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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs.

Nous reprenons l’étude du Comité sénatorial permanent des transports et des communications sur les services locaux et régionaux de CBC/Radio-Canada.

Je me présente : je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis président de ce comité. Je voudrais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Bonsoir. Je m’appelle Paula Simons. Je viens de l’Alberta, plus précisément du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner. Je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

Le président : Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services locaux et régionaux de CBC/Radio-Canada.

[Traduction]

Au nom de notre comité, je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux représentantes du Quebec Community Groups Network, notamment à Eva Ludvig, présidente, et à Sylvia Martin-Laforge, directrice générale. Nous recevons également les représentants du Conseil québécois de la production de langue anglaise, notamment Arnie Gelbart, coprésident du conseil d’administration, et Kirwan Cox. De plus, nous accueillons Miranda Castravelli, directrice générale du English Language Arts Network, qui se joint à nous par vidéoconférence.

Soyez les bienvenus. En outre, je vous remercie d’être présents ce soir. Nous allons entendre les exposés de Mmes Ludvig et Castravelli et de M. Gelbart, qui seront d’une durée de cinq minutes. Je pense que M. Cox participera aussi à l’un de ces exposés. Ensuite, nous passerons aux séries de questions, en commençant par donner la parole à mes collègues.

Je cède maintenant la parole à Mme Ludvig.

Eva Ludvig, présidente, Quebec Community Groups Network : Bonsoir, sénateur Housakos. Bonsoir, sénatrice Miville-Dechêne. Bonsoir, honorables membres du comité. Je souhaite également un bonsoir particulier à notre collègue, le sénateur Cormier. Je vous remercie de vous être joints à nous.

Je m’appelle Eva Ludvig, et je suis présidente du Quebec Community Groups Network, ou QCGN. Je suis accompagnée de Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du QCGN.

Le QCGN représente la communauté anglophone du Québec, la plus grande minorité de langue officielle du Canada qui compte plus de 1,3 million de membres. Notre mission consiste à défendre les droits et la vitalité de cette communauté unique en son genre. Aujourd’hui, je soulignerai le rôle essentiel que la Canadian Broadcasting Corporation, ou CBC, joue dans le soutien de notre communauté, les difficultés que nous affrontons et les mesures qu’il faut prendre pour y remédier.

Nous sommes ravis de comparaître devant vous ce soir avec nos partenaires communautaires de longue date, le Conseil québécois de la production de langue anglaise et le English Language Arts Network.

Premièrement, il est essentiel de comprendre que la communauté anglophone du Québec n’est pas une simple extension de la majorité anglophone du Canada. Nous sommes une communauté culturelle et linguistique distincte et diversifiée qui a des besoins uniques. Malgré notre nombre, notre représentation dans les émissions de CBC qui ne sont pas consacrées aux actualités demeure limitée, ce qui fait que de nombreux Québécois d’expression anglaise se sentent exclus des récits plus généraux.

Notre communauté fait face à des défis importants, notamment en ce qui concerne l’accès aux médias. Le fossé entre les zones urbaines et les zones rurales est très marqué. Les zones urbaines comme Montréal ont traditionnellement bénéficié de médias anglophones diversifiés, alors que les communautés rurales sont aux prises avec des infrastructures limitées, une mauvaise connectivité et un manque de contenu pertinent à l’échelle locale. Cette disparité a créé des « déserts d’information » dans certaines régions, où les habitants n’ont pas accès à des renseignements fiables sur leur communauté.

Tout en offrant certaines possibilités, l’essor des médias sociaux a introduit son propre lot de problèmes. Les algorithmes de ces plateformes donnent la priorité aux contenus conçus pour susciter la participation, et non pour informer. Cela favorise les chambres d’écho et réduit l’exposition à des perspectives diverses, ce qui isole encore davantage les voix minoritaires. Les radiodiffuseurs publics comme la CBC sont particulièrement bien placés pour contrecarrer ces tendances en donnant la priorité à l’inclusion, à la diversité et aux reportages nuancés à l’échelle régionale et locale.

[Français]

La radiodiffusion publique joue un rôle essentiel dans notre démocratie. Le réseau CBC n’est pas seulement un diffuseur; il s’agit d’une plateforme essentielle pour favoriser une citoyenneté informée et un discours inclusif. Les radiodiffuseurs publics renforcent la démocratie en fournissant des informations indépendantes, en promouvant le pluralisme et en tenant les dirigeants responsables de leurs actions. Pour paraphraser le politologue français Loïc Blondiaux, la démocratie, ce n’est pas le vote, c’est le débat qui le précède. CBC a toujours servi de forum au Canada et il représente un espace public visant la tenue de débats éclairés et le partage des valeurs.

[Traduction]

Cependant, des problèmes se posent lorsque la CBC fonctionne comme un radiodiffuseur commercial, en se concentrant sur les cotes d’écoute plutôt que sur son mandat public. Les décisions en matière de programmation qui sont prises de façon centralisée à Toronto négligent souvent les besoins et les aspirations des Québécois anglophones. Ce décalage mine le potentiel de la CBC en tant que pont entre les communautés.

À ce stade critique, nous devons prendre des mesures décisives pour renforcer le rôle que la CBC joue en tant que radiodiffuseur public. Il faut notamment recentrer la CBC pour faire en sorte qu’elle accorde la priorité aux ressources nécessaires pour servir efficacement les communautés en situation minoritaire; donner la priorité au contenu local et régional pour veiller à ce que la CBC produise et diffuse des histoires qui reflètent la diversité du Québec d’expression anglaise; favoriser la collaboration afin d’établir des partenariats plus solides entre la CBC et les organismes communautaires, comme Y4Y Québec — un groupe de jeunes Québécois —, le Réseau du patrimoine anglophone du Québec et le QCGN; investir dans l’infrastructure des communautés rurales et éloignées afin de combler le fossé entre les villes et les régions rurales en améliorant la connectivité et l’accès au contenu localisé; et, tout au long de ce processus, maintenir la capacité de diffusion en direct par ondes hertziennes pour les personnes qui ne peuvent pas avoir accès au contenu numérique.

En conclusion, la CBC est plus qu’un simple radiodiffuseur; c’est une pierre angulaire de notre tissu culturel et démocratique. Pour la communauté anglophone du Québec, la CBC est une bouée de sauvetage qui relie les communautés isolées, amplifie les voix des minorités et favorise une citoyenneté éclairée. Le fait de renforcer le mandat de la CBC, pour qu’elle puisse servir les communautés en situation minoritaire, n’est pas seulement une question de politique; c’est un engagement en faveur de l’identité, de la démocratie et de la diversité du Canada.

Faisons en sorte que la CBC continue de servir d’agora à tous les Canadiens — un lieu où les voix sont entendues, où les histoires sont racontées et où les débats façonnent notre avenir. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie, madame Ludvig. Je vais maintenant céder la parole à Miranda Castravelli.

Miranda Castravelli, directrice générale, English Language Arts Network : Bonsoir, distingués membres du comité. Je vous remercie tous de me donner l’occasion de m’exprimer ce soir.

Le English Language Arts Network, ou ELAN, est un organisme à but non lucratif qui réunit plus de 5 000 artistes, travailleurs culturels et organisations artistiques anglophones qui, à leur tour, s’adressent à la minorité anglophone du Québec, laquelle est estimée aujourd’hui à plus d’un million de personnes.

Nous défendons les intérêts de nos membres et c’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui. Nous souhaitons discuter du rôle que joue la CBC dans cet écosystème. Une partie de ce que je vais dire fera écho à ce que mon collègue a dit, bien sûr, mais permettez-moi d’abord de vous parler d’économie.

Le Canada emploie plus de 850 000 artistes et professionnels de l’art à temps plein. Pour une grande majorité d’entre eux, CBC représente une méthode de publicité, un canal de distribution et un organe permettant d’offrir certains services aux collectivités, grandes et petites, y compris là où d’autres diffuseurs ne voudraient pas ou ne pourraient pas aller. Notre territoire est vaste et le secteur privé qui carbure aux profits n’a aucun intérêt à essayer de desservir des collectivités isolées de quelques milliers d’habitants. Bien sûr, le gouvernement pourrait exiger qu’une partie de la radiodiffusion privée soit obligée de desservir ces collectivités, mais avec le temps, cela reviendrait à faire la même chose que ce que fait la CBC, mais avec des intérêts partisans.

J’invite le comité à réfléchir au fait qu’aucun domaine de la vie n’échappe à l’art. D’autres secteurs, tels que le tourisme et l’hôtellerie, sont les premiers à être pris en considération, mais quel domaine de la vie n’est pas touché par la créativité et le design?

Nous constatons déjà que notre secteur souffre de la réalité économique actuelle. De nombreuses personnes abandonnent complètement les arts. Or, j’estime qu’un pays où les artistes ne peuvent pas s’épanouir est un pays appauvri et diminué, un endroit où la circulation des idées et la diffusion de la culture sont limitées aux goûts personnels du plus offrant et d’un nombre restreint de personnes. Taylor Swift n’a pas besoin de la CBC. C’est l’art et les artisans locaux qui en ont besoin.

Le fait de réduire la CBC au silence se traduira par une réduction radicale de la publicité et donc par une diminution considérable des possibilités qu’ont les petits artistes locaux de joindre leur public. Il leur serait dès lors encore plus difficile, voire impossible, de diffuser leur art et, par conséquent, de s’épanouir, ce que mon collègue a également mentionné.

La nécessité d’un diffuseur public va encore plus loin, car nous devons aussi tenir compte de l’impact social. À une époque où les informations sont réduites à des épisodes de divertissement et où les analyses sont utilisées pour enfermer les Canadiens dans des chambres d’écho, CBC continue à nous unir en tant que pays, un pays où la vérité compte encore. Je pourrais énumérer une pléthore de questions sociopolitiques qui posent un défi à toute société moderne, inclusive et collective, mais ce sera pour une autre fois, pour une autre audience. Ce qui est important, c’est de veiller à ce que les Canadiens disposent des outils qu’il leur faut et de veiller à ce que nous restions connectés d’un océan à l’autre. Nous devons avoir la possibilité d’entendre des voix dissidentes et de communiquer nos histoires d’une manière qui nous aide collectivement à édifier une vision commune du pays et de qui nous sommes.

Nous avons parlé du besoin de réconciliation. Dans de nombreux endroits du Grand Nord, la CBC est le seul moyen dont disposent les gens pour faire entendre leur collectivité. Il n’existe pas de solution de remplacement, et la suppression des quelques chaînes dont ces collectivités disposent se traduirait par un énorme recul. Il est on ne peut plus improbable qu’un diffuseur privé ait la portée nécessaire pour communiquer ce contenu au vaste public canadien.

Je sais que l’on pourrait dire « si c’est pertinent et intéressant, il y aura un marché », mais cette idée ne tient pas la route. On ne peut pas chercher ce dont on ignore l’existence. Il est probable que tout remplaçant privé serait une petite organisation indépendante qui ne s’adresserait qu’à son propre peuple sur un territoire limité. Si nous voulons que les choses soient justes et équitables pour tous, les Premières Nations, mais aussi les collectivités vivant dans de petits endroits reculés partout au Canada, ont besoin du soutien d’institutions puissantes comme la CBC.

Le fait que la CBC soit devenue une cible de choix pour les interventions politiques en dit long sur son importance. La diffusion des nouvelles et des biens culturels est de plus en plus contrôlée par des oligarques — principalement étrangers —, et nous avons pu voir le phénomène de polarisation qui en résulte. Cela montre clairement pourquoi les Canadiens ont besoin d’un média qui incarne une presse véritablement libre et qui soit le reflet de la culture canadienne, et non une machine à faire des profits.

Évidemment, en tant que représentante des artistes anglophones du Québec, je me dois de souligner l’importance du rôle joué par la CBC pour l’écosystème des arts et, par conséquent, pour l’économie du Canada. Selon le recensement de 2021, les arts de langue anglaise ont contribué directement à l’économie québécoise à hauteur de 4,31 milliards de dollars, puis à hauteur de 3,5 milliards de dollars de façon indirecte et sous forme d’investissements. Pour que cela continue, les artistes ont besoin d’un organe qui amplifie leurs voix.

