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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 28 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, dans le cadre de son étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je m’appelle Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter brièvement.

La sénatrice Simons : La sénatrice Paula Simons, de l’Alberta. Je viens du territoire du Traité no 6.

Le sénateur Richards : Le sénateur Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles du secteur des transports et sur les questions qui touchent le Nord canadien.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, M. Steve Kokelj, scientifique principal du pergélisol, Inventaire géologique des Territoires du Nord-Ouest, ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement des Territoires du Nord-Ouest, et Mme Eva Stephani, chercheuse en pergélisol, Alaska Science Centre, United States Geological Survey. Elle comparaît à titre personnel; les opinions exprimées sont uniquement les siennes et ne devront pas être associées au United States Geological Survey, ni à l’Université de l’Alaska à Fairbanks.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre présence parmi nous. Nous commencerons par les remarques préliminaires, 5 minutes par témoin : M. Kokelj, suivi de Mme Stephani.

Steve Kokelj, scientifique principal du pergélisol, Inventaire géologique des T.N.-O., ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement, Territoires du Nord-Ouest : Merci beaucoup. Je vous parle du territoire du chef Drygeese, sur les terres ancestrales des Dénés Yellowknives et où résident les Métis du Nord du lac des Esclaves.

Dans mes remarques préliminaires, je vais présenter brièvement ce qu’est le pergélisol, ainsi que ses différentes conditions selon les régions du Nord canadien. Je vais aussi expliquer en quoi il est important pour la société et pourquoi il faut améliorer nos connaissances sur le pergélisol tout au long des projets d’infrastructures. Je vais enfin aborder quelques problèmes liés au pergélisol et présenter quelques possibilités qui s’offrent au Canada.

Qu’est-ce que le pergélisol. Il s’agit de matériaux géologiques qui restent gelés pendant au moins deux ans. La mince couche superficielle du sol qui gèle et dégèle chaque année s’appelle le mollisol. Le pergélisol est le produit géologique du climat. C’est ce qui cimente les paysages nordiques. Le pergélisol s’étend sur près de la moitié de la masse continentale du Canada et influe sur l’écoulement des cours d’eau. Il donne lieu à des traits topographiques distincts et constitue l’assise même des écosystèmes et des activités humaines, notamment des infrastructures et de l’utilisation traditionnelle des terres.

Lorsque les conditions climatiques sont stables ou en période de refroidissement, le terme « pergélisol » est tout à fait approprié, puisqu’il s’agit d’une assise invisible stable. Toutefois, lorsque le climat se réchauffe et que les conditions du pergélisol changent, les territoires nordiques peuvent figurer parmi les milieux géologiques les plus dynamiques du monde.

Le pergélisol a bien des caractéristiques, mais on ne peut comprendre les conséquences sociales et environnementales de son dégel, les prévoir et s’y adapter de façon éclairée que lorsque toutes les conditions sont réunies. Le pergélisol peut se caractériser par son épaisseur, sa température et l’étendue du territoire touché. Dans la toundra de l’Arctique, le pergélisol, qui est alors qualifié de « continu », sous-tend l’ensemble du territoire. Habituellement, il fait plusieurs centaines de mètres de profondeur sur tout le territoire. Sa température moyenne est au plus de -6 degrés Celsius. Au sud de la mer de Beaufort, dans la vallée de Mackenzie, le pergélisol se réchauffe et s’amincit progressivement du nord au sud jusqu’à occuper seulement les zones où le sol, la végétation et la neige favorisent les conditions de froid au sol.

La végétation, l’humidité et la nature du sol peuvent faire varier considérablement les conditions du pergélisol. Par extension, les perturbations naturelles, comme les incendies ou la construction d’infrastructures, qui peuvent modifier tous ces paramètres, peuvent contribuer beaucoup à réduire la stabilité de ces conditions.

Le pergélisol peut aussi contenir de la glace dont le volume dépasse celui des espaces interstitiels du sol. On parle alors de « glace excédentaire ». Si cette glace fond, le sol s’affaissera proportionnellement au volume de glace que contient le pergélisol. La glace de sol peut prendre de l’expansion lorsque le pergélisol se constitue pour la première fois. Le climat froid peut aussi faire en sorte, avec le temps, que la quantité de glace augmente considérablement dans le pergélisol. Enfin, dans bien des régions nordiques du Canada, le pergélisol contient de grandes quantités de glace qui sont des vestiges de la glaciation. Tous ces facteurs rendent donc les vastes paysages du Nord très sensibles aux perturbations ou au dégel causés par les changements climatiques.

Pour bien comprendre ce qu’est le pergélisol, il faut savoir que le tout est plus grand que la somme des parties, que le passé est important et, finalement, que c’est l’intérieur qui compte. La diversité climatique et géologique du Nord canadien donne lieu à une grande variété de conditions du pergélisol. La sensibilité du sol et les conséquences du dégel peuvent donc varier beaucoup d’un lieu à l’autre. Du point de vue de l’activité humaine, les implications sont importantes puisque le dégel du pergélisol peut avoir des conséquences très variées selon le lieu. Pour planifier, concevoir, revoir et construire de grands projets d’infrastructures, pour savoir comment s’adapter aux changements et pour prévoir l’évolution du pergélisol, il faut donc avoir une connaissance approfondie des conditions du pergélisol.

Les projets d’infrastructure nous donnent une masse précieuse de données sur le pergélisol. Ces données, qui s’ajoutent à celles que produisent les programmes de suivi du gouvernement, doivent être gérées, organisées et diffusées. Il est donc de plus en plus urgent d’accroître nos connaissances sur le pergélisol et le comportement des infrastructures par l’entremise de la phase de fonctionnement et d’entretien des grands projets, et de développer une expertise technique et opérationnelle en matière de pergélisol, parce que, en raison du réchauffement des régions nordiques, il est maintenant nécessaire de prendre des mesures d’atténuation, d’adaptation et d’innovation qui permettront aux infrastructures et aux populations du Nord d’être résilientes.

Les défis à relever en raison des changements climatiques et du dégel du pergélisol donnent d’excellentes occasions de collaborer avec les habitants du Nord afin d’acquérir avec eux des connaissances. La durabilité et le suivi des infrastructures et des populations sont des vecteurs importants du développement des capacités et de la production d’une base de connaissances appliquées sur le pergélisol. La mise en commun de l’expertise et des différents points de vue peut favoriser l’émergence de solutions créatives, mais elle nécessite des espaces où les scientifiques, les ingénieurs, les spécialistes, les entrepreneurs et les détenteurs de connaissances traditionnelles de toutes les institutions pourront partager leur savoir.

En tant que scientifique du Nord, j’estime enfin qu’il y a beaucoup de place pour la création de programmes et de lieux qui favorisent cette collaboration et le développement commun de connaissances appliquées sur le pergélisol afin de garantir la résilience du Nord. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Kokelj. Je donne maintenant la parole à Mme Stephani.

Eva Stephani, chercheuse en pergélisol, Alaska Science Centre, U.S. Geological Survey, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant le comité. Je crois comprendre que le comité s’est intéressé à notre publication sur les problèmes d’ingénierie liés à la création d’infrastructures de transport dans le Nord canadien et que c’est ce qui explique qu’on m’a invitée à comparaître ici.

Permettez-moi d’abord de présenter les idées principales dont je vais parler. À la base, il est difficile de construire des infrastructures sur le pergélisol. Le réchauffement climatique et les phénomènes climatiques extrêmes, qui sont difficiles à prévoir, rendent la chose encore plus difficile. Le pergélisol est sensible aux changements, surtout lorsqu’il contient beaucoup de glace et qu’il se réchauffe, puisque les infrastructures d’une région modifient habituellement la dynamique du terrain et la température du sol. La dégradation du pergélisol près des infrastructures est donc un phénomène répandu dans les régions circumpolaires.

Dans les régions de pergélisol, la principale stratégie employée pour établir des infrastructures de transport a été la construction jumelée à l’entretien. Dans le cadre de cette stratégie, on permet au pergélisol de se dégrader et [Difficultés techniques], puis on maintient l’état de fonctionnement par d’importants travaux d’entretien qui permettent de réparer les dommages au fur et à mesure qu’ils se manifestent. Habituellement, cette stratégie entraîne un niveau de service restreint, un cycle de vie plus court, un niveau de confort et de sécurité moindre et des coûts plus élevés pour les utilisateurs des routes. Les changements climatiques accentuent toutefois la dégradation du pergélisol, en entraînant notamment des mouvements de terrain. La stratégie traditionnelle de construction jumelée à l’entretien est donc de moins en moins possible. L’information sur les mesures à prendre pour s’adapter à la dégradation de plus en plus importante du pergélisol près des infrastructures est limitée. On en sait peu, entre autres, sur la gestion des infrastructures touchées par des mouvements de terrain et sur l’écoulement efficace des eaux le long des infrastructures linéaires, ce qui peut être un facteur important du dégel rapide du pergélisol. Dans les régions circumpolaires, nous constatons donc qu’il est nécessaire de passer de l’approche traditionnelle, qui est réactive et axée sur les urgences, à une approche préventive, qui favorisera la durabilité du réseau d’infrastructures et de leurs environs.

Pour élaborer de solides stratégies d’adaptation, il faut toutefois mieux connaître la dynamique du pergélisol dans différents contextes. Pour cela, il faut comprendre la dynamique du pergélisol dans un milieu naturel, mais aussi la façon dont il se dégrade près des infrastructures en raison de l’interaction avec elles et de la rétroaction. Pour mieux comprendre la dynamique du pergélisol et en établir les principales caractéristiques, comme la distribution, la température et la quantité de glace de sol, il faut recueillir des données sur le terrain.

Le pergélisol s’étend sur de vastes régions du Nord canadien, et les données sur le terrain, surtout en ce qui concerne la glace de sol et les températures, sont assez rares. Pour pouvoir élaborer des cadres conceptuels de l’évolution du territoire au cours des prochaines décennies et gérer efficacement les infrastructures de transport dans les différentes régions du Canada, il est impératif de mieux comprendre la dynamique fondamentale du pergélisol en milieu naturel et dans un réseau d’infrastructures en recueillant des données sur le terrain. Il faut aussi mettre à l’essai des techniques d’atténuation dans différents milieux, car ces techniques ne sont pas universelles; elles doivent être adaptées aux différents milieux

La gestion des infrastructures dans les zones de pergélisol est difficile sur bien d’autres plans. Mentionnons entre autres que les normes et les lignes directrices sur la conception et la construction d’infrastructures sur le pergélisol sont peu nombreuses. Il existe plusieurs bons documents sur la conception, l’approvisionnement et la construction d’infrastructures dans le Sud du Canada. La plupart de ces documents comportent des sections sur la construction d’infrastructures dans une zone de pergélisol, mais elles donnent rarement assez de renseignements précis sur la conception thermique et mécanique de structures sur pergélisol.

