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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec, et je suis président de ce comité.

[Traduction]

J’invite mes collègues à se présenter brièvement.

La sénatrice Simons : Je m’appelle Paula Simons et je suis une sénatrice de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Klyne : Bonsoir et bienvenue. Je suis Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Deschêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Ce soir, nous poursuivons notre étude des incidences des changements climatiques sur les infrastructures essentielles du secteur des transports et notre étude des problèmes auxquels se heurte le Nord du Canada.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence, des représentants du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, soit M. Julian Kanigan, sous-ministre adjoint, Gestion de l’environnement, surveillance et changements climatiques, ministère de l’Environnement et des Changements climatiques ainsi que M. Gary Brennan, sous-ministre adjoint, Opérations régionales, ministère de l’Infrastructure, qui est accompagné de M. Ziaur Rahman, gestionnaire, Conception et construction des surfaces, ministère de l’Infrastructure.

Soyez les bienvenus. Merci de vous être joints à nous. Nous commencerons par entendre vos déclarations préliminaires de cinq minutes, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Gary Brennan, sous-ministre adjoint, Opérations régionales, ministère de l’Infrastructure, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : Je remercie le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de m’avoir invité à comparaître devant lui pour discuter des routes d’hiver dans le Nord dans le contexte des changements climatiques.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est responsable de l’exploitation et de l’entretien de 3 900 kilomètres d’autoroutes toutes saisons, de routes d’hiver et de routes d’accès ainsi que des quatre traversiers qui font partie de notre réseau routier.

Pendant la majeure partie de l’année, 13 de nos 33 collectivités sont accessibles uniquement par voie maritime ou aérienne. Cependant, à l’approche de l’hiver, neuf de ces localités deviennent accessibles par des routes d’hiver. Notre gouvernement construit et entretient chaque année près de 1 400 kilomètres de routes d’hiver dans des régions où il n’y a pas de routes toutes saisons. Autrement dit, les routes d’hiver, les routes de glace et les passages de glace ainsi que les routes qui sont entièrement construites sur des plans d’eau ou sur des plans d’eau et des terres composent les 35 % du réseau routier des T.N.-O.

Selon l’endroit où elles se trouvent, les routes d’hiver sont ouvertes de la fin novembre au début janvier. À la mi-avril, elles ferment pour la saison. Il faut presque un mois pour construire une route d’hiver, mais les échéanciers dépendent en grande partie des conditions météorologiques et de l’état des glaces.

Notre brève saison hivernale est cruciale, car ces routes saisonnières sont nos principaux modes de livraison des biens essentiels dans les collectivités éloignées, notamment le diésel et l’essence pour produire l’électricité, le chauffage et le transport, mais aussi des biens secs et des matériaux de construction. Sans nos routes d’hiver, ces approvisionnements seraient transportés par avion à des coûts beaucoup plus élevés.

Les routes d’hiver relient également nos collectivités, améliorent les liens sociaux et permettent à nos résidants d’accéder plus facilement à de plus grands centres régionaux pour faire du magasinage ou pour se rendre à des rendez-vous médicaux et à de nombreuses autres installations qui ne sont pas disponibles là où ils habitent.

Enfin, les routes saisonnières sont des voies de transport vitales pour les secteurs industriels, notamment pour l’industrie minière. Le secteur minier contribue de façon importante à l’économie des Territoires du Nord-Ouest, et les routes d’hiver sont cruciales pour ses activités.

Cependant, le réchauffement rapide du climat dans le Nord réduit la période d’ouverture des routes saisonnières et complique l’exploitation et l’entretien de cette infrastructure essentielle.

Au cours de ces dernières années, nous nous sommes heurtés à de grandes difficultés, comme la variabilité des niveaux d’eau, les charges de neige plus lourdes, la qualité de la glace, les températures plus chaudes et l’augmentation du ruissellement et du débordement de l’eau dans certains tronçons de ces routes. Les fluctuations importantes de la température causent plus de fissures sur les plans d’eau gelés et exigent plus d’entretien et de surveillance qu’auparavant.

Il faut beaucoup plus d’efforts pour construire et entretenir les routes d’hiver selon nos normes habituelles et pour les maintenir ouvertes pendant les périodes auxquelles nos résidants et nos entreprises sont habitués. En utilisant des pulvérisateurs de glace plus légers, nous avons accru les activités d’inondation pour épaissir la glace. Nous avons aussi dû accroître les activités d’entretien à cause des événements météorologiques extrêmes et des températures très élevées.

Nous continuons de relever ces défis parce que nous savons à quel point les routes d’hiver sont importantes pour transporter les gens, les marchandises et les matériaux de nos collectivités éloignées. Nous trouvons des solutions novatrices. Par exemple, nous appliquons les méthodes d’ingénierie des glaces pour transporter des charges plus lourdes sur nos routes d’hiver et nous utilisons de l’équipement plus léger pour commencer le plus tôt possible à construire ces routes en toute sécurité. Nous utilisons des technologies de profilage de la glace, comme le radar pénétrant, pour déterminer la qualité et l’épaisseur de la glace. Nous modifions au besoin l’itinéraire des routes d’hiver pour éviter les zones problématiques. Nous participons à des études sur les charges de glace afin de mieux connaître notre milieu opérationnel et de trouver des solutions novatrices aux défis de la construction de nos routes d’hiver.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest investit également dans ses infrastructures de transport afin de les rendre plus résilientes aux changements climatiques qui endommagent les routes d’hiver. La construction de routes toutes saisons en est un exemple. La route entre Inuvik et Tuktoyaktuk et la route des Tłı̨chǫ, qui ont été ouvertes en 2017 et en 2021 respectivement, sont des exemples récents de projets routiers qui relient désormais les collectivités tout au long de l’année.

Notre gouvernement a également construit de nombreux ponts le long de la route d’hiver de la vallée du Mackenzie afin de la rendre plus résiliente face au réchauffement climatique. Il poursuit ses travaux de construction d’une route toutes saisons en amont de la vallée. Les travaux se concentrent actuellement sur le tronçon qui relie Wrigley à Norman Wells.

Vous savez probablement que les Territoires du Nord-Ouest ont fait face à une saison de feux de forêt extrêmes en 2023. Vous vous demandez peut-être si ces incendies auront une incidence sur la saison des routes d’hiver. Il est difficile de le prévoir, mais nous évaluerons ces répercussions à la fin de la saison. Nos équipes s’inquiètent de l’augmentation du ruissellement dû à la destruction de la végétation par ces incendies. Elles s’inquiètent aussi de la quantité de suie et de cendres qui se sont accumulées dans nos lacs, dans nos rivières et dans nos ruisseaux. Cela pourrait avoir une incidence sur les processus de gel et de dégel.

Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie de m’avoir offert cette occasion de m’adresser au comité. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Brennan.

Julian Kanigan, sous-ministre adjoint, Gestion de l’environnement, surveillance et changements climatiques, ministère de l’Environnement et des Changements climatiques, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : Je remercie le comité de m’avoir invité. J’ai l’intention d’apporter un contexte environnemental à la conversation en me concentrant sur les conditions environnementales du bassin du fleuve Mackenzie. Comme vous le savez, c’est le réseau fluvial le plus long au Canada. Il est vital pour les Canadiens du Nord, notamment dans les Territoires du Nord-Ouest, ainsi que pour les écosystèmes du Nord.

Pour vous donner une idée de son ampleur, la superficie des terres dont les eaux ruissellent dans le fleuve Mackenzie est immense. S’étendant sur près de deux millions de kilomètres carrés, elle occupe un cinquième de la masse terrestre du Canada. Elle englobe des régions de nombreuses provinces et de nombreux territoires, dont le Nord de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Yukon ainsi qu’une grande partie des Territoires du Nord-Ouest. Vous savez probablement que le fleuve Mackenzie est un important corridor de transport maritime qui dessert les collectivités éloignées situées sur ses rives et les localités côtières de l’Ouest. Le fleuve Mackenzie prend naissance à la sortie du Grand lac des Esclaves.

Pour vous donner une idée, le volume d’eau du fleuve Mackenzie est égal en tout temps au total net de l’accumulation des pluies, des neiges, de l’évaporation et de l’emmagasinement d’eau qui tombent sur cette immense superficie. Les niveaux d’eau du fleuve Mackenzie atteignent des extrêmes lorsque la plus grande partie du bassin subit des conditions climatiques semblables pendant une même période, comme c’est le cas cette année. Je vais m’étendre un peu plus là-dessus.

L’été dernier, en 2023, les niveaux d’eau ont été extrêmement bas dans une grande partie des Territoires du Nord-Ouest, notamment dans le Grand lac des Esclaves et dans le fleuve Mackenzie. Ces niveaux étaient dus à l’absence de précipitations et à l’air exceptionnellement chaud qui régnait sur la majeure partie du bassin, notamment dans le Nord de la Colombie-Britannique, en Alberta et dans le Sud des T.N.-O. Ce temps chaud et sec avait apparu l’année d’avant, à peu près en juillet 2022, et il s’est maintenu pendant tout l’été de 2023. Ces mêmes conditions ont causé le nombre exceptionnel de feux de forêt que nous venons de mentionner.

Dans un contexte plus large, ces cinq dernières années ont affiché les plus grandes fluctuations des niveaux d’eau du Grand lac des Esclaves et du fleuve Mackenzie. Les résidents savent que les niveaux d’eau du Grand lac des Esclaves et du fleuve Mackenzie à Norman Wells, par exemple, étaient très bas au début de l’été de 2019 et qu’ils sont montés plus que jamais en 2020 et en 2021 — ce qui crée d’autres problèmes particuliers — et maintenant, en 2023, nous voyons les niveaux les plus bas jamais enregistrés. Pour mettre la situation en perspective, des fluctuations d’une telle ampleur n’ont jamais été constatées auparavant, ni dans le Grand lac des Esclaves, où on les enregistre depuis 88 ans, ni dans le fleuve Mackenzie, où on les enregistre depuis 78 ans à Norman Wells. Dans le Nord, il est difficile d’obtenir des données qui vont loin dans le passé. Celles que nous avons ici portent sur une assez longue période, mais on n’avait jamais enregistré des fluctuations aussi extrêmes. L’observation de deux conditions extrêmes, mais opposées, dans une région géographique aussi vaste en l’espace de trois ans, rend la prévision et la préparation des futures tendances très incertaine.

Vous vous interrogez peut-être sur les futures tendances à long terme. Le volume total d’eau du fleuve Mackenzie mesuré à Norman Wells pendant la saison des eaux libres n’affiche pas de tendance statistiquement significative depuis qu’on a commencé à l’enregistrer en 1943. Au cours de la période de référence, nous constatons de longues périodes de niveaux élevés et de niveaux bas, mais il n’y a pas de précédent historique pour les événements extrêmes enregistrés en 2020-2021 et en 2023.

Il est difficile de cerner la cause précise de ces conditions extrêmes. Nous savons que les conditions météorologiques sont causées par des systèmes météorologiques à grande échelle qui réunissent une combinaison de configurations météorologiques mondiales, comme les événements de La Niña et d’El Niño, mais nous ne pouvons pas écarter la probabilité selon laquelle les changements climatiques jouent aussi un rôle à cet égard.

En conclusion, dans le cas du transport, notamment du transport maritime, dans les Territoires du Nord-Ouest, l’adaptation aux changements climatiques va nécessiter la prévision d’un très vaste éventail de conditions. Nous ne pouvons pas nécessairement supposer que cette fourchette se définit par ce que nous connaissons actuellement, soit les niveaux d’eau élevés ou faibles enregistrés dans le passé. Autrement dit, ces conditions seront difficiles à prévoir et il sera coûteux de s’y adapter.

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Kanigan.

M. Kanigan, M. Brennan et M. Rahman sont prêts à répondre à vos questions, chers collègues.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos témoins.

J’ai une question très vaste, mais elle pourrait être partagée entre différents secteurs fonctionnels. Quiconque se sent libre d’y répondre pourra s’y lancer.

Premièrement, de 2011 à 2021, l’Initiative d’adaptation des transports dans le Nord, ou IATN, menée par Transports Canada, a aidé les organismes du Nord à préparer leurs infrastructures de transports construites sur le pergélisol aux défis qu’allaient leur lancer les changements climatiques. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a-t-il trouvé ce programme efficace?

