Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 31 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. La séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications est ouverte. Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président de ce comité.

J’invite mes collègues, à partir de ma gauche, à se présenter.

La sénatrice Simons : Paula Simons, territoire du Traité no 6, de l’Alberta.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, sénateur de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports en écoutant des chercheurs de partout au pays qui peuvent nous faire part de leur expertise.

Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons Ryan Ness, directeur de la recherche, Adaptation, Institut climatique du Canada; David Sauchyn, professeur et directeur, Prairie Adaptation Research Collaborative, Université de Regina; Sebastian Weissenberger, professeur en sciences de l’environnement, Université TÉLUQ; et Natalie Carter, responsable de l’engagement communautaire, StraightUpNorth, Université McMaster.

Bienvenue et merci de vous joindre à nous.

[Français]

Chaque témoin aura cinq minutes pour prononcer ses remarques d’ouverture et nous passerons ensuite à la période des questions.

[Traduction]

Nous allons commencer par Ryan Ness. Monsieur Ness, vous avez la parole.

Ryan Ness, Directeur, Adaptation, Institut climatique du Canada : Merci beaucoup, sénateur Housakos, de m’avoir invité à prendre la parole. Je m’appelle Ryan Ness. Je suis directeur de l’adaptation à l’Institut climatique du Canada, l’organisme indépendant de recherche sur les politiques climatiques du Canada. Nous produisons des recherches et des conseils à l’intention des principaux décideurs afin qu’ils puissent prendre des décisions stratégiques éclairées, et prendre des mesures proportionnelles à l’ampleur du défi que posent les changements climatiques pour le Canada, qu’il s’agisse de l’adaptation, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de la transition de notre économie.

L’Institut climatique du Canada a examiné bon nombre des répercussions et des coûts potentiels des changements climatiques sur l’infrastructure du Canada, ainsi que les avantages d’une adaptation proactive de cette infrastructure dans le cadre de notre série de recherches sur les coûts des changements climatiques pour le Canada, qui constitue l’étude la plus exhaustive à ce jour sur les répercussions économiques des changements climatiques pour le pays.

Aujourd’hui, je vais souligner les principales constatations et recommandations de notre étude qui, je l’espère, seront utiles au comité dans ses efforts visant à déterminer les régions et les éléments essentiels de l’infrastructure des transports et des communications au Canada qui sont les plus vulnérables aux changements climatiques, et qui peuvent le plus bénéficier des mesures d’adaptation.

Le premier point clé, c’est que l’infrastructure routière et ferroviaire du Canada est très vulnérable aux effets des changements climatiques qui se manifestent lentement. Bien que nous imaginions souvent que les changements climatiques causent des dommages catastrophiques aux routes, aux chemins de fer et aux ponts lors de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les inondations de 2021 en Colombie-Britannique, les effets plus lents et plus insidieux des changements climatiques peuvent avoir une incidence égale, voire plus importante, sur les infrastructures de transport.

Par exemple, notre analyse a révélé que l’usure des routes attribuable à des étés de plus en plus chauds et à des précipitations plus fréquentes tout au long de l’année dans une grande partie du pays pourrait faire augmenter les coûts d’entretien et de réparation des 2,8 millions de kilomètres de routes du Canada de 3,5 milliards de dollars par année d’ici 2050, et de près de 8 milliards de dollars par année d’ici 2080.

Le deuxième point important, c’est que les coûts des retards et des perturbations de l’infrastructure routière et ferroviaire, qui est moins fiable et qui est plus souvent hors service en raison de ces répercussions lentes, pourraient être du même ordre de grandeur que ceux associés au paiement des réparations causées par les changements climatiques. Notre analyse a montré que le coût du ralentissement des déplacements personnels et des retards du fret associés à la mise hors service ou au mauvais rendement des infrastructures routières et ferroviaires pourrait s’élever à 1 milliard de dollars par année d’ici 2050, et à 2 milliards de dollars par année d’ici 2080.

Heureusement, il existe des solutions d’adaptation simples qui peuvent prévenir et retarder les dommages à ces types d’infrastructure.

Notre analyse montre que les modifications relativement peu coûteuses apportées aux matériaux d’asphaltage des routes et à la conception des remblais de voirie, ainsi que des systèmes de surveillance de la température sur les chemins de fer permettant de déceler les risques de torsion des rails sous l’effet d’une forte chaleur, peuvent éliminer 75 à 98 % des coûts liés aux dommages et aux retards.

Un troisième résultat clé de notre recherche est que les habitants du Nord canadien sont de loin les plus touchés par les répercussions des changements climatiques sur l’infrastructure de transport. Les changements climatiques dans le Nord se produisent plus rapidement et ont un impact plus important que dans le reste du pays, et toutes les projections indiquent que cela continuera d’être le cas.

Notre modélisation suggère que la quasi-totalité du pergélisol sur lequel repose la plupart des infrastructures du Nord, y compris les routes praticables en toutes saisons, dégèlera d’ici la fin du siècle, ce qui nécessitera des réparations importantes, et souvent une reconstruction complète. Nous estimons que le coût pour les gouvernements territoriaux pourrait facilement doubler leurs dépenses annuelles actuelles pour les routes d’ici une ou deux décennies afin de rattraper le retard dans les travaux de réparation.

Les routes d’hiver, de neige et de glace, qui sont essentielles pour permettre aux communautés éloignées de se déplacer et d’importer des fournitures essentielles à des coûts de transport raisonnables, disparaissent rapidement. Nous estimons que plus de la moitié des routes d’hiver dans le Nord seront non viables d’ici 30 ans, et que la plupart des autres disparaîtront d’ici la fin du siècle.

Les aéroports, qui constituent un autre lien de transport essentiel pour les collectivités éloignées, font face non seulement à des pistes affaissées par le dégel du pergélisol, mais aussi à des conditions de vent changeantes et à des températures plus chaudes qui rendent l’air moins dense. Cela signifie que les avions pourront transporter moins de fret et de passagers qu’ils ne le font actuellement avec les infrastructures aéroportuaires et les longueurs de pistes actuelles.

L’adaptation de l’infrastructure de transport dans le Nord sera une entreprise difficile et coûteuse. Les améliorations graduelles apportées à la conception et aux matériaux qui peuvent prévenir les impacts sur les routes et les pistes du Sud ne protégeront pas cette infrastructure dans le Nord. Il faudra investir dans des infrastructures complètement nouvelles, parfois en passant à des types d’infrastructures et de systèmes entièrement nouveaux, comme les dirigeables actuellement mis à l’essai dans certaines régions du Nord, pour être en mesure de fournir aux collectivités du Nord les services de transport dont elles ont besoin.

Ces types d’investissements et de mesures sont nécessaires immédiatement. Les collectivités du Nord, et en particulier les communautés autochtones, ont déjà plus de difficulté à accéder aux services essentiels que les gens du Sud, et cet écart se creusera à mesure que les changements climatiques s’intensifieront dans le Nord.

J’espère que ces renseignements vous seront utiles. J’ai hâte d’entendre le témoignage des autres experts qui se joignent à nous ce matin, et de répondre aux questions qui suivront. J’ai terminé, sénateur Housakos.

Le président : Merci, monsieur Ness. Nous allons passer à M. Sauchyn.

David Sauchyn, professeur, directeur, Prairie Adaptation Research Collaborative, Université de Regina, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Merci de m’avoir invité à participer à ce groupe de témoins.

Je vais commencer par parler des codes nationaux et provinciaux du bâtiment pour la conception et la construction de structures techniques, comme le Code national du bâtiment du Canada et le Code canadien sur le calcul des ponts routiers. Ces codes précisent les variables de conception climatique, comme la plage de température et d’humidité, la quantité et l’intensité des précipitations, les pressions du vent et les charges de neige et de glace. Les changements climatiques modifient toutes ces variables. Par conséquent, la plupart de nos infrastructures publiques existantes ont été conçues à partir des données météorologiques d’un climat qui n’existe plus.

L’exposition et la vulnérabilité aux changements climatiques déterminent les risques physiques. J’aborderai la question de la vulnérabilité dans quelques minutes; cependant, l’expertise de mon centre de recherche est l’étude de la variabilité climatique, des changements climatiques et des phénomènes météorologiques extrêmes.

Ces trois échelles du temps et du climat représentent différents types de dangers, bien qu’elles soient interreliées. À mesure que le climat change, la variabilité et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes changent.

Après cette brève leçon de science climatique, examinons où et comment les systèmes de transport et de communication sont exposés aux dangers climatiques. Au Canada, une grande partie du réchauffement se produit en hiver. Bien que cela réduise notre exposition au froid extrême, les modèles climatiques indiquent que les hivers plus chauds seront plus longs et plus intenses. De plus, les précipitations hivernales entraîneront de plus en plus de pluie verglaçante. Les collectivités et les sites industriels du Nord canadien seront les plus désavantagés par la perte d’un hiver froid, comme l’a indiqué le témoin précédent.

Bien que ces changements climatiques lents aient des conséquences, les phénomènes météorologiques extrêmes ont des répercussions immédiates, comme le démontrent les inondations et les feux de forêt récents. Les pluies abondantes, les inondations et les vagues de chaleur peuvent endommager les infrastructures, ce qui entraîne des coûts d’entretien et de réparation plus élevés, et réduit la durée de vie. Elles peuvent également perturber les réseaux de transport et les chaînes d’approvisionnement, ce qui entraîne des retards, des annulations et des fermetures, ainsi qu’un risque accru d’accidents.

Je voudrais maintenant m’écarter du consensus d’opinion sur les répercussions climatiques au Canada, dont témoigne la Stratégie nationale d’adaptation et divers autres rapports sur les changements climatiques qui mentionnent les inondations, les tempêtes, l’élévation du niveau de la mer et les feux de forêt comme étant les principaux risques climatiques au Canada. Dans les Prairies, où je vis et travaille, le pire scénario n’est pas celui de ces risques, mais celui d’années successives de sécheresse dans un climat qui se réchauffe. Les Prairies sont la seule région du Canada où les réserves d’eau peuvent disparaître complètement. Ce scénario se déroule actuellement dans le Sud de l’Alberta, où les cours d’eau sont à sec, les réservoirs sont bas et les collectivités prennent des mesures préventives pour préserver leur approvisionnement en eau.

La municipalité de Pincher Creek, par exemple, a imposé des restrictions extrêmes en matière d’eau. En transportant de l’eau, elle espère éviter le stade critique où la consommation d’eau potable se limite à la boisson et à l’assainissement. Lorsque la consommation commerciale d’eau est limitée, l’utilisation de camions et de trains est détournée des produits industriels pour transporter de l’eau et des aliments pour le bétail, comme c’est le cas actuellement.

La sécheresse a d’autres répercussions. Les faibles niveaux d’eau peuvent nuire à l’intégrité des fondations des ponts et des barrages. Les feux de forêt sont le résultat de la sécheresse, et l’eau peut venir à manquer pour lutter contre les incendies. Dans le scénario extrême qui est envisagé, certaines structures pourraient être sacrifiées en l’absence d’eau.

Les chaînes d’approvisionnement sont perturbées lorsque les produits sont touchés par la sécheresse, en particulier dans le secteur agricole, mais aussi par des effets en cascade. Les tempêtes de poussière peuvent endommager l’équipement et affecter le fonctionnement des structures de communication. Les tempêtes de poussière ont causé de nombreux accidents de la route sur les routes des Prairies.

Lorsque les précipitations sont suffisantes, elles apaisent les sécheresses, mais elles sont parfois excessives. Ces risques combinés peuvent avoir un effet de coup de fouet cervical, et des répercussions plus graves que n’en ont, à elles seules, la sécheresse et les inondations.

J’ai mentionné que je parlerais brièvement de la vulnérabilité, l’autre terme de l’équation du risque climatique. Les réseaux de transport et de communication du Canada sont vulnérables parce qu’ils desservent une population dispersée sur un vaste territoire. Les provinces qui ont le plus de kilomètres de routes sont la Saskatchewan et l’Alberta, qui ont été arpentées en sections d’un mille carré, délimitées par des routes et des réserves routières. L’entretien et la réparation de ces routes relèvent des municipalités rurales, qui n’ont généralement pas les ressources nécessaires pour les entretenir. De plus, le manque ou l’absence de service Internet ou de téléphonie cellulaire accroît la vulnérabilité, étant donné le rôle essentiel de la communication dans les interventions d’urgence.

La divulgation des risques liés au climat devrait comprendre une évaluation de la dépendance à l’égard des transports et des communications. On peut s’attaquer aux coûts sociaux et financiers potentiellement énormes des changements climatiques en améliorant la résilience et l’efficacité des réseaux de communication et de transport. Les stratégies d’adaptation comprennent des innovations dans la conception des infrastructures et la mise au point de systèmes de transport plus efficaces qui peuvent résister aux effets des changements climatiques.

Les options de transport durables et à faibles émissions comprennent les véhicules électriques; toutefois, l’électrification des transports entraînera une augmentation de la demande d’énergie et des défis pour les infrastructures énergétiques. La production fiable d’énergie de base repose sur l’eau, directement ou comme agent de refroidissement, et est donc compromise par la sécheresse.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Sauchyn.

Je donne maintenant la parole à Natalie Carter. La parole est à vous.

Natalie Carter, Community Engagement Lead, StraightUpNorth, Université McMaster, à titre personnel : Merci. Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs et collègues. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je suis Natalie Carter, de Guelph, en Ontario, et je suis honorée de m’adresser à vous aujourd’hui.

En tant que non-Autochtone, je mène des recherches en sciences sociales en collaboration avec des membres de la communauté et des organisations dans l’Arctique canadien depuis 2016. Mon expertise consiste à tisser des méthodes scientifiques et des connaissances inuites pour élaborer des solutions réalisables qui répondent aux besoins des collectivités inuites et qui éclairent la prise de décisions du gouvernement.

Dans le cadre du projet de recherche Corridors de l’Arctique et voix du Nord — mon sujet d’aujourd’hui —, j’ai dirigé l’engagement avec les collectivités de l’Arctique, la méthodologie, la collecte de données, l’analyse et le partage des résultats. Notre objectif collectif était d’intégrer les connaissances, les préoccupations et les recommandations des Inuits dans la prise de décisions concernant l’augmentation du transport maritime dans l’Arctique canadien.

