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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 3 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis président de ce comité. Je voudrais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Simons : Bonjour. Je m’appelle Paula Simons et je viens de l’Alberta.

[Traduction]

Je viens du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour. Julie Miville-Dechêne, une autre sénatrice du Québec. Nous sommes en majorité.

La sénatrice Simons : Ici aujourd’hui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ici aujourd’hui.

Le président : Nous avons le contrôle complet ici.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude des services locaux et régionaux de CBC/Radio-Canada. Nous accueillons Carol Ann Pilon, directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada; Fabien Hébert, président, et Peter Hominuk, directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario; Jean-Michel Beaudry, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine; par vidéoconférence, nous accueillons Isabelle Salesse, directrice générale de l’Association franco-yukonnaise. Bienvenue et merci de vous être joints à nous.

Allons-y avec les remarques préliminaires de cinq minutes chacun, en commençant par Mme Pilon, qui sera suivie de MM. Hébert et Hominuk, de Mme Salesse et de M. Beaudry. On procédera par la suite à la période des questions des sénateurs.

Pour l’instant, madame Pilon, vous avez la parole.

Carol Ann Pilon, directrice générale, Alliance des producteurs francophones du Canada : Je vous remercie.

Honorables sénatrices et sénateurs, je suis Carol Ann Pilon, directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, ou APFC.

L’APFC est l’association professionnelle qui représente les sociétés de production francophones des communautés de langue officielle en situation minoritaire, que l’on nomme CLOSM. Depuis 25 ans, notre travail consiste à promouvoir le contenu audiovisuel exceptionnel produit par nos membres et à défendre sa valeur culturelle, économique, identitaire et linguistique pour l’ensemble du pays auprès des responsables des politiques publiques.

Nos membres proviennent des quatre coins du vaste territoire canadien, du Yukon à la Nouvelle-Écosse en passant par le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique. À travers leurs activités, nos membres et tous ceux qui y sont associés contribuent au dynamisme économique, à la vitalité culturelle et à la pérennité des communautés dont ils sont issus, tout en assurant l’expression d’une diversité de voix francophones au pays. Ils produisent des histoires originales et captivantes pour la télévision, le cinéma et les médias numériques, empreintes du lieu unique d’où elles émanent, et enrichissent la diversité de l’offre audiovisuelle canadienne.

La production francophone des CLOSM représente 7 % de l’ensemble de la production indépendante de langue française au Canada. Environ 40 % des émissions originales produites dans la francophonie canadienne sont diffusées à Radio-Canada.

Le rôle de notre diffuseur public national est absolument fondamental pour notre secteur et il l’est tout autant pour garantir l’épanouissement et le développement de la francophonie canadienne. Cela est d’autant plus vrai à l’ère numérique, où nous disposons de plus en plus de sources de diffusion, mais où les réalités régionales sont de plus en plus rares à l’écran. Les CLOSM francophones, et particulièrement les jeunes, ont besoin de se reconnaître dans les émissions et les films qu’elles regardent. Pour cela, elles doivent avoir accès à une offre de programmation canadienne abondante, diversifiée et représentative de toutes les communautés francophones du pays.

Radio-Canada a des responsabilités particulières en cette matière, qui sont consacrées dans la Loi sur la radiodiffusion ainsi que dans la Loi sur les langues officielles. Ces deux lois, actualisées en 2023, offrent d’ailleurs une meilleure reconnaissance à la production indépendante francophone des CLOSM et aux CLOSM. Radio-Canada joue un rôle de premier plan en ce sens pour permettre à nos producteurs d’occuper la place qui leur revient dans le système de radiodiffusion canadien, en plus de rendre accessible le contenu original qu’ils produisent.

Notre radiodiffuseur public national contribue au développement des talents canadiens. Il crée aussi des occasions de diversifier l’offre de programmation au chapitre de la représentation régionale, mais aussi des genres. Offrir aux citoyens et citoyennes canadiens une programmation locale variée est indispensable dans le contexte actuel, où le paysage audiovisuel est de plus en plus uniformisé. Grâce à Radio-Canada, des séries dramatiques d’envergure ont été produites par des sociétés de production indépendantes francophones à l’extérieur du Québec. Je pense à Mont-Rouge, en Nouvelle-Écosse, à Eaux turbulentes, en Ontario, et à l’émission Le monde de Gabrielle Roy, au Manitoba.

En soutenant ces productions de fiction à plus grand déploiement, Radio-Canada a su réaliser quatre grandes actions : que les professionnels et créateurs de nos communautés puissent exploiter tout leur talent, que les régions hors des grands centres se retrouvent à l’écran, que des histoires locales soient racontées aux auditoires du pays et qu’une place de choix soit faite au contenu franco-canadien dans sa programmation.

Radio-Canada est une voix unique et essentielle dans le paysage médiatique. Dans bien des cas, ses stations régionales sont les seules à offrir une programmation locale en français. Les francophones vivant à Moncton, Toronto, Winnipeg, Edmonton, Victoria ou encore Whitehorse cherchent auprès de ces stations ce que les grands groupes de radiodiffusion privés n’arrivent pas à leur offrir : une programmation en français qui leur ressemble.

Enfin, Radio-Canada est le seul diffuseur à offrir une tribune à une masse critique de francophones et francophiles, autant au Québec que partout ailleurs au pays.

Pour conclure, l’APFC convient que le mandat de la société d’État est robuste. Dans un écosystème en pleine mutation, ses obligations sont nombreuses et peuvent créer de fortes pressions. Le financement public qui soutient le radiodiffuseur national est majeur, mais il est aussi conséquent par rapport à ses obligations.

Radio-Canada est une institution fondamentale pour la démocratie, pour le public et les créateurs canadiens.

Je le répète : aucune autre entité de l’écosystème audiovisuel ne reflète la diversité régionale, culturelle, identitaire et linguistique du pays comme le fait Radio-Canada. C’est pourquoi il est crucial de lui assurer un soutien adéquat et prévisible, pour qu’elle puisse continuer de jouer avec aplomb et pertinence son rôle de radiodiffuseur public national.

Je vous remercie de m’avoir écoutée et je vous invite à me poser vos questions.

Le président : Merci, madame Pilon. Monsieur Hébert ou monsieur Hominuk, vous avez la parole.

Fabien Hébert, président, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : Je vous remercie.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je me présente : je suis Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Je suis accompagné aujourd’hui de Peter Hominuk, notre directeur général, de Sonia Behilil, notre directrice des politiques et des relations gouvernementales, et de Carolyn Savoie, notre analyste politique.

Merci de m’offrir l’occasion de prendre la parole aujourd’hui au nom de près de 800 000 Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens, la plus grande communauté francophone en situation minoritaire au Canada. Notre communauté franco-ontarienne dynamique a besoin d’une présence médiatique francophone forte et inclusive. Les médias francophones — publics, communautaires ou privés — jouent un rôle essentiel et font face à de nombreux défis. Malgré notre importance démographique, nous demeurons sous-représentés dans les contenus nationaux.

Radio-Canada se concentre sur le contenu québécois, et le manque de visibilité et de représentativité du reste de la francophonie canadienne dans ses contenus a pour effet d’isoler les différentes communautés francophones l’une de l’autre. Les médias francophones doivent contribuer au maintien de notre identité culturelle et linguistique, surtout dans un contexte où l’anglais domine. Nous avons remarqué des efforts louables de Radio-Canada pour s’adapter aux réalités de nos communautés. Par exemple, dans le sud-ouest ontarien, les gens de London écoutent maintenant l’antenne de Windsor plutôt que celle de Toronto. De plus, un nouveau bureau a été ouvert justement dans cette région pour s’assurer de mieux servir la population francophone grandissante de cette région.

Pour rester pertinente, Radio-Canada se doit d’intensifier sa couverture des enjeux locaux et régionaux. Une collaboration accrue avec les médias communautaires permettrait d’enrichir les contenus tout en évitant de concurrencer directement ces médias. L’accès aux services de Radio-Canada —télévision, radio ou plateforme numérique — doit être équitable pour tous, peu importe où l’on habite. Malgré les améliorations en matière d’accès à Internet haute vitesse, les disparités persistent, privant plus particulièrement les communautés rurales de contenus numériques. CBC/Radio-Canada, de par son mandat et sa position de leadership, a une responsabilité claire envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, surtout à la lumière des nouvelles obligations du CRTC envers nos communautés. Ainsi, CBC/Radio-Canada devrait s’assurer que les Franco-Ontariens et les autres communautés francophones minoritaires reçoivent une couverture équitable et importante.

Cela dit, il est crucial de trouver un équilibre pour éviter de nuire aux médias francophones communautaires indépendants en Ontario. Ces petits médias, qui peinent à survivre avec très peu de financement gouvernemental et de faibles revenus de publicité, jouent eux aussi un rôle important dans nos collectivités. Nous encourageons les collaborations entre Radio-Canada et ces médias communautaires pour les services de nouvelles, et plus encore.

La naissance du partenariat entre Radio-Canada et TFO est une histoire à succès en Ontario. Nous devons aller plus loin. Nos nouvelles et nos contenus doivent être diffusés sur plusieurs plateformes, des journaux en format papier aux médias sociaux, en passant par la télévision, la radio et les sites Web.

Nous encourageons Radio-Canada à conclure des partenariats permettant d’amplifier les voix locales, tout en évitant de faire une concurrence importante aux petits médias communautaires.

En conclusion, je vous encourage à examiner des pistes qui permettraient à Radio-Canada de mieux refléter les réalités des Franco-Ontariennes et des Franco-Ontariens, ainsi que des autres communautés francophones hors Québec dans toute leur diversité, tout en s’appuyant sur nos médias communautaires.

CBC/Radio-Canada devrait se positionner pour renforcer la confiance du public, pour sensibiliser davantage les jeunes aux métiers du secteur, notamment en français, et pour mettre l’accent sur l’importance des considérations éthiques dans la diffusion des nouvelles. Je vous remercie de votre attention et je reste à votre disposition pour toute question que vous pourriez avoir.

Le président : Merci beaucoup. Madame Salesse, la parole est à vous.

Isabelle Salesse, directrice générale, Association franco-yukonnaise : Bonjour. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole au nom de l’Association franco-yukonnaise, connue sous l’acronyme AFY. Je suis ravie de pouvoir discuter avec vous de l’importance des services locaux de Radio-Canada pour les communautés francophones en milieu minoritaire, notamment au Yukon. L’AFY existe depuis plus de 40 ans et elle est l’organisme porte-parole qui représente plus de 14 % de la population qui parle français au Yukon.

Au Yukon, comme dans d’autres régions du pays, les communautés francophones sont minoritaires et parfois éloignées, mais elles sont néanmoins un élément fondamental de la mosaïque culturelle et linguistique du Canada. Dans ce contexte, les services locaux de Radio-Canada jouent un rôle primordial pour maintenir et renforcer la présence de la langue et de la culture francophones dans des zones géographiques où la majorité de la population parle anglais.

Les citoyens d’expression française du Yukon contribuent activement à la diversité et à la richesse de la région. Pour eux, l’accès à des services médiatiques en français est un enjeu crucial. Radio-Canada joue un rôle essentiel en tant que lien direct avec le monde francophone, à l’échelle tant locale que nationale. Les services locaux de Radio-Canada permettent aux francophones du Yukon de rester connectés à leur langue, leur culture et leurs valeurs. Cela leur permet d’obtenir de l’information sur l’actualité dans leur langue, mais aussi d’avoir accès à de l’information fiable, car, comme nous le savons, il est de plus en plus difficile aujourd’hui de trouver ce type d’information.

Les émissions locales de Radio-Canada Yukon offrent une couverture des événements régionaux, des histoires locales et des nouvelles qui concernent de façon explicite les francophones du Yukon, tout en traitant aussi des enjeux nationaux et internationaux qui les concernent. Sans ces services, les francophones du Yukon seraient laissés dans une forme d’isolement médiatique et culturel, ce qui limiterait leur capacité à participer pleinement à la vie sociale et politique de la région.

Je voudrais vous partager avec vous des exemples concrets d’initiatives pertinentes de bonnes pratiques de Radio Canada au Yukon, qui font une différence pour notre communauté francophone.

