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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 24 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence à 9 heures (HE) pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. Je vais commencer par demander à mes collègues de se présenter brièvement.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Downe : Percy Downe, de l’Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice White : Sénatrice White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le président : Je vous remercie, chers collègues. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports et sur les problèmes concernant l’isthme de Chignecto.

Nous sommes heureux d’accueillir tout d’abord l’honorable Ernie Hudson, ministre des Transports et de l’Infrastructure de l’Île-du-Prince-Édouard. Il se joint à nous par vidéoconférence, et il est accompagné de Paul Godfrey, directeur, Infrastructure, politique et planification. Je vous remercie d’être avec nous. Nous avons aussi avec nous, bien sûr, M. Allan Gray, président et directeur général, de l’Administration portuaire d’Halifax. Monsieur Gray, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.

Nous allons demander tout d’abord au ministre Hudson et ensuite à M. Gray de nous présenter leurs déclarations liminaires de cinq minutes chacune. Nous passerons ensuite aux questions de mes collègues. Monsieur le ministre, vous avez la parole.

Ernie Hudson, ministre des Transports et de l’Infrastructure, gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard : Bonjour, honorables sénateurs. En tant que ministre des Transports et de l’Infrastructure de la province de l’Île-du-Prince-Édouard, j’ai l’honneur de m’adresser à vous aujourd’hui au sujet d’une question de la plus haute importance.

La province de l’Île-du-Prince-Édouard compte plus de 170 000 habitants. Nos principales industries, l’agriculture et la pêche, ainsi que les industries manufacturières dans les secteurs pharmaceutique et aérospatial, ont toutes contribué à ce que le PIB de la province atteigne 6,5 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une croissance de 2,9 % par rapport à l’année précédente. Il convient également de noter que l’Île-du-Prince-Édouard a connu la croissance économique la plus rapide à l’est de l’Ontario au cours de cette période.

Le commerce et le transport dans la province dépendent fortement du réseau routier, qui est devenu plus important après la fermeture du réseau ferroviaire de la province en 1989.

L’Île-du-Prince-Édouard dispose de deux liaisons avec le continent : le pont de la Confédération et le service de Northumberland Ferries. Bien qu’il constitue un lien important avec le continent, en particulier pour l’Est de l’Île, le service de traversier ne fonctionne que du 1er mai au 20 décembre. De plus, le traversier n’est pas à l’abri d’interruptions dues à des phénomènes météorologiques violents, à des pannes mécaniques prolongées ou, comme cela s’est produit en juillet 2022, à un incendie qui a provoqué la perte totale d’un navire.

Ces interruptions sont exacerbées lors de vents violents et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes, car les responsables du service de traversier annulent alors les traversées, et le pont de la Confédération impose souvent des restrictions aux véhicules à parois hautes comme les camions de transport.

Honorables sénateurs, ces portes d’entrée sont littéralement des liens essentiels pour assurer le bien-être de l’Île-du-Prince-Édouard et de ses habitants.

Dans une perspective plus large, bien que chacune ait sa propre identité, les provinces atlantiques partagent un sentiment de dépendance mutuelle, car leurs principaux moteurs économiques nécessitent des routes commerciales fiables dans l’ensemble de la région. Cette activité économique se répercute bien au-delà de la région atlantique, car les échanges avec le centre et l’Ouest du Canada, les États-Unis et le reste du monde sont facilités par un réseau de transport sûr et fiable.

Les interdépendances entre les provinces atlantiques ne se limitent pas au commerce. Le IWK Health Centre d’Halifax est le seul centre de traumatologie pédiatrique de niveau 1 à l’est du Québec. Les familles de l’île comptent sur l’IWK pour leur offrir ces soins et cette expertise particulière.

Des milliers de Canadiens des provinces atlantiques voyagent également entre le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador pour participer à des événements sportifs, faire des études postsecondaires ou pour leurs loisirs.

Le seul élément que ces industries et ces voyages personnels ont en commun est l’isthme de Chignectou. Situé au centre des Maritimes, l’isthme joue un rôle essentiel dans la prospérité de toute la région atlantique. En moyenne, 15 000 véhicules traversent cette zone chaque jour, et on estime que ce corridor clé permet des échanges commerciaux d’une valeur de plus de 35 milliards de dollars par an.

On a mentionné que l’élévation du niveau de la mer, combinée à des phénomènes météorologiques plus violents, risque d’avoir des répercussions sur les 19 kilomètres de réseau ferroviaire et routier. Si le commerce et le transport le long de l’isthme de Chignectou étaient perturbés par une catastrophe climatique, l’Île-du-Prince-Édouard se heurterait à d’importantes difficultés pour maintenir l’activité commerciale, ce qui entraînerait une diminution de notre contribution à la croissance économique du pays.

En conclusion, l’isthme de Chignectou constitue un lien essentiel non seulement entre les provinces du Canada atlantique, mais aussi avec le reste du pays et l’étranger. La prospérité et la sécurité de la région dépendent de la préservation de ce corridor clé.

Toute perturbation de la circulation routière ou ferroviaire le long de l’isthme entraînerait non seulement des pénuries de produits pour les consommateurs de l’île, mais réduirait aussi grandement la capacité de l’Île-du-Prince-Édouard à continuer de jouer un rôle concurrentiel dans la croissance économique du pays.

Je vous remercie de votre attention et de l’intérêt particulier que vous portez à cette question cruciale.

Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre. Je cède maintenant la parole à M. Allan Gray.

Allan Gray, président et directeur général, Administration portuaire de Halifax : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner.

L’Administration portuaire d’Halifax est l’une des 17 administrations portuaires canadiennes. Nous administrons 265 acres d’actifs industriels maritimes au nom du gouvernement fédéral. Nos trois secteurs d’activité sont le fret, les croisières et l’immobilier. Nous organisons également un marché fermier très populaire et nous administrons le premier laboratoire vivant du Canada pour l’industrie du transport et de la chaîne d’approvisionnement, appelé PIER, qui signifie Port Innovation, Engagement and Research, soit innovation, collaboration et recherche portuaires. Certains d’entre vous nous ont déjà rencontrés au PIER, et nous vous remercions d’avoir pris le temps d’en savoir plus sur l’aspect innovant de nos activités.

Je suis ici aujourd’hui pour vous parler de l’importance de l’isthme de Chignectou, ou plus précisément des liaisons ferroviaires et routières essentielles qui traversent l’isthme et relient le port d’Halifax au reste du Canada et de l’Amérique du Nord.

Pour bien expliquer l’importance de ce lien, je dois d’abord parler de nos opérations de fret au port d’Halifax. Le fret conteneurisé représente environ 90 % de nos activités et son incidence sur la région est considérable. L’avantage économique global des opérations de fret, y compris la valeur des exportations de la Nouvelle-Écosse transitant par le port d’Halifax, s’élève à près de 5 milliards de dollars.

C’est un chiffre important, tout comme les 25 000 emplois qui sont directement et indirectement liés aux activités du port d’Halifax.

L’année dernière, plus de 600 000 conteneurs de 20 pieds, ou EVP, ont transité par nos terminaux à conteneurs. Il s’agit des importations et des exportations combinées. Plus de 60 % de ces conteneurs ont été transportés par rail. Il est important de comprendre qu’Halifax est un port d’entrée ferroviaire. La plupart des marchandises qui transitent par Halifax sont destinées à des marchés intérieurs comme le Québec et l’Ontario. C’est également de là que provient la majeure partie des marchandises destinées à l’exportation. Il s’agit notamment de produits de consommation, de vêtements, de machinerie et d’équipement et de produits alimentaires surgelés, pour n’en citer que quelques-uns.

Toutes ces marchandises transitent par l’isthme de Chignecto, pour une valeur estimée à environ 4 milliards de dollars par an.

Si l’on envisage le réseau portuaire et ferroviaire de la côte Est comme un système interconnecté et interdépendant, on constate qu’il existe d’importantes capacités supplémentaires. Rien qu’à Halifax, nous pouvons doubler notre volume actuel sans investissement majeur, et nous pourrions le porter à environ 2,5 millions d’EVP avec des investissements supplémentaires.

Cependant, comme nous l’avons vu lors des perturbations liées aux changements climatiques sur la côte Ouest qui ont entraîné des incendies et des inondations, nous ne pourrions pas réaliser ce potentiel si l’isthme de Chignecto était bloqué.

Alors pourquoi ne pas simplement faire transiter les marchandises par un autre port canadien, peut-être plus proche de ces marchés intérieurs? C’est à cause de la taille des navires qui transportent ces marchandises.

Halifax est un port d’entrée en eau profonde. Nous sommes le seul port de l’Est du Canada à pouvoir accueillir les cargos géants que les compagnies maritimes utilisent de plus en plus pour se rendre dans d’autres ports en eau profonde comme New York, Norfolk, Charleston et Savannah. Il s’agit de navires énormes d’une longueur totale de près de 400 mètres qui peuvent transporter jusqu’à 16 000 conteneurs de 20 pieds. Ils sont de plus en plus utilisés par les compagnies maritimes pour assurer des liaisons directes avec l’Europe occidentale, la Méditerranée, l’Amérique latine et, par le canal de Suez, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est.

Si ces grands navires ne faisaient pas escale à Halifax, ils contourneraient complètement le Canada. Ils sont trop gros pour remonter le Saint-Laurent jusqu’à Montréal, et les marées dans la baie de Fundy les empêchent de faire escale à Saint John.

Nous nous attendons à ce que les escales de ces navires de grande taille à Halifax continuent d’augmenter à mesure que les compagnies maritimes s’efforcent de réduire leur intensité carbonique. Les navires plus grands et plus récents sont plus efficaces, ce qui signifie que l’intensité carbone par conteneur est plus faible.

L’infrastructure de notre terminal est conçue pour accueillir de grands navires, et notre opérateur de terminal investit dans des infrastructures côtières stratégiques qui augmenteront l’efficacité à quai. C’est l’écosystème qui est déjà en place. Il contribue à générer des milliards de dollars d’avantages économiques — essentiels à la croissance économique du Canada atlantique —, facilite des milliards de dollars d’échanges commerciaux et contribue à réduire l’intensité carbonique.

Cependant, comme toute chaîne, elle n’est aussi solide que son maillon le plus faible. Ce maillon, l’isthme de Chignectou, est menacé par l’élévation du niveau de la mer et des phénomènes météorologiques violents. Si ces phénomènes se produisent en même temps qu’une pleine lune, deux types d’infrastructures importants pour la chaîne d’approvisionnement pourraient être gravement touchés : les routes et la voie ferrée.

Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur Gray. Je vais demander à notre vice-présidente de commencer la période de questions.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parlez de l’importance de l’isthme qui est cruciale et je vous avoue que je trouve intéressant de savoir que ce sont des navires plus gros qui ne peuvent pas se rendre à d’autres ports, donc je vous remercie de cette précision que je ne connaissais pas. Qu’est-ce qui doit être fait à votre avis? Le port d’Halifax s’est-il déjà penché sur les questions techniques entourant la solidification ou l’amélioration de l’isthme de Chignecto? C’est bien beau de dire que c’est important pour vous, mais vous êtes un très gros acteur dans la région. Qu’est-ce que vous voulez comme lien?

[Traduction]

M. Gray : Je vous remercie, sénatrice.

Venant d’un autre pays — j’ai travaillé en Australie —, j’ai notamment demandé au Canada d’instaurer une stratégie sur la chaîne d’approvisionnement. L’élément le plus important d’une telle stratégie consiste à recenser les principaux corridors de fret qui ont des répercussions sur la circulation des marchandises au pays.

Halifax étant un grand port d’entrée, notre principal corridor de transport de marchandises passe par l’isthme de Chignecto, par les corridors routiers et ferroviaires qui s’y trouvent. Une stratégie de transport des marchandises permettrait de recenser ces corridors et de s’assurer qu’ils sont protégés, que ce soit contre les changements climatiques ou d’autres problèmes de résilience, ou contre l’empiétement urbain. Quoi qu’il en soit, l’idée est qu’en désignant ces corridors comme des corridors de transport de marchandises essentiels, le gouvernement les protège de la manière qui convient.

Nous avons donc inscrit l’isthme de Chignecto sur la liste des risques graves pour notre entreprise, car si ce passage devenait inutilisable, cela aurait des répercussions importantes sur notre viabilité, et sur la viabilité de la chaîne d’approvisionnement pour l’ensemble du Canada.

Pourrait-on utiliser le transport maritime à courte distance? Le transport maritime à courte distance nécessiterait quatre jours et demi et coûterait environ de 30 % à 40 % plus cher. Nous pouvons acheminer des marchandises, par exemple, au Québec et en Ontario le lendemain. Nous passons donc d’un jour à quatre jours et demi, et le transport par rail est nettement moins cher que le transport par navire.