Premièrement, le problème tient au fait qu’en raison des changements climatiques, le trafic maritime augmente dans l’Arctique canadien, ce qui a une incidence négative sur la sécurité des déplacements, la sécurité alimentaire et les intérêts culturels des Inuits, et pose des risques pour l’environnement et la faune, ainsi que pour la sécurité du trafic maritime.

Deuxièmement, si la situation n’est pas gérée, elle aura probablement des répercussions importantes sur la sécurité des Inuits et des exploitants de navires, la sécurité alimentaire des Inuits et les dommages environnementaux dus aux accidents, et il sera très difficile d’y faire face compte tenu de l’éloignement de l’Arctique canadien.

Troisièmement, le cadre proposé par le gouvernement du Canada pour les couloirs de navigation à faible impact offre des possibilités de leadership partagé au moyen de mesures éclairées visant à réduire les répercussions négatives sur la sécurité des Inuits et des exploitants de navires, la faune, l’environnement et les zones de récolte des Inuits.

Le trafic maritime a plus que doublé dans l’Arctique canadien depuis 1990 et devrait s’intensifier à mesure que les changements climatiques rendent l’océan Arctique plus accessible. Environ 50 000 Canadiens, dont 47 000 Inuits, vivent dans des collectivités situées le long de l’océan Arctique. L’augmentation du transport maritime attribuable aux changements climatiques, et l’intérêt croissant de la communauté internationale pour la souveraineté dans l’Arctique, le tourisme et le commerce maritime inquiètent les collectivités inuites quant à l’impact des navires sur la chasse, la pêche et la cueillette sécuritaires, durables et de subsistance — des activités vitales pour le bien-être culturel, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire.

Les recherches que nous avons menées en partenariat avec 14 collectivités de l’Arctique ont permis de constater que les Inuits s’inquiètent du fait que les zones marines les plus importantes pour les activités de récolte, dont ils dépendent quotidiennement et toute l’année pour se nourrir et gagner leur vie, se trouvent au cœur du passage du Nord-Ouest, c’est-à-dire précisément dans les régions où le trafic maritime augmente. Nous avons démontré comment cette augmentation menace la capacité des Inuits de se déplacer en toute sécurité sur l’eau et la glace de mer pour avoir accès à des aliments sauvages, et nous avons démontré des risques comme la contamination causée par des accidents, la perturbation des déplacements des Inuits et la sécurité ainsi que le dérangement et la perturbation de la faune.

Le gouvernement du Canada élabore un réseau de couloirs de navigation pour appuyer la gouvernance de la navigation dans l’Arctique canadien tout en réduisant les répercussions du transport maritime dans des secteurs clés. L’objectif de cette initiative est d’établir des couloirs sécuritaires pour les navires tout en réduisant au minimum les effets de la navigation sur la faune, et en respectant les zones d’importance culturelle et écologique. Dans 14 collectivités de l’Arctique, nous avons répertorié des solutions et des recommandations concrètes formulées par les Inuits pour les couloirs de navigation.

Notre sondage auprès des organisations inuites et des représentants des organismes fédéraux et de l’industrie a montré que le cadre des corridors a un fort potentiel pour ce qui est de réduire les répercussions négatives et les risques du trafic maritime dans l’Arctique, ainsi que de valoriser et utiliser les connaissances inuites pour appuyer les décisions sur l’emplacement et la gouvernance des corridors.

En résumé, l’augmentation du transport maritime a une incidence négative sur la sécurité du trafic maritime, la sécurité des déplacements des Inuits et les intérêts culturels, et pose des risques pour l’environnement et la faune. Si elle n’est pas gérée, il est probable qu’elle aura des répercussions importantes sur la sécurité personnelle des Canadiens, la sécurité alimentaire des Inuits et les dommages environnementaux causés par les accidents, et il sera très difficile d’y faire face.

Le cadre proposé par le gouvernement du Canada pour les couloirs de navigation à faible impact offre des possibilités de leadership partagé et d’amélioration de la sécurité pour les collectivités inuites, les exploitants de navires, la faune et l’environnement.

Je vous remercie, honorables sénateurs, de votre attention et de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui, et je remercie également les personnes qui ont facilité la tenue de cette réunion.

Le président : Merci, madame Carter.

[Français]

Je cède maintenant la parole au professeur Weissenberger.

Sebastian Weissenberger, professeur en sciences de l’environnement, Université TÉLUQ, à titre personnel : Merci au comité de m’avoir invité. Je m’appelle Sebastian Weissenberger et je suis professeur en sciences de l’environnement à l’Université TÉLUQ. Je vais parler aujourd’hui du Québec et du Nouveau-Brunswick en particulier, car mes travaux de recherche se déroulent principalement dans ces provinces. De plus, étant donné que la plupart des communautés avec lesquelles je travaille sont francophones, je ferai ma présentation en français, mais je serai heureux de répondre à des questions en anglais par la suite.

Mes sujets de recherche portent sur la vulnérabilité et l’adaptation aux changements climatiques, en particulier dans les zones côtières et les zones inondables.

Les principaux aléas qui affectent les infrastructures de transport dans ces zones sont l’érosion et la submersion — ou les inondations qui sont plus ou moins des termes équivalents.

Ces aléas sont affectés de plusieurs manières par les changements climatiques. Premièrement, on s’attend à des tempêtes plus importantes, pas nécessairement plus fréquentes, mais de plus grande ampleur. On observe déjà des changements dans les conditions hivernales, comme l’absence de glace de mer pendant l’hiver, qui expose les côtes aux impacts des tempêtes, ou encore les épisodes de gel et de redoux plus fréquents en hiver, qui augmentent la gélifracture et l’érosion des côtes et des falaises meubles.

De plus, évidemment, on observe l’augmentation du niveau de la mer. Jusqu’à maintenant, le niveau de la mer a augmenté d’environ 20 centimètres. Selon les prévisions du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, on s’attendrait à une augmentation supplémentaire de 38 à 77 centimètres d’ici la fin du siècle. Il faut cependant considérer que l’accélération de la fonte des grandes calottes du Groenland et de l’Antarctique n’est pas encore prise en compte dans ce chiffre, qui pourrait donc être plus important. Il faut aussi être conscient du fait que l’augmentation du niveau de la mer se poursuivra pendant plusieurs siècles, voire des millénaires, et atteindra plusieurs mètres durant cette période. Il s’agit donc d’un problème à très long terme.

Certaines caractéristiques du Québec et du Nouveau-Brunswick les rendent donc particulièrement vulnérables aux impacts des changements climatiques, puisqu’une grande proportion de la population et des infrastructures sont situées près de la côte ou dans des vallées fluviales inondables. Les routes et les voies ferrées sont souvent au bord de l’eau ou dans des zones inondables. On peut penser à la route 132 en Gaspésie, à la route 138 sur la Côte-Nord, à la route 113 dans la Péninsule acadienne, ou encore à la route 114, qui longe la baie de Fundy, et à la route 119, dans les îles de la Madeleine. Dans tous ces cas, les routes sont souvent inondées, endommagées ou doivent être réparées. De plus, les communications sont souvent interrompues, ce qui cause beaucoup de désagréments, de retards et des coûts importants pour les pouvoirs publics et qui affecte les communautés de manière très prononcée.

Il y a une autre particularité : il existe souvent très peu de routes de contournement pour la population. Donc, dès qu’une route est coupée, cela cause des retards très importants pour les gens et cela pose également des problèmes pour les services d’urgence, qui ne peuvent pas se rendre à des endroits où ils doivent être dans des délais raisonnables. Cela peut même mener à des situations comme celle que l’on a vue dans la vallée de la Saint-Jean lors des inondations du printemps de 2018, quand des communautés isolées ont dû être évacuées par la Garde côtière canadienne, car il n’y avait plus moyen d’y arriver par voie terrestre. Il y a toutes sortes d’enjeux très importants qui se poseront de plus en plus.

Ensuite, il y a le problème de certaines infrastructures critiques qui peuvent être inaccessibles en cas d’inondation. Je pense notamment à l’hôpital de Fredericton et à certains bâtiments gouvernementaux qui ne sont pas accessibles en période d’inondation, notamment parce que les bretelles d’accès aux ponts sont elles-mêmes inondées; on ne peut donc plus circuler ni traverser les ponts. Il y a d’autres exemples, comme le poste de pompiers de Moncton, qui est situé dans une zone inondable; son centre de commandement doit être déplacé en cas d’inondation. Bon nombre d’infrastructures ne sont pas nécessairement elles-mêmes inondées, mais deviennent inaccessibles lorsque les voies de communication sont coupées.

De plus, il y a certaines grandes voies de transport comme la route Transcanadienne et la ligne de train l’Océan de VIA Rail qui, dans le Sud du Nouveau-Brunswick, notamment dans la vallée de la Saint-Jean ou dans les marais de Tantramar, se trouvent dans des zones inondables et sont régulièrement interrompues. On parle là d’infrastructures de transport absolument critiques pour toutes les Maritimes.

Comment les communautés et les municipalités s’adaptent‑elles? Il y a beaucoup de solutions d’adaptation : on peut penser à des protections artificielles, à des protections naturelles et à une meilleure planification du territoire, évidemment. Il y a aussi la mise à niveau des infrastructures, en particulier les infrastructures de transport. Mentionnons deux exemples à cet égard : la Ville de Fredericton a mis en œuvre le mainstreaming — il n’y a pas de terme francophone équivalent — des changements climatiques dans la réfection et l’entretien des infrastructures, c’est-à-dire que, chaque fois qu’on fait l’entretien de l’infrastructure, on la met à niveau par rapport aux changements climatiques attendus, selon les modèles climatiques et les cartes historiques d’inondation que la ville a établies.

À plus petite échelle, Pointe-du-Chêne, une petite municipalité située sur le littoral acadien, était régulièrement coupée du continent lors d’inondations et de tempêtes. À la suite d’un projet de recherche mené par Omer Chouinard, de l’Université de Moncton, la municipalité a déterminé que le rehaussement du pont serait une priorité d’adaptation et a réussi à obtenir un financement du ministère des Transports pour rehausser ce pont d’un ou deux mètres. Tout de suite après sa construction, en 2010, lors d’une grande tempête qui a atteint des niveaux records, le pont n’a pas été inondé. On a constaté que cet investissement s’est tout de suite avéré très payant pour la communauté.

Il reste que, de manière générale, ce que l’on entend dans tous les projets de recherche que l’on mène, c’est que l’impact des changements climatiques sur les routes et les infrastructures de transport demeure un grand défi pour les municipalités et les communautés dans les deux provinces que j’ai nommées, mais on peut étendre ce phénomène à d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Il s’agit donc d’un problème à l’échelle du Canada.

Sur ce, je vous remercie.

Le président : Merci, professeur Weissenberger. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

[Traduction]

Le sénateur Quinn : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Ce sont des témoignages très intéressants.

Je vais poser deux questions. Ma première question porte sur l’Arctique. Ma deuxième question, que je vais vous poser en premier, mais à laquelle je vous demande de réfléchir, est la suivante : monsieur Weissenberger, vous savez probablement que nous avons étudié l’isthme de Chignecto en tant que l’un des endroits vulnérables au Canada — et même dans le monde. J’aimerais que les autres témoins nous donnent des exemples précis. J’y reviendrai. Ma première question porte sur l’Arctique.

Madame Carter, vous avez livré un témoignage convaincant — effrayant, dirais-je même — au sujet des voies de navigation, de la fréquence accrue des navires qui transitent par ces zones, du manque de préparation et de la difficulté d’accéder à ces zones en cas d’incident. Ma question, en fait, est la suivante : pour ce qui est de la souveraineté et de ce genre de choses, n’est-ce pas le moment de recommander que les décideurs se livrent à un examen très approfondi de cette question et se penchent sur le régime de réglementation qui devrait être mis en place? Je pense, par exemple, à des systèmes de rapport des navires comme ceux que nous avons sur les côtes Est et Ouest, et aussi aux types de cargaisons qui peuvent être transportées par là — avec les escortes appropriées — et à des choses de cette nature.

N’est-ce pas le moment? Si nous attendons, à mesure que la navigation augmente, nous augmentons le risque d’incidents. Il s’agit vraiment du travail préparatoire qui doit être fait, et ce, dès maintenant. Je cherche plus ou moins une recommandation dont nous pourrions faire rapport.

Ma question s’adresse à Mme Carter et aux autres témoins.

Le président : Madame Carter, vous pourriez peut-être commencer, et les autres témoins pourront intervenir comme bon leur semblera.

Mme Carter : Oui, avec plaisir. Je vous remercie de votre question, sénateur Quinn.

Absolument, le moment est venu. Nous avons certainement constaté que le trafic maritime augmente, mais qu’il n’est pas aussi élevé que, par exemple — comme vous l’avez dit — sur les autres côtes du Canada. C’est donc un excellent moment pour que les décideurs examinent ces régimes de réglementation et de rapport, et examinent les types de cargaisons qui transitent par là.

Si j’ai bien compris, le cadre des corridors de navigation à faible impact vise notamment à fournir des cartes et des renseignements météorologiques améliorés, et à rendre ces routes plus sécuritaires pour les navires. L’idée — à ma connaissance, puisque je ne travaille pas pour le gouvernement fédéral — est que ces corridors soient facultatifs et qu’ils fassent l’objet d’incitatifs. L’intention n’est pas de les rendre obligatoires ou de les soumettre à une réglementation. Il existe, bien sûr, d’autres réglementations pour les types de navires qui peuvent naviguer dans l’Arctique et ce genre de choses.

Le moment est certainement venu de vraiment faire avancer les choses afin d’être prêts, et d’inclure de façon significative les Inuits et les habitants du Nord qui vivent dans ces régions vu leur contribution et leur connaissance de ces régions.

