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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour une étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

La sénatrice Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Bienvenue à cette réunion du Comité permanent des transports et des communications.

Je m’appelle Julie Miville-Dechêne, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente de ce comité.

[Traduction]

Je voudrais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Simons : Paula Simons, Traité no 6, de l’Alberta

Le sénateur Klyne : Bonsoir et bienvenue. Marty Klyne, de la Saskatchewan, Traité no 4.

Le sénateur Cardozo : Sénateur Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La vice-présidente : Nous poursuivons ce soir notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports, et notre étude des enjeux concernant le nord du Canada.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir M. Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik Incorporated, accompagné par Mme Taqialuk Peter, adjointe de direction au vice-président; ainsi que Mme Rachel Olson, présidente et directrice du Firelight Group.

[Français]

Bienvenue et merci de vous être joints à nous.

[Traduction]

Nous commencerons avec les remarques préliminaires de cinq minutes chacun, en commençant par M. Irngaut, suivi de Mme Olson. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Monsieur Irngaut, la parole est à vous quand vous êtes prêt.

Paul Irngaut, vice-président, Nunavut Tunngavik Incorporated : Merci, madame la sénatrice. Unnukkut

Madame la présidente, mesdames et messieurs, je suis le vice-président de la société Nunavut Tunngavik Incorporated, communément appelé NTI. La NTI représente les Inuits du Nunavut en vertu de l’Accord du Nunavut. Notre mandat consiste à veiller à ce que les droits des Inuits du Nunavut garantis par la Constitution soient respectés et à ce que les gouvernements s’acquittent des responsabilités qui leur incombent en vertu de l’Accord.

La mission de la NTI est de promouvoir le bien-être économique, social et culturel des Inuits du Nunavut par la mise en œuvre intégrale de l’Accord du Nunavut. Cet accord est le plus grand traité du Canada, couvrant un cinquième de la masse terrestre du pays.

En octobre 2020, la NTI a publié un rapport sur les lacunes en matière d’infrastructures au Nunavut. Dans les 18 domaines prioritaires d’infrastructure évalués, le Nunavut est confronté à des lacunes importantes et quantifiables par rapport au reste du Canada. Ces lacunes représentent un véritable obstacle aux possibilités économiques, sanitaires et éducatives des Inuits du Nunavut. Ensemble, ces indicateurs permettent de calculer un écart d’équité substantiel, grandissant et renforcé sur de nombreux types d’infrastructures. Cet écart continuera à se creuser s’il n’est pas comblé.

Les changements climatiques constituent un contexte propre au Nunavut, ou un facteur transversal. Le rapport précise que les changements climatiques ont un impact sur l’efficacité et la durée de vie des immeubles, des transports aériens et des infrastructures maritimes. De même, un rapport de 2018 du vérificateur général du Canada a révélé que le Nunavut n’était pas suffisamment préparé à répondre aux changements climatiques. Les entretiens avec les aînés et les membres des communautés mettent en évidence les nouvelles difficultés à se déplacer par bateau, sur la mer et sur la glace, ainsi que le fait que la chasse et le camping sont désormais plus dangereux sur la terre ferme.

La dépendance du Nunavut à l’égard des transports aériens expose les réseaux de transport à des risques accrus en cas de perturbations dues aux tempêtes. Une tempête peut isoler complètement des communautés. Des modifications du pergélisol ont déjà nui à l’infrastructure aérienne du Nunavut, par exemple en entraînant la dégradation des pistes de l’aéroport d’Iqaluit, un facteur important dans la décision de mener un projet de rénovation de l’aéroport d’une valeur de 300 millions de dollars. L’infrastructure rénovée a été construite avec un ensemble exceptionnel de tuyaux de refroidissement pour l’adapter aux conditions changeantes du pergélisol.

L’évolution rapide des conditions dans l’océan Arctique crée de nouvelles pressions et de nouvelles exigences pour les ports et les infrastructures portuaires. La fonte de la glace de mer crée de plus grands passages et pourrait faire augmenter les demandes en matière d’infrastructures portuaires.

Pourtant, une grande partie des infrastructures maritimes de nos communautés consiste en des jetées publiques sous-dimensionnées accessibles uniquement à marée haute, sans infrastructure pour les opérations de transport maritime ou pour la protection des navires ou de la communauté. Par exemple, Kinngait subit les effets des changements climatiques, notamment la dégradation du littoral et les ondes de tempête qui font que la houle ouvre des brèches dans la jetée brise-lames et dans une route principale de la communauté. Une tempête survenue en septembre 2023 a mis en évidence le besoin d’infrastructures maritimes construites pour résister aux effets des changements climatiques.

Malheureusement, l’important retard accumulé en matière d’infrastructures et les capacités financières et de planification limitées compliquent la mise en place d’infrastructures résistantes aux changements climatiques, même si cet investissement pourrait permettre de réaliser des économies à long terme grâce à la réduction des coûts d’entretien et à la prolongation de la durée de vie des actifs.

Les Inuits du Nunavut veulent mettre en œuvre des projets d’infrastructure qui auront un impact et des avantages positifs pour les Inuits. Nous espérons participer comme partenaires à part entière au développement du Nunavut au sein de la Confédération canadienne, et cela comprend la prise en compte des effets des changements climatiques sur les infrastructures essentielles.

Qujannamiik. Je vous remercie de votre attention.

La vice-présidente : Merci beaucoup pour vos propos.

Rachel Olson, présidente et directrice, The Firelight Group : Bonsoir. Je suis une citoyenne de la Première Nation Tr’ondëk Hwëch’in de Dawson City, au Yukon, et je suis également la présidente du Firelight Group.

Le rapport dont je viens vous parler s’intitule Les conséquences de la fonte du pergélisol sur les collectivités autochtones du Nord que l’Institut climatique du Canada, l’ICC, a publié en 2022. Le Firelight Group avait été chargé de fournir à l’Institut un rapport détaillant l’expérience des Autochtones du Nord face au dégel du pergélisol, et notamment l’impact de ce phénomène sur la vie dans la communauté et sur la terre. Nous avons réalisé un projet de recherche qualitative conçu pour accompagner le rapport de l’ICC intitulé Plein Nord : Faire face aux coûts des changements climatiques pour les infrastructures du Nord.

L’un des moteurs de l’étude était le fait que les observations et les connaissances des Autochtones du Nord sont largement absentes de la documentation spécialisée canadienne sur le pergélisol. Les réponses politiques au dégel du pergélisol se sont concentrées sur l’instabilité des infrastructures actuelles, et nous pensions que cette approche ne reconnaissait pas les infrastructures comme faisant partie de la communauté, ce qui entraînait un soutien inadéquat aux structures et aux réseaux sociaux qui fournissent une capacité d’adaptation climatique essentielle.

Afin de combler ces lacunes, le rapport s’appuie sur des entretiens avec des participants autochtones issus de communautés du Nord. Les différences régionales en ce qui concerne les effets du pergélisol et la capacité d’adaptation à la fonte du pergélisol sont vraiment importantes, et tout travail futur dans ce domaine devrait reconnaître ces différences régionales et en tenir compte.

D’après les recherches effectuées, les communautés autochtones sont confrontées à des impacts liés à la chasse, au piégeage et à la pêche; à des impacts sur les sentiers, les déplacements et l’accès, ainsi qu’à des impacts sur la continuité culturelle, la souveraineté alimentaire et les infrastructures des ménages et de la communauté.

En ce qui concerne la chasse, la pêche et le piégeage sur la terre, les participants observent des modifications de l’environnement et de l’accès à celui-ci sous différents angles, notamment des modifications de l’habitat lui-même, de la végétation et du fourrage pour des espèces clés. Ces modifications peuvent entraîner une diminution des récoltes — les habitants chassant donc moins d’animaux — et, parallèlement, une augmentation de l’effort nécessaire pour réussir à récolter la nourriture traditionnelle ou les aliments cueillis et récoltés sur la terre.

La fonte du pergélisol a également eu des répercussions sur la mobilité des communautés autochtones du Nord. Des difficultés accrues pour se déplacer sur les sentiers en raison du dégel du sol, qui peut s’affaisser, glisser ou devenir marécageux, augmentent le temps de déplacement, les risques pour la sécurité et le coût du voyage, ce qui peut à son tour réduire l’utilisation de zones critiques en permanence. Les participants ont également décrit la nécessité de disposer de télécommunications stables afin de faciliter la communication d’information sur les conditions locales et les itinéraires.

Dans certaines régions, l’accès aux ressources nécessaires au maintien des moyens de subsistance de la communauté dépend de routes praticables en toutes saisons ou en hiver. L’hiver et les saisons des routes de glace sont de plus en plus courts, et les difficultés de voyager sur des routes praticables en toutes saisons qui sont susceptibles de se déformer et de se fissurer sous l’effet du dégel du pergélisol ont une incidence sur la capacité des communautés autochtones à accéder à certaines parties de leur territoire.

Tous les participants ont insisté sur le fait que le séjour sur la terre est essentiel à la préservation de l’identité culturelle et à la transmission du savoir. L’augmentation des difficultés et des risques liés aux déplacements et au temps réduit les possibilités de participer à l’apprentissage sur le terrain, essentiel à la transmission des savoirs autochtones, à l’Inuit Qaujimajatuqangit et à la continuité culturelle.

Notre étude a montré que tant l’alimentation traditionnelle que les aliments achetés à l’épicerie sont vulnérables aux effets du dégel du pergélisol. Partout dans le Nord, le stockage des aliments sur la terre pour la mise en cache et la fermentation est encore largement utilisé, et ces lieux de stockage dans le pergélisol sont devenus moins efficaces en raison du dégel, ce qui peut entraîner la détérioration des aliments et la perte de récoltes. Des participants ont souligné que les aliments achetés à l’épicerie sont également touchés. Le stockage et le transport de produits alimentaires, ainsi que l’augmentation du coût des aliments, sont affectés par le dégel du pergélisol en raison de la dégradation des infrastructures essentielles. Les effets sur l’intégrité des immeubles dans les communautés peuvent également avoir des répercussions sur le stockage des aliments.

Les effets du dégel du pergélisol sur les infrastructures compromettent la sécurité alimentaire des communautés, la sûreté, les transports à destination et en provenance des communautés, la santé des membres des communautés, l’éducation et l’emploi. Le rapport révèle que ces effets posent également un défi important aux usages traditionnels de la terre et à la continuité culturelle des communautés autochtones du Nord. Ces effets doivent être considérés comme faisant partie d’une constellation de répercussions liées au climat et d’un contexte encore plus large d’effets sur les communautés autochtones. Mahsi’cho. Merci de votre attention.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous allons commencer la période de questions.

Le sénateur Klyne : Je souhaite encore une fois la bienvenue à nos invités. Ma question s’adresse au représentant de la Nunavut Tunngavik inc. Les changements climatiques entraînent des événements météorologiques critiques, notamment des changements accélérés des conditions météorologiques qui touchent, par conséquent, le froid, la glace de mer et la terre. Je me demande ce qui vous préoccupe le plus par rapport aux infrastructures critiques lorsque vous pensez au mode de vie et aux changements accélérés qui touchent la terre, l’eau, les conditions climatiques et la faune? Quels en sont les effets sur la culture, les transports, la sécurité et la santé?

M. Irngaut : Monsieur le sénateur, je vous remercie pour cette question. Si vous prenez le Nunavut, les communautés sont toutes des communautés côtières, sauf une, celle de Baker Lake. Même là, avec la fonte du pergélisol, nous avons vu des cas où les infrastructures communautaires ont été touchées, surtout dans les régions montagneuses plus élevées. Lorsque le pergélisol fond, il s’érode et des glissements de terrain peuvent survenir. C’est ce qui s’est produit dans l’une de nos communautés, à Pang.

Si vous prenez les communautés, elles sont très proches de la côte, et c’est ainsi que nous vivons. Nous sommes des communautés côtières. La montée des eaux érode le littoral, ce qui peut avoir une incidence sur l’endroit où les gens entreposent leur matériel. De même, si les maisons sont trop proches du rivage, cela peut avoir un impact sur les maisons elles-mêmes.

