LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 6 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs.
Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis président de ce comité.
[Traduction]
J’inviterais mes collègues à se présenter brièvement en commençant par ma gauche.
[Français]
La sénatrice Simons : Bonsoir. Paula Simons, de l’Alberta. J’habite dans le Territoire no 6.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
Le président : Merci, chers collègues.
Ce soir, nous poursuivons notre étude des services locaux et régionaux de la SRC/Radio-Canada, en nous concentrant sur le Québec.
Nous accueillons par vidéoconférence M. Daniel Côté, maire de la Ville de Gaspé, M. Pierre Tousignant, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada, Mme Amélie Hinse, directrice générale de la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec, et Mme Angelica Carrero, directrice générale de l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec.
Bienvenue et merci de vous être joints à nous.
Nous commencerons avec vos remarques préliminaires de cinq minutes, en commençant avec le maire Côté, qui sera suivi de M. Tousignant, Mme Hinse et Mme Carrero.
Nous avons aussi avec nous la sénatrice Dasko, de l’Ontario.
Daniel Côté, maire, Ville de Gaspé : Honorables sénatrices et sénateurs, je m’appelle Daniel Côté. Je suis avocat de profession, maire de Gaspé depuis 11 ans, préfet de la MRC Côte-de-Gaspé depuis 7 ans, et j’ai occupé le poste de président de l’Union des municipalités du Québec de 2021 à 2023.
Je témoignerai ici surtout dans le cadre de mes fonctions de maire, quoique je dispose d’un certain regard sur l’ensemble des réalités régionales du Québec, étant donné mes récentes fonctions nationales.
J’ai été convoqué ici à 24 heures de préavis. Ma préparation à l’exercice est légère, mais je suis disposé à tenter d’aiguiller le comité avec ma lecture de la situation.
Chez nous, à Gaspé, je ne peux pas me plaindre de la couverture de Radio-Canada depuis cinq ou six ans. Nous sommes couverts à partir de Gaspé par des journalistes chevronnés, autant à la radio qu’à la télévision, avec un caméraman sur place, une régie, une salle de montage et un studio d’enregistrement sur place, qui sont rattachés au pôle de Matane pour la radio et de Rimouski pour la télévision.
L’animation des émissions matinales et d’après-midi se fait à partir de Gaspé ou de Matane. La qualité journalistique sept jours sur sept et l’animation en ondes sont d’une belle rigueur et d’une grande qualité.
Honnêtement, je n’ai pas à me plaindre de l’offre et du rendu de manière générale.
Il peut arriver que nous n’ayons pas de journaliste sur le terrain lors de conférences de presse ou d’autres événements. C’est aussi le cas des autres médias privés ou communautaires de la région, qui ne peuvent se dédoubler lorsque plusieurs événements ont lieu en même temps sur un immense territoire comme le nôtre.
D’ordinaire, en Gaspésie, un journaliste couvre un territoire de 5 000 à 10 000 kilomètres carrés en moyenne. C’est immense comme territoire à couvrir, mais nous sommes très nombreux et nous sommes répartis sur cet immense territoire. Si le journaliste d’un média est dépêché à Murdochville pour un événement quelconque, il ne peut évidemment pas être à Percé ou à Gaspé en même temps, à 100 ou 150 kilomètres de route.
Si je compare la situation actuelle à celle d’il y a six ou sept ans, la couverture est bien meilleure. Certes, elle demeure perfectible.
Par exemple, lors de nos séances du conseil municipal à Gaspé, qui est la plus grande ville de la région, il est rare de voir un journaliste de Radio-Canada, alors que d’autres médias viennent quasi systématiquement. Est-ce parce que les conseils municipaux offrent des sujets locaux et que Radio-Canada a une vocation plus large, régionale ou nationale? Est-ce parce que nos séances du conseil se passent bien, qu’il n’y a pas de tension entre élus et que ces séances n’offrent pas un aussi bon spectacle qu’ailleurs dans d’autres conseils? Est-ce parce que les horaires de travail des journalistes privilégient un travail de jour plutôt qu’en soirée, quand ont lieu nos séances? Je ne sais pas. Mais si je cherche un écueil dans la couverture médiatique, je gratte fort pour trouver celui-là, car cela se passe bien en général.
Je dois gratter fort pour indiquer que la couverture est souvent moins présente dans les petits villages à l’extérieur des pôles urbains. Encore faut-il qu’il se passe des événements qui peuvent susciter l’attention médiatique pour que des journalistes se déplacent.
Si certains voient dans mon discours plutôt positif une occasion de sabrer les budgets du diffuseur public, détrompez-vous. Ce n’est pas ce que je veux dire du tout.
Nous avons besoin de ce diffuseur public et impartial. Si nous souhaitons une couverture encore meilleure de plus d’événements pour mieux informer les citoyennes et citoyens, il serait de bon aloi d’envisager d’investir davantage afin de bonifier ce service public. Des coupes seraient néfastes pour notre population et la santé de notre démocratie. Nous avons besoin que Radio-Canada couvre adéquatement nos régions. L’information juste et impartiale est l’une des principales clés dans un régime démocratique. C’est une clé importante à maintenir, tant en ville qu’en région. Merci.
Pierre Tousignant, président, Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, je m’appelle Pierre Tousignant et je suis président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada.
Je vous remercie de cette invitation. Le syndicat que je préside représente environ 2 800 salariés à l’emploi de CBC/Radio-Canada au Québec et à Moncton. On les retrouve autant dans le secteur de l’administration que dans les secteurs de la technique et de la production.
Le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada, le STTRC, est membre de la Fédération nationale des communications et de la culture, la FNCC, qui est elle-même l’une des neuf fédérations de la Confédération des syndicats nationaux, la CSN.
Je suis l’un des vice-présidents de la FNCC.
Mais au-delà de ces titres de noblesse, je suis encore et toujours, depuis bientôt 40 ans, un journaliste généraliste. Comme beaucoup de mes collègues, je me souviens parfaitement de mes premiers moments comme employé de CBC/Radio-Canada, le 13 juillet 1998.
CBC/Radio-Canada, c’est plus qu’un employeur et un lieu de travail; c’est le seul média présent aux quatre coins du pays, le seul qui me raconte mon pays et me parle du monde dans une perspective canadienne.
Pour les francophones hors Québec et les anglophones au Québec, CBC/Radio-Canada demeure le principal lieu d’expression et de débats et le reflet de la vitalité économique, sociale, culturelle et sportive des communautés où l’on retrouve des stations.
Je suis, au départ, un produit de la presse régionale. Je peux témoigner de l’importance de cette notion de proximité qu’offre le réseau de stations régionales de CBC/Radio-Canada. Il s’est plus développé au Québec et à Moncton que dans le reste du pays et il constitue, à mes yeux, un joyau qu’il faut non seulement préserver, mais dont il faut soutenir le développement, surtout en cette période de désinformation et mésinformation également marquée par une crise sans précédent qui a déjà entraîné la disparition de centaines de médias.
La FNCC est d’ailleurs engagée avec de nombreux acteurs de la société civile dans une bataille contre ces déserts de l’information qui se sont créés dans plusieurs régions. C’est pourquoi, plus que jamais, CBC/Radio-Canada doit maintenir une présence forte dans les marchés locaux et régionaux, et pas seulement comme diffuseur. Elle doit aussi produire du contenu original, propre à chacun de ces marchés. Le meilleur moyen d’y arriver, c’est encore que ces obligations se retrouvent dans les conditions de licence.
La tendance, au cours des dernières années, a été de sous‑financer la production régionale au profit des stations mères de Toronto et Montréal et d’utiliser les avancées technologiques — et elles sont majeures — non pas pour améliorer l’offre, mais pour en diminuer les coûts. Les gestionnaires de CBC/Radio-Canada ont préféré adopter une approche comptable de la gestion plutôt que de placer l’intérêt des utilisateurs et utilisatrices de CBC/Radio-Canada au cœur de leurs actions.
Je n’ai pas l’expérience du milieu des affaires qu’ont plusieurs des membres de ce comité. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise, c’est qu’un budget est aussi une affaire de choix. Oui, les dirigeants ont l’obligation de faire une gestion efficace des ressources que le gouvernement met à leur disposition, mais ils doivent aussi comprendre que CBC/Radio-Canada est plus qu’une entreprise : elle est la principale fenêtre de ce que nous sommes comme société et, surtout, elle nous appartient. Merci.
Amélie Hinse, directrice générale, Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, bonsoir. Je m’appelle Amélie Hinse et je suis directrice générale de la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec, qui regroupe et soutient 42 télévisions communautaires partout sur le territoire de la province.
Créée pour défendre et promouvoir les médias sans but lucratif, la fédération joue un rôle central dans la valorisation de ces télévisions locales qui appartiennent directement aux citoyens. En soutenant le développement des télévisions communautaires, la fédération contribue activement à la protection d’un média de proximité qui participe à la vitalité démocratique et culturelle du Québec.
L’information locale et régionale a plus que jamais sa place au sein de la programmation canadienne offerte à la population. Bien que ce secteur soit fragmenté avec l’arrivée des nouvelles technologies, il n’en demeure pas moins que les Canadiennes et Canadiens sont à la recherche de contenu local auquel ils peuvent s’identifier et dans lequel ils peuvent se reconnaître.
Vous avez déjà reçu plusieurs données de la part d’autres témoins cette semaine et la semaine dernière, donc je n’irai pas plus loin. Le consensus semblait clair quant au fait que le radiodiffuseur public avait un rôle primordial à jouer dans la production et la diffusion de nouvelles locales. Nous croyons aussi que le pilier communautaire de la radiodiffusion a un rôle tout aussi important à jouer.
Le mandat de CBC/Radio-Canada est de rendre compte de la diversité régionale, contribuer à l’expression culturelle et offrir une programmation qui renseigne, éclaire et divertit.
Le rôle de la télévision communautaire est semblable et est reconnu comme tel par la Loi sur la radiodiffusion, mais la télévision communautaire se distingue en donnant la parole aux communautés. Elle permet aux citoyens de s’exprimer, de partager leurs préoccupations et de faire vivre les réalités et les cultures propres à chaque région. Dans un paysage médiatique où les grands enjeux nationaux et internationaux dominent, les télévisions communautaires assurent une visibilité aux enjeux locaux. Nous croyons que les deux services sont essentiels et complémentaires.
Je vais donner quelques exemples de collaboration qu’il peut y avoir entre les radiodiffuseurs publics et communautaires.
Aux Pays-Bas, la radiodiffusion publique est un modèle hybride public et communautaire. Le diffuseur national, situé dans des emplacements centraux uniques, est composé d’employés professionnels, tandis que les studios régionaux sont comme des studios communautaires où les professionnels travaillent avec des membres de la communauté. De cette manière, les Néerlandais ont une voix directe au sein de la radiodiffusion nationale.
Lors de la mise en œuvre du défunt Fonds pour l’amélioration de la programmation locale en 2010, Karen Wirsig, de la Guilde canadienne des médias, et Cathy Edwards, de CACTUS, qui est l’équivalent de la fédération pour le reste du Canada, ont coécrit un document de recherche intitulé « Partenariats publics et communautaires pour l’amélioration de la programmation locale ». Elles l’ont présenté lors des consultations du fonds auprès du CRTC, suggérant une enveloppe de financement pour encourager la collaboration entre les secteurs. Le CRTC n’a cependant jamais donné suite à cette suggestion.
Le milieu de la télé communautaire a néanmoins commencé à mettre en œuvre quelques idées émanant de ce rapport concernant la manière dont CBC/Radio-Canada pourrait tirer parti de la présence de petits radiodiffuseurs communautaires dans les petites communautés en accédant à leur contenu, et où en contrepartie, les radiodiffuseurs communautaires pourraient tirer profit du leadership journalistique de CBC/Radio-Canada. Cela s’est fait notamment dans le cadre de l’Initiative de journalisme local, où un portail national a été mis en ligne, auquel tous les diffuseurs, que ce soit Radio-Canada ou les diffuseurs privés, ont accès au contenu. En contrepartie, la Société Radio-Canada a fourni gratuitement des formateurs en journalisme de données pour contribuer à améliorer la qualité du journalisme produit par les radiodiffuseurs communautaires.
Nous sommes convaincus qu’une plus grande collaboration serait à l’avantage des citoyennes et citoyens canadiens.
Merci de nous avoir invités à discuter avec vous. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Angelica Carrero, directrice générale, Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec : Bonjour, monsieur le président et honorables sénatrices et sénateurs. Je suis Angelica Carrero, directrice générale de l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec depuis septembre 2024. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invitée.
Je vais tout d’abord faire une petite présentation de l’association.