En fait, si nous n’y parvenons pas, nous verrons les cargos prendre la direction de New York et le Canada central devra s’approvisionner en marchandises à partir de cette ville américaine. Nous devrions ainsi nous en remettre à un corridor d’approvisionnement passant par le territoire des États-Unis.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais essayer de préciser un peu ma question. Que désirez-vous exactement? Je comprends que vous êtes à la recherche d’une stratégie pour la chaîne d’approvisionnement et que vous voulez que ce soit prioritaire, mais comment devrait-on s’y prendre au juste à votre avis? Avez-vous mené des études à ce sujet? Avez-vous une idée assez précise de la situation actuelle et du degré de sécurité qu’elle nous offre?

M. Gray : Nous sommes de plus en plus souvent témoins de situations où nos corridors ferroviaires et nos routes sont touchés par les perturbations climatiques. Nous sommes conscients que les digues sont de moins en moins stables. Les études que nous avons pu consulter révèlent que l’élévation du niveau de la mer continue de mettre à mal ces installations.

Nous voulons prendre toutes les mesures nécessaires pour que ce corridor de fret demeure protégé lorsque des bouleversements encore plus sévères qu’actuellement vont nous frapper. Nous voulons donc prévenir, plutôt que guérir. Nous aimerions que l’on nous garantisse que cela va être fait de telle sorte que nous puissions dorénavant compter sur une chaîne d’approvisionnement qui tiendra le coup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

Le sénateur Quinn : Merci, monsieur Gray.

J’ai en fait deux très brèves questions qui vont aller un peu dans le sens de celles de ma collègue. On nous a dit la semaine dernière que les digues subissent déjà de l’érosion et que des brèches se sont ouvertes en 2016 et en 2017. C’est quelque chose qui s’est déjà produit par le passé. On nous a également parlé de l’eau qui s’est accumulée le long de la voie ferrée. Nous avons pu voir la photo d’un train qui circulait avec de l’eau jusqu’aux essieux.

Il a été aussi question du Canadien National et des raisons pour lesquelles cette entreprise ne contribue pas à payer la facture pour la remise en état des digues. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Gray : Selon moi, il y a deux éléments à considérer. Il y a d’abord la voie ferrée elle-même, et je crois que c’est le CN qui est responsable de cette infrastructure. L’entreprise doit s’assurer que cet actif qui lui appartient est suffisamment résilient. Je crois que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les autres infrastructures n’appartenant pas au CN soient prises en charge via d’autres mécanismes.

Je m’attendrais certes à ce que le CN fasse le nécessaire pour garantir la résilience de son propre réseau ferroviaire. L’entreprise devrait investir des sommes suffisantes pour soulever quelque peu la voie ferrée ou l’étayer davantage au besoin.

Le sénateur Quinn : À ce sujet, savez-vous si le CN effectue ce genre de travail de façon continue?

M. Gray : C’est effectivement le cas. On nous présente chaque année un rapport sur les dépenses engagées pour le maintien à niveau des infrastructures. À titre d’exemple, il y a eu récemment à Truro une portion de voie qui a été emportée par les eaux, et l’entreprise a réagi rapidement pour reconstruire les rails et protéger cette infrastructure.

Le CN ne cesse d’investir dans son réseau ferroviaire pour faire en sorte qu’il demeure résilient, mais je serais étonné que l’entreprise en fasse autant pour les autres infrastructures qui ne lui appartiennent pas

Le sénateur Quinn : J’ai une question pour le ministre. Monsieur Hudson, merci à vous aussi d’être des nôtres aujourd’hui.

Je sais que les quatre provinces de l’Atlantique ont publié une déclaration commune. C’était le printemps dernier, si ma mémoire est bonne. Ma question porte davantage sur les interactions entre ces provinces. Est-ce que vos experts à l’Île-du-Prince-Édouard ont des discussions avec leurs homologues du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador? Est-ce que tous ces spécialistes se réunissent pour débattre de leurs préoccupations et de leurs points de vue concernant ce réseau de digues?

Pouvez-vous me dire par ailleurs s’ils se réunissent pour planifier en prévision des situations d’urgence en analysant tous les scénarios possibles? Quand ils le font, est-ce que le gouvernement fédéral est représenté? Devrait-il l’être?

M. Hudson : Merci beaucoup pour cette question, sénateur.

Pour ce qui est d’abord de savoir si le gouvernement fédéral devrait être représenté, je suis d’avis que toutes les parties prenantes devraient participer aux discussions qui se tiennent, par exemple, dans le contexte des réunions fédérales-provinciales-territoriales. J’estime donc que le gouvernement fédéral devrait être présent. Il doit être un partenaire de premier plan dans le cadre de toutes ces initiatives.

Pour répondre à la première partie de votre question, sénateur, je vous dirais que les fonctionnaires de notre gouvernement provincial et de mon ministère échangent très régulièrement avec leurs homologues non seulement des provinces de l’Atlantique, mais du Canada tout entier. Je sais que vous allez pouvoir aussi entendre le point de vue des représentants des autres provinces maritimes.

Je tiens notamment à souligner, en espérant que cela est bien ressorti de mes observations préliminaires, toute l’ampleur des impacts possibles de ce que nous vivons actuellement. Nous pourrions nous contenter de nous croiser les doigts dans l’espoir de ne pas connaître d’autres tempêtes d’une sévérité aussi grande, ou plus marquée encore, que Fiona qui a laissé des traces dans notre province comme dans l’ensemble des Maritimes. À mes yeux, une telle inaction serait inacceptable. Nous savons que la fréquence et la sévérité des tempêtes ont augmenté et continueront d’augmenter. Nous devons nous assurer de toujours pouvoir compter sur un corridor commercial reliant l’Île-du-Prince-Édouard à la Nouvelle-Écosse.

Je veux insister sur d’autres aspects de cette problématique qui ne sont pas uniquement reliés à l’économie et au commerce. Je vous parlais tout à l’heure de toute l’importance que revêt l’IWK Health Centre, un hôpital de Halifax, pour notre population insulaire et nos enfants.

Il y a différents aspects à prendre en considération. Il est bien certain que nous poursuivons nos échanges avec nos partenaires dans la région de l’Atlantique et ailleurs au pays. Bref, je crois effectivement que le gouvernement fédéral devrait participer directement à ces discussions. Merci, sénateur.

Le sénateur Quinn : Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Downe : Ma question est pour le ministre Hudson.

Le 12 juillet 2023, le ministre fédéral des Transports a écrit au premier ministre King pour répondre notamment comme suit à la lettre que M. King lui avait adressée:

Les fonctionnaires de Transports Canada seraient ravis de participer à une série de séances de travail avec leurs homologues du ministère des Transports et de l’Infrastructure de l’Île-du-Prince-Édouard pour examiner les options relatives aux droits de péage à venir pour le pont et les traversiers, et connaître leurs points de vue à cet égard.

J’ai deux questions pour vous. Est-ce que ces séances de travail ont débuté? Sinon, quand commencera-t-on à discuter des droits de péage pour le pont et les traversiers? Ce comité mixte permettra-t-il également de se pencher sur la question des infrastructures essentielles à l’Île-du-Prince-Édouard?

M. Hudson : Merci, sénateur. Pour répondre à votre première question, ces discussions n’ont pas encore été entreprises. J’en ai parlé au personnel de mon ministère, et nous ne tarderons certes pas à communiquer avec le ministre fédéral pour que l’on amorce ce dialogue.

Vous vouliez aussi savoir si l’on devrait élargir la portée de ces échanges pour traiter également des droits de péage pour les traversiers et pour aborder l’enjeu que représentent les infrastructures essentielles, surtout dans le contexte de celle dont nous discutons aujourd’hui. Je vous dirais que c’est assurément ce que l’on devrait faire.

Le sénateur Downe : Merci, monsieur le ministre. Comme vous savez, le premier ministre s’est engagé lors des élections provinciales à réduire les droits de péage. Le gouvernement a pris en décembre dernier l’initiative de geler les droits de péage pour le pont de la Confédération, alors qu’ils étaient sur le point d’augmenter considérablement.

Vous savez mieux que moi qu’il faut maintenant payer plus de 50 $ pour traverser le pont de la Confédération à partir de l’Île-du-Prince-Édouard — alors qu’aucun autre Canadien n’a à payer un coût semblable pour quitter sa province. C’est le tarif au kilomètre le plus élevé au Canada pour circuler sur la Route transcanadienne dont fait partie le pont de la Confédération.

Je dois dire que je suis un peu surpris que les séances de travail ne soient pas commencées, mais j’aimerais tout de même savoir si vous avez l’intention de tenir les résidents de l’Île-du-Prince-Édouard au courant lorsque le processus sera enclenché. En outre, je voudrais que vous m’indiquiez quels représentants de votre province feront partie de ce comité pour examiner les options possibles avec le gouvernement fédéral. Comme vous le savez fort bien, de nombreuses options s’offrent à nous pour réduire les droits de péage pour le pont de la Confédération et les traversiers.

M. Hudson : Les résidents de l’Île-du-Prince-Édouard devraient être toujours au fait des progrès réalisés dans les discussions. Je tiens à souligner que je suis reconnaissant au gouvernement fédéral d’avoir gelé les droits de péage.

Cela dit, ces droits de péage — que nous devons payer, comme vous le rappeliez, pour quitter la province ou y revenir — sont certes à mon avis beaucoup plus élevés qu’ils le devraient. Il ne fait donc aucun doute que les insulaires seront tenus au courant.

J’ai utilisé le terme « partenariat ». Nous devons pouvoir travailler en partenariat avec le gouvernement fédéral comme c’était le cas par le passé. Ce partenariat sera nécessaire à la poursuite des discussions non seulement à propos de la réduction des droits de péage, mais aussi, dans la perspective plus large que j’évoquais précédemment, au sujet des infrastructures essentielles.

Le sénateur Downe : Monsieur le ministre, je voudrais vous faire part d’une préoccupation que vous partagez probablement. Le pont de la Confédération appartient au gouvernement du Canada. Le pont Samuel-De Champlain à Montréal appartient lui aussi au gouvernement du Canada. Au milieu de la campagne électorale de 2015, le gouvernement a annoncé que, s’il était élu, il allait annuler les droits de péage sur le pont Samuel-De Champlain, une structure dont la construction a coûté plus de 4 milliards de dollars. Les libéraux ont remporté cette élection et ont tenu promesse en supprimant les droits de péage.

Les résidents de l’Île-du-Prince-Édouard se retrouvent pour leur part avec un pont qui a coûté 1 milliard de dollars, mais qu’ils ne peuvent emprunter qu’en payant 50 $ à chaque occasion. C’est tout à fait injuste, et je présume que c’est l’un des arguments que vous faites valoir auprès du gouvernement fédéral. Ce pont fait partie des infrastructures essentielles pour notre région. Comme vous l’avez indiqué dans vos observations préliminaires, nous avons un service saisonnier de traversiers. S’il y avait un problème avec le pont de la Confédération en février ou en mars, nous serions coupés du reste du pays, exactement comme nous le serions si ce passage entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick était submergé. Nous nous retrouverions isolés.

Il y a deux ou trois choses qu’il faudrait corriger. Il faut d’abord assurer une plus grande équité au sein de notre pays. Les Canadiens ne peuvent pas être traités différemment en fonction de l’endroit où ils résident. C’est pourtant ce qui se passe actuellement avec le pont Samuel-De Champlain et le pont de la Confédération. Nous devons assurer l’avenir de notre pont à long terme.

Est-ce que ce sont là vos objectifs pour les rencontres de ce comité mixte ou est-ce que vous avez d’autres priorités?

M. Hudson : Pour ce qui est des droits de péage pour les ponts, je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur. Je vous suis d’ailleurs reconnaissant des efforts que vous déployez depuis des mois — et même des années — pour que ces droits soient réduits.

Compte tenu de ces efforts et de votre bonne connaissance de notre province, j’aimerais bien pouvoir poursuivre la discussion individuellement avec vous.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Si ce n’est pas trop vous demander, je voudrais que l’on revienne au sujet de notre étude. J’ai une question que je vais adresser à M. Godfrey dans cette optique.

Comme je viens de l’Alberta, je peux vous parler d’expérience de la détresse dans laquelle ma province a été plongée il y a deux ans lorsque les routes et les voies ferrées reliant le port de Vancouver au reste du pays ont été emportées par les eaux.

Lorsqu’il est question des risques auxquels on s’expose avec l’isthme, s’agit-il d’une situation qui pourrait être réglée en quelques jours à peine, comme ce fut le cas avec les voies ferrées en Colombie-Britannique, ou parle-t-on plutôt d’une menace plus existentielle qui plane sur toute la région?

