LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 19 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Je m’appelle Leo Housakos, je suis sénateur du Québec et président de ce comité.
Je voudrais inviter mes collègues à se présenter brièvement.
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, sénateur de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le président : Nous accueillons également le sénateur Clément Gignac, du Québec, qui vient de se joindre à nous.
[Français]
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les services locaux et régionaux de CBC/Radio-Canada.
[Traduction]
Nous accueillons ce matin, par vidéoconférence, David Clinton, éditeur de The Audit, et Sue Gardner, ancienne dirigeante de CBC, qui est ici avec nous.
Bienvenue et merci à vous deux de votre présence.
Nous entendrons d’abord les déclarations préliminaires de cinq minutes chacune, puis nous passerons à une période de questions. Nous commencerons par M. Clinton. Monsieur, vous avez la parole.
David Clinton, éditeur, The Audit : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis honoré de pouvoir m’adresser aux sénateurs.
Je suis l’éditeur de The Audit, une publication qui doit sa renommée à l’analyse de politiques en fonction des données publiques provenant surtout du gouvernement fédéral. À ce titre, avant cette audience, j’ai relevé quelques points dont je voudrais vous toucher un mot au sujet du marché ontarien de l’industrie de la radiodiffusion à l’échelle locale.
Plus précisément, j’ai examiné les données du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, sur les marchés de radiodiffusion locaux de 2011 à 2024. J’ai constaté que la région du Grand Toronto se porte bien et on y retrouve aujourd’hui au moins autant de propriétés médias qu’il y en avait en 2011. À l’extérieur de la région, il y a eu une baisse de 25 % du nombre de ces propriétés, ce qui laisse entendre que certaines entreprises ont fermé leurs portes. Je ne parle pas des journaux, mais de la radio et de la télévision. Je pense qu’il s’agit seulement de la télévision traditionnelle.
Curieusement, je n’ai pas l’impression qu’il s’agit d’une crise. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les entreprises qui ont été perdues, certes, mais je pense que ça s’inscrit dans l’évolution naturelle de l’industrie. Pour vous donner un peu de contexte, il y a d’autres données tirées des faits saillants que le CRTC publie annuellement sur le secteur de la radiodiffusion, qui donnent à penser qu’entre 2015 et probablement 2023, le taux composé annuel de diminution de l’écoute radiophonique est de 4,8 %. Cela signifie que, chaque année depuis huit ou neuf ans, l’auditoire de la radio traditionnelle au Canada a chuté de 4,8 %. C’est une baisse catastrophique. C’est le précipice. Il va de soi que si la situation s’aggrave, il ne restera presque plus rien de son auditoire.
Le corollaire — comme nous le savons tous —, c’est qu’Internet a accaparé une grande partie du marché de l’information et du divertissement. Selon la même source de données du CRTC, les taux d’augmentation de l’utilisation des propriétés numériques — c’est-à-dire la diffusion en continu sur Internet d’un type ou d’un autre — dans le secteur de l’audio sont de 9,3 %. Cela veut dire qu’il y a beaucoup plus de gens qui syntonisent Internet au lieu de la radio traditionnelle.
En ce qui concerne CBC en particulier, son problème — et il ne s’agit pas de critiquer la société, car ce n’est peut-être pas de sa faute — c’est qu’elle perd, je présume, 4,8 % de son auditoire radiophonique chaque année, et qu’elle ne se rattrape pas en offrant des émissions sur Internet. Par exemple, dans le classement Spotify des 200 meilleurs balados au Canada, CBC n’en a que quatre. J’insiste sur le fait que ce n’est peut-être pas de sa faute. Ce n’est pas son principal souci. L’ennui c’est qu’elle ne récoltera rien des 9,3 % d’auditeurs qui l’abandonnent en faveur d’Internet chaque année.
De la même façon, dans le domaine de la télévision, les données du CRTC montrent qu’entre 2014 et aujourd’hui — je vais m’assurer de ne pas me tromper; je veux citer ces chiffres correctement : « [...] Le nombre d’heures d’écoute hebdomadaire de CBC en langue anglaise est passé de 35 à 20 millions. » Les gens regardent CBC beaucoup moins qu’avant. Ce n’est peut-être pas la faute de la société, mais le degré de consommation n’est pas à la hauteur de ses attentes. Son propre rapport annuel le plus récent nous apprend que la part d’écoute des actualités de CBC est de 2 %; c’est-à-dire que seuls 2 % des gens qui prennent leurs nouvelles à la télé regardent une chaîne de CBC. C’est à l’échelle du Canada et, plus précisément, en anglais, je crois.
La consommation de CBC est à la baisse sur tous les fronts à ce que j’ai pu constater. Plus précisément, en ce qui concerne la question de la programmation locale — je me suis intéressé aux audiences précédentes de cette étude, et je sais qu’on a beaucoup parlé du sous-financement de la programmation locale. C’est possible dans le contexte général du financement de CBC. Je ne saurais trop vous dire parce que les données fournies par la société et le CRTC au sujet de leurs dépenses ne sont pas bien ventilées pour les postes locaux et nationaux. Tout ce que je connais, c’est la situation dans son ensemble. Je sais, par exemple, qu’entre l’anglais et le français, CBC consacre 195 millions de dollars par année à la production d’émissions dramatiques et de comédies. Tout cela a une envergure nationale, j’imagine; ce n’est pas local. La société dépense 207 millions de dollars pour la production de nouvelles et 237 millions pour la production radiophonique. Ce sont là ses plus grosses dépenses. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est local ou national.
Cependant, s’il y avait un manque de financement au niveau local — au niveau de la collecte de nouvelles, par exemple —, j’imagine qu’il y a toute la latitude qu’il faut dans le budget pour pouvoir retirer une partie de la programmation nationale qui n’a pas beaucoup d’adeptes. Comme on l’a mentionné à juste titre lors d’une audience précédente, le Parlement n’a pas le droit de dire à CBC comment dépenser ses fonds. C’est un organisme indépendant, certes, mais la société pourrait prendre cela en délibéré elle-même, ou encore le Parlement pourrait modifier la Loi sur la radiodiffusion pour faire connaître son point de vue. Dans l’état actuel des choses, il me semble que CBC est moins consommée qu’elle le voudrait. C’est une ressource qui n’a pas autant d’impact qu’elle le voudrait, et le financement ne cesse d’augmenter tout en étant peut-être mal réparti.
Merci. Voilà pour mes propos liminaires.
Le président : Merci, monsieur Clinton. Je cède maintenant la parole à Mme Gardner. Vous avez la parole.
Sue Gardner, ancienne dirigeante de CBC, à titre personnel : Bonjour. Merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui.
Je m’appelle Sue Gardner. J’ai travaillé aux services anglais de CBC pendant 17 ans. J’ai commencé comme stagiaire à l’émission As It Happens; j’ai travaillé à la radio et à la télévision, puis sur Internet. En 2000, je suis passée à Internet, et mon dernier poste à CBC était celui de directrice du site CBC.ca. Je suis partie en 2007 pour déménager à San Francisco pour diriger la Wikimedia Foundation, l’organisme sans but lucratif qui exploite Wikipedia.
J’ai passé les 25 dernières années de ma carrière à travailler dans le domaine d’Internet. Je fabrique des produits et des services numériques et je revendique un Internet libre et ouvert qui fonctionne dans l’intérêt public. Je ne gagne pas d’argent de CBC ces jours-ci, et je n’ai aucun intérêt personnel là-dedans. L’avenir de la société ne me touche pas personnellement. Ce que j’apporte à la table, c’est mon expérience et mes propres opinions.
Je vais commencer par reconnaître que CBC est en difficulté. Comme nous venons de l’entendre, et comme nous le savons tous, les gens utilisent ses produits et ses services moins qu’auparavant. Ils lui font moins confiance qu’autrefois, et ils sont plus susceptibles de penser qu’elle est tendancieuse. La société n’est pas aussi présente, aussi centrale et n’a pas autant de pouvoir et d’influence au Canada que ce qu’elle avait il y a 20 ans.
Je crois qu’une bonne partie de tout cela n’est pas la faute de CBC/Radio-Canada. Ce serait plutôt attribuable à 34 ans de compressions financières que Pierre Trudeau a commencées en 1978 et qui se sont poursuivies jusqu’en 2012 avec Stephen Harper. On ne peut pas couper des centaines et des centaines de millions de dollars du budget d’une organisation sans que ce soit aux dépens de la qualité.
L’autre facteur important est, bien sûr, l’avènement d’Internet, qui a eu un effet révolutionnaire sur les communications et sur le paysage, et qui a détrôné les anciens titulaires des médias. Donc, en fin de compte, nous avons échangé CBC contre YouTube, Netflix et Elon Musk.
Le déclin de CBC est un problème, et la raison en est que la société a un travail à faire dans ce pays, et qu’elle ne peut pas s’acquitter de la tâche si les gens ne l’utilisent pas et ne l’aiment pas.
Beaucoup de gens sont passés par ici pour dire — presque à l’unanimité, je crois — que CBC/Radio-Canada devrait investir dans les services locaux; les services locaux sont importants. Je suis instinctivement d’accord avec cela, et c’est parce que je pense que le fait d’être présent au niveau local est la voie vers une confiance et une proximité accrues entre CBC et les gens qu’elle a le mandat de servir.
Mais je tiens aussi à vous exhorter à la prudence. La raison en est que tout le monde y va allègrement s’il s’agit d’ajouter quelque chose à la liste de tâches de CBC, mais personne ne veut jamais supprimer quoi que ce soit, de sorte que la société étouffe sous des mandats non financés. C’est le cas depuis des décennies. Autrement dit, si on veut insister pour qu’elle fasse davantage, il faudra soit lui donner plus d’argent, ce qui, nous le savons tous, ne se produira pas, soit la laisser supprimer ce qu’il faut. Sinon, elle sera trop limitée et finira par tout mal faire sans qu’on puisse lui exiger des responsabilités, car tout le monde sait que son travail est impossible dans ces conditions.
Comme nous manquons de temps, je vais passer rapidement en revue mon plan en trois points pour CBC. parce que, comme tous les Canadiens, je crois que nous avons l’obligation d’avoir ce genre de plan.
Premièrement, je veux ajouter ma voix à celle des gens qui affirment que la société doit renoncer à des revenus commerciaux. Il est tout à fait compréhensible que CBC ait choisi cette voie — et j’en sais quelque chose puisque c’est moi qui ai introduit la publicité sur CBC.ca et j’étais vraiment plongée là-dedans. Mais cela empêche la société de remplir sa mission de service public. Ce n’est pas bon pour elle, et il est temps qu’elle s’en défasse.
Deuxièmement, CBC doit réinvestir dans les émissions de nouvelles et d’information locales. Mais je tiens à dire, et c’est important, que tout nouvel accent placé sur la programmation locale doit être transmis au moyen des services numériques, et non sur la radio et la télévision traditionnelles. L’argent et l’énergie doivent passer des services où les auditoires sont en baisse à ceux où les auditoires sont en croissance, surtout lorsque la taille du camembert financier est fixe.
Troisièmement, il y a la question des gens et de la culture. CBC a été traumatisée par 34 années de compressions importantes, et ce traumatisme fait maintenant partie de sa culture. Elle se considère comme un organisme assiégé et sur la défensive. Ce n’est pas approprié pour une organisation qui reçoit 1,4 milliard de dollars de fonds publics chaque année. CBC doit donc se doter d’une vision et d’une culture qui ne sont pas au centre de ses craintes, de ses traumatismes et de son passé, mais plutôt comprendre qu’il s’agit d’un service public qui travaille pour les gens de ce pays.
Merci beaucoup. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Gardner. Ma première question, qui s’adresse à vous deux, est une question très générale, et je crois que vous l’avez soulevée dans votre déclaration préliminaire également, à savoir qu’il y a une crise existentielle dans l’ensemble de la radiodiffusion traditionnelle. Hier, j’essayais d’obtenir un match de hockey à la télévision — les Canadiens de Montréal contre les Oilers d’Edmonton — et je n’ai pu le trouver sur aucune chaîne. Je me suis tourné vers mon fils, qui est le grand spécialiste pour ce genre de choses — les Canadiens de Montréal, oui — et il m’a dit : « Papa, ils essaient quelque chose de nouveau. Ils passent la partie en continu je ne sais trop où. » Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire au juste par en continu. Ainsi, CBC s’était arrangée pour bâcler les choses et perdre le contrat de Hockey Night in Canada, qui était une véritable religion au pays. Or, il paraît que Rogers va se retirer de ce secteur dans très peu de temps. Je vois que la NFL, la ligue nationale de football, fait des choses semblables, selon mon fils, qui ne regarde plus la télé et qui se moque de moi tous les soirs lorsque j’allume le téléviseur.
Comment pouvons-nous surmonter cette énorme crise existentielle avec toute une génération de gens qui ont abandonné la radiodiffusion traditionnelle? Je sais que ce n’est pas une question facile.
M. Clinton : Merci. Je dirais que ce n’est pas nécessairement une crise. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une évolution naturelle du marché de consommation. Pour le meilleur ou pour le pire, Internet est l’éléphant dans chaque pièce. Il domine tous les médias, et c’est un mécanisme de prestation, un volet de prestation qui est plus persuasif sur le plan économique. L’argument économique en faveur de la diffusion en continu sur Internet est beaucoup plus convaincant que tout ce que la radiodiffusion traditionnelle peut offrir. C’est là que les gens en sont maintenant. Je ne suis pas certain que cela perturbe beaucoup de gens, leur carrière et leur industrie, et il ne s’agit surtout pas de le prendre à la légère, mais ce n’est pas nécessairement quelque chose que nous pouvons combattre. Si c’est là où en sont les gens, je vois mal comment nous pourrons remporter cette bataille si nous essayons de leur dire qu’ils ne devraient pas être là où ils veulent être.
Hockey Night in Canada en est un exemple. J’ai grandi avec. Je viens de Toronto, alors cela aurait fait de moi un partisan des Leafs s’ils avaient fait quelque chose de moindrement épatant au cours des 60 dernières années, mais ça c’est une autre histoire.
Si c’est là où les gens en sont maintenant, je ne vois pas pourquoi nous devrions vouloir nous y opposer. Nous devrions réorienter nos énergies vers Internet, où se trouve l’auditoire.
