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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 18 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, mesdames et messieurs. Soyez les bienvenus. Je suis le sénateur Leo Housakos. Je représente le Québec et la belle ville de Montréal. J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, et je vis sur le territoire du Traité no 6.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario. J’ai été mairesse de Cornwall, en Ontario.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, division sénatoriale d’Inkerman. Je représente la très belle province du Québec et la très belle ville de Montréal également, tout comme le président de ce comité.

[Traduction]

Le président : Nous sommes d’accord.

Honorables sénateurs, nous poursuivons l’étude de l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles du secteur des transports et, plus précisément, l’étude approfondie des problèmes qui se posent à l’isthme de Chignecto.

Voici le premier groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir Shannon Watt, présidente-directrice générale de l’Association canadienne du propane, Royden Boudreau, président du Comité du Canada atlantique, et Matthew Hynes, vice-président exécutif d’Oceanex Inc.

Soyez les bienvenus. Merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire.

Shannon Watt, présidente-directrice générale, Association canadienne du propane : Bonsoir, honorables sénateurs. L’Association canadienne du propane, ou ACP, est heureuse de se joindre à vous ce soir au Comité sénatorial permanent des transports et des communications pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles du secteur des transports.

Je m’appelle Shannon Watt. Je suis présidente et chef de la direction de l’ACP. J’occupe mon poste depuis un an et demi seulement. Je dois donc toujours m’appuyer sur les compétences des membres de l’association.

Avant de me joindre à l’ACP, j’étais vice-présidente de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie. Bien que je sois intriguée par les possibilités qu’offre la molécule qu’on appelle le propane, j’en suis encore à apprendre les détails plus fins de cette fascinante industrie. C’est pourquoi je suis heureuse que Royden Boudreau m’accompagne. Il est actuellement directeur du développement des affaires chez Sullivan Fuels Ltd. de New Glasgow, en Nouvelle-Écosse. Fort de plus de 25 ans d’expérience dans l’industrie du propane, M. Boudreau possède de vastes connaissances, et il se fera un plaisir de répondre aux questions sur les opérations et la logistique de l’Atlantique.

L’Association canadienne du propane est une association nationale d’un secteur qui regroupe 400 entreprises de toutes les régions du Canada. En fait, il y a autant de membres de l’ACP que de sénateurs et de députés réunis, et nous avons une portée considérable. Vous connaissez nos membres. Beaucoup sont des entreprises familiales. Ils font partie des chambres de commerce locales. Ils donnent bénévolement de leur temps à des groupes communautaires et offrent des bourses pour des causes locales.

À bien des égards, nos membres ressemblent aux collectivités qu’ils servent. Bon nombre de ces collectivités, dont presque toutes celles du Canada atlantique, sont rurales et ne sont donc pas raccordées au réseau de gaz naturel, et bon nombre d’entre elles n’ont pas accès à de l’électricité bon marché. À l’échelle du Canada, les membres de l’ACP comprennent les producteurs, les grossistes, les transporteurs, les détaillants, les fabricants, les distributeurs, les fournisseurs de services d’entretien d’équipement et d’appareils électroménagers, et les industries connexes. Chaque année, le secteur du propane contribue de façon importante à l’économie canadienne. Le secteur apporte plus de 5 milliards de dollars au PIB, fournit plus de 280 kilobarils de propane par jour, constitue la principale source d’énergie de près de 200 000 foyers au Canada et soutient, directement et indirectement, environ 30 000 emplois dans presque tous les coins de notre pays.

Le propane rapporte aux gouvernements 1,8 milliard de dollars en impôts et redevances chaque année. Comment utilise-t-on le produit? On a besoin de propane pour beaucoup d’applications agricoles, commerciales, institutionnelles, manufacturières, minières, pétrolières et gazières, pour des utilisations non énergétiques, la production temporaire d’électricité, les logements et le transport. Nous contribuons également à la réduction mondiale des émissions. Environ 50 % du propane produit au Canada est exporté. Il est vendu aux États-Unis, certes, mais aussi au Japon, à la Corée du Sud et au Mexique. Ce sont des pays où on est à la recherche de sources d’énergie plus propres, fiables et abordables.

Les gouvernements du monde entier reconnaissent déjà la contribution du propane à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant et extérieur et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, comme en témoigne la Loi sur les carburants de remplacement du Canada.

Contrairement au méthane — ou au gaz naturel, comme on l’appelle —, le propane n’est pas un gaz à effet de serre avant la combustion. En cas de fuite, il ne nuit pas à l’air, au sol ou à l’eau.

L’approvisionnement en énergie propre, fiable et abordable continuera d’être l’objectif de l’industrie canadienne du propane, que ce soit dans le Canada atlantique, partout au Canada ou dans des pays du monde entier. Nous cherchons également des moyens de décarboniser davantage le secteur du propane afin de pouvoir fournir de l’énergie propre aujourd’hui et à l’avenir.

À propos de la question à l’étude ce soir, permettez-moi de dire que le corridor entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle‑Écosse le long de l’isthme revêt une importance fondamentale pour notre industrie. Le propane consommé dans le Canada atlantique, en dehors de ce qui est produit et livré par Irving, provient de l’Ouest du Canada par la canalisation 5 jusqu’à Sarnia, en Ontario. Le propane est ensuite transporté par rail ou par camion de Sarnia vers des destinations diverses dans les Maritimes, puis, par camion, chez les clients. Tout le propane consommé à Terre-Neuve-et-Labrador est livré par camion et transporté par Marine Atlantique à partir de North Sydney, en Nouvelle-Écosse.

Pour l’industrie du propane, toute perturbation causée au corridor de l’isthme de Chignecto, que ce soit par les changements climatiques ou quoi que ce soit d’autre, nuirait gravement à la chaîne d’approvisionnement en propane, y compris à des milliers de consommateurs en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Merci encore de nous avoir invités à comparaître. M. Boudreau et moi sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame Watt. Je cède maintenant la parole à M. Hynes.

Matthew Hynes, vice-président exécutif, Oceanex Inc. : Bonsoir. Je m’appelle Matthew Hynes et je suis vice-président exécutif d’Oceanex. Je suis au service de l’entreprise depuis une quinzaine d’années. Oceanex est un fournisseur de services de transport de marchandises porte-à-porte dont l’activité se concentre dans l’île de Terre-Neuve.

Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de prendre la parole ce soir. Je vais parler plus précisément de la circulation des marchandises vers l’île, et nous parlerons du rôle d’Oceanex à cet égard.

L’île de Terre-Neuve, qui compte une population d’environ 500 000 habitants, consomme généralement des biens qui sont apportés par transport maritime. Le transport est assuré par trois liaisons principales : de Montréal à St. John’s, de Halifax à St. John’s et de North Sydney à Port aux Basques. Ces trois liens sont étroitement liés à l’infrastructure routière et ferroviaire de toute l’Amérique du Nord et à l’infrastructure routière de l’île de Terre-Neuve. Ce sont les principales artères par où la grande majorité des marchandises transitent à destination et en provenance de l’île.

Un mot d’Oceanex. Nous transportons près de la moitié des marchandises vers l’île. Nous traitons avec un ensemble de clients représentatifs de l’économie : détaillants, grossistes, fournisseurs de matériaux de construction, producteurs de denrées alimentaires, fabricants d’automobiles et autres entreprises de transport. Les grandes entreprises de camionnage qui desservent la région sont aussi nos clients pour le transport des marchandises vers l’île.

Nos clients comptent sur nous pour respecter les délais, et personne ne le fait mieux que nous : 97 % du temps. Nos clients ont construit des systèmes de chaîne d’approvisionnement juste-à-temps vers l’île, et nous sommes un élément clé sur lequel ils comptent pour assurer le transport efficace et efficient des marchandises, jour après jour et tout au long de l’année, jusqu’aux tablettes des magasins, et, au bout du compte, jusqu’aux consommateurs de l’île.

Nous avons également été reconnus parmi les entreprises les mieux gérées au Canada, un programme dont nous sommes un heureux participant depuis plus de 13 ans. Nous sommes également reconnus comme un moyen de transport ou de fret à faibles émissions vers l’île. Par exemple, si on conduit une remorque de fret de Montréal à St. John’s et qu’on la transporte par la route en utilisant un service de transbordeurs pour le tronçon maritime, cela émet plus de sept fois plus de gaz à effet de serre que cette même cargaison transportée par notre service maritime à partir de Montréal.

L’entreprise appartient à des intérêts privés. Nous avons une équipe de plus de 450 personnes qui travaillent directement avec nous et environ 600 personnes qui le font indirectement dans l’Est du Canada. Nous sommes basés à St. John’s et avons des bureaux en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse.

Ce que nous offrons à nos clients, ce sont d’abord les services de nos navires. Nous exploitons deux navires à partir de Montréal et un à partir de Halifax qui mouillent à St. John’s chaque semaine. Nous avons des opérations de terminal, les camions, la gestion de la logistique et l’équipement nécessaires pour transporter les marchandises de porte à porte pour les clients, encore une fois en mettant l’accent sur l’île de Terre‑Neuve.

Pour revenir à la question à l’étude, si on considère le transport des marchandises vers l’île, toute perturbation de l’infrastructure routière et ferroviaire de l’isthme entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick toucherait le transport d’environ les deux tiers des marchandises destinées à Terre-Neuve.

Je vais expliquer plus en détail.

Nous transportons des marchandises à partir de Montréal, ce qui, bien sûr, ne serait pas touché par cette perturbation. Mais nous en transportons aussi à partir de Halifax. Nous estimons que nous transportons environ un sixième du fret total vers l’île par le port de Halifax. En fait, la majorité de ce que nous transportons à partir de Halifax vient de sources situées à l’ouest de l’isthme. L’autre moitié des marchandises transportées vers Terre-Neuve transite par le port de North Sydney et le service de transbordeurs de Marine Atlantique. Si vous prenez notre sixième et sa moitié, vous obtenez les deux tiers du fret qui, au bout du compte, part de sources situées à l’ouest de l’isthme.

En somme, dans le monde du transport de marchandises, la majorité de celles qui sont acheminées à Terre-Neuve proviennent du Centre du Canada — l’Ontario et le Québec — et de plus loin en Amérique du Nord. Dans une moindre mesure, il y a des centres de distribution régionaux dans les Maritimes, principalement dans la région du Nouveau-Brunswick, plus précisément à Moncton. Encore une fois, nous croyons que cette perturbation de l’isthme aurait un effet très important sur l’acheminement des marchandises.

Si un incident regrettable se produisait, nous pourrions compter provisoirement sur quelques solutions de rechange. Avec le temps, les systèmes de transport s’adapteraient, mais, bien sûr, nous croyons qu’il y aurait un impact immédiat sur l’acheminement des marchandises.