L’AFY a un partenariat depuis plus de 30 ans avec CBC, par l’entremise de Radio-Canada, qui nous permet d’offrir une émission de radio de 90 minutes appelée Rencontres tous les samedis sur les antennes de radio de CBC North et de Radio-Canada. En effet, CBC, qui héberge Radio-Canada dans ses locaux, nous offre gratuitement l’espace pour enregistrer des émissions et les diffuser en différé. Les techniciens de ces émissions sont des personnes d’expression française qui sont formées et rémunérées par CBC, ce qui permet de toucher l’actualité des francophones du Yukon et de diffuser de la musique extraite du répertoire du monde francophone. L’émission est coordonnée par une agente de projet de l’AFY et animée en français par des personnes bénévoles recrutées par l’Association franco-yukonnaise.

Voici un autre exemple de bonnes pratiques. Toutes les deux semaines, le jeudi, lors de sa publication, l’Aurore boréale, un journal papier communautaire qui rejoint plus de 2 000 personnes par impression, est invité par Radio-Canada pour parler de certaines nouvelles lors de l’émission Phare Ouest, en matinée. Voici un autre exemple. En 2021, Radio-Canada ICI Grand Nord était en direct à la radio et sur Facebook, et ce, dans le cadre de la première soirée électorale animée entièrement en français au Yukon. Animée par une journaliste de Vancouver, la soirée a donné la parole à des Franco-Yukonnaises et des Franco-Yukonnais à travers le territoire et a accueilli une invitée comme analyste politique. Les journalistes sur le terrain partageaient régulièrement les résultats. C’était une première et c’est certainement à refaire.

En février 2024, l’équipe de l’émission Phare Ouest, située à Radio-Canada Vancouver, est venue à Whitehorse pendant plus de deux jours et a mis en valeur des membres de la communauté, des politiciens, des organismes francophones ainsi que des artistes franco-yukonnais. L’animatrice a pu discuter des enjeux du Yukon en français sur les ondes de Radio-Canada en direct de Whitehorse.

Ces services locaux ne se contentent pas de diffuser des informations; ils participent activement à la préservation et à l’épanouissement de la langue française.

Il est primordial que Radio-Canada poursuive son travail, qui consiste à parler des communautés avec les communautés, de couvrir les événements francophones et de faire des entrevues avec diverses personnes qui ont les mêmes intérêts et préoccupations que les personnes de la majorité, notamment le coût de la vie et l’environnement.

Tout cela permet aux membres de notre communauté francophone de se reconnaître, de s’entendre et d’être exposés à du contenu auquel ils peuvent s’identifier. Cela permet de soutenir la vitalité de nos communautés et de renforcer l’identité culturelle de ses membres.

Il est important également de parler de la jeunesse d’expression française sur les ondes. Cela est encore trop rare, à notre avis.

Radio-Canada a tout de même su s’adapter à de nouveaux contextes en offrant une plateforme numérique commune pour les trois territoires appelée Grand Nord. Malheureusement, je ne suis pas certaine que cette plateforme rejoigne les jeunes francophones des territoires.

D’autre part, avec la suppression de l’accès à Meta pour diffuser les informations sur les réseaux sociaux, on peut penser que cela a eu un impact négatif sur la facilité d’accès à Radio-Canada. Bien que Radio-Canada ait développé de nouveaux outils médiatiques en ligne, je ne crois pas que cela rejoigne la majorité des jeunes, comme je le disais précédemment, et qu’ils se reconnaissent vraiment dans ce qui est diffusé. Il y aura donc un effort majeur à faire en ce sens. Malgré son rôle fondamental, Radio-Canada, dans les régions éloignées comme le Yukon, fait face à plusieurs défis. Nous pensons que les restrictions budgétaires, le manque de ressources pour produire du contenu local de manière soutenue, ainsi que la difficulté d’assurer une couverture médiatique efficace —

Le président : Madame Salesse, votre temps de parole est écoulé. Merci.

Je donne maintenant la parole à M. Beaudry.

Jean-Michel Beaudry, directeur général, Société de la francophonie manitobaine : J’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui.

Je m’appelle Jean-Michel Beaudry et je suis directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), l’organisme porte-parole communautaire à l’échelle provinciale.

J’aimerais m’exprimer aujourd’hui sur deux grandes thématiques : d’abord, le désinvestissement de longue date envers les antennes régionales de Radio-Canada, et ensuite, la promesse de la nouvelle plateforme de diffusion numérique WebOuest et le financement des médias communautaires.

Tout d’abord, je tiens à souligner que le travail de Radio-Canada est un ingrédient incontournable pour la vitalité et la pérennité de la francophonie manitobaine.

Cela dit, nous constatons une tendance préoccupante qui laisse de grandes lacunes dans notre communauté en situation minoritaire : le désinvestissement. Citons, par exemple, un recul presque complet de la production locale et régionale, à l’exception de contenus de nature journalistique.

Si Radio-Canada offrait une riche programmation locale dès sa création en 1960, aujourd’hui, la vaste majorité des décisions sur la production sont prises à Montréal. Ainsi, c’est l’intérêt québécois qui prime chez nous, et non celui de nos communautés en situation minoritaire.

Voici un exemple des conséquences : Le Téléjournal, émission phare du journalisme local manitobain, a été réduit de 60 à 30 minutes par jour et a été éliminé les fins de semaine.

On constate aussi une diminution alarmante de la production auditive et visuelle, ce qui fait qu’il est devenu difficile de retrouver du contenu en français produit par et pour nos communautés. Cela mène à un effacement progressif de la mémoire collective des francophones en situation minoritaire, dont le dynamisme artistique et culturel n’a pourtant jamais cessé d’exister.

Même les principaux acteurs de la minisérie sur l’auteure franco-manitobaine Gabrielle Roy sont Québécois. Les Manitobaines et Manitobains se voient et entendent leur accent trop peu souvent.

C’est pour cette raison, face à un vide médiatique grandissant, que la SFM a travaillé avec ses partenaires communautaires pour créer le projet WebOuest. WebOuest est une plateforme de diffusion de contenus numériques en français lancée en pleine pandémie.

On peut y retrouver gratuitement des contenus sur toutes les communautés francophones de nos régions, de Victoria à Iqaluit et de Saint-Labre à Dawson City.

Grâce à plus de 95 partenariats avec des organismes de partout dans l’Ouest et dans le Nord, WebOuest offre une vitrine exceptionnelle sur la vitalité culturelle de nos communautés. L’équipe travaille notamment avec Les Productions Rivard et d’autres diffuseurs locaux et nationaux pour produire des contenus de très haute qualité.

Ces contenus sont conçus pour favoriser la découverte de nos francophonies en ligne et pour capter nos produits artistiques et culturels à long terme. WebOuest augmente donc les retours sur l’investissement pour les arts, tout en offrant un modèle d’affaires novateur, étant donné l’état actuel de l’environnement médiatique.

WebOuest est aussi très économe lorsqu’on la compare aux coûts de production des géants médiatiques.

Je le répète : Radio-Canada est un média indispensable pour l’épanouissement de notre francophonie manitobaine et l’identité canadienne. Il faut continuer de l’appuyer à tout prix.

Radio-Canada ne semble cependant pas avoir l’intérêt d’investir dans la production par et pour nos communautés, à l’exception de l’actualité. Cela signifie que même si nous entendons encore parler de nous, il est rare que l’on s’adresse véritablement à nous.

Cela dit, on doit en faire plus, pour que des médias émergents comme WebOuest et les médias communautaires, comme notre journal La Liberté et notre radio Envol 91 FM, puissent être adéquatement financés.

La SFM tient à féliciter le gouvernement fédéral pour la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion, qui permet de reconnaître les diffuseurs comme WebOuest et leur rôle dans la promotion du français et l’épanouissement des CLOSM.

Nous sommes persuadés que WebOuest sert de modèle pour favoriser la création de nouveaux programmes de financement favorisant l’émergence de nouvelles plateformes et la pérennité des médias communautaires.

Je m’arrête donc là. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie.

Maintenant, je cède la parole à la sénatrice Miville-Dechêne pour commencer la période des questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à tous pour vos témoignages très frappants.

Je commence par M. Beaudry. Je ne connaissais pas WebOuest. Radio-Canada fait-elle des efforts pour collaborer avec WebOuest? Vous dites que vous ne vous entendez pas beaucoup à Radio-Canada. Reçoivent-ils du financement? Mettent-ils leur contenu sur WebOuest? Comment cela se passe‑t‑il?

M. Beaudry : Pour l’instant, c’est uniquement du côté de la formation qu’il y a eu des partenariats. Unis ainsi que d’autres diffuseurs de ce genre ont été plus présents autour de la table jusqu’à maintenant. Le contenu de WebOuest s’adresse vraiment aux populations francophones de l’Ouest et du Nord. C’est un peu un contraste avec ce qu’on a l’habitude de voir à Radio-Canada, car c’est parfois du contenu produit dans l’Ouest et le Nord, mais cela s’adresse à un public québécois. Une plus grande collaboration serait certainement une piste de solution souhaitable quand on en vient à ce genre de production dans des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce encore vrai que Radio-Canada, particulièrement les plateformes, siphonne le marché de la publicité? Il y a environ deux ans, j’avais entendu dire que, dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, votre possibilité de publicité est faible, et que Radio-Canada prend la majeure partie de ce qui est disponible.

M. Beaudry : Je peux parler pour le Manitoba, et c’est le cas. Notre journal local La Liberté le mentionne et la radio communautaire aussi. Il y a des partenariats, mais souvent, cela ne se fait pas dans la collaboration. Il y a des projets ponctuels où il y a un partenariat. Toutefois, il n’y a pas vraiment de stratégie pour rehausser le contenu local sur les antennes de Radio-Canada et sur leurs sites Web.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je parle de publicité.

M. Beaudry : Certainement. Pour la publicité, c’est la même chose. Cela a été soulevé. Je n’ai pas de détail ou de pourcentage. Cependant, c’est certainement une réalité.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une dernière question pour M. Hébert. Vous avez tracé un portrait. J’aimerais que vous soyez plus précis. Y a-t-il un désinvestissement ou plus d’investissement en Ontario? Il y a quand même 800 000 francophones en Ontario. Le portrait que vous avez tracé était général. Y a-t-il plus ou moins d’effectifs qu’avant? Voit-on une tendance qui augmente ou qui descend? Avez-vous des solutions réalistes pour avoir une meilleure couverture? Il y a une dispersion de la communauté francophone — je pense notamment au Nord. Comment voyez-vous l’avenir? Quelle est la tendance?

M. Hébert : Il y a un désinvestissement en Ontario. Ce dont on a parlé à propos des solutions novatrices s’est fait par l’entremise d’une réduction d’effectifs. Par exemple, à London, on a retiré les émissions qui étaient créées localement et on leur a donné l’antenne de Toronto. Ce sont les gens de London qui ont dit qu’ils ne s’associaient vraiment pas avec les gens de Toronto, mais plutôt avec ceux de Windsor. Le signal de Toronto a été remplacé par celui de Windsor pour une communauté où il y avait déjà une antenne à London. Il y a donc un désinvestissement qui se fait à travers la province.

La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous des chiffres?

M. Hébert : Je n’ai pas de chiffres. A-t-on des chiffres? Ils ont changé la source de l’antenne.

Peter Hominuk, directeur général, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : J’aimerais préciser que les gens de London recevaient le signal de Toronto, qui a été remplacé par celui de Windsor après une consultation communautaire.

Les investissements de Radio-Canada sont relativement stagnants depuis plusieurs années. En ce qui concerne le renouvellement de licence de CBC/Radio-Canada, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario veut voir plus de Franco-Ontariens. Tous les gens présents ici aujourd’hui veulent transmettre le message qu’on veut tous plus de Radio-Canada, plus de Radio-Canada localement, provincialement, régionalement et à l’échelle nationale. On veut être mieux représenté dans le contenu. Il y a des façons très claires de le faire. On a des médias communautaires en Ontario qui pourraient collaborer de façon importante.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela se fait-il?

M. Hominuk : Très peu.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est la faute de qui?

M. Hominuk : Parfois, la main a été tendue par les médias communautaires. Par le passé, Radio-Canada les voyait comme des compétiteurs. Cela commence à changer. Toutefois, cela prendra du temps.

