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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour effectuer une étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Je m’appelle Julie Miville-Dechêne, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente de ce comité. Je voudrais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Klyne : Bonsoir, Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

La vice-présidente : Honorables sénateurs, ce soir, nous poursuivons notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications. Nous entendrons des chercheurs de partout au pays qui nous feront part de leur expertise.

Dans notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Alison Perrin, professionelle de recherche, Adaptation et Résilience dans le Nord, Université du Yukon. Nous sommes également heureux d’accueillir, par vidéoconférence, M. Jeff Birchall, professeur agrégé, Department of Earth and Atmospheric Sciences, Université de l’Alberta, et M. Kees Lokman, professeur agrégé et président, Architecture paysagère, Université de la Colombie- Britannique.

[Français]

Bienvenue et merci d’être ici parmi nous. Nous commencerons par les remarques d’ouverture d’Alison Perrin, suivies de celles du professeur Birchall et du professeur Lokman. Nous procéderons par la suite aux questions des membres du comité. Madame Perrin, la parole est à vous d’abord, vous aurez environ cinq minutes.

[Traduction]

Alison Perrin, professionelle de recherche, Adaptation et Résilience dans le Nord, Université du Yukon, à titre personnel : Bonsoir, honorables sénateurs. Je m’appelle Alison Perrin. Je suis chercheuse à l’Université du Yukon et je me concentre sur l’adaptation et la résilience. Je travaille à Whitehorse, au Yukon, et je vis dans le petit village de Mount Lorne, sur les territoires traditionnels de la Première Nation de Carcross/Tagish et de la Première Nation des Kwanlin Dün. Si vous réussissez à venir nous rendre visite, vous verrez que c’est un très bel endroit.

Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui de ce sujet très important. Je vais me concentrer sur l’incidence des changements climatiques sur le transport dans le Nord, un sujet dont je m’occupe au travail, mais que je vis personnellement puisque j’habite dans le Nord.

Les réseaux de transport dans le Nord sont rares et très vulnérables aux impacts des changements climatiques. Les réseaux de transport essentiels comprennent les autoroutes et les routes de glace, les aéroports et les voies de navigation, et le mode de vie des habitants du Nord est souvent très différents de ceux des citadins du Sud. Les gens se déplacent régulièrement en motoneige et en véhicule tout-terrain, de sorte que les réseaux de transport ne se limitent pas aux routes; ils comprennent des réseaux de sentiers, des rivières, des lacs, la glace marine et les sentiers terrestres.

Ces réseaux de transport sont nos moyens de survie. La plupart des communautés, peut-être même toutes, n’ont que très peu de points d’accès rattachant une autoroute à un aéroport ou à un port.

Les changements climatiques endommagent ces réseaux de transport de différentes manières, mais je vais me concentrer sur trois principaux domaines d’impact.

Premièrement, il y a le dégel du pergélisol. Le pergélisol est le fondement sur lequel des gens du Nord bâtissent leur vie entière. Trois principaux éléments entraînent le dégel du pergélisol, et les changements climatiques intensifient deux d’entre eux : la température et les niveaux d’eau, dont l’augmentation cause des précipitations, une fonte soudaine, des épisodes de pluie sur neige et autres. Le troisième élément est la perturbation. Nous devons donc construire avec beaucoup de prudence sur le pergélisol.

Le deuxième domaine d’impact regroupe les événements extrêmes comme les glissements de terrain, les feux de forêt, les inondations et l’emportement par les eaux. Tous ces éléments causent souvent des dommages catastrophiques aux infrastructures de transport ou y entravent l’accès. Les changements climatiques accroissent le nombre de ces événements.

Les gens qui ont été évacués des Territoires du Nord-Ouest l’été dernier ont vécu des expériences terrifiantes. Ils ont été obligés de fuir leur communauté par la seule route disponible qui, parfois, traversait ou longeait les feux de forêt.

Au Yukon, nous avons fait face à une série de graves problèmes d’accès au cours de ces trois dernières années. Je ne peux pas vraiment les compter de mémoire. Nous avons eu des glissements de terrain, des inondations et des emportements de terrain par les eaux. Les feux de forêt ont fermé deux autoroutes qui servent au transport des marchandises vers le Yukon ainsi que la route qui mène à Dawson City.

Le troisième domaine d’impact est celui du gel et du dégel. De nombreuses communautés et certaines mines du Nord, en particulier dans les Territoires du Nord-Ouest, dépendent des routes de glace pour effectuer le transport hivernal essentiel. De nombreuses communautés se déplacent sur la glace marine, sur des lacs ou sur des rivières. Dans l’Inuit Nunangat, la terre natale des Inuits au Canada, la glace marine est la route principale. Les habitants en dépendent pour voyager et chasser. Le gel tardif et le dégel précoce ainsi que les changements de la qualité de la glace réduisent la viabilité de ces moyens de transport.

Ces impacts perturbent beaucoup la vie des habitants du Nord et leurs réseaux de transport. Premièrement, ils menacent la sécurité des voyageurs. Il y a le risque de tomber dans la glace, d’être pris dans un glissement de terrain ou dans une avalanche, de devoir traverser un feu de forêt, comme je l’ai dit tout à l’heure, et bien d’autres dangers.

Deuxièmement, les coûts qui en découlent constituent en permanence un énorme problème. Ces coûts sont bien documentés. La construction et l’entretien de réseaux routiers et d’autres infrastructures coûtent très cher. La construction dans le Nord coûte plus cher que partout ailleurs au Canada à cause du prix élevé des matériaux et de la main-d’œuvre ainsi que des nécessités logistiques et environnementales. Dans certaines circonstances, bien que cela coûte très cher, il est plus rentable de reformer des routes de glace chaque année que de construire une route qui serait praticable en tout temps, parce qu’il est trop difficile de la construire.

La construction sur le pergélisol coûte très cher. Il faut examiner soigneusement le site et adapter les techniques de construction. L’entretien des infrastructures est aussi extrêmement coûteux. Elles se dégradent plus rapidement, et il faut les remplacer plus tôt que dans les autres régions. Juste à l’extérieur de Whitehorse, sur la route principale qui donne accès à un certain nombre de communautés du Yukon et à l’Alaska, le gouvernement du Yukon est en train de déplacer un tronçon de route pour éviter l’affaissement rapide et spectaculaire du pergélisol.

Enfin, l’accès est un problème critique qui a d’importantes répercussions sur la vie quotidienne des gens. Les autoroutes, les pistes et les voies de navigation sont nos moyens de survie. Certaines communautés ne disposent que d’une ou deux voies d’entrée et de sortie. Quand ces voies sont coupées, la nourriture devient rare, on ne peut plus effectuer les déplacement importants, il devient très difficile de recevoir des soins de santé, d’aller visiter de la famille ou de voyager pour la chasse, le piégeage ou le travail.

Quand une route ou la seule autoroute qui nous relie au Sud est fermée, les camions ne peuvent plus livrer d’aliments au Yukon. Lorsque l’on ferme l’autoroute, au bout de quelques jours il ne reste plus grand chose sur les tablettes de l’épicerie. Lorsque les avions ne peuvent plus atterrir dans des communautés qui n’ont pas accès à l’autoroute, les denrées et les aliments frais se font rares.

Même si l’ensemble de la population est touchée, certaines personnes en souffrent plus que d’autres. Certaines personnes ne conservent pas un surplus d’aliments dans leur maison parce qu’elles se les procurent à la banque alimentaire chaque semaine, parce qu’elles n’ont pas d’endroit où les entreposer ou parce qu’elles nourrissent une famille élargie. Certaines personnes doivent voyager régulièrement pour des raisons médicales critiques ou pour subvenir aux besoins de leur famille élargie.

Ces problèmes sont très graves. Beaucoup de solutions sont à l’étude. Les solutions technologiques sont importantes et peuvent améliorer la façon dont nous bâtissons, surveillons les changements climatiques et cernons les problèmes avant qu’ils ne se manifestent. Il est toutefois aussi important de soutenir les modes de résilience des communautés. Il faut les aider à surmonter les interruptions de la chaîne d’approvisionnement en lançant des programmes alimentaires locaux, en améliorant les centres de soins de santé communautaires et en investissant dans la planification d’urgence.

Les habitants du Nord possèdent une expertise technique considérable et connaissent bien les problèmes et leurs solutions. Ils reçoivent le soutien et les conseils d’experts locaux et ont recours aux partenariats existants pour trouver des solutions. Une grande partie de cette expertise se trouve dans les administrations locales, mais aussi dans les milieux de la recherche et de l’ingénierie. De nombreux organismes du Nord s’occupent de la sécurité alimentaire, de la santé, de l’adaptation et autres.

Comme dans d’autres organismes du Nord, à l’Université du Yukon, nous avons l’avantage de vivre dans la région que nous étudions. Nous observons donc directement l’impact des changements climatiques. Nous pouvons accéder à nos sites de recherche à tout moment de l’année et suivre les problèmes à mesure qu’ils surviennent.

Pourtant, il nous est très difficile de maintenir nos programmes de recherche. À bien des égards, nous travaillons en partenariat avec les universités du Sud et nous comptons sur leur expertise. Cependant, quand nous cherchons à obtenir des ressources, nous perdons la partie, car elles ont plus d’avantages concurrentiels que nous.

Il est crucial d’investir pour soutenir et développer l’expertise du Nord, non seulement au Yukon, mais dans toutes les régions nordiques où des institutions et des organismes s’efforcent de prospérer.

En conclusion, je tiens à souligner la gravité de ce problème dans le Nord. C’est très important. Nous aimerions beaucoup travailler en partenariat avec les gens du Sud, mais nous voulons aussi que l’on investisse dans notre propre expertise pour nous aider à régler ces problèmes. Merci beaucoup de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui.

La vice-présidente : Je vous remercie pour ce témoignage émouvant. Nous sommes heureux que vous soyez venue.

Jeff Birchall, professeur agrégé, Department of Earth and Atmospheric Sciences, Université de l’Alberta, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous faire part de mon point de vue sur la planification et la résilience en matière de changements climatiques au Canada.

Je m’appelle Jeff Birchall et je suis professeur agrégé à la School of Urban and Regional Planning de l’Université de l’Alberta. Je suis également directeur associé de notre école, directeur du Climate Adaptation and Resilience Lab, et je dirige le réseau thématique de la planification locale, des changements climatiques et de la résilience de l’organisme UArctic. Je suis également planificateur professionnel certifié.

Mon programme de recherche est fondé sur la planification communautaire. Il s’agit d’une initiative interdisciplinaire visant à explorer le thème général de la résilience et de la durabilité aux changements climatiques à l’échelle locale et régionale. Mon travail porte principalement sur la dynamique décisionnelle entourant les facteurs motivationnels et les niveaux de planification locale face aux risques que posent les changements climatiques.

Je m’intéresse particulièrement aux impacts climatiques localisés et à leur incidence sur les infrastructures essentielles et sur les formes de construction. J’examine leurs liens avec la planification et les décisions stratégiques et je cherche à interpréter leur importance pour le bien-être et la sécurité des collectivités.

J’aborde cette recherche principalement en mobilisant des acteurs clés et des intervenants locaux, en évaluant physiquement des sites et en analysant des documents de planification stratégique. Mon équipe de recherche — mes étudiants et moi —, essayons de comprendre les obstacles nuancés qui entravent l’adaptation aux changements climatiques. Qu’est-ce qui empêche les collectivités de s’adapter efficacement aux changements climatiques?

Dans ce contexte, il s’agit de comprendre les obstacles à l’installation et à l’entretien d’adaptations à des infrastructures comme les digues et les barrages. Nous étudions aussi les obstacles à l’élaboration et à la mise en œuvre souples de ces adaptations, comme la politique ou le zonage.

Divers facteurs retiennent le passage à l’action. Il y a le manque de volonté communautaire ou politique, qui est souvent motivé par des facteurs idéologiques qui comprennent même, dans certains cas, le refus de croire aux changements climatique. De plus, bien des gouvernements locaux rejettent les initiatives proposées. Certains jugent que les impacts ne sont pas assez graves pour justifier une intervention et ils préfèrent attendre à plus tard. D’autres considèrent que les impacts ne causent pas encore de graves répercussions ou que la responsabilité d’agir relève d’autres entités, comme d’autres ordres de gouvernement.