Une possibilité est de recourir à la capacité disponible sur la liaison à partir de Montréal pour le fret qui est plus éloigné — non seulement à l’ouest de l’isthme, mais aussi à l’ouest des Maritimes. Nous pourrions intercepter ce fret et le faire passer par le port de Montréal pour acheminement vers Terre-Neuve. Deuxièmement, étant donné que la grande majorité des marchandises que nous transportons à partir de Halifax provient en fait du Nouveau-Brunswick, nous pourrions offrir temporairement un service entre le port de Saint John à St. John’s, à Terre-Neuve. L’infrastructure du terminal est là, à Saint John, pour que nous puissions la déployer assez rapidement. Nous croyons que nous pourrions travailler avec les expéditeurs et nos partenaires de transport dans la région pour apporter ce changement. Cela nous permettrait d’offrir un service hebdomadaire de Saint John à St. John’s très semblable au service hebdomadaire que nous offrons aujourd’hui de Halifax à St. John’s.

Bien entendu, nous sommes convaincus que le gouvernement prendra les mesures qui s’imposent pour éviter qu’un incident aussi grave ne se produise, mais — comme je l’ai dit — nous sommes convaincus que nous pourrions jouer un rôle en offrant d’autres solutions — si cela se produisait — pour que le transport des marchandises se poursuive vers l’île.

Marine Atlantique, qui exploite le service entre North Sydney et Port aux Basques, pourrait également avoir recours à d’autres ports d’escale, mais elle serait mieux placée pour en parler.

Merci encore de nous avoir donné l’occasion de prendre la parole et de reconnaître que nous faisons partie de la chaîne d’approvisionnement à Terre-Neuve. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Hynes et madame Watt. M. Boudreau est également présent et pourra répondre aux questions.

La sénatrice Simons : Les témoins sont là pour parler de la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement, mais je suis un peu perplexe, car, en toute honnêteté, nous devons entendre des témoins qui peuvent nous parler du sujet à l’étude, soit l’impact des changements climatiques sur les infrastructures essentielles. J’espère que M. Boudreau pourra répondre à la question suivante : quel est l’état des routes et des voies ferrées dans l’isthme et quelles ont été, d’après vos observations, les conséquences des phénomènes météorologiques extrêmes au cours des dernières années?

Royden Boudreau, président, Comité du Canada atlantique, Association canadienne du propane : Je dirais que, la plupart du temps, ce sont des tempêtes de neige dans la région du Nouveau-Brunswick — de l’autre côté de l’isthme — qui ont interrompu en partie les transports.

La plus grande préoccupation de l’Association canadienne du propane, c’est que tout le propane fourni en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve passe par cet isthme. Essentiellement, cela mettrait fin à l’acheminement de tout le propane consommé dans ces deux provinces.

La sénatrice Simons : Sauf votre respect, il s’agit ici du Comité des transports. Nous examinons l’état de l’infrastructure de transport. Étant donné que vous venez du Canada atlantique et que vous dépendez tellement de ce passage, que pouvez-vous nous dire de l’état réel des routes et des chemins de fer? Est-il déjà arrivé que tout soit bloqué? Est-il arrivé que la route soit emportée ou que la voie ferrée soit bloquée? Je comprends ce que vous dites, à savoir qu’il s’agit d’un passage étroit et que toute fermeture privera les consommateurs de combustible de chauffage. Ce serait terrible. Que pouvez-vous nous dire de la vulnérabilité de ce passage?

M. Boudreau : Le gros problème que nous avons éprouvé par le passé a été, par exemple, la grève du CN survenue les 19 et 26 novembre 2019, et les barrages près de Belleville, qui nous ont coupé l’approvisionnement.

La sénatrice Simons : Je vous interromps de nouveau, monsieur Boudreau. Notre étude porte sur les répercussions des changements climatiques sur les infrastructures essentielles. Avez-vous des observations à faire sur l’impact des changements climatiques sur cette route et ce chemin de fer? Je vais peut-être poser la question à M. Hynes également. Je vous invite de nouveau à limiter vos propos aux répercussions des changements climatiques sur l’infrastructure.

M. Boudreau : La seule chose dont je sois au courant à l’heure actuelle, c’est qu’il y a eu des inondations dans cette zone, ce qui a occasionné des problèmes. Quelle en a été la gravité? Il faudrait que je fasse appel à d’autres ressources pour pouvoir donner des précisions.

La sénatrice Simons : Monsieur Hynes, pouvez-vous parler des répercussions des changements climatiques sur cette infrastructure? Je vous demande de vous en tenir au sujet le plus possible.

M. Hynes : Excusez-moi, mais je vais devoir tenir des propos semblables à ceux que vous venez d’entendre. Je peux évoquer des faits anecdotiques en ce sens que nous avons éprouvé certains problèmes.

La sénatrice Simons : Oui. Ce serait formidable. Pouvez-vous me donner un exemple de problème?

M. Hynes : Je ne peux pas, mais je peux m’engager à revenir vous parler de ce que nous avons vécu au cours des cinq dernières années en ce qui concerne l’acheminement des marchandises vers le port de Halifax.

La sénatrice Simons : Je ne veux pas minimiser l’importance des marchandises que vous transportez tous, mais ce n’est pas ce que nous étudions. Il s’agit d’une étude de l’impact de la montée des eaux, des tempêtes hivernales, des ouragans.

M. Hynes : Je comprends. Sauf votre respect, à Oceanex, nous ne sommes pas des experts en matière d’infrastructure. Nous pouvons parler du contexte des répercussions.

La sénatrice Simons : D’accord. Vous connaissez les océans. Les changements climatiques modifient les conditions océaniques. Dans quelle mesure cela vous rend-il plus vulnérables aux autres chocs dans la chaîne d’approvisionnement?

Qu’en est-il des tempêtes hivernales ou des ouragans qui frappent là où ils ne le faisaient pas autrefois?

M. Hynes : Là encore, c’est anecdotique, mais les tempêtes sont plus fréquentes et plus intenses. C’est un problème auquel notre système doit faire face. Heureusement, l’équipement que nous avons est conçu pour ce genre de conditions.

La sénatrice Simons : Mais vous n’avez pas de matériel dans la zone de l’isthme?

M. Hynes : Oui, des camions.

La sénatrice Simons : Vos camions ont-ils eu du mal à franchir l’isthme?

M. Hynes : Comme je l’ai dit, je vais devoir m’engager à revenir vous présenter les données sur la fréquence à laquelle cela s’est produit au cours des cinq dernières années.

La sénatrice Simons : C’est ce que nous sommes en train d’étudier, c’est-à-dire la vulnérabilité du réseau routier et du réseau ferroviaire aux chocs météorologiques.

M. Hynes : La seule chose que j’ajouterais, c’est que nous utilisons beaucoup d’infrastructures. Il est important de ne pas confondre chance et bonne gestion.

La sénatrice Simons : Oui, c’est tout à fait vrai.

M. Hynes : Je m’appuierais largement sur les prévisions et les études techniques qui, je crois, ont été faites.

La sénatrice Simons : Avez-vous ces études? Il serait formidable que vous puissiez les faire parvenir au greffier.

M. Hynes : Je serais heureux de le faire.

La sénatrice Simons : Nous avons du mal à trouver cette information. Ce serait merveilleux. Merci beaucoup.

Le président : Apparemment, ces études figurent dans les mémoires qui nous ont été fournis. Je ne les ai pas vues non plus, mais apparemment, elles sont là. Je suis certain que le sénateur Quinn les a lues.

Le sénateur Quinn : Merci, monsieur le président, et merci aux témoins d’être là ce soir. Je voudrais poursuivre sur cette lancée et apporter quelques précisions. L’autre soir, un témoin a parlé de certains phénomènes qui pourraient avoir une incidence sur l’isthme, par exemple, l’évolution des conditions météorologiques. Il est important que le comité comprenne que cet isthme et le transport qui s’y fait sont directement touchés par les changements climatiques.

L’été dernier, par exemple, le rail a été emporté près de Truro, en Nouvelle-Écosse. Cela a empêché les trains de se rendre à Halifax, en Nouvelle-Écosse, pendant cinq jours. On tente également de souligner l’importance de ce corridor de transport particulier pour l’économie et ce qui se produirait en cas de catastrophe. Nous entendons dire que le niveau de la mer s’élève, ce qui est vrai, et nous entendons parler de la fréquence et de l’intensité croissantes des tempêtes. D’autres témoins vont en parler de façon plus succincte. Tout cela est interrelié. Ce n’est peut-être pas exactement ce que ma collègue voulait dire, mais le sujet est lié.

Vous avez dit que vos deux entreprises dépendent de l’isthme pour acheminer les marchandises. Si cet isthme était perturbé par les changements climatiques — c’est-à-dire par l’élévation du niveau de la mer et la rupture des digues —, quelles seraient les répercussions sur votre entreprise? Vous avez parlé de solutions de rechange, mais je crois qu’elles entraîneraient une hausse des prix. Les coûts augmenteraient dans le système, et cela finirait par être répercuté sur les consommateurs à un moment donné, au point où je pense que cela aurait une incidence sur l’ensemble des entreprises.

L’isthme est vraiment un point névralgique. À dire vrai, il est inévitable qu’il y ait une brèche ou des dommages, nous le savons. Il reste à savoir quand cela se produira. Nous savons qu’il y a eu des brèches par le passé, au début des années 1900 et à la fin des années 1800. Nous savons qu’il y a eu des problèmes de submersion, et nous savons aussi qu’on en est à la hauteur maximale à l’heure actuelle. Avec la marée haute, une lune qui joue au maximum et des vents qui viennent de la mauvaise direction, la brèche est inévitable. Cela ne fait aucun doute.

Les changements climatiques ont une incidence, mais il est important que les membres du comité comprennent ce que cela signifie pour notre économie et pour les entreprises qui approvisionnent la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve et qui assurent le lien avec les voies commerciales internationales de l’Amérique du Nord jusqu’à Halifax et Sydney, et ainsi de suite. C’est ce dont nous voudrions entendre parler un peu plus. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?

Mme Watt : En fait, nous avons des exemples clairs qui nous aident à comprendre ce qui se passerait si l’isthme était inondé. Il y a d’abord la grève du CN de novembre 2019 et les barrages ferroviaires de février 2020. Cela a vraiment interrompu l’approvisionnement en propane dans la région de l’Atlantique.

Je vais demander à Royden Boudreau de vous donner son propre point de vue sur les répercussions de ces deux événements sur son entreprise.

Le sénateur Quinn : Puis-je apporter une précision? Je pense que vous essayez de donner un exemple. Si l’isthme ne pouvait plus être emprunté à cause des changements climatiques, vous avez déjà une idée de ce qu’une interruption de service signifierait. Cependant, pour revenir à ce que mes collègues ont dit au sujet de l’isthme, quel en est l’état? Nous savons que les changements climatiques auront des répercussions. Il y aurait une perturbation comme celle que vous avez connue.

Mme Watt : Effectivement.

Le sénateur Quinn : Avec la disparition de ce lien, fut-ce pour une autre raison, pouvez-vous nous dire ce qui est arrivé?

Mme Watt : Exactement. Chaque année, 150 millions de litres transitent par l’isthme. Monsieur Boudreau, quelles ont été les répercussions des barrages ferroviaires et de la grève du CN?