M. Brennan : Oui, le gouvernement des T.N.-O. a participé à cette initiative. Essentiellement, elle consistait à créer un réseau d’experts des climats froids, si je peux les appeler ainsi. Il s’agissait de chercheurs, d’universitaires et de fonctionnaires comme moi. Sa mise en œuvre s’étendait dans nos trois territoires, dans le Nord du Québec et en Alaska. À mon avis, elle s’est avérée très utile. Elle nous a permis d’échanger des connaissances avec d’autres régions qui avaient subi des événements climatiques semblables. Les études de recherche étaient confiées à différents groupes de gouvernements. Nous nous sommes joints au gouvernement du Yukon pour planifier une route qui traverserait nos deux territoires. Cette initiative a été vraiment utile. Nous n’en avons pas retiré beaucoup de financement, car sa valeur résidait plutôt dans le réseautage même. Merci.

Le sénateur Klyne : Alors pouvez-vous nous dire quelles modifications le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a apportées aux pratiques de construction pour renforcer les routes et les pistes d’aéroport face à la dégradation du pergélisol et pour rendre les nouvelles infrastructures plus résilientes aux impacts des changements climatiques?

M. Brennan : Je vais commencer à répondre, puis je céderai la parole à mon collègue, M. Rahman.

Grâce à l’Initiative d’adaptation des transports dans le Nord, ou IATN, nous avons installé de l’équipement de surveillance dans plusieurs tronçons routiers. Par exemple, sur la route nouvellement construite sur le pergélisol en hiver entre Inuvik et Tuktoyaktuk, nous avons installé plus de 200 thermistances et nous surveillons leurs données pour vérifier si tout fonctionne bien. Nous avons sélectionné des tronçons de contrôle sur cette partie de l’autoroute pour vérifier le fonctionnement des différentes techniques novatrices au fil du temps. Ce sont des vérifications à long terme. À court terme, cependant, les données que nous recueillons dans ces tronçons de contrôle commencent à signaler certains impacts des changements climatiques.

De plus, sur l’autoroute qui mène à Yellowknife, nous avons établi un tronçon de contrôle en 2010 ou en 2011 grâce au financement de l’IATN. Nous avons ainsi déterminé que, bien que ces tests soient très utiles, il ne serait pas économique de les effectuer sur toute la longueur d’une route.

Je vais céder la parole à M. Rahman, qui participe également à certains de ces tests. Merci.

Ziaur Rahman, gestionnaire, Conception et construction des surfaces, ministère de l’Infrastructure, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : Je vous remercie de me donner l’occasion d’apporter d’autres précisions.

Nous avons relié cette initiative à de nombreux programmes de ressources. Un grand nombre de données que nous avons recueillies ont servi à des projets de construction routière visant à atténuer les impacts des changements climatiques et à rendre les routes plus résilientes. Je vais vous donner quelques exemples.

M. Brennan a mentionné que nous utilisons beaucoup de thermistances et de câbles afin de recueillir des données sur la température du sol. Comme vous le savez, après la construction d’une route, notamment sur le pergélisol, nous devons effectuer des suivis.

Premièrement, à cause des changements climatiques et en fonction de la température, il est important de mesurer la couche gelée et la couche dégelée. Ces données sont cruciales. Nous menons pour cela des études géotechniques et nous relevons les données des thermistances et des câbles.

Ces mesures de la couche active sont cruciales pour la conception de la route, notamment pour déterminer l’épaisseur du remblai à étendre pour protéger le pergélisol. Les thermistances nous fournissent ces données. Je peux vous dire que l’épaisseur du remblai sert essentiellement à protéger le pergélisol, car ce matériau a une faible conductivité thermique. Sa résistance thermique ralentit la circulation de la chaleur dans les fondations du remblai. Ces données sont donc cruciales pour la conception des routes.

De plus, les résultats de ces tests nous aident à déterminer l’état du sous-sol. Nous pouvons alors effectuer la conception de la route, surtout si nous la construisons sur une fondrière. Nous utilisons le géotextile pour minimiser le tassement et nous concevons des systèmes pour accroître la résilience de la route.

Le sénateur Klyne : Merci, messieurs.

Monsieur Brennan, vous avez mentionné une chose qui m’a fait réfléchir. Vous avez mentionné une certaine collaboration avec d’autres régions. Vous avez trouvé cette collaboration bénéfique. Quelqu’un a-t-il tenu des dossiers à ce sujet, tiré des leçons pour les appliquer à d’autres territoires ou pour les examiner plus tard?

M. Brennan : Je ne suis pas tout à fait certain des dossiers qui ont été tenus sur la collaboration. Normalement, dans le cadre de cette initiative, on tient des réunions annuelles pendant lesquelles les chercheurs présentent les résultats de ces programmes intergouvernementaux et des projets de recherche qu’ils mènent. C’est ainsi que nous avons présenté nos résultats à d’autres gouvernements. Je sais que le groupe de l’IATN travaillait à l’établissement d’une base de données de toutes les études qui ont été réalisées. Je ne sais pas où cela a abouti et si une base de données a été créée et envoyée à toutes les régions.

Le sénateur Klyne : Nous pourrions peut-être trouver le dépôt, car il contient probablement de bons renseignements. Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma première question s’adresse à M. Julian Kanigan.

[Français]

Je vous ai trouvé un petit peu vague dans le rapport que vous faites entre le changement climatique et ce qui se passe dans les Territoires du Nord-Ouest. Vous semblez dire que plusieurs facteurs y avaient contribué. Comme il y a eu une baisse et une montée des eaux très rapides, c’est très difficile à prédire, je comprends. Je me demande si vous pouvez faire un lien plus direct entre les changements climatiques et ce qui se passe dans les Territoires du Nord-Ouest.

Nous avons reçu ici — et c’est peut-être que c’est dirigé à un autre invité — le maire Pope, de Norman Wells, qui est venu nous dire que la solution à tout cela est une belle route de gravier de 300 kilomètres qui monte jusqu’à Norman Wells. Vous qui n’êtes pas dans les municipalités, mais qui avez une vue générale des Territoires du Nord-Ouest, est-ce une bonne idée? Y pense-t-on? Y a-t-il des plans?

[Traduction]

M. Kanigan : Pardonnez-moi, je viens de recevoir l’interprétation à la fin de votre question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais répéter la première partie de ma question. J’ai trouvé — ou peut-être vous ai-je mal compris — que votre présentation du lien entre les changements climatiques et ce qui se passe dans les Territoires du Nord-Ouest était un peu vague. Vous parliez du niveau de l’eau et de ce à quoi il faut s’attendre. C’est la première partie de ma question.

Deuxièmement, le maire Pope, de Norman Wells, a dit que la solution à ce qui se passe autour du fleuve Mackenzie consisterait à construire une route de 300 kilomètres jusqu’à Norman Wells.

J’aimerais savoir ce que vous répondriez à ces deux questions. Monsieur Kanigan, vous pourriez peut-être commencer par le climat et l’eau.

M. Kanigan : Si je comprends bien votre question, vous parlez du fait que l’on ne sait pas si les changements climatiques ont, ou non, un effet sur le bassin. Je dois souligner que je ne suis pas hydrologue, mais les gens qui m’ont informé et qui travaillent avec moi sont des hydrologues. Bien sûr, comme vous le savez, les scientifiques font toujours très attention de ne pas tirer une conclusion sans posséder des données qui prouvent leur hypothèse. Je peux vous dire que, pendant de nombreuses années, mon équipe m’a appris à ne pas affirmer que les changements climatiques causent certains des changements que nous observons dans les Territoires du Nord-Ouest.

Cependant, les changements à grande échelle que nous constatons dans le bassin depuis quelques années indiquent que la situation a changé. Dans certains des secteurs que j’ai mentionnés, comme les téléconnexions mondiales La Niña et El Niño, nous savons que ces tendances semblent changer et qu’elles ont des impacts réels sur de grandes régions du Canada, comme le bassin du Mackenzie. Je ne peux pas vous en dire plus sur le lien aux changements climatiques sans faire froncer les sourcils des scientifiques qui travaillent avec moi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Qui peut parler des routes? L’un de vous a-t-il de l’information sur l’éventuelle route de gravier menant à Norman Wells?

M. Brennan : Je peux essayer de répondre à une question, si elle concerne les routes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Va-t-on construire cette route? Qu’en pensez-vous? S’agit-il d’un projet réalisable ou juste d’un beau rêve? J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Tous les témoins, notamment le maire, semblaient penser que c’est une excellente idée, surtout s’il arrivait qu’il n’y ait plus d’eau dans le Mackenzie.

M. Brennan : Je vais essayer de répondre. Le projet de la route de la vallée du Mackenzie se trouve dans les livres du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest depuis des années, voire des décennies. Notre dernière assemblée législative avait pour priorité de faire progresser la construction de la route de la vallée du Mackenzie jusqu’à Norman Wells. C’est encore une priorité du gouvernement. Nous voulons faire avancer ce projet. Tout récemment, nous avons rouvert le processus réglementaire en soumettant un rapport d’évaluation du promoteur. Cela s’est terminé en octobre 2023. Nous en sommes maintenant au processus de réglementation, qui, selon nos estimations, s’étendra sur environ deux ans. Ensuite, nous nous tournerons vers le Canada pour financer la construction de cette route jusqu’à Norman Wells. Il s’agit d’une route de 321 kilomètres entre Wrigley et Norman Wells. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, en partie. Mais en êtes-vous certain? Comment vont les discussions avec le gouvernement canadien? Vous accomplissez une partie du travail, mais qu’est-ce qui vous fait croire que vous pourrez réaliser ce projet?

M. Brennan : Je vous répondrai que nous avons réussi jusqu’à présent à obtenir l’argent nécessaire pour le faire passer à l’étape du processus réglementaire, ce qui indique que le Canada appuie ce projet. Je ne peux pas prédire l’avenir et ce que le gouvernement du Canada fera, mais nous allons poursuivre ce projet tant que notre gouvernement le placera en priorité. Je ne peux pas parler au nom de notre assemblée législative, mais nous allons continuer d’exercer des pressions et nous espérons que le Canada fournira un peu d’argent pour le financer.

À mon avis, c’est un excellent projet. Il permettrait aux habitants de la région de sortir plus souvent. Il rendra l’approvisionnement plus certain et devrait réduire le coût de la vie des habitants de la région du Sahtu. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le président : Merci.

Je tiens à informer les téléspectateurs que le sénateur Cardozo, de l’Ontario, s’est joint au comité ce soir.

La sénatrice Simons : Ma première question porte sur le fleuve Mackenzie. M. Brennan a parlé du fait que son ministère examine les répercussions que pourraient avoir, sur les routes d’hiver, les cendres des feux de forêt de l’an dernier et l’érosion causée par la perte d’arbres. Mais j’aimerais savoir quelles pourraient être, selon nous, les répercussions de ces incendies sur le débit de l’eau du Grand lac des Esclaves vers le Mackenzie. Craignez-vous que ces feux de forêt si dévastateurs aient un impact sur ce débit?

M. Kanigan : Merci pour cette question.

Les habitants des Territoires du Nord-Ouest commencent à comprendre que le débit intrant du Grand lac des Esclaves et du fleuve Mackenzie dépend beaucoup des conditions météorologiques que subissent des provinces très éloignées. Il arrive que le niveau des lacs locaux soit élevé, alors que celui du Grand lac des Esclaves est faible. Le fait est que le débit intrant du lac provient de la rivière des Esclaves, de la rivière de la Paix et de la rivière Athabasca, dont les sources se trouvent en Colombie-Britannique et en Alberta.

La sénatrice Simons : Nous nous en excusons.

M. Kanigan : Nous comprenons. C’est une réalité de la vie.

La sénatrice Simons : Mais ma question est la suivante : s’inquiète-t-on de l’accumulation, dans le fleuve, des arbres morts et des cendres ou d’une plus grande érosion parce qu’il y a moins d’arbres sur les berges pour retenir les matières organiques? Êtes-vous préoccupé par l’impact des dommages causés par ces feux sur le débit du fleuve?

M. Kanigan : Oui, c’est un fait très réel. Ces feux ont eu un impact terrible lorsqu’on constate cette année la profondeur de la brûlure dans certaines régions qui ont vécu une grande sécheresse. Ces feux ont brûlé la couche active en profondeur. Il n’y a presque plus de racines, la couche organique est bien moins épaisse, alors il y a certainement moins de stockage dans le système. Cela entraînera davantage de ruissellement et de sédimentation ainsi qu’une accumulation de cendres et de terre dans l’eau.

J’ajouterai toutefois que nous devrons mener d’autres recherches et effectuer d’autres vérifications pour comprendre certains de ces impacts. Nous avons eu de grands feux de forêt en 2014, et par la suite, nous avons pu mobiliser un certain nombre de ressources de recherche afin de répondre à des questions semblables.