Mme Gardner : Je suis tout à fait d’accord avec M. Clinton. Je dirais, premièrement, que je ne suis pas certaine que ce soit un problème, et si ça l’est, peu importe, parce qu’on ne peut pas rebrousser chemin de toute façon. Nous allons dans la bonne direction. Mais je ne dis pas qu’il n’y a pas d’inconvénients. Je pense que ce que vous avez mentionné est l’un des grands inconvénients... que nous avions un paysage médiatique où il y avait de grandes expériences communes auxquelles tout le monde participait. Hockey Night in Canada était l’une d’elles. Les Jeux olympiques en étaient une autre. Les soirées d’élection aussi. Il y a eu des moments phares comme la finale de Seinfeld, ou que sais-je encore. Nous n’en avons plus autant parce que tout s’est fragmenté et décentralisé.
Il y a de très bons aspects à cela. Je n’aime pas le hockey. Désolée, mais ce n’est pas mon truc. Donc, pour moi, c’est vraiment formidable d’avoir autre chose à faire que de regarder le match. L’ennui, c’est que nous n’avons plus ces expériences communes, ce sentiment de communion entre les uns et les autres qui est justement l’une des raisons pour lesquelles CBC a été créée. La société elle-même a de la difficulté à imaginer comment refléter les histoires du pays, comment expliquer les avatars d’une région à une autre, etc., s’il n’y a pas un auditoire aussi vaste qu’auparavant? Mais c’est une question à laquelle elle doit répondre, car c’est ainsi que le monde évolue.
Le président : Ma dernière question porte sur ce que vous avez dit au sujet des compressions de longue durée qui ont touché l’organisation. Depuis 2015, il y a eu une injection énorme de fonds publics. Ils sont passés de 950 millions de dollars en 2015 à plus de 1,4 milliard. Il semble qu’au cours des neuf dernières années, malgré cette injection massive de fonds, les cotes d’écoute ont baissé, la publicité rapporte de moins en moins et les compressions ne font que continuer. Plus ils reçoivent d’argent, plus ils réduisent les services de leur propre chef. Comment expliquer cela au contribuable?
Mme Gardner : Je pense que c’est compréhensible. C’est en partie ce dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire l’aspect culturel qui est arrivé à CBC, qui se considère comme assiégée et comme n’ayant jamais assez d’argent. C’est en partie une question de culture, un traumatisme intergénérationnel. Les gens qui travaillent à CBC/Radio-Canada aujourd’hui sans avoir vécu les compressions personnellement se considèrent toujours comme étant limités dans ce qu’ils peuvent faire, surtout financièrement parlant. CBC/Radio-Canada ne se voit pas comme un organisme, une société optimiste qui envisage l’avenir avec clairvoyance et une soif d’expansion.
J’ajouterais que cela fait partie du mandat, parce que lorsque ces compressions ont eu lieu, CBC n’a renoncé à rien. Son fardeau s’est donc alourdi puisqu’elle doit faire 36 000 choses et faire plaisir à tout le monde. J’étais là lorsque Internet est venu s’ajouter à la donne. Cela ne s’est pas fait avec plus d’argent. Des dizaines de plateformes, des tas d’autres émissions que nous voulions pouvoir faire, toute une série de nouvelles en ligne, des balados, toutes sortes de choses, CBC Gem à présent — tout cela vient s’ajouter à ce que la société a toujours été tenue de faire.
Surtout dans le contexte médiatique d’aujourd’hui, je ne pense pas que beaucoup de gens trouvent qu’il faut investir plus dans CBC/Radio Canada, que la société devrait recevoir plus d’argent pour faire son travail. Cependant, il y a des gens — et je suis de ceux-là — qui pensent que si la société renonçait à certaines choses, elle serait mieux en mesure de faire preuve d’excellence dans ce qu’elle fait.
Le président : Monsieur Clinton, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Clinton : Tout d’abord, on ne saurait résumer la chose à l’affectation de 1,4 milliard de dollars dont nous parlons. Le financement de CBC a connu des hauts et des bas au fil des ans, mais il ne s’agit pas seulement de l’allocation parlementaire. J’ai découvert récemment que le Fonds des médias du Canada, ou FMC, qui est un programme fédéral de subventions à la production médiatique — la façon dont ça fonctionne, c’est qu’il y a des producteurs de médias individuels qui soumettent des demandes, et si leurs demandes sont acceptées, alors le Fonds des médias du Canada leur fournit du financement, mais il s’agira d’une enveloppe ponctuelle. Pour chaque maison de production, l’argent vient d’une enveloppe particulière. L’enveloppe de CBC pour l’exercice 2023-2024 s’élevait à 97 millions de dollars. En fait, le gouvernement fédéral lui a accordé 97 millions de plus, en sus de l’allocation parlementaire. Ce n’est pas la seule fois; je suis sûr qu’il y en a d’autres. Tout cela est légal, et c’est ce que le gouvernement du Canada fait ouvertement, sans se cacher.
Cependant, pour ce qui est des niveaux de financement, je suis d’avis que l’argent ne règle pas tous les problèmes. Ça peut certainement être extrêmement utile dans certains contextes, mais pour quelque raison que ce soit, il y a de grands problèmes systémiques et certains problèmes externes qu’un financement accru ne saurait résoudre. J’ai évoqué un exemple dans mes écrits récents sur les soins de santé au Canada. Si les transferts fédéraux aux provinces pour les soins de santé étaient doublés demain, j’hésite à croire que les problèmes seraient réglés. Je ne pense pas qu’on trouvera deux fois plus de médecins pour fournir des services primaires aux familles. À ce que sache, quatre millions de personnes n’ont pas de fournisseurs de soins de santé primaires, et je ne les vois pas y avoir accès subitement. Il y a des problèmes systémiques qui sont probablement plus critiques pour résoudre ce problème. Quant à CBC/Radio-Canada, malgré toute la bonne volonté et le travail acharné de ses gens, je ne suis pas persuadé qu’elle sera en mesure de régler bon nombre des problèmes que nous ajoutons à son fardeau.
Le président : Merci, monsieur. J’ai largement laissé dépasser le temps.
La sénatrice Simons : Madame Gardner, je me demande si les gens à l’extérieur de Toronto et de Montréal comprennent l’importance de CBC.ca pour la couverture des nouvelles locales. Quand je pense à l’environnement de l’information dans ma ville, Edmonton, où l’Edmonton Journal, qui est le principal journal télévisé quotidien, a mis fin à ses activités, bon nombre de ces gens ont opté pour CBC. Ça ne se passe ni à la télé ni à la radio. Il s’agit de bulletins de nouvelles qui sont produits en ligne et qui sont pratiquement la publication officielle de la collectivité.
C’est la même chose à Calgary, à Saskatoon, à Regina et ailleurs. Ce qui me préoccupe un peu, puisque je viens de la presse écrite, c’est que ces sites se font concurrence pour obtenir des fonds publicitaires ainsi que des talents. À mesure que CBC devient le quotidien officiel dans de nombreuses villes canadiennes de taille moyenne, comment pouvons-nous veiller à ce qu’elle le fasse sans détruire les vestiges de la culture imprimée?
Mme Gardner : C’est une excellente question. Quel est le rôle de CBC par rapport à la communauté journalistique locale? Ça me fait chaud au cœur de vous entendre dire cela au sujet des services locaux, car j’étais là lorsque nous avons commencé. Nous avions 12 journalistes dans tout le pays, la plupart se consacrant à l’adaptation des nouvelles à la radio et à la télévision à l’époque. De toute évidence, cet effectif a énormément augmenté depuis. C’est un peu comme pour BBC, par exemple, qui a établi d’importants partenariats au niveau local, où elle assure la coordination avec les journaux et où elle engage parfois des gens et des postes en commun.
J’ai réfléchi au fait que Canada Village Media est un organisme qui prend de l’expansion à l’échelle locale. Je ne sais pas combien il a de sites, peut-être 25 ou 30. Je verrais bien CBC/Radio-Canada s’associer à une ou à plusieurs organisations de la sorte. On a parlé de l’idée — et je pense que c’est une idée intéressante — que CBC/Radio-Canada puisse librement octroyer des licences pour la diffusion de ses actualités par d’autres organismes. Je pense que c’est logique pour une organisation comme CBC/Radio-Canada. Ce qu’elle crée a été payé par les Canadiens et devrait donc appartenir au pays et être utilisé par les gens comme bon leur semble.
Je pense aussi que CBC peut et doit servir de terrain de formation pour les journalistes. Elle envoyait des gens en région au début de leur carrière pour être formés. C’est ce qui m’est arrivé. C’est ce que nous avons tous fait. C’est la plus importante ressource journalistique au pays, et elle a donc toute l’expertise et la capacité voulues pour former, encadrer et soutenir les talents. J’aimerais la voir fonctionner comme un partenaire au niveau local pour d’autres organisations journalistiques. Il faut aussi avoir une concurrence amicale, mais comme partenaire plutôt que comme concurrent.
Et, pour conclure, oui, il s’agit de renoncer à la publicité — notamment parce que dans un écosystème hyper sain qui nage dans l’argent, il serait peut-être logique que CBC soit de la partie, mais dans un écosystème où les dollars publicitaires d’autrefois ne sont plus que des clopinettes, il n’est pas logique que la société fasse concurrence à des organisations locales qui ont des ressources tellement limitées.
La sénatrice Simons : Monsieur Clinton, vous avez mentionné que CBC ne s’en tire pas bien dans le classement Spotify. J’écoute l’audio de la CBC en ligne tout le temps, mais je n’utilise jamais Spotify parce que je peux le télécharger directement.
Il fut un temps — ce sont mes histoires de guerre — où je travaillais comme productrice à l’émission Ideas de la CBC, où j’étais la plus jeune de l’équipe. Je me souviens d’avoir proposé à l’époque que nous prenions nos documentaires les plus populaires et que nous les mettions sur CD pour les vendre à la boutique de souvenirs de la CBC. C’est avant Internet. Les producteurs seniors ont été horrifiés de voir cette gamine de l’Ouest proposer une idée commerciale aussi farfelue, et l’un d’entre eux m’a dit : « Ideas est une émission sur rendez-vous. Les gens s’assoient à 9 heures pile et écoutent. Nous ne nous rabaisserons jamais à vendre nos produits. » Aujourd’hui, la CBC n’a pas seulement des balados sur des sujets concrets, mais aussi des enregistrements de ses émissions en ligne. Je ne sais pas à quel point ils sont acclamés, mais c’est certainement ainsi que je suis la CBC surtout ces jours-ci, en promenant mon chien, en écoutant mon téléphone. On peut supposer que la société se renseigne sur le niveau d’écoute. Madame Gardner, cela fait longtemps que vous n’y avez pas travaillé, mais avez-vous une idée de la façon dont la transition vers l’audio en ligne a fonctionné pour la CBC?
Mme Gardner : Je sais que les producteurs de Ideas tiennent à ce que son contenu soit diffusé. Greg Kelly s’y investit à fond.
La sénatrice Simons : Ils ont un excellent balado. Je l’écoute tout le temps maintenant.
Mme Gardner : Ils ont aussi des transcriptions qui remontent à un millier d’années, alors il y a de nombreuses façons d’interagir. Je ne sais pas à quel point l’émission est populaire de nos jours. Je n’ai pas vu les données. Bien sûr, c’est ainsi que les gens obtiennent leurs nouvelles, et il y a des façons aussi nombreuses que diverses d’obtenir des balados. On peut les télécharger à partir du site Web de la CBC ou à l’aide d’Apple ou d’un autre système. Je suis certaine qu’ils suivent tout cela, mais je ne connais pas les chiffres.
La sénatrice Simons : Monsieur Clinton, à part les données de Spotify, que je ne trouve pas très révélatrices, avez-vous ces chiffres?
M. Clinton : Comme je l’ai déjà dit, les chiffres globaux absolus d’écoute à la radio que donne le CRTC — pas seulement pour CBC/Radio-Canada, mais pour l’ensemble de la radio traditionnelle — nous disent que l’écoute est en chute libre. Vous n’êtes pas les seuls à écouter CBC/Radio-Canada directement sur Internet, mais vous êtes de moins en moins nombreux. Je ne suis pas vraiment représentatif, mais je ne possède même pas de télévision ou de radio. Je suppose qu’il y en a une dans ma voiture, mais je ne suis jamais dans ma voiture. Les médias que je consomme — et ils sont nombreux — proviennent toujours d’Internet. Tout le monde a ses propres préférences, et c’est parfait, à en croire les données du CRTC, il est manifeste que la tendance est à l’abandon de la radio et de la télévision traditionnelles au profit d’Internet. Je ne vois rien à l’horizon qui puisse arrêter cela.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à vous deux.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : En commençant, je dois dire que j’ai été longtemps employée de Radio-Canada. J’ai aussi travaillé avec la CBC à plusieurs moments.
Madame Gardner, je vous ai entendue dire avec une certaine surprise que oui, c’est vrai que la CBC est dans le trouble et qu’on perçoit cette dernière comme ayant des biais. Peu de gens l’écoutent. Vous avez conclu en disant ces quelques mots :
[Traduction]
« ... en gros, ce n’est pas la faute de CBC. »
[Français]
Évidemment, je ne peux faire autrement que de faire des liens avec Radio-Canada, qui a subi les mêmes coupes et sans doute des coupes encore plus considérables, parce que, comme vous le savez, les pourcentages sont tels que cela a probablement un impact plus important. Pourtant, Radio-Canada s’en tire. Ces budgets que vous dites amputés restent quand même beaucoup plus élevés que ce que la concurrence investit souvent dans des émissions d’affaires publiques, dans des émissions léchées. J’ai donc de la difficulté à réconcilier votre constat avec la réalité canadienne.
Bien sûr, il y a une question de langue, mais au-delà de cela, CBC pourrait choisir ce qu’elle fait et ce qu’elle fait mieux. Si elle fait des balados, comme le disait M. Clinton, et que seulement 2 % des balados de la CBC sont écoutés, il y a un problème. C’est vrai qu’on ne peut pas tout faire. Essayez de réconcilier cela, parce que je crois beaucoup à la télévision et à la radio publiques — je pense que c’est très important —, mais je crois également que dire que rien de ce qui arrive à la CBC n’est de sa faute ou ne tient à ses propres choix est un peu radical.
[Traduction]
Mme Gardner : Si je vous ai donné l’impression — ce que j’ai clairement fait — que j’estimais que CBC/Radio-Canada n’avait pas d’agentivité, qu’elle ne jouait aucun rôle et qu’elle n’était pas maîtresse de sa propre voie, ce n’était pas mon intention. J’essayais de dire qu’il y a deux grands facteurs externes, soit le financement et l’avènement d’Internet. Ce sont eux qui ont fait la plus grande différence en ce qui concerne la place que CBC occupe dans le paysage culturel du pays.