M. Boudreau : Essentiellement, nous ne pouvions pas faire entrer le produit en Nouvelle-Écosse. Nous avons dû tout faire venir par camion. Lorsque la grève du CN a eu lieu, il y avait des barrages, et tout ce qui entrait en Nouvelle-Écosse est arrivé essentiellement par camion. Nous n’avions pas d’autre choix.

En tant que petite organisation de la Nouvelle-Écosse, nous sommes allés en Alberta chercher un train double de type B capable transporter environ 70 000 litres de propane afin de servir nos clients en Nouvelle-Écosse. Nous n’avions pas vraiment d’autre choix. C’était cela, ou les clients allaient épuiser leurs réserves en peu de temps. Nous nous attendions à ce que les clients manquent de propane en l’espace de deux ou trois semaines. Nous approvisionnons les secteurs de la fabrication, de l’agriculture, des hôpitaux et de la production d’électricité. Il était donc essentiel que le produit soit livré le plus rapidement possible. Essentiellement, les entreprises de l’industrie du propane de la Nouvelle-Écosse auraient fermé leurs portes en deux semaines, pour la plupart.

L’une des autres entreprises qui desservent l’industrie du propane en Nouvelle-Écosse a commencé à faire venir beaucoup de wagons en Nouvelle-Écosse et a fourni du stockage supplémentaire sur les voies de service pour essayer d’atténuer les problèmes majeurs qui pourraient se produire ultérieurement. Il y a aussi, bien sûr, les frais de surestarie pour l’entreposage du produit sur les voies de service.

La plupart des entreprises de propane du Canada atlantique ont tenté d’accroître leur capacité de stockage pour essayer de compenser toute baisse importante d’approvisionnement, que ce soit à cause d’une grève du CN, de barrages ferroviaires, des conditions météorologiques ou des changements climatiques. À quelques reprises au cours de l’hiver dernier, les camions n’ont pas pu franchir l’isthme à cause des tempêtes, et l’approvisionnement a été interrompu, mais c’était plutôt temporaire, pas à long terme.

M. Hynes : J’ai parlé davantage du transport des marchandises en général vers Terre-Neuve. Pour répondre expressément à la question du sénateur Quinn, qui souhaite connaître les répercussions sur Oceanex, je dirai que le tiers de ses activités s’arrêterait. Il faudrait trouver des solutions de rechange. J’en ai évoqué certaines tout à l’heure. Mais tout cela prend du temps et, comme vous l’avez dit, coûte plus cher.

Au bout du compte, le tiers de nos marchandises et le tiers de nos employés attendraient là que nous trouvions le moyen de nous remettre en selle et de reprendre l’acheminement des marchandises vers les clients.

Un certain nombre de biens et de produits essentiels passent par le réseau, mais au bout du compte, tout le fret arrive à l’île. Ce que j’essaie de dire, c’est que le transport de marchandises générales vers l’île est ce qui y permet le commerce de détail. À Terre-Neuve, l’an dernier, le commerce de détail a atteint environ 11,5 milliards de dollars. Abstraction faite du carburant automobile, il s’agit d’une activité économique quotidienne de 27 ou 28 millions de dollars.

Il est arrivé par le passé que la chaîne d’approvisionnement soit perturbée. L’activité économique qui disparaît ne revient pas. Une image pour expliquer : si quelqu’un mange une pomme par jour et que, tout à coup, il ne peut pas se procurer de pommes et n’en mange donc pas, il ne va pas en manger deux par jour la semaine suivante.

Ce que l’économie a perdu ne se rattrape pas. On l’a vu lors de la grève au port de Montréal en 2010, qui a entravé l’acheminement des marchandises vers Terre-Neuve. Notre service à Montréal a été touché pendant une brève période. L’impact s’est fait sentir dans les indicateurs économiques de la province.

Les biens essentiels sont un élément clé dont il faut tenir compte, lorsqu’il s’agit d’infrastructure et de pérennité, mais nous devons aussi nous intéresser à l’infrastructure essentielle à une économie et à un commerce efficients et efficaces.

Le sénateur Quinn : Un dernier point pour que tout soit clair : notre étude porte sur l’infrastructure et les effets des changements climatiques sur l’infrastructure. Est-il juste de dire, vu ce que nous avons entendu précédemment et à l’instant, qu’il ne s’agit pas de savoir s’il y aura un impact, mais quand il se produira? Si nous ne faisons rien, cette infrastructure essentielle sera touchée par les changements climatiques.

Qu’en pensez-vous? Est-ce que ce passage essentiel est dans l’intérêt général du Canada du point de vue des échanges commerciaux, du commerce international et du commerce intérieur? Qu’en pensent les deux témoins?

Mme Watt : La réponse est oui, absolument.

M. Hynes : J’abonde dans le même sens. Il n’y a pas que le commerce à Terre-Neuve. Il y a aussi les activités du port de Halifax, qui achemine des marchandises vers le reste du Canada et le Midwest américain. Il y a énormément d’échanges commerciaux qui transitent par cet isthme.

Le président : Sénateur Quinn, si nous étions devant un tribunal, la question que vous venez de poser serait considérée comme une façon d’orienter la réponse du témoin.

La sénatrice Miville-Dechêne : Les questions suggestives sont également interdites en journalisme. Cela ne se fait pas.

Le président : Avec les journalistes, on s’y attend tout le temps.

La sénatrice Miville-Dechêne : Non, non, non.

Le sénateur Quinn : J’essayais de préciser la nature de notre étude.

Le président : Avant de donner la parole à la sénatrice Miville-Dechêne, j’ai une question à poser. J’ai écouté les échanges. J’ai l’impression que nous voudrions que vous cerniez tous les incidents liés aux changements climatiques qui perturbent vos activités. En fin de compte, nous voulons connaître les faits. Nous ne voulons rien présumer. D’après ce que je comprends, au cours des dernières années, les obstacles les plus importants pour vos entreprises, en ce qui concerne l’infrastructure, ont été les barrages ferroviaires, les grèves, mais de graves problèmes environnementaux et climatiques n’ont pas entravé l’acheminement des produits vers les clients. Exact? Je veux simplement m’assurer de bien comprendre les témoignages que vous avez livrés jusqu’à maintenant.

M. Hynes : C’est certainement ce que nous constatons. En nous préparant pour la séance d’aujourd’hui, nous avons évidemment essayé de nous concentrer sur la question à l’étude, sur la question qui nous était adressée. Il y a quelques années, il y a eu une importante accumulation de glace sur le Saint‑Laurent, qu’on emprunte pour se rendre jusqu’à Montréal. Toute la circulation maritime a été interrompue pendant plusieurs jours, y compris notre service entre Montréal et St. John’s. Cela ne s’est pas produit depuis plus de 20 ans. C’est déjà arrivé, mais nous constatons des changements climatiques, des changements qui ont une incidence sur la circulation des marchandises partout au Canada.

On pourrait donner d’autres exemples. Je me ferai un plaisir de vous en faire un résumé.

Le président : En particulier, comme je l’ai dit, s’il y a eu des incidents climatiques qui reviennent tous les 20 ou 25 ans, on peut parler de tendance. C’est peut-être une vingtaine d’années; c’est peut-être inhabituel.

Je vais poser la question différemment. Y a-t-il quelque chose dans l’infrastructure actuelle sur laquelle comptent vos industries qui fasse problème et appelle des améliorations? Ce pourrait être lié au climat ou à autre chose. J’étends un peu le champ de notre étude, mais par curiosité... Comme je suis le président, je prends parfois des libertés. Quelqu’un veut répondre à cette question?

Mme Watt : Après la grève et les barrages, nous avons travaillé avec la Régie de l’énergie du Canada, Ressources naturelles Canada et Transports Canada. Nous avons financé une séance d’information avec le Conference Board du Canada simplement pour discuter des problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement. Il a dit que la chaîne d’approvisionnement du propane au Canada était assez stable, mais que des facteurs externes vraiment importants pouvaient créer des situations critiques.

Voilà qui se rapproche beaucoup de la question à l’étude. La première solution était de recueillir plus de données, n’est-ce pas? Ce devait être en 2021. Il nous faut de meilleures données sur ce que nous faisons.

Première chose. Deuxièmement, il fallait envisager plus de stockage stratégique, ce que vous a dit M. Boudreau, c’est-à-dire qu’on utilise des voies de service pour entreposer davantage de propane. C’est certainement l’une des solutions à envisager : comment arriver à une meilleure compréhension et obtenir les données voulues pour mieux nous y prendre?

M. Boudreau : Nous avons évidemment été touchés par de plus en plus d’ouragans au cours des dernières années. Des tempêtes de verglas ont entravé l’acheminement du produit. Pour ce qui est des impacts directs sur l’isthme lui-même, ils se sont fait sentir dans toute la région.

Si le transport devient plus critique pour l’industrie du propane, c’est parce que sa production a cessé en Nouvelle‑Écosse, puisque le Projet énergétique extracôtier de l’île de Sable a été interrompu en janvier 2019. Auparavant, le propane était produit et utilisé partout dans les Maritimes. La fermeture de la raffinerie de Come By Chance a interrompu la production de propane à Terre-Neuve. Nous dépendons désormais exclusivement du camionnage et du transport ferroviaire pour approvisionner les clients de toute la région.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce que j’aimerais savoir concerne le fait que vous avez vécu deux événements qui ont montré la fragilité, madame Watt, notamment de votre chaîne d’approvisionnement en propane. Une fois que vous savez cela, les changements climatiques étant ce qu’ils sont, en général, il y a des préparations nécessaires qu’il faut faire. Voici ce qu’on a vécu, voici ce qui risque d’arriver, voici notre plan B.

Dans l’industrie du propane ou dans votre cas, avez-vous un moyen de transporter vos marchandises autrement qu’en passant par l’isthme, qui risque à un moment donné de ne plus exister, s’il est inondé? Avez-vous fait des plans?

Ce matin, je prenais part à une conférence où on disait qu’il faut se préparer. Que faites-vous pour vous préparer? Voilà ma question. Je sais que je suis un peu hors sujet, mais c’est légèrement lié.

[Traduction]

M. Hynes : À Oceanex, nous avons des plans d’urgence pour les problèmes et les phénomènes d’importance qui ont une incidence sur nos activités. J’ai évoqué l’une de nos solutions de rechange possibles en cas de perturbation de l’infrastructure routière et ferroviaire de l’isthme. Nous ferions appel à un autre port de la région pour affronter le problème.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous feriez appel à un port et assureriez la livraison par bateau?

M. Hynes : Désolé. Je ne me suis probablement pas exprimé clairement tout à l’heure. Nous assurons le transport porte à porte des marchandises. Nous coordonnons le camionnage, les activités du terminal et l’expédition. Nous sommes propriétaires des navires et nous possédons beaucoup de camions. Par exemple, lorsqu’un expéditeur a un chargement de fret à Moncton, au Nouveau-Brunswick, qu’il veut l’expédier à St. John’s, à Terre-Neuve, nous coordonnons un camion, un châssis et un conteneur ou une remorque pour aller de Halifax à Moncton, prendre le chargement et le rapporter à Halifax pour qu’il soit expédié à Terre-Neuve.

