, et que d’autres doivent suivre.
Le CRTC considère que le financement des nouvelles est l’une des questions les plus pressantes qu’il faut résoudre. Les nouvelles sont souvent considérées comme un produit d’appel. Vous avez parlé des coupures dans les salles de nouvelles de CBC. Ces coupures ont été encore plus importantes dans les salles de nouvelles privées. C’est une situation où vous pouvez et allez certainement nous demander des comptes et sur laquelle le CRTC doit se pencher. L’avenir doit être viable...
Le président : Ce que je veux savoir — et je ne demande pas au CRTC de rendre des comptes à ce sujet, bien entendu —, c’est pourquoi les diffuseurs de nouvelles, quelques jours après l’adoption du projet de loi C-11, ont-ils mis à pied un grand nombre de journalistes d’un océan à l’autre, s’ils accordaient une grande importance à ce projet de loi qui devait produire des résultats?
M. Shortliffe : Je crains que vous ne deviez poser la question à ces diffuseurs.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie d’être avec nous. J’essaie encore de comprendre la différence entre local et régional et les exigences à ce sujet. Je pense à ma province, l’Ontario. Comment définit-on local et régional? Quelles sont les exigences à l’égard de CBC, disons, en ce qui concerne la province de l’Ontario? Quand on parle de local, parle-t-on de l’endroit où les émissions sont produites dans un secteur local ou régional, ou parle-t-on du contenu et de ce qui est produit? Aidez-moi à comprendre en quoi consistent les exigences. Je vous pose la question tout simplement.
M. Shortliffe : Je vais commencer et demander ensuite à M. Craig de vous donner plus de détails.
Quand on parle de régional ou de local, on parle de l’endroit où le matériel est produit. Nous allons bientôt avoir des discussions plus approfondies sur la définition de contenu canadien. La définition historique met l’accent sur le lieu de production et sur le producteur, car quand on essaie de quantifier le contenu, les choses peuvent se corser rapidement. Nous en discuterons prochainement. Jusqu’à maintenant, nous regardons où le matériel est produit pour déterminer s’il est considéré comme étant local. Au sujet des exigences particulières, je vais céder la parole à M. Craig pour qu’il vous donne plus de détails.
Michael Craig, directeur, Programmation et distribution audiovisuelle, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Au sujet des exigences particulières, il est important de reconnaître que les pouvoirs de la commission en matière de réglementation se situent à l’échelle de l’entreprise, ce qui veut dire que nous pouvons examiner les activités des stations de radio ou de télévision locales et leur imposer des exigences. Quand nous réglementons, nous pouvons leur imposer des exigences au sujet du nombre d’heures. Dans le cas des stations de télévision dans les régions non métropolitaines ou, historiquement, dans les grandes régions métropolitaines, jusqu’au dernier renouvellement des licences, nous leur imposions des exigences.
Nous imposons des exigences en matière de programmation locale, mais CBC comprend que les exigences seront satisfaites en partie par la programmation régionale. Souvent, comme le montrent les preuves qu’elle a fournies à la commission dans le passé, elle offre une programmation qui ne concerne pas seulement une région précise, mais aussi les environs.
La sénatrice Dasko : D’accord. Au sujet de l’Ontario, donc, qu’est-ce qui est considéré comme régional? Si régional signifie le lieu de la production, selon ce que M. Shortliffe a dit, où faut‑il que cela se passe? Nous retrouvons-nous dans une situation où le régional devient moins régional? Pourrait-on satisfaire à toutes les exigences régionales depuis Toronto, par exemple? Est-ce que cela serait possible?
M. Craig : Je vous remercie de la question...
La sénatrice Dasko : Est-ce que cela répondrait aux exigences de 14 heures, ou peu importe le nombre? Est-ce que le Nord de l’Ontario pourrait être couvert depuis Toronto? Je ne pense pas que ce soit le cas, car vous avez dit que le lieu de production était important. J’espère que vous comprenez là où je veux en venir.
M. Craig : Je crois comprendre, oui, et je peux vous parler encore une fois des exigences que la commission prévoit dans les engagements. Je vais demander ensuite à M. Shortliffe de prendre le relais.