Je comprends ce que vous dites au sujet de Radio-Canada. Je ne peux pas en parler, mais je comprends que...
La sénatrice Miville-Dechêne : Les cotes d’écoute sont bien meilleures.
Mme Gardner : Oui, je le sais. D’après ce que je comprends, c’est en raison du contexte particulier dans lequel il s’inscrit. C’est la langue, et l’environnement concurrentiel est quelque peu différent. Je pense que Radio-Canada, a une relation différente avec les francophones au Canada que CBC avec les anglophones. Il y a probablement beaucoup de facteurs qui contribuent à cela, dont certains relèvent de son pouvoir de contrôle, et d’autres non.
Mais je ne voulais pas dire que la CBC n’est pas responsable de la situation dans laquelle elle se trouve. Oui, mais des forces extérieures interviennent également.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez travaillé longtemps à CBC. N’est-il pas difficile de passer à des méthodes moins coûteuses? Je parle de Toronto et de Montréal, qui sont les sièges sociaux et qui travaillent d’une certaine façon, avec beaucoup de ressources, par rapport à ce qu’ils distribuent aux régions, qui sont beaucoup plus agiles, par exemple, pour la révision, la production de rapports — beaucoup de choses. N’y a-t-il pas une lenteur de passer de la télévision et à une radio plus agiles?
Mme Gardner : Je pense qu’il y aura un manque inhérent d’agilité dans toute organisation de la taille de CBC et de sa complexité avec les nombreux intervenants et les divers joueurs concernés.
J’ai vécu une expérience que j’ai trouvée surprenante il y a environ 18 mois, je crois. La CBC m’a appelée. Ils ont fait une entrevue préalable avec moi pour une de leurs productions, mais il a fallu changer l’heure prévue pour l’entrevue sous prétexte de devoir réserver la « salle Zoom ». J’ai trouvé cela tellement étrange — un monde dans lequel Zoom est une salle spéciale dans l’organisation qu’il faut réserver à l’avance. Cela ne me semble ni pratique ni flexible. On n’a pas l’impression que l’organisation évolue rapidement par rapport aux autres.
Il y a de vraies raisons à cela. Je n’aime pas me moquer de la CBC pour ce genre de choses, parce qu’il y a de vraies raisons et des facteurs contributifs. Mais il est très difficile pour eux de réagir. C’est un défi parce que l’une des choses qui se sont produites dans le paysage médiatique, c’est que certaines choses coûtent beaucoup moins cher qu’avant. Le véritable argument en faveur d’Internet, c’est que c’est là où se trouvent les gens, mais un autre aspect intéressant, c’est qu’il coûte beaucoup moins cher. Les gens comprennent maintenant beaucoup mieux à quoi ressemble la qualité professionnelle de la diffusion. La technologie permet aussi de faire beaucoup plus avec beaucoup moins. Il est probable que CBC n’en profite pas pleinement pour de nombreuses raisons.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Clinton?
M. Clinton : J’aimerais revenir sur une chose que vous avez dite tout à l’heure, et avec laquelle je suis tout à fait d’accord, à savoir que CBC/Radio-Canada devrait et pourrait peut-être prendre du recul et examiner tout ce qu’elle fait et décider de se concentrer sur ce qu’elle fait bien et ce qui réussit. Certaines parties du mandat de la Loi sur la radiodiffusion de CBC/Radio-Canada sont très anciennes — 30 ou 40 ans, je n’en suis pas certain exactement — et les choses changent. Les grandes entreprises et les organisations ne changent pas aussi rapidement, comme vous l’avez dit.
Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’une solution à bon nombre des problèmes dont nous discutons pourrait être la rationalisation, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il faut faire des compressions, mais plutôt qu’il faut réévaluer ce qui est bien fait et se concentrer uniquement sur cela et sur les plateformes où la société réussit bien. Je suis donc tout à fait d’accord.
Un autre petit point secondaire, c’est de savoir si les choses peuvent être faites de façon plus efficiente et plus rentable maintenant que nous avons Internet. Absolument, à 100 %.
Ce que je fais, c’est prendre des données publiques et utiliser des outils d’analyse de données pour créer des histoires, c’est quelque chose qu’une équipe de journalistes aurait peut-être fait à un autre moment, et on aurait peut-être insisté pour qu’elle le fasse.
Et je ne suis pas le seul à le faire. Ce modèle n’est pas le mien; je ne l’ai pas inventé. Il y a un organisme à Toronto qui s’appelle City Hall Watcher. Ils ont un site Substack très populaire avec 8 000 abonnés, je vois. Pour autant que je sache — je n’ai aucun contact avec eux à l’intérieur —, ils utilisent des données internes produites par Toronto. Par souci de transparence, ils rendent une grande partie de leurs données accessibles gratuitement. Ils créent une excellente image distillée de tout ce que fait l’hôtel de ville de Toronto. Le conseil municipal de Toronto a un budget plus important que celui de nombreux autres pays. C’est une organisation énorme. Le City Hall Watcher le rend compréhensible. Il met les choses en contexte, et on a l’impression de ne manquer aucune nouvelle touchant l’hôtel de ville. Il offre un excellent résumé et il suffit de 15 minutes par semaine pour demeurer au courant.
Tous ceux qui aiment les données — Statistique Canada est tellement ancré dans mon navigateur que je n’ai pas besoin d’un signet; mon système va tout naturellement sur le site Web de Statistique Canada — peuvent créer des interfaces avec la vie publique, avec le gouvernement et avec d’autres choses qui se passent dans le monde, et ce de façon très peu coûteuse et très efficace.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le président : Madame Gardner, il vous reste 30 secondes, car le temps de parole de la sénatrice est écoulé.
Mme Gardner : Je vais parler rapidement, simplement pour dire que, oui, CBC devrait retirer certaines choses de la table, quitte à reconnaître qu’elle n’est pas le maître de son propre navire. Elle doit compter sur le CRTC, Patrimoine canadien, le Parlement, le Conseil du Trésor, les syndicats et son propre conseil d’administration. Je pense que vous devez reconnaître cette complexité lorsque vous songez à lui faire renoncer à certaines choses pour se concentrer sur ce qu’elle peut faire de bien.
Le président : Merci.
Je peux dire, cependant, que lorsqu’il est question du CRTC et de Patrimoine canadien devant ce comité, ils semblent penser qu’ils n’ont aucune influence sur CBC/Radio-Canada. Vous n’avez qu’à écouter les témoignages.
Le sénateur Quinn : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Je suis d’accord avec le président lorsqu’il dit qu’il est frustrant de ne pas pouvoir regarder un match de hockey, et je suis amateur moi-même. Au grand dam d’au moins un de mes collègues dans cette salle, le résultat a été le bon.
De toute façon, je n’ai jamais travaillé pour CBC ni aucun média. Je ne suis qu’un gros consommateur de choses.
Le président : Vous êtes minoritaire.
Le sénateur Quinn : Je suis minoritaire. Je dois admettre que pour connaître le résultat du match de hockey d’hier soir, si on manque les cinq minutes de sport diffusées le matin à 6 h 55, il n’y aura plus un traître mot sur les sports de toute la journée à la radio de CBC, dont je suis un gros consommateur.
Quoi qu’il en soit, ma question porte sur la Loi sur la radiodiffusion. Si j’ai bien compris, il y a sept mandats, sept choses que CBC est censée faire. L’une d’elles consiste à « refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions ». Je viens du Nouveau-Brunswick. Quand on regarde la distribution du budget de CBC, on nous dit que 84 % vont au Québec et en Ontario et 16 % au reste du Canada. La plus grande partie de cet argent va à la télévision. Un peu à la radio. Il semble que la société ait perdu le contrôle de la promotion des aspects régionaux de ses activités.
Soit dit en passant, je suis d’accord avec ce que vous avez dit au sujet des sources de revenus commerciaux. Je pense que c’est probablement ce qui explique en grande partie la situation sur le grand marché.
Si CBC doit survivre, envisage-t-on de procéder à un examen fondamental de la Loi sur la radiodiffusion et de son mandat et d’imposer un changement de culture? Une de mes collègues a parlé de culture. Ce changement de culture doit-il être imposé par le gouvernement? Si le gouvernement doit être le principal bailleur de fonds, ne devrait-il pas avoir son mot à dire sur la façon dont cet organisme doit changer pour servir les Canadiens, surtout dans les régions où c’est parfois la seule source d’information que l’on peut recevoir en ville? Est-ce quelque chose qui doit être fait? Le gouvernement doit-il repenser tout cela et forcer la CBC à se forger une place ailleurs?
Mme Gardner : Je crois que oui. La Loi sur la radiodiffusion doit être révisée à la lumière des changements survenus dans le paysage médiatique, de l’importance de l’Internet et du simple fait que les choses sont différentes de ce qu’elles étaient. Cela fait partie de la réduction nécessaire des services.
Le gouvernement doit s’abstenir d’être trop directif, et ce, pour de nombreuses raisons. Il n’est pas un expert en matière de médias et il est censé préserver l’indépendance de CBC. Il faut établir un mandat qui soit adapté au contexte actuel, voilà ce qu’il faut faire.
Juste un mot sur les dépenses locales, surtout en période de difficultés financières. Lorsque CBC effectue des dépenses à l’échelle locale : si elle dépense 1 $ dans chaque région, cela en vient à totaliser 12 $ ou 14 $. Si un dollar est dépensé à l’échelle nationale, cela représente un seul dollar. Il est donc moins coûteux de dépenser à l’échelle nationale. C’est une simple réalité budgétaire.
Le sénateur Quinn : Je comprends, mais cela se fait aux dépens de la couverture régionale.
Mme Gardner : Oui.
M. Clinton : Je conviens que la Loi sur la radiodiffusion peut-être implacable. Elle comporte des volets contradictoires et certaines des modifications les plus récentes semblent incompatibles avec d’autres parties de la loi. CBC reçoit elle-même des messages contradictoires à cause de cela. Elle tente de s’acquitter fidèlement de ses obligations en vertu de la loi, mais je suis d’accord pour dire qu’une révision de la Loi sur la radiodiffusion serait pertinente, ne serait-ce que pour y éliminer certaines modes passagères, des expressions à la mode et des exigences qui deviennent rapidement désuètes. Il faudrait peut-être la rendre plus universelle dans l’absolu, et non au plan subjectif. Voilà ce que je propose.
Je ne suis pas juriste, je ne peux pas me prononcer sur la valeur du libellé de la Loi sur la radiodiffusion.
Le sénateur Quinn : Pour gagner du temps, car je veux laisser la parole à mes autres collègues qui ont une expertise dans le domaine, pourquoi ne pas laisser le marché décider du sort de CBC? Si elle œuvrait dans le secteur privé, CBC disparaîtrait. Faut-il laisser disparaître CBC?
M. Clinton : Je vais commencer. Je suis un partisan convaincu du libre marché et j’accueille avec circonspection l’idée de laisser le marché en décider. J’ajouterais que le financement de CBC/Radio-Canada est une distorsion du marché à bien des égards — du marché commercial, bien entendu. Tout le monde s’entend là-dessus. Mais sans égard à l’aspect commercial, elle crée une distorsion. Pourtant, le gouvernement excelle dans certaines choses et d’un certain point de vue, un diffuseur ou un fournisseur de contenu national est une ressource précieuse dont nous ne devrions pas nous débarrasser avec autant de légèreté. Une révision de sa définition assortie d’une garantie qu’elle ne fausse pas le marché en détruisant la concurrence pourrait constituer des éléments importants dans une réévaluation.
Mme Gardner : Il existe une certaine école de pensée selon laquelle CBC doit combler les lacunes du marché. Si le marché ne couvre pas Sudbury, CBC doit diffuser à Sudbury. Je ne suis pas de cette école. Je pense que la raison d’être de CBC se situe à un plan plus élevé. Certes, elle comble les lacunes du marché, mais à un plus haut niveau.
Presque tous les pays démocratiques possèdent une organisation médiatique publique. Ces organisations ont toutes été créées au XXe siècle, dans les années 1930, 1940 et 1950 et pour la même raison. On se rendait compte que le marché ne suffirait pas, surtout dans un pays vaste comme le Canada, qui dispose d’une population peu nombreuse, très dispersée et parlant deux langues. Il fallait une organisation dont le mandat était de raconter les récits nationaux et de faire connaître les habitants les uns aux autres. C’était impossible autrement. Le Canada aurait tôt fait d’être inondé de contenu américain et c’est là la raison de sa création.
Aucun argument ne prouve aujourd’hui que CBC soit moins valable et moins importante qu’au moment de sa création en 1936.
Le sénateur Quinn : Merci.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. J’aimerais d’abord m’adresser à Mme Gardner. Dans le scénario d’un financement réduit, si CBC renonce à ses revenus, de toute évidence, ses revenus seront moindres. Le financement gouvernemental n’augmenterait pas, en fait, il serait peut-être réduit. Quoi faire dans ce scénario?
Vous avez proposé un certain nombre de choses, comme le réinvestissement dans le numérique. J’essaie de comprendre à quoi ressemblerait un service numérique. Quel genre de programmation serait offerte par ce service?
Qu’adviendrait-il de la télévision? J’aimerais revenir à l’essentiel : on allume le téléviseur sur un écran vide 10 heures par jour, puis la programmation reprend à 19 heures? À quoi cela ressemblerait-il? Aidez-moi à comprendre ce qui est conservé, ce qui est ajouté, ce qui est développé. À quoi ressemble le numérique? Il y a quoi à la télévision?
Mme Gardner : Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à répéter que ma spécialité est le service anglophone. Je ne parle pas de Radio-Canada.
La sénatrice Dasko : Je serais heureuse de parler du service anglophone.
Mme Gardner : Du côté anglophone, le défi a toujours été la télévision. C’était déjà un défi lorsque Richard Stursberg est entré en poste avec le souhait que la CBC mise sur une plus grande popularité de la télévision anglaise. Ce défi existe depuis le début de l’histoire de la CBC.
La télévision anglaise est un casse-tête que la CBC n’a jamais résolu. Elle a connu certains succès, mais elle n’a jamais réussi à créer une programmation fortement populaire et typiquement canadienne du début à la fin. L’argent n’est pas au rendez-vous et l’infrastructure nationale n’est pas à la hauteur non plus.
De plus en plus de gens laissent entendre que la CBC devrait se retirer du créneau divertissement, compte tenu des bouleversements en cours. Faudrait-il diffuser des dramatiques et des reprises de Family Feud sur les ondes ou des trucs du genre? La question se pose. Il faut des fonds pour effectuer ce travail, et il n’est pas certain qu’il soit possible de remporter la mise dans le contexte actuel, vu la concurrence.