D’autres priorités locales urgentes, comme le développement ou la croissance économique, ou encore l’investissement dans les services sociaux, repoussent souvent les mesures d’adaptation aux changements climatiques au second plan. Dans d’autres cas, il s’agit simplement de l’impossibilité d’agir à cause d’un manque de personnel, de fonds ou de données probantes.

Les initiatives d’adaptation lancées localement sont souvent réactives et peu prioritaires. Elles s’accompagnent de discours creux et se déroulent dans le cadre d’un programme d’importance secondaire. On les intègre généralement de façon inefficace dans la planification stratégique.

Ces initiatives reflètent une faible perception des risques qui menacent la collectivité, ce qui peut décourager l’action politique. Cette attitude découle souvent d’une coordination limitée à l’interne et entre les ordres de gouvernement. Elle complique souvent les querelles sur les limites de compétence, ce qui retarde le passage à l’action. Tout cela finit souvent par entraîner un déficit d’infrastructures.

Par exemple, les normes d’infrastructures ne tiennent souvent pas assez compte de l’imprévisibilité et de la gravité des effets climatiques actuels et futurs. Dans bien des cas, l’entretien des infrastructures est confié aux gouvernements locaux sans leur fournir un soutien financier adéquat, et les gouvernements locaux ne comptabilisent pas et ne se préparent pas efficacement aux coûts à long terme. Les infrastructures manquent aussi souvent de redondance, ce qui peut avoir des répercussions à grande échelle pendant et après une catastrophe climatique, tant sur le plan de la gestion des urgences que sur celle des perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Cela peut avoir des répercussions sur l’ensemble de l’économie tant régionale que nationale.

Les collectivités du Canada sont mal préparées aux changements climatiques. La planification urbaine est axée sur le développement et la croissance, mais l’infrastructure essentielle nécessaire pour soutenir cette croissance est souvent mal entretenue, sous-développée et inférieure au code actuel. On envisage encore moins ce qui sera nécessaire à l’avenir.

Pour aider les collectivités à devenir plus résilientes, il faudrait mener des études de recherche qui examinent et prévoient les impacts climatiques locaux. Cela permettrait aux décideurs de mieux comprendre les risques. Nous avons besoin d’études qui explorent comment « rebâtir en mieux » et, en pratique, comment l’apprentissage pendant et après une catastrophe s’intégrerait au processus de gouvernance. Il faut mener des études de recherche sur la façon de financer équitablement la résilience des infrastructures entre tous les ordres de gouvernement et à long terme.

En fin de compte, nous devons mieux comprendre ce qui rend les infrastructures vulnérables du point de vue de leur conception et de leur emplacement et aussi du point de vue de la prise de décisions. Autrement dit, la collectivité est-elle vulnérable parce que la digue n’est pas assez haute ou parce que des vannes mal entretenues ferment mal? Le problème tient-il au fait que l’activité des tempêtes côtières mine le principal conduit vers un hôpital ou au fait que le réseau de transport manque de redondance?

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Birchall. Je donne la parole maintenant à M. Lokman. Monsieur Lokman, vous avez la parole.

[Traduction]

Kees Lokman, professeur agrégé et président, Architecture paysagère, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Chers membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de mes réflexions sur les effets qu’ont les changements climatiques sur les infrastructures essentielles. Je m’appelle Kees Lokman et je suis professeur agrégé et titulaire de la chaire d’architecture de paysage à l’Université de la Colombie-Britannique. Je suis aussi directeur du Coastal Adaptation Lab à l’Université de la Colombie-Britannique. Je tiens à souligner que je vous parle de Vancouver, qui se trouve sur les territoires traditionnels non cédés des Premières Nations Squamish, Musqueam et Tsleil-Waututh.

Avant de vous citer les infrastructures essentielles qui se trouvent parmi les plus vulnérables aux changements climatiques dans ma région, je voudrais préciser la définition d’infrastructures essentielles, ce qui aidera le comité à choisir des études de cas.

Au cours de mes recherches, il est devenu évident que les gens, les groupes et les collectivités définissent l’expression « infrastructures essentielles » de manières très diverses. Pour certains, les infrastructures essentielles sont des réseaux physiques et des installations comme des routes, des chemins de fer, des établissements de santé, des réseaux de services publics, etc. Pour d’autres, notamment pour de nombreuses communautés autochtones, cependant, les terres humides et les forêts, pour n’en nommer que quelques-unes, devraient également être considérées comme des infrastructures essentielles, car elles soutiennent les moyens de subsistance, les modes de vie et la biodiversité. Par conséquent, avant d’élaborer des outils d’aide à la décision et de faciliter la mise en œuvre de solutions d’adaptation aux changements climatiques, il sera important d’élaborer une compréhension commune et une définition de travail des infrastructures essentielles qui soit inclusive et que tout le monde partage.

Dans ce contexte, mes recherches ont surtout porté sur la région du bas Fraser, en Colombie-Britannique, et mes recommandations portent principalement sur cette région.

Le port de Vancouver est le port canadien le plus important et le plus diversifié en Amérique du Nord. Il est donc important pour la région et pour le Canada dans son ensemble. Toutefois, son emplacement en bordure de l’eau le rend vulnérable à l’élévation du niveau de la mer et aux ondes de tempête. Il est aussi vulnérable parce qu’il dépend de chaînes d’approvisionnement mondiales, et les inadaptations d’autres parties du monde peuvent avoir une incidence sur l’accès aux biens et aux produits au Canada.

Parallèlement, les aménagements portuaires et la protection des réseaux ferroviaires et routiers connexes ont nécessité le remplissage de terres humides et de marais salés, le durcissement des rives. Ils ont érodé les berges et pollué l’eau. Ils ont aussi causé la disparition et la dégradation des écosystèmes côtiers critiques et de la biodiversité. Tout cela nuit à l’une des plus grandes régions de frai du saumon au monde. Cette région abrite d’autres espèces de poissons et d’oiseaux importantes sur les plans écologique et culturel. Nous devons donc trouver des moyens de restaurer et de régénérer ces écosystèmes, que certains considèrent comme des infrastructures essentielles. Cette régénération est devenue critique dans le contexte des changements climatiques et des pressions constantes du développement.

L’événement atmosphérique de novembre 2021 en Colombie-Britannique a révélé l’importance cruciale qu’ont certaines routes pour la connectivité régionale et internationale. Ces corridors de transport comprennent les routes 1, 5 et 7 de la Colombie-Britannique ainsi que la route 99, qui est reliée à l’Interstate 5 des États-Unis.

Mais comment protéger ces routes contre les impacts climatiques, notamment les inondations et les feux de forêt? Devrait-on les adapter là où elles se trouvent ou les réaligner pour laisser plus de place aux plaines inondables et aux autres écosystèmes? Comment prendra-t-on ces décisions à l’échelle régionale avec le manque de coordination régionale que l’on observe sur ces questions?

À un niveau plus local, il faut faire de la recherche pour comprendre comment les inondations, les feux de forêt et d’autres événements climatiques influeront sur le fonctionnement et sur l’accessibilité aux services essentiels locaux comme les casernes de pompiers, les services communautaires, les hôpitaux, les cliniques de santé, les écoles et autres. Il faut que nous comprenions comment les gens se rendent à ces installations et comment les réseaux électriques et d’autres réseaux dont ces installations dépendent pourraient être touchés par des inondations et par d’autres phénomènes atmosphériques.

Mentionnons enfin l’aéroport international de Vancouver, qui est situé dans une plaine inondable. Autrement dit, l’élévation du niveau de la mer, les ondes de tempête, les conditions météorologiques changeantes et les tremblements de terre pourraient avoir de graves répercussions sur le fonctionnement et sur la capacité opérationnelle de l’aéroport. Il faut se demander ce qui arriverait si l’aéroport cessait de fonctionner pendant des jours ou des semaines. Il faut que nous comprenions mieux le déroulement de ces situations possibles et leurs répercussions sur les résidants, sur les collectivités locales ainsi que sur les économies régionales.

En conclusion, je crois qu’il sera important que le comité tienne compte de différents points de vue et des divers systèmes de connaissances pour définir l’expression « infrastructures essentielles » afin d’orienter son choix d’études de cas. Je félicite le comité d’avoir décidé de se consacrer à ce travail urgent et pertinent et j’ai hâte de lire vos conclusions et vos recommandations. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Lokman.

Je remercie nos témoins pour leurs déclarations préliminaires. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant par la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Merci pour ces trois exposés très intéressants. Je ne sais pas par qui commencer. Je vais suivre l’ordre chronologique et commencer par Mme Perrin.

Hier, nous avons beaucoup entendu parler de la fragilité du pergélisol. Un expert nous a dit qu’il pourrait fondre d’ici à la fin du siècle. Nous ferons face à un problème bien plus grave que celui de l’entretien des routes, avec la libération de tout le carbone séquestré dans le pergélisol. Nous avons beaucoup entendu parler non seulement des routes de glace, mais aussi de l’importance des voies navigables gelées comme corridors de transport.

Dans quelle mesure devrions-nous nous inquiéter des accidents, non seulement des motoneigistes, mais aussi des convois de camions ou d’équipement lourd qui voyagent sur la glace? Est-ce que quelqu’un fait le suivi de ces incidents? Quelle doit être l’épaisseur de la glace pour que ces gros véhicules puissent emprunter ces routes?

Mme Perrin : Parlez-vous des routes de glace?

La sénatrice Simons : Ou du passage sur la glace des lacs et des rivières.

Mme Perrin : Dans le cas des gros véhicules de transport, ces incidents sont rares. On applique d’assez bons protocoles de sécurité lorsque les routes sont ouvertes à la circulation. Pour ce qui est des personnes qui conduisent sur des cours d’eau gelés — par exemple, nous en avons un qui relie deux secteurs de Dawson City et que les résidants utilisent régulièrement en hiver —, il y a des responsables qui surveillent quand elle peut être ouverte ou non.

Oui, nous avons des problèmes de sécurité. Les chiffres ne sont pas élevés, mais nous constatons une augmentation du nombre d’incidents individuels avec des motoneiges et des véhicules de ce genre qui se déplacent sur la glace des lacs et de la mer. Il arrive que les gens ne comprennent pas nécessairement les conditions — les conditions ne sont plus ce qu’elles étaient. Leur compréhension ou leur connaissance de ce qui se passe et quand cela se passe n’est souvent pas à jour ou aussi précise qu’elle ne l’était dans le passé. Cela pose un problème.

La sénatrice Simons : Je crois que l’autre question soulevée par nos témoins hier porte sur le moment où l’on devra reconnaître que ces routes de glace traditionnelles construites sur le pergélisol ne peuvent plus être sauvées ou entretenues.

Hier, nous avons entendu un témoin extrêmement enthousiaste à l’idée de remplacer le transport terrestre par du transport en dirigeables. Au début, cela semblait fantaisiste, mais en repensant à tous les témoignages soulignant que la saison des routes de glace est de plus en plus courte et que ces routes sont de moins en moins capables de soutenir de lourdes charges, il y a de quoi se demander si nous en arriverons à ne plus pouvoir les utiliser.

Mme Perrin : Oui, et je pense que cela dépend de l’utilisation que l’on fait de ces routes de glace. Le secteur minier en particulier a besoin de cette saison pour acheminer ses produits de la façon la plus abordable possible, alors il est obligé de les utiliser. Par contre, dans le cas des routes de glace qui mènent aux collectivités, on essaie de les tenir ouvertes le plus longtemps possible pour que les résidants puissent entrer et sortir jusqu’à la période où ils devront attendre le transport par chalands. Ce sont deux approches différentes de la viabilité d’une route de glace. Je ne connais rien aux dirigeables, alors je ne peux pas vraiment parler de cette option.

La sénatrice Simons : Nous en savons tous plus qu’hier.

Mme Perrin : Mais je pense que l’on a consacré beaucoup de temps, surtout dans les Territoires du Nord-Ouest, à évaluer s’il vaut la peine de continuer à construire des routes de glace ou s’il vaudrait mieux construire des routes toutes saisons pour régler ces problèmes. Beaucoup de gens se penchent sur cette question.