L’AFO entretient une bonne relation avec les deux directions régionales en Ontario, celle de l’Ontario et celle d’Ottawa-Gatineau. On a des discussions régulières pour savoir comment mieux collaborer. Toutefois, cela prendra du temps, malgré la bonne volonté de ces gens, car souvent, les décisions sont prises ailleurs.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une toute petite question. Excusez-moi, tout cela me fascine. Cela coûte cher de faire de la télé et de la radio avec les normes de Radio-Canada. Jugez-vous qu’il faudrait aller vers des moyens plus légers? On parle de stations éphémères, de correspondants qui se promènent. Comment voyez-vous le journalisme, si on veut continuer d’avoir un journalisme agile, qui peut se promener de région en région? Comment voyez-vous les choses? Avez-vous déjà réfléchi à une solution qui ne signifie pas que l’on ouvre des bureaux partout?

M. Hominuk : Il y a un juste milieu entre les deux éléments. Je suis l’ancien directeur général d’une radio communautaire et j’ai été président du Mouvement des intervenants et des intervenantes en communication radio de l’Ontario (MICRO) il y a plus de 12 ans. La main a toujours été tendue pour faire des échanges. Radio-Canada fait très bien les nouvelles, les nouvelles nationales et provinciales. C’est une chose que les radios communautaires ne peuvent pas se permettre. Les médias communautaires sont très bons dans le contenu local. Il pourrait y avoir un échange de reportages ou un partage de personnel. Plusieurs choses pourraient être faites sur le terrain.

Ma réponse est qu’un hybride des deux serait intéressant; on est dans un extrême rigide et on pourrait être plus flexible sans l’être totalement. Il y a des normes à respecter. Dans un monde où il y a tant de fausses nouvelles, les normes de Radio-Canada restent importantes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Même si je ne suis pas vraiment bilingue, j’essaie chaque fois de poser mes questions en français. Pardonnez-moi d’avance si je fais un faux pas ou si je ne trouve pas le mot juste.

Ma première question s’adresse à M. Hébert. Je connais bien la communauté francophone en Alberta, particulièrement celle d’Edmonton où j’ai habité, ainsi que la station de Radio-Canada locale. Pensez-vous que les gens qui travaillent dans les bureaux à Montréal ainsi que les grands dirigeants pensent que les communautés franco-ontariennes sont presque pareilles aux communautés qui viennent du Québec? Pensez-vous qu’il y a une reconnaissance à Montréal du fait que ces deux communautés sont différentes? Pensez-vous qu’ils croient qu’il suffit d’avoir de la radiodiffusion qui provient de Montréal?

M. Hébert : C’est difficile pour moi de savoir ce que les gens pensent. Toutefois, je peux vous dire qu’on ne se retrouve pas à l’intérieur du contenu, ce qui nous fait présumer que les gens ne nous connaissent pas et ne sont pas conscients de la réalité des Franco-Ontariens, des Franco-Manitobains ou des Franco-Yukonnais.

Je viens d’une famille franco-ontarienne, je suis un fier Franco-Ontarien, je suis né en Ontario et ma famille a des racines au Québec. Si ce n’était du fait qu’on habite en Ontario, ils n’auraient jamais été exposés à la réalité franco-ontarienne et ils ne sauraient pas qu’il y a des communautés franco-ontariennes. Pourtant, ils écoutent Radio-Canada et les médias francophones régulièrement.

Cela veut dire que le véhicule n’est pas là pour transférer cette connaissance ni cette exposition à la réalité des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Selon moi, la réponse à votre question est que l’équipe qui gère le contenu à Montréal n’est probablement pas très au courant ou ne connaît pas très bien la réalité de la francophonie pancanadienne. C’est pour cette raison que cela ne se retrouve pas à l’intérieur du contenu.

La sénatrice Simons : Ma prochaine question s’adresse à M. Beaudry. Comme je l’ai déjà mentionné, je viens d’Edmonton. Vous avez énuméré les villes qui sont dans le WebOuest; qu’en est-il d’Edmonton, Calgary, Regina ou Saskatoon?

M. Beaudry : On a essayé de faire un X, donc on est allés du nord-est au sud-ouest, puis le contraire, et on a fait un X. Cela couvre certainement l’Alberta. On veut agrandir de ce côté, mais c’est avec tous nos homologues du Nord et de l’Ouest qu’on a décidé du contenu.

La sénatrice Simons : Comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a mentionné, tout le monde dit que Radio-Canada est absolument nécessaire, mais en même temps, c’est une espèce de compétition pour vous et c’est plus difficile de faire de nouvelles activités lorsqu’il y a un incumbent. Est-ce le même mot en français?

M. Beaudry : J’ai compris; il n’y a pas de souci. Dans le cas de WebOuest, il n’y a pas de compétition, car ils ne font pas de journalisme. Malheureusement, dans l’Ouest et le Nord, il y a très peu de contenu qui n’est pas journalistique produit par Radio-Canada; il y en a, mais très peu. Donc, ce n’est pas de la compétition. Il pourrait certainement y avoir plus de collaboration, comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a mentionné. Il y a des raisons de le faire. Lorsqu’on parle de la qualité du contenu, Radio-Canada n’a pas besoin de diffuser l’ensemble de la production faite dans l’Ouest et le Nord, mais il y a une possibilité d’en prendre une partie et de la mettre ensemble pour la diffuser. Radio-Canada trouverait des publics très intéressés partout dans l’Ouest et au Canada.

La sénatrice Simons : Je connais seulement l’émission pour enfants ONIVA!, qui vient d’Edmonton. Je n’ai jamais vu un film au sujet des Franco-Albertains.

M. Beaudry : À ma connaissance, il n’y en a pas.

La sénatrice Simons : Merci. Moi qui viens de Whitehorse, c’est trop en avance.

Le président : Madame Salesse, voulez-vous ajouter autre chose? Vous êtes en vidéoconférence et il peut être difficile de participer au débat.

Mme Salesse : Oui, je veux bien. J’ai pris trop de temps pour parler tout à l’heure.

Je vais renchérir sur le message de mes collègues. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est que trop souvent, on parle du Québec et de Montréal sur les antennes de Radio-Canada. Non seulement c’est frustrant qu’on ne parle pas de nous, mais cela ne contribue pas non plus au mandat de Radio-Canada, qui est de parler de toute la francophonie et de la diversité du Canada. Cela garde le Québec dans l’ignorance de toute cette francophonie à travers le Canada. C’est vraiment désolant, parce que le Canada est riche en francophonie partout. Au Yukon, la communauté francophone augmente depuis 1971 et son poids démographique a augmenté de 87 %; le Québec ne le sait pas. Cependant, on sait qu’à telle heure, quelqu’un a été tué sur la rue Sainte-Catherine.

Je trouve cela regrettable, parce que cela ne permet pas cet échange et cet apprentissage de ce qu’est réellement le Canada. Il n’y a pas que du français au Canada, il y a du français partout. C’est l’un des points que je veux mettre de l’avant.

Ensuite, sur ce que Radio-Canada peut faire, je vais donner trois exemples qui sont quand même intéressants, qui ont trait à de bonnes pratiques quand on vient sur le terrain, quand Radio-Canada se déplace.

Au Yukon, je voudrais mentionner que nous n’avons pas eu de compressions; au contraire, nous avons eu une augmentation du nombre de journalistes. Nous en avons maintenant deux, alors que pendant longtemps, nous n’en avions qu’une. Avec l’approche transversale dans les trois territoires, ils peuvent se remplacer quand il y a des vacances; par exemple, ce pourrait être le journaliste de Yellowknife qui viendrait couvrir l’actualité francophone au Yukon. Ils tentent le plus possible de couvrir tous les événements, mais on en fait tellement que ce n’est pas toujours le cas.

Au Yukon, il y a quand même un souhait de la part de Radio-Canada de travailler avec la communauté, mais c’est à un plus haut niveau que cela bloque le plus souvent. On nous a déjà dit que les nouvelles de Whitehorse n’intéressaient pas les gens de Vancouver. Donc, avec cette mentalité, c’est sûr qu’on ne peut pas avancer. On a besoin d’être ouvert et on a besoin de s’assurer qu’on ait une couverture, qu’on parle de nous, qu’on sache que les francophones du Yukon existent.

Le sénateur Cardozo : Bienvenue à tous et merci d’être avec nous aujourd’hui.

Ma première question s’adresse aux quatre organismes. Vous avez parlé des ressources supplémentaires nécessaires, mais il est proposé de supprimer le financement de CBC. Comment cela affecterait-il le fonctionnement de Radio-Canada en français si CBC n’existait plus?

Y a-t-il des producteurs qui produisent du contenu dans les deux langues? On va commencer par vous, madame Pilon.

Mme Pilon : La majorité des membres de l’APFC produisent uniquement en langue française. L’une des raisons à cela, c’est parce qu’il y a des fonds disponibles réservés pour les productions francophones en milieu minoritaire pour la télévision qui sont financés ou administrés par le Fonds des médias du Canada. Donc, c’est une enveloppe qui a été créée il y a 20 ans et qui encourage la production de langue française en milieu minoritaire.

C’est vrai qu’au départ, beaucoup de productions venaient de l’Ontario et des provinces de l’Atlantique. Aujourd’hui, on a quand même vu une montée et un développement de la production dans l’Ouest lié à la nouvelle chaîne Unis TV, qui s’est ajoutée au bouquet des radiodiffuseurs et qui a un mandat interrégional important.

En ce qui concerne la production bilingue, il n’y a pas beaucoup de demande pour ce genre de contenu, bien que Radio-Canada ait un service en langue française et en langue anglaise et que plusieurs des chaînes privées en aient un également; CTV et Global TV ont aussi des chaînes au Québec. Cependant, ce n’est pas une tendance, parce que les deux marchés sont très différents et les auditoires pour ces contenus sont très différents.

Donc, il y a eu quelques exemples d’adaptation de productions, mais ce sont souvent des concepts adaptés et vendus en langue anglaise par la suite, ou inversement.

Ce que je pourrais vous dire en ce qui concerne la suppression du financement de CBC, c’est que je ne sais pas comment on pourrait supprimer le financement de CBC en région sans supprimer le financement de Radio-Canada en région. Les effectifs, les infrastructures et les ressources techniques sont partagés par les deux secteurs du radiodiffuseur public, même si la programmation est distincte. En ce qui concerne les ressources, on n’utilise pas 40 % d’un studio pour diffuser un bulletin de nouvelles, mais on se sert de 100 % des effectifs. Donc, si l’on réduisait des deux tiers le financement des radiodiffuseurs publics, je ne sais pas comment on pourrait maintenir le niveau de service, d’autant qu’on souhaite avoir un meilleur service. Ce serait dévastateur.

M. Beaudry : Ma compréhension du fonctionnement dans les antennes régionales, c’est que le tout est tellement imbriqué que si l’on supprimait le financement de CBC, ce serait catastrophique pour Radio-Canada dans les régions.

Lorsqu’on parle des ressources nécessaires dans les antennes régionales, je ne peux pas avoir d’opinion sur le nombre de ressources dont CBC/Radio-Canada a besoin.

Cependant, même avec un investissement plus important à CBC/Radio-Canada, on voyait une diminution des investissements dans les régions. La question de prioriser les régions devrait être envisagée, peu importe la situation financière de Radio-Canada. Le fait de rationaliser le tout à Montréal et à Toronto a eu un impact sur l’attachement des communautés anglophones et francophones à leur antenne régionale. Je crois que cet aspect mérite de faire partie de la réflexion.

M. Hébert : Si je comprends bien, vous nous demandez soit de procéder à une restructuration et à une réduction des effectifs, soit de cesser le financement de la CBC. En même temps, on veut maintenir Radio-Canada dans son entièreté. On maintient donc la totalité des infrastructures nécessaires pour toutes les plateformes et la diffusion. On se retrouvera alors avec un coût exponentiel pour garder Radio-Canada, car on aura cessé de financer la CBC et on sera dans une situation où les gens diront que garder Radio-Canada coûte trop cher. On aura éliminé totalement les coûts de production du côté anglophone. Pour garder la production francophone et l’infrastructure, Radio-Canada devra absorber plus de frais associés au maintien de la plateforme. Ainsi, on sera de retour devant le comité dans deux ans pour défendre les investissements requis ou justifier les investissements nécessaires pour maintenir la plateforme de Radio-Canada. À mon avis, réduire le financement de la CBC va créer une situation très difficile pour ce qui est de maintenir les services de Radio-Canada, car les deux ne sont pas des entités séparées. Elles sont fortement liées et elles partagent la totalité des plateformes.