Nous pourrions nous pencher sur ce qu’est une valeur canadienne exactement. En regardant la programmation à laquelle on nous a habitués, on constate que la CBC est la voix qui nous unit. Les nouvelles mises à part, la CBC a diffusé tout au long de sa longue histoire de nombreux programmes qui nous ont touchés, qui ont abordé nos différentes réalités et qui ont fait partie intégrante de l’ensemble. Permettez-moi de vous donner quelques exemples de programmes qui sont diffusés aujourd’hui, bien qu’il y en ait des centaines dont je sais que beaucoup d’entre nous se souviennent depuis leur enfance : « Canadian Reflections », « Just for Laughs », « This Hour Has 22 Minutes ». Il y a aussi « Heartland », qui présente le mode de vie occidental, et « Murdoch Mysteries », qui dresse un portrait flatteur de ce qu’est un Canadien et des contributions du Canada à différents égards. Enfin, il y a CBC Sports, qui présente le hockey, mais aussi le curling.

La CBC est-elle parfaite? Quelle institution l’est? Bien sûr, les gouvernements vont et viennent, et la balançoire continuera de passer de la gauche à la droite et vice-versa, ce qui est essentiel dans une saine démocratie. Il est également de toute première importance que des institutions fortes se tiennent à l’écart de la politique, qu’elles nous tendent un miroir qui nous renvoie notre image et qu’elles nous mettent face à nos contradictions lorsque cela est nécessaire.

Je demande instamment au comité de tenir compte du fait que la CBC n’est pas seulement utile, mais qu’elle est indispensable. Je vous demande d’affirmer, pour nos artistes et pour tous les Canadiens, que la CBC reste un soutien important de notre identité canadienne et de la mise en valeur de la mosaïque complexe et compliquée qu’est le Canada.

Je vous remercie de m’avoir écoutée.

Le président : Je vous remercie. Je donne la parole à M. Gelbart, puis à M. Cox.

Arnie Gelbart, co-président du conseil d’administration, Conseil québécois de la production de langue anglaise : Je m’appelle Arnie Gelbart. Je suis réalisateur pour le cinéma et la télévision à Montréal et je dirige Gala Film.

Kirwan Cox, directeur général, Conseil québécois de la production de langue anglaise : Je m’appelle Kirwan Cox. Je suis le directeur général du Conseil québécois de la production de langue anglaise. Nous représentons l’industrie de la production cinématographique et télévisuelle de langue officielle minoritaire au Québec.

Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui afin de parler de la Canadian Broadcasting Corporation et de la valeur qu’elle représente pour la minorité de langue officielle au Québec, une minorité qui, à l’échelle de la province, représente 15 % de l’ensemble de la population québécoise.

À l’instar de Radio-Canada pour la minorité francophone à l’extérieur du Québec, la CBC est un élément essentiel de notre identité et de notre sentiment d’appartenance en tant que Canadiens, que ce soit en ligne, à la radio ou à la télévision.

Les services médiatiques publics de la CBC sont essentiels à la vitalité et à la survie culturelle de notre communauté, comme le garantit l’article 41 de la Loi sur les langues officielles.

M. Gelbart : Depuis 1812, notre souveraineté nationale n’a jamais été aussi menacée qu’aujourd’hui. Nos défenses culturelles n’ont jamais été aussi faibles.

Les plateformes étrangères essaient d’empêcher le contrôle réglementaire canadien de s’exercer sur les médias au Canada. Le nouveau président américain menace d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits. Les radiodiffuseurs privés canadiens de télévision conventionnelle ont perdu 417 millions de dollars en 2023. Au total, l’industrie a perdu 2,8 milliards de dollars au cours des 18 dernières années.

L’avenir des médias commerciaux canadiens est incertain. L’écoute de la programmation télévisuelle linéaire a chuté de 41 % au cours de la dernière décennie et celle de la radio, de 34 %. L’écoute de la télévision s’est déplacée en ligne, principalement au profit d’entreprises américaines, et 94 % de la publicité canadienne sur Internet va à des plateformes étrangères.

Avec ces bouleversements médiatiques à l’échelle mondiale, les informations locales ont été réduites à peau de chagrin. Des centaines de journaux ont fermé leurs portes. Ceux qui restent ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient.

L’absence d’informations locales se creuse. Les médias sociaux, qui regorgent de fausses nouvelles, ne constituent pas une alternative fiable.

M. Cox : Nous n’avons jamais eu autant besoin de médias canadiens fiables qu’aujourd’hui. Où est notre champion national? Où est la CBC? Elle meurt lentement de faim face à une pléthore de mandats et en raison de ressources qui s’amenuisent.

Certains sénateurs se plaignent qu’avec 1,2 milliard de dollars de financement public, la CBC/Radio-Canada devrait en faire plus. Mettons les choses en perspective. Depuis 1991, date de l’adoption de l’actuelle Loi sur la radiodiffusion, la CBC/Radio-Canada a perdu 37 % de son financement public en dollars constants.

En ce qui concerne les dépenses des médias de service public par habitant, nous nous classons au dix-septième rang parmi 20 pays. Nous avons deux langues officielles et CBC/Radio-Canada diffuse également des émissions dans huit langues autochtones. Nous ne dépensons que 32 $ par habitant, alors que la moyenne pour les 20 pays visés par ces statistiques est de 78 $ par habitant.

En 2022, la BBC a reçu 6,6 milliards de dollars de financement public, l’Allemagne, près de 11,9 milliards, le Japon, 6,8 milliards et la France, 4,7 milliards. Pourquoi tant d’argent? Parce que les médias de service public sont essentiels à la souveraineté culturelle et à l’identité nationale. L’année où ces chiffres ont été compilés, la CBC/Radio-Canada recevait 1,2 milliard de dollars. C’est nous qui sommes assis à côté d’Hollywood, la plupart du temps sans barrière linguistique.

M. Gelbart : Quelle incidence le sous-financement de la CBC/Radio-Canada a-t-il sur la programmation des minorités de langue officielle en région?

En 2015, une réalisatrice de document primée, membre de notre conseil, a reçu une licence de 141 000 $ pour la réalisation d’un programme. En 2024, elle ne recevra que 61 000 $ pour un programme équivalent. Cela représente une perte sur 9 ans de 57 % en dollars constants. Comment un réalisateur peut-il compenser cette perte? En tentant d’obtenir davantage de fonds de sources étrangères qui ne s’intéressent pas forcément aux sujets canadiens locaux, régionaux ou même nationaux.

La CBC/Radio-Canada doit faire face à de nombreux problèmes, en particulier dans le domaine de la télévision anglaise. La plupart sont attribuables à un sous-financement chronique. Nous devons nous poser la question suivante : « Sans la CBC, où serions-nous? »

Plus encore qu’aujourd’hui, nos nouvelles, nos histoires et même nos préjugés seraient filtrés à travers le prisme américain. Si le service de télévision de la CBC était supprimé, comme certains le recommandent, nous nous demanderions : « Qu’est-ce qui viendra le remplacer? » Des radiodiffuseurs privés canadiens en faillite? Des diffuseurs américains? Rien?

Nous devrions considérer la suppression de la CBC comme une violation de la Loi sur la radiodiffusion, certes, mais aussi de la Loi sur les langues officielles. Nous prendrions toutes les mesures à notre disposition pour défendre nos droits en vertu de la Loi sur les langues officielles. En fait, nous le ferions pour défendre notre droit de survivre en tant que minorité de langue officielle et, plus important encore, en tant que Canadiens. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre présence et de vos témoignages. C’est une partie importante de l’histoire. Cependant, je me sens très mal placée pour porter un jugement sur le niveau de service que vous recevez de la CBC, parce que la seule chose que nous avons reçue de CBC/Radio-Canada est une liste des services offerts au Québec en français et en anglais, et qu’il est impossible à partir de cela de faire la part des choses.

Vous avez probablement moins de services qu’il y a quelques années. Pouvez-vous me donner des exemples? Il y a un téléjournal que je connais — un téléjournal local pour le Québec, avec une antenne à Québec, mais basé à Montréal. Cela dit, qu’en est-il des programmes à la radio? Vous avez raison de parler de ces agglomérations d’anglophones qui sont un peu partout au Québec. Comment les desservir? Évidemment, la radio pourrait être un moyen plus facile de les joindre.

Dites-moi plus concrètement quels sont les services qui ont été supprimés ou qui n’existent plus, afin que nous puissions avoir une idée concrète de ce dont nous parlons.

Vous nous avez donné un exemple concernant l’ampleur des subventions. Qu’en est-il de la radio, de la télévision et des plateformes en général?

Mme Ludvig : Dans les régions, comme nous les appelons, en dehors des centres urbains, la ligne de vie est la radio. La télévision ne leur parle pas. La majeure partie de la production est centrée sur Toronto. Elle ne s’adresse même pas aux Montréalais. À l’extérieur des centres, c’est de ce lien qu’ils dépendent. C’est un lien pour ce qui est des nouvelles et pour leur renvoyer une image d’eux-mêmes, mais en raison des coupes budgétaires, il est plus difficile pour les journalistes de la CBC de se rendre là où sont ces populations.

La sénatrice Miville-Dechêne : Y en a-t-il un qui est basé à Montréal?

Mme Ludvig : À Québec, il y a « Quebec AM », par exemple. Ils sont basés à Québec. Il y a si peu de ressources. Nous avons des anglophones en Gaspésie, sur la Basse-Côte-Nord et à Baie-Comeau. Il y en a partout au Québec. En fait, 20 % de la population anglophone habite en région.

Un autre exemple est celui des Cantons de l’Est. La CBC a toujours été présente aux événements annuels qui se déroulent dans cette région. Elle y a tenu une place importante et y a contribué. Elle a de moins en moins de ressources pour envoyer des gens là-bas. Il s’agit vraiment d’une lente érosion. La couverture était déjà inadéquate. Aujourd’hui, elle l’est encore moins.

Il est important d’avoir des nouvelles locales. Pour aller chercher ces nouvelles, vous devez être en mesure de dépêcher votre journaliste à Carleton-sur-Mer, à New Richmond ou ailleurs. Où que ce soit, vous devez être en mesure d’envoyer vos journalistes sur place. Vous devez avoir des gens qui peuvent aller sur le terrain et rapporter la nouvelle. Vous devez être en mesure de contacter les gens de l’endroit et de nouer des relations, parce que c’est ce qui fonctionne dans les petites collectivités. Cela devient de plus en plus difficile.

Les services, les informations auxquelles les gens ont accès, mais aussi les informations qu’ils peuvent communiquer et qui sont importantes pour leur collectivité sont de moins en moins nombreux.

La sénatrice Miville-Dechêne : Du côté français, ils ont essayé de réduire les services sur la côte Est, mais en fin de compte, ils ont dû reprendre certains services locaux. Est-ce que c’est arrivé du côté anglais?

Mme Ludvig : Non, cela n’est pas arrivé.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est toujours à la baisse?

Mme Ludvig : C’est en baisse depuis le début.

Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : J’aimerais dire que les décisions sur ce qui se passe au Québec sont prises à Toronto. Non seulement nous ne savons pas exactement quelles sommes sont dépensées au Québec pour la programmation anglaise, mais depuis 2016, nous ne savons pas non plus grand-chose sur notre appétit et sur la situation de la CBC.

Grâce à l’enquête post-censitaire dont nous avons parlé un peu avant de commencer et dont les résultats seront publiés vraisemblablement avant les vacances, nous en saurons plus sur la situation de l’anglais et des francophones à l’extérieur du Québec et sur ce dont notre communauté a besoin au Québec. Nous ne comprenons plus très bien en quoi consiste le bassin de population, parce que nous n’avons pas les chiffres pour poser les questions qu’il faudrait poser. Nous ne comprenons pas non plus en quoi consiste l’investissement parce qu’il englobe les volets français et anglais. Il est donc impossible de jauger l’adéquation entre l’accès et la demande.

Mme Ludvig : Nous pourrions simplement vous fournir des données anecdotiques.