En combinant leurs efforts avec le gouvernement provincial, le CN et le CP ont pu remettre en état ces routes et ces voies ferrées en un clin d’œil.

J’aimerais bien que vous puissiez nous dire, monsieur Godfrey, si vous croyez, à la lumière de votre expertise, qu’une situation semblable pourrait être réglée ici en une semaine ou en un mois, ou encore si vous estimez plutôt que l’élévation du niveau de la mer et les tempêtes hivernales de plus en plus violentes pourraient avoir raison de cette voie de passage pour de bon.

Paul Godfrey, directeur, Infrastructure, politique et planification, ministère des Transports et de l’Infrastructure, Gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci pour la question. Précisons d’abord et avant tout que l’infrastructure en question ne relève pas de notre compétence. Elle ne nous appartient pas, et on ne peut pas dire que nous la connaissons extrêmement bien.

La sénatrice Simons : Oui.

M. Godfrey : Cela dit, nous communiquons régulièrement avec nos homologues du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, et nous avons pu discuter à maintes reprises avec eux des risques associés à cet isthme et de la nécessité de prendre des mesures en conséquence.

D’après ce que j’ai pu comprendre de ces discussions, il faudrait sans doute plus que quelques jours ou une semaine pour remettre les choses en état si de graves dommages étaient causés là-bas par un phénomène climatique extrême. Je crois que nos échanges commerciaux pourraient alors être perturbés pendant une assez longue période.

La sénatrice Simons : Très bien. J’aimerais maintenant poser un peu la même question à M. Gray. De toute évidence, vous avez beaucoup réfléchi à la problématique de la chaîne d’approvisionnement. Lorsque vous considérez les risques pour le port de Halifax, craignez-vous que cette infrastructure terrestre soit vulnérable à un point tel qu’elle pourrait être emportée à jamais par les eaux, ou est-ce que votre évaluation de ces risques vous amène plutôt à prévoir une perturbation qui durerait des semaines ou des mois?

M. Gray : Merci pour la question, sénatrice. Il y a deux perspectives à envisager. À court terme, nous anticipons de brèves interruptions. Nous en tenons compte dans notre évaluation des risques. Cependant, comme pour tout le reste, y compris nos propres infrastructures, nous visons la résilience au changement climatique, et nous considérons qu’il y a un risque à long terme que l’isthme soit submergé totalement et que nous perdions ce passage pour de bon.

Il y a effectivement ces perturbations à court terme que vous évoquez et que nous pouvons régler rapidement, mais nous craignons qu’en l’absence d’une solution plus permanente, l’isthme finisse par être emporté par les eaux, ce qui nous isolerait complètement du reste du pays.

La sénatrice Simons : Eh bien, voilà qui n’est pas rien. Je reviens à la question d’un pont. Plutôt que de simplement envisager le renforcement des digues, ne devrions-nous pas songer à un autre itinéraire? Vous avez l’expérience du pont de la Confédération. Un peu dans la même veine, pourrait-il devenir nécessaire de construire un pont pour résister aux conditions météorologiques, ou est-ce que la distance à franchir serait beaucoup plus considérable que dans le cas du pont de la Confédération?

M. Hudson : Merci pour la question. Pour être bien honnête avec vous, il est d’abord et avant tout question aujourd’hui sur cette tribune de trouver le moyen de veiller à ce que l’on fasse le nécessaire, d’une manière ou d’une autre, pour garantir le maintien de ce lien terrestre essentiel entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Je n’ai toutefois ni la formation ni les compétences voulues pour pouvoir vous dire quelle serait la meilleure façon d’arriver à nos fins. Dans mon rôle de ministre, j’ai simplement cherché aujourd’hui à souligner l’importance de ce passage terrestre entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et la nécessité de le maintenir et de le consolider au vu des conditions climatiques et des tempêtes que nous avons connues et que l’avenir nous réserve sans doute.

La sénatrice Simons : Je ne voudrais surtout pas minimiser l’importance des perturbations subies en Alberta en raison de ce qui s’est passé en Colombie-Britannique. Bien des gens ont vécu une situation vraiment difficile en étant privés de cet accès pendant des semaines, mais cela n’a rien de comparable avec le risque que cet isthme soit totalement emporté par les eaux, un scénario qui aurait des répercussions non seulement sur le transport, mais aussi sur les gens qui vivent dans cette région du pays. Je vous remercie de vos réponses. Cela donne vraiment à réfléchir, monsieur Gray.

Le sénateur Cardozo : J’aurais d’abord une question pour M. Gray. En regardant la carte, j’ai l’impression que l’isthme s’étend sur une superficie assez large. Je fais le parallèle avec la Route transcanadienne qui traverse le lac des Deux-Montagnes en arrivant à Montréal. Une portion de l’autoroute à six voies passe à cet endroit très près du niveau de l’eau. Il y a quelques années, l’eau du lac a monté et il a fallu littéralement installer des sacs de sable pour éviter que l’autoroute soit submergée. C’est l’une des principales autoroutes donnant accès à Montréal, mais c’est un passage plutôt étroit.

J’ai par contre l’impression que l’isthme de Chignecto s’étend sur un territoire plus large. Est-il question ici de consolider une portion étroite de ce territoire pour que la route puisse continuer d’y passer, tout en sachant que le reste de l’isthme risque d’être inondé?

M. Gray : D’après les études techniques dont j’ai pu prendre connaissance, il s’agit en fait de surélever les digues existantes. Il n’est donc pas question de remblayer d’autres secteurs. On s’efforce de remettre en état les réseaux déjà en place qui ont été victimes de l’érosion. Tout l’isthme de Chignecto est en fait un passage relativement étroit. Il est important de conserver les plaines humides et les autres zones naturelles au sein de cet environnement. On ne veut pas commencer à mettre en péril ces éléments, mais il faut tout de même pouvoir faire le nécessaire pour protéger le corridor principal qui traverse une bande étroite de terrain.

Le sénateur Cardozo : Une partie qui se trouve assez près de l’autoroute, et non pas l’isthme en entier?

M. Gray : Oui, c’est exact.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que l’isthme en entier pourrait éventuellement être submergé?

M. Gray : Je pense que d’autres zones le seront, mais il faut protéger le corridor principal.

Le sénateur Cardozo : Merci. J’ai une question à poser au ministre Hudson au sujet des péages. Vous avez mentionné qu’il en coûte maintenant 50 $ pour emprunter le pont. Quelle était la somme à payer au départ lors de l’ouverture du pont?

M. Hudson : Je vous remercie pour votre question. Je ne pourrais pas vous dire combien il fallait payer au tout début. Je sais que le montant a augmenté au cours des dernières années. Si je me souviens bien, je crois que c’était aux alentours de 35 $ lors de l’ouverture du pont, mais je ne peux pas vous confirmer qu’il s’agissait de ce montant précis. Depuis ce temps, le montant a augmenté essentiellement tous les ans.

Le sénateur Cardozo : D’accord. Je me souviens d’avoir pensé, peu après l’ouverture du pont, que c’était un peu cher, mais je trouve certes que 50 $ est une somme élevée si l’on souhaite seulement se rendre sur le continent ou aller dans l’autre direction. Merci pour votre réponse.

M. Hudson : Merci.

La sénatrice Dasko : Cela vaut le coût pour voir l’Île-du-Prince-Édouard, n’est-ce pas? Je ne veux pas m’éloigner du sujet.

M. Hudson : Merci pour votre observation.

La sénatrice Dasko : C’est une magnifique province. L’un de nos comités y est allé récemment, et j’y suis allée, bien entendu, avec ce comité. Nous avons eu l’occasion de visiter un peu la province dans le cadre d’une étude sur le programme des travailleurs migrants temporaires.

Quoi qu’il en soit, je m’écarte du sujet. Je remercie nos témoins pour leur présence aujourd’hui. Cette étude sur l’isthme fait partie d’une étude plus vaste que mène notre comité sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles.

Je voulais simplement demander à M. Gray d’aborder un sujet. J’ai lu que la Nouvelle-Écosse est en train de s’enfoncer. J’ignore si cela est vrai, mais c’est ce que j’ai lu. Pourriez-vous nous parler des risques que posent les changements climatiques et la montée du niveau de la mer pour vos activités portuaires? Quelles répercussions, le cas échéant, observez-vous actuellement sur vos activités? Merci.

M. Gray : Merci, sénatrice. À l’heure actuelle, les principales répercussions sont attribuables aux tempêtes, qui sont plus fréquentes et plus violentes, ce qui a une incidence sur l’entrée au port des navires et leurs sorties en mer, en raison des conditions maritimes.

Quant à la montée du niveau de la mer, la question est de savoir si c’est la Nouvelle-Écosse qui s’enfonce ou si c’est la mer qui monte, mais quoi qu’il en soit, les répercussions sont les mêmes.

Nos nouvelles infrastructures ont toutes été construites à un niveau plus élevé. Toutes les nouvelles infrastructures sont construites à un niveau plus élevé. Toutefois, nos infrastructures existantes sont de plus en plus menacées au fil du temps. Nous avons encore passablement de temps, car nos postes d’amarrage sont situés à quatre mètres au-dessus du niveau de la mer, alors nous avons une bonne marge de manœuvre. Pour l’instant, toutefois, nous devons nous assurer que toutes nos nouvelles infrastructures sont construites en tenant compte de l’augmentation du niveau des eaux.

Les principales répercussions à l’heure actuelle sont causées par le fait que les tempêtes sont plus fréquentes et qu’elles ont davantage d’impact.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le sénateur Quinn : Ma question s’adresse encore une fois à M. Gray. Je vais revenir sur le sujet des discussions avec les responsables de l’examen des digues visant à déterminer dans quel état elles se trouvent. Est-ce que des représentants du port d’Halifax participent avec les provinces aux discussions concernant les digues et les vulnérabilités?

M. Gray : À quelques reprises, à l’échelon provincial et à l’échelon fédéral, précisément auprès de Transports Canada, nous avons soulevé le fait que des risques existent dans l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement et que nous sommes préoccupés par les répercussions sur les activités portuaires. Je ne dirais pas que nous avons fréquemment des discussions, mais nous en parlons régulièrement. Nous demandons ce qui se passe et quelles sont les intentions. Nous mettons en évidence les risques pour le port.

Le sénateur Quinn : Ma prochaine question concerne vos commentaires au sujet du volume de fret. Vous avez dit que le fret conteneurisé représente environ 90 % des activités. Si une perturbation importante survenait — comme en ont parlé quelques-uns de mes collègues — quelle serait l’ampleur des effets à court, à moyen et à long terme? Si un cargo choisit d’accoster à un autre port, par exemple aux États-Unis, dans quelle mesure serait-il difficile de récupérer ce navire?

M. Gray : Ce serait très difficile. Les ports de Montréal et de Vancouver en sont de bons exemples à l’heure actuelle. Au Canada, en ce moment, la plupart des ports enregistrent une baisse des volumes d’environ 23 % par rapport à l’année dernière — mais dans le cas du port d’Halifax, c’est une diminution de 8 % —, car ils ont perdu un certain volume au profit de notre port en raison des perturbations. Qu’il s’agisse de conflits de travail, de perturbations environnementales ou d’incertitudes au sein de la chaîne d’approvisionnement, des entreprises ont choisi le port d’Halifax comme solution de rechange. Nous rivalisons pour obtenir le volume destiné au centre du Canada et au Midwest. Les entreprises répartissent leurs cargos. Nous n’obtenons pas la totalité de leur volume, mais elles répartissent leurs cargos pour diminuer les risques pour la chaîne d’approvisionnement.

Une fois qu’un port est perçu comme n’étant pas fiable, il va perdre des cargos, et il lui sera très difficile de les récupérer.

Le sénateur Quinn : Merci.

Le président : Vous avez mentionné, monsieur Gray, la diminution du nombre de cargos dans différents ports. Je présume qu’il s’agit d’une baisse par rapport à l’année dernière. Dans quelle mesure cette diminution est-elle reliée aux changements climatiques et d’ordre environnemental?

M. Gray : Cette baisse de 23 % est attribuable aux marchés mondiaux. Des perturbations ont occasionné une grande part de cette diminution. Il y a notamment les inondations et les feux de forêt dans l’Ouest, où la chaîne d’approvisionnement a été interrompue. Il y a aussi les problèmes dans l’industrie survenus à Montréal et sur la côte Ouest. Qu’il s’agisse de perturbations attribuables à des phénomènes climatiques ou à d’autres facteurs, le marché étudiera la viabilité et déterminera s’il peut réduire les risques pour la chaîne d’approvisionnement.

