LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 27 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances; et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Leo Housakos: (président) occupe le fauteuil.
Le président : Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues.
Dans le premier groupe, nous avons le plaisir d’accueillir M. Robin Davidson-Arnott, professeur émérite, Département de géographie, de l’environnement et de la géomatique de l’Université de Guelph; et, par vidéoconférence, M. Jacob Stolle, professeur et responsable scientifique, Laboratoire hydraulique environnemental de l’Institut national de la recherche scientifique.
Bienvenue, et merci d’être parmi nous. Les témoins vont nous présenter leurs déclarations préliminaires, puis je vais céder la parole à mes collègues pour les questions. Nous allons commencer par M. Jacob Stolle. Vous avez la parole, monsieur.
Jacob Stolle, professeur et responsable scientifique, Laboratoire hydraulique environnemental, Institut national de la recherche scientifique : Merci beaucoup de me recevoir.
D’abord, je tiens à reconnaître que je m’adresse à vous depuis le territoire ancestral non cédé des Hurons-Wendats.
Je suis professeur d’hydrodynamique côtière et fluviale à l’Institut national de la recherche scientifique, à Québec. Mes recherches sont en grande partie axées sur la conception des infrastructures dans les régions côtières. J’ai travaillé sur le concept d’infrastructure d’évacuation verticale en cas de tsunami et, plus récemment, sur l’utilisation bénéfique des écosystèmes naturels pour assurer une protection contre les dangers côtiers comme les inondations et l’érosion.
Dans les cinq minutes qui me sont accordées aujourd’hui, je vais vous expliquer comment nous estimons les incertitudes liées aux changements climatiques et dans quel domaine nous manquons de données, au Canada, en ce qui concerne l’incidence des changements climatiques.
Je sais qu’il n’est pas très surprenant qu’un universitaire réclame haut et fort plus de données probantes, mais il est important de savoir que, dans les discussions que j’ai eues avec les parties prenantes du milieu universitaire, de l’industrie, des gouvernements et d’une communauté de pratique créée récemment au Québec, tous ont mis l’accent sur le manque de données et, tout particulièrement, sur l’incidence locale des changements climatiques sur les infrastructures essentielles et les infrastructures de transport, ainsi que sur l’entretien des instruments que nous avons mis en place. Ces recherches sont souvent effectuées par de petits groupes d’universitaires qui n’ont pas nécessairement accès à un financement continu.
Il est important pour nous d’avoir des données spatiales et temporelles à haute résolution sur les changements climatiques parce que nous utilisons beaucoup de modèles mathématiques pour estimer l’incidence locale des changements climatiques, par exemple les ondes de tempête, la diminution de la couverture de glace de mer et la montée du niveau de la mer. Même si nous pouvons aborder cet enjeu d’un point de vue global, au Canada — le littoral du Canada est le plus étendu au monde, en plus d’être très diversifié et bordé par trois océans, sans compter les Grands Lacs, le fleuve Saint-Laurent et l’estuaire du Saint-Laurent —, cela nous complique la tâche lorsque vient le temps de faire des recherches sur l’incidence locale, recherches pourtant importantes pour comprendre l’effet domino de l’incidence des changements climatiques sur nos collectivités locales.
Voilà le point sur lequel je voulais insister : nous manquons de données. Souvent, nous ne savons pas comment transposer les données que nous avons sur les régions locales et mettre en relief les défis clés auxquels sont confrontées les collectivités locales de tout le Québec et de tout le Canada. Je vous remercie de votre temps.
Le président : Monsieur Davidson-Arnott, vous avez la parole.
Robin Davidson-Arnott, professeur émérite, Département de géographie, de l’environnement et de la géomatique, Université de Guelph, à titre personnel : Merci de m’avoir invité ici. Je pensais d’abord me présenter sommairement avant de parler un peu de mon expérience en ce qui concerne les Grands Lacs, puis de ce que sont, à mon avis, les principaux effets des changements climatiques susceptibles d’influencer la navigation sur les Grands Lacs.
J’ai grandi à Trinidad et Tobago, et je suis venu au Canada en tant qu’étudiant, comme bien d’autres — et comme beaucoup plus aujourd’hui, je crois — pour faire un baccalauréat en géographie physique à l’Université de Toronto. J’ai poursuivi mes études jusqu’au doctorat et mené des recherches dans ce qui est aujourd’hui le parc national Kouchibouguac, au Nouveau-Brunswick. De grandes parties de mes travaux se déroulaient sous l’eau, sur l’eau ou sur terre. C’était utile de savoir faire de la plongée, parce que peu de gens en faisaient quand j’ai commencé, et, même si une grande partie de mes travaux n’étaient pas nécessairement merveilleux, ils étaient au moins nouveaux. Je me suis joint à l’Université de Guelph en 1976. J’ai pris ma retraite en tant que professeur en 2009, mais je poursuis mon travail tout de même depuis. Les vieux professeurs ne meurent jamais, semble-t-il.
Mes études dans la région des Grands Lacs ont porté principalement sur deux aspects : les processus côtiers responsables de l’érosion, du transport et du dépôt des sédiments sur les plages de sable, sous l’eau, et sur les dunes de sable des côtes, ce qui est probablement plus pertinent à l’égard des structures; et l’érosion sous-marine des falaises de till argileux.
En 1985, il y a eu plusieurs tempêtes violentes alors que le niveau de l’eau était très élevé, et tous les Grands Lacs ont subi des dommages évalués littéralement à des centaines de millions de dollars des deux côtés de la frontière. En réaction, la Commission mixte internationale — la CMI — a mené de 1987 à 1989 une étude sur les fluctuations du niveau des eaux des Grands Lacs, et j’y ai participé en tant que membre de la délégation canadienne du Groupe de travail technique. J’ai joué un rôle similaire dans le cadre de l’étude de la CMI sur les fluctuations des Grands Lacs d’amont, de 2008 à 2011. Cela m’a permis de comprendre comment fonctionne la Commission mixte internationale. Bien entendu, comme il s’agit d’une entité binationale, j’ai travaillé longuement avec des gens des États-Unis également.
Dans la foulée de cette étude, j’ai été détaché, en 1992-1993 et de 1993 à 1995, auprès du groupe de travail chargé d’élaborer la Politique de gestion des rives de l’Ontario. Au cours de ces trois années, nous avons aussi élaboré les directives techniques pour la mise en œuvre de cette politique par les offices de protection de la nature et par le ministère, lesquelles portaient surtout sur les obstacles et sur la façon dont le personnel faisait son travail.