Dans un engagement, la commission imposera un certain nombre d’heures. Dans le passé, si la commission décidait d’imposer 14 heures pour Toronto, elle l’imposait à la station de Toronto locale et donnait ensuite des directives à CBC sur ses attentes. Au bout du compte, les décisions liées à la programmation de CBC et les décisions éditoriales relèvent de CBC. La commission ne précise pas à CBC les décisions éditoriales ou la façon de les prendre.
La sénatrice Dasko : Qu’en est-il d’endroits comme Windsor ou Guelph ou d’autres endroits de ce genre?
M. Craig : À Windsor, en particulier, il y a des exigences du côté de la radio, car la commission avait des inquiétudes au sujet du français, soit que CBC ne les respectait pas dans certains cas. Il y a eu des plaintes. La commission a alors décidé de prendre des mesures supplémentaires à cet égard. Toutefois, je répète que lorsqu’il s’agit de réglementer CBC, la commission, du côté traditionnel, réglemente à l’échelle de l’entreprise, et que le CRTC peut décider d’imposer des exigences là où se trouvent les stations de radio et de télévision.
M. Shortliffe : J’ajouterais essentiellement que lorsque les représentants de CBC ont comparu devant la commission, ils ont dit comprendre ce que nous disions. Ils comprenaient que nous voulions que la programmation et les nouvelles soient locales, et je vais prendre un autre exemple que Windsor. Prenons Ottawa. Les nouvelles seraient en partie régionales, car les nouvelles régionales touchent parfois tout le monde en Ontario, mais ils ont compris en quoi consistait la combinaison.
Lors du renouvellement de ses licences, nous examinerons notamment dans quelle mesure CBC a respecté l’esprit de cette décision. Si, pour reprendre votre exemple, on se retrouve dans une situation où ce qui est considéré comme régional et concerne Windsor porte, en fait, sur les embouteillages sur la promenade Don Valley à Toronto, cela nous serait signalé et nous aurions alors assurément une discussion différente avec CBC/Radio-Canada.
Nous recueillons une quantité énorme d’information sur une base annuelle que nous nous efforçons d’analyser. Nous voulons leur donner la souplesse nécessaire pour qu’ils puissent prendre des décisions éditoriales raisonnables et ne pas faire de microgestion, tout en veillant à ce qu’ils respectent l’esprit des exigences.
Nous avons tenté de trouver un équilibre lors de la dernière décision de licence, et les débats peuvent être vigoureux des deux côtés quant à savoir si nous y sommes parvenus. Nous avions examiné les activités de CBC, du côté tant télévision que radio, et leur avions dit qu’il y avait beaucoup de contenu dans les grandes régions métropolitaines, ce qui était bien, car c’est là où vivent une majorité de Canadiens, mais que nous voulions voir des engagements mieux définis pour les régions. Au sein des régions, dans certaines municipalités, il pouvait y avoir une certaine souplesse, mais nous voulions qu’ils mettent davantage l’accent sur la programmation régionale. C’est un élément que nous allons examiner, car c’est un marqueur que nous avons précisé dans notre dernière décision. Comme CBC agit de manière indépendante sur le plan éditorial, elle décide de la combinaison, mais c’est un élément que nous suivons de très près.
La sénatrice Dasko : Ce sont les gens de CBC qui décident s’il y aura une station à Guelph par rapport à Windsor ou à Thunder Bay ou à North Bay, n’est-ce pas?
M. Shortliffe : Oui.
La sénatrice Dasko : Ils prennent la décision d’ouvrir ou de fermer une station. Ils peuvent dire qu’ils vont fermer celle de North Bay et plutôt assurer la diffusion à partir de Huntsville ou d’ailleurs. Ils prennent régulièrement ces décisions.
M. Shortliffe : Oui.
La sénatrice Dasko : Je vois. Je crois que je comprends un peu mieux.
Pouvez-vous me dire quelle est la principale source de données d’audience à laquelle vous vous fiez? Qu’utilisez-vous comme cotes d’écoute, pour savoir qui regarde quoi et à quel moment, et quelle est la composition démographique? Quelles sont vos principales sources de données crédibles?