La fonte du pergélisol a aussi un impact sur nos aéroports et nos pistes d’atterrissage. Nous l’avons constaté à Kitikmeot, dans une communauté appelée Cambridge Bay. Cela se répercute sur le transport aérien, car nous n’avons pas de routes, comme vous le savez, et nous sommes tous reliés par les airs. Cela peut également avoir un impact sur les Inuits.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie. Je suppose que tout est touché. Y a-t-il des plans stratégiques pour se préparer à certaines de ces éventualités?

M. Irngaut : Nous avons procédé à une évaluation des besoins et nous avons commencé à élaborer des plans stratégiques pour l’infrastructure en fonction des changements climatiques. Le processus est en cours.

Nous devons d’abord tout analyser avant de pouvoir dire qu’il y a un impact. Il est certain qu’il y a un impact sur les Inuits, mais nous devons comprendre clairement la situation réelle. Nous devons comprendre que nous sommes les premiers à ressentir les effets des changements climatiques, surtout dans le Nord. Nous devons procéder à davantage d’évaluations et à une planification stratégique adéquate pour combler les besoins en matière d’infrastructures.

Le sénateur Klyne : Partagez-vous la Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques de l’Inuit Tapiriit Kanatami?

M. Irngaut : Oui.

Le sénateur Klyne : Cette stratégie a été publiée en 2021, et elle soulignait que même dans un scénario à faibles émissions où les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine diminuaient immédiatement et considérablement, dans un peu plus de 10 ans, la température annuelle moyenne dans l’Inuit Nunangat devrait atteindre près de 2 °C, et si ces émissions d’origine humaine continuaient d’augmenter au rythme actuel, d’ici à ce que les préadolescents d’aujourd’hui atteignent la mi‑soixantaine, la température annuelle moyenne dans le territoire ancestral inuit pourrait augmenter de près de 8 °C.

L’une des priorités de cette stratégie est la nécessité d’investir davantage dans la cartographie des risques et l’évaluation des vulnérabilités. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Irngaut : Il faudrait que je relise le rapport, mais nous avons remarqué que ce n’est pas seulement l’air qui se réchauffe, mais aussi la mer. Elle érode le dessous de la glace et nous le constatons de plus en plus au Nunavut. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question. Si ce n’est pas le cas, je peux certainement vous envoyer une réponse écrite complémentaire.

Le sénateur Klyne : Bien sûr, et au cas où vous n’auriez pas la réponse, qu’est-ce que la cartographie des risques?

M. Irngaut : La cartographie des risques consiste à essayer d’obtenir un portrait fidèle de la situation. Pour avoir une idée claire de ce qui se passe dans notre environnement, nous devons aussi cartographier nos fonds marins. Nous commençons à voir apparaître de plus en plus de hauts-fonds, ce que nous n’avions jamais vu, et il faut les cartographier. Ce sont des risques pour les infrastructures en ce qui concerne la navigation maritime et tout le reste.

Le sénateur Klyne : Vous avez un niveau de base, mais suivez-vous le mouvement du sol en régions montagneuses et êtes-vous à l’affût de glissements?

M. Irngaut : Les lacunes en matière d’infrastructures sont énormes. Il est difficile de déterminer exactement ce que nous devons examiner.

Nous sommes parfois plus réactifs parce que s’il survient un événement, comme l’exemple que j’ai cité à Pang, lorsque le pergélisol a fondu et qu’il y a eu un glissement de terrain, dans des situations comme celle-là, nous devons réagir sur-le-champ.

Comme les lacunes sont très importantes, il est vraiment difficile de déterminer ce qui doit être fait.

Le sénateur Klyne : Votre port est-il menacé?

M. Irngaut : Iqaluit est la seule collectivité dotée d’un port en eau profonde, mais il ne peut être utilisé qu’à marée haute, car nous constatons que les marées changent beaucoup à cause de l’érosion du littoral, nous le constatons de plus en plus souvent.

La sénatrice Simons : Vous brossez un tableau plutôt sombre. Vous comptez sur le transport aérien, mais les pistes d’atterrissage se soulèvent à cause de la fonte du pergélisol. Vous comptez sur les routes de glace, mais celles-ci et les routes d’hiver sont instables parce qu’il ne fait pas assez froid assez longtemps, et vos rares routes permanentes, praticables en toutes saisons sont également vulnérables aux mouvements du pergélisol. Bien que vous disposiez de voies navigables, vous n’avez pas d’installations portuaires, et vous dites que des hauts‑fonds apparaissent au fil de la fonte, de sorte qu’il y a maintenant des formations rocheuses que personne n’a cartographiées et sur lesquelles un navire peut s’échouer.

Commençons par la piste d’Iqaluit, car c’est votre principal aéroport. J’ai eu le plaisir d’atterrir sur cette piste. C’est une vraie piste, ce n’est pas du gravier. Je veux dire qu’il s’agit d’une véritable piste de classe commerciale.

Ai-je bien compris que vous avez dit que l’on installe des conduites d’eau froide pour garder le pergélisol gelé? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Irngaut : Je vous remercie pour cette question, sénatrice Simons.

Les immeubles les plus modernes construits aujourd’hui sont tous dotés de tuyaux d’air froid à proximité pour garder le pergélisol gelé. Je ne suis pas ingénieur, mais je crois que c’est pour garder le pergélisol en l’état, pour l’empêcher de fondre.

La sénatrice Simons : C’est incroyable.

M. Irngaut : Selon l’immeuble, il peut y avoir six ou sept longs tuyaux à proximité des fondations.

La sénatrice Simons : Vous pouvez faire cela pour un immeuble ou une piste d’atterrissage, mais vous ne pouvez pas le faire pour une route.

M. Irngaut : Non, pas à ma connaissance.

Comme vous le savez, la piste d’Iqaluit a été aménagée par les Américains pendant la guerre. Nous avons effectué de nombreuses améliorations sur la piste. En raison de la fonte du pergélisol, l’asphalte se fissure parfois. Il faut réparer constamment le revêtement. C’est pourquoi nous avons prévu cette rénovation de 300 millions de dollars pour la piste d’atterrissage.

La vice-présidente : Il y a donc l’asphalte et le pergélisol qui le recouvre?

M. Irngaut : Non, en dessous.

La vice-présidente : Poursuivez, je vous en prie.

La sénatrice Simons : Le vrai problème, c’est que si vous dépensez 300 millions de dollars pour améliorer la piste, si la fonte du pergélisol se poursuit, le projet risque de ne pas être durable.

Je pourrais m’entretenir indéfiniment avec M. Irngaut, mais je tiens à ce que mesdames Olson et Peter aient elles aussi l’occasion de s’exprimer. Parlons de ce que cela signifie pour les chaînes d’approvisionnement, parce qu’il faut transporter par avion beaucoup de marchandises, des aliments, mais toutes sortes de nécessités de la vie sont transportées aussi par avion.

Qu’est-ce que cela signifie par rapport à l’augmentation du coût des aliments, à la fiabilité des chaînes d’approvisionnement si vous ne pouvez pas toujours faire atterrir un avion et si vous ne pouvez pas compter sur les routes? Madame Olson, madame Peter, aimeriez-vous répondre à cette question? Qu’est-ce que cela signifie pour les habitants du Nunavut par rapport à l’accès à des aliments, à des médicaments, à des meubles, à du papier de toilette, à des draps?

Mme Olson : Il est évident que cela compromet vraiment la capacité à obtenir ces articles de manière stable, abordable et continue. Quand il n’y a pas d’autre moyen que de faire atterrir un avion, et que vous ne pouvez pas le faire, alors vous n’obtenez pas ce dont vous avez besoin. Les personnes qui ont besoin d’une évacuation médicale ne peuvent pas en bénéficier. Les conséquences ne cessent de s’aggraver.

La sénatrice Simons : Madame Peter, je sais que vous n’avez pas pris la parole. Voulez-vous ajouter quelque chose à propos de la sécurité alimentaire?

Taqialuk Peter, adjointe de direction au vice-président : Je suis désolée, je suis l’adjointe du vice-président.

La sénatrice Simons : Vous êtes la partenaire silencieuse, je comprends.

Si nous ne pouvons pas compter sur des routes praticables en toutes saisons à cause de la fonte du pergélisol, nous ne pouvons plus compter sur la saison des routes de glace parce qu’elle rétrécit. Je suppose que dans les petites collectivités, les pistes d’atterrissage sont surtout en gravier.

Comme toutes les collectivités, sauf Baker Lake, qui se trouve sur la côte, quelle est la capacité d’approvisionner ces collectivités par voie maritime? Pourrait-on investir dans de meilleurs ports pour que les gens puissent au moins s’approvisionner par voie maritime?

M. Irngaut : Merci, sénatrice Simons, pour cette question. Comme je l’ai dit, nous sommes des collectivités côtières, mais nous n’avons pas les infrastructures nécessaires en fait de ports et de ports pour petits bateaux.

Nous ne pouvons pas vraiment compter sur le transport maritime à la fin de l’automne ou même en hiver. Ce n’est possible qu’en été. Avec les changements climatiques, nous voyons de plus en plus de transports maritimes tardifs au Nunavut. Dans une certaine mesure, c’est une bonne chose parce que nous voyons arriver de plus en plus de navires.

La sénatrice Simons : La saison de navigation est plus longue.

M. Irngaut : Oui, la saison est plus longue, mais comment puis-je l’expliquer? Elle est plus longue, mais elle est de plus en plus difficile à cause des conditions météorologiques. Je constate que le temps est de plus en plus mauvais.

La sénatrice Simons : Oui, il y a plus de tempêtes.

M. Irngaut : Cela nuit au transport aérien et au transport de marchandises par bateaux. Parfois, ils doivent arrêter complètement le transport jusqu’au rivage et attendre que le temps s’éclaircisse un peu.

La sénatrice Simons : Le passage du Nord-Ouest n’est pas une sorte de solution magique?

M. Irngaut : Peut-être dans un avenir lointain, oui, mais pas dans un avenir proche.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Bienvenue et merci de vous joindre à nous.

Tout d’abord, si je pouvais obtenir plus d’information sur le type d’infrastructure qui existe, sur les organisations et le type de travail que vous faites. Monsieur Irngaut, je pourrais peut-être obtenir plus d’information sur la Nunavut Tunngavik Incorporated. Vous êtes une organisation de revendication territoriale. Je consulte simplement votre site Web. Il y a la Nunavut Trust, et si vous pouviez nous parler des associations régionales inuites et des sociétés de développement régional inuites — comment elles collaborent — et aussi de votre lien ou association avec l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK.

M. Irngaut : Je vous remercie pour cette question, sénateur. L’entente sur les revendications territoriales a été conçue pour tenir compte des droits de tous les Inuits dans le cadre des revendications, des droits protégés par la Constitution. Ensuite, nous avons toutes ces organisations inuites régionales. Il y en a trois : la Kitikmeot Inuit Association dans l’ouest, la Kivalliq Inuit Association dans le centre et la Qikiqtani Inuit Association sur l’île de Baffin.

Le sénateur Cardozo : C’est au-delà du Nunavut, n’est-ce pas?

M. Irngaut : Pardon?

Le sénateur Cardozo : Est-ce que cela dépasse les limites du Nunavut, ou est-ce que vous ne couvrez que le Nunavut?

M. Irngaut : Cela ne couvre que le Nunavut.

Le sénateur Cardozo : Très bien.

M. Irngaut : Ces organisations ont leurs propres sociétés de développement qui s’occupent de leurs besoins régionaux. Elles s’occupent de l’infrastructure et elles mènent des projets qui touchent leur région.

La présidente et le vice-président de la NTI, en tant qu’organisation mère, siègent au conseil d’administration. Notre présidente, Aluki Kotierk, est membre du conseil d’administration de l’ITK.

Le sénateur Cardozo : Je comprends.

M. Irngaut : Ce sont les liens qui nous unissent.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.

Madame Olson, en ce qui concerne le Firelight Group — vous êtes un important cabinet d’experts-conseils — pouvez-vous nous en dire plus sur le genre de travail que vous faites, surtout en ce qui a trait à notre sujet d’aujourd’hui, les infrastructures?