Ces discussions occupent une grande place. J’aimerais que CBC parle davantage des domaines dans lesquels elle peut et doit prendre de l’expansion, plutôt que de se concentrer sur la résolution d’un vieux problème difficile à régler.
Nous voyons déjà, en bonne partie, à quoi pourrait ressembler la CBC/Radio-Canada dans l’espace numérique, grâce à ce qui a déjà été fait. Présenter les nouvelles en ligne est plein de bon sens, car c’est une façon efficace de produire des nouvelles tout en assurant une présence partout au pays. C’est tout à fait logique.
Nous avons raté l’occasion de laisser le champ libre aux Canadiens pour qu’ils puissent discuter entre eux. Plutôt que de nous adresser à eux, il faut leur permettre de se parler. Il m’arrivait de donner l’exemple de Reddit. C’est un forum où les gens discutent de toutes sortes de choses. CBC doit jouer un rôle semblable pour les Canadiens. Elle doit représenter une plateforme qui permet aux gens de se parler directement.
Auparavant, il fallait un journaliste ou un intermédiaire quelconque, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans une certaine mesure, elle doit fournir l’infrastructure nécessaire pour que les Canadiens puissent avoir leurs propres conversations.
La sénatrice Dasko : Pour revenir à la télévision, est-ce qu’il y aura de la télévision? Est-ce qu’il y aura un écran vide? Y aura-t-il un réseau de la CBC dans l’avenir — parlons de la télévision de langue anglaise. Elle existera encore, oui ou non?
Mme Gardner : Viendra le jour où il n’y en aura plus. C’est un fait, reste à savoir quel sera ce jour. Très peu de gens regardent la télévision par ondes, comme dans le bon vieux temps, quand on regardait les émissions à heure fixe. Les gens ne font plus cela, du moins, ils le font de moins en moins, alors le jour viendra où ils ne le feront plus du tout.
La sénatrice Dasko : D’accord. Je pense que cela m’aide. Y a-t-il un modèle dans un pays étranger, la BBC ou un autre, susceptibles de nous aider à comprendre CBC et à aborder ses problématiques?
Mme Gardner : Je pense que tous ont les mêmes défis. La BBC est toujours la référence. Elle connaît un tel succès que les autres diffuseurs publics s’y intéressent en priorité.
Partout dans le monde, tous font face aux mêmes défis. Il est important de le reconnaître, car cela signifie que ce sont des facteurs et un contexte externes qui sont en jeu. Tous les diffuseurs publics avaient autrefois des parts de marché de 40 %, 50 %, 60 %, selon le milieu, parfois même de 100 %. Ils ont tous connu une chute brutale. Nous ne sommes pas les seuls : c’est un problème que tout le monde tente de résoudre.
La sénatrice Dasko : Bien sûr. Ma question porte maintenant sur la radio. Beaucoup de Canadiens disent aimer la radio de CBC. Elle les relie au pays. Ils se réveillent en l’écoutant, par exemple. La radio peut-elle exister, surtout la radio de langue anglaise, sans la télévision?
Mme Gardner : Pourquoi ne pourrait-elle pas exister sans la télévision? Pourquoi pas?
La sénatrice Dasko : Je vous demande simplement votre opinion sur la question de savoir si la radio peut continuer à fonctionner comme un service, même si la télévision se trouve transformée.
Mme Gardner : Je pense qu’à CBC, on parle davantage d’audio et de vidéo que de radio et de télévision. Il faut toujours faire la distinction. Parlez-vous de l’ancien modèle de radiodiffusion en direct ou de la production audio? CBC a toujours fait de l’excellent travail dans le domaine de la production audio. Elle remporte des prix internationaux dans tous les festivals, et ce, depuis toujours. Cela s’explique en partie par le fait que l’audio constitue un média plus intime. On a l’impression que quelqu’un nous parle directement, au contraire de la télévision, où la communication repose sur un principe plus hiérarchique. D’une certaine façon, elle est mieux adaptée à la situation actuelle. Mais oui, CBC a toujours été solide en production audio et cela sert bien le pays. On le constate au lien que les gens entretiennent avec la radio de CBC. Je ne vois pas pourquoi cela devrait cesser.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Cardozo : Notre discussion sur le nombre de téléspectateurs et d’auditeurs est fort intéressante. J’aimerais vous poser une question au sujet de l’autre critique importante à l’endroit de CBC, à savoir son parti pris idéologique. Je vous renvoie à l’article de Harrison Lowman intitulé « Why conservatives despise the CBC, why they can’t wait to tear it to shreds, and why they have a point. »
Les statistiques reflètent-elles, d’une certaine façon, le parti pris ou les préjugés perçus par les auditeurs et les téléspectateurs? Quel rôle un diffuseur public doit-il jouer pour s’assurer une réputation d’impartialité? Il prétend ne pas avoir de parti pris ou, du moins, il tente de réunir toutes les voix. Je vais m’arrêter ici, vous avez entendu la critique. Comment voyez-vous son rôle pour l’avenir?
Mme Gardner : C’est un grave problème. La journaliste Tara Henley a beaucoup écrit à ce sujet. Je pense qu’elle a été invitée et j’espère qu’elle viendra vous parler. Il s’agit d’un problème vraiment important. Auparavant, il y avait un auditoire de masse, et tout le monde consommait les mêmes choses. Cet auditoire a disparu : il est maintenant fragmenté, dispersé et décentralisé. Le centre n’a donc pas tenu bon.
L’une des choses que cela signifie, c’est qu’on ne peut plus parler à l’ensemble des gens de la même façon qu’auparavant. CBC a toujours été accusée de partialité, mais je pense qu’elle est plus partielle qu’elle ne l’a jamais été et que beaucoup de gens se sentent aliénés, non représentés et traités avec condescendance par CBC. C’est un énorme problème parce que ces gens paient pour ce service. Votre travail consiste à répondre aux besoins de tous et à représenter fidèlement les intérêts de tous en traitant de ce qui les intéresse, de ce qu’ils jugent important.
Si on ne le fait pas, on paraît, au mieux, déconnecté et non pertinent. Au pire, on passe pour arrogant. C’est un problème important et c’est pourquoi je soutiens que CBC/Radio-Canada doit être davantage axée sur les gens, de là que les émissions locales soient si importantes. On ne peut pas s’éloigner des gens : il faut toujours les avoir à l’esprit, rester près d’eux. Le niveau local est le moins polarisé et le moins partisan. Il divise moins. CBC/Radio-Canada a la possibilité d’être présente et d’établir des liens intimes avec les gens, et c’est ce qu’elle doit faire.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Clinton?
M. Clinton : Je suis d’accord avec ce que Mme Gardner vient de dire. Je dirais que cela dépend en grande partie de décisions éditoriales. Le rédacteur en chef d’un journal ou le chef de pupitre d’un bulletin radiophonique, peu importe, choisira 5, 6 ou 7 articles à présenter chaque jour, mais ce jour-là, dans son marché, il peut y avoir 1 000 ou 10 000 reportages possibles. Chacun peut être aussi intéressant que ceux qui ont été choisis, de sorte que le décideur dispose d’un énorme pouvoir pour établir le récit, et c’est cela qui est important dans notre ville, dans notre province ou notre pays.
Pour ce qui est de la ligne éditoriale — vous pouvez parler de parti pris, c’est probablement ce que c’est — je mobiliserais des données appuyant la présence d’un parti pris à CBC/Radio-Canada et dans d’autres organisations médiatiques. Le pouvoir éditorial est déterminant, car il peut garantir le succès tout comme il peut faire échouer toute solution au problème. Et je ne parle pas d’un chef de pupitre ou d’une personne qui joue ce rôle, mais de quiconque participe au processus de sélection, qu’il s’agisse de groupes exerçant des pressions extérieures ou de personnes de l’intérieur faisant un choix conscient, c’est là que le changement peut s’opérer. C’est lors du choix des reportages à présenter que les impressions se cristallisent chez les auditeurs et les téléspectateurs.
Le sénateur Cardozo : CBC/Radio-Canada peut-elle mettre certaines choses en place? Oui, elle le peut. Quelles sont ces choses qui permettraient de diversifier les points de vue, afin de dissiper cette impression de parti pris? Je me souviens d’une émission avec Claire Hoy et Judy Rebick, il y a quelques années, qui s’intitulait Face Off. On y présentait une personne de droite et une personne de gauche, deux invités, qui tenaient un débat tous les soirs ou quand l’émission était diffusée. On ne voit pas beaucoup d’émissions de ce genre à l’heure actuelle.
Mme Gardner : Kierans, Camp et Lewis constituaient le trio classique. Vous souvenez-vous de cela, à l’émission Morningside?
Le sénateur Cardozo : Oui.
Mme Gardner : Il ne s’agissait pas d’un débat. Ils ne se disputaient pas entre eux. Ils trouvaient un terrain d’entente et se parlaient comme de vrais êtres humains.
Oui, je pense que les solutions ne résident peut-être pas tant dans les positions officielles des partis, dans un quelconque spectre politique formel, mais plutôt dans la présentation d’une diversité des gens réels — non pas que les politiciens ne soient pas de vraies personnes.
J’ai pris l’habitude de demander aux gens ordinaires ce qu’ils pensent de CBC/Radio-Canada. Je pose la question au type qui répare ma voiture, à celui qui me coupe les cheveux et à mon hygiéniste dentaire. Ils ne se sentent pas concernés. Trouver ce qui intéresse ces gens, couvrir ce qui intéresse ces gens — cela n’a pas à être de la politique avec un grand « P ».
Le sénateur Cardozo : C’est vrai.
Le sénateur Cuzner : J’aimerais revenir sur certaines des observations préliminaires de M. Clinton. Il a dit que cela faisait 60 ans que les Maple Leafs de Toronto étaient médiocres. J’aimerais être clair et concis : cela fait seulement 57 ans.
M. Clinton : Je reconnais mon erreur.
Le sénateur Cuzner : Je comprends ce que vous dites, madame Gardner : le réseau de CBC/Radio-Canada s’est agrandi. Il y a maintenant Gem, le numérique et tout le reste. C’est évident : comme dans toute organisation, il faut désherber le jardin pour qu’il croisse et s’épanouisse. Comme le président l’a affirmé lors de sa première question, il y a eu une augmentation du financement de CBC/Radio-Canada. Ce n’était pas pour les mandats supplémentaires? Ou le financement supplémentaire est-il dissocié des mandats supplémentaires? C’est ce qu’on pourrait supposer.
Mme Gardner : Je ne connais pas les chiffres exacts, mais si on fait le calcul, les augmentations de financement compensent une partie — pas la totalité — des 34 années de compressions. Rien de tout cela n’a servi à la prolifération des nouvelles plateformes et aux nouvelles exigences en matière de présence en région pour CBC/Radio-Canada.
J’ai travaillé à CBC.ca, qui a été fondée à même une réduction de 3 % des budgets de radio et de télévision. Ce n’était pas du nouvel argent : les fonds étaient pris à même un budget fixe. Cela s’est donc fait aux dépens de la radio et de la télévision, ce qui n’a pas favorisé notre popularité au sein de l’organisation, mais cela illustre bien que c’est un budget fixe.
Même lorsque la présence de CBC/Radio-Canada est requise quelque part — et on la demande, elle doit s’installer là où se trouvent les auditoires et les gens —, elle n’a pas d’argent supplémentaire pour le faire, il lui est interdit de lever des fonds et d’attirer des investisseurs. Elle doit faire plus avec moins. À l’époque où nous subissions des compressions, nous parlions de « mettre de l’eau dans le vin ». Il était impossible de retirer des services, on ne nous permettait pas de le faire.
Le sénateur Cuzner : J’ai une autre observation. Je pense que la grande majorité des Canadiens croient en un diffuseur public et l’appuient. Les fausses nouvelles ont envahi le Canada et ont été utilisées à des fins politiques pour attaquer CBC/Radio-Canada. Je pense qu’elle a été victime de ces fausses nouvelles. Si nous nous en remettons entièrement au libre marché, nous nous retrouverons avec des médias de type Fox News et avec les Alex Jones de ce monde qui essaient délibérément de vendre de faux récits.
Cela ne se voit pas à l’échelle locale. Je ne crois pas que ce soit le cas chez CBC/Radio-Canada. Je suis un défenseur de CBC/Radio-Canada. Sur le plan local, on ne constate pas du tout cette dérive. Cela nous permet de demeurer honnêtes. Elle honore notre culture. Elle continue de défendre notre démocratie. Elle arrive à faire tout cela. Elle tente de joindre les gens là où ils se trouvent pour mener la bataille. Je suppose que c’est le but de cette étude également.
Ce n’est qu’une observation.
Le sénateur Gignac : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Pour faire suite à ce que la sénatrice Dasko a soulevé au sujet des médias dans d’autres pays, CBC/Radio-Canada pourrait-elle innover et penser différemment?
Je m’explique : au Canada, à Toronto, par exemple, près de 50 % de la population est née à l’étranger. Les gens veulent avoir des nouvelles de l’Asie, de l’Europe, de l’Afrique, etc. Doit-on envisager cela, puisque le Canada fait partie du Commonwealth et de la Francophonie, dans le cas de Radio-Canada? Certaines personnes pourraient vouloir visionner L’heure des nouvelles africaines, L’heure de l’info européenne ou À l’heure de l’Asie, des émissions du genre. Je suis surpris que le diffuseur public n’ait pas davantage d’alliances avec d’autres segments du public au pays. Cela pourrait-il constituer une façon d’augmenter les cotes d’écoute et d’améliorer la réception des gens?
Mme Gardner : Je crois que oui.
Dans le cadre des compressions, CBC/Radio-Canada a fini par fermer la plupart de ses bureaux internationaux. Je pense qu’il en reste cinq. Il y en a trois aux États-Unis, il y en a un à Londres et un dans un autre endroit dont je ne me souviens plus. La société d’État est donc moins présente à l’échelle internationale, et c’est préoccupant parce que cela signifie que nos Canadiens reçoivent de plus en plus de nouvelles internationales de sources internationales, dont le point de vue canadien est exempt.
Vous avez raison au sujet de cette possibilité. Je ne travaille plus dans ce domaine depuis longtemps, mais je me souviens que lorsque j’étais à CBC.ca, nous avions commencé à faire des expériences. Nous avions collaboré avec l’Australian Broadcasting Corporation et la New Zealand Broadcasting Corporation. Je ne me souviens pas pour quelle raison elles avaient été sélectionnées. Nous échangions des reportages et nous permettions d’utiliser les reportages les uns des autres.
