LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 6 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter brièvement.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
Le président : Merci, mesdames et messieurs.
Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons afin de poursuivre notre examen du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
Pour notre premier groupe de témoins, je suis heureux de recevoir aujourd’hui Monika Ille, cheffe de la direction, du Réseau de télévision des peuples autochtones, APTN. Bienvenue. Nous accueillons également Jean LaRose, président et directeur général, de Dadan Sivunivut. Bienvenue.
Vous aurez chacun cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire, puis je céderai la parole à mes collègues. Nous allons commencer par APTN. La parole est à vous.
Monika Ille, cheffe de la direction, Réseau de télévision des peuples autochtones : Merci et bonjour. Jean LaRose et moi présenterons ensemble une déclaration.
Jean LaRose, président et directeur général, Dadan Sivunivut : Nous l’avons réduite à cinq minutes afin de donner au comité plus de temps pour les questions.
Le président : Eh bien, le président sera très indulgent puisque vous allez combiner vos déclarations liminaires. Vous avez la parole.
M. LaRose : Merci beaucoup. Salutations à vous, monsieur le président, mesdames et messieurs et honorables sénateurs et sénatrices.
Tout d’abord, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel et non cédé de la Nation algonquine et je tiens à les remercier, ainsi que leurs ancêtres, de nous accueillir ici aujourd’hui.
Mme Ille : [mots prononcés dans une langue autochtone]
Bonjour. Je m’appelle Monika Ille et je suis une Abénakise de la communauté d’Odanak.
[Français]
Je suis cheffe de la direction du Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN). Lancé en 1999, APTN est le premier télédiffuseur autochtone national au monde. APTN est offert à toute la population canadienne dans le cadre du service de base de la plupart des services par câble et par satellite. Nous diffusons des centaines d’heures d’émissions autochtones chaque année, y compris des bulletins de nouvelles et des émissions d’actualités nationales. Nous diffusons des émissions en anglais, en français et dans au moins 15 langues autochtones différentes.
[Traduction]
M. LaRose : Kwai. Je m’appelle Jean LaRose et je suis également citoyen de la Première Nation d’Odanak, au Québec. Je suis ici en tant que président et directeur général de Dadan Sivunivut, une entreprise créée par APTN en 2019 pour superviser et favoriser le potentiel des créateurs autochtones dans les industries de la production et de la distribution médiatiques et musicales.
Nous sommes ici pour parler du projet de loi C-18. Nous sommes ici pour appuyer pleinement cette législation et l’objectif déclaré de veiller à ce que le contenu de nouvelles soit suffisamment financé par les plateformes qui l’utilisent, plus particulièrement dans les communautés autochtones ainsi que dans toutes les communautés rurales et éloignées.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des députés pour souligner l’importance des récits autochtones. Ce travail a été récompensé par des amendements du projet de loi qui reconnaissent les récits autochtones comme une forme unique de reportage d’actualité qui met en lumière la réalité d’être autochtone : l’histoire, les langues, les cultures et les façons de partager nos récits qui sont très spécifiques à nos communautés. Les modifications apportées au projet de loi reflètent notre travail et notre coopération avec les députés de nombreux partis.
Mme Ille : Bien que nous estimions que l’intention du projet de loi de soutenir les médias autochtones est claire, nous avons exprimé nos préoccupations concernant les définitions précises dans le projet de loi pour les « médias d’information autochtones » et le « contenu de nouvelles ». Le libellé de ces définitions peut involontairement limiter la participation des peuples autochtones à l’écosystème médiatique. En effet, les définitions actuelles supposent que les médias d’information autochtones peuvent être limités dans leur portée pour se concentrer uniquement sur les communautés autochtones. C’est aussi le cas pour les récits autochtones qui, selon la définition actuelle, seraient seulement destinés aux reportages pour les peuples autochtones. Ce n’est pas de cette façon que nous voyons les actualités autochtones ou notre rôle au Canada.
Chez APTN — et de nombreux autres médias autochtones — nous sommes au service des Canadiens depuis plusieurs décennies. Notre réseau est disponible à l’échelle nationale dans les foyers d’un océan à l’autre. Il est important, dans le cadre de notre mission, d’établir des liens avec toute la population canadienne. Les auditoires sont maintenant vivement intéressés à apprendre la partie de l’histoire canadienne qui leur était inconnue et cachée.
La Commission de vérité et réconciliation a spécifiquement souligné l’importance d’APTN en tant que voix autochtone au Canada dans la recommandation 85 dans laquelle elle déclare :
Nous demandons au Réseau de télévision des peuples autochtones, en tant que diffuseur indépendant sans but lucratif dont les émissions sont conçues par et pour les peuples autochtones et traitent de ces peuples, d’appuyer la réconciliation; plus particulièrement, nous demandons au Réseau, entre autres choses :
i. de continuer d’exercer un leadership en ce qui a trait à la programmation et à la culture organisationnelle qui reflètent la diversité des cultures, des langues et des points de vue des peuples autochtones;
ii. de continuer d’élaborer des initiatives médiatiques pour informer et sensibiliser la population canadienne et tisser des liens entre les Canadiens autochtones et les Canadiens non autochtones.
C’est ce rôle plus large, qu’APTN partage avec d’autres médias autochtones, qui est absent des définitions dans le projet de loi. Il vaudrait mieux corriger les définitions maintenant que le regretter plus tard.
[Français]
M. LaRose : Nous avons reçu certaines confirmations lors de nos discussions avec les responsables que les définitions utilisées dans le projet de loi ne sont pas censées être limitatives et qu’elles n’affecteront pas la capacité de nos médias à obtenir le financement durable dont nous avons besoin pour nos opérations.
Nous sommes rassurés par ces précisions, mais nous pensons qu’il est important d’en parler à votre comité, considérant que nous en avons déjà discuté avec certains et certaines d’entre vous.
Bien que nous aimerions que des précisions soient apportées aux définitions actuelles dans le projet de loi concernant les médias d’information autochtones, nous voulons souligner le fait que le projet de loi inclut désormais une reconnaissance cruciale des médias autochtones au Canada.
En incluant les médias d’information autochtones dans le projet de loi et en reconnaissant les récits autochtones comme une forme légitime de transmission des actualités, le Canada franchit une étape importante dans le soutien et la mise en œuvre des principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et assure une voix forte aux peuples autochtones au Canada dans nos propres médias.
Le paragraphe 16(1) de la déclaration stipule ce qui suit :
Les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune.
Le projet de loi C-18 reconnaît non seulement ce droit de façon concrète, mais prévoit aussi qu’il soit financé de façon durable, ce qui représente une première législative au Canada. Kchi wliwni. Merci de nous avoir donné la chance de faire cette présentation.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Nous allons céder la parole à la sénatrice Simons pour commencer.
[Français]
La sénatrice Simons : Merci et bienvenue à nos deux invités.
[Traduction]
Monsieur LaRose, vous et moi avons eu une longue conversation, juste nous deux, concernant mon malaise vis-à-vis de l’expression « récits autochtones », et je voulais donc recréer cette conversation ici. On pourrait dire que tous les reportages d’actualité sont des récits, mais je crains, étant moi-même une ancienne journaliste, que lorsque nous disons « récits autochtones », nous englobions beaucoup de choses qui ne sont tout simplement pas du journalisme. Je veux dire, APTN, par exemple, fait toutes sortes de travaux de narration qui sont importants pour la diffusion, mais ce n’est pas du journalisme. Comment comprendre les récits autochtones et comment faire en sorte qu’ils n’englobent pas les émissions dramatiques, les comédies ou d’autres formes de récits qui sont diffusés à la radio et à la télévision autochtones? Ce projet de loi n’est pas censé soutenir les arts; il est censé soutenir les reportages d’actualités.
M. LaRose : Vous vous rappellerez de notre conversation qu’il est très clair pour nous que ce projet de loi vise à soutenir les nouvelles, et non pas la production d’un vaste éventail de contenu. Lorsque nous parlons de récits autochtones dans le contexte d’un reportage de nouvelles, nous l’envisageons de la manière dont nous percevons les nouvelles et de la manière dont nous concevons le contexte entourant un événement médiatique du point de vue de la communauté. C’est une façon de voir une histoire, un événement et une activité qui témoigne également de qui nous sommes en tant que peuples autochtones, mais en maintenant l’accent sur le reportage d’événements médiatiques.
Je vais laisser Mme Ille parler de cet exemple, mais lorsqu’on a fait la découverte à Kamloops, APTN a couvert l’histoire. Madame Ille, vous voudrez peut-être raconter l’histoire et expliquer la différence.
Mme Ille : C’était en juin 2021. Une cérémonie culturelle se tenait près du pensionnat à Kamloops, et nous avons donc fait un reportage. Tina House, une journaliste de Vancouver, a réalisé un reportage d’environ quatre minutes et onze secondes qui parlait de la cérémonie et de ce qui se passait, et elle interviewait des gens sur place. C’était très poignant. CTV a repris l’histoire et voulait la présenter à son auditoire. Cependant, le réseau trouvait qu’un reportage de quatre minutes et onze secondes était trop long pour lui. Il a dit qu’il voulait le raccourcir. Nous avons dit que s’il voulait le faire, nous voulions faire partie de ce montage. Notre journaliste a donc travaillé avec le rédacteur en chef de CTV pour faire le montage.
Lorsque vous comparez les deux histoires, vous disposez des faits et comprenez ce qui est arrivé; cependant, dans notre histoire — et ce qui a été abandonné dans ce que nous avons coupé pour le réseau — un survivant des pensionnats a parlé de son expérience, du fait qu’il avait perdu sa famille dans les pensionnats et de ce que cela signifiait pour lui. Donc lorsque vous comparez les deux histoires, l’histoire que nous avons présentée, en donnant une voix aux peuples autochtones qui racontent leurs histoires, était plus pertinente et plus émotive.
C’est ce qui est important pour nous dans nos récits. Pendant trop longtemps, les voix autochtones ont été réduites au silence. Nous avons maintenant l’occasion de raconter nos histoires. Lorsque nous parlons de reportages médiatiques, beaucoup d’histoires qui se produisent sont malheureusement très tragiques. Nous parlons de survivants des pensionnats et de la rafle des années 1960. Raconter nos histoires, comme ma mère me l’a dit, fait partie de notre cheminement vers la guérison, et nous donnerons donc une voix aux gens et aux victimes, et publierons leurs récits pour que les gens, en particulier les personnes non autochtones, puissent mieux comprendre. C’est ce dont nous parlons lorsque nous parlons de récits autochtones. Il s’agit de raconter notre version des histoires et de voir comment cela se répercute ou influe sur les peuples et les communautés autochtones. C’est la principale différence des récits autochtones.
La sénatrice Simons : À mon avis, avec tout le respect que je vous dois, c’est du journalisme; il s’agit manifestement de journalisme. Lorsque le projet de loi parle de « récits autochtones », à mes yeux, la compréhension claire de ce libellé engloberait de nombreuses choses qui ne sont pas du journalisme. Je sais, monsieur LaRose, que c’est clair pour vous ce que vous entendez par cela, mais pour un projet de loi, il ne suffit pas que cela soit clair pour vous. Il doit y avoir une clarté pour les plateformes, pour Google et Facebook, et il doit y avoir une clarté pour le CRTC, comme il doit y avoir une clarté pour les tribunaux. Comment pouvons-nous comprendre que cela englobe uniquement des choses qui sont des événements d’actualité, des affaires courantes ou des émissions en contexte historique plutôt que tous les autres types de récits autochtones qui sont diffusés dans le cadre des activités de diffusion autochtones?
M. LaRose : Encore une fois, en réponse à votre point selon lequel il est clair pour nous ce que sont les récits autochtones lorsqu’il s’agit d’actualités, est-ce en partie ce que nous avons essayé de faire avec nos reportages d’actualités chez APTN au cours des 21 dernières années?
Mme Ille : C’est 23 ans, et bientôt 24 ans.
M. LaRose : Le temps file quand on s’amuse.
Par exemple, il y a un petit média d’information autochtone en Colombie-Britannique appelé IndigiNews. Dans le cadre de la production de ce petit journal en ligne, il y a très souvent des histoires — des articles de nouvelles — qui parlent de la langue et traitent d’un éventail de sujets que certains pourraient ne pas considérer comme des nouvelles. Pour nous, ce sont des nouvelles, parce que si vous avez été retiré de votre communauté durant la rafle des années 1960, par exemple, et que vous n’avez jamais eu la chance d’apprendre le cri, il y a quelqu’un qui vous fournit cette information, qui raconte également à l’ensemble de la population canadienne l’histoire de la langue, l’histoire et les récits derrière les mots ou que sais-je encore. Ce sont des récits autochtones, mais cela demeure des récits autochtones dans un contexte médiatique élargi.
Le but ici n’est certainement pas pour nous de commencer à envisager de créer des séries humoristiques ou de recevoir des fonds pour qu’APTN puisse réaliser l’ensemble de sa programmation. L’objectif est de nous concentrer sur la façon dont nous pouvons transmettre les nouvelles de sorte que lorsque nous nous adressons à un organisme de financement, on ne nous dise pas : « Nous ne considérons pas ce reportage ou ces nouvelles de la même façon que le grand public, et nous ne vous financerons pas », ce qui nous est arrivé à quelques reprises dans le cadre de l’Initiative de journalisme local. Ils ont dit que ce qu’ils font avec IndigiNews n’est pas des nouvelles. Il y avait un aîné qui racontait l’histoire d’une communauté, ou il y avait quelques chroniques sur les langues. « Ce n’est pas une nouvelle », nous ont-ils dit. « Ce ne sont que des renseignements généraux, et nous ne les considérons pas comme des nouvelles. Ce n’est pas admissible. »
C’est ce que nous essayons d’éviter cette fois-ci. Pour nous, il est essentiel de ne pas rater une nouvelle occasion de parler aux Canadiens et à nos collectivités et de parler de façon générale de la réalité.