Jusqu’à ce jour, j’ai continué à travailler avec les offices de protection de la nature, avec le ministère, avec Parcs Ontario et avec divers organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, y compris des propriétaires de chalet, qui sont probablement les gens qui demandent de l’aide avec le plus d’insistance.
D’après ce que j’ai lu sur les changements climatiques au Canada, l’un des effets les plus importants auquel nous pouvons nous attendre, et qui se fait déjà ressentir, c’est la hausse des températures. Les températures hivernales, en particulier, vont monter. Il y a beaucoup d’incertitude pour presque tout le reste, surtout en ce qui concerne les précipitations et les tempêtes. C’est-à-dire que nous ne savons pas si les tempêtes seront plus intenses et plus fréquentes ou s’il y aura plus ou moins de pluie et de neige. Il y a 20 ou 30 ans, on pensait qu’il y aurait moins de précipitations et plus d’évaporation, ce qui entraînerait une baisse du niveau des Grands Lacs.
Les choses ont changé, depuis. À présent, selon les prévisions générales, les niveaux resteront plus ou moins les mêmes. Une étude très récente laisse même penser que les niveaux pourraient monter un peu, ce qui aiderait probablement la navigation sur les Grands Lacs, le cas échéant.
La principale conséquence de la hausse des températures hivernales est que l’étendue en pourcentage et la durée de la couverture de glace des Grands Lacs vont diminuer, et c’est déjà commencé. Je pense que c’est une bonne nouvelle pour la navigation, probablement.
La responsabilité de la gestion des niveaux d’eau des Grands Lacs incombe à la Commission mixte internationale — la CMI —, et il y a seulement deux structures qui permettent de contrôler le système : l’une se trouve à Sault Ste. Marie et contrôle l’écoulement du lac Supérieur, et l’autre se trouve à Kingston et contrôle l’écoulement du lac Ontario dans le fleuve Saint-Laurent. Ce sont les deux seuls endroits où nous avons un certain contrôle sur les lacs.
Un point crucial est que la responsabilité de ce contrôle appartient à la CMI, qui doit se conformer aux protocoles et aux traités conclus entre les deux pays. Par exemple, le Sénat a très peu de pouvoir pour en modifier le fonctionnement.
Nous parlons beaucoup des changements climatiques, car ils soulèvent effectivement des enjeux très importants : la réduction de la couverture de glace est probablement l’enjeu le plus important. Cependant, la plupart des autres processus se poursuivent, ce qui veut dire que nous avons de grosses vagues et des tempêtes, des ondes de tempête et des fluctuations saisonnières et décennales du niveau des lacs. Les années El Niño auront aussi une influence, entre autres choses. Comme vous le savez, cela veut dire qu’il n’y aura pas de patinage sur le canal Rideau, mais les Grands Lacs seront eux aussi touchés. Toutes ces choses se passent maintenant, et nous ne devons pas l’oublier.
Une dernière chose; même s’il n’y a pas dans les Grands Lacs une hausse du niveau de l’eau comparable à la hausse observée dans les océans, il y a tout de même un soulèvement et un abaissement isostatiques qui font que, par exemple, au lac Supérieur, la côte nord se soulève, tandis que la côte sud s’abaisse. Le même phénomène se produit, par exemple, au lac Huron et au lac Michigan. L’extrémité sud du lac Michigan, près de Chicago, s’abaisse d’environ 30 centimètres par siècle, ce qui veut dire que les impacts sont à peu les mêmes que ceux causés par la hausse du niveau des océans.
Ces phénomènes vont se poursuivre, peu importe les changements climatiques. Pour gérer l’infrastructure de transport, vous devez par exemple prendre en considération l’endroit où vous vivez. Si vous vivez à Thunder Bay, vos ports sont en train de sortir de l’eau, tandis que, si vous vivez à Chicago, ils sont en train d’être submergés. Ce sont des phénomènes importants, et ils vont se poursuivre. Merci.
Le président : Merci, monsieur. Messieurs, je vais commencer la période de questions par une question portant sur la gouvernance, un sujet que M. Davidson-Arnott a abordé.
En effet, le Canada et les États-Unis ont créé un organisme mixte international, dont ils ont nommé les membres, pour gérer les Grands Lacs. Nous sommes continuellement — du moins, en ce qui me concerne, en tant que sénateur — en discussion avec les Américains et les Canadiens responsables de notre partie de l’entente, qui disent toujours que les choses ne fonctionnent pas efficacement. Il semble y avoir constamment un bras de fer entre les deux pays sur la question de savoir qui investit assez et dans quelle région.
J’aimerais que vous nous disiez tous les deux si, à votre avis, le système de gouvernance actuel est efficient et efficace. La coopération actuelle est-elle suffisante entre les divers paliers de gouvernement, pour ce qui est de la gestion du Saint-Laurent, vu tous les défis et toutes les possibilités qui accompagnent les changements climatiques, lesquels ne vont pas arrêter? Je vous demanderais à tous les deux de répondre à ces questions. Avons-nous en place un système de gouvernance idéal, et est-il fonctionnel?
M. Davidson-Arnott : D’après mon expérience à la CMI, le système fonctionne très bien. Parfois, il achoppe, mais il y a une très bonne collaboration entre tous les scientifiques et les spécialistes des sciences sociales qui y travaillent. J’ai effectivement vécu quelque chose de malencontreux dans la première mouture, mais c’est du passé, maintenant. De manière générale, je pense que les activités se déroulent très bien.
Le système doit avoir la capacité de résister aux pressions venant de divers groupes. Nous avons subi des pressions de la part des acteurs du monde des transports, qui voulaient que les niveaux de l’eau soient élevés, du moins durant la saison de la navigation, mais aussi des gens de l’hydroélectricité, du domaine des loisirs, des bateaux de plaisance, des chalets et des gens qui vivent en hauteur, sur la falaise.
Dans la deuxième mouture, de 2008 à 2011, les voix les plus véhémentes que nous entendions ne provenaient pas de l’industrie, mais bien des propriétaires de chalet et de maison du Michigan et vers Chicago. En deuxième place des voix les plus véhémentes, il y avait les propriétaires de chalet du nord de la baie Georgienne, qui accusaient les gouvernements de faire du dragage dans la rivière Ste-Marie, où elle se déverse dans le lac Huron, et d’avoir abaissé le niveau des eaux, faisant en sorte que leurs chalets se trouvaient maintenant à 300 mètres de l’eau. Ces distractions nous faisaient perdre de vue notre objectif principal, c’est-à-dire la façon de gérer le débit du lac Supérieur. Ces choses font partie de la vie.