Si nous ne pouvons pas franchir l’isthme, nous travaillerons avec l’expéditeur pour acheminer le fret jusqu’au port de Saint John, au Nouveau-Brunswick. On pourrait se rendre dans ce port à partir de Moncton. Nous pouvons dérouter notre navire là-bas, et nous pouvons quand même maintenir un service hebdomadaire dans cette région.

Par le passé, nous avons généralement constaté que le système de transport est très tendu. La capacité correspond très bien à la demande. On a tendance à ne pas payer une prime pour avoir une foule de solutions de rechange en attente, prêtes, disponibles.

Les dispositions pourraient s’adapter et changer sur une longue période. Par exemple, si jamais l’isthme ne pouvait plus être franchi, le fret finirait par être acheminé autrement en Nouvelle-Écosse. Des solutions de rechange seront mises en place. Dans l’immédiat, malgré tout, il y aurait un impact important, le temps que tout le monde s’adapte.

La sénatrice Miville-Dechêne : Et vous, madame Watt? Avez-vous des plans d’urgence?

Mme Watt : Il y a toujours un plan B dans le secteur du propane. Il s’agit d’un secteur axé sur l’entrepreneuriat dans lequel de nombreuses petites entreprises excellent. Si quelque chose ne fonctionne pas, il y a toujours un plan B. Le problème, c’est le coût supplémentaire pour le client.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, mais quel est le plan B?

Mme Watt : M. Boudreau a donné un excellent exemple. Lorsque les voies ferrées se sont effondrées, le propriétaire de sa compagnie a appelé son père et lui a dit : « Nous allons nous approvisionner en propane en Alberta. »

Royden Boudreau, à vous. Quel serait le plan B si l’isthme était submergé?

La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne veux pas que vous inventiez un plan maintenant. Avez-vous fait des recherches? Y en a-t-il un?

Mme Watt : Nous n’avons pas personnellement fait de recherches, si ce n’est pour nous assurer que nos membres sont au courant de certains risques. Je crois que chaque entreprise a son propre scénario pour certaines situations qui pourraient se présenter. Les entreprises connaissent leurs risques et savent comment les atténuer.

M. Boudreau : Comme Mme Watt vient de le dire, essentiellement, nous apporterions les changements nécessaires en fonction de ce qui se passe. Nous n’avions pas prévu la grève du rail. Nous n’avions pas de plan. Pensons-nous à la possibilité d’une grève du rail demain ou la semaine prochaine? Que ferons‑nous si cela se produit? Ce corridor est tellement important.

M. Hynes, d’Oceanex, a parlé de transporter le produit du Nouveau-Brunswick à Terre-Neuve par bateau, mais cela ne pourrait pas se faire du côté du propane. Ce serait un véritable défi. Je ne sais pas ce que nous ferions. Nous pourrions peut-être transporter le produit par le lien fixe jusqu’à l’Île-du-Prince-Édouard, puis le transporter par bateau, mais cela ne fonctionnerait que pendant les mois d’été, ce qui n’est certainement pas la période où la demande est la plus forte.

M. Hynes : C’est un excellent exemple, comme le témoin vient de le dire. Le propane pourrait-il être transporté par navire à Terre-Neuve? En fait, il est transporté par transbordeur aujourd’hui. Théoriquement, oui, c’est possible. C’est un exemple d’équipement qu’il faut acheter. Nous aurions besoin de conteneurs pour transporter le propane. Ils ne se trouvent pas au coin de la rue. Il faut travailler avec les fournisseurs de cet équipement, l’acheter, le placer au bon endroit en Amérique du Nord, pour qu’il soit éventuellement utilisé pour servir Terre‑Neuve, par exemple. Tout cela prend du temps. Tout peut se faire, mais il faut du temps et de l’argent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Richards : Merci d’être là. Je n’ai pas grand‑chose à ajouter. Les changements climatiques sont un facteur, bien sûr, mais ayant grandi à Newcastle et connaissant des gens d’Amherst, de Moncton et de Sackville, je suis au courant des inondations qui se sont produites là-bas. La grande inondation de 1974 a touché la moitié de la province, et il y a eu le désastre d’Escuminac dans le détroit de Northumberland. Y a-t-il un exemple pertinent des dommages qui ont été causés là-bas par rapport à ce qui serait fait maintenant? Pouvez-vous comparer les mesures prises à l’époque pour pallier les dégâts, s’il y en a eu, à ce qui se passerait aujourd’hui en pareilles circonstances? C’est un ouragan monstre qui a traversé le détroit de Northumberland en 1959. Il a dû causer des dommages le long des marais. Les inondations de 1974 ont été du même ordre.

Vous êtes tous les deux trop jeunes pour vous souvenir, mais y a-t-il quelque chose à examiner avec le recul, pour savoir ce qui s’est passé et ce qui a été fait? Ferions-nous la même chose maintenant? Pouvons-nous au moins savoir combien de dégâts seraient causés par une catastrophe comme l’ouragan de 1959? Avez-vous une idée?

M. Hynes : Aujourd’hui, non. Je peux faire des recherches et vous revenir. Nous avons des connaissances organisationnelles qui remontent aussi loin, ou du moins jusqu’en 1974.

Le sénateur Richards : D’accord. Les lignes de chemin de fer étaient ouvertes à cette époque, et les marchandises étaient transportées à ce moment-là aussi bien qu’aujourd’hui. Je sais qu’il y avait moins de marchandises transportées qu’aujourd’hui, mais elles étaient quand même acheminées par cette route et cette voie ferrée.

M. Hynes : Absolument.

Le sénateur Richards : Je me demande simplement comment la situation a été gérée en 1959 et en 1974. Il s’agissait de deux tempêtes majeures. Elles ont eu des répercussions sur cette région tout comme sur la majeure partie de ce côté de la province. Sait-on ce qui s’est passé à l’époque comparé à ce qui se passerait aujourd’hui?

M. Hynes : Je peux certainement m’engager à examiner nos connaissances organisationnelles et à revenir devant le comité avec des informations à ce sujet.

Le sénateur Richards : Ce serait bien. Je ne cherche pas à minimiser les répercussions des changements climatiques, mais ayant passé la plus grande partie de ma vie là-bas, je sais que cela s’est déjà produit — pas régulièrement; c’était rare, mais quand cela s’est produit, c’était visible. Et cela se reproduira.

M. Hynes : Oui. Ce qui a changé depuis 1974, c’est que les chaînes d’approvisionnement sont entièrement orientées vers le « juste à temps ». Il y a très peu d’entreposage à Terre-Neuve, par exemple. La plupart du temps, lorsque nous importons des marchandises, elles arrivent, disons, le mardi matin, et elles sont distribuées par camion le mardi après-midi ou le mardi soir. Elles sont mises en rayon et, le mercredi matin, quelqu’un les achète et les rapporte chez lui. Cela a changé, ce qui rend le lien plus critique.

Le sénateur Richards : Donc, l’organisation du commerce est vraiment l’un des problèmes? C’est la même chose partout ailleurs au Canada et aux États-Unis, je suppose.

M. Hynes : Quelles que soient les marchandises, si vous voulez un entrepôt et des stocks, cela a un coût. Au bout du compte, les consommateurs veulent que les coûts soient aussi bas que possible. Les grands détaillants répondent à ce désir, du moins d’une certaine façon, en coupant dans le gras de leur système. Cela signifie que, lorsque les choses vont bien, elles tournent très rondement, mais lorsque les conditions sont mauvaises, ce dont il est question ici, le système est beaucoup plus susceptible de faire face à un risque de pénurie.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

La sénatrice Clement : Merci d’être ici. J’aimerais revenir sur les questions posées par la sénatrice Miville-Dechêne et aller un peu plus loin, si possible.

Quelle part de votre budget est consacrée à la planification des crises climatiques? Combien investissez-vous dans l’atténuation des crises climatiques? Votre société a-t-elle un plan stratégique qui traite précisément de la crise climatique, et de quelle façon?

Mme Watt : Nous sommes une association. Nous représentons 400 entreprises qui ont élaboré ou non ces plans d’atténuation des risques. Je ne peux pas me prononcer là-dessus.

Je peux dire que nous croyons fermement que les changements climatiques sont un problème auquel nous devons nous attaquer. Nous sommes en train d’élaborer une voie de décarbonisation pour traiter cet aspect du propane. Nous publierons notre étude sur la décarbonisation au cours des prochains mois dans l’espoir de produire du propane renouvelable au Canada, avec des matières premières canadiennes, et pas seulement en provenance des États-Unis.

La sénatrice Clement : Merci.

M. Hynes : Je ne peux pas vous dire combien nous dépensons, mais notre entreprise a un plan stratégique. L’un des éléments clés, c’est la façon dont nous nous attaquons aux changements climatiques. Comme fournisseur de services de transport, cela dépend surtout du type de carburant que nous utiliserons à l’avenir pour faire fonctionner le système.

Cela dit, notre infrastructure est prioritaire. Le principal élément que nous examinons est le terminal que nous exploitons. Nous avons un bail à long terme avec l’administration portuaire de St. John’s et nous entretenons et exploitons le terminal maritime là-bas. Ce terminal est un élément clé de l’infrastructure de nos activités sur l’île, et nous travaillons avec le port à l’élaboration d’un plan à long terme pour faire face à la hausse du niveau de l’eau, aux tempêtes potentiellement plus violentes, à la pluie et à ce genre d’événements. C’est une priorité pour nous, mais nous consacrons plus de temps et d’énergie à examiner les carburants de remplacement et la façon dont nous pourrons réduire nos émissions à l’avenir.

La sénatrice Clement : Et vous conservez des données à ce sujet?

M. Hynes : Oui, absolument.

La sénatrice Simons : J’aimerais revenir à une question à laquelle vous serez plus à l’aise de répondre. Je crains d’avoir été un peu méchante la dernière fois.

Dans l’industrie du propane, il est évident que vous dépendez énormément de ce corridor de transport. Quelles pressions exercez-vous sur les compagnies de chemins de fer pour qu’elles entretiennent ces rails? Que vous répondent-elles lorsque vous leur parlez de vos préoccupations au sujet de votre vulnérabilité à l’égard de ce passage unique?

Mme Watt : C’est une excellente question. Nous travaillons le plus étroitement possible avec les sociétés ferroviaires. Ce n’est pas toujours une relation facile. Il peut être difficile de faire en sorte que nos préoccupations passent avant celles des autres, car de nombreux secteurs utilisent ces voies ferrées.

Monsieur Boudreau, pouvez-vous parler des préoccupations dont vous pourriez faire part aux compagnies de chemins de fer en ce qui concerne les risques?