La sénatrice Simons : Monsieur Brennan, ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, a mentionné que le maire de Norman Wells nous a parlé de son projet routier. Nous avons également entendu M. Brendan Bell, de West Kitikmeot Gold. Il voudrait que l’on construise une route partant de la pointe supérieure, où il se trouve, jusqu’à Edmonton. Je me demandais si vous pensez que cette demande est réalisable.

M. Brennan : M. Bell était ministre dans notre gouvernement, il y a quelques années, et il parle de ce que nous appelons la route de la province géologique des Esclaves. Au nord de Yellowknife, nous avons une route toutes saisons qui s’étend sur 69 kilomètres, mais elle se termine là. Il y a ensuite les routes d’hiver qui mènent aux mines de diamants, notamment à une mine au Nunavut. Il parle de construire une route toutes saisons entre Yellowknife et le Nunavut en rejoignant le projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay.

Nous collaborons avec le Nunavut depuis de nombreuses années pour réaliser ce projet. Chaque région où cette route devrait passer reçoit différents niveaux de soutien ou d’opposition. Lors de la dernière assemblée, notre gouvernement a également placé cette route de la province géologique des Esclaves parmi ses priorités. Nous l’avons déjà planifiée. Nous préparons une demande que nous lancerons peut-être dans le cadre du processus réglementaire. Nous avons récemment présenté un permis d’utilisation des terres pour des études géotechniques, afin d’examiner les sources de forage et l’accès au gravier le long du tracé proposé et de finaliser le tracé proposé.

Cette route fait actuellement l’objet de ce qu’on appelle une évaluation environnementale régionale. Nous devons passer par ce processus avant d’entamer un processus réglementaire officiel. Alors en effet, notre gouvernement considère aussi la construction de routes dans ces régions comme une priorité. Nous serions ravis, lorsqu’il communiquera avec M. Bell, de nous trouver en plein milieu de cette grand-route.

La sénatrice Simons : Vous dites que 35 % de votre réseau routier est constitué de routes de glace en hiver. Je ne sais pas pendant encore combien de temps il s’agit d’un modèle durable.

M. Brennan : Oui. J’aimerais avoir une boule de cristal pour prédire l’avenir moi aussi. À l’heure actuelle, nous réussissons à réapprovisionner toutes les collectivités. Cette route qui traverse la province géologique des Esclaves, ou PGE, en direction du Nunavut, est une route d’hiver privée actuellement construite par un consortium des mines de diamants.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Quinn : Je remercie les témoins de leur présence. Les témoignages que nous avons entendus jusqu’à maintenant sont très intéressants, et j’aimerais en savoir un peu plus.

Vous avez parlé des données historiques; je crois que vous avez parlé d’environ 70 ans et d’environ 60 ans pour les fluctuations du niveau de l’eau. Les communautés autochtones du Nord participent-elles d’une façon ou d’une autre? Le savoir traditionnel est-il pris en compte lorsque vous examinez les documents plus modernes par rapport aux niveaux historiques du point de vue des Autochtones? Pouvez-vous en profiter? Est-ce utile?

M. Kanigan : Merci de la question.

Oui, c’est une partie importante de notre façon de travailler dans les Territoires du Nord-Ouest. Une partie de l’information que je vous ai communiquée ce soir correspond exactement à ce que nous avons utilisé lors d’une réunion à l’échelle du territoire que nous avons tenue dans une petite collectivité appelée Dettah, qui se trouve juste au sud de Yellowknife. Nous avons réuni des représentants des gouvernements autochtones, des utilisateurs de terres et de ressources et des aînés. Nous avons parlé des niveaux d’eau. Il est intéressant de noter que les connaissances locales et autochtones étaient semblables en ce sens que ces types de fluctuations n’avaient jamais été observées auparavant. Les gens cherchent des réponses, ils veulent savoir pourquoi. Des questions ont déjà été posées au sujet des barrages le long de la rivière. Les gens sont également au courant de la construction du site C en Colombie-Britannique. La communication est très bonne et nous nous assurons d’inclure les connaissances autochtones dans l’information que nous examinons lorsque nous prenons des décisions.

Le sénateur Quinn : Pour en savoir un peu plus, dans différentes régions du Canada, il existe souvent une dichotomie entre le savoir traditionnel autochtone et les connaissances scientifiques. Je crois que c’est M. Brennan qui a dit qu’il faut faire attention de respecter les conseils de base des scientifiques qui conseillent de ne pas trop lier cela au changement climatique, si c’est à peu près ce que vous avez dit. J’ai été un peu surpris d’entendre ce genre de déclaration. Si c’est le processus de réflexion sur les changements climatiques, comment la communauté scientifique traite-t-elle les connaissances autochtones? Dans le Sud, cela cause souvent des divergences d’opinions à l’échelle du pays. Y a-t-il des contradictions entre les conseils que fournissent les communautés autochtones et vos conseils scientifiques?

M. Kanigan : Non, je ne le crois pas. Sur le plan opérationnel et dans notre vie quotidienne, nous pouvons tous reconnaître les signes des changements climatiques qui nous entourent. Dans le cadre de mon travail de défense des Territoires du Nord-Ouest relativement aux changements climatiques, je dis aux gens que nous vivons avec la réalité des changements climatiques depuis 30 ou 40 ans. Je pense que vous avez parlé à M. Steve Kokelj au cours des derniers jours. Le bilan climatique à Inuvik, par exemple, montre une augmentation de 4 degrés de la température annuelle de l’air depuis les années 1970. Il ne fait aucun doute que des changements climatiques se produisent et que les répercussions se font sentir ici.

Je faisais allusion au fait d’attribuer précisément les changements observés en 2023 et en 2020-2021 aux changements climatiques. Nous n’avons pas vraiment étudié tous les facteurs qui ont mené à ces changements. Les scientifiques sont prudents quant à la façon dont ils tirent leurs conclusions. Comme cette présentation est principalement fondée sur des renseignements météorologiques et hydrologiques, la conclusion est un peu formulée en termes de raisonnement.

Le sénateur Quinn : J’aimerais parler plus précisément de ce à quoi ma collègue, la sénatrice Simons, voulait en venir selon moi, mais je vais poser la question d’un point de vue légèrement différent, d’un point de vue maritime. L’érosion des berges est due aux incendies et à d’autres facteurs. À quoi ressemble la sédimentation? Quelle est la situation du dragage des rivières? Est-ce que les sédiments augmentent dans l’ensemble, ou est-ce que le dragage ne pose aucun problème?

La sénatrice Simons : Oui, le dragage. C’est le bon mot.

M. Brennan : L’automne dernier, nous avons lancé un programme de dragage dans le port de Hay River, là où la voie ferrée arrive et où nos barges remontent la rivière. C’est le point de départ. Beaucoup de limon s’y accumule depuis un certain nombre d’années. Le port était autrefois dragué par le Canada jusqu’en 1997, je crois, lorsqu’on a mis fin à cette pratique. La tâche a alors été confiée à la ville, mais elle n’avait pas la capacité requise. Le secteur n’a donc pas été dragué, à l’exception de quelques dragages ponctuels, au cours des 25 dernières années. Vous ne savez peut-être pas que Hay River a connu en 2022 une inondation importante qui a entraîné une quantité beaucoup plus importante de limon dans le bassin, et que les déplacements n’étaient pas sécuritaires. Des navires de la Garde côtière, des bateaux de pêche et certaines de nos barges se sont retrouvés coincés dans le sable en essayant de sortir de Hay River. Nous avons lancé le programme de dragage. Il était un peu tard pour le faire, et l’évacuation rendue nécessaire par suite de l’incendie de Hay River a eu des répercussions pendant environ cinq semaines. L’an prochain, nous ferons plus de dragage à Hay River pour terminer ce programme.

Je crois que la Garde côtière a également effectué des travaux de dragage à Norman Wells il y a trois ou quatre ans. Nous n’avons pas dragué d’autres secteurs. D’après ce que j’ai entendu dire, il reste encore quelques endroits du réseau hydrographique de la rivière à draguer. Techniquement, le dragage ne fait pas partie du mandat du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Ce que nous faisons actuellement est principalement financé par le gouvernement du Canada. Un financement accru du gouvernement du Canada pour les travaux de dragage nous aiderait à dégager ces points chauds qui empêchent les barges de remonter la pente. Donc, oui, nous aimerions creuser davantage, mais il faudrait plus de financement.

Le sénateur Quinn : Qu’en est-il en amont? Y a-t-il des chenaux aux cours changeants? Comment faites-vous les relevés hydrographiques afin d’améliorer la connaissance de la navigation pour le transport par barges? Je pose cette question en raison du type de marchandises transportées et de la possibilité de toucher le fond. La sédimentation est importante, mais il y a parfois des roches cachées dans les sédiments qui peuvent causer des problèmes plus graves. Y a-t-il des relevés en cours? Comment pouvez-vous savoir que cette voie maritime est sécuritaire, essentiellement, pour que ces barges puissent transporter en amont ces marchandises essentielles, y compris les hydrocarbures?

M. Brennan : Je crois que nous avons déjà effectué des travaux hydrométriques dans certains de ces secteurs, mais je vais céder la parole à mon collègue, M. Kanigan, parce que son ministère travaille en étroite collaboration avec les régions qui s’intéressent à cette question, grâce à beaucoup d’équipement de relevé hydrographique qui est placé le long de la rivière pour examiner les niveaux d’eau. Je vais donc céder la parole à M. Kanigan.

M. Kanigan : Merci, M. Brennan.

Nous avons un réseau hydrométrique que nous entretenons avec Environnement et Changement climatique Canada et qui peut nous fournir des renseignements sur le débit et le niveau de l’eau. Cependant, cela peut être un peu difficile parce qu’il y a des inondations causées par des embâcles dans le Nord. Une partie de cet équipement peut être retirée s’il y a de la glace. Nous essayons de fournir beaucoup d’information sur les niveaux d’eau au cours de la saison précédente à nos collègues de l’infrastructure afin qu’ils puissent prévoir ce qui s’en vient. La Garde côtière fédérale est responsable d’installer des bouées de navigation qui sont observées par tous ceux qui naviguent sur la rivière. Je comprends votre argument selon lequel il est évidemment beaucoup plus difficile de naviguer dans un cours d’eau dont le niveau est bas.

Le sénateur Quinn : Merci aux témoins.

La sénatrice Simons : Je tiens à remercier le sénateur Quinn, car son intervention a permis d’apporter une réponse plus claire à ma question.

J’aimerais revenir au point de départ, c’est-à-dire l’état des routes de glace. Nous sommes à la fin de novembre. Des témoins précédents du Nunavut nous ont dit qu’il n’y avait pas assez de neige au sol pour circuler en motoneige. Lorsque j’ai quitté Edmonton, il n’y avait pas de neige. Il n’y a pas de neige ici, à Ottawa. Qu’envisagez-vous pour cette saison en ce qui concerne les conditions d’aménagement des routes de glace? Avez-vous déjà commencé? Quel est le pronostic pour l’ouverture de cette année?

M. Brennan : Je vous remercie de la question.

Ce que nous voyons ici dans la partie sud du territoire, ce sont des températures plus chaudes que la normale cette année. Dans la région des Tlicho, nous devrions normalement construire des passages pour traverser le fleuve Mackenzie et la rivière Liard. Nous sommes certainement en retard à cet égard. Je ne suis pas certain que nous ayons un échéancier pour ce qui est du retard. Dans la région d’Inuvik, nous avons deux passages de glace qui font partie de notre réseau routier en cours d’aménagement et qui pourraient ouvrir dès cette fin de semaine, si le temps le permet, bien sûr, comme tout ce qui a trait aux routes de glace. Nous sommes certainement un peu en retard.

Au cours des dernières années, comme nous avons observé des tendances aux automnes chauds, nous commençons plus tard. Notre commentaire général est que mère Nature semble se rattraper au fur et à mesure. L’un des éléments qui pourraient nous aider, c’est que les faibles niveaux d’eau à certains de nos passages devraient accélérer la congélation. Un débit plus faible signifie généralement que l’eau gèle plus rapidement. Nous espérons pouvoir rattraper notre retard. Il est trop tôt pour prédire à quel point nous sommes en retard et quelles seront les répercussions. Nous sommes vraiment préoccupés par la résistance aux poids plus lourds, mais nous pouvons accélérer ce processus grâce à certaines des techniques novatrices dont nous avons parlé plus tôt.