L’association regroupe et soutient 37 radios communautaires indépendantes établies partout dans la province de Québec. L’association a vu le jour pour représenter ses membres et assurer leur rayonnement et leur croissance en tant que médias communautaires. Elle tient à valoriser l’apport et l’impact qu’ont ses stations membres au sein de leur localité et dans la société en général. Ce faisant, l’association contribue activement à la protection et à l’épanouissement d’un média local.
Je vais faire écho aux propos de ma collègue Mme Hinse, car nous avons plusieurs points en commun puisque nous représentons deux associations de médias communautaires. Je commencerais par souligner l’importance capitale des nouvelles locales, surtout dans le contexte actuel, où les nouvelles fiables se font plus rares. Les Canadiennes et Canadiens sont à la recherche de contenu auquel ils peuvent se fier et s’identifier.
Il semble y avoir un consensus selon lequel le radiodiffuseur public a un rôle primordial à jouer dans la production et la diffusion de nouvelles locales. Nous sommes d’accord avec cela. Selon nous, le rôle de Radio-Canada est important. Radio‑Canada est là pour assurer une certaine impartialité, comme le disait mon collègue M. Côté. Les rôles de ces diffuseurs se rejoignent. Les médias communautaires ont aussi un rôle important à jouer. C’est là mon deuxième point, c’est-à-dire que les rôles sont semblables et complémentaires entre le radiodiffuseur public et le secteur communautaire.
La Loi sur la radiodiffusion précise que la programmation de Radio-Canada doit notamment refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national que régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions. Cette dernière exigence rejoint le rôle de la radio communautaire, qui doit elle aussi cibler les intérêts et aborder les enjeux des auditeurs dans sa région et les représenter. Par contre, la radio communautaire est bien enracinée dans la localité même qu’elle représente. Elle a donc une position enviable et privilégiée, bien que l’on reconnaisse que le radiodiffuseur public a également une emprise à ce niveau. Évidemment, la répartition est tout de même différente.
Les radios communautaires sont créées par et pour le milieu dans lequel elles sont. Leur gestion est assurée par les membres de la communauté. De plus, la radio communautaire donne la parole aux communautés. Elle permet aux citoyens de s’exprimer, de partager leurs préoccupations et de faire vivre les réalités et les cultures propres à chaque région. Nous croyons que les missions des deux radiodiffuseurs sont essentielles et complémentaires. Là où le radiodiffuseur public a des limites, la radio communautaire les comble. En effet, à l’heure actuelle, le retrait de plusieurs stations de Radio-Canada dans plusieurs régions a déjà été comblé par la présence de certains médias communautaires.
En conclusion, nous vous soumettons humblement que la contribution des radios communautaires pourrait renforcer et contribuer à la mission de Radio-Canada, qui est une mission fort importante. Évidemment, ce modèle de collaboration présuppose une rémunération adéquate de toutes les parties impliquées et qui contribuent au travail. De plus, l’expertise des radios communautaires doit être mise de l’avant, et on doit leur faire confiance dans leur façon de faire, autant qu’à l’expérience et l’expertise de Radio-Canada, qui est aussi une valorisation que l’on doit mettre de l’avant.
Merci beaucoup de m’avoir invitée. Je suis ouverte à répondre à toute question.
Le président : Merci pour votre témoignage. Si j’ai bien compris, tous nos témoins disent qu’il est très important d’avoir des télédiffuseurs et des nouvelles locales et régionales et que c’est primordial. Je suis tout à fait d’accord.
Ma question est plus précise. Dans le contexte actuel, si l’on compare avec les années précédentes, est-ce que Radio-Canada remplit l’objectif de fournir le journalisme et la télédiffusion locale et régionale de façon efficace, particulièrement au Québec? Je vois de l’extérieur une entreprise qui reçoit beaucoup de subventions des contribuables depuis 10 ans — de plus en plus. On parle maintenant de 1,4 milliard de dollars par année. Toutefois, année après année, je vois qu’il y a des coupes, particulièrement dans le nombre de journalistes, et le service n’est pas nécessairement au même niveau qu’il y a quelques années. J’aimerais avoir votre perspective spécifique par rapport à Radio-Canada dans les régions au Québec.
Deuxièmement, dans le secteur privé, y a-t-il des télédiffuseurs comme Québecor ou d’autres stations locales qui pourraient remplir cet espace si, par exemple, Radio-Canada disparaissait demain matin?
Mme Hinse : Je vois là deux objectifs, parce que vous parlez de l’échelle locale et régionale. Pour moi, ce sont deux choses complètement différentes. J’ai l’impression que Radio-Canada remplit bien son rôle à l’échelle régionale. Au Québec, Radio‑Canada est présente dans pas mal toutes les régions.
Pour ma part, je suis à Victoriaville, au Centre-du-Québec, et je constate qu’on est laissé pour compte, parce qu’on nous regroupe avec la Mauricie. La couverture médiatique n’est pas extraordinaire. Elle se concentre surtout à Trois-Rivières et Shawinigan, sur la rive nord du fleuve. Toutefois, il y a une couverture régionale.
Pour ce qui est de la couverture locale, la réponse est non. Tout dépend de ce que vous entendez par « locale ». Pour moi, une couverture locale se situe dans les municipalités où les gens habitent, et non à Trois-Rivières, Sherbrooke ou Québec. Ces dernières sont plutôt de grands centres. Ce sont des régions entières du Québec à l’échelle provinciale.
À l’échelle locale, la réponse est non. Je ne crois pas que le secteur privé puisse remplir ce rôle en matière de radiodiffusion. Il en est autrement pour ce qui est des journaux. Il y en a beaucoup plus, bien que leur nombre ait diminué considérablement ces 10 dernières années, étant donné les nombreuses fermetures.
À l’échelle locale, si on ne se tourne pas vers les petites stations communautaires de radio et de télévision, il n’y a pas de couverture à la télévision. On ne se voit pas à la télévision et on ne s’entend pas à la radio. Il est très rare que j’entende parler de Victoriaville ou de la ville de Warwick, où j’habite, à la radio de Radio-Canada. Ils ne viennent pas ici à moins d’une catastrophe majeure.
Je ne pense donc pas que le mandat local soit rempli en ce moment.
Il est vrai que beaucoup d’investissements sont faits et qu’il y a une diminution de la couverture. Par contre, l’investissement par habitant pour ce qui est du radiodiffuseur national est extrêmement faible si on le compare à d’autres pays de l’OCDE. Je ne considère pas qu’énormément d’argent est investi pour l’information locale de CBC/Radio-Canada. Selon moi, l’investissement pourrait et devrait être plus considérable.
M. Tousignant : Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je suis d’accord avec la dernière partie de la réponse de Mme Hinse. Effectivement, CBC/Radio-Canada coûte beaucoup moins cher par habitant que d’autres radiodiffuseurs publics ailleurs dans le monde.
Pour ce qui est de la première partie de votre question, je suis aussi d’accord. Des enjeux organisationnels existent à l’intérieur. Radio-Canada n’est pas la seule entreprise confrontée à cette réalité. Il en va de même pour les radiodiffuseurs privés. La multiplication des plateformes de diffusion a fait en sorte qu’on joue avec environ le même nombre d’employés, mais on a multiplié les sources et les lieux de diffusion, ce qui fait qu’un journaliste qui produisait un ou deux reportages par jour à la radio doit maintenant en produire pour la radio, la télévision, le Web et les plateformes numériques. On a donc autant ou, dans le cas de Radio-Canada, un peu moins de journalistes pour couvrir la même réalité socioéconomique et socioculturelle que par le passé, mais avec des lieux de diffusion multipliés, tout en respectant, dans le cas de Radio-Canada, les normes et pratiques journalistiques. On parlait d’impartialité et je pourrais parler d’honnêteté. Ces règles permettent d’encadrer et de garantir à tout le moins que le travail est fait en vertu d’un certain nombre de normes reconnues.
Il est vrai qu’on a moins de journalistes actuellement pour couvrir les régions du Québec, et on leur demande d’en faire beaucoup plus à l’intérieur du temps dévolu pour faire leur travail. Je suis d’accord avec M. Côté pour dire qu’on voit de moins en moins les journalistes aux conseils municipaux, alors qu’à une certaine époque, des journalistes de Radio-Canada couvraient les réunions du conseil municipal de Gaspé. Je l’ai fait dans plusieurs villes des Cantons-de-l’Est, et c’était vrai aussi ailleurs.
Il y a une réalité objective et des pressions de production qui n’existaient pas il y a 10 ou 15 ans, car on a des lieux de diffusion qui n’existaient pas à l’époque et les moyens n’ont pas suivi. Les coûts de production et les frais fixes de production ont augmenté, ce qui fait que Radio-Canada se retrouve dans un contexte particulier. C’est pourquoi nous demandons — et il y a une appréciation à faire de la part du législateur — un financement adéquat, suffisant et pluriannuel, ce qui n’est pas le cas actuellement. À Radio-Canada, on veut éviter de devoir, année après année, renégocier des enveloppes budgétaires auprès du législateur, ce qui l’empêche de préparer des prévisions budgétaires pour une plus longue période.
Je crois que la collaboration avec les réseaux communautaires est une piste intéressante. Je vous parle en tant que journaliste. Comme les collaborations qui existent entre Radio-Canada et certains médias privés sur des sujets d’enquête, on pourrait imaginer la même chose avec les réseaux communautaires. Même si je n’habite pas à Warwick, à Victoriaville ou à Gaspé, je serais le premier à vouloir entendre de Montréal ou même de Victoria, en Colombie-Britannique, une histoire ou une enquête qui concerne des réalités propres à Gaspé, mais qui me parle en tant que Britanno-Colombien, Albertain ou Ontarien. La beauté de CBC/Radio-Canada, c’est de pouvoir connecter les communautés les unes avec les autres. Même si la nouvelle est très locale ou régionale, il faut pouvoir la rendre transnationale ou canadienne, ce que les autres médias ne peuvent pas faire.
Pour répondre à votre question, non, le secteur privé ne pourrait pas remplacer Radio-Canada demain matin. Le modèle d’affaires des entreprises privées est brisé et il faut en trouver un autre. Il faut trouver des solutions alternatives. TVA a réduit le nombre de journalistes en région et les réalités —
Le président : Monsieur Tousignant, merci pour cette réponse très complète.
Monsieur Côté, madame Carrero, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Côté : Tout a été dit sur le volet local et régional. Je me rallie aux témoignages précédents. Je crois que la situation est à géométrie variable d’un endroit à l’autre au Québec.
Comme je le soulignais plus tôt dans mes remarques liminaires, dans la réalité des plus grands centres urbains, où des journalistes sont implantés, la couverture est meilleure que dans les plus petites localités éloignées, comme c’est le cas à Warwick. Les municipalités comme Grande-Vallée, par exemple, auront beaucoup moins de desserte de Radio-Canada pour leurs enjeux locaux. Cependant, tout ce qui est un peu plus régional est quand même très bien couvert.
Pour ce qui est du secteur privé, je me rallie aux propos que je viens d’entendre. Le secteur privé ne pourra jamais compenser, remplacer ou suppléer à ce que Radio-Canada se doit de livrer comme marchandise. Radio-Canada est un diffuseur public qui obéit à une notion d’impartialité pour rendre un service à la population sans nécessairement devoir tenir compte de la notion de profits à réaliser. Il n’est pas redevable à qui que ce soit, sauf la population ou l’État. C’est un rôle fondamental dans une démocratie. Jamais un diffuseur privé ne pourra se substituer à Radio-Canada.
Mme Carrero : Je me rallie à MM. Côté et Tousignant de même qu’à Mme Hinse. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, au sujet du secteur privé, je crois aussi que les diffuseurs privés ne peuvent pas remplir cette mission. Comme je le disais tout à l’heure, les radios communautaires le font déjà. Elles pallient ce manque. C’est la meilleure preuve que les radios communautaires peuvent vraiment le faire.
La sénatrice Simons : À une certaine époque, alors que j’étais une jeune réalisatrice à CBC Edmonton, j’avais un collègue qui travaillait à Radio-Canada. Nous avons décidé de produire un documentaire ensemble au sujet d’une colonie utopique de la Saskatchewan qui s’appelait la Rolanderie et qui était ultramontaniste. Je trouvais très intéressant de faire ce projet avec lui et je lui avais demandé : pourquoi ne pas le faire en français pour un auditoire francophone? Il m’a alors répondu que c’était impossible, que les gens qui travaillaient à Montréal avaient dit que ce n’était pas une histoire qui les intéresserait, étant donné que c’était une histoire de la Saskatchewan. Il n’y avait pas de francophones en Saskatchewan, même s’il était Saskatchewanais.