Mme Martin-Laforge : C’est exact. Nous n’avons que des données anecdotiques.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai d’autres questions, mais je vais m’arrêter ici. Je vais laisser mes collègues poser des questions.

[Traduction]

Mme Castravelli : Comme mes collègues l’ont dit, il y a une foule de preuves anecdotiques. Cela dit, nous constatons que beaucoup de petites collectivités dépendent de la radio communautaire. Je n’ai rien contre la radio communautaire — il y a de très bonnes initiatives en la matière —, mais le hic, c’est qu’il s’agit souvent d’amateurs et que, par conséquent, la qualité et la couverture ne sont pas toujours équitables. Ce sont les opinions conformistes qui finissent par l’emporter. Voilà qui n’est pas à la hauteur de la norme que nous préconisons. Ces émissions ne sont certainement pas aussi répandues, ce qui réduit l’équité à laquelle nous étions habitués dans le passé.

Ce n’est là qu’une petite remarque pour dire que l’adoption d’une approche professionnelle s’avère bénéfique pour de nombreuses raisons, et ce n’est pas seulement une question d’apparence. Il y a aussi la question de l’efficacité — il faut collaborer avec les radios communautaires qui existent dans ces secteurs, au lieu d’en réduire le nombre.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie de votre présence. Avant de poser ma question, monsieur le président, je tiens à déclarer que j’avais obtenu, il y a deux ans, un contrat avec CBC/Radio-Canada. Je tenais à le signaler officiellement.

Le président : Je suis sûr que vous avez fait un excellent travail.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie.

J’aimerais revenir à la Loi sur les langues officielles parce que, comme vous le savez, à titre d’institution fédérale, CBC/Radio-Canada doit également se soumettre aux obligations prévues à l’article 41 de la Loi sur les langues officielles. Elle est donc tenue de prendre des mesures positives envers le développement et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, la promotion des deux langues officielles ainsi que la protection et la promotion du français — et de l’anglais, bien évidemment.

L’article 41 précise que CBC/Radio-Canada doit considérer « [...] les possibilités d’éviter ou, à tout le moins, d’atténuer les impacts négatifs directs que [ses] décisions structurantes pourraient avoir [...] » sur le plan linguistique.

Donc, compte tenu de la nature quasi constitutionnelle de la Loi sur les langues officielles et des responsabilités de CBC/Radio-Canada, pourriez-vous nommer des mesures positives qui ont été prises pour assurer le développement de vos communautés, ou y a-t-il une décision qui nuit à leur épanouissement?

Dans le même ordre d’idées, est-ce que le gouvernement du Canada donne suffisamment d’argent à CBC pour s’assurer que les décisions qu’elle prend n’ont pas de répercussions négatives sur le développement de vos communautés?

M. Cox : J’aimerais faire une observation à ce sujet. Le réseau anglais, CBC, à Montréal produit régulièrement une émission documentaire intitulée Absolutely Canadian. De mémoire, c’est la seule émission locale de ce genre. Voilà une mesure positive. Par contre, les droits de licence sont de 25 000 $ ou moins, voire peut-être de 10 000 $. C’est tellement bas que beaucoup de producteurs ne peuvent pas y participer. C’est tellement bas que cela ne déclenche pas le financement du Fonds des médias du Canada parce que le montant n’est pas suffisant.

Si vous parlez aux responsables de cette émission, ils vous diront qu’ils sont laissés pour compte parce qu’ils veulent en faire plus, mais ils n’ont pas les ressources et les fonds nécessaires. Où est l’argent? Je ne sais pas. Les fonds sont ailleurs, mais le fait est qu’on peut répondre de deux façons simultanées à votre question. D’une part, l’existence de CBC est essentielle et positive et, aux termes de l’article 41, si elle disparaissait, la vitalité de notre communauté serait considérablement touchée. D’autre part, les ressources ne sont pas suffisantes pour qu’elle puisse faire le travail que lui demande l’article 41, de sorte que nous subissons de fortes pressions, et personne n’est satisfait. Nous espérons que vous comprenez cela.

Le sénateur Cormier : Oui, c’est clair. D’après vous, comment se compare la production qui se fait au Québec dans la communauté anglophone par rapport à la majorité anglophone du Canada? Ce que je veux savoir, vraiment, c’est si, en tant que minorité, vous êtes bien servis par rapport à la majorité anglophone du Canada, ou s’il existe un problème. De plus, est‑ce que CBC fait partie du problème ou de la solution en ce qui concerne les défis en matière de production?

M. Gelbart : Si on nous donne suffisamment de ressources, nous sommes en mesure de raconter l’histoire du Québec, ou ses récits, au reste du pays, ce qui, compte tenu des vents politiques, est quelque chose d’assez important à faire. Nous avons besoin d’une part suffisante des ressources dont dispose CBC et qui, espérons-le, seront bonifiées pour que nous puissions raconter ces histoires, car Montréal et le Québec en général constituent un bassin de talents extraordinaires.

Montréal a longtemps été le centre de production au Canada au début des années 1970 et 1980. Nous avons une histoire à raconter, et il est important pour l’unité du pays que nous racontions des histoires québécoises au reste du Canada, mais CBC doit avoir les ressources nécessaires pour donner aux producteurs du Québec la possibilité de raconter cette histoire.

On a fait allusion à la centralisation à Toronto. Je pense que la centralisation est en partie attribuable à un manque de financement. C’est souvent le cas pour toutes sortes d’émissions. Nous parlons habituellement de CBC News, mais à part cela, CBC produit des émissions pour enfants, des émissions de l’après-midi et des émissions d’intérêt public de tous genres. CBC produit également des documentaires et s’aventure dans la production d’émissions dramatiques, ce qui coûte très cher. CBC doit, avant tout, survivre. Elle doit disposer d’un financement qui correspond, à tout le moins, à ce que les autres pays du G20 donnent en moyenne à leur télévision publique. En Angleterre, en France ou en Allemagne, personne ne cherche à se débarrasser du diffuseur public. Nos homologues subissent des pressions financières comme tout le monde, mais personne ne parle de renoncer à la télédiffusion publique.

La sénatrice Simons : Je vous remercie beaucoup. J’aimerais savoir ce qui se passe dans les régions du Québec qui sont situées le plus près de la frontière ontarienne. Ces communautés sont-elles couvertes et reçoivent-elles des services de CBC en Ontario, ou y a-t-il une espèce de mur qui se crée?

Mme Martin-Laforge : Elles captent les émissions de l’Ontario.

La sénatrice Simons : Si vous vivez à Chelsea, par exemple, vous avez accès à la chaîne CBC d’Ottawa, n’est-ce pas?

Mme Ludvig : La réalité de ces gens, c’est le Québec. C’est leur vie de tous les jours, et pourtant, ce qui se reflète chez eux, c’est l’Ontario.

La sénatrice Simons : C’est un problème, là aussi.

Mme Martin-Laforge : Je vais vous donner l’exemple d’un incident survenu à Chelsea. C’est une nouvelle en provenance du Québec qui, autrement, n’aurait pas été connue. Il y a aussi l’Association des journaux régionaux du Québec. Les journalistes de CBC et d’ailleurs font partie intégrante de notre tissu social. Il y a trois ans, on avait rapporté l’histoire d’une enseignante qui portait le hidjab. CBC a diffusé cette nouvelle partout au Canada. L’histoire s’est passée au Québec. C’est là que l’affaire a été mise en lumière. Si CBC n’avait pas été présente, cette histoire n’aurait été diffusée nulle part ailleurs.

Il pourrait en être de même en Basse-Côte-Nord. Nous avons besoin que CBC raconte ces histoires de la même façon qu’une communauté anglophone le ferait.

La sénatrice Simons : Cela m’amène à ma prochaine question, que j’allais poser de toute façon.

Ma fille a eu la chance d’aller à McGill pendant quatre ans. Je lui ai rendu visite et j’ai pu constater à quel point Montréal était une ville multiculturelle, remplie d’allophones qui sont encouragés à s’intégrer à la communauté francophone, mais qui parlent souvent très bien l’anglais.

Dans quelle mesure CBC au Québec réussit-elle à refléter la réalité multiculturelle d’un jeune Québec moderne dans ses services en anglais? C’est un défi que CBC doit relever dans toutes les communautés, mais je peux imaginer que le besoin est particulièrement criant dans un endroit comme Montréal, qui est une ville si multiculturelle et si polyglotte. Ces histoires sont-elles racontées, ou l’accent est-il généralement mis sur les histoires des communautés blanches qui sont là depuis plus longtemps et qui sont mieux établies?

Mme Ludvig : D’après mon expérience et mes observations — c’est anecdotique —, le diffuseur public reflète la diversité, mais il doit avoir les moyens de le faire. C’est très limité; c’est une question de temps et de capacité de production ainsi que de temps d’antenne. Les choses viennent de Toronto ou d’ailleurs, de sorte que ce volet est limité.

Toutefois, ce que CBC peut faire avec les moyens du bord est important, et sa programmation reflète la réalité beaucoup mieux que n’importe quel diffuseur privé. Elle reflète la réalité canadienne et québécoise, mais il faut avoir les moyens de le faire non seulement correctement, mais aussi avec soin. Les ressources de CBC sont très limitées.

Je pense que nous disons tous la même chose. Avec ce qu’ils ont, les responsables de CBC font beaucoup.

La sénatrice Simons : Ils font de leur mieux.

Je viens d’Edmonton et j’ai passé environ six ans à travailler pour CBC. À Edmonton, au cours des dernières années, on a déployé plus d’efforts pour embaucher des journalistes bilingues pour faire entendre ces voix sur les deux réseaux. Dans quelle mesure Radio-Canada soutient-elle les émissions en anglais, ou y a-t-il une ligne dure qui empêche les journalistes francophones de faire diffuser leur travail sur le réseau anglais?

Mme Ludvig : Non, de plus en plus, je trouve qu’il y a un mélange. C’est une bonne chose. Cela reflète le niveau très élevé de bilinguisme à Montréal ainsi que dans la communauté anglophone. Je vois le même journaliste sur les ondes de Radio-Canada et de CBC, et c’est très bien; c’est formidable. Tant qu’il s’agit d’histoires que nous devons entendre. C’est ce qui compte, l’objectif étant de faire connaître les enjeux qui revêtent une importance pour nous.

Je dois vous dire qu’en tant que représentante du QCGN, on me demande régulièrement de participer à une émission comme Radio Noon Québec, qui vient de Montréal. C’est un segment qui est diffusé de midi à 13 heures. On m’invite à parler des questions qui sont importantes pour les anglophones, et la réaction de la communauté est excellente. Ces choses sont importantes. Le diffuseur public doit continuer d’exister, et il doit être suffisamment bien financé pour que nous puissions avoir plus de services et assurer un rayonnement au-delà de Montréal, dans d’autres régions du pays.

M. Gelbart : Comme vous le savez tous, beaucoup de nouveaux immigrants sont arrivés au pays au cours des dernières années. Ils viennent de sociétés qui ont une longue histoire. Si vous prenez quelqu’un de l’Inde, il connaît l’histoire de son pays; cela fait partie de son ADN. Ces gens viennent d’ailleurs, et cetera. Ils s’installent au Canada et cherchent des sources d’information sur l’histoire du Canada. En quoi consiste cette histoire? Que pouvons-nous leur dire? Que peut leur apprendre CBC sur l’histoire de notre pays? Nous avons une riche histoire de 350 ans.

CBC devrait avoir les ressources, les moyens et la volonté de raconter les récits et l’histoire du Canada d’une manière nouvelle et passionnante, par l’entremise des jeunes, mais nous devons faire découvrir aux Néo-Canadiens l’histoire de notre pays. Seul un diffuseur public peut s’acquitter de cette tâche de façon sérieuse et constante.

Mme Castravelli : J’aimerais apporter une nuance. C’est parce que CBC existe que Radio-Canada offre des services. Si CBC cessait d’exister au Québec, les artistes anglophones perdraient des services.