La formation et la qualification professionnelle des personnes qui travaillent en zone de pergélisol posent aussi problème. La plupart des programmes de génie civil des universités canadiennes ne comprennent pas de cours spécialisé en génie du pergélisol. Je pense aussi que les organismes d’agrément n’obligent pas les professionnels à avoir suivi une formation minimale qui leur ferait au moins comprendre que les pratiques du Sud doivent être adaptées aux milieux sensibles du pergélisol. À titre de comparaison, en Alaska, pour devenir ingénieur agréé, il faut avoir suivi le cours « génie de l’Arctique », qui propose un contenu normalisé pouvant être présenté sous différentes formes, comme un cours donné sur un trimestre ou intensif, en personne ou en ligne. Peu d’universités canadiennes offrent des cours spécialisés sur le volet sciences et génie du pergélisol. Ces cours découlent d’initiatives personnelles. Ils sont souvent offerts dans des départements précis et sont peu connus hors de ces départements. L’expérience limitée du personnel qualifié et la rareté des lignes directrices et des normes sur le génie du pergélisol peuvent encore donner lieu à une mauvaise conception et à des défaillances prématurées, ce qui est très préoccupant.

En conclusion, depuis quelques décennies, nos connaissances sur le pergélisol ont beaucoup progressé dans les domaines des sciences et du génie, mais il existe encore plusieurs trous à combler. En raison des hausses de température qui ont déjà eu lieu et qui sont prévues, il est absolument nécessaire d’approfondir nos connaissances sur le pergélisol et d’adapter davantage nos stratégies de construction et d’entretien des infrastructures dans les zones de pergélisol. Il est aussi essentiel d’accroître nos connaissances dans ce domaine et d’élaborer de nouvelles technologies afin d’évaluer les interactions entre le pergélisol et les infrastructures et de valider leurs répercussions sur les infrastructures et le milieu environnant. Nous devons être mieux en mesure de caractériser les différents milieux du Nord canadien et de suivre l’évolution des changements. L’approche systémique globale, qui intègre des méthodes interdisciplinaires, aidera à établir des ponts entre les disciplines et les entités qui contribuent à la création des infrastructures. Tout cela est essentiel pour améliorer la capacité de nos infrastructures.

Je vous remercie.

Le président : Merci, madame Stephani.

J’aurais quelques petites questions avant de laisser la parole à mes collègues. Pouvons-nous renverser la tendance des changements climatiques? Devons-nous seulement nous adapter aux réalités actuelles? Le gouvernement fédéral en a-t-il fait assez ces dernières années? A-t-il fait ce qu’il fallait pour protéger et développer les infrastructures dans le Nord?

L’un ou l’autre d’entre vous peut commencer.

Mme Stephani : Selon moi, il faut mentionner une initiative fédérale qui a été très utile, à savoir l’Initiative d’adaptation des transports dans le Nord, que pilotait Transports Canada. Je pense qu’elle a été lancée en 2009 — ou à peu près — et qu’elle a duré une dizaine d’années. Cette initiative favorisait la collaboration entre les universités, le secteur public et l’industrie. Elle rassemblait aussi les spécialistes et les jeunes étudiants. Cette initiative très utile a permis de financer certains projets de recherche. Elle nous a aussi aidés à mieux comprendre la dynamique du pergélisol et ses interactions avec les infrastructures du Nord canadien.

Il faut évidemment des mesures d’adaptation.

M. Kokelj : Je suis d’accord avec Mme Stephani au sujet de l’utilité de l’Initiative d’adaptation des transports dans le Nord. Je ne dirais pas que beaucoup d’argent y était affecté, mais cette initiative a notamment permis de rassembler des spécialistes, des ingénieurs et des scientifiques, souvent dans des installations du Nord. Elle a permis de mettre en commun les connaissances de différents groupes entre lesquels il n’y a pas toujours beaucoup d’interaction. L’initiative ne s’est donc pas seulement avérée utile pour les travaux de recherche qu’elle a permis de financer, mais aussi pour l’esprit de collaboration qui en est ressorti.

Pour ce qui est de votre question à savoir s’il est possible de renverser la tendance des changements climatiques, je ne suis pas modélisateur des changements climatiques. Pour les gens du Nord, dont je fais partie, il s’agit d’abord et avant tout d’obtenir une base de connaissances qui nous permettra de nous adapter aux changements qui se produisent actuellement. Ce qui est primordial à l’heure actuelle, c’est de nous donner les moyens de nous adapter à ce à quoi nous devons nous attendre au cours des prochaines décennies. Pour les gens qui sont sur le terrain, c’est une priorité.

La sénatrice Simons : Madame et Monsieur, je vous remercie de votre présence parmi nous. Je sais que vous n’êtes pas modélisateurs des changements climatiques, mais je me demande si vous pourriez tout de même nous en dire un peu plus sur les possibles répercussions du dégel du pergélisol, s’il continue de fondre à ce rythme. À ma connaissance, selon les scientifiques, le pergélisol contiendrait près de 1 700 tonnes métriques de carbone séquestré. Si le carbone séquestré dans les yedomas s’échappait, les émissions de carbone pourraient radicalement augmenter, ce qui aurait sans doute des effets sur les changements climatiques. Au-delà des chemins et des routes qui s’affaissent, qu’est-ce qui risquerait d’arriver si nous commencions à perdre une partie plus importante du pergélisol?

Mme Stephani : La dégradation du pergélisol a évidemment des effets autogénérateurs à l’échelle locale. Mais comme vous le dites, il y a une série d’effets qui vont au-delà des infrastructures et qui se répercutent sur l’ensemble du climat et de l’environnement. Les yedomas sont des dépôts organiques riches en glace, et on en trouve dans certaines régions du Canada, de l’Alaska et de la Russie. Il n’y en a pas autant en Amérique du Nord qu’ailleurs, mais ils peuvent quand même relâcher une quantité importante de gaz à effet de serre. Les autres types de pergélisol aussi, cela dit, et il s’agit d’une source d’inquiétude importante.

M. Kokelj : J’aimerais revenir sur ce que Mme Stephani vient de dire au sujet de la rétroaction climatique. La transformation du carbone dans différents types de sols peut varier légèrement au fur et à mesure que le pergélisol dégèle. Le phénomène n’est pas aussi simple qu’on le dit. Il y a beaucoup de variation selon le type de sol et l’environnement. Les constituants qui dégèlent sont reséquestrés, alors c’est sûr qu’il faudrait plus de recherche.

Pour ce qui est des conséquences du dégel, comme Mme Stephani et moi le disions tous les deux, il arrive que, dans certains contextes, le pergélisol se transforme. Le paysage lui-même risque de changer si le pergélisol continue de dégeler au cours des 100 prochaines années, et nous devons être capables de prévoir ces changements. Ailleurs, il se peut que les changements soient plus subtils, voire inexistants.

Le problème, c’est que la situation est grave, et c’est ce qui la rend difficile à communiquer. Les effets autogénérateurs sont importants, mais quand il est question d’y trouver des solutions concrètes, il y a beaucoup de nuances que les Canadiens et les habitants du Nord doivent comprendre. C’est très important qu’ils comprennent les variations et les réactions qui se produisent. J’espère que mes précisions vous sont utiles.

La sénatrice Simons : La semaine dernière, certains témoins ont parlé d’utiliser des tubes pour introduire de la glace, de l’eau extrêmement froide ou de l’air froid dans le sol afin de préserver le pergélisol. Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de ces technologies et nous dire si elles sont utilisables à grande échelle?

Mme Stephani : Il y a différents types de techniques d’atténuation, et chacune repose sur des principes physiques différents. Certaines cherchent à extraire la chaleur, d’autres sont plus passives, mais ce qu’il faut retenir, c’est que ces méthodes ne sont pas universelles. Il n’y en a aucune qui va fonctionner à tout coup. On en revient à ce que M. Kokelj disait. Il y a beaucoup de variation dans le sol, beaucoup de nuances. Nous devons déterminer les techniques qui fonctionnent dans tel ou tel milieu. Pour ce faire, nous devons tester d’autres méthodes, recueillir des données et faire le suivi des changements. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons recommander l’utilisation de telle technique dans tel contexte. Il y a évidemment des coûts associés à ces techniques, et ces coûts dépassent généralement les simples frais de construction et d’entretien.

Cela dit, dans certaines circonstances, quand le climat change, que les changements qui touchent le pergélisol sont trop importants ou que les infrastructures sont incapables de résister à ces changements, les techniques d’atténuation comme celles-là peuvent devenir une nécessité.

M. Kokelj : C’est une excellente réponse. Je n’ai pas grand-chose à ajouter sinon que la plupart de ces solutions sont ciblées. Elles risquent d’être efficaces à petite échelle. Il est donc primordial de savoir quand elles fonctionnent, ou pas. Sinon, maintenant que nous voyons de plus en plus de ces technologies, nous devons absolument en tester le rendement.

Pour beaucoup d’infrastructures qui en sont rendues à la phase de fonctionnement et d’entretien, on applique une technique donnée. Une fois qu’une technique d’atténuation est utilisée, il faut suivre son évolution, parce que le problème de départ, lui, ne disparaît pas. Quand on revient, 10 ans plus tard, on a alors les données et la perspective nécessaires pour savoir ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais que l’on soit un peu plus concret. Je vous suis, mais une des choses qu’on a entendues de façon répétée, c’est que les routes, particulièrement celles construites sur le pergélisol, étaient les premières menacées.

Quand vous parlez de mesures d’atténuation et de méthodes, même s’il y a une fonte du pergélisol, quelles seraient les méthodes pour pouvoir construire des routes? Est-ce que ces routes vont disparaître? Si oui, dans combien de temps?

Ça peut être différent d’un endroit à l’autre dans le Nord, mais qu’est-ce que vous prévoyez comme fenêtre avant que le pergélisol fonde suffisamment pour qu’on ne soit plus capable d’avoir de routes?