Par exemple, j’ai travaillé dans les années 1990 avec une communauté des Premières Nations. Il y a deux semaines, une de ses jeunes membres, une fille âgée de 15 ans, a été assassinée à Cowichan. IndigiNews et The Discourse ont couvert la nouvelle de façon totalement différente. Nous travaillons avec The Discourse, qui est une organisation grand public. C’est tout à fait différent de la façon dont les médias grand public dans cette région ont couvert l’histoire : un cadavre a été retrouvé, etc., et fin de l’histoire. Mais lorsque vous regardez IndigiNews, qui est allé plus loin...
Le président : Merci, monsieur LaRose. La période des questions de la sénatrice Simons est terminée.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Le sujet a été bien couvert, mais je voudrais vous entendre sur votre santé financière et votre modèle d’affaires, parce que l’on connaît peu Dadan Sivunivut. Nous connaissons un peu mieux APTN. J’imagine que la raison pour laquelle vous tenez à faire partie de ces négociations, c’est pour une question financière. Vous dites que vous n’étiez pas admissible au fonds de journalisme local. Donc, pourriez-vous nous expliquer votre modèle financier et l’état de vos finances?
M. LaRose : Merci beaucoup. Dadan Sivunivut a été créé pour faire suite aux activités que le réseau APTN a menées depuis 2008. En 2008, on avait créé une compagnie de production et de distribution pour les productions autochtones. Par la suite, on a établi deux postes de radio ELMNT FM, un à Ottawa et un à Toronto, ainsi que deux compagnies de musique.
L’Agence du revenu du Canada a regardé le portrait d’APTN et elle nous a dit que nous avions créé toutes ces petites compagnies à profit, sauf les postes de radio qui sont à but non lucratif. Cela ne cadre pas, à leur avis, dans le mandat d’un organisme de charité. APTN a séparé ces compagnies de sa responsabilité et a créé Dadan Sivunivut pour devenir responsable de ces compagnies. Le but est de les rendre profitables et de leur permettre de croître.
La sénatrice Miville-Dechêne : Comment vont vos stations de radio?
M. LaRose : En ce qui concerne les stations de radio, il y a des nouvelles en partie, mais elles vivent grâce aux revenus publicitaires et la pandémie ne nous a pas particulièrement aidés de ce côté-là. Il y a d’autres stations de radio qui ont énormément de difficultés. Les chaînes de radio sont dans la même situation. La seule chose à laquelle sont intéressées les chaînes de radio en ce qui concerne le projet de loi C-18, ce sont les nouvelles. On a dû mettre à pied tous nos journalistes. On n’a pas de journalistes. Alors, si on a des appuis pour être en mesure de réembaucher des journalistes...
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous n’avez donc pas de journalistes?
M. LaRose : On n’a aucun journaliste actuellement. On est devenu strictement un format musical, parce que c’est tout ce qu’on peut se permettre de faire jusqu’à ce que nos revenus augmentent suffisamment pour nous permettre de réembaucher du personnel.
La sénatrice Miville-Dechêne : Si vous n’avez pas de journalistes, comment pouvez-vous négocier dans le cadre du projet de loi C-18?
M. LaRose : Si on avait des appuis financiers à ce niveau, on aurait des journalistes. Notre but est de créer un environnement permettant d’embaucher des journalistes. On a un partenariat avec IndigiNews. Ils cherchent aussi à embaucher des journalistes, parce qu’on cherche à étendre graduellement le concept de ce journal en ligne à partir de la Colombie-Britannique. On a un journaliste en Alberta et on cherche à étendre le concept à l’échelle du pays.
C’est une question relative à ce qu’on peut accomplir avec durabilité pour de petits organismes et de petits journaux qui cherchent à s’établir et à créer de la nouvelle locale et régionale, qui est presque inexistante actuellement dans certaines régions du pays. Je suis là pour représenter la communauté qui cherche vraiment à obtenir les outils nécessaires pour établir ces petites institutions, ces petits journaux, ces publications en ligne, des stations de radio comme ELMNT FM et d’autres, qui aimeraient avoir du soutien pour embaucher des journalistes de qualité et pour avoir des journalistes dans des régions plus éloignées pour leur fournir du contenu. C’est strictement sur le plan de la nouvelle. Ce n’est pas pour avoir deux DJ le matin et deux l’après-midi. Notre objectif est strictement la nouvelle.
La sénatrice Miville-Dechêne : Madame Ille, pour votre modèle d’affaires, où en êtes-vous, particulièrement en ce qui concerne la publicité et le financement?
Mme Ille : Environ 85 % de nos revenus proviennent des câblodistributeurs. APTN est obligatoire. On reçoit actuellement 35 cents par abonné par mois. Ensuite, ce sont les ventes publicitaires, qui représentent de 2 millions à 2,5 millions de dollars. Ensuite, nous avons quelques partenariats stratégiques. Ce sont des revenus très limités. Les câblodistributeurs... On sait bien que les gens se débranchent de plus en plus. Tous les ans, on voit environ 3 % de diminution de nos revenus provenant des câblodistributeurs. Cela fait très mal à APTN en ce moment. On cherche d’autres sources de revenus. Pour cela, ce projet de loi est très important.
APTN est très actif pour ce qui est des nouvelles. On est privilégié d’avoir une équipe de nouvelles formée d’Autochtones, qui couvre l’actualité à travers le Canada avec des points de vue autochtones. APTN a amené un immense changement à ce niveau quand le réseau a été créé il y a 24 ans. APTN n’a pas fini de se développer. On veut s’assurer que nos nouvelles sont bien reconnues et qu’APTN est reconnu comme un média d’information professionnel. Parce qu’on a le mot « autochtone » attaché à APTN, on ne nous voit pas comme on devrait nous voir. On nous prend plus pour un groupe de militants, à cause du mot « autochtone ». Il faut faire attention et se démarquer. Pour nous, ce projet de loi est très important pour qu’on soit reconnu et que notre narration soit tout aussi reconnue. Dans d’autres médias, une nouvelle de quatre minutes, c’est parfois trop long. D’autres médias disent : « Non, ce n’est pas pour nous, c’est presque un petit documentaire. » Pour nous, quatre minutes, cela nous permet de mettre les choses en contexte; on prend le temps d’expliquer et de faire les liens. C’est ce qui nous démarque. Le réseau APTN est vraiment unique à ce niveau.
La sénatrice Miville-Dechêne : Combien de journalistes avez-vous?
Mme Ille : Une vingtaine de journalistes partout au Canada.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le sénateur Cormier : Bienvenue et merci de vos présentations, qui nous permettent de mieux comprendre. Je connais APTN, mais je connais mal votre fonctionnement. Je voudrais revenir au projet de loi C-18 et à la relation que vous avez possiblement avec Google et Meta. Je ne sais pas si vous avez des ententes avec eux actuellement. Est-ce que la plupart de vos membres, par exemple, rendent du contenu disponible sur ces plateformes que sont Google et Facebook? Si oui, quel est le type de contenu? Dans l’éventualité où le projet de loi serait adopté, seriez-vous l’entité qui négocierait pour vos membres? En effet, je comprends que vous avez des membres.
Je vais tout de suite vous poser ma deuxième question. Vous pourrez répondre aux deux. Vous avez parlé de l’auditoire; évidemment, votre auditoire n’est pas seulement autochtone. Je voudrais savoir quelle proportion de votre auditoire n’est pas autochtone. Qui rejoignez-vous? Nous avons besoin de chiffres pour nous permettre de mieux comprendre votre rayonnement et surtout pour comprendre comment ce projet de loi vous permettrait de négocier. Comment imaginez-vous ce processus de négociation avec Google et Meta? J’aimerais mieux comprendre.
Mme Ille : Je vais essayer de répondre assez succinctement à toutes ces questions. Je ne suis pas certaine de comprendre la question lorsque vous parlez des membres. Pouvez-vous préciser?
Le sénateur Cormier : Vous, comme organisme, je comprends que Dadan Sivunivut est membre du réseau APTN? Non? Pardon, je fais erreur. Vous n’êtes pas membre. Oublions cette question; parlons plutôt des questions qui touchent la relation avec Google et Meta.
Mme Ille : Les médias sociaux sont importants pour APTN, parce que nos nouvelles sont disponibles sur ces plateformes. On met nos nouvelles sur Facebook; comme tout le monde, nos nouvelles sont aussi sur TikTok, ce qui fonctionne très bien pour rejoindre une population plus jeune. On a nos balados et nos nouvelles sur YouTube, où l’on reçoit un peu d’argent, mais c’est vraiment minime.
Il est important d’avoir une visibilité et d’être disponible; c’est une question de découvrabilité. À ce niveau, on est très actif. C’est sûr qu’on essaie d’amplifier nos nouvelles sur Facebook; cela nous pose des défis. On regarde cela de plus près. Souvent, les demandes qu’on fait pour amplifier nos nouvelles sur Facebook sont refusées. Quand on demande pourquoi, ils disent que c’est du contenu adulte, politique ou social et cela ne correspond pas à leurs normes. C’est une démarche que l’on doit faire auprès d’eux. Pour nous, c’est important, parce que le but de faire des nouvelles, c’est de les partager avec le plus vaste auditoire possible, pour que les gens puissent comprendre et être informés et éduqués. Surtout chez les Autochtones, il y a un appétit actuellement pour les histoires disponibles pour tout le monde. Quand je parle d’histoires, je parle en général, pas juste du documentaire ou des variétés; je parle d’histoires dans le sens clair du terme. Premièrement, c’était une question sur l’accessibilité et la raison pour laquelle on veut être...
Le sénateur Cormier : Vous êtes sur les plateformes?
Mme Ille : On est sur les plateformes. On aimerait avoir une compensation pour les nouvelles que l’on fait.
Le sénateur Cormier : Comment imaginez-vous le processus? Je voudrais comprendre le processus de négociation.
Mme Ille : J’aimerais bien le savoir et comprendre comment cela pourrait se passer. Il ne faut pas oublier qu’APTN est un petit organisme sans but lucratif. Google, Facebook et les autres sont immenses. Ce sera difficile de négocier avec eux.
Le sénateur Cormier : Vous joindriez-vous à un consortium?
Mme Ille : Il le faudra bien. On n’a pas d’autre choix : pour créer une force, il faudra se regrouper pour aller de l’avant et bien se situer. De leur côté, il faut qu’il y ait une reconnaissance du travail que l’on fait, des médias autochtones et du type de nouvelles que l’on fait aussi. Il faut avoir cette reconnaissance. C’est important que ce projet de loi reflète bien le travail que l’on fait et la valeur que nous avons pour avoir du poids pour négocier avec eux.
Le sénateur Cormier : Sur la question de l’auditoire non autochtone?
Mme Ille : Le réseau APTN est abonné à Numeris, qui répertorie les cotes d’écoute. Dans leur échantillonnage, il y a peut-être 0,1 % d’auditoire autochtone. L’auditoire est donc formé principalement de non-Autochtones. On voit quand même qu’on a une portée et qu’APTN est regardé par une population non autochtone.
Le sénateur Cormier : Vous n’avez pas de données?
Mme Ille : On a des données, mais on ne les partage pas, parce qu’on ne trouve pas qu’elles sont représentatives de notre auditoire.
Le sénateur Cormier : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Pour être tout à fait franc, je dois dire que j’ai eu la chance de faire partie du CRTC lorsqu’APTN a obtenu sa licence, et assurément, pour moi-même et pour les autres commissaires qui y ont participé, c’était là le point culminant de notre mandat au CRTC. Je pense que vous avez présenté à l’époque un plan très riche et très ambitieux, qui a enthousiasmé beaucoup d’entre nous. Certains avaient des doutes, mais vous avez atteint et surpassé ces plans il y a longtemps. Ils ont été relégués aux oubliettes, et vous êtes allés plus loin, alors félicitations.
Deux autres sénateurs, la sénatrice McCallum et la sénatrice Osler, et moi avons eu l’occasion de visiter vos installations et votre siège social à Winnipeg il y a quelques semaines. Il est vraiment encourageant de voir à quel point vous avez progressé de façon très professionnelle en offrant d’énormes services. J’en ai tiré énormément de renseignements.
Je vais vous demander, à l’intention de mes collègues, de nous rappeler combien de flux vous avez, combien de stations de radio vous avez, comment elles sont financées et comment Dadan Sivunivut est financé. Tout cela est lié à la question dont nous traitons, car je me demande si vous avez vraiment besoin de plus d’argent ou si vous nagez tout simplement dans l’argent.
Mme Ille : Je peux commencer par APTN. Chez APTN, nous avons quatre flux de diffusion en ce moment : l’est, l’ouest, le nord et notre flux HD, et , comme je l’ai mentionné, la grande majorité des revenus provient des abonnés au câble.
M. LaRose : Pour ce qui est de Dadan Sivunivut, lorsque nous nous sommes séparés d’APTN, APTN nous a fourni un peu de capital de départ pour nous permettre de nous lancer. À l’époque, on ne s’attendait pas à une pandémie. Les entreprises sont essentiellement toutes à but lucratif. Par exemple, les sociétés musicales fonctionnent grâce aux revenus tirés des droits d’auteur des artistes. Elles reçoivent une part des redevances qui reviennent à l’artiste. Elles sont également responsables d’organiser les tournées de concert, les lancements de disques, les lancements de disques compacts, etc. Elles génèrent également des revenus par le truchement d’opérations commerciales, comme toute autre agence de gestion des talents. L’agence de droits perçoit des redevances pour toute la musique qu’elle concède sous licence. Notre catalogue musical est utilisé par CBC, CTV et Global, ainsi que par toute une gamme de producteurs et de sociétés de production, autochtones et non autochtones, qui veulent du contenu autochtone pour leurs productions. Elle commence aussi à se vendre dans le monde entier. Donc, tous les revenus sont générés par les opérations.
Les stations radiophoniques devaient générer des revenus grâce à la publicité. Cependant, ce qui s’est passé pendant la pandémie — et je pense que d’autres réseaux ont vécu la même chose — c’est que l’auditoire s’est éloigné de la radio traditionnelle. Beaucoup de gens étaient enfermés chez eux. Ils ont découvert la diffusion en continu et toutes sortes d’autres sources. Ils ont créé des listes de lecture. Cela a commencé avant, mais le phénomène s’est accéléré pendant la COVID. Les auditoires ont chuté, ce qui signifie que les revenus ont chuté. Ils ont chuté de 95 % au cours des deux premiers mois qui ont suivi le début de la pandémie, de mars à avril et jusqu’en mai. La situation commence à peine à se rétablir. Pour l’instant, la situation est difficile pour nous, et en tant qu’entreprise, si les revenus n’augmentent pas, nous devrons envisager sérieusement de fermer les stations de radio.