C’était la première fois que j’arrivais à comprendre les francophones qui habitent Bathurst, Rimouski, Gaspé, Edmonton, Saskatoon, ou même Saint-Boniface à Winnipeg, qui ont le même problème avec Montréal que les autres Albertains avec Toronto. Les gardiens à Montréal ont décidé que c’était une vraie histoire pour tout le monde.
Mais monsieur Côté, monsieur Tousignant, est-ce la même chose aujourd’hui? Est-ce que cela reste difficile d’entendre des histoires venant d’un autre endroit francophone que Montréal? Ou est-ce que les gens de Montréal décident de ce qui se passe pour tout Radio-Canada?
Je ne parle pas bien le français, mais j’ai essayé.
M. Tousignant : La réponse est oui. Ce n’est pas le fait des journalistes. J’ai assisté au lancement d’un livre coécrit par deux journalistes, une du réseau français et une du réseau anglais. Plusieurs de mes collègues des deux réseaux y étaient également, et nous souhaitons tous qu’il y ait plus de collaboration entre les réseaux français et anglais de Radio-Canada. Ce sont les dirigeants de ces deux réseaux qui gèrent en silo et qui rendent imperméables toutes les possibilités de coproduction entre les deux réseaux. C’est extrêmement difficile.
La sénatrice Simons : Ce n’est pas ma question. Je veux savoir s’il est plus facile maintenant pour les journalistes qui habitent à Bathurst, à Gaspé ou à Rimouski d’avoir accès à nos histoires à Montréal. Ou est-ce que ce sont les gens de Montréal qui décident que ceci est une bonne histoire, ou que cela est ennuyant et pas assez intéressant pour les gens qui habitent à Montréal?
M. Côté : Je peux témoigner d’une certaine expérience à cet effet. Effectivement, c’est encore beaucoup le cas. Il y a une concentration de la nouvelle sur Montréal. C’est rare que les nouvelles régionales se retrouvent dans les bulletins de nouvelles nationaux. En fait, c’est un peu comme si le national se passait uniquement dans les très grands centres. Même les nouvelles de Saguenay, qui est une grande ville québécoise, atteignent très rarement les médias dits « nationaux », ou Radio-Canada dit « national ». C’est la même chose avec TVA et tous les autres grands réseaux dits « nationaux ». Il faut que cela aille vraiment très mal dans une région pour que ce soit considéré comme de la nouvelle nationale.
Pour revenir à des propos que M. Tousignant tenait un peu plus tôt, la connexion entre les régions, c’est un des rôles de Radio-Canada. Ce rôle sera assumé sur les plateformes Web. Mais au-delà des plateformes Web, en radio et en télé, pour qu’il y ait des interactions entre les régions, cela prend vraiment de très, très mauvaises nouvelles pour qu’une nouvelle régionale prenne une certaine envergure et fasse les manchettes nationales et que nos régions se retrouvent sur la scène nationale. Pourtant, n’importe quel événement qui se passe à Montréal, par exemple, va se retrouver automatiquement dans les bulletins nationaux. C’est comme s’il y avait un a priori : si cela se passe dans un grand centre, c’est national, alors que si cela se passe dans une région, c’est régional.
La sénatrice Simons : Pour moi, cette étude n’est pas seulement pour déterminer si nous avons assez de journalistes dans la région. Mais que ce soit en anglais ou en français, c’est le devoir de CBC/Radio-Canada de réfléchir à des manières pour que toutes les histoires soient accessibles à tous les Canadiens, pas seulement les nouvelles de Saguenay pour les gens de Saguenay, mais il faut aussi expliquer ce qui se passe à Saguenay pour les gens qui habitent à Montréal, à Moncton ou à Vancouver.
Cela suffit pour moi.
Le président : Je pense que nous sommes tous d’accord. Vous avez bien fait cela, sénatrice.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai beaucoup de questions. Évidemment, comme j’ai été journaliste, je le dis d’avance, j’ai des opinions et un vécu à Radio-Canada. Monsieur Tousignant, je voudrais tout d’abord que vous nous fassiez parvenir les chiffres dont vous parliez, le nombre déclinant, comme vous l’avez dit, de journalistes. Avez-vous ces chiffres et pouvez-vous nous les envoyer? Je n’en ai pas besoin maintenant, mais je voudrais que vous regardiez cela sérieusement.
Ensuite, effectivement, c’est un peu paradoxal, parce que c’est vrai que la population québécoise habite la province la mieux desservie sur les plans de la télé et de la radio.
J’écoutais M. Côté, qui n’a pas d’intérêt dans Radio-Canada, à part d’en parler de l’extérieur, et franchement, ce n’est pas si mal. Si on compare à l’Alberta et à ce à quoi les francophones ont accès là-bas, on est certainement favorisé.
La partie qui manque à la table, c’est TVA. Vous avez dit que le privé n’est pas capable de prendre la relève et n’a pas les mêmes normes. À ce que je sache, avant les coupes draconiennes qu’il y a eu en région, TVA avait quand même les nouvelles régionales les plus regardées. Est-ce que je me trompe?
Donc, à ce sujet, pourquoi soudainement TVA n’a-t-elle plus d’argent? Ils ont coupé. C’est un peu paradoxal, monsieur Tousignant, que vous disiez que les journalistes de Radio-Canada n’ont pas les moyens de faire ce qu’ils font. Il n’y en a plus à TVA. Nous sommes dans un marché complètement déséquilibré, où je comprends qu’on pourrait vouloir plus de journalistes — c’est toujours mieux d’en avoir plus et de faire juste de la radio et de la télé —, mais en même temps, la SRC reste la plus choyée dans le marché. Est-ce que je me trompe?
M. Tousignant : Non, sénatrice, vous avez raison. Ce que j’ai dit aussi dans le cas de TVA, c’est que le modèle d’affaires pour les entreprises privées est brisé. Je comprends très bien, c’est vrai que Radio-Canada demeure un média choyé, si l’on se compare. Vous avez raison. C’est vrai qu’au Québec, certains choix ont été faits par les directions successives de la radio et de la télévision françaises, contrairement à d’autres choix qui ont été faits au réseau anglais de Radio-Canada, à CBC. Cela fait qu’il y a plus de stations qui servent les petites communautés au Québec, à Sept-Îles, par exemple, ou même à Matane. À Sept‑Îles, il y a une station où une trentaine de personnes font de la télé et de la radio. Tout cela est vrai. Il n’en demeure pas moins que si on veut assurer une couverture correcte, cela prend au moins cela. La difficulté que l’on a, c’est la multiplication des lieux où l’on diffuse, qui vient augmenter la charge de travail, ce qui fait qu’on est journaliste moins longtemps dans une journée et qu’on est producteur de contenu pour différentes plateformes plus longtemps.
Mais vous avez tout à fait raison de dire que la situation de Radio-Canada est enviable si on la compare à celle de TVA ou même à Noovo, qui fait des efforts.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais devoir vous interrompre, monsieur Tousignant, parce que je sais que vous êtes intarissable, mais n’y a-t-il pas un problème de concurrence, maintenant que TVA a moins de journalistes qui font leurs bulletins à partir de grands centres? Est-ce que vous jugez que depuis ces coupes, vous avez moins de variété? Est-ce que cela a eu un impact? C’était des coupes très sévères.
M. Tousignant : La compétition est essentielle pour avoir une pluralité de points de vue. C’est pourquoi à la fédération, on a lancé cette campagne avec plusieurs acteurs du secteur public, y compris des propriétaires d’entreprise de médias, justement pour trouver d’autres formules pour faire en sorte...
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Tousignant, je vais demander à M. Côté de répondre pour avoir une variété de points de vue.
M. Côté : Je ne crois pas qu’un réseau privé peut se substituer au diffuseur public, d’une part. D’autre part, oui, il y a eu des coupes draconiennes chez TVA, parce qu’ils ont une notion de profit qui est inhérente au fait qu’ils sont une entreprise privée, ce que n’a pas une société d’État, comme Radio-Canada. C’est un avantage qu’a Radio-Canada sur le plan de la qualité, du point de vue, de l’impartialité, qui n’est pas imposé à un télédiffuseur privé. Il devrait y avoir de la place pour les deux sur les marchés. Cela dit, il y en a seulement un qui est financé par l’État pour servir les institutions démocratiques.
L’un des rôles du diffuseur public, c’est de diffuser de l’information de manière impartiale, d’informer la population et cette information s’inscrit dans un cadre démocratique et c’est sain pour la démocratie.
Radio-Canada est le gardien d’une information juste, équitable et efficace qui sert la démocratie. Je ne dis pas que les autres ne le sont pas, bien au contraire, ils le sont, mais ils doivent rendre des comptes à des actionnaires privés et c’est une notion qui ne va pas à l’encontre de l’impartialité, mais qui est en porte-à-faux vis-à-vis du devoir d’impartialité de Radio-Canada.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aime beaucoup cette idée selon laquelle vous jugez que Radio-Canada doit travailler avec ses partenaires, justement parce qu’elle est financée par les deniers publics. Elle ne doit pas se comporter comme un monopole, mais plutôt essayer de travailler avec les radios et les télés communautaires. Je trouvais que l’exemple des Pays-Bas que vous nous avez donné était intéressant.
Jugez-vous de façon plus bureaucratique que les conditions de licence de Radio-Canada devraient être renforcées pour s’assurer que cette couverture en région demeure et ait certains seuils? Il y a quand même eu des changements importants. En ce moment, cela se passe bien dans votre région, mais il y a déjà eu une volonté de ramener tous les bulletins à Québec; on a eu cette expérience malheureuse. Donc, les choses peuvent varier selon les budgets ou les patrons en place. Est-ce que vous jugez qu’il devrait y avoir plus d’interventions du CRTC pour imposer des conditions de licence plus sévères à Radio-Canada?
M. Côté : Je ne suis pas spécialiste de la question et je ne m’y étais pas préparé. Cela étant dit, je crois que la vocation de servir les régions et de s’assurer que les régions aient une couverture médiatique journaliste digne de ce nom devrait figurer parmi les conditions de licence de Radio-Canada.
Quand je reviens à la notion de différences entre le public et le privé, en région, il y a souvent moins de bailleurs de fonds, moins de preneurs de publicité pour alimenter les réseaux privés. Souvent, les régions sont un peu moins nanties en grandes entreprises que peuvent l’être les pôles urbains.
La présence du privé est plus difficile sur le plan de la rentabilité, ce que n’a pas à assumer Radio-Canada.
Donc, a contrario, si on prévoit que Radio-Canada doit desservir les localités et les régions, ce serait de bon aloi d’arriver avec de telles conditions.
M. Tousignant : Je pense que d’autres l’ont dit avant moi devant ce comité. Oui, le CRTC doit resserrer les conditions de licence de Radio-Canada pour obliger une répartition plus équitable des budgets au profit des régions, pas seulement au Québec, mais pour l’ensemble du territoire, car cela touche toutes les régions en situation minoritaire.
Le président : À titre d’information, j’ai été informé par le greffier que LCN a déposé une déclaration par rapport à notre étude et ils sont en train de la traduire. On la partagera avec les membres de notre comité.
La sénatrice Miville-Dechêne : On a invité TVA.
Le président : On les a invités, ils ont refusé de venir comme témoins, mais ils ont envoyé une déclaration par écrit.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est exact, ce serait très bien.
Le président : Nous pourrons partager leur point de vue.
La sénatrice Dasko : C’est difficile de poser une question. Vous avez le monde parfait, n’est-ce pas?
[Traduction]
Vous nous donnez l’impression que vous vivez dans un univers des médias qui serait parfait. J’ai du mal à trouver une question à vous poser, mais je vais essayer.
Je m’intéresse à la différence entre la radio et la télévision à Radio-Canada. Y a-t-il un médium plus important que l’autre? Dans l’affirmative, lequel est le plus important, et pour quelles raisons? Y en a-t-il un de plus indispensable que l’autre? Ont-ils tous les deux un caractère essentiel? Ma question s’adresse à tous les témoins. Merci.
[Français]
Mme Hinse : Je pense que les deux sont nécessaires de manière équitable, parce que je pense que c’est extrêmement important pour l’identité de se voir, pas seulement de s’entendre. Malgré le fait qu’on affirme depuis une dizaine d’années qu’il y a une chute de l’écoute de la télévision, cela reste l’endroit où les gens vont s’informer en premier; cela n’a pas changé. L’écoute a diminué en pourcentage, mais la télévision reste le principal média d’information. Il est aussi important que la radio. La radio coûte moins cher à produire, mais il ne faut pas négliger la télévision, parce qu’il faut se voir à l’écran. Ce n’est pas demain que cela va disparaître. La manière dont on va l’écouter va changer; on s’adapte, et c’est parfait, mais la vidéo restera toujours importante.