Je vous explique comment cela fonctionne. Si vous êtes un artiste bilingue et que vous vous trouvez à l’extérieur du pays, vous ferez presque toujours l’objet d’une couverture médiatique par une station francophone de CBC ou une station de Radio-Canada à l’extérieur du Québec en raison du facteur de bilinguisme, mais le tout est habituellement coordonné par quelqu’un à CBC dans le bureau du Québec d’où vous êtes originaire. C’est donc cette combinaison de services qui permet à nos artistes d’obtenir la couverture dont ils jouissent.

Si nous nous en remettions uniquement à Radio-Canada, elle ne diffuserait que les choses qu’elle juge importantes parce que même Radio-Canada n’a pas un budget et un temps infinis. Elle choisira les histoires qui, selon elle, attireront le plus grand public, ce qui risque de passer sous silence des enjeux comme l’affaire de Sylvia concernant le port du hidjab — des questions qui sont particulièrement incommodantes — ou toute voix vraiment dissidente par rapport à ce que la majorité francophone pourrait vouloir visionner.

Je recommande donc que nous prenions en considération la collaboration entre ces deux systèmes.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins de leur présence.

Je voudrais comprendre un peu mieux le facteur que représente Toronto dans ce que vous obtenez pour les services anglophones — que recevez-vous en provenance de Toronto? De quoi s’agit-il? Parlons-nous d’une certaine programmation? Parlons-nous de nouvelles nationales ou d’affaires publiques?

Vous ne recevez certainement pas de nouvelles locales en provenance de Toronto, alors à quel genre d’émissions avez-vous accès? Je parle des services anglophones partout au Québec — à Montréal, à l’extérieur, dans le Nord. Qu’obtenez-vous?

M. Gelbart : Il y a deux éléments de réponse à votre question.

C’est en partie parce que nous manquons de ressources que beaucoup de choses sont centralisées. Il est plus facile de concentrer la prise de décisions à Toronto. Il y a la fameuse histoire de la tasse de thé à 1 000 $. C’est ce qu’il en a coûté à un producteur de Vancouver pour venir rencontrer quelqu’un à Toronto en vue d’essayer de présenter une idée. Nous avons le même problème. C’est une question de ressources.

Pour être franc, c’est aussi dû au choix de l’orientation quant au type de programmation que CBC a produite au cours des dernières années. Elle n’a pas répondu aux besoins en ce qui a trait à la nécessité de raconter l’histoire du Canada de façon continue, de raconter l’histoire des différentes régions du pays et de pouvoir commanditer la production, à Montréal, d’une grande série dramatique qui porte sur le Québec et sur la façon dont la province peut être perçue dans le reste du Canada. C’est un problème d’ordre à la fois pratique et financier. C’est aussi un problème de programmation, pour être honnête.

La sénatrice Dasko : Quels services obtenez-vous en provenance de Toronto?

M. Gelbart : Des gens de partout au pays soumettent des idées. Celles qui sont retenues sont portées à l’écran par des maisons de production de Toronto qui ont un accès direct aux décideurs. Ils n’ont pas besoin de dépenser 1 000 $ pour prendre un café avec un cadre de CBC. Ils se croisent tous les jours. Il suffit de prendre le métro. C’est ainsi que sont produites les émissions.

Il y a un filtre qui fait en sorte que tout dépend de ce que les gens qui travaillent pour CBC en Ontario, ou plus précisément à Toronto, jugent bon de faire.

M. Cox : Je dirais tout d’abord que la publicité fait partie du problème. Je sais que c’est un sujet qui a déjà été abordé, mais permettez-moi de développer ma pensée. Croyez-moi, se débarrasser des recettes publicitaires et ne pas les remplacer est un non-sens en ce qui nous concerne.

Le cas de l’émission « Family Feud » est symptomatique du problème dans son ensemble. Pourquoi cette émission américaine est-elle présente sur notre radiodiffuseur public? La réponse est que l’on cherche désespérément à augmenter les recettes publicitaires. Je ne sais pas quelles sont les cotes d’écoute de l’émission « Family Feud » mais, toutes proportions gardées, je suis certain qu’il s’agit d’un des programmes les plus populaires offerts par la CBC.

Au regard du mandat dont s’est dotée la CBC en tant que radiodiffuseur public, l’idée de miser sur l’émission américaine « Family Feud » demeure problématique. Une fois de plus, on observe une incohérence majeure entre le mandat de la CBC, et les tentatives de plus en plus désespérées de ses dirigeants d’aller chercher de nouveaux revenus. À mon avis, une piste de solution est de se débarrasser des annonces publicitaires, mais il faudra dans ce cas trouver un moyen alternatif pour engranger des recettes.

Le bruit court que les conservateurs n’ont pas l’intention de trouver des stratégies alternatives pour financer la CBC/SRC une fois arrivée au pouvoir. Quelle est donc la solution? Pour être honnête, je n’en sais rien.

La sénatrice Dasko : En fait, selon la rumeur, les conservateurs n’ont tout simplement pas l’intention de renouveler le financement de la CBC/SRC s’ils parviennent à former le prochain gouvernement.

Madame Castravelli, revenons à ma question sur la programmation de Toronto. Quel est votre point de vue à ce sujet? Quelle est la contribution financière du gouvernement du Québec en matière de contenu anglophone?

Mme Castravelli : Pour parler franchement, on assiste en ce moment à un exode considérable des cerveaux. En effet, beaucoup d’artistes et de créateurs de contenu quittent le Québec pour aller travailler en Ontario, ce qui nous force à modifier notre programmation.

En fait, nous recevons des nouvelles de Toronto grâce aux services de diffusion en ligne, et CBC Gem permet de diffuser des contenus partout au pays. Vous obtenez le programme. Comme l’a dit l’un de mes collègues, les bulletins de nouvelles et les émissions sont présentés selon une perspective distinctement torontoise.

Oui, nos artistes sont techniquement rémunérés. Par contre, on ne peut plus vraiment dire qu’il s’agit de nos propres artistes locaux; il s’agit désormais d’artistes ontariens. Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Dasko : Oui, je pense bien. En résumé, les bulletins d’actualités nationales et les émissions d’affaires publiques sont diffusés principalement à partir de Toronto.

Mme Castravelli : Nous pouvons obtenir des informations locales sur Montréal. Ce sont les nouvelles des grandes villes. Nous recevons des nouvelles des régions. Nous en recevons un peu. Je dirais que c’est mieux que rien. Au moins, nous recevons des histoires de certaines Premières Nations. Au moins, nous recevons des histoires des différentes communautés autour de Montréal.

Il y a eu un reportage sur les mosquées de Montréal il y a quelques années. Il y a une certaine programmation. Ce n’est pas autant que nous le souhaiterions. Évidemment, dans le sillage de la fusillade à la mosquée de Québec, il y a eu une couverture médiatique importante, et différents contenus d’intérêt communautaire ont été diffusés.

Les émissions ont tendance à être diffusées lorsqu’un événement se produit et qu’il mérite d’être souligné, et nous observons une plus grande diffusion d’émissions axées sur les Premières Nations, Dieu merci, avec l’aide du Réseau de télévision des peuples autochtones, l’APTN. En général, ce n’est pas aussi important ou aussi répandu que nous le souhaiterions.

Le sénateur Cuzner : À l’instar du sénateur Cormier, je souhaite tout d’abord rapporter certains propos en lien avec notre sujet.

Monsieur Cox, Gerry Dee est un bon ami, et un ancien élève de StFX. La version canadienne de « Family Feud » me convient. Je sais que ce n’est pas « This Hour has Seven Days ». Mais ce sont des acteurs canadiens et des gens qui viennent d’un bout à l’autre du pays. C’est un peu amusant et cela génère des revenus. En passant, je pense qu’il est meilleur que Steve Harvey.

Vous avez évoqué les pertes de revenus et la diminution de la qualité du contenu. Nous avons entendu ce thème à maintes reprises. C’est un peu comme le restaurateur qui constate une baisse de sa clientèle et de ses revenus, et qui décide par conséquent de réduire la taille des portions et la qualité des ingrédients. Nous savons tous que ce genre de décisions désespérées mènent à la catastrophe à long terme. C’est ce qui ressort des témoignages que nous avons reçus.

Quelques témoins ont dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter de la technologie, qui par nature évolue au fil du temps. Ce qui compte avant tout, c’est la création de contenu. J’ai entendu une citation percutante de la part d’un témoin tout à l’heure : « On ne peut pas chercher ce dont on ignore l’existence. ».

Je crois que ce sont les créateurs de contenu qui sont les mieux placés pour cerner les nouvelles opportunités, et découvrir de nouveaux talents. Comment la situation générale de la CBC a‑t‑elle évolué au cours des dernières années? À quoi ressemblent vos moyens de financement vous permettant d’innover et de créer du contenu de qualité? De quelle manière les dirigeants de la CBC ont-ils pris du recul? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Gelbart : Vous avez mis le doigt sur un élément fondamental. D’où viennent les nouvelles idées? Qui sont les nouveaux créateurs de contenu?

Nous y avons beaucoup réfléchi. Nous proposons notamment au gouvernement du Québec d’utiliser ses fonds consacrés aux productions anglophones pour mieux cibler les nouveaux créateurs de contenu, qui sont souvent des jeunes bourrés de talent.

Comme je l’ai déjà évoqué, l’une des grandes préoccupations du Québec francophone, c’est que les jeunes sont de plus en plus attirés vers du contenu en anglais sur YouTube et d’autres plateformes semblables. Par conséquent, les créateurs de contenu francophones sont très inquiets de perdre ce public qui leur était auparavant acquis.

Ainsi, il est essentiel de continuer à financer notre diffuseur public et les nouvelles plateformes afin d’éviter l’américanisation culturelle complète de la population canadienne, et notamment des jeunes.

Le plus grand défi que nous avons à relever...

Le sénateur Cuzner : Mais le soutien financier a-t-il été réduit?

M. Gelbart : Nous disposons d’un graphique à ce sujet. En termes réels, le montant de 1,4 million de dollars a diminué. La valeur réelle de cet argent a été érodée par l’inflation. Autrement dit, le financement que reçoit aujourd’hui la CBC a perdu 37 % en dollars indexés, ou en dollars réels si vous préférez.

Bien entendu, je compatis avec les personnes qui prennent des décisions à Toronto. Ils sont sous pression. Je pourrais leur demander quelque chose. Je peux leur dire que je peux faire des histoires fantastiques basées au Québec pour que le reste du pays sache aussi ce qui se passe au Québec, de manière dramatique ou avec des documentaires. Mais il y a des limites à ce que l’on peut faire, étant donné qu’ils ont du mal à faire ce qu’ils doivent faire avec l’argent qui diminue chaque année.

M. Cox : L’argent diminue également dans le secteur privé. Il n’y a pas que la CBC. Je parle à des cinéastes et à des producteurs au Québec. Ils se disent frustrés parce que s’ils s’adressent à Bell ou à Rogers ou, Dieu nous en garde, à Corus, ils disent que ces personnes ne sont pas autorisées à me donner le feu vert parce que la société dans son ensemble n’a pas l’argent nécessaire pour autoriser une production, un point c’est tout. Il y a actuellement une défaillance du marché en matière de production. Cette défaillance du marché est grave, et elle touche tout le monde. Les seules personnes qui restent sont les plateformes américaines.

En 1932, la radiodiffusion publique a été créée. Un homme d’affaires appelé Graham Spry s’était présenté devant un comité parlementaire comme le nôtre afin d’expliquer l’importance du diffuseur public, se basant sur le rapport Aird. M. Spry avait alors fait la déclaration-choc suivante: « Vous avez le choix: l’État ou les États-Unis ». C’est le choix auquel nous sommes tous confrontés aujourd’hui. Il est peut-être même trop tard. Je n’en sais rien. Retirer le secteur public de l’équation, s’est se priver du joueur le plus fort.

J’ai entendu Mme Gerson dire tout à l’heure que les conservateurs souhaitent laisser mille fleurs s’épanouir. J’ignore si elle avait conscience de citer Mao Zedong. L’abolition complète de la CBC mènerait en effet à l’éclosion de mille fleurs, mais aux États-Unis. Le Canada, bien que doté d’un immense territoire, risque à terme de devenir un nain sur le plan des médias. Il est possible d’emprunter une telle voie, mais nous risquons alors de faire face à la dure réalité de la concurrence sur les marchés. Vous êtes d’ailleurs déjà confrontés à ce genre de difficultés, comme nous le serons bientôt tous.