C’est une bonne question. Nous espérons du temps froid.

La sénatrice Simons : Ce qui me préoccupe, c’est la fréquence à laquelle on peut vérifier la sécurité sur les routes. Ce n’est pas si grave si une route de glace comporte de grosses ornières. Cependant, si nous parlons d’un passage sur une rivière et que la glace se fissure quand traverse un véhicule lourd, il y a un risque réel de catastrophe humaine. Quels protocoles de sécurité observez-vous pour vous assurer que les routes sont suffisamment sécuritaires, surtout dans le cas des véhicules lourds?

M. Brennan : C’est une bonne question.

Pour ce qui est d’assurer la sécurité de nos employés au début de l’aménagement, nous appliquons un système de jumelage de deux personnes au travail. Ils sont attachés au cas où l’un d’eux passe à travers la glace. Ils forent à la main pour évaluer l’épaisseur de la glace afin de pouvoir travailler en toute sécurité. Nous procédons ainsi jusqu’à ce que nous puissions installer du matériel plus léger. Nous utilisons maintenant du matériel plus léger pour aller sur la glace plus tôt.

Nous utilisons un radar pénétrant GPR. Cela nous donne une idée de l’épaisseur de la glace. Ce que nous voulons découvrir avant tout, c’est l’épaisseur minimale. Nous balayons l’ensemble de la glace et cherchons l’épaisseur minimale. Selon l’endroit où elle se trouve et sa superficie, nous y reviendrons plus tard, lorsqu’il sera sécuritaire de s’y déplacer, ou nous commencerons à inonder la surface au besoin.

Nous établissons également des limites de poids à l’aide d’une formule normalisée et nous publions ces limites de poids afin que l’équipement et les camions n’utilisent pas les routes tant qu’il n’est pas sécuritaire de le faire. Il est essentiel, dans le cas d’une route de glace, de s’assurer que l’équipement et les camions respectent la limite de poids. Permettre aux camions de dépasser la limite de poids risque d’endommager la glace, et ce pourrait être catastrophique pour nous de perdre une route de glace au milieu de l’hiver.

La sénatrice Simons : Avez-vous des postes de pesage?

M. Brennan : Oui. Vous devez passer par un poste de pesage libre-service avant d’emprunter la route. Il y a aussi un agent du transport routier qui patrouille la route et vérifie si les poids sont respectés.

Le président : Chers collègues, il nous reste 10 minutes et 3 sénateurs sur la liste. Nous allons donc accorder trois minutes à chacun.

Le sénateur Quinn : Qu’arrivera-t-il si les changements climatiques évoluent au point où les routes de glace ne seront plus viables? Quel impact cela aura-t-il? Qu’est-ce que le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest devraient faire et à quoi devraient-ils réfléchir pour régler ce problème qui finira par se poser? À quoi devrions-nous penser lorsque nous préparons notre rapport? Essentiellement, qu’arrive-t-il si les routes ne sont plus utilisables à cause des changements climatiques? Quelles sont les répercussions et quelles sont les options pour corriger la situation?

M. Brennan : Ce sont de bonnes questions.

Quelles sont les options? Construire une route toutes saisons. S’il n’y a pas de glace, nous avons besoin d’une route vers les collectivités pour y acheminer du carburant, des matériaux de construction et d’autres denrées sèches. Nous ne voulons pas transporter du carburant par voie aérienne dans le Nord. Non seulement cela coûte cher, mais cela soulève aussi des préoccupations environnementales importantes. Les routes toutes saisons vers les collectivités sont certainement la solution. Je ne pense pas que nous ayons d’autres options en ce qui concerne le réapprovisionnement de ces collectivités.

Qu’arriverait-il aux collectivités sans réapprovisionnement? Eh bien, je ne sais pas s’il y a des pannes d’électricité ici, mais si nous n’avons pas de carburant, nous n’avons pas d’électricité dans ces collectivités. Avec une température de moins 40 degrés, vous pouvez vous imaginer ce qui va se passer assez rapidement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous voulez dire qu’ils vont quitter la collectivité avec leurs seuls vêtements. C’est ce que vous dites?

M. Brennan : Oui. La plupart de nos collectivités utilisent du diésel. Sans diésel, nous n’avons pas d’électricité. Sans électricité, nous n’avons pas de chauffage. Sans chauffage, ça devient très inconfortable assez vite.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : L’Association des communautés des Territoires du Nord-Ouest demande depuis plus de 10 ans que le gouvernement cartographie les menaces territoriales liées au climat. Le travail a commencé en 2019; où en êtes-vous? On me dit que ces cartes de risques liés à la glace appelées Ice hazard maps décrivent les zones sensibles et permettent de voir quelles sont les zones plus adaptées au développement. Où en êtes-vous dans ce projet?

[Traduction]

M. Kanigan : Je suis très heureux que vous ayez pu vous entretenir avec la NWT Association of Communities, la NWTAC. Elle est un partenaire clé de notre planification en matière de changements climatiques, et nous travaillons avec elle dans un certain nombre de domaines.

L’une des choses que nous faisons en tant que territoire, c’est une évaluation des risques et des possibilités sur le plan territorial, en travaillant avec des partenaires et en examinant tous les risques liés aux changements climatiques qui existent, en veillant à établir un inventaire complet de ces risques et, éventuellement, en examinant les possibilités. Il y a parfois des façons de voir les changements sous un jour positif. Ensuite, nous collaborons avec nos partenaires pour établir l’ordre de priorité des mesures à prendre et de celles qui doivent être prises en premier. La NWTAC fait partie de ce processus de planification qui orientera notre prochain plan d’action sur les changements climatiques. Elle fait partie du processus de planification.

Pour ce qui est de la cartographie, en autant que je sache, nous participons à un programme de cartographie des risques dans les collectivités avec la NWTAC. Vous savez probablement qu’il y a 33 collectivités dans les Territoires du Nord-Ouest, alors il y en a beaucoup à cartographier. Parmi les couches de base clé dont nous avons besoin en premier, et vous en avez parlé avec M. Kokelj récemment, mentionnons la compréhension des conditions du pergélisol, ce qui signifie que nous avons besoin de la couche géologique superficielle. C’est le premier élément sur lequel nous travaillons, mais cela répondra également à l’un des points que vous avez soulevés, soit la glace. Où est la glace dans le sol qui présente le plus de risques associés à la construction? Les administrations locales peuvent s’en servir pour planifier leurs activités. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela veut donc dire que ce programme est en cours, mais qu’il n’est pas terminé? Où en êtes-vous dans cette cartographie?

M. Kanigan : Il est en cours. Je n’ai pas en tête le nombre de collectivités. Il y a plus de 10 collectivités où les travaux ont commencé, et quelqu’un a été embauché pour faire ce travail de cartographie des risques de la collectivité sur la couche géologique de surface. Cela dit, sans ressources et capacités accrues, il faudra un certain temps pour réunir toutes les cartes, retourner dans les collectivités et vérifier les renseignements sur le terrain, puis les présenter dans un état qui peut être compris et utilisé par les administrations locales.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Klyne : Monsieur Brennan, dans votre déclaration, vous avez dit que vous passeriez à des charges plus légères et à de l’équipement plus léger afin de pouvoir commencer — je crois que c’était le cas — le transport sur les routes de glace plus tôt, afin d’avoir un bon départ. Dans l’ensemble, quelle incidence cela a-t-il sur vos indicateurs de rendement clés, ou IRC, ou sur votre facteur de charge? Est-ce que cela diminue par rapport aux années précédentes, ou êtes-vous toujours en mesure de faire ce que vous avez fait les années précédentes comme point de repère comparatif?

M. Brennan : Si vous parlez d’indicateurs clés de rendement pour ce qui est du nombre de jours d’ouverture, qui est une sorte de ligne directrice que nous utilisons pour les routes de glace, nous voulons être ouverts aussi longtemps que nous le pouvons pour le ravitaillement, et l’un des principaux points de repère consiste à augmenter jusqu’au poids total pour le ravitaillement. Ce qui se passe sur toutes les routes de glace, c’est que nous les aménageons, en commençant par une circulation légère, puis nous haussons le poids admissible à mesure que la glace s’épaissit. Nous allons jusqu’à 5 000 kilogrammes, disons, pour les véhicules de tourisme légers, puis la glace s’épaissit — naturellement ou par inondation — et nous passerons à 10 000, puis à 20 000, et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous arrivions à une charge complète, qui est fixée à 64 000 kilogrammes.

Il n’y a pas eu de changements importants récemment. Nous faisons tout notre ravitaillement. Je crois qu’en 2017, nous avons fermé la route environ deux semaines plus tôt en raison d’un réchauffement important survenu à la mi-mars, lorsque nous avons vu des températures de plus de 20 degrés dans la région du Sahtu, c’est-à-dire la région de Norman Wells, et nous avons dû obtenir des permis spéciaux pour ramener l’équipement parce que le tout s’est rapidement réchauffé et que la route de glace n’était plus utilisable. À ce moment-là, il n’y avait plus de portage, donc sur terre. La glace était toujours sécuritaire, mais le portage n’était plus utilisable, et nous avons des permis environnementaux dont nous devons respecter les normes. Nous continuons de répondre à tous nos besoins et de nous ravitailler. La route est utilisable plus longtemps certaines années que d’autres, mais nous faisons ce qui doit être fait, c’est-à-dire ravitailler nos résidents et leur permettre de rendre visite à leur famille et à leurs amis dans d’autres collectivités, ce qui est très important pour eux.

Le sénateur Klyne : Les événements météorologiques critiques et leur fréquence n’ont pas eu d’incidence importante sur vous?

M. Brennan : Nous voyons davantage d’événements météorologiques importants. Les tempêtes de neige, par exemple. Sur un lac ouvert de 20 kilomètres de long, le vent souffle assez rapidement. Sur une route de glace sur un lac, la norme est de 30 mètres de large, et le vent souffle fort. Nous consacrons plus de temps à l’entretien des routes en raison d’événements météorologiques importants. Nous observons une augmentation des changements de température et des fluctuations, ce qui perturbe l’état de la glace. Elle peut fissurer ou on peut observer des crêtes de pression en fonction du temps chaud par rapport au temps froid, et encore une fois, cela exige plus de surveillance et d’entretien. Il n’y a pas eu d’événements catastrophiques nous ayant forcé à fermer beaucoup plus tôt ou ayant mis fin à notre saison, alors nous sommes en mesure de gérer ces événements jusqu’à présent.

Le sénateur Klyne : Merci.

Le président : Je remercie nos témoins de leur présence ici aujourd’hui.

[Français]

La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Honorables sénatrices et sénateurs, nous nous réunissons maintenant pour poursuivre notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures du transport dans le nord du Canada.

[Traduction]

Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir, de la Chambre de commerce maritime, Paul Topping, directeur des Affaires réglementaires et environnementales, et Maguessa Morel-Laforce, directeur des Relations avec le gouvernement et les intervenants. Nous accueillons également Joseph Sparling, directeur de la Northern Air Transport Association et président-directeur général d’Air North, qui se joint à nous par vidéoconférence. Également par vidéoconférence, nous accueillons Stephen Laskowski, président et directeur de l’Association du camionnage de l’Ontario, qui représente Manitoulin Transport, une entreprise de camionnage qui exerce ses activités au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.

[Français]

Bienvenue à vous et merci de vous joindre à nous. Nous commencerons par les remarques préliminaires de cinq minutes, en commençant par MM. Topping et Morel-Laforce, suivis de MM. Sparling et Laskowski. Nous procéderons par la suite aux questions des membres du comité.

[Traduction]

Monsieur Topping et monsieur Morel-Laforce, vous avez la parole.

Maguessa Morel-Laforce, directeur, Relations avec le gouvernement et les intervenants, Chambre de commerce maritime : Merci beaucoup.

La Chambre de commerce maritime est une association binationale sans but lucratif du secteur privé qui représente une centaine d’intervenants de l’industrie maritime des Grands Lacs, du Saint-Laurent, des régions côtières et de l’Arctique. Nos membres comprennent des armateurs canadiens, des représentants de ports canadiens et américains, des expéditeurs industriels, des représentants de la Voie maritime et d’autres intervenants du secteur maritime. Nous sommes heureux de comparaître devant vous aujourd’hui pour contribuer à cette étude.

Dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent, les activités de transport maritime représentent une valeur économique de 66 milliards de dollars par année pour le Canada et les États-Unis et emploient plus de 350 000 personnes. Le transport maritime est le moyen le plus écologique de transporter des marchandises, car il utilise moins d’énergie que les autres modes de transport.