Le président : Aux fins de notre étude, pouvez-vous nous dire dans quelles proportions les perturbations au sein de la chaîne d’approvisionnement, d’après votre expérience — qui est très vaste —, sont occasionnées par les changements climatiques, par les conflits de travail et par d’autres circonstances atténuantes?

M. Gray : En ce moment, le transfert des navires dans les ports de la côte Est est probablement attribuable autant aux changements climatiques qu’aux perturbations au sein de la chaîne d’approvisionnement en raison des incendies, des inondations et des problèmes au sein de l’industrie.

Le sénateur Cardozo : Pouvez-vous expliquer cela davantage? De quelle façon les changements climatiques ont-ils une incidence sur le trafic dans votre port?

M. Gray : C’est en raison des répercussions. Nous avons vu que les feux de forêt ont entraîné une interruption dans la chaîne d’approvisionnement, tout comme les inondations. Ce sont deux événements environnementaux importants, et les entreprises ne souhaitaient pas prendre le risque de faire passer tous leurs cargos par la même route d’approvisionnement. Elles ont donc vérifié si elles pouvaient faire passer un certain nombre de leurs cargos par la côte Est.

Le sénateur Cardozo : Est-ce qu’ils passent par le port de Montréal à la place?

M. Gray : Non, ils passent par le port d’Halifax, et ensuite, les marchandises sont transportées par train jusqu’au Canada central.

Certains navires arrêtent à Montréal, mais un bon nombre se rendent aux ports de Toronto, de Chicago et de Détroit. Nous visons les marchés intérieurs. Ce sont principalement les marchés intérieurs qui favorisent la croissance au Canada. La croissance est moins importante dans la région de l’Atlantique. La majeure partie de la croissance est attribuable aux marchés intérieurs du Québec et de l’Ontario.

Un cargo provenant de l’Asie du Sud pourrait soit emprunter la route du Pacifique, soit emprunter le canal de Suez. Il est un peu plus rapide de se rendre sur la côte Est, mais les porte‑conteneurs qui empruntent la route du Pacifique comportent un plus grand nombre d’espaces. Les navires ont tendance à aller sur la côte Ouest, car il y a davantage de choix pour faire escale, mais la route jusqu’à la côte Est est en fait plus courte et la capacité est plus grande au sein de la chaîne d’approvisionnement de la côte Est. La capacité est beaucoup plus grande dans les ports et dans le réseau ferroviaire de la côte Est du Canada par rapport à la côte Ouest. Les perturbations nous permettent de le constater en ce moment. Les entreprises ont commencé à se demander s’il y a une solution de rechange, et elles se rendent compte qu’il y en a une. Le temps d’attente pour les conteneurs dans nos ports est court. Il se situe généralement entre deux jours et demi et quatre jours. Cela démontre une très grande efficacité. Les entreprises qui choisissent un port efficace comme le nôtre et celui de Saint John bénéficient de la capacité du réseau ferroviaire.

Ce qui me préoccupe, c’est que nous avons convaincu le marché d’opter pour cette solution de rechange, mais si nous subissons d’autres effets des changements climatiques dans notre région du pays, nous nous trouverons alors dans une situation où la fiabilité sera mise à mal dans l’ensemble du Canada. En ce moment, les entreprises se disent: « D’accord, il y a des perturbations, mais nous avons une solution de rechange. » Cependant, si elles perdent cette solution de rechange, la situation sera préoccupante.

Le sénateur Cardozo : Combien de quais votre port compte‑t‑il?

M. Gray : Nous avons quatre postes d’amarrage pour les porte-conteneurs.

Le sénateur Cardozo : Compte tenu de la hausse du nombre de navires hauturiers, vous avez parlé des ports en eau profonde. Est-ce le terme exact? Vu la préférence pour les ports en eau profonde, envisagez-vous une hausse du trafic au port d’Halifax ou avez-vous élaboré un plan d’expansion pour l’avenir?

M. Gray : Oui. Nous avons envisagé cela. Les entreprises ont recours maintenant à de plus gros navires. Nous sommes en mesure de doubler notre capacité actuelle sans augmenter les dépenses. En ce moment, nous gérons 600 000 conteneurs, et nous avons la capacité de gérer entre 1,2 et 1,5 million de conteneurs EVP. Nous avons élaboré un plan d’expansion sur 50 ans qui nous permettra d’aller jusqu’à 2,5 ou 3 millions de conteneurs EVP grâce à des dépenses supplémentaires. Nous avons en fait amorcé cette expansion, car des travaux de remplissage étaient possibles, alors nous avons commencé à effectuer tranquillement du remplissage afin de nous préparer. Nous avons la capacité nécessaire en ce moment pour prendre de l’expansion.

L’autre facteur qui entre en jeu, c’est la situation en Europe en ce qui a trait à la taxe sur le carbone visant les navires. Le transbordement sera assujetti à une lourde taxe en Europe. Les navires plus gros et plus récents sont beaucoup plus efficaces du point de vue des émissions. Par conséquent, l’incidence de la taxe sur le carbone ne sera pas tellement grande. En Amérique du Nord, le nombre de ports où ils peuvent faire escale est limité. Nous sommes l’un des quelques ports qui peuvent les accueillir.

Le sénateur Cardozo : Compte tenu des intempéries extrêmes, dans quelle mesure l’industrie du transport maritime modifie-t-elle ses façons de faire? Je pense à ce cargo dont les conteneurs sont tombés à l’eau. Est-ce qu’il y a des inquiétudes face à l’avenir, précisément en raison de l’augmentation des dangers?

M. Gray : Il y a deux volets. Premièrement, les entreprises se penchent sur la conception de leurs navires. C’est ce qu’elles font actuellement. Nous commençons à les voir revenir à un système — c’est presque une boucle complète — comportant de longues glissières cellulaires. Au lieu d’arrimer les conteneurs, de longues glissières cellulaires sécurisent le navire et les conteneurs.

Deuxièmement, étant donné que 90 % du commerce mondial s’effectue grâce au transport maritime, l’industrie a une certaine responsabilité. Elle doit décarboniser le transport maritime. Elle se penche actuellement sur l’utilisation d’autres carburants. Ce n’est pas une mince affaire. L’hydrogène est probablement considéré comme étant le meilleur carburant, mais le stockage dans un navire d’une quantité suffisante d’hydrogène pour lui permettre d’effectuer ses trajets autour du monde représente tout un défi, alors l’industrie est en train d’étudier l’utilisation de l’ammoniac et du méthanol.

L’Organisation maritime internationale exerce beaucoup de pression sur les entreprises de transport maritime afin qu’elles trouvent une solution en matière de carburants renouvelables.

Le sénateur Cardozo : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une petite question de précision, vous m’avez perdu dans vos explications.

Vous avez dit, si j’ai bien compris, que vos activités ont diminué de 23 % en un an au port d’Halifax. Vous avez dit que c’était attribuable en partie au fait qu’il y a eu des inondations en Nouvelle-Écosse, donc les changements climatiques créent des événements extrêmes. Toutefois, il y a eu aussi en Colombie-Britannique des événements extrêmes qui ont probablement eu un impact sur l’utilisation du port. Alors, comment ces événements extrêmes pourraient-ils avoir eu un impact seulement sur les ports de l’Est et non sur les ports de l’Ouest?

[Traduction]

M. Gray : Je vous remercie.

Je tiens à préciser que l’Ouest a subi des répercussions et que l’Est en a profité. En raison de ces répercussions, des cargos de la côte Ouest ont été dirigés vers la côte Est. C’est pourquoi nous n’avons pas enregistré une baisse importante cette année. Nous avons accueilli un certain nombre de navires de la côte Ouest.

Les inondations et les feux de forêt ont eu une incidence directe sur les ports dans l’Ouest, et cela a été profitable pour nous, si je puis dire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Et vous n’avez pas subi de baisse en raison de vos propres inondations en Nouvelle-Écosse?

M. Gray : Non.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je n’ai pas bien compris.

M. Gray : Il y a une baisse dans l’ensemble du marché mondial.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord.

M. Gray : Notre diminution a été moindre, car nous avons accueilli une partie du trafic de l’Ouest.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Quinn : J’aimerais revenir sur vos commentaires au sujet de votre plan sur 50 ans et de l’augmentation des volumes.

Est-ce que votre plan tient compte des effets des changements climatiques? Nous savons que les phénomènes météorologiques sont plus fréquents et plus violents et que les niveaux d’eau fluctuent dans certaines régions du pays. Est-ce que ces facteurs sont pris en compte et est-ce que le port d’Halifax se voit comme un acteur important, en raison entre autres des changements climatiques?

M. Gray : Nous effectuons une analyse des forces, des faiblesses, des possibilités et des menaces, une analyse FFPM, afin de cerner les possibilités et les menaces. Nous faisons cela un peu dans un esprit mercantile, pourrait-on dire. Lorsque nous constatons des répercussions sur d’autres ports qui accueillent de gros navires ou des effets des changements climatiques qui mettent hors jeu certains ports, nous voyons des possibilités qui s’offrent à nous.

Nous avons un port libre de glace et des eaux profondes et nous nous trouvons sur la route orthodromique entre le canal de Suez et l’Europe. Nous sommes très bien situés. Nous n’avons pas les grandes marées que vous connaissez bien, sénateur, à Saint John.

Nous sommes dans une excellente position, mais le fait que nous dépendons d’un seul exploitant ferroviaire constitue le principal facteur de risque, car la plupart des marchandises que nous recevons sont ensuite transportées par un seul exploitant ferroviaire et par l’industrie du camionnage. L’industrie du camionnage est confrontée à une pénurie de main-d’œuvre. Elle a du mal à trouver des chauffeurs de nos jours.

Si nous perdions ces éléments de notre chaîne d’approvisionnement, nous perdrions notre attrait. Comme je l’ai dit, aucun autre port de la côte Est du Canada ne peut accueillir le type de navires que nous accueillons.

Le sénateur Quinn : J’aimerais obtenir une précision. Vu que ces facteurs entrent en jeu, pouvez-vous me dire, pour revenir au sujet, c’est-à-dire l’état des digues et de l’isthme, si cet aspect-là est également pris en considération?

M. Gray : Oui, on considère cet aspect comme un obstacle à notre expansion. Si l’isthme disparaissait, nous devrions modifier notre modèle et devenir un port de transbordement; et si nous perdions la voie ferrée et la route, nous devrions évaluer la possibilité de devenir un port de transbordement. Si nous devenions un port de transbordement, nous aurions besoin de beaucoup plus d’espace pour accueillir le fret, qui resterait là jusqu’à ce qu’il puisse être embarqué à nouveau sur un navire. Nous n’avons pas l’emplacement idéal pour cela.

Le sénateur Quinn : En terminant — j’ai enfin fini — compte tenu de tous ces facteurs, est-il juste de dire que les changements climatiques pourraient constituer un facteur qui détermine si les cargos peuvent entrer au Canada via la côte Est, précisément le port d’Halifax

M. Gray : [Difficultés techniques]

Le président : Monsieur le ministre Hudson, monsieur Godfrey et monsieur Gray, je vous remercie d’avoir comparu devant notre comité ce matin et d’avoir répondu à nos questions.

Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures de transport de l’isthme de Chignecto. Notre deuxième groupe de témoins ce matin se compose d’experts qui étudient la région.

Nous accueillons, par vidéoconférence, Tim Webster, chercheur, Groupe de recherche en géomatique appliquée, Nova Scotia Community College. Nous recevons aussi Danika van Proosdij, directrice, TransCoastal Adaptations Centre for Nature‑based Solutions, Université Saint Mary’s. Soyez les bienvenus. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Webster, suivie de la déclaration de la professeure van Proosdij, et ensuite nous allons passer aux questions des membres du comité. Monsieur Webster, la parole est à vous.

Tim Webster, chercheur, Groupe de recherche en géomatique appliquée, Nova Scotia Community College, à titre personnel : Bonjour et merci de l’invitation. J’ai réalisé en 2012 un projet sur la vulnérabilité aux inondations côtières de l’isthme de Chignecto pour la province de la Nouvelle-Écosse. Afin d’évaluer le risque de débordement pour les digues le long du corridor de transport, nous avons utilisé un lidar aéroporté, une technologie de détection et télémétrie par ondes lumineuses qui permet d’obtenir des données altimétriques détaillées. Nous avons constaté que plusieurs sections des digues sont vulnérables, et le rapport parle des élévations essentielles pour prévenir les débordements. J’ai regardé un peu le groupe précédent de témoins. La Nouvelle-Écosse s’enfonce à cause d’un ajustement isostatique.