Pour ce qui est des entités gouvernementales, mon impression est qu’elles fonctionnaient très bien. Cela a peut-être changé depuis, mais je n’en sais rien.
M. Stolle : Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit M. Davidson-Arnott. De façon générale, les choses semblent très bien fonctionner. Pour ce qui est de la collaboration entre les paliers de gouvernement, au Québec, du moins en ce qui concerne le fleuve Saint-Laurent, nous savons qu’il y a beaucoup de collaboration entre les municipalités et les gouvernements provincial et fédéral, et que cela semble fonctionner. Il va toujours y avoir des points de friction relativement au trafic maritime et des choses du genre. Il ne s’agit pas nécessairement de céder à la pression d’un groupe en particulier, mais de travailler entre scientifiques et parties prenantes pour s’assurer de garder un œil sur les cibles et l’objectif. En ce qui me concerne, je n’ai pas vu beaucoup de frictions non plus.
La sénatrice Simons : Merci à nos deux témoins. Vous avez très bien réussi à nous expliquer un problème très important, c’est-à-dire le manque de données et le manque de points de données qui font consensus pour les gens qui décident des politiques publiques.
Je suis la seule représentante de l’Ouest, ici, aujourd’hui. Je ne sais absolument rien de la Voie maritime du Saint-Laurent ni des Grands Lacs, alors j’ai trouvé tout ceci fascinant. J’ignorais, monsieur Davidson-Arnott, que nous avions un tel contrôle sur le niveau de l’eau dans les Grands Lacs. C’est une révélation. Quel est notre niveau de contrôle? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi, dans l’un des lacs, à l’extrémité où se trouve Chicago, l’eau ne circule pas de la même façon que sur la rive nord du même lac?
M. Davidson-Arnott : Cela remonte à la déglaciation. La glace s’est retirée du bassin des Grands Lacs vers le nord-est, ce qui veut dire que, quand la glace sur terre a trois ou quatre kilomètres d’épaisseur, elle abaisse le terrain, et il y a de nouveau un soulèvement. Mais c’est un phénomène très lent, et cela se produit parce que la glace était toujours présente vers le nord-est, du côté est du lac Supérieur et dans la région de la baie d’Hudson. Il y a donc eu moins de temps pour le soulèvement par la suite.
L’endroit où vous vous trouvez par rapport au déversoir du lac a une très grande importance. Le déversoir des lacs Michigan et Huron se trouve près de Sarnia, ce qui veut dire que, si vous êtes au bout du lac Michigan, vous êtes au sud de ce déversoir. Il y a donc une inclinaison, parce que le nord-est monte plus rapidement que le sud-est, et que le déversoir est au milieu.
À Chicago, vous vous trouvez à l’extrémité où le soulèvement s’est aussi arrêté très rapidement. À Parry Sound, vous vous trouvez sur le côté où le soulèvement est plus rapide. C’est tout ce qui se passe. L’élément critique, c’est l’endroit où vous êtes par rapport au déversoir. On le voit encore un peu dans le lac Ontario, ce qui veut dire que le déversoir à Kingston se soulève plus lentement que, disons, autour de Niagara, où les petits plans d’eau sont inondés.
On peut probablement faire de l’aviron au Manitoba.
La sénatrice Simons : En Alberta.
M. Davidson-Arnott : En Alberta, pardon. Ces petits estuaires, qui sont si utiles pour les courses d’aviron, à St. Catharines et aux alentours, sont inondés, parce que le soulèvement se fait très lentement. On parle de seulement quelques centimètres par siècle, en comparaison de la partie sud. Et cela va continuer ainsi.
Ce n’est pas si différent de ce qui se passe dans l’océan. Par exemple, si vous vivez dans le delta du Mississippi, vous vous enfoncez à cause du poids des sédiments. Il y a deux choses qui vous font couler en Louisiane : premièrement, le niveau de la mer, qui augmente tout autour du globe, et deuxièmement, la masse terrestre qui s’enfonce.
À Chicago, soyez assuré que les niveaux de l’eau vont continuer à monter, peu importe ce qui arrive.
La sénatrice Simons : C’est le moment idéal pour passer à M. Stolle. Quelle est l’incidence de la hausse du niveau de la mer sur l’eau qui se déverse dans le Saint-Laurent?
M. Stolle : En ce qui concerne l’incidence de la hausse du niveau de la mer sur le débit entrant du Saint-Laurent, l’une des grandes préoccupations qu’il y a ici, à Québec, concerne Lévis et l’apport en eau pour l’approvisionnement municipal et l’incidence potentielle de la présence d’eau saline, justement à cause de la hausse du niveau de l’eau. Dans les faits, il y a un risque de contamination de l’eau potable par l’eau salée. C’est quelque chose de très préoccupant, dans cette région.
Évidemment, en ce qui concerne le Saint-Laurent, il y a des effets similaires à ceux dont M. Davidson-Arnott parlait. Il y a l’ajustement isostatique, surtout sur la rive sud. Nous savons, encore une fois, que la rive sud du Saint-Laurent s’enfonce, où il y a une accélération de la hausse du niveau de la mer.
Ce qui est le plus préoccupant pour nous, dans la région du fleuve Saint-Laurent, c’est de réduire la couverture de glace, parce que cela contribue beaucoup à l’érosion de notre côté. Nos tempêtes hivernales — qui sont nos plus grosses tempêtes — peuvent atteindre la ligne côtière et causer beaucoup d’érosion. Selon la plus récente étude, le taux d’érosion moyen dans la région de la Gaspésie est d’environ deux mètres par année.
La sénatrice Simons : L’absence de glace sera peut-être plus propice à la navigation.
M. Stolle : À la navigation, oui.
La sénatrice Simons : Mais la conséquence à long terme est l’érosion des berges.
M. Stolle : Exactement, parce que la glace de rive, c’est-à-dire la glace qui est reliée au littoral, joue un rôle important parce qu’elle dissipe l’énergie des vagues, avant qu’elles n’atteignent la ligne côtière. Quand il n’y en a pas, cela peut avoir des conséquences importantes.
La sénatrice Simons : Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : D’abord, monsieur Davidson-Arnott, vous nous avez fourni une étude où l’on explique que les changements du niveau des lacs, qui sont le résultat des changements climatiques, pourraient affecter la capacité des navires à naviguer en toute sécurité.