[Traduction]

Mme Stephani : Il y a beaucoup d’éléments dans votre question. Pour commencer, je n’ai pas les compétences nécessaires pour dire quand le pergélisol et les routes vont disparaître. Cela dépend beaucoup de la qualité du sol et de l’état des infrastructures. Celles qui sont bâties sur un pergélisol relativement pauvre en glace vont durer plus longtemps, mais il y en a, surtout plus au sud, qui reposent sur un pergélisol plus chaud et riche en glace. Celles-là sont plus vulnérables aux changements, et pas seulement climatiques, aussi ceux qui se produisent au moment de la construction. Quand on bâtit une infrastructure, on enlève davantage de neige, le drainage change, ce genre de chose, et tous ces facteurs ont un effet sur l’infrastructure elle-même et sur le pergélisol.

Nous devons connaître les méthodes de construction et les techniques d’atténuation qui fonctionnent dans tel ou tel milieu. Dans certains cas, ces techniques peuvent être superflues, par exemple aux endroits où le pergélisol est pauvre en glace ou relativement stable, comme je viens de le dire, ou lorsque les coûts de mise en œuvre sont tellement élevés qu’ils en sont prohibitifs.

Dans d’autres circonstances, surtout lorsqu’il est question d’infrastructures qui tolèrent mal le mouvement, comme les rails et les pipelines, les techniques d’atténuation sont plus souvent nécessaires, y compris celle des siphons thermiques dont votre témoin vous parlait, mais il y en a beaucoup d’autres.

À cause des changements climatiques, nous observons de plus en plus de mouvements de terrain.

Ici en Alaska, par exemple, il y a eu un glissement de terrain sur une route où on faisait des travaux d’entretien. Dans un secteur, le sol progressait très lentement. Les travailleurs réparaient les dégâts au fur et à mesure en comblant et en recomblant les vides, mais à un certain moment, c’est devenu impossible, et la route s’est affaissée. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un pont extrêmement dispendieux pour franchir cette zone.

Il n’y a pas de solution universelle. Chaque technique doit être adaptée à l’ensemble des conditions sur place. Nous devons mieux le comprendre, mais nous devons aussi faire le suivi de ces techniques afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, comme le disait M. Kokelj.

M. Kokelj : Excellente réponse, madame Stephani, merci.

Je pourrais peut-être vous donner un exemple concret. Dans la ville où j’habite, Yellowknife, le pergélisol est discontinu. Il est chaud. La semaine dernière, il y a eu une conférence ici sur la gestion de projets. On nous a évidemment demandé comment il se faisait que, sur les 100 premiers kilomètres, la route qui sort de Yellowknife est aussi mauvaise. C’est bien sûr en raison de la géologie et du pergélisol sur lequel cette route a été bâtie. Les 300 kilomètres suivants sont aussi sur le pergélisol, mais celui-ci est pauvre en glace, alors la route est en meilleur état.

Dernièrement, il a fallu bâtir une infrastructure dans une localité au nord de Yellowknife, et plusieurs options étaient possibles. La construction de la route qui sort de Yellowknife nous a appris que dans le sol se trouve un dépôt qui est très sensible au dégel. Quand l’infrastructure en question a été construite, il a fallu réfléchir au chemin à prendre. Elle a donc été conçue pour éviter ce secteur.

Il s’agit d’un exemple concret qui montre que, jusqu’à présent, quand on construisait des infrastructures, on pensait moins à la disparition éventuelle du pergélisol. La transition va nécessiter en permanence des techniques d’atténuation, et il faudra beaucoup de ressources pour entretenir ces infrastructures. Si on a une bonne connaissance des données géoscientifiques dès la phase de planification, il est possible de prendre de meilleures décisions. Il peut arriver que ces décisions aient un prix, par exemple s’il faut allonger une route ou lui faire faire un détour pour éviter un secteur critique, mais à long terme, elles finiront par être avantageuses et déboucheront sur de meilleures stratégies d’adaptation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Quinn : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.

Pourriez-vous tous deux nous donner une idée de la façon dont le pergélisol a évolué ces dernières années? Comment son étendue a-t-elle changé? Quelle est l’ampleur de sa dégradation et comment prévoit-on qu’elle se poursuive au cours des prochaines années? En perdons-nous 5 % par an? Pouvez-vous nous donner une indication quantitative de ce qui se passe?

Mme Stephani : Personnellement, je ne suis pas qualifiée pour vous donner des prévisions précises en pourcentages. Comme M. Kokelj, je vis dans le Nord, mais pas aussi loin. Il n’y a pas autant de pergélisol à Anchorage que dans la région de M. Kokelj. Nous voyons nous aussi des changements se produire, c’est certain. Ils semblent s’accélérer, mais je ne suis pas en mesure de quantifier ce qui nous attend.

M. Kokelj : C’est une question difficile. Je ne peux pas vous donner de chiffres non plus. Je ne suis pas en mesure de vous donner ce type de réponse. Peut-être qu’on pourrait réfléchir aux diverses analyses produites par la communauté scientifique pour mettre cette question en contexte.

La répartition du pergélisol est fonction du climat. Il existe de nombreuses projections de la répartition du pergélisol et de ce à quoi elle pourrait ressembler en 2100, disons. Il s’agit d’un modèle, c’est très général. Il nous indique que la limite du pergélisol continu pourrait se déplacer de centaines de kilomètres vers le nord.

Il y a deux choses à garder à l’esprit. Le climat peut changer relativement vite, mais le pergélisol réagit beaucoup plus lentement, car la glace doit être transformée en eau. Il s’agit d’un processus graduel. Le rythme de ce processus varie d’un endroit à l’autre dans le paysage, même dans la région où j’habite. Le pergélisol peut se trouver dans la roche-mère ou dans les sédiments qui contiennent beaucoup de glace. Dans la roche-mère, le pergélisol peut disparaître très vite.

À l’intérieur d’une même région, ce processus sera progressif. Je pense qu’il est essentiel de comprendre comment les différents paysages réagiront pendant la transition, au moins à l’échelle de la décennie. Nous pouvons quantifier ce genre de chose par l’observation des températures du sol et des réactions du terrain.

La communauté scientifique met au point toutes sortes d’outils pour étudier les points chauds de changements. En règle générale, si l’on examine l’état de l’infrastructure, en parallèle, on peut avoir une bonne idée des endroits où les points chauds se trouvent. Comment l’infrastructure change-t-elle? Où devrions-nous concentrer nos énergies et nos efforts dans nos stratégies d’atténuation et d’adaptation? Il n’existe pas de solution unique pour l’ensemble de la région au fur et à mesure que ces changements se produisent.

Le sénateur Quinn : J’ai une question complémentaire à poser à M. Kokelj. Je vous remercie d’avoir mentionné les points chauds de changements. Vous avez fait des commentaires, par exemple, sur la route qui part de Yellowknife, où les conditions ne sont pas terribles. Aux points chauds de changements, puisque nous nous intéressons aux infrastructures essentielles, y a-t-il d’autres infrastructures essentielles qui sont compromises par la perte de pergélisol à l’heure actuelle, selon vous?

M. Kokelj : De manière générale, oui. Pourriez-vous préciser votre question? Je ne sais pas exactement ce que vous voulez savoir.

Le sénateur Quinn : Par exemple, vous avez parlé de l’autoroute qui part de Yellowknife et des observations qu’on peut faire sur l’état de cette route. Dans la région où vous vivez et dans le Nord en général, y a-t-il d’autres endroits où l’infrastructure des transports est touchée? Connaissez-vous d’autres endroits où l’infrastructure de transport est compromise par la perte de pergélisol, au point de nuire aux transports dans le Nord, qui dépendent de l’existence du pergélisol pour les routes ou les pistes d’atterrissage, entre autres?

M. Kokelj : Oui. La réponse courte, c’est que cela s’observe à bien des endroits et que beaucoup d’infrastructures sont touchées par le phénomène dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon, au Nunavut et en Alaska.

Il y a des zones particulièrement sensibles le long de la route 3, qui part de Yellowknife. Il y a des sections de la route Dempster, qui relie le Sud du Canada à la région du delta de Beaufort, qui posent problème en raison de la composition particulière du pergélisol qui s’y trouve.

La route entre Inuvik et Tuktoyaktuk a été construite ces dernières années sur un pergélisol riche en glace. Là encore, l’évolution des conditions du pergélisol se répercute sur la route, mais comme c’est une nouvelle infrastructure, elle évolue, et le pergélisol s’y adapte.

Bref, la réponse est oui. La situation varie d’un endroit à l’autre. Il devient vraiment essentiel de connaître les méthodes d’atténuation et leurs coûts pour planifier et adapter les projets ou choisir entre différentes configurations possibles.

Peut-être que Mme Stephani peut ajouter quelque chose concernant l’expérience de l’Alaska à ce sujet.

Mme Stephani : Oui. J’ai la même réaction. Il y a tellement d’exemples où la dégradation du pergélisol compromet la viabilité de l’infrastructure. Il y en a plusieurs en Alaska et au Canada.

J’ai un excellent exemple qu’il vaut la peine de mentionner. Il y a plus de 20 ans, le ministère des Transports du Québec a lancé un projet dirigé par un éminent chercheur, le professeur Michel Allard, qui étudiait l’impact du pergélisol et du changement climatique sur les infrastructures dans le Nord du Québec et au Nunavut. La dégradation grave et constante du pergélisol posait déjà problème, et on voyait qu’il n’était pas viable de continuer de construire et d’entretenir l’infrastructure comme on le faisait.

Il y a 20 ans, on observait déjà le phénomène et on a pris des mesures pour essayer de comprendre la nature des changements et les solutions possibles. Les chercheurs ont étudié différentes techniques d’atténuation, de caractérisation et d’analyse du pergélisol dans cet environnement précis.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins de leur présence.

J’écoute attentivement la discussion et les questions sur le pergélisol, et j’entends toutes sortes d’anecdotes et d’histoires concernant les routes, les chemins de fer et toutes les difficultés du genre. Puisque ce comité étudie l’incidence des changements climatiques sur les transports, auraient-ils moins d’incidence sur les infrastructures de transport aérien que sur les routes et les chemins de fer? Vos exemples proviennent de ces domaines. Il est évident que des routes et des chemins de fer sont détruits. Est-il plus facile d’atténuer les effets des changements sur l’infrastructure de transport aérien, les pistes d’atterrissage, etc.

Si tel est le cas, pensez-vous que les habitants du Nord devront à l’avenir compter davantage sur le transport aérien qu’ils ne le font aujourd’hui à cause des changements climatiques et de tout cela?

Mme Stephani : D’une certaine manière, il peut être plus facile de gérer la dégradation du pergélisol le long des pistes d’atterrissage parce qu’elles sont plus courtes que des infrastructures linéaires telles que les chemins de fer, les routes, les pipelines. Mais c’est moins simple qu’il n’y paraît.