Le sénateur Quinn : Je suis d’accord. S’il s’agit d’un système facultatif, cela me fait penser à d’autres régions du monde où il y a des voies navigables internationales sur lesquelles un pays a imposé des exigences obligatoires. Ce que nous craignons, je crois, c’est que nous soyons incapables d’appliquer des régimes de réglementation dans certaines de nos voies navigables, particulièrement dans le Nord. Si ce n’est pas obligatoire — si vous le faites volontairement, tant mieux, mais cela ne règle pas vraiment les risques qui se présenteront. Êtes‑vous d’accord?

Mme Carter : Oui, je crois que nos participants à la recherche ont estimé que le fait que les navires ne soient pas obligés d’emprunter ces corridors une fois qu’ils sont aménagés constitue une faiblesse de cette stratégie.

Le sénateur Quinn : L’autre question, si vous me permettez d’y revenir, est la suivante : puisque nous cherchons la possibilité d’examiner des cas précis, les témoins voient-ils des domaines qui, selon eux, sont très à risque et que nous devrions examiner dans le cadre de nos petites études microscopiques comme celle que nous venons de faire sur l’isthme de Chignecto? Je me demande si nous pourrions avoir votre point de vue à ce sujet, vos conseils.

Mme Carter : Merci. Absolument. Il y a des zones vulnérables, et dans le cadre de nos recherches, en collaboration avec les 14 communautés, nous avons cartographié ces zones — des zones marines culturellement significatives qui sont très importantes et vulnérables. De plus, nous avons formulé des recommandations pour les zones clés à éviter dans les corridors, pour restreindre la navigation, pour modifier les navires, pour les endroits où il faut établir des cartes et pour les corridors préférés. Je serais heureuse de vous faire part des renseignements concernant ces endroits.

Le sénateur Quinn : C’est très bien. Merci. Pour ce qui est des autres témoins, j’aimerais que vous nous indiquiez rapidement les domaines prioritaires en vous fondant sur votre expertise.

M. Weissenberger : Oui, la Gaspésie figure parmi les régions que j’ai mentionnées dans mon exposé, parce qu’elle est largement tributaire d’une route qui fait le tour de la péninsule et de très peu d’autres routes à l’intérieur. Donc, lorsque cette route est coupée, les collectivités sont isolées, parfois pendant plusieurs jours. Bien sûr, vous avez mentionné l’isthme de Chignecto, qui, nous le savons, possède beaucoup d’infrastructures de transport essentielles — les chemins de fer et la Transcanadienne. En 1869, pendant la tempête Saxby Gale, la Nouvelle-Écosse est devenue temporairement une île, et c’est quelque chose qui pourrait se produire de nouveau plus fréquemment à l’avenir. Il y a donc certainement lieu de réfléchir à la façon d’entretenir ces éléments essentiels de l’infrastructure.

Le sénateur Quinn : Pour ce qui est des autres témoins, j’aimerais que vous précisiez un aspect qui vous préoccupe particulièrement.

M. Sauchyn : Oui, comme je l’ai mentionné, les collectivités les plus vulnérables se trouvent dans le Nord et dans les Prairies, en particulier dans le Nord du Manitoba. Les communautés autochtones éloignées dépendent d’un hiver froid — et nous perdons nos hivers froids — parce qu’une grande partie du transport se fait en hiver, lorsqu’il est beaucoup plus facile de déplacer, particulièrement de grands volumes de marchandises, ou qu’il est plus facile de les transporter sur les lacs gelés, la toundra gelée et les tourbières glacées.

M. Ness : Je suis d’accord avec M. Sauchyn. Il y a un certain nombre de collectivités éloignées dans le Nord, que nous même et d’autres pouvons vous aider à recenser, qui dépendent de routes d’hiver ou d’une seule route toutes saisons — habituellement des routes de gravier qui sont menacées par le dégel du pergélisol — qui n’ont qu’une seule voie d’entrée et une seule voie de sortie. Je serais heureux de vous aider à en dresser la liste hors ligne.

Le sénateur Quinn : Ou si vous pouviez envoyer cela au greffier, ce serait également utile. Merci.

La sénatrice Simons : Je vais intervenir à deux titres, en quelque sorte, parce que je suis en train de conclure une enquête du Sénat sur les relations municipales-fédérales, et j’ai été très frappée par ce que M. Weissenberger et M. Sauchyn ont dit au sujet du fait qu’une grande partie de cette infrastructure est sous la responsabilité des municipalités. La description des routes en Alberta et en Saskatchewan est particulièrement pertinente parce qu’elles ont été transférées à des municipalités rurales qui n’ont peut-être pas les ressources nécessaires pour faire le travail d’atténuation des changements climatiques. Comment pensez‑vous que les administrations municipales et le gouvernement fédéral devraient travailler ensemble, parfois en l’absence de coopération de la part de la province, pour s’assurer que l’infrastructure n’est pas abandonnée — qu’il s’agisse des digues en Colombie-Britannique, des routes en Saskatchewan ou des réseaux routiers en Gaspésie — dans le cas des municipalités qui n’ont pas les ressources nécessaires pour faire cet entretien?

M. Sauchyn : Eh bien, c’est probablement une question de politique à laquelle je ne suis pas sûr de pouvoir répondre avec l’expertise nécessaire, car il incombe en grande partie aux gouvernements provinciaux de soutenir les municipalités rurales, en particulier celles qui manquent de ressources...

La sénatrice Simons : Oui. Je sais que vous venez de l’Alberta et que vous savez pourquoi je ris.

M. Sauchyn : En fait, je suis en Saskatchewan.

La sénatrice Simons : Mais vous êtes de l’Alberta, et je considère donc que vous êtes des nôtres.

M. Sauchyn : C’est exact. C’est un problème critique. Je ne sais pas si vous avez déjà participé à une réunion des contribuables ou à une petite assemblée publique dans une petite collectivité des Prairies. On m’invite à parler des changements climatiques, mais la discussion porte sur les ponceaux, les ponts et les bandes routières. Les municipalités ont vraiment de la difficulté à entretenir le réseau routier, qui est tellement vaste.

M. Weissenberger : J’ai probablement trop simplifié mon bref exposé parce que, de toute évidence, certaines routes relèvent des provinces, d’autres des municipalités, d’autres du gouvernement fédéral, et certaines relèvent même du secteur privé, si vous parlez des voies ferrées, ce qui est une question complexe. Mais de façon générale, l’adaptation dépend vraiment des collectivités et des municipalités qui en font les frais. Cependant, les zones côtières relèvent surtout de la compétence provinciale.

L’une des choses que nous constatons dans les projets de recherche, c’est que les participants aimeraient avoir une approche plus intégrée de l’adaptation aux changements climatiques qui rassemblerait les différents ordres de gouvernement et les différents ministères. Le ministère des Transports se penche sur les ponceaux et sur certaines questions techniques, mais toute la question des routes est de savoir où elles mènent et pourquoi les gens en ont besoin, et c’est de cette façon que nous aménageons nos territoires, surtout ceux qui sont vulnérables aux changements climatiques. Il est donc clair que nous avons besoin d’une vision plus large et plus globale de ces questions, et d’une stratégie à long terme, qui ne consiste pas seulement à réparer les choses une fois qu’elles sont cassées, mais à vraiment réfléchir 10, 20 ou 30 ans à l’avance.

La sénatrice Simons : Monsieur Ness, je suis également vice-présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Nous faisons une étude du sol et nous avons entendu des témoins qui sont des experts du pergélisol. Ils m’ont glacé le sang en soulignant que le pergélisol est un énorme puits de carbone, et qu’une fois qu’il aura fondu, la quantité de carbone qui sera libérée aura un effet catastrophique sur les changements climatiques. Je ne sais pas si vous avez le même point de vue, parce que nous parlons ici des inconvénients causés par les trous dans les pistes ou par l’effondrement des routes. Quel serait l’impact sur les changements climatiques en général, à votre avis, si le pergélisol fondait vraiment d’ici la fin du siècle?

M. Ness : Ce n’est pas précisément mon domaine d’expertise, mais je crois comprendre qu’il y a un risque, comme vous l’avez dit, d’un rejet massif de carbone stocké pendant le dégel du pergélisol au Canada et, comme je l’ai dit, notre modélisation et d’autres laissent entendre que pratiquement tout le pergélisol au Canada disparaîtra d’ici un siècle.

La quantité de carbone qui sera libérée est encore très incertaine, mais la possibilité que cela contribue de façon importante aux changements climatiques mondiaux est réelle. Il ne faut toutefois pas sous-estimer l’importance que cela a pour le Nord et pour les habitants du Nord. Des collectivités et des systèmes d’infrastructure entiers sont construits sur ce qui était auparavant un sol gelé relativement stable. Toute cette infrastructure — les égouts, les réseaux d’aqueduc, les routes, les ponts, les bâtiments — qui est construite sur ces fondations ne sera plus stable et, dans la plupart des cas, ne pourra pas être sauvée et devra être complètement reconstruite, déplacée ou remplacée par un autre type d’infrastructure. Comme je l’ai dit, ce sera un fardeau énorme pour les collectivités et les gouvernements du Nord.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout cela est plutôt déprimant. Ma première question sera assez terre à terre et s’adresse à M. Weissenberger et à M. Ness. Qu’est-ce qu’on peut faire face à tout cela? Vous avez parlé d’asphalte, ce qui me semble une solution à moindre coût plutôt que de changer toute une route. Est-ce qu’il y a déjà des endroits au Canada où l’on utilise un type d’asphalte qui peut mieux résister à l’eau, j’imagine, ou aux grandes tempêtes? Est-ce qu’on fait déjà de la prévention en ce sens?

Si on ne peut plus avoir de routes sur le pergélisol et si c’est difficile pour la circulation aérienne, est-ce que cela veut dire — et je crois que c’est déjà ce qui est en train de se produire — que tout devra passer par la voie navigable? Est-ce la seule façon dont on pourra se ravitailler dans le Nord? Il y a des communautés nordiques qui n’ont pas d’accès à l’eau non plus et qui seront coincées.

Commençons par l’asphalte.

M. Weissenberger : Merci, sénatrice. C’est une très bonne question à laquelle je n’ai pas de réponse. Je vais essayer de m’informer pour savoir s’il y a des types d’asphalte qui résistent mieux aux inondations, parce qu’en effet, on voit souvent des routes très endommagées physiquement. C’est souvent aussi le fait de l’érosion du substrat en dessous de la route, donc les falaises meubles. C’est un problème. Il y a des routes au Nouveau-Brunswick, par exemple, qui ont dû être entièrement déplacées à cause de l’érosion côtière. Évidemment, seulement changer l’asphalte ne réglera pas ce problème. Je vais voir si cela existe. Merci beaucoup de la question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Ness?

M. Ness : Merci de votre question. Je vais y répondre en anglais.

[Traduction]

Il y a des petits exemples de municipalités qui anticipent les conditions climatiques futures et les intègrent dans leurs programmes d’entretien des routes, comme l’a souligné M. Sauchyn. Je crois qu’une grande partie du défi consiste à veiller à ce que les codes et les normes du bâtiment tiennent compte du fait que le climat est en train de changer. Il faut aussi inviter les propriétaires et les exploitants d’infrastructures, comme les municipalités et d’autres qui construisent et exploitent des routes, à anticiper les conditions de l’avenir et à investir, dans certains cas juste un peu plus, dans l’entretien et les rénovations qui ont lieu régulièrement, afin que ce qui est construit puisse résister au climat d’ici 10, 20 ou 30 ans, et que la route continue d’être là et de subir ces conditions.

Comme le témoin précédent l’a mentionné, pour les répercussions catastrophiques comme les inondations, il y a relativement peu de choses qu’on peut faire pour construire des routes qui résisteront à l’érosion côtière ou aux inondations majeures. Mais pour ce qui est des changements qui commencent lentement et qui grugent notre infrastructure, il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Weissenberger, est-ce que la seule solution serait d’utiliser des routes de contournement? Quand on connaît la lenteur avec laquelle les routes sont construites — en Gaspésie, par exemple, je pense à la 20, qui s’étire toujours un peu —, est-ce que des routes de contournement devraient être envisagées dès maintenant? En effet, ce n’est pas une fois qu’on sera face à une situation de climat catastrophique qu’on devra se mettre à construire des routes. Ou alors, est-on dans une situation impossible?

M. Weissenberger : Les deux options, comme vous le dites, sont la stabilisation des routes existantes ou la construction de routes plus dans l’arrière-pays, donc dans des zones moins exposées. Cela pourrait dépanner la population. On pourrait aussi développer d’autres modes de transport, mais il faudrait penser à ce que pourraient être ces autres modes de transport. En effet, ce sont des investissements qui sont quand même assez lourds.

En matière d’infrastructures, construire ou déplacer des routes vient avec des coûts pour les pouvoirs publics. On pourrait également essayer de rendre les populations plus autonomes durant les moments de crise, en réduisant l’impact d’être coupé des voies de transport pendant deux, trois ou quatre jours; si les communautés éloignées sont plus autonomes, l’impact sera moindre. Le fait d’agir sur les communautés plutôt que sur les infrastructures en elles-mêmes serait une autre solution.

La sénatrice Miville-Dechêne : Les gens devraient se procurer d’immenses réfrigérateurs.

M. Weissenberger : Des réfrigérateurs et des batteries électriques qui durent plusieurs jours, parce que souvent, le problème pour les communautés un peu plus isolées, c’est l’absence d’électricité pendant quelques jours, l’absence d’eau potable et de denrées essentielles. Plusieurs maires nous ont dit que ce serait des solutions qu’ils aimeraient voir mises en place, afin que leurs communautés soient résilientes face à ce genre d’événement. Je sais qu’on ne parle pas des infrastructures électriques, mais c’est un peu le même problème.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de comparaître aujourd’hui.

J’aimerais revenir sur les observations de M. Sauchyn au sujet des routes d’hiver. Les routes d’hiver sont des routes saisonnières qui ne sont utilisables que pendant l’hiver, et qui traversent souvent des plans d’eau gelés. Je viens du Manitoba, et nous avons environ 22 routes d’hiver qui se rendent dans les communautés autochtones, les communautés des Premières Nations et les collectivités éloignées du Nord du Manitoba. La saison des routes d’hiver est habituellement de janvier à mars, mais cette saison est de plus en plus courte depuis quelques années. Les routes d’hiver sont essentielles pour que certaines de ces collectivités puissent transporter des marchandises et des fournitures, et pour que les résidents puissent sortir de la province.