Le sénateur Gignac : Dans un segment d’une heure? Vous les partagiez?
Mme Gardner : Nous pouvions les diffuser librement. Il n’y avait aucune friction, car il nous était simplement permis de les utiliser. Cela ne faisait pas officiellement partie de notre licence, mais nous nous permettions mutuellement de le faire.
La collaboration entre médias publics est porteuse. L’un des principes qui doit sous-tendre cette collaboration est celui de payer pour que les productions soient publiques, de sorte qu’elles soient accessibles à tous et puissent être utilisées par tous de la façon dont ils le souhaitent.
Si les diffuseurs publics pouvaient travailler ensemble de cette façon à l’échelle internationale et s’accorder un accès gratuit, cela amplifierait le pouvoir, l’influence et l’importance de chacun.
Le sénateur Gignac : Merci.
Le président : Au nom du comité, je remercie les deux témoins d’être ici ce matin et de nous avoir fait part de leurs points de vue. Cela a été très utile pour notre étude.
[Français]
Honorables sénatrices et sénateurs, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications poursuit maintenant son étude sur les services locaux fournis par CBC/Radio-Canada. Pour notre deuxième groupe ce matin, nous accueillons en personne Mme Annick Forest, présidente de la Guilde canadienne des médias.
[Traduction]
Nous accueillons également Karim Bardeesy, directeur général de The Dais à l’Université Toronto Metropolitan, et Heather Bakken, présidente de Liberté de la presse Canada, associée fondatrice du Pendulum Group et ancienne journaliste et éditrice.
Bienvenue à nos témoins de ce matin. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire avant que je cède la parole à mes collègues pour la période de questions.
[Français]
Nous allons commencer avec Mme Forest. Vous avez la parole.
Annick R. Forest, présidente, Guilde canadienne des médias : Bonjour à tous. Acadienne et Québécoise, j’ai grandi à Dieppe, au Nouveau-Brunswick. Si j’ai grandi en français dans un milieu francophone minoritaire, c’est en grande partie grâce à Radio-Canada, à ses émissions La souris verte, Bobino, Fanfreluche et Chez Denise et, bien sûr au Téléjournal, tous les soirs après le souper.
Je n’avais pas terminé ma formation en journalisme à l’Université de Moncton en 1992 que je travaillais déjà pour Radio-Canada. Ma carrière chez le diffuseur public francophone a eu lieu en région francophone minoritaire, d’abord comme journaliste aux nouvelles pour le Téléjournal de Vancouver, puis à Halifax, puis encore à Vancouver, aux nouvelles à la télé et à la radio, et enfin pour les services numériques, durant les 10 dernières années de ma carrière avant d’occuper ce poste.
Je connais les services de Radio-Canada et CBC en région. Une chose est claire : à l’extérieur du Québec et possiblement de Moncton, au Nouveau-Brunswick, les services offerts par Radio-Canada cesseront d’exister si le financement de CBC est aboli. Le partage d’information, d’équipement, de matériel visuel, de personnel, d’entrevues entre Radio-Canada et CBC est essentiel aux services offerts par le diffuseur public en région. Aujourd’hui, il est également devenu essentiel aux services offerts par le diffuseur public dans les grands centres.
Au quotidien, la cueillette effectuée par un journaliste sur le terrain peut facilement se retrouver dans quatre services télévisés, deux services de radio et une dizaine de services numériques.
[Traduction]
Réduire le financement de CBC/Radio-Canada n’est pas la solution. Il lui faut plutôt un financement stable et à long terme pour permettre au diffuseur public de remplir le mandat que lui ont confié les Canadiens.
[Français]
CBC/Radio-Canada doit être en mesure d’informer les fermiers de plus de 34 000 fermes de la Saskatchewan qui aident à nourrir les Canadiens au sujet du prix du bétail et du grain et des nouvelles découvertes pour améliorer leur exploitation. Qui parlera des conditions des routes de glace, qui est l’unique lien terrestre pour des douzaines de communautés de l’Ontario, du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest en hiver, et de l’impact sur ces liens vitaux du réchauffement climatique, si ce n’est pas le diffuseur public? Qui informera les Franco-Ontariens du nouveau pavillon autochtone du collège Boréal à Sudbury ou de l’impact de la tordeuse des bourgeons de l’épinette sur les pistes de ski de fond de Thunder Bay, si ce n’est pas le diffuseur public? Les médias privés n’iront pas dans les communautés où le marché ne leur permet pas de faire de profits. Quand les incendies ont dévoré Fort McMurray et Lytton, quand le Sud de l’Alberta a été inondé, quand la tempête Fiona s’est abattue sur l’Atlantique, quand Yellowknife a été évacuée, le diffuseur public et ses infrastructures étaient là pour informer les sinistrés et maintenir leur lien avec le reste du pays.
Pour les travailleurs du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve qui font leur migration mensuelle vers les sables bitumineux de l’Alberta, le diffuseur public leur permet de continuer de suivre ce qui se passe dans leur communauté. Les employés de Radio-Canada/CBC se sont toujours adaptés aux nouvelles technologies. Quand j’ai commencé en 1991, certains de mes collègues écrivaient encore leurs topos à la dactylo et nous montions nos reportages radio à la lame. Il fallait réserver un satellite pour envoyer un reportage télé à Montréal ou Toronto. Aujourd’hui, nos membres peuvent monter leur reportage sur leur ordinateur portable et, dans la majorité des cas, envoyer le tout par Internet ou par cellulaire. Les outils pour transmettre l’information changent. Ce qui ne change pas, c’est qu’il faut des journalistes pour aller cueillir l’information et, par exemple, pour visiter James Parker, un sinistré de Glencoe, dans le Sud de l’Ontario, et raconter comment sa vie et celle de ses voisins se sont arrêtées quand 13 centimètres de pluie sont tombés en quelques heures sur leur quartier, inondant leurs sous-sols.
[Traduction]
Comment pouvons-nous mieux servir les Canadiens? En améliorant le modèle de financement de CBC/Radio-Canada afin de lui permettre d’installer plus de journalistes et d’équipement dans un plus grand nombre de collectivités partout au pays, et ce, afin de donner une voix à ceux qui n’ont jamais accès au micro. Merci.
Le président : Merci, madame Forest. Je cède maintenant la parole à M. Karim Bardeesy. Vous avez la parole, monsieur.
Karim Bardeesy, directeur général, The Dais, Université Toronto Metropolitan, à titre personnel : Merci beaucoup. Je m’appelle Karim Bardeesy. Je suis le directeur général de The Dais, un groupe de réflexion sur les politiques et le leadership à l’Université Toronto Metropolitan. Nous examinons les principaux moteurs numériques de l’économie, de l’éducation et des systèmes démocratiques du Canada en vue de bâtir une prospérité et une citoyenneté plus égalitaires pour le Canada.
Je vous remercie de m’avoir invité et de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et je vous remercie d’entreprendre cette étude cruciale pour notre unité nationale et notre démocratie.
[Français]
Mon témoignage se fera en grande partie en anglais, mais je serai disponible pour répondre à vos questions en anglais ou en français. J’apprécie beaucoup le témoignage de Heather. Je suis de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, et je connais le pouvoir de Radio-Canada d’une perspective différente, en particulier pour ce qui est de la radio, pour créer une communauté dans notre région du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
CBC/Radio-Canada est une institution nationale vitale et riche en histoire. Elle joue un rôle particulier dans la province de Québec et, comme Mme Forest l’a indiqué, pour les minorités francophones du Canada. De plus en plus, elle constitue la principale ou la seule présence journalistique dans les collectivités partout au Canada. Elle représente également une force clé pour relier les gens et les collectivités, mais il faut interpréter son rôle dans les services locaux et les nouvelles locales de trois points de vue : d’abord, celui des caractéristiques distinctes de CBC/Radio-Canada; deuxièmement, celui de son rôle par rapport aux autres fournisseurs de nouvelles; troisièmement, celui de son rôle plus général dans l’écosystème des médias et de la quête d’attention.
Il est particulièrement important d’examiner certaines des principales caractéristiques de CBC/Radio-Canada : elle est généralement gratuite; elle assure une présence en direct à la fois à la télévision et à la radio. La recherche de The Dais démontre que, même à Toronto, il existe une légère fracture numérique, et qu’à l’extérieur de la ville, cette fracture numérique est encore plus importante. Ses services demeurent donc essentiels.
Elle exerce ses activités dans les deux langues officielles. Son image de marque et son histoire sont distinctives au Canada. Nos recherches indiquent que la confiance à l’égard de CBC/Radio-Canada est demeurée stable au cours des dernières années. En effet, 48 % des Canadiens interrogés dans un certain nombre de sondages récents ont dit croire que l’organisation agissait dans l’intérêt public. Parmi toutes les organisations que nous sondons, qu’elles soient privées ou publiques, CBC/Radio-Canada constitue maintenant l’organisation la plus digne de confiance. Ces caractéristiques de CBC/Radio-Canada sont vraiment importantes et lui permettent d’intervenir dans les collectivités pour créer des nouvelles locales.
Je crois que les décideurs devraient se demander quelles mesures pourraient encadrer CBC/Radio-Canada. Est-ce que le Sénat, la Chambre des communes et le gouvernement disposent d’un pouvoir de supervision assez efficace pour l’orienter vers l’intérêt public? Cette question s’applique particulièrement au rôle que joue la société CBC/Radio-Canada par rapport aux autres fournisseurs médiatiques. Quand elle prend de l’ampleur dans les nouvelles locales, en partie parce que d’autres organes de presse se retirent, elle devient souvent une présence dominante dans les collectivités. D’ailleurs, ma collègue April Lindgren, de l’Université Toronto Metropolitan, a des données frappantes sur les centaines d’organes de presse qui ont fermé leurs portes au Canada au cours de ces 15 dernières années. Nous savons parfaitement que si les écosystèmes médiatiques ne sont représentés que par une seule voix, qu’elle soit publique ou privée, la santé à long terme de cet écosystème et la responsabilisation de l’organe de presse en souffrent.
Il est donc très important que vous, les décideurs, tentiez de renforcer cette société d’État et de la rendre localement pertinente, tout en évitant qu’elle ne domine au point d’empêcher l’émergence d’autres acteurs du secteur public et privé, qui jouent un rôle important dans le marché.
Mon dernier commentaire porte sur l’écosystème médiatique global dans lequel tout cela évolue. Certains témoins ont mentionné le déclin des auditoires et des espaces partagés. Je vais vous présenter des données du rapport annuel sur les informations en ligne que l’Institut Reuters a publié en 2024. Il comprend une enquête sur le Canada. Les résultats démontrent que la société CBC/Radio-Canada demeure une source fiable pour ceux qui suivent l’actualité à la télévision, à la radio et dans la presse écrite. Elle se classe au 3e rang après CTV et Global News. Cependant, en ligne, son site d’informations est le premier au Canada.
Soulignons toutefois que de moins en moins de Canadiens, surtout les jeunes, suivent les nouvelles à partir de ces chaînes. On constate une baisse globale de la confiance envers les sources habituelles d’informations. De 50 % qu’elle était en 2016, cette confiance a chuté à 39 % cette année. Les gens font de moins en moins confiance aux nouvelles, bien que la confiance envers CBC/Radio-Canada soit encore relativement élevée. Toutefois, de plus en plus de Canadiens suivent les nouvelles présentées sur des plateformes en ligne comme YouTube et — jusqu’à l’interdiction de Meta News — Facebook, Instagram et d’autres sources.
La société CBC/Radio-Canada peut servir les auditoires qui ont déjà son attention, notamment dans les établissements d’enseignement et dans les milieux de travail. Elle peut trouver de nouvelles méthodes pour rejoindre ces auditoires et les mettre au point pour mieux étendre ses activités journalistiques. Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur.
Heather Bakken, présidente, Liberté de la presse Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président et membres du comité. Je tiens à préciser que les observations que je vous présente aujourd’hui ne reflètent que mon expérience des services anglophones de CBC/Radio-Canada, particulièrement dans le cas des nouvelles.
Je suis présidente de Liberté de la presse Canada, qui a pour mission de défendre le droit à la liberté de la presse et de lutter contre les entraves à la liberté de la presse dans le monde, car tout est mondial à l’heure actuelle. J’ai acquis mon expérience professionnelle de journaliste en travaillant pendant 16 ans à CBC News des deux côtés de la caméra. J’ai aussi passé cinq ans dans le secteur privé, notamment comme éditrice de deux sites d’actualité politique.
Je vais donc souligner trois observations que d’autres témoins ont déjà mentionnées. La première est la position de CBC/Radio-Canada face à ses maîtres bureaucratiques. La deuxième concerne son modèle d’affaires défaillant. La troisième souligne le rôle qu’elle joue pour préserver notre souveraineté.
À l’heure actuelle, la société CBC/Radio-Canada ressemble à Frankenstein. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, fixe les exigences sur l’obtention de licences pour une période de cinq ans. De son côté, le gouvernement détermine le mandat et le budget annuel de la société. Ces pièces mal appariées l’ont placée dans la position intenable de se faire dire ce qu’elle doit faire sans savoir comment s’y prendre et sans savoir quelles ressources lui seront fournies l’année suivante. Cette instabilité nuit au moral des responsables qui choisissent et qui préparent les émissions et les articles destinés aux Canadiens. Ce Frankenstein doit aussi satisfaire un service télévisé commercial, un service numérique qui est lui aussi avant tout commercial ainsi qu’un modèle de radiodiffusion publique.
CBC/Radio-Canada ne peut pas mener tout cela à bien. Il faut lui choisir une voie, et à mon avis, nous devrions choisir le modèle radiophonique et abandonner le modèle commercial. CBC Radio One se maintient au premier rang dans de nombreux grands marchés. Cette chaîne jouit d’un auditoire fidèle qui appartient à toutes les allégeances politiques. Elle unit notre pays.
Pour réussir, cette société d’État a besoin d’un nouveau mandat soutenu par un financement stable et prévisible à long terme. Elle pourrait ainsi fonctionner sans crainte ni faveurs, ce qui l’aiderait à regagner la confiance de son auditoire. Elle éviterait aussi de se soustraire à la concurrence économique des radiodiffuseurs privés et d’autres plateformes numériques. Autrement dit, il est temps que CBC/Radio-Canada cesse de faire de la publicité et revienne à la radiodiffusion publique. Je crois que c’est fondamental pour l’avenir du Canada.
CBC North transmet l’actualité dans huit langues autochtones aux collectivités éloignées du Nord. Comme dans les autres régions dont nous avons entendu parler aujourd’hui, cette chaîne est la seule source d’actualité et d’information. Pendant les situations de crise, elle fournit aux gens un filin de sécurité.