Les pistes d’atterrissage ont une tolérance au mouvement bien moindre que les routes. Les voitures peuvent franchir les bosses créées par les sédiments, le gel, et le reste, mais pas les avions. La taille des avions est également limitée par la taille de la piste d’atterrissage et l’impact de la dégradation du pergélisol. Je serais portée à dire que ce n’est pas si simple, mais ce n’est pas mon domaine d’expertise.

Je souligne que les recherches entreprises il y a plus de 20 ans, qui se poursuivent toujours dans le Nord du Québec, portent principalement sur les pistes d’atterrissage dans les différents villages de la région. Comme M. Kokelj l’a mentionné plus tôt, certaines routes ont été construites dans des zones plus sensibles, en fait. Si on avait fait passer la route ailleurs dans la région, elle résisterait peut-être mieux aux changements parce que le pergélisol n’y est pas riche en glace ou chaud, quel que soit l’état dans lequel il se trouve. Nous nous rendons compte que certaines pistes d’atterrissage ont été aménagées sur un pergélisol sensible.

Il n’est pas toujours réaliste de déplacer ces infrastructures non plus. Il faut se demander s’il vaut mieux déplacer une infrastructure ou utiliser des techniques d’atténuation. Les pistes d’atterrissage sont elles aussi fragilisées par le pergélisol.

M. Kokelj : Je vous remercie. Je pensais au premier point qu’a présenté Mme Stephani. Un tarmac, c’est bien moins long qu’une route, et il est plus facile d’atténuer sa dégradation, mais il tolère moins bien le mouvement, ce qui veut dire qu’il faut innover et observer son état. Cela nécessite de grands investissements.

Je ne pense pas avoir beaucoup à ajouter. Je n’étudie pas les transports en tant que tels. Je ne peux simplement pas commenter la viabilité du transport aérien par rapport au transport routier.

Mme Stephani a parlé à quelques occasions du travail qui se fait au Nunavik. J’aimerais en dire plus sur quelque chose qui a déjà été mentionné. Bon nombre des stratégies locales d’adaptation et d’atténuation deviennent la responsabilité d’un gouvernement régional. Il devient utile d’envisager une formule qui réunisse les praticiens et les scientifiques de différentes régions. Les solutions trouvées diffèrent d’une région à l’autre, si bien que le transfert de connaissances devient important. Les aéroports en sont un bon exemple; on fait de l’excellent travail dans une région, et il importe de s’assurer qu’on applique ces solutions dans d’autres régions. Sinon, je n’ai rien à ajouter.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Je remercie les deux témoins. Ces informations sur le pergélisol sont fort intéressantes. C’est un sujet que je connaissais mal.

J’ai une question sur des termes que vous avez tous les deux employés : le pergélisol riche en glace ou pauvre en glace. Pourriez-vous nous en dire plus? Le pergélisol n’est-il pas tout simplement fait de glace?

Mme Stephani : M. Kokelj en a parlé un peu. Les sédiments poreux peuvent se remplir d’eau, qui va ensuite geler. Cette porosité contient alors de la glace. À grande échelle, la quantité de glace va finir par excéder la quantité de matière poreuse. Dans certaines situations, il y a beaucoup de glace, il peut même y en avoir plus que de la terre dans le sol.

Le type de glace au sol variera beaucoup à l’intérieur même d’un petit secteur. Nous pouvons reconnaître certains types de glace dans leurs milieux typiques, mais encore là, il y a une grande variabilité.

Un des grands défis circumpolaires que nous travaillons à relever — je ne m’inclus pas en disant « nous » — consisterait à cartographier la glace dans le pergélisol, ce qui est très difficile parce que nous n’avons pas d’outil. Des outils géophysiques nous permettent de voir les conditions sous la surface. Cela dit, nous n’avons pas d’outil qui nous permet de mesurer, de quantifier et de reconnaître la glace dans le pergélisol à grande échelle.

Le forage et l’observation du type de glace — combien il y a de glace, comment elle est distribuée sur le plan spatial — constituent la technique la plus fiable, mais elle demande beaucoup de temps et d’argent. C’est vraiment un grand défi à relever, que nous partageons tous au-delà des frontières. Il faut comprendre où se situe le pergélisol riche en glace, parce que c’est là que le paysage changera le plus.

Le sénateur Cardozo : Le pergélisol ne contient pas seulement de la glace et de l’eau. Il contient toujours d’autres éléments terrestres, n’est-ce pas?

Mme Stephani : Cela dépend. Il peut y avoir une masse de glace pure souterraine, qui est un vestige de la glaciation. Il peut toujours y avoir ce que l’on appelle un coin de glace, qui est au fond un triangle inversé.

Quand la glaise sèche, elle va former un polygone. Dans le pergélisol, surtout dans les régions nordiques, on peut voir des coins de glace qui ressemblent à des polygones, de grandes formations de glace autrement dit.

Les yedomas, dont nous avons parlé, sont de très grands coins de glace qui peuvent faire 70 mètres de haut, mais ils sont rares au Canada.

M. Kokelj : Pour ajouter à ce que Mme Stephani a dit, bien sûr, je rappelle que le pergélisol est défini par la température seulement. Ce n’est vraiment que de la terre ou de la matière gelée pendant des années. En principe, il peut y avoir du pergélisol dans la roche-mère, et si le pergélisol monte au-dessus de zéro, il n’y a pratiquement aucune conséquence pour le terrain ou sa stabilité. Il est ensuite essentiel de comprendre comment les dépôts géologiques contribuent aux différents types de glace, quelle est la proportion de glace et quelles sont les propriétés des matières pour évaluer comment les terres vont réagir à la fonte des glaces.

J’ajouterais qu’à grande échelle, ce qui est intéressant à propos du pergélisol et du développement de la glace, surtout de nos jours alors que la couche supérieure ou active du pergélisol s’épaissit, ce sont les formes morphologiques qui apparaissent et qui révèlent les propriétés souterraines intrinsèques du pergélisol. Nous pouvons utiliser la cartographie du terrain pour faire une première estimation de ce que le sol renferme. Durant la COVID, nous avons lancé un projet de cartographie en ligne mettant à contribution des étudiants et des chercheurs du Nord et de tout le Canada pour commencer à cartographier les paysages et les reliefs qui caractérisent le pergélisol dans les Territoires du Nord-Ouest. Cet exercice nous a donné une bonne première évaluation des conditions souterraines auxquelles nous pouvons nous attendre à très grande échelle. Nous ne cartographions pas seulement les endroits où il y a ou non du pergélisol, nous nous intéressons aussi aux caractéristiques intrinsèques de celui-ci.

Le sénateur Cardozo : Si je comprends bien, la différence entre le pergélisol et d’autres formes de masses terrestres, c’est que le sol contient une certaine quantité de liquide ou d’eau. La raison pourquoi nous en parlons aujourd’hui, c’est que l’eau va changer de forme selon la température et tout, n’est-ce pas?

M. Kokelj : Oui et non. Il est possible que le pergélisol ne contienne pas d’eau ou qu’il se situe dans la roche-mère. Ce ne sont que des matières maintenues sous zéro. Le degré de l’eau et la forme de la glace dans le pergélisol déterminent sa réaction au dégel. Comme Mme Stephani le mentionnait, un procédé d’ingénierie coûteux mais important consiste à réaliser des forages pour connaître les propriétés morphologiques et le contenu en glace du pergélisol. On s’en sert pour la conception de l’infrastructure.

Le sénateur Cardozo : J’ai encore une question sur les transports. Je comprends ce que vous avez dit à mes collègues pour ce qui est des tarmacs d’aéroport qui sont assez courts comparativement aux routes. La différence, c’est qu’il ne peut pas y avoir trop de nids-de-poule sur un tarmac, tandis nous les tolérons sur les routes.

Je veux savoir si vous avez déjà entendu parler de deux ou trois idées qui nous ont été soumises. L’une d’elles serait d’utiliser des dirigeables ou des hélicoptères, qui ne nécessitent pas de piste de décollage ou d’atterrissage et qui peuvent se poser à peu près n’importe où.

Mme Stephani : Je ne saurais vous répondre, car cette question va au-delà de mes compétences. Veuillez m’en excuser.

Le sénateur Cardozo : Je vous pose aussi la question, monsieur Kokelj.

M. Kokelj : C’est aussi en dehors de mon champ de compétence. Cependant, je dirai que certaines personnes aiment parler d’options comme les dirigeables. Chaque année, nous tenons un forum de géoscience ici, à Yellowknife, et il y a souvent quelqu’un qui y présente ce genre de concept. Il existe de l’information là-dessus, mais ce n’est malheureusement pas Mme Stephani et moi qui pourrons vous aider.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.

Le président : Il nous reste six minutes, et deux sénatrices veulent prendre la parole dans ce deuxième tour. Elles disposeront donc de trois minutes chacune.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Kokelj. Selon une étude publiée dans le magazine Anthropocene de Future Earth, en 2022, pour les transports qui nécessitent la couverture de glace la plus épaisse, le nombre de jours sans glace augmentera de 90 %, 95 % et 99 % s’il y a un réchauffement climatique de 1,5 degré, 2 degrés et 3 degrés, respectivement.

Est-ce que relativement à cette étude, il y a un plan dans les Territoires du Nord-Ouest, pour faire face à cette réalité dans les transports?

[Traduction]

M. Kokelj : Je crois que vous me demandez si, compte tenu de la viabilité décroissante des routes de glace, le secteur des transports a un plan en la matière au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, au gouvernement des Territoires.

M. Kokelj : Oui, en effet. Il faudrait poser cette question à un représentant du ministère de l’Infrastructure. Je suis désolé, mais je ne peux pas y répondre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La sénatrice Simons : Je voudrais terminer sur la question de la cartographie. Les Territoires du Nord-Ouest sont d’une immense étendue. Il n’est pas facile d’en cartographier chaque pouce en faisant des forages. Que faut-il faire pour que la cartographie de base dont vous avez parlé soit conforme? Faire participer des étudiants à des travaux pendant la COVID, c’est différent. Que souhaiteriez-vous que le gouvernement fédéral et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest fassent pour s’assurer que nous disposons d’une bonne cartographie qui nous permettrait de comprendre l’ampleur du problème et d’avoir une mesure de base de notre situation actuelle pour pouvoir la comparer à l’avenir?

M. Kokelj : Je vous remercie de la question. Je vais faire de mon mieux pour y répondre de façon concise afin que Mme Stephani puisse aussi intervenir.