M. Shortliffe : C’est une question intéressante, car nous essayons d’utiliser un certain nombre de sources. Il y a Numeris, qui fournit habituellement des données. Ce que je vais dire — et c’est pour nous une préoccupation en tant que conseil —, surtout alors que nous nous tournons vers la diffusion en continu, il est de plus en plus difficile d’obtenir des données exactes. Ce n’est pas une attaque contre Numeris, qui fait un travail extrêmement difficile, mais nous cherchons à avoir plus de sources de données, car lorsqu’on parle de la popularité d’une émission, surtout lorsqu’on peut maintenant y avoir accès sur un éventail de plateformes, il peut alors être difficile d’en mesurer la portée réelle. Lorsque quelque chose est diffusé directement sur CBC Gem, CBC peut nous dire combien de fois on l’a consulté. Il nous faut parfois aller plus loin en posant des questions, par exemple pour savoir si quelqu’un a cliqué et a regardé deux secondes par erreur avant de fermer l’onglet, ou si on a regardé l’émission pendant une heure, et on peut nous fournir cette information. Dans un monde avec différents systèmes de transmission par câble, des systèmes satellites, l’équivalent d’une entreprise de distribution de radiodiffusion comme Amazon Prime, nous essayons de mettre en place un système de collecte des données plus robuste. Je dirais qu’à l’heure actuelle, il n’y pas une seule source de données qui fait autorité. Nous essayons de consulter le grand nombre possible de sources différentes.
Le président : Merci, monsieur Shortliffe. Le temps de la sénatrice Dasko est écoulé.
La sénatrice Muggli : Je réfléchis à la question des paramètres depuis l’intervention plus tôt de la sénatrice Simons, et je suis curieuse à propos d’un des outils de mesure concernant la perception. J’ai beaucoup de perceptions au sujet de beaucoup de choses que je ne connais pas du tout et que je n’ai jamais consommées. J’aimerais savoir ce qu’on entend exactement par « perception ». Comment mesure-t-on la perception, et est-ce une bonne mesure?
M. Shortliffe : C’est une excellente question, et cela dépend de ce qu’on essaie de mesurer. Si vous parlez de la façon dont les gens perçoivent le diffuseur public, nous savons, de toute évidence, que nous renouvelons la licence à intervalle régulier de quelques années. Les processus du CRTC ne sont pas — j’ai peur de le dire et j’espère que nous nous améliorons — une chose à laquelle les Canadiens veulent instantanément participer parce que c’est simple et ouvert. Nous essayons d’améliorer cela, mais j’avoue que nous ne sommes pas les meilleurs à cet égard. Nous essayons de tenir compte d’un certain nombre de sondages et de recherches sur l’opinion publique. Nous essayons de recueillir l’information de différentes façons.
Pour revenir à la question concernant les données, il est difficile de dire qu’une seule source fait autorité, et les sondages sur la perception présentent un risque, car la façon dont la question est posée peut influencer la réponse, comme vous le savez bien.
La sénatrice Muggli : Les questions de sondage confirment-elles que les gens ont consommé le produit avant de leur demander de se prononcer?
M. Shortliffe : Cela dépend de la façon dont chaque sondage est conçu, et c’est certainement quelque chose dont nous essayons de tenir compte au CRTC.
La sénatrice Muggli : Je pense que cela serait une considération très importante, et vous devriez avoir des gens qui savent vraiment comment concevoir des sondages afin que les questions soient posées correctement. Merci.
M. Shortliffe : Tout à fait. C’est un bon point. Merci.
La sénatrice Simons : Je pense que cela enchaîne bien. L’une des difficultés, bien entendu, c’est qu’il n’y a plus personne qui regarde la télévision, la télévision linéaire. Je dis : « plus personne » en généralisant. Je n’ai pas regardé les nouvelles locales de CBC à la télévision depuis de nombreuses années. Je regarde encore les nouvelles locales de CBC à Edmonton, mais en ligne. Il m’arrive rarement de regarder un reportage en continu; je lis plutôt la version écrite, car, bien franchement, à Edmonton, on a tout simplement engagé les gens de la salle de nouvelles de l’Edmonton Journal pour avoir un journal en ligne à CBC. Je me demande comment vous mesurez les clics sur le site Web et à quel point c’est important. Il n’est peut-être pas pertinent d’avoir 14 heures de contenu télévisé si toutes les nouvelles sont présentées en ligne par écrit.
Par ailleurs, j’aimerais savoir si la réponse de Facebook au projet de loi C-18 fait en sorte que moins de personnes peuvent consommer des nouvelles de CBC.