La sénatrice Simons : Monsieur Birchall, j’ai bien apprécié votre témoignage, parce que tous les témoins nous ont parlé des problèmes physiques, mais vous nous avez décrit les problèmes politiques et sociaux.

Selon votre analyse, que va-t-il se passer? Est-ce qu’il va falloir une affreuse calamité pour que les gens se rendent compte qu’il faut... Ce n’est pas un problème que nous voulons laisser à nos arrière-petits-enfants. C’est un problème que nous devrons régler au cours de ces 10 à 15 prochaines années si nous voulons vraiment maintenir le niveau de vie auquel nous sommes habitués.

M. Birchall : Vous avez tout à fait raison. Je ne veux pas répondre à votre question dans un ton cynique, mais nous avons vraiment besoin de sensibilisation et d’une volonté politique de passer à l’action. Si nous voulons concevoir une route qui résistera aux sols divers que produit le pergélisol, nous y réussirons probablement, mais il nous faudra de la volonté politique pour cela.

Si nous voulons modifier les codes du bâtiment d’une collectivité pour qu’elle puisse mieux s’adapter au dégel du pergélisol en laissant simplement le chauffage ambiant s’échapper avant qu’il ne retourne dans le sol, il nous faudra de la volonté politique. Pour la développer, il faut que le public comprenne que les risques augmentent et qu’ils vont nuire à beaucoup de gens. Cette compréhension déclenchera le passage à l’action.

Ce problème me semble très délicat. J’ai axé ma déclaration préliminaire sur l’aspect social des choses plutôt que sur les infrastructures physiques, mais les études de recherche que je mène partout au Canada portent sur les différents impacts que subissent les infrastructures et sur la façon dont ils orientent la planification urbaine. Nous en revenons toujours à la volonté d’agir, à la volonté de comprendre que nous aurions dû agir hier et que nous ne pouvons pas remettre cela à demain. À l’heure actuelle, il est très difficile de rallier tout le monde autour d’un même but.

Comme vous l’avez dit, il faut parfois un événement déclencheur pour rallier les gens. Habituellement, tout de suite après l’événement, il y a un moment idéal où les gens sont enthousiastes à l’idée d’agir, mais par la suite, cette attitude change. Le cycle politique reprend, les choses changent de nouveau, et les gens perdent tout intérêt. Dans notre société, nous sommes assez complaisants et nous voulons agir à court terme au lieu d’investir à long terme. À mon avis, cela présente un grand défi.

Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à M. Birchall.

Dans votre article publié le plus récemment, vous abordez un point très important, à savoir qu’il est essentiel que les municipalités évaluent la menace que posent les catastrophes naturelles, notamment celles qui sont exacerbées par les changements climatiques. Vous ajoutez qu’elles devraient appliquer des stratégies pour minimiser les risques qui les menacent et accroître leur résilience. Dans cet article, vous avez également conclu que, d’après votre étude, les règlements de nombreuses municipalités de l’Alberta sur l’utilisation des terres ne contiennent pas assez de dispositions sur l’atténuation des feux de forêt.

Est-ce que vous mentionnez là un exemple de priorités politiques à court terme qui l’emportent sur le bien-être public?

M. Birchall : Je pense qu’on peut certainement l’interpréter de cette façon. Pour en arriver à une réponse définitive à ce sujet, il faudrait mener plusieurs études, mais je pense bien que vous avez raison.

En ce qui concerne les feux de forêt, pour plus de précisions sur l’espace ouvert et de la façon de délimiter les zones, il serait préférable de parler à l’auteur principal de l’article. C’était l’un de mes étudiants diplômés. Il a passé beaucoup de temps à y réfléchir et à essayer de comprendre. À mon avis, c’est un article important sur un sujet important, d’autant plus que les feux de forêt ravagent notre pays. Cette situation ne va pas s’améliorer, elle va continuer de s’aggraver. Que peut faire notre société pour y remédier? Nous devrions mieux planifier nos collectivités. Nous devrions mieux préparer nos maisons. Nous devrions créer des espaces ouverts et renforcer notre résilience. En effet, il est très difficile de prédire la direction que prennent les feux de forêt. Là où il y a déjà des bâtiments, il faut s’efforcer d’atténuer les risques en gérant bien l’utilisation des terres et le zonage.

Le sénateur Klyne : Puisque nous parlons de l’utilisation des terres et des leçons apprises, je vais passer des incendies aux inondations. Vous avez parlé de digues qui ne sont pas assez hautes. Y a-t-il aussi des cas où les digues n’ont pas été construites assez loin pour permettre un débordement, pour laisser la rivière déborder? Si l’on replaçait ces digues plus loin, pourraient-elles retenir plus d’eau sans la laisser déborder?

M. Birchall : C’est aussi une question intéressante. Vous parlez de la notion de défaillance neutralisée. Il est possible de l’intégrer à un système de digues.

J’ai suggéré que certaines digues ne sont pas assez hautes, en effet. Toutefois, d’après mon expérience, dans les collectivités où j’ai mené des recherches, ce n’est pas nécessairement la hauteur qui comptait. Les collectivités n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour entretenir les digues. L’eau pénètre un peu partout, alors les vannes ne suffisent pas pour en faire un mur rigide, par exemple.

Dans d’autres cas, la digue ne devrait pas avoir été construite à cet endroit, parce que la collectivité qui s’est installée derrière la digue ne devrait pas y être non plus. Nous ne devrions pas vider des lacs pour créer des terres agricoles et y installer des collectivités. Si nous sommes obligés de le faire — et il faudra alors une bonne raison de le faire —, nous devrons sérieusement investir dans l’entretien de ces digues pour qu’une catastrophe comme celle qui s’est produite il y a deux ans dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, ne se reproduise pas.

Le sénateur Klyne : À cet égard, je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dites qu’une collectivité ne devrait pas s’y installer. Pourquoi construire à cet endroit? Lorsque cette collectivité fait face aux répercussions tragiques d’une inondation, mais qu’elle décide de reconstruire les digues et les maisons qui se trouvaient là, n’est-ce pas une vraie folie?

M. Birchall : Je n’irais pas si loin, mais je suis d’accord avec vous. Je ne pense pas qu’elle devrait reconstruire à cet endroit.

Cela nous ramène à ce que je disais au sujet de « rebâtir en mieux ». « Rebâtir en mieux » ne signifie pas que l’on rebâtira au même endroit. Cela signifie qu’il faut réfléchir aux problèmes afin de ne pas se retrouver dans une même situation à l’avenir. Si les bâtiments se trouvaient dans une plaine inondable et qu’il est possible de reconstruire ailleurs, faisons-le, parce qu’il est certain que la plaine inondable se fera de nouveau inonder, et en y reconstruisant les bâtiments, nous ferons face à des problèmes complexes.

Ce sont des décisions que prend notre société. Ces conditions environnementales ne vont pas changer. En fait, oui, elles vont changer, mais en empirant. Elles se reproduiront toujours. Nous pouvons atténuer les changements climatiques, mais notre société ne s’en tire pas très bien à cet égard. Il faut que nous apprenions à nous adapter aux événements qui se produisent.

Le sénateur Quinn : Merci aux témoins d’être venus ce soir. L’information que vous nous présentez est fascinante et elle confirme celle des témoins précédents.

J’aimerais vous poser une question, professeur Lokman, au sujet de la situation que vous avez décrite à l’aéroport YVR et au port de Vancouver, en Colombie-Britannique. Pendant les Jeux olympiques de Vancouver, j’ai eu l’occasion de visiter les centres d’intervention et d’opérations mis sur pied et construits selon des normes très strictes en cas de tremblement de terre. J’ai été impressionné par la préparation aux tremblements de terre qui se faisait à cette époque. Je crois que cette préparation se poursuit encore aujourd’hui. Se prépare-t-on aussi consciencieusement aux changements climatiques?

Je crois que M. Birchall a dit que les gens oublient vite les catastrophes lorsque la vie normale reprend. En fait, j’ai vécu une inondation en 2018 au Nouveau-Brunswick, puis une autre moins dévastatrice en 2019. Les gens ont la mémoire courte, parce que les résidants ont entrepris des rénovations majeures, et l’on construit dans ces secteurs encore aujourd’hui.

En Colombie-Britannique, et plus particulièrement dans la vallée du bas Fraser, accorde-t-on autant d’attention aux changements climatiques et aux catastrophes qui s’y sont produites et dont vous avez parlé, notamment à l’aéroport international de Vancouver et au port?

M. Lokman : C’est une excellente question. Curieusement, le Village olympique a été construit en 2010, mais on n’a pas tenu compte des prévisions d’élévation du niveau de la mer à ce moment-là. Je crois qu’on en tient compte maintenant. Les normes relatives aux digues intègrent la stabilité sismique ainsi que l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation future des précipitations climatiques.

En ce qui concerne le port, l’aéroport et certains systèmes ferroviaires, je trouve que la façon dont on examine les projections sur les changements climatiques et dont on les intègre dans les mises à niveau qui sont en cours est assez mystérieuse. Plusieurs améliorations apportées à des routes et à des réseaux ferroviaires au cours de ces dernières années ne sont pas plus avancées qu’il y a 10 ou 20 ans. On ne semble donc pas intégrer ces projections.

Il est impérieux qu’elles soient intégrées aux règlements, aux politiques et à tous les types de financement de ces mises à niveau. On s’attend à ce que cela se fasse à partir de 2100, mais nous ne percevons rien dans cette direction à l’heure actuelle.

Le sénateur Quinn : Vous avez très bien décrit la façon dont on fait les choses et l’attention qu’on y accorde. Comment pouvons-nous signaler cette situation, ce problème, au grand public de la vallée du bas Fraser pour qu’il en comprenne la gravité? Quand le public est mieux informé, il incite les ordres de gouvernement à porter attention aux problèmes. Comment pouvons-nous amener les ordres de gouvernement à collaborer pour régler des situations problématiques que le grand public porte à leur attention?

M. Lokman : Si je le savais, je ne serais probablement pas ici.

Le sénateur Quinn : Je ne serais probablement pas ici.

M. Lokman : C’est une excellente question. La gestion des inondations est déléguée aux municipalités locales et aux Premières Nations. Souvent, ces administrations n’en ont même pas la capacité interne. Les petites municipalités et les Premières Nations n’ont pas d’employés qui aient la formation et la capacité de s’attaquer à ces problèmes.

S’il n’y a pas de mandat incitant les collectivités à travailler ensemble, elles prendront les choses en main et risqueront d’effectuer de mauvaises adaptations. Même si les résidents en sont bien informés, je crois que les démarches doivent partir au moins du niveau provincial, voire du niveau fédéral. Il faudra pour cela un esprit de collaboration et une gouvernance régionale axée sur les enjeux des bassins hydrographiques. Autrement, nous n’y réussirons jamais.

Il en va de même pour le financement. Par exemple, la question précédente portait sur le fait de rebâtir en mieux. Le problème, à l’heure actuelle, c’est que l’aide financière en cas de catastrophe ne permet que de rétablir les conditions qui existaient avant l’événement. Nous ne pouvons donc pas vraiment prendre des mesures d’adaptation proactives, parce que nous ne recevons pas de financement pour cela.

Nous faisons face aussi à des problèmes causés par le cloisonnement des paniers de financement. On obtient du financement pour la remise en état, le transport, les propriétés privées et l’atténuation des inondations, mais nous devrions appliquer des solutions holistiques englobant tous ces problèmes. Nous avons besoin de financement pour améliorer la sécurité alimentaire et en même temps la gestion des inondations et en même temps l’amélioration de la faune et de l’habitat. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de ce financement, parce que les fonds sont affectés séparément.

Les résidants peuvent se fâcher et voter, mais il faut absolument réorienter et reconfigurer les cadres de gouvernance et le financement. Les collectivités veulent certaines choses. Elles savent ce qu’elles veulent, mais elles ont de la difficulté à obtenir des fonds pour effectuer les travaux.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Je vous rappelle à tous que nous aimerions parler des infrastructures de transport. Évidemment, c’est un sujet très vaste, mais essayons de nous concentrer sur le transport.

Je comprends tout à fait ce que vous avez dit, monsieur Lokman, au sujet de la définition des infrastructures essentielles. Je vous remercie de nous l’avoir rappelé, mais nous essayons de nous concentrer sur les impacts qu’ont les changements climatiques sur les infrastructures de transport. Mais je ne vous retiens pas.