Mme Olson : Le Firelight Group est un cabinet d’experts-conseils en recherche de propriété autochtone. Nous fournissons des services aux nations et aux organisations autochtones, surtout dans les domaines de la recherche et du soutien technique dans plusieurs domaines différents, notamment la recherche sur les savoirs autochtones, la recherche socioéconomique, l’évaluation d’impacts, les ententes sur les répercussions et les avantages, la recherche sur la santé des Autochtones et l’aménagement du territoire. Je suis désolée si j’en ai oublié.

Le sénateur Cardozo : Qui sont vos clients?

Mme Olson : Nos clients sont les nations autochtones, les organisations des Premières Nations et inuites. Elles constituent le gros de notre clientèle.

Le sénateur Cardozo : Travaillez-vous avec d’autres sociétés qui veulent travailler avec des Inuits?

Mme Olson : Nous sommes embauchés directement par des organisations inuites pour faire de la recherche ou offrir un soutien technique en travaillant avec elles comme clients.

Le sénateur Cardozo : Vous ne travaillez donc pas pour des sociétés minières ou des sociétés pétrolières et gazières.

Mme Olson : Non.

Le sénateur Cardozo : J’ai une autre question, si nous avons le temps. J’ai assisté à l’événement merveilleux que le sénateur Patterson a organisé aujourd’hui. Parmi les personnes que j’ai rencontrées, certaines travaillent dans les ports du Nunavut. Je crois savoir qu’il y a environ 25 ports. J’ai été intrigué par votre observation, monsieur Irngaut, selon laquelle les ports sont plus utiles à marée haute. C’est tout simplement incroyable que vous deviez composer avec ce facteur.

Ils ne sont pas assez profonds pour être utilisés en tout temps. Cela signifie-t-il qu’un navire doit entrer à marée haute, faire ce qu’il a à faire et sortir avant que la marée ne se retire, ou peut-il attendre la prochaine marée haute?

M. Irngaut : Certains navires peuvent être amarrés même à marée basse. Il n’y en a qu’un seul, à Iqaluit. C’est le seul port en eau profonde.

Le sénateur Cardozo : Un seul, je comprends.

M. Irngaut : Récemment, ils ont cessé de le faire, car ce qu’on appelle des bouées, qui se trouvent entre le quai et le navire, ont été enlevées. Même lorsque les navires arrivaient tard dans la saison, ils devaient s’ancrer en mer, puis des barges transportaient les marchandises jusqu’au rivage.

Le sénateur Cardozo : Les barges peuvent donc faire des allers-retours et travailler à marée basse.

M. Irngaut : Oui, ou plutôt jusqu’à l’endroit où se trouve le port en eau profonde d’Iqaluit. Avant la construction de ce port en eau profonde, il fallait attendre la marée haute parce qu’on devait tout transporter près de la collectivité.

Le sénateur Cardozo : Et tous les autres ports doivent composer avec les marées, n’est-ce pas?

M. Irngaut : Exactement. En fait, il n’y a pratiquement pas de ports dans les autres collectivités. Tout se fait par barge.

Le sénateur Cardozo : Est-ce nouveau, ou cela a-t-il toujours été ainsi?

M. Irngaut : Cela a toujours été ainsi.

La vice-présidente : Je vous remercie. Nous cédons la parole au sénateur Patterson.

Le sénateur D. Patterson : C’est très aimable à vous, madame la présidente, et je suis désolé d’être en retard.

La vice-présidente : Je comprends. Je vous remercie de vous joindre à nous. Inutile de vous excuser. Voulez-vous écouter un peu avant de poser une question, ou êtes-vous prêt à intervenir?

Le sénateur D. Patterson : Je suis sûr que M. Irngaut a présenté l’étude sur l’infrastructure réalisée par la NTI.

La vice-présidente : Oui, environ 18 éléments d’infrastructure ont été considérés comme vulnérables en 2020. Nous avons un peu parlé de l’aéroport. Il semble que plusieurs difficultés se posent. Je ne sais pas quelles sont les priorités. Vous pouvez peut-être nous aider à progresser.

Le sénateur D. Patterson : La longueur et la stabilité des pistes d’atterrissage sont les facteurs qui posent un problème pour notre transport aérien, notre principal moyen d’acheminer des produits frais dans les collectivités. Pourriez-vous nous parler des difficultés liées à la longueur des pistes? Je sais que nous avons deux pistes pavées au Nunavut sur les 25 collectivités — soit à Iqaluit et à Rankin Inlet. Toutes les autres sont des pistes en gravier. L’étude de la NTI aurait également porté sur les infrastructures aéroportuaires. Elle joue un rôle vital pour nous. Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Irngaut : Oui. Merci, sénateur Patterson, pour cette question. Si vous pensez aux petites collectivités comme Grise Fiord et Kimmirut, on utilise surtout des Twin Otters, qui sont assez petits par rapport aux avions à turbopropulseurs. Il est très difficile pour ces petites collectivités d’obtenir des marchandises de manière continue et durable, des produits frais par exemple, parce qu’en cas de mauvais temps, ce qui est de plus en plus fréquent au Nunavut, elles n’ont pas accès au service et elles ne reçoivent pas les marchandises, peut-être pendant des jours, ce qui devient un problème.

S’il y a des problèmes médicaux ou des évacuations médicales, c’est une question de vie ou de mort pour certaines de ces collectivités. Il est très difficile pour ces collectivités de maintenir l’approvisionnement de marchandises et elles ont des problèmes de sécurité. Cela devient un problème. Je vous remercie de votre attention.

Le sénateur D. Patterson : Monsieur Irngaut, je sais que vous êtes un chasseur et un homme de terrain. Je suis allé sur le terrain et je vous ai vu pêcher et chasser. Notre comité étudie les impacts des changements climatiques. Pourriez-vous nous dire, du point de vue d’un chasseur qui dépend de la glace de mer et de la terre pour se déplacer, quels changements climatiques avez-vous constatés ces dernières années?

M. Irngaut : Merci pour cette question. Nous avons constaté, surtout en hiver ou au début de l’automne, que la saison commence de plus en plus tard et que la glace se forme plus tard dans la saison. Nous constatons aussi que les courants sont de plus en plus forts. Les courants forts érodent la glace par en dessous et l’amincissent beaucoup. Dans le passé, nous aurions pu nous déplacer sur la glace.

Cela devient une préoccupation pour les chasseurs. En hiver, la glace est notre autoroute. Nous devons nous rendre à certains endroits où nous avions l’habitude d’aller, ou si nous avons des cabanes, nous devons passer sur la glace pour nous y rendre. Nous ne pouvons plus nous rendre sur ces lieux de chasse où nous avions l’habitude de chasser, et cela crée de l’insécurité alimentaire dans nos collectivités. L’érosion de la glace vient de la mer, parce que nous savons que la mer se réchauffe. Ce n’est pas seulement le soleil qui crée les changements climatiques, mais aussi la mer. Il devient plus dangereux pour les chasseurs de chasser en hiver.

Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie.

La vice-présidente : Nous allons commencer le deuxième tour, mais soyez plus brefs, car nous avons quelques sénateurs de plus. Soyons précis dans nos questions.

Le sénateur Klyne : J’ai une question brève pour Mme Olson. Dans votre rapport sur les investissements culturels publié en 2019, vous examinez la façon dont il est établi que les projets industriels ont une incidence sur les droits, la culture et le mode de vie des communautés autochtones. On souligne dans le rapport que des recherches récentes ont montré que les infrastructures fonctionnelles sont un élément important des communautés autochtones, de leur résilience et de leur santé face aux répercussions complexes des changements climatiques. Comme nous le savons, la plupart des Autochtones ont une compréhension intime des effets des changements climatiques sur l’environnement physique, la faune et les écosystèmes qui soutiennent leurs communautés.

Pouvez-vous nous expliquer comment une infrastructure fonctionnelle appartenant à la communauté et conçue par elle peut faire partie intégrante de la résilience et de la santé de la communauté face aux défis posés par les changements climatiques?

Mme Olson : Merci, c’est une très bonne question. Je pense que les habitants qui sont confrontés aux effets chaque jour sont les mieux placés pour savoir comment les atténuer. C’est ce que nous voulons dire par s’appuyer sur les forces en présence dans le travail que nous faisons. Si les initiatives mettent concrètement à contribution les communautés autochtones et sont dirigées par elles, qu’il s’agisse d’infrastructures ou de la conception d’une clinique médicale, peu importe, en fin de compte, ces services et ces infrastructures serviront mieux ces communautés autochtones.

Le sénateur Klyne : Je suis d’accord avec vous sur ce point. Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Nous avons parlé de l’effet de ces changements sur les habitants du Nunavut. Parlons un peu de ce que cela signifie pour l’industrie. Qu’est-ce que cela signifie pour les exploitations minières qui dépendent des routes de glace pour le transport par camions lourds? Quelles sont les menaces pour l’avenir économique du Nunavut si cette infrastructure commence à être aussi instable?

M. Irngaut : D’après ce que j’ai compris, il n’y a que les Territoires du Nord-Ouest qui ont des routes de glace. Je ne peux pas vraiment répondre à votre question.

La sénatrice Simons : Pour vous, le problème se pose pour les routes praticables en toutes saisons?

M. Irngaut : Oui. Comme je l’ai dit, la fonte du pergélisol nuit aux routes. Elles nécessitent en permanence des travaux d’entretien, ce qui augmente le coût des affaires au Nunavut.

En même temps, la saison plus longue de navigation en eau libre peut aussi leur être bénéfique. Pour autant que je sache, nous n’avons qu’une mine en activité, à Qikiqtaaluk. Il y a d’autres mines en exploitation à Kivalliq, mais nous parlons de Qikiqtaaluk en ce moment, où il y a du transport maritime. Cela peut être avantageux pour certaines mines, mais par ailleurs, cela a un impact sur la faune. C’est là le problème.

La sénatrice Simons : Je crois que c’est Mme Olson qui parlait des routes de glace. Vous travaillez à la fois au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Mme Olson : C’est exact.

La sénatrice Simons : C’est l’origine de ma confusion. Permettez-moi de vous poser la question. Vous avez parlé des conséquences sociales et culturelles. Quelles sont les conséquences économiques si les routes de glace dans le Nord, du côté des Territoires du Nord-Ouest, ne peuvent être maintenues?

Mme Olson : Il y aurait manifestement des conséquences économiques. Dans mon travail, je ne suis pas entré dans les détails des répercussions économiques éventuelles des routes de glace ou des routes praticables en toutes saisons. J’imagine que s’il y avait des répercussions pour les collectivités locales qui utilisent les routes, il y aurait des répercussions pour n’importe quel véhicule ou pour le transport le long de ces corridors.

La sénatrice Simons : Et plus le véhicule est gros et lourd, plus la difficulté est grande.

Si les avions ne peuvent pas atterrir dans les petites collectivités, les hélicoptères sont-ils une solution de rechange viable? Est-ce que quelqu’un utilise des hélicoptères, ou leur coût est-il prohibitif et sont-ils moins stables?

M. Irngaut : Merci pour cette question. Pour autant que je sache, seules les mines utilisent des hélicoptères.

Pour des opérations de recherche et de sauvetage, les collectivités utiliseront des hélicoptères.

La sénatrice Simons : Et pour les évacuations médicales?

M. Irngaut : Non, ils ne sont pas utilisés pour les évacuations médicales.

La sénatrice Simons : Nous avons entendu plus tôt un témoin très enthousiaste à l’idée des dirigeables. Est-ce que quelqu’un parle des dirigeables comme d’une solution possible, ou est-ce que c’est plus futuriste?

M. Irngaut : Nous n’avons pas envisagé cette solution. Je n’en entends parler que dans les journaux.

La sénatrice Simons : C’était un expert et il a défendu avec passion l’idée que les dirigeables seraient la solution parce qu’ils sont plus stables et qu’ils n’ont pas besoin de pistes d’atterrissage, mais jusqu’à présent il n’y a pas d’industrie de dirigeables viable. En vous écoutant, je me dis qu’aussi fantaisiste que cela ait pu paraître lors de son témoignage, il pourrait s’agir d’une technologie susceptible de régler les problèmes qui vous sont propres.