M. Shortliffe : Pour répondre à la deuxième question, je ne le sais malheureusement pas. Nous pourrions nous pencher là‑dessus ou, chose certaine, CBC pourrait fournir la réponse, mais pour être honnête, je ne sais pas.
Pour ce qui est de votre première question, nous nous sommes occupés de la dernière licence avant l’adoption du projet de loi C-11. Nous n’avions donc pas compétence par rapport aux activités de CBC/Radio-Canada sur Internet. C’est maintenant le cas. Lorsque nous allons réexaminer la licence de Facebook, nous allons demander de voir toutes les façons dont la société rejoint les Canadiens. Puisque le président nous a demandé d’être concis, restez à l’écoute. Vous soulevez une excellente question. CBC/Radio-Canada dispose maintenant d’un plus grand nombre de moyens pour joindre les gens. La société relève davantage du CRTC, et il faudra en tenir compte lorsque nous regarderons ses conditions de licence à l’avenir.
Le sénateur Downe : Je me demande si vous pourriez transmettre aux membres du comité les cotes d’écoute de CBC, si vous les avez, pour les grandes villes du Canada et pour l’Île‑du-Prince-Édouard. Si je comprends bien, lorsqu’il y a une forte concurrence à des endroits comme Vancouver et Toronto, la CBC se retrouve bien loin en matière de cotes d’écoute, mais à l’Île-du-Prince-Édouard, où il n’y a pas d’autres nouvelles télévisées produites sur place, les cotes d’écoute sont extrêmement élevées et les gens regardent. C’est la raison pour laquelle nous dépendions beaucoup plus de cette source de nouvelles que d’autres endroits pendant la pandémie.
Je passe à ma deuxième question. J’ai fait valoir plus tôt, et le sénateur Housakos m’a emboîté le pas, que la participation de CBC à la consultation et aux audiences menées par le CRTC est une perte de temps collective puisqu’il ne s’agit pas d’un renouvellement de licence, mais plutôt d’une formalité. Le CRTC envisage-t-il à l’avenir d’imposer une amende à CBC si la société ne respecte pas les conditions de sa licence? Vous pourriez poser la question au conseil et nous revenir avec une réponse.
M. Shortliffe : Je vais poser la question au conseil, mais puisqu’il s’agit d’une question d’ordre juridique, nous ne divulguons pas ce que nous envisageons de faire à l’avenir. Je vais toutefois poser la question au conseil.
Le sénateur Downe : C’est un secteur mandaté et réglementé par le gouvernement. Prenons d’autres secteurs réglementés par le gouvernement, comme celui de la conduite automobile. Nous avons tous un permis. Il faut se qualifier pour en obtenir un. Il y a le code de la route. Si je me fais prendre à rouler trop rapidement, je ne peux pas dire au policier que ma réunion doit commencer une heure plus tôt et que je vais être en retard. Il ne dira pas qu’il s’agit de circonstances auxquelles je ne peux rien et qu’il ne me donnera pas de contravention. Cela ne fonctionne pas ainsi. Ce que vous nous dites, c’est que le CRTC traite CBC de cette façon. C’est totalement inacceptable, et il faudrait changer votre politique.
M. Shortliffe : Nous sommes un tribunal quasi judiciaire qui possède les pouvoirs d’une cour fédérale. Nous procédons exactement comme une cour fédérale : nous n’annonçons pas une sanction avant d’avoir eu un processus public.
Le sénateur Downe : Avez-vous déjà imposé une amende à CBC?
M. Shortliffe : Non. Notre pouvoir d’imposer des amendes a été instauré dans la loi l’année dernière. Nous sommes en train d’élaborer un cadre réglementaire. Nous n’avions pas ce pouvoir avant.
Le président : Soyons clairs, car une décision a été rendue et le sénateur Cardozo et moi-même avons débattu de la question à notre dernière réunion. Si j’ai bien entendu, le CRTC a le droit d’imposer une amende à une organisation qui ne respecte pas les conditions de sa licence.