Ce service a été créé pendant la guerre froide pour offrir du contenu canadien aux auditeurs qui recevaient plus facilement les émissions de Radio Moscou et de Voice of America. À l’heure actuelle, il joue un rôle essentiel pour assurer notre souveraineté. La Russie et les États-Unis revendiquent actuellement des territoires dans l’Arctique, mais les émetteurs de CBC/Radio-Canada, qui sont ancrés chez nous depuis plusieurs décennies, nous aident à défendre solidement nos territoires.
Si le conflit frontalier est une attaque contre notre souveraineté de l’extérieur, à l’intérieur, nous sommes bombardés par un réseau mondial de désinformation qui pollue notre écosystème d’actualité avec de faux signaux et de fausses promesses. Cela risque d’influer profondément sur l’opinion publique et de mettre notre démocratie en péril. Pendant que nous débattions de la question de savoir s’il faut ou non supprimer le financement de CBC/Radio-Canada, le Kremlin a redoublé ses campagnes de propagande. Cela coïncide avec la disparition des médias locaux, qui a créé de vastes déserts d’information partout au pays. Cependant, la nature a horreur du vide. Les trafiquants d’influence en ligne sont payés pour inonder nos citoyens et nos collectivités de désinformation populaire.
L’espace de l’information a changé de façon spectaculaire depuis la création de la société CBC/Radio-Canada en 1936, et il a évolué à une vitesse vertigineuse depuis que les téléphones intelligents sont omniprésents. Sans mesures de protection, nos adversaires tirent parti de notre ouverture et de l’accès à la population pour définir ce qu’ils veulent lui faire croire. En l’absence d’une politique solide, ils ont trouvé un moyen d’influencer la pensée des Canadiens.
Le Canada a ses propres récits. Pour que l’unité nationale l’emporte, il lui faut un radiodiffuseur public qui le protège de la désinformation. Il faut qu’il renforce les valeurs et les libertés démocratiques pour lesquelles nous nous sommes battus, pour lesquelles nous avons versé du sang et pour lesquelles nous devrions continuer de nous battre. Concentrons-nous sur les collectivités locales. Renouons avec les gens qui ne se sentent pas écoutés. Pour cela, les assemblées publiques de CBC/Radio-Canada sont idéales. Il faut que les gens considèrent la radiodiffusion publique comme une source d’information fiable et comme une tribune de dialogue national qui renseigne les gens d’une extrémité du pays sur ce que leurs concitoyens de l’autre extrémité pensent et font.
CBC/Radio-Canada demeure la source d’information la plus fiable au pays, comme plusieurs témoins nous l’ont dit aujourd’hui. Le Canada a besoin d’un réseau national ancré dans les régions, doté d’un financement stable et libre de toute activité commerciale. La société CBC/Radio-Canada est particulièrement bien placée pour offrir ce service. Elle possède les infrastructures et la portée nécessaires. Aucun autre organe de presse ne peut le faire. La société CBC/Radio-Canada vaut la peine d’être sauvée. Elle est essentielle à notre souveraineté, et nous devons l’aider à réussir. Merci.
Le président : Merci. J’ai une brève question pour M. Bardeesy. Vous nous avez dit que les résultats de votre étude indiquent que le facteur de confiance à l’égard de CBC/Radio-Canada est élevé. Cependant, j’ai vu un certain nombre d’études dont les résultats indiquent que ce facteur de confiance est tombé à 17 %. Est-ce que l’échantillon de l’étude dont vous parlez se composait de téléspectateurs de CBC/Radio-Canada ou de contribuables canadiens en général? Que pensez-vous de l’écart entre les données de votre étude et celles d’autres études et de témoignages qui soulignent que ce facteur de confiance est à la baisse?
M. Bardeesy : Nous menons cette étude longitudinale depuis cinq ans. Elle s’intitule Survey of Online Harms in Canada. Nous avons consulté 2 000 Canadiens, mais ils ne regardent pas tous la télévision. Nous posons une question très générale qui s’appliquerait à de nombreux organismes : « Pensez-vous que le travail de cet organisme vise à satisfaire l’intérêt du public? », et les réponses se situent toujours entre 44 et 48 %. Cette question est peut-être différente de celles des autres études.
Le président : Pouvez-vous transmettre ces données au greffier?
M. Bardeesy : Mais bien sûr.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, madame Forest, pour vos notes d’introduction qui montrent à quel point vous êtes intéressée et engagée pour le diffuseur public.
J’aimerais que vous expliquiez, au bénéfice de ceux qui ne connaissent pas Radio-Canada, à quel point les petites salles de nouvelles de Radio-Canada en région dépendent de l’infrastructure et de leurs collègues de CBC, parce que ce n’est pas forcément quelque chose qui est connu.
Mme Forest : Je vais vous l’expliquer le plus succinctement possible en vous parlant un peu de mon expérience. J’ai travaillé à Vancouver.
[Traduction]
Je vais expliquer cela en anglais pour que tout le monde me comprenne bien.
Quand je suis arrivée à Vancouver, en 1990, l’une des meilleures choses que je pouvais faire pour mes collègues francophones était d’aller du côté anglais pour emprunter les cassettes vidéo. À l’époque, il fallait se procurer les cassettes vidéo et, en temps réel, les doubler pour que les deux parties puissent monter un reportage différent. Les Anglais et les Français ne couvrent pas les sujets de la même manière, mais ils utilisent le même matériel. Alors c’était une chose. Aujourd’hui, évidemment, tout est différent. Nous avons des ordinateurs. Tout est téléchargé dans un ordinateur central, et nous utilisons tous les mêmes images et les mêmes vidéos.
Quand je travaillais à CBC/Radio-Canada, j’ai occupé à peu près tous les emplois. J’ai été productrice d’émissions de radio et de télévision. J’ai aussi travaillé à Ressources. Pour ceux qui ne savent pas en quoi cela consiste, j’étais la personne qui envoyait les vidéographes avec les journalistes pour produire les reportages.
En 1990, quand nous couvrions une conférence de presse, il y avait quatre caméras : une anglaise nationale, une française nationale, une anglaise locale et une française locale. Il y avait parfois d’autres caméramans qui couvraient la conférence de presse pour une émission comme Enquête ou The Fifth Estate.
Maintenant, nous envoyons un caméraman, mais si l’événement est très important, nous en envoyons deux. Le premier est là pour filmer l’événement. Le deuxième est là pour que nous ne perdions rien de ce qui se dit ou de ce qui se passe. Il prend des séquences vidéo supplémentaires et des images d’arrière-plan, et nous appelons cela la « bobine B ». C’est ainsi que les choses se passent aujourd’hui.
Je crois que bien des Canadiens ne savent pas quelle quantité d’information les deux groupes échangent.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce toujours dans le sens des anglophones?
Mme Forest : Non.
[Traduction]
Les choses ont changé. Autrefois, nous étions les « gros joueurs ». Nous allions chercher la cassette, et c’est pourquoi vous me déléguiez — parce que je parlais anglais; je viens du Nouveau-Brunswick, eh? À coup de belles paroles, je pouvais les convaincre de me donner la cassette et leur promettre de la leur rapporter.
Aujourd’hui, la plupart des gens ou beaucoup de gens sont capables d’y aller, et nous envoyons un journaliste en disant : « Tu parles français », par exemple. « Tu vas aller poser les questions à l’agriculteur là-bas. Je vais interviewer le politicien là-bas, et tu vas t’occuper de l’organisation là-bas, et nous allons échanger cette information. » Il est plus facile de couvrir plus de terrain et d’obtenir l’information. Tout est transmis instantanément.
La personne qui parle français posera la question en français et dira ensuite : « Pouvez-vous me le répéter en anglais, s’il vous plaît? » Même chose en anglais. La personne qui parle anglais posera la question en anglais et dira : « Pouvez-vous me le répéter en français? »
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous êtes passionnante. Toutefois, j’ai une autre question à vous poser.
Mme Forest : Allez-y.
La sénatrice Miville-Dechêne : Notre étude porte plus généralement sur la couverture locale et régionale. Vous êtes présidente du syndicat qui travaille dans toutes les provinces, à l’exception du Québec. Quel est votre constat? Y a-t-il suffisamment de fonds investis et d’énergie déployée dans les nouvelles à l’extérieur des grands centres, ou est-ce que les grands centres en gardent encore trop pour des productions qui se font souvent à l’aide de moyens qui n’ont rien à voir avec ceux des régions?
Mme Forest : Je crois qu’en région, nous avons appris à fonctionner avec les moyens du bord. Il fallait couvrir ce qu’il y avait à couvrir avec les moyens que l’on avait.
C’est sûr que pour l’avenir de CBC/Radio-Canada, il faudra vraiment aller en région. Pourquoi les gens délaissent-ils CBC/Radio-Canada? Pourquoi ne l’écoutent-ils pas? C’est parce qu’ils ne s’entendent pas. Et pourquoi? Parce que CBC/Radio-Canada n’est pas présente dans la région et n’a pas de pied-à-terre à Prince George ou à Yarmouth.
Lorsque je travaillais à partir d’Halifax, je faisais cinq heures de route pour couvrir une histoire à Yarmouth. Pouvez-vous imaginer cela? Je faisais cinq heures de route, je posais mes questions, je montais mon reportage, je faisais mon direct à la radio, je revenais à Halifax pour faire mon reportage télé et l’envoyer. Je ne vous parle même pas de ce que c’était en hiver.
L’idée, ce serait d’avoir davantage de gens sur place en région pour être en mesure de le faire. Certaines personnes ont parlé de la capacité à faire le travail aujourd’hui. Bien sûr, c’était lourd.
[Traduction]
C’était tellement difficile dans le temps. Il fallait envoyer un journaliste, un caméraman et parfois un preneur de son ou que sais-je encore. C’était beaucoup. Aujourd’hui, vous envoyez une personne avec un téléphone, n’est-ce pas? Je sais que même pour mes membres au début, quand les téléphones sont arrivés, leur réaction était plutôt « pouah! » parce qu’en réalité, vous pouvez être un bon journaliste sans savoir très bien cadrer une image. Ce sont les vidéastes qui peuvent vous donner une image parfaite.
Nous devons décider où nous voulons investir notre argent, comment nous voulons l’utiliser et quelle couverture nous voulons assurer.
La sénatrice Miville-Dechêne : Que voulez-vous? Qu’en pensez-vous? Un téléphone? Du léger? Ou gardons notre grosse, notre énorme caméra...
Mme Forest : Nous devons nous éloigner de la façon dont nous produisons les nouvelles et commencer à penser à la raison pour laquelle nous les produisons. Le mandat de CBC/Radio-Canada est le message. C’est le message que nous apportons. C’est ainsi. Nos outils ont beaucoup changé au fil des ans et ils évolueront encore, et si nous le faisons à la télévision, ou en ligne... non, nous devons simplement offrir ce message au meilleur endroit possible. Nous devons nous adapter.
Quand vous dites : « Qu’allons-nous faire — allumons la télé, et elle s’arrête? » La télévision est maintenant numérique. Nous avons des téléviseurs intelligents. Quand vous allumez la télévision, vous allez sur CBC Gem sur votre téléviseur. J’allume ma télé, je regarde TOU.TV sur mon téléviseur. Je ne regarde pas Radio-Canada; je regarde TOU.TV parce que je peux choisir ce que je veux regarder. C’est la différence entre notre auditoire actuel et celui que nous avions.
Aujourd’hui, c’est le médium. Nous nous préoccupons du message, parler du Canada aux Canadiens, donner une voix à tout le monde. Quand nous disons : « Oh, Internet est partout. Il faut y penser. » Non, c’est faux. Nous avons perdu la moitié des propos du témoin précédent. Pourquoi? Parce qu’il était sur Internet. Si vous transmettez quelque chose à partir de Whitehorse — et je le sais parce que j’ai travaillé sur les ressources, et je produisais des reportages et des images à partir de Whitehorse —, ça ne fonctionne pas toujours. Savez-vous à quelle fréquence la connexion avec Whitehorse est coupée; à quelle fréquence les gens perdent leurs services téléphoniques? Ils n’ont qu’un seul fournisseur, et parfois ça ne fonctionne tout simplement pas. On perd la connexion.
C’est pourquoi certaines infrastructures de CBC/Radio-Canada doivent rester en place pour que nous puissions continuer à communiquer avec l’ensemble du Canada.
La sénatrice Simons : Je dois mettre cartes sur table, madame Bakken : j’ai remporté l’un de vos prix il y a quelques années, alors j’ai un faible pour votre organisation parce qu’elle m’a décerné un prix.
Cela dit, je voudrais revenir au point que vous avez soulevé à propos de la désinformation et de la nécessité de disposer d’une source d’information fiable. Vous avez parlé de l’ingérence russe. Je n’oublie pas qu’Elon Musk a été nommé membre du cabinet du président Trump. Il dirige X, qui demeure, à mon grand désespoir, un vecteur d’information important dans ce pays. La personne proposée pour diriger la Commission fédérale des communications des États-Unis, la FCC, a des opinions qui peuvent être contraires à notre idée d’une presse libre.
Je me demandais si vous pouviez nous expliquer, dans un contexte local et régional, pourquoi il est si important d’avoir une source d’information fiable dans les collectivités, pas seulement la voix d’un réseau, mais ces voix locales et régionales en qui on a confiance.
Mme Bakken : Dans le monde des affaires, une expression dit : « Si vous ne comprenez pas les gens, vous ne comprenez pas les affaires. » Cela s’applique également à CBC/Radio-Canada.
Si je peux me permettre de faire le lien avec le réseau mondial, notre défi, si nous nous comparons à la BBC, c’est une région plus circonscrite qui est plus densément peuplée. Comme Mme Forest l’a dit, lorsque vous envoyez des ressources à l’étranger, elles peuvent sauter dans un train et être n’importe où en une heure ou deux. Au Canada, ce n’est pas le cas, même à l’échelle locale. J’ai une idée de la manière dont nous pourrions créer un maillage, mais tellement d’éléments différents entrent en jeu.
Je comprends ce que vous dites, mais je pense que la première chose à faire est de faire de la large bande un service public. Les gens ne sont pas prêts à nous brancher à la grandeur du pays. Dans le Nord, parce que nous voulions joindre les régions éloignées, initialement pendant la guerre froide, je crois que CBC/Radio-Canada a été la première à connecter le réseau par satellite en orbite basse. Nous avons inventé la retransmission instantanée des matchs de hockey. Il y a eu beaucoup d’innovation ici.