M. Irngaut : Merci pour cette question. Comme je l’ai dit, nous constatons que les vents sont de plus en plus forts en raison des changements climatiques. Les vents dominants sont du nord-ouest. Comme ils sont de plus en plus forts, je ne sais pas s’il serait possible d’utiliser des dirigeables. Je ne sais pas combien de temps il leur faudrait pour se rendre là-haut, mais même en venant ici hier, on pouvait sentir les vents. Notre avion bougeait sans cesse tout au long de notre voyage. Je ne pense pas que les dirigeables seront utilisés de sitôt.

La sénatrice Simons : Je tiens à vous remercier à nouveau d’être venus. C’est très précieux pour vous que vous soyez ici en personne pour nous raconter vos histoires.

Le sénateur Klyne : Quelqu’un a-t-il déjà parlé d’exploiter l’énergie éolienne?

M. Irngaut : Certaines mines ont évoqué l’aménagement d’un parc éolien, mais nous nous y sommes opposés en raison de leur emplacement. Les parcs éoliens auraient été aménagés sur les lieux de mise bas du caribou.

La vice-présidente : Si vous me permettez une question plus générale, vous avez évoqué différents problèmes préoccupants. Quelle est la priorité? Quel est le problème principal? Est-ce l’aéroport principal? Si vous deviez dresser une liste des domaines dans lesquels vous auriez besoin d’investissements, quels seraient-ils? Je sais que vous essayez d’établir un plan stratégique, mais vous avez peut-être une idée de la liste des priorités.

M. Irngaut : Merci pour cette question. Je ne sais pas s’il y a des listes de priorités, mais il est certain que nous devons travailler avec le gouvernement fédéral et notre gouvernement territorial pour déterminer les évaluations dont nous avons besoin, car nous ne pouvons pas les faire seuls. Nous avons besoin de nos partenaires pour réaliser ces évaluations et mettre en place un plan stratégique.

Nous essayons de faire notre part. Nous essayons de produire cette évaluation et d’établir cette stratégie, mais nous avons besoin de nos gouvernements comme partenaires pour avoir une idée plus claire des besoins et des effets des changements climatiques sur nos communautés.

La vice-présidente : Avez-vous demandé de l’aide? La recevez-vous? Où en êtes-vous à cet égard?

M. Irngaut : Comme je l’ai dit, nous commençons à nous pencher sur la question. Nous n’avons pas encore dit: « Voici ce dont nous avons besoin. » Nous n’avons même pas encore examiné le montant en jeu. Nous en sommes au stade initial. Merci.

Le sénateur Cardozo : J’espère que ma question n’est pas indélicate, mais si je comprends bien, il y a 25 ports, donc 25 collectivités sont dotées d’un port. Connaissez-vous le nombre de collectivités au Nunavut?

M. Irngaut : Il y a 25 collectivités, je crois, mais elles ne sont pas toutes dotées d’un port.

Le sénateur Cardozo : Est-il possible qu’à cause des changements climatiques, certaines collectivités deviennent inaccessibles ou que l’accessibilité devienne si difficile que les gens désertent une collectivité?

M. Irngaut : Eh bien, beaucoup de ces collectivités ne sont pas accessibles par mauvais temps, par exemple, surtout en hiver. Nous n’avons pas de routes. Il est difficile de savoir exactement si elles vont devenir inaccessibles parce qu’elles le sont déjà, dans une certaine mesure, parfois en hiver.

La vice-présidente : Avez-vous déjà des plans? Ces collectivités peuvent être isolées pendant plusieurs jours, et je suppose que vous avez fait une certaine planification. Elles ont probablement des réserves de nourriture. Qu’arrive-t-il si elles sont inaccessibles?

M. Irngaut : Comme nos expéditions sont saisonnières, les magasins doivent constituer essentiellement des réserves, mais le problème se pose surtout pour les produits quotidiens dont nous dépendons, comme le lait ou les produits frais, qui seraient touchés.

Le sénateur Cardozo : Est-il possible qu’un jour, certaines collectivités deviennent invivables parce qu’il est si difficile d’y faire parvenir des produits frais ou peu importe?

M. Irngaut : Je ne pense pas qu’elles deviendront invivables parce qu’un grand nombre de ces collectivités sont constituées de chasseurs-cueilleurs et que 75 % de la nourriture qu’elles obtiennent, ou peut-être 50 %, est traditionnelle. Beaucoup de ces familles dépendent de la nourriture traditionnelle qu’elles peuvent obtenir de la terre et de la mer.

Le sénateur D. Patterson : Vous parliez des effets des changements climatiques sur vous en tant que chasseur. Je sais que vous chassez; vous êtes originaire d’Igloolik, mais vous avez chassé dans la baie Frobisher, près d’Iqaluit. Pouvez-vous nous donner une idée de la durée pendant laquelle vous pouviez voyager sur la glace de mer — l’autoroute, comme vous l’avez dit — dans les années passées? Comment la saison a-t-elle changé jusqu’à aujourd’hui, et peut-être en est-il de même pour les activités terrestres? Il y a peut-être eu un peu de neige à Iqaluit depuis que j’y étais le week-end dernier, mais nous sommes en novembre et les gens ne peuvent pas encore aller sur le territoire parce qu’il n’y a pas de neige. Il n’y a pas assez de neige. Pouvez-vous nous donner une idée de l’évolution de la situation au cours des dernières années?

M. Irngaut : Bien sûr, sénateur. Merci pour cette question. Lorsque j’ai déménagé à Iqaluit, à la fin des années 1980, nous pouvions aller sur la glace à la fin du mois d’octobre.

Le sénateur D. Patterson : Sur la glace de mer, en toute sécurité?

M. Irngaut : En toute sécurité, et nous pouvions chasser. Nous devions aller loin sur la baie pour récolter, tant il y avait de la glace à l’époque. Nous pouvions y aller sans problème, sans craindre de traverser la glace.

Aujourd’hui, il n’y a plus de glace, même à l’heure où nous nous parlons. Nous sommes à la fin du mois de novembre, presque en décembre, et il n’y a pas de glace, l’eau est toujours libre. Pour ce qui est de la terre, nous avons eu un peu de neige, mais nous avons parfois de la pluie, même en hiver. Nous n’avions jamais l’habitude d’en voir. Aujourd’hui, il pleut et cela fait disparaître la neige. Il y a donc un impact sur les chasseurs, c’est certain.

Le sénateur D. Patterson : Et pour la fin de la saison? Vous avez dit qu’autrefois la glace se formait et était sûre en octobre. Pendant combien de temps pouvait-on alors, dans les années 1980, se déplacer en toute sécurité sur la glace de mer? Quelle est la durée de cette période aujourd’hui?

M. Irngaut : Quand je suis arrivé à Iqaluit, on pouvait aller sur la glace presque jusqu’en juin. Ce n’est plus possible maintenant. On ne peut plus s’y rendre à compter de mai, fin mai parfois, ou début mai. Vous voyez à quel point la situation a changé.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

La vice-présidente : Je vous remercie de vos témoignages et de votre générosité. Voilà qui met un terme à notre premier groupe de témoins. Merci d’avoir pris le temps d’être venus répondre à nos questions, tenter de nous éduquer — dans mon cas en particulier — et nous faire profiter de votre expertise.

[Français]

Honorables sénatrices et sénateurs, nous poursuivons notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures du transport dans le nord du Canada.

[Traduction]

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, tout d’abord de la compagnie Canadian North, Mme Shelly De Caria, présidente et directrice générale par intérim, et le capitaine Aaron Speer, vice-président des opérations aériennes; puis de West Kitikmeot Gold, M. Brendan Bell, directeur général.

Bienvenue à vous et merci de vous joindre à nous. Nous commencerons avec vos exposés, de cinq minutes chacun, en commençant par Mme De Caria, suivie de M. Bell. Nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.

[Français]

Madame De Caria, la parole est à vous quand vous êtes prête.

[Traduction]

Shelly De Caria, présidente et directrice générale par intérim, Canadian North : Le capitaine Speer fera l’exposé.

La vice-présidente : Désolée capitaine Speer, la parole est à vous.

Aaron Speer, vice-président, Opérations aériennes Canadian North : Honorables sénateurs, bonsoir. Je vous remercie de cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis le capitaine Aaron Speer, vice-président aux opérations aériennes de Canadian North. Comme indiqué précédemment, je suis accompagné ce soir de madame Shelly De Caria, notre présidente et directrice générale par intérim.

Canadian North est une compagnie aérienne de propriété exclusivement inuite, qui fournit depuis plus de 75 ans des services aériens essentiels à 25 communautés des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Nous leur offrons également un lien essentiel avec le Sud. Vingt-et-une des communautés desservies sont éloignées et isolées du reste du pays, sans accès routier. Pour ces communautés, le transport aérien est le seul moyen fiable d’avoir accès à longueur d’année à la nourriture et aux fournitures essentielles, ainsi qu’aux services médicaux et autres services vitaux. L’accès à des services de transport aérien sûrs et fiables représente littéralement une ligne de vie essentielle pour ces communautés. Pour pouvoir offrir ces services cruciaux, nous dépendons de l’infrastructure disponible dans les aéroports de ces communautés isolées.

Les trois territoires du Canada composent environ 40 % de la masse terrestre du pays. Selon le recensement de 2021, les 75 communautés situées dans les trois territoires abritent un total de 118 160 personnes, soit un peu moins que la population de la ville de Waterloo en Ontario.

Par ailleurs, tous les aéroports qui desservent ces communautés ont été en grande partie aménagés durant la guerre froide et se sont peu développés depuis. La nécessité d’investir davantage dans les infrastructures aéroportuaires du Nord et de les moderniser a été plusieurs fois étudiée et confirmée depuis 2005, notamment dans le rapport 6 des rapports présentés au printemps 2017 par le vérificateur général au Parlement du Canada.

Une grande partie de ces besoins infrastructurels demeurent d’actualité, et le sont encore plus à cause des changements climatiques. La grande majorité des aéroports nordiques consistent en une simple piste de gravier construite sur le pergélisol. À mesure que le pergélisol dégèle et fond, la structure du sol s’affaiblit, ce qui peut causer divers problèmes allant de l’amollissement général et graduel de la piste jusqu’à la défaillance de certaines parties de la surface de la piste et même, dans certains cas, à la fermeture complète de la piste et à l’impossibilité d’accéder à l’aéroport. Je citerai comme exemple les importantes perturbations opérationnelles subies par l’aéroport de Qikiqtarjuaq en 2012 lorsque de fortes crues ont emporté une bonne partie de la piste.

Les changements climatiques ont été associés à des épisodes météorologiques plus graves. Nous constatons que l’allongement des saisons de givrage augmente les besoins en liquide de dégivrage. De même, l’aggravation des conditions météo fait croître le nombre d’annulations de vols et de situations où les avions sont dans l’impossibilité d’atterrir à l’aéroport.

Nous enregistrons actuellement, au cours d’une année, une moyenne mensuelle de 175 annulations dues aux conditions météorologiques. En l’absence d’investissements supplémentaires et d’une amélioration des balises lumineuses, des aides à l’approche et des infrastructures, ce nombre ne fera qu’augmenter avec l’aggravation des conditions météorologiques.

Les incendies de forêt de l’été dernier ont eu des impacts considérables. Il a fallu près d’une semaine pour évacuer Yellowknife. Je reconnais que Yellowknife est la plus grande ville des Territoires du Nord-Ouest, mais n’oubliez pas que l’évacuation a tout de même pris une semaine et qu’il a fallu maintenir l’accès routier pendant toute cette période, en plus des efforts d’évacuation par voie aérienne.

Cela dit, ce ne sont pas seulement la communauté et la ville de Yellowknife qui ont été touchées. Yellowknife est une importante plaque tournante pour nos opérations de fret dans l’Ouest, de même que pour le transport de passagers. À cause de la fermeture de l’aéroport de Yellowknife, sept autres communautés complètement épargnées par les incendies ont quand même subi une baisse marquée de leur accès aux fournitures et services essentiels.

Tous ces événements nous donnent un instantané des résultats des changements climatiques et de leurs effets sur les activités de notre compagnie, aussi bien les impacts sur l’infrastructure aéroportuaire que notre incapacité de combler les besoins des communautés que nous desservons.

Autant on ne peut sous-estimer l’importance des services que nous fournissons à ces communautés, autant on ne peut sous-estimer les effets des changements climatiques sur cette infrastructure et sur notre capacité à offrir ces services critiques.