Monsieur Sauchyn, je vais commencer par vous, puis je donnerai la parole aux autres témoins. Pour ce qui est de ces communautés, pouvez-vous nous parler davantage des mesures d’adaptation actuellement en place et suggérer d’autres mesures d’adaptation qui devraient être envisagées?

M. Sauchyn : Sénatrice, vous avez très bien cerné le problème, qui est particulièrement aigu dans le Nord du Manitoba. La principale stratégie d’adaptation consiste à construire des routes toutes saisons, ce qui, bien sûr, est difficile et coûteux parce qu’elles doivent s’étendre sur de longues distances. Mais c’est la solution ultime. À court terme, la dépendance à l’égard de l’avion est beaucoup plus forte pour le transport des marchandises et des personnes. Bien sûr, c’est un problème critique si les gens ont besoin de soins médicaux en hiver et ne peuvent pas avoir accès à des soins de santé adéquats ou nécessaires parce qu’ils sont isolés.

Je me suis rendu dans la forêt du Nord et j’ai parlé aux Autochtones, qui préfèrent de loin l’hiver, même si le reste des Canadiens détestent l’hiver. Ils aiment vraiment l’hiver parce que c’est une saison où ils peuvent se déplacer facilement.

La sénatrice Osler : Monsieur Sauchyn, certaines collectivités dépendent des routes de glace, et de l’existence de ces vastes étendues glacées. Je me demande si vous pouvez nous dire quelle est la meilleure façon de s’occuper de ces collectivités.

M. Sauchyn : Eh bien, dans le cas des routes toutes saisons, il faut des ponts, bien sûr, ce qui augmente les dépenses. Donc, quand on parle de routes d’hiver, elles sont, en grande partie, construites pour traverser des grands lacs et des zones humides, des tourbières et des marais, qui ne peuvent pas être traversés le reste de l’année. Comme je l’ai dit, la solution est de construire des routes toutes saisons ce qui, dans une large mesure, nécessiterait des ponts et beaucoup de remblai pour élever les routes au-dessus du sol humide.

Le président : Quelqu’un d’autre a-t-il quelque chose à dire à ce sujet? Madame Carter?

Mme Carter : Merci.

Oui, pour revenir sur l’idée de rendre les collectivités plus autonomes et sur les mesures d’adaptation qui sont en place et qui sont envisagées, les collectivités de l’Arctique effectuent leur propre surveillance des conditions locales, de l’état des glaces, et elles installent des stations de prévisions météorologiques. Dans le cadre de la recherche sur laquelle je travaille actuellement, nous avons cerné un certain nombre de besoins en infrastructures qui les aideront à devenir plus autonomes, à se déplacer en toute sécurité et à récolter pendant les périodes où elles sont coupées du monde et à tout autre moment. Il s’agit notamment de fournir plus d’information sur les marées, d’augmenter le nombre de stations météorologiques, de créer des produits de prévision faciles à interpréter, d’augmenter le nombre de répéteurs VHF et de tours de téléphonie cellulaire afin de communiquer à l’extérieur du service cellulaire, de fournir davantage d’informations météorologiques en temps réel, de disposer d’un Internet plus rapide et plus abordable et de prévisions à court terme plus précises, ainsi que de simplifier l’utilisation des cartes des glaces et des images satellites.

Grâce à cela, ces communautés pourraient être autonomes, sortir et se déplacer en toute sécurité pour récolter leurs propres aliments et matériaux nécessaires à leur subsistance, et ne pas dépendre à tout moment, mais surtout en situation d’urgence, de beaucoup de produits venant du Sud, de l’extérieur de la communauté.

La sénatrice Osler : Merci.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.

Je suis membre du Comité sénatorial de la défense nationale, et nous avons récemment étudié la sécurité dans l’Arctique et un certain nombre de faits nouveaux qui s’y sont produits. Bien entendu, le Canada est en train de sortir des quais d’Irving plusieurs navires prêts pour l’Arctique pour lesquels nous avons conclu un contrat. Un contrat est sur le point d’être attribué pour des sous-marins que le Canada achètera, alors on s’attend à une intensification des activités sous-marines, sans parler des activités sous-marines étrangères. Lors de notre voyage dans le Nord, nous avons appris que les activités de la Garde côtière sont beaucoup plus nombreuses. De façon générale, tout cela relève de la sécurité nationale.

Madame Carter, comment tenez-vous compte de ces développements dans votre analyse des couloirs de navigation? À votre avis, comment tous ces éléments s’articulent-ils les uns avec les autres? Il est évident que l’Arctique s’ouvre de bien des façons, et je me demande si vous avez réfléchi à ce genre de développements et à la façon dont ils s’intègrent dans le travail que vous effectuez. Merci.

Mme Carter : Je vous remercie de cette question, sénatrice Dasko. Oui, absolument, la question de la sécurité et de la souveraineté est souvent soulevée dans nos discussions avec les Inuits et avec d’autres représentants du transport maritime. Il est certain qu’avec le concept des couloirs de navigation à faible impact, le fait d’avoir ces lignes sur une carte aide à indiquer que cela relève de la compétence canadienne. Cela envoie un message à cet égard.

Il est certain que les membres des communautés nous font part de leurs préoccupations concernant le transport maritime, le fait de ne pas savoir qui navigue dans leurs eaux, pour quelle raison, ou ce qui se passe. Nous savons que, même pendant les périodes d’interdiction, un petit bateau est passé par le passage du Nord-Ouest. Ils disent avoir vu des sous-marins. Les programmes des Rangers canadiens et des Gardiens sont certainement très actifs, de même que la Garde côtière auxiliaire canadienne. Les Inuits disent souvent être « Canadiens d’abord et premiers Canadiens ». Ils s’investissent beaucoup pour être les yeux et les oreilles de ce qui se passe dans leurs zones marines.

Le président : Quelqu’un d’autre veut-il intervenir à ce sujet? Sénatrice Dasko, avez-vous d’autres questions?

La sénatrice Dasko : Non.

Le sénateur Cardozo : Merci à tous les témoins qui ont comparu devant nous.

Monsieur Weissenberger, j’ai quelques questions au sujet de deux situations différentes au Québec. Premièrement, comme vous l’avez mentionné, la route qui fait le tour de la péninsule gaspésienne a été coupée de temps à autre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont cela s’est produit? Est-ce parce que la route est près du niveau de l’eau, ou y a-t-il eu d’autres problèmes dans cette région?

Je pense aussi à l’autoroute 40 qui va jusqu’à Montréal, aux abords du lac des Deux-Montagnes. Sur une carte, ici, sur l’île aux Tourtes, juste à l’ouest du pont, il y a un tronçon d’environ un kilomètre qui se trouve près du niveau de l’eau. Il y a quelques années, lorsque le niveau d’eau était élevé, la route était seulement protégée par un tas de sacs de sable. C’est une grande autoroute qui va jusqu’à Montréal.

Qui a la responsabilité de s’occuper de ce tronçon de route?

M. Weissenberger : Pour ce qui est de votre deuxième question, je ne sais pas. Je vais faire des recherches. Je suppose que c’est le gouvernement provincial, puisqu’il s’agit d’une importante infrastructure de transport, mais je vais me renseigner.

Le sénateur Cardozo : C’est la route transcanadienne.

M. Weissenberger : C’est peut-être aussi du ressort du gouvernement fédéral. Je ne sais pas. C’est une très bonne question. Je vais essayer de l’inclure dans un mémoire si je peux trouver l’information.

Le sénateur Cardozo : Merci.

M. Weissenberger : Pour ce qui est de la Gaspésie, la route qui la dessert, comme beaucoup de routes côtières, se trouve souvent très près de l’eau, donc elle peut être inondée. Par suite de vents violents, il peut y avoir des débris comme des arbres, des branches, etc. Il peut y avoir des glissements de terrain qui amènent des débris sur les routes, et parfois même des vagues fortes qui peuvent causer une érosion rapide, certaines routes se retrouvant littéralement sous l’eau. Cette route peut devenir impraticable pour bien des raisons, certains des dégâts étant plus faciles à réparer que d’autres. Le nettoyage des débris se fait habituellement en une journée ou deux, mais d’autres dommages peuvent être beaucoup plus longs à réparer.

Le sénateur Cardozo : Oui, j’imagine que certains dégâts sont plus difficiles à réparer, ce qui voudrait dire que certains villages ou certaines villes pourraient être inaccessibles pendant un certain temps.

M. Weissenberger : Oui, ou difficiles d’accès lorsque la route est réduite à une voie que certains camions lourds ne peuvent emprunter, ce qui pourrait entraîner des problèmes de fourniture de biens et de services à ces villages. Il y a des routes de contournement, mais elles représentent de nombreuses heures de détour.

Le sénateur Cardozo : Mon autre question s’adresse à Mme Carter et concerne le Grand Nord, l’Arctique. Vous avez parlé d’un grand nombre des facteurs d’atténuation que vous examinez, mais je me demande jusqu’à quel point nous devons continuer à prendre des mesures d’atténuation et quel est le moment où les changements climatiques et le réchauffement de la planète sont si importants dans une région qu’il devient impossible de corriger la situation.

Mme Carter : C’est une question très complexe qui, à certains égards, dépasse mon champ d’expertise. Je dirais que ce que j’ai appris au cours de mes sept dernières années d’apprentissage et de travail auprès des Inuits, c’est qu’ils ont une capacité incroyablement grande à s’adapter, et ce, depuis 4 000 ans. S’ils disposent des infrastructures nécessaires pour recevoir de l’information, se déplacer de façon sécuritaire et communiquer quand ils en ont besoin, je crois fermement qu’ils continueront de s’adapter dans la plus large mesure possible à ce climat changeant.

Le sénateur Cardozo : D’accord. Merci.

Mme Carter : Merci.

Le président : Au nom des membres du comité, j’aimerais remercier tous nos témoins d’avoir comparu devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir John Gradek, chargé d’enseignement à l’École d’éducation permanente de l’Université McGill et, par vidéoconférence, Barry Prentice, directeur du Transport Institute de l’Université du Manitoba et professeur au Supply Chain Management Department de l’Université du Manitoba.

Bienvenue à vous deux et merci de nous joindre à notre comité et à notre étude. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire, puis je céderai la parole à mes collègues pour la période de questions et réponses. Monsieur Gradek, vous avez la parole. Je vous en prie.

John Gradek, chargé d’enseignement, École d’éducation permanente, Université McGill, à titre personnel : Je tiens à remercier le comité sénatorial de m’avoir invité ce matin à présenter mes réflexions et mes observations sur la motion visant à étudier les enjeux récents liés aux infrastructures de transport essentielles touchées par les changements climatiques.

Comme il est indiqué dans l’invitation du comité, je m’adresse à vous aujourd’hui avec près de 50 ans d’expérience dans les infrastructures et les opérations aériennes et ferroviaires au Canada. Bien que mes parents aient pensé qu’il valait mieux pour moi d’acquérir mes titres de compétences universitaires et professionnels comme ingénieur en électricité, on peut dire que mon cheminement de carrière a été caractérisé par le hasard, des occasions s’étant présentées et ayant piqué ma curiosité et suscité mon émerveillement.

Mon expérience du transport aérien remonte à environ 50 ans, ce qui m’a permis de comprendre l’importance d’une communauté bien intégrée d’intervenants qui travaillent ensemble pour atteindre des niveaux de service attirants pour les voyageurs et les expéditeurs. Mon expérience du transport aérien m’a également permis d’observer les comportements des intervenants dans l’environnement lorsqu’ils sont confrontés à des perturbations, ainsi que la façon dont ils ont mis en place des pratiques d’atténuation pour minimiser les répercussions de ces perturbations. Une compréhension approfondie de l’infrastructure du transport aérien fait partie de mes principales compétences.

Mon expérience du transport ferroviaire a été acquise après celle de l’aviation et a été axée sur l’introduction de la gestion du cycle de vie des actifs dans une culture d’entreprise pour laquelle cela était nouveau. Parallèlement à des travaux de restructuration des processus opérationnels dans le secteur des transports, j’ai été responsable de la refonte du parc de véhicules motorisés et, par la suite, j’ai introduit le service axé sur la conception, en me concentrant encore une fois sur le rajustement de l’infrastructure ferroviaire.

Dans le cadre de mes activités universitaires, j’ai mis à profit mes connaissances des modes de transport aérien et ferroviaire dans l’étude des pratiques liées à la chaîne d’approvisionnement, et j’ai acquis des connaissances sur les possibilités d’amélioration et repéré les goulets d’étranglement qui ont une incidence sur le rendement de la chaîne d’approvisionnement. Bien que la COVID-19 ait joué un rôle de premier plan pour faire ressortir les lacunes de la chaîne d’approvisionnement, en les mettant à l’avant-plan des discussions publiques, les changements climatiques ont une influence beaucoup plus grande sur l’état des réseaux de transport du Canada.

Commençons par le transport aérien. Les conditions météorologiques changent au Canada, et de telles perturbations ont déjà nui à la capacité du service aérien de maintenir son intégrité opérationnelle. Les précipitations sont devenues plus abondantes, plus changeantes et plus importantes pour les aéroports et les compagnies aériennes. Les vents atmosphériques, la turbulence et les températures de surface ont tous un impact sur les paramètres d’exploitation dans le secteur de l’aviation. Un climat plus chaud dans le Nord canadien perturbe l’infrastructure aéroportuaire, transformant les pistes et les aires de trafic en zones plus à risque pour l’exploitation. Seulement 10 des 120 aéroports du pays dans le Nord peuvent être considérés comme solides et moins sujets aux perturbations liées aux changements climatiques.

Le modèle d’affaires de l’aviation commerciale fonctionne selon le principe de l’utilisateur-payeur depuis 30 ans. La pandémie de COVID-19 a complètement transformé ce modèle, le transport aérien ayant été restreint par des décrets gouvernementaux et des décrets de santé publique pendant plus de 18 mois. Les administrations aéroportuaires ont continué de fonctionner avec des revenus limités, voire nuls, provenant des utilisateurs-payeurs. Les aéroports se sont endettés pour combler ce manque à gagner, ce qui a mis en péril leurs bilans fragiles et leur capacité de financer des améliorations indispensables. Le principe de l’utilisateur-payeur doit être revu.