La sénatrice Simons : J’aimerais poursuivre dans la même veine que M. Birchall. Il a dit qu’au lendemain d’une crise, la plupart du temps, l’esprit des gens est axé sur les problèmes.

Dans la foulée immédiate de la crise des inondations en Colombie-Britannique, le Comité de l’agriculture a mené une étude sur les causes de ces inondations. Nous avons alors appris que la province de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral avaient confié l’entretien des digues aux municipalités de la vallée du bas Fraser. Lorsque les digues ont cédé, elles ont partiellement causé les problèmes subis. Cependant, nous avons aussi appris qu’elles n’avaient pas cédé autant qu’on ne l’avait pensé et qu’elles risquaient encore de s’effondrer.

Nous avons donc rédigé un rapport, que nous avons soumis il y a un an. Nous avons demandé au gouvernement de faire certaines choses. Nous avons très bien exprimé nos préoccupations. Cependant, personne n’a fait quoi que ce soit.

Je vais d’abord m’adresser à M. Lokman, parce qu’il n’a pas encore eu l’occasion de me répondre, mais je vais vous poser cette question à tous les trois. Les municipalités sont souvent les premiers gouvernements sur le terrain à s’attaquer aux répercussions immédiates des catastrophes. Elles sont généralement plus souples que les gouvernements provinciaux et fédéral. Que devons-nous faire pour habiliter les gouvernements locaux et les municipalités à agir, et que devons-nous faire pour leur fournir les ressources et les préparer à agir?

Je vais d’abord demander cela à M. Lokman, puis à Mme Perrin et à M. Birchall.

M. Lokman : Je serai bref, mais je crois avoir touché un peu à cela dans ma réponse précédente.

Nous avons mis sur pied un groupe appelé la Lower Fraser Floodplains Coalition. Avec les Premières Nations et les collectivités locales, ce groupe s’efforce d’élaborer un guide de planification axé sur les bassins hydrographiques.

On ne peut pas confier cela entièrement aux municipalités locales, comme nous l’avons vu, car il leur manque la capacité de s’en occuper. Souvent, les municipalités locales n’établissent pas de liens avec les Premières Nations, alors c’est une chose qu’il faut corriger. C’est un autre ordre de gouvernement qui souvent n’est appelé à participer qu’une fois que les décisions sont prises, alors qu’il devrait participer au même niveau que les autres gouvernements.

Je dirais que cela incombe vraiment à la région du bassin hydrographique. En organisant des tables rondes, du financement et des mandats à ce niveau, nous pourrons faire plus de progrès sur ces questions.

La sénatrice Simons : Madame Perrin, que pouvons-nous faire pour que les gens du Yukon prennent ces décisions?

Mme Perrin : Notre situation est probablement différente, parce que nous avons une grande municipalité, Whitehorse, puis de très petites administrations municipales dans les localités. Nous avons aussi 11 Premières Nations autonomes et 3 qui relèvent toujours de la Loi sur les Indiens, mais où beaucoup de décisions sont prises par des conseils.

Les municipalités et les Premières Nations travaillent souvent ensemble sur ces questions et misent sur les atouts les unes des autres pour obtenir du financement ou procéder avec agilité à différents égards, comme vous disiez.

En fin de compte, le gouvernement territorial joue un rôle énorme dans tout cela. C’est lui qui possède et qui entretient les réseaux de transport. C’est lui qui tient les cordons de la bourse la plupart du temps. Je suis d’accord avec M. Lokman : il faut veiller à réunir toutes les parties concernées dès le début du processus décisionnel, donc confier aux dirigeants des Premières Nations et aux municipalités un plus grand rôle dans ce processus, les doter des ressources pour y prendre part, les intégrer dans les chaînes de communication lorsque des urgences coupent les réseaux de transport, bref penser à ces collectivités-là et aux conséquences qui s’ensuivent pour elles.

C’est une question difficile.

M. Birchall : Merci beaucoup.

J’approuve tout ce qu’ont dit mes collègues et je souligne que, pour que les gouvernements locaux puissent faire ce qu’ils doivent faire pendant et après une catastrophe, ils ont besoin des pouvoirs et des moyens nécessaires, mais ils doivent aussi pouvoir communiquer entre eux. Ils doivent être ensemble pour prévoir des scénarios avant que quelque chose n’arrive; ainsi, lorsqu’un événement se produit, quel qu’il soit, ils l’ont déjà simulé. Ils l’ont joué en quelque sorte. Ils peuvent anticiper comment ils devront travailler les uns avec les autres.

À l’heure actuelle, les gouvernements locaux, régionaux, provinciaux et territoriaux, tous ces différents paliers ne jouent pas toujours bien ensemble, malheureusement, pour toutes sortes de raisons. C’est tout l’objet de la recherche que nous faisons dans mon laboratoire, de mieux cerner ces obstacles. Cela tient en partie à la nature humaine, mais aussi au fait que les uns ne veulent pas empiéter sur les compétences des autres. Nous devons vraiment régler ce problème. Les catastrophes ne se concentrent pas en un seul lieu. Elles traversent les frontières. Nous devons trouver une façon de mieux travailler ensemble et de mieux communiquer les uns avec les autres.

À l’échelle d’une région, les administrations locales ont besoin d’argent, de l’argent pour lequel elles n’ont pas à se faire concurrence, par exemple, comme c’est souvent le cas à l’heure actuelle. Merci.

La sénatrice Simons : Monsieur Lokman, nous avons envisagé d’étudier à titre d’exemple l’aéroport de Vancouver. Pensez-vous que ce serait une bonne idée d’étudier la résilience de l’aéroport aux conditions météorologiques, sa relation avec la Garde côtière, les moyens qu’elle a de composer avec les changements climatiques et l’élévation du niveau de la mer?

M. Lokman : Je pense que oui.

La sénatrice Simons : D’accord.

M. Lokman : Des étudiants ont même exploré... Je pense que nous parlons de relocalisation. Il serait intéressant d’y réfléchir. Dans ma déclaration préliminaire, j’évoquais un peu les systèmes de valeurs.

Les systèmes de valeurs que nous avons actuellement en matière de changements climatiques et de protection sont vraiment axés sur la propriété coloniale ainsi que sur l’infrastructure avec un grand I et l’économie.

L’aéroport de Vancouver se trouve à l’embouchure du fleuve Fraser; est-ce bien là que nous devons installer des aéroports, surtout à l’avenir, si cela suppose d’investir beaucoup plus dans la construction de digues? Quoi qu’il en soit, ce serait une excellente étude de cas.

La vice-présidente : Monsieur Lokman, vous pourriez peut-être nous faire parvenir ces travaux d’étudiants qui se rapportent à notre étude. S’il y a quoi que ce soit qui, selon vous, pourrait nous éclairer sur ce sujet en particulier, nous aimerions vraiment en prendre connaissance.

M. Lokman : D’accord, je vais le faire.

Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à M. Lokman.

J’ai trouvé un de vos projets dans votre site Web, et je l’ai appelé pour m’en souvenir « le lien entre le savoir autochtone et la science occidentale ». Ce n’est pas ainsi que vous l’appelez dans votre site. Vous parlez plutôt de la cohabitation avec les eaux qui détruisent les routes et d’autres équipements essentiels, raison pour laquelle nous faisons cette étude. Il s’agit d’un projet de recherche transdisciplinaire financé par le Pacific Institute for Climate Solutions.

On dit que ce projet est enraciné dans les droits et les systèmes de connaissances des peuples autochtones, jugés essentiels à la recherche et à l’élaboration de plans équitables d’adaptation aux changements climatiques. On s’engage à :

[...] porter une attention particulière aux relations de pouvoir et aux récits qui font abstraction des connaissances, des perspectives et des priorités autochtones dans des contextes régionaux et municipaux.

Pouvez-vous nous expliquer comment le fait de réunir des chercheurs et des membres de la Première Nation Squamish avec des gestionnaires des gouvernements municipaux et provinciaux aide à trouver des solutions équitables et intégrées aux inondations côtières? Pourquoi ne s’en sert-on pas dans d’autres administrations pour voir où se rencontrent le savoir ancestral autochtone et la science et ses solutions occidentales? L’adaptation au milieu, les Autochtones connaissent cela depuis des temps immémoriaux.

M. Lokman : Je vous remercie de la question. Par le passé, les établissements de recherche ont eu du mal à travailler avec les Premières Nations et les communautés autochtones, cela prenant parfois un aspect très extractif. Ce n’est que depuis une dizaine d’années à peu près qu’on voit la confiance revenir dans quelques initiatives de ce genre.

Le but du projet est vraiment d’apprendre ce qui se passe sur le terrain, ce avec quoi les Premières Nations et les municipalités locales sont aux prises, et comment nous, les chercheurs, pouvons déterminer s’il s’agit d’aplanir des obstacles et des contraintes réglementaires ou d’ajuster des schémas de conception et de planification. C’est aussi d’apprendre comment créer des ponts entre les municipalités et les Premières Nations, et de cerner quels sont leurs besoins et leurs désirs et comment nous pouvons créer un langage commun et des façons communes de travailler.

Nous voulons créer des réseaux d’échange de connaissances et d’apprentissage interculturel, trouver des modes de collaboration et faire en sorte que le milieu universitaire puisse apporter des réponses aux questions qui surgissent dans les dossiers qui occupent les gestionnaires côtiers. Souvent, ils n’ont pas le temps de faire de la recherche, et s’ils engagent un consultant, celui-ci ne veut pas publier sa recherche parce qu’il veut avoir l’avantage sur le marché. S’ils ont certains systèmes de connaissances et des ensembles de données, ils ne veulent pas les partager avec d’autres. La collaboration avec les universités permet de diffuser les connaissances, mais elle favorise aussi l’apprentissage interculturel.

Le sénateur Klyne : Voilà une bonne publicité pour les universités. Bravo.

La vice-présidente : Oui, merci.

Le sénateur Quinn : Madame Perrin, vous avez donné un très bon aperçu du caractère essentiel des voies de transport, qu’il s’agisse des routes de glace, des lacs gelés ou du réseau de pistes lui-même. D’autres témoins ont parlé de l’importance des routes de glace.

En quoi actuellement le gouvernement du Yukon et les autres — les Premières Nations — font-ils appel à des connaissances ancestrales, franchement? Quel travail se fait à cet égard?

Avec tout ce que nous avons entendu au sujet des autoroutes de glace, des routes de glace et des choses de ce genre, avons-nous là un autre sujet qui se prêterait à une microétude sur l’importance de ces voies de transport dans le Nord? Parce que c’est tellement vital pour les collectivités, d’après ce que nous comprenons.

Mme Perrin : Au Yukon, il n’est pas très courant d’utiliser des routes de glace. Nous avons une localité accessible uniquement par avion, Old Crow. Tous les deux ou trois ans environ, on aménage une route de glace en hiver pour y amener des matériaux de construction. On prévoit ce qu’on veut construire et ce qu’il faut faire venir. On voit alors des convois sur la glace.

Il vaudrait probablement la peine de cerner une région dans les Territoires du Nord-Ouest où on accède aux localités par des routes de glace. Il y a aussi la mine de diamants qui est desservie par une route de glace. Ce serait un endroit qui se prêterait bien à une étude de cas.

Si vous envisagiez d’étudier plutôt une route construite sur le pergélisol, je vous conseillerais soit la route de l’Alaska, soit la route de Dempster. Les deux sont des infrastructures essentielles, et les deux sont menacées en plusieurs endroits par le dégel. La route de Dempster est aussi aux prises avec des glissements de terrain, des problèmes d’eau, et cetera.

La vice-présidente : Madame Perrin, vous n’avez pas parlé de vos aéroports. Est-ce que cela pose un problème pour le tarmac?

Mme Perrin : Il y a les problèmes habituels liés à la météo, à l’accès aux aéroports et au remplacement des pistes. Il y a d’autres endroits dans le Nord où les problèmes de pistes et de météo pèsent davantage qu’au Yukon. Nous avons un accès routier, tandis qu’il y a des localités au Nunavut qui sont accessibles uniquement par avion en hiver.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que l’un de vous à une idée de la façon dont nous payons ces améliorations d’infrastructure au bout du compte? Elles sont toutes essentielles, mais elles coûtent terriblement cher. À part le gouvernement fédéral, sur lequel nous pourrions nous concentrer, en voyez-vous d’autres qui auraient un rôle à jouer en matière de financement?