Mme Carrero : J’aimerais ajouter qu’effectivement, je crois aussi que les deux médiums ont leur importance. Cependant, il ne faut pas oublier que la radio est une grande composante de notre société et on devrait lui donner plus de place. On se bat beaucoup contre les écrans; c’est un fléau. La radio peut être une réponse à beaucoup de problèmes et on pourrait voir là une belle solution de changement. La radio apporte cet aspect qui n’est pas présent à la télé, bien que je suis bien d’accord avec ma collègue pour dire que les deux sont importants. Je pense que l’aspect radiophonique est un aspect à privilégier et à exploiter davantage; je pense qu’on y gagnerait beaucoup.
À la télévision de Radio-Canada, il y a beaucoup de reprises, il n’y a pas beaucoup de productions originales comme telles. Par contre, à la radio, il y a beaucoup plus de productions originales. Donc, je ne sais pas si cela peut être un facteur à prendre en considération, mais j’ai souvent remarqué cela, parce que j’ai travaillé longtemps dans l’audiovisuel et qu’on faisait affaire avec Radio-Canada. Les productions étaient beaucoup moins importantes à la télévision.
[Traduction]
J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Dasko : Oui. Merci. Les autres témoins auraient-ils quelque chose à ajouter?
[Français]
M. Côté : Je dirais que les deux répondent à un besoin qui est, pour ma part, essentiel. La radio va rejoindre une certaine partie de la population. Par exemple, quelqu’un qui se déplace en auto n’aura pas accès à la télé, mais il peut écouter des nouvelles, syntoniser des émissions, se renseigner et rester connecté avec le reste de la planète par les ondes radio.
Quand ils sont dans le confort de leur foyer, les gens se tournent vers la télé. Les deux ont la même place dans l’espace ou dans ce que les gens souhaitent et ce dont la population a besoin comme source d’information. Je pense que les deux doivent avoir leur place.
M. Tousignant : Pour donner un complément à la réponse de Mme Hinse, Radio-Canada, à la télévision comme à la radio, se capte partout au pays; on n’a pas besoin du câble et c’est un outil de communication qui est essentiel en cas d’urgence.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci.
[Français]
Le sénateur Cardozo : Ma question concerne sur le soutien financier du gouvernement fédéral. Il y a une proposition visant à mettre fin au financement fédéral de CBC, le réseau anglais. Selon vous, quel serait l’effet sur Radio-Canada, le réseau français, si la version anglaise de CBC n’existait plus?
M. Tousignant : Depuis 2010, il y a énormément de services qui ont fusionné entre les réseaux anglais et français, dont la gestion des immobilisations et les développements technologiques. Si on sort du Québec, la plupart des stations francophones cohabitent dans les mêmes édifices que leur contrepartie anglophone. « Définancer CBC », j’aimerais bien comprendre ce que cela veut dire de la part de ceux qui prennent cet engagement, parce qu’après cela, les impacts sont réels pour l’ensemble du réseau. Couper le financement de CBC est mettre à mal le réseau français, surtout en situation minoritaire à l’extérieur du Québec. C’est aussi mettre à mal le réseau anglais qui est en situation minoritaire au Québec. Au-delà du slogan « Defund the CBC », il y a une analyse. Je ne suis pas contre le fait de s’interroger sur le bien-fondé du financement de Radio‑Canada; Radio-Canada appartient aux Canadiens, donc c’est une question légitime. Toutefois, il faut aller au-delà des slogans.
Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, cela ferait mal au réseau français.
Mme Hinse : Comment est-ce qu’on pourrait faire circuler les histoires, comme la sénatrice Simons le mentionnait tout à l’heure, entre les communautés à travers le Canada s’il n’y a pas un radiodiffuseur public qui s’occupe de faire cela? La collaboration entre le public et le privé n’est déjà pas facile. Par conséquent, je ne vois pas comment Radio-Canada ferait pour informer correctement le Québec et le Canada francophone dans le reste du Canada si Radio-Canada survivait, mais que CBC disparaissait. Je ne vois pas comment cela pourrait être viable.
M. Côté : Je suis tout à fait d’accord avec les propos des deux autres témoins. Je verrais mal qu’une société d’État qui doit rendre une information impartiale, comme Radio-Canada, se voit privée de financement ou voie son financement diminué. Cela aurait assurément un impact sur le réseau anglophone. Si le réseau anglophone est pénalisé, l’histoire nous dit que le réseau francophone le sera également. Ce serait une très mauvaise idée de couper les vivres à notre société d’État, notre seul diffuseur public au pays.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.
Ma deuxième question concerne le changement dans le monde médiatique. Plusieurs stations de radio, chaînes de télévision et journaux locaux ont fermé leurs portes dans les dernières années. Il y a aussi la présence des médias sociaux. Le monde des médias est très différent aujourd’hui d’il y a 10 ans. Dans cette situation, quel est votre point de vue sur le futur rôle de Radio-Canada? Les consommateurs utilisent beaucoup plus les médias sociaux.
Mme Carrero : Si je comprends bien votre question, monsieur le sénateur, votre question est la suivante : est-ce que les gens iraient chercher les nouvelles sur les médias sociaux par opposition aux autres modes traditionnels? La réponse est non. À l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec, on a fait une étude là-dessus. Plusieurs questions ont été posées. Les gens se tournent beaucoup plus vers les autres sources d’information que les réseaux sociaux. Les gens ne trouvent pas nécessairement que ces informations sont fiables. Si l’on se base sur l’étude qu’on a faite et sur la fiabilité des informations, je pense que non.
Mme Hinse : C’est vrai que le consommateur, le citoyen se tourne beaucoup vers les réseaux sociaux. Par contre, nous, en tant que producteurs de contenu, nous ne pouvons pas dépendre de ces réseaux sociaux. On vient de le voir avec Meta, qui a coupé l’accès aux liens vers les nouvelles pour tout le Canada. Nous ne pouvons absolument pas nous permettre d’être dépendants d’un réseau social pour la distribution de nos nouvelles ou de notre contenu. Cela reste un moteur, un canal vers lequel on peut faire de la distribution, mais cela nous prend autre chose à quoi se raccrocher et qui est indépendant de tout cela. On ne sait jamais. On n’a pas de contrôle sur ces réseaux qui sont privés. Ils n’ont pas le bien-être du citoyen à cœur; ce n’est pas leur mandat. Ils doivent mettre de l’argent dans les poches de leurs actionnaires. Il faut être extrêmement prudents. Ce qui est arrivé avec Meta pourrait très bien arriver avec d’autres réseaux sociaux.
M. Côté : J’ajouterais qu’il y a aussi un enjeu fondamental sur le plan des algorithmes générés par les médias sociaux, qui vont toujours avoir tendance à nous propulser des nouvelles ou des sujets qui sont liés à ce qu’on a vu ou lu récemment, de sorte qu’on creuse toujours dans la même sphère ou dans la même idéologie. Un réseau social ne pourra jamais remplacer un diffuseur public comme Radio-Canada en ce qui concerne la qualité de l’information.
Il y a aussi les diffuseurs privés chez qui l’on peut s’abreuver à bien des points de vue différents, alors que les médias sociaux auront toujours tendance, à cause de leurs algorithmes, à nous amener vers le même point de vue et à nous y consolider. C’est ce qui cause énormément de polarisation dans nos sociétés actuelles. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais je suis l’actualité et la politique depuis assez longtemps pour voir le phénomène de polarisation et être capable de l’associer en bonne partie aux algorithmes générés par les réseaux sociaux. Ce serait une très mauvaise idée de mettre notre information uniquement entre les mains des réseaux sociaux. Que les réseaux sociaux propulsent l’information, soit, mais que les réseaux sociaux deviennent « la » source d’information, ce serait l’une des pires mauvaises idées de l’humanité.
Le sénateur Cardozo : Merci pour vos propos sur la question de la polarisation. Monsieur le maire, utilisez-vous les médias traditionnels plus que les médias sociaux, ou utilisez-vous les deux?
M. Côté : Je suis assez exposé médiatiquement depuis plusieurs années. En fait, j’utilise personnellement des réseaux sociaux pour partager de l’information que je veux bien partager. Par contre, je suis sollicité par tous les médias, autant privés que communautaires, et par notre diffuseur public. Bref, j’essaie d’en donner à tout le monde pour que la population puisse avoir l’information que j’ai à lui transmettre, et ce, peu importe le type d’information ou l’endroit où ils vont la chercher.
Cependant, je ne suis qu’un individu qui parle au nom d’une ville et d’une MRC. C’est le cas de la plupart des politiciens, qui tentent de diffuser leur message sur le plus de plateformes possible. Se contenter uniquement sur Facebook pour atteindre un certain nombre d’abonnés, ce ne sera jamais suffisant pour partager de l’information. Ce n’est pas tout le monde qui est sur les réseaux sociaux. Encore une fois, j’associe les réseaux sociaux aux risques des algorithmes qui sont générés. À la limite, cela devient dangereux, tellement les algorithmes sont en mesure de concentrer l’information sur un point très précis de ce qu’on veut voir ou de ce envers quoi on a montré un certain intérêt. Ce serait mon énorme bémol en ce qui concerne les réseaux sociaux.
Le président : Nous remercions infiniment nos témoins d’avoir été avec nous et d’avoir partagé leur perspective sur ce sujet important.
[Traduction]
La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
La vice-présidente : Pour le deuxième groupe de témoins, le comité accueille M. Christopher Waddell, professeur émérite à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton.
Bienvenue. Merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire de cinq minutes. Ensuite, vous serez invité à répondre aux questions des sénateurs. Monsieur Waddell, vous avez la parole.
Christopher Waddell, professeur émérite, École de journalisme et communications, Université Carleton, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invité à témoigner ce soir. Je devais initialement témoigner la semaine dernière, mais malheureusement, j’ai eu un empêchement. Je suis ravi que le greffier ait été en mesure de m’inviter à comparaître aujourd’hui.
La vice-présidente : Nous tenions à vous entendre.
M. Waddell : Merci. J’espère que ma prestation sera à la hauteur de vos attentes.
Je suppose que j’ai été invité à participer en raison de l’ouvrage The End of the CBC?, que mon défunt ami David Taras, de l’Université Mount Royal, et moi-même avons corédigé en 2019 pour les Presses de l’Université de Toronto. Le livre a été publié seulement deux semaines avant le début de la pandémie, en mars 2020, mais les tendances que M. Taras et moi-même avons décrites en ce qui touche le réseau anglais de télévision CBC n’ont fait que s’amplifier durant l’intervalle de presque cinq ans qui a suivi. J’estime que notre analyse des causes de l’état actuel du réseau anglais de télévision CBC et la nouvelle itération que nous proposons sont tout aussi pertinentes aujourd’hui que lorsque nous avons rédigé le livre.
Il faut apporter une réforme radicale au rôle de la radiodiffusion publique dans l’environnement médiatique contemporain. Malheureusement, c’est le genre de réflexion que le gouvernement fédéral évite depuis toujours.
Pour l’heure, le gouvernement fédéral continue de subventionner les salaires de journalistes qui travaillent dans ce qui était autrefois les médias imprimés pour aider à compenser une partie des revenus publicitaires perdus au profit de Google et de Facebook. Le Parlement octroie environ 1,4 milliard de dollars par an à CBC/Radio-Canada pour permettre au diffuseur d’avoir sa part des publicités des annonceurs, que se disputent également les médias subventionnés par le gouvernement. C’est complètement incohérent comme politique.
Les changements observés dans les médias au cours des 15 dernières années portent à croire que les médias ne peuvent plus faire plaisir à tout le monde. Ils doivent faire des choix et prendre la décision difficile de cesser leurs activités dans des secteurs où ils ne sont plus compétitifs. Chacun doit se concentrer sur ce qu’il estime faire mieux que tous les autres.
Les nouvelles, les questions d’actualité et les émissions d’information sont les seuls services qui permettent à la télévision anglaise de CBC de conserver un avantage concurrentiel, que ce soit en ligne, dans les marchés des radios locales un peu partout au pays ou dans les effectifs de correspondants canadiens que le réseau envoie à l’étranger pour montrer aux Canadiens ce qui se passe dans le monde à travers une lorgnette canadienne. À l’exception du Globe and Mail, les médias canadiens ont abandonné les reportages à l’étranger pour réduire les coûts. Autrement dit, les Canadiens apprennent ce qui se passe ailleurs dans le monde en consommant des médias et des services de nouvelles étrangers — dont le contenu correspond aux intérêts des auditoires des pays en question, et non pas aux intérêts des auditoires canadiens.
La nouvelle itération de CBC doit se concentrer sur les nouvelles, les questions d’actualité et les émissions d’information. La publicité et toutes les autres activités doivent disparaître de la télévision anglaise de CBC. Le radiodiffuseur public n’est plus concurrentiel dans le divertissement, les téléséries dramatiques, les émissions d’humour et les sports. Les publics sont petits. Les services de diffusion en continu ont des capitaux que CBC n’aura jamais pour investir dans la programmation et l’achat des droits de diffusion des événements sportifs.