Les répercussions des changements climatiques se font également sentir dans les 26 aéroports du Réseau national des aéroports du Canada. L’infrastructure vieillissante de bon nombre de ces aéroports nuit à leur capacité de fonctionner de façon durable, tant sur le plan des émissions que de l’énergie. Il faut un financement important pour amener ces aéroports à adopter les pratiques exemplaires actuelles, et il y a très peu de choses que les administrations aéroportuaires peuvent faire au chapitre de la capacité de financement pour effectuer ces mises à niveau. On estime qu’il faudra entre 50 et 70 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années dans les aéroports du RNA pour les amener à une norme acceptable. Je soutiens que le modèle de gouvernance actuel doit être remanié de toute urgence pour permettre la mise en place de nouveaux modèles de financement. Le Programme des infrastructures essentielles des aéroports et le Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires sont insuffisants pour répondre aux besoins en immobilisations des aéroports du RNA du Canada.

L’infrastructure ferroviaire au Canada n’est pas à l’abri des effets des changements climatiques. Au Canada, les services ferroviaires ont été interrompus par des inondations le long de voies ferrées clés dans le canyon du fleuve Fraser, par des feux de forêt incontrôlés le long de lignes de chemin de fer en Ontario et au Québec et par une destruction côtière généralisée à la suite d’ouragans et de tempêtes extratropicales qui ont touché des liaisons ferroviaires clés dans les provinces maritimes.

Ces interruptions d’un service de transport essentiel exigent que des mesures d’atténuation soient prises le plus tôt possible, afin de protéger l’intégrité du réseau d’approvisionnement du Canada. En 2022, le Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement a clairement cerné la fragilité du réseau ferroviaire du Canada et les mesures à prendre rapidement pour faire face aux perturbations accrues causées par les changements climatiques.

Les questions que j’ai soulevées devant vous, chers sénateurs, exigent un examen urgent de la perception des Canadiens à l’égard des infrastructures de transport clés. Je me souviens très bien de mes débuts dans le domaine ferroviaire, époque où on m’a rappelé à maintes reprises que le chemin de fer avait bâti ce pays. Je sais aussi à quel point les Canadiens apprécient la capacité de traverser rapidement ce pays vaste et sauvage grâce aux services aériens. Je crois fermement qu’un réseau de transport sûr, fiable et rentable est un droit de la personne inaliénable au Canada.

J’ai passé la dernière décennie dans le milieu universitaire à examiner les forces et les faiblesses des réseaux d’approvisionnement et de transport du Canada, et j’ai décrié haut et fort les situations où les acteurs des services aériens et ferroviaires ont échoué à fonctionner de façon intégrée, rentable et axée sur le service. J’espère sincèrement que nos conversations de ce matin vous donneront la preuve que les infrastructures de transport essentielles au Canada nécessitent une attention immédiate et urgente.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité à comparaître devant vous ce matin, et j’ai hâte de poursuivre notre dialogue.

Le président : Merci.

Monsieur Prentice, vous avez la parole. Je vous en prie.

Barry Prentice, directeur, University of Manitoba Transport Institute et professeur, Supply Chain Management Department, Université du Manitoba, à titre personnel : Monsieur le président, madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les membres du comité des transports et des communications, je vous remercie de votre invitation. Je m’appelle Barry Prentice. Je suis professeur à la I.H. Asper School of Business, Department of Supply Chain Management, et directeur du Transport Institute de l’Université du Manitoba.

Les changements climatiques font en sorte que l’infrastructure de transport de marchandises de surface a dépassé les limites de sa conception. Les températures moyennes dans le monde sont à la hausse, tout comme le niveau de la mer, et les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents. Le réchauffement de la planète se produit encore plus rapidement dans les latitudes plus élevées, comme le centre et le nord du Canada.

À part le port de Churchill et un nouveau port à Iqaluit, aucune infrastructure maritime n’est menacée par la montée des eaux. Le problème concerne l’infrastructure de transport terrestre.

Les routes, les voies ferrées et les pistes d’atterrissage construites sur le pergélisol sont déjà endommagées. La profondeur de la couche active de pergélisol augmente. Lorsque le pergélisol sous les structures de transport se décongèle, le sol s’effondre et devient inutilisable. Le chemin de fer de la baie d’Hudson, ou HBR, a suscité beaucoup d’attention dans cette région. Entre Gillam et Churchill, au Manitoba, la ligne de chemin de fer est construite sur une tourbière gelée. Des efforts sont déployés depuis 90 ans pour la stabiliser. L’effort le plus récent concerne un système développé à l’origine pour traverser les déserts sablonneux. Toutefois, cette expérience n’a pas encore obtenu le succès escompté. La seule solution permanente pourrait être de déplacer la section vulnérable de 300 kilomètres de voie ferrée vers un sol solide plus à l’ouest.

La défaillance du HBR, au printemps 2017, a pris une forme différente. Elle a été causée par une chute de neige inhabituelle à la fin de la saison et par une fonte rapide. L’écoulement de l’eau a emporté des sections de la voie entre Churchill et Gillam.

On pourrait soutenir que ce n’est pas une preuve de changement climatique, mais seulement une aberration météorologique. Mais le Nord, qui est en grande partie un « désert gelé », connaît maintenant plus de précipitations. Le maire Michael Spence, qui a vécu toute sa vie à Churchill, m’a dit qu’il n’avait jamais vu d’orages ou d’éclairs dans sa jeunesse, mais que ceux-ci sont désormais courants.

Le problème le plus pressant en ce qui a trait au transport dans le Nord est l’impact des changements climatiques sur le réseau routier d’hiver. Ces routes temporaires sont aménagées sur des lacs et des fondrières gelés pour transporter du carburant, des matériaux de construction, des véhicules et des denrées non périssables. Au cours des 25 dernières années, leur saison d’exploitation a été réduite de moitié.

Les routes d’hiver sont de moins en moins fiables et sont plus dangereuses à utiliser. Il faut un mètre de glace sur un lac pour que les semi-remorques puissent le traverser en toute sécurité. La province du Manitoba a déjà imposé des limites de poids et des limites de vitesse plus basses aux camions, et elle demande de laisser plus d’espace entre les véhicules pour accroître la sécurité.

Un article publié en 2022 par Woolway et coll., intitulé « Lake Ice Will Be Less Safe for Recreation and Transportation Under Future Warming », ce qu’on pourrait traduire en disant que la glace des lacs sera moins sécuritaire pour les loisirs et les transports dans le contexte d’un réchauffement futur, lance un avertissement grave au sujet de l’amincissement de la glace. Selon ces auteurs, si le réchauffement planétaire augmente de 1,5 °C pour la période de référence, les camions qui empruntent les routes d’hiver perdront 90 % de la saison qui leur reste. Dans le Nord, le réchauffement se situe maintenant à environ 1,3 °C.

Un autre problème pour les routes d’hiver, ce sont les périodes de chaleur périodiques au cours de la saison. Une semaine de températures hivernales supérieures à 0 °C peut entraîner une fermeture des routes et nécessiter une autre semaine de travail pour les remettre en service. Ces événements sont de plus en plus fréquents et extrêmes au cours des années El Niño.

La conversion des routes d’hiver en routes de gravier n’est pas une option économique viable. Au Manitoba et dans le Nord de l’Ontario, on construit 5 400 kilomètres de routes d’hiver chaque année. Le coût moyen de la construction de routes de gravier dans le Bouclier canadien et l’Arctique est d’environ 3 à 4 millions de dollars par kilomètre. Il est difficile de justifier des coûts de construction de plus de 20 milliards de dollars pour desservir 40 petites collectivités éloignées. De plus, toute route construite sur le pergélisol est à risque dans le contexte des changements climatiques, comme je l’ai mentionné plus tôt.

Le transport aérien est le meilleur mode de transport dans le Nord parce qu’il fonctionne toute l’année et qu’il a une très petite empreinte. Les avions servent de complément aux camions qui empruntent les routes d’hiver, mais ils ont besoin de pistes plus longues lorsqu’ils transportent des charges lourdes ou volumineuses. De plus, ils sont coûteux et émettent beaucoup de carbone. Une nouvelle génération de dirigeables rigides est en train d’émerger et pourrait remplacer les semi-remorques qui empruntent les routes d’hiver. Un dirigeable de ce genre flotte maintenant dans un hangar en Californie. Le projet Pathfinder 1 de LTA Research, financé par Sergey Brin, cofondateur de Google, vient de recevoir l’autorisation d’entreprendre des vols d’essai. On est déjà en train de construire un plus gros dirigeable, Pathfinder 3, à Akron, en Ohio, qui aura une plus grande capacité qu’un semi-remorque.

Les dirigeables utilisent une technologie verte. Ils nécessitent moins d’énergie que les avions parce que leur portance est « libre », et ils peuvent facilement utiliser la propulsion électrique sans émissions de carbone. Les dirigeables nécessitent une certaine infrastructure au sol, mais moins que les avions. Ils ont uniquement besoin d’une aire d’atterrissage et d’un espace dégagé pour transférer rapidement et en toute sécurité leur cargaison aux camions.

En 2023, la Canadian Arctic Innovation Association, ou CAIA, a publié un rapport intitulé Cargo Airship Strategy for Northern Canada, qui fait état des portes d’entrée et des corridors d’infrastructure pour les services de dirigeables vers les collectivités éloignées partout au Canada et qui recommande notamment ce qui suit :

Le gouvernement du Canada a besoin d’un énoncé de politique clair concernant son appui ou son opposition à l’utilisation de dirigeables pour le transport de marchandises dans les régions éloignées du Bouclier canadien et de l’Arctique. L’absence de politique crée de l’incertitude pour les promoteurs de dirigeables et les investisseurs. De plus, le rôle que le gouvernement joue dans le domaine des transports ne peut pas être délégué. Un cadre réglementaire est nécessaire pour certifier les pilotes, les mécaniciens et les exploitants d’aérodromes titulaires d’une licence. Il faut aussi des infrastructures publiques pour répondre aux besoins en matière de transport, comme des routes d’accès et des installations à usage commun.

Vous pouvez télécharger une copie du rapport de la CAIA à www.arcticinnovation.ca si vous le souhaitez.

Merci beaucoup.

Le président : Merci à vous deux pour vos exposés.

Nous allons rapidement entamer la période de questions. Vous avez tous les deux dit haut et fort que les changements climatiques posent de graves problèmes, qui se font sentir depuis un certain temps et qui touchent tous les secteurs, particulièrement le transport aérien, ferroviaire et routier. J’ai aussi retenu de vos deux exposés que, bien sûr, l’impact le plus important est dans le Canada rural, dans le Nord et dans les régions isolées du pays.

Quelles sont les solutions autres que l’argent? Parce que l’argent, c’est une chose, et nous entendons constamment des témoins dire que le gouvernement doit investir davantage, mais j’aimerais que vous me disiez tous les deux où il faudrait investir davantage. Si nous regardons l’histoire de notre pays et de la plupart des pays, les trains, les avions et les automobiles finissent habituellement par se retrouver là où il y a du développement économique, et la vérité, à mon avis, c’est qu’au cours des huit dernières années environ, nous avons fait tout ce qu’il fallait pour mettre des obstacles à l’exploitation de nos ressources naturelles, minérales et essentielles. Donc, à moins que nous ne débloquions ces fonds pour justifier les milliards de dollars nécessaires pour faire toutes les choses merveilleuses qui sont nécessaires pour réagir aux changements climatiques, je pense qu’il sera difficile d’y parvenir. Je sais que ces observations et ces questions comportent beaucoup de matière. Je vais commencer par M. Gradek.

M. Gradek : Il ne peut pas être question d’une solution ou d’un problème, c’est-à-dire l’exploitation des minéraux et l’accès à ces minéraux et leur exportation, sans que l’on aborde la question du transport. C’est l’habituel dilemme de l’œuf et la poule. Qu’est-ce qui vient en premier? Ce que nous avons fait au Canada jusqu’à maintenant, c’est assurer l’exploitation minière, la mise en valeur des ressources minières, en utilisant l’infrastructure existante, mise à niveau jusqu’à un certain point, et en soutenant le transport des produits miniers de leur source à leur destination.

Nous n’avons pas consacré beaucoup de temps et d’efforts à rationaliser et à optimiser le système de transport requis pour appuyer la mise en valeur de ces ressources naturelles que le monde souhaite si ardemment obtenir du Canada. Qu’il s’agisse des régions comme le Cercle de feu de l’Ontario, des exploitations forestières du nord et du centre du Canada, ou du soutien agricole que nous avons dans les Prairies, le grenier du monde, je pense que le temps viendra où il faudra nous pencher sur la cause profonde des problèmes que nous avons à appuyer le développement et l’exportation de ces produits.

Vous avez raison de dire que la solution, c’est le financement du développement. Mais je pense que nous avons besoin d’une vision avant d’avoir besoin d’argent. En examinant le travail effectué par le Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement l’an dernier, on constate qu’il a commencé à créer la version embryonnaire de cette vision et de cette stratégie et à comprendre la valeur du transport pour faire en sorte que nous ayons une chaîne d’approvisionnement admirée et soutenue à l’échelle mondiale.

Il y a certaines choses que nous devons faire en même temps que d’investir de l’argent, comme assurer la visibilité, la résilience et tous ces aspects farfelus des chaînes d’approvisionnement dont M. Prentice et moi parlons constamment à nos étudiants. Nous parlons de la façon dont nous pouvons bâtir une chaîne d’approvisionnement plus solide, stable et fiable. Oui, il faut une vision.

L’un des enjeux dont nous avons parlé, c’est la façon dont nous, en tant qu’industrie canadienne, surmontons le problème du partage des données. Nous vivons dans un monde numérique. Nos chaînes d’approvisionnement passent au numérique. Nous devons nous pencher sur l’échange d’information et amener tout le monde à participer adéquatement à un exercice de visibilité de la chaîne d’approvisionnement.