M. Shortliffe : Oui. Cela s’appelle une sanction administrative pécuniaire. Ce n’est pas exactement une amende, mais c’est similaire. Le but est d’assurer la conformité. Elle peut atteindre un maximum de 15 millions de dollars par violation. C’est le maximum prévu dans la loi. La loi ne nous permet pas d’en imposer une à CBC/Radio-Canada, même si elle modifie certains des pouvoirs. Pour tous les autres diffuseurs, lorsque nous voyons un cas de non-conformité, nous pouvons nommer individuellement des membres du conseil d’administration ou le PDG. Nous n’avons pas le droit de le faire avec CBC/Radio-Canada. Si nous décidons d’imposer une sanction administrative pécuniaire à la société, nous devons préalablement organiser un processus public, informer le ministre du Patrimoine et présenter le dossier au Parlement. C’est dans la loi. Nous n’avons pas de pouvoir discrétionnaire à cette fin.
Le président : Je vous remercie de la réponse. Je voulais tirer la question au clair. Ce que le sénateur Downe fait valoir, c’est qu’il n’y a pas de reddition de comptes possible lorsque nous n’appliquons pas les lois et les règlements en place.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux revenir sur Radio-Canada, pour faire un parallèle avec la question de ma collègue la sénatrice Simons. Il y a effectivement un virage assez impressionnant de Radio-Canada vers son site Web. Ce ne sont pas que des reportages télé et radio qui sont retransmis. On fait du Web, par le Web et pour le Web avec des moyens assez remarquables. Je compare ce qui se fait sur le site Web de Radio‑Canada à ce que font les journaux francophones et les moyens sont manifestement très importants à Radio-Canada. Or, cet agrandissement du site Web provoque une concurrence très importante au sein tous les médias écrits francophones. On part d’un système où le radiodiffuseur faisait de la radiodiffusion à un système qui est en concurrence avec tous les journaux privés qui ont de la difficulté à survivre.
C’est une nouvelle réalité, parce que Radio-Canada veut faire de moins en moins de radiodiffusion, parce que c’est moins écouté que le site Web. Comment vous situez-vous par rapport à cela? Bien sûr, une partie de l’avenir est sur le Web, mais en même temps, Radio-Canada a des moyens démesurés par rapport à d’autres pour occuper ce secteur et autour de lui, les journaux se plaignent passablement.
M. Shortliffe : C’est une excellente question. Je suis d’accord pour dire qu’il y a de la concurrence directe avec les radiodiffuseurs et les journaux locaux. C’est une question que nous allons examiner dans le cadre du projet de loi C-11, car nous avons maintenant davantage d’autorité sur les questions du Web.
La sénatrice Miville-Dechêne : Que pourriez-vous faire? Qu’est-ce que vous avez comme pouvoirs qui vous permettraient d’intervenir?
M. Shortliffe : Nous pourrions établir des normes pour le Web, mais seulement jusqu’à un certain point. Nous pourrions gérer le Web, puisque c’est une question où —
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous pouvez répondre en anglais.
M. Shortliffe : Ce n’est pas une question de français ou anglais; je cherche le bon concept. Lorsqu’on utilise le Web comme radiodiffuseur, s’il y a une histoire qui inclut les matières audiovisuelles et les textes, nous jouons un rôle. Quand c’est seulement du texte, ce n’est pas le cas, parce que c’est Internet en général. Donc, pour nous, c’est important de définir des normes pour le Web, parce que nous comprenons que l’intention du Parlement n’est pas de dire que le CRTC est responsable de tout le contenu sur le Web; ce n’est pas notre mandat.
Cependant, lorsqu’il y a du contenu mixte entre les textes et les matières audiovisuelles, nous jouons un rôle et nous devons à cet effet connaître les écosystèmes des nouvelles entières. C’est une question fondamentale pour nous et c’est une question importante pour l’avenir, pas seulement pour CBC/Radio-Canada, mais pour tous les services de nouvelles qui existent maintenant, parce qu’il y a toujours de plus en plus d’informations sur le Web.
Je pourrais dire que, dans certains cas, c’est une bonne chose, parce qu’il y a de petites villes où il n’existe plus de journaux locaux; il y a des stations de radio qui ont une forte présence sur le Web, et c’est une bonne chose d’avoir des nouvelles très locales pour ces communautés.
Donc, la question n’est pas nécessairement de dire que la concurrence qui existe est une faiblesse pour le système, mais quand il y a plus de voix dans le système, soit des journaux, des stations de radio et des stations de télévision dans le secteur privé et dans le secteur public, c’est la meilleure situation possible.