La hausse relative du niveau de la mer se poursuit depuis un certain temps dans les Maritimes et révèle une tendance linéaire d’environ 32 centimètres par siècle. La plupart des scientifiques dans la région s’attendent au moins à une hausse relative du niveau de la mer de un mètre d’ici 2100, bien qu’il existe des prédictions plausibles de hausse extrême globale pouvant atteindre 2,5 mètres dans un rapport récent de la National Oceanic and Atmospheric Administration. Une certaine incertitude persiste donc quant au taux d’élévation relative du niveau de la mer à l’avenir. Peu importe quand et comment nous allons réduire nos émissions de carbone, le niveau de la mer continuera d’augmenter au XXIIe siècle.

Dans le passé, nous avons eu des tempêtes historiques, comme la Saxby Gale de 1869, qui a créé des marées extrêmement importantes qui correspondaient à un événement pluviohydrologique important avec une onde estimée à environ deux mètres. D’autres parties de la Nouvelle-Écosse ont subi des ondes de tempête d’environ 1,7 mètre pendant l’ouragan Juan en 2003, et les tempêtes tropicales ainsi que les vents du nord‑est provoquent couramment des ondes d’environ 1,5 mètre au détroit de Northumberland, qui sépare la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick de l’Île-du-Prince-Édouard. L’ouragan Fiona a établi le record de la pression atmosphérique la plus basse jamais enregistrée, ce qui a une incidence sur l’amplitude de l’onde de tempête. Pendant cet ouragan, nous avons mesuré une onde de tempête de 2,4 mètres. Je fais ce genre de travail depuis environ 20 ans, et c’est la plus haute que j’ai mesurée.

Nous avons également mesuré la ligne d’algues, c’est-à-dire la ligne de débris laissés sur le sol par la marée, l’onde de tempête et la montée des vagues. Selon nos estimations, les vagues ajoutaient 1 mètre à l’onde de tempête de 2,4 mètres.

Les options pour adapter l’isthme comprennent la protection, le retrait ou l’abandon du corridor. Dans le rapport, nous proposons un tracé différent qui est établi en fonction du terrain qui pourrait servir pendant longtemps de voie de transport entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Ce corridor se sert de l’autoroute 366 en Nouvelle-Écosse, qui relie Amherst au détroit de Northumberland. Le tracé proposé parcourrait 12 kilomètres au nord, de Amherst à l’autoroute 366, et passerait ensuite par une nouvelle section d’environ 35 kilomètres d’autoroute, et peut-être de rail, qui devrait être construite sur un terrain plus élevé pour rejoindre le Nouveau-Brunswick.

Cette proposition serait une mesure d’adaptation axée sur le retrait et l’abandon. Lorsque le rapport a été publié, je ne pense pas qu’il s’agissait d’une option plausible pour les gouvernements provinciaux. Je pense toutefois qu’elle devrait être considérée comme une solution à long terme possible pour régler le problème.

Depuis que le rapport a été produit, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont fait l’appel de propositions qui a mené au rapport technique préparé par Wood Environment & Infrastructure Solutions. On a proposé de rehausser les digues jusqu’à 11,2 mètres en s’appuyant sur le Système canadien de référence altimétrique de 1928, ou jusqu’à 10,6 mètres d’après le nouveau système de référence altimétrique, le CGVD2013. On a ensuite dressé une liste restreinte de trois options — je suis certain que les membres du comité ont pris connaissance du rapport — pour construire de nouvelles digues ou pour rehausser les digues existantes au coût de 198 à 300 millions de dollars.

Les solutions proposées ne préconisent pas le développement des marais salés, mais elles le limitent plutôt encore plus que les digues existantes. De nombreux praticiens, surtout ma collègue van Proosdij, comprennent la valeur des marais salés du côté mer des infrastructures pour aider à freiner l’action des vagues attribuable aux tempêtes et aux ondes de tempêtes. De plus, les marais absorbent et piègent énormément de carbone — raison de plus pour peut-être considérer l’abandon de ce corridor.

Selon ce nouveau cadre de référence, le CGVD2013, la taille moyenne des digues au Nouveau-Brunswick est d’environ 7,17 mètres, et elle est un peu plus importante en Nouvelle-Écosse à 7,86 mètres. L’étude de la firme Wood dit que nous devrions rehausser les digues jusqu’à 10,6 mètres conformément à la recommandation provinciale. Nous nous protégerions ainsi pendant un certain temps, mais je crois toutefois qu’il faut penser à long terme.

Une réanalyse des inondations a été réalisée pour essentiellement voir si le niveau de l’eau allait dépasser les digues ou ouvrir une brèche à un moment donné, et la hauteur de 9,7 mètres est celle où la Nouvelle-Écosse devient une île et où le détroit de Northumberland serait relié à la baie de Fundy. Ce chiffre diffère un peu de ce qu’on retrouve dans le rapport, et la principale raison, c’est que les nouvelles données altimétriques sont beaucoup plus précises qu’une partie de l’information que nous utilisions en 2012 lorsque nous avons estimé à quelle hauteur la Nouvelle-Écosse allait devenir une île. Merci.

Le président : Merci, monsieur Webster. Je donne maintenant la parole à Mme van Proosdij.

Danika van Proosdij, directrice, TransCoastal Adaptations Centre for Nature-based Solutions, Université Saint Mary’s, à titre personnel : Merci de me donner l’occasion de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

[Français]

Je vous remercie de me donner l’occasion de discuter de l’impact des changements climatiques sur les infrastructures essentielles de l’isthme de Chignecto.

[Traduction]

J’arrive de Mi’kma’ki, le territoire traditionnel et non cédé de la nation micmaque. L’isthme étroit de Siknikt ou Chignecto est en fait, depuis des millénaires, un corridor essentiel pour la navigation, le commerce et la communication. Les vastes marais côtiers et cours d’eau, reliés par des portages qui étaient souvent empruntés, procuraient un passage entre la baie de Fundy et le golfe du Saint-Laurent et reliaient la côte atlantique à la rivière Wolastoq, ou Saint-Jean, et à l’intérieur du continent.

Cependant, même si la construction de digues dans ces marais côtiers au début des années 1700 a donné des terres agricoles fertiles aux Acadiens, la nature même de ces basses terres est un élément central de la vulnérabilité de l’isthme de Chignecto. La réparation, le renforcement et la construction grandement nécessaires de digues et d’aboiteaux par le gouvernement fédéral après la Deuxième Guerre mondiale ont renforcé les attentes quant à la protection de ces terres à l’avenir. Lorsque les deux provinces sont devenues responsables de l’entretien et de l’amélioration de cette infrastructure dans les années 1970, on a rédigé des lois pour décrire ces responsabilités.

C’est là que réside le défi auquel nous faisons face aujourd’hui. Les digues ont été conçues, construites et entretenues pour protéger les terres agricoles, pour maintenir une hauteur critique minimale établie dans les années 1950. Au fil du temps, on a toutefois bâti des infrastructures et agrandi des villes, et le niveau de la mer a monté. Il y a actuellement 40 kilomètres de digues et 30 aboiteaux qui protègent 10,6 milliers d’hectares de basses terres dans l’isthme de Chignecto.

Les observations qui vont suivre proviennent de l’expérience de travail et de recherche que j’ai acquise relativement aux marais côtiers de la baie de Fundy au cours des 30 dernières années, y compris les 20 dernières années pendant lesquelles j’ai mis l’accent sur la mise à profit de ces connaissances pour renforcer la résilience du réseau de marais endigués et restaurer les écosystèmes côtiers.

Il y a 20 ans, en avril 2003, en collaboration avec d’autres chercheurs, des ONG, des responsables municipaux et provinciaux ainsi que des représentants du Canadien National, ou CN, j’ai examiné des cartes qui montrent l’ampleur des inondations qui seraient causées par un autre événement comme la Saxby Gale, une tempête de référence pendant laquelle la plupart des digues ont été submergées en 1869. C’est à cette réunion qu’on s’est rendu compte de manière plus générale que la voie ferrée du CN agissait comme la principale digue de protection de la Transcanadienne, ce que les représentants du CN ne savaient pas.

Même si on ne comprenait peut-être pas à l’époque la vulnérabilité et l’importance physique essentielle de la ligne ferroviaire du CN, la photographie de la marée extrême de novembre 2015 qui atteignait les roues des wagons du CN a permis à tout le monde de prendre conscience de cette vulnérabilité. Dans les faits, cette image ne montre pas une défaillance des digues ou une brèche. Elle montre plutôt la portée extrême des hautes marées du printemps dans la rivière Tantramar, ce qui est peut-être plus alarmant puisqu’il s’agit d’un cycle naturel qui va se reproduire.

Les marées se produisent par cycles, et les plus hauts niveaux d’eau sont observés toutes les 18,6 années. La dernière fois remonte à 2015. Compte tenu de ces variations et de la grande amplitude intertidale, la vulnérabilité du système de digues varie également au fil du temps. Le plus grand risque a lieu lorsque la marée haute coïncide avec une onde de tempête, et ce risque continuera d’augmenter avec la hausse du niveau de la mer. Dans une étude sur la vulnérabilité des digues que j’ai menée en 2018, nous avons calculé qu’une onde de tempête qui atteint seulement un peu moins d’un mètre allait submerger 94 % des digues dans le bassin de Cumberland en 2050. Dans bien des cas, il est tout simplement impossible de rehausser les digues à leur endroit actuel pour résister aux changements climatiques.

Le système actuel de digues suit les rives des principales rivières à marées, avec une petite bande de marais littoraux qui sert de zone tampon entre les digues et les puissants courants de marée qui entrent et ressortent deux fois par jour. À certains endroits, ces courants grugent la base des digues, et la pierre de carapace utilisée pour les protéger ne résiste pas longtemps. Le rehaussement des digues dans ces cas-là n’est pas une solution à long terme.

Le comité a pour mandat de mettre l’accent sur les répercussions des changements climatiques, et je vais donc terminer mes observations en présentant une vision pour atténuer ces répercussions. C’est une vision pour aujourd’hui et pour l’avenir. Nous devons repenser notre relation avec ce paysage historique et notre recours aux seules digues pour protéger cet espace. Les choix ne sont pas noirs ou blancs, il n’y a pas que deux possibilités, mais plutôt un continuum d’options d’adaptation.

Dans certaines zones, nous devrons absolument rehausser et renforcer l’infrastructure de protection existante ou construire de nouvelles défenses en utilisant de nouvelles normes d’ingénierie qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde. Nous devons réaménager l’infrastructure de digues et restaurer les marais côtiers qui peuvent rendre une série de services écosystémiques, y compris une protection côtière et la séquestration de carbone, et qui peuvent résister à la hausse du niveau de la mer. Dans certains cas, nous devons déplacer une route ou des bâtiments, ce qui est plus viable et rentable à long terme pour le bien commun.

Enfin, nous devons mettre de côté des terres pour faire face aux futurs changements du niveau de la mer ou aux futures tempêtes et en faire une utilisation qui convient à des inondations périodiques; nous devons prévoir un espace pour la migration des marais côtiers; et nous devons prendre des règlements d’aménagement du territoire qui interdisent la construction à des endroits dangereux. Je serai heureux d’en dire plus long sur ces points en répondant aux questions. Merci.

Le président : Merci, professeure.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci aux deux témoins pour vos exposés fascinants qui nous ont proposé des solutions de rechange assez concrètes.

Madame la professeure van Proosdij, j’aimerais vous entendre un peu plus sur la restauration des milieux humides. Je ne connais pas ça. Je sais que c’est une solution qui est avancée, mais, si je comprends bien, il y a en ce moment des terres agricoles qui ont remplacé les milieux humides et on ne peut pas faire cela en quelques jours. La restauration des milieux humides est quelque chose qui prend, d’une part, beaucoup de temps.

Ensuite, vous avez dit que la solution des digues n’est pas forcément la bonne, parce que les digues actuelles ne peuvent pas être haussées. Est-ce une solution viable de penser à restaurer les milieux humides ou devrait-on carrément changer de plan et prendre la route que propose votre collègue, qui semble faire un détour pour laisser tout cela en paix et passer ailleurs avec un chemin de fer et une route?

Mme van Proosdij : Merci beaucoup pour votre question. Comme ma recherche s’est faite en anglais et parce que c’est très important que mes réponses soient claires, je vais vous répondre en anglais.