M. Boudreau : Dans l’ensemble, nous avons exercé des pressions sur le CN et d’autres compagnies ferroviaires, même en Nouvelle-Écosse. Par exemple, un chemin de fer reliait la région de New Glasgow à Sydney. Cependant, ces lignes de chemin de fer ont été abandonnées par les compagnies de chemins de fer. De plus en plus de pressions sont exercées sur les entreprises de propane pour qu’elles obtiennent un autre approvisionnement. Dans bien des cas, les sociétés de propane du Cap-Breton, par exemple, dépendent maintenant entièrement des camions pour acheminer le produit au Cap-Breton, alors qu’auparavant, elles faisaient affaire avec la Cape Breton & Central Nova Scotia Railway, la CBNS. Cette possibilité n’existe plus.

Beaucoup de pressions ont été exercées sur le CN pour que la compagnie essaie d’améliorer ses voies ferrées. Elle a beaucoup d’excuses pour ne pas le faire. Dans l’ensemble, il y a moins de gens qui travaillent sur les voies ferrées que par le passé. Je ne crois pas que l’entretien soit à la hauteur de ce qu’il devrait être d’après ce que j’ai vu par le passé et selon les commentaires d’autres intervenants de l’industrie à ce sujet.

La sénatrice Simons : Puisque vous faites passer des camions dans l’isthme, quel est l’état de la route? Que vous dit le ministère provincial chargé des routes de la Nouvelle-Écosse au sujet de l’entretien de cette route? Si nous sommes si préoccupés par la vulnérabilité de cette petite bande de terre, que faites-vous pour améliorer les routes?

M. Boudreau : Honnêtement, je pense que la plupart d’entre nous se sont adressés au ministère pour demander de meilleures routes dans la province. Nous avons des problèmes non seulement là-bas, mais aussi dans toute la province. Je ne pense pas qu’elles soient entretenues comme avant. Une grande partie de l’argent de la taxe sur les carburants que les provinces sont censées consacrer à l’entretien des routes est dépensée ailleurs.

En ce qui nous concerne, nous nous sommes adressés au ministère des Transports de la Nouvelle-Écosse au sujet des routes et des améliorations à apporter, mais je pense que c’est un problème qui touche toute la province et pas seulement cette région.

La sénatrice Simons : La même question s’adresse à vous.

M. Hynes : Dans cette région, nous travaillons avec des sous‑traitants qui possèdent et exploitent les entreprises de camionnage qui fournissent ce service aujourd’hui. Nous leur parlons régulièrement. Nous croyons savoir qu’ils collaborent avec les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse au sujet de l’état de l’infrastructure. Ces derniers temps, nous n’avons pas eu voix au chapitre à ce sujet. Toutefois, je crois que nous en ferons une priorité.

La sénatrice Simons : Oui. Si vous dépendez d’une seule route, il serait bon que les gens en parlent.

Du point de vue des ports, est-ce que les divers ports avec lesquels vous avez travaillé ont montré qu’ils envisageaient de s’attaquer d’urgence aux vulnérabilités vis-à-vis des changements climatiques dont vous avez parlé?

M. Hynes : Absolument. Il y a eu des investissements considérables dans le port de Halifax, non seulement avec l’administration portuaire, mais aussi avec PSA Halifax, l’exploitant du terminal là-bas. Il y a aussi eu des investissements dans le port de Montréal. La question du niveau d’eau à Montréal est un peu différente de celle de Halifax. Il ne s’agit pas d’eau de mer, mais d’eau de rivière. Au cours des dernières années, nous avons constaté une augmentation des niveaux d’eau dans la rivière liée au fait que davantage d’eau sort du réseau des Grands Lacs. C’est un sujet important pour les ports et les exploitants avec lesquels nous travaillons, ainsi que pour le port de St. John’s.

La sénatrice Simons : Merci.

Le sénateur Richards : Connaissez-vous les pourcentages respectifs de marchandises que vous recevez par train et par camion? Quelle est la quantité de marchandises transportées par camion aujourd’hui par rapport à l’époque du chemin de fer dans les années 1950 et 1960, une époque à peu près révolue aujourd’hui? Savez-vous quel pourcentage de marchandises transite par camion?

M. Hynes : Tout ce que nous recevons au port de Halifax est acheminé par camion, et ce qui parvient finalement au port de North Sydney est acheminé par camion. Je ne peux pas dire si les camions proviennent d’Halifax ou de Moncton.

Le sénateur Richards : Vous avez parlé du transport ferroviaire. D’où viennent les trains? De Montréal ou de Moncton? Est-ce bien ce que vous avez dit, ou toutes les marchandises arrivent-elles par camion?

M. Hynes : Le transport ferroviaire joue un rôle clé dans le transport des marchandises à des fins de distribution dans la province de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : Je vois.

M. Hynes : Pour certains. Il y a des centres de distribution dans la région de Halifax, mais la grande majorité d’entre eux sont à Moncton.

Le sénateur Richards : Donc, quand vous traversez les marais, il s’agit uniquement de camions?

M. Hynes : C’est exact.

Le sénateur Richards : D’accord. J’étais perplexe parce que vous avez parlé des chemins de fer et que tout ce que j’ai vu là‑bas, ce sont des milliers de camions.

M. Hynes : Oui. C’est exact.

M. Boudreau : Pour ce qui est du propane, environ 60 % du propane est acheminé par train vers la Nouvelle-Écosse et le reste est acheminé par camion. Les wagons transportent environ 100 000 litres de propane, tandis qu’un camion peut transporter de 50 000 à 60 000 litres de propane. Il est plus pratique de le transporter par train lorsque c’est possible. Les quantités sont très limitées.

Le sénateur Richards : Merci.

M. Boudreau : Pas de problème.

M. Hynes : En dehors d’Oceanex, les échanges sont fortement desservis par les chemins de fer.

Le président : Au nom du comité, je remercie les témoins d’avoir répondu à nos questions ce soir.

Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude approfondie de l’incidence des changements climatiques sur l’infrastructure de transport de l’isthme de Chignecto.

Pour notre deuxième groupe de témoins de ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir David Kogon, maire de la ville d’Amherst, en Nouvelle-Écosse, et Andrew Black, maire de la ville de Tantramar, au Nouveau-Brunswick.

Nous allons commencer par les déclarations préliminaires de chacun des maires et, par la suite, nous passerons aux questions et réponses.

Monsieur Kogon, vous avez la parole pour commencer.

David Kogon, maire, Nouvelle-Écosse, ville d’Amherst : Je me sens vraiment honoré d’être ici et je vous remercie de l’invitation.

Je me présente : David Kogon, maire d’Amherst, en Nouvelle‑Écosse. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Après mon élection à la mairie, en 2016, j’ai rencontré le maire de Sackville, au Nouveau-Brunswick, qui était à l’époque John Higham. Il m’a mis au courant des graves menaces qui pèsent sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et, par le fait même, sur le réseau routier et ferroviaire qui traverse l’isthme. Le maire Higham et moi avons ultérieurement rencontré le député Dominic LeBlanc, qui représente la circonscription de Beauséjour, au Nouveau-Brunswick, et le député Bill Casey, représentant la circonscription de Cumberland—Colchester, en Nouvelle-Écosse.

Ces premières rencontres ont donné lieu à l’octroi de 700 000 $, qui ont servi à financer la conduite d’une étude technique intitulée Étude de faisabilité et d’ingénierie du Projet d’adaptation aux changements climatiques de l’isthme de Chignecto. Sur cette somme, 350 000 $ ont été versés par le gouvernement fédéral et 175 000$ par chacun des deux gouvernements provinciaux.

L’étude a pour but d’atténuer sans délai les effets des changements climatiques sur les collectivités et les terres agricoles dans l’isthme de Chignecto. En tant que maire d’Amherst, je me préoccupe surtout de protéger ma municipalité des effets des changements climatiques, ainsi que de conserver intact le corridor de transport qui relie la ville au Nouveau‑Brunswick et au reste du pays.

J’ai structuré ma déclaration afin de bien mettre en exergue les conséquences néfastes d’un bris du réseau de digues et de l’inondation subséquente de l’isthme de Chignecto pour ma municipalité et les environs ainsi que les répercussions à l’échelle nationale et au-delà.

Si l’isthme de Chignecto était inondé, la voie ferrée, la route Transcanadienne, les lignes de transmission d’électricité, un pipeline de gaz naturel et les éoliennes de la région seraient touchés.

De plus, entre le quart et le tiers de la ville d’Amherst serait submergée. La protection propre du réseau de digues garantit aussi la sécurité du corridor de transport, d’Amherst, des autres localités voisines et des vastes zones agricoles fertiles. Les zones protégées par les digues se trouvent sous le niveau de la mer. Si elles étaient submergées, l’eau ne s’écoulerait pas : elle y resterait de façon permanente, ce qui entraînerait des conséquences majeures.

Les tempêtes majeures sont beaucoup plus fréquentes ces dernières années, et il nous faut souligner l’urgence de la question. En effet, si l’un des prochains phénomènes météorologiques violents coïncide avec la marée haute, la combinaison sera fatale au réseau de digues, et l’isthme sera inondé pour toujours.

Les villes d’Amherst, en Nouvelle-Écosse, et de Sackville, au Nouveau-Brunswick, entretiennent de forts liens économiques et sociaux, car de nombreuses personnes franchissent la frontière provinciale et l’isthme, souvent pour rendre visite à leur famille ou à leurs amis et tous les jours pour aller travailler.

Qui plus est, près de 40 % de l’activité au détail d’Amherst repose sur la circulation en provenance du Nouveau-Brunswick, qui passe essentiellement par le corridor de transport autoroutier traversant l’isthme. Selon le quotidien Chronicle Herald, 90 % de la nourriture consommée en Nouvelle-Écosse est importée et elle passe par le corridor de transport traversant l’isthme de Chignecto. Si elle ne peut recevoir ses expéditions par cette voie, la Nouvelle-Écosse épuisera sa nourriture importée en cinq jours.

À l’inverse, l’isthme de Chignecto demeure le principal point d’entrée des produits européens destinés aux marchés canadien et américain transitant par le port d’Halifax. L’inondation du corridor de transport qui traverse l’isthme interrompra la circulation de ces biens. Il faut savoir que des biens totalisant entre 50 et 55 millions de dollars traversent le corridor tous les jours, ce qui revient à environ 35 milliards de dollars par an.

Amherst est tributaire de la protection permanente assurée par des réseaux de digues centenaires. Si le réseau cède, ce sera la catastrophe pour ma ville et mes concitoyens. Au-delà des répercussions à l’échelle locale, nos réseaux commerciaux essentiels s’effondreront dès que les eaux envahiront le corridor autoroutier et ferroviaire dans l’isthme de Chignecto.

Pour l’ensemble de ces raisons, il faut déclarer le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes, tout aussi importants, comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous communiquer mon point de vue. Je répondrai volontiers à toutes vos questions.

Le président : Merci. Chers collègues, Bill Casey, ancien député de Cumberland—Colchester, nous a fait parvenir des mémoires parce qu’il ne pouvait pas être présent ici ce soir. Vous devriez tous les avoir. La distribution a été assurée par le greffier.