[Traduction]
Vous avez toutes sortes de graphiques, dans votre étude, au sujet de la variation du niveau des eaux des Grands Lacs depuis 1860. Il y a quelque chose que je vous demanderais de nous expliquer.
Vous avez effleuré le sujet, mais pourquoi les changements sont-ils pires maintenant qu’ils ne l’ont jamais été? Le niveau de ces eaux a toujours varié.
M. Davidson-Arnott : De mon point de vue, il n’y a pas de différence. Quand je regarde le niveau des eaux au cours des 100 dernières années et même plus loin, les variations sont essentiellement les mêmes. En 2013, aux lacs Michigan et Huron, nous avons enregistré un record de moins de deux centimètres, environ.
Un des problèmes, quand vous observez une fluctuation sur une échelle décennale, c’est que deux centimètres, cela ne veut rien dire. C’est un fait que, depuis 1950, nous n’avons vu aucune variation réelle qui serait inhabituelle ou extrême en ampleur ou en durée.
Il y a eu beaucoup d’inquiétudes, encore une fois, puisque le niveau des lacs Michigan et Huron a été très bas ou moyen ou sous la moyenne pendant 13 ans, en 2013, mais le niveau des eaux a commencé à augmenter très rapidement, et il a augmenté jusqu’à atteindre, encore, des sommets. Mais ces sommets record ne sont, dans les faits, que de un ou deux centimètres. Si nous avions une échelle de 1 000 ans, alors dans ce cas nous pourrions dire, oui, il se passe quelque chose.
Dans l’ensemble, je ne pense pas qu’il y a eu de changement. Une chose sur laquelle j’aimerais insister, c’est que, pour le moment, personne ne dit que le niveau des fluctuations va changer considérablement. C’est une possibilité. Je ne suis pas expert en ce qui concerne l’équilibre des eaux des Grands Lacs, mais pour l’instant, nous ne nous attendons pas à voir de changements dans le niveau moyen des lacs. Donc, pour notre travail, nous avons pour point de départ les moyennes sur 20, 30 ou 40 ans.
Jusqu’ici, je ne pense pas que nous ayons vu quoi que ce soit qui donne à penser que nous allons assister à une augmentation importante vers les extrêmes. C’est en partie parce que la taille des bassins qui se versent dans les lacs ne change pas, et les déversoirs de chaque lac ne changent pas vraiment non plus, du moins si on regarde la coupe transversale de la région. Ce que nous observons de ce côté-là, ce sont de petits réglages quand le niveau des lacs est élevé, avec peut-être un peu d’affouillement et vice versa.
Je dirais que, pour le moment, je ne prévois aucun changement dans la fluctuation du niveau de l’eau des lacs.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est rare d’entendre de bonnes nouvelles, j’imagine, lorsqu’il s’agit de changements climatiques.
M. Davidson-Arnott : Effectivement. En ce qui concerne les lacs, aussi, ils ne se soucient pas de la fluctuation du niveau de l’eau ou de l’importance des fluctuations. Il y a certaines choses qui sont plus importantes pour la biologie des lacs.
L’un des groupes les plus bruyants, lors des deux études de la CMI sur lesquelles j’ai travaillé, était le groupe des biologistes; ils s’intéressaient évidemment aux milieux humides, l’habitat des poissons et, de nos jours, le lieu de séquestration de la matière organique. Ce sont des choses importantes pour les humains, mais pas pour les lacs. Pour le lac, les choses sont ce qu’elles sont.
Je ne pense pas que nous allons voir de grands changements dans les fluctuations.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Êtes-vous d’accord, monsieur Stolle, avec M. Davidson-Arnott et son point de vue optimiste sur nos lacs?
M. Stolle : Oui, les choses sont assez calmes. Je sais que je répète beaucoup de ce que M. Davidson-Arnott dit, mais, comme il enseigne aussi mon cours, je suis content de pouvoir témoigner en même temps que lui.
Concrètement, les changements s’opèrent lentement. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous n’avons pas les données des derniers siècles et millénaires qu’il nous faudrait pour comprendre s’il s’agit vraiment d’un changement et pour savoir si ce sera un changement important.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous nous parler un peu de solutions naturelles pour aider la ligne côtière à se régénérer? Peut-être que je n’emploie pas le bon mot.
M. Stolle : Oui. Ce n’est pas nécessairement nouveau : il y a beaucoup de choses que nous faisons depuis très longtemps. M. Davidson-Arnott a mentionné les terres humides, qui jouent un rôle très important pour la séquestration du carbone et de la matière organique, et qui laissent aussi leur place aux processus naturels.
Une des raisons pour lesquelles nous sonnons souvent l’alarme quand il est question des changements climatiques, c’est que nous n’avons pas vraiment prévu d’espace pour que les lacs ou les océans puissent absorber des changements aussi importants. L’idée derrière les solutions naturelles est simplement de prévoir de l’espace, dans ces régions, pour qu’elles puissent réagir aux nouveaux stresseurs. Ce ne sont pas des changements importants. C’est seulement que, dans beaucoup de cas, nous avons construit si près de la ligne côtière que les petits changements deviennent importants. Donc, pour ainsi dire, les solutions naturelles, fondées sur la nature, sont essentiellement de laisser à la nature l’espace pour réagir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Je dois admettre que, même si je vis à Toronto, je n’en sais probablement pas bien plus que la sénatrice Simons au sujet des Grands Lacs; toutefois, je connais certainement quelques propriétaires de chalet. Je n’en suis pas une, mais je sais exactement de quoi vous parlez quand vous dites qu’ils se plaignent.
Je vais commencer par M. Stolle. Vous avez parlé de l’absence de données. J’aimerais approfondir le sujet un peu plus. Pouvez-vous me dire pourquoi nous manquons de données? Le problème est-il technique, manquons-nous de technologies, devons-nous développer des technologies pour mesurer ce que nous cherchons? Est-ce que nous manquons de ressources? Est-ce qu’il y a des obstacles administratifs? Simplement, pouvez-vous nous en dire plus sur les problèmes par rapport aux données et aussi sur les données cruciales que vous cherchez et que vous n’avez pas? Merci.
M. Stolle : Merci. En ce qui concerne le manque de données, d’une part, je tiens tout d’abord à dire que, en tant qu’ingénieur des travaux maritimes, j’ai un faible pour les données sur les vagues. C’est souvent une chose assez difficile à mesurer. Beaucoup de modèles mathématiques que nous utilisons dans le Saint-Laurent et sur la côte du Pacifique aussi sont fondés sur deux ou trois bouées de mesure des vagues situées au large des côtes. Ensuite, nous sommes plus ou moins obligés d’utiliser ces modèles pour les appliquer plus proche du rivage, mais, chaque fois que nous le faisons, nous ajoutons des erreurs à nos estimations.