Mme Perrin : Cela dépend. Dans le Nord, nous comptons généralement sur le gouvernement fédéral pour nos infrastructures. Pour ce qui est de l’accès aux mines, je dirais qu’il y a un rôle pour l’industrie.

Nous avons un partenariat de longue date avec le gouvernement de l’Alaska pour la route qui se rend en Alaska. Je suis désolée, je ne sais pas exactement où on en est à l’heure actuelle, mais l’Accord de Shakwak était en vigueur.

Je vais laisser les autres témoins répondre à cette question.

M. Lokman : Il y a peut-être moyen de voir les choses autrement. Je pense que nous avons besoin d’une méthode différente pour analyser les coûts et les avantages. L’analyse coûts-avantages que nous effectuons pour mettre à niveau des infrastructures prévoit un court délai de récupération et ne tient pas compte d’éléments quantifiables dans des systèmes de valeurs monétaires.

Nous avons tendance à voir les choses comme dans le cours normal des affaires. Par contre, si nous commençons à nous projeter dans l’avenir sur une période de 100 ans ou de 7 générations et à penser aux retombées culturelles et écosystémiques qui pourraient découler, par exemple, de la relocalisation ou du réaménagement du réseau de transport, ce pourrait être assez coûteux au départ. À long terme, cependant, parce qu’on réduit les risques, on pourrait économiser beaucoup d’argent et créer en fait de multiples avantages par la valeur accrue des habitats ou des écosystèmes, et ainsi de suite.

Il y a des choses à faire dans ce domaine. Il ne s’agit peut-être pas tant de se demander comment le financer que de réfléchir à différentes façons de calculer les coûts et les avantages.

Le sénateur Klyne : Madame Perrin, vos recherches portent sur les dimensions humaines et politiques des changements environnementaux dans le Nord, en mettant l’accent sur l’adaptation et la résilience. De plus, vous collaborez avec des collectivités sur des revendications territoriales et autres pour en apprendre davantage sur l’adaptation aux changements climatiques et diffuser les leçons apprises dans tout le Nord.

Un de vos projets actuels est le programme Climate Resilience Knowledge to Action. Pour gagner du temps, je vais passer à une question et j’espère que vous pourrez faire le saut sans autre préambule.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la compréhension des forces et des faiblesses de capacité dans ces collectivités est au cœur de votre programme de recherche et d’éducation visant à renforcer la résilience climatique?

Mme Perrin : Il y a un certain nombre d’éléments ici. Depuis des années, nous travaillons avec le gouvernement pour que les gens comprennent les répercussions des changements climatiques. Beaucoup de gens ont cela sur le coin de leur bureau. Nous essayons de faciliter l’accès à l’information dont ils ont besoin. De plus, comme M. Birchall l’a mentionné, nous réfléchissons aux obstacles à l’action et à ceux que nous pouvons aider à éliminer, puis nous soutenons la recherche qui répond aux questions des collectivités.

Un des projets que nous avons entrepris récemment dans le cadre de ce programme consiste à réfléchir au travail d’adaptation qui a déjà été fait. Dans le Nord, on a tendance à injecter de l’argent pour régler les problèmes, il y a beaucoup de travail qui se fait, puis on en perd un peu la trace. Les mêmes questions reviennent, il se fait un travail semblable, puis on en perd un peu la trace. Nous ne suivons pas toujours la trace de l’adaptation qui se produit, des projets d’adaptation qui sont en cours et de ce que nous avons déjà appris il y a 10 ans. Nous essayons de dégager des tendances dans les projets d’adaptation, le financement, la recherche sur les changements climatiques, ce qui est déjà là à portée de main et que nous pouvons mettre ensemble, et de cerner les lacunes de nos connaissances qui échappent encore à nos efforts de recherche. Nous voulons les mettre en évidence afin que les gens puissent s’y attaquer.

Le sénateur Klyne : Si je peux me permettre de paraphraser, il s’agit de miser sur les forces et de cultiver des avantages concurrentiels dans les collectivités, mais quant aux faiblesses, il s’agit de savoir quel sera le prochain problème et de prendre les devants pour y remédier.

Mme Perrin : Oui, et se faire une idée de la culture du savoir qui existe déjà.

Le sénateur Klyne : Merci.

[Français]

La vice-présidente : Voilà qui termine notre premier panel. Je tiens à vous remercier de vous être joints à nous, d’avoir répondu à nos questions et d’avoir partagé vos connaissances ce soir.

[Traduction]

Dans notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence M. Tristan Pearce, professeur agrégé de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les effets cumulatifs des changements environnementaux à l’Université de Northern British Columbia; M. Eric Rapaport, professeur agrégé à l’École de planification de l’Université Dalhousie; et M. Clarence Woudsma, professeur agrégé à l’École de planification de l’Université de Waterloo.

Bienvenue à nos témoins. Merci de vous joindre à nous.

[Français]

Nous commencerons par les remarques préliminaires du professeur Pearce, suivies par celles du professeur Rapaport et du professeur Woudsma. On procédera par la suite aux questions des membres du comité.

[Traduction]

Monsieur Pearce, la parole est à vous dès que vous êtes prêt, et vous disposez d’environ cinq minutes pour votre déclaration préliminaire.

Tristan Pearce, professeur agrégé de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les effets cumulatifs des changements environnementaux, Université de Northern British Columbia, à titre personnel : Bonsoir, honorables sénateurs, madame la vice-présidente et autres membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Je suis ici aujourd’hui pour vous parler des goulots d’étranglement causés par les changements climatiques et des risques qui guettent l’infrastructure de transport, en particulier dans le Nord canadien. L’information que je vais vous communiquer est tirée de deux études que j’ai menées pour la School of Public Policy de l’Université de Calgary sur les répercussions des changements climatiques dans le projet de corridor nordique canadien.

Le contexte de cette recherche est que le Nord canadien est en soi un milieu où il est difficile de construire, d’exploiter et d’entretenir une infrastructure de transport. De plus, le Nord canadien se réchauffe rapidement, une tendance dont on est pratiquement certain qu’elle se poursuivra à l’avenir.

À mesure que changent les régimes des températures et des précipitations, la cryosphère s’en trouve affectée. L’étendue et l’épaisseur de la glace diminuent; la couverture et l’accumulation de neige diminuent. Le pergélisol dégèle, les glaciers et les calottes glaciaires perdent de leur masse à un rythme croissant. Ces changements ont des conséquences sur l’infrastructure de transport dans le Nord canadien, et, à ce jour, la plupart des recherches s’attachent à estimer les répercussions directes des changements climatiques futurs sur un élément d’infrastructure en particulier, comme une route, un bâtiment ou un pipeline. On s’intéresse moins à l’incidence que pourrait avoir sur un corridor de transport une multiplicité d’effets climatiques secondaires.

C’est de cela que je veux vous parler aujourd’hui : aborder la question d’un point de vue légèrement différent; examiner non pas une relation directe de cause à effet, mais les effets secondaires et même tertiaires d’un phénomène climatique.

J’utiliserai le terme « goulot d’étranglement », au sens où on l’emploie dans le secteur maritime, pour désigner des points de passage obligé dans les réseaux de transport qui risquent d’être obstrués. Compte tenu de l’éloignement du Nord canadien et de l’absence d’autres modes de transport, d’éventuels goulots d’étranglement pourraient effectivement fermer un corridor de transport. Je vais donner deux exemples pour illustrer les goulots d’étranglement liés aux changements climatiques et les risques qui guettent l’infrastructure de transport dans le Nord canadien.

Sur la baie d’Hudson, le port de Churchill, au Manitoba, est le seul port de mer en eau profonde sur le littoral nord du Canada, ce qui en fait un lieu d’exportation stratégique reliant l’Atlantique Nord par le détroit d’Hudson. On s’attend à ce que ce port gagne en importance à mesure que la saison des eaux libres augmentera avec la fonte de la glace de mer.

Toutefois, les effets climatiques sur la côte, comme les phénomènes météorologiques et les vagues de mer extrêmes ou l’incertitude entourant la glace de mer, pourraient retarder ou restreindre la capacité de transport à certaines périodes de l’année, endommager les équipements littoraux ou limiter l’accès aux routes maritimes. Étant donné que les ports sont des liens essentiels et des points de passage obligé dans les chaînes d’approvisionnement, ils illustrent à merveille comment une accumulation d’effets climatiques pourrait créer des bouchons dans tout le reste du corridor de transport.

De plus, toutes les marchandises expédiées par voie terrestre à destination et en provenance du port doivent voyager par chemin de fer. Les problèmes d’usure et d’entretien de la plateforme ferroviaire qui dessert le port, causés par le dégel du pergélisol et les inondations, pourraient bloquer les marchandises qui transitent par le port. Le réchauffement du climat non seulement fait augmenter les précipitations annuelles, mais il les rend aussi plus variables. Les épisodes de pluie et de neige extrêmes, comme les énormes tempêtes de fin d’hiver qui ont causé des inondations printanières après avoir emporté le chemin de fer, pourraient devenir plus fréquents.

Un deuxième exemple est le fleuve Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, une voie de communication importante qui dessert beaucoup de localités et de sites miniers éloignés dans le Nord. Le fleuve n’est navigable que pendant l’été et au début de l’automne, lorsqu’il est libre de glace. Cependant, l’été dernier, la chaleur et la sécheresse ont fait baisser l’eau à des niveaux sans précédent, forçant les transporteurs à faire un détour de 4 000 kilomètres. Au lieu d’acheminer les marchandises par barge sur le fleuve Mackenzie, les Services de transport maritime des Territoires du Nord-Ouest ont dû le faire par camion sur la route de Dempster.

De plus, à cause de ces faibles niveaux d’eau, les barges n’ont pas pu desservir, sinon à grand-peine, certaines collectivités inuites côtières qui dépendent de leur service. En même temps que les faibles niveaux d’eau empêchaient le transport fluvial, des feux de forêt forçaient l’évacuation des résidants de Hay River, un important terminal maritime; les barges chargées sont restées immobilisées là, créant un autre goulot d’étranglement dans le réseau de transport.

Mon étude montre que les risques de grands incendies sont présents dans tout le Nord canadien, surtout en terrain boisé. Et avec l’augmentation des vagues de chaleur et de sécheresse extrêmes, on s’attend à ce que les niveaux d’eau continuent de baisser, et les risques d’incendie d’augmenter en fréquence et en intensité.

Pour s’adapter efficacement aux conditions changeantes, il faudra probablement évoluer vers un nouveau modèle de transport des marchandises dans le Nord canadien.

En conclusion, les résultats de mes recherches indiquent que l’étude de l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles de transport au Canada devrait tenir compte des effets cumulatifs d’une multiplicité de risques climatiques, et le concept des goulots d’étranglement pourrait être utile pour décrire comment ces risques peuvent perturber un réseau de transport. Merci.

La vice-présidente : Merci. C’était très intéressant.

Monsieur Eric Rapaport, vous avez la parole.

Eric Rapaport, professeur agrégé, École de planification, Université Dalhousie, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Je vous parle depuis l’Université Dalhousie, où je suis professeur agrégé à l’École de planification de la Nouvelle-Écosse et planificateur professionnel agréé.

J’aimerais mentionner que l’Université Dalhousie est située sur le territoire ancestral non cédé des Mi’kmaqs, et que nous sommes tous des gens visés par un traité.

J’ai innové dans l’évaluation de l’incidence des changements climatiques en considérant non seulement la démographie actuelle et les changements climatiques à venir, mais aussi en modélisant des données démographiques de l’avenir, comme le pourcentage d’aînés dans nos collectivités en 2050 et l’exposition aux futures inondations côtières, ainsi qu’à la chaleur et à d’autres risques liés aux changements climatiques. Les aînés forment un groupe vulnérable reconnu, dont la vulnérabilité ne fait qu’augmenter lorsque les réseaux de transport et de communication sont interrompus directement ou retardent l’accès à des services, parfois des services de soins intensifs.

Une des nombreuses menaces qui pèsent sur les réseaux de transport et de communication au Canada est l’élévation du niveau de la mer, comme l’ont dit de nombreux experts avant moi.