Je vous remercie.

La vice-présidente : Merci, monsieur Speer. Monsieur Brendan Bell, s’il vous plaît.

Brendan Bell, directeur général, West Kitikmeot Gold : Madame la vice-présidente, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre aimable invitation à comparaître ici ce soir, et je remercie tout particulièrement le sénateur Patterson.

Sénateur Patterson, à l’approche de votre retraite, je souhaite, au nom de notre entreprise et de toute l’industrie nordique, vous remercier pour vos services et votre engagement en faveur du Nord. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans vos projets futurs.

J’aimerais tout d’abord me présenter et dire quelques mots sur notre entreprise. J’ai grandi dans le Nord, d’abord à Iqaluit puis à Yellowknife. Je me suis lancé très tôt dans l’arène politique et j’ai été ministre au sein du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Après avoir quitté la politique, je me suis joint à Dominion Diamond, dont je suis ensuite devenu directeur général.

Quand je dirigeais la Dominion, j’ai eu le plaisir de collaborer étroitement avec les Inuits de Kitikmeot, qui sont un des partenaires autochtones de la mine de diamants Ekati. Après avoir quitté Dominion, j’ai repris contact avec eux par l’intermédiaire de leur branche commerciale et j’ai été vivement inspiré par leur désir de fonder une société minière de propriété inuite, la West Kitikmeot Gold, ou WKG.

Depuis, nous avons ensemble attiré de nouveaux investissements, formé une équipe technique et commencé à travailler sur plusieurs sites miniers dans le Kitikmeot occidental. Malheureusement — et bon nombre de mes collègues d’autres entreprises nordiques pourront le confirmer —, il est très difficile de lever des fonds pour des projets réalisés dans des régions isolées et dépourvues des infrastructures de transport et de communication que nous avons tendance à tenir pour acquises dans le sud du Canada.

Pour le Kitikmeot occidental, le lien vital de transport et de communication qui transformera l’économie régionale s’appelle le projet routier et portuaire de Grays Bay, un projet de port en eau profonde assorti d’un lien routier qui reliera le Kitikmeot occidental aux Territoires du Nord-Ouest et, à terme, au réseau routier nord-américain près de Yellowknife.

Le projet de Grays Bay est dirigé depuis un certain nombre d’années par les Inuits du Kitikmeot, ce qui m’a toujours semblé logique. Le tracé du projet passe dans leur arrière-cour et a été choisi par les aînés et les leaders de la communauté.

Plus tôt cette année, les Inuits nous ont annoncé qu’ils se retiraient en tant que promoteurs du projet. WKG a accepté de les remplacer à ce titre. Je suis heureux de confirmer que le Canada, les Inuits de Kitikmeot et WKG ont signé ce soir un accord faisant de WKG le nouveau promoteur du projet avec le soutien financier continu du Canada, plus précisément du Fonds national des corridors commerciaux.

Tout grand projet d’infrastructure dans le Nord s’accompagne d’une série de sensibilités environnementales et culturelles, et le projet de Grays Bay ne fera pas exception. Nous devrons évaluer soigneusement comment le projet pourra coexister avec les animaux sauvages que nos propriétaires inuits chassent et dont ils dépendent, comme les caribous et les mammifères marins, ainsi qu’avec toute la flore et la faune de ce territoire. Nous devrons également mener ces évaluations dans le contexte d’un climat en évolution qui risque d’affecter les routes migratoires des caribous et divers autres cycles naturels.

Pour ce qui touche directement le mandat du comité, les changements climatiques ont un impact sur nos infrastructures existantes, comme vous l’a dit le dernier groupe de témoins, et ils doivent être pleinement pris en compte dans les modalités de construction des nouvelles infrastructures nordiques.

Dans le cas des infrastructures existantes, le constant raccourcissement des saisons de réapprovisionnement vient menacer les routes d’hiver qui sont essentielles aux fournisseurs des compagnies minières et des communautés nordiques. Il faut atténuer ces impacts en transformant les routes d’hiver en routes toute saison, chaque fois que c’est possible. Nos infrastructures côtières, construites pour une courte saison libre de glace avec un faible trafic de barges, sont clairement dépassées. La saison de navigation dans les eaux arctiques du Canada est aujourd’hui beaucoup plus longue, et un nombre croissant de navires à vocation de tourisme, de transport en vrac et de sécurité transitent par ces eaux.

Dans ce contexte, il faudra construire de nouvelles infrastructures qui répondent à la nouvelle réalité. WKG estime que le port de Grays Bay sera le port le plus performant entre l’Alaska et le Groenland. Il représentera un actif polyvalent et multi-usager qui permettra de mieux affirmer la souveraineté des Inuits et du Canada sur le passage du Nord-Ouest, en réponse à l’allongement des saisons libres de glace et à l’intensification du trafic maritime. WKG considère le corridor routier de Grays Bay comme un corridor infrastructurel vital entre le sud du Canada et le Kitikmeot. Combiné au projet de corridor d’accès à la province géologique des Esclaves que développe actuellement le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le projet offrira un accès routier en toute saison entre le sud du Canada et le Kitikmeot.

Comme je l’ai dit, WKG ne concevra et n’avalisera le projet de Grays Bay qu’avec l’appui des actionnaires et propriétaires fonciers inuits. Ils comprennent les défis que posent les changements climatiques dans leur arrière-cour, et ils doivent confirmer que ce projet est la bonne réponse. WKG est convaincu que ce projet représente la clé qui donnera accès aux richesses minérales critiques du Kitikmeot et, par conséquent, qui permettra de créer pour les bénéficiaires du Kitikmeot de nouvelles possibilités, et ce d’une manière qui respecte leurs terres et leurs eaux.

Je vous remercie, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

La vice-présidente : Nous avons affiché une carte pour nous aider.

M. Bell : Je vois.

La vice-présidente : Où est… le voyez-vous? Pouvez-vous l’indiquer?

M. Bell : Après avoir eu la COVID…

Le sénateur D. Patterson : La région du Kitikmeot, au Nunavut.

M. Bell : Il faudrait faire un zoom arrière. Après avoir eu la COVID, je me suis rendu compte que mes complets ne me font plus et, pire encore, que j’ai besoin d’une nouvelle ordonnance de mon optométriste.

Je vois le corridor routier et portuaire de Grays Bay, qui suit cette ligne jaune en traversant plusieurs gisements importants. Vous pouvez voir Grays Bay. À vingt kilomètres à l’est, le long de la côte, se trouve le projet Arcadia Bay, un gisement aurifère que nous sommes en train d’explorer. Si on fait un zoom arrière, on voit l’ouest du Nunavut. La frontière qu’on voit en bas et la mine Ekati se trouvent dans les Territoires du Nord-Ouest. Pour vous orienter, c’est la ligne de délimitation entre le Nunavut, au nord, et les Territoires du Nord-Ouest, au sud.

Le sénateur D. Patterson : À peu près au nord d’Edmonton.

M. Bell : Oui, Edmonton, jusqu’à Yellowknife et de là plus au nord, jusqu’à la mine d’Ekati.

La sénatrice Simons : C’est très au nord d’Edmonton.

M. Bell : Oui, c’est 14 heures de route pour se rendre à Yellowknife en respectant la limite de vitesse.

La sénatrice Simons : Et de Yellowknife à Grays Bay, il faudrait combien de temps s’il y avait une route?

M. Bell : C’est une excellente question à laquelle je n’ai pas pensé, mais ça prendrait certainement autant de temps. Les gens de l’aviation me corrigeraient probablement sur ce point, mais c’est à peu près ça.

La vice-présidente : Merci de nous aider.

La sénatrice Simons : J’ai eu une réunion cette semaine avec une délégation du Conseil des aéroports du Canada. J’ai rencontré des gens de Winnipeg, Edmonton, Calgary, Victoria, Vancouver et Fort McMurray. Ils ont parlé de leurs problèmes. Ils représentent des autorités aéroportuaires qui peuvent lever des fonds au moyen de droits et de concessions de restaurants dans leurs aéroports.

Au Nunavut, qui est responsable de la collecte de fonds pour l’amélioration aéroportuaire? Ce n’est pas une question rhétorique. Je ne sais littéralement pas qui paie pour l’aéroport, non seulement à Iqaluit, mais aussi à Baker Lake. Est-ce le gouvernement fédéral ou le gouvernement du Nunavut? Les deux gouvernements ensemble? Les municipalités ont-elles un apport quelconque?

M. Speer : On peut parler d’autorité aéroportuaire, mais chaque aéroport a un propriétaire. Dans les territoires, tant Nunavut que les Territoires du Nord-Ouest, l’exploitant de l’aéroport est le gouvernement territorial. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ou le gouvernement du Nunavut est l’agence responsable de tous les aéroports sur son territoire. Ils doivent avoir accès aux fonds et investir dans les coûts, tant pour les améliorations que pour l’entretien courant.

La sénatrice Simons : Le groupe précédent a dit qu’il dépensait 300 millions de dollars pour améliorer la piste d’atterrissage à Iqaluit. Que cela signifie-t-il pour votre compagnie aérienne? Cette piste sera-t-elle temporairement hors service, et que cela signifie-t-il pour vous?

M. Speer : C’est probablement l’un des plus grands défis que nous ayons à relever pour la modernisation de l’infrastructure aéroportuaire. Iqaluit est un bon exemple. Les travaux actuels concernent principalement l’éclairage en bordure de piste et des éléments extérieurs, comme la construction de routes latérales. Il y a quelques années, la piste a dû être réasphaltée. C’est une piste unique. Nous ne pouvons pas fermer l’aéroport pendant trois à six semaines. À Iqaluit, comme la piste faisait 200 pieds de large, ils ont littéralement travaillé sur la moitié est pendant deux ans, en faisant une piste large de 100 pieds, et nous avons atterri du côté est pendant une saison, puis, la saison suivante, nous avons fait le contraire et atterri du côté ouest pendant la saison. Cela fonctionne dans des aéroports comme celui d’Iqaluit. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est gérable. Cela fonctionne parce que la piste fait 200 pieds de large.

Dans les collectivités situées au nord d’Iqaluit, la largeur des pistes varie entre 98 et 100 pieds. Il est impossible de fonctionner en toute sécurité sur une piste de 50 pieds de large. Cette option n’existe pas, c’est pourquoi il est encore plus difficile de procéder aux réparations et aux travaux. Cela doit être planifié de façon stratégique afin de ne pas fermer une piste pendant des semaines ou des mois.

La sénatrice Simons : Au Nunavut, y a-t-il un aéroport, à part Iqaluit, qui peut accueillir un Boeing 737 — un gros avion à réaction —, ou n’y a-t-il que de petits avions à turbopropulseur?

M. Speer : Les deux seules pistes asphaltées qui pourraient accueillir de plus gros avions à réaction sont celles d’Iqaluit et de Rankin Inlet. Ce sont les seules que nous desservons avec nos avions. Si l’on prend Sanirajak ou Resolute Bay, ces pistes sont suffisamment longues, mais elles sont en gravier. Elles peuvent être utilisées par des avions comme le Boeing 737-200, que nous avons retiré du service parce qu’il est extrêmement vieux et qu’il est difficile pour nous d’en assurer la maintenance de manière fiable. En dehors de ça, dans notre cas, toutes les opérations se font sur des turbostatoréacteurs — 42 et 72 — et des avions à hélice.

La sénatrice Simons : C’est donc votre flotte, un mélange d’avions à réaction et d’avions à hélices.

M. Speer : Aux fins de la discussion, disons que la moitié de notre flotte est constituée d’avions à réaction et l’autre moitié d’avions à hélice.

La sénatrice Simons : Dites-moi quels sont les risques pour un pilote à l’atterrissage s’il y a du vent, un blizzard ou si c’est une piste dont vous ne connaissez peut-être pas la solidité pour l’atterrissage. Vous avez annulé 175 vols par mois.

M. Speer : En moyenne, oui.

La sénatrice Simons : Combien de fois annulez-vous parce qu’il est effectivement impossible de voler et combien de fois parce que c’est simplement trop risqué?