Nous fonctionnons selon un modèle d’affaires. Nous ne recevons aucun financement du gouvernement. Il n’y a pas de fonds gouvernementaux pour ce que nous faisons, pour la radio autochtone.
Le sénateur Cardozo : Avez-vous deux ou trois stations?
M. LaRose : Il y a deux stations, une à Ottawa et une autre à Toronto. Ce sont les deux marchés les plus difficiles à percer, si vous le voulez. Je vous le dis d’expérience: ils sont très difficiles. En même temps, nous générons un auditoire et suscitons un intérêt.
L’autre entité avec laquelle nous travaillons, IndigiNews, que j’ai mentionnée plus tôt, fonctionne selon le modèle des dons ou d’un abonnement mensuel. Les personnes qui aiment le journal et le contenu et veulent en savoir davantage feront un don ou s’abonneront à la publication mensuelle. À l’heure actuelle, il y a beaucoup plus de non-Autochtones que d’Autochtones qui s’abonnent à IndigiNews, parce que les premiers s’intéressent au contenu et aux reportages. Ils ont tenu la semaine dernière, je pense, une réunion communautaire à Cowichan. La plupart des personnes présentes étaient des non-Autochtones venus pour savoir comment l’organisation survivait et comment elle s’en tirait et l’encourager à continuer d’avancer, parce qu’ils avaient besoin d’entendre les histoires qu’elle leur présentait.
Selon ce point de vue, nous savons que nous tissons des liens avec les Canadiens et avec nos communautés. Nous atteignons les objectifs et la mission que nous nous sommes donnés en 1998 lorsque nous avons comparu devant le Conseil. Nous voulons élargir cela afin de fournir véritablement aux Canadiens l’occasion d’apprendre à nous connaître en tant qu’Autochtones. Il en va de même pour nos musiciens. Lorsque vous écoutez, vous entendrez des musiciens que vous n’entendrez nulle part ailleurs. Ils tirent également maintenant des revenus des redevances. Les Canadiens commencent à les découvrir et à les inviter à participer à des concerts qui ne s’adressent pas spécifiquement aux Autochtones. L’objectif est de créer un lieu pour nous-mêmes dans ce pays qui nous permet d’être sur un pied d’égalité avec tout le monde.
Le sénateur Cardozo : Pour revenir brièvement à la question principale que vous avez soulevée au début, le changement que vous souhaitez peut-il être mis en œuvre par l’intermédiaire de règlements? Je pose la question parce qu’il y a un problème d’amendements et que cela retarde le projet de loi. Les règlements présentent également certains avantages, car ils peuvent être modifiés et amendés au fil du temps beaucoup plus facilement que la Loi sur la radiodiffusion.
M. LaRose : Nous sommes au courant de cela. Je suis d’accord avec vous. C’est ce à quoi j’ai fait allusion dans mon exposé. Nous avons dialogué avec de hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine et du cabinet du ministre. Ils nous ont assurés que les règlements seront plus larges que ce que nous interprétons et voyons actuellement. C’est pourquoi nous nous sommes présentés ici. Nous voulions dire que, même si nous reconnaissons notre préoccupation, nous pouvons admettre que les règlements permettront de nous fournir une perspective élargie et de nous assurer que nous ne serons pas exclus, comme les définitions pourraient nous le laisser croire. C’était notre préoccupation.
Le sénateur Cardozo : Merci.
À vous deux, vous avez été PDG pendant plus de 20 ans environ?
M. LaRose : Pendant 24 ans.
Le sénateur Cardozo : Félicitations pour ce que vous faites, et merci d’être venus ici aujourd’hui.
M. LaRose : Merci.
Mme Ille : Merci.
La sénatrice Dasko : Merci d’être ici aujourd’hui.
C’est un sujet très important pour le projet de loi. Je veux comprendre deux ou trois choses, dans la foulée des questions du sénateur Cormier concernant les négociations. J’aimerais commencer par votre préoccupation au sujet de la définition telle qu’elle est présentée actuellement concernant les médias d’information autochtones qui produisent du contenu de nouvelles destiné principalement aux Autochtones. Votre auditoire est-il principalement composé de non-Autochtones? Est-ce pourquoi vous avez l’impression que vous pourriez être touchés négativement?
M. LaRose : Notre auditoire principal, ce sont les Autochtones, mais nous cherchons à rejoindre tous les Canadiens. Nous avons donc...
La sénatrice Dasko : Mais vous ne seriez pas désavantagés par la définition actuelle, parce que l’on dit « produit du contenu de nouvelles destiné principalement aux peuples autochtones ». Essentiellement, cela décrit-il votre mandat actuel?
M. LaRose : Le mandat est de créer du contenu de nouvelles qui traite de la réalité autochtone. C’est notre réalité.
La sénatrice Dasko : D’accord, oui.
M. LaRose : Nous devons présenter les réalités associées au fait d’être une personne autochtone au Canada, soit des événements et ainsi de suite.
De la même façon, ce qui s’est passé, surtout depuis 2021, avec la découverte à Kamloops... Beaucoup de Canadiens ont commencé à se tourner vers nous pour en apprendre davantage. Ils disent qu’ils n’ont jamais connu cette partie de leur histoire. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important que nous parlions à tout le monde, pas seulement à nous-mêmes. C’est ce qui nous préoccupait. Nous ne voulons pas être considérés...
La sénatrice Dasko : Je dis juste que, à l’heure actuelle, vous correspondez parfaitement à cette définition, n’est-ce pas?
M. LaRose : En effet, sauf lorsqu’elle dit...
La sénatrice Dasko : Parce que c’est bien votre mandat et c’est principalement votre public.
M. LaRose : Oui.
Mme Ille : Permettez-moi de reformuler mes propos. Nous voulons nous assurer que les médias autochtones s’adressent non seulement aux Autochtones et qu’il y a une compréhension et une reconnaissance de la part des Canadiens de ce que nous faisons. Nous voulons nous assurer que cette distinction est là. Nous espérons que cela nous donnera un certain pouvoir de négociation.
N’oublions pas que nous devons aller nous battre et obtenir la compensation qui nous revient avec nos nouvelles pour qu’ils ne disent pas : « Vous êtes seulement des Autochtones, donc puisqu’il s’agit de la population autochtone du Canada, c’est le ratio auquel nous pensons et voici ce que vous devriez obtenir. » C’est simplement pour nous assurer que cela ne joue pas contre nous et qu’ils comprennent que les médias autochtones s’adressent à tout le monde. Nos histoires ne sont pas seulement destinées aux Autochtones.
La sénatrice Dasko : En fait, cela m’amène à ma prochaine question au sujet des négociations. J’étais juste un peu confuse, monsieur LaRose, lorsque vous avez dit que vous vouliez négocier afin de recevoir des fonds pour des investissements futurs. Si j’ai bien compris le projet de loi, vous devez présenter des arguments qui disent : « C’est ce que nous faisons maintenant » et non pas ce que vous aimeriez faire. De nombreuses organisations aimeraient faire de nombreuses choses, mais si j’ai bien compris, vous allez là-bas et dites ce que vous faites en ce moment : « Voici notre contenu de nouvelles, et voici notre contenu de nouvelles accessible en ligne. » Vous ne pouvez pas dire : « Si nous avions plus d’argent, nous ferions toutes ces choses formidables. » Je suis un peu confuse.
M. LaRose : Si c’est ce que vous avez compris, je m’excuse. Ce n’est pas ce que je voulais dire.
La sénatrice Dasko : C’est ce que j’ai compris.
M. LaRose : J’essayais de dire que, par exemple, avec ELMNT FM, vu la situation financière actuelle et les répercussions de la pandémie, nous avons dû mettre à pied nos journalistes. Nous en comptions auparavant quatre, et nous voulons revenir à ce nombre. Ce n’est pas comme si nous cherchions à bâtir une organisation de 40 journalistes. L’objectif est de nous fournir la capacité de nous occuper à nouveau de l’actualité. C’est ce pour quoi le projet de loi existe. Il vise à fournir la capacité de soutenir une activité médiatique au sein de votre organisation médiatique, que ce soit la télévision, la radio, le journal ou quoi que ce soit d’autre.
Donc ce serait la même règle, telle qu’elle s’applique à tout le monde. Nous irions là-bas... et je n’ai vraiment aucune idée de ce à quoi ressemblera le processus de négociation. Je ne pense pas que qui que ce soit d’entre nous le sache vraiment. Va-t-on chercher là-bas une échelle salariale par journaliste, ou comment cela va-t-il fonctionner? Je n’en ai pas la moindre idée.
Pour nous, il s’agit simplement de nous assurer que le libellé inscrit dans le projet de loi, la viabilité des médias d’information autochtones...
La sénatrice Dasko : C’est l’écosystème. C’est ce dont il parle, et l’écosystème est tout le monde.
M. LaRose : Exact. Parce qu’avec IndigiNews, nous savons ce que nous coûte le fait d’avoir un journaliste dans une collectivité éloignée, qui couvre des histoires très locales et régionales, et c’est la même chose avec APTN. Au fil des ans, nous sommes passés à 12 bureaux partout au pays, je crois. Si vous faites un reportage au Nunavut ou dans des parties éloignées du pays, c’est très différent du fait d’avoir un journaliste à Toronto qui couvre l’hôtel de ville à deux coins de rue et revient. Vos coûts se situent dans une échelle totalement différente. C’est l’objectif ici.
La sénatrice Dasko : Envisagez-vous de négocier avec d’autres producteurs autochtones ou avec des non-Autochtones? Il n’est pas facile d’envisager le processus. Vous avez mentionné plus tôt que vous feriez peut-être partie d’un consortium, mais vous avez aussi dit que cela pourrait être source de préoccupations, parce que les autres membres du consortium pourraient ne pas reconnaître votre situation unique. Dans ce cas, pensez-vous que vous pourriez négocier avec des organismes autochtones?
Mme Ille : Je ne le sais vraiment pas. C’est une très bonne question, n’est-ce pas? Ce pourrait être avec d’autres organisations médiatiques autochtones, mais il y a aussi de petits médias indépendants non autochtones qui ont également besoin de soutien. Il est difficile de le dire maintenant et d’envisager comment cela va se passer. Ce que je sais, c’est que nous sommes petits et indépendants, et nous devrons travailler ensemble pour créer la force nécessaire à l’obtention d’un certain pouvoir de négociation.
M. LaRose : Certains d’entre nous nous sommes parlé — NCI, d’autres petites organisations radiophoniques autochtones de partout au pays — et avons eu des discussions initiales sur le fait de peut-être unir nos efforts. Nous avons commencé à tenir des conversations préliminaires sur la façon dont nous pourrions unir nos efforts et voir qui nous pourrions inviter, mais c’est très préliminaire. Nous ne voulons pas aller dans une direction seulement pour découvrir que ce n’est pas ainsi que le processus fonctionnera. Mais il y a une ouverture, certainement de notre part, pour travailler ensemble. Par exemple, j’ai mentionné que nous avons un partenariat avec le Discourse, Indiegraf et que sais-je encore, et nous verrons si ces petites publications en ligne et organisations indépendantes, et cetera... si nous pouvons, en tant que groupe, tenir ces conversations. Encore une fois, tout dépendra de ce qui se passe. Nous lisons actuellement un exposé que Meta a présenté au comité, et si le projet de loi est adopté, il n’y aura aucune nouvelle nulle part, et personne ne sera payé. Nous n’avons aucune idée de ce qui se passera dans l’avenir. Assurément, nous réagirons en fonction de là où nous aboutirons.
[Français]
Le président : J’aimerais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Raymonde Saint-Germain, qui est une nouvelle membre du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Bienvenue, sénatrice Saint-Germain. Vous avez la parole.
La sénatrice Saint-Germain : Je suis une « ancienne » nouvelle membre, parce que je reviens au comité. Merci à vous deux pour vos présentations. Incidemment, c’est fort agréable d’entendre les témoins directement dans l’une ou l’autre des deux langues officielles.
J’ai une question principale et une question complémentaire, qui sont toutes deux liées à votre reconnaissance et à l’adaptation de la loi à votre statut.
Dans un premier temps, je dois vous dire qu’en 2016, quand j’étais protectrice du citoyen du Québec, j’ai fait une enquête sur les conditions de détention des personnes incarcérées au Nunavik. J’ai donné une entrevue à votre station du Nord qui a fait l’objet de trois documentaires, et je n’ai aucun doute que cette entrevue a été réalisée par des professionnels. C’est de loin l’une des meilleures couvertures, et parmi les plus exactes et critiques que j’ai reçues sur ce rapport. Chacun parle de ses expériences; voici celle que j’ai eue avec vous.
Ma première question porte sur le fait que vous avez déclaré en 2022 — c’était en septembre, je crois, devant la Chambre des communes — que vous étiez inquiète quant à la hiérarchie des statuts donnés aux différents services de nouvelles, notamment aux médias de la diversité, ceux qui servent les communautés autochtones. Quand je regarde dès le départ les définitions et les interprétations, je vois au contraire très rapidement une reconnaissance de ce que vous êtes — je dirais en même temps une reconnaissance adaptée — et je fais le lien avec la question de ma collègue la sénatrice Simons. Quand on parle des collectivités autochtones qui ont des médias d’information sous forme de récits autochtones, du contenu de nouvelles, pour moi, c’est l’équivalent du documentaire dans ce que l’on peut appeler les médias plus traditionnels.
J’aimerais que vous me rassuriez sur le fait que cette hiérarchie est correcte ou au contraire, est-elle une reconnaissance particulière de votre situation?
Mme Ille : Merci pour la question. Oui, effectivement, je parlais du sous-alinéa 11(1)a)(vi) à l’étape de la première lecture, qui précisait ce qui suit :
que l’éventail des médias d’information visés par ces accords reflète la diversité du marché canadien, notamment sur le plan linguistique, les groupes racialisés et les collectivités autochtones [...]