L’élévation du niveau de la mer modifiera de façon permanente le niveau d’eau moyen et, par conséquent, l’amplitude des marées par rapport à cette nouvelle marque de référence. Il en résultera un changement de compétence en matière de régime foncier, en raison surtout de l’inondation permanente de terres côtières; il y aura perte de terres au profit de la mer. L’élévation du niveau de la mer intensifiera des processus naturels comme l’érosion côtière et l’accrétion, qui auront aussi leur incidence sur le régime foncier, en accentuant encore la perte de terres au profit de l’océan.

Ces effets conjugués auront tous des répercussions sur les infrastructures actuelles, comme les routes publiques ou les voies ferrées côtières. Si vous pensez au port d’Halifax, nos voies ferrées longent directement la côte; il faudra bien un jour les surélever ou les déplacer en raison de l’élévation du niveau de la mer.

Il n’y a pas que le niveau de la mer et les marées à considérer. Les montées d’eau extrêmes lors des ouragans provoqués par des ondes de tempête endommagent et continueront d’endommager l’infrastructure le long de notre côte, ainsi que celle qui protège les routes et les chemins de fer, comme les digues aménagées sur l’isthme de Chignecto, dont on vous a déjà parlé.

Dans les provinces de l’Atlantique, la capacité d’effectuer ce genre d’analyse et de comprendre ce qui se passe a bénéficié d’un financement fédéral-provincial qui a permis l’acquisition de données LiDAR à haute résolution pour cartographier l’élévation. Ce genre d’investissement doit se poursuivre à l’avenir.

Outre l’élévation du niveau de la mer et les inondations côtières, j’aimerais attirer votre attention sur d’autres effets que la Nouvelle-Écosse a subis à l’été 2023 et qui pourraient augmenter en raison des changements climatiques, principalement les inondations à l’intérieur des terres et les feux de forêt.

À certains endroits au Canada atlantique, la cartographie des inondations intérieures fait défaut, ce qui menace l’infrastructure de transport, en particulier les routes et les chemins de fer. À la fin du mois de juillet de cette année, quatre personnes en Nouvelle-Écosse, âgées de 6 à 52 ans, ont perdu la vie sur la route en raison d’une crue soudaine causée par un violent orage. Il a fallu apporter des réparations majeures à 29 ponts, et mineures à 19 autres, ainsi qu’à 50 routes. Falmouth Dyke Road, qui est un chemin surélevé, était presque impraticable, et la voie ferrée du CN reliant Halifax et son port au reste du Canada a été coupée.

Face à l’augmentation prévue des précipitations, nous sommes très démunis pour nous protéger contre les crues soudaines, selon les quelques météorologues à qui j’ai parlé, en partie parce que c’est difficile à prévoir. En Nouvelle-Écosse, on manque de données pour faire face aux inondations intérieures, comme la taille des ponceaux, ainsi que de données aisément accessibles sur les caractéristiques physiques des lacs et des cours d’eau, comme les profondeurs et les débits, ce qui fait de la cartographie des inondations intérieures une tâche coûteuse et inexacte. Il faut investir là-dedans.

Les feux de forêt de la fin du printemps ont également eu des répercussions sans précédent en Nouvelle-Écosse. Deux notamment. L’un a donné lieu à la fermeture de l’autoroute 103 pendant un peu plus d’une semaine. L’autre, déclenché presque exactement au même moment dans la municipalité de Halifax, a mis à l’épreuve la capacité d’évacuation d’urgence de la municipalité et son aptitude à régler les problèmes habituels de circulation routière là où, pendant longtemps, il n’y a eu qu’une seule entrée et une seule sortie et où aucune mesure n’a été prise pour y remédier avant l’incendie. Ces perturbations n’auront pas de répercussions sur les routes elles-mêmes, mais elles perturberont la circulation des biens, des services et des personnes en raison des déplacements pendant les évacuations.

Enfin, je voudrais souligner que les études sur le climat, comme celle de 2016, dont j’ai dirigé l’un des chapitres, regroupaient toutes les provinces de l’Atlantique en une seule perspective. J’aimerais qu’à l’avenir ces provinces ne soient pas regroupées dans ce genre d’analyse. Chaque province a ses propres caractéristiques géographiques, mais aussi des gouvernements provinciaux distinctifs aux priorités différentes, et c’est pourquoi les répercussions sur les systèmes de transport et de communications doivent être évaluées dans une perspective distincte. En regroupant les provinces de l’Atlantique, on ne peut pas se faire une idée de la situation ni bien la comprendre.

Enfin, nous devons mieux comprendre et connaître la cartographie des inondations à l’intérieur des terres pour pouvoir fournir des données crédibles et exactes permettant de mieux prévoir les impacts sur les systèmes de transport et de communications. Merci.

La vice-présidente : Merci, monsieur Rapaport. Nous prenons bonne note du fait que les provinces des Maritimes sont toutes différentes. Merci.

Clarence Woudsma, professeur agrégé, School of Planning, Université de Waterloo, à titre personnel : Monsieur le président, madame la vice-présidente et distingués membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, je vous remercie de votre invitation. Je m’appelle Clarence Woudsma. Je suis professeur agrégé à la School of Planning de l’Université de Waterloo.

En matière de crise climatique, d’éminents universitaires estiment que peu d’activités humaines sont aussi vulnérables face aux changements climatiques que le transport et la logistique, c’est-à-dire la circulation et l’entreposage des marchandises dont dépend la société moderne. À l’échelle mondiale, nationale et locale, les activités de transport et de logistique couvrent une vaste zone géographique, sont étroitement liées et sont soumises à des contraintes de temps.

L’exemple de vulnérabilité d’une infrastructure de transport essentielle que je préfère est la défaillance du pont de la rivière Nipigon en 2016 dans le Nord de l’Ontario. Cette défaillance n’était pas liée au climat, mais la perte d’un seul pont sur la Transcanadienne a carrément coupé en deux l’Est et l’Ouest du Canada pour un mode de transport de marchandises fondamental. Pour les quelque 1 300 camions commerciaux qui traversaient la frontière chaque jour, transportant des marchandises coûtant des centaines de millions de dollars, la fermeture a entraîné un réacheminement long et coûteux à travers les États-Unis pendant des semaines.

La redondance du réseau de transport, sous la forme d’itinéraires de contournement, est un critère de mesure important de la vulnérabilité. C’est un exemple d’« effets extrêmes » selon le vocabulaire de l’adaptation aux changements climatiques — des événements importants comme les violentes pluies de novembre 2021 qui ont dévasté la Colombie-Britannique et qui ont carrément coupé Vancouver et le Lower Mainland du reste du Canada. En l’occurrence, l’interruption de la circulation routière et ferroviaire a entraîné des perturbations importantes dans la chaîne d’approvisionnement à l’échelle nationale. Localement, les gens et les collectivités ont beaucoup souffert.

L’interaction entre l’importance nationale et les considérations locales est importante pour comprendre la vulnérabilité face aux changements climatiques. Nous avons une bonne idée de l’infrastructure de transport essentielle à l’échelle nationale aujourd’hui et à court terme — les routes et les chemins de fer, les principaux ports, les aéroports et les pipelines.

Le rapport publié récemment par le Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement indique que les perturbations et les incertitudes causées par le climat contribuent aux vulnérabilités croissantes à l’échelle du pays, qu’il s’agisse des chocs intenses causés par les tempêtes ou des risques physiques chroniques associés aux changements climatiques à long terme, comme le réchauffement croissant dans le Nord, notamment dans le Nord de l’Ontario. Là-bas, les petites collectivités et les collectivités éloignées sont vulnérables en raison de la perte de routes et de la dégradation du pergélisol, qui ont des répercussions négatives sur les installations aéroportuaires indispensables à leur santé et à leur vitalité.

Le transport est directement lié à l’utilisation des terres et aux modes d’activité humaine qui permettent aux collectivités de vivre. Nous prenons acte du fait que ces caractéristiques évoluent au fil du temps — les espaces cultivés, les lieux où s’installent des entreprises et les zones qui deviennent plus ou moins accessibles. Il ne faut pas oublier que les infrastructures essentielles d’aujourd’hui ne le seront peut-être plus à moyen ou long terme selon les horizons envisagés dans les études sur l’adaptation aux changements climatiques.

Par ailleurs, la réduction des vulnérabilités ne passe pas seulement par la résilience de l’infrastructure routière, ferroviaire ou aéroportuaire. On peut aussi réduire les risques en orientant le développement économique local à long terme parallèlement aux investissements dans les infrastructures. La relocalisation ou le retrait planifié de collectivités peuvent être une solution de rechange lorsque des inondations répétées nécessiteraient des infrastructures de protection coûteuses.

Nos travaux sur l’adaptation aux changements climatiques et le transport en Ontario fournissent des études de cas intéressantes sur la diversité des vulnérabilités. Par exemple, l’évolution du climat pourrait entraîner une diminution de la formation de glace et une plus grande évaporation dans les Grands Lacs. Les faibles niveaux d’eau qui en résulteraient pourraient réduire le transport dans les Grands Lacs malgré une prolongation éventuelle de la saison de navigation.

La multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les blizzards, les cellules orageuses, les pluies abondantes et les tornades, est telle que n’importe quel endroit pourrait être vulnérable. Les zones d’interconnectivité importante, comme la région de Peel, figureraient en tête de liste des vulnérabilités climatiques. La région de Peel est une plaque tournante nationale de premier plan; on y trouve l’aéroport Pearson, d’importants terminaux ferroviaires intermodaux pour le CN et le CPKC, les autoroutes les plus achalandées du Canada et d’énormes volumes d’espaces logistiques et d’emplois. La vulnérabilité climatique des routes et des chemins de fer est liée, par exemple, à la multiplication des épisodes de chaleur extrême, tandis que la vulnérabilité des aéroports est liée aux précipitations majeures, à la gestion des eaux pluviales et aux inondations éventuelles.

Comme il fallait s’y attendre, les plans et les politiques des collectivités locales mettent davantage l’accent sur la réduction des gaz à effet de serre que sur l’adaptation aux changements climatiques. Je recommande de procéder à des études de cas couvrant toute sorte de modes de transport, de sphères de compétence et d’intervenants. La propriété, la responsabilité et la complexité de la réglementation sont des éléments de désordre dans le transport au Canada, surtout du côté du transport des marchandises. Si on veut vraiment s’adapter à la crise climatique, il faut relever ce défi en matière de gouvernance. Merci.

La vice-présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Quinn : Je remercie les témoins d’être ici ce soir et de nous avoir donné un excellent aperçu des diverses régions du pays et de leurs difficultés.

Ma première question s’adresse à M. Pearce. Vous nous avez parlé du corridor du port de Churchill et du fleuve Mackenzie et des problèmes qu’y soulèvent les changements climatiques. Compte tenu de leurs vulnérabilités, le Canada devrait-il envisager d’autres solutions pour le développement du port de Churchill?

Deuxièmement, y a-t-il un seuil à partir duquel il faudrait envisager de réapprovisionner l’Arctique à partir d’un endroit situé au sud plutôt qu’à partir de Hay River?

M. Pearce : Ce sont deux très bonnes questions. Je ne peux pas y répondre directement, mais le port de Churchill est un excellent exemple. C’est le seul port en eau profonde au Canada. On sait que le transport maritime va augmenter — il a déjà augmenté. On sait qu’il y a une proposition sur la table pour d’autres ports. En fait, la voie ferrée a été construite à une époque où nous pensions avoir des certitudes en matière d’environnement. C’est cela, le message fondamental. Il n’y a jamais eu de certitudes en matière d’environnement. L’environnement nordique est intrinsèquement évolutif. Le pergélisol change constamment, et il y a toujours eu des épisodes de gel et de dégel. On ne fait qu’ajouter une autre couche d’incertitude.

Pour répondre à votre question, je dirais qu’il ne s’agit pas uniquement d’un nouveau risque ou d’un nouveau danger. Nous qualifions parfois les changements climatiques de menace, mais, en réalité, l’infrastructure dans le Nord a toujours été remise en question. Quant à savoir si nous pourrons maintenir la viabilité d’un port, je crois qu’il faut se demander si nous pouvons aménager ou réaménager l’infrastructure pour qu’elle soit adaptable, et cela inclut les voies ferrées.