M. Speer : Ces 175 événements par mois sont des vols que nous avons annulés simplement à cause de la météo. Je ne veux pas dire que la météo faisait que voler par ce temps n’était pas sûr; c’était que nous ne pouvions pas atterrir à l’aéroport à cause de la météo. Fondamentalement, nous fonctionnons; nous faisons une approche aux instruments aussi bas que possible en toute sécurité. L’altitude dépend de plusieurs facteurs, notamment de la qualité de l’angle d’approche et, surtout, de l’éclairage à l’aéroport pour nous permettre de voir. Ensuite, nous pouvons lever les yeux et atterrir visuellement.

La sénatrice Simons : En hiver, il fait sombre.

M. Speer : En effet. Paradoxalement, c’est plus facile en hiver qu’en été. L’éclairage ressort. Une autre bonne chose, et la principale raison des conditions météorologiques, est l’aspect humidité dans l’air. Ce que nous aimons vraiment, c’est le plein hiver, lorsque toute l’eau est gelée et qu’il y a très peu d’humidité dans l’air. Curieusement, les pires saisons sont le printemps et l’automne, lorsque les océans et les rivières pompent beaucoup d’humidité dans l’air. En hiver, lorsque tout gèle, il y a moins d’humidité.

En raison du changement climatique, les saisons intermédiaires sont de plus en plus longues et le gel n’est pas aussi profond, de sorte que les périodes de beau temps n’existent plus. Paradoxalement, c’est en plein hiver que j’ai le plus de plaisir à voler. C’est très plaisant.

La sénatrice Simons : Est-ce que NAV CANADA contrôle cet espace à partir d’Edmonton?

M. Speer : Une partie limitée de l’espace aérien est contrôlée, et nous passons une grande partie de notre temps à voler dans un espace aérien qui n’est contrôlé par personne. Nous communiquons avec d’autres pilotes. Quand nous travaillons avec quelqu’un qui nous contrôle, la plupart du temps, c’est par l’intermédiaire d’Edmonton. Il y a un petit espace aérien à l’extérieur d’Iqaluit qui est contrôlé par Montréal.

La sénatrice Simons : Vous dépendez donc d’un contrôleur aérien qui se trouve à des milliers de kilomètres et qui n’a aucune idée de l’état des pistes un jour donné.

M. Speer : Oui. Je veux dire qu’il y a des rapports fournis par l’aéroport lorsque quelqu’un s’y trouve. Encore une fois, si vous prenez l’aéroport d’Ottawa, il y a du personnel 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il y a un nombre limité d’heures pendant lesquelles nous obtenons ces renseignements. Nous recevons un rapport. Il faut parfois attendre plusieurs jours et, dans de nombreux cas, une seule personne le fournit. Si elle est malade ou en vacances, nous ne recevons pas ces renseignements, et nous comptons sur le jugement des pilotes pour que ceux-ci effectuent une inspection avant l’atterrissage et se fient à ce qu’ils voient pour prendre leur décision.

La vice-présidente : Existe-t-il des études sur le nombre d’aéroports où vous atterrissez? Combien d’entre eux sont en assez bon état et combien ont besoin de réparations?

M. Speer : Je pense qu’il existe un grand nombre d’études. Ce qui me frustre, c’est que nous continuons à les étudier et à signaler des déficiences, mais nous n’agissons pas pour améliorer la situation.

Une fois de plus, je rappellerai le rapport du vérificateur général de 2017. Il a repéré un grand nombre d’infrastructures aéroportuaires dans le Nord qui avaient besoin d’être réparées. Je dirais que six ans après la publication de ce rapport, les besoins sont toujours aussi importants.

La vice-présidente : C’est toujours un problème.

M. Speer : Il y a eu quelques travaux. Les aéroports se sont également dégradés depuis lors. Il y avait un grand nombre d’aéroports. Si l’on s’est occupé de deux ou trois d’entre eux, il y en a encore beaucoup qui ont besoin de travaux.

Le sénateur Klyne : J’ai une petite question pour Canadian North et, si le temps le permet, pour West Kitikmeot Gold.

L’avion est le seul moyen de se rendre dans de nombreuses collectivités du Grand Nord canadien. Canadian North est le lien vital, donc elle se rend dans beaucoup de ces collectivités. J’en suis convaincu. J’ai volé avec cette compagnie aérienne.

Si j’ai bien compris, une formation particulière est nécessaire pour voler dans le Nord, notamment pour compenser le fait que la lecture du compas magnétique est de moins en moins exacte à mesure que l’on s’approche du pôle Nord. Un autre exemple est celui des aurores boréales qui causent de l’interférence dans l’équipement radio.

Pouvez-vous nous dire si les effets du changement climatique ont également un impact sur la sécurité des vols au sommet du monde?

M. Speer : J’aurais du mal à dire qu’ils ont un impact sur l’action de voler. Mais ils nous exposent, éventuellement, à des conditions météorologiques extrêmes, de sorte que nous devons fonctionner plus longtemps dans des conditions de glace, ce qui n’est pas dangereux en soi, mais il y a des outils et des techniques que nous devons utiliser pour faire face à ce risque et le gérer.

Les pistes d’atterrissage sont plus longtemps glacées et glissantes. Ce n’est pas tant le changement climatique lui-même qui entraîne le risque, mais il augmente l’exposition à d’autres phénomènes météorologiques qui augmentent le risque ou occasionnent des défis qui doivent être gérés.

Le sénateur Klyne : En ce qui concerne les effets du changement climatique et les événements météorologiques critiques qui se produisent plus souvent, comment les pilotes sont-ils formés pour savoir fonctionner dans des conditions d’atterrissage changeantes, sous les effets de la pollution et dans des conditions météorologiques inhabituelles? Au risque de me répéter, si les événements météorologiques critiques se poursuivent et se multiplient, quel est l’impact sur les besoins actuels de votre flotte, sur la formation exceptionnelle de vos pilotes et sur votre capacité à continuer à servir efficacement vos clients?

M. Speer : En ce qui concerne les changements particuliers, en réalité, il n’y a pas beaucoup de changements particuliers qui s’imposent. Nous sommes formés et spécialisés pour nous adapter aux pistes glissantes et aux conditions météorologiques défavorables.

Au nombre des mesures d’atténuation qui en découlent, en fonction des conditions météorologiques, il arrive que nous soyons obligés de transporter moins de poids dans l’avion ou que nous ne puissions pas décoller avec autant de poids dans l’avion, parce que nous devons être en mesure de faire face à certains événements météorologiques, et il peut arriver que nous nous arrêtions sur la piste. Si nous ne pouvons pas terminer le décollage à cause d’un événement ou si nous devons être capables, après l’atterrissage, de nous arrêter, ce qui sera évidemment plus difficile sur une piste verglacée que sur une piste sèche, c’est là que l’impact se fait vraiment sentir. Nous ne pouvons pas transporter autant de poids, ce qui signifie que nous ne pouvons pas transporter autant de personnes, de nourriture ou de fournitures, et nous devons donc ajouter des vols supplémentaires. Avec des ressources fixes, nous ne pouvons tout simplement pas assurer le service, ce qui entraîne une diminution de la fourniture de biens et de services.

Le sénateur Klyne : Je m’adresse à West Kitikmeot Gold et à M. Bell. À votre avis, quels sont les plus grands obstacles au développement des abondantes ressources minérales de l’Arctique, y compris les minéraux critiques, pour l’économie décarbonisée de l’avenir?

M. Bell : Sénateur, c’est une bonne question. La réponse, de mon point de vue, est sans aucun doute le coût élevé de la présence dans la région. C’est le résultat d’un manque d’infrastructures et des conditions météorologiques. D’après mon expérience avec Dominion Diamond, il y avait probablement 130 cheminées de kimberlite sur la propriété dans les Territoires du Nord-Ouest, et seule une poignée d’entre elles sont devenues des mines en activité. J’ose dire que deux ou trois fois plus de ces cheminées auraient été exploitées en Afrique australe, où les coûts sont bien moindres.

Le coût d’exploitation d’une mine se situe entre 300 et 400 millions de dollars par an, dont une grande partie est constituée de frais généraux fixes. Avant de déplacer le minerai, il faut nourrir les gens et chauffer le site. Ce sont donc les frais généraux et les coûts d’exploitation qui constituent le principal obstacle.

Pour les métaux de base et les minéraux critiques, à moins d’être sur les côtes, vous ne pouvez rien faire. Il y a des gisements de classe mondiale sur la carte qui pourraient être exploités n’importe où proximité des côtes. Tant qu’il n’y aura pas d’infrastructure, ils resteront dans la terre.

Le sénateur Klyne : Et sur quoi comptez-vous pour les infrastructures essentielles telles que l’énergie, les services publics, les technologies de l’information et des communications, les transports et l’eau potable? Avez-vous une stratégie et des plans pour faire face à des événements météorologiques critiques continus, qui vont se produire plus fréquemment?

M. Bell : Oui. C’est une liste assez longue que vous venez d’énumérer. Pour le transport des personnes à destination et en provenance du site, dans de nombreux cas, ce sont des lieux de travail éloignés, accessibles par avion uniquement, si l’on parle des mines exploitées par Agnico Eagle ou Baffinland au Nunavut.

En ce qui concerne l’impact des conditions météorologiques, je peux revenir à l’expérience des mines de diamants des Territoires du Nord-Ouest en 2006. Nous avons eu un hiver très chaud, donnant lieu à une courte saison de réapprovisionnement, ce qui nous a pris au dépourvu, et nous avons fini par dépenser collectivement, en tant qu’industrie, 100 millions de dollars pour acheminer des provisions pour l’année, y compris le carburant dans les réservoirs des avions. Ce n’est pas ainsi qu’il est souhaitable de fonctionner.

Heureusement, nous nous adaptons. La technologie permet de mieux construire les routes d’hiver, mais avec l’évolution des conditions météorologiques, c’est un défi permanent pour notre industrie.

Le sénateur Klyne : Et pas facilement prévisible, sans faire de jeu de mots. Avez-vous un plan à moyen ou long terme pour faire face à des événements critiques plus fréquents?

M. Bell : Notre meilleur plan est une infrastructure résiliente.

Le sénateur Klyne : Bonne réponse, oui.

M. Bell : Si l’on prend les ports en eau profonde qui, dans les années passées, auraient été ouverts six semaines — c’est la saison —, nous avons peut-être trois mois, au mieux, si nous sommes capables de briser la glace. Mais ces infrastructures devront être résilientes, bien construites et capables de faire face à l’impact des variations météorologiques et du changement climatique.

Le sénateur Klyne : Maintenant que M. Bell a parlé de l’eau, je vais poser une question à ce sujet, si vous voulez que j’attende.

La sénatrice Dasko : Merci d’être ici aujourd’hui. Nous étudions les effets du changement climatique sur les transports, mais j’ai des questions qui ne concernent pas le changement climatique. J’espère pouvoir les poser.

Monsieur Speer, la viabilité de votre entreprise m’intéresse beaucoup, car, comme vous l’avez mentionné, la population que vous desservez est très petite. La zone que vous desservez est très vaste. Je ne sais pas comment vous arrivez à rentabiliser votre entreprise. Pouvez-vous me dire quelle est la proportion de passagers par rapport aux fournitures? S’agit-il principalement d’approvisionner les collectivités, ou le transport de passagers représente-t-il une part dominante de l’activité? Pouvez-vous me dire quelque chose à ce sujet?

M. Speer : Les deux représentent une part très importante. Je m’en remettrai à Shelly De Caria sur ce point, car c’est davantage son domaine, et elle donnerait une bien meilleure réponse que je ne pourrai le faire.

Mme De Caria : Nous sommes un service essentiel pour le fret et les passagers. Nous avons principalement des avions « combi », c’est-à-dire moitié passagers et moitié fret à l’avant. Nous avons des avions de fret entièrement sur Boeing 737 et avions à hélice qui peuvent faire les deux, mais surtout des avions de fret, et d’autres qui ne transportent que des passagers. L’exemple qu’il a donné des annulations pour cause de mauvais temps est le suivant : nous en avons eu 238 pour le mois de septembre. Cela représente beaucoup de patients médicaux.

La sénatrice Dasko : Des patients médicaux?