C’était caché. C’était la seule mention des Autochtones et elle se trouvait dans cet article-là. Il n’y avait donc pas de reconnaissance. Beaucoup de travail a été fait et on nous a écoutés. Puis, à l’étape de la troisième lecture, on a cette reconnaissance. Oui, cette hiérarchie n’existe plus et nous sommes très reconnaissants de cela. On nous a écoutés, on nous a entendus et on a compris nos préoccupations à cet effet.
La sénatrice Saint-Germain : Très bien. Vous n’avez rien à ajouter, monsieur LaRose?
M. LaRose : Tout ce que j’ajouterais à cela, c’est que le parallèle, pour nous, était l’ancienne Loi sur la radiodiffusion, la loi de 1991 dans laquelle on avait une place particulière. Lorsque les ressources seraient disponibles, il y aurait des appuis pour le secteur autochtone.
Sauf pour APTN, les ressources ne se sont jamais matérialisées dans un pays qui est quand même l’un des plus riches au monde. Pour nous, c’est encore la question de savoir comment on peut vraiment se créer un espace qui nous permettra de jouer sur un pied d’égalité par rapport au reste de l’industrie, où on a les mêmes possibilités et les mêmes occasions d’établir nos institutions, de les rendre profitables et de parler aux Canadiens.
La sénatrice Saint-Germain : Pour ma question complémentaire, monsieur le président, elle est vraiment liée à celle de la sénatrice Dasko et elle porte sur votre plan d’affaires une fois que cette loi sera adoptée. Au-delà de ce que la loi stipulera, vous avez déjà un contexte d’affaires qui peut vous permettre de conclure des alliances avec d’autres médias canadiens et internationaux quant à la rediffusion de vos reportages.
Il me semble que vous vous attendez peut-être à ce que, une fois adoptée, cette loi — et sa réglementation très importante — règle une situation problématique de financement et de développement de vos affaires, ce qui n’est pas l’objet de la loi à l’origine. Je voulais juste vous entendre sur votre plan d’affaires par rapport à qui vous êtes et à la nature de l’auditoire que vous voulez élargir et je voudrais aussi savoir comment cette loi peut être un levier. En même temps, au-delà de cette loi, il doit quand même y avoir d’autres initiatives qui sont, à mon avis, les vôtres?
M. LaRose : Absolument, et c’est le point que j’ai tenté de clarifier. En réalité, le projet de loi serait utile pour deux des groupes avec lesquels on travaille : les deux postes de radio qui n’ont pas de journalistes actuellement, pour lesquels c’est très important, à notre avis, d’avoir des journalistes et aussi IndigiNews, une publication autochtone en ligne qu’on a lancée avec The Discourse en Colombie-Britannique et qu’on veut étendre à l’échelle du pays. On aimerait avoir au moins un ou deux journalistes par province, éventuellement.
Le plan d’affaires, dans ce cas-ci, est axé sur les nouvelles dans les deux cas, pour la radio et pour IndigiNews, pour avoir des ressources pour établir des postes de journalistes qui couvriront la nouvelle autochtone dans des communautés, mais aussi très souvent la réalité non autochtone et l’interaction autochtone qui peut se produire, comme on le fait actuellement avec IndigiNews dans certaines communautés de la Colombie-Britannique. Notre plan d’affaires n’est pas d’aller chercher des fonds pour appuyer d’autres initiatives; ce n’est pas le but.
À mon sens, ce que je comprends, c’est que le projet de loi vise à trouver des ressources pour appuyer la création de nouvelles et rien d’autre. Pour nous, c’est très important. Je me souviens de ce que le service de nouvelles coûtait à APTN quand j’étais là; c’était une partie importante de notre budget, à cause de la distance et de tout le territoire à couvrir. C’est la même chose pour la radio. Par exemple, lorsque nous avons deux journalistes à Ottawa qui couvrent la nouvelle, ils doivent se rendre jusqu’à Kitigan Zibi ou à Pukatawaga pour ramener les nouvelles de nos communautés à l’auditoire de la région d’ici. C’est strictement pour les nouvelles, pas pour aller chercher un disc-jockey ou autre chose; c’est strictement pour les nouvelles.
La sénatrice Saint-Germain : Merci de la précision.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : Je vais poursuivre dans le même ordre d’idées. Vous semblez dire, comme vous l’avez dit à la sénatrice Dasko, qu’il s’agit de stimuler l’expansion. Vous voulez que cela finance l’expansion, et non pas les opérations existantes.
M. LaRose : Je ne crois pas que ce soit très différent de ce que disent les autres grands journaux, c’est-à-dire qu’ils veulent réembaucher des gens et créer des postes de journalistes régionaux, et cetera, parce qu’ils ont dû fermer ces bureaux et laisser aller ces journalistes. Nous essayons de créer quelque chose qui n’existe pas. Si nous cherchons à élargir IndigiNews en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, nous prenons des nouvelles de ces régions qui sont non seulement mal desservies, mais non desservies, et créons une occasion pour ces régions de faire des reportages sur nos collectivités et le reste du Canada.
La sénatrice Wallin : Je pense que ce que nous avons entendu de la part des exploitants actuels est qu’ils veulent être indemnisés pour l’utilisation de matériel existant par les plateformes, et non pas s’étendre dans des régions où ils pourraient vouloir s’étendre, comme tout le monde le dit. Tout le monde aimerait faire croître ses marchés, mais ce n’est pas la réalité. Les marchés se rétrécissent.
M. LaRose : Je ne pense pas le contraire, mais j’ai entendu certains d’entre eux, par exemple, à Newsgeist l’an dernier, dire qu’ils espéraient que le projet de loi leur fournisse la possibilité de rétablir des bureaux éloignés, et cetera, qu’ils avaient dû fermer en raison d’un manque de ressources.
La sénatrice Wallin : Qui finançait ces activités ou ces journalistes dans le cadre de vos activités avant la pandémie? Vous avez dit que c’était en quelque sorte tout...
M. LaRose : Nous les financions à même nos revenus, mais lorsque les revenus ont chuté de 95 %, il ne restait plus d’argent. Nous les financions à même les activités, nos revenus, tout comme le Globe & Mail finançait un vaste organisme de presse avant qu’il commence également à...
La sénatrice Wallin : Ce matériel était-il capté par les services de diffusion en continu?
M. LaRose : Une partie, oui. Avec ELMNT FM, très souvent, des extraits de nos reportages radiophoniques étaient diffusés. Nous les publiions sur...
La sénatrice Wallin : Vous les publiiez?
M. LaRose : Nous les publiions pour que les gens puissent les consulter, et nous...
Le président : Je m’excuse, mais nous devons poursuivre. Nous allons passer au deuxième tour.
La sénatrice Simons : Facebook/Meta a formulé très clairement une menace ou une promesse, disant qu’il bloquera tout contenu visé par le projet de loi C-18. Google s’est montré un peu plus indirect, mais je pense que c’est également son intention. Vous préoccupez-vous du fait qu’avec la définition des « récits autochtones », vous puissiez effectivement créer une situation où Facebook bloque tout ce qui pourrait être partagé par APTN si son interprétation des « récits autochtones » englobe la totalité de vos activités?
Je comprends très bien ce que vous dites, monsieur LaRose, à savoir que vous n’avez pas pu obtenir de fonds dans le cadre de l’Initiative de journalisme local, ce qui me semble ridicule. De toute évidence, si les gens font du journalisme local, ils devraient être admissibles. Mais cela ne signifie pas nécessairement que vous devriez corriger le tir en englobant tout. Je crains vraiment que si Google et Facebook donnent suite à leurs menaces, vous ne soyez complètement exclus des services sur Internet.
M. LaRose : Si nous prenons les nouvelles ici, assurément tous les organismes de presse au Canada seront touchés par les mesures prises par Facebook. Si Facebook décide de bloquer — et Google a aussi fait des tests, apparemment — donc s’ils ont tous deux l’infrastructure leur permettant de bloquer toute nouvelle en provenance des organismes de presse, comme je l’ai dit plus tôt, cela touche tout le monde. Non seulement nous ne recevons pas la couverture qui nous aide à susciter un certain intérêt maintenant, mais nous ne recevons rien pour ce que nous faisons de toute façon. Nous perdons sur tous les tableaux.
Si c’est le cas — et je ne sais pas comment se sont déroulées les négociations en Australie — mais il y a eu quelques conversations entre le gouvernement et ces institutions, et elles ont abouti à un accord qui a fonctionné. Maintenant, c’est quelque chose en place qui semble fonctionner.
Bien sûr, nous pouvons être bloqués...
La sénatrice Simons : Mais ma question est la suivante : en insérant la définition des « récits autochtones », qui, je sais, est très claire pour vous... mais si j’étais les avocats de Facebook, je leur dirais de bloquer tout ce que vous faites, parce que tout pourrait être considéré comme des « récits autochtones ».
Mme Ille : J’ai passé en revue l’ensemble des amendements que Facebook a présentés, et ils retirent assurément les « récits », mais ils n’expliquent pas pourquoi. Ils fournissent d’autres justifications pour ce qu’ils veulent voir retiré. Nous ne savons pas pourquoi...
La sénatrice Simons : Ils ont retiré tout ce qui concerne la radiodiffusion, tout ce qui y était lié.
Mme Ille : Je sais, mais je dis que je ne vois pas pourquoi ils l’ont fait. Ils ont justifié d’autres amendements ou suppressions, mais pas cette suppression-ci. C’est une source de confusion pour nous. Ils mettent aussi les Autochtones dans le même panier, ce qui nous oblige à avoir deux employés et un code de déontologie du journalisme. Essentiellement, ils excluent complètement la radiodiffusion. Cela vide tout de son contenu. Je ne pense pas que ce libellé ait une si grande incidence. Je pense que le portrait est beaucoup plus large. J’essaie de mieux comprendre leurs motivations. Pourquoi ont-ils éliminé cela? Quelle est la menace posée par le fait d’inscrire « récits autochtones »? C’est la question que je souhaite leur poser.
La sénatrice Simons : Je pense que la menace existentielle pour vous est...
Mme Ille : Pas seulement pour nous.
Le président : Sénatrice Simons...
La sénatrice Simons : D’accord, j’ai dit ce que je voulais dire.
La sénatrice Dasko : Je souhaite simplement clarifier quelque chose : vous n’avez pas d’ententes avec les plateformes.
Mme Ille : Non, nous n’en avons pas.
La sénatrice Dasko : Les avez-vous abordées afin de négocier quelque chose?
Mme Ille : Nous n’entretenons pas de relation avec elles.
M. LaRose : Nous avons travaillé avec Facebook. Nous faisions la promotion d’un concours sur les stations de radio ELMNT, et ils nous ont fourni des crédits publicitaires pour ce faire. Mais c’est l’entente qu’ils ont actuellement avec beaucoup d’organisations autochtones, d’organisations non autochtones et de petits médias. C’est en fonction de l’offre, si vous le voulez. Ce n’est rien de majeur.
Nous leur avons parlé d’un de leurs programmes pour les organismes sans but lucratif, et nous pensions que les stations de radio pourraient y participer, mais nous n’avons jamais dépassé l’étape de la conversation. Avec ce projet de loi en cours, je pense qu’ils prennent du recul pour voir ce qui va se passer ici avant que quoi que ce soit n’arrive.
Donc nous n’avons rien en place, et il n’y a aucune discussion en cours qui permettrait de mettre quelque chose en place.
La sénatrice Dasko : La proposition de valeur pour les plateformes est le contenu de nouvelles que vous rendez accessible en ligne. Pouvez-vous me dire environ quelle quantité de contenu de nouvelles vous rendez accessible en ligne en ce moment?
Mme Ille : La plupart de nos histoires sont accessibles en ligne. Nous sommes très actifs pour publier nos histoires, parce qu’elles rejoignent un public différent et plus grand. Nous sommes très actifs sur notre site de nouvelles.
La sénatrice Dasko : La plupart de vos reportages sont publiés en ligne?
Mme Ille : La plupart de nos reportages se retrouvent en ligne, oui.
Le président : Je remercie nos intervenants d’aujourd’hui d’être ici avec nous et de nous avoir fait part de leurs points de vue.
Pour notre deuxième groupe de témoins, je suis ravi d’accueillir David Skok, fondateur et chef de la direction de La Logique; Ben Wood, éditeur, All Business Online News Group; et Jeanette Ageson, éditrice, The Tyee, Independent Online News Publishers of Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence.
Bienvenue et merci de vous joindre à nous. Vous aurez chacun cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire, puis je céderai la parole à mes collègues pour les questions et les réponses. Nous commencerons par La Logique. Monsieur Skok, la parole est à vous.
David Skok, fondateur et chef de la direction, La Logique : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je suis fondateur, chef de la direction et actionnaire majoritaire de La Logique, une publication professionnelle et technologique canadienne qui célèbre son cinquième anniversaire.
Nous employons presque deux douzaines de journalistes et de rédacteurs en chef dans cinq bureaux situés partout au pays, y compris l’un des seuls bureaux de langue anglaise qui reste au Québec. Nous sommes une petite entreprise indépendante qui ne compte aucun lobbyiste, n’est financée par aucune association commerciale et n’a aucune allégeance envers une quelconque entreprise en démarrage ou des intérêts patrimoniaux. Malgré ces origines humbles, l’an dernier, La Logique a remporté plus de prix de l’Association for Business Journalists — ou SABEW — reconnaissant le meilleur journalisme d’affaires au Canada que n’importe quelle autre publication en dehors du Globe and Mail, devançant des médias d’information internationaux de premier plan tels que le Wall Street Journal et Bloomberg.
Au cours de mes 25 années de travail dans les médias, je me suis retrouvé au milieu de la relation changeante entre les grandes sociétés technologiques et les éditeurs, ce qui m’amène au projet de loi C-18. Je vous demande de bien vouloir approuver ce projet de loi immédiatement. Bien qu’il ne soit pas parfait, il permettra d’égaliser les règles du jeu dans trois domaines principaux.