Pour ce qui est de la raison pour laquelle nous manquons de données, je pense que cela s’explique en partie du fait qu’il s’agit d’une approche très décentralisée. Il y a quand même beaucoup de données au Canada. Seulement, c’est souvent le fruit des travaux de deux ou trois professeurs de la côte Ouest, de deux ou trois professeurs de la côte Est, et de deux ou trois professeurs du Québec. Il n’y a pas nécessairement de suivi. Plus récemment, les données ouvertes sont devenues un outil très important pour la communauté universitaire, mais cela continue de dépendre beaucoup de la motivation de chaque professeur.
Il y a les observatoires de la marée du Service hydrographique du Canada pour le niveau de l’eau, des choses comme cela. Mais, souvent, seules les données très importantes sont recueillies longtemps au même endroit; c’est dans les ports que nous les recueillons le plus longtemps. Nous manquons vraiment de données spatiales. Prenez par exemple les infrastructures de transport, au Québec; vous avez la route 132 et la route 138 qui longent essentiellement le Saint-Laurent d’un bout à l’autre de la province. Nous avons donc vraiment besoin de ces données spatiales à haute résolution.
Ce sont les deux aspects. C’est peu, et nous avons commencé un peu tard, et maintenant c’est assez décentralisé. Nous n’avons pas toutes les données au même endroit. Nous les perdons quand les professeurs prennent leur retraite, quand les bureaux ferment, des choses comme cela.
La sénatrice Dasko : Vous pensez que nous devons centraliser davantage, qu’il faut que quelqu’un se charge de la collecte et de l’analyse des données, c’est bien cela?
M. Stolle : Généralement, on pourrait centraliser un peu plus dans la zone côtière, parce qu’il y a tant de petits comités et de petits groupes qui travaillent là-dessus, mais ce travail est peut-être légèrement différent en région. La plupart des objectifs sont les mêmes, donc ce serait bien de pouvoir partager un peu plus. Le plus gros groupe qui nous rassemble tous est l’Association Zone Côtière Canada. Je suis pas mal certain qu’il s’agit d’une organisation bénévole, donc personne ne maintient ce groupe ensemble. Cela devient assez difficile.
La sénatrice Dasko : Avez-vous un problème avec d’autres types de données pouvant être pertinentes pour l’étude de la voie maritime ou le problème concerne-t-il seulement les données sur les vagues dont vous venez de parler?
M. Stolle : Non, les niveaux d’eau sont clairement importants et très localisés; ils varient beaucoup. Un seul maréographe n’est pas suffisant pour couvrir une grande zone. Pour ce qui est de l’environnement, nous avons toutes sortes de données sur la température et [Difficultés techniques] l’oxygène et toutes ces choses qui sont assez importantes, des données météorologiques. Ce qui nous manque vraiment, c’est ce que nous appelons les données météocéans, qui sont des données météorologiques, soit la météo, puis l’océan, donc les processus physiques comme les vagues, les marées, les courants et ainsi de suite.
La sénatrice Dasko : Ma prochaine question s’adresse à M. Davidson-Arnott. J’aimerais revenir à ce dont a parlé la sénatrice Miville-Dechêne. J’ai cru comprendre de ce que vous avez dit que... vous avez dit que la fonte des glaces semblait entraîner des bénéfices nets, en gardant le...
M. Davidson-Arnott : Si l’on parle du transporteur... des déplacements, oui.
La sénatrice Dasko : Si j’ai bien compris ce que vous avez dit, les niveaux sont sensiblement les mêmes d’une année à l’autre. Dans ce cas, quels sont les problèmes les plus importants liés aux changements climatiques dont vous parlez, lorsqu’il est question de la voie maritime? N’y a-t-il pas beaucoup de graves problèmes, y en a-t-il quelques-uns? Et dans ce cas, quels sont les plus importants en ce qui concerne les changements climatiques?
M. Davidson-Arnott : Je vais revenir à ce que M. Stolle a dit : je parle bien entendu de l’érosion des falaises. Quarante pour cent de la rive du bassin inférieur des Grands Lacs est composée de falaises, dont les falaises de Scarborough. L’absence de glace en hiver veut dire qu’elles sont davantage soumises à l’action des vagues, mais, fait plus important encore, le lac lui-même est gelé moins longtemps, ce qui veut dire qu’il y a plus d’érosion sous l’eau. Je dirais que l’érosion augmente de 20 à 25 % avec le temps ou que l’on pourrait en arriver là. On protège aujourd’hui un bon nombre de ces falaises avec une armure de pierre, mais c’est très coûteux et ce n’est pas bon pour l’environnement.
Les caractéristiques des lacs continueront à évoluer, comme elles le font toujours. J’ai travaillé sur la pointe Long, une pointe de 40 kilomètres qui s’avance dans le lac Érié. Elle continue d’avancer de plus en plus dans le lac.
Selon moi, les conséquences les plus importantes des changements climatiques sont les effets de la température sur la structure de la colonne d’eau, dans les lacs, sur la végétation des lacs; il y a une prolifération d’algues, et ainsi de suite. Sur les différentes populations des lacs eux-mêmes, comme entre autres les animaux et les poissons. C’est pour cela que les biologistes sont les plus préoccupés par ce phénomène.
Pour moi, cela n’a pas d’importance. Si les vagues entraînent un peu plus d’érosion, il y aura simplement plus de sable sur les plages, ce qui me plaît, et les propriétaires de chalets en seront ravis. Ne vous détrompez pas, j’adore les chalets, bien que je n’en possède pas un moi-même. Bien entendu, ce qui est le plus difficile, la plupart du temps, c’est de convaincre les gens que ces processus sont à l’œuvre et de leur faire comprendre qu’il faut s’éloigner de la berge.
Il faut savoir que, en Ontario, le plan de gestion des rives tient compte non seulement des changements à long terme, mais aussi de la nécessité d’inclure les fluctuations du niveau du lac, de sorte que le recul des plages de sable permet ce que l’on appelle le dynamisme des plages, c’est-à-dire une réserve d’environ 30 mètres au-delà desquels votre maison devrait être située. Nous savons que, lorsque le niveau des lacs est bas, votre plage est plus large et tout le monde est content. Puis, le niveau de l’eau monte et commence à avaler votre plage. Elle peut reculer de 75 ou 100 mètres vers les terres. Votre chalet doit donc être situé plus loin que cela. Nous devons permettre aux processus naturels d’avoir une fluctuation dynamique, d’où le nom de ce processus. La réserve permet le dynamisme des plages.