La recherche de revenus publicitaires influe indûment sur les décisions en matière de programmation et sur le contenu. CBC est ainsi amenée à rivaliser avec les médias privés alors que son mandat serait davantage de contribuer à rebâtir les médias en question.
La coopération doit remplacer la concurrence. Un retrait complet de la publicité serait une première étape essentielle. La radio de CBC l’a fait il y a longtemps, mais sa programmation originale lui permet de conserver une présence forte dans les régions urbaines et rurales du Canada malgré les compressions budgétaires successives imposées par la direction de CBC au détriment de la télévision et des activités en ligne.
Dans sa nouvelle vision de CBC, le gouvernement fédéral doit trouver une façon pour le diffuseur de mettre à profit sa relative stabilité financière pour travailler avec les médias privés — tant les médias traditionnels que les médias en ligne en démarrage, qui sont de plus en plus nombreux — et contribuer à leur survie et à leur croissance.
Il faut aussi que CBC réduise considérablement la variété de sujets traités dans sa programmation liée aux nouvelles, aux questions d’actualité et aux émissions d’information. Elle serait ainsi mieux en mesure de cerner sa philosophie et sa ligne éditoriales qui semblent ne pas exister actuellement. Les médias privés auraient également une idée plus claire des domaines sur lesquels se concentrer sans craindre d’être étouffés par CBC.
Dans notre livre, nous proposons que la nouvelle CBC regroupe sa programmation autour de six thèmes se rapportant aux nouvelles, aux questions d’actualité et aux émissions d’information.
À l’international, CBC devrait déployer davantage de correspondants canadiens à l’étranger dans un plus grand nombre de pays importants pour le Canada. Par exemple, dans les 24 dernières heures, l’affectation d’un plus grand nombre de journalistes aux États-Unis aurait pu changer sensiblement la perspective du public canadien sur les événements.
Au Canada, la programmation liée aux nouvelles, aux questions d’actualité et aux émissions d’information de CBC devrait se concentrer sur cinq thèmes et sous-thèmes : la vie urbaine au Canada; les affaires et l’économie; les politiques publiques aux niveaux fédéral, provincial et municipal; la santé, les sciences et les technologies; les figures canadiennes influentes.
Selon nous, ces thèmes orienteraient tant les nouvelles locales à la télévision et à la radio de CBC que la programmation liée aux nouvelles nationales, aux questions d’actualité et aux émissions d’information. La télévision de CBC devrait faire ce que fait déjà la radio, qui diffuse une programmation régulière sur différentes questions rattachées à ces thèmes.
Ce modèle laisserait aux médias locaux privés le champ libre pour couvrir les opérations policières, les affaires criminelles et judiciaires, la circulation, les incendies et les sports de même que présenter des bulletins météo et du divertissement sans entrer en compétition avec CBC. Ces médias pourraient tout aussi bien couvrir des thèmes couverts par CBC s’ils le souhaitent.
CBC devrait permettre à toutes les agences de presse au Canada d’utiliser gratuitement ses reportages sur ce qui se passe au pays et à l’étranger, y compris à ses concurrents dans le secteur de la radiodiffusion et aux sites de nouvelles en ligne canadiens. La Presse canadienne pourrait peut-être s’occuper de la distribution des reportages.
Finalement, la plateforme en ligne de CBC devrait diffuser des reportages réalisés par de petites agences de presse en démarrage pour donner à leur travail une visibilité auprès d’une grande partie du public qu’elles ont perdu en raison du blocage sur Facebook du contenu de nouvelles canadien. CBC pourrait encourager ses auditoires à s’abonner à ces petits médias, ce qui favoriserait leur croissance.
Qu’en est-il alors des émissions de divertissement, des téléséries dramatiques et des émissions d’humour? Si le gouvernement fédéral juge que d’offrir des contenus de fiction est un objectif important de politiques publiques, il devrait financer directement cette programmation et sa diffusion par les services de diffusion en continu partout dans le monde. La commercialisation de la programmation pourrait être confiée à l’Office national du film. Les émissions de fiction canadiennes seraient offertes à un auditoire canadien plus vaste que l’auditoire de CBC.
Les mesures prises dans le secteur des sports sont un exemple à suivre. Lorsque Vancouver a été choisie pour accueillir les Jeux olympiques d’hiver de 2010, le gouvernement fédéral a décidé que le Canada n’essuierait pas une troisième humiliation après celle de Montréal en 1976 et de Calgary en 1988. Rappelons-nous que le Canada n’avait remporté à ces jeux aucune médaille d’or. Le gouvernement fédéral a donc mis sur pied le programme À nous le podium! et a commencé à financer directement les sports avec la contribution du secteur privé afin d’assurer la réussite d’un plus grand nombre d’athlètes. Cette stratégie, qui a porté ses fruits de manière spectaculaire à Vancouver, produit encore des retombées aujourd’hui.
La transformation radicale que nous proposons se ferait dans le cadre des budgets actuels de CBC. L’intégralité du financement de la télévision anglaise irait aux nouvelles, aux questions d’actualité et aux émissions d’information.
Nous proposons la mise en œuvre d’un modèle très différent de radiodiffusion publique — un changement d’orientation fondamental pour la direction et les employés de CBC — qui ne serait pas en concurrence avec les médias privés, mais qui contribuerait au sauvetage et à la reconstruction durables des médias canadiens.
Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci. Je voudrais seulement être certaine que vous parlez du réseau anglais CBC. Proposez-vous quelque chose pour Radio-Canada?
M. Waddell : Nous ne traitons pas du tout de Radio-Canada. Je ne suis pas un expert du Québec. Visiblement, Radio-Canada joue un rôle très différent dans la vie culturelle au Québec, notamment pour la défense de la langue française, par rapport à CBC au Canada anglais.
La vice-présidente : Oui.
M. Waddell : Nos propositions ne visent pas Radio-Canada. Elles visent la télévision de langue anglaise et dans une certaine mesure la radio, mais la radio parvient déjà à accomplir une bonne partie de ce dont nous parlons.
La vice-présidente : En examinant en profondeur les réformes, je constate que les deux services, CBC et Radio-Canada, sont interreliés. Notre étude a pour objet les nouvelles locales et régionales. Vous soutenez que CBC doit se concentrer sur les nouvelles. Quelle est la place des nouvelles locales et régionales dans les réformes proposées? Pensez-vous que les choses vont bien? Devrait-il y avoir, selon vous, plus de nouvelles locales et régionales?
M. Waddell : Nous pensons que les services de nouvelles locales à la radio et à la télévision de CBC devraient se concentrer sur les thèmes que je viens d’énumérer. Ils devraient abandonner tout le reste, soit les opérations policières, la circulation, les incendies et les affaires judiciaires et laisser ces domaines à d’autres médias. De cette manière, les médias privés qui survivront sauront au moins quels domaines ne seront pas absorbés par CBC.
La vice-présidente : Je vais laisser mes collègues approfondir ces questions, qui sont très intéressantes. Dans un pays qui prône la liberté de presse, le gouvernement peut-il décider qui fait quoi? Il me semble que... mais nous sommes ici pour explorer de nouvelles idées.
J’aimerais connaître votre point de vue sur l’affectation — c’est le cas au service français de Radio-Canada également — d’un nombre de plus en plus grand de journalistes aux plateformes en ligne. Les ressources dont ils disposent, notamment des photographes, pour faire du journalisme écrit sont plus importantes que les ressources dont dispose la presse écrite. Qu’en pensez-vous?
M. Waddell : Il y a plusieurs niveaux. D’abord, comme l’ont souligné les témoins du groupe précédent, les journalistes publient des reportages en ligne, mais on leur demande de faire de plus en plus de choses. Ils sont actifs dans trois ou quatre médias sociaux...
La vice-présidente : Mais Radio-Canada et CBC ont des journalistes qui travaillent seulement dans...
M. Waddell : Je sais. Dans une certaine mesure, cela revient encore à la pertinence de faire concurrence à des intérêts privés. CBC/Radio-Canada essaie-t-elle de devenir une de ces organisations qu’on appelait des journaux? Pour quelle raison conduit-elle ces activités?
La vice-présidente : Pensez-vous que c’est une avenue à suivre?
M. Waddell : Je ne parviens pas à cerner la philosophie éditoriale du réseau de langue anglaise de CBC. Quelle est la ligne éditoriale? Quelles sont les caractéristiques d’un reportage de CBC? Peut-on diffuser sur CBC l’histoire de quelqu’un qui perd ses bagages dans un avion ou qui ne parvient pas à trouver une pièce pour son camion Ford F-150? Quels sont les critères? J’estime qu’une bonne partie du contenu, au moins sur la plateforme en ligne, est conçu pour générer des clics à des fins publicitaires. Voilà pourquoi je soutiens que CBC doit abandonner la publicité et se concentrer sur la diffusion d’informations importantes pour le public à tous les niveaux.
Je ne vois pas la valeur que peut produire CBC en essayant d’imiter ce que font tous les autres. CBC doit évaluer ce qu’elle peut faire et la valeur ajoutée qu’elle est en mesure d’apporter à divers publics. Elle doit diffuser des reportages que les médias privés ne sont peut-être pas en mesure de produire faute de ressources ou de compétences. Il faut éviter les reportages qui prennent comme matière première des affirmations publiées dans les médias sociaux.
La vice-présidente : Merci.
La sénatrice Simons : Vous ne savez peut-être pas que j’ai été productrice à CBC pendant 6 ans et que j’ai travaillé pendant 23 ans dans la presse écrite à l’Edmonton Journal.
M. Waddell : Je suis parfaitement au courant, tout comme je sais que le village de Willow Bunch, en Saskatchewan, compte une population francophone.
La sénatrice Simons : J’ai réalisé un documentaire sur le sujet.
M. Waddell : Je sais.
La sénatrice Simons : Ce que je voulais démontrer dans ce documentaire, c’était l’indifférence des Montréalais par rapport à cette population.
M. Waddell : C’est exact.
La sénatrice Simons : Le fait que Bernie Lucht me donne le feu vert pour réaliser un documentaire d’une heure sur le sujet a été une véritable victoire pour moi.
Je suis d’accord avec l’essentiel de ce que vous avez dit, mais j’aimerais vous poser une question. J’ai été surprise d’apprendre, lors du témoignage de représentants de Patrimoine canadien, que le principe de symétrie selon lequel il doit y avoir un nombre égal de services dans chacune des deux langues est inscrit dans la loi qui régit CBC. Patrimoine canadien nous a dit que l’idée de se débarrasser des émissions de cuisine et des matchs de hockey à CBC a circulé longtemps, mais qu’elle ne s’est jamais concrétisée parce que selon le principe de symétrie, la même programmation aurait été éliminée au Québec. Je me demandais si vous traitiez de cette idée dans votre livre.
M. Waddell : Non. Je ne me suis pas penché là-dessus, mais je suppose que les législateurs fédéraux peuvent modifier la loi. Sauf erreur, les médias sont encore encadrés par la Loi sur la radiodiffusion de 1991. Un comité avait été chargé de l’examiner en 2017 ou en 2018, mais leur étude est restée lettre morte. Le renouvellement de la Loi sur la radiodiffusion se fait attendre depuis longtemps.
La sénatrice Simons : C’était le projet de loi C-11. Nous avons réécrit le projet de loi, mais nous n’avons pas réexaminé la loi.
M. Waddell : Vous n’avez pas modifié la loi, car vous ne vous êtes pas penchés sur le rôle du diffuseur public dans cette perspective, et le comité a esquivé la question.
La sénatrice Simons : En fait, la loi esquive la question.
M. Waddell : C’est exact.
La sénatrice Simons : Je vais vous expliquer ce qui me préoccupe. Lorsque vous avez écrit ce livre, vous et David Taras — cet intellectuel engagé nous manque terriblement —, nous étions à une autre époque. Avant la pandémie, il y avait le Calgary Herald, l’Edmonton Journal et le Saskatoon StarPhoenix. Ces préoccupations au sujet de la concurrence que livrait CBC étaient légitimes. Au risque d’en écorcher quelques‑uns, je dirais que les journaux de Postmedia publiés dans bon nombre de villes de taille moyenne au pays ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient autrefois.
M. Waddell : Bien entendu.
La sénatrice Simons : Et CBC, dans une métropole comme Calgary ou Edmonton, est souvent l’unique source de nouvelles. Si vous empêchez CBC de couvrir les tribunaux, il se pourrait qu’il n’y ait plus personne pour les couvrir. Le problème, c’est que le modèle suppose qu’il existe une concurrence robuste qui a besoin d’un petit coup de pouce, et je ne pense pas que ce soit le cas.