Le problème, c’est que nous n’avons pas de stratégie à l’égard de ces réseaux; autrement dit, c’est notre incapacité en tant que démocratie aux États-Unis et au Canada à prendre le pas sur la technologie et à comprendre ce que faisaient les algorithmes. J’ai l’impression que l’oiseau s’est envolé. Vous avez parlé d’Elon Musk. Sa capitalisation boursière est supérieure au PIB de la plupart des pays développés. Ces technocrates n’ont de comptes à rendre à personne. Ils se sont introduits dans le cœur, l’esprit et la tête de nos enfants.
Si nous parlons de confiance dans les nouvelles, ça commence dès l’enfance, n’est-ce pas? Mes compagnons d’enfance étaient Mr. Dressup et The Friendly Giant. Je trahis mon âge. Hier, j’ai regardé un reportage alarmant sur un métavers destiné aux enfants, aux jeunes enfants, appelé Roblox. Il touche entre 60 et 80 millions d’enfants et, dans cet univers, leur expérience peut être la pornographie, la violence, la manipulation psychologique, Snapchat, la manipulation psychologique, la violence, la pornographie. On parle ici d’enfants de 5 ou 6 ans qui voient ce genre de choses.
Si nous pouvons partir de la base avec CBC/Radio-Canada et nos émissions pour enfants et que les parents savent qu’ils peuvent laisser leurs enfants devant leur ordinateur avec CBC Kids et qu’ils regardent un contenu qui a été vérifié; il y a une reddition de comptes et une transparence, vous sentez qu’il n’y a pas de danger pour vos enfants. À l’heure actuelle, cette mentalité de Musk et de tous les acteurs aux États-Unis... en passant, les « Magnificent Seven » ont stimulé cette économie, de sorte que les États-Unis sont entre l’arbre et l’écorce. S’ils invoquent les dispositions antitrust et démantèlent ces sociétés, ils n’exerceront plus une domination asymétrique dans le monde, ce qui signifie que nos adversaires ont un avantage. Nous n’avons donc pas le choix de suivre leur exemple.
Nous devons établir la confiance dès le début parce que la mentalité du « agir vite et sortir la nouvelle » a fait fuir l’auditoire des millénariaux plus âgés et des membres de la génération X. C’est le public que nous devons séduire. Quand j’étais enfant, la radio était toujours syntonisée à CBC Radio. Je roulais des yeux en entendant Gordon Lightfoot et Anne Murray parce qu’ils inondaient les ondes. Oh, mon Dieu. Dieu merci pour eux. Ce sont des conteurs. Pensez au talent musical qui est issu de ce pays.
Nous devons tenir compte du fait que bien des gens disent que c’est une question de valeurs et de ce que cela signifie. Comme Sue Gardner l’a dit, nous devons élaguer notre offre. Nous sommes maintenant un diffuseur numérique. Il faut que la large bande couvre tout le pays. Nous devons être en mesure d’offrir un service numérique parce que même dans le bulletin de nouvelles du soir, la plupart des choses que vous voyez sont tirées de séquences filmées à l’aide d’un téléphone. Nous avons besoin de pigistes ou d’un réseau d’humains établis dans les collectivités locales qui reçoivent une formation professionnelle. Ils viennent à CBC/Radio-Canada pour suivre une formation. Ils retournent dans leur collectivité. Ils tissent des liens avec les gens du coin. Il faut prendre le temps.
Je peux vous dire qu’au fil de notre centralisation... et ce n’est pas seulement à CBC/Radio-Canada. Toutes les chaînes privées ont centralisé leurs activités dans un centre urbain où la vie est la plus chère au Canada. Qui peut se permettre d’y être journaliste? Pas le citoyen moyen. Alors, au lieu de prendre la route et de déterminer ce que nous devons faire pour nous rendre du point A au point B le plus rapidement possible, faites un détour par les routes de campagne, calmez-vous, détendez-vous, apprenez à connaître les gens et devenez un radiodiffuseur local adapté qui suscite la discussion, qui présente des sujets d’intérêt particulier.
En passant, vous les affectez à votre région et peut-être que quelques-uns d’entre eux feront le saut au niveau national, mais si nous conservons un modèle d’usine de contenu où il est impossible d’entretenir des relations parce qu’il faut alimenter plusieurs plateformes... vous diffusez en ligne, vous gazouillez et vous produisez des clips. Je veux juste donner un exemple humain avant de m’arrêter. J’étais productrice pour une journaliste. Elle faisait un direct. Un changement est survenu dans la salle de contrôle et nous avons dû retarder son intervention. J’ai essayé de lui téléphoner. Elle ne répondait pas à son téléphone. Ce n’était pas bon signe. Vous avez une journaliste qui fait un direct et elle ne répond pas à son téléphone. Elle n’a pas répondu pendant 10 minutes. Elle m’a ensuite téléphoné pour me demander ce qui se passait. J’ai dit : « Eh bien, ils ont changé la programmation. Il y a eu des nouvelles de dernière minute. Pourquoi n’as-tu pas répondu à ton téléphone? » Elle m’a répondu : « Oh, parce qu’il était fixé au trépied et que j’ai dû le mettre en sourdine pour faire le direct ». C’est donc une organisation très efficace. Il n’y a pas de gras à couper dans certains de ces reportages.
Je le répète, nous devons prendre du recul, réévaluer, examiner les besoins de notre pays, élaguer l’offre, servir les gens et nous assurer que nos discussions traitent des gens, par les gens, pour les gens, et nous trouverons alors des niveaux de confiance à l’échelle locale. Votre expérience à Edmonton est excellente. Elle se fera sentir dans une province où les gens ne font pas confiance aux médias d’information. En passant, lorsqu’ils ne font pas confiance aux médias d’information, ils ne font pas confiance aux politiciens.
Travaillons tous ensemble et essayons de rétablir la confiance dans nos institutions, et nous serons en voiture, comme on dit.
Le sénateur Cardozo : Je remercie les témoins de leur présence.
Madame Bakken, vous avez dit que CBC/Radio-Canada est essentielle à l’avenir du Canada. Monsieur Bardeesy, vous avez dit que c’est le réseau le plus fiable. J’aimerais vous poser une question au sujet de la partialité. Il y a toujours eu des accusations de partialité au fil des ans : trop centro-canadien, trop séparatiste, trop autochtone, trop blanc, et ainsi de suite.
Il y a un problème à l’heure actuelle, et j’ai fait référence à un article de Harrison Lowman, qui a fait valoir succinctement la préoccupation selon laquelle les conservateurs de tout le pays, avec un « c » minuscule, estiment que leur point de vue n’est pas représenté. Cette fois-ci, un parti politique est vraiment sérieux au sujet de l’élimination d’une grande partie de la société. Que pensez-vous de la partialité? Est-il trop tard pour rectifier le tir? Peut-on le rectifier? Est-ce que cela commence à l’échelle locale?
Madame Forest, j’aimerais ajouter quelque chose au sujet de Radio-Canada. Est-ce que Radio-Canada peut exister ou quel est l’avenir de Radio-Canada si on élimine CBC?
Je vais commencer par Mme Bakken.
Mme Bakken : Il y a toujours moyen de renverser la vapeur. La partialité existe. Je pense qu’il est utile d’adopter une perspective plus large. Prenons l’exemple des États-Unis.
Pensez à qui se lance en journalisme. Disons-le autrement : nos salaires stagnent depuis des dizaines d’années. Nous sommes aux prises avec des compressions budgétaires depuis les années 1980. Les seuls qui peuvent s’offrir le luxe d’entrer dans un secteur où ils sont mal rémunérés par rapport à leurs pairs et où, avec le temps, ils sont laissés pour compte sont ceux qui sont déjà bien nantis ou qui sont des guerriers de la justice sociale et qui trouvent un moyen de vivre avec moins. Ce n’est pas la moyenne des ours.
On le voit à l’université. Les étudiants ne s’inscrivent plus en journalisme. Si je viens d’une petite collectivité, que je suis pauvre et très intelligente et que j’obtiens une bourse d’études, je ne gaspille pas cette chance sur un emploi qui ne me rapportera rien. Je vais aller dans le secteur privé, à Silicon Valley et prendre pour modèle Elon Musk, pas Adrienne Arsenault. À mon avis, c’est l’un des problèmes.
Cependant, nous devons décentraliser, démocratiser le réseau. Ce n’est pas la faute de CBC/Radio-Canada si la partialité existe. Si vous étudiez les arts libéraux en général, vous n’avez probablement pas un penchant conservateur.
Le sénateur Cardozo : La direction ne devrait-elle pas voir ce parti pris et trouver un moyen de le surmonter?
Mme Bakken : La direction fait partie du problème. Ce sont eux qui sont restés dans un secteur qui attaque. Le journalisme d’entreprise a connu le même sort que le dodo. Le temps manque pour faire ce genre de journalisme. Il coûte cher. Pensez à ceux qui essaient de gérer la situation sous un ciel orageux et qui ne savent pas s’ils auront un emploi l’an prochain ni combien de leurs amis et collègues ils devront mettre à pied.
Ce n’est pas une question d’argent. C’est une question d’ingéniosité. Tout le monde ici a la capacité de créer des produits de qualité télévisuelle. Je ne dis pas que c’est du journalisme. Si nous pouvons trouver une façon de former les gens, d’avoir des pigistes et un système de maillage à l’échelle du pays, ils apprendront à connaître les gens dont ils parlent. Je me répète, il faut aller vers l’auditoire, et non pas là où vous voulez le trouver.
Nous venons de voir les résultats des élections américaines. Tous les grands réseaux américains ont raté le coche. Cela revient aussi à la technologie, comme Sue Gardner l’a dit. Quand on pense que Fox News a un impact ou une influence démesurés sur la population des États-Unis, son auditoire est de l’ordre de 3 à 5 millions de personnes. C’est négligeable, mais ils découpent des séquences et les diffusent sur YouTube. Ainsi, vous avez l’ancien animateur Tucker Carlson qui n’atteint pas un auditoire de 3 à 5 millions, mais bien de 18 à 20 millions.
Lorsque j’étais cheffe d’antenne pour Newsworld International, nous servions un auditoire américain. Nous présentions des actualités internationales d’un point de vue canadien pour un auditoire américain. À l’époque, nous avions un auditoire de 22 millions. C’était il y a 20 ans. Pendant la guerre en Irak, Donald Rumsfeld nous a choisis comme l’une de trois chaînes parce qu’il estimait que le Canada avait une perspective objective. Nous avons l’estime de la communauté internationale, pas seulement au Canada, mais nous y avons mis la hache. Nous avons vendu l’immeuble et réduit le financement.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Bardeesy, pourriez-vous commenter brièvement?
M. Bardeesy : Merci, sénateur Cardozo. La partialité est un sujet d’actualité et un sujet vraiment existentiel dans les salles de rédaction et dans les écoles de journalisme. J’enseigne à l’Université Toronto Metropolitan, mais pas à l’école de journalisme. Je peux vous dire que les questions concernant la partialité et la question de savoir s’il est acceptable d’être partial, de ne pas être objectif, font partie de la conversation actuelle entre beaucoup de jeunes journalistes.
J’appuie en grande partie ce qu’a dit Heather Bakken, et je vais me concentrer sur l’auditoire et la responsabilisation. À CBC/Radio-Canada, il faut s’en remettre aux contrôles éditoriaux, et ni le CRTC ni les autorités gouvernementales ne veillent directement à ce qu’il y ait des contrôles éditoriaux rigoureux. Il faut s’en remettre à la rédaction pour faire en sorte qu’il y ait le moins de partialité possible ou, franchement, pour être un reflet de l’auditoire, comme Heather Bakken l’a dit.
Il est important d’avoir une voix pluraliste à CBC/Radio-Canada et des dirigeants qui sont prêts à encaisser les coups quand on dit des choses qui déplaisent aux membres de certaines communautés.
Le sénateur Cardozo : Merci. Madame Forest?
Mme Forest : Je vais parler un peu de la partialité. Le premier point est le suivant : notre contrat prévoit ce que l’on appelle « l’autorité du producteur ». L’autorité du producteur signifie que le directeur d’une station de Vancouver ne peut pas me dicter, comme productrice, le contenu que je vais mettre en ligne comme nouvelles. C’est l’autorité du producteur.
En ce qui concerne la partialité, oui, nous avons tous un penchant pour un côté ou l’autre, mais la réalité, c’est que notre travail de journalistes consiste à présenter les deux côtés de la médaille. Pour éviter la partialité, vous demandez aux journalistes de présenter tous les points de vue. Je ne parle pas des articles d’opinion et des éditoriaux. Tant que vous faites preuve de transparence et que vous dites clairement qu’il s’agit d’un article d’opinion ou d’un éditorial, c’est parfait.
En ce qui concerne la partialité, si nous avons des gens dans les régions, il y en aura. Regardez une carte du Canada et voyez qui a été élu où. Hors des grandes villes, les choses changent. Le portrait évolue. La réalité est différente. Si nous n’avons personne dans ces régions, nous n’entendrons pas les idées et les opinions de leurs habitants. Ils n’auront pas le micro. C’est la raison pour laquelle CBC/Radio-Canada doit être présente dans le plus grand nombre de collectivités possible.
Un journaliste n’est pas nécessairement quelqu’un qui a fait des études universitaires. Un journaliste, c’est quelqu’un qui est capable de lire, de comprendre un sujet et de vous donner tous les différents points de vue sur ce sujet, qu’il aime ou non le point de vue en question.
J’ai de jeunes journalistes qui écrivent des articles, et ils peuvent écrire un article préconisant de sauver les arbres et les forêts. Nous sommes en Colombie-Britannique, un territoire peuplé d’écolos. J’aime les arbres; mon nom de famille est Forest. C’est ainsi. La réalité, c’est qu’en Colombie-Britannique, nous devons encore parler des gens qui vivent de la forêt. Nous avons un important secteur de l’exploitation forestière en Colombie-Britannique. Comment cela touche-t-il les gens des différents endroits où toute la ville travaille à la scierie? Peu importe à quel point nous aimons les arbres, nous devons présenter les deux côtés de la médaille et ce que cela signifie sur le plan financier pour tous les résidants. Ensuite, les Canadiens se feront une opinion. Ils décideront ce qu’ils préfèrent, mais notre travail consiste à leur fournir toute l’information dont ils ont besoin pour prendre des décisions en connaissance de cause. C’est ainsi que nous évitons la partialité. Nous sommes là où se trouvent les gens.