À mon avis, il est légitime de critiquer plusieurs décisions prises par la haute direction de la CBC. Malgré nos divergences, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que des erreurs considérables ont été commises. Je tiens à rappeler en effet que depuis 1991, la CBC a perdu environ 37 % de la valeur de son financement en dollars réels. Ainsi, il est erroné de prétendre que la CBC reçoit assez de financement. Si l’on compare la situation financière de notre société d’État avec les radiodiffuseurs publics de pays similaires, on voit tout de suite où le bât blesse.

En réalité, ces autres pays accordent beaucoup plus d’importance à leurs médias nationaux que le Canada. Les Canadiens anglais nous rapportent souvent à quel point il est facile d’accéder en un clic à du contenu anglophone de manière quasi illimitée. En tout respect, ils ne se rendent donc pas compte qu’il leur manque du contenu proprement canadien, et ce, tant à l’échelle locale, provinciale, territoriale, et nationale. C’est à vous et au Parlement d’affirmer haut et fort que la situation de la CBC est devenue très problématique. Par conséquent, nous devons agir vite, mais se débarrasser purement et simplement de la CBC n’est absolument pas la bonne décision.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Cardozo, il ne nous reste plus que trois minutes, et je vous les accorde.

Le sénateur Cardozo : Je tiens d’abord à m’excuser d’être en retard; je devais me rendre à un événement dans le cadre de l’inauguration de la Inuit Nunangat University, un établissement d’enseignement supérieur établi au Nunavut. Il s’agit d’une brillante idée, et comme vous vous intéressez à l’histoire du Canada, j’ai pensé à vous en parler.

Permettez-moi d’en venir rapidement à ma question, qui porte sur les allégations de partialité chez la CBC. Les principales allégations à l’encontre de la CBC qui émanent des conservateurs — non pas chez les idéologues radicaux, mais chez les conservateurs modérés —, est que la CBC est biaisée à l’égard du conservatisme, qu’elle penche trop à gauche. Sans rentrer dans les détails, la CBC est donc accusée d’être biaisée, notamment à l’encontre des gens de droite au sens large.

Selon vous, que devrait faire la CBC pour lutter contre ce type de biais idéologiques?

Le Parti conservateur propose de supprimer le financement réservé au réseau anglophone de la CBC, faisant remarquer qu’il existe déjà suffisamment de contenu en anglais dans l’écosystème médiatique canadien. Par contre, les conservateurs souhaitent préserver le financement accordé à Radio-Canada, qui joue selon eux un rôle particulier au Québec et au sein des communautés francophones partout au pays.

Mme Ludvig : Puis-je ajouter quelque chose? Radio-Canada joue un rôle particulier, mais CBC joue un rôle particulier pour la communauté anglophone du Québec. Nous sommes 1,3 million et nous comptons. La CBC est importante pour nous. Si nous ne l’avons pas, nous sommes perdants. Et surtout en dehors de Montréal, nous perdons le contact avec 20 % des membres de notre communauté. À Montréal et ailleurs, nous perdons un reflet de ce que nous sommes et de ce qui est important pour nous. Radio-Canada ne m’invitera pas à parler des problèmes de la communauté anglophone du Québec comme le font Radio Noon Quebec et la CBC. C’est important pour notre vie quotidienne. C’est important pour notre identité. C’est important pour notre propre vitalité.

Mme Martin-Laforge : L’une des unités les plus importantes au Québec est celle qui s’occupe de l’engagement de la communauté et qui s’associe à des organisations dans tout le Québec pour entendre des histoires, susciter l’engagement de la communauté et la comprendre. Que ce soit dans la Basse-Côte-Nord ou à Montréal, ce groupe communautaire qui consulte régulièrement et systématiquement la communauté anglophone apporte des idées aux personnes concernées. Je crois que cette unité, par exemple, aide à réduire les préjugés et apporte de vraies histoires à la CBC anglaise au Québec.

M. Gelbart : Je pense que ce que vous soulevez est très important. L’une des premières choses que je voudrais dire, c’est que la CBC ne se limite pas à l’information, parce que ce dont nous parlons, c’est d’un certain parti pris dans la partie de la CBC consacrée à l’information. N’oublions pas qu’il y a beaucoup d’autres choses, comme les langues autochtones et toutes sortes de programmes, une variété de programmes pour enfants, et ainsi de suite. Il s’agit d’un enjeu éditorial concernant un secteur de la CBC, que nous pourrons traiter dans le cadre d’un débat libre et éclairé. Cela ne signifie pas que le diffuseur public ait vocation à se transformer en haut-parleur pour telle ou telle communauté linguistique. Je pense qu’au lieu d’abolir le financement du diffuseur public, nous devons continuer de mener ce genre de débats sur toutes les plateformes qui s’offrent à nous.

Se débarrasser du diffuseur public dans son ensemble, c’est se priver d’une plateforme pour mener des discussions qui, je pense, sont importantes aux yeux de la population canadienne.

Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne la communauté anglophone du Québec, ce point de vue n’est malheureusement pas assez représenté au sein du débat national.

Le président : Monsieur Cardozo, je suis désolé de devoir vous interrompre, mais vos trois minutes sont écoulées.

Au nom du Comité, je tiens à remercier tous les invités pour leur présence.

[Français]

Honorables sénateurs, pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, le comité accueille, en présentiel Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie. Il est accompagné des représentants des groupes provinciaux francophones du Canada atlantique : Nicole Arseneau-Sluyter, présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick; Denise Comeau-Desautels, présidente de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse; Charles Duguay, président de la Société acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard; Tony Cornect, président de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador.

Bienvenue à notre comité. Nous commencerons par l’allocution d’ouverture de 10 minutes de M. Théberge, au nom de tous les témoins. On procédera par la suite à la période des questions.

Martin Théberge, président, Société nationale de l’Acadie : Honorables sénateurs, mon nom est Martin Théberge et je suis président de la Société nationale de l’Acadie. Je suis accompagné des présidences des quatre organismes francophones provinciaux, porte-parole de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador.

Nous vous entretenons aujourd’hui d’un sujet qui nous tient à cœur, mais qui, il faut l’avouer, nous semble être un triste déjà-vu.

D’abord, quelques mots sur notre coin de pays, l’Acadie. L’Acadie d’aujourd’hui est constituée des régions francophones des quatre provinces de l’Atlantique. La grande majorité des quelques centaines de milliers d’individus francophones qui l’habitent sont, pour la plupart, les descendants de colons venus de la France — certains d’autres pays — au XVIIe et au XVIIIe siècle, voire au XVIe siècle dans le cas de Terre-Neuve.

Certains d’entre vous savent sans doute que cette expérience coloniale s’est terminée par le Grand Dérangement, soit des déportations multiples, des déplacements non voulus et des errances qui se sont prolongées pendant des dizaines d’années. Ce fut une odyssée parsemée d’épreuves lors de laquelle un grand nombre ont péri. C’est ce qui explique la présence aujourd’hui d’un si grand nombre d’Acadiens et d’Acadiennes en France, au Québec et en Louisiane.

Certains déportés sont revenus dans la région de l’Acadie actuelle et y ont retrouvé un groupe encore plus nombreux qui avait réussi à s’accrocher au territoire et qui avait survécu de peine et de misère. Ce sont les ancêtres des Acadiens et Acadiennes de l’Atlantique. L’Acadie a réussi, malgré ces années troubles, à se doter d’une communauté vivante, diversifiée, fière de son identité et de sa langue française qu’elle a su préserver.

Cependant, l’Acadie a toujours besoin d’outils pour continuer son développement et ne pas perdre ses acquis. L’un de ces outils est Radio-Canada, présente dans la région depuis la création, il y a 60 ans cette année, de la station de Moncton, la première à voir le jour à l’extérieur du Québec.

Depuis des dizaines d’années, la communauté acadienne — en fait toute la francophonie canadienne — répète combien elle tient à Radio-Canada et à quel point son rôle est crucial pour la vitalité et l’épanouissement de la langue française et de sa culture. C’est d’ailleurs encore plus vrai pour les régions rurales où l’offre médiatique est souvent très pauvre.

Par contre, cela fait également des décennies que les communautés acadiennes espèrent obtenir une plus grande place au sein de la programmation radio et télé de notre diffuseur public. C’est une mission, hélas, qui n’est pas encore accomplie.

Nous reconnaissons qu’au cours des dernières années, Radio-Canada a investi dans ses stations régionales; elle a augmenté ses effectifs. Radio-Canada Acadie s’est rapprochée de la communauté dans certains endroits. Là où le bât blesse toujours, c’est dans la programmation nationale. La francophonie canadienne ne se sent toujours pas vraiment chez elle à Radio-Canada.

Avoir sa place, ce n’est pas simplement être vu et entendu; c’est aussi ajouter notre perspective et notre expertise régionales dans les débats et les enjeux qui sont présentés à l’antenne nationale.

Nos opinions et notre façon de penser et de voir le monde valent aussi la peine d’être connues et partagées.

Lors des audiences pour le renouvellement des licences de CBC/Radio-Canada en 2020, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada avait soulevé l’idée d’établir un deuxième centre de production national francophone de Radio-Canada, à l’extérieur du Québec. Nous reprenons à notre compte cette proposition. Cependant, évoquer un tel changement de structure témoigne d’une triste réalité. C’est dire à quel point l’Acadie n’a plus grand espoir que Radio-Canada, d’elle-même, puisse atteindre l’objectif que nous souhaitons. Il ne faut pas s’en surprendre : combien de fois s’est-on fait dire, face à nos doléances, que notre message avait été compris, que des changements seraient apportés? Nous avons été déçus chaque fois.

Pour effectuer un véritable changement de culture, il faut plus que des mots : il faut une structure, un cadre opérationnel redevable et il faut aussi décentraliser la programmation.

Il est incompréhensible qu’après tant d’années, Radio-Canada compte si peu d’émissions nationales, tant à la télévision qu’à la radio, diffusées de l’extérieur du Québec. Comment peut-on justifier qu’un diffuseur public mandaté pour servir une population d’un océan à l’autre puisse concentrer ainsi sa production nationale dans une seule province, voire une seule ville? Comment peut-on refléter adéquatement la réalité francophone pancanadienne si presque toute la production nationale en information — ses magazines de société, ses émissions de radio et de télé — est conçue, réalisée et animée depuis Montréal?

On entend souvent dire que les communautés francophones du pays se connaissent mal. Or, comment peut-on espérer se découvrir, s’apprécier et comprendre la réalité des autres communautés du pays avec une telle concentration de la programmation nationale au Québec?

La nouvelle Loi sur les langues officielles du Canada précise les obligations de Radio-Canada envers le développement et la promotion des minorités linguistiques, particulièrement de la minorité francophone. De plus, par son mandat actuel, établi dans la Loi sur la radiodiffusion, Radio-Canada doit « contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales ».

Peut-on vraiment affirmer que Radio-Canada, avec une telle centralisation, peut promouvoir et développer la minorité francophone ou qu’elle contribue au partage d’une « conscience et d’une identité nationales »? Nous pensons que non.

Pour y arriver, il ne faut pas uniquement délocaliser des émissions, il faut décentraliser les équipes. Il faut que les émissions nationales puissent compter sur des réalisateurs, des recherchistes ou d’autres membres de l’équipe postés en permanence ici et là au pays qui pourraient ainsi contribuer chaque jour ou chaque semaine à l’élaboration de la programmation.

En plus de celles déjà énoncées, voici trois autres recommandations qui renforceraient les services de Radio-Canada dans la région de l’Atlantique ainsi que pour tous les francophones en situation minoritaire au pays.

D’abord, la diffusion, à l’antenne nationale de Radio-Canada, des spectacles emblématiques pour les communautés de la francophonie canadienne, à l’instar du spectacle de la Fête nationale de l’Acadie, le 15 août, à une heure de grande écoute.