M. Hominuk : Quand on regarde le contenu produit localement, j’ai peine à m’imaginer qu’on aura autant de contenu local qui sera produit à Windsor, à Sudbury ou dans d’autres communautés en Ontario. Cette proximité est bien souvent ce qui crée la relève. Alors que les jeunes sont sur le terrain et décident de leur carrière, ce sentiment d’appartenance à une radio, à une télévision ou à un média est extrêmement important. En perdant cela, on perdra peut-être de futurs journalistes qui pourraient travailler dans ces médias.

Dans une communauté minoritaire, on a très peu d’éléments qui nous rattachent à notre communauté. Les médias francophones en Ontario sont extrêmement importants, que ce soit Radio-Canada ou les autres, pour avoir un sentiment d’unité comme peuple franco-ontarien. Sans ces médias locaux, régionaux et provinciaux, la communauté franco-ontarienne risque même de s’effriter. Il en va de même pour les communautés dans les autres provinces.

Le sénateur Cardozo : J’aurais la même question pour Mme Salesse.

Mme Salesse : Dans la Loi sur la radiodiffusion, il est stipulé que la programmation de la société d’État doit être offerte en français et en anglais de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des collectivités de langue officielle, y compris les besoins et les intérêts propres aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je ne vois pas comment on pourrait justifier de faire disparaître la CBC, car en plus c’est une question juridique.

D’autre part, effectivement, au Yukon, c’est exactement ce dont on parlait tout à l’heure, c’est-à-dire que les locaux et les ressources sont partagés avec Radio-Canada. Radio-Canada n’a que deux employés au Yukon. Le reste est anglophone. Je ne vois donc pas comment Radio-Canada pourrait survivre si la CBC disparaissait, car il y a une mutualisation des ressources entre CBC et Radio-Canada au Yukon.

La CBC au Yukon couvre aussi parfois l’actualité francophone. Cet aspect est important, car il permet aux anglophones d’entendre parler de la communauté francophone et de sensibiliser la majorité à la réalité des francophones sur le terrain. À mon avis, il serait très risqué de supprimer la CBC ou de réduire de beaucoup ses opérations.

Pour terminer, je dirai que cela va aussi dans le sens de l’information fiable. Éliminer un média public risque d’avoir un impact sur l’accès à une information fiable en anglais.

Le sénateur Cardozo : Madame Salesse, vous avez parlé de la Loi sur la radiodiffusion. Si un gouvernement décide de couper le financement à la CBC à l’avenir, il sera possible de modifier la loi avec le consensus du Parlement, n’est-ce pas?

Mme Salesse : Il est toujours possible de modifier la loi. Toutefois, le processus est souvent plus long que rapide. Tout dépend de la volonté politique. Actuellement, la loi qui vient d’être révisée précise cet élément. Peu importe le gouvernement en place à l’avenir, j’ose espérer qu’il respectera cette loi sans vouloir la changer. Il y a des éléments beaucoup plus importants sur lesquels se pencher avant de changer cette loi. Je n’ai pas de boule de cristal pour le confirmer, mais j’espère que ce ne sera pas le cas.

M. Hominuk : Je vais ajouter des éléments aux propos de Mme Salesse. En plus de la Loi sur la radiodiffusion, il y a aussi la nouvelle Loi sur les langues officielles qui prend des engagements importants envers les francophones, particulièrement en situation minoritaire. La nouvelle loi parle de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d’appuyer leur développement en tenant compte de leur spécificité, leur diversité et leur contribution historique et culturelle à la société canadienne. Je ne vais pas lire les autres obligations, mais en examinant la nouvelle loi et ce qu’elle veut accomplir pour ce qui est des langues officielles, je me dis que la perte de l’une des deux antennes pourrait être catastrophique.

Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. D’entrée de jeu, je ne suis pas un expert de la radiodiffusion, des lois et de l’encadrement, et vous m’en excuserez. Je souhaite toutefois en apprendre davantage.

Les changements de culture sont longs et difficiles. Je comprends votre point de vue sur le contenu québécois, pour ne pas dire montréalais. Quand je me promène au Québec, les gens du Saguenay—Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi me disent qu’on parle trop souvent de la rue Sainte-Catherine et de Montréal et à peu près jamais des régions. Je ne veux surtout pas minimiser la situation que vous vivez, car elle est fort différente de celle des régions du Québec.

Avez-vous entrepris des démarches auprès du CRTC? Quelles autres démarches avez-vous prises pour vous faire entendre davantage? À moins de dire qu’on divise CBC/Radio-Canada en deux avec une entité Radio-Canada Québec et une entité Radio-Canada hors Québec, la culture ne changera pas facilement. Vous vous êtes adressés à d’autres instances. Quelle a été leur réaction à ce sujet?

Mme Pilon : Comme vous le savez, le CRTC renouvelle en même temps tous les services de Radio-Canada. Nous nous sommes présentés pour des services en langue française et nous avons demandé au CRTC d’imposer au radiodiffuseur public d’allouer une part plus importante de ses dépenses à la production d’émissions canadiennes en langue française à l’extérieur du Québec — ce qu’ils ont fait.

En regardant les chiffres en détail et la production originale en langue française par des producteurs indépendants, on a vu qu’une définition avait été ajoutée dans un autre processus. On a demandé au CRTC d’imposer cette définition à Radio-Canada et de lui imposer aussi des seuils de dépenses spécifiques. Auparavant, les CLOSM et les régions du Québec étaient regroupés pour ce qui est des cibles que devait atteindre Radio‑Canada. Pour la période en cours visée par la licence, Radio-Canada devait dépenser, la première année, 3 % de toutes ses dépenses en langue française. Ce n’est pas très élevé. On parle de 3 % de la programmation en langue française la première année. La deuxième année, le chiffre augmentait et à la sixième année, on en était à 6 %, alors que cette année, nous sommes à 4 %.

Les rapports sont déposés au CRTC chaque année. Le radiodiffuseur doit respecter ses obligations en ce sens. Le CRTC a aussi la responsabilité de surveiller les radiodiffuseurs pour s’assurer qu’ils s’acquittent bel et bien de leurs obligations.

On a vu des séries à grand déploiement comme Le monde de Gabrielle Roy au Manitoba, comme je l’ai mentionné plus tôt dans mon allocution. On voit une progression, mais il y a beaucoup de pressions sur le radiodiffuseur public.

Comme vous le savez, tous les radiodiffuseurs ont des diminutions de revenus en matière de publicité, entre autres, et cela crée des pressions sur les budgets de production. Les budgets de production en langue française sont beaucoup moins élevés qu’ils ne le sont en langue anglaise pour la production indépendante et le divertissement qu’on peut voir à l’écran.

Le sénateur Gignac : Y a-t-il un pourcentage pour les nouvelles locales, que ce soit des nouvelles quotidiennes ou hebdomadaires, qui est imposé à Radio-Canada? Si je suis au Manitoba, le CRTC a-t-il imposé un pourcentage de nouvelles locales en Ontario?

Mme Pilon : Ce n’est pas un pourcentage qui est exprimé en dollars. Selon ma compréhension, c’est en temps d’antenne.

Le sénateur Gignac : Cela existe?

Mme Pilon : Oui.

M. Hominuk : En Ontario, on rencontre régulièrement la directrice régionale pour l’Ontario, qui est à Toronto, Zaahirah Atchia, et le directeur d’Ottawa-Gatineau, Yvan Cloutier. On a des discussions régulières avec eux sur ce qu’ils font et sur ce qui pourrait être fait.

Il y a encore des efforts à faire; il y a trop peu de moyens, mais je vois quand même des efforts. Quand on demande plus de contenus, on se fait souvent dire que le contenu franco-ontarien est sur le site Web et que les gens peuvent aller le consommer quand ils veulent. Il est moins présent à l’antenne, malgré les efforts qui ont été faits au cours des dernières années.

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), lors du dernier renouvellement de licence de Radio-Canada, avait demandé que la licence d’Ottawa et Gatineau soit divisée en deux pour la radio, pour avoir des bulletins de nouvelles distincts pour l’Ontario et pour Gatineau.

Vous comprendrez que les gens qui sont à Toronto ou Sudbury ont un bulletin de nouvelles à 100 % ontarien, alors que les gens qui sont à Ottawa, qui est l’une des plus grandes communautés francophones en Ontario, ont un demi-bulletin de nouvelles et parfois moins. Donc, il y a des choses qui pourraient être faites avec les nouvelles technologies; avec le numérique, il serait possible de faire des choses comme cela, sans nécessairement ajouter de gros coûts.

Le sénateur Gignac : Madame Salesse, du côté du Yukon, y a-t-il un pourcentage des bulletins qui est imposé pour les nouvelles locales? Comment cela fonctionne-t-il de votre côté?

Mme Salesse : Pas à ma connaissance. Cependant, tous les jours, l’émission Phare Ouest mentionne la température du Yukon. Généralement, c’est pas mal le résumé, le temps qu’il fait au Yukon.

Une fois toutes les deux semaines, on a quelqu’un du journal communautaire l’Aurore boréale qui fait le point sur certaines informations sur le Yukon à cette émission.

Par contre, pour les informations diffusées toutes les heures, il n’y a pas grand-chose sur le Yukon à moins qu’il y ait quelque chose de vraiment très important qui vient de se dérouler, un scandale ou quoi que ce soit d’autre. À ce moment-là, ils en parleront, sinon ils ne parleront pas de ce qui se passe dans la francophonie aux nouvelles régionales. C’est très rare.

Je ne crois pas qu’il y ait de quota. On participe toujours aux rencontres de consultation de Radio-Canada, mais ce n’est pas nécessairement une plateforme qui nous permet d’exprimer beaucoup de choses. Par contre, par le passé, on avait quelqu’un de Radio-Canada qui venait systématiquement à l’assemblée générale annuelle de Radio-Canada Vancouver et qui demandait à nous rencontrer la veille pour discuter de nos enjeux.

Donc, on a toujours réussi à faire passer le message, mais je dirais que comparativement à certains de mes collègues autour de la table aujourd’hui, on a quand même la chance d’avoir un peu plus de contenu. On est tellement plus petit que c’est plus facile pour Radio-Canada de couvrir ce qu’on fait que dans de grandes régions.

Le président : Je trouve préoccupant que tous les témoins qui se retrouvent devant notre comité ou les parties prenantes avec qui je parle assez souvent et qui viennent du Canada francophone disent tout le temps : « Si jamais on arrête de financer CBC, le télédiffuseur du réseau anglais, ce sera catastrophique. » J’ai beaucoup de difficulté à comprendre cela.

À la fin de l’exercice, je ne vois pas le même enthousiasme de la part de CBC pour Radio-Canada et les régions francophones.

La langue française est en déclin au Canada; c’est évident. Je vois que CBC/Radio-Canada reçoit plus d’argent des contribuables, année après année, depuis 10 ans. En même temps, ils ont diminué le budget pour le réseau francophone, particulièrement dans les régions.

Est-ce possible de m’expliquer pourquoi on défend avec autant d’enthousiasme CBC, qui prend toutes sortes de décisions? Je ne vois jamais de décision en vue de promouvoir la langue minoritaire, particulièrement en dehors du Canada. Je ne vois aucun enthousiasme de la part du siège social à Toronto pour ce qui est de dépenser plus pour des médias régionaux. À un moment donné, il faut se demander ce que c’est que tout cela.

Je ne comprends pas pourquoi il y a une réticence à comprendre qu’aujourd’hui au Canada, pour défendre la langue française et plus particulièrement les communautés de langue officielle en situation minoritaire, il faut un télédiffuseur public, et que leur préoccupation devrait être uniquement cela, pas avec le même montant d’argent qu’ils ont actuellement, mais avec plus que ce qui est dépensé. Il y a 1,4 milliard de dollars par année qui sont attribués à CBC/Radio-Canada.

Quand vous regardez les cotes d’écoute, année après année, c’est presque ridicule du côté anglophone. Les cotes d’écoute de Radio-Canada sont toujours très respectables. C’est juste le bon sens. Dépensez plus et concentrez vos efforts là où il y a une demande et un besoin de la part du public. On s’entend pour dire que la langue anglaise et la communauté anglophone du Canada ont énormément de choix sur les plateformes médiatiques actuellement. N’êtes-vous pas d’accord avec ce raisonnement?

M. Hominuk : Quand on vient en région, ce que l’on voit, ce sont de très petits bureaux francophones à l’intérieur de CBC/Radio-Canada.

Pour nous, c’est peut-être difficile d’imaginer comment le petit bureau francophone pourra continuer sans l’infrastructure du gros bureau qui l’accompagne. C’est ce que je vois. C’est ce qui me fait peur : penser que le petit bureau tout seul sera capable de survivre sans l’infrastructure qui l’accompagne.