Vous m’avez posé une question sur la symbiose. D’après ce que je comprends du fonctionnement, si CBC disparaît, Radio-Canada disparaît aussi. Ne nous leurrons pas. À l’heure actuelle, toute l’organisation dépend des revenus qu’elle génère. Cela ne plaira pas à mes membres, mais CBC/Radio-Canada ne devrait pas recevoir de revenus publicitaires. Fermons ce robinet. Assurons-nous de ne pas concurrencer les chaînes privées parce que nous en avons besoin. Pour que nous ayons un bon écosystème médiatique, nous devons offrir de multiples sources d’information aux Canadiens.
CBC/Radio-Canada a un mandat et un travail précis à faire. Les chaînes privées font autre chose. Pourquoi les gens ne regardent-ils pas les émissions de CBC? Si vous êtes bilingue comme moi et que vous écoutez tant Radio-Canada que CBC, je peux vous dire pourquoi. Je regarde Radio-Canada. Pourquoi? Parce qu’on parle de nous. Le réseau diffuse actuellement une série intitulée Temps de chien, qui est tournée aux Îles-de-la-Madeleine. Qui se rendra là-bas pour parler des gens qui sont là? J’entends les acteurs parler avec mon accent des Maritimes. Je suis Acadienne. J’ai un accent. Parfois, il s’estompe, mais parfois, on l’entend.
C’est ainsi. Nous voulons entendre parler de nous-mêmes. Les émissions produites au Québec s’intitulent, par exemple, La Maison-Bleue. L’émission met en scène le gouvernement du Québec. Savez-vous combien d’émissions j’ai regardées à propos de la Maison-Blanche? Les gens parlent des droits Miranda au Canada. Pourquoi? Parce qu’ils regardent constamment la télévision américaine. La télévision américaine m’ennuie. On se tourne vers les différents diffuseurs en ligne et on regarde des émissions qui viennent d’Espagne, du Brésil, du Portugal, de France et d’Angleterre. Je regarde différentes émissions. J’en ai assez des émissions américaines. Je veux entendre parler de contenu canadien, mais y a-t-il des émissions qui parlent de contenu canadien? Celles qui le font, Schitt’s Creek par exemple, deviennent virales et s’en tirent très bien, mais où les gens les regardent-elles? Sur Netflix. Savent-ils qu’ils regardent une émission de CBC? Non.
Un de mes collègues m’a parlé de quelqu’un qui suivait la couverture des Jeux olympiques sur son téléphone. Si cette personne fait comme moi, dans une réunion, nous avons notre téléphone et nous le regardons d’un œil parce que nous voulons voir du hockey ou du soccer... je ne le fais pas tout le temps. L’idée, c’est que cette personne ne sait pas qu’elle regarde la couverture de CBC/Radio-Canada. « Je la regarde sur mon téléphone. Je suis sur mon téléphone. C’est TELUS ou Prime. » Non, en fait, c’est la couverture de CBC/Radio-Canada.
Qu’ont fait Radio-Canada et CBC pour les derniers Jeux olympiques? J’ai pu regarder des compétitions de surf. Remarquez, il n’y avait pas de commentaire, mais j’ai pu regarder les compétitions de surf en direct.
Le président : Je suis désolé de vous interrompre, mais nous avons dépassé le temps de parole du sénateur Cardozo.
Mme Forest : Je suis intarissable.
Le président : La présidence est indulgente.
La sénatrice Dasko : J’aimerais revenir sur la dernière question du sénateur Cardozo. Compte tenu du partage des ressources dont vous avez parlé plus tôt, je tiens simplement à être certaine que vous ne croyez pas que Radio-Canada puisse survivre sans son pendant anglophone. Pourriez-vous vous concentrer sur ce point?
Mme Forest : Je vais vous donner l’exemple de Vancouver. Si CBC Vancouver disparaît avec tout son équipement et tout le reste et qu’on vend CBC Vancouver, qu’arrivera-t-il à Radio-Canada? Quelle caméra les gens vont-ils utiliser? Comment vont-ils diffuser l’information? Où vont-ils s’asseoir, chez Starbucks?
La sénatrice Dasko : C’est donc une question de partage.
Mme Forest : Il s’agit du partage de l’équipement. Ensuite, il y a l’échange d’information. Vous allez recevoir beaucoup moins d’information.
La sénatrice Dasko : Qu’en est-il du Québec ou de l’Est du Canada?
Mme Forest : Il faut examiner les budgets. Si les budgets disparaissent, CBC/Radio-Canada n’a plus d’argent. Il y a un partage de services et de beaucoup d’autres choses.
Nous avons des membres qui travaillent pour le côté francophone et tous nos membres anglophones, sauf ceux du Québec.
La sénatrice Dasko : Merci. C’est très bien. J’ai une question pour les deux autres témoins, M. Bardeesy et Mme Bakken. Nous avons parlé de la baisse du nombre de téléspectateurs de CBC/Radio-Canada, en particulier de son réseau anglais, et de la baisse du nombre d’auditeurs. Nous avons également parlé des compressions budgétaires à venir et du fait que beaucoup d’entre nous pensent que les ressources disparaîtront, que ce soit parce que CBC/Radio-Canada renoncera à ses recettes publicitaires ou parce que le financement public diminuera. Telles sont les préoccupations.
Compte tenu de cette situation, qu’arrivera-t-il ou que devrait-il arriver au réseau anglais de CBC/Radio-Canada, à votre avis? Comment entrevoyez-vous son avenir? Que devrait-il se passer? Que pensez-vous qu’il se passera? Monsieur Bardeesy, je sais que vous avez parlé des données sur la confiance, ce que j’ai grandement apprécié. Vous avez évoqué l’enquête Reuters, une source fiable. J’ai utilisé cette enquête à de nombreuses reprises. Il s’agit de données sur la confiance. Elles sont importantes. Qu’en est-il des deux conditions que je viens de mentionner? Quel est l’avenir de la télévision de langue anglaise?
M. Bardeesy : Nous pouvons peut-être faire la distinction entre le contenu d’information et le reste. Comme je l’ai dit, il est important d’avoir un marché concurrentiel pour le contenu d’information. Les nouvelles télévisées de CBC existent dans un marché concurrentiel, en fait, dans un marché où les fournisseurs privés réduisent considérablement leur présence. Je dirais que nous avons besoin d’une forte présence des actualités télévisées de langue anglaise, tant à l’échelle nationale que dans les collectivités locales.
En ce qui concerne les autres émissions, je pense que Mme Forest a défendu avec passion la qualité du contenu télévisé en anglais de CBC qui peut être produit. Encore une fois, c’est dans un marché. Chez The Dais, nous n’avons pas de position de principe sur les points précis que Mme Bakken a soulevés au sujet de la publicité, mais il est raisonnable de s’attendre à ce que CBC/Radio-Canada, tout en ayant un mandat public très fort, ne soit pas à l’abri des préférences du marché ou des préférences politiques. Il est important qu’elle ne soit pas considérée comme une île en soi. Pour ce qui est des politiques concernant la publicité, nous n’avons pas encore formulé nos conclusions, mais je voulais signaler qu’il s’agit d’un problème.
La sénatrice Dasko : Madame Bakken, vous avez dit que la désinformation était une autre raison importante pour que CBC/Radio-Canada soit une source d’information, une source d’information réelle. Quoi qu’il en soit, pour en revenir à ma question, à quoi pensez-vous que le réseau anglais de CBC va et devrait ressembler?
Mme Bakken : Eh bien, s’il tire parti de son avantage, c’est-à-dire la transparence de la propriété, avec un financement stable, il est possible d’aller dans les collectivités, alors il faut décentraliser le réseau dans une certaine mesure. Si vous avez des journalistes dans les collectivités locales, il n’est pas nécessaire que leur salaire soit proportionnel au coût de la vie dans un grand centre urbain, de sorte qu’en fin de compte, vous pouvez produire plus de contenu à moindre coût. La télévision n’a plus sa raison d’être. Numérique est synonyme de vidéo. Tout est en mode vidéo. Nous sommes visuellement câblés, et nous pouvons maintenant offrir ces services par voie numérique. Nous n’avons pas besoin de grands studios de télévision.
Si nous prenons l’évolution du marché, les balados de longue durée sont en vogue. Je ne sais pas ce qu’il en sera demain. Ça ne coûte rien à produire. Il suffit d’acheter un micro à 350 $, de s’asseoir dans un centre communautaire de Fort McMurray et de demander à quelqu’un de parler de son vécu et de faire intervenir des membres de la collectivité. C’est une façon très peu coûteuse d’attirer ce nouveau public. Au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain et d’essayer de trouver un moyen de réparer ce que nous avons, peut-être que « The National », le rendez-vous télévisé d’une heure — j’aime les gens à l’écran et ce qu’ils essaient de faire, mais lorsque votre mandat dit que vous devez couvrir certaines choses, et que les huit premières minutes de l’émission sont consacrées à un sujet qui ne m’intéresse pas vraiment, je me suis déjà tournée vers les chaînes privées. C’était à l’époque; aujourd’hui, je regarde tout en ligne. Peut-être faudrait-il un journal télévisé national de 15 minutes? C’est ce que Walter Cronkite faisait. Tout le monde le regardait : 15 minutes, un grand intérêt national, et peut-être que cela a un attrait universel. Nous pouvons tous regarder aujourd’hui ce qui vient de la région, alors pourquoi des collectivités locales n’en feraient-elles pas partie pour couvrir un vaste territoire?
La sénatrice Dasko : Parlez-vous des affaires publiques et des nouvelles locales et nationales, et non des émissions dramatiques et de divertissement que CBC/Radio-Canada produit?
Mme Bakken : Oui. Mon champ d’expertise n’est pas là. C’est le point de vue du consommateur. C’est pourquoi j’ai parlé des émissions pour enfants. Je pense que nous devons examiner le nouvel auditoire sous un angle différent et le protéger. Je le rappelle, c’est une question de propriété. La désinformation et le problème que nous avons se trouvent dans le secteur privé. Lorsqu’une entreprise appartient à des intérêts privés, nous ne savons pas qui influe sur les décisions. Le Canada n’aura donc pas ce problème avec le radiodiffuseur public.
Je dirais aussi que lorsque j’y travaillais, ce qui me dérangeait vraiment, c’était que nous ne faisions pas d’autopromotion. Quand on pense au journalisme, nous sommes censés être le canal des histoires que d’autres personnes veulent raconter, mais qui n’ont pas de tribune pour le faire. Si nous pouvons revenir aux principes de base et faire cela, je pense que les gens voudront nous écouter. Nous devons donc comprendre ce que les gens doivent savoir.
L’autre chose que je dirais au sujet du modèle des journaux, c’est qu’il y avait ce qu’on appelait la section « ennuyeuse, mais nécessaire » en page 5, des choses comme les nominations à la Cour suprême. Très peu de gens la lisaient, mais ceux qui le faisaient la comprenaient vraiment et s’y intéressaient, et il s’agissait souvent de décideurs. Nous devons trouver un moyen d’incorporer ce que les gens doivent savoir pour être informés d’une manière que la désinformation leur fournit aujourd’hui. Encore une fois, la nature a horreur du vide. Où n’avons-nous pas de couverture? Où pouvons-nous avoir une couverture? En réalité, il suffit d’un ordinateur portable et d’un téléphone cellulaire, peut-être d’un microphone à 300 $. Vous avez un studio. Nous pouvons expérimenter sans y consacrer beaucoup d’argent. Cela répond-il à votre question?
La sénatrice Dasko : Oui, merci.
Le président : En ma qualité de président, je vais me permettre de poser la dernière question. J’ai écouté attentivement les observations et les réponses de nos témoins. Je crois que c’est Mme Bakken qui a dit que nous nous attendons à ce que CBC/Radio-Canada fasse tellement de choses et que nous devons déterminer de quoi il s’agit.
J’entends Mme Forest dire qu’il existe un lien très étroit entre le réseau français et le réseau anglais et que l’un ne peut pas survivre sans l’autre. Je trouve la situation très difficile. Je vais faire d’abord un commentaire afin de comprendre pourquoi quelque chose qui obtient de bonnes cotes d’écoute, quelque chose qui réussit, quelque chose qui offre un service, c’est-à-dire Radio-Canada, aurait de la difficulté à survivre sans une entité qui est actuellement son maître, qui prend toutes les décisions à Toronto, qui reçoit de plus en plus d’argent et qui, malgré tout, continue de faire des compressions dans des secteurs qui obtiennent de bonnes cotes d’écoute. Ils ont du succès. Il y a un besoin évident de croissance.
Dans le milieu des affaires, j’ai toujours cru qu’il fallait fermer les services qui vous coûtent de l’argent, qui ne rapportent rien, et qu’il fallait dépenser davantage pour les services qui rapportent de l’argent et qui font la promotion de votre entreprise. Voilà pour le commentaire.
Une question maintenant pour Mme Bakken : quelle partie amputeriez-vous? Qu’est-ce que CBC ne fait pas bien dans le cadre de son mandat, qui n’est pas récupérable et que nous pourrions supprimer afin d’alléger les ressources parce qu’elles se font de plus en plus rares?
Mme Bakken : C’est une très bonne question, monsieur le président.
Le président : Si vous deviez choisir une chose.
Mme Bakken : Il me faudrait un an pour faire le tri. Je dirais que la chose la plus importante que nous pouvons faire, c’est revenir à l’échelle locale. Nous avons très peu de journalistes affectés aux affaires municipales, qui font du journalisme de terrain. Si nous pouvions revenir au journalisme de terrain, avoir des spécialistes qui peuvent collaborer au lieu d’avoir un mastodonte dans quelques centres urbains avec les frais généraux qui s’y rattachent, je pense que nous pourrions réaffecter ces fonds.
Je vais laisser à mes collègues ici présents le soin de parler des affectations budgétaires. Ce n’est pas équivalent. D’après ce que je comprends, si vous retirez les nouvelles du budget des services en anglais de CBC/Radio-Canada, c’est l’équivalent d’une saison de « The Crown ». La question est la suivante : que feriez-vous si vous disposiez de ce budget pour servir un pays de notre taille? Probablement pas grand-chose. J’aimerais pouvoir vous donner une réponse définitive, mais c’est une question délicate.
Le président : Vous en avez donné une très bonne, et vous n’avez pas eu besoin d’un an pour y réfléchir, alors je vous en remercie. Malheureusement, nous n’avons plus de temps. Nos trois témoins ont été très utiles dans le cadre de cette étude. Je pense que le comité sera d’accord. Nous vous remercions.
[Français]
Merci infiniment pour votre présence aujourd’hui; c’était très apprécié.
[Traduction]
Chers collègues, nous nous reverrons à notre prochaine réunion.
(La séance est levée.)