M. Waddell : Oui, nous l’avons écrit avant la pandémie et les choses ont changé depuis la pandémie, et vous avez raison à propos de l’effondrement de Postmedia et de tout le reste. Je dirais que vous ne pouvez évidemment pas le prouver d’une manière ou d’une autre. Postmedia existe toujours et est suffisamment importante pour empêcher d’autres personnes de lancer autre chose. Si Postmedia disparaissait, les gens auraient la possibilité de le faire. Si les gens faisaient cela, et s’ils comprenaient ce que le radiodiffuseur allait faire, ils pourraient le faire. À l’heure actuelle, si le radiodiffuseur public veut occuper tout cet espace, je dirais qu’il est difficile pour quelqu’un d’autre qui voudrait lancer The Sprawl à Calgary, ou quelque chose de ce genre, de trouver des bailleurs de fonds et de mener des activités.
La sénatrice Simons : J’imagine que ce qui me préoccupe — et je suis sensible à cette question car j’ai couvert certaines de ces affaires —, c’est que je ne pense pas qu’une couverture intelligente des tribunaux soit une mauvaise chose pour un radiodiffuseur public. CBC à Edmonton a fait un travail remarquable pour couvrir des condamnations injustifiées, des affaires qui ont dérapé et des décès d’enfants en famille d’accueil. Je pense que le radiodiffuseur public a un rôle très important à jouer pour couvrir le système de justice pénale.
M. Waddell : Je suis tout à fait d’accord avec vous.
La sénatrice Simons : Et je suis d’accord avec vous. Je déteste les histoires où des gens disent, « J’ai eu un mauvais service à l’atelier de carrosserie », et CBC fait un reportage à ce sujet. Je m’insurge contre ce genre de reportages depuis l’époque où j’étais productrice d’affectation à CBC.
D’un autre côté, les gens écoutent les émissions Calgary Eyeopener ou Edmonton AM lorsqu’ils conduisent, et ils aiment savoir où il y a du trafic, et cela ne coûte rien. Ce n’est pas comme si CBC a un hélicoptère. Les gens consultent une application en ligne et donnent un bulletin de circulation et un bulletin météo en plein milieu... J’ai déjà dirigé cette émission matinale, alors je suis sensible à ces questions. Les gens aiment savoir l’heure qu’il est et s’il y a un accident de la route. C’est pourquoi ils écoutent l’émission matinale, qui leur offre des renseignements complets.
M. Waddell : Bien des gens obtiennent ces renseignements grâce à l’application sur la carte et l’écran au lieu d’écouter la radio.
La sénatrice Simons : Il est difficile de consulter une application quand on conduit.
M. Waddell : De nombreuses personnes semblent le faire.
La sénatrice Simons : C’est une mauvaise chose sur le plan de la politique publique à encourager.
En ce qui concerne CBC et les ressources, je suis d’accord avec vous. Elle devrait se retirer de la publicité. La concurrence pour la publicité, surtout sur le Web, est insensée.
M. Waddell : C’est exact.
La sénatrice Simons : Mais je suis préoccupée par l’idée que si elle se retire du journalisme que vous ne jugez pas assez pointu, personne n’écoutera. Si elle devient un modèle de Service public de radiodiffusion et de Radio publique nationale, elle ne servira pas le grand public qui, franchement, dans des villes qui deviennent, sinon des déserts de l’information, du moins des plaines arides de l’information, elle a un rôle fondamental à jouer pour couvrir les nouvelles locales.
M. Waddell : Je répondrais de deux façons. Premièrement, je dirais que l’une de nos catégories est le Canada urbain et tout ce qui s’y passe...
La sénatrice Simons : Qu’en est-il du Canada rural?
M. Waddell : Eh bien, oui, le Canada rural peut être couvert. Les histoires en matière de commerce, d’économie, de santé, de sciences et de technologies peuvent être couvertes. On les trouve partout au pays. On n’a pas à les chercher dans sa propre ville.
En ce qui concerne la question de la justice, je dirais également que la façon dont nous avons essayé de la définir est que les affaires judiciaires qui ont une incidence sur la politique en matière de justice d’une manière ou d’une autre devraient être couvertes par le radiodiffuseur public. Les affaires judiciaires où des personnes sont impliquées dans un meurtre ou autre qui n’ont pas de répercussions politiques plus vastes pourraient être laissées à la radio privée ou à d’autres.
Ce sont parfois d’excellentes histoires.
La sénatrice Simons : Ce sont d’excellentes histoires à dimension humaine.
M. Waddell : Oui. C’est là où les gens devront prendre des décisions, mais je pense toujours que vous ne disposez pas des ressources pour tout faire, alors vous devez décider ce qui est important.
Vous pouvez prendre ces décisions tout en disant clairement ce que vous comptez faire et en laissant au secteur privé la possibilité de faire ce qu’il veut et, avec un peu de chance, cela pourrait encourager des intervenants du secteur privé à investir dans les médias s’ils pensent pouvoir gagner de l’argent ou gérer des activités rentables.
Le problème en ce moment est en partie que CBC est devenue si importante qu’elle empêche les gens d’envisager de le faire.
La sénatrice Dasko : Ce sont là des idées très intéressantes, monsieur Waddell. Je vous remercie d’être ici.
M. Waddell : Elles ne sont peut-être pas toutes bonnes, mais nous devons tenir un débat et une conversation sur ce que l’avenir nous réserve.
La sénatrice Dasko : Il est très important de tenir ce genre de discussion.
Je sais que vous parlez principalement de la télévision anglophone, mais je voudrais revenir sur quelque chose. Vous avez parlé de la radio.
J’estime que la radio de CBC est l’une des choses les plus parfaites dans un monde très imparfait — c’est ce que je pense, à tout le moins. Sa programmation est variée. Il y a beaucoup de nouvelles et d’affaires publiques. Il y a de la musique et toutes sortes de choses.
Votre vision de la radio serait-elle semblable à ce que nous avons à l’heure actuelle? Changeriez-vous la radio?
M. Waddell : Elle serait très similaire à ce que nous avons en ce moment, mais quelques changements seraient apportés. De plus en plus — pour revenir encore une fois aux réductions et aux employés qui assument plus de fonctions —, à la radio et aux nouvelles à la radio, on entend les pistes audio des émissions de télévision.
Si l’on écoute The World at Six à la radio de CBC, bon nombre des nouvelles sont les mêmes que celles qui sont diffusées à l’émission The National. Bien souvent, ce sont des pistes audio.
Quand le texte dit, « Des chiens comme ceux-là », on se doute bien qu’il s’agit d’une piste audio de la télévision.
La sénatrice Dasko : C’est exact.
M. Waddell : Je pense que la radio a perdu dans certaines consolidations une partie de la grande narration que les journalistes à la radio ont faite et continuent de faire.
En raison des compressions, de la concentration et du fait que les gens doivent en faire plus, on répète les mêmes histoires à la radio et à la télévision, alors que la radio devrait raconter des histoires différentes de celles de la télévision, et non pas les mêmes histoires.
Une question intéressante a été posée à la dernière réunion — c’était peut-être la vôtre, sénatrice Dasko — sur la radio et la télévision. Il y a des reportages présentés à la télévision et des reportages présentés à la radio, et ce n’est pas la même chose.
Par exemple, l’histoire des inondations en Espagne est très différente à la radio que si l’on voyait les images de ce qui s’est réellement produit, ou à Asheville, en Caroline du Nord. Il y a d’autres histoires qui ne sont pas de bons sujets pour la télévision — les budgets, les questions économiques, notamment — parce qu’il faut des images pour raconter une bonne histoire. Chacun a sa place et tous deux sont importants.
Malheureusement, de plus en plus, les gens de la radio de CBC se plaignent depuis longtemps des compressions, car les budgets ont été d’abord réduits pour la télévision et, plus récemment, pour Internet. C’est regrettable, car la présentation de nouvelles à la radio est différente à la télévision et dans les médias écrits.
La sénatrice Dasko : Si nous examinons les coûts de cette vision de la télévision de CBC et si nous envisageons un monde potentiel où CBC ne disposera pas de ressources supplémentaires — rien qu’en regardant l’environnement et le contexte politiques, je ne pense pas que CBC soit bien placée pour obtenir plus de deniers publics —, alors il y a bien sûr toute la conversation sur la réduction de la publicité.
Cette vision de la télévision de CBC coûte-t-elle plus, moins ou à peu près la même chose? C’est ce que nous avions l’habitude de demander dans le secteur des sondages.
M. Waddell : Je ne le sais pas. Je ne connais pas les détails. Je pense que le budget — et je n’ai pas vérifié — de la télévision anglophone de CBC est de 380 millions de dollars ou un peu plus, mais c’est pour tout...
La sénatrice Dasko : De la somme de 1,3...
M. Waddell : Le montant de 1,3 ou 1,4...
La sénatrice Dasko : En fait, elle a évidemment plus de revenus, car...
M. Waddell : Elle en a un peu plus...
La sénatrice Dasko : ... ce n’est que les revenus publics.
M. Waddell : Oui, elle en a un peu plus et reçoit des revenus publicitaires. Mais ces revenus sont probablement en train de disparaître, comme c’est le cas pour tout le monde.
Je pense que le budget s’élève à environ 380 millions de dollars. Nous n’avons pas fait de ventilation détaillée des sommes allouées à chaque secteur, mais si l’on retire tous les autres secteurs, il doit rester plus d’argent pour les nouvelles et les actualités.
Il convient de mentionner une chose qui, je pense, n’a pas été évoquée à la réunion précédente : à bien des égards, la communication des nouvelles coûte beaucoup moins cher de nos jours qu’auparavant, car la technologie est moins chère et plus facile à utiliser. N’importe qui peut l’utiliser. On peut tout faire sur un téléphone intelligent, si l’on veut, et sur un ordinateur. On peut faire tout le travail éditorial. Il est beaucoup plus facile et moins coûteux d’envoyer le matériel où l’on est. On peut maintenant faire des reportages de n’importe où, que ce soit au milieu de l’Arctique ou au milieu du désert. Tant qu’on a du réseau cellulaire par satellite, tout va bien.
Il y a de nombreuses possibilités qui ne coûtent pas nécessairement plus cher.
La sénatrice Dasko : C’est moins cher, en fait.
M. Waddell : Sur le plan technologique, c’est moins cher. Ce qui coûte plus cher, c’est le personnel, car on veut qu’il soit sur le terrain. On ne veut pas que les gens soient assis dans un bureau et fassent des reportages à partir d’un bureau, et c’est ce qui coûte de l’argent.
La sénatrice Dasko : C’est exact. D’autres pays ont-ils ce modèle que vous avez décrit?
M. Waddell : Pas à ma connaissance.
La sénatrice Dasko : En ce qui concerne la radiodiffusion publique...
M. Waddell : On dit depuis longtemps, et certains des témoins précédents l’ont dit aussi que, toutes proportions gardées, le Canada ne finance pas son radiodiffuseur public au même niveau que d’autres pays, que ce soit la France, l’Allemagne, le Japon ou d’autres. Ils ont donc beaucoup plus d’argent. La BBC est un autre exemple. Elle dispose de beaucoup plus d’argent pour pouvoir faire toutes sortes de choses, et elle peut donc répartir son argent différemment.
La sénatrice Dasko : Oui. Cette vision de la télévision de CBC ressemblerait-elle à l’actuel News Network?
M. Waddell : Je ne pense pas, non. Je ne suis pas un grand adepte de la télévision d’information continue et je ne pense pas qu’elle ait un avenir, franchement. Le public disparaît également.
Je dirais que cela ressemble beaucoup plus à la radio de CBC. Disons que nous avons une émission chaque semaine sur les soins de santé ou la santé. Nous avons une ou plusieurs émissions sur les sciences. Nous avons une émission sur l’agriculture, ce qu’ils diffusaient il y a longtemps, et l’agriculture est toujours un secteur très important dans ce pays, et l’alimentation et l’agriculture semblent avoir... Vous avez à la fois l’aspect agricole et vous avez l’émission « Top Chef » et la version alimentaire et ce genre de choses.
Mais c’est en tant que nouvelles et informations, pas en tant que divertissement. Il n’est pas question de compétitions de pâtisseries ou de reprises de ce que d’autres pays ont fait en premier.
La sénatrice Dasko : Merci. C’est bien.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie, monsieur Waddell, de ces observations. Permettez-moi de répondre à quelques points, puis j’aurai quelques questions à vous poser.
M. Waddell : D’accord.
Le sénateur Cardozo : La première chose que je dirai n’est pas ce que vous avez dit, mais il y a souvent eu des gens qui ont dit que CBC devrait être différente des autres, et ils ont toujours dit qu’elle devrait faire des émissions que les autres ne feront pas, et ce n’est pas ce que vous dites.