Premièrement, le projet de loi C-18 est un filet de sécurité qui oblige les éditeurs et les plateformes à s’asseoir à la table pour conclure des accords justes et équitables qui ne privilégient pas les seuls détenteurs d’un pouvoir de négociation.
Il y a déjà des ententes secrètes entre les géants de la technologie et les médias d’information qui ont leur préférence, ce qui a pour effet de dénaturer la concurrence et de faire pencher davantage la balance en faveur des intérêts de ces plateformes. Cela ne se fait pas seulement au Canada, en passant. Partout dans le monde, les géants de la technologie lancent de l’argent à leurs éditeurs favoris, en espérant pouvoir ainsi contourner la loi. À cette fin, ils choisissent les gagnants et nuisent à la compétition et l’innovation dans un secteur dont les citoyens dépendent pour obtenir de l’information.
Juste le mois dernier, on a appris que le New York Times allait recevoir 100 millions de dollars de Google sur trois ans. Comme un collègue du Globe and Mail a dit à votre comité, cet accord avec Google lui donne des avantages énormes, et pas seulement du point de vue monétaire, puisque l’argent a servi à financer les activités de l’entreprise et à embaucher du personnel venant d’autres organes de presse; cela lui donne aussi une visibilité préférentielle dans les recherches sur Google, ainsi que des conseils sur la façon d’optimiser ses produits sur les appareils mobiles.
Malgré tous nos efforts, La Logique n’a pu conclure aucune entente de la sorte avec l’une des grandes plateformes technologiques visées par le projet de loi C-18. En conséquence, cela fait deux ans que nous subissons un désavantage concurrentiel dans la lutte pour attirer les talents, les ressources et les distributeurs, contre d’autres médias déjà bien établis et ayant énormément de ressources, comme le Globe and Mail et le New York Times. L’objectif du projet de loi C-18 est de corriger ce déséquilibre.
Deuxièmement, le projet de loi C-18 va aussi indemniser équitablement les éditeurs de presse au moyen d’accords de licence commerciale, pour l’utilisation du journalisme axé sur les faits. Étant donné la montée de l’intelligence artificielle — l’IA —, c’est une chose dont nous aurons cruellement besoin. De plus en plus, les moteurs de recherche fournissent en réponse aux questions des utilisateurs du contenu intégré provenant de leurs propres sites, au lieu d’afficher des liens qui envoient l’utilisateur vers le site Web de l’éditeur. Cela veut dire que les plateformes recueillent des reportages factuels, sans permission pour que les utilisateurs restent sur leurs sites Web. Cela ne représenterait pas un problème si les éditeurs étaient indemnisés équitablement. Dans le cas contraire, certains pourraient appeler cela du vol. Les géants de la technologie devraient vouloir des accords de licence, maintenant, parce que cela leur éviterait une partie des longues contestations liées aux droits d’auteur et des poursuites judiciaires onéreuses que l’IA générative va inévitablement entraîner plus tard. Cela fonctionne de la même façon que les accords de syndication aujourd’hui : si vous achetez le contenu sous licence, vous êtes libre de l’utiliser, dans le cas contraire, vous ne pouvez pas.
Troisièmement, chaque jour où l’adoption de ce projet de loi est retardée est un jour de plus qui nous rapproche de la disparition des organes de presse canadiens. Si les conditions étaient équitables, La Logique pourrait continuer à croître et à remplir les vides qu’il reste dans notre désert d’information. Cependant, nous ne pouvons pas non plus fermer les yeux sur les emplois qui disparaissent et les conséquences désastreuses de ces disparitions : nous perdons des gens qui ont des décennies d’expérience en journalisme, des gens que nous pourrions peut-être embaucher pour étoffer nos équipes. Il faut commencer dès maintenant à rebâtir.
Je ne reproche pas aux géants technologiques d’avoir construit une meilleure souricière. Grâce aux progrès technologiques, les journaux peuvent être lus par plus de gens que jamais dans l’histoire, mais cela ne veut pas dire que les géants de la technologie devraient pouvoir dicter la façon dont le journalisme fonctionne dans notre pays. Je les regarde faire depuis bien trop longtemps, par exemple récemment, lorsqu’ils ont mené des essais visant à bloquer l’accès aux nouvelles de certains Canadiens. Peu importe la tactique, les plateformes ont établi les règles du jeu et les modalités de la diffusion journalistique, tout en se déchargeant entièrement du coût de l’effondrement du journalisme.
Est-ce que j’aimerais qu’il y ait davantage de transparence dans ce projet de loi? Oui. Est-ce que j’aimerais que davantage de plateformes soient visées, compte tenu des enjeux relatifs aux droits d’auteur et à l’IA? Bien sûr. Mais le fait est que nous avons déjà perdu deux ans, et, au rythme où les choses changent, il n’y aura jamais de projet de loi parfait.
Le projet de loi C-18 ouvre la voie pour que le journalisme puisse progresser davantage; il constitue un pas vers un système de licence plus juste, plus proportionnel et plus équitable, avec des plateformes. Je vous prie d’adopter le projet de loi C-18 rapidement, afin qu’il puisse obtenir la sanction royale et que je puisse retourner faire le travail que j’aime : créer une entreprise qui offre à toute la population du Canada des reportages de haute qualité.
Merci.
Le président : Merci, monsieur.
La parole va maintenant à M. Wood, du All Business Online News Group.
Ben Wood, éditeur, All Business Online News Group : Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour. Je suis l’éditeur d’une chaîne de journaux en ligne. Nous servons un public de plus en plus nombreux de milliers d’abonnés payants qui s’intéressent à notre couverture quotidienne du monde des affaires et de la politique en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Nouveau-Brunswick et, récemment, en Saskatchewan.
J’aimerais proposer un amendement au projet de loi C-18 pour offrir des mesures de soutien financier ciblées aux petits et moyens médias d’information, étant donné que, selon les données provenant d’Australie, ce seront en fait la poignée de grandes sociétés de presse, qui dominent déjà le marché national, qui bénéficieront de façon disproportionnée de ce qui est proposé dans le projet de loi.
En 2001, nous avons lancé allNovaScotia.com, parce que nous étions convaincus que cela vaut la peine de payer pour les nouvelles. Depuis, nous avons élargi nos activités, et maintenant, nous employons plus de 40 journalistes et rédacteurs, qui travaillent dans six salles de presse d’un bout à l’autre du pays. Pour ainsi dire, tous nos 50 employés sont aussi actionnaires de notre entreprise. Ils forment une équipe dont la priorité est d’étendre vers de nouveaux marchés au Canada notre journalisme approfondi, notre marque en qui les gens ont confiance.
Notre modèle d’affaires exclusivement numérique, visant à fournir aux abonnés de l’information de première qualité protégée par un verrou d’accès à péages durs, prouve qu’il y a un bel avenir pour un journalisme approfondi et équilibré dans notre pays, même si la route a été longue pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui. Nous savons que le fait de donner de l’information gratuitement — même de petites quantités d’information à des fins promotionnelles — diminue le nombre de nouveaux abonnés. Par conséquent, nous ne publions aucun reportage sur les médias sociaux, et ils sont aussi introuvables sur Google. Notre modèle d’affaires sur une progression lente, mais constante, n’impressionnera pas les investisseurs de Bay Street, mais nous tirons maintenant 84 % de nos revenus de cette distribution, et cela nous permet d’élargir notre couverture chaque année et d’offrir à nos équipes des salaires très compétitifs dans l’industrie. Tout cela, nous l’avons fait pendant 22 ans sans publier quoi que ce soit sur Facebook ou sur Twitter.
Cela dit, le projet de loi C-18 ne changera pas énormément les choses pour nous, parce que nous ne publierons pas nos articles à l’extérieur de notre verrou d’accès à péage dur. Notre modèle de publication est rentable, et nous avons plusieurs reporters dans les assemblées législatives provinciales, dans les hôtels de ville et dans les tribunaux qui couvrent l’actualité relative aux secteurs importants comme les transports, les services publics, l’immobilier et le pétrole et le gaz. Nous ne donnons pas notre contenu gratuitement, c’est lui qui nous fait vivre, mais jamais un lien vers un verrou d’accès à péage dur ne deviendra viral. Toutefois, le fait est que ce projet de loi va donner un nouvel élan aux plus grands médias d’information du pays, qui publient déjà leur contenu gratuitement et avec lesquels nous devons jouer du coude pour trouver du nouveau personnel et de nouveaux abonnés. Ces grandes organisations, qui ont des effectifs consacrés aux médias sociaux, qui offrent leur contenu gratuitement et qui publient énormément d’articles d’intérêt général, devraient bien se débrouiller dans le cadre du système proposé.
Cela étant, nous croyons que le projet de loi C-18 pourrait causer un préjudice aux petits et moyens médias d’information, y compris ceux comme nous qui dépendent des abonnements, à moins que le gouvernement ne prenne des mesures pour veiller à ce que les règles du jeu restent les mêmes jusqu’à un certain point. Une option parmi d’autres serait de proroger le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne, que le gouvernement fédéral a introduit en 2019, de l’appliquer plutôt aux petits et moyens médias d’information admissibles ou encore de lui associer un plafond par organisation, ce qui permettrait en plus de réduire le coût global du programme.
Une autre option pourrait être d’établir un fonds, financé par les plateformes de médias sociaux et le gouvernement, et qui serait, tout comme le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne, administré par un organisme indépendant.
Un autre mécanisme qui pourrait fonctionner serait de conclure des accords ou d’octroyer du soutien financier en fonction de la masse salariale des journalistes, pourvu qu’il y ait un soutien équitable et accru pour les petits et moyens médias d’information ainsi que pour les nouveaux venus sur le marché. Il faudrait aussi encourager les organisations qui embauchent davantage de journalistes et qui leur versent de bons salaires à temps plein ou qui soutiennent davantage les pigistes, plutôt que celles qui publient plus de liens sur les médias sociaux.
Les médias d’information numériques ont tendance à consacrer une plus grande part de leur budget aux salaires de leurs journalistes, en comparaison des grandes organisations plus complexes, qui ont entre autres des services de distribution, d’impression et de contenu commandité. Donc, chaque dollar qui ira à ces petits joueurs du milieu devrait financer davantage d’activités journalistiques.
Des mesures de soutien ciblées pour les petites et moyennes organisations serviront aussi à encourager la baladodiffusion, les bulletins d’information et les modèles d’affaires émergents qui ne peuvent peut-être pas tirer pleinement parti des accords sur l’affichage de liens que les géants d’Internet concluent. Nous sommes d’avis que des mesures de soutien ciblées pour ces organisations sont cruciales pour les besoins du nouveau journalisme du Canada, et cela doit être ajouté au projet de loi C-18, pour compenser le désavantage qu’il risque de créer dans le milieu.
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci, monsieur.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Jeanette Ageson.
Jeanette Ageson, éditrice, The Tyee, Independent Online News Publishers of Canada : Bonjour, et merci beaucoup de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui.
Je peux témoigner aujourd’hui à plusieurs titres : je suis éditrice du site Web The Tyee, un site d’information à but non lucratif établi à Vancouver il y a de cela 20 ans. Je suis aussi membre de la coalition Independent Online News Publishers of Canada, qui s’est formée afin de faire entendre nos voix en ce qui concerne le projet de loi C-18. En outre, je suis directrice chez Press Forward, une nouvelle association d’éditeurs numériques indépendants.
Quand le projet de loi C-18 a été déposé, l’année dernière, plus de 100 éditeurs numériques indépendants se sont rapidement regroupés pour former notre coalition et discuter de nos préoccupations quant à la façon dont les choses pouvaient tourner pour les petits éditeurs canadiens. Nous avons immédiatement constaté que ce projet de loi avait le potentiel d’avantager de façon disproportionnée les grands médias d’information traditionnels et de ne laisser que des miettes aux nouveaux venus plus petits, et peut-être même carrément mettre aux oubliettes bon nombre d’autres joueurs.
Nous savons qu’en Australie, les petits éditeurs ont finalement pu conclure des accords satisfaisants avec les plateformes. Cela est encourageant, mais je crois aussi savoir que les accords avec bon nombre de petits éditeurs ont été retardés. Au départ, les plateformes ne réagissaient pas aux demandes de négociations, et à un certain moment, l’organisme de bienfaisance d’un milliardaire a dû intervenir et financer un groupe de petits éditeurs pour les aider à négocier un accord. Je suppose que tout est bien qui finit bien, mais, si nous allons modeler notre approche sur le code australien, nous devrions chercher des façons d’éviter de répéter les mêmes erreurs.
Les petits éditeurs canadiens se demandent déjà s’ils doivent commencer à recueillir des fonds pour embaucher des négociateurs professionnels, afin d’obtenir le meilleur accord possible. La plupart d’entre nous ont de petites équipes, et peu de ressources, et nous n’avons pas une capacité ou des fonds excédentaires pour embaucher des équipes de négociateurs qui nous aideront dans ce processus. C’est pour cette raison que notre coalition demande que des mesures soient prises afin d’abaisser la barre lors des négociations, en faisant en sorte que le projet de loi C-18 garantisse la transparence et l’équité.
Lorsque le projet de loi était à l’étude au Parlement, nous avons témoigné lors des audiences du comité et avons réussi à ce qu’il y ait un amendement pour rendre admissibles les très petits organes de presse, dont le propriétaire est peut-être l’un des journalistes. Nous sommes satisfaits de cela, mais à notre connaissance, rien n’a été fait pour garantir que les détails des accords seront accessibles au public ou que les accords doivent être conclus suivant une formule équitable pour toutes les publications. Il semble qu’il incombera au CRTC de déterminer en quoi consiste l’équité, mais nous ne pourrons pas dire si nous sommes d’accord avec sa décision. Actuellement, il nous serait très utile de connaître les modalités des ententes conclues en Australie, mais ces détails font l’objet d’ententes de confidentialité très strictes.