Paul Topping, directeur, Affaires réglementaires et environnementales, Chambre de commerce maritime : Les changements climatiques ont des répercussions sur les infrastructures essentielles du secteur du transport maritime partout au pays. Les courants d’eau, importants pour la navigation, peuvent fluctuer de façon plus imprévisible le long du fleuve Saint-Laurent et dans les Grands Lacs, avec des courants d’eau forts qui déplacent les sédiments fins dans le fond du fleuve. À mesure que les sédiments se déplacent de façon plus imprévisible, les profondeurs indiquées sur les cartes deviennent inexactes et il y a un plus grand risque d’échouement des navires. Nos capitaines, qui ont de l’expérience et connaissent les rivières et les lacs, sont bien au courant de ces risques et continuent de gérer nos navires membres de façon sécuritaire et fiable. À l’avenir, nous aurons peut-être besoin d’une surveillance plus à jour et de sondages de profondeur pour nous assurer que les renseignements de navigation sont exacts.

Les gens de la Voie maritime du Saint-Laurent portent une attention particulière à ces niveaux d’eau, car ce sont les profondeurs qui déterminent la charge qu’un navire peut transporter. Moins les eaux sont profondes, moins elles doivent charger de fret, et plus le niveau est élevé, plus les cargaisons sont élevées, mais plus il y a de risques et de coûts pour assurer la sécurité de la navigation. Aux fins de l’expédition, il faut un juste milieu qui nous permet de transporter le plus de fret possible pour servir nos clients tout en assurant une navigation sécuritaire.

Le Canada a récemment connu des tempêtes records et des phénomènes météorologiques plus violents et plus fréquents, ce qui a entraîné des niveaux d’eau imprévisibles. En 2019, nous avons observé des niveaux d’eau élevés, ce qui a semé la pagaille chez les propriétaires riverains du Saint-Laurent. Il y a 10 ans, les niveaux baissaient et des restrictions ont été mises en place. Nous avons besoin d’une résilience intégrée à nos systèmes et d’une commission mixte internationale engagée à respecter les trois principes fondateurs, qui comprennent la navigation commerciale.

L’infrastructure portuaire du Canada est vieillissante, et pour maintenir et accroître la capacité du Canada de recevoir des importations et des exportations par voie maritime, le pays doit évaluer l’état du réseau de transport maritime et investir les capitaux nécessaires pour s’assurer qu’il est adapté aux changements climatiques.

En hiver, on peut voir des différences de formation de glace dans le système des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Une forte saison des glaces signifie une plus grande dépendance à l’égard des brise-glaces de la Garde côtière pour garder les voies de navigation dégagées et intervenir lorsque les navires sont coincés. Le service des brise-glaces joue un rôle central dans la planification de la fermeture au début de l’hiver et de l’ouverture au printemps de la saison de navigation dans le Saint-Laurent et les Grands Lacs, ainsi que dans le maintien des chenaux ouverts pour les parties du système qui demeurent utilisées en hiver.

Nos membres exercent également leurs activités dans l’Arctique, où le transport maritime joue un rôle différent. Comme nous le savons tous, nous transportons de la nourriture, des vêtements, du carburant, des appareils ménagers, des véhicules, de l’équipement, des matériaux de construction et tout le reste dont dépendent les populations et les industries du Nord pour survivre et croître. Bref, nous assurons la survie de l’Arctique tout en incarnant une démonstration visuelle de la souveraineté canadienne dans le Nord.

Le climat de l’Arctique présente les plus grands défis observés depuis des générations. Des températures record ont été enregistrées cet été. Bon nombre de personnes estiment que le réchauffement général entraînera une augmentation du transport maritime, et celui-ci augmente effectivement, mais l’échantillon est très faible. Il n’y a que quelques centaines de navires qui circulent dans l’Arctique par année, alors qu’il y en a des milliers et des dizaines de milliers dans le Sud.

Les changements dans l’Arctique suscitent également plus d’incertitude. Nos opérations de ravitaillement dans l’Arctique se font avec des navires qui ne sont pas renforcés contre les glaces. Nous n’en avons pas besoin. Ils doivent se déplacer sur une eau relativement libre de glace. Nous gérons ces opérations en toute sécurité depuis des décennies pendant les saisons chaudes. Même au plus fort de l’été, des petites calottes glaciaires peuvent pénétrer dans les chenaux et se briser, tandis que d’autres s’agglutinent, et celles-ci bloquent parfois les voies de navigation. Les changements dans l’Arctique rendent la planification d’opérations sécuritaires plus imprévisible, mais nos navires doivent quand même se rendre dans les collectivités pour le ravitaillement local, même si la glace les en empêche. C’est là que le service de déglaçage de la Garde côtière canadienne et le Service canadien des glaces jouent un rôle essentiel tout au long de la saison de navigation dans l’Arctique.

M. Morel-Laforce : En conclusion, nous exhortons le comité à reconnaître que les efforts visant à préparer une infrastructure nationale de transport contre les répercussions croissantes des changements climatiques doivent être accrus afin de maintenir notre capacité de transporter des marchandises vers les marchés et les consommateurs.

Joseph Sparling, directeur, Northern Air Transport Association et président directeur général, Air North, Northern Air Transport Association : Bonsoir et merci de donner à la Northern Air Transport Association, ou NATA, l’occasion de présenter son point de vue au comité permanent. Je m’appelle Joe Sparling et je suis président d’Air North Yukon Airline. Je suis heureux de représenter la NATA ici aujourd’hui.

Le Canada est le deuxième plus grand pays au monde. Cependant, avec une densité de population de seulement 10 personnes par mille carré, nous nous classons au 222e rang sur 232 pays dans cette catégorie. Le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, qui sont les trois territoires du Canada, représentent ensemble plus de 40 % de la masse terrestre du Canada, mais seulement environ 0,3 % de la population. Le Nord compte moins de 0,1 personne par mille carré. La plupart des collectivités n’ont pas d’accès routier qui les relie les unes aux autres, et les localités du Sud les plus proches sont à près de 1 000 milles de distance. Par conséquent, le transport aérien à l’intérieur des territoires et entre les territoires et les localités du Sud est une nécessité, plutôt qu’un luxe.

J’ai récemment eu l’occasion d’assister à des réunions à Ottawa avec plusieurs organismes gouvernementaux au nom de la NATA. Lors de ces réunions, on nous a demandé — et nous avons décrit — les trois principaux défis auxquels font face les compagnies aériennes du Nord aujourd’hui. Il s’agit de la dotation, de l’infrastructure et de ce que j’appellerai l’outillage.

En ce qui concerne la dotation, il y a beaucoup plus de défis que la pénurie bien documentée de pilotes et d’ingénieurs d’entretien. Les compagnies aériennes ont de la difficulté à recruter du personnel dans les domaines de la manutention au sol, du service aux passagers, des réservations et de l’administration. D’autres intervenants de la chaîne d’approvisionnement, y compris les aéroports et les fournisseurs de services de navigation et de sécurité, ont également des problèmes de dotation.

En ce qui concerne l’infrastructure, même si les compagnies aériennes exploitent des aéronefs, nos aéronefs ne peuvent pas se déplacer sans l’aéroport, l’aide à la navigation et d’autres infrastructures de soutien. Une grande partie de l’infrastructure aéronautique du Nord a été construite pendant la Seconde Guerre mondiale, et seulement une poignée de pistes pavées et non asphaltées ont été construites pour accueillir le DC-3, qui est également de l’époque de la Seconde Guerre mondiale.

L’âge et les changements climatiques contribuent à amplifier les répercussions des lacunes en matière d’infrastructure dans le Nord. C’est ce que nous ont dit les autres témoins en ce qui concerne les routes de glace et le transport maritime, et c’est ce que nous constatons aussi en ce qui concerne le transport aérien. Les feux de forêt ont eu des répercussions importantes sur nos opérations aériennes l’été dernier. L’automne exceptionnellement chaud que nous avons connu a entraîné de faibles plafonds. Il n’y a pas eu de liens vers Dawson pendant trois jours d’affilée, et c’était une première si ma mémoire est bonne. L’impact des changements climatiques est réel, et il illustre ou amplifie les lacunes de l’infrastructure. Celles-ci empêchent également les transporteurs aériens du Nord de procéder aux mises à niveau nécessaires de leur flotte afin d’assurer l’exploitation la plus fiable, la plus rentable et la plus éconergétique qui soit.

Il convient de souligner que notre modèle d’utilisateur-payeur pour l’aviation est unique au Canada et qu’il peut être difficile pour les gouvernements de justifier des investissements dans l’infrastructure dans le Nord. Ce modèle n’est pas utilisé dans nos réseaux routier, ferroviaire ou maritime, ni dans d’autres pays ou régions comme l’Alaska, qui a plus de pistes asphaltées que les trois territoires du Canada réunis.

En ce qui concerne l’outillage, pour offrir un transport aérien sûr, fiable et abordable dans le Nord du Canada, les transporteurs aériens doivent avoir les outils nécessaires à leur disposition pour relever les défis liés aux conditions météorologiques, à la géographie, à l’infrastructure et à l’exploitation propres à chaque région. Compte tenu de notre vaste territoire et de notre faible population, un modèle de réglementation qui convient dans d’autres parties du monde ou même dans le Sud du Canada ne convient tout simplement pas au Nord. En particulier, ni le Règlement sur la protection des passagers aériens ni les règles sur le service en vol ne tiennent suffisamment compte de l’environnement d’exploitation unique dans le Nord, qui se caractérise par des vols réguliers multi-secteurs qui partent d’un centre du Nord et qui y retournent avec de multiples arrêts dans des aéroports aux infrastructures déficientes.

Les changements climatiques sont devenus un sujet de discussion de plus en plus important, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, et l’aviation est souvent critiquée pour son impact sur l’environnement par les émissions de gaz à effet de serre qui sont directement liées à la consommation de carburéacteur. Bien que l’impact réel des aéronefs sur l’environnement puisse faire l’objet d’un certain désaccord, tous s’entendent probablement pour dire qu’il serait bon de brûler moins de carburéacteur.

Il n’y a que trois façons de réduire la consommation de carburéacteur. La première est facile, et il s’agit de voler moins. Pendant la pandémie de COVID-19, nous avons prouvé que l’aviation peut facilement atteindre ses objectifs environnementaux quand elle est au point mort. La deuxième façon d’économiser du carburant est d’exploiter des aéronefs plus économes en carburant. La troisième stratégie, qui n’est pas aussi évidente, est de rendre les vols plus efficaces. Bien que les itinéraires directs et les procédures de roulage sur un seul moteur servent tous à accroître l’efficacité, la façon la plus importante d’améliorer l’efficacité énergétique par passager est de piloter de plus gros aéronefs et d’augmenter le pourcentage de sièges occupés à bord de ces aéronefs. Ni la deuxième ni la troisième stratégie ne peuvent être mises en œuvre dans le Nord sans amélioration des infrastructures.

Le transport aérien sécuritaire, rapide et abordable est une priorité pour les gouvernements d’aujourd’hui, tout comme les changements climatiques. Les changements climatiques exacerbent les lacunes de l’infrastructure de l’aviation dans le Nord, et ces lacunes nuisent non seulement à notre capacité d’offrir un transport sécuritaire, rapide et abordable, mais aussi à notre capacité d’avancer avec les initiatives de lutte contre les changements climatiques.

Merci.

Stephen Laskowski, président et directeur général, Association du camionnage de l’Ontario : Je suis président et directeur général de l’Association du camionnage de l’Ontario et président de l’Alliance canadienne du camionnage, l’ACC. L’alliance elle-même est une fédération des sept associations provinciales de camionnage du pays, qui compte plus de 5 000 membres. L’ACC représente un échantillon représentatif de l’industrie qui constitue l’épine dorsale de la chaîne d’approvisionnement canadienne. Nos membres emploient environ 250 000 Canadiens et sont responsables de la majeure partie du transport des marchandises au Canada, entre les points de passage entre le Canada et les États-Unis.

En ce qui concerne les questions qui seront soulevées aujourd’hui par l’Alliance canadienne du camionnage et l’Association du camionnage de l’Ontario, les exemples de changements climatiques qui ont une incidence sur le transport comprennent des précipitations plus fréquentes et plus intenses, dont vous avez déjà entendu parler dans des témoignages précédents, les extrêmes de température et les cycles variables de gel et de dégel. Tout dépend de votre définition du Nord du Canada, mais ces phénomènes ont des répercussions dans tout le Nord du Canada, selon la distance que vous parcourez dans le Nord, mais, très franchement, dans le Sud du Canada aussi. Au nom de l’Alliance canadienne du camionnage, nous aborderons ces questions et exposerons nos solutions aux problèmes qui touchent l’industrie.