Mme De Caria : Oui, sur l’île de Baffin. Le ruisselet finit par grandir; nos vols sont constamment pleins à cause de cela. La pénurie de pilotes a un impact sur les vols. La réglementation des heures de service a un impact sur nos vols. Par le passé, nous pouvions avoir deux ou trois vols par jour. Parfois, nous ne pouvons en faire qu’un seul à cause de la réglementation des heures de service. Le capitaine Speer peut en dire plus à ce sujet.

M. Speer : Il y a toutes sortes de risques à gérer dans l’aviation, l’un d’entre eux étant la fatigue des pilotes. En décembre 2020, une modification de la réglementation a ajusté cette règle. Un pilote ne peut travailler qu’un nombre limité d’heures, et c’est ce dont elle parle.

Mme De Caria : Une annulation au cours d’une journée pour des raisons météorologiques se répercute sur les vols, et il faut jusqu’à sept jours pour revenir à la normale. Par exemple, nous avons eu 19 annulations météorologiques sur l’île de Baffin rien qu’hier. C’est une activité difficile, oui.

La sénatrice Dasko : Quel pourcentage de vos revenus provient des personnes par rapport aux marchandises?

Mme De Caria : Les personnes représentent probablement environ 70 %, y compris nos vols nolisés dans l’Ouest; le reste est constitué de marchandises.

La sénatrice Dasko : Nous avons souvent entendu parler de l’augmentation du tourisme dans le Nord, pour quelque raison que ce soit, des changements socioéconomiques, et cetera. Est-ce que le tourisme augmente pour votre entreprise, ou est-ce qu’il est plutôt stable?

Mme De Caria : Il est plutôt stable, oui.

La sénatrice Dasko : Avez-vous de la concurrence dans le Nord? Y a-t-il d’autres compagnies aériennes qui sont exploitées dans les Territoires du Nord-Ouest?

Mme De Caria : C’est une excellente question. Il y a d’autres compagnies aériennes, surtout du côté du fret. Personne ne s’est encore intéressé au transport de passagers. C’est une activité très importante pour nous. Nous avons fusionné les deux compagnies parce que ce n’était pas viable pour deux compagnies.

La sénatrice Dasko : Vous avez fusionné?

Mme De Caria : Oui, First Air et Canadian North. Nous avions deux avions, par exemple, qui allaient à Pang et qui étaient tous les deux à moitié vides. Les deux entreprises périclitaient, alors nous avons fusionné en 2020.

La sénatrice Dasko : Comptez-vous sur des subventions gouvernementales pour mener vos activités? Je ne sais pas quel serait le terme, mais y a-t-il une subvention quelconque?

Mme De Caria : Durant la pandémie, nous avons été subventionnés parce qu’un Boeing 737 en provenance d’Iqaluit arrivait avec 100 sièges disponibles, mais seuls les patients médicaux étaient autorisés à venir, de sorte que 19 sièges étaient occupés. Nous n’étions pas en mesure de répondre à cette demande, c’est pourquoi les trois gouvernements sont intervenus : le gouvernement fédéral, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Nunavut.

À l’heure actuelle, nous ne recevons aucune subvention, mais la compagnie aérienne prend soin des collectivités qu’elle dessert. Nous avons créé des tarifs préférentiels pour la population inuite, car elle n’a pas les moyens de voyager. Ils ne reçoivent pas de subvention pour leurs voyages. Nous offrons des tarifs de fret avantageux pour les bénéficiaires inuits. Nous avons mis en place des investissements communautaires au sein de notre entreprise aérienne afin de rendre la pareille. À l’heure actuelle, le Nunavik, dans le nord du Québec, bénéficie d’une subvention pour les voyages de 500 $, mais c’est parce qu’ils essaient d’augmenter le tourisme.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Le sénateur D. Patterson : Je remercie nos témoins de leur présence. Je pense que je suis l’un des meilleurs clients de Canadian North, et ce, depuis de nombreuses années.

Monsieur Speer, vous avez tous deux parlé des annulations liées aux conditions météorologiques. Il existe des technologies permettant d’améliorer la navigation vers nos pistes d’atterrissage isolées. Quelle est la technologie que vous souhaiteriez voir employée? Avez-vous une recommandation à faire à ce comité à ce sujet?

M. Speer : C’est une excellente question, qui me tient particulièrement à cœur. Je vole toujours activement et je vole activement au Nunavut.

Le sénateur D. Patterson : J’ai été dans un des avions que vous avez pilotés, j’en suis sûr.

M. Speer : Si vous dites que vous êtes l’un des meilleurs clients, je dis que je suis probablement l’un des meilleurs pilotes.

Sur le plan de la technologie, nous pouvons envisager plusieurs possibilités, dont certaines du côté des avions, comme la technologie de vision améliorée. Il s’agit en fait d’un grand défi. Nous envisageons de nouveaux avions équipés de cette technologie, mais elle ne fonctionne pas lorsqu’elle est branchée sur des outils de navigation qui se fondent sur le nord vrai. En ce qui concerne la question précédente, c’est un défi pour nous dans le Nord. Nous ne pouvons pas utiliser la boussole. Le système est génial et me permet de voir à travers les nuages, mais il ne fonctionne pas dans un environnement de nord vrai.

En ce qui concerne les approches, nous avons la possibilité d’améliorer les approches et de tirer parti des approches GPS avancées. Elles sont en cours de conception. Nous avons quelques problèmes au niveau de la couverture satellite que le gouvernement américain gère.

La chose la plus importante que nous puissions faire est d’apporter deux changements majeurs aux aéroports. Tout d’abord, améliorer l’éclairage. Dans de nombreux aéroports, il n’y a littéralement que des feux le long de la piste et très peu de choses pour nous guider vers la piste. Comme je l’ai déjà dit, lorsque nous descendons à basse altitude, nous voyons ce qui se trouve devant nous. Nous avons besoin de ces feux pour voir l’aéroport. À l’heure actuelle, dans de nombreux cas, je dois me trouver à deux ou trois miles de l’aéroport. Si je ne vois pas à deux ou trois miles, je ne peux pas atterrir. À Ottawa, je peux le faire à partir d’un demi-mille environ grâce à l’éclairage. À Toronto, je peux le faire à partir d’un quart de mille grâce à cet éclairage. Cela tient en partie à l’infrastructure de la piste et à la zone qui l’entoure.

En ce qui concerne les technologies disponibles immédiatement, j’encouragerais le développement d’approches aux instruments de meilleure qualité grâce au GPS. Mais l’investissement le plus important et le plus précieux serait dans la surface des pistes et dans les feux d’approche des aéroports.

Le sénateur D. Patterson : Le GPS de meilleure qualité est-il au sol à l’aéroport? Est-ce un équipement qui pourrait être installé par le Canada?

M. Speer : Il n’est pas vraiment au sol. Il est relié à la constellation de satellites GPS qui se trouve autour du globe, mais il faut appliquer un facteur de correction. Un petit nombre de dispositifs est nécessaire pour cela. La plupart des territoires sont situés en périphérie. Ils ont récemment mis en œuvre un certain nombre de ces approches, mais le gouvernement américain a déplacé deux de ses satellites pour améliorer la couverture au-dessus de l’Alaska, ce qui nous a laissés juste en dehors de la zone de couverture. C’est vraiment un investissement dans cette infrastructure que nous devons faire en nous appuyant sur nos amis du sud pour tirer parti de ces grandes technologies.

Il est possible d’installer un certain nombre d’instruments au sol, mais cela coûte cher, et il faudrait le faire dans chaque aéroport, individuellement.

Le sénateur D. Patterson : J’étais à Cambridge Bay récemment. Je sais que vous y êtes allé également. Canadian North a dû mettre au rancart sa vieille flotte d’avions à réaction de la série 737-200 qui pouvaient atterrir sur du gravier à l’aide d’un équipement pour utilisation sur piste non revêtue. Cambridge Bay a donc perdu son service d’avions à réaction. Cambridge Bay est une plaque tournante régionale, tout comme Rankin Inlet dans la région centrale et Iqaluit dans la région orientale de Qikiqtaaluk, ou la région de Baffin. La perte d’économies d’échelle liée à l’impossibilité d’offrir le transport par avion à réaction à Cambridge Bay suscite de vives inquiétudes.

Que faudrait-il pour rétablir le service d’avions à réaction à Cambridge Bay et, peut-être, à Resolute Bay ou Hall Beach, où les avions de la série 737-200 pouvaient atterrir?

M. Speer : C’est une excellente question. Beaucoup de travail est consacré à cette question. J’ai participé avec plusieurs groupes à des discussions en cours à ce sujet. La principale préoccupation est l’ingestion de gravier dans les moteurs à réaction. C’est là le véritable risque. Nous devons trouver un moyen d’empêcher les granules de gravier d’entrer en contact avec les moteurs. Certains produits chimiques sont utilisés pour fixer et contenir le gravier. C’est une des solutions envisagées. Toutefois, cela peut s’avérer difficile pour les aéronefs de la taille d’un avion à réaction et les gros aéronefs.

La recherche d’une autre surface pour la piste d’atterrissage est une autre possibilité qui fait l’objet d’un examen approfondi. L’asphaltage serait une option, mais il est difficile dans certaines de ces collectivités de l’entretenir. Il existe des options telles que des panneaux d’aluminium qui seraient posés au sol. D’autres entreprises envisagent des composés de type plastique. L’armée les utilise dans certaines zones depuis un certain temps. En fin de compte, il s’agit de trouver une autre surface pour cette piste afin de contenir totalement le gravier ou de le recouvrir de quelque chose qui serait suffisamment porteur pour supporter le poids d’un aéronef de la taille d’un avion à réaction.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le sénateur Cardozo : C’est très instructif. Je vous remercie de votre présence.

Si je me souviens bien, pendant la COVID, votre entreprise était confrontée à des problèmes financiers considérables, tout comme le reste de l’industrie du transport aérien. Vous vous en êtes sortis et vous avez bénéficié d’une aide fédérale au cours de cette période.

M. Speer : En fait, je crois que c’est ce qui nous a permis de nous en sortir. La grande difficulté que nous avons eue, c’est que si de nombreuses compagnies aériennes ont pu réduire leur service et ralentir les déplacements, dans notre cas, il fallait acheminer des denrées alimentaires, des produits d’épicerie et des personnes ayant besoin d’un traitement médical, ou livrer des médicaments. Tous ces événements sont tributaires de l’aspect temps. Nous avons dû maintenir un horaire relativement régulier malgré le fait que les avions étaient pratiquement vides. Cela a eu un impact sur les revenus. C’est ce dont parlait Mme De Caria.

Nous avons reçu une aide du gouvernement du Nunavut et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, en grande partie pour subventionner le fait que nous faisions voler des avions vides alors que n’importe quelle entreprise aurait autrement annulé le vol et n’aurait pas fonctionné en raison des coûts.

Le sénateur Cardozo : En regardant votre carte, et il y a une meilleure carte que celle-là sur votre site Web, on constate que vous avez 24 aéroports dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, et un au Nunavik. Combien d’entre eux sont en très mauvaise posture et combien arriveront à fonctionner pendant un certain temps?

M. Speer : C’est difficile à quantifier. Je ne veux pas paraître alarmiste, mais ce qui me préoccupe — si je reviens à l’une des questions précédentes sur le temps que nous prenons et la façon dont nous effectuons ces réparations —, c’est qu’il faudra beaucoup de temps pour réparer un grand nombre d’aéroports. Nous devrons planifier.

Nous disposons d’une saison relativement courte pour expédier des marchandises ou effectuer ces réparations. J’hésite à dire combien d’aéroports sont en état critique aujourd’hui, mais je crains que, si nous ne commençons pas à faire quelque chose tout de suite, ce soit trop tard pour beaucoup d’entre eux.

Ce qui me préoccupe, c’est qu’une fois qu’une piste est emportée par les eaux ou qu’elle n’est plus utilisable, la collectivité est coupée du monde. La reconstruction d’une piste prendra des semaines, des mois, des années. La collectivité ne pourra pas survivre pendant cette période.