[Traduction]

Je vais d’abord parler du premier point que vous avez soulevé à propos de la possibilité de recourir à un réaménagement des digues et à une restauration des marais côtiers en tant que solution naturelle. Dans le cadre de ce processus, une analyse détaillée est faite, et selon cette analyse, qui porte sur diverses choses, une nouvelle structure de digues est construite plus loin dans les terres pour protéger une ressource archéologique ou un corridor de transport. Sur les terres qui se trouvent devant, nous enlevons ensuite une partie de la digue et les structures d’aboiteaux, et nous permettons aux marées de revenir dans les zones qu’elles submergeaient auparavant. Selon le processus observé, plus particulièrement dans le haut de la baie — où nous l’avons déjà fait; et je peux donc vous parler de notre expérience dans un moment —, chaque fois que la marée arrive, elle apporte des sédiments de boue en suspens. On se retrouve alors avec une couche qui permet aux graines et aux systèmes racinaires des plantes des marais environnants de s’établir. Cela permet aussi aux zones basses de prendre de la hauteur et d’être finalement colonisées par une végétation de marais salés ou de marais côtiers. On obtient ainsi une zone tampon pour la nouvelle digue qui a été construite, ce qui renforce la résistance des terres qui restent. Nous l’avons fait pour 140 des 400 hectares que nous avons restaurés dans la baie de Fundy avec mes collègues de CB Wetlands & Environmental Specialists et de la province. Je peux vous parler plus précisément de ces cas plus tard, si vous voulez.

À propos de votre question sur le rehaussement des digues, nous pourrions physiquement les rehausser pour élargir l’empreinte. C’est toutefois illogique lorsque nous tenons compte de la résilience à long terme au même endroit. Nous devons penser à l’endroit où elles seront rehaussées, avoir devant une zone tampon de marais littoraux et prévoir l’espace nécessaire pour que ce marais absorbe l’énergie des vagues. Nous avons effectué des recherches pour calculer combien il nous faut pour fournir ces fonctions de protection. Nous pouvons rehausser les digues, mais nous devons penser stratégiquement à l’endroit où c’est fait pour avoir une viabilité à long terme. Comme je l’ai mentionné dans ma conclusion, nous devons repenser le paysage. Il faut pour cela une combinaison d’options ou d’outils différents.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce réaliste, la restauration des milieux humides pour arrêter au point où vous dites — peut-être quelques années, je n’en sais rien? Étant donné la situation, serait-ce mieux de complètement changer de route pour être plus sûr du résultat, s’il y a des changements climatiques?

[Traduction]

Mme van Proosdij : Toute solution au sein de l’isthme demandera du temps. Notre expérience nous a permis de voir que deux ou trois ans plus tard, une végétation s’établit à nouveau, et elle commence à procurer ces fonctions de protection. Nous avons acquis beaucoup d’expérience en faisant cela dans la région, et nous avons également de plus en plus de normes d’ingénierie, qui sont maintenant de calibre mondial, pour pouvoir prendre ces mesures.

Aucune mesure d’adaptation ne peut être prise du jour au lendemain. Si nous le prévoyons, nous pouvons stratégiquement commencer à réintroduire des eaux pour surélever la zone basse derrière, en même temps, peut-être, tout en reconstruisant des structures plus grandes autour du corridor de transport proprement dit, ou en déplaçant, comme M. Webster l’a dit, le réseau de transport.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Simons : J’ai beaucoup de questions pour les témoins, et je ne sais pas par où commencer. Je vais commencer par M. Webster pour reprendre à la fin de la dernière question.

Vous semblez dire dans votre témoignage que la construction de nouvelles digues hautes pourrait être contre-productive parce que nous pourrions détruire ainsi plus de marais, qui ont l’avantage naturel que la professeure van Proosdij vient tout juste de décrire. Quel est le risque qu’un effet boomerang aggrave le problème si nous construisons des digues plus grandes, plus solides et plus hautes?

M. Webster : Merci de poser la question. D’après le rapport technique, dans les trois options proposées, il était entre autres question de renforcer les digues existantes et d’en construire de nouvelles très proches de l’emplacement actuel de l’océan. Essentiellement, comme la professeure van Proosdij l’a expliqué, la zone tampon de marais salés devant aide certainement à atténuer l’effet des vagues, entre autres choses.

Ce que je veux tout simplement dire, c’est que nous avons idéalement besoin de cette zone tampon, qui aidera à atténuer l’énergie des vagues. Mais tôt ou tard, compte tenu de la hausse du niveau de la mer, ce sera un problème persistant. La situation va empirer; elle ne va pas s’améliorer.

C’est presque comme la situation observée lorsque l’ouragan Katrina a frappé La Nouvelle-Orléans. On a beaucoup discuté ensuite de la possibilité de déplacer la ville, mais la politique a fini par prendre le dessus, et on n’en a plus parlé.

Dans cette situation, nous devrions vraiment considérer l’option de déplacer le corridor sur des terres plus hautes. De toute évidence, il y a encore beaucoup de choses à protéger, comme d’autres municipalités et d’autres voies de transport que les gens utilisent tous les jours, où des digues et le nécessaire pour avoir des marais salés devant pourraient être très utiles. Il vaut la peine d’envisager l’approche à long terme face au problème.

Une chose que j’ai apprise, c’est que lorsque nous combattons dame nature, nous gagnons rarement. Le problème va persister puisque la hausse du niveau de la mer se poursuit.

La sénatrice Simons : C’est peut-être une question à poser aux politiciens demain. Ce rapport est plutôt récent. Il a été publié l’année dernière. Selon ce qu’on y lit, la restauration des marais n’est pas une stratégie possible, et on n’y aborde pas, sauf erreur, l’idée de déplacer le corridor de transport, ce qui, pour être honnête, monsieur Webster, ne paraissait pas si difficile si on utilise également des tronçons d’autoroute et peut-être même de voies ferrées qui existent déjà. Pourquoi ne se penche-t-on pas sur les solutions que vous proposez tous les deux?

M. Webster : Je pense que les modalités qui accompagnaient cet appel de propositions auquel la firme d’ingénierie a répondu ne présentaient pas ces choses comme des options possibles. Quant à savoir pourquoi, je ne peux pas vraiment en parler.

Je crois que beaucoup de personnes se sont faites à l’idée que c’est le corridor que nous avons, que nous devons le protéger, et on se demande donc quelles mesures peuvent être prises à cette fin, peu importe les difficultés à long terme auxquelles nous allons nous heurter, surtout dans les basses terres. C’est vraiment l’essentiel de ce que je peux dire.

La sénatrice Simons : Professeure van Proosdij?

Mme van Proosdij : Je ne sais pas pourquoi les consultants n’ont pas inclus les solutions naturelles dans le mandat du rapport. Pour revenir à ce que M. Webster disait, le mandat de la demande de propositions était extrêmement limité. Il visait à protéger le corridor de transport, et l’utilisation de digues était une option à envisager et c’est surtout cette option qui a été examinée.

Je laisserai mes homologues politiques du gouvernement vous dire pourquoi les solutions naturelles ont été écartées. Cependant, je pense que leur vision manque de prévoyance. Nous avons plus de connaissances aujourd’hui. Je me hasarderai de dire qu’à l’époque où le rapport a été rédigé, on savait qu’on avait recours, ailleurs dans le monde, à un ensemble de solutions — ou solutions hybrides — qui intègrent à la fois des infrastructures traditionnelles et grises ainsi que des zones tampons et peut-être même des enrochements qui absorbent une partie de l’énergie des vagues. Ces solutions existent aussi au Canada, et je ne comprends vraiment pas pourquoi elles n’ont pas été incluses dans ce rapport. Ni M. Webster ni moi n’avons participé à la rédaction de ce rapport, mais nous sommes heureux d’avoir l’occasion de discuter d’autres solutions avec vous.

La sénatrice Simons : Ce serait formidable si je pouvais participer à la deuxième série de questions.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. J’aimerais poursuivre dans la même veine, car ce que vous dites est extrêmement intéressant. Revenons plus précisément à vos derniers commentaires à propos des raisons pour lesquelles on n’a pas envisagé les infrastructures grises et les solutions naturelles. Pourquoi cela n’a-t-il pas été envisagé? On a fait référence aux zones tampons et je comprends cela.

Au bout du compte, nous pourrions envisager un ensemble de solutions. Je veux m’en tenir aux infrastructures, qui semblent être menacées. Pour nous attaquer aux problèmes qui existent, nous pourrions adopter une gamme de solutions.

Ma question revient à ce que M. Webster a dit. Cette région est touchée par les marées les plus puissantes du monde; 100 milliards de barils d’eau qui entrent et qui sortent deux fois par jour. Il y a aussi des ondes de tempête. Vous avez mentionné les particules en suspens. La sédimentation d’un plus grand nombre de particules représente-t-elle un problème?

Je pose cette question uniquement en raison de mon expérience avec des travaux de dragage au port de Saint John. Il semble qu’il y ait de plus en plus de sédiments. À quel moment cela peut-il entraîner des problèmes? Pensez-vous que cela peut produire l’effet contraire de ce que l’on vise, ou non?

Mme van Proosdij : Cela a certainement une incidence. Les fortes concentrations de sédiments peuvent créer un problème d’envasement devant les aboiteaux ou les vannes à sens unique qui permettent l’évacuation de l’eau douce des terres endiguées. Il s’agit d’un processus naturel. Nous devons nous assurer de maintenir les vannes ouvertes, car il peut y avoir un problème d’envasement. L’installation de digues dans cette région a entraîné la croissance de ce phénomène. Les digues ont éliminé une importante zone intertidale qui permettait aux sédiments de se répandre sur une plus grande distance dans un marais naturel.

Lorsqu’il y a des canaux et que les sédiments ne peuvent plus se déposer nulle part, ils se déposeront devant les aboiteaux, en aval du pont-jetée Windsor, par exemple, ce qui deviendra une grande vasière, puis un marais. La sédimentation est un problème. Ce problème va-t-il s’aggraver? Pas nécessairement, mais nous pouvons tirer parti de ces sédiments pour concevoir des solutions plus naturelles.

Le sénateur Quinn : Quelle est l’incidence de la sédimentation à l’heure actuelle? Avez-vous une idée de ce qui est en jeu? Combien en coûterait-il pour régler ce problème de sédimentation?

Mme van Proosdij : En ce moment, on s’attaque à la sédimentation dans les aboiteaux. Mes homologues du ministère de l’Agriculture pourront répondre à votre question demain, je crois, mais tout dépend de ce qui se passe sur le terrain. Peut-être qu’on laisse les petites structures de vannes ouvertes pour permettre à l’eau douce de passer. S’il s’agit d’une structure plus importante, on peut ouvrir les vannes en cas de fortes pluies pour permettre à l’eau de s’écouler. Ces périodes de fortes précipitations nous permettent d’ouvrir les vannes. Dans les zones où il y a eu des problèmes de débris et d’accumulation excessive, on a parfois dû retirer de la boue. Ces zones font l’objet d’inspections et lorsque l’on constate ces problèmes, on les règle, dans la mesure du possible.

Le sénateur Quinn : Merci beaucoup. La plupart du temps, nous parlons des routes, des voies ferrées et des câbles de fibres optiques, mais vous apportez une dimension importante à la discussion.

Ma prochaine question porte sur le temps dont nous disposons, selon vos estimations, compte tenu des événements météorologiques plus fréquents et plus violents, et de l’élévation du niveau de la mer. Quelle est la meilleure voie à suivre pour protéger ces infrastructures auxquelles les gens s’intéressent? L’autre priorité — la sénatrice Simons en a parlé — a trait aux répercussions sur les biens, les personnes et les terres agricoles. Comment pouvons-nous protéger les infrastructures à court terme en ne perdant pas de vue les solutions naturelles que nous devrons adopter à plus long terme? Comment concilier ces deux objectifs?

Mme van Proosdij : C’est certainement un défi, mais jusqu’à présent, nous avons évité le pire avec les tempêtes qui ont déferlé. Nous le savons depuis 20 ans : la question n’est pas de savoir si nous allons être touchés par ces tempêtes, mais quand. Nous avons eu une chance incroyable. Il serait regrettable que nous ne fassions que poursuivre nos études pour déterminer ce que nous devrions faire.

Lorsque nous élaborerons une solution, nous devrons faire appel à des équipes multidisciplinaires et transfrontalières composées d’experts de différentes disciplines. C’est ce que nous devrons faire. Nous ne voulons pas d’une solution qui sera seulement tirée de l’ingénierie. Nous devrons nous tourner vers d’autres disciplines pour prendre une décision. Si nous voulons une solution sur un horizon de 10 ans, convoquons cette équipe multidisciplinaire et adoptons l’approche européenne, qui consiste à assurer une planification stratégique à plus long terme. Cela nous permettra de cerner les zones qui seront entièrement protégées et celles qui seront restaurées. Cette approche nous donnera un plan pour aller de l’avant. Certaines mesures seront prises à très court terme, et d’autres seront prises à plus long terme. Ce plan décennal comportera différentes composantes. Nous pourrons tirer parti des différentes possibilités de financement pour ces petites zones. Cette approche a fonctionné en Europe, et elle peut fonctionner ici.