Je vais parler très brièvement du contexte de la réglementation des émissions des camions. Nos membres émettent des gaz à effet de serre. Nous nous sommes engagés auprès du gouvernement du Canada, de notre industrie et de la population canadienne à réduire notre empreinte carbone. Nous avons appuyé le règlement sur les GES de la phase I dans notre secteur qui a été présenté en 2014, et le règlement sur les GES de la phase 2 qui a été présenté en 2021, et nous travaillons actuellement avec le gouvernement du Canada et les États-Unis en ce qui concerne les exigences relatives aux véhicules à émission zéro pour notre secteur qui seront probablement mises en place l’an prochain.

En ce qui concerne les questions dont nous sommes saisis, je parlerai d’abord des inondations et des conséquences des changements climatiques. Par exemple, l’année dernière et l’année précédente, en Colombie-Britannique, lorsqu’il y a eu de graves inondations, des routes ont été emportées. En tant que secteur et en tant qu’économie, nous devons planifier en conséquence. Une partie de cette planification concerne l’introduction de politiques, comme en ce qui a trait aux déplacements en transit. Cela permettrait à l’industrie canadienne du camionnage de passer par les États-Unis pour effectuer des déplacements de point à point entre, par exemple, l’Ontario et la Colombie-Britannique en passant par les États-Unis pour revenir au Canada. À l’heure actuelle, ce n’est pas permis. Pendant les inondations en Colombie-Britannique, cependant, l’Alliance canadienne du camionnage a travaillé avec le Canada et les États-Unis, et 4 500 déplacements ont été effectués pendant ces inondations pour permettre aux camions, aux marchandises et aux fournitures de se rendre dans l’Ouest. Voilà le genre de mesures que nous devons envisager en tant que société. L’incapacité de se déplacer en transit entre des points au Canada en passant par les États-Unis augmente nos émissions de carbone et rend nos chaînes d’approvisionnement moins efficaces.

Il y a d’autres leçons à tirer des inondations et des incendies au Canada. Les réparations de la route 5 en Colombie-Britannique devraient être terminées à Noël. C’est 25 mois après l’inondation. Selon la British Columbia Trucking Association, la leçon à tirer est la vulnérabilité de la construction de ponts partout au Canada. Lorsque des ponts sont construits sans blindage suffisant pour empêcher le sapement des supports, le risque est grand de se retrouver dans des situations comme celle de la route 5 partout au Canada. Il faut procéder à un examen exhaustif des structures des principales routes du Canada afin de repérer les ponts qui risquent d’être emportés par les eaux. Cette mesure s’applique également aux corridors ferroviaires et routiers où l’impact dégrade la séparation, les mêmes problèmes qui ont été révélés lors des inondations. En ce qui concerne le Nord de l’Ontario, le même problème se pose à Nipigon, où les routes 11 et 17 assurent la correspondance entre l’Ouest et l’Est. Il n’y a qu’un seul pont là-bas, et s’il est endommagé à cause des changements climatiques, les liens entre l’ouest et l’est sont rompus.

En ce qui concerne l’harmonisation et l’amélioration des normes d’entretien des routes en hiver, comme d’autres témoins l’ont dit avant nous, nous constatons une augmentation des précipitations. Évidemment, en hiver, celles-ci tombent sous forme de neige. Des normes d’entretien insuffisantes et incohérentes créent un environnement où les camionneurs ne se sentent pas en sécurité sur nos routes et cela peut souvent les amener à refuser de travailler par mauvais temps en raison de préoccupations liées à la sécurité. Cela crée également des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, ce qui fait en sorte que les livraisons ne sont pas effectuées dans les délais habituels. Par exemple...

La vice-présidente : Je vais vous demander de conclure, parce que vos cinq minutes sont écoulées.

M. Laskowski : Merci, madame la vice-présidente. Je serai prêt à traiter de la réglementation sur le gel et le dégel et de l’impact dont nous avons parlé, sur le pergélisol, dans le groupe de témoins précédent. Merci, madame la vice-présidente, de votre patience. Je suis prêt à répondre aux questions plus tard.

La vice-présidente : Je vous remercie de votre déclaration préliminaire.

[Français]

Je vais maintenant passer aux questions des sénateurs en commençant par le sénateur Klyne.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bienvenue à tous nos invités et experts. J’ai des questions pour chacun d’entre vous, mais je vais commencer par M. Sparling, de la NATA.

Dans un article de la CBC dans lequel votre nom est mentionné, monsieur Sparling, on pouvait lire :

Il voudrait des pistes d’atterrissage plus longues et asphaltées, des améliorations à l’infrastructure météorologique et l’amélioration de la capacité d’approche afin que les pilotes puissent atterrir en toute sécurité par mauvais temps au lieu de faire demi-tour.

De plus, dans une entrevue accordée au Nunatsiaq News, M. Aaron Speer, président de la Northern Air Transport Association, a expliqué qu’une autre priorité consiste à trouver des moyens d’augmenter le nombre de travailleurs locaux et autochtones dans l’industrie du transport aérien dans le Nord.

Dans votre exposé, j’ai entendu parler des changements climatiques, du vieillissement des infrastructures et des difficultés en matière de dotation. Il est certain que les divers problèmes auxquels font face votre industrie et la NATA dans le Nord représentent tout un défi. Nous pourrions citer un certain nombre de défis, ce que je viens de faire, mais quel est votre défi le plus pressant?

M. Sparling : Nous avons déterminé que la dotation constitue le principal défi, l’infrastructure, le deuxième et l’outillage, le troisième.

Comme vous pouvez le comprendre, il y a beaucoup d’imprévus associés à l’expédition d’un avion avec des passagers ou du fret du point A au point B. S’il y a une défaillance dans le système, qu’il s’agisse de notre propre personnel, du personnel des stations météorologiques dans les aéroports, des gens qui nettoient les pistes, l’avion ne décollera pas. Si l’infrastructure est déficiente de quelque façon que ce soit, de sorte que... En général, les approches ne font pas appel à la précision, et elles ont des limites météorologiques beaucoup plus élevées que les approches adoptées dans le Sud, si bien que notre capacité d’opérer dans les aéroports régionaux et du Nord est entravée ou réduite en raison de la capacité d’approche qui existe à ces aéroports. Il s’agit d’un problème d’infrastructure qui, encore une fois, entraînera les refus d’atterrir dont Aaron Speer a parlé dans son entrevue.

Troisièmement, il y a l’emploi local. Cela nous ramène à la question de la dotation. Nous avons toujours constaté, dans notre propre entreprise, que nous avons beaucoup plus de succès en matière de recrutement et de maintien en poste si nous pouvons embaucher des gens qui vivent déjà ici et les former pour qu’ils acquièrent les compétences dont ils ont besoin. Nous avons plus de succès dans ces cas qu’avec quelqu’un qui est déjà qualifié et qui espère qu’il aimera vivre dans le Nord.

Le sénateur Klyne : Je vais en profiter pour revenir au premier défi. Est-il juste de supposer qu’une grande partie de la formation a lieu dans le Sud, disons, au Northern Alberta Institute of technology, le NAIT? À cet égard, si j’ai raison ou presque, qu’est-ce qui a été fait pour amener la formation là où vivent les gens afin de compléter ce que vous venez de dire, c’est-à-dire que vous avez un meilleur taux de succès en matière de maintien en poste si vous embauchez des gens localement? Y a-t-il moyen de leur rendre la formation accessible?

M. Sparling : Oui. Prenons l’exemple du Yukon. Par le passé, nos établissements d’enseignement étaient généralement axés sur le tourisme, l’exploitation minière et la construction. Depuis que nous avons établi notre infrastructure aérienne dans le Nord, il y a beaucoup plus d’emplois hautement spécialisés disponibles dans le Nord, soit des emplois de répartiteurs, pilotes, agents de bord, techniciens d’entretien d’aéronefs. Nous devons mieux collaborer avec nos gouvernements et nos établissements d’enseignement pour nous assurer que ces compétences sont disponibles localement. Nous avons maintenant, ou nous avons plutôt récupéré, un centre de formation au pilotage à Whitehorse. Il y en avait eu un il y a quelques années, ensuite il n’y en a pas eu pendant un certain nombre d’années, et il y en a maintenant un de nouveau. Ce genre d’initiatives nous aidera à recruter et, espérons-le, à maintenir en poste plus de travailleurs locaux.

Le sénateur Klyne : Eh bien, il semble que vous ayez la main ferme sur le gouvernail, alors bonne chance.

Le sénateur Quinn : Ma question s’adresse à la Chambre de commerce maritime. Je me demande, étant donné le niveau d’activité de vos membres dans l’Arctique, quels sont les plus grands défis liés aux changements climatiques dont vous entendez parler?

M. Topping : Un de nos principaux membres, Desgagnés, assure essentiellement les trois quarts du ravitaillement de l’Arctique, en desservant les collectivités et les projets d’exploitation de ressources, depuis les grands projets prospères comme Baffinland jusqu’aux petits sites de prospection.

La dotation en personnel est certainement un des principaux problèmes, et on parle ici de recrutement dans la marine. C’est un problème qui affecte tout le secteur maritime au Canada, et peut-être encore plus dans l’Arctique. Sur les Grands Lacs, un membre d’équipage qui tombe malade ou qui veut rentrer chez lui a souvent la chance de le faire dans le Sud. Dans l’Arctique, le membre d’équipage est à bord pendant environ un mois, le temps de s’y rendre et de faire la tournée des localités. Il peut être difficile d’embaucher des gens du Sud. C’est pourquoi nous travaillons avec le Nunavut Fisheries and Marine Training Consortium pour créer et offrir aux Inuits et aux autres habitants du Nord des occasions de se joindre à l’industrie maritime. Il est intéressant de voir les gens s’épanouir et acquérir leurs compétences. Il faut du temps pour suivre la formation, mais ils peuvent s’inscrire, obtenir leurs certificats, s’embarquer et s’épanouir dans leur travail. Mais il nous en faut plus. C’est probablement le plus grand problème.

Il y a aussi l’absence d’infrastructures portuaires. C’est comme cela depuis des dizaines d’années, mais il s’en installe dès que les centres deviennent un peu plus gros. Au Nunavut, nous avons réussi à obtenir un quai, ce qui facilite grandement les opérations de déchargement. Les navires n’ont plus besoin d’amener leur remorqueur et leur chaland, puis de déplacer la cargaison pièce par pièce. Ils se rendent à quai et déchargent avec leurs propres grues. La première fois que c’est arrivé, ceux qui prennent le relais à terre ont été complètement débordés, tandis qu’avant, le rythme de déchargement par petits remorqueurs et chalands était facile à tenir pour ceux qui amènent la marchandise dans la collectivité. Cela fonctionne pour le Nunavut, qui compte 6 000 habitants, mais est-ce que cela va fonctionner pour Gjoa Haven? Est-ce que cela va fonctionner pour Igloolik? La rentabilité est plus incertaine, mais nous devons quand même ravitailler ces gens-là.

Le sénateur Quinn : Si vous me permettez, en ce qui concerne les opérations dans le Nord, quels sont les problèmes qu’on vous signale? Les saisons de navigation sont un peu plus longues. Comment la fréquence croissante des phénomènes météorologiques influe-t-elle sur les opérations lorsque vous essayez de vous rendre à Gjoa Haven et dans des endroits de ce genre?

M. Topping : Les choses deviennent plus imprévisibles. Les capitaines signalent des variations dans les conditions de glace. Les plaques de glace changent de façon imprévisible. Nous ne pilotons pas des brise-glaces, mais des navires de marchandises générales, qui transportent des conteneurs, du matériel et du carburant.

Lorsqu’une plaque de glace nous bloque la route, nous dépendons de la Garde côtière pour ouvrir un passage. Si ce n’est pas possible, il peut arriver qu’une collectivité ne soit pas ravitaillée au moment prévu, alors on ne peut qu’espérer que l’obstacle sera levé à temps.

Encore là, tout est dicté par le système des zones et des dates établi pour l’Arctique. Un des problèmes qui compliquent l’exploitation, c’est que le système des zones et des dates doit rattraper les conditions précises et réelles que nous voyons à terre ou sur l’eau. Il y a des zones numérotées de 1 à 16 qui déterminent quand un navire peut entrer et sortir. C’est assez serré, et souvent, s’il y a un problème, vous ne serez peut-être pas en mesure de revenir parce que votre fenêtre d’exploitation se sera refermée entretemps.