Sinon, je n’ai pas de gros... mon problème, c’est seulement de convaincre les gens qu’ils devraient être capables de composer avec ce phénomène. Je leur dis toujours que j’ai travaillé à la Baie de Fundy, où les gens doivent composer avec une fluctuation du niveau de l’eau pouvant aller jusqu’à 12 ou 14 mètres, deux fois par jour. Nous pouvons sûrement nous adapter à une fluctuation du niveau des lacs qui, souvent, ne dépasse pas les deux mètres, est souvent bien moindre.
La sénatrice Dasko : Merci.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Si je comprends bien, la première chose est que, selon vous, les Grands Lacs sont en bonne santé, en ce sens que les lacs mêmes ne vont pas disparaître, mais localement, sur le plan biologique ou environnemental, ou pour les gens vivant autour des lacs, les effets climatiques sur ces lacs existent.
Ma première question a trait au transport : s’il y a maintenant moins de glace dans les Grands Lacs, il y aura un boom économique pour le transport maritime.
Le fait de pouvoir naviguer plus longtemps sur les Grands Lacs et l’effet de cela sur le transport des marchandises va-t-il affecter davantage les riverains ou les caps, les falaises?
[Traduction]
M. Davidson-Arnott : Je ne suis pas un expert du transport maritime, mais, compte tenu de mon travail, j’en connais un peu sur le sujet. Oui, je pense que nous pouvons dire que, s’il y a moins de glace, la saison de transport maritime pourrait s’allonger.
Dans certaines parties des lacs, et aux États-Unis, il y a du transport maritime toute l’année grâce aux brise-glaces. Le transport coûtera moins cher parce qu’on aura moins besoin des brise-glaces.
Le nombre d’années où il n’y a pas de glace du tout augmentera. Cette année, j’ai pris le train de Toronto à Ottawa. Je n’ai pas vu de glace nulle part, pas même dans les ports. Cela continuera ainsi; c’est inévitable. C’est certain, vu les changements climatiques.
Pour ce qui est du transport maritime, il y a deux enjeux. Tout d’abord, le milieu des lacs n’est pas un problème; ce sont plutôt les zones entre Sault Ste. Marie et l’entrée du lac Huron et de la baie Georgienne. Comme elles ne sont pas soumises à l’action des grosses vagues, de la glace s’y forme beaucoup plus fréquemment, et ce seront les derniers endroits à être libres de glace toute l’année.
C’est la même chose pour les ports. À Toronto, les traversiers qui vont du continent à l’île de Toronto doivent traverser de la glace, l’hiver, même s’il n’y a pas de glace sur le lac lui-même. Cela prendra du temps, mais cela arrivera, et cela facilitera les choses.
S’il y a moins de glace, cela veut dire que certaines infrastructures des ports seront davantage soumises à l’action des vagues et à l’érosion; l’entretien de ces infrastructures coûtera donc plus cher. Je ne connais pas l’ingénierie côtière des ports, mais la glace sur les structures pourrait en compenser une partie. Honnêtement, je pense que les impacts seront minimes, donc, le plus important, c’est que le secteur du transport maritime peut regarder vers l’avenir et modifier la longueur de la saison de transport maritime au regard du fait qu’il y a moins de glace.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci.
J’habite au Cap-Breton et je connais bien la Voie maritime du Saint-Laurent et l’effet des Grands Lacs. Chez nous, les pêcheurs sont concernés par l’exploitation pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent. Il y a quelques centaines de pétroliers qui passent devant nos côtes chaque année, et un seul pourrait créer un désastre environnemental en provenance de Montréal, de plus haut ou même des conteneurs qui passent près de nos côtes.
Je ne sais pas qui quelqu’un peut répondre à ma deuxième question. On n’a pas parlé des effets sismiques. Je ne sais pas si, géologiquement, les Grands Lacs sont sous des plaques tectoniques ou non, parce qu’on n’en parle pas. Savez-vous si les effets sismiques pourraient causer des changements aux Grands Lacs dans les années futures? Est-ce arrivé par le passé?
[Traduction]
M. Davidson-Arnott : Je ne connais pas assez cela. Il y a peut-être de l’activité sismique plus loin dans le Saint-Laurent. Généralement, il est peu probable qu’il y ait de l’activité sismique importante dans les Grands Lacs; historiquement ce n’est jamais arrivé. Il est possible que cela puisse générer un petit tsunami, mais il serait très petit. Il y a ce que l’on appelle des tsunamis météorologiques qui ne sont pas produits par l’activité sismique, mais par des conditions météorologiques dynamiques précises, qui entraînent des changements rapides du vent. Mais encore une fois, ce sont des effets minimes qui ne sont pas pertinents en ce qui concerne le transport maritime ou des choses comme cela. Je ne pense pas que cela fera partie de la planification du transport maritime.
M. Stolle : J’aimerais terminer en disant que, plus loin dans le fleuve Saint-Laurent, près de Baie-Saint-Paul, il y a une ligne de faille, où il pourrait y avoir un peu d’activité, mais elle n’est pas très active. Il n’y aura pas de tsunamis importants.
En ce qui concerne la côte Est du Canada, la principale préoccupation a trait aux tsunamis causés par les glissements de terrain, dont un est survenu sur la péninsule de Burin en 1929, si je ne me trompe pas, lorsqu’un petit tremblement de terre a entraîné un glissement de terrain dans le talus laurentien. Mais il est très peu probable qu’il y ait un tsunami dans le golfe du Saint-Laurent proprement dit.
La sénatrice Simons : Monsieur Davidson-Arnott, votre commentaire sur le fait que ce n’est pas un souci pour les lacs me rappelle une conversation que j’ai eue avec quelqu’un qui disait que « les changements climatiques tuent la planète ». J’ai répondu : « Oh non. La planète s’en tirera. Nous ne serons peut-être plus là, mais la planète continuera sans nous. » Mais je crois que la question n’est pas vraiment de savoir si les lacs s’en soucient, mais plutôt que notre comité des transports se soucie de l’incidence sur le transport.
Monsieur Stolle, je voulais vous poser une question sur l’incidence de l’érosion, qui sera évidemment un problème à long terme, plus que des ondes de tempête intermittente ou que des vagues anormalement hautes à certains moments. Si l’absence de glace entraîne une accélération du processus d’érosion le long des rives du Saint-Laurent, dans combien de temps l’érosion commencera-t-elle à être un véritable problème pour le transport sur le fleuve?