Il ne fait aucun doute que le journalisme est en danger au Canada : des milliers d’emplois ont été perdus, et le journalisme d’intérêt public auquel les Canadiens et les Canadiennes ont accès a reculé dramatiquement. Une grande partie de cela est attribuable au fait que le modèle d’affaires où le journalisme est financé par la publicité a été perturbé, mais cela ne dit pas tout sur ce qui se passe dans le secteur. Dans ce secteur très exigeant, qui change très rapidement, de petits médias d’information indépendants comme The Tyee ont réussi à émerger, et beaucoup sont stables et arrivent à se développer, mais pas à un rythme suffisant pour remplacer tous les emplois perdus depuis les jours glorieux des journaux, évidemment. Mais tout espoir n’est pas perdu. Nous faisons quelque chose de bien. Nous expérimentons avec de nouveaux modèles d’affaires, y compris un modèle où nos revenus viennent directement de nos lecteurs. The Tyee, par exemple, est soutenu par près de 10 000 donateurs individuels; leurs dons représentent environ la moitié de notre budget global. Nous recevons aussi un soutien crucial pour nos activités de la part d’un donateur majeur, qui nous a permis d’investir dans la qualité et d’attirer un public local et payant.
Je ne dis pas que, si on laisse le marché complètement à lui‑même, les conditions actuelles produiront du journalisme d’intérêt public très accessible dans toutes les collectivités, petites et grandes, du Canada. Je ne pense pas que cela arriverait, ou alors, cela prendrait énormément de temps. Je pense qu’un secteur journalistique robuste et de confiance est trop important pour qu’on le laisse mourir s’il n’est pas rentable. Malgré tout, nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où le projet de loi C-18 retarde les ententes, ou donne lieu à des ententes inéquitables, pour les innovateurs du secteur de l’information, tout simplement à cause de leur taille par rapport aux autres ou qu’ils ne sont pas bien établis. Une façon d’atténuer ce risque serait d’avoir accès en temps opportun à de l’information sur les ententes conclues en vertu du projet de loi C-18 et sur leurs modalités; il faudrait aussi établir une formule de financement équitable fondée sur les dépenses d’édition.
Je me ferai un plaisir de discuter avec tous les intervenants de ce processus, et je suis aussi prête à répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci.
Chers collègues, j’ai une longue liste de personnes qui veulent poser des questions, alors je vous demanderais de ne pas dépasser quatre minutes et demie pour poser vos questions et écouter les réponses.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Skok. Vous êtes à la tête d’un média spécialisé qui fait du journalisme en informatique et en technologie. Êtes-vous sûr d’être couvert par les éventuelles ententes avec les plateformes? On est plutôt dans la nouvelle d’intérêt général.
Deuxièmement, j’aimerais vous entendre sur les dernières actions de Facebook. Évidemment, si vous n’avez plus Facebook pour faire rejaillir ou faire lire vos nouvelles, puisque vous êtes, en plus, un média de journalisme spécialisé en technologie, il me semble que cela va vous toucher plus durement que d’autres.
Je sais aussi que vous avez eu différentes opinions sur le projet de loi C-18. Vous vous ralliez maintenant, mais vous avez éprouvé une certaine angoisse lors de la rédaction du projet de loi. J’aimerais vous entendre brièvement sur ces trois sujets.
[Traduction]
M. Skok : Merci, madame la sénatrice. C’est beaucoup. Je vais essayer de répondre à votre question dans le peu de temps qui m’est accordé.
Premièrement, nous sommes admissibles en tant qu’organisation journalistique canadienne qualifiée. Nous avons un bureau ici à Ottawa, par exemple, avec deux reporters, et nous couvrons des enjeux citoyens, comme la réunion où nous sommes actuellement. Je n’y joue aucun rôle, mais c’est tout de même des sujets que nous couvrons. Nous avons cinq bureaux dans tout le pays. Mon opinion a toujours été que le journalisme local doit être pertinent à l’échelle locale, et pas nécessairement d’être établi dans la localité. Par exemple, notre journal a publié des articles sur Sidewalks Lab, à Toronto. C’est devenu un reportage d’envergure nationale, mais il concernait au départ Toronto. Nous avons couvert cette histoire avant n’importe quel autre média local. Donc, je dirais que nous ne sommes pas aussi spécialisés qu’on pourrait le croire à première vue.
Une autre chose, à ce sujet, c’est que, quand on parle d’innovation, il faut donner à ce qui serait considéré comme un média spécialisé aujourd’hui le temps de croître et de se développer. Nous avons la ferme intention de continuer de nous développer en tant que publication, mais nous avons besoin que les règles du jeu soient équitables, si nous voulons élargir nos activités dans l’avenir.
Pour ce qui est des actions de Facebook, les conséquences directes sur notre entreprise sont plutôt négligeables, parce que, à l’instar de mon collègue, nous n’avons pas créé notre entreprise en profitant des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche. À dire vrai, nous n’avons jamais rien demandé de tout cela, mais nous avons été entraînés dans toute cette histoire parce que les ententes de licence conclues avec d’autres entités nous ont placés en situation de désavantage concurrentiel.
Je dirais que je suis très préoccupé par les conséquences sur la société. Ce n’est vraiment pas une bonne chose que l’information factuelle se noie à cause de cela dans un océan de désinformation. Je dis cela pour mon propre compte, mais ces actions montrent sans l’ombre d’un doute que ces entreprises privées ne sont redevables qu’à leurs actionnaires. C’est donc aux décideurs politiques, c’est-à-dire à vous, de les rappeler à l’ordre.
Je voudrais aussi souligner que, si une entreprise négocie de cette façon avec un pays du G7, imaginez seulement comment elle a négocié avec une petite entreprise comme la nôtre. Le gouvernement dispose de certains leviers pour intervenir. L’année dernière, selon le propre rapport du gouvernement sur la publicité, 54 millions de dollars ont été dépensés pour la publicité programmatique sur Google et le référencement naturel, ou pour les moteurs de recherche et les médias sociaux sur Facebook. Je pense que le gouvernement, avec ses 54 millions de dollars, a plus de poids que je n’en aurai jamais.
La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a présentement environ 700 médias qui sont visés par ce projet de loi. Cela a-t-il du sens?
M. Skok : Ironiquement, lorsque l’autre endroit débattait encore de ce projet de loi, les plateformes n’arrêtaient pas de dire aux petits éditeurs qu’ils ne seraient pas inclus dans le projet de loi et qu’ils devaient se serrer les coudes. Puis, ils sont venus ici témoigner et dire qu’il y en avait trop. Ce n’est pas vraiment à moi de décider s’il y en a trop ou pas assez, mais je dirais que les plateformes elles-mêmes n’ont pas été cohérentes dans leurs réactions.
La sénatrice Simons : En tant qu’ancienne journaliste, je dois dire que vous trois me rassurez énormément sur le fait que le journalisme n’est pas mort. Je suis une grande amatrice de La Logique et The Tyee. Monsieur Wood, vous devriez ouvrir un journal en Alberta, alors je pourrais être une de vos grandes partisanes à vous aussi.
Cela me préoccupe réellement que nous ayons créé cette machine de Rube Goldberg, avec toutes ces complications. Monsieur Skok, je ne suis toujours pas convaincue que La Logique est réellement admissible, en tant que journal d’affaires.
J’aimerais poser la prochaine question à Mme Ageson et à M. Wood d’abord, parce qu’ils n’ont pas encore eu la chance de répondre à une question. Qu’est-ce que le gouvernement aurait pu faire d’autre de plus simple et de plus pratique pour soutenir votre type de journalisme? M. Wood, par exemple, nous offre le genre de journalisme local dont nous avons désespérément besoin, et The Tyee propose beaucoup d’enquêtes journalistiques de longue durée, sur l’environnement surtout.
M. Wood : Comme l’a dit M. Skok, un budget publicitaire important aiderait. La publicité ne représente qu’une petite partie de nos activités. Nous avons aussi de nombreux abonnés dans divers ministères fédéraux, ce qui est une excellente chose. Nous sommes très heureux de leur soutien.
Le gouvernement fédéral a déjà créé un programme qui, à mon avis, présente beaucoup moins de lacunes : le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne. C’est un programme transparent, qui varie en fonction de la rémunération des journalistes, ce qui veut dire que vous pouvez embaucher des journalistes et récupérer un certain pourcentage de leur salaire en crédits d’impôt. Cela permet d’embaucher plus de journalistes et d’avoir plus de gens pour poser des questions dans notre pays. En comparaison, je ne suis pas certain si ce qu’il y a dans ce projet de loi est lié à des publications ou à des liens. Je ne sais même pas si une IA peut publier ces liens. C’était un excellent programme, qui était indépendant et administré par un comité indépendant. Je pense que cela aurait été plus approprié et plus efficace d’assurer la continuation de ce type de programme.
Mme Ageson : Il y a toutes sortes de choses que le gouvernement pourrait faire dans l’avenir, et ce serait fascinant d’en discuter.
Mais, effectivement, il y a par exemple le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne, qui s’est avéré extrêmement utile aux médias d’information, comme le nôtre. Il y a aussi, certainement, l’argent provenant de la publicité numérique qui est réorienté vers les publications qui affichent de la publicité.
On pourrait créer un fonds. Il y a certains modèles de financement que je trouve très intéressants. Par exemple, les projets de loi peuvent créer certaines sources de revenus. En Colombie-Britannique, il y en a une qui s’appelle la Law Foundation of BC, et une autre la Real Estate Foundation of BC. D’après ce que je comprends, ces fondations génèrent de l’argent grâce aux intérêts sur les transactions dans les affaires juridiques et les transactions immobilières. Une loi a été adoptée pour réorienter ces intérêts, qui n’appartiennent essentiellement à personne, vers un fonds destiné au financement des efforts juridiques d’intérêt public. Puis, en ce qui concerne la Real Estate Foundation of BC, je pense que cela est lié aux politiques d’aménagement du territoire et aux politiques immobilières, et aussi aux initiatives en matière de logement. Ce sont des modèles intéressants que l’on pourrait étudier. Cependant, nous ne savons pas jusqu’à quel point ce serait efficace de créer un fonds à partir d’un impôt. Je ne suis pas une spécialiste de la question. Est-ce que cela pourrait causer des problèmes de droit commercial international? Peut-être que cela ne donnerait rien. Je ne le sais pas vraiment.
J’ai toutes sortes d’idées de choses que nous pourrions essayer, mais cela risquerait de prendre du temps. J’ai seulement donné quelques exemples de choses que nous pourrions faire.
La sénatrice Simons : Merci.
Le sénateur Harder : Merci à nos témoins.
Ma question s’adresse à M. Skok. Certains critiques du projet de loi ont dit que le projet de loi en lui-même constitue une menace pour l’indépendance journalistique. Êtes-vous de cet avis?
Dans le même ordre d’idées, certains critiques se disent aussi préoccupés du rôle du CRTC, qui pourrait « s’immiscer » dans l’indépendance journalistique. Pourriez-vous nous faire part de votre opinion sur la question de l’indépendance, relativement à ce projet de loi?
M. Skok : Merci, monsieur le sénateur.
D’après ce que je comprends du projet de loi, le CRTC agit en tant que filet de sécurité : il nous permet d’abord de nous réunir en coalition, si c’est ce que nous choisissons de faire, puis de négocier directement avec les plateformes.
En passant, juste par rapport aux négociations, si nous formons un collectif, c’est le collectif qui détermine comment les fonds sont distribués. C’est un processus très élégant. Le collectif prend alors la décision. Si cela dépend du nombre de journalistes, alors le collectif distribue les fonds en fonction du nombre de journalistes.
Pour ce qui est du bruit qui court au sujet du CRTC, je dirais : écoutez, j’étais dans le domaine de la radiodiffusion avant d’être dans celui des publications imprimées ou numériques. Le CRTC n’a rien fait de tel, à ma connaissance, et quand cela a été le cas, les gens qui ont agi ainsi ont perdu leur travail.
Je dirais également que, si j’avais conclu une bonne entente avec Google ou Facebook, que j’en profitais depuis deux ans et que je savais que l’entente allait devoir être divulguée au CRTC, je me dirais que ma prochaine entente ne serait peut-être pas aussi profitable, parce qu’en aucun cas les plateformes ne vont vouloir fournir autant d’appuis aux 700 organisations.
Je trouve que c’est un peu insolent, pour parler franchement, mais que c’est une tactique intéressante, dire que le CRTC est le problème, ici, alors que certaines plateformes qui ont des ententes refusent de divulguer elles-mêmes le montant de ces ententes.
Le sénateur Harder : Merci.
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup d’être des nôtres, et merci de votre travail. Tout comme la sénatrice Simons, j’ai aussi beaucoup de respect pour ce que vous faites. Je me dis que vous êtes vraiment aux premières lignes, que vous êtes l’avenir de l’information dans notre pays. Merci de ce que vous faites, et merci d’être ici.
Monsieur Skok, je comprends votre point, quand vous dites qu’il vaut mieux adopter le projet de loi que de ne rien avoir. Vous êtes sans doute conscient de l’imprévisibilité des politiques, du Sénat et de l’autre endroit. Nous ne savons pas ce qui pourrait arriver, si nous renvoyions ce projet de loi avec des amendements. Je crois comprendre que beaucoup préféreraient que ce projet de loi soit adopté, et que nous passions à autre chose.
Madame Ageson, je voulais souligner ce que vous et The Tyee avez fait pour Murray Dobbin. Je pense qu’il était l’un des grands intellectuels de notre pays, et qu’il a fait un travail très important, avec ses reportages et ses livres. Je pense que vous avez montré l’importance de la profondeur journalistique, et que Murray Dobbin y a beaucoup contribué.
J’aimerais vous poser une question, à chacun de vous, en une minute, pour savoir ce que vous pensez du développement de l’intelligence artificielle et des conséquences sur vos publications. Cela entre plus ou moins dans la portée du projet de loi. Est-ce que cela va changer les choses, d’une façon ou d’une autre, si le journalisme sera profondément transformé dans les jours, les semaines et les mois à venir, par ChatGPT et tout le reste?
M. Skok : Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, les algorithmes et les plateformes d’IA génératives ont besoin de recueillir leurs informations quelque part, et elles récoltent de l’information factuelle à cette fin.