Pour nous, la question est d’assurer le meilleur résultat possible, et c’est un travail en cours.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
Le président : Pour le troisième tour, si les sénateurs le souhaitent et si nos témoins nous accordent encore quelques minutes, nous allons commencer par la sénatrice Simons, et je suis disposé à entendre d’autres sénateurs.
La sénatrice Simons : On me récompense d’avoir été concise la dernière fois, et nous allons voir si je n’en profite pas trop.
Je veux revenir aux projets de loi C-18 et C-11. On a fait beaucoup de promesses aux Canadiens dans ces deux mesures législatives. Je sais que vous ne les avez pas rédigées. Vous n’êtes responsable que de leur application.
Je me demandais si vous pouviez nous dire si — je veux donner suite aux propos du sénateur Housakos — le projet de loi C-11 se traduira par une augmentation des fonds de production pour que CBC crée plus d’émissions originales qui pourraient provenir des régions grâce à l’argent promis, ou si cet argent va plus vraisemblablement servir à des coproductions avec des services de diffusion en continu comme Netflix, Prime ou Disney?
M. Shortliffe : Ma réponse sera vague tout simplement parce que nous n’avons pas encore pris ces décisions. Les conseillers du CRTC — je n’arrête plus de mélanger nos organisations, ce qui n’est pas bon pour cette réunion... Nous n’avons tout simplement pas encore pris ces décisions. Ce que je peux dire, c’est que nous sommes très préoccupés par la production régionale d’un bout à l’autre du Canada. Nous sommes très préoccupés par l’ensemble de l’écosystème. Nous nous penchons sur la meilleure façon pour les services de diffusion en continu de jouer un rôle à cet égard.
Nous sommes notamment optimistes lorsque nous voyons — et ce n’est qu’une seule production parmi les autres — le tournage de « North of the North », une comédie de situation financée par CBC, APTN et Netflix. Netflix a participé à la construction d’un studio à Iqaluit, ce qui leur permet de filmer là-bas. Le projet n’émane pas du CRTC.
Lorsque nous regardons cela et que nous voyons un diffuseur étranger, APTN et CBC/Radio-Canada travailler ensemble à une production à un niveau jamais vu auparavant à Iqaluit, nous nous disons que c’est le genre de chose que nous voulons voir plus souvent.
La sénatrice Simons : Oui, en effet.
M. Shortliffe : Quant à savoir si ce sera le cas, cela fera partie de notre travail à l’avenir.
La sénatrice Simons : Je veux donc que vous me disiez une chose. À propos des fonds prévus dans la Loi sur les nouvelles en ligne, vous avez mentionné très clairement que le CRTC et le Collectif canadien de journalisme, ou CCJ, n’ont pas le pouvoir de se prononcer sur l’attribution de l’argent.
Grâce aux fonds de production prévus dans ce qui était alors le projet de loi C-11, y aura-t-il une capacité accrue de donner des directives et de dire qu’un certain pourcentage de l’argent doit être dépensé pour la production régionale?
M. Shortliffe : Oui.
La sénatrice Simons : D’accord.
M. Shortliffe : La capacité est beaucoup plus importante. On nous a essentiellement demandé d’appliquer le projet de loi C-18, mais c’est le gouvernement qui a fait le travail stratégique.
Avec le projet de loi C-11, on nous a donné un mandat difficile à remplir, mais nous avons une grande marge de manœuvre par rapport à notre façon de procéder. Nous avions déjà notre processus qui a mené aux contributions de base et que nous avons toujours qualifié de premier pas. Nous estimons que 200 millions de dollars supplémentaires seront consacrés à la production. Cela a toutefois toujours été considéré comme une première étape. Vous allez voir d’autres mesures sous peu. Nous avons pas mal de latitude dans les décisions que nous prenons.
D’un côté, nous devrons toujours nous demander si nous voulons miser au plus haut point sur la formulation de directives, mais en tant que fonctionnaires à Ottawa, nous avons toujours peur de nuire ainsi à l’innovation dans l’industrie. De l’autre côté, si nous laissons la porte grande ouverte, les gens vont dire que le système peut être manipulé. Cela dit, nous avons une bonne marge de manœuvre quant aux règles que nous allons établir relativement à la distribution des fonds et à leur utilisation.