J’aimerais vraiment nous mettre en garde : si nous cherchons à déterminer quelles pistes sont essentielles et lesquelles ne le sont pas, nous devons bien réfléchir et reconnaître qu’en raison du temps requis, si nous n’agissons pas maintenant, ils seront tous en état critique.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais vous demander à tous les deux si vous avez réussi à embaucher des Autochtones dans vos entreprises. Je constate avec fierté, madame De Caria, que vous êtes la première femme inuite à diriger Canadian North et probablement une des principales femmes d’affaires d’origine inuite au pays. Je vous félicite. J’aimerais que vous nous disiez comment vous vous y prenez pour embaucher davantage d’Inuits et de membres des Premières Nations dans vos entreprises.

Mme De Caria : Excellente question. Je peux y répondre pour Canadian North.

Pour ce qui est d’aller à l’école loin de chez soi, l’enseignement postsecondaire se fait dans le sud. Quand je dis « le sud », c’est Montréal, Ottawa, Winnipeg, Calgary, Edmonton. Nous avons récemment embauché un coordonnateur inuit pour pouvoir aller recruter dans ces écoles.

À l’heure actuelle, plus de 200 de nos employés sont inuits. L’un de mes principaux objectifs est évidemment d’augmenter ce nombre. Nous allons dans les écoles. Nous amenons des professionnels avec nous pour leur présenter les possibilités. Il n’y a pas que le pilotage ou la maintenance. Le monde est vraiment à la portée de leur main.

Nous avons toute une section qui se rend dans toutes les écoles, principalement au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavik, pour recruter et former des gens à l’industrie aéronautique.

Nous avons récemment créé un musée de l’Aviation qui met en valeur les employés inuits de Canadian North et d’Air Inuit; il a été très populaire et a suscité beaucoup d’intérêt dans les écoles secondaires.

Le sénateur Cardozo : Les chiffres augmentent-ils?

Mme De Caria : Oui. Comme je l’ai dit, au cours des trois dernières années, nous avons eu pour objectif de mettre l’accent sur les Inuits. Bon nombre des emplois que nous voulons promouvoir ne nécessitent pas d’études postsecondaires à un niveau intimidant pour les collectivités inuites. Nous essayons de responsabiliser et d’encadrer les étudiants inuits à partir d’un niveau inférieur pour les amener à un niveau supérieur.

Le sénateur Cardozo : Puis-je avoir un commentaire rapide de la part de M. Bell?

M. Bell : Je vais me fier à mon expérience passée dans l’industrie minière et diamantaire des Territoires du Nord-Ouest pour vous dire que je pense que nous avons fait un excellent travail pour ce qui est d’amener les Autochtones à occuper des postes de premier échelon. Nos chiffres en font état. Nous sommes plutôt bons.

Là où nous avons été mis au défi et où nous avons dû trouver une meilleure façon de faire un meilleur travail, c’est pour faire monter les gens dans l’organisation. Le mentorat en fait partie, ainsi qu’un meilleur accès à l’enseignement des STIM, en commençant par les jeunes qui veulent participer et se familiariser avec les emplois de l’avenir.

Il n’y a pas de solution miracle. C’est une combinaison de solutions. Je dirais que de nombreuses entreprises nordiques ont fait du bon travail en matière d’emploi de la population locale, mais qu’elles n’ont probablement pas réussi à placer des personnes dans des rôles à notre niveau, avec des gens qui gravissent les échelons au sein des organisations et finissent par les diriger.

C’est l’objectif de l’avenir. Dans notre nouvelle société, West Kitikmeot Gold, les principaux actionnaires sont les Inuits de Kitikmeot et deux membres inuits siègent au conseil d’administration. Nous espérons que cette configuration attirera des jeunes qui voudront venir travailler et se sentir fiers d’une organisation qui leur appartient. C’est notre plan : employer davantage de personnes locales parce qu’elles sont propriétaires de l’entreprise.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : J’aimerais revenir à M. Bell.

Pour construire ce projet routier, à qui vous adressez-vous pour obtenir des fonds, et que ferez-vous au sujet de la fonte du pergélisol pour stabiliser une route comme celle-ci?

M. Bell : Nous en sommes au stade de la conception et de l’obtention des permis pour cette route. En fin de compte, nous recevons de l’argent du gouvernement fédéral et nous recueillerons des fonds privés pour que le projet soit prêt à être mis en œuvre.

Dans quatre ans, logiquement, le gouvernement du Canada aura probablement fourni environ 75 % du financement de ce type d’infrastructure critique; c’est à peu près dans cette proportion que les choses ont fonctionné dans les territoires du Nord. Souvent, la province ou le territoire intervient pour les derniers 25 %. Nous pensons, dans ce cas, que la cible est trop élevée. Il nous faudra probablement trouver des investissements privés. Nous sommes prêts à le faire.

Sur le plan conception, nous avons parlé d’une infrastructure résiliente. Nous devrons travailler avec les technologies les plus récentes pour assurer la capacité de nos routes. Nous n’asphalterons pas ces routes. Il s’agira de routes toutes saisons, non asphaltées.

En ce qui concerne le pergélisol, si vous avez circulé récemment à Yellowknife, vous avez pu constater les effets du pergélisol sur les routes asphaltées. Nous voulons pouvoir niveler les routes et utiliser du gravier, une surface toutes saisons, pour atténuer ce problème.

Le sénateur Klyne : Monsieur Bell, maintenant que vous avez attiré mon attention sur l’océan Arctique, la mer de Beaufort et tous les bras de mer, les eaux navigables jusqu’à la baie, y a-t-il des préoccupations quant à la possibilité que des entreprises étrangères viennent jalonner des terrains pour exploiter les abondantes ressources minérales de l’Arctique? Le Canada en fait-il assez pour consolider sa souveraineté?

M. Bell : À mon avis, personne ne s’est empressé de jalonner une grande partie de ce territoire en raison des coûts d’exploitation.

Ces gisements qui figuraient sur la carte, si je regarde Izok Lake ou Hackett, sont connus depuis 50 ans. Ce sont des gisements de classe mondiale, mais il est tout simplement impossible de les exploiter et de les développer.

Si vous imaginez que nous construisons cette infrastructure et que, soudain, des pays étrangers s’empresseront de venir jalonner des terrains et extraire nos ressources minérales, je doute que ce soit un risque réel.

Je crois qu’il y a une augmentation de la circulation dans les eaux, qu’il s’agisse de mouvements touristiques ou de mouvements éventuellement militaires dont nous sommes conscients ou non. Je pense que nous devons être présents et surveiller. Ce défi ne fait que croître avec le changement climatique. Les Alaskiens et les Américains font un travail formidable. Nous devons nous ressaisir et être plus présents dans cette partie du monde, sur nos côtes.

Le sénateur Klyne : Je suis tout à fait d’accord avec vous. La Chine pourrait dire qu’elle ne fait que tracer des pistes touristiques pour naviguer un jour. Elle fait d’autres choses là‑bas.

La Russie, bien qu’elle soit distraite par l’Ukraine, continue d’injecter de l’argent dans ses développements là-bas.

M. Bell : Je pense que nous ressentons tous l’urgence que nous ne ressentions pas il y a cinq ou sept ans, lorsque ce projet a été mentionné pour la première fois.

Oui, les nations du Sud ou de l’Arctique ou celles qui ont des ambitions arctiques — nous devons en être conscients. Il est important que nous travaillions avec les collectivités locales pour investir dans les infrastructures. Si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera.

Le sénateur D. Patterson : Monsieur Bell, vous avez dirigé une société diamantaire qui dépendait des routes d’hiver pour son réapprovisionnement annuel. Vous avez parlé du défi auquel l’industrie a été confrontée en 2006.

Pouvez-vous nous dire comment les routes d’hiver ont été financées, ce qu’elles coûtent et comment la saison se raccourcit? Pouvez-vous faire le lien avec votre projet de la route et du port de la baie Grays et expliquer comment cette route praticable en toutes saisons réagira aux impacts climatiques sur les routes de glace dans cette région?

M. Bell : Bien sûr. Pour un observateur de l’extérieur, les routes d’hiver que nous avons construites pour accéder aux mines de diamants coûtent probablement 20 millions de dollars par an, pour nous permettre de nous réapprovisionner, et, bien sûr, la route fond chaque année. Je pense que les gens du sud penseraient qu’il est fou d’investir 20 millions de dollars dans une infrastructure qui fond chaque année, mais c’était notre seule véritable option et notre seul moyen de survie.

L’infrastructure routière permanente, l’infrastructure routière toutes saisons, est manifestement la solution. Nous devons faire ces investissements. C’est exactement ce dont il est question avec la route et le port de la baie Grays. Il y aura des coûts d’entretien et de maintenance chaque année pour entretenir cette infrastructure, mais au moins nous n’aurons plus des routes qui fondent.

L’autre chose que je voudrais dire à propos des minéraux critiques, si nous allons au-delà de l’or et certainement au-delà des diamants, nous avons transporté le produit par avion tous les jours ou toutes les semaines, et c’étaient de petits paquets de diamants qui devaient partir. C’était là toute la proposition de valeur — ils partaient pour être vendus.

Avec les minéraux critiques et les métaux de base, c’est évidemment impossible. Nous devons avoir accès aux côtes si nous voulons développer ces ressources. Les diamants et l’or sont d’une tout autre nature. Si nous voulons vraiment développer les minéraux critiques dans notre pays, nous ne pourrons le faire que si nous investissons dans les infrastructures essentielles et dans l’accès aux côtes, c’est-à-dire les ports en eau profonde. Le port de la baie Grays sera, à mon avis, le port le plus performant entre l’Alaska et le Groenland, et nous en avons désespérément besoin.

Le sénateur D. Patterson : Y a-t-il d’autres ports dans la portion du Canada du Nord-Ouest, et pouvez-vous nous parler des services ou des avantages de ce port dans la région du centre de l’Arctique? Qui seraient les utilisateurs de ce port?

M. Bell : Il n’y en a pas beaucoup. Si vous voulez que je passe en revue la liste des autres ports du passage du Nord‑Ouest, elle est plutôt mince. Nous avons le Nanisivik, et vous connaissez les défis de Nanisivik avec le ravitaillement en carburant, cinq semaines d’accessibilité par an et une infrastructure accablée de problèmes.

Le sénateur D. Patterson : Certains diraient que ce n’est pas sur le passage du Nord-Ouest.

M. Bell : Eh bien, voilà.

Le sénateur D. Patterson : C’est Nanisivik, à l’extrémité nord de l’île de Baffin. Ce n’est pas la route traditionnelle des navires qui traversent le passage du Nord-Ouest. Nous pourrions sortir la carte...

La vice-présidente : C’est bien. Nous avons besoin de cartes à suivre. Je pense que c’est très important.

M. Bell : D’autres ports nordiques ne se trouvent pas non plus sur le passage du Nord-Ouest; nous avons parlé d’Iqaluit tout à l’heure, ou le groupe précédent l’a fait, et du port de la Baffinland sur l’île de Baffin. C’est vraiment la liste des infrastructures au Nunavut pour ce qui est des ports, et le passage du Nord-Ouest n’en a presque pas.

En ce qui concerne les utilisateurs futurs, les propriétaires de ces gisements de métaux de base et de minéraux critiques à l’intérieur des terres dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut auront accès à ce port. Il disposera de postes d’amarrage pour les bâtiments de taille Panamax. La fonction de sécurité que ce port peut remplir pour l’armée canadienne, la Garde côtière et d’autres utilisateurs est un autre élément crucial. Ce sera une infrastructure qu’utiliseront de multiples utilisateurs, et c’est ainsi que l’on peut faire valoir l’argument économique et le bien-fondé du financement d’un projet de cette envergure. Au troisième rang d’utilisateurs importants, il y a les petites collectivités et les chasseurs qui pourront accéder aux ports de petite taille et qui en feront également usage.

La vice-présidente : Merci beaucoup, et si vous voulez voir, Nanisivik est l’endroit où se trouve l’étoile. C’est de cela que nous parlons. Nous avons beaucoup appris ce soir et, en raison de l’heure, cela met fin à notre deuxième groupe.

[Français]

Veuillez vous joindre à moi pour remercier nos témoins de s’être joints à nous, d’avoir répondu à nos questions et d’avoir partagé leurs perspectives aujourd’hui.

[Traduction]

Vos explications étaient bonnes. Nous avons beaucoup appris et nous vous remercions d’être venus.

[Français]

Merci, honorables sénateurs et sénatrices. Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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