Le sénateur Quinn : J’aimerais parler un peu du bassin hydrographique du fleuve Mackenzie et de sa viabilité. C’est un point de ravitaillement crucial pour l’Ouest de l’Arctique. Dans l’Est de l’Arctique, les approvisionnements arrivent de Montréal depuis des années. Compte tenu des difficultés associées au fleuve Mackenzie que vous avez décrites — et elles semblent s’amplifier d’année en année —, ne serait-il pas temps d’envisager d’autres solutions?

M. Pearce : Je crois que c’est ce que disent certaines collectivités. Je ne peux pas parler directement en leur nom. On peut penser aux Inuvialuit, qui disent déjà avoir besoin de plus de certitude en matière de transport. Le Mackenzie pourrait être viable certaines années et pas d’autres. D’après mon expérience et les discussions que j’ai eues avec plusieurs collectivités qui en dépendent, elles ont besoin de plus de certitude. Cela supposerait — comme vous l’avez expliqué — un itinéraire en haute mer à partir d’un endroit situé au sud, qui existe déjà. C’est simplement qu’on n’a pas encore entièrement aménagé l’infrastructure ni établi les coûts.

Le sénateur Quinn : J’ai une brève question pour M. Rapaport. Vous avez fait des observations intéressantes sur les réseaux de transport — si je puis dire — du Canada atlantique. Je voudrais simplement que vous nous donniez des précisions sur les interdépendances des réseaux de transport dans le Canada atlantique. Je veux dire que Terre-Neuve dépend de Marine Atlantique, que Marine Atlantique dépend du transport routier et ferroviaire jusqu’à Sydney et que l’Île-du-Prince-Édouard dépend du port de Halifax, et ainsi de suite. Je comprends bien que chaque province est autonome, mais il faut reconnaître qu’il existe des interdépendances, n’est-ce pas?

M. Rapaport : Absolument, et c’est bien attesté et étudié par des gens comme M. Woudsma et d’autres qui font des analyses logistiques. En fait, quand on fait ce genre d’études, on regroupe les composantes de la région et on perd les nuances juridictionnelles que les provinces font valoir lorsqu’elles envisagent les répercussions qu’elles jugent critiques pour leur infrastructure. Il n’est pas toujours possible pour un professeur de couvrir plusieurs administrations. C’est la raison pour laquelle nous avons rédigé ce rapport, parce que je crois que nous avons raté la cible au sujet des interdépendances. Qui plus est, il faut s’interroger sur les priorités de ces différentes provinces en matière d’infrastructures essentielles et sur les goulots d’étranglement — pour utiliser cette formulation ce soir.

Le sénateur Quinn : Excellent, merci.

La sénatrice Simons : Monsieur Pearce, j’aimerais reprendre là où vous et le sénateur Quinn vous êtes arrêtés. Je viens d’Edmonton, et, même si je ne suis jamais allé à Hay River, j’ai l’impression que cette ville fait partie de l’épine dorsale qui relie ma ville au Nord.

C’est une ville qui m’intéresse. Il y a bien sûr l’autoroute, construite en partie sur le pergélisol, mais aussi la voie ferrée. Je crois que peu de gens savent que le CN a une ligne de chemin de fer qui va directement à Hay River. Pendant les incendies de cet été, le CN a perdu une partie de cette voie ferrée. Ensuite, il y a évidemment tout le réseau de transport fluvial par barge. Puisque nous en sommes à chercher des études de cas à examiner — nous venons de terminer une étude sur l’isthme de Chignecto —, diriez-vous que Hay River pourrait être une bonne étude de cas de goulot d’étranglement? Je la propose parce que la ville alimente tout le Nord et qu’il serait possible, en même temps, d’examiner les vulnérabilités des chemins de fer, des routes et du transport par barge.

C’est une question tendancieuse pour vous, n’est-ce pas?

M. Pearce : J’aime votre question et j’aime aussi la solution que vous proposez. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Cette question est sur la table depuis longtemps. La Inuvialuit Regional Corporation, instance dirigeante de la région désignée des Inuvialuit — c’est-à-dire des six collectivités de l’Arctique de l’Ouest — la réclame depuis longtemps. Tout a commencé au début des années 2000 avec la perspective d’un transport maritime plus sûr, plus fiable et plus robuste. En caractérisant cette infrastructure à partir de ce que vous avez décrit et en y ajoutant une mesure supplémentaire, on ne tient compte, comme d’autre l’ont souligné, que de son aspect physique, alors qu’il y a aussi l’aspect humain. Je crois que c’est ainsi qu’on peut convaincre les Canadiens.

C’est une infrastructure essentielle. Quand on n’a pas accès au transport maritime, on n’a pas accès au carburant. Quand on n’a pas accès au transport maritime, on n’a pas accès à la nourriture. Plutôt que de s’intéresser plus particulièrement à Hay River, on devrait envisager tout l’itinéraire du fleuve Mackenzie comme l’infrastructure de transport maritime actuelle, mais il faudrait prendre du recul et s’interroger sur l’avenir du transport maritime dans l’ouest de l’Arctique. Je parle de l’Arctique de l’Ouest parce qu’il se réchauffe plus rapidement que l’Arctique de l’Est. On y voit les répercussions plus rapidement, et les leçons tirées de l’expérience peuvent être transférables.

La sénatrice Simons : Je vois que la vice-présidente s’interroge, et je m’interroge également. Qu’entendez-vous par transport maritime? D’après le contexte, il s’agit évidemment de ravitaillement par mer. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Pearce : Dans l’Ouest, nous avons des wagons. Ce sont généralement les mêmes que ceux qu’on voit sur n’importe quelle voie ferroviaire. Ils font parfois le voyage entre Edmonton et Hay River. Ils sont ensuite chargés sur des barges qui descendent le Mackenzie et débouchent sur la mer de Beaufort, où elles desservent les collectivités locales. Les barges chargées de conteneurs maritimes transportent ces marchandises ainsi que du carburant, et c’est ce qui constitue le transport maritime dans le Nord.

La sénatrice Simons : La mer n’est pas l’océan? On parle de conteneurs? Oh, cela arrive dans la mer de Beaufort.

M. Pearce : On pourrait le voir ainsi, mais c’est parce qu’on parle de la mer de Beaufort.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour M. Woudsma. Personne ne nous a encore parlé des Grands Lacs et de leur vulnérabilité. Vous êtes la première personne à avoir soulevé cette question. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les menaces qui pèsent sur le transport maritime dans les Grands Lacs? Je viens de l’Ouest, et je ne mesure pas bien l’importance de ces itinéraires maritimes.

M. Woudsma : Votre question a deux volets. En matière de vulnérabilité, il est certain — comme je l’ai dit dans mon exposé — que les faibles niveaux d’eau sont un risque et que les navires transporteraient moins de marchandises parce qu’ils auraient moins de tirant d’eau. Il faut y remédier par des programmes de dragage — par exemple, dans le canal Welland et aux écluses à Sault-Sainte-Marie. Certaines études ont déjà été effectuées à cet égard pour en mesurer les répercussions.

Quant à l’importance du transport de marchandises en vrac dans les Grands Lacs — par exemple, de céréales ou de divers minerais et matériaux —, on parle bien sûr d’un aspect important de la chaîne d’approvisionnement du Canada central, mais aussi d’une porte d’entrée vers l’Europe et ailleurs. On peut dire que la Voie maritime du Saint-Laurent est une partie très importante du réseau de transport du Canada.

La sénatrice Simons : Les problèmes de niveaux d’eau touchent-ils aussi la Voie maritime du Saint-Laurent?

M. Woudsma : Je n’en suis pas si sûr. Je songe notamment à des choses comme le canal Welland et, bien sûr, aux canaux dans la Voie maritime du Saint-Laurent. Je ne suis pas un expert en hydrologie, mais je sais avec certitude que des niveaux d’eau plus bas signifient moins de marchandises à bord des navires.

La sénatrice Simons : Merci.

La vice-présidente : Monsieur Pearce, vous avez dit au début, je crois, que votre témoignage s’appuyait sur deux études, l’une sur le port de Churchill et l’autre sur le fleuve Mackenzie. Pourriez-vous nous les envoyer?

M. Pearce : Oui. À titre de précision, ces études ont été effectuées pour le compte de l’École de politique publique de l’Université de Calgary. Elles portent sur les répercussions des changements climatiques sur le corridor proposé dans le Nord canadien — sur l’emprise multimodale proposée et sur les études approuvées par le Sénat.

La vice-présidente : Parfait, merci.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins. J’ai quelques questions.

Monsieur Woudsma, j’ai beaucoup apprécié vos exemples d’effets des changements climatiques en Ontario. Concernant la défaillance du pont de la rivière Nipigon, j’ai fait la route entre Winnipeg et Toronto à quelques reprises et je peux donc comprendre que la défaillance de ce pont puisse avoir de graves conséquences.

Mais je voulais vous poser quelques questions au sujet de votre exemple des répercussions des changements climatiques dans la région de Peel. Je connais très bien cette région; il y a, comme vous l’avez dit, une énorme circulation de voitures et de camions, il y a un aéroport, etc. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les répercussions des changements climatiques et sur les facteurs de risque? Je vois bien qu’il y a beaucoup de circulation, mais j’essaie de comprendre ce que pourraient être les risques dans cette région. Merci.

M. Woudsma : Merci de la question.

La raison pour laquelle j’ai retenu cet exemple est que c’est encore le même problème — on a beaucoup parlé du pont de Nipigon comme d’un lien unique qui est brisé ou des nombreuses collectivités du Nord qui n’ont qu’une seule autoroute.

Il existe dans la région de Peel un vaste réseau d’activités interreliées. On ne parle pas ici d’un événement climatique aigu lié à une augmentation de la chaleur qui entraînerait une dégradation de la chaussée. Sur le plan de la gestion et de l’entretien des actifs, c’est un problème que nous pourrions régler en utilisant d’autres matériaux, etc. On parle plutôt d’une situation où, en cas d’événement grave, comme une tempête majeure, une inondation intense ou une tempête de verglas, quelques centaines de kilomètres carrés seraient le lieu de répercussions non seulement à l’échelle locale, mais aussi à l’échelle nationale, compte tenu de la quantité d’activités concentrées dans la région de Peel elle-même.

Il s’agit d’éclairer l’autre extrémité du spectre. Au lieu de petites collectivités à accès unique, on parle d’une grande collectivité et d’une grande population avec beaucoup d’interconnectivité, au sens où tous les modes de transport sont présents dans une très petite région.

La sénatrice Dasko : Les événements climatiques peuvent donc causer des dommages dans tous ces modes, et c’est pourquoi la région est vulnérable à votre avis. Merci.

Ma question s’adresse au professeur Rapaport. Au début de votre exposé, vous avez dit que votre travail portait sur la démographie, mais je ne crois pas vous avoir entendu parler de cette partie de votre travail dans vos autres observations. Est-ce que vous étudiez effectivement les répercussions des changements climatiques sur la démographie, ou est-ce l’inverse? Quelle est la variable dépendante de votre analyse, si c’est le genre d’analyse que vous faites? J’espère que vous comprenez ce que j’essaie de vous demander. Merci.

M. Rapaport : Les nombreuses études sur les changements climatiques ayant pour horizon 2050, 2075 ou 2100 ont souvent tendance à geler la démographie. Je me suis donc mis à examiner les choses qu’il est possible prévoir, comme la population, comme le font les urbanistes. J’essaie de combiner ces deux éléments, en associant les populations vulnérables et les répercussions sur l’infrastructure et de voir où il pourrait y avoir des collectivités isolées. Il s’agit en fait d’essayer d’avoir une idée de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir dans sa totalité plutôt que de maintenir dans un état stable quelque chose qui, nous le savons, est évolutif. La population en est un exemple. Cela soulève une foule de questions au sujet de la demande de logements, d’infrastructure, d’hôpitaux et de tout ce qui vous viendra à l’esprit. C’était l’une des premières fois qu’on essayait de relier deux types de prévisions : les changements climatiques et les prévisions démographiques.