M. Waddell : Non.
Le sénateur Cardozo : Ce que cela signifie pour moi, c’est qu’elle devrait faire des émissions que personne ne regardera.
M. Waddell : Oui, c’est ce que les intervenants du secteur privé disaient toujours.
Le sénateur Cardozo : C’est le meilleur moyen de l’anéantir. Vous avez des émissions intellectuelles que personne d’autre a, car personne ne les regarde. Mais on a l’impression, lorsque vous décrivez certains des domaines que la radio de CBC devrait couvrir...
M. Waddell : Et la télévision...
Le sénateur Cardozo : Et la télévision. Êtes-vous en train de dire qu’elle devrait être davantage comme The Globe and Mail et qu’il faut laisser le secteur privé être davantage comme le Toronto Sun? Ils couvrent alors les tribunaux, la météo, etc., et cela devient une approche plus relevée.
M. Waddell : Eh bien, d’accord, mais ce n’est pas ce que je pense — désolé.
Le sénateur Cardozo : Je pense que vous nous mettez au défi de tout examiner et de bien réfléchir.
Ce qui me préoccupe, c’est que les gens qui s’opposent à CBC, les vrais critiques — et certains pourraient utiliser les détracteurs — ne sont pas contrariés par « Murdoch Mysteries », « Son of a Critch » ou « Schitt’s Creek ». Ils sont vraiment en colère contre la section consacrée aux nouvelles. Ils nomment certains journalistes. Ils les ciblent. Ils publient des messages sur les médias sociaux qui sont parfois ignobles. Retirez la haine de la critique. La critique porte sur la partie consacrée aux nouvelles, que ces gens jugent comme étant partiale. Ils estiment que CBC a un parti pris. Par ailleurs, ils critiquent la présidente sortante sur la question des primes.
La principale raison de ne pas diffuser ces émissions de divertissement est que cela permettrait d’économiser de l’argent et de consacrer plus d’argent aux émissions d’information. Vous pouvez peut-être nous dire ce que vous en pensez. CBC a la télévision, la radio et maintenant les médias sociaux ou la plateforme en ligne et la presse écrite. Je ne sais pas comment vous ne pouvez pas faire la partie la plus récente, la presse écrite sans... les gens consomment toutes les formes. Je ne sais pas si je suis l’auditeur typique, mais il peut m’arriver d’écouter un segment à la radio ou les nouvelles, puis d’aller consulter des articles écrits où l’on trouve plus de détails. Je trouve utile de disposer des renseignements complets. Quelles sont vos réflexions sur ce que vous avez dit?
Mais pour revenir à l’échelle locale, qui est vraiment au cœur de notre étude, qu’est-ce que l’échelle locale, à votre avis? Ce que vous avez décrit pourrait-il s’appliquer à l’échelle locale?
M. Waddell : Absolument. Rien n’empêche de l’appliquer au niveau local. Tous ces enjeux sont de bonnes questions locales. Dans le Canada urbain, il y a de grandes discussions sur les transports, l’immigration, la politique sociale, le logement et sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Nous avons 10 provinces, et combien de fois voyez-vous des histoires dans les médias, sans parler de CBC, qui comparent le système de santé de la Colombie-Britannique à celui de l’Ontario ou de la Saskatchewan? Il peut être question de la façon dont Edmonton a traité les questions liées au train léger sur rail, ou TLR, par rapport à la façon dont Ottawa a traité ces questions. Nous ne nous comparons jamais à d’autres pays sur ces questions, à l’exception des États-Unis, mais nous ne nous comparons jamais d’une province à une autre. Il y a là de nombreuses possibilités d’histoires intéressantes qui, à mon avis, ne sont pas forcément des histoires pointues, mais des histoires qui pourraient intéresser tout le monde.
Cela dépend en partie de la manière dont vous décidez de les raconter. Les possibilités de prendre des mesures dans ces domaines sont nombreuses. En Ontario, nous avons actuellement un premier ministre qui a décidé de se débarrasser des pistes cyclables. Nous entendons parler du succès des pistes cyclables à Montréal, et nous pourrions en apprendre beaucoup plus sur la façon dont Montréal et Toronto ont procédé, et faire des comparaisons. Il y a de nombreuses possibilités d’action pour la radio et la télévision.
C’est impossible de faire plaisir à tout le monde. En 2006, je travaillais pour une entreprise qui s’appelait à ce moment-là Decima Research. Nous avons réalisé des sondages durant la campagne électorale. Nous avons demandé aux gens : « À votre avis, la couverture médiatique de M. Harper est-elle trop positive, plutôt juste ou trop négative? » Nous avons posé la même question au sujet de M. Martin, qui était le chef du Parti libéral à l’époque. Les gens qui avaient l’intention de voter pour les conservateurs trouvaient que la couverture médiatique de M. Harper était trop sévère, et la couverture de M. Martin trop clémente. Les partisans libéraux étaient de l’avis contraire. La perception des partis pris est largement subjective.
Cela ne veut pas dire que le diffuseur public ne pourrait pas offrir une meilleure couverture d’une plus grande partie du pays qu’il semble le faire aujourd’hui, particulièrement à la télévision. En effet, de nombreuses régions n’apparaissent jamais dans les nouvelles et les actualités présentées à la télévision. C’est aussi le cas à la radio, dans une certaine mesure. Si le diffuseur portait son attention sur d’autres régions et s’il présentait des reportages depuis différentes parties du pays et non seulement depuis les centres urbains, peut-être qu’on répondrait aux problèmes qui découlent, selon certains, de l’absence de représentation de leur propre situation ou de leur propre région dans les nouvelles ou les actualités. Je ne sais pas si c’est la bonne solution, mais je pense qu’il vaut la peine de l’essayer.
Le sénateur Cardozo : Ce que vous dites au sujet des autres villes est très intéressant. Sans faire de comparaison, on ne reçoit pas les nouvelles des autres villes. La population de Halifax vient d’élire un nouveau maire.
M. Waddell : Oui.
Le sénateur Cardozo : Je l’ai seulement appris par hasard en discutant avec une députée de Halifax. Ce simple exemple montre l’absence de nouvelles. Pour une raison quelconque, il arrive que la station d’Iqaluit prenne congé — je pense que c’est quand il y a des jours fériés...
M. Waddell : Ottawa va à Iqaluit.
Le sénateur Cardozo : ... et la station d’Ottawa prend alors la relève. Selon moi, ce serait l’occasion idéale pour la population d’Ottawa d’entendre quelques nouvelles d’Iqaluit, mais la station ne les présente pas.
M. Waddell : En plus, un nombre considérable de personnes originaires du Nunavut habitent à Ottawa.
Le sénateur Cardozo : Effectivement. Ce serait une raison de plus de diffuser les nouvelles d’Iqaluit au moins une fois aux deux mois, par exemple.
M. Waddell : Certainement.
Le sénateur Cardozo : D’après vous, est-ce que c’est un rôle que CBC pourrait jouer? Quant à moi, ce réseau est le mieux placé pour le faire, étant donné les très bons reportages réalisés par les équipes locales. Ces reportages pourraient quasiment être présentés tels quels dans différentes villes.
M. Waddell : Tout dépend de la politique éditoriale du diffuseur. Comment voit-il son rôle, à quoi devrait-il penser et que devrait-il faire? À mon avis, la politique éditoriale de CBC est influencée ou empoisonnée dans une grande mesure par la publicité. À l’heure actuelle, ses décisions de programmation reposent sur la publicité qu’il croit pouvoir attirer ou encore sur les pauses publicitaires qu’il peut insérer dans la programmation. Selon moi, l’élimination de la publicité ouvrirait la porte à la possibilité de présenter différents reportages et de faire différentes choses, sans se soucier de ce que fait la concurrence.
C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le contenu en ligne. C’est très frustrant que pour voir quelque chose sur le site d’information de CBC, il faille d’abord regarder trois annonces. Une année, il fallait regarder trois annonces avant de pouvoir entendre le message de Noël de la reine. Que fait le diffuseur public?
La vice-présidente : Merci. C’est au tour de la sénatrice Paula Simons de poser une autre question. Je suis désolée. J’essaie de respecter les délais impartis parce que je sais que l’intérêt est grand. Vous avez un peu poussé la note. Maintenant, c’est au tour de la sénatrice Simons. Je vous prie de vous en tenir aux questions et d’éviter les observations sur la situation mondiale.
Le sénateur Cardozo : Ce commentaire concerne-t-il ma question?
La vice-présidente : Pas seulement la vôtre. Tout le monde est fasciné, et le sujet est profond. Vous aurez du temps plus tard.
La sénatrice Simons : Dans le passé, la proposition d’éliminer la publicité était considérée comme audacieuse. De nos jours, les revenus publicitaires générés par la télévision linéaire ont tellement chuté que ces arguments me semblent un peu dépassés, car je ne crois pas que CBC fasse assez d’argent avec la publicité pour baser ses décisions de programmation là‑dessus.
M. Waddell : Excusez-moi, CBC...
La sénatrice Simons : Je pense que les revenus publicitaires du réseau ont baissé à un tel point que dire qu’il concocte sa programmation dans le but de vendre de la publicité... Avez-vous vu les annonces qu’il vend à la télévision? Elles n’ont pas de valeur réelle. Je suis d’accord avec vous : CBC devrait abandonner la publicité. Franchement, cela ne vaut pas la peine; son financement devrait être augmenté.
M. Waddell : Oui.
La sénatrice Simons : Cela dit, tout le monde sait qu’il est peu probable qu’un gouvernement quelconque augmente son financement. Moi qui ai travaillé pour une station locale et pour le réseau de CBC, j’ai quelques réserves par rapport au fait que le modèle que vous proposez repose sur une approche descendante. Confier à une personne de Toronto les décisions de programmation locale et régionale m’apparaît comme le contraire de répondre aux besoins des marchés locaux.
D’après vous, dans quelle mesure l’imposition d’une politique générale sur les enjeux qui méritent d’être couverts et ceux qui ne le méritent pas fausserait-elle le jugement des directeurs de l’information locale quant aux événements qui comptent pour leur collectivité?
M. Waddell : D’après moi, une telle politique ne fausserait aucunement leur jugement. Elle leur permettrait de cibler les enjeux qui intéressent leur collectivité et de réaliser des reportages à leur sujet au sein de leur collectivité. Beaucoup de reportages sur de tels enjeux sont susceptibles de toucher l’ensemble des collectivités d’un océan à l’autre.
La sénatrice Simons : D’après vous, CBC a-t-elle toujours un rôle à jouer dans le domaine des nouvelles de dernière heure ou devrait-elle focaliser toute son attention sur les examens approfondis de l’actualité?
M. Waddell : De nos jours, qu’est-ce qui est considéré comme une nouvelle de dernière heure? Un incendie et ci et ça?
La sénatrice Simons : Vous dites « incendie » comme si ce n’était rien. En Alberta, un incendie peut... Je ne parle pas d’un feu dans un garage résidentiel.
M. Waddell : Bien entendu.
La sénatrice Simons : Le feu de forêt de Fort McMurray est un incendie.
M. Waddell : Absolument. Oui, et c’est une question de politique publique.
La sénatrice Simons : Vous avez dit que CBC ne devrait pas couvrir les incendies.
M. Waddell : Non. J’ai dit que CBC devrait s’intéresser principalement aux enjeux de politique publique aux échelons fédéral, provincial et municipal. Les mesures à prendre pour lutter contre les incendies sont certainement des questions de politique publique.
La sénatrice Simons : Je ne parle pas des mesures à prendre pour lutter contre les incendies. Je parle d’informer la population qu’il y a un incendie et qu’une seule autoroute est ouverte.
M. Waddell : Absolument.
La sénatrice Simons : Le principal vecteur d’information de la sorte, c’est le diffuseur public. Je crains vraiment qu’un modèle qui omet...
M. Waddell : Je ne dis pas que...
La sénatrice Simons : Parce que pour les gens qui vivent à Ottawa, à Toronto, à Montréal ou même à Vancouver, ce n’est pas un problème.
M. Waddell : Sénatrice Simons, ce n’est pas ce que je dis. Ce que j’ai aussi trouvé intéressant par rapport aux incendies ces dernières années, c’est que bon nombre de gens ont affirmé que sans l’information diffusée sur Facebook, ils n’auraient pas su quoi faire. Pourtant, CBC était là et le réseau a fait du très bon travail. Il devrait continuer à bien couvrir ces dossiers, mais il devrait laisser aux diffuseurs privés le soin de couvrir, par exemple, un incendie ordinaire dans une maison de banlieue.
La sénatrice Simons : C’est une nouvelle d’intérêt limité.