Le sénateur Quinn : Je vais vous poser une dernière question. Serait-il juste de dire que cette région est très vulnérable, et qu’il faut la protéger sans tarder?

Mme van Proosdij : Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’avoir évoqué cette solution.

J’aimerais savoir ce qui se passe avec la proposition que vous nous avez présentée et ce qu’il en est des solutions naturelles à long terme. Vous dit-on qu’il s’agit d’une proposition intéressante, mais que l’on ne s’engagera pas dans cette voie? Est-ce ainsi que l’on perçoit ces solutions à l’heure actuelle? J’aimerais savoir comment cette solution est envisagée, ou pas, et comment elle pourrait être envisagée.

Je voudrais aussi vous poser une question à propos des coûts. Je ne suis pas sûre que l’un d’entre vous a parlé des coûts, et si c’est le cas, je vous présente mes excuses, car cela m’a échappé. Les trois options dont on nous a parlé se chiffrent entre 200 et 300 millions de dollars. Nous devons toutefois préciser que ces options vont probablement coûter beaucoup plus cher. C’est un autre point que nous avons relevé. Combien coûterait la mise en œuvre des options dont vous nous avez parlé, grosso modo?

Mme van Proosdij : Je vais d’abord répondre à votre première question. Je ne ferai référence qu’à mon expérience. J’ai surtout collaboré avec les représentants du ministère de l’Agriculture de la Nouvelle-Écosse. L’intégration d’une solution davantage axée sur la nature est en effet quelque chose qu’ils envisagent. Si vous consultez leur site Web « Working with the Tides », vous verrez que, outre le renforcement de l’infrastructure traditionnelle des digues, on y parle de l’amélioration du drainage et de méthodes de gestion des terres endiguées. La restauration des marais côtiers et le réaménagement des digues font également partie de leurs analyses pour leurs projets du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes. Ils doivent tenir compte de ces éléments. Donc, oui, la Nouvelle-Écosse envisage ce genre de proposition.

L’intérêt n’est peut-être pas aussi manifeste au sein des firmes d’ingénierie. Certaines sont plus traditionnelles. D’autres adoptent des méthodes plus écologiques et envisagent certainement ce genre de solution. C’est ce que nous avons fait. Dans le cadre de notre nouveau projet Making Room for Wetlands, nous examinons de façon stratégique les réseaux de marais endigués, mais pas directement dans l’isthme où l’on a déjà procédé à un réaménagement des digues. Nous examinons toutefois d’autres zones pour voir comment elles pourraient être mieux protégées contre les inondations. Nous pourrions déplacer une digue dans une zone où elle n’est pas utilisée de façon efficace pour l’agriculture, et ainsi améliorer le drainage, ce qui nous permettrait d’avoir des marais côtiers, séquestrer le carbone, et réduire les émissions de gaz à effet de serre dans ces zones.

En Nouvelle-Écosse, donc, ces solutions sont envisagées. Au Nouveau-Brunswick, les digues sont réglementées par un autre ministère. Auparavant, les digues relevaient du ministère de l’Agriculture, mais les choses ont changé. Il y a environ 12 ans, ce ministère a pris part à des travaux de restauration pour réinstaller une digue à Aulac. Je crois que c’est en 2013 que la responsabilité est passée du ministère de l’Agriculture au ministère des Transports et des Travaux publics — ou Transports —, et ce ministère conçoit les choses différemment.

La sénatrice Dasko : Qu’en est-il des coûts?

Mme van Proosdij : Je ne pourrais pas vous le dire parce qu’il n’y a pas encore eu d’évaluation des coûts de la proposition que M. Webster et moi-même avons avancée. Nous pouvons évaluer ce que l’entretien et le rehaussement d’une digue existante dans une zone précise coûteraient, comme celle qui est située près d’Onslow et de Truro, dont la superficie est d’environ 90 hectares. L’autre solution, axée sur la nature, était plus rentable, surtout en raison des bienfaits à long terme attribuables à la pérennité d’une solution fondée sur une approche plus naturelle. Je serai heureuse d’en parler plus longuement une autre fois.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais avoir une meilleure idée des caractéristiques géographiques de cette région. Quelle est la largeur de l’isthme, en kilomètres ou en milles.

Mme van Proosdij : Je savais que j’aurais dû vérifier cette information avant la réunion.

Le sénateur Cardozo : Je regarde cette région sur une carte, et elle m’a l’air assez...

Mme van Proosdij : Il s’agit d’une zone très vaste. Avant la construction des digues, il s’agissait d’énormes marais côtiers, parmi les plus vastes de la région.

Le sénateur Cardozo : On parle de 20 ou 30 kilomètres, quelque chose comme ça?

Mme van Proosdij : Comme j’aurais aimé vérifier cela avant la réunion. C’est grand.

Le sénateur Cardozo : Peut-être une superficie de cet ordre‑là.

J’ai traversé cette région en voiture quelques fois, mais je n’ai jamais remarqué ces caractéristiques intéressantes dont nous sommes en train de parler. Cette région est-elle majoritairement composée de milieux humides?

Mme van Proosdij : Il s’agit d’anciens milieux humides. Il existe également des hautes terres, c’est-à-dire des zones à une altitude plus élevée. M. Webster pourrait nous dire plus clairement et plus précisément où elles se trouvent. C’est un peu comme des doigts qui sortent de part et d’autre des rivières principales, la rivière Missaguash et la rivière Tantramar. Ces terres environnantes auraient été des marais côtiers dans le passé, mais la majorité d’entre eux ont été endigués par les colons acadiens dans les années 1700.

Il y a une exception, et c’est là que nous pouvons revenir à l’image de la voie ferrée. Si vous regardez les images et que vous regardez la rivière Tantramar, vous verrez que l’eau monte jusqu’au bord de la voie ferrée du CN. Cette zone vulnérable et cette situation n’existaient pas il y a 20 ans, mais c’est maintenant le cas.

Dans cette zone, le marais côtier monte jusqu’au bord. Il y a une petite digue le long de la voie ferrée du CN. Il y a un mélange d’anciens marais côtiers qui sont maintenant endigués et plus bas, car le terrain s’affaisse, et de marais côtiers — un méandre de rivières à marées; ce n’est donc pas une ligne droite — qui serpentent le territoire, ce qui permet aux marées de se rendre beaucoup plus loin.

Le sénateur Cardozo : Y a-t-il une sorte de pont pour les voitures et les trains?

Mme van Proosdij : Oui. Il s’agit, en fait, d’une ligne assez droite avec un pont et une porte à marée, qui passe par-dessus les principales rivières, et qui relie la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Cardozo : Vous dites que rehausser cette zone ne serait pas une bonne solution.

Mme van Proosdij : Non.

Le sénateur Cardozo : C’est ce qui coûterait le moins cher, mais...

Mme van Proosdij : Non. Le rehaussement de la Transcanadienne et le rehaussement de la voie ferrée sont des options viables. À ces endroits, ces options peuvent être envisagées. Elles ont été prises en compte dans le rapport technique. Je ne sais pas pourquoi ces options ne figurent pas parmi les trois options retenues, mais ces options — la reconstruction et le rehaussement du chemin de fer du CN, et le rehaussement de la Transcanadienne — ont été envisagées. Lorsque j’ai dit qu’il ne fallait pas élever le niveau des digues, je faisais référence aux digues existantes qui ont été construites par les Acadiens. Leur niveau a été élevé par le gouvernement fédéral dans les années 1940 et 1950. Ces digues suivent les rivières à marées et se rendent jusqu’en face de la baie de Fundy.

La sénatrice Miville-Dechêne : Une image. Nous avons seulement besoin d’une image.

Mme van Proosdij : Je sais. J’aimerais pouvoir vous montrer des images, car c’est tellement plus facile à comprendre une fois que l’on sait à quoi ressemble le territoire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous quelque chose à nous montrer?

Mme van Proosdij : Oui, absolument.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux voir.

Mme van Proosdij : Oui. Mais je ne sais pas si M. Webster — parce qu’il a accès à son ordinateur et à son écran — serait autorisé à vous montrer ces images. Je ne sais pas si c’est quelque chose... nous pourrions peut-être vous envoyer ces images après la réunion. Dans le rapport technique, vous pouvez voir des images des caractéristiques géographiques et de l’emplacement des digues existantes. Je pourrais vous renvoyer à ce document.

Le sénateur Cardozo : J’ai une foule de questions, mais je vais n’en poser qu’une seule. J’imagine que personne n’habite dans cette région et que ces terres ne sont pas cultivées ni utilisées à d’autres fins?

Mme van Proosdij : Oh non, des gens habitent dans la région, principalement à Sackville et Amherst.

Le sénateur Cardozo : Ces villes font-elles partie de ces marais?

Mme van Proosdij : Ils sont en bordure des terrains marécageux et certains aménagements commencent à empiéter sur ces marais. Lorsque le gouvernement fédéral est intervenu à la fin des années 1940 et que la province a pris le relais dans les années 1970, les basses terres ont été classées dans la catégorie des marais et des terrains marécageux et on a restreint les développements dans ces zones, mais il était toujours possible d’obtenir une dérogation pour y construire une usine de traitement des eaux usées, par exemple. Des dérogations ont également été accordées pour permettre à des villes de se développer dans ces zones. Il y a aussi des exploitations agricoles. Une grande partie des terres est utilisée comme pâturage. Il n’y a pas beaucoup de cultures commerciales dans cette région, mais les terres sont utilisées pour l’agriculture. Ce n’est pas partout, mais c’est le cas dans certaines régions.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie

La sénatrice Clement : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui et je vous remercie également de vos travaux.

Cette étude sera assez complexe à l’avenir, et il est donc encourageant de savoir que des personnes intelligentes s’en occupent.

Madame van Proosdij, vous avez souligné à plusieurs reprises la nécessité d’avoir un continuum de solutions. De toute évidence, nous devons tout faire en même temps. Vous avez fait référence à la construction de nouveaux moyens de défense, car c’est ce qu’on fait dans d’autres régions du monde. Vous avez indiqué que l’Europe met davantage l’accent sur la planification à long terme.

Quels sont les obstacles ici? Pourquoi ne sommes-nous pas dans le même espace de planification à long terme?

Lorsqu’il parlait de La Nouvelle-Orléans, M. Webster a fait un commentaire selon lequel la politique prenait le dessus dans ces cas-là. La politique et les questions de compétence représentent-elles des obstacles? Autrement dit, les trois ordres de gouvernement ne collaborent-ils pas aussi efficacement qu’ils le devraient?

J’aimerais beaucoup que vous répondiez tous les deux à la question.

Mme van Proosdij : C’est une excellente question. Notre groupe, en collaboration avec des collègues de l’Université Dalhousie, a étudié les obstacles et les raisons pour lesquels, dans le contexte de la Nouvelle-Écosse, ces types d’approches ne sont pas utilisés. La compétence est l’une de ces raisons. En effet, les mandats des différents ministères posent problème, car ils sont tenus de travailler dans des cadres précis, ce qui crée des difficultés. Nous devrons peut-être envisager des innovations à cet égard.

C’est ce qui a été fait dans le cadre du projet de Truro, dans lequel Environnement Canada, Transports Canada et Travaux publics ont abordé le terrain de manières très différentes et ont collaboré pour faire avancer le projet.

Sur le plan historique, et selon ce que nous avons observé au cours de l’étude, dans le Canada atlantique, c’est-à-dire au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse en particulier, le patrimoine est très important pour la population. Les Acadiens, par exemple, ont construit des aboiteaux. La construction de ces aboiteaux est donc étroitement liée au sentiment d’identité des habitants dans plusieurs de ces régions. Les gens s’identifient à ces choses, en quelque sorte.

Parmi les autres obstacles, on retrouve notamment le manque de confiance, car les gens pensent que cela ne fonctionnera pas, puisqu’ils n’ont jamais rien vu de tel. Il faut espérer que cette situation va changer. Nous tentons d’aider les gens à visualiser ce qui est en jeu et ce qui arrive à ce paysage en transformation. Les choses évoluent, et je suis donc optimiste quant à la possibilité de trouver une voie plus équilibrée à l’avenir. Cela prend seulement beaucoup plus de temps que nous en avons.

M. Webster : Très rapidement, il y a environ 15 kilomètres entre Amherst et Sackville. On s’était aussi interrogé sur la largeur de l’isthme de Chignecto, et il s’agit donc d’un tronçon de 15 kilomètres.