Je pense que notre plus grand défi est de déterminer comment nous pouvons intégrer suffisamment de données dans nos réseaux et dans notre compréhension des chaînes d’approvisionnement pour nous assurer de saisir ce que signifie la résilience. Nous devons surmonter la réticence des Canadiens à partager des données concurrentielles. Personne n’aime partager des données concurrentielles parce que c’est une question de part de marché, de revenus, de profits et de rendement pour les actionnaires. À mon avis, les données sont le principal moteur pour obtenir un meilleur rendement de nos chaînes d’approvisionnement, de nos ressources et de nos réseaux. C’est le plus gros obstacle.

Si vous me demandez une solution, je ne suis pas sûr qu’il y en a une pour l’instant. Je pense que nous devons avoir un débat sur la façon dont nous pouvons en arriver à un point où il est acceptable pour les entreprises et les intervenants de la chaîne d’approvisionnement d’échanger de l’information et d’obtenir suffisamment de données pour solidifier cette chaîne d’approvisionnement.

M. Prentice : J’aimerais revenir à ce que vous avez dit au sujet des régions rurales et du Nord, qui sont les plus touchées, ce qui est certainement le cas. Je dirais tout d’abord que s’il existait une technologie pour résoudre le problème, nous ne serions pas réunis aujourd’hui. Il n’y aurait pas de problème. Nous aurions déjà une solution. Nous devons sortir des sentiers battus. Nous ne pouvons pas simplement regarder ce que nous avons fait dans le passé et essayer d’extrapoler, parce que cela ne fonctionne pas. Non seulement cela, mais même ce que nous avons est menacé par l’avenir. L’examen de tout ce qui est fixé à la surface sera problématique. Cela dépend simplement du pergélisol.

Depuis 25 ans, nous considérons les dirigeables qui transportent des marchandises comme une solution pour le Nord. Pour la gouverne du comité, il s’agit des anciens zeppelins. Ce sont des dirigeables qui pouvaient traverser des océans. Ils volaient à 80 milles à l’heure et transportaient jusqu’à 100 tonnes de marchandises. C’était il y a 85 ans. À l’époque, le véhicule automobile de pointe était un Ford A. Aujourd’hui, nous avons des Tesla et nous avons accompli d’énormes progrès dans la chaîne d’approvisionnement qui repose sur le transport aérien. Pratiquement tout ce qu’il faut pour construire des dirigeables modernes existe.

Nous pouvons le faire. Il y a pas mal de gens dans le monde qui travaillent là-dessus — pas seulement M. Brin en Californie. Flying Whales a une filiale ici au Canada, qui essaie de proposer une solution de dirigeable pour le transport de marchandises.

L’avantage du dirigeable, c’est qu’il peut être utilisé toute l’année; il peut transporter des charges lourdes et il est moins coûteux, représentant peut-être le quart du coût du transport aérien. En fait, pour toutes les charges qui dépassent 30 tonnes, d’après notre analyse, il peut faire concurrence aux semi‑remorques sur les routes de glace. Il s’agit donc d’une solution économique.

Je signale au comité que la plupart des Canadiens ne se rendent pas vraiment compte de la taille de notre pays. Sur le plan géographique, le centre du pays est Baker Lake. Nous venons de parler de plus de 5 000 kilomètres de routes de glace en Ontario et au Manitoba. Essayer de construire des routes partout dans le nord du Canada représenterait une tâche impossible et les efforts en ce sens ne dureraient pas longtemps.

Nous parlons du besoin de financement. Rien n’est bon marché, et le changement coûte de l’argent. Fait intéressant, les dirigeables ne coûtent pas très cher. Alors qu’il faut 20 milliards de dollars pour construire ces routes, pour 5 % de ce montant, vous pouvez avoir une solution de dirigeables pour tout le pays. Des gens sont prêts à investir et à se charger de cela, mais ce qui manque sérieusement, c’est un effort ou une reconnaissance de la part du gouvernement du Canada de la viabilité de cette technologie.

Il en est question depuis 25 ans. Il n’y a pas de politique pour les dirigeables au Canada. Qui plus est, le Canada n’a aucun règlement autorisant cela. On ne peut pas devenir pilote de dirigeable au Canada. Il n’y a pas de réglementation. On ne peut pas devenir mécanicien pour travailler sur un dirigeable. Évidemment, il n’y a pas de lignes directrices sur la façon de les construire ici.

La question a été laissée en suspens. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas pourquoi, mais dès que quelqu’un parle de dirigeables, les gens pensent que cette personne a perdu la tête. Je ne sais pas quel est le problème, mais nous devons prendre ce sujet au sérieux.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins de comparaître aujourd’hui. Ma première question s’adresse à M. Prentice. Soyez le bienvenu. Je suis heureuse de voir un compatriote manitobain comparaître aujourd’hui.

Ma dernière question au groupe de témoins précédent portait sur les routes d’hiver. Vous avez fourni plus d’information à ce sujet. J’aimerais vous donner l’occasion de parler davantage des défis que doivent relever les collectivités du nord du Manitoba et de nous soumettre toute autre recommandation sur la façon de rendre ces collectivités plus résilientes aux changements climatiques.

M. Prentice : La question des changements climatiques se résume à la profondeur et à l’épaisseur de la glace. Lorsqu’il y a moins d’un mètre de glace, les semi-remorques ne peuvent pas circuler de façon sécuritaire. Il est toujours possible de circuler en voiture et dans de petits camions sur ces lacs gelés, et les gens le font parce qu’ils veulent se déplacer entre leurs collectivités. C’est important pour les gens qui vivent là.

Pour ce qui est des marchandises lourdes — matériaux de construction, carburant et articles non périssables —, il faut les transporter dans de plus gros véhicules. Un avion ne peut transporter que ce qu’il est possible d’y faire entrer. Les routes de glace sont essentielles pour de nombreux produits, dont les matériaux de construction au premier plan. Les collectivités éloignées connaissent une terrible pénurie de logements. Le surpeuplement est chronique, tout comme les prix des aliments qui atteignent des sommets records, comme nous le savons, et l’insécurité alimentaire. Nous avons besoin d’un meilleur système de transport à longueur d’année.

L’un des problèmes avec le logement, c’est que la saison de construction des maisons est courte, parce qu’on ne peut faire venir des matériaux que pendant la période de quatre à six semaines des routes de glace. Ensuite, les matériaux, comme le bois, restent là exposés dans la neige. Parfois, les maisons sont construites avec du bois qui est déjà pourri avant d’être utilisé. La moisissure est un problème énorme dans le Nord et dans ces collectivités.

Nous voyons que quelque chose doit être fait différemment. Les dirigeables sont une occasion à saisir. Nous étudions la question depuis 25 ans. Je parle de cela depuis longtemps, et personne n’est jamais venu me taper sur l’épaule en disant : « Monsieur Prentice, oubliez les dirigeables. J’ai quelque chose de mieux à proposer. » En fait, la solution la plus proche de cela est venue d’un de mes amis qui a dit à la blague : « Nous avons simplement besoin d’une catapulte géante qui projetterait des choses dans le Nord parce que c’est à peu près juste cela que nous allons obtenir. »

M. Gradek : Comme M. Prentice le sait, je suis un grand partisan des véhicules plus légers que l’air. Je pense que le logement est un besoin fondamental auquel il faut répondre dans les collectivités du Nord, et les appareils comme les dirigeables dont il a parlé semblent une solution tout à fait sensée. Nous devons augmenter l’offre de logements dans le Nord.

L’habitation préfabriquée est l’une des spécialités du Canada. Nous savons comment construire des logements préfabriqués. Ils sont très lourds, et les semi-remorques n’ont que quatre à six semaines par année où ils peuvent les transporter sur les routes de glace. Je crois que nous avons besoin d’une capacité de transport lourd. Il y a les C-17 Globemasters que possèdent nos amis de la défense. Est-ce qu’ils peuvent transporter des habitations? Bien sûr. Ils peuvent transporter des logements dans le Nord, mais ils ne peuvent pas atterrir partout. Ils ne peuvent atterrir que dans un ou deux aéroports du Nord. Nous avons besoin d’un autre véhicule, d’un autre moyen pour combler ce droit fondamental au logement dans les collectivités du Nord, parce que notre infrastructure actuelle, notre réseau routier et notre réseau de soutien aérien ne réussissent pas à le faire.

La sénatrice Simons : J’ai toujours été obsédée par les dirigeables — dont M. Prentice est un expert —, mais je vais me concentrer sur M. Gradek aujourd’hui.

Nous approchons de l’anniversaire des intempéries de Noël dernier qui ont frappé les aéroports de Toronto et de Vancouver. En raison du modèle de plaque tournante du Canada, nous sommes particulièrement vulnérables aux systèmes météorologiques qui touchent nos grands aéroports.

J’ai visité l’aéroport de Vancouver il y a deux semaines. On y est en train d’arracher toute une piste pour en construire une nouvelle, afin d’être plus résilients face au climat. Que doivent faire les aéroports et les compagnies aériennes pour s’assurer qu’il n’y a pas de gens coincés au sol dans des avions pendant des jours? Qu’est-ce que cela signifie pour notre système de fret, qui dépend beaucoup plus aussi des aéroports que bien des Canadiens le croient?

M. Gradek : Ce qui s’est passé au cours des 18 derniers mois dans le domaine de l’aviation au Canada est intéressant. C’est ce que j’appelle une répétition générale de ce à quoi ressembleront les changements climatiques à l’avenir au Canada et de la façon dont nos infrastructures aéroportuaires et aériennes s’y préparent. Je dirais que l’été dernier, l’hiver dernier, elles ont obtenu une mauvaise note. Si elles avaient suivi mes cours, elles n’en auraient réussi aucun parce qu’elles n’étaient pas bien préparées.

Je n’ai pas ménagé mes mots pour expliquer aux gens que l’industrie s’est tirée dans le pied pour ce qui est de la capacité des infrastructures de soutenir le volume de vols offerts dans ces aéroports. En fait, il s’agissait surtout pour les compagnies aériennes d’être très ambitieuses et très proactives et d’essayer de récupérer le plus possible leurs pertes de revenus découlant de la pandémie et de faire voler ces avions le plus rapidement et le plus souvent possible.

Elles ont surchargé le système. Le système n’était pas prêt. Il faut un certain temps pour que le système puisse répondre aux exigences des compagnies aériennes en matière de fréquence et de service. Ce que les transporteurs comme Air Canada, WestJet et Sunwing ont fait était trop ambitieux. Si je regarde ce qui s’est passé cet été, les choses se sont beaucoup améliorées. Les compagnies aériennes ont appris leur leçon, les aéroports ont appris leur leçon, et nous avons évité cet été le gâchis que nous avons eu l’été dernier.

La question est de savoir à quoi ressemblera l’hiver. Ma boule de cristal ne fonctionne pas très bien ces jours-ci. Je ne peux pas prévoir la météo hivernale autant que le voudrait MétéoMédia. Quels sont les risques d’un autre hiver difficile? Il faut définir « difficile ». Si je regarde ce qui s’est passé l’an dernier et que je me dis que c’est la nouvelle norme — je déteste utiliser le terme « nouvelle » —, je ne suis pas sûr que les aéroports et les compagnies aériennes du Canada reconnaissent qu’il faut vraiment comprendre les prévisions météorologiques et y réagir avant qu’elles ne se concrétisent.

Il ne faut pas réduire le nombre de vols le matin où 20 centimètres de neige sont tombés à Vancouver. Tout le monde peut prévoir les chutes de neige trois ou quatre jours à l’avance partout au Canada. Nous ne vivons pas dans une bulle. C’est pourquoi nous avons des météorologues. C’est pourquoi nous payons les gens d’Environnement Canada pour qu’ils fassent ces prévisions. Il faut réagir à ces prévisions et ne pas attendre le matin même pour dire : « Oups, nous devons annuler la moitié de nos vols parce qu’il y a trop de neige au sol. » Nous devons être en mesure de faire cela.

La sénatrice Simons : Nous avons construit notre plus grand aéroport, l’aéroport Pearson, près d’un lac où les conditions météorologiques sont complexes. Reconstruire notre infrastructure aéroportuaire serait une entreprise colossale et peut-être impossible. Que devons-nous faire? Cela vaut aussi pour l’aéroport international Montréal-Trudeau, mais je pense que Pearson et Vancouver, parce qu’ils sont situés très près de l’eau, sont plus vulnérables, je suppose, aux conditions météorologiques extrêmes.

M. Gradek : Bienvenue au Canada. Nous aimons construire des choses autour de l’eau. Nous aimons l’eau, oui. Dommage pour Edmonton et Calgary. Nous aimons pouvoir dire que nous avons de beaux aéroports à proximité de paysages magnifiques. Nous utilisons aussi beaucoup ces paysages pour attirer des gens. Les aéroports deviennent très congestionnés en raison de la construction qui a lieu autour.

La sénatrice Simons : Oui.

M. Gradek : Les aéroports qui sont construits aujourd’hui dans le monde sont isolés. Ils sont loin des centres résidentiels. Des aéroports sont construits à 50, 60 ou 70 kilomètres de bâtiments et d’infrastructures.

La sénatrice Simons : Edmonton l’a fait dans les années 1960. Nous étions très en avance sur notre temps.

M. Gradek : Lorsque vous parlez de ce que nous devons faire en ce qui concerne nos infrastructures aéroportuaires, nous savons, et c’est un fait au sein de la communauté aéroportuaire, que l’aéroport Trudeau manque d’espace. Pearson manque d’espace aussi. Vancouver est en difficulté au chapitre de l’espace si les prévisions des transporteurs se confirment.

Il y aura de la congestion dans ces aéroports. Nous aurons des retards. Il y aura des tempêtes de neige qui déferleront sur ces aéroports plus souvent que jamais auparavant. Oui, nous devons trouver une façon d’examiner les demandes imposées aux aéroports par les compagnies aériennes et la capacité des aéroports de gérer les vols. Il est impossible de faire face à la croissance que les compagnies aériennes imposent aux aéroports aujourd’hui.

La sénatrice Simons : Vancouver qui désaffecte toute une piste à cause des changements climatiques, c’est un problème.