Si les ressources sont adéquates pour le permettre, je suis absolument d’accord. Mais comme j’ai travaillé dans les médias communautaires, où l’on se fait toujours dire de faire plus avec moins, mon inquiétude est qu’on aura tellement peu que ce sera impossible de remplir le mandat. Reste à voir quels seraient les investissements dans une Radio-Canada indépendante de CBC ou détachée de CBC. Ce sont des questions inquiétantes, quand on a si peu dans une région minoritaire, de perdre le peu que l’on a. C’est pour cela qu’on utilise le mot « catastrophique », parce qu’on a de la difficulté à comprendre comment notre section francophone survivra sans le reste de l’entité.

M. Hébert : Je pense que vous entendriez un message différent si on savait qu’il y a une volonté claire de financer le réseau francophone, indépendamment du réseau anglophone. Ce qui nous fait peur, c’est la réalité des frais d’exploitation d’un réseau francophone, qui est à beaucoup plus petite échelle et qui ne bénéficiera pas des économies d’échelle du plus gros réseau.

Résultat : on va se retrouver devant une situation où l’on va nous dire : « Maintenant, cela coûte trop cher pour le réseau francophone, donc on va définancer le réseau francophone aussi. »

Si le gouvernement s’engage demain matin à financer pleinement le réseau francophone, ma position serait que l’on soutienne la création d’une radio indépendante francophone. Je n’aurais pas de problème à appuyer cette proposition. Cependant, nous avons besoin de l’infrastructure nécessaire pour le faire.

Le président : Êtes-vous donc d’accord pour dire que si Radio-Canada avait plus de pouvoir, plus de liberté et plus d’argent, cela aurait du bon sens?

M. Beaudry : Je me rallie à ce qui vient d’être dit. Le seul bémol est que la tendance des 40 dernières années, tant à CBC qu’à Radio-Canada, est de désinvestir dans les régions, d’enlever des ressources dans les régions. C’est inquiétant dans le sens où nous avons déjà très peu de ressources. On parle d’un investissement additionnel, mais ce n’est pas la tendance, et ce n’est pas en donnant plus de liberté à Radio-Canada qu’ils vont choisir d’investir dans les régions. Nous avons beaucoup d’inquiétudes à cet effet.

Le président : J’aimerais préciser: je parlais de plus de services régionaux francophones décentralisés de ma belle ville de Montréal.

M. Beaudry : On aime bien Montréal.

Le président : Je vous écoute et je prends des notes.

Mme Pilon : Si l’on s’inquiète du québécocentrisme de Radio-Canada maintenant, enlevez le poids de CBC dans les régions et je ne pense pas qu’on ira dans la bonne direction. Non, en effet, CBC ne parle pas assez de sa communauté francophone dans ses bulletins de nouvelles ou ses actualités; on en convient parfaitement. Cela dit, ils ont quand même un poids dans les régions au Canada que nous aurions du mal à équilibrer si les stations régionales et l’infrastructure n’y étaient plus. Pour la maintenir sur le plan du financement, il y aurait certainement un contrecoup quelconque de la part du public canadien qui devrait financer à cette hauteur la production et la capacité nécessaires pour maintenir nos services en langue française.

Même si l’on retranche deux tiers du financement de CBC/Radio-Canada, il faut en investir davantage pour maintenir les régions. Ce ne serait qu’un service dans une langue, ce qui contreviendrait à la Loi sur la radiodiffusion et à la Loi sur les langues officielles. Cette dernière est une loi quasi judiciaire dont le but est de protéger les deux langues officielles à travers le pays. Un radiodiffuseur national public pourrait difficilement obtenir les fonds, les appropriations ou les crédits parlementaires nécessaires pour fonctionner dans une langue seulement.

De plus, le service de Radio-Canada offre des services en langue autochtone. Ils ont quand même fait du progrès en ce sens. Ces services seraient également à risque.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Très brièvement, monsieur Beaudry, je veux être sûre de vous avoir compris. Notre étude porte sur les services locaux de Radio-Canada et sur ses rapports avec la communauté. Est-ce que vous avez bien dit que la désaffection, les critiques adressées à Radio-Canada ou les faibles cotes d’écoute du côté de CBC sont liées au fait que CBC/Radio-Canada est trop centralisée et n’a pas écouté les régions? J’aimerais vous entendre là-dessus. Quelles preuves avez-vous de cela? C’est une opinion, mais comment pouvez‑vous justifier cela? C’est intéressant dans le cadre de notre étude, mais sur quoi repose cette opinion?

M. Beaudry : C’est anecdotique. Je n’ai pas de données pour vous. Comme l’a dit le sénateur Gignac un peu plus tôt, le désinvestissement dans les régions partout au Canada, à la fois à Radio-Canada et à CBC, a fait en sorte que le lien de proximité avec les antennes locales s’est effrité au fil du temps. Avant, Radio-Canada Manitoba n’était pas un diffuseur qui avait une antenne au Manitoba. Cela faisait partie de notre infrastructure communautaire. Ce n’est pas que cela n’existe plus — il y a une équipe locale qui fait de belles choses avec le très peu de ressources qu’elle a —, mais il y a eu un désinvestissement local à la fois de la part de CBC et de Radio-Canada. Nous voyons les résultats de cette tendance lourde ces dernières décennies.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce sont ces tendances lourdes que nous voyons davantage dans les sondages et les cotes d’écoute du côté de CBC que du côté de Radio-Canada, mais c’est très difficile de mesurer les cotes d’écoute de Radio-Canada au Manitoba.

M. Beaudry : Justement, je ne pense pas que nous ayons les cotes d’écoute de Radio-Canada Manitoba, mais j’imagine que cela suivrait au moins en partie les tendances de CBC.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’avoir précisé cela.

Le président : Merci à nos témoins d’avoir partagé leurs connaissances et leurs perspectives avec le comité. C’est très apprécié.

[Traduction]

Honorables sénateurs, pour la deuxième heure, ce matin, le comité souhaite la bienvenue à Richard Stursberg, président-directeur d’Aljess, et à Kim Trynacity, professeure de journalisme à l’Université MacEwan, ancienne présidente de la sous-section CBC/Radio-Canada de la Guilde canadienne des médias et ancienne journaliste de la CBC à Edmonton.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie tous deux de vous joindre à nous.

Chaque témoin fera une déclaration liminaire de cinq minutes, après quoi nous entendrons mes collègues pour une séance de questions et réponses.

Monsieur Stursberg, vous avez la parole.

[Français]

Richard Stursberg, président-directeur, Aljess, à titre personnel : Merci de m’avoir invité à comparaître devant le comité; c’est un honneur. Je vais parler presque uniquement en anglais, mais si vous avez des questions à me poser en français, je serai bien content d’y répondre.

[Traduction]

Pour vous situer, j’ai passé la plus grande partie de ma vie à travailler dans les médias. À l’époque du gouvernement Mulroney, j’ai été sous-ministre adjoint à la Culture et à la Radiodiffusion. Plus tard, j’ai dirigé l’Association canadienne de télévision par câble et présidé le Fonds canadien de télévision, qui s’appelle dorénavant le Fonds des médias du Canada. J’ai été PDG de Cancom-Star Choice, le fournisseur de télévision directe par satellite, directeur général de Téléfilm Canada, la société gouvernementale de financement du cinéma, et chef des services en anglais de la CBC. Je suis actuellement coprésident de Hollywood Suite, un service de télévision canadien.

Je crois comprendre que j’ai été invité ici en raison d’une lettre ouverte que j’ai adressée à Marie-Philippe Bouchard, la nouvelle présidente de CBC/Radio-Canada, pour lui faire part de mes réflexions sur la manière dont elle pourrait aborder son travail. J’y mets l’accent sur les défis auxquels est confrontée la télévision en anglais et sur les problèmes inhérents au monde de l’information. Je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir sur cette lettre.

Cependant, j’aimerais d’abord faire deux remarques générales sur CBC/Radio-Canada.

Premièrement, il importe de comprendre l’environnement médiatique actuel. L’émergence des géants du numérique (Google, Facebook et les autres) a bouleversé en profondeur les marchés publicitaires canadiens. Avant, les journaux et la télévision étaient les principaux bénéficiaires des revenus publicitaires. Au cours des 10 à 12 dernières années, ces revenus se sont mis à migrer de plus en plus vers le sud et la Silicon Valley. Il en résulte une crise financière pour les journaux. Des dizaines et des dizaines de journaux locaux et communautaires ont dû cesser leurs activités, et les quotidiens des grandes villes qui restent ne sont plus que des versions émaciées de ce qu’ils étaient auparavant.

La perte des revenus publicitaires a également engendré une crise chez les radiodiffuseurs privés de longue date — CTV et Global —, qui dépendent entièrement de la publicité. Leur situation est d’autant plus aggravée par la concurrence des diffuseurs non réglementés très riches que sont les Netflix, Apple, Amazon et compagnie.

CTV et Global perdent de l’argent depuis des années, ce qui les contraint à réduire considérablement leurs émissions d’information. Au Canada, nous vivons de plus en plus dans un désert d’information rempli de désinformation des TikTok, Facebook et autres médias sociaux.

Pendant longtemps, CTV et Global étaient protégés par leur appartenance à de grands groupes qui possédaient de nombreuses chaînes spécialisées financées par les redevances de câblodistribution. Global faisait partie de Corus et CTV, de Bell Media. Aujourd’hui, cependant, le câble est en train de mourir et avec lui, les redevances qui alimentaient ces groupes. En 2021, l’action de Corus se négociait à la Bourse de Toronto à 5,86 $; la semaine dernière, elle n’était plus que de 11 ¢. Elle est pratiquement insolvable. Il y a trois semaines, Bell Media a réduit ses actifs de 2,1 milliards de dollars. Elle est actuellement en train de tarir ses chaînes, de sabrer dans les coûts et de licencier du personnel.

Dans cinq ans, peut-être même avant, je serais surpris qu’il y ait encore des radiodiffuseurs privés en activité au Canada anglais.

Je dis tout cela parce qu’il est essentiel de comprendre que lorsque nous parlons de l’avenir de CBC/Radio-Canada, nous devons le situer dans le contexte des médias canadiens en général. Ce pourrait bientôt être le seul radiodiffuseur canadien encore en vie. Si nous voulons avoir accès à de l’information produite au Canada, à des nouvelles locales, nationales ou internationales, il se peut qu’il n’y ait presque plus d’autres endroits où aller. Il en va de même pour les dramatiques, les comédies, les documentaires, les affaires publiques et les émissions pour enfants.

Pour ceux d’entre vous que cela intéresse, j’aborde tous ces problèmes en détail dans mon livre The Tangled Garden: A Canadian Cultural Manifesto for the Digital Age.

Deuxièmement, les gouvernements ont tous laissé tomber la CBC les uns après les autres, non seulement en termes de financement, mais aussi et surtout en termes de direction. Aucun gouvernement, qu’il soit libéral ou conservateur, n’a jamais dit à la CBC ce qu’elle devait faire ou sur quoi concentrer ses efforts. La Loi sur la radiodiffusion n’est d’aucune aide, puisqu’elle demande à la CBC d’être tout pour tout le monde. D’innombrables études ont été menées, mais aucune conclusion n’a jamais été tirée quant à ce que devrait être la société.

En Grande-Bretagne, la BBC est soumise à une charte royale qui définit son rôle pour dix ans et prescrit le financement nécessaire pour qu’elle puisse s’en acquitter. Il s’agit d’un contrat négocié entre le gouvernement et la BBC, qui lui fournit une orientation claire et un financement stable. À la fin de la septième année du contrat de dix ans, le processus s’enclenche pour définir la prochaine charte royale. Les diverses parties prenantes présentent des soumissions, et il y a des audiences publiques. À la lumière de tout cela, le gouvernement et la BBC s’entendent en vue des dix prochaines années.

Au Canada, CBC/Radio-Canada a besoin d’un processus similaire. Idéalement, tous les grands partis de la Chambre des communes se mettraient d’accord sur le rôle général de la société et fixeraient son budget en conséquence. Cela permettrait de stabiliser ses finances et, surtout, de dépolitiser ses activités.

À l’heure où les radiodiffuseurs privés s’effondrent et où il n’y a plus d’alternative, il devient plus important que jamais de parvenir à une entente sur ce que devrait faire le radiodiffuseur public et sur la façon de le financer.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, monsieur.