M. Stolle : C’est difficile à dire parce que cela dépend de la région. Mais on en discute déjà beaucoup dans bien des régions du Québec; on veut savoir ce qu’il faut faire avec les routes 132 et 138 parce que, dans certaines régions, elles passent près de la côte et sont inondées. Nous devons souvent réparer les infrastructures environnantes. Pour nous, ce sera une question d’équilibre économique, mais aussi de science.
La sénatrice Simons : Lorsque vous parlez des routes 132 et 138, de quoi parlez-vous?
M. Stolle : Ce sont des autoroutes qui longent la rive sud et la rive nord du Saint-Laurent.
La sénatrice Simons : D’accord. Je pensais à l’eau. Nous nous soucions aussi des autoroutes. Dans ce cas, quelles sont les incidences sur les autoroutes?
M. Stolle : Ces autoroutes se trouvent près des littoraux et elles longent souvent le Saint-Laurent. C’est une préoccupation importante dans de nombreuses régions parce qu’elles sont souvent la voie de transport principale. C’est parfois la seule voie de transport pour certains endroits.
La sénatrice Simons : Ce n’est pas clair. L’érosion menace l’intégrité de ces autoroutes?
M. Stolle : Ou elles sont inondées.
La sénatrice Simons : Ou elles sont inondées. Y a-t-il des discussions actives sur la possibilité de détourner ces autoroutes?
M. Stolle : Oui. Je crois que, maintenant, le ministère des Transports et de la Mobilité du Québec, le MTQ, demande au moins une analyse comparative pour savoir combien cela coûterait pour les détourner plutôt que les déplacer. Est-il préférable de les détourner plutôt que de bâtir de nouvelles infrastructures? Je pense que cette question devient pressante. Présentement, c’est toujours plus cher de déplacer une autoroute, mais je pense que cela changera bientôt.
La sénatrice Simons : Y a-t-il des voies ferrées qui pourraient elles aussi être touchées?
M. Stolle : Oui, tout à fait, dans certaines régions de la rive sud. C’est sans doute moins le cas en ce qui vous concerne, mais le train touristique de Charlevoix est aussi exposé à un risque.
La sénatrice Simons : Le train à hydrogène vert?
M. Stolle : Oui.
La sénatrice Simons : J’aimerais bien prendre ce train, mais je ne voudrais pas qu’il tombe à l’eau. Ce serait bien. Merci. C’est utile parce que nous nous sommes concentrés sur la question de l’eau. Il est essentiel pour notre étude de comprendre les répercussions sur les autres aspects de la chaîne d’approvisionnement des transports. Merci beaucoup.
Le président : Monsieur Davidson-Arnott, monsieur Stolle, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui et de répondre à nos questions.
[Français]
Honorables sénateurs, pour notre deuxième groupe de témoins ce matin, nous avons le plaisir d’accueillir Gino Moretti, maire de la municipalité de Saint-Anicet et président de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, ainsi qu’Eamonn Horan-Lunney, directeur principal, Politiques canadiennes, lui aussi de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
[Traduction]
Bienvenue, et merci de vous joindre à nous. Nous commencerons par la déclaration préliminaire de cinq minutes du maire Moretti avant de passer aux questions. Vous avez la parole.
Gino Moretti, maire de la municipalité de Saint-Anicet, et président de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Merci beaucoup de nous recevoir ici. Pour vous donner un peu de contexte, je suis un passionné de la vie. Après avoir passé 36 ans dans l’armée, qui m’ont valu quelques blessures et un trouble de stress post-traumatique — j’ai reçu le diagnostic il y a six ans —, je dois me calmer. Je m’excuse d’avance, mais, si j’accélère, je vais ensuite ralentir. Soyez patients avec moi. Merci.
Merci beaucoup de me donner l’occasion de venir témoigner. Je représente l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, un groupe de 250 maires et dirigeants locaux de villes en périphérie du bassin d’eau douce du Canada et des États-Unis. La région des Grands Lacs et du Saint-Laurent représente plus de 20 % de l’eau douce du monde et constitue une source d’eau pour plus de 40 millions de personnes dans les deux pays; c’est une ressource naturelle que nous devons protéger.
Je tiens à remercier les gouvernements précédents, les conservateurs aussi bien que les libéraux, de la stabilité du Fonds pour le développement des collectivités du Canada, que nos homologues américains souhaiteraient avoir dans leur propre système.
Les municipalités canadiennes sont déterminées à collaborer avec le gouvernement à l’égard d’enjeux nationaux, comme la crise actuelle du logement abordable. Aujourd’hui, toutefois, je parle d’un défi de taille qui nécessite des mesures collectives et des investissements stratégiques en vue de soutenir le commerce en eau douce dans le bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, qui s’étend sur deux pays, les États-Unis et le Canada; cela inclut huit États et deux provinces et, surtout, plus de 1 500 administrations locales.
La Stratégie de l’économie bleue, une stratégie maritime qui tient compte du commerce maritime en eau douce du Canada, est essentielle. Elle est axée sur l’engagement à préserver la chaîne d’approvisionnement. Dans le passé, le Canada s’est concentré davantage sur les politiques concernant les eaux de mer plutôt que l’eau douce. Pour la première fois, dans notre génération, l’Ontario et le Québec ont une stratégie maritime. L’Ontario suit l’exemple du Québec en soutenant activement une politique visant à faciliter le déplacement des personnes et des biens dans l’ensemble du réseau d’eau douce. Simon Kinsley, du ministère des Pêches et des Océans du Canada, a fait avancer la Stratégie de l’économie bleue. Compte tenu de l’importance de nos ressources en eaux douces, nous voulons renforcer nos infrastructures en eau douce et favoriser la croissance économique grâce à cette occasion unique.
En ce qui concerne le legs des problèmes d’infrastructure de transport, le transfert de propriété des infrastructures de transport du gouvernement canadien aux administrations locales et à la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, dans les années 1980 et 1990, a été utile aux initiatives locales, mais a compliqué le changement de l’ensemble du système. Bon nombre d’anciens accès au transport le long du Saint-Laurent et des Grands Lacs relèvent maintenant des administrations locales; autrement, les organisations auraient eu besoin de plus de pouvoirs pour assurer le développement.
Une attention immédiate et des solutions collaboratives sont nécessaires pour corriger les déséquilibres budgétaires et assurer la résilience de nos infrastructures de transport. Cela est essentiel si nous voulons déplacer un plus grand nombre de personnes et de biens grâce à un système de transport à faible émission de carbone qui a été à l’origine de la prospérité économique régionale avant même la colonisation.