C’est surtout un problème pour les importations et la gestion des marchandises importées des États-Unis ou de l’Europe, où le personnel des douanes se trouve dans le Sud. Durant la pandémie de COVID-19, le dédouanement se faisait de façon virtuelle. Depuis la fin de la pandémie, on a recommencé à effectuer des inspections. Cela peut entraîner des retards et resserrer la fenêtre d’exploitation, ce qui cause beaucoup de soucis et de stress. Cela vient des deux côtés : il y a ceux qui se dédouanent à Vancouver et ceux qui passent directement par l’est de l’Arctique.

La sénatrice Simons : J’aimerais poursuivre avec vous, monsieur Topping et monsieur Morel-Laforce. On peut supposer que les changements climatiques, le réchauffement de la planète, étirent la saison de navigation, mais aussi qu’il y a plus de risques que des icebergs se détachent de la banquise et se mettent sur votre route. Vous dites attendre la Garde côtière lorsqu’un iceberg bloque le passage, mais que se passe-t-il si ce n’est pas le cas? Quelle est la partie la plus dangereuse du passage? Est-ce que ce sont les icebergs? Est-ce que ce sont les variations du niveau d’eau qui font que vous pourriez heurter quelque chose en dessous?

M. Topping : C’est difficile à dire. Ce ne sont pas des icebergs comme tels, mais des calottes et des plaques de glace qui peuvent se former rapidement dans les courants. Si cela se produit aussi pendant les opérations de manutention, où le navire est stationnaire, la glace a plus de chances de prendre et d’emprisonner le navire. En mer, le capitaine peut toujours contourner l’obstacle si on peut le renseigner sur l’étendue de la plaque qui vient vers lui et qu’on lui indique par où se faufiler. Nos capitaines sont extrêmement expérimentés. Nous sommes très fiers d’eux. Ils sont capables de s’en sortir aujourd’hui, jusqu’à maintenant.

L’autre grand problème que nous voyons, c’est la modification des fonds dans les voies navigables, dans le Sud comme dans le Nord, surtout dans les parties moins profondes aux abords des localités. La cartographie dans l’Arctique s’améliore, mais je crois que les cartes modernes couvrent environ 40 % des voies navigables. C’est un peu comme essayer de conduire sa voiture sans carte et deviner où se trouve la route, alors c’est un problème. Heureusement, nos capitaines connaissent les lieux parce qu’ils naviguent dans ces eaux-là depuis de nombreuses années.

La sénatrice Simons : Ces eaux-là sont en train de changer.

M. Topping : Elles commencent à changer, exactement, et nous avons besoin d’un coup de pouce. C’est une vaste, une immense région.

Je ne veux pas trop critiquer le gouvernement. Nous voulons certainement une meilleure approche, mais c’est aussi une immense région qui doit être cartographiée, et cela coûte cher d’envoyer des bateaux là-haut, de recueillir les données, de les traiter et de les intégrer aux cartes marines. Il faut que des navires se rendent là-haut et que des scientifiques et des experts analysent les données et s’en servent ensuite pour établir les cartes.

La sénatrice Simons : Merci.

Je voulais poser une question à M. Laskowski. Notre étude porte sur l’infrastructure de transport dans l’Arctique. Je comprends que vous avez d’autres doléances, mais vous avez été invité ici pour parler de l’Arctique. Je crois que vous connaissez l’infrastructure du camionnage au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, et je vous serais très reconnaissante de nous en parler un peu.

M. Laskowski : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.

Nos membres n’ont pas d’association dans ces régions, mais quelle est votre question exactement au sujet de desservir l’Arctique?

La sénatrice Simons : Eh bien, vous avez été invité ici aujourd’hui en raison de votre connaissance experte de Manitoulin Transport et de ses activités au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.

M. Laskowski : On m’a demandé de parler du Nord canadien et non du Yukon en particulier.

La sénatrice Simons : D’accord, le Nord canadien. Vous avez dit à la fin de vos propos que vous saviez quelque chose au sujet du pergélisol et des tests. J’aimerais simplement vous demander, puisque vous êtes ici, si vous pouvez nous dire quelque chose qui ait un rapport avec ce que nous faisons.

M. Laskowski : Bien sûr, si vous me demandez quelque chose qui a rapport avec ce que j’ai dit dans mon discours d’ouverture.

La sénatrice Simons : J’aimerais que vous nous parliez... pas de la Colombie-Britannique, de la frontière américaine ou de ces questions-là. Pouvez-vous nous parler des difficultés que pose le camionnage sur les routes d’hiver ou sur les routes endommagées par la fonte du pergélisol?

M. Laskowski : Madame la sénatrice, si vous me permettez, lorsque les routes sont fermées à la grandeur du Nord canadien et qu’il n’y a qu’une seule route pour s’y rendre, alors nous n’avons pas d’autre option que de passer par les États-Unis, comme nous l’avons dit en Colombie-Britannique. Lorsque j’ai parlé du pont à Nipigon, si ce pont est fermé...

La sénatrice Simons : Je suis désolée, je vais devoir vous interrompre. Merci beaucoup.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais poser une question d’ordre plus général. Je vais commencer par M. Laskowski, et peut-être que nos amis de la chambre de commerce pourront répondre également.

Il s’agit de se faire une idée plus générale, à plus long terme, de la meilleure façon de transporter les marchandises à travers le pays. Je n’en sais pas assez à ce sujet, mais on pourrait soutenir que le transport par chemin de fer est plus écologique que le transport par camion. Je comprends que je vous mets dans une situation délicate parce que, d’une certaine façon, le chemin de fer est votre concurrent. Je vous demande si, à long terme, votre concurrent n’est pas plus efficace que le camionnage dans certaines régions où il y a des voies ferrées, par opposition à celles où il n’y en a pas.

M. Laskowski : Bien sûr. Il ne fait aucun doute que le transport en vrac par train à travers le Canada, de par sa nature, est plus écologique si on pense à l’empreinte carbone. Nous desservons deux marchés très différents. Bien franchement, le camionnage et le transport ferroviaire s’associent lorsque c’est possible et que c’est logique pour les deux secteurs, y compris pour nos clients. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, l’industrie du camionnage fait sa part en investissant dans de l’équipement qui rejette moins de carbone. Nous sommes en train d’élaborer deux séries de règlements avec le gouvernement du Canada.

La vice-présidente : Monsieur, nous faisons une étude sur le Nord canadien, et nous nous intéressons au camionnage dans le Nord canadien.

M. Laskowski : Oui, j’ai entendu cela, madame la sénatrice. Je réponds à une question au sujet des chemins de fer et des camions, alors comment voudriez-vous que je l’applique au Nord canadien?

La vice-présidente : Eh bien, veuillez poursuivre.

M. Laskowski : Est-ce à vous que je réponds ou à l’autre sénateur? Le sénateur m’a demandé...

La vice-présidente : Vous répondez au sénateur Cardozo.

M. Laskowski : Si j’ai bien compris, la question du sénateur Cardozo portait sur la différence écologique dans la concurrence entre le camionnage et le transport ferroviaire au Canada. C’est bien cela, monsieur le sénateur?

Le sénateur Cardozo : Si vous pouviez achever votre réponse, nous passerons ensuite à autre chose. Merci.

M. Laskowski : Bien sûr. Pour ce qui est de transporter des marchandises vers le Nord, cela se fait principalement par camion et il en sera encore ainsi en raison de la nature de l’infrastructure ferroviaire et de la demande de transport par camion et des produits de base qui se rendent dans le Nord, comme c’est le cas de la plupart des marchandises qui circulent au Canada, que ce soit dans l’axe est-ouest ou nord-sud.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Cardozo : Puis-je demander aux représentants de la chambre de commerce s’ils ont des observations à faire sur le transport ferroviaire comparé au camionnage et sur le lien à faire avec les ports?

M. Topping : Tout d’abord, nous représentons le secteur maritime. Les chemins de fer et les navires sont plus efficaces, mais ils ne se rendent pas nécessairement au Walmart et au Northmart, dans l’Arctique, pas plus qu’ils n’approvisionnent directement les magasins à Iqaluit. Les camions peuvent le faire. Nos navires transportent la majeure partie du fret vers le Nord, dans l’Arctique de l’Est. Dans l’Arctique de l’Ouest, il y a la route et le chemin de fer. Sur les îles, dans l’archipel nordique, ce sont des navires qui livrent les marchandises directement aux localités grâce au remorqueur et au chaland qu’ils amènent avec eux pour transporter la cargaison jusqu’à la plage, où des coordonnateurs locaux s’occupent de la distribuer aux différents destinataires, qu’il s’agisse d’un véhicule neuf, d’une pompe à incendie, d’un téléviseur à écran plat, de stocks de nourriture pour les magasins ou de matériaux de construction. Tout est transporté là par Desgagnés et d’autres groupes comme NEAS et Woodward.

Le sénateur Cardozo : À terre, il y a divers types de véhicules qui transportent ces marchandises?

M. Topping : Oui.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse surtout à M. Sparling. J’ai bien aimé vos observations sur le transport aérien. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire lorsque vous avez dit que l’infrastructure aéroportuaire datait de la Seconde Guerre mondiale. Mon père avait l’habitude de raconter des histoires sur la construction des pistes d’atterrissage à Terrace et à Prince George, et je n’en reviens pas qu’on puisse encore les utiliser. Cela m’a fait sourire.

Quoi qu’il en soit, vous avez dit que le principe de l’utilisateur-payeur est unique au Canada. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet. J’ai pris cela comme une critique que le Canada soit le seul à l’appliquer. Je me demande si vous n’auriez pas un meilleur modèle à proposer, comment on pourrait le mettre en place et qui va payer la facture.

Vous avez dit aussi que si nous avions une meilleure infrastructure, nous pourrions utiliser de plus gros appareils. La question que je vous pose est la suivante : avons-nous actuellement les marchés qui justifieraient l’utilisation de plus gros avions, même si nous avions une meilleure infrastructure? Est-ce quelque chose de faisable sur le plan économique si nous avions une meilleure infrastructure? Est-ce que ce serait rentable pour notre pays, pour vous et pour l’industrie, d’utiliser de plus gros avions? J’admets que cela fait un lot de questions.

M. Sparling : Ce sont là deux questions très vastes. Parlons d’abord du système utilisateur-payeur.

Selon le modèle canadien, ce sont les utilisateurs du réseau de transport aérien qui devraient payer les coûts d’exploitation du réseau. Par comparaison, aux États-Unis, le réseau de transport aérien est considéré comme une infrastructure générale, un peu comme les autoroutes. Pour une compagnie aérienne canadienne, le coût moyen par siège-mille disponible dépasse d’environ 20 % celui d’un transporteur américain. Cela vous donne une idée de la différence.

L’industrie reproche depuis longtemps au gouvernement de traiter l’aviation davantage comme une vache à lait que comme un moteur économique. De nombreuses études démontrent pourtant que le transport aérien stimule l’économie et le développement économique. C’est une question importante qui fait débat depuis longtemps. En somme, nous utilisons au Canada un modèle de l’utilisateur-payeur qui est différent de celui utilisé dans d’autres pays. L’industrie de l’aviation en général souhaite que les compagnies aériennes paient une part moins importante des coûts d’infrastructure.

Pour répondre à votre deuxième question concernant les gros avions, je dirais que la plupart des transporteurs du Nord souhaitent moderniser leur flotte. Nous ne pouvons toutefois pas intégrer à nos flottes la plupart des appareils modernes. Ces gros appareils écoénergétiques ne fonctionnent pas sur le gravier. Nous sommes donc limités aux avions ayant un ou deux générations de retard par rapport à ceux qui desservent les régions plus populeuses du pays.

Le recours à des appareils plus gros et plus modernes nous permettrait de faire des économies de carburant. Dans notre propre marché, nous sommes en train de moderniser notre flotte d’avions à réaction, et nous anticipons des économies de carburant de l’ordre de 15 à 20 %. Ce sont des économies importantes. Pour ce faire, nous avons besoin d’appareils plus gros et plus modernes. Nous devons aussi moderniser notre infrastructure afin de pouvoir exploiter ce type d’avions.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : J’ai un commentaire à faire et une question à poser à M. Laskowski. J’enchaînerai avec une question pour la Chambre de commerce maritime.