À une certaine époque, la population de la Nouvelle-Écosse était stable et n’augmentait pas beaucoup. Elle est aujourd’hui en plein essor, et il faut vraiment s’interroger sur l’avenir de certaines collectivités rurales autrefois petites, mais actuellement en croissance. Comment va-t-on investir dans l’avenir?

Mon travail nous aide à prendre de meilleures décisions en matière de planification compte tenu de l’évolution démographique. C’est l’un des moteurs des investissements, et pas seulement dans le réseau de transport.

La sénatrice Dasko : Je vois. J’ai examiné les nouvelles données du recensement il y a quelque temps, et j’ai vu la croissance démographique en Nouvelle-Écosse. C’est énorme et tout à fait phénoménal. Les gens s’y installent en grand nombre.

Pour préciser, pourriez-vous me dire si vous êtes effectivement en train d’examiner de multiples indicateurs et la façon dont ils se répercutent les uns sur les autres par opposition aux répercussions des changements climatiques sur la population?

M. Rapaport : C’est cela.

La sénatrice Dasko : D’accord, très bien. Merci.

Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse au professeur Woudsma.

Vous avez parlé de Peel, et je connais un peu cette région. C’est un vaste territoire plat où il y a beaucoup de logements et d’activités commerciales, ainsi que l’aéroport. Il y a peut-être quelques ravins ici et là — comme la rivière Humber à l’est. Ma question porte sur les aéroports. Ceux de Toronto et de Montréal se trouvent au milieu d’un territoire relativement plat. Celui de Halifax est au milieu d’une forêt et celui de Vancouver, au bord d’un océan. De quoi faudrait-il tenir compte quand on envisage ce qui pourrait se produire en raison d’un hiver très rude ou de pluies intenses à d’autres époques de l’année?

M. Woudsma : La vulnérabilité des aéroports — vous en avez décrit les différentes situations géographiques qui les exposeraient évidemment à différentes répercussions climatiques. Au cours de la séance précédente, nous avons parlé de Vancouver et de sa vulnérabilité face à l’élévation du niveau de la mer. Pour les autres aéroports, les répercussions seraient d’ordre opérationnel. Les tempêtes ont toujours la même incidence sur tous les aéroports. Chacun d’eux a probablement sa propre stratégie ou son propre plan d’adaptation — des choses qu’il connaît. Je sais que Pearson a fait une étude qui a permis de déterminer que les inondations étaient l’un des principaux risques.

Le sénateur Cardozo : Et l’aéroport de Halifax? Le terrain a été choisi parce qu’on voulait qu’il soit éloigné de la ville. Ensuite, une fois construit, on s’est rendu compte qu’il y avait du brouillard, n’est-ce pas?

M. Woudsma : Je ne connais pas très bien la situation à Halifax. Eric Rapaport pourrait peut-être en parler, car il connaît probablement la situation mieux que moi.

M. Rapaport : C’est exact. L’abattage des arbres a changé la dynamique météorologique locale, et l’endroit s’est trouvé plus exposé au brouillard.

Le sénateur Cardozo : On n’y avait pas pensé avant?

La sénatrice Simons : Cela soulève une question intéressante. Dans les derniers jours, on nous a beaucoup parlé de moyens d’atténuation des changements climatiques qui ont, en fait, empiré les choses, comme remblayer des marais salants et des terres humides et construire de plus grandes digues, et qui ont accentué les vulnérabilités.

Ma question s’adresse à vous trois. Jusqu’à quel point notre arrogance nous rend-elle aveugles à la dure réalité de ce qu’il n’est tout simplement pas possible d’arranger? À quels dangers s’expose-t-on quand on suppose que les solutions technologiques peuvent être meilleures que les formes naturelles d’amélioration laissées à leur évolution?

C’est peut-être une question trop importante pour une fin de soirée, surtout si vous êtes en Nouvelle-Écosse, où il est une heure plus tard.

M. Woudsma : J’aimerais faire un bref commentaire.

Ce qui est intéressant au sujet du transport et de sa relation avec l’environnement naturel, les rivières et les cours d’eau, c’est que nous avons construit toutes nos routes et tous nos chemins de fer le long de vallées fluviales depuis quelques centaines d’années et que ce n’était pas la meilleure idée.

Vous dites que, durant la séance précédente, on vous a suggéré d’examiner ce qui se passe en Colombie-Britannique. On ne devrait pas reconstruire les routes là où elles étaient dans les vallées fluviales à cause des inondations à venir; c’est juste une question de temps, n’est-ce pas?

Je ne sais pas comment nous assimilons cette leçon ni comment les décideurs de tous les paliers de gouvernement essayent d’être plus rationnels à cet égard. Simple réflexion.

La sénatrice Simons : Certains de ces problèmes environnementaux ne semblent pas seulement être dus aux changements climatiques, mais aussi aux mesures que nous avons prises, comme abattre des arbres qui auraient dû rester debout, déboiser des zones, ce qui a entraîné d’autres avalanches, drainer des lacs et asphalter la surface libérée, pour ensuite être surpris par des inondations.

Je m’inquiète un peu des solutions technologiques de pointe proposées par certains témoins antérieurs et du fait que nous n’apprenons pas à écouter ce que la nature essaie de nous dire, et voilà que j’ai sûrement l’air beaucoup plus sentimental que je ne le suis en réalité.

M. Pearce : Je vais le dire autrement. Votre question tombe à point nommé.

Vous avez tout à fait raison. La plupart des publications traitent des mesures proposées par des ingénieurs. On parle parfois d’adaptation dure et d’infrastructure construite.

J’aimerais soulever deux points. Premièrement, je crois que nous devons examiner le climat dans le contexte de multiples facteurs de stress. Il y a une différence entre la météo et le climat. La météo a toujours existé. Les phénomènes météorologiques ont toujours été une réalité pour les transports au Canada. Ce n’est rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la multiplication des événements météorologiques extrêmes. Il est plus difficile de faire des prévisions. Il y a plus de chocs dans le système. Quand on parle d’infrastructure, il faut d’abord envisager les phénomènes climatiques dans le contexte de nombreux autres facteurs de stress.

On pourrait, par ailleurs, redécouvrir différents modes de gestion des ressources ayant trait à l’infrastructure. Cela veut dire faire participer les collectivités, c’est-à-dire les Premières Nations, les collectivités locales. Ces gens vivent dans des endroits différents. Leur relation avec l’environnement peut être différente de celle des simples visiteurs.

À mon avis, quand on parle des mesures d’adaptation que nous prenons, il faut commencer par écouter, et écouter toutes sortes de voix, celles des Premières Nations, celles des collectivités locales, celles des gens qui vivent là depuis très longtemps et qui s’intéressent personnellement à cet espace.

La sénatrice Simons : Monsieur Rapaport?

M. Rapaport : Nous ferions mieux de travailler avec les systèmes naturels. Au lieu d’utiliser des digues, on pourrait prendre des mesures axées sur la nature pour protéger notre littoral.

Il faut aussi envisager de nouvelles stratégies d’investissement. Je me souviens d’un sénateur qui disait toujours : « Comment va-t-on payer cela? » Je viens de Nouvelle-Écosse. Nous avons décidé que les plans d’adaptation aux changements climatiques étaient une exigence pour toutes les municipalités. Cette année, la municipalité régionale de Halifax a même imposé une taxe sur les changements climatiques à tous les propriétaires fonciers. Cet argent est consacré aux mesures de résilience prise par notre municipalité face aux changements climatiques.

Les municipalités doivent aussi faire leur part et déterminer comment elles vont faire face à ces réalités et payer pour les mesures à prendre. La Nouvelle-Écosse a déjà été un chef de file, et c’est maintenant la municipalité régionale d’Halifax qui est un chef de file dans la recherche de nouveaux mécanismes de financement.

La démesure humaine existera toujours. Nous aurons encore besoin de solutions techniques dans certains cas. Il faudra une autre génération pour défaire tout ce que nous avons fait. Il a fallu une génération pour construire toute cette infrastructure. Il faut envisager le recul comme une partie de la solution. Je ne sais pas exactement d’où viendra ce financement.

La sénatrice Simons : Je ne sais pas ce qu’il en est de la volonté politique. Nous avons malheureusement une longue et sombre histoire dans ce pays, notamment à l’égard des déplacements de populations autochtones pour répondre à nos aspirations politiques.

Je ne veux pas penser à ce qu’il s’ensuivrait de dire aux Autochtones du Nord que leurs communautés ne sont plus viables et que nous allons les faire déménager quelque part. Cela a des relents nauséabonds.

La vice-présidente : Monsieur Pearce, vous avez levé la main.

M. Pearce : Merci. Je le vois autrement. Je pense qu’on ne peut plus dire aux gens ce qu’ils doivent faire. En fait, si on part de la base, si on part de là, les gens qui vivent sur place et qui s’intéressent personnellement à l’espace en question — dans tous les secteurs — prendront eux-mêmes ces décisions.

On peut s’inspirer d’exemples à l’échelle mondiale. On peut s’inspirer de l’Australie pour le recul côtier. On peut s’inspirer des Pays-Bas, où le recul côtier est également intégré à la planification. Ce n’est pas un mécanisme autoritaire, mais plutôt la voix des gens qui vivent sur place et qui se rendent compte qu’il y a un besoin de changement.

Je crois qu’il faut passer d’un discours directif enjoignant aux gens de partir à un discours exposant le problème et invitant les gens à trouver ensemble les voies d’avenir et permettre à ceux qui vivent là de déterminer le mandat des collectivités pour la suite des choses.

La vice-présidente : Merci.

Le sénateur Quinn : Monsieur Woudsma, dans votre exposé préliminaire, vous avez parlé des taux d’évaporation dans les Grands Lacs qui sont probablement associés à une diminution de la couverture de glace pendant les mois d’hiver, etc., comme lien direct avec les changements climatiques.

J’aimerais savoir en quoi votre travail est lié, de quelque façon que ce soit, à la Commission mixte internationale, au contrôle des débits d’eau dans le bassin des Grands Lacs et dans le bassin de la rivière des Outaouais jusqu’à la Voie maritime du Saint-Laurent, plus précisément jusqu’au port de Montréal. Les niveaux d’eau dans le Saint-Laurent sont un enjeu important.

Où en sont les niveaux d’eau dans les Grands Lacs depuis cinq ans? Sont-ils plus élevés, plus bas? Nous avons connu divers cycles. À un moment donné, la tendance générale était nettement à la baisse. Est-ce toujours le cas? Est-ce que la neige abondante a permis de rétablir les niveaux d’eau à un degré plus stable?

M. Woudsma : J’aurais aimé avoir fait plus de travail avant cette réunion pour pouvoir vous donner une meilleure réponse à cette question.

L’an dernier, si je me souviens bien, il y a eu des problèmes liés au fait que des navires ont été obligés d’alléger leurs cargaisons en raison de la baisse des niveaux d’eau dans les Grands Lacs. Vous avez tout à fait raison au sujet de la Commission mixte internationale. Les Grands Lacs sont essentiellement un bassin hydrographique plus ou moins géré eu égard aux débits d’eau.

Nos travaux de modélisation axés sur des projections jusqu’en 2050 ou 2075 sont des scénarios envisageant des extrêmes, c’est-à-dire le pire scénario et le meilleur scénario.

C’est pour cette raison que j’ai choisi cet exemple, compte tenu de l’importance du Saint-Laurent et des Grands Lacs pour la population du Canada et pour le Canada comme pays.

Le sénateur Quinn : Concernant la projection sur 50 ans dont vous avez parlé, êtes-vous en mesure de dire si cela continuera de baisser au-delà de cette fenêtre temporelle?

M. Woudsma : Vous parlez des niveaux d’eau des Grands Lacs?

Le sénateur Quinn : Oui.

M. Woudsma : Oui. Cela n’en faisait pas partie parce qu’on prévoit des variables climatiques, par exemple, les précipitations, la température, etc. Ce sont de simples conjectures concernant les niveaux d’eau réels.

Le sénateur Quinn : Merci.

La vice-présidente : Merci à tous d’avoir répondu à nos questions difficiles. Vous nous avez beaucoup aidés.

Cela met fin à notre séance avec le deuxième groupe de témoins. Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier nos témoins d’avoir pris le temps de partager leur expertise et de répondre à nos questions aujourd’hui.

Je vous remercie, honorables sénateurs.

(La séance est levée.)

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