Ensuite, la production d’un second téléjournal dans la région atlantique qui serait diffusé en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador. Le téléjournal produit actuellement à Moncton serait alors diffusé uniquement au Nouveau-Brunswick. Les communautés acadiennes et francophones des quatre provinces seraient alors mieux servies en nouvelles à la télévision.

Finalement, à Terre-Neuve-et-Labrador, on devrait rectifier le fait que des francophones en situation très minoritaire, comme à Corner Brook ou à Happy Valley-Goose Bay, ne sont pas desservis par la radio de Radio-Canada. Autre lacune, les francophones de l’île de Terre-Neuve reçoivent leurs nouvelles et la programmation régionale des stations de Moncton et d’Halifax, alors que ceux du Labrador obtiennent ce service en provenance du Québec. C’est une situation unique au pays qui prive la communauté francophone provinciale d’un lieu d’échange commun.

Voilà quelques pistes de solutions à un problème très complexe. Comme vous, nous sommes engagés à trouver la solution et serons heureux de collaborer avec le gouvernement ainsi qu’avec Radio-Canada, comme toujours, pour y arriver. Avec vous, nous souhaitons mettre de l’avant la devise acadienne, qui est « L’union fait la force ».

Nous espérons que nos propos de ce soir alimenteront vos délibérations et vos recommandations. Il est temps plus que jamais que Radio-Canada accepte et réalise ce mandat qui est le sien : cimenter toutes les communautés du pays. Plus que jamais, il est temps de passer de la parole aux actes.

Vous trouverez dans notre mémoire plus de détails sur les éléments que nous avons abordés durant ces quelques minutes.

Merci de votre attention. Nous sommes disposés à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Théberge.

Le sénateur Cormier : Merci d’être ici, membres de la Société nationale de l’Acadie. On reconnaît que la réalité et les besoins des communautés acadiennes dans chacune des provinces atlantiques sont très différents, certains besoins en matière de radiodiffusion et du rôle que peut jouer Radio-Canada sont aussi différents.

Vous avez cité la Loi sur les langues officielles, et je reprendrai ce que j’ai dit plus tôt sur les obligations de Radio-Canada de prendre des mesures positives pour assurer l’épanouissement des communautés et pour prendre des décisions qui empêchent d’avoir des impacts négatifs sur le développement des communautés.

Puisqu’on sait que Radio-Canada bénéficie peut-être de moins de revenus publicitaires, est-ce que le constat que vous faites, monsieur Théberge, est lié à un manque de financement de la part de Radio-Canada, selon vous?

Que pouvez-vous nous dire sur la perception et la compréhension que vous avez des enjeux financiers de Radio-Canada?

J’aurai une deuxième question concrète sur la production.

M. Théberge : Soyons clairs : Radio-Canada est essentielle. On en veut plus, on en veut partout, et c’est là l’enjeu. Effectivement, une grande partie du défi provient du financement, mais pas seulement du financement. Je parlais dans mon allocution d’avoir un système dans lequel on retrouve des mesures de rendement qui nous permettent de décentraliser Radio-Canada et ainsi d’avoir, à l’antenne nationale, des émissions qui pourraient être produites en Alberta par exemple, cela importe peu, mais dans lesquelles on aurait un réalisateur acadien, par exemple. Il faut décloisonner et décentraliser. Oui, il y a le financement, mais je crois qu’il y a aussi un défi quant à l’approche.

Le sénateur Cormier : J’aimerais vous poser une question assez pointue qui vise la production. Je vais prendre l’exemple d’une télésérie intitulée Le monde de Gabrielle Roy, qui est produite à la fois par Les Productions Rivard, au Manitoba, Zone3, au Québec, et qui rassemble à la fois des créateurs du Manitoba et une réalisatrice et certains artistes du Nouveau-Brunswick.

Cette production existe maintenant depuis trois saisons. La troisième saison commence bientôt. On entend presque des rumeurs selon lesquelles cette production ne reviendrait pas.

Il s’agit de la vie de Gabrielle Roy, qui est une artiste francophone, une autrice nationale tant pour le Québec que pour le reste du pays.

Après trois saisons, alors qu’il y aurait une possibilité de produire une série qui mettrait en œuvre le plus grand succès de Gabrielle Roy, qui était Bonheur d’occasion, et qui montrerait donc l’excellence d’œuvres d’auteurs de l’extérieur du Québec, il semble que Radio-Canada est un peu frileuse sur la continuité de ce projet. On parle de mesures positives, on parle de mesurer l’impact.

Dans ce cas-ci, considérez-vous que cette décision potentielle de Radio-Canada pourrait avoir des répercussions importantes sur l’épanouissement des communautés?

M. Théberge : Bien sûr. Au Manitoba, au Québec et ailleurs, il faut se voir et s’entendre beaucoup plus. L’autre exemple que je donnerais en réaction à votre question, c’est la Fête nationale de l’Acadie, pour laquelle on doit se battre année après année afin qu’elle soit bien diffusée et bien captée. On entend dire que c’est en raison du manque de capacités financières, mais pas uniquement pour ces raisons, on veut faire autrement et on veut aller vers de la production externe pour alléger la façon de faire chez Radio-Canada.

Pour nous, ce qui est important, c’est d’avoir une Fête nationale de l’Acadie. On accepte donc une fête nationale de l’Acadie qui est diffusée partout au Canada, comprenez bien, et on accepte de faire autrement parce qu’on n’a pas le choix. On fait état d’une situation qui est dommageable pour nos communautés et pour laquelle, on le comprend, Radio-Canada n’a pas le choix. Effectivement; le fait de devoir tout centraliser vient fragiliser nos communautés.

Le sénateur Cormier : D’accord. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup d’être ici. J’ai quelques questions. Si je comprends bien, il y a une différence avec le fait que vous avez plus d’effectifs maintenant pour les nouvelles francophones dans toutes les Maritimes, donc plus de ressources. S’agit-il de beaucoup plus de ressources?

M. Théberge : Il faut faire attention. Ce que j’ai dit, c’est que, du point de vue local, soit en Acadie et dans les quatre provinces atlantiques, il y a de nouvelles pratiques — pas nécessairement plus de ressources ou de financement, mais de nouvelles pratiques grâce auxquelles on a pu se rapprocher des communautés dans certaines régions. Ce sont des exemples sur lesquels on devrait construire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous nous donner un exemple?

M. Théberge : On parle de créer un deuxième Téléjournal Acadie pour les trois autres provinces. Cet exemple vient d’une émission de radio qui est créée. On a maintenant La mouvée, qui est diffusée de 16 heures à 18 heures sur les ondes de Radio-Canada, et qui est créée pour la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons donc de nouvelles pratiques et Radio-Canada Acadie fait un excellent travail pour se rapprocher comme elle peut des communautés. Par contre, l’Acadie ne connaît pas le reste du Canada, et le reste du Canada ne connaît pas l’Acadie.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est donc un peu paradoxal, parce que même chez vous, dans les provinces atlantiques, il y a une espèce de domination de Moncton vis-à-vis des autres villes, et vous essayez de décentraliser cela. C’est ce que je comprends. Ça, c’est la partie positive.

Maintenant, sur le fait que vous ne vous voyez pas à l’antenne nationale, car c’est ce que je comprends — j’ai eu de nombreuses plaintes en tant qu’ombudsman de Radio-Canada à ce sujet —, il n’y a rien, mathématiquement, qui oblige Radio-Canada dans son mandat actuel à faire un certain nombre de choses. C’est laissé à la discrétion du diffuseur, qui est indépendant. Pensez-vous que le mandat doit être changé, d’une part? Concernant les émissions nationales, est-ce que La facture pourrait être basée à Moncton? Cela représente des défis en matière de bassin de population et du nombre de plaintes. Sans nier ce que vous dites, il y a un bassin principal de population qui est au Québec. Comment amener des émissions nationales en Acadie? Est-ce que c’est un correspondant en Acadie que vous voulez?

Nicole Arseneau-Sluyter, présidente, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : Je vis dans une ville majoritairement anglophone, à Saint John, au Nouveau-Brunswick. On n’a pas de journalistes francophones locaux ni de couverture francophone locale. On en a déjà eu. Vous connaissez tous Thomas Daigle. Il a fait ses études au Centre scolaire Samuel-de-Champlain à Saint John. Sa carrière a commencé chez nous, puis il est passé au national en chemin vers l’international. Le fait de ne pas avoir de journaliste qui parle de nous contribue encore directement à l’assimilation. On écoute les nouvelles en anglais, et ce, depuis des années. Plus on le fait, plus on contribue à l’assimilation. Voilà.

M. Théberge : Pour répondre à votre question, je ne crois pas qu’on doive changer le mandat. Il faut se donner les outils nécessaires pour remplir ce mandat. Vous parliez de La facture. Oui, effectivement, on pourrait avoir des correspondants et il pourrait y avoir une émission tous les deux ou trois jours où on parlerait du prix des pommes à Terre-Neuve plutôt que celles de Montréal. On aurait des recherchistes qui parleraient de certains enjeux en ondes sur l’ensemble du Canada, et non dans une région précise.

La sénatrice Miville-Dechêne : Personne n’est innocent ici. Ces choix correspondent à des choix de cotes d’écoute, parce que la concurrence de Radio-Canada est aussi à Montréal. Je ne suis pas en train de justifier cela, mais effectivement, on va chercher la publicité en ayant des émissions québécoises.

Alors, comment voyez-vous ce besoin de financement qui se fait ainsi, ce besoin de se mesurer par exemple à TVA par opposition au mandat? Il y a un certain déchirement.

M. Théberge : Je ferais très attention d’utiliser un argument économique par rapport aux cotes d’écoute, parce que le mandat...

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous le relaie, car c’est un argument souvent utilisé.

M. Théberge : Il est souvent utilisé, effectivement. Le mandat de Radio-Canada n’est pas d’être compétitif ni de gagner de l’argent pour remplir les coffres du pays. Le mandat de Radio-Canada, c’est pour l’ensemble du pays. Je donnerais un autre exemple pour revenir un peu sur votre question précédente...

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais Radio-Canada doit aussi être regardée.

M. Théberge : D’accord.

La sénatrice Miville-Dechêne : CBC a moins de cotes d’écoute et c’est en train de lui coûter cher.

M. Théberge : Je relie votre question et celle qui précède : si Tout le monde en parle a de si bonnes cotes d’écoute, pourquoi ne peut-on pas avoir plus de gens de l’Acadie à Tout le monde en parle?

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce sont des questions difficiles et je vous les pose, car ce n’est pas simple. Parlez-moi du deuxième centre de production. Pour moi, c’est un mystère. Est-ce qu’il serait en Acadie?

M. Théberge : Loin de moi l’idée d’arriver ici avec une idée préconçue. Naturellement, il y a plein de sous-questions à cela. L’idée d’avoir un deuxième centre de production, c’est que tout ne soit pas produit au même endroit. La question est la suivante : « Où sera-t-il le plus efficace et où aura-t-il un meilleur impact? » Il reste du travail à faire. L’idée, c’est de décloisonner et de ne pas tout faire à un seul endroit.

La sénatrice Simons : J’aimerais mieux comprendre la situation de la population acadienne. La plupart habitent au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard.

M. Théberge : Les Acadiens sont dans les quatre provinces atlantiques, au Québec et ailleurs au pays. On a d’ailleurs une association membre ici, dans la capitale canadienne.

La sénatrice Simons : Pensez-vous qu’il y a assez de journalistes qui travaillent pour Radio-Canada en français à Charlottetown, à Halifax et à Saint John?

M. Théberge : Je vais inviter mes collègues à répondre. Je vais commencer par Charles Duguay, de l’Île-du-Prince-Édouard, puisque vous venez de mentionner Charlottetown.

Charles Duguay, président, Société acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard : La question est s’il y en a assez. Il y en a un.

La sénatrice Simons : Seulement?