La sénatrice Simons : C’est très intéressant. J’espère que vous allez nous tenir au courant une fois que vous aurez pris ces décisions.
M. Shortliffe : Avec plaisir.
Le président : Je vais poser une dernière question et formuler un commentaire. Nous nous soucions des nouvelles régionales et nous voulons que les régions rurales du Canada soient desservies correctement. Nous avons vu CBC, et à vrai dire d’autres radiodiffuseurs, fermer des stations, des salles de nouvelles et renvoyer des journalistes. Je pense toutefois que nous sommes tous d’accord pour dire que les plateformes numériques procurent un moyen solide de joindre les gens à grande échelle. Nous avons même vu CBC/Radio-Canada reconnaître que la société doit investir — comme elle l’a beaucoup fait — pour renforcer son empreinte et ses plateformes numériques.
L’un des résultats directs du projet de loi C-18 est que Meta et sa plateforme ont dû arrêter de présenter des nouvelles.
Le CRTC a-t-il évalué l’ampleur des dommages relativement à la diffusion d’informations et de nouvelles dans le Canada rural et les régions du pays?
M. Shortliffe : Nous n’avons pas réalisé d’étude qui portait directement là-dessus, non. Cependant, nous échangeons actuellement par écrit avec Meta. Nous avons reçu des plaintes informelles selon lesquelles on a respecté l’interdiction relative aux nouvelles sur la plateforme de Meta. Nous échangeons actuellement par écrit avec les gens de Meta pour essayer de comprendre ce qu’ils font exactement et les conséquences de cela.
Nous avons mis l’accent sur l’exemption de Google. Maintenant que c’est fait, nous nous tournons vers Meta. Je ne dis pas que nous avons constaté que Meta ne respecte pas la loi, mais nous avons des questions. Nous voulons comprendre ce qu’ils font. Par la même occasion, nous essayons aussi de comprendre les répercussions sur l’ensemble du système.
Le président : Je soupçonne qu’ils répondent comme le ferait toute autre entreprise qui estime que ses revenus sont menacés.
Mon autre question porte sur le projet de loi C-11. Le CRTC s’est engagé à créer un cadre. Il était censé le faire d’ici la fin de l’année, mais je crois que l’échéance a été repoussée à la fin de l’année prochaine, si je ne me trompe pas.
Nous savons tous qu’il y aura des élections d’ici la prochaine année. Y a-t-il eu des considérations politiques qui ont encouragé le CRTC à reporter l’échéance à l’année prochaine? La vérité, c’est que nous reconnaissons tous qu’une fois que le projet de loi C-11 entrera en vigueur — et sentez-vous libre de me corriger si je me trompe —, il y a un énorme risque que ces plateformes numériques refilent les coûts supplémentaires à l’utilisateur final, c’est-à-dire le contribuable ou le consommateur canadien.
M. Shortliffe : Je peux dire que je n’ai pas vu de pressions politiques exercées dans le but de modifier le délai, et mes collègues à Patrimoine canadien n’ont pas soulevé la question auprès de moi.
Nous sommes aux prises avec une mesure législative extrêmement complexe qui nous demande de faire beaucoup de choses. Nous avons accordé la priorité aux contributions de base, bien franchement, afin de mettre un pied dans la porte et de dire que nous voulons que les plateformes de diffusion en continu commencent à participer au système et à apporter une contribution.
Pour ce qui est de nos prochaines mesures, auxquelles nous travaillons depuis essentiellement un an, vous allez assister au lancement de nombreuses négociations sur une courte période, car nous essayons de terminer rapidement notre travail stratégique pour pouvoir passer aux conditions de service individuelles.
C’est en grande partie alimenté par des pressions internes au CRTC. Personne ne m’a parlé d’une considération d’ordre politique.
S’il y a des élections, et je parle en tant que membre du personnel, ma seule préoccupation, c’est la période d’interdiction électorale, ce qui signifie que pendant 45 jours, nous ne pourrons rien lancer publiquement. Certains de mes délais seraient touchés. Mes préoccupations politiques ne se limitent qu’à cela en ce moment.
Le président : Monsieur Shortliffe, monsieur Craig, merci de la générosité dont vous avez fait preuve en nous accordant du temps et en répondant aux questions.
(La séance se poursuit à huis clos.)