M. Gradek : C’est ce que les aéroports doivent faire. L’aéroport Trudeau vient de terminer un projet de réfection de trois mois de l’une de ses pistes. Il en reste deux autres à faire. La question est de savoir si c’est suffisant. Les pistes sont conditionnées pour quel type de climat? Si c’est le climat que nous avons connu au cours des cinq ou dix dernières années, ce n’est pas suffisant. Il faudra peut-être se remettre à la tâche bientôt.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : Merci.

Il ne faut pas oublier, monsieur le professeur, que bon nombre de nos administrations aéroportuaires sont déjà lourdement endettées d’un bout à l’autre du pays. Elles doivent également gérer cet aspect.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais continuer dans la même veine que ma collègue. Si vous deviez vous prononcer sur un grand aéroport au Canada qui serait un exemple sur le plan de la préparation ou de la réflexion sur le changement climatique, lequel serait-ce? Vous avez parlé de la congestion, mais au-delà de cela, il y a aussi la préparation physique — j’imagine que ce sont les pistes. Selon vous, quel aéroport au Canada est devant les autres et pourrait être un exemple intéressant à observer pour nous, membres du comité?

M. Gradek : C’est une bonne question. J’ai posé la question récemment à plusieurs administrateurs d’aéroports au Canada. On a eu de la difficulté à trouver des modèles d’avenir pour les aéroports au Canada. Je dirais qu’Ottawa est l’exemple d’un aéroport où il y a de la place pour l’amélioration, pour essayer de s’adapter à la hausse des capacités nécessaires pour répondre aux plans d’avenir des compagnies aériennes. Très peu d’aéroports au Canada ont été conçus et construits et fonctionnent dans le domaine d’opérations nécessaire aujourd’hui. Avec les hausses du trafic aérien que les compagnies aériennes prévoient pour les 10 ou 15 prochaines années... Presque tous les aéroports au Canada auront des difficultés à s’adapter.

La sénatrice Miville-Dechêne : Et en ce qui concerne le changement climatique?

M. Gradek : C’est impossible d’identifier ou de séparer les deux. Le changement climatique va se produire, sans aucun doute. On peut contrôler la hausse du trafic aérien. On peut dire aux compagnies aériennes d’arrêter parce qu’on n’est pas en mesure de répondre à leurs demandes. Il faut vraiment équilibrer la demande par rapport à la capacité.

Je vois la situation aéroportuaire comme une infrastructure physique qui cause des ennuis pour les services opérant dans nos aéroports. On l’a vécu au cours des 18 derniers mois. Pour ce qui est de répondre à la question du changement climatique, les pires aéroports sont Montréal-Trudeau, Toronto Pearson et Vancouver; Ottawa fait beaucoup mieux.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Prentice, j’aimerais vous poser la même question. Vous êtes basé au Manitoba. Vous avez parlé de la difficulté des régions éloignées et des routes en hiver. Pouvez-vous penser à une région, une petite ville ou un village au Manitoba pour observer les changements climatiques et les problèmes créés dans les communautés?

Vous semblez connaître votre province, à tout le moins de très près. Où pensez-vous que ces changements climatiques se manifestent le plus et sont les plus difficiles à régler?

[Traduction]

M. Prentice : Merci beaucoup. Il y a plusieurs endroits, mais certainement Thompson, au Manitoba. C’est une zone d’essai par temps froid, alors ils ont de très bonnes données sur ce qui se passe. On y est sensible aux changements climatiques. Churchill fait certainement partie des endroits où se retrouvent des installations de recherche, alors il pourrait aussi s’agir d’un autre bon modèle. Les pistes de ces deux aéroports sont asphaltées. À Thompson, il y a un endroit qui pose toujours problème avec le pergélisol, mais, de façon générale, ce sont les deux endroits que je mentionnerais et qui seraient les plus faciles à étudier.

J’aimerais revenir, si vous me le permettez, à la conversation précédente. L’un des problèmes qui nous préoccupent, c’est l’augmentation du trafic aérien. Nous pourrions envisager un avenir où il y aura moins de trafic aérien. Nous faisons face à une époque où les compagnies aériennes sont obligées de passer à ce qu’on appelle des carburants d’aviation durables, dont le coût représente le double ou le triple du coût du carburant actuel pour les avions, ou alors, elles doivent acheter des crédits de carbone. Peu importe les réductions effectuées, le coût du transport aérien va augmenter. Le transport aérien va coûter plus cher.

L’autre problème est celui du fret aérien. Il y a eu une forte augmentation du fret aérien, mais si vous y réfléchissez, cela représente en quelque sorte une utilisation frivole de nos ressources. Il n’est pas nécessaire de transporter du fret à 500 milles à l’heure, et le fret aérien est largement utilisé. Je soupçonne qu’à mesure que nous nous attaquons de plus en plus sérieusement aux changements climatiques et au coût et à l’utilisation des carburants, au bout du compte, les compagnies aériennes devront passer à l’hydrogène. Cela semble être la seule solution raisonnable. Mais cela prendra 15 ou 20 ans, et je pense qu’entretemps, les tarifs seront beaucoup plus élevés, ce qui réduira une partie de la demande. Notre problème ne sera peut‑être pas aussi grave qu’on pourrait le penser si nous extrapolons la situation présente.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez beaucoup parlé de ballons dirigeables. Évidemment, je ne connais pas beaucoup ce secteur, mais cela nous fait penser à toutes sortes de choses extraordinaires. Pourquoi pensez-vous que votre croisade en faveur des ballons dirigeables ne va nulle part? Est-ce parce que le transport aérien, tel qu’il est conçu, exerce une pression pour le statu quo? Est-ce parce que c’est un projet extraordinaire qui est difficile à réaliser, parce qu’il faut que les gens voient dans l’avenir? Je suis un peu intriguée par tout cela.

[Traduction]

M. Prentice : Il est certainement difficile pour les gens de penser à quelque chose qui n’existe pas à l’heure actuelle. Tout le monde veut examiner une solution qui existe déjà, ne prendre aucun risque et mettre une telle solution en place. Il y a toujours un risque quand on fait quelque chose de nouveau. Mais à bien des égards, ce risque est atténué sur une longue période. Nous savons que les dirigeables ont bien fonctionné avant la Seconde Guerre mondiale. La raison pour laquelle ils ont disparu, c’est que l’avion à réaction est arrivé, qui était tellement plus rapide et fiable, et qu’il y a tellement eu d’investissements dans la recherche sur les avions qu’ils ont non seulement supplanté les dirigeables, mais aussi les chemins de fer transcontinentaux et les navires de ligne. L’ère de l’avion à réaction se limite à cela, mais elle prend fin parce que le coût du carburant et la pollution font que nous ne pouvons plus avoir le même volume que par le passé. Nous devons chercher des solutions différentes, certainement pour le fret.

Il est tout à fait possible d’utiliser des dirigeables pour transporter des marchandises à travers les océans. Encore une fois, nous l’avons fait il y a 85 ans, et nous avons maintenant de bien meilleurs matériaux. Je pense que nous allons assister à un véritable regain d’intérêt lorsque ce nouveau dirigeable que Sergey Brin est en train de construire commencera à faire l’objet d’essais en vol. Pour le Canada, c’est vraiment une bonne chose.

Plus tôt dans vos discussions, vous avez parlé de la défense dans le Nord. Eh bien, le dirigeable est un véhicule idéal pour les déplacements dans le Nord. À l’avenir, ils n’auront pas de pilote à bord. Il y aura un pilote au sol; ce seront des drones téléguidés. Ils ne seront pas remplis d’hélium. Ils seront remplis d’hydrogène, ce qui est moins coûteux et facilement disponible en tout temps, et ils seront également alimentés à l’hydrogène. Ils voleront d’une base préparée à une autre. Nous avons une vision très différente de ce que peut être cette technologie. Même si ce n’est pas encore courant, cela s’en vient.

Le sénateur Quinn : J’aimerais revenir à M. Gradek. Lors de votre présentation, vous avez parlé d’une approche intégrée, et il a été question des aéroports de Vancouver, de Toronto et de Montréal. Ces grands aéroports, bien sûr, servent de grandes populations, et c’est généralement le cas partout au pays. Je vais revenir à une exception.

Dans le cadre d’une approche intégrée et dans le contexte de votre examen des aéroports, ne devrions-nous pas également nous pencher sur la façon de mieux tirer parti des infrastructures que nous avons et ensuite adopter de nouvelles approches pour les utiliser? Dans ma région, au Nouveau-Brunswick, il y a l’argument historique concernant le nombre d’aéroports. Pour une si petite population, on pourrait dire que nous avons beaucoup trop d’aéroports, mais nous avons aussi investi des milliards de dollars dans le réseau routier. Il est possible de traverser le Nouveau-Brunswick en cinq heures. La plupart des Canadiens qui vivent dans les grands centres doivent s’attendre à prendre une heure ou plus pour se rendre à un aéroport, mais ils acceptent cela. Ne devrions-nous pas adopter une approche intégrée pour tirer parti des infrastructures routières ou ferroviaires? Ne devrions-nous pas investir dans le corridor Windsor-Québec, comme on le dit dans les arguments qu’on entend? N’est-ce pas au moins une partie de la solution à envisager?

M. Gradek : Je pense que vous avez raison. L’une des choses dont nous devons tenir compte, c’est que nous n’avons qu’une somme définie à consacrer aux infrastructures de transport. La question est d’en avoir le plus possible pour notre argent. Il faut examiner les différents modes de transport dans lesquels nous ne devrions pas investir pour soutenir la croissance économique et les besoins de la population dans ces collectivités. Nous devons faire des choix en ce qui concerne certains modes de transport. En ce qui concerne le transport routier, le transport ferroviaire et le transport aérien, il y a un compromis à faire pour ce qui est de l’infrastructure nécessaire pour les soutenir.

Depuis toujours, je suis préoccupé par des choses comme la liaison Montréal-Toronto, le plus grand corridor aérien du Canada, soit 500 kilomètres. Le transport aérien est-il le bon moyen de soutenir ce type de déplacement de la population? Je me souviens de l’époque où j’étais à Air Canada et où j’examinais ce service en me disant : « Je n’arrive pas à croire que, parmi tous les endroits au monde, Air Canada fasse autant d’argent sur l’un des trajets les plus courts. » Cela vient du fait qu’il y a du volume et qu’il n’y a pas d’autre solution. Il faut donc mettre en place les infrastructures de transport de rechange les plus rentables pour ce marché. Prenons l’Europe. Prenons la Chine, où la structure ferroviaire est devenue le mode de transport idéal ou le meilleur pour le transport sur de courtes distances.

Dans ce domaine, nous n’avons pas encore franchi le Rubicon. Nous avons une perception des trains à grande fréquence que nous voulons mettre en place au Canada avec VIA Rail, mais c’est probablement une solution à court terme. Nous devons envisager d’investir dans les infrastructures ferroviaires et de les construire de manière à ce que nous n’ayons pas à dépenser beaucoup d’argent pour les infrastructures aériennes au service des marchés sur courtes distances. Qu’il s’agisse de Calgary-Edmonton, de Montréal-Toronto ou d’Ottawa-Toronto, il doit y avoir une façon de trouver le meilleur mode de transport dans lequel investir pour desservir ces petits marchés. Le Nouveau-Brunswick est un excellent exemple au chapitre des services. Les services aériens pourraient probablement être complétés par des services ferroviaires de meilleure qualité.

Le sénateur Quinn : Merci. Mon autre question s’adresse à M. Prentice.

J’ai dirigé la Garde côtière de la région du Centre et de l’Arctique au milieu des années 1990. La détérioration des routes de glace était un problème à l’époque, tout comme la dégradation du pergélisol, mais nous constatons aujourd’hui que le phénomène s’est accentué. Vous avez mentionné les 40 collectivités du Manitoba, qui elles aussi posaient problème à l’époque. La réalité est que certaines de ces communautés risquent fort de disparaître, car lorsque l’accès aux routes est coupé, on ne peut pas offrir de soutien à ces communautés, étant donné l’absence d’infrastructures suffisamment développées. Une communauté ne peut survivre longtemps sans un accès adéquat aux biens et aux services essentiels.

Vous avez mentionné les dirigeables et je me souviens que les dirigeables faisaient partie des solutions envisagées à l’époque. J’aurais cru que ce moyen de transport était mort de sa belle mort, mais il est bon de constater que c’est une des alternatives envisagées. J’ai demandé à un témoin précédent s’il entrevoyait de recommander au gouvernement d’examiner le cadre réglementaire et de se pencher sérieusement sur la question du développement de ce secteur ici même, au Canada, pour appuyer le Nord.

M. Prentice : Je dirais qu’à l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’un cadre réglementaire pour permettre aux dirigeables d’opérer au Canada. Alors oui, absolument, il faut se pencher sur la question. Une politique à ce sujet s’impose. Le principal problème vient du fait que le transport relève à la fois de la responsabilité du secteur privé et de celle du secteur public. Mais si le secteur public ne prend pas position, s’il ne dit rien, cela crée une grande incertitude pour tous ceux qui, dans le secteur privé, voudraient investir dans une nouvelle technologie. Le gouvernement assumera-t-il ses responsabilités?

C’est aussi, bien sûr, une question de risque. Le secteur privé peut très bien prendre des risques, mais le secteur public a la capacité de prendre plus de risques parce qu’il représente l’ensemble du pays. Quand on y pense, quel investisseur sensé investirait des millions et des millions de dollars pour desservir une population d’à peine quelques centaines de milliers d’habitants dans le Nord? Le Nord ressemble beaucoup aujourd’hui à ce qu’était l’Ouest à l’époque de Sir John A. Macdonald. C’est une ressource qui attend d’être exploitée. Nous en sommes conscients, mais il faudrait d’abord pouvoir y accéder. À l’époque, il s’agissait de construire un système de transport permettant de rejoindre l’Ouest, et c’est le chemin de fer qui représentait la solution, et la région s’est épanouie après avoir bénéficié d’un tel système de transport. Je pense que les dirigeables pourraient accomplir pour le Nord ce que les chemins de fer ont fait pour l’Ouest.