Pour revenir à ce que nous disions, monsieur Laskowski, j’imagine que le fret chargé dans les conteneurs intermodaux transitera sans problème entre les camions, les trains et les cargos. Je pense que c’est le message que vous vouliez transmettre. J’en prends bonne note. Je vous remercie.

M. Laskowski : C’est exact. Merci.

Le sénateur Klyne : J’ai une autre question pour vous. Vers le milieu de votre exposé, vous avez mentionné avoir pris un engagement concernant les émissions de gaz à effet de serre. Je ne sais pas si c’est du côté du Canada ou des États-Unis ou des deux. Vous avez dit que vous alliez déployer ce que je suppose être un nouveau mode de transport pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et respecter votre engagement à cet égard. J’aimerais que vous m’expliquiez de quoi il s’agit. De quoi pourriez-vous avoir besoin pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des services essentiels que fournissent les camionneurs dans les régions nordiques et de quel type d’infrastructure vous avez besoin pour y arriver?

M. Laskowski : Certainement.

Nous nous attendons à ce qu’une proposition visant la transition à des véhicules à zéro émission soit présentée l’an prochain. Nous ne savons pas de quelle technologie il s’agit, nous ne pouvons que faire des suppositions, en nous basant sur la réglementation californienne. En Californie, la réglementation oblige les acteurs de l’industrie du camionnage, y compris les entreprises que je représente — qu’elles desservent le Grand Nord ou les régions du sud du Canada — de se doter d’un certain nombre de véhicules électriques. En 2023, il est difficile de parler de véhicules électriques capables de fonctionner n’importe où dans le froid. Les distances n’entrent pas en ligne de compte. Ces véhicules ne fonctionnent pas en hiver sur de grandes distances à Toronto, et ils ne vont certainement pas fonctionner au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest sur les longues distances qu’ils doivent parcourir là-haut.

Je n’essaie pas d’être négatif. Lorsque des véhicules pourront fonctionner dans ces conditions, et quelle que soit la technologie — électricité, hydrogène ou combinaison des deux —, il faudra construire une infrastructure et des postes de recharge, si c’est vraiment le véhicule de l’avenir, pour remplacer des stations de ravitaillement en diésel. C’est déjà un problème dans les centres densément peuplés, alors imaginez dans les régions moins peuplées. En tant que société, nous avons de grands défis à relever pour faire la transition des véhicules à diésel aux véhicules sans émission dans les régions densément peuplées, ce sera encore plus difficile dans les régions moins peuplées et plus froides.

Le sénateur Klyne : Qu’en est-il des biocombustibles en cours de développement pour remplacer le diésel et le carburéacteur?

M. Laskowski : Oui. Là encore, puisque la présidente m’a demandé de m’en tenir au Nord, les biocarburants — surtout le biodiésel — posent un problème de gélification, surtout à basse température. Diverses compagnies prétendent être en train de régler ce problème. La réalité, c’est que cela rend nos moteurs moins fiables.

Je le répète, je ne veux pas être négatif, mais c’est ainsi que nos camions sont conçus, tout simplement. L’industrie du camionnage est résolue à explorer les combustibles de remplacement, mais nous devons être conscients des limites de ces dispositifs et de ces technologies, particulièrement dans les températures très froides.

Le sénateur Quinn : Monsieur Laskowski, l’entreprise Manitoulin Transport, ou MTI, est membre de votre association, n’est-ce pas?

M. Laskowski : Elle est membre de l’Association de camionnage de l’Ontario et aussi d’autres associations qui forment l’alliance, oui.

Le sénateur Quinn : Merci. Je vais me concentrer sur les activités de MTI dans les Territoires du Nord-Ouest. Je crois comprendre que l’entreprise exerce ses activités au Yukon. Dans les Territoires du Nord-Ouest, quels échos entendez-vous de la part de ce membre au sujet des défis particuliers liés aux changements climatiques qu’il doit surmonter dans le Nord?

M. Laskowski : Je ne peux pas parler au nom de Manitoulin. Je peux parler de l’industrie du camionnage en général et des défis liés aux changements climatiques. Voulez-vous parler de leurs défis opérationnels, sénateur?

Le sénateur Quinn : Non. Pour faire avancer le débat, j’essaie de m’en tenir à la situation prévalant au nord du 60e parallèle.

M. Laskowski : D’accord.

Le sénateur Quinn : Je veux savoir quels défis les camionneurs doivent relever au nord du 60e parallèle en raison des changements climatiques et de l’infrastructure en place.

M. Laskowski : Vous avez parlé des cycles de gel et de dégel et de leur imprévisibilité. Dans notre industrie, le poids et les dimensions des camions sont évalués en fonction des essieux, sauf pendant les périodes de gel et de dégel. En termes simples, lorsque les routes sont gelées, vous pouvez transporter plus de marchandises. En période de dégel, il faut réduire le poids des camions. Cela complique la logistique et pose aussi des problèmes d’approvisionnement. Nous avons besoin de plus de camions et de plus de chauffeurs. Comme d’autres l’ont dit, notre secteur connaît un problème de main-d’œuvre. Ce problème est encore pire dans le Nord.

Le sénateur Quinn : Avez-vous des commentaires à faire au sujet des routes d’hiver par rapport aux routes praticables en toute saison? Y a-t-il des pistes de solution à cet égard?

M. Laskowski : Que ce soit au nord ou au sud du 60e parallèle, le gouvernement du Canada et les provinces ont un défi à relever pour trouver l’argent nécessaire pour moderniser l’infrastructure, non seulement à cause des impacts climatiques, mais aussi à cause des années de négligence de l’infrastructure et du manque d’investissement. Les changements climatiques ne font qu’amplifier le problème.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie, monsieur.

La sénatrice Simons : J’aimerais poser une question à M. Sparling puisque je n’ai pas encore eu l’occasion de le faire.

Vous avez parlé de notre système utilisateur-payeur, et la sénatrice Dasko est allée plus loin avec vous, mais soyons francs à ce sujet. Les gouvernements territorial et fédéral doivent-ils envisager un financement plus direct, non seulement pour le transport aérien de fret, mais aussi pour le service de passagers? Nous constatons déjà dans l’ensemble du pays, même au sud du 60e parallèle que les compagnies aériennes ne cessent de réduire leurs services, tout en s’efforçant de récupérer les pertes subies durant la pandémie de COVID. Dans le Nord, certaines liaisons aériennes couramment assurées dans le passé ont été interrompues. Les entreprises doivent faire des profits. Serait-il possible d’envisager un investissement ou une subvention fédérale plus directe, peu importe comment on l’appelle, pour rendre ces liaisons viables et mettre en place l’infrastructure dont nous avons besoin pour l’avenir?

M. Sparling : Dans notre région du Nord, il n’est pas nécessaire de subventionner les routes aériennes, selon moi, il faut plutôt concentrer les efforts sur l’infrastructure. Quant à l’idée de faire payer l’utilisateur, il importe de souligner que la vie dans le Nord dépend du service aérien. Le transport aérien fait marcher l’économie, comme je l’ai déjà mentionné, et il fait du Nord un meilleur endroit où vivre et travailler. Il nous enlève l’impression d’être un endroit isolé du Nord. Nous n’avons pas de postes de péage sur nos routes et je pense que l’aéroport et l’infrastructure de transport aérien doivent être financés à même les recettes générales et non en imposant des frais spéciaux aux utilisateurs de ces services. Les taxes sont déjà assez nombreuses. Les utilisateurs ne s’en rendent pas toujours compte parce qu’elles sont cachées dans le prix des billets d’avion. Comme je l’ai déjà expliqué, le coût moyen d’exploitation d’une ligne aérienne est beaucoup plus élevé au Canada qu’aux États-Unis, surtout à cause du modèle de l’utilisateur-payeur que nous utilisons et de notre structure fiscale. À mon avis, le montant d’argent que nous soutirons aux voyageurs par le biais des taxes est excessif. Nous devons renverser la vapeur si nous voulons un transport aérien fiable, abordable et sécuritaire. Nous devons investir dans l’infrastructure et éviter de demander aux utilisateurs de payer la facture.

La sénatrice Simons : Le problème, je suppose, c’est que les aéroports du Nord sont beaucoup moins gros que ceux de Vancouver, Toronto, Calgary et Halifax, qui peuvent compter sur un vaste bassin de payeurs. Norman Wells ne compte que 900 habitants. Il est impossible de financer un aéroport avec 900 personnes et des mineurs qui vont et viennent.

M. Sparling : Vous avez tout à fait raison et cela explique en partie pourquoi l’infrastructure dans le Nord date de la Deuxième Guerre mondiale. C’est tout simplement parce que le bassin de population n’est pas suffisant pour payer l’infrastructure nécessaire. Pourtant, en tant que pays, nous avons maintenant le mandat d’affirmer notre souveraineté dans le Nord, et promouvoir la réconciliation. Je pense que ces quelques mandats du gouvernement devraient susciter un peu plus d’intérêt à l’égard de la modernisation de l’infrastructure de transport dans le Nord.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : J’ai une brève question pour la Chambre de commerce maritime. Je n’avais encore jamais pensé à cela, mais il existe un organisme des Nations unies qui réglemente la sécurité du transport dans le monde et la protection du milieu marin. L’Organisation maritime internationale, ou OMI, s’est engagée à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime d’ici 2050 par rapport au taux de 2008, en chiffres absolus. Je n’étais pas au courant de cela, et je n’avais jamais pensé qu’il y avait un organisme de réglementation qui vous fixait des objectifs que vous devez atteindre. Je me demande où vous en êtes à cet égard. Pour atteindre ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, vous devrez investir massivement dans la recherche et le développement, notamment dans de nouvelles technologies sans carbone et de nouveaux systèmes de propulsion, comme l’hydrogène vert, l’ammoniac, les piles à combustible, les batteries et les carburants synthétiques produits à partir de sources d’énergie renouvelables.

Pourriez-vous dire au comité si votre secteur a des projets d’innovation en cours qui lui permettront d’atteindre ces cibles qui vous ont été prescrites, je suppose, par l’organisme des Nations unies? Y a-t-il quelque chose que vous pouvez faire ou que le gouvernement fédéral devrait faire pour soutenir vos projets d’innovation, en particulier dans les nouvelles technologies?

M. Morel-Laforce : C’est une excellente question.

Nos membres sont déterminés à dépasser l’objectif de l’OMI et ils disposent aujourd’hui de technologies pour y arriver. Il est aujourd’hui possible de transformer des déchets agricoles en un biocarburant pouvant alimenter un navire à 100 %. Il est possible d’y ajouter des additifs pour empêcher la gélification. Ce biocarburant permettrait de réduire les émissions de 80 %. Aujourd’hui, l’industrie maritime est capable de le faire et elle le fait. Des entreprises comme CSL ou Algoma Central Corporation sont en train de mettre ces carburants à l’essai. Le Desgagnés, qui navigue dans l’Arctique, est alimenté au gaz naturel liquéfié, ou GNL. Rien ne l’empêcherait d’utiliser du GNL vert, s’il y en avait sur le marché.

Si vous demandez ce que le gouvernement fédéral peut faire aujourd’hui pour contribuer à la décarbonation de l’industrie maritime et même de l’industrie aérienne, je dirais qu’il doit mettre en œuvre la réglementation qui lui permettra de créer un marché incitant les producteurs à commencer à mettre au point ces nouveaux carburants. Il y a un marché pour cela. Ce n’est malheureusement pas ce que fait le gouvernement fédéral. Aujourd’hui, il est très difficile pour un exploitant maritime d’utiliser du biocarburant parce qu’il aurait besoin d’obtenir une exemption réglementaire spéciale à cette fin et parce qu’il n’existe pas de marché où s’en procurer. Le biocarburant coûte plus cher et il n’est pas offert sur le marché, parce que le gouvernement fédéral n’encourage pas sa production.

Pour l’hydrogène, c’est plus complexe. Comme la densité énergétique de la molécule n’est pas assez élevée, il faut donc beaucoup d’espace pour stocker l’hydrogène dans un navire. Ce n’est donc pas vraiment pratique aujourd’hui.

La vice-présidente : Désolée de vous interrompre, mais nous avons épuisé et même dépassé tout le temps à notre disposition.

[Français]

Merci pour vos remarques. Voilà qui met fin à notre deuxième panel. Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour remercier nos témoins de s’être joints à nous, d’avoir répondu à nos questions et d’avoir partagé leurs perspectives avec nous.

Merci, sénatrices et sénateurs.

(La séance est levée.)

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