Il y a la question de l’échelle. Le Canada a une grande superficie. Nous devons en savoir un peu sur tout. L’exemple que je vous ai fourni visait à obtenir de meilleurs renseignements sur les conditions du pergélisol à une très grande échelle, mais fondamentalement, les secteurs clés où nous avons besoin d’obtenir de l’information se trouvent le long des corridors d’infrastructure et des milieux sensibles autour de nos collectivités. C’est là que nous devons investir dans des techniques de cartographie à plus haute résolution. Nous avons besoin d’information de base, de modèles de terrain à haute résolution, de bonnes cartes de surface et de bonnes cartes de surface autour des collectivités — ce qui relève des commissions géologiques, qu’elles soient territoriales ou fédérales. Ce sont là les couches de données de référence dont nous avons besoin pour concevoir des modèles qui nous aideront dans nos activités de planification.

Il y a aussi la télédétection, qui nous permet d’évaluer et de suivre les changements, ce qui est un élément d’innovation, mais ces travaux ne peuvent pas se faire sans les personnes qui travaillent sur le terrain. Ce sont des initiatives très importantes, mais il faut un lien entre une approche technologique et une approche sur le terrain. Je pense que Mme Stephani aurait probablement quelque chose à dire au sujet de la cartographie également.

La sénatrice Simons : Et c’est à cet égard que vous souhaiteriez que le gouvernement fédéral investisse.

M. Kokelj : Oui.

Mme Stephani : Je suis tout à fait d’accord avec M. Kokelj. L’élément clé est d’intégrer des méthodes de terrain et la télédétection afin de pouvoir effectuer nos analyses sur des zones étendues. Nous devons absolument recueillir des données plus détaillées sur le terrain. Ces données sont essentielles pour bien comprendre les modèles conceptuels de chaque type d’environnement. Ensuite, nous pourrons reconnaître les différents types d’environnement ailleurs grâce à des indicateurs de surface en utilisant des méthodes de télédétection. Oui, de l’autre côté de la frontière, nous sommes confrontés à des défis très similaires.

Le sénateur Quinn : J’ai une brève question à poser aux deux témoins. Que font les autres nations circumpolaires dans ce secteur? Connaissez-vous des pays qui sont plus avancés dans leur approche concernant la dégradation du pergélisol?

Mme Stephani : Je pense que la Russie — un sujet évidemment délicat — a commencé bien avant nous et il existe une foule de documents, de renseignements et de façons de faire, mais il est très difficile de savoir ce que les Russes font et de lire cette documentation, car elle est rédigée en russe en grande partie. Je pense qu’il y a certainement des choses que peuvent nous apprendre certaines personnes qui vivent là en travaillant maintenant aux États-Unis.

Même au Canada et aux États-Unis — principalement en Alaska —, où il y a du pergélisol, il y a une grande variabilité dans notre propre région. Il est nécessaire de discuter et de combler le fossé entre toutes ces différentes entités. Nous devons discuter avec d’autres pays, mais au sein du pays, nous constatons que des efforts sont déjà déployés pour favoriser la collaboration et la mise en commun des connaissances acquises.

M. Kokelj : Mme Stephani a raison en ce qui concerne les endroits qui ont beaucoup d’expérience. Je pense que les possibilités d’échange de connaissances entre les pays deviennent vraiment importantes. De plus, compte tenu de ce qui se passe en Russie, il y a des composantes internationales de la collectivité qui veulent faire de la recherche dans le Nord du Canada. Le Canada doit être en mesure de tirer parti de l’expertise de groupes — disons de la Norvège ou de l’Allemagne — qui viennent ici et, par la collaboration, d’axer ses efforts sur les problèmes qui sont importants pour les habitants du Nord. Je suppose qu’il faudrait alors élaborer des politiques et des lignes directrices sur la manière de mener la recherche et le travail de collaboration, car évidemment, il est essentiel de pouvoir disposer d’une plus grande puissance de feu pour s’attaquer aux problèmes qui sont importants pour les Canadiens.

Le président : Madame Stephani, monsieur Kokelj, merci d’avoir donné vos points de vue au comité aujourd’hui. Merci d’avoir témoigné ce matin.

Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les transports et les infrastructures dans le Nord du Canada. Je suis heureux d’accueillir notre deuxième groupe de ce matin. Nous recevons Mme Jackie Dawson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada, niveau 1, sur les dimensions humaines et politiques du changement climatique, professeure titulaire à l’Université d’Ottawa et directrice scientifique du Réseau de centres d’excellence ArcticNet; et M. Alex de Barros, professeur au Département de génie civil de l’Université de Calgary, qui témoigne par vidéoconférence.

Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de votre présence. Nous allons commencer par les déclarations préliminaires. Vous disposez de cinq minutes chacun. Madame Dawson, la parole est à vous.

Jackie Dawson, Chaire de recherche du Canada sur les dimensions humaines et politiques du changement climatique, professeure titulaire, Université d’Ottawa et directrice scientifique, ArcticNet, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un plaisir d’être ici. Je suis un peu déphasée par le décalage horaire. Je suis arrivée du Royaume-Uni juste après minuit, alors excusez-moi si je suis un peu perdue.

Je commencerai mon exposé aujourd’hui en parlant un peu des changements climatiques et de leurs répercussions sur notre monde. En gros, nous vivons les effets des changements climatiques en ce moment même tous les jours. Il ne s’agit plus ici de simplement prédire les conséquences futures. Il y a quelques semaines à peine, nous avons dépassé temporairement les 2 degrés Celsius de réchauffement, un seuil au sujet duquel nous avons tous convenu à l’échelle mondiale qu’il s’agissait d’un point de basculement majeur que nous ne devrions pas franchir de façon permanente.

Nous observons déjà des vagues de chaleur, des vagues de chaleur océanique, des incendies de forêt, des ouragans, des tempêtes tropicales — et cetera. Ces phénomènes s’accélèrent et nous coûtent des billions de dollars en dommages aux infrastructures. Les incendies comme celui qui s’est déclaré dans les Territoires du Nord-Ouest l’été dernier et qui a entraîné une évacuation massive sur une seule route parce que la région arctique est isolée et que les infrastructures de transport y sont limitées ne feront que se produire plus fréquemment à l’avenir. Ce n’est qu’un exemple de ce à quoi nous allons être confrontés.

Il est important que nous nous préparions aux effets d’une lente transformation et aux effets brusques d’événements extrêmes. Il s’agit de deux choses très distinctes qui requièrent deux approches bien différentes.

Pour nous préparer aux changements climatiques et aux phénomènes climatiques extrêmes, nous devons miser sur des infrastructures et des chaînes d’approvisionnement résistantes au climat. Ces deux éléments dépendent directement l’un de l’autre.

Lorsque l’on examine la mesure dans laquelle le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, s’intéresse à la question des infrastructures et des chaînes d’approvisionnement par rapport aux changements climatiques, on s’aperçoit rapidement qu’il y a un manque sur le plan de la compréhension scientifique et de la publication d’articles sur le sujet. Une recherche rapide du mot « infrastructure » dans le dernier rapport du Groupe de travail II du GIEC révèle qu’il apparaît un peu plus de 2 000 fois dans un document de 750 000 mots. Si l’on ne tient pas compte de la table des matières, des sous-titres, et cetera, le mot « infrastructure » apparaît moins de 1 200 fois, et si l’on établit un lien avec le Canada, en particulier, il apparaît moins de 20 fois.

Ce que nous savons, c’est que les dommages économiques directs et indirects non liés au marché que causent les événements extrêmes sur les infrastructures et les secteurs économiques au Canada ont augmenté ces dernières années. Nous savons également que le nombre d’événements extrêmes dont les dommages s’élèvent à plus d’un milliard de dollars américains, après rajustement en fonction de l’inflation, a rapidement augmenté aux États-Unis.

Investir de façon continue dans des analyses économiques, y compris mettre l’accent sur des études relatives aux pertes et aux dommages liés aux changements climatiques concernant les infrastructures et les chaînes d’approvisionnement, peut nous aider à révéler des cas où certains investissements peuvent être nécessaires et où le coût de l’inaction peut dépasser le coût de ces investissements.

Avant de conclure, j’aimerais parler de l’Arctique. Le Canada est une nation arctique. Un peu plus de 40 % de sa masse continentale se trouve dans l’Arctique. Toutefois, le Canada est, et de loin, le pays le moins avancé sur le plan des infrastructures dans l’Arctique. Il représente moins de 5 % du PIB circumpolaire, alors que la Russie en représente plus de 75 %. C’est en grande partie en raison des investissements dans les infrastructures.

En revanche, notre pays est sans doute le plus avancé au chapitre de la dévolution et des droits conférés par la loi aux Premières Nations, principalement aux Inuits, grâce à la conclusion de plusieurs accords sur le règlement des revendications territoriales. Cette combinaison de faits nous place, à mon avis, dans une situation admirable pour l’avenir. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas trop tard. Nous avons la capacité. Nous repartons à neuf et nous disposons des structures voulues pour développer la région selon les principes de l’innovation, de l’équité, de la durabilité et de l’autodétermination en plaçant la résilience climatique et l’autodétermination des peuples autochtones au premier plan de nos préoccupations.

Il est essentiel que nous commencions à discuter de la forme que prendra le développement d’une infrastructure résiliente aux changements climatiques dans l’Arctique. Notre modèle habituel de financement des infrastructures par habitant ne fonctionnera tout simplement pas dans l’Arctique, où la population est très faible, mais où le potentiel de tensions géopolitiques et de possibilités économiques est très élevé. Nous avons besoin d’une approche novatrice à cet égard.

L’Arctique canadien est dominé par l’océan Arctique et il est bien connu que les infrastructures de transport maritime sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques comparativement aux autres types d’infrastructures de transport. Ce n’est pas sans importance étant donné que le transport maritime est fondamental pour le ravitaillement des collectivités dans la région, et aussi parce que près de 90 % de toutes les marchandises dans le monde sont transportées par bateau à un moment ou à un autre. Dans l’Arctique canadien, c’est encore plus vrai. Le secteur du transport maritime est un élément très important et efficace de la gestion de la chaîne d’approvisionnement.

Dans ce contexte, la réduction de la glace de mer dans la région arctique a entraîné une augmentation de l’activité maritime de 75 % au cours des dernières années et une augmentation du nombre de kilomètres parcourus par les navires de plus de 200 % . Les changements climatiques pourraient finalement faire du rêve de John Franklin, soit celui d’un commerce mondial accessible par l’Arctique, une réalité.