Je cède d’abord la parole au maire Andrew Black.

La sénatrice Simons : J’aimerais préciser, à titre de rappel au Règlement, la raison pour laquelle nos témoins sont ici.

Le président : Vous pouvez expliciter votre rappel au Règlement, sénatrice.

La sénatrice Simons : Nous devons être justes envers vous, messieurs, car vous n’êtes pas ici pour parler du projet de loi. Ce n’est pas du tout ce dont traite notre comité. Pour que vous compreniez bien ce dont il est question, nous ne débattons pas du projet de loi du sénateur Quinn. Nous ne discutons pas de l’objet du projet de loi du sénateur Quinn. C’est un comité différent, soit le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui examine le corridor de transport et sa vulnérabilité aux changements climatiques. Je me dis qu’on vous a peut-être communiqué des renseignements inexacts, et je tiens à ce que vous compreniez pourquoi j’ai réagi de cette façon : ce n’est ni l’endroit ni le moment de tenir ce genre débat.

Le président : Allez-y, sénateur... je veux dire maire Black, mais vous serez peut-être un jour sénateur.

Andrew Black, maire, Nouveau-Brunswick, municipalité de Tantramar : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Andrew Black et je suis maire de Tantramar, produit de la fusion des municipalités de Sackville et de Dorchester. Je suis également président de l’Union des municipalités du Nouveau-Brunswick et, à ce titre, je siège au conseil d’administration de la Fédération canadienne des municipalités. Je suis venu vous parler de la situation précaire dans laquelle se trouve ma communauté en ce qui concerne l’isthme de Chignecto, ainsi que de la peur et des préoccupations que nous vivons quotidiennement. Ma belle collectivité est située sur les rives de la rivière Tantramar, qui est directement connectée avec la puissante baie de Fundy, où se produisent les plus hautes marées de la planète. Ne l’oubliez pas.

Nous sommes également situés sur le sublime marais de Tantramar et nous sommes entourés d’innombrables zones de marais salés et d’eau douce.

Les habitants de Tantramar se considèrent chanceux de vivre en de tels lieux. D’ailleurs, les vasières aux apparences de crème au chocolat, les magnifiques marais et la biodiversité de cette région ont été intégrés à notre histoire, à notre art, à notre musique, à notre culture, à nos possibilités éducatives, ainsi qu’au tourisme et à l’économie.

Monsieur le président, nous sommes en permanence taraudés par la crainte que tout soit emporté par la tempête parfaite. L’isthme de Chignecto, comme on l’a dit, est une langue de terre étroite faisant le pont entre le Nouveau-Brunswick à la Nouvelle‑Écosse et s’étendant de la baie de Fundy, d’un côté, jusqu’au détroit de Northumberland de l’autre. La majeure partie de ces terres se trouve bien en dessous du niveau de la mer et il faudrait peu pour qu’elles soient inondées. L’ancienne ville de Sackville a connu sa juste part d’inondations dans le passé, de nombreuses parties de la ville ayant été inondées en 1962, plus récemment en 2015 et encore une fois en 2016, en raison de l’eau douce affleurante, un phénomène qui a été aggravé par les vents violents, les marées hautes et les ondes de tempête de la baie de Fundy.

En 2022, l’ouragan Fiona a balayé les provinces de l’Atlantique, et ma collectivité a connu les dommages et la destruction causés par les arbres abattus et les inondations importantes.

Monsieur le président, je suis ici aujourd’hui pour dire que nous avons évité le pire. Si l’ouragan avait suivi une trajectoire différente et que les marées avaient atteint leur cote maximale, les digues auraient été emportées, le ballast de la ligne ferroviaire du CN aurait été inondé et ma collectivité aurait été coupée de son lien vital avec la Nouvelle-Écosse.

Le mois dernier, nous avons de nouveau évité le pire quand l’ouragan Lee a touché terre, cette fois-ci suivant une trajectoire qui l’a mené directement en amont de la baie de Fundy, le jour et la nuit mêmes où, à cause d’une pleine lune, les marées ont été les plus hautes. Heureusement, la tempête a commencé à faiblir et elle ne s’est pas avérée aussi terrible qu’on l’avait prévu, ce qui n’empêche que les résidants de ma collectivité ont connu l’anxiété et la peur avant que la tempête ne frappe. Monsieur le président, cette peur s’explique par le fait que nous savons tous maintenant, d’après les inondations du passé et l’évolution rapide du climat, que la question n’est pas de savoir « si » l’isthme sera submergé, mais « quand ».

En vérité, il est difficile de savoir quelle partie est effectivement protégée par les digues et la voie ferrée du CN qui sont parallèles à la route Transcanadienne parce que les répercussions d’une situation aussi dévastatrice qu’une brèche sont trop compliquées à cerner. Cependant, je vais faire de mon mieux aujourd’hui pour ma collectivité.

Monsieur le président, permettez-moi de commencer par vous donner une statistique facile à comprendre, soit que le commerce interprovincial qui transite chaque année par le seul — et unique — corridor existant représente environ 40 milliards de dollars, comme on l’a dit. On peut dire que cela représente un peu moins de 770 millions de dollars par semaine. Une partie de ce montant comprend le commerce associé à ma collectivité, qu’il s’agisse d’importation ou d’exportation, ce qui signifie que ce commerce serait fermé en cas de rupture des digues. En raison de la proximité de la ville d’Amherst, beaucoup de mes citoyens vont y travailler. Il en serait fait de cette réalité également. Si l’isthme était inondé, encore plus de gens perdraient leur accès aux commerces et aux services d’Amherst et d’ailleurs.

Notre province, comme d’autres, traverse une période difficile sur le plan de la prestation des services de santé, au point que notre hôpital local de Tantramar a failli fermer ses portes en 2020. L’hôpital d’Amherst, avec son niveau de service accru, a sauvé des vies dans ma collectivité, et, encore une fois, le fait d’interrompre les services placerait Tantramar dans une situation terrible et potentiellement mortelle.

L’économie agricole de Tantramar repose sur une assise solide, mais de nombreuses exploitations sont situées dans la vaste région marécageuse de Tantramar. Sans les digues, l’océan envahirait facilement la zone, soumettant du même coup les terres arables à l’effet de l’eau salée qui les rendrait infertiles pour des années. En dernier lieu, monsieur le président, je veux parler de l’impact direct sur la municipalité. Beaucoup de résidants perdraient leur maison, leur emploi, leur entreprise et leur école. La municipalité perdrait ses propriétés et ses infrastructures, des parcs aux bâtiments communautaires, des routes aux bassins de rétention.

La perte de nos actifs municipaux serait catastrophique. C’est le genre de crainte que tous les résidants de Tantramar éprouvent au quotidien, et c’est encore pire en cette période de l’année, pendant la saison des ouragans. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous ressentons ces craintes parce que nous avons l’impression que le temps nous est compté.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, je vous remercie encore une fois de cette occasion et je vous invite à venir à Tantramar pour voir de vos propres yeux les répercussions des changements climatiques et la situation qui existe autour de l’isthme de Chignecto. Merci encore de votre temps.

Le président : Merci.

La sénatrice Simons : Je tiens à présenter mes excuses au maire Kogon qui a prononcé un excellent discours, mais vous devez comprendre, monsieur, que nous faisons quelque chose de différent ici.

Notre comité s’intéresse d’abord et avant tout au réseau de transport, mais vous, messieurs — maire Black et maire Kogon — venez de nous donner un excellent aperçu de la crainte qui règne dans vos collectivités.

Je me demande si vous pourriez nous parler de la vulnérabilité des digues. Dans quelle mesure les changements climatiques les rendent-elles plus vulnérables, et dans quelle mesure les routes et les chemins de fer sont-ils actuellement vulnérables? Comme je l’ai dit, ce n’est pas une question de compétences ou de responsabilité; il faut que quelqu’un nous dise quel est le problème.

M. Black : Je vous remercie de la question, monsieur le président. Je dirais, à mon avis, puisque je ne suis pas ingénieur des routes et que je ne construis pas de routes, que le corridor routier qui fait partie de l’isthme de Chignecto est en fait en assez bon état. Comme quelqu’un l’a dit plus tôt dans le dernier groupe de témoins, les routes du Nouveau-Brunswick ne sont pas en très bon état, mais ce tronçon de la Transcanadienne est en assez bon état. En ce qui concerne la voie ferrée, il serait intéressant d’entendre le CN et de lui demander quel est l’état exact de cette voie ferrée. Je sais qu’en 2015, il y a eu une tempête avec des ondes importantes, et il y a une image qui est frappante — vous pouvez la trouver en ligne — du lit du chemin de fer inondé par l’océan et de la baie de Fundy qui flatte sur les roues d’un train qui traverse cette infrastructure.

La sénatrice Simons : Cela met les choses en perspective.

M. Black : Je suis raisonnablement certain que cet élément d’infrastructure était probablement un peu à risque après cette tempête. Je pense qu’il serait intéressant d’entendre le CN à ce sujet. Cela dit, la route est en bon état, mais si elle était emportée par les eaux, si elle était submergée, l’infrastructure commencerait à s’user.

La sénatrice Simons : Ce serait une très bonne route sous l’eau, mais elle ne serait pas très utile.

Le problème, comme vous l’expliquez, ce n’est pas tant la route ou le chemin de fer que la possibilité que les digues cèdent, ce qui inonderait toute la région.

M. Black : Oui, c’est exact. Rapidement, si vous me le permettez, monsieur le président, en 2015, cette ligne de chemin de fer avait été inondée quand les digues ont cédé. Elles avaient déjà cédé. Le dernier obstacle qui a retenu l’eau, c’est la voie ferrée parce qu’elle était un peu plus haute que les digues.

La sénatrice Simons : Wow. La voie a donc servi de mini-barrage.

M. Black : Exact.

La sénatrice Simons : Monsieur le maire Kogon, vous avez souligné quelque chose que je n’avais pas compris auparavant, à savoir que ce n’est pas seulement une question de se rendre du Nouveau-Brunswick à la Nouvelle-Écosse; cela concerne tout ce qui vient du port de Halifax dans l’autre direction. Donc, à votre bout de l’isthme, dans quelle mesure les routes et la voie ferrée sont-elles vulnérables aux inondations dans votre région?

M. Kogon : Voilà où je veux en venir. Les digues datent de plusieurs siècles et s’érodent peu à peu. Le niveau de la mer monte. Il y a quelques années, on avait prédit que si l’élévation du niveau de la mer se poursuivait au rythme actuel, il y aurait une brèche permanente vers 2100. L’urgence ne date donc pas d’hier.

Ce qui nous inquiète, c’est ce qui s’est passé, par exemple, en 1869, avec la tempête Saxby Gale. Il y a eu une marée haute, une pleine lune et un ouragan. L’isthme a été inondé, il y a eu des morts, on a perdu du bétail. C’était une terrible catastrophe.