Kim Trynacity, professeure de journalisme, Université MacEwan, à titre personnel : Merci beaucoup. J’allais régler ma minuterie pour éviter de dépasser le temps imparti.

Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Comme vous l’avez indiqué, je suis une ancienne journaliste politique de longue date de la CBC. J’ai fait mes premières armes dans la radiodiffusion privée, à une époque où nous avions des cendriers sur nos bureaux, à côté de téléphones à cadran et de machines à écrire.

Je connais ce secteur de fond en comble. J’ai commencé comme présentatrice et journaliste sportive, j’étais probablement l’une des premières femmes au Canada à exercer ce métier dans les années 1980. J’ai fait des documentaires, des reportages, j’ai travaillé dans le Nord et dans les Prairies, j’ai même fait des séjours ici, au Parlement. Je travaille depuis longtemps dans le secteur de la radiodiffusion.

J’ai toujours été une ardente défenseure de la radiodiffusion publique. Je considère qu’il s’agit d’un pilier de la démocratie. Mais le paysage médiatique fragmenté dont tous les témoins ont parlé ce matin et que M. Stursberg a décrit m’inquiète profondément. Je suis très inquiète non seulement à cause de cela, mais aussi à cause des intérêts politiques qui visent à démolir la CBC, entraînant avec elle Radio-Canada.

J’enseigne actuellement le journalisme à l’Université MacEwan, et mes étudiants sont mobilisés, curieux, intéressés. Ils tirent toutes leurs informations et leurs nouvelles de TikTok et d’Instagram, et connaissent très peu les autres médias extérieurs, y compris CBC/Radio-Canada.

Vous avez évoqué les journaux avant le début de la séance, monsieur le président. Mes étudiants savent ce que sont des journaux, mais ils ne savent même pas comment lire un journal, même s’ils savent en lire les mots. En fait, j’ai récemment consacré une partie de mon cours à décortiquer le cahier du week-end du Globe and Mail en leur disant : « Voici le cahier Pursuits. Vous y trouverez des informations sur toutes sortes de choses. » Ils étaient stupéfaits de voir qu’il y avait autant d’opinions dans un journal.

Pour revenir à l’exposé que j’ai préparé, il y a beaucoup de choses auxquelles je suis favorable concernant la CBC, mais je pense qu’au fil des ans, il est clair qu’elle s’est égarée à bien des égards. Elle n’est plus aussi proche de la population qu’elle l’était autrefois. Il y a plusieurs raisons à cela. Elle est devenue trop grande d’un point de vue et trop petite d’autres façons.

Les témoins précédents ont parlé d’un décalage entre Montréal et les régions. Je pense que dans les régions anglophones, on observe un décalage entre Toronto et le reste du monde tel que nous le voyons. Je suis basée à Edmonton depuis des années, et il n’est pas rare que quelqu’un de Toronto nous appelle et demande au personnel d’Edmonton d’aller prendre une photo cet après‑midi même de quelque chose à Grande Prairie ou à Fort McMurray, qui peut se trouver à quelque chose comme huit heures de route quand il fait beau. Il y a beaucoup d’ignorance.

Il y a des exceptions, quand même. Quand je dis que la CBC n’est pas aussi proche de la population qu’elle l’a déjà été, chaque saison des Fêtes, les bureaux de CBC/Radio-Canada mènent de grandes collectes de fonds pour des organisations comme la banque alimentaire d’Edmonton, recueillant des millions de dollars de la communauté pour des causes qu’il vaut la peine de soutenir.

C’est en temps de crise que le public se tourne vers CBC/Radio-Canada en plus très grand nombre. Prenons l’exemple de l’incendie survenu à Jasper, dans le Parc national de Jasper cet été, et bien sûr, de l’évacuation massive de Yellowknife l’été précédent à cause des feux de forêt et des inondations, pas à Yellowknife mais ailleurs au Canada. Les gens se tournent alors vers la CBC, où les journalistes sont à l’antenne jour et nuit sur toutes les plateformes.

Lorsque j’ai été embauchée à la CBC, je ne faisais que de la télévision, mais au fil du temps, mon travail a évolué vers la télévision, la radio, le Web, les balados et tout le reste. Si les téléspectateurs, les lecteurs et les auditeurs sont frustrés par ce qu’ils considèrent comme du contenu répétitif, c’est parce que tout est édulcoré. Un même journaliste, un même reportage est aujourd’hui publié sur diverses plateformes différentes. Il y a beaucoup de répétitions sur les ondes et sur le Web. C’est parce qu’il n’y a pas beaucoup de monde pour réaliser un reportage.

Pour revenir au décalage avec le public dont je parlais, à l’époque, la production a été déplacée des régions vers Toronto. Il fut un temps où de grandes émissions étaient tournées à Edmonton ou à Winnipeg, notamment un jeu télévisé pour les jeunes, Reach for the Top, qui était très populaire. Cela remonte à loin. Les gens le regardaient vraiment. Cela faisait partie de la culture populaire.

Les talk-shows et les émissions politiques étaient tous centralisés à Toronto. Lorsqu’on perd cette capacité de production qui reflète la réalité locale, on perd davantage le lien avec la population.

Voici un petit exemple de perte du lien : si vous vous rendez dans l’un des bureaux de la CBC, vous serez accueilli par un agent de sécurité, et non par une réceptionniste. Je sais que nous avons besoin d’agents de sécurité, mais allez, il faut remettre le public au cœur de la radiodiffusion publique. La radiodiffusion publique est un service public.

Une autre chose qui provoque vraiment une déconnexion est le versement de bonis aux cadres et au personnel non syndiqué. Je sais que je n’ai plus le temps, mais c’est un problème fondamental. Rien n’irrite plus le personnel que de voir une telle chose. Vous parlez du décalage avec le public, il s’agit d’un service public, pas d’un moyen de s’enrichir. Je sais que mes cinq minutes sont écoulées. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie. Nous aurons amplement l’occasion d’explorer tout cela.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup à nos deux témoins. Vous avez tous deux mentionné TikTok. J’ai jeté un coup d’œil à mon LinkedIn ce matin. J’ai vu que la CBC se vantait avec fierté d’avoir atteint un million d’abonnés sur TikTok. Pour moi, le simple fait de voir cela résume bien tout ce qui cloche, non seulement à la CBC, mais dans le journalisme en général. Les médias, qu’il s’agisse de la presse écrite ou de la radiodiffusion, ont supposé que les plateformes telles que Facebook, X, ou Twitter seraient là pour les aider à entrer en contact avec les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs.

Je me demande ce que vous pensez de l’idée que la CBC tente toujours de séduire les jeunes téléspectateurs en adoptant une plateforme comme TikTok, qui est une plateforme extrêmement problématique pour toutes sortes de raisons de sécurité nationale. Que pensez-vous de cette mesure pour contrer la nature du problème auquel nous sommes confrontés? Monsieur Stursberg, je vous pose d’abord la question, après quoi je la poserai à Mme Trynacity.

M. Stursberg : Le problème n’est pas propre à TikTok. Je pense que le problème est inhérent au fait d’être sur les plateformes de médias sociaux. La difficulté, c’est que nous savons que les sources de désinformation corrosive et de discours haineux sont en grande partie sur les plateformes de médias sociaux. Ce qui me préoccupe, c’est que quand on est sur ces plateformes, il devient difficile de distinguer le vrai du faux, et qu’à force de nager dans des rivières polluées, on finit inévitablement par se contaminer à son tour.

J’ai longuement écrit à ce sujet et j’ai également suggéré dans la lettre adressée à Mme Bouchard que ce serait une bonne idée de créer une plateforme nationale de médias sociaux pour les informations. L’idée générale serait que n’importe qui, que ce soit la CBC/Radio-Canada, le National Post ou le Globe and Mail, n’importe qui est prêt à respecter les normes journalistiques classiques, qui sont assez faciles à surveiller, pourrait être présent sur la plateforme. Ensuite, la plateforme serait rentabilisée à la demande, pour tout ce qui serait utilisé en dehors de la plateforme. La promesse de la plateforme serait que si vous venez sur cette plateforme, les choses y seront vraies et justes, autant que faire se peut.

Si nous ne parvenons pas à nous sortir de cette crise de la désinformation, des discours haineux et du mensonge — qui ne fera qu’empirer — nous nous retrouverons dans une crise non seulement de la démocratie, mais aussi, oserais-je dire, de la réalité.

La sénatrice Simons : Oui. Pour tout vous dire, Mme Trynacity et moi avons travaillé ensemble en tant que collègues et concurrentes pendant de nombreuses années.

Mme Trynacity : À l’Assemblée législative de l’Alberta, au bout du couloir. Je pense que beaucoup de ces bureaux sont malheureusement vides de nos jours. Cela témoigne de la réalité médiatique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Je pense que CBC/Radio-Canada doit continuer de chercher à attirer les jeunes téléspectateurs, auditeurs et lecteurs, mais comment? Je pense que l’idée de M. Stursberg est bonne. Je suis d’accord qu’il s’agit d’une crise. Ce dont nous avons parlé dans mon cours, l’autre jour, pendant une séance entière, c’est de la confiance, du manque de confiance à l’égard de tous et de tout, des dirigeants politiques aux journalistes en passant par les figures d’autorité. Et sans confiance, il n’y a pas de mobilisation. Comment bâtir le lien de confiance?

Peut-être faut-il revenir à l’essentiel? Il faudrait peut-être inculquer aux gens le besoin de vérifier. Cela signifie que chacun devrait prendre beaucoup plus de responsabilités, mais c’est difficile. Tout devient de plus en plus compliqué. Il faut télécharger une application pour ceci, une autre pour cela. Il faut juste franchir le pas et faire ce qu’il faut.

Il s’agit d’imposer une plus grande responsabilité aux téléspectateurs, aux auditeurs et au public, mais CBC/Radio-Canada doit aller là où se trouvent les téléspectateurs, les auditeurs et les téléspectateurs; et les jeunes sont sur les médias sociaux. Si elle proposait une plateforme d’informations robustes et vérifiables, il est à espérer que le message passerait à un moment ou un autre. Mais ces plateformes sont submergées de non-information, de mésinformation, de désinformation, d’« hypertrucages » et tout. Je pense qu’il ne faut pas lâcher.

La sénatrice Simons : J’ai travaillé pendant des années, comme Mme Trynacity le sait certainement, pour le Edmonton Journal de Postmedia, et j’avais l’habitude de comparer la situation à celle d’un radeau de sauvetage dont on retirerait les billots pour allumer un feu afin de se réchauffer et d’envoyer des signaux de détresse. À la longue, il finit par n’y avoir plus de bûches sur le radeau, et l’on coule.

J’ai vécu cela au journal, je l’ai vu réduire encore et encore les informations locales, les remplaçant par des dépêches et des informations provenant du réseau Postmedia, jusqu’à ce que plus aucun habitant d’Edmonton ne voie le reflet de sa propre communauté dans les pages de son propre journal, et que les abonnements diminuent.

En tant qu’ancienne employée de la CBC puis que consommatrice de la CBC, je l’ai vue faire sensiblement la même chose, réduire de plus en plus la production locale, à la fois dans les nouvelles et les reportages, jusqu’à ce que les gens n’aient plus de sentiment d’appartenance locale à la CBC.

Monsieur Stursberg, je voudrais commencer par vous pour cette question, parce que vous avez été responsable de la programmation anglaise pendant un certain temps. Y a-t-il un moyen, selon vous, de remettre le local à l’avant-plan, de rétablir la confiance des téléspectateurs dans les communautés locales?

M. Stursberg : Les nouvelles qui comptent le plus pour les gens sont les nouvelles locales. Elles sont plus importantes que les informations nationales et les informations internationales. L’enjeu au cœur de l’information locale est la sécurité personnelle. Il s’agit de la météo, des crimes, des incendies, etc. Pouvez-vous me dire que je suis en sécurité? J’ai besoin de le savoir.

La sénatrice Simons : L’école est-elle sûre pour mes enfants?

M. Stursberg : Exactement. C’est ce que nous voulons savoir.

La crise de l’information touche davantage les nouvelles locales que les nouvelles nationales au Canada. Il ne fait aucun doute que des dizaines et des dizaines de collectivités ont perdu non seulement leurs journaux communautaires, mais aussi leurs journaux locaux, dont beaucoup existaient depuis le 19e siècle. Je pense que la situation va empirer avant de s’améliorer.