Nous nous attendons à ce que la navigation maritime augmente dans l’Arctique, mais ce ne sera peut-être accessible au commerce mondial qu’à moyen terme et ce ne sera certainement pas le cas avant que le passage du Nord-Est de la Russie ne devienne de plus en plus accessible. Si l’accès risque d’être retardé, c’est en raison de la glace épaisse de plusieurs années qui se brise en raison des changements climatiques dans l’océan Arctique et qui se dirige vers l’archipel de l’Arctique canadien. En raison de cette dynamique bien connue de la glace de mer, des spécialistes affirment que le passage du Nord-Ouest ne sera jamais attrayant pour le commerce maritime mondial.

Toutefois, je ne suis pas de cet avis et je crois que s’il est vrai que la glace de mer continuera à représenter un risque pour le commerce maritime par le passage du Nord-Ouest, d’autres facteurs externes interviendront, tels que les tendances économiques mondiales, les tensions géopolitiques, les innovations dans la conception des navires pour le déglaçage et la propulsion, et tout simplement la volonté politique en général.

En outre, les répercussions climatiques actuelles dans le Sud pousseront le transport maritime vers le Nord, y compris, par exemple, les graves sécheresses qui se produisent actuellement autour du canal de Panama, où l’on a enregistré une réduction des précipitations de 41 % en octobre, ce qui a entraîné une baisse des niveaux de l’eau et une réduction du nombre de passages dans le canal de 37 à 25 par jour.

Bien entendu, la science peut être un outil important pour la diplomatie et les investissements dans les travaux scientifiques. Des infrastructures polyvalentes pour la science, l’économie et le bien-être local sont les bienvenues et s’avèrent très nécessaires dans l’Arctique canadien, surtout si l’on tient compte du fait que même des pays aux vues similaires, y compris certains de nos alliés du G7, continuent de nier la souveraineté du Canada sur notre passage du Nord-Ouest.

Je terminerai mes observations ici. Je vous remercie de l’attention que vous portez à cette question très importante.

Le président : Merci, madame Dawson. Monsieur de Barros, étant donné que le président est bienveillant, il vous accorde également sept minutes pour votre déclaration préliminaire, alors n’hésitez pas.

Alex de Barros, professeur, Département de génie civil, Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup. Je ne pense pas avoir besoin de sept minutes, mais je vous remercie de ce cadeau.

Bonjour, sénateurs. J’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de me donner l’occasion de parler de mes travaux de recherche sur cette question qui est très importante pour notre société.

Les travaux de recherche dont je parle aujourd’hui, ceux qui sont en cours, ont été commandés et financés par l’École de politique publique de l’Université de Calgary dans le cadre d’une série de recherches sur le corridor nordique canadien, un concept qui consisterait à relier l’infrastructure du Sud de la nation à une nouvelle série de corridors dans le Canada central et septentrional. L’objectif principal était d’évaluer l’infrastructure aéroportuaire actuelle et les services aériens offerts aux collectivités éloignées qui se trouvent dans la zone d’influence des corridors théoriques. Au total, 146 collectivités éloignées ont été évaluées en fonction de la facilité d’accès à un aéroport, de l’état général de l’infrastructure aéroportuaire et de la disponibilité des services aériens commerciaux.

En plus d’évaluer l’infrastructure aéroportuaire, nous avons effectué une analyse météorologique concernant un sous-ensemble de ces aéroports. On parle de 21 aéroports répartis de façon uniforme dans la zone d’étude. L’étude couvre une période allant de 2005 à 2022, et des rapports horaires sur le plafond nuageux ont été utilisés. En règle générale, les opérations à vue aux aéroports sont limitées si le plafond nuageux est inférieur à 800 pieds. Notre étude n’a révélé aucun changement dans les tendances quant au nombre total d’heures pendant lesquelles les activités aéroportuaires sont restreintes en raison d’un plafond nuageux bas. Il s’agit là d’une constatation très importante. Bien que les opérations aériennes puissent être perturbées par plusieurs autres facteurs météorologiques, le plafond nuageux n’est pas seulement l’un des plus importants de ces facteurs, il y est également lié.

Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je me réjouis de pouvoir répondre à vos questions sur l’étude. Merci.

La sénatrice Simons : Je tiens à remercier nos deux témoins, c’est-à-dire M. de Barros de s’être levé tôt et Mme Dawson d’être restée éveillée. Vous m’avez certainement tenue parfaitement éveillée.

Madame Dawson, des témoins précédents nous ont dit, au sujet de la résilience de la chaîne d’approvisionnement dans le Nord, que l’été dernier avait été particulièrement difficile pour l’Arctique de l’Ouest en raison des incendies, car la ligne du CN qui se termine habituellement à Hay River a été la proie des flammes et n’a pas pu se rendre jusqu’à Hay River. De plus, les niveaux des eaux du fleuve Mackenzie étaient si bas qu’on n’a pas pu utiliser les barges qui partaient habituellement de Hay River. On a donc dû acheminer les produits dont on avait désespérément besoin, comme le mazout, par les routes océaniques dans le Nord. Ce que vous avez dit m’a donc interpellée en raison de ce témoignage.

De quels types d’investissements aurions-nous besoin pour nous assurer que les havres et les ports qui recevront peut-être maintenant des volumes de marchandises jamais vus auparavant et que les communautés maritimes du Grand Nord, qu’elles soient situées au Nunavut ou dans les Territoires du Nord-Ouest, soient en mesure de s’adapter à cette méthode d’acheminement des marchandises?

Mme Dawson : Oui. Je pense que c’est l’une des questions sur lesquelles il est très important de se concentrer. En outre, le transport maritime est l’une des formes de transport les plus écologiques, ce qui peut nous aider à atteindre nos objectifs en matière de carboneutralité.

Je dirais que nous aurons besoin d’investissements importants, car notre infrastructure est très limitée. Par exemple, nous n’avons qu’un seul port en eau profonde dans l’Arctique, bien que nous ayons maintenant investi dans le port d’Iqaluit. Churchill représente un problème simplement parce que la voie ferrée est constamment menacée à cause de la fonte du pergélisol.

Il n’y a même pas d’entreprise de réparation de petits moteurs dans l’Arctique, si bien que si notre navire de réapprovisionnement tombe en panne, il faudra compter sur le jumelage ou sur une grande industrie.

Les investissements nécessaires sont considérables. Toutefois, comme l’a mentionné l’intervenant précédent, nous ne pouvons pas nous contenter d’investir de façon générale, car c’est trop vaste. Nous devons plutôt investir de façon très stratégique. Nous devons examiner les données antérieures. Nous savons où vont les navires et nous connaissons les itinéraires habituels. Nous avons beaucoup travaillé avec les collectivités inuites, afin de déterminer où se trouvent les aires marines importantes sur le plan culturel, car c’est très important.

Nous pensons souvent aux bélugas, aux baleines et à la biologie — et à juste titre —, mais nous devrions aussi parler et poser des questions aux Inuits, car ils connaissent la région et la glace.

Nous avons besoin d’investissements assez importants dans les infrastructures si nous souhaitons profiter des occasions économiques pour réduire le prix des denrées alimentaires. Le changement climatique nous permettra de faire venir plus de navires, mais nous ne sommes pas encore prêts.

La sénatrice Simons : Que devons-nous faire pour être prêts?

Mme Dawson : Votre étude représente une bonne première étape. Les gens savent où nous avons besoin d’infrastructures, mais il faut beaucoup d’argent. Les partenariats public-privé sont très importants. Je ne sais pas pourquoi, mais nous semblons les éviter. Des intervenants de nombreuses entreprises du secteur privé ne cessent de me répéter que le gouvernement fédéral n’investit pas les montants équivalents, qu’il s’agisse d’infrastructure de communication, d’infrastructure matérielle ou d’infrastructure scientifique.

De nombreuses discussions sont en cours. Comme l’a dit le témoin précédent, d’autres pays nous proposent leurs idées et leur argent parce qu’ils veulent travailler au Canada, car à l’heure actuelle, les gens ne veulent plus travailler en Russie. Il faut saisir ces occasions dès maintenant. Nous devons nous organiser et nous concentrer sur le Nord. Nous sommes un pays arctique, mais même si l’Arctique est à nos portes, la plupart d’entre nous n’y sont jamais allés. Nous l’oublions souvent.

La sénatrice Simons : Je viens d’Edmonton et j’ai pris l’avion pour Ottawa hier. Le passager à côté de moi venait de Tuktoyaktuk. Je lui ai demandé comment il s’était rendu à Edmonton, où il a vu les Oilers anéantir une autre équipe. Il était très heureux. Il m’a expliqué qu’à une certaine époque, il y avait beaucoup plus de vols directs à partir d’Inuvik, et même des vols directs vers Edmonton. Cela m’a vraiment fait réfléchir.

Une partie du problème est liée à l’infrastructure, et l’autre partie est liée aux conditions météorologiques changeantes. Mais dans quelle mesure les transporteurs aériens qui peuvent assurer ces liaisons ont-ils réduit leurs vols à la suite de la COVID-19? Je ne sais pas si vous pouvez répondre à cette question. Y a-t-il des choses que le gouvernement devrait faire pour subventionner les transporteurs ou les inciter à mener leurs activités dans le Nord?

M. de Barros : Je crois que vous avez répondu à votre propre question. Les transporteurs aériens sont des entreprises qui cherchent des itinéraires rentables. Si un itinéraire est rentable pour ces entreprises et qu’il apporte une valeur ajoutée à leur réseau commercial, elles l’exploiteront certainement.

Dans le cas contraire, elles ne le feront que si elles profitent d’une incitation financière ou économique. Malheureusement, lorsque nous avons examiné les politiques existantes en matière de transport aérien pour les collectivités éloignées dans le Nord, nous n’avons pas vraiment trouvé de politiques pertinentes pour ces itinéraires.

Si l’on souhaite réellement fournir un service commercial à ces collectivités et que l’on juge que c’est nécessaire, je pense qu’il est important qu’un gouvernement subventionne ces itinéraires. Cela nécessitera des études supplémentaires pour déterminer le type et le niveau de subventions à fournir.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question qui fait suite à celle de la sénatrice Simons. Est-il réaliste de penser que nous construirons de nouveaux ports dans l’Arctique? Je sais que vous êtes chercheuse, mais compte tenu du niveau d’atténuation que nous devons exercer sur les routes, et tout le reste… Pour le moment, je crois comprendre que des barges transportent les marchandises des grands navires à la terre ferme.

Mais sommes-nous sérieusement en train de parler de la construction de nouveaux ports?

Mme Dawson : Nous ne verrons jamais quelque chose comme Vancouver. Il y a une différence entre ce port et l’infrastructure des ports pour petits bateaux. À l’heure actuelle, de nombreux navires jettent l’ancre au large, puis amènent des matériaux et même du carburant en utilisant des tuyaux. La grande majorité des déversements de carburant que nous observons proviennent de ces tuyaux.