D’un côté, je dirais que nous ne sommes pas, pour l’instant, indemnisés équitablement par rapport à cela. Même si le projet de loi C-18 n’est pas la solution miracle, de ce côté, il est certainement un point de départ, et nous y arriverons, grâce aux droits de licence. Je ne suis pas le premier à le dire. News Corp l’a dit, et le Wall Street Journal également.
L’autre chose qui me préoccupe, à cet égard, c’est que nous allons être submergés par tout le « contenu non véridique » qui existe. Cela va inévitablement permettre à certains médias d’information, qui n’en sont pas vraiment, de prospérer en publiant de la désinformation bon marché qui va occuper tout l’espace. À dire vrai, je pense que c’est pour cette raison que ce projet de loi est encore plus crucial maintenant, parce que, que je sois ou pas en concurrence avec un autre média, nous avons tout de même un rôle vital à jouer dans notre démocratie, pour fournir de l’information véridique, dans un océan de désinformation.
Le sénateur Cardozo : Merci. Je demanderais maintenant à Mme Ageson de dire ce qu’elle en pense.
Mme Ageson : Je suis tout à fait d’accord avec M. Skok sur le fait que l’avènement de l’IA générative rend une chose comme le projet de loi C-18 encore plus urgente. Cela élimine en quelque sorte la résistance au projet de loi C-18, à savoir que les éditeurs bénéficient de l’envoi de visiteurs vers nos sites Web, et qu’il nous appartient ensuite de le monétiser. Cela met en relief le type de droit qu’un grand nombre de ces plateformes ont eu ou l’hypothèse selon laquelle les médias d’information peuvent survivre en perturbant complètement nos modèles d’entreprises parce qu’ils ingéreront notre contenu puis l’afficheront sans aucune compensation.
Cela met également en relief cette idée que les informations et les faits sont juste là et qu’ils existent sans que les reporters aient à se rendre sur place, à passer des appels, à se présenter, à faire des interviews, à donner une forme aux faits, plutôt que de les trouver là, comme s’il n’y avait pas de travail à faire pour que cela se produise. L’essor de l’IA générative signifie qu’un projet de loi comme celui-ci, dans une certaine forme, doit être adopté.
M. Wood : J’ai deux ou trois points différents concernant l’IA.
Il est important de noter — et vous venez d’aborder la question dans votre réponse — qu’il faut examiner ce qu’un journaliste fait pour ajouter de la valeur en décrochant le téléphone, en travaillant au téléphone, en ayant des sources, en se rendant sur place, comme vous l’avez dit. C’est sur cela que les journalistes doivent se concentrer. Les sujets faciles, comme les résultats du baseball, la météo et les embouteillages, seront pris en charge par l’IA. Je suis optimiste à ce sujet. Je pense qu’il y aura toujours du travail pour les bons journalistes qui ont de bonnes sources.
L’autre chose que je dois dire au sujet de l’IA, c’est « fermez la porte ». C’est l’ouverture de vos sites Web qui fait que l’IA peut entrer et recueillir toutes les informations sur vos sites, reprendre vos histoires et consulter vos anciens dossiers. Tous les médias d’information doivent discuter de l’essor de l’IA pour savoir comment ils vont présenter leurs informations et les mesures qu’ils pourraient prendre sur le plan technologique pour protéger le cœur de leur organisation, leurs anciens dossiers et toutes leurs informations.
Le sénateur Cardozo : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bienvenue aux témoins et félicitations pour votre travail et vos présentations, qui nous éclairent sur les enjeux du journalisme en relation avec Google et Facebook. Ma première question s’adresse à Mme Ageson.
Madame Ageson, lors de votre témoignage à l’autre endroit, vous avez exprimé des craintes très importantes sur le fait que des centaines de micro-organes de presse seraient exclus du projet de loi. Vous en avez parlé plus tôt, mais j’aimerais que vous approfondissiez le sujet.
Est-ce que l’amendement à l’article 27, qui réduit l’admissibilité à deux journalistes qui peuvent être propriétaires d’une entreprise de nouvelles ou associés dans celle-ci, est satisfaisant pour vous? Est-ce qu’il vous rassure sur l’admissibilité des petits organes de presse? Sinon, auriez-vous une proposition à faire à ce sujet?
[Traduction]
Mme Ageson : Eh bien, il s’agit d’un amendement pour lequel nous nous sommes battus au Parlement, car, auparavant, il prévoyait que l’organisation devait régulièrement employer deux journalistes qui n’avaient aucun lien de dépendance avec le propriétaire. Nous avons expliqué que de nombreuses organisations en démarrage n’atteignent ce stade qu’à leur troisième ou quatrième année d’activité. Souvent, c’est un journaliste qui lance le média d’information, et il s’occupe de tout, au début; il est donc approprié qu’il soit inclus. Pour les organisations de très petite taille et en démarrage, l’embauche d’un employé est une grande responsabilité, et elle ne doit pas être prise à la légère. Souvent, au début, les gens travaillent avec des pigistes parce que c’est la seule chose durable ou responsable à faire à ce stade. Une autre possibilité serait de prendre en compte le travail des pigistes ou des sous-traitants, et pas seulement des employés, dans la production d’information.
Le sénateur Cormier : Merci de cette réponse.
[Français]
Ma deuxième question s’adresse à M. Skok et à Mme Ageson. Si j’ai bien lu vos témoignages à l’autre endroit, monsieur Skok, je crois que vous applaudissiez le fait que le projet de loi donnerait de la transparence aux ententes protégées par des dispositions de confidentialité. J’imagine que vous faisiez référence à l’article 86 du projet de loi, au sujet du rapport annuel du vérificateur indépendant.
Selon vous, est-ce que ce rapport fait suffisamment la lumière sur les accords? Est-ce qu’il y aurait lieu d’en préciser le contenu?
Dans le même sens, mais à l’inverse, madame Ageson, si j’ai bien lu, il me semble que vous étiez un peu inquiète de la transparence de ces ententes. Est-ce qu’il y aurait lieu, là aussi, de préciser le contenu du rapport du vérificateur indépendant?
J’aimerais vous entendre tous les deux sur cette question qui me semble importante, sur le plan de la transparence, bien sûr.
[Traduction]
M. Skok : D’une part, je dirais qu’un amendement a été adopté vers la fin du projet de loi, à la Chambre, pour fournir au moins aux arbitres les informations nécessaires pour qu’ils sachent quelles sont les ententes, de façon qu’ils puissent rendre une décision juste. C’était l’une de mes préoccupations sur le plan de la transparence : comment s’assurer que les ententes sont équitables? Cet amendement est une excellente chose.
En ce qui concerne le droit du public à l’information, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, j’aimerais que tout cela soit public. Nous n’avons rien à cacher. Nous montrons tout ce que nous avons sur notre site Web et communiquons de notre mieux tout notre financement en tant qu’entreprise privée. J’adorerais faire la même chose ici. Cependant, s’il s’agit de choisir — et je pense que c’est le cas à ce stade — entre faire avancer les choses et avoir une plus grande transparence, je choisirais l’option « faire avancer les choses », car comme je l’ai dit, nous avons été fortement désavantagés par rapport à nos concurrents directs pendant deux ans.
Mme Ageson : La transparence rendrait ce projet de loi plus solide. Je crois comprendre que quelqu’un sera en mesure de vérifier l’équilibre des ententes et d’essayer d’apporter un point de vue équitable, mais je ne connais pas le point de vue de cette personne. Je ne comprends pas sur quoi sera fondée leur optique de l’équité. Il serait préférable que ceux concernés par les ententes et le public puissent également être d’accord pour dire « oui, je pense que c’est équitable ». Nous devrons simplement croire quelqu’un sur parole s’il estime que c’est équitable selon des critères que je ne connais pas.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question concerne plus particulièrement le rapport du vérificateur indépendant qui sera produit. Estimez-vous que, selon ce qui figure dans le projet de loi, ce rapport est adéquat, ou êtes-vous plutôt d’avis que son contenu devrait être précisé?
[Traduction]
Mme Ageson : Il est difficile de le savoir, car je ne sais pas ce qui figurera finalement dans les rapports. Je ne sais pas s’il s’agira simplement d’un avis ou si quelqu’un dira « Je suis le vérificateur. J’ai examiné les factures. Je pense que c’est juste », ou si on communiquera les chiffres réels. C’est difficile.
Ce serait utile de savoir combien de postes de journaliste ont été maintenus ou si leur nombre a augmenté à la suite du projet de loi C-18, la deuxième, ou troisième ou quatrième année, mais cela pourrait nécessiter un certain niveau de rapport, du côté des médias d’information, et ils pourraient ne pas vouloir tout communiquer. Pour contourner cette difficulté, on pourrait simplement communiquer le montant alloué à chaque publication d’information, les conditions et la façon dont ces ententes ont été conclues.
Nous fonctionnons comme M. Skok. Nous communiquons également toutes nos sources de financement. C’est important, car nous essayons d’établir une relation de confiance avec nos lecteurs. Nous ne sommes pas tenus de communiquer tout cela, mais nous le faisons de manière proactive. Je ne veux pas non plus me retrouver liée par une entente de confidentialité et ne pas pouvoir partager ces choses avec mes lecteurs. Je pense que cela minerait la confiance que nous avons bâtie au fil des années.
La sénatrice Wallin : Monsieur Skok, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous pensez que le projet de loi C-18 permettrait de lutter contre la désinformation ou la mésinformation? En fait, ces termes ne sont même pas définis. Comment pensez-vous que cela fonctionnerait?
M. Skok : Je vais vous donner une réponse qui relève de la politique industrielle : nous avons besoin de plus de journalistes et de postes de journaliste. Nous avons besoin de plus de journalisme fondé sur les faits. En 2008 et en 2009, quand nous avons licencié de nombreux journalistes, nous avons en fait supprimé les postes de rédacteur de niveau intermédiaire, de réviseur et de vérificateur. C’est ce qui a pris le plus de temps à remplacer. À La Logique, c’était les premiers postes que nous avons pourvus. Nous avons un ratio de deux journalistes par rédacteur, et c’est ainsi pour une raison. C’est parce que, avant de publier un article, nous le faisons passer par le tordeur. Ma réponse relevant de la politique industrielle est la suivante : plus il y aura d’emplois en journalisme, plus on aura des informations fondées sur des faits et un travail éditorial.
Je crains également beaucoup, comme je l’ai évoqué au début, que le bassin de jeunes talents et de journalistes prometteurs qui se forment dans les journaux locaux des petites villes et qui peuvent ensuite aller ailleurs n’ait disparu. Il ne fera que s’éroder davantage si on n’endigue pas le problème.
La sénatrice Wallin : Mais il s’agit d’une activité autoréglementée. Il n’y a rien dans le projet de loi, selon vous? Je ne voulais pas donner l’impression qu’il existerait quelque part un mécanisme permettant de mettre fin directement à la désinformation et à la mésinformation.
M. Skok : Je crois qu’il existe d’autres textes de loi à ce sujet, et je ne peux pas en parler.
La sénatrice Wallin : Monsieur Wood, pour ceux d’entre nous qui ont été journalistes dans une vie antérieure, le journalisme a toujours été tributaire de la bonté des autres pour exister, que ce soit les recettes publicitaires provenant du journal, de la station de télévision ou d’autre chose. En ce qui concerne le financement direct du journalisme par le gouvernement, j’ai trouvé cela très troublant. Maintenant, forcer ces ententes entre les « journalistes », les services de nouvelles et les géants de la technologie, cela ne me rassure pas davantage. Vous semblez avoir trouvé un modèle qui, selon vous, pourrait fonctionner, qui est une sorte de retour vers le futur : laissons les abonnés décider. S’il y a un public qui soutient votre contenu, vous réussirez. Si ce n’est pas le cas, vous ne réussirez pas.
M. Wood : Merci. C’est une excellente question.
Je dirais pour commencer que je ne suis pas favorable aux subventions gouvernementales aux médias d’information privés. Je propose ce soutien pour remédier à l’inégalité des règles du jeu que ce projet de loi pourrait, selon moi, créer, étant donné qu’il y a beaucoup trop d’incertitudes dans ce projet de loi. On ne sait pas si Facebook et Google vont se retirer de l’information au Canada. On ne sait pas s’il y aura des retards importants dans la conclusion d’ententes par les petites maisons d’édition. On ne sait pas si elles vont conclure de bonnes ententes ou de mauvaises ententes, car, même si de nombreux médias d’information de l’Australie sont venus vous parler, la semaine dernière, ils n’étaient pas en mesure de décrire les ententes qu’ils avaient conclues. Les soutiens ciblés permettront de réduire les risques au cours de cette période d’un an ou deux pour les petits et moyens acteurs, après l’adoption de ce projet de loi.
Nous avions en fait dénoncé le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne quand il a d’abord été proposé — cela figure au compte rendu —, mais nous avons dû l’accepter pour demeurer concurrentiels. Aujourd’hui, j’ai une impression de déjà-vu. Je me retrouve de nouveau devant un projet de loi en préparation, il semble qu’il sera adopté, et ce soutien ciblé apporté aux divers petits acteurs du paysage médiatique permettrait d’éviter une partie de la concentration accrue de certains grands acteurs. Je voulais que cela figure au compte rendu.
En ce qui concerne la transparence — et je sais que vous dites cela sur votre site Web —, Postmedia est un actionnaire minoritaire de La Logique, et c’est un investissement important. Je sais que vous êtes ici en tant qu’échantillon des nouveaux acteurs des médias émergents, mais vous avez cet investissement de Postmedia. J’ai pensé que c’était à souligner.
La sénatrice Wallin : Oui.
Madame Ageson, partagez-vous les préoccupations de M. Wood selon lesquelles le financement, qu’il provienne du gouvernement ou découle de négociations forcées avec les géants de la technologie, vous met dans une position délicate?
Mme Ageson : Nous avons un autre modèle. Nous n’avons pas de portail avec verrou d’accès à péage dur, et nous sommes un organisme à but non lucratif, donc l’ensemble de notre modèle suppose que le journalisme mérite un soutien public et privé. Tout se joue dans les détails en ce qui concerne la façon dont ces ententes sont négociées et les clauses d’indépendance. Je pense, en fait, que le projet de loi C-18 offre une plus grande indépendance à l’égard des plateformes. Je ne peux pas, car il s’agit d’une entente de confidentialité...