Il existe des moyens, dans les limites de l’enveloppe budgétaire actuelle de CBC/Radio-Canada, d’aborder le problème des informations locales d’une manière un peu différente de ce qui a été fait jusqu’à présent. Il existe trois plateformes pour l’information locale, soit la radio, le contenu en ligne et la télévision. Nous savons que les informations télévisées locales sont de loin les plus coûteuses.

Il serait peut-être judicieux de renoncer aux informations télévisées locales pour réorienter ces ressources vers la radio locale et l’information locale en ligne, en sachant que la radio locale nous offre un formidable porte-voix. Il faut se servir sans retenue des radios locales pour inciter les gens à consulter les sites web locaux qu’ils ne connaissent pas nécessairement. CBC/Radio-Canada ne le fait tout simplement pas à l’échelle locale.

Les sites Web locaux doivent diffuser un contenu correspondant à ce que les gens attendent des informations locales. Ils veulent essentiellement être renseignés sur les enjeux liés à la sécurité et savoir tout ce qui se passe localement.

Mais rien de tout cela ne sera possible si des investissements supplémentaires ne sont pas consentis. C’est toujours une question d’argent. Comme vous le savez, si l’on examine la répartition par habitant du financement gouvernemental, on constate que notre réseau anglais est le deuxième radiodiffuseur public le plus mal financé au monde alors que notre réseau français est l’un des mieux financés, presque à hauteur de la BBC.

Si nous voulons vraiment nous attaquer au problème, il ne fait aucun doute qu’il faudra injecter plus d’argent dans la société d’État.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être présents aujourd’hui. En fait, je voudrais revenir sur le sujet que vous venez d’aborder. Au lieu d’entendre parler d’une augmentation des revenus, c’est tout le contraire qui se produit. Plusieurs réclament que CBC/Radio-Canada renonce à la publicité. J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

Bien sûr, lorsqu’il s’agit des deniers publics, nous pouvons tous nous projeter dans l’avenir et voir ce qui pourrait bien arriver, à savoir l’abolition du financement de CBC/Radio-Canada ou tout au moins de son réseau anglais. C’est ce qui se profile à l’horizon.

Premièrement, monsieur Stursberg, si le scénario qui se dessine n’est pas une augmentation des revenus comme vous venez de le réclamer, mais, en fait, le contraire, quelles devraient être, selon vous, les priorités de CBC/Radio-Canada, et en particulier de CBC, son réseau anglais? Doit-on continuer à proposer de la culture et du divertissement? Doit-on renoncer aux informations et aux affaires publiques à tous les niveaux? Devrait-on se concentrer sur la programmation locale et régionale? Que devrait-on faire?

J’aurai une autre question après cela

M. Stursberg : Je suis d’avis que ces facettes sont toutes aussi importantes les unes que les autres, mais encore une fois, il faut replacer le tout dans le contexte de ce qui arrive aux médias anglophones en général. Si le financement de la télévision anglaise de CBC est supprimé dans la conjoncture que nous connaissons, il le sera à un moment où Global, CTV et le reste des chaînes spécialisées en anglais sont au bord de l’effondrement total.

Il me semble que c’est une chose assez amusante parce que les gens disent « Bien sûr, c’est toujours au privé que ça se passe », mais ce n’est pas la réalité. Il n’y a plus de radiodiffuseurs privés, et il n’y aura plus jamais de radiodiffuseurs privés tels que nous les avons connus au cours des 50 dernières années. Nous devons considérer CBC dans ce contexte.

Estimons-nous important qu’il y ait des informations locales? Bien sûr. Jugeons-nous important qu’il y ait des informations nationales? Bien sûr. Pensons-nous qu’il devrait y avoir des informations internationales qui aident les Canadiens à mieux comprendre ce qui se passe dans le monde? Bien sûr. Croyons-nous qu’il est important d’avoir des émissions dramatiques canadiennes, des émissions pour enfants canadiennes, des comédies canadiennes, des documentaires canadiens, des émissions d’affaires publiques canadiennes?

Maintenant, à vous de décider laquelle de ces émissions vous allez choisir. Je ne suis même pas sûr qu’il soit judicieux de formuler la proposition de cette manière. C’est comme si l’on disait : « D’accord, coupons le bébé en deux. Quelle partie voulez-vous? Le haut ou le bas? »

Il s’agit d’une crise culturelle canadienne-anglaise — et pas encore d’une crise culturelle canadienne-française — et si nous ne faisons pas très attention, nous allons nous retrouver dans une situation où nous n’aurons plus de dramatiques canadiennes, plus de comédies canadiennes, plus de documentaires canadiens.

Nous devons être prudents lorsque nous envisageons de supprimer le financement de CBC/Radio-Canada. Ce serait tout à fait déraisonnable.

La sénatrice Dasko : Il est difficile pour moi d’exprimer les choses autrement, car c’est ainsi que je vois la situation se dessiner. Vous avez laissé entendre que le gouvernement devrait essayer d’obtenir plus d’informations, mais aussi d’imprimer une orientation mieux définie. Comment trouver un consensus à ce sujet, car les opinions varient beaucoup quant à ce que devrait faire exactement CBC/Radio-Canada?

M. Stursberg : Les points de vue sont effectivement diversifiés, mais j’ai l’impression que la plupart des controverses entourant CBC/Radio-Canada depuis une quarantaine d’années ont porté sur les informations. Ainsi, libéraux et conservateurs ont eu le sentiment que les informations étaient injustes à leur égard.

[Français]

Vous vous rappellerez sans doute que le gouvernement de M. Trudeau et celui de M. Chrétien ont tous les deux dit que Radio-Canada était effectivement un nid de séparatistes.

[Traduction]

Dans le cas des gouvernements conservateurs, et du gouvernement Harper notamment, on s’est beaucoup plaint du fait que CBC/Radio-Canada était trop à gauche.

Il existe des moyens de régler ces problèmes. Je vais vous raconter une petite histoire que je trouve fascinante.

J’étais très soucieux, lorsque j’étais là-bas, de m’assurer que les nouvelles étaient exactes et justes. J’ai pensé que la meilleure façon de le faire — c’était sous le gouvernement Harper — était de charger un groupe d’experts internationaux d’analyser le contenu journalistique de notre société d’État à la radio, en ligne, à la télévision, et ainsi de suite, et de voir dans quelle mesure il pouvait pencher d’un côté ou de l’autre pour favoriser les points de vue des conservateurs ou des libéraux.

Nous avons réalisé cette vaste étude. Pour autant que je sache, c’est la seule fois qu’une étude semblable a été menée. À l’époque, j’étais allé voir Jim Flaherty, qui était alors ministre des Finances et qui, je le savais, était particulièrement préoccupé par ce problème, et je lui avais dit : « Voilà ce que nous allons faire, voilà comment cela va fonctionner, et ces gens sont tous indépendants. » Certains d’entre eux venaient du Canada, mais d’autres étaient d’ailleurs dans le monde. Vous vous souvenez d’eux. Vous vous souvenez de cette étude.

Les résultats de l’étude ont été d’une certaine manière surprenants. Ce que nous avons découvert, c’est que dans la mesure où il y avait une inclinaison dans la couverture médiatique, elle était très légèrement en faveur des conservateurs.

Cette étude n’a pas été refaite depuis longtemps. Je craignais beaucoup à l’époque que les libéraux y trouvent des munitions pour s’en prendre à nous.

J’ai dit : « Très bien, voici ce que nous allons faire. Nous allons mettre les résultats de l’étude en ligne, ainsi que toutes les données collectées, de sorte que si quelqu’un souhaite les réanalyser, il puisse le faire et s’assurer que notre analyse était correcte. » C’était en 2008 ou 2009, à peu près. En tout cas, c’était il n’y a pas si longtemps.

La réaction a été étonnante. J’ai décidé que nous publierions un communiqué de presse. Je pensais que ce serait un sujet de controverse considérable, que tout le monde voudrait savoir ce qui se passe et que les gens se mettraient à courir dans tous les sens en déchirant leur chemise. En réalité, il ne s’est absolument rien passé.

Je me suis dit que c’était de deux choses l’une. Soit les revendications à cet égard n’étaient pas sérieuses, soit les résultats ont été tellement équilibrés en termes de couverture par la société d’État que ni les conservateurs ni les libéraux ne se sont demandé ce qu’ils allaient bien pouvoir en faire.

Il n’y a aucune raison pour qu’une étude de la sorte ne soit pas effectuée systématiquement, année après année, pour s’assurer que la couverture de CBC/Radio-Canada est — comme cela devrait être le cas — juste et exacte.

Je pense que si l’on veut vraiment aplanir les divergences d’opinions à propos de CBC/Radio-Canada, il faut s’assurer que les nouvelles sont surveillées de façon indépendante pour faire la preuve qu’elles sont justes et exactes. Si ce n’est pas le cas, la direction peut prendre des initiatives pour le démontrer.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout cela est fascinant.

J’ai une question plus précise. Vous avez insisté sur les différences de pourcentage de financement entre Radio-Canada et CBC, qui est d’environ 44 % du côté de Radio-Canada. Ma question ne porte pas tant sur le chiffre exact, mais sur le fait que ce chiffre doit être contextualisé, dans la mesure où Radio-Canada doit servir non seulement la population francophone du Québec, mais beaucoup de petites minorités en très petits nombres partout. Dire que nous sommes très favorisés au chapitre du financement me semble pour le moins contestable. Puisque j’ai travaillé fort longtemps à Radio-Canada et même à l’étranger avec CBC, je peux vous dire que les budgets relativement à la couverture internationale sont loin d’être à l’avantage de Radio-Canada. Ces chiffres doivent être pris avec des pincettes, à mon avis.

M. Stursberg : Si on compare les chiffres, on doit aussi tenir compte du contexte. Le contexte pour les services anglais est plus difficile, en ce sens que le niveau de concurrence des marchés anglophones est presque inimaginable pour le Québec. Nous avons tous les réseaux américains ici au Canada anglais et les grands services de diffusion en continu, comme Netflix, Apple et les autres, qui fonctionnent presque uniquement en anglais.

Le défi pour CBC est de livrer la marchandise dans un contexte incroyablement difficile, plus difficile que pour Radio-Canada au Québec. En ce sens, ce que je propose n’est pas de couper Radio-Canada — ce n’est pas une bonne idée et c’est même presque impossible politiquement —, mais de mettre le même montant d’argent du côté anglais. Actuellement, le service anglais reçoit 33 ou 34 $ par année par habitant. Du côté francophone, c’est 70 $. Si on met le côté anglophone au même niveau de financement que le côté francophone, à ce moment-là, on aura quelque chose qui répondra aux grands défis dont nous avons parlé ce matin.

[Traduction]

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous ne sommes pas nécessairement d’accord à ce propos, mais ce n’est pas un problème. Je ne pense pas que l’on puisse comparer directement les budgets, parce que nous devons servir une petite minorité française très dispersée, en raison de nos lois, y compris la Loi sur les langues officielles, et compte tenu du mandat. Mais j’aimerais vous entendre sur un autre sujet, car nous pourrions en discuter toute la journée.

[Français]

M. Stursberg : Il y a des régions éloignées en anglais aussi. On a des régions partout au Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, mais vous avez une plus grande population en général. Nous sommes une minorité, nous sommes des CLOSM. Vous avez dit que le gouvernement n’avait jamais dit quoi faire à CBC/Radio-Canada. Vous avez raison. J’ai revu les mandats; ils sont très larges, et c’est tout en même temps. Cela dit, rappelez-vous le débat sur le fait que le mandat de Radio-Canada était de renforcer l’unité canadienne. On veut une liberté d’expression. Toutefois, dans un pays où on veut une société d’État libre, n’est-il pas dangereux d’avoir un mandat trop précis? Vous avez dit qu’il fallait dire quoi faire à Radio-Canada. Si on lui dit quoi faire, on va se rapprocher de ce qu’on appelle une télévision d’État.

M. Stursberg : Effectivement, si on regarde ce qu’ils ont fait en ce qui concerne la BBC, il n’y a aucune difficulté.

J’aimerais revenir à la proposition de promouvoir l’unité canadienne qui était dans l’ancienne Loi sur la radiodiffusion. J’étais là quand Marcel Masse était ministre; j’étais son sous‑ministre. Nous avons parlé longuement de ce problème. Comme vous le savez, M. Masse n’était pas totalement à l’aise avec l’idée que l’un des rôles de Radio-Canada soit de promouvoir l’unité canadienne. Nous avons changé la loi pour indiquer qu’elle devait refléter la réalité du Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Voilà.