Cela nécessitera des investissements. Je ne préconise pas la construction d’un grand nombre de ports, car ce n’est ni réalisable ni nécessaire. Nous avons aussi beaucoup de problèmes liés au réapprovisionnement. Je ne crois pas que ce soit faisable. Nous avons déjà investi dans le port d’Iqaluit, qui est un excellent port, selon moi. Tuktoyaktuk n’est pas l’endroit idéal pour un port, car les eaux sont peu profondes et il faudrait donc aménager une petite infrastructure.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans un article paru dans le High North News que vous avez coécrit, vous faites état de la mise en place de couloirs de navigation à faible impact dans le Nord, c’est-à-dire des réseaux de transport maritime à faible impact qui encouragent les navires à emprunter des itinéraires déterminés. Cela présente moins de risques et minimise les impacts, notamment sur le plan des changements climatiques.

Est-ce que ce genre de corridor existe déjà? Si c’est le cas, y a-t-il des répercussions financières ou des changements d’itinéraire? Évidemment, cela n’aidera pas le déchargement, mais que pouvez-vous nous dire sur ces corridors?

[Traduction]

Mme Dawson : Les couloirs de navigation à faible impact sont une très bonne idée. En fait, d’autres pays suivent notre exemple à cet égard. Nous les avons établis sur le fondement de renseignements scientifiques.

Je crois comprendre que nous ne les avons pas encore beaucoup utilisés. J’espère qu’ils seront utilisés pour la prise de décisions, comme vous l’avez suggéré. Ils serviront, par exemple, à déterminer les endroits où nous devrions investir dans les infrastructures. C’est exactement le type d’initiative que nous devons utiliser pour prendre ces décisions.

Ces couloirs ne sont visés par aucun règlement officiel. Tout est informel, et les intervenants de l’industrie du transport maritime en sont très heureux, car ils doivent prendre des décisions fondées sur la sécurité, les coûts et ces couloirs. Ils vous diront qu’ils éviteront les échoueries ou les aires riches en biodiversité s’ils peuvent le faire en toute sécurité.

Ce qui est difficile, c’est de faire connaître ces couloirs. Ils existent sur des cartes, dans des documents et dans le cadre de séances d’information, mais il est difficile de les faire respecter et je ne pense pas qu’on s’efforce de les faire connaître.

La sénatrice Miville-Dechêne : Que faut-il faire? Faudrait-il prendre des règlements? Ces couloirs sont-ils suffisamment importants pour que l’on prenne des règlements qui les rendront obligatoires?

Mme Dawson : Je ne les rendrais pas obligatoires, car je ne pense pas que ce serait dans notre intérêt. Le défi se trouve plutôt du côté des communications. Pour être honnête, je dirais qu’on n’a pas très bien établi qui est responsable de ces couloirs. Est-ce le Service hydrographique du Canada, Transports Canada ou la Garde côtière canadienne? Qui s’en occupe? Que faisons-nous avec ces couloirs?

Nous craignons de les faire connaître à grande échelle, car si je comprends bien, s’ils deviennent des couloirs officiels, nous serons tenus par la loi d’investir dans l’infrastructure nécessaire à leur fonctionnement. On s’assure donc qu’ils restent informels pour pouvoir les utiliser pour orienter la prise de décisions, mais ils ne deviendront pas officiels comme ceux des Grands Lacs, par exemple. C’est la raison pour laquelle on les appelle des couloirs et non des routes de navigation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Lorsqu’on parle d’investir dans les infrastructures des corridors, de quoi parle-t-on exactement?

Mme Dawson : Par exemple, on peut vouloir créer, le long de ces corridors, des aires de refuge ou des installations où se trouve de l’équipement d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures. Je parle de petits investissements, et non d’investissements majeurs dans l’infrastructure ou même d’investissements dans la recherche scientifique, tout en n’oubliant pas que nous devons exercer une plus grande surveillance et que nous devons surveiller l’utilisation de ces aires.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.

Madame Dawson, j’aimerais revenir sur certains de vos commentaires. Je vois que vous êtes titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les dimensions humaines et politiques du changement climatique. J’aimerais revenir sur vos commentaires concernant la Russie. Je crois que vous avez dit — et corrigez-moi si je me trompe —, lorsque vous parliez du PIB total de toute la région circumpolaire, que le Canada représente 5 % de ce PIB et que la Russie représente 70 % de ce PIB.

J’ai toujours pensé — et j’ai peut-être déjà entendu cela, mais j’aimerais vous poser la question — que c’est en partie à cause du travail forcé en Russie. Des gens sont forcés de vivre dans cette région, n’est-ce pas? Pouvez-vous nous en dire plus, dans une quelconque mesure, sur cette situation?

Mme Dawson : Je peux vous en parler seulement dans une certaine mesure, car je ne suis pas une experte dans ce domaine.

Je ne conteste pas cela. Ces chiffres fluctuent également d’une année à l’autre en fonction de la situation. Il est évident que nos pays fonctionnent de manières très différentes. Dans une certaine mesure, il existe des facteurs déterminants. Ce pays mène des activités d’exploitation minière que nous ne menons pas. Il exige des frais pour l’utilisation du passage du Nord-Ouest, ce que nous ne faisons pas. Oui, je dirais que ces chiffres ne sont pas réellement comparables.

Si l’on s’en tient aux chiffres de l’Arctique circumpolaire, la Russie est de loin l’intervenant économique le plus important selon ces chiffres traditionnels. Je ne dis pas que c’est la meilleure façon de faire, et je ne dis certainement pas que nous devrions faire la même chose.

La sénatrice Dasko : Oui. Je laisse entendre ou je dis que ce pays a une population plus importante dans le Nord, et que c’est le point de départ. Tout commence avec une population beaucoup plus importante.

Mme Dawson : Oui, certainement.

La sénatrice Dasko : Je laisse simplement entendre que j’ai lu quelque part qu’une partie importante de la population est assujettie à ce que j’appellerais du « travail forcé », mais le mot est peut-être un peu trop fort .

Mme Dawson : Je n’en suis pas certaine, mais je n’en douterais pas. Toutefois, je ne peux pas faire de commentaires. Je ne suis pas une experte de la Russie…

La sénatrice Dasko : Oui. J’ai une autre question, et j’aimerais avoir votre avis. Je fais partie du Comité permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants et l’année dernière, nous avons voyagé dans le Nord, c’est-à-dire à Iqaluit, à Inuvik, à Tuktoyaktuk et dans d’autres endroits, et je me demandais ce que vous pensez des questions de souveraineté et de sécurité soulevées par l’ouverture des voies navigables et de la façon dont nous pourrions donner suite à ces enjeux.

Mme Dawson : C’est une question très importante. Vous pourriez mener une étude complète sur ce sujet.

La sénatrice Dasko : Oui, certainement.

Mme Dawson : C’est important, mais nous avons porté moins d’attention à cette question au cours des dernières années, car nous n’avons pas cherché activement des ressources, mais les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils considéraient le passage du Nord-Ouest comme des eaux intérieures. Je parlais l’autre jour avec l’ambassadrice allemande, et son pays a adopté la même position. C’est une position bien connue. Mes collègues du milieu de la science militaire ont laissé entendre que cela ne déboucherait pas sur quelque chose d’important, mais des choses inattendues se produisent.

Je considère qu’il s’agit d’un défi, surtout pour les gens qui habitent dans cette région, car il est plus difficile de réglementer les navires dans une zone considérée comme des eaux internationales que dans une zone de mers intérieures. Je crois comprendre que la plupart de ces navires respectent les règlements établis par le Canada et qu’ils présentent des demandes de permis même s’ils disent ouvertement qu’ils ne sont pas d’accord. Ils continuent de respecter tous nos règlements et toutes les demandes que nous avons formulées, donc pour le moment, tout va bien.

Toutefois, je ne vois pas la situation d’un bon œil, car je suis convaincue que le trafic maritime va s’intensifier.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Madame Dawson, je crois savoir que vous avez une opinion sur les dirigeables, et j’aimerais que vous nous parliez de leur viabilité, telle que vous la concevez.

Mme Dawson : Oui. C’est seulement mon opinion. Je suis sûre que vous avez entendu parler de Barry Prentice, le grand promoteur de cette idée depuis 20 ou 30 ans. Cette idée circule depuis très longtemps, c’est vrai. Je me suis entretenue avec des représentants du secteur privé. Ils m’ont dit que ces dirigeables sont plus fiables aujourd’hui que jamais auparavant. Mes questions portaient toutes sur le fait qu’il fallait avoir une énorme charge utile pour en valoir la peine, car le coût du carbone de ces dirigeables est considérable comparativement à celui du transport maritime. Personnellement, je pense que cette idée n’est pas encore au point et que le transport maritime reste probablement la meilleure option pour le moment.

Je ne considère pas les dirigeables comme des options viables, même s’il y a certainement des gens qui affirment le contraire.

Le sénateur Cardozo : Ces engins pourraient-ils transporter efficacement des passagers et des marchandises?

Mme Dawson : D’après ce que je comprends, ils serviraient à transporter des marchandises. Nous connaissons l’histoire des dirigeables.

Le sénateur Cardozo : Oui, en effet.

Mme Dawson : Il s’agit surtout d’essayer de résoudre certains problèmes liés à l’insécurité alimentaire dans le Nord. Nous savons tous que les prix des aliments sont très élevés. Mais nous parlons d’investissements majeurs dans les dirigeables à un moment où la glace de mer fond rapidement et un plus grand nombre de navires peuvent s’aventurer dans cette région plus fréquemment. Nous avons besoin de subventions pour faire baisser le coût de la nourriture, mais nous devons aussi nous assurer que ces subventions ont des retombées positives sur les collectivités et qu’elles ne profitent pas uniquement aux exploitants de navires et de dirigeables. J’ai l’impression qu’on ne ferait qu’échanger un problème contre un autre. Je ne suis pas une grande partisane des dirigeables, mais beaucoup de gens le sont.

Le sénateur Cardozo : Pouvez-vous nous en dire plus sur les couloirs de navigation à faible impact et nous expliquer comment ils fonctionnent? Est-ce que cela vise aussi les navires qui ne sont pas aussi profonds que d’autres ou qui ressemblent davantage à des barges?

Mme Dawson : Oui. Il existe des couloirs de navigation primaires, secondaires et tertiaires.