La sénatrice Wallin : Que voulez-vous dire? Comment vous rend-il plus indépendants?
Mme Ageson : Actuellement, les plateformes peuvent accéder aux publications individuellement, et nous sommes cloisonnés, car les ententes sont conclues dans le cadre d’une entente de confidentialité. Nous ne sommes pas autorisés à parler avec les autres organisations de ce qu’il y a dans les ententes.
De plus, étant donné qu’il y a ces grandes plateformes, les petites entités ne sont pas vraiment en position de négocier. Les ententes, actuellement, sont « à prendre ou à laisser », et il n’y a pas grand-chose à faire pour améliorer sa position. Si des ententes doivent être obligatoirement conclues, on peut alors exprimer sa position : « Elles doivent être conclues, parlons alors de ce qu’il y aura dans ces ententes. » Dans ce cas, on n’a pas la capacité d’une plateforme de dire « Nous n’aimons pas les reportages critiques que vous produisez, nous vous retirons notre financement. Nous n’avons pas à vous dire pourquoi. Nous n’avons pas à donner de raison. Nous le retirerons, tout simplement. » Si les ententes doivent obligatoirement être conclues, cela signifie que l’on n’est pas sous la menace du financement lié à la couverture.
Le sénateur Quinn : Merci de comparaître devant nous aujourd’hui. C’était très intéressant.
L’une des choses qui m’inquiète, c’est les nouvelles locales et comment elles seront maintenues. Je considère ce projet de loi comme un pas en avant pour nous assurer que les nouvelles locales continueront d’avoir un espace.
Je ne comprends pas tout ce qui a été dit ici. Monsieur Skok, vous avez exposé trois avantages. Le deuxième était que les ententes de licence sont négociées, et que cela permettrait d’éviter les poursuites judiciaires au bout du compte. En même temps, vous avez également dit que des informations étaient de temps en temps prises sans permission, et je suppose que c’est pour tout le monde. Je ne sais pas si du contenu de nouvelles de l’organisation de M. Wood a été pris. Cela concerne l’autre prémisse, selon laquelle les gens doivent être rémunérés pour le travail qu’ils font. C’est un aspect de la question.
L’autre aspect dont nous avons parlé concerne la compétitivité de votre entreprise. Il y a des journalistes dans différentes organisations. Postmedia peut être mieux placé pour recruter des personnes auprès des petites entreprises, ce qui rend plus difficile pour elles la recherche de personnel. Nous avons ensuite parlé de la crainte de la distribution disproportionnelle des fonds, quels qu’ils soient, aux grandes entreprises par rapport aux petites. Nous parlons pourtant d’ententes équitables.
C’est une question que je pose à tout le monde : pourquoi quelqu’un voudrait-il faire connaître ses ententes commerciales à ceux avec qui il est en concurrence? Je ne comprends pas, car je viens du monde des affaires. Chacun d’entre vous pourrait-il m’expliquer pour m’aider à mieux comprendre?
M. Skok : Oui. En ce qui concerne la question de la transparence, comme je l’ai dit, actuellement, pour nous, il s’agit de faire adopter ce projet de loi. S’il y a des ententes commerciales, excellent. Le filet de sécurité est le recours au CRTC. C’est à ce moment-là qu’un autre problème se pose.
J’aimerais répondre aux commentaires au sujet de Postmedia. Nous avons plusieurs investisseurs stratégiques car nous croyons en un écosystème des nouvelles composé de petits et de grands acteurs. Oui, Postmedia est un investisseur de La Logique, mais c’est également le cas de tinyMedia, qui, je crois, fait partie du groupe de Jeanette Ageson, ainsi que Jessica Lessin et les informations provenant de San Francisco.
Je suis l’actionnaire majoritaire de l’entreprise. Comme ma mère aime le dire, personne ne me dit quoi faire. Il n’y a pas d’inquiétude à ce sujet. Il s’agit de l’écosystème dans son ensemble. Je pense que la perte d’un petit éditeur d’une petite ville est une perte pour nous tous, car, de mon point de vue de chef d’entreprise, où vais-je recruter ma prochaine génération de talents?
Le sénateur Quinn : Vous seriez d’accord avec moi, n’est-ce pas, si je dis que ce projet de loi permettrait vraiment de s’assurer qu’il y aura une présence dans les petites villes et les régions?
M. Skok : Certainement, selon certains des témoignages que nous avons entendus, je dirais que oui.
Le sénateur Quinn : Monsieur Wood, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Wood : Cela permettra certainement d’injecter beaucoup d’argent dans le journalisme canadien, du moins selon les prévisions que nous avons. Ce qui me préoccupe, c’est cette concentration dans certains des médias d’information les plus puissants, qui ont de l’envergure, du personnel affecté spécifiquement aux médias sociaux, des services qui s’occupent de cela, des économies d’échelle et qui sont également plus susceptibles de signer des ententes rapidement, alors que les acteurs plus petits languissent pendant un certain temps. Les grands acteurs seraient également probablement plus à l’abri des pertes de revenus, si Facebook devait se retirer du marché. Bon nombre des petits acteurs seraient certainement ébranlés par cela.
Plus tôt, vous parliez du partage des ressources. Je sais que l’Initiative de journalisme local était un programme qui a été mis sur pied pour que les journalistes puissent être subventionnés par le gouvernement fédéral, mais il aurait fallu ensuite qu’ils partagent leur couverture avec d’autres médias. Oui, c’est un programme que nous n’avons pas utilisé, car nous devons créer des histoires exclusives qu’il vaut la peine de payer. Il y avait une autre formule où ils proposaient de partager des articles de la CBC ou de la Presse canadienne entre tous les petits acteurs pour les soutenir. Encore une fois, toutes nos histoires doivent être exclusives. Nous devons être les premiers pour qu’elles aient de la valeur.
Le sénateur Quinn : Savez-vous si votre contenu a déjà été téléchargé?
M. Wood : Aucun géant de la technologie n’a jamais pris aucun de nos articles. Deux ou trois journalistes ont essayé. Cependant, ça nous est tous arrivé.
Le sénateur Quinn : Je suis abonné depuis plusieurs années. Le mur est toujours là. Si on ne paie pas, on ne voit pas.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici.
J’aimerais dire, monsieur Skok, que le reportage sur Sidewalk Labs m’a vraiment intéressée, en tant que Torontoise. J’ai lu tout ce que j’ai pu. J’apprécie vraiment que vous ayez si bien couvert l’histoire.
Mes questions sont principalement pour Mme Ageson. Pour revenir à la question de la transparence, supposons qu’il n’y aura aucune transparence, qu’on ne changera pas le projet de loi et que la transparence se résume à dire ce que vous voyez, c’est ce que vous obtenez. Quelles en seront, selon vous, les répercussions? Pensez-vous que cela amènera les grandes organisations à obtenir plus qu’elles ne le devraient? Pensez‑vous qu’il y aura une spirale infernale, par exemple, dans la façon dont les petites organisations seront traitées? Quelles sont les répercussions du manque de transparence, en supposant que cela ne se produira pas? Merci.
Mme Ageson : Voici ce qui pourrait arriver : les petits éditeurs se regroupent pour former une unité de négociation, ce qui est excellent. Nous nous préparons à négocier avec les grandes plateformes. Disons que le bloc de négociation le plus important a déjà conclu des ententes. Nous ne savons pas ce qu’elles contiennent. Nous ne connaissons pas les modalités. Pendant nos négociations avec les plateformes, nous disons, dans le cadre de nos négociations, « Nous exigeons de voir les modalités et le montant du paiement pour les publications importantes ». Elles disent « Ce n’est pas possible. Désolé, on ne peut pas. » Nous travaillons alors dans le noir, un peu, pour ce qui est d’assurer l’équité pour nos organisations. Ce serait difficile de savoir ce qu’il en est. Dans ce cas, la seule personne qui pourrait le savoir serait quelqu’un du CRTC, qui ferait une évaluation et déciderait si c’est ou non équitable, et nous devrions le croire sur parole.
La sénatrice Dasko : Pensez-vous alors que cela entraînera davantage d’arbitrages? Pensez-vous que cela va inciter les petites organisations à aller de l’avant et présenter une plainte ou une doléance en ce qui concerne l’entente? Est-ce bien ce que vous dites?
Mme Ageson : C’est possible.
La sénatrice Dasko : Vous seriez à la recherche d’informations. Cela fera partie des répercussions, selon ce que vous dites?
Mme Ageson : C’est possible. Nos organisations sont petites. Nous n’avons pas beaucoup de personnel. Je porte plusieurs chapeaux à The Tyee. Je cours dans tous les sens et je fais beaucoup de choses. Nous devrons tous décider combien de temps nous pouvons y consacrer et si nous avons les ressources et le temps de soumettre un litige ou une plainte. Si nous avions accès à des informations sur les ententes et les modalités, nous pourrions éviter une bonne partie de ces démarches. Si ce projet de loi vise à soutenir le journalisme selon la qualité du contenu que nous publions, assurons-nous d’obtenir ce résultat sans avoir à passer par des années de litiges ou à baisser les bras et dire « Eh bien, nous ne savons pas si ce que nous avons obtenu est ou non équitable ». Mais, oui.
La sénatrice Dasko : Oui. Comme je l’ai dit, je doute que la transparence soit au rendez-vous, si vous voyez ce que je veux dire, en ce qui concerne le projet de loi.
Mon autre question est pour M. Wood. Pour éclaircir les choses, vous avez parlé de la nécessité d’avoir des soutiens ciblés. Essentiellement, êtes-vous tiède au sujet du projet de loi C-18?
M. Wood : S’il y avait un bouton sur lequel je pouvais appuyer pour le faire disparaître, j’appuierais sur ce bouton.
La sénatrice Dasko : D’accord. Ce n’est pas de la tiédeur. Merci.
La sénatrice Clement : Bonjour. Je remercie tous les témoins. Vos modèles d’entreprise sont si différents. Je trouve cela très intéressant.
Je m’inquiète du nombre de personnes qui ne cherchent pas les nouvelles et qui s’attendent à ce qu’elles soient gratuites, comme les soins de santé. On sait que rien n’est gratuit, mais ces personnes s’attendent à la gratuité. Elles voudront y accéder sans avoir à payer.
Pour ceux d’entre vous qui ont des verrous d’accès payants et qui n’utilisent pas nécessairement les médias sociaux, comment faites-vous pour attirer un nombre suffisant de personnes qui liront ce qui semble être un excellent contenu?
M. Wood : Nous comptons aujourd’hui presque 17 000 abonnés payants dans tout le Canada. Nous avons téléphoné à bon nombre de gens et nous leur avons dit : « Nous venons d’écrire un article sur vous. Voudriez-vous le lire? Vous devriez peut-être vous abonner. » Cela a fonctionné.
De plus, il y a le bouche-à-oreille, les gens en parlent. Nous avons des nouvelles de première qualité. Nous avons ici une excellente équipe. Il s’agit d’un journalisme de fond, équilibré et exclusif. Ce sont des articles importants que vous ne pouvez trouver nulle part ailleurs, et les gens en parlent. Parfois, les gens qui en parlent siègent au Parlement. Ils prennent leur iPhone et disent « C’était dans allNovaScotia aujourd’hui, et je veux savoir pourquoi cela s’est produit ». C’est ainsi que notre partie de l’écosystème médiatique s’infiltre dans la société en général.
Nous informons indirectement plus que nos seuls abonnés, mais nous aidons également aujourd’hui plus de 40 journalistes dans six villes à écrire ces articles. Au bout du compte, l’accès à ces six bureaux de nouvelles coûte 13 $ par mois. Tout le monde paie le même prix, du premier ministre au dernier abonné. Nos abonnés ne sont pas tous des géants commerciaux. Bien des gens s’intéressent simplement au fonctionnement des choses. Ils s’intéressent à la politique. Ils s’intéressent essentiellement aux gens, aux gens qui dirigent des entreprises et qui essaient de nouvelles idées. Cela pourrait être quelqu’un qui ouvre un stand à hot-dog ou un pub au bout de la rue, ou encore quelqu’un qui essaie de proposer une installation d’exportation d’hydrogène de plusieurs milliards de dollars. Les gens s’intéressent beaucoup aux nouvelles.
Jesse Brown a évoqué la semaine dernière le fait que le milieu de l’information a toujours été financé par un petit groupe de Canadiens, peut-être moins de 10 %, mais cela crée toutes ces nouvelles que nous utilisons tous, qui informent les décideurs, aident à définir les politiques et obligent les gens et les entreprises à rendre des comptes.
M. Skok : Au cours de mes années en journalisme, j’ai vu comment les plateformes technologiques définissaient les règles du jeu, par exemple le premier clic gratuit, qui exigeait que, pour figurer dans la recherche, il fallait donner le premier clic gratuitement. Ensuite, il fallait changer d’algorithme en un clin d’œil, que l’on veuille passer à une vidéo ou à toute autre chose, et les médias ont dû se dépêcher de s’adapter avant de disparaître. Quand nous avons créé La Logique, nous avons décidé de tourner le dos à cela et de bâtir une relation directe avec nos lecteurs. Nous l’avons fait au moyen de courriels et du développement communautaire.
Comme en a parlé M. Wood, nous venons de finir une sorte de tournée de présentations où nous avons organisé des événements et des rencontres pour nos abonnés, dans cinq villes du pays. J’essaie toujours de comparer cela à un groupe de musiciens en tournée, peut-être pas encore du niveau de Taylor Swift, mais aller de ville en ville, se promener, faire du bouche-à-oreille, et bâtir une relation, c’est vraiment utile.
Le président : Merci, monsieur Skok, monsieur Wood et madame Ageson, de votre témoignage et d’avoir comparu devant le comité.
Chers collègues, demain, nous accueillerons la ministre et le sous-ministre ainsi que le directeur parlementaire du budget. La semaine prochaine, nous effectuerons l’examen article par article. S’il n’y a rien d’autre à ajouter à l’ordre du jour, nous allons lever la séance.
(La séance est levée.)