Pour revenir à la conversation précédente sur la question de l’exploitation minière. Dans le nord du Québec, à la frontière du Labrador et du Québec, on trouve une mine appelée Torngat, à environ 250 kilomètres de Schefferville. Leur entreprise est inscrite au registre. Ils accepteraient volontiers le premier dirigeable venu parce qu’ils ont des minéraux de terres rares qu’ils voudraient bien extraire, mais ils n’ont pas les moyens de construire une route pour y accéder. De sorte que si nous avions des dirigeables pour transporter les minerais concentrés du Nord, cela ferait baisser les coûts du transport ce qui permettrait d’acheminer les biens essentiels vers le Nord. C’est toute la vie économique de la région qui s’en trouverait changée.

En ce qui concerne le problème de la dépopulation. Lorsque je discute avec des habitants du Nord aujourd’hui, ils me confient que la situation est bien pire qu’elle ne l’était il y a 20 ans. Les choses ne s’améliorent pas, et nous dépensons déjà énormément d’argent pour soutenir ces populations. Le programme Nutrition Nord Canada représente, si je ne m’abuse, quelque chose comme 130 millions de dollars par an. Il s’agit uniquement de subventionner le transport des denrées alimentaires vers le Nord. Nous dépensons donc déjà énormément d’argent, mais nous n’obtenons pas de résultats probants. Il faut envisager de recourir à de nouvelles technologies pour y parvenir.

Le président : Merci, monsieur Prentice.

Le sénateur Cardozo : Je voudrais revenir sur la question du financement. Selon certains, nous devrions relancer la prospection pétrolière et gazière afin de dégager des surplus financiers pour compenser les effets négatifs des changements climatiques. D’autres estiment que nous devrions réduire et éventuellement cesser la prospection afin que les effets négatifs des changements climatiques soient moindres.

Je constate que presque tous les témoins qui comparaissent devant nous au Sénat réclament une augmentation importante des dépenses du gouvernement fédéral. On parle d’investir dans la défense nationale, dans la lutte contre le cancer, mais personne n’a encore évoqué la question des dépenses déficitaires. J’aimerais que les gens discutent franchement de la question de savoir s’ils pensent que nous devrions nous engager dans des dépenses déficitaires pour ces projets de grande envergure.

J’aimerais bien vous entendre sur la façon de s’y prendre. En ce qui concerne les dirigeables, je dirais que si nous commencions par le trafic domestique, il serait peut-être plus facile de convaincre le public que cela fonctionne plutôt que de parler du trafic transatlantique ou transpacifique.

Je vais demander à M Gradek de commencer.

M. Gradek : C’est l’éléphant dans la pièce. Comment payer pour tout cela? Les aéroports ne peuvent pas payer pour ces améliorations : leur dette est plafonnée. Il ne reste plus d’argent. L’argent doit bien venir de quelque part. Avant, nous nous adressions au gouvernement fédéral et aux provinces pour obtenir du financement. Il existe une troisième voie, qui consiste à s’adresser aux marchés publics, à parler de la structure de gouvernance de nos aéroports et à voir s’il est possible d’établir des partenariats publics dans le cadre de cet effort. Ma réponse est que cela est possible. Des fonds souverains canadiens investissent aujourd’hui des milliards de dollars dans les aéroports internationaux. C’est Toronto Teachers qui est le principal actionnaire de l’aéroport London City. Ils sont l’un des principaux actionnaires et ont investi des milliards de dollars pour soutenir la croissance de l’aéroport de Londres, et je parle bien de Londres, en Angleterre, pas de London en Ontario.

À mon sens, c’est la preuve que nous disposons de ressources au Canada, qu’il y a des organismes de financement canadiens qui ont intérêt à soutenir l’infrastructure aérienne, par exemple. Lançons le bal. Voyons si c’est possible de changer le modèle de gouvernance de nos aéroports pour faire en sorte que les fonds souverains canadiens, par exemple, envisagent d’investir dans les infrastructures canadiennes plutôt que dans les infrastructures du Royaume-Uni, de Dubaï, de Singapour ou de Hong Kong. Je pense que c’est la meilleure manière de nourrir cet éléphant qui crie famine.

Le sénateur Cardozo : Merci.

M. Prentice : Le professeur Gradek vient de mettre le doigt sur un volet important, à savoir l’augmentation des investissements en provenance du secteur privé. Il est possible de stimuler les investissements du secteur privé en créant un climat propice. Je ne suis pas certain que la privatisation des aéroports soit l’avenue la plus prometteuse. Les données en provenance d’Australie et d’autres pays indiquent qu’il peut y avoir des inconvénients qui n’ont pas encore été pris en compte jusqu’à présent.

J’aimerais revenir à ce que vous avez dit au sujet de l’exploration pétrolière. Nous savons tous que nous ne pourrons pas nous passer de pétrole ou d’hydrocarbures avant au moins 25 ans. Le pire est à prévoir, avant de pouvoir envisager une amélioration de la situation. Je ne suis pas sûr que l’exploitation du Nord et le développement de la prospection soient la meilleure chose à faire. En revanche, je peux affirmer que le problème va s’aggraver, il ne va pas se résorber.

En ce qui a trait aux finances du gouvernement, je répète que nous investissons déjà des sommes considérables pour les gens du Nord, qui demeurent néanmoins dans une situation peu enviable. Nous engageons des dépenses considérables, alors que le problème vient du fait que nous n’avons pas d’échanges commerciaux avec eux. Sans commerce, il n’y a pas d’emplois. Le taux de chômage dans ces communautés est de 80 % et presque tous les habitants y vivent de l’aide sociale. Si nous pouvions prendre cet argent et l’utiliser de manière plus productive — et je reviendrai sur le transport des dirigeables parce que le transport est la clé du développement — pas de transport, pas de commerce; pas de commerce, pas d’emplois; pas d’emplois, pas de revenus. C’est le cycle de la pauvreté. Au Canada, la pauvreté commence là où les routes s’arrêtent. Nous devons faire quelque chose pour que cela change.

Il ne s’agit pas de dépenser des sommes colossales d’argent public. Encore une fois, le secteur public doit fournir l’infrastructure et le secteur privé les éléments mobiles. Il doit fournir les camions, les avions et les navires. Dans le cas des dirigeables, le gouvernement fournirait les bases d’atterrissage et peut-être un hangar, et le secteur privé fournirait les dirigeables et assurerait le service. Cependant, il faut avoir une politique qui permette d’améliorer la qualité de l’air et de l’eau. Il doit y avoir un soutien et une volonté réelle d’y parvenir. On ne peut pas se croiser les bras en espérant qu’un milliardaire viendra résoudre tous nos problèmes.

Le sénateur Cardozo : Vous parlez d’investissements du secteur privé, et non pas de privatisation...

Le président : Posez votre question, sénateur Cardozo, si vous en avez une dernière.

Le sénateur Cardozo : Juste une dernière question. Ce que vous proposez tous les deux, c’est bien d’investir dans le secteur privé et non de privatiser les aéroports?

M. Gradek : Je parle d’investissements privés et non de privatisation.

Le sénateur Cardozo : Je pense que le professeur Prentice dit la même chose.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins pour cette discussion très intéressante sur les infrastructures et tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.

J’ai quelques questions à poser à M. Prentice à propos des dirigeables. Nous ne sommes pas le seul pays nordique au monde. Il y a aussi la Russie, le Groenland, la Finlande, la Suède, etc. D’autres pays utilisent-ils ces dirigeables? Je pense en particulier à la Russie, car la population au Nord du pays est plus importante que la nôtre. Tous ces pays sont certainement confrontés aux mêmes problèmes que nous, à savoir l’érosion des infrastructures due aux changements climatiques.

D’autres pays utilisent-ils ces dirigeables, monsieur Prentice? Et puis, j’aurai une autre question.

M. Prentice : Dans le cas de la Russie, il existe un programme de recherche assez important sur les dirigeables. Le responsable de ce programme a déménagé en Israël, et c’est là qu’il réside aujourd’hui. La société s’appelle Atlas et aspire toujours à construire un dirigeable là-bas. Elle propose de petits dirigeables et des aérostats; c’est son domaine d’activité pour le moment, mais elle a l’ambition de construire un grand dirigeable. La Russie s’y intéresse depuis longtemps.

De manière générale, le problème est que la plupart des pays qui ont développé des dirigeables, l’Europe et les États-Unis, n’ont pas vraiment besoin de tels engins. Ils ont des routes partout. Ce sont des pays comme le Canada qui en ont besoin, mais jusqu’ici nous ne nous étions pas penchés sur la question. C’est ce qui est en train de se produire. La Chine s’y intéresse assurément, mais nous ne savons pas concrètement dans quelle mesure.

L’un des principaux obstacles est l’hélium. L’hélium est un gaz rare. Il est très cher et les gens ont tendance à le craindre dans ce genre d’application. Toutefois, les choses évoluent. Aujourd’hui, nous utilisons l’hydrogène partout : dans les chariots élévateurs et les autobus, et bientôt dans les avions. Nous envisageons son utilisation comme carburant et comme pile à combustible. Les gens connaissent mieux l’hydrogène et nous avons aussi des capteurs qui peuvent le détecter, alors qu’il y a 85 ans, c’était juste un gaz dangereux, personne ne pouvait le sentir, le goûter ou le voir. Cela a créé beaucoup de paranoïa. Aujourd’hui, nous savons comment le manipuler et il ne fait aucun doute que nous reviendrons à l’hydrogène.

La sénatrice Dasko : Y a-t-il des pays qui utilisent ces dirigeables dans le Nord pour faire face aux problèmes liés aux changements climatiques? Ils ont certainement les mêmes problèmes avec les infrastructures routières, comme vous l’avez dit. Les saisons sont plus courtes, par exemple. Les autres pays utilisent-ils des dirigeables?

M. Prentice : La Finlande dispose d’un petit groupe qui a mis au point un drone dirigeable à base d’hydrogène qui survole le pays pour surveiller les lignes hydroélectriques et procéder à des inspections. Il s’agit d’une industrie ou d’une technologie qui s’adapte très bien, mais il ne faut pas oublier qu’il y a un obstacle important au départ. Les dirigeables doivent pouvoir être entreposés dans des bâtiments très grands, et les dirigeables ont une taille comparable à celle d’un paquebot. Cela implique des dépenses importantes au départ. Le principal frein au développement de l’industrie du dirigeable a toujours été la capacité à aller chercher des fonds.

Il y a aussi eu de faux départs. Mais si nous pouvons envoyer un homme sur la Lune et un véhicule sur Mars, nous pouvons certainement envoyer un dirigeable à Baker Lake. C’est comme ça que nous voyons la chose.

La sénatrice Dasko : Merci. J’ai une autre question. C’est en lien avec les dirigeables, mais la question a été soulevée plus tôt au sujet de l’exploitation des ressources dans le Nord. J’aimerais demander aux deux témoins, à M. Prentice en particulier, si les dirigeables peuvent effectivement être utilisés ou s’ils peuvent contribuer à l’exploitation des ressources dans le Nord, comment cela fonctionnerait-il concrètement?

De plus, monsieur Gradek, quelle est la réponse à la question précédente? Y a-t-il une solution au problème de l’exploitation des ressources compte tenu des changements climatiques et de l’érosion des infrastructures? Quels sont les meilleurs moyens d’y parvenir, ou devrions-nous plutôt abandonner l’exploitation des ressources dans le Nord et poursuivre l’exploitation des ressources dans le Sud? Je pose la question à l’un ou l’autre témoin, ou aux deux, s’il vous plaît. Merci.

M. Prentice : Je commencerai simplement par dire qu’une des entreprises, Torngat, en est au stade où elle souhaiterait bien utiliser des dirigeables. Elle travaille sur les terres rares. Elle est déjà dans le projet. Si vous avez un dirigeable, elle est prête à l’utiliser.

N’importe quel producteur de métaux de base pourrait être intéressé. Nous avons quelques mines dans le Nord. L’acier de Rivière Sainte-Marie, par exemple, bien que ce soit sur la côte. Il y en a une dans le nord du Québec, elle aussi sur la côte.

Si l’on veut se déplacer vers l’intérieur des terres, le problème est le coût de l’infrastructure nécessaire pour atteindre les sites d’extraction. Les dirigeables pourraient être une solution. Nous préparons le produit concentré, de sorte qu’il ne s’agit pas d’extraire uniquement de la roche, et nous ne faisons que transporter les marchandises de la mine à la gare ferroviaire ou à la route la plus proche. Le transbordement se fait à cet endroit. C’est ce qui est envisagé. Il est certain que cela ouvrirait l’accès à plusieurs sites.

Beaucoup de gisements minéraux sont bien connus, mais nous n’avons pas les moyens d’y accéder en raison d’un manque d’infrastructures.

M. Gradek : Je pense que M. Prentice a raison quand il parle d’examiner les options qui s’offrent à nous en matière d’exploitation minière. L’infrastructure et les transports sont essentiels. Le transport routier, ferroviaire et aérien coûte très cher.

La plupart des mines sont installées près de l’eau. S’il est question de développement à l’intérieur des terres, où l’on trouve la plupart des minerais, nous avons besoin d’une méthode de transport alternative. Je pense que les dirigeables ont besoin d’une politique publique. Le gouvernement doit affirmer haut et fort qu’il envisage l’utilisation des aérostats plus légers que l’air. Les dirigeables ne sont soumis à aucune réglementation. Qu’en est-il de leur construction, de leur exploitation? Comment certifier un pilote ou un mécanicien? Nous avons besoin de ce genre d’infrastructure. C’est probablement un premier pas dans la bonne direction que de reconnaître que nous avons besoin d’une infrastructure de transport différente de celle dont nous disposons aujourd’hui.

La sénatrice Dasko : C’est une option sérieuse pour l’exploitation des ressources?

M. Gradek : Oui, tout à fait.

Le président : Au nom du comité, je souhaite remercier nos témoins. Comme vous l’avez vu, nous avons dépassé le temps qui nous était alloué. Je pense que nous aurions pu continuer longtemps. C’était très instructif et très utile. Merci.

(La séance est levée.)

Haut de page