M. Duguay : Seulement un pour Radio-Canada qui couvre l’île. Parfois, avec le journaliste de CBC, ils se partagent le travail : l’un va à un bout de l’île et l’autre à l’autre bout, puis ils vont le faire en français et en anglais; ensuite, ils s’échangent parfois leurs reportages.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a plus de sénateurs que de journalistes.

La sénatrice Simons : Il y en a quatre. Pensez-vous que les gens francophones et les Acadiens qui habitent hors du Nouveau-Brunswick pensent au Nouveau-Brunswick comme vous pensez à Montréal?

M. Duguay : Pour être honnête, oui, parce que lorsqu’on habite à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est sûr que les cotes d’écoute, c’est pour Moncton habituellement. Si on écoute les nouvelles, Le Téléjournal Acadie, on va attendre longtemps pour entendre des nouvelles de l’Île-du-Prince-Édouard. Ce qui arrive, c’est que ceux qui sont bilingues vont regarder Compass. Ils ne regardent plus les nouvelles en français. Si vous voulez avoir une discussion au café du matin et savoir ce qui se passe, il faut les écouter en anglais. On n’a pas le luxe d’aller à TVA. Madame la sénatrice, vous avez parlé de TVA, mais j’ai de la difficulté à distinguer si j’écoute TVA ou Radio-Canada. Le trafic sur le pont Jacques-Cartier, écoutez...

La sénatrice Simons : À Edmonton, nous avons une émission de radio matinale qui s’appelle Le café show; cette émission est pour tout le Nord de l’Alberta et presque toute l’Alberta, car Edmonton est le centre-ville de la langue française en Alberta. Est-ce qu’il y a une émission à Halifax en français ou tout vient de Moncton pour toute l’Acadie?

M. Duguay : Pour la radio à l’Île-du-Prince-Édouard, il y a peut-être 20 ou 25 ans, on s’est battu pour l’émission du matin de l’Île-du-Prince-Édouard, mais elle était produite à partir de Moncton. On voulait que le studio déménage. Quand l’animateur parle de la météo et qu’il pleut à Charlottetown à l’émission de Moncton... On veut que l’émission reflète plus ce qu’on veut entendre. Tout récemment, ils ont ajouté une émission du samedi matin atlantique, mais à Charlottetown. À la radio, nous avons deux émissions produites à Charlottetown et cela nous représente mieux, parce qu’on entend nos accents et notre monde.

M. Théberge : La situation à Terre-Neuve est particulière, comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, mais M. Cornect pourrait répondre à votre question originale sur les journalistes francophones.

Tony Cornect, président, Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador : À Terre-Neuve-et-Labrador, on a deux journalistes qui travaillent de St. John’s.

La sénatrice Simons : Deux? Pour la télévision et la radio ensemble? Pour le Web aussi?

M. Cornect : Oui, ils partagent les services avec CBC. Est-ce qu’on reçoit les nouvelles d’Halifax ou de Moncton? Nous, sur l’île, nos nouvelles viennent d’Halifax et de Moncton, mais au Labrador, elles viennent du Québec. C’est une division, parce que pour ce qui est de ce qui se passe sur l’île, les gens du Labrador ne reçoivent pas ces mêmes informations ou nouvelles. Par exemple, durant la pandémie de COVID-19 ou pendant les incendies, ils n’entendaient pas les consignes de leur province. C’est un immense problème.

Radio-Canada est pour l’Acadie. L’Acadie est dans les quatre coins, les quatre provinces atlantiques, toutes les régions et toutes les communautés. Il faut sauvegarder notre identité. C’est important. Radio-Canada est essentielle.

M. Théberge : On se retrouve avec une situation où...

La sénatrice Simons : J’aimerais savoir s’il y a une identité pour toute l’Acadie. Les gens de la Nouvelle-Écosse ont-ils une identité séparée?

M. Théberge : Il y a des différences. C’est comme si l’on disait que tous les Québécois sont pareils. Ce n’est pas vrai de dire que tous les Albertains sont pareils. Ce n’est pas vrai.

La sénatrice Simons : Pas du tout.

M. Théberge : Mais on a des éléments qui sont très particuliers où les gens de Terre-Neuve-et-Labrador connaissent le ministre de la Santé du Québec, mais pas le nom de leur propre premier ministre.

Le sénateur Cardozo : Bienvenue à tout le monde. Merci d’être ici. Vous avez parlé de la nécessité d’avoir plus de programmation en français, mais malheureusement, à mon avis, le débat national n’est pas là.

Je présente trois facteurs. Nous avons une forte réduction des sources de radiodiffusion du secteur privé et des journaux.

Deuxièmement, les consommateurs consomment moins de médias traditionnels, y compris CBC/Radio-Canada.

Troisièmement, il est proposé par un parti très sérieux de supprimer le réseau anglais, CBC, ou d’en éliminer le financement, et peut-être celui de Radio-Canada aussi. Que pensez-vous de cette situation complexe?

M. Théberge : Vous avez mentionné trois éléments. Je vais tenter d’y répondre brièvement. La diminution des sources de radiodiffusion du secteur privé : des radios francophones privées en Acadie, je ne crois pas qu’il y en a. On a des radios communautaires; elles ont un mandat très complémentaire à Radio-Canada, qui n’est pas le même, donc on ne peut pas les mettre en concurrence. Mais des radios privées, il n’en existe pas. Elles ne font pas partie de l’équation.

La diminution de la consommation des médias traditionnels, c’est vrai. Une nouvelle qui est créée pour un téléjournal, qui peut ensuite faire un balado et ensuite se retrouver sur un article en ligne, cela fait partie aussi du fonctionnement de Radio-Canada. On peut créer un produit pour une chose et il sert à autre chose. Les technologies nous servent bien à cet égard.

En ce qui concerne la suppression de CBC, l’élimination ou la modification de son financement, je vous invite à faire très attention. Les infrastructures ne sont qu’une seule infrastructure. L’antenne n’appartient pas qu’à Radio-Canada ou à CBC. À Halifax, on a un énorme studio de la taille de deux ou trois gymnases. Les services en français ont un bureau dans le coin.

Qu’est-ce qu’on fait si CBC n’existe plus? On a un gymnase vide avec une petite table dans le coin pour les francophones parce qu’on réussit à les garder? On vend l’édifice?

Il faut faire très attention, parce que sous-financer l’un a des répercussions sur l’autre aussi. Il faut faire très attention.

Le sénateur Cardozo : Je vous entends bien, mais ce n’est pas moi qui fais la proposition.

M. Théberge : Je comprends bien. Je vous fournis des arguments.

Le sénateur Cardozo : La réalité reste que, d’ici quelques années, il y a une forte possibilité qu’un gouvernement fasse cela.

Quand vous parlez des studios, ils existent. Si on n’utilise pas une partie parce que CBC n’est plus là, c’est possible d’utiliser le reste pour le français, n’est-ce pas?

M. Théberge : J’ai du mal à répondre clairement à la question, parce que l’analyse complète n’a pas été faite. À notre avis, les infrastructures ne sont qu’une et on peut parler de l’édifice, oui, mais parlons de la technologie, de toutes les infrastructures, pas seulement physiques, pas seulement le béton. Le fait d’affecter l’un fragilise l’autre.

Le sénateur Cardozo : Les radios communautaires existent-elles dans toutes vos provinces?

M. Duguay : À l’Île-du-Prince-Édouard, à Charlottetown, le berceau de la Confédération, si vous voulez écouter la radio en français dans votre voiture, il y a Radio-Canada. Il n’y a pas de radio communautaire.

M. Théberge : À Terre-Neuve-et-Labrador, il n’y a pas de radio communautaire et il y a quand même des communautés où Radio-Canada n’est pas présente : Happy Valley-Goose Bay et Corner Brook. Même s’il y a des communautés francophones, Radio-Canada n’est pas diffusée là.

M. Cornect : On ne peut pas le capter sur les ondes FM.

Denise Comeau-Desautels, présidente, Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse : Radio-Canada est important. Il faut se faire connaître comme Acadiens dans notre province, à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. Voici un exemple : quand le sénateur Aucoin a été nommé sénateur, il n’a pas fait les manchettes; cette nouvelle était parmi les dernières. Pour nous, sa nomination était très importante. La nouvelle venait de Moncton, donc ce n’était pas important, c’était juste un sénateur de la Nouvelle-Écosse. C’est très important pour nous de se faire connaître, à l’intérieur et à l’extérieur du Canada.

Le sénateur Cardozo : Merci.

Le président : J’ai une question avant de passer à la deuxième ronde. C’est par rapport à ce réflexe d’infériorité et aux complexes que les Canadiens français ont par rapport au réseau anglais CBC. J’ai une perspective simple. CBC est une organisation qui monopolise la tarte de financement annuel du gouvernement.

Année après année, depuis neuf ans, le budget de CBC/Radio-Canada augmente et, en même temps, CBC Toronto coupe continuellement les services aux communautés francophones en situation minoritaire partout au pays.

Ils ont beaucoup de difficultés à respecter leur défi d’offrir des services régionaux locaux comme il faut. Les gens qui payent le plus gros prix sont évidemment la communauté francophone minoritaire.

Je ne comprends pas pourquoi on a autant de difficulté à comprendre. Présentement, le réseau de Radio-Canada utilise 10 % de l’infrastructure dont on peut disposer et ils mangent à peu près 25 % du budget total, peut-être un peu plus, soit 40 %.

Imaginez une situation où, demain matin, CBC n’existe plus : le budget de Radio-Canada augmente à 60 % et l’utilisation des infrastructures dont on peut disposer monte à 30 %. Encore mieux, ils ont la liberté de créer et de gérer leurs affaires comme il faut.

Ne pensez-vous pas que cela donnerait une force, de plus grandes possibilités de promouvoir la langue française minoritaire ou un meilleur service par rapport aux régions du Canada en français. C’est logique. Admettons que je suis un homme d’affaires. Quand j’ai plus de ressources, j’ai plus d’argent. La seule explication est que je n’ai pas de talent et que je gaspille l’argent. Mais si j’ai plus d’argent, d’infrastructures, de capacités et de capacité créative, je vais faire des choses extraordinaires. N’êtes-vous pas d’accord?

M. Théberge : Je pense qu’il faut analyser la façon de le faire. Dans les mathématiques simples, si on enlève une partie, l’autre est fragilisée. Après, si on change toutes les mesures et les capacités, cela modifiera l’équation et il y aura peut-être des formules possibles.

Ce qu’on croit, c’est que cela prend cette structure; il y en a une qui existe déjà, mais cela prend un cadre opérationnel qui est redevable et il faut décentraliser la programmation. Quant à savoir comment y parvenir, on peut laisser ces décisions à d’autres.

Le président : Je vais vous laisser avec un commentaire.

Il y a un besoin fondamental de soutenir la langue française en situation minoritaire dans tous les coins du pays. On a actuellement une entreprise qui s’appelle CBC dont les cotes d’écoute sont en déclin; le niveau de confiance du public l’est aussi, et son budget augmente d’année en année sans aucune efficacité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous m’avez dit, et c’est très intéressant, que vous essayez de rééquilibrer la programmation à l’intérieur de l’Acadie pour mieux refléter la réalité et pour ne pas que ce soit, comme on le dit souvent, « montréalocentriste » — dans ce cas-ci, pour ne pas que ce soit « monctoncentriste », j’imagine, donc c’est intéressant.

Pour les budgets consacrés à l’Acadie pour les nouvelles locales et régionales, savez-vous de combien il s’agit, si cela augmente ou si cela baisse, si les effectifs augmentent ou baissent? Êtes-vous capable de me donner une mesure de cela?

M. Théberge : Malheureusement, je n’ai pas la réponse à votre question. Je ne sais pas si les informations sont disponibles pour qu’on puisse en faire l’analyse. Je me permettrai, un peu à la blague, de répéter le commentaire d’une autrice de chez nous, qui dit qu’on est tous le Parisien de quelqu’un d’autre.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est exact.

Je veux aussi vous poser une autre question. Ce qu’on a comme information sur le Nouveau-Brunswick, ce sont des fiches qui n’indiquent pas exactement combien d’argent a été dépensé en Acadie et dans les différentes provinces sur une base historique.