M. Stursberg : J’étais absolument pour ce changement, en ce sens qu’il faut un mandat pour que Radio-Canada garde sa liberté d’expression. Si on insiste pour dire qu’il faut effectivement promouvoir l’unité canadienne, à ce moment-là, on dit qu’on est partisan d’un certain point de vue en ce qui concerne le pays. Ce n’est pas une très bonne idée. CBC/Radio-Canada doit rester neutre en ce qui concerne ces questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr. Mais alors, que garderiez-vous du mandat? Vous dites que le mandat n’a jamais été assez précis. Quelle doit être la ligne de force de ce mandat pour que Radio-Canada s’en rapproche? Faut-il allouer un pourcentage du budget aux nouvelles locales? Devrait-on avoir des mandats aussi précis que cela?

M. Stursberg : Au Royaume-Uni, ils ont déterminé que la BBC aurait quatre chaînes importantes et que chaque chaîne aurait un mandat en particulier, dont un service de nouvelles. Tout cela est déterminé.

Effectivement, à ce moment-là, la BBC commence une conversation avec le gouvernement pour décider du financement nécessaire pour réaliser ces objectifs. En ce sens, s’il est possible de l’imaginer, on pourrait avoir un contrat; je ne dis pas que ce serait un contrat avec le gouvernement comme tel, mais un contrat entre la Chambre des communes et les partis, y compris les partis de l’opposition, et la CBC. On pourrait dire : « Voici ce que vous devez faire. » C’est limité et ce n’est pas tout pour tout le monde. On imagine alors des négociations entre la CBC et le gouvernement ou un comité de la Chambre, disons, pour décider combien d’argent est nécessaire pour le financer. Après, on signe un contrat.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai pris assez de temps. Je vous remercie pour l’excellent français que vous avez conservé.

M. Stursberg : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Merci à vous deux d’être là. C’est une conversation des plus intéressante.

Vous avez parlé des déserts d’information qui s’étendent pour laisser plus de place à la désinformation. Vous soulignez — et je pense que vous êtes tous les deux de cet avis — que les radiodiffuseurs du secteur privé connaissent des difficultés qui pourraient mener à leur disparition d’ici quelques années.

En même temps, le nombre de téléspectateurs de CBC/Radio-Canada diminue fortement, comme c’est le cas pour les autres diffuseurs. Un peu comme vous le disiez, j’envisagerais une société d’État qui se retrouverait davantage sur les plateformes qu’utilisent ses téléspectateurs pour diffuser une grande partie de son contenu sur les médias sociaux, et ce, de diverses façons. Vous pourrez me dire ce que vous en pensez.

L’idée d’une plateforme consacrée à l’information sur les médias sociaux est intéressante. Nous en avons parlé, et la question de savoir si les gens paieraient vraiment pour son contenu se pose. J’aimerais toutefois savoir où vous vous situez à l’égard de deux éléments particuliers. Il y a d’abord la question de la radiodiffusion locale qui, semblerait-il, ne cesse de perdre du terrain depuis quelques années. C’est ce que nous avons entendu, et j’aimerais bien que vous nous disiez ce que vous en pensez.

L’autre défi de taille est celui de la partialité. Je vous dirais que les Canadiens à l’esprit conservateur — et je ne parle pas seulement des adhérents au parti politique, mais aussi des gens qui, selon moi, peuvent être considérés comme étant plus ou moins modérés jusqu’à être libertaires — croient tous que CBC/Radio-Canada a un parti pris contre eux. Il est bien possible — et là j’extrapole — que ces gens-là estiment qu’il vaudrait mieux se passer de CBC/Radio-Canada, et ce, même si aucune autre entité ne prenait le relais. Peut-être pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet, en nous parlant également de la radiodiffusion locale dans ce contexte.

Mme Trynacity : Tout à fait. Merci pour votre question. La télévision locale de CBC/Radio-Canada a été saignée à blanc au fil des ans. Il n’y a rien à dire des efforts déployés par ceux et celles qui essaient jour après jour de présenter des bulletins de nouvelles locales à 18 heures et en fin de soirée. Ils font ce qu’ils peuvent pour monter quelque chose, ce qui les oblige notamment à glaner du contenu partout au pays et à reprendre des reportages diffusés dans « The National » ou au « Téléjournal » quelques minutes plus tôt ou la semaine précédente. Il leur est très difficile de maintenir une présence locale.

Il ne fait aucun doute que l’information locale est primordiale, surtout au titre des enjeux liés à la politique municipale. Nous savons que nos villes ont des budgets vraiment énormes. Comme le disait M. Stursberg, ce sont des questions très proches des gens, qu’il s’agisse du ramassage des ordures ou de la sécurité. Je pense que CBC/Radio-Canada s’est vraiment éloignée des reportages sur la vie municipale. Il est très important que l’on s’y remette et que l’on s’intéresse de plus près aux gens qui prennent ces décisions à l’échelon local.

Vous avez parlé de partialité et de méfiance. Je crois qu’il faut encore plus de transparence. Il est assez ironique de constater qu’à une époque où tout peut se retrouver en format numérique, nous avons encore besoin d’une plus grande transparence. Comment ces décisions sont-elles prises? Comment détermine‑t‑on quelles nouvelles seront diffusées? Qu’est-ce qui passe en premier? Qu’est-ce qui passe en second? Il faudrait que le public ait son mot à dire.

Lors d’une discussion sur la confiance, mes étudiants soulignaient l’autre jour qu’il n’y a plus de connexion personnelle avec ceux et celles qui présentent les bulletins de nouvelles. Auparavant, il existait un lien avec le chef d’antenne qui faisait partie en quelque sorte des célébrités locales. Aujourd’hui, si vous lisez un article en ligne, vous ne savez pas nécessairement par qui il a été écrit. Il peut y avoir une photo à la fin de l’article, ou pas.

Si vous favorisez l’établissement d’un lien plus personnel avec ces intervenants, qu’il s’agisse des journalistes ou de ceux et celles qui présentent les nouvelles, alors vous les exposez au harcèlement, aux railleries, à tous ces comportements dont nous ne pouvons que constater la montée en flèche. C’est une situation pénible autant pour les journalistes que pour les présentateurs de nouvelles qui sont nombreux à être touchés, même si certains sont épargnés. S’ils publient un article qui ne plaît pas à un certain groupe, il s’ensuit une avalanche de réactions négatives, ce qui ne manque pas d’avoir des répercussions. Lorsque j’étais dirigeante syndicale pendant la pandémie, j’ai vu les besoins en matière de santé mentale prendre de l’ampleur. C’était vraiment triste, et on fait maintenant le nécessaire à ce chapitre.

Si l’on veut intéresser les gens et créer un lien plus étroit, il faut trouver un moyen de le faire sans exposer ces travailleurs de l’information à tous les éléments susceptibles de les rendre victimes de harcèlement, avec tous les traumatismes qui risquent d’en découler. Je pense que le besoin d’informations locales est plus important aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. La politique municipale — pas tant dans les grandes villes que dans les petits centres — semble échapper à toute forme de contrôle. En l’absence d’un journal local ou d’un chroniqueur qui écrirait semaine après semaine dans un journal hebdomadaire — car ces ressources se sont également taries —, on n’apprend qu’après coup qu’un projet a été approuvé ou que nos taxes foncières vont augmenter. Les besoins sont énormes, et ce, d’abord et avant tout à l’échelon local.

Le sénateur Cardozo : Merci.

Le président : Vous n’avez plus de temps.

La sénatrice Clement : Comme j’en aurai pour très peu de temps, si vous voulez bien continuer, sénateur Cardozo.

Le président : La sénatrice Clément vous cède une partie de son temps de parole.

Le sénateur Cardozo : Je poserais la même question à M. Stursberg.

M. Stursberg : Je voudrais faire deux brèves remarques. La première est que Mme Trynacity a tout à fait raison. Toutes les études nous apprennent que deux choses se produisent lorsqu’une collectivité perd ses ressources en informations locales. Premièrement, la participation aux élections municipales diminue et, deuxièmement, la corruption augmente.

En ce qui concerne votre question plus générale sur la partialité, comme je le disais à votre collègue sénatrice tout à l’heure, je pense que la bonne façon de procéder est de mettre sur pied un groupe d’experts indépendants qui examinerait chaque année les nouvelles de CBC/Radio-Canada afin de déterminer si elles sont équitables ou biaisées, puis de rendre toute cette documentation publique, y compris les données collectées aux fins de cette analyse, comme nous l’avons fait il y a 10 ans.

Cela permettrait également de compter sur les bases nécessaires pour la tenue d’un débat cohérent sur la question de savoir si le traitement accordé à chacun est équitable ou non. À l’heure actuelle, on se contente trop souvent d’observations empiriques, car il n’y a pas d’examen systématique. J’estime pourtant qu’avec un tel examen CBC/Radio-Canada serait nettement mieux apte à accomplir un bon travail, notamment pour ce qui est de rassurer les gens sur le fait qu’ils ne sont pas traités injustement.

Le sénateur Cardozo : Ne pourrions-nous pas avoir des émissions telles que Face Off — ce qui nous ramène assez loin en arrière — avec Claire Hoy et Judy Rebick qui invitaient chacune un invité pour débattre des questions du jour?

M. Stursberg : Oui, bien sûr. Ce sont d’excellentes émissions. C’est assez intéressant. À un moment donné, j’ai essayé de faire entrer plus de gens de droite à CBC parce que je craignais qu’elle ne soit trop à gauche. Les gens me disaient : « Pourquoi irais-je rejoindre ce réseau communiste? » Je leur répondais : « Si vous ne voulez pas vous joindre à nous, comment allons-nous en arriver à un meilleur équilibre? »

Je pense que les émissions du genre sont excellentes, car il est bien certain qu’elles font connaître les différents points de vue en permettant aux gens d’échanger entre eux.

Le sénateur Cardozo : Nous aimerions bien conserver nos comédies et nos dramatiques, mais, si les gens ne regardent pas les émissions de divertissement, ne devrions-nous pas y renoncer?

M. Stursberg : Non. Si vous prenez les émissions que les gens regardent réellement à la télévision, ce sont en grande majorité des comédies et des dramatiques. Ces émissions sont...

Le sénateur Cardozo : Mais ce n’est pas nécessairement un contenu canadien.

M. Stursberg : Non, c’est précisément le problème. Vous avez parfaitement raison. Si vous voulez avoir une culture, je ne sais vraiment pas comment c’est possible sans des dramatiques et des comédies.

Le président : Je n’aime pas vous interrompre. Sénatrice Clement, ils ont pris beaucoup de votre temps, et il ne vous reste plus que quelques minutes. Il n’est pas toujours profitable de se montrer généreux.

La sénatrice Clement : J’en suis bien consciente. Nous avons des témoins si intelligents. Je vous remercie.

Madame Trynacity, en ce qui concerne les budgets municipaux, j’ai été mairesse de Cornwall. Le budget de cette ville de 48 000 habitants s’élève à plus de 200 millions de dollars. C’est plus que le budget du Sénat du Canada. Ces budgets sont énormes. Ils méritent qu’on s’y intéresse de plus près, et votre remarque est donc juste. Je suis heureuse que vous parliez de confiance avec les étudiants.

Je voulais revenir sur l’étude dont vous avez parlé, monsieur Stursberg, et que vous avez réalisée en 2008 ou 2009. Quel en a été le coût?

M. Stursberg : Je ne m’en souviens plus. Nous avons fait appel à cinq ou six experts internationaux. Deux ou trois d’entre eux étaient canadiens et un autre venait de la Hollande, mais j’ai oublié les détails.

La sénatrice Clement : Ce n’est pas un coût prohibitif, n’est-ce pas?

M. Stursberg : Non. En fin de compte, même si on dépense 300 000 $ à cette fin...

La sénatrice Clement : C’est toutes les quelques années.

M. Stursberg : En fait, je le ferais chaque année. C’est insignifiant par rapport à l’argent que vous dépensez pour les nouvelles. C’est insignifiant par rapport à la confiance que les gens accordent à ce qu’ils entendent. Je ne pense donc pas que la question budgétaire soit un problème. La question sous-jacente est de dépenser l’argent pour garantir que les gens puissent réellement savoir que les informations et le journalisme de CBC/Radio-Canada sont fiables.

La sénatrice Clement : Je vous remercie.

Le président : Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins d’être venus et de nous avoir fait profiter de leurs connaissances et leur temps. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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