Nous avons maintenant l’impression que, parce que le niveau de la mer monte, même une tempête moins forte pourrait faire céder les digues, et les tempêtes chez nous sont de plus en plus fréquentes et intenses. Quelqu’un m’a cité, et j’aime le répéter, que la tempête d’une vie est devenue un événement annuel. Au cours des trois ou quatre dernières années, il y a eu plus d’ouragans que pendant de nombreuses années.

Le problème, c’est la vulnérabilité causée par les changements climatiques. Ce n’est pas que les digues cèdent, mais que le niveau de l’eau passe au-dessus lors de l’une de ces tempêtes. Donc, même si la ligne de chemin de fer est en bon état, même si la route est en bon état et même si les lignes de transport d’électricité sont en bon état, cela ne servira à rien en cas d’inondation.

Nous sommes vulnérables. Il pourrait y avoir une marée haute, une pleine lune et un ouragan à tout moment. C’est pourquoi nous estimons qu’il est très urgent d’entreprendre des efforts d’atténuation.

La sénatrice Simons : Et les municipalités sont toujours le tout premier ordre de gouvernement responsable en temps de catastrophe.

Merci beaucoup. C’est incroyablement utile.

M. Kogon : Merci.

Le sénateur Richards : Je suis d’accord avec la sénatrice Simons. Vous avez tous les deux fait un excellent exposé. Quand je vous ai parlé à l’école, je n’avais pas pris pleinement conscience de ce que vous m’aviez dit. Je pensais que les digues étaient beaucoup mieux gérées qu’elles ne le sont. C’est pourquoi j’ai hésité à parler plus tôt des tempêtes précédentes, mais je comprends mieux votre consternation de ce soir en sachant que les digues n’ont pas été examinées et qu’on ne les a pas entretenues.

A-t-on une idée de la hauteur des marées dans la baie de Fundy? Ont-elles augmenté ces derniers temps, ou savez-vous si les marées de la baie de Fundy ont augmenté? Ce sont les plus hautes marées du monde. Je me demande si elles ont augmenté ou si quelqu’un l’a remarqué.

M. Kogon : Ce qu’on m’a dit, c’est que les marées de la baie de Fundy sont restées à peu près les mêmes. Cependant, comme le niveau de la mer monte, les marées sont plus hautes qu’elles ne l’étaient et elles le sont de plus en plus chaque jour. Cela devient donc de plus en plus une menace, et notre vulnérabilité est plus évidente.

Le sénateur Richards : Votre préoccupation au sujet des digues et de leur réparation est-elle tombée dans l’oreille d’un sourd?

M. Black : Comme nous le disions plus tôt, il y a certains systèmes de digues — les aboiteaux, c’est-à-dire une structure de distribution d’eau — qui sont très vieux; d’autres sont plus récents. Comme la baie de Fundy a une composition particulière, surtout de boue, les digues s’envasent très rapidement. Le ministère des Ressources naturelles et du Développement de l’énergie ou le ministère des Transports et de l’Infrastructure du Nouveau-Brunswick, certainement au niveau local, peuvent essayer de continuer à réparer certains des aboiteaux, mais c’est comme un coup d’épée dans l’eau. Cela ne règle absolument rien. Cela pourrait régler un problème local, mais cela ne règle pas le problème global des digues. Elles ne sont pas entretenues comme ils devraient l’être.

Le sénateur Richards : C’est comme l’histoire du petit garçon hollandais.

M. Black : Le maire Kogon a dit que même s’ils avaient été réparés au niveau où ils auraient dû l’être au fil des ans, on n’aurait pu empêcher les brèches. L’année 2015 en est un parfait exemple. L’eau a simplement dépassé leur niveau. Même les aboiteaux n’auraient pas réglé ce problème d’eau. Le niveau était trop élevé de toute façon.

Le sénateur Richards : Merci.

Le sénateur Quinn : Je remercie également la sénatrice Simons de sa question, et je suis d’accord. Nous parlons ici de deux sujets différents. Ce n’est pas le projet de loi qui est en cause ici. Il s’agit de l’infrastructure essentielle associée à la région et des effets des changements climatiques sur cette infrastructure essentielle. Dans vos exposés et vos réponses aux questions, vous avez certainement abordé la question et apporté des précisions. Je veux simplement m’assurer que nous comprenons tous qu’il s’agit de deux volets d’activité distincts, si je peux m’exprimer ainsi.

Le président : La bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas à faire revenir le maire Kogon deux fois. Nous pouvons le remercier de nous avoir fait gagner un peu de temps.

Le sénateur Quinn : Voyons où nous en sommes avec le projet de loi.

Quoi qu’il en soit, je veux m’appuyer sur les questions et les réponses qui ont été données. Les éléments d’infrastructure qui sont menacés par les changements climatiques sont les digues elles-mêmes. Des études ont été menées sur ces digues pour voir ce qui peut être fait face aux changements climatiques. Pourriez-vous nous parler de ce que ces études ont révélé au sujet de la vulnérabilité? Pourquoi se penchent-ils maintenant sur la question si les changements climatiques ne sont pas une préoccupation?

Deuxièmement, je sais qu’on a cité des statistiques très anciennes sur l’élévation du niveau de la mer. Je m’en voudrais de ne pas faire remarquer que l’élévation du niveau de la mer, je crois, a augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années en raison des effets collectifs des changements climatiques. Je suppose que cela aurait beaucoup plus d’effet.

J’aimerais entendre parler du travail qui a été fait et pourquoi maintenant.

M. Kogon : Ma connaissance de l’histoire de la menace qui est en train de se manifester — par l’entremise de Bill Casey — remonte à 2007, lorsque le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies a été créé. Il a identifié les deux grandes menaces qui pèsent sur les régions de l’Amérique du Nord. C’était la ville de La Nouvelle-Orléans et l’isthme de Chignecto. Voici un extrait de son rapport :

Certaines grandes villes (p. ex., La Nouvelle-Orléans) et des infrastructures importantes (p. ex., le seul lien routier et ferroviaire entre la Nouvelle-Écosse et le reste du Canada) sont situées sur ou derrière des digues qui offriront de moins en moins de protection, à moins d’être soulevées de façon continue.

Je sais que M. Casey, en tant que député, a présenté ce projet de loi à la Chambre des communes dès 2009. Nous sommes donc au courant des préoccupations et des menaces depuis longtemps. C’est ce qui nous a permis d’obtenir 700 000 $ et de faire faire une étude technique. Cette étude présentait 10 options d’atténuation différentes. Les trois principales sont actuellement à l’étude par les deux provinces parce que le dossier est sous contrôle provincial à l’heure actuelle.

En tant que dirigeant municipal local, je craignais que l’une des options envisagées soit simplement de construire un pont et de laisser la région être inondée, ce qui n’aurait pas été acceptable. Heureusement, aucune des trois options à l’étude ne prévoit cela. Ils protègent le corridor de transport, les marais et les deux grandes communautés qui bordent le marais de Tantramar.

Il y a du travail qui se fait, et on me dit qu’en coulisse, des politiciens de haut niveau discutent et négocient pour savoir qui paiera, que la planification est en cours pour déterminer ce qui sera probablement fait.

Je ne suis pas assez expert sur le plan technique pour vous donner une opinion sur le type d’efforts d’atténuation qui seraient les meilleurs ou les plus efficaces. Ce n’est pas mon domaine d’expertise. J’entends dire que ce n’est pas la meilleure chose à faire d’élever les digues et de les soutenir avec une infrastructure en acier, et qu’il y a peut-être une place pour les marais d’eau salée naturels dans le plan. Apparemment, ce serait moins coûteux, plus efficace et plus écologique. Mais ce n’est pas à moi d’en juger. Comme je l’ai dit, comme je ne possède pas vraiment ce genre d’expertise, je ne peux pas me prononcer. Mais tous ceux à qui j’ai parlé à tous les ordres de gouvernement, fédéral, provincial et, bien sûr, municipal, ont reconnu qu’il s’agissait d’un problème absolument crucial à régler.

Le sénateur Quinn : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Black?

M. Black : J’aurais une chose à ajouter rapidement. Les trois options étaient de relever les digues existantes, d’ajouter de plus grandes digues ou de combiner les deux avec une structure de contrôle massive près de la rivière Tantramar. Les trois options prévoient de construire plus gros. La raison en est que l’on reconnaît que la voie ferrée est actuellement la digue la plus haute. On reconnaît que les digues ont déjà cédé. Il s’agit simplement de construire plus gros pour amener les digues jusqu’à un certain niveau où l’eau peut être arrêtée. Je pense donc qu’il est important de se rappeler que nous n’essayons pas de réparer les digues parce qu’elles sont déjà brisées et qu’elles sont trop petites. Cela ne fonctionnera pas. Il s’agit vraiment de construire quelque chose de nouveau. C’est arrivé à La Nouvelle-Orléans lorsqu’on a construit un nouveau mur dans l’océan pour essayer de garder l’eau à l’écart. La même chose se produira ici. C’est ce qu’ils examinent. Ils envisagent simplement de construire plus gros pour en arriver au point où l’eau peut être contenue.

Le président : D’après les trois options proposées, quel est le montant approximatif des ressources nécessaires?

M. Black : Je vous remercie de la question. L’option la plus chère, qui consiste à combiner les deux et à construire une structure contrôlée assez importante près de la rivière Tantramar, se chiffrait — au moment où l’étude a été rédigée — à 300 millions de dollars. C’était il y a quelques années. L’étude a été faite il y a un certain temps, et rien ne s’est passé. Il y a eu des échanges entre les ordres de gouvernement. Par conséquent, bien sûr, ce prix a explosé, comme tout le reste, avec l’inflation et la hausse des coûts. L’estimation pour le projet le plus important est d’environ 600 millions de dollars. Le prix a donc doublé.

Le président : Je crois comprendre que plus cela prend de temps avant d’être résolu, l’inflation étant ce qu’elle est...

M. Black : Exact. Si vous me le permettez, l’étude portait sur 10 ans. Elle proposait un plan décennal. Il aurait fallu attendre cinq ans avant d’en arriver à la première pelletée de terre. Il y a déjà deux ans et quelques mois que l’étude a été menée, et le prix a doublé. Si l’on ajoute cinq années d’études pour en arriver à la première pelletée de terre, le prix va continuer d’augmenter.

La sénatrice Clement : Merci à vous deux d’être ici. Je vous remercie de votre témoignage.

Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le maire. En tant que maire — comme vous, monsieur Black —, vous avez une expertise en matière de gestion des infrastructures et de gestion municipale.

Merci de nous avoir invités dans votre collectivité. C’est tellement propre aux maires que d’inviter les gens à venir dépenser de l’argent dans leur communauté. J’adore ça.

Le président : Et c’est tellement sénatorial pour nous d’accepter l’invitation.

La sénatrice Clement : Je vais m’abstenir de commenter.

Lorsque j’étais mairesse de Cornwall, je me demandais à quel point le conseil municipal se sentait exclu. Lorsque nous traitions avec les gouvernements fédéral et provinciaux, ils ne nous faisaient pas participer. Vous avez parlé des trois principales recommandations. Vous avez parlé de la responsabilité provinciale. Êtes-vous assis à ces tables en tant que maires et conseillers, pour éclairer ce processus? Parce que si vous ne l’êtes pas, nous avons de gros problèmes dans ce pays pour faire face à la crise climatique, point à la ligne.