M. Waddell : Oui.
La sénatrice Simons : J’ai été productrice pour CBC aux échelons local et national. Je crains qu’en imposant une politique générale, on finisse par détruire la valeur réelle des services publics rendus par le diffuseur public dans les petites collectivités.
M. Waddell : Je suis de l’avis contraire. Je vais vous donner un différent exemple. J’ai travaillé pour CBC pendant 10 ans. J’ai été réalisateur du journal The National pendant un peu plus d’un an. Puis, pendant sept ou huit ans, j’ai été producteur exécutif d’émissions spéciales et chef du bureau d’Ottawa.
J’ai aussi été responsable d’élections provinciales et d’autres élections, comme les élections nationales, le référendum québécois et d’autres encore. Je voyageais aux quatre coins du pays avec un petit groupe de Toronto qui travaillait avec la collectivité locale. Avant, dans toutes les provinces, il y avait de très bons producteurs exécutifs qui connaissaient leur province comme le fond de leur poche. Ils pouvaient tout nous dire. Ils vivaient dans les collectivités et ils étaient heureux d’y être. À leurs yeux, leur rôle était de fournir des nouvelles et de l’information à leur collectivité. C’était aussi de former les jeunes journalistes qui graviraient un jour les échelons, des gens comme Anna Maria Tremonti, Keith Boag et d’autres.
Malheureusement, ces dernières années, beaucoup de ces gens ont disparu, et ce milieu de formation aussi.
La sénatrice Simons : Ces gens ont disparu parce que leurs postes ont été supprimés.
M. Waddell : Oui, mais c’est ce qu’il nous faut. C’est là que la perspective locale... Je pense que le sénateur Downe a parlé hier des problèmes de Charlottetown et de l’importance des ressources locales. Notre vision, c’est que les décisions soient prises au niveau local, mais qu’elles reflètent la politique éditoriale globale et les objectifs de CBC et de CBC News.
Maintenant, je le répète, c’est notre point de vue. D’autres peuvent s’y opposer et proposer une vision différente, mais d’après moi, on revient toujours à la question... D’abord, CBC n’a jamais voulu arrêter de faire quoi que ce soit.
La sénatrice Simons : Je suis d’accord avec vous là-dessus.
M. Waddell : Plus on en fait et plus on en ajoute... C’est aussi un fait que le budget de CBC n’augmentera jamais. Quand je travaillais pour CBC, le gouvernement libéral de M. Martin a imposé des compressions budgétaires. Nous avons dû nous adapter; ce n’était pas évident.
La sénatrice Simons : C’est à ce moment-là que je suis partie travailler pour l’Edmonton Journal.
M. Waddell : Voilà. La question qui se pose, c’est pendant combien de temps une société devrait continuer à répartir ses fonds entre tous ses secteurs d’activité. Ce faisant, elle finance des secteurs où elle ne peut pas soutenir la concurrence, au détriment de secteurs où elle peut faire mieux que tous les autres diffuseurs.
D’après David Tarras et moi, la solution consiste en partie à mettre en place les conditions nécessaires pour que la société puisse choisir les secteurs sur lesquels elle focalisera son attention, secteurs où elle croit pouvoir mieux réussir que tous les autres diffuseurs. Ainsi, elle attirera un auditoire. Cet auditoire ne comprendra pas l’ensemble de la population, mais comme vous l’avez dit, ce qui a changé, tant sur la scène nationale qu’internationale, c’est qu’il n’y a plus vraiment de médias privés. La question est donc : est-ce qu’on laisse la couverture nationale et internationale disparaître ou est-ce qu’on tente de se servir du diffuseur public pour réaliser des reportages importants et de qualité sur différents enjeux?
La sénatrice Simons : Margaret Evans ne peut pas être la seule journaliste à couvrir l’actualité mondiale. Parfois, c’est l’impression que j’aie.
M. Waddell : Effectivement. Il faut envoyer des journalistes canadiens dans les pays d’où proviennent de nombreux Canadiens pour que nous en sachions plus sur ces pays et pour que ceux et celles qui sont ici depuis longtemps comprennent mieux les raisons qui ont poussé les gens à immigrer ici — les possibilités et les avantages qu’il y a pour eux ici.
La sénatrice Simons : Une guerre civile fait rage aujourd’hui en Éthiopie, mais personne n’en parle.
M. Waddell : Oui, et c’est loin d’être le seul exemple. Pour atteindre cet objectif, il faut installer du personnel sur le terrain. On ne peut pas dépêcher un ou une journaliste à une région donnée quand il y a une inondation, un incendie ou ci ou ça. Il faut raconter ce qui se passe dans ces régions.
Ce serait intéressant d’apprendre comment fonctionnent les systèmes de soins de santé de la Scandinavie, de l’Allemagne, de la France ou d’ailleurs. Leurs systèmes sont différents du nôtre. On parle de plus en plus de privatiser les soins de santé, et d’autres pays ont déjà privatisé une partie de leurs services. Comment leurs systèmes fonctionnent-ils?
La vice-présidente : Je ne suis pas d’accord avec vous sur un point. Vous dites que le Canada doit installer des journalistes dans beaucoup plus de régions du monde.
M. Waddell : Oui.
La vice-présidente : Cependant, CBC/Radio-Canada a l’habitude de bâtir de grands bureaux...
M. Waddell : Oui.
La vice-présidente : ... et la société n’est pas très agile. C’est ce qui complique les déplacements.
M. Waddell : Oui.
La vice-présidente : C’est aussi un changement de culture.
M. Waddell : Oui, absolument. Tout à fait.
La vice-présidente : Évidemment, c’est une question de...
M. Waddell : À certains égards, Radio-Canada a mieux fait que CBC sur ce plan au fil des années.
La vice-présidente : C’est avant tout parce que nous sommes plus petits. Nous avons moins de tout.
M. Waddell : Oui. Tout ce que je dis, c’est que nous avons choisi les éléments qui nous semblent importants. D’autres gens auront peut-être d’autres idées. On ne peut pas tout faire pour tout le monde.
Le sénateur Cardozo : Je voudrais aborder deux questions. D’abord, la ministre a commandé un rapport sur l’avenir de CBC/Radio-Canada. Je crois que le groupe d’experts a publié son rapport vers la fin de l’été.
M. Waddell : Je pense qu’il n’a pas encore déposé son rapport.
La vice-présidente : Nous n’avons pas de rapport.
M. Waddell : Vous parlez du groupe auquel a participé la nouvelle présidente, n’est-ce pas?
La vice-présidente : Exactement. Nous devrions recevoir quelque chose sous peu.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Waddell, ma question est vaste et d’ordre général. Vous parlez fréquemment de ces questions dans les médias et sur diverses tribunes.
Je me demande si vous pourriez parler de préjugés. À mon avis, c’est un des plus grands défis de CBC/Radio-Canada. Comment faire taire les critiques et même les propagateurs de haine qui considèrent que CBC/Radio-Canada est irréparable et qu’elle a un parti pris contre une bonne partie de la population?
Si vous me permettez deux ou trois autres observations, juste pour élargir la question...
La vice-présidente : En toute justice, nous avons accueilli un témoin qui n’est pas un propagateur de haine, M. Kirk LaPointe, et qui a été plutôt critique.
Le sénateur Cardozo : Je n’inclurais pas M. LaPointe dans ce groupe, car il a affirmé qu’il faut réparer CBC/Radio-Canada et non l’éliminer. Les gens dont je parle disent qu’il faut mettre fin au financement de CBC/Radio-Canada, par exemple.
Quelle est l’incidence des réseaux sociaux, d’Internet et du changement des habitudes de consommation? Dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision, est-ce que nous nous accrochons à quelque chose qui a fait son temps?
Comment peut-on contrer les efforts de mésinformation et de désinformation délibérés et incessants et la polarisation croissante, qui viennent en partie de l’extérieur du pays? Quel est le rôle du radiodiffuseur public local dans tout cela?
M. Waddell : Je devrais être capable de répondre à cette question en moins de deux minutes.
Le sénateur Cardozo : Vous pourriez simplement présenter vos observations.
M. Waddell : Je ne sais pas par où commencer.
Concernant les préjugés et les propagateurs de haine, comme je l’ai dit plus tôt, je pense qu’une partie des préjugés est dans l’œil de celui qui regarde, mais ces temps-ci — et cela vient des médias sociaux —, il y a également beaucoup d’intérêt pour la propagation de ce genre de choses.
C’est là que l’on tombe dans la mésinformation et la désinformation. Vous n’y pourrez rien.
Comme nous l’expliquons dans le livre, les politiciens sont une bonne partie du problème. Les politiciens collectent des fonds sur le dos de... Le gouvernement Harper excellait à cet égard. Il disait : « Voyez ce que CBC/Radio-Canada a fait. » Puis, il envoyait une nouvelle lettre de collecte de fonds, et il ramassait une tonne d’argent pour lutter contre les médias. Franchement, ces tactiques remontent à Richard Nixon et Spiro Agnew, pour ceux qui sont assez vieux pour s’en souvenir. C’est encore le cas aujourd’hui. Vous n’arriverez pas à régler certains de ces problèmes. Certains diront que c’est biaisé. Une des façons de lutter contre les préjugés, c’est de raconter des histoires provenant de plus de régions du pays, comparativement à ce qui se fait actuellement à la radio ou à la télévision.
J’ignore si le sénateur Downe en a beaucoup parlé, mais dans le livre nous avons abordé les changements effectués par CBC/Radio-Canada à l’échelle locale, lorsque la société a fait des séries de compressions et n’est pas retournée en région, et cetera. En raison des compressions dans les salles de nouvelles locales — le groupe de témoins précédent en a brièvement parlé —, les journalistes locaux avaient de plus en plus de difficulté à faire des reportages d’intérêt local qui touchent la communauté en général. Ce n’est pas possible avec un effectif réduit. Auparavant, CBC/Radio-Canada présentait des reportages provenant d’un bout à l’autre du pays. Je pense aux débuts de l’émission « Newsworld », mais tout cela n’existe plus depuis longtemps. Aujourd’hui, le format privilégié est celui d’un groupe de personnes qui discutent de divers sujets autour d’une table. C’est une autre façon de faire.
Cela ne se fait pas facilement ou rapidement, mais il faut d’abord inciter les gens à revenir vers la chaîne pour voir ce qui s’y fait. Il n’y a plus de publicité. Si les services de diffusion en continu sont si populaires, c’est notamment parce qu’il n’y a pas de publicité, dans la plupart des cas. Vous avez l’occasion de réinventer CBC/Radio-Canada en abandonnant les anciennes façons de faire, ce qui pourrait susciter un peu d’intérêt et inciter les gens à revenir y jeter un coup d’œil.
Il y aura toujours des gens pour dire que le contenu est biaisé, et cetera. Cependant, dans une large mesure, ces critiques sont le fait d’individus qui ont aussi d’autres objectifs et qui exploitent les médias sociaux, notamment, pour les promouvoir.
La désinformation et la polarisation... Les médias sociaux amplifient les messages. Ce que les médias sociaux ne font pas, pour la plupart, c’est des reportages sur le terrain, et cetera. Lorsque les gens font des vidéos, on ne sait jamais vraiment si c’est toute l’histoire ou seulement une partie, et cela pose problème.
Une bonne partie du contenu des médias sociaux est lié à celui des vrais médias, que ce soit pour le critiquer, en exploiter des extraits, ou faire des commentaires, dans ce monde où chacun pense que son opinion vaut la peine d’être diffusée au reste de l’univers. C’est un peu tout cela. Il y a une partie de cela dont on ne pourra jamais se débarrasser. C’est certainement le cas de la mésinformation et de la désinformation. Il existe des entités étrangères qui tentent de miner nos institutions démocratiques. Je pense que c’est plutôt évident. Comme nous l’avons constaté, certains individus sont prêts à accepter de l’argent d’acteurs étrangers pour les aider à y arriver.
Je ne sais pas comment on peut mettre fin à cela. Une des solutions, c’est d’avoir un radiodiffuseur public qui fait des reportages, va sur le terrain, raconte des histoires et montre à la population ce qui se passe vraiment.
La vice-présidente : C’était très intéressant. Je vous remercie d’avoir abordé toutes ces questions qui nous tiennent à cœur, évidemment. Vous savez qu’il y a beaucoup de journalistes ici, soit deux sur quatre. C’était très intéressant et cela nous donne matière à réflexion. Évidemment, je me demande si d’autres pays du monde ont adopté ce modèle. Je pense que non. Je pense que c’est une idée complètement nouvelle.
[Français]
C’est ce qui met fin à notre deuxième groupe de témoins. Veuillez vous joindre à moi pour remercier notre témoin de s’être joint à nous et d’avoir partagé ses connaissances ce soir. Merci, sénatrices et sénateurs journalistes.
(La séance est levée.)