Si nous n’abordons pas la question dans son ensemble ou de manière plus holistique, c’est parce que les trois options qui s’offrent à nous, dans le cadre des transports et du changement climatique, sont de rester et défendre le territoire, battre en retraite ou abandonner le territoire. La plupart des gens veulent défendre leur territoire, car il est très difficile d’abandonner un endroit et de déménager ailleurs. Bien entendu, on s’opposerait grandement à une telle décision, et plusieurs groupes se feraient probablement entendre. Toutefois, si l’on considère les choses à long terme, il faut réellement prendre en compte le fait que nous nous mesurons aux forces de la nature. Ce sont des processus naturels qui ne feront qu’entraver de plus en plus nos efforts en vue de défendre et protéger ce corridor.

L’idée des terrains marécageux à l’avant et les autres idées du même type sont très astucieuses. Derrière le corridor actuel, il n’y a rien d’autre que des milieux humides. Les terres sont complètement saturées et la nappe phréatique se trouve juste à la surface. C’est presque comme si le corridor traversait un marécage ou un marais.

Au moment de la construction du corridor, c’était probablement la distance la plus courte entre les deux villes, et c’était donc la solution logique. À long terme, et compte tenu de l’évolution de la situation, de l’affaissement de la croûte terrestre de la province, de l’élévation du niveau de la mer, etc., cela reviendrait-il à investir beaucoup d’argent en vain? Je pense qu’il faudrait y réfléchir sérieusement.

La sénatrice Clement : Je tiens à remercier les deux témoins. Leurs réponses sont très utiles.

La sénatrice Simons : Monsieur Webster, vous m’offrez une transition parfaite vers mes prochaines questions.

C’est intéressant. Vous utilisez des analogies très militaires, et les gens considèrent qu’il s’agit d’une question d’amour-propre, c’est-à-dire qu’ils préfèrent défendre leur territoire plutôt que battre en retraite. Je vais parler de l’option de battre en retraite, car vous êtes la première personne, parmi tous les témoins que nous avons entendus, qui ait mentionné l’option d’un corridor de remplacement.

Veuillez nous expliquer un peu plus en détail comment fonctionnerait ce corridor de remplacement. S’agirait-il uniquement de la Transcanadienne? Serait-il possible d’établir un corridor ferroviaire à cet endroit?

Veuillez m’expliquer ce que vous pensez être la meilleure option entre surélever la plateforme ferroviaire et la plateforme routière ou la remplacer par une nouvelle route située ailleurs.

M. Webster : Je vous remercie.

Je dois dire que je n’ai pas mené d’études approfondies sur les coûts et les avantages. Cependant, je sais que nous utiliserons potentiellement ce type de corridor et d’infrastructure jusqu’à la fin des temps. Par conséquent, étant donné l’endroit où le corridor se trouve actuellement, quelle que soit la solution retenue… Si nous élevons la plateforme et la voie ferrée, nous aurons toujours des défis importants à relever en raison de l’élévation du niveau de la mer et, selon nos observations, de l’intensité accrue des tempêtes, qui deviendront peut-être même plus fréquentes. Nous nous mesurons aux forces de la nature dans cette situation.

Dans le cadre de notre analyse, nous avons essentiellement continué d’élever le niveau de la mer jusqu’à ce que la Nouvelle-Écosse devienne une île, car les gens se rendent compte que le corridor entre le détroit de Northumberland et la baie de Fundy est très étroit. À un moment donné, on a même tenté de construire un canal pour relier ces deux voies d’eau.

Nous avons simplement cerné où se trouvaient les terrains élevés, même si l’eau finira par relier ces deux régions, et nous avons constaté qu’il y avait des terrains plus élevés à mesure que nous nous éloignions de la baie de Fundy et que nous nous rapprochions du détroit de Northumberland. Il y a donc ces terrains plus élevés, ce qui pousse à se demander pourquoi on construirait une nouvelle autoroute ou une nouvelle voie ferrée, le cas échéant, dans une région de faible élévation. Pourquoi ne pas choisir un terrain plus élevé pour construire ce corridor, afin de se donner le temps de prendre d’autres mesures, comme l’a indiqué Mme van Proosdij, en permettant aux marais de se développer?

Il y a encore des infrastructures importantes dans cette zone de basse altitude que nous voudrions tenter de protéger, mais à long terme, il faudrait réellement envisager le déplacement de ce corridor plutôt que la vision quelque peu étroite qui a été adoptée jusqu’à présent et qui consiste à construire de nouvelles digues, à surélever les digues existantes et à maintenir la structure là où elle se trouve.

Il est évident que les coûts seraient très élevés, mais à long terme, ce serait peut-être la solution la plus intelligente à adopter. Je pense que la voie ferrée pourrait être aménagée de la même manière que l’autoroute.

La sénatrice Simons : Qu’est-ce que cela signifierait pour les villes d’Amherst et de Sackville? Je crois comprendre qu’il faudrait faire un grand détour pour aller de l’une à l’autre.

M. Webster : Oui, et je suis sûr qu’il y aurait une vive opposition à cette option. La dernière fois que j’ai traversé le Nouveau-Brunswick en voiture, il y avait une magnifique nouvelle route à chaussée séparée, mais on ne voit pas vraiment les villes par lesquelles passe l’ancienne Transcanadienne. À mon avis, ce serait un peu la même chose dans ce cas-ci, c’est‑à‑dire qu’on aurait un corridor qui ne passerait plus juste à côté des villes de Sackville et d’Amherst. Il se peut donc qu’elles en souffrent sur le plan économique. Mais ce corridor serait, à mon avis, plus sécuritaire et moins risqué à long terme.

La sénatrice Simons : Tous les témoins précédents nous ont parlé de la nature absolument essentielle de ce corridor pour les chaînes d’approvisionnement, non seulement pour les habitants de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre‑Neuve, mais aussi pour tout le reste du Canada, en raison de tout ce qui passe par le port d’Halifax.

M. Webster : C’est exact.

La sénatrice Simons : Il me semble que dépenser beaucoup d’argent pour protéger une infrastructure qui n’est peut-être pas durable… Ce sont des questions difficiles. Comme vous venez de le dire, ces questions touchent l’âme des gens qui habitent dans ces régions. Mais je suis une personne qui aime prendre toutes les précautions possibles. Il me semble donc insensé de dépenser des milliards de dollars pour quelque chose qui sera inévitablement inondé si l’on peut avoir l’assurance d’avoir une nouvelle autoroute sur un terrain élevé qui n’est pas susceptible d’être inondé. Vous êtes la première personne à avoir mentionné cette option. Je vous remercie.

M. Webster : Je vous remercie. Je suis d’accord avec votre dernière déclaration. Je suis heureux d’avoir eu l’occasion de présenter cette option au comité. Comme je l’ai dit, nous l’avions proposée dans notre rapport, mais je ne suis pas sûr que les gens l’aient pris au sérieux. Nous avons parlé à des représentants de la Nouvelle-Écosse qui ont examiné cette idée et qui ont déclaré qu’elle n’était même pas envisageable. Mais nous devons y réfléchir.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Brièvement, monsieur Webster, le seul moment où vous avez parlé de cette route alternative est dans ce rapport que vous avez publié il y a 10 ans. Dans l’affirmative, pouvez-vous nous envoyer la partie pertinente, à moins qu’on l’ait déjà, parce que c’est la seule référence que nous ayons là-dessus et je ne crois pas que vous ayez réécrit sur ce sujet. Voilà ma première question.

Ma deuxième question est la suivante. Dans ce rapport, y a-t-il une carte pour qu’on puisse voir où passe cette voie alternative? Combien de kilomètres mesure cette voie alternative? Mon assistante m’a dit que la route de l’isthme fait 24 kilomètres, donc combien de kilomètres mesure ce détour? Cela passe par les highlands, dites-vous, donc où est-ce exactement — à l’est, à l’ouest, au nord ou au sud? Bref, pourriez-vous répondre à ces deux questions?

[Traduction]

M. Webster : Le tracé proposé est très similaire à celui que j’avais présenté dans le rapport de 2012. Nous disposons maintenant de données altimétriques plus précises. Avant de comparaître devant le comité, j’ai refait cette analyse et je crois que j’ai inclus cette nouvelle carte dans mon document. Si je ne me trompe pas, il a été envoyé au comité, mais il n’a peut-être pas été distribué aux membres du comité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je n’étais pas certaine qu’il s’agissait de votre carte. Je vous remercie.

M. Webster : L’eau est violet pâle.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

M. Webster : En ce qui concerne la longueur et la distance, si je reviens à mon document... Veuillez m’accorder un moment, s’il vous plaît.

La sénatrice Miville-Dechêne : Juste une estimation, évidemment.

M. Webster : Oui. Nous proposons d’utiliser une autoroute existante de la Nouvelle-Écosse qui va d’Amherst... Je m’excuse pour toutes ces lignes rouges. Ce sont toutes les routes. J’aurais probablement dû les mettre en évidence. Vous pouvez voir toutes les routes dans la ville d’Amherst.

Si nous allions vers le nord, cela représenterait environ 10 kilomètres. L’épaisse ligne noire représente le nouveau corridor proposé, qui est sur le terrain le plus élevé, le long de ce relief élevé. Il s’agit probablement d’un corridor supplémentaire de moins de 30 kilomètres, c’est-à-dire de 20 à 30 kilomètres, qui rejoindrait la Transcanadienne au Nouveau-Brunswick, à l’ouest de Sackville.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Voici ma deuxième question : pouvez-vous nous envoyer votre rapport qui date de 10 ans?

[Traduction]

M. Webster : Puis-je envoyer ce rapport?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, s’il vous plaît.

M. Webster : Oui, certainement. J’aimerais souligner que je n’ai vu aucune référence aux travaux de Mme van Proosdij dans le rapport Wood, ce qui est un peu surprenant. Quant à la référence concernant mon rapport de 2012... Disons simplement qu’à titre de professeur d’université, j’aurais qualifié cela d’échec, car la référence est extrêmement mal faite. On fait référence à un endroit quelconque en Floride dont le site Web ne fonctionne même pas et on ne cite même pas comme il faut le titre et l’auteur du rapport. Pour parler franchement, j’ai trouvé cela un peu bâclé.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est formidable de pouvoir s’exprimer devant un comité comme celui-ci et préciser qu’un travail n’a pas été bien fait. Je vous remercie beaucoup tous les deux de vos contributions.

Le président : Le Sénat à la rescousse, encore une fois.

Le sénateur Quinn : J’aimerais faire un suivi sur la question, car les solutions de remplacement ou les combinaisons de solutions de remplacement proposées sont extrêmement intéressantes.

J’aimerais revenir sur le nouveau corridor lui-même. Je comprends très bien l’approche favorisant le relief plus élevé.

Lorsque vous avez examiné cette question, vous avez certainement dû prendre en compte le coût de cette approche. Vous parlez d’un nouveau tracé, d’un autre tracé qui utilise les routes existantes et qui est probablement élargi, etc. Vous avez dû produire une estimation pour que les gens puissent avoir une idée de l’ordre de grandeur et déterminer la solution à long terme et la solution la plus durable. Là encore, les gens se concentrent sur les coûts. Vous avez donc dû vous pencher sur la question. J’aimerais savoir quelles idées vous avez proposées.

M. Webster : Je crains de ne pas avoir examiné les coûts. Je suis un scientifique qui étudie les nouvelles techniques de cartographie, les risques potentiels et la vulnérabilité des lieux. Pour être honnête, dans le cadre des travaux que nous avons effectués en 2012 avec une enveloppe financière très limitée, nous avons simplement examiné la situation et calculé l’augmentation du niveau des eaux, et nous avons ensuite proposé des solutions possibles dans le rapport pour que d’autres personnes les examinent plus en détail.

En général, le coût de la construction d’une route n’est-il pas de l’ordre d’un million de dollars par kilomètre? Je me trompe peut-être lourdement. Je m’en excuse. Je n’ai pas fait d’analyse des coûts, mais je pense que les gens qui œuvrent dans le domaine de la construction des routes pourraient le faire assez rapidement.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie. Je présume qu’en fin de compte, quelle que soit la solution ou la combinaison de solutions choisie, y compris cette proposition, le calcul des coûts est très important, car il s’agit de savoir qui va payer.

M. Webster : Oui.

Le sénateur Quinn : C’est un élément qui devra être pris en considération, quel que soit le travail effectué. Je présume que le nouveau tracé devra également tenir compte du coût de la protection de certaines des zones que vous avez mentionnées, soit Amherst, Sackville, et Tantramar, ainsi que les câbles de fibre optique, etc.

Je comprends qu’il faille examiner cette option. Je souhaite seulement qu’au fil des travaux, les gens prennent en considération l’ensemble des coûts, afin qu’il y ait moins de surprises à l’avenir. Je vous remercie.

Le président : Madame van Proosdij et monsieur Webster, je vous remercie d’avoir comparu devant le comité et d’avoir répondu à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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