M. Kogon : Eh bien, je peux vous dire que je me sens exclu, comme vous le dites. Je ne suis pas un expert de la meilleure solution technique. Ce n’est pas ce que je dis. En tant que défenseur de l’action, je suis tout à fait à l’avant-plan. J’ai demandé à rencontrer le ministre, en Nouvelle-Écosse, qui est responsable de ce portefeuille. Cela ne s’est pas encore produit. J’ai demandé cette réunion parce que je veux — comme vous le dites — avoir mon mot à dire, être à la table et savoir ce qui se passe. Malheureusement, on ne m’a pas mis au courant. Une demande adressée à un de mes collègues qui est ministre dans la province et qui tente d’organiser une réunion n’a toujours pas eu lieu. Je suis désolé de vous dire que nous avons de la difficulté à communiquer.

La sénatrice Clement : Je ne suis pas surprise.

M. Black : J’abonde dans le même sens. J’ai rencontré l’ancien ministre de l’Infrastructure en février et j’ai eu une conversation individuelle au sujet de l’isthme de Chignecto. Depuis, il y a eu un remaniement ministériel, et il y a maintenant un nouveau ministre. Je n’ai pas encore parlé à ce nouveau ministre, mais je crois qu’il y a un manque de communication entre les trois ordres de gouvernement. J’étais à Ottawa en décembre dernier, lors des journées de sensibilisation de la Fédération canadienne des municipalités, et j’ai mentionné l’isthme de Chignecto et la vulnérabilité de ce tronçon de terrain au porte-parole du Parti conservateur à la Chambre des communes, et il n’était pas du tout au courant. Ce n’est pas pour blâmer qui que ce soit, car nous, sur la côte Est, pouvons parfois être un peu loin des préoccupations des gens. Cependant, comme il s’est montré très préoccupé par cette question, j’ai eu un autre échange avec lui.

Je pense que nous devrions faire connaître la vulnérabilité de l’isthme et ce qu’elle pourrait signifier à l’échelle nationale, provinciale et locale. Une meilleure communication entre les ordres de gouvernement serait également excellente, et la présence des dirigeants municipaux autour de la table serait certainement nécessaire.

La sénatrice Clement : Merci.

Monsieur le président, je tiens à dire officiellement que cette étude doit prendre cette question très au sérieux. Ce décalage chronique entre les ordres de gouvernement met vraiment toutes nos collectivités en danger.

Le président : Ce serait certainement un bon point de départ pour une étude de cas.

La sénatrice Simons : J’allais poser la question de la sénatrice Clement, mais comme elle l’a fait avant moi, je vais poser une question complémentaire.

Je présume qu’une partie de cette infrastructure de transport traverse vos municipalités. Quels sont vos propres plans de préparation aux situations d’urgence face au genre de catastrophe météorologique que vous décrivez? Que font vos municipalités pour préparer et protéger les éléments du réseau de transport qui se trouvent sur votre territoire?

M. Kogon : De mon point de vue, c’est l’une des raisons pour lesquelles je voulais rencontrer la ministre concernée, parce que pour vraiment avoir un plan de gestion des urgences efficace, il faut avoir l’appui des provinces. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour faire face à ce genre de situation. Mis à part les évacuations et les déplacements à l’intérieur de la Nouvelle-Écosse, nous n’avons aucune autre possibilité de faire quoi que ce soit.

La ministre de la Nouvelle-Écosse a récemment annoncé qu’un plan était terminé ou sur le point de l’être, mais elle a déclaré dans son entrevue qu’aucun détail ne pouvait encore être révélé. C’était donc un autre point à l’ordre du jour d’une réunion avec elle pour discuter de l’état d’avancement des questions liées à l’isthme — parce que c’est un point très important que vous soulevez.

La sénatrice Simons : Maire Black, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Black : Je pense qu’il convient de souligner que les difficultés entourant les inondations et nos interventions entre Amherst et Tantramar/Sackville sont très différentes. La Nouvelle-Écosse va se retrouver dans une situation bien pire. Les liens seront interrompus. Le Nouveau-Brunswick sera séparé de la Nouvelle-Écosse, mais nous serons toujours au moins liés au reste du pays. Pour Sackville — Tantramar — nous avons maintenant une limite de ville beaucoup plus grande. Nous avons récemment procédé à une fusion provinciale, de sorte que notre nouveau secteur est énorme. La route transcanadienne et la voie ferrée que vous avez peut-être vues sur des photos se trouvent entièrement dans notre municipalité. Seule une partie du marais de Tantramar se trouvait dans les limites de Sackville, et elle se trouve maintenant dans la nouvelle municipalité de Tantramar. C’est à peu près tout ce qui se passe dans notre collectivité.

La sénatrice Simons : C’est comme lorsque la ville d’Ottawa a été fusionnée.

M. Black : Oui, nous avons assumé plus de responsabilités.

La sénatrice Simons : Quelle est la taille actuelle de la municipalité?

M. Black : Elle est plus grande que la ville de Moncton en superficie. Je ne me souviens pas exactement de la taille actuelle, mais elle est importante. Pour nous aussi, il y aurait un recul des zones les plus vulnérables, mais c’est vraiment tout ce que nous pouvons faire. Nous avons beaucoup investi dans notre propre collectivité pour la gestion de l’atténuation des inondations. Nous avons construit des bassins de rétention et nous avons essayé de les naturaliser plutôt que de créer des infrastructures grises. Nous l’avons fait incroyablement bien pour protéger notre ville contre les inondations, parce que nous l’avons déjà vécu. Mais si le chemin de fer du Canadien National, ou du CN, faisait une brèche, toute cette infrastructure — les 15 millions de dollars et plus que nous avons investis dans notre collectivité pour l’infrastructure nécessaire pour faire face aux inondations — disparaîtrait.

La sénatrice Simons : D’accord. J’aimerais donc savoir ce que vous avez entendu à ce sujet. Avez-vous des communications avec le CN? Les avez-vous rencontrés et leur avez-vous parlé? Parce que je présume qu’il s’agit de la plus grande entreprise qui est menacée par cette catastrophe météorologique potentielle.

M. Black : J’ai assisté à l’assemblée générale annuelle de la Fédération canadienne des municipalités à Toronto en mai. Puisque le CN y avait un stand important, j’ai pu parler avec le directeur des relations gouvernementales de la région de l’Atlantique par l’entremise du CN. J’ai parlé de l’isthme de Chignecto. Je crois avoir dit quelques mots, puis il a répondu, et il a immédiatement précisé qu’ils n’investissaient pas d’argent là-dedans.

La sénatrice Simons : Eh bien...

M. Black : Je ne veux pas pointer qui que ce soit du doigt ou réagir exagérément, mais c’est le commentaire qui a été fait. Je pense que je vais m’arrêter ici. Nous avons eu des échanges avec le CN par le passé. Nous voulons les amener à la table pour entamer un dialogue, mais en ce qui concerne l’investissement privé, il y a loin de la coupe aux lèvres.

La sénatrice Simons : Monsieur le maire Kogon, avez-vous eu plus de chance avec le CN?

M. Kogon : C’est à peu près la même chose. Nous voulons maintenir de bonnes relations et ne pas trahir qui que ce soit. Mais je pense que le CN s’attend à ce que ce soit une responsabilité gouvernementale à quelque niveau que ce soit, provincial, fédéral ou une combinaison des deux.

J’ai l’impression — et ce n’est qu’un sentiment personnel — que la nécessité d’atténuer les effets d’une inondation est tellement importante que les provinces et le CN peuvent se dire que c’est le fédéral qui devrait payer. Ils croient vraiment que c’est le gouvernement fédéral qui devra payer parce que cela devra être fait; c’est important à ce point. Je pense que c’est un peu comme une partie de poker. C’est une opinion personnelle. J’essaie de rester apolitique dans tout cela. Mais en tant que joueur de poker amateur moi-même, j’aime à penser que c’est un peu un jeu qui se joue. Comme il est d’une importance vitale que les mesures d’atténuation soient prises, on préfère attendre et jouer prudemment, je crois.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Richards : Ce n’est qu’un commentaire, mais si les digues cèdent lors d’une grosse tempête, cela coûtera probablement plus cher à réparer qu’à construire n’importe quelle digue, n’est-ce pas? Si les marais étaient inondés et si la ville de Sackville — je ne savais pas qu’elle ne s’appelait plus Sackville. Mais s’il y avait une inondation, et si Amherst était inondée, cela coûterait beaucoup plus que 600 millions de dollars ou peu importe ce qu’il en coûtera pour réparer ou reconstruire ces digues.

M. Black : Je tiens à préciser que nous sommes la municipalité de Tantramar. La ville de Sackville, le village de Dorchester et les autres secteurs qui composent cette municipalité existent toujours. C’est une chose que je dois rappeler tous les jours, et je suis sûr que je devrai le faire encore pendant un certain nombre d’années.

Le sénateur Richards : Merci.

M. Black : En décembre, j’ai parlé avec la députée fédérale de Terre-Neuve, Gudie Hutchings des changements climatiques. Le gouvernement fédéral a dit que pour chaque dollar consacré aux mesures d’atténuation, il y avait des économies de 15 $ en aide en cas de catastrophe. C’était il y a un an. Ce chiffre pourrait être plus élevé maintenant. Je pense que 15 $, c’est peut-être un peu bas. Pour répondre à votre question, je pense que le nettoyage coûterait beaucoup plus cher.

Le président : Juste un commentaire pour conclure, à moins qu’il n’y ait d’autres questions.

Bien sûr, nous menons une étude sur les répercussions des changements climatiques sur les infrastructures essentielles, mais je suis toujours étonné de voir à quel point il y a des querelles de compétence entre les gouvernements chaque fois que nous devons réparer des ponts, des viaducs et des ports essentiels. C’est effarant. Dans cette ville, nous semblons trouver des centaines de millions de dollars à répartir pour toutes sortes de choses. Je suis toujours étonné de voir à quel point l’infrastructure se retrouve continuellement au bas de la liste des priorités, étant donné qu’elle est essentielle, tant du point de vue de la collectivité que de celui de l’environnement, et pour s’assurer que nos chaînes d’approvisionnement et notre économie fonctionnent — ce que nous savons depuis quelques années être la cible d’attaques critiques et, essentiellement, aux soins intensifs. Pourtant, les gouvernements se contentent de se blâmer les uns les autres.

J’espère que notre étude se penchera sur les raisons de ce phénomène. Bien sûr, je suis ici depuis assez longtemps pour savoir que ce n’est pas un problème qui a commencé la semaine dernière ou le mois dernier, mais il semble s’envenimer, depuis un certain nombre d’années.

J’aimerais remercier le maire Kogon et le maire Black de nous avoir fait part de leurs points de vue.

(La séance est levée.)

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