Leur utilisation est essentiellement volontaire. Ce sont des lignes qui ont été tracées sur une carte pour indiquer des parcours de navigation sûrs en fonction des routes historiques et de l’importance écologique culturelle de la région. Ce ne sont que des lignes directrices qui indiquent où les navires devraient et pourraient naviguer. Je ne crois pas que tous les couloirs ont été consignés sur des cartes selon les normes modernes.

C’est également une façon d’accorder la priorité aux ressources de notre Service hydrographique du Canada, le SHC, afin de que des cartes numériques de ces zones particulières soient créées. Il y aura des routes pour le ravitaillement. Je suis inquiétée par les bateaux de tourisme, car ils s’écartent volontairement des routes pour éviter d’autres bateaux et se rendent dans des zones où il y a de la glace et des animaux. Voilà les bateaux qui m’inquiètent le plus.

Le sénateur Cardozo : Pourquoi ces bateaux vous inquiètent-ils?

Mme Dawson : Parce qu’ils évitent les zones sûres connues pour s’aventurer dans d’autres eaux. Les embarcations de plaisance ou les yachts constituent le secteur maritime qui croit le plus dans l’Arctique. Ils n’ont pas besoin de beaucoup d’infrastructures. Ils peuvent naviguer où ils veulent. Ce sont les bateaux qui feront le plus appel aux infrastructures et ressources de recherche et sauvetage.

Le sénateur Cardozo : Êtes-vous préoccupée par leur incidence sur l’environnement?

Mme Dawson : Dans une certaine mesure, oui. Mais pas tant que ça, puisque ce sont de petits bateaux. Je suis davantage préoccupée par leurs répercussions culturelles.

Le sénateur Cardozo : Monsieur de Barros, avez-vous des commentaires sur les sujets dont je viens de discuter avec Mme Dawson?

M. de Barros : Moi non plus, je ne connais pas bien les dirigeables. D’après ce que je vois, il pourrait y avoir un marché pour eux. Je ne pense pas qu’ils vont remplacer le transport aérien. À titre d’exemple, les dirigeables ne remplaceront pas les avions pour transporter les passagers, surtout à cause de leur vitesse, mais aussi à cause des questions de sécurité, comme vient de le dire Mme Dawson.

Il pourrait y avoir un marché pour le fret vers des endroits éloignés et d’un accès difficile par voie aérienne et maritime. C’est certainement une possibilité.

Je ne suis point expert sur la question. Il me semble que dans les collectivités éloignées qui n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour un aéroport, et où il serait très difficile et coûteux d’en construire, les dirigeables seraient certainement un mode de transport possible pour les marchandises, mais pas les passagers.

Le sénateur Cardozo : Avez-vous quelque chose à ajouter sur les couloirs à faible impact?

M. de Barros : Ce n’est pas mon domaine d’expertise.

Le sénateur Cardozo : D’accord. Merci beaucoup.

Le sénateur Richards : Je remercie les témoins d’être des nôtres. La sénatrice Dasko a déjà posé ma question, mais je vais aborder le sujet un peu différemment. Je ne m’attends pas à une réponse différente, mais j’aimerais néanmoins poser la question.

Il se peut que nous ayons pris trop de temps pour nous doter des infrastructures nécessaires, parce que nous n’avons pas suffisamment affirmé notre souveraineté. Nous avons la Russie comme voisin, comme vous l’avez dit, et il y a la Chine, qui est en train de cartographier le couloir. Ensuite, il y a les États-Unis qui ne font tout simplement que nier notre concept de la souveraineté, tout comme d’autres pays nordiques. Nous aurions peut-être dû construire les infrastructures dans le passé. Nous n’arrivons même pas à ravitailler nos avions. Nous avons recours à des entreprises d’Alaska pour le faire.

N’aurions-nous pas dû déclarer notre souveraineté avec insistance il y a 20 ans, compte tenu des nouveaux couloirs de navigation et du besoin de nouvelles infrastructures?

Mme Dawson : Je pense que oui. C’est ce que j’aurais fait, et c’est ce que j’avais dit il y a 20 ans. Puisque nous ne l’avons pas fait, j’essaie de présenter les choses de façon positive dans la mesure où nous en avons beaucoup appris au cours des 20 dernières années. Nous savons désormais comment investir dans une infrastructure plus durable et plus résistante au climat, ce qui fait qu’à bien des égards, tout est possible. De plus, nous avons réglé les revendications territoriales, ce que bon nombre d’autres pays arctiques n’ont pas fait. C’est une force. D’une certaine façon, nous pouvons avancer avec plus de résilience qu’il n’en aurait été possible il y a 20 ans, mais j’essaie de voir les choses de façon positive.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour chacun d’entre vous. Madame Dawson, j’aimerais parler des dangers associés aux déversements. Vous avez évoqué les dangers des déversements mineurs lors du ravitaillement, mais si nous allons transporter de grands volumes de carburant le long du couloir, il faut savoir que nous n’avons pas la capacité maritime nécessaire pour nettoyer les déversements. Nous avons parlé du besoin de construire des infrastructures portuaires, mais que pouvons-nous faire à part cela pour protéger un environnement important, un des derniers environnements vierges. « Vierge » n’est peut-être pas le mot juste, mais vous me comprenez.

Mme Dawson : Je vous comprends. C’est LA question à laquelle nous devons répondre. Il est extrêmement difficile de nettoyer le carburant et les déversements sur la glace. En ce moment, nous ne transportons pas de grandes quantités de pétrole brut ou autres produits par le passage du Nord-Ouest, et je suis d’avis que nous ne devrions probablement pas le faire, mais c’est sûr que des marchandises seront transportées et qu’il faudra prévoir l’infrastructure nécessaire. Bien évidemment, le Canada peut réglementer l’exploitation minière en haute mer et d’autres activités, mais il reste que si d’autres pays n’encadrent pas ces activités, il y aura une incidence sur l’Arctique canadien à cause de la dynamique de la glace et de l’océan. Les politiques américaines ont des conséquences. Cela veut dire que nous devons renforcer nos capacités dans cette zone. La plupart des navires sont équipés de barrages flottants et d’autres équipements de nettoyage, mais s’il arrive un déversement d’envergure, nous aurons un gros problème.

Nous avons aussi de l’équipement pour les déversements de pétrole dans diverses collectivités inuites, mais lorsque je m’y rends, je me rends compte que la plupart des gens ne savent pas comment utiliser l’équipement ou encore non pas la clé pour le conteneur maritime, où est rangé l’équipement. C’est inquiétant. Nous devons éliminer l’utilisation du diésel dans les collectivités. Je reviens à cette possibilité que nous avons d’investir dans une infrastructure d’énergie verte pour les régions éloignées. Nous devons le faire. Nous pouvons être un chef de file mondial. Si nous l’avions fait il y a 20 ans, nous donnerions exemple à tout le monde. Le diésel n’est pas viable sur le plan de l’environnement ou de la santé. Les gens attrapent des maladies pulmonaires à cause de la pollution.

Nous devons déplacer nos capteurs de carbone. Nous surveillons le carbone noir des navires. Or, nous ne pouvons pas le faire depuis les collectivités. La contamination dans l’air est telle que notre équipement ne fonctionne pas correctement. Nous devons garder nos machines loin du littoral afin de pouvoir faire nos analyses.

La sénatrice Simons : Eh bien.

Monsieur de Barros, nous avons entendu la semaine dernière Aaron Speer, vice-président des Opérations aériennes de Canadian North. Il a parlé du transport aérien et a indiqué que les avions de sa société ont été cloués au sol 175 fois par mois à cause des conditions météorologiques. Or, vos analyses indiquent que ce n’est pas attribuable au niveau des nuages. Que devons-nous penser du fait que les vols sont annulés 175 fois par mois à cause des conditions météorologiques? Pensez-vous que le problème ne fera que s’aggraver au fur et à mesure que le climat devient plus volatile?

M. de Barros : Merci de la question. Effectivement, nos conclusions reposent sur deux conditions. Tout d’abord, nous ne disons pas qu’il n’y a pas de changement climatique. Ce n’est pas cela notre conclusion. Nous avons simplement examiné l’incidence du changement climatique sur un certain aspect des opérations aériennes, et nous n’avons pas trouvé de preuve attestant d’une incidence.

Le changement climatique peut avoir une incidence sur les opérations aériennes de bien d’autres façons. Il y a de nombreux autres facteurs météorologiques que nous devons examiner dans le cadre des opérations aériennes. Il faut regarder la portée visuelle et l’état de la surface des pistes, notamment la présence de glace l’hiver, les précipitations, à savoir la neige et la pluie, la visibilité, qu’on a déjà mentionnée, ainsi que les vents traversiers, qui sont un facteur énorme pour les opérations aériennes. Dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas étudié ces facteurs à cause des ressources limitées dont nous disposions.

Nous avons étudié le plafond nuageux, parce que c’est probablement le facteur le plus important lorsqu’on doit décider si un avion pourra atterrir ou décoller à l’aéroport. En ce qui concerne le plafond nuageux, nous n’avons pas observé d’incidence sur le nombre d’heures d’ouverture d’un aéroport sur une base annuelle.

Cette donne pourrait changer, bien sûr. Le climat et les conditions météorologiques peuvent changer d’une année à l’autre. Nous avons examiné une période de 17 ans à partir de 2005 pour laquelle nous avions des données. Sur les 17 ans, en observant les variations des conditions météorologiques, nous n’avons pas observé de tendances. Nous n’avons pas conclu que les conditions s’étaient aggravées en moyenne ni qu’elles s’étaient améliorées.

Encore une fois, cela ne veut pas dire que les conditions météorologiques ne changent pas. Si l’on regarde les dernières quelques années, il pourrait y avoir eu un plus grand impact que pendant la période de 17 ans étudiée. Si cela est vrai, il va falloir vérifier quel sera l’impact des conditions météorologiques au fur et à mesure que le climat change au cours des prochaines années. Il pourrait y avoir une incidence énorme. Nous devons faire des recherches là-dessus.

Lorsque nous avons choisi le plafond nuageux comme paramètre pour notre étude, nous espérions pouvoir observer une incidence qui nous pousserait à faire une étude plus approfondie. J’étais intrigué lorsque nous n’avons pas observé d’incidence, surtout parce que nous savions que les conditions météorologiques ont tendance à être interreliées. Le plafond nuageux a tendance à être plus bas lorsqu’il y a des précipitations, lorsque la visibilité est faible, et lorsque la surface des pistes est couverte d’eau l’été ou de glace l’hiver. C’est un constat important, et il nous pousse à approfondir nos recherches.

Le président : Chers collègues, merci. Si vous n’avez plus de questions, je vais remercier Mme Dawson et M. de Barros d’avoir été des nôtres ce matin.

(La séance est levée.)

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