En ce qui concerne l’adaptation aux changements climatiques et la résilience des infrastructures, les défis qui se posent pour l’environnement physique sont exacerbés par les changements climatiques et menacent directement les infrastructures, dont une bonne partie durant leur cycle de vie; la réduction de la couverture de glace dans le bassin cause des problèmes environnementaux, les tempêtes hivernales causent d’importants dommages et de l’érosion et les phénomènes météorologiques endommagent les murs de soutènement. L’incertitude des conditions météorologiques et les factures de réparation élevées excèdent la capacité des administrations locales, qui reçoivent seulement huit cents pour chaque dollar d’impôt pour protéger le transport des biens et des personnes dans la région d’eau douce des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Nous devons nous attaquer à la hausse des coûts des changements climatiques sur nos infrastructures.
La création de l’Agence de l’eau, de concert avec l’engagement renouvelé du gouvernement du Canada à l’égard de l’eau douce et de la Stratégie nationale d’adaptation, encourage un examen des répercussions économiques et des possibilités d’investissements dans les infrastructures résistantes au climat.
Il faut collaborer avec nos collègues américains du bassin d’eau douce; les gouvernements fédéraux des deux pays ont la possibilité de travailler ensemble à l’élaboration de programmes stratégiques. Il faut apporter des changements pour encourager le transport des biens et des personnes dans l’ensemble des régions internationales d’eau douce, vers Montréal et d’autres ports du fleuve Saint-Laurent, pour relier la région du bassin d’eau douce aux chaînes d’approvisionnement mondiales.
En conclusion, cette année, des maires canadiens et américains de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent ont élaboré ensemble un plan de transformation économique pour le commerce de eau. Pour améliorer la circulation sur le réseau d’eau douce, les administrations locales peuvent jeter les bases d’une économie durable sur le plan environnemental pour la prochaine génération en mettant en profit les efforts combinés des gouvernements fédéraux et provinciaux à l’égard de programmes stratégiques et de mécanismes de financement harmonisés. Il faut modifier les programmes et politiques actuels pour permettre aux administrations locales canadiennes de mettre à l’essai des solutions innovantes pour une croissance efficace et durable. Nous devons aussi composer avec les problèmes liés aux anciennes infrastructures. Dans le secteur maritime en plein essor, travaillons ensemble pour assurer la prospérité de notre pays pour un avenir plus résilient.
Grâce à la confiance des administrations locales et à la collaboration entre les gouvernements, l’industrie et les autres intervenants, nous pouvons trouver une manière de créer plus d’emplois et de la propriété intellectuelle de calibre mondial, comme l’ont mentionné plus tôt les professeurs, et de stimuler l’activité économique dans un environnement durable, qui peut générer les revenus nécessaires pour faire des investissements. Comment pouvons-nous accomplir cette tâche collectivement pour la prochaine génération? Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, messieurs. Monsieur Moretti, je vais vous poser une question. Je vous remercie d’avoir parlé en général des craintes de votre association, mais comme vous êtes maire de Saint-Anicet, j’aimerais que vous nous expliquiez quelle est la situation à Saint-Anicet et ce qu’il vous faudrait sur le plan des ressources. Est-ce que l’eau monte? On nous a dit que, dans les Grands Lacs, ce n’est pas un problème. Expliquez-nous quels problèmes vous vivez, ce que vous avez et ce que vous voudriez comme ressources.
M. Moretti : Premièrement, la municipalité est au début du lac Saint-François, le début du fleuve Saint-Laurent. On reçoit un débit du lac Ontario. Le lac Saint-François est régi par deux barrages : celui d’Ogdensburg à Cornwall et celui de Beauharnois près de Valleyfield. Malheureusement, quand il n’y a pas de glace, il y a beaucoup d’érosion et de sédiments, avec tous les changements climatiques.
À l’heure actuelle, dans certains secteurs de Saint-Anicet, il y a 43 kilomètres carrés d’eau. L’érosion est évidente. J’ai des sédiments qui sont en train de s’accumuler, ce qui va provoquer une inondation dans nos secteurs. Comme nous l’avons vu l’été dernier, avec le verglas, l’eau va monter de six pouces. Par contre, l’érosion ou la sous-érosion gruge toutes les infrastructures. Les trois premières municipalités au bord du Saint-Laurent sont toutes des municipalités rurales avec une population de moins de 2 800 habitants. Nous n’avons pas les ressources nécessaires. Nous n’avons pas le financement nécessaire.
En 1979, la municipalité de Saint-Anicet a reçu un quai du gouvernement fédéral pour qu’il soit développé. Nous attendons depuis six ans que des réparations soient faites à ce quai en raison de l’érosion et des changements climatiques qui modifient le courant de l’eau et des sédiments. Voilà la situation, madame.
La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, il n’y a pas d’argent qui vient du fédéral?
M. Moretti : Non. Il n’y a pas d’argent pour les municipalités au long du fleuve Saint-Laurent, que ce soit de la part du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial. Il n’y a pas d’argent du tout. Il n’y a rien. Les municipalités ont la responsabilité de trouver un moyen innovateur de réduire les niveaux d’eau. Malheureusement, ce sont les propriétaires — comme moi, entre autres — qui sont responsables de protéger leur terrain. J’ai perdu 300 pieds de terrain à cause de l’érosion.
On essaie de tenir compte de ce que nous recommandent les biologistes et les ingénieurs, mais il n’y a pas de glace. La glace protégeait les bords de l’eau. Il ne faut pas oublier que lorsque le gouvernement a développé le fleuve Saint-Laurent, c’était innovateur, mais je ne pense pas qu’il ait pris en considération les changements dans le courant, les changements climatiques et la largeur actuelle, qui causent des problèmes. Les sédiments et l’eau montent. Cet été, nous avons été chanceux : nous n’avons eu que trois inondations dans ma petite municipalité. Nous avons seulement 21 employés. Je peux vous dire que nous avons plus de bénévoles qui viennent nous aider pour que les personnes qui sont seules soient en mesure de protéger leur résidence.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une sous-question. J’ai su qu’il y avait des stratégies, du côté des gouvernements ontarien et québécois, pour les eaux qui ne sont pas des eaux de mer. Est-ce que ces stratégies vont changer quelque chose? On a essayé d’inviter les responsables de ces stratégies, mais on n’a pas eu de réponse positive. Je comprends bien que vous n’avez pas d