On nous dit qu’il y a une série policière acadienne, Mont‑Rouge, dont la principale production télé se fait dans la région. Est-ce la seule? On met l’accent là-dessus, mais y en a‑t‑il d’autres? On parle d’une série dramatique; est-ce que c’est un succès et est-ce que c’est présenté ailleurs?

M. Théberge : À ma connaissance, Mont-Rouge est un processus semblable à celui de l’émission Le monde de Gabrielle Roy. Nous avons aussi un partenariat, je crois, mais je n’en suis pas sûr à 100 %. J’ai du mal à répondre à votre question de façon officielle.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce n’est pas grave, je ne connais pas non plus tellement la série, donc je vais m’informer, ne vous inquiétez pas.

J’aimerais, par contre, obtenir vos commentaires sur un sondage. Sur cette feuille apparaît tout ce que fait Radio-Canada dans la vie. Il est indiqué « les Néo-Brunswickois et CBC/Radio-Canada »; ici, selon un sondage portant sur la perception, on voit que 91 % des Néo-Brunswickois sont d’accord pour dire que le contenu de CBC/Radio-Canada reflète les régions du Canada. Il me semble qu’il y a une assez grande différence entre cela — c’était peut-être un sondage bilingue, je n’en sais rien — et ce que vous me dites, car on parle d’une satisfaction maximale ici.

M. Théberge : J’allais poser la question : est-ce toutes langues confondues? S’agit-il de la satisfaction chez CBC et chez Radio-Canada? Bref, j’ai du mal à répondre là aussi, je suis désolé.

La sénatrice Miville-Dechêne : Expliquez-nous peut-être une fois de plus — et d’autres pourront sans doute participer à la discussion —, ce dont vous avez besoin. Avez-vous besoin de plus de journalistes locaux en priorité ou de plus de visibilité à l’échelle nationale? Qu’est-ce qui est le plus important?

Vous parliez de l’importance de conserver le français, qui est évidemment au cœur de ces questions. Certains diraient que par rapport à de plus petites communautés dans le reste du Canada, et vous l’avez sûrement déjà entendu, il y a quand même une impression qu’il y a plus de ressources en Acadie; vous êtes plus nombreux proportionnellement, peut-être moins qu’en Ontario, mais plus nombreux en proportion.

Comment voyez-vous vos priorités, si vous aviez à me décliner cela? C’est un exercice de synthèse.

M. Théberge : Je vais faire attention de ne pas biaiser l’interprétation sur les nouvelles seulement, par contre, sur le journalisme seulement.

Il faut que ce soit dans tous les aspects de Radio-Canada. Pour nous, il faut en faire plus, et en faire plus passe d’abord par une présence de l’Acadie dans toute la programmation, pas seulement pour les acteurs et les actrices, mais aussi à tous les niveaux à l’intérieur de la boîte, si je peux me permettre l’expression.

Il faudrait donc voir une plus grande présence de l’Acadie par une décentralisation et que l’Acadie devienne le deuxième pôle de production, que ce soit parce qu’on a des Acadiens plus présents dans l’équipe à Montréal, mais aussi parce qu’on a des réalisateurs qui sont basés chez nous pour produire des émissions qui seront diffusées sur le réseau. On pourrait donner de nombreux autres exemples à cet effet, mais il faut en faire plus au moyen d’une plus grande présence de l’Acadie dans la programmation et par une décentralisation.

Mme Arseneau-Sluyter : Oui, il y a moins d’effectifs et moins de journalistes; cela diminue continuellement. À Saint John, il y a probablement plus de 10 ans qu’on a eu un journaliste, donc cela fait au moins 10 ans qu’il n’y a plus de journalistes chez nous.

M. Cornect : Vous avez souvent mentionné qu’il faut apporter le national à l’Acadie, mais il faut aussi penser à amener l’Acadie à l’échelle nationale. Il faut les ressources et l’infrastructure nécessaires pour le faire — et pour bien le faire.

M. Duguay : Madame la sénatrice, plus tôt, vous avez posé une question au sujet de La facture. J’ai dit qu’il faudrait faire autrement. La facture nous propose un sujet, mais cela s’applique ailleurs. Ils vont nous parler de la loi au Québec, mais cela prend un peu plus d’efforts. Pourquoi ne pourraient-ils pas dire qu’au Nouveau-Brunswick, ce n’est pas la même chose ou que sur l’île, il s’agit de telle situation?

Cela ne change rien; le contenu nous intéresse, mais on dirait que l’approche qu’ils prennent se limite au Québec. Pourtant, il y a des sujets qui nous intéressent, donc donnez-nous un aperçu des mêmes sujets, mais ailleurs. Parfois, c’est simplement une façon de penser autrement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout à fait. Je vous pose des questions, mais je ne suis pas du tout insensible à ce que vous vivez, évidemment.

M. Duguay : Parfois, cela ne prend pas grand-chose. J’écoute des émissions, et je me dis que cela ne prendrait pas grand-chose : on pourrait en faire un contenu national, comme les émissions de radio qu’il y avait pour les jeunes ou les enfants. C’était des jeunes à travers le pays qui participaient à l’émission. Pourquoi seraient-ils en mesure de faire cela pour les jeunes, mais pas pour les adultes?

Le sénateur Cormier : Je reprendrai ce que vous avez dit, monsieur Théberge, sur le fait qu’il faut réduire la question des enjeux de Radio-Canada à la question des besoins de journalistes.

On est dans un écosystème où les créateurs qui créent les productions dans nos régions dépendent quand même encore aujourd’hui d’un diffuseur pour les diffuser. C’est le cas de la production dont je vous ai parlé tout à l’heure, et c’est le cas de nombreuses autres.

La réduction du financement de Radio-Canada et de ses créations ne se retrouve pas seulement dans les télévisions traditionnelles, elle se retrouve dans les différentes plateformes. Elle se décline un peu partout. En ce moment, il semble manifestement que Radio-Canada doit faire des choix qui sont au détriment des créateurs et des producteurs des communautés francophones en situation minoritaire — dans ce cas-ci, de l’Acadie. Évidemment, c’est attribuable à des décisions d’ordre financier.

Que pouvez-vous nous dire sur la responsabilité et la nécessité pour Radio-Canada et pour le gouvernement fédéral — parce que c’est le fédéral qui finance cette institution — de faire en sorte, de façon équitable et juste, d’accorder des licences qui permettent aux créateurs de créer des productions comme Le monde de Gabrielle Roy, par exemple, qui connaît d’ailleurs du succès?

M. Théberge : Je vous donnais l’exemple de la Fête nationale de l’Acadie et de différentes décisions, de la part de notre diffuseur public, de se distancer d’éléments qu’il produisait lui‑même. Pour plusieurs raisons qui lui appartiennent, il a fait le choix de se tourner vers l’achat de contenu et de licences. Il y a là un choix.

À votre question sur la responsabilité du gouvernement fédéral, je nous ramène à la Loi sur les langues officielles. Vous comprendrez que je fais une interprétation un peu libre de cette loi. Notre gouvernement n’a-t-il pas une obligation de nous permettre de vivre notre culture, de vivre et de nous connaître dans notre propre langue? C’est là où Radio-Canada prend tout son sens pour nos communautés.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Je veux revenir à la question de la confiance et du biais. Comme notre président l’a dit, il y a un manque de confiance à l’endroit du réseau anglais CBC. Y a-t-il le même problème en français avec Radio-Canada? Quand je pense à la confiance, c’est une question de biais contre les points de vue conservateurs et libéraux, ou comme la gauche contre la droite, par exemple. Y a-t-il un problème, à votre avis, en ce qui concerne Radio-Canada?

M. Théberge : Je serais curieux d’entendre mes collègues à ce sujet. Je ne crois pas qu’à Radio-Canada on voit ou on perçoit un biais politique ou partisan, du moins.

Toutefois, au début de votre question, vous avez parlé de confiance. Tout ce que j’entends en ondes concerne les problèmes de circulation et de poubelles sur Le Plateau-Mont-Royal. Si je vis à Chéticamp, que j’ai des problèmes de circulation, parce qu’il ventait un peu trop et que les gens vont plus lentement, je ne peux pas faire confiance à ma radio nationale si elle ne me connaît pas, ne m’entend pas et ne me parle pas. Le problème de confiance que nous avons se situe là. À mon avis, il n’a rien à voir avec un biais partisan. Le problème de confiance n’est pas là.

En passant, les grands vents de la région de Chéticamp s’appellent les suêtes. On en reparlera.

Le sénateur Cardozo : Pensez-vous que Radio-Canada ne reflète pas les régions?

M. Théberge : On ne reflète pas les régions, et nous, on dit qu’on ne reflète pas l’Acadie, mais j’entends des Québécois se plaindre qu’on ne parle que de Montréal. Si on ne parle que de Montréal et que les Québécois s’en plaignent, que faire alors lorsqu’on est à Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard, ou lorsqu’on est à Corner Brook, à Terre-Neuve?

M. Cornect : Cela empêche le développement de nos communautés, car Radio-Canada n’est pas là. C’est une source de communication. C’est une connectivité entre tous les petits coins de l’Acadie. Dans l’histoire, on devrait vivre et être visible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Internet n’a-t-il pas amélioré cela? Cette plateforme n’a-t-elle pas amélioré votre visibilité?

M. Cornect : Si vous avez accès à Internet. Certaines régions de Terre-Neuve-et-Labrador n’y ont pas d’accès.

Mme Arseneau-Sluyter : Au Nouveau-Brunswick aussi, d’ailleurs.

M. Théberge : Lorsqu’une vidéo sur YouTube de 30 minutes prend quatre heures à télécharger, vous voyez où l’on s’en va.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est exact. Ce n’est pas partout au Nouveau-Brunswick.

M. Théberge : Je ne dirais pas que c’est généralisé. Toutefois, ces problèmes existent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela existe partout au Canada.

M. Théberge : Le multiplateforme est nécessaire.

Le sénateur Cormier : Puisqu’on parle de CBC et de Radio-Canada, y a-t-il une perception, quand on regarde CBC, selon laquelle on a davantage une vision nationale de notre pays, comparativement au fait qu’on a une vision plutôt québécocentriste quand on regarde Radio-Canada? On le dit souvent. Est-ce le cas?

Mme Arseneau-Sluyter : Je suis d’accord. Je reçois énormément de plaintes selon lesquelles les nouvelles de chez nous sortent à CBC, mais ne sortent jamais en français à Radio-Canada.

M. Cornect : Je vais vous donner un exemple. L’année dernière, à Terre-Neuve-et-Labrador, on a fêté le 50e anniversaire du mouvement communautaire francophone dans la province, soit la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador. On a fêté cela sur la côte ouest de Terre-Neuve-et-Labrador, à 800 kilomètres de St. John’s, la capitale. Comme il était invité, le directeur général de Radio-Canada était là, mais il n’y avait aucun journaliste pour couvrir notre événement. Comment peut-on développer nos communautés, partager notre histoire, partager tout cela avec nos jeunes, dans nos écoles, et développer le tourisme s’ils ne sont pas là pour nous aider?

M. Duguay : Nous étions présents, parce que c’était lors de l’assemblée générale annuelle de la Société nationale de l’Acadie. C’était un rendez-vous manqué. Cet anniversaire arrive aux 50 ans. On ne peut plus le refaire. Il en va de la fierté des gens qui ont gardé leur langue, malgré toutes les embûches.

J’aimerais répondre à votre question de biais, sur le fait d’être biaisé. Je suis un sportif et j’ai beaucoup agi en tant qu’arbitre. Chaque fois que tu prends une décision, il y a toujours quelqu’un pour te dire qu’elle n’est pas bonne. J’écoute Radio-Canada du côté francophone et cela me semble être quelque chose d’objectif. Personnellement, je ne vois pas de biais, à moins que ce ne soit qu’une nouvelle, mais si c’est une opinion et si le journaliste est vraiment bon, les deux côtés vont croire qu’il est partial.

Le président : Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour remercier nos témoins de s’être joints à nous et d’avoir partagé leur perspective ici aujourd’hui. Nous vous remercions infiniment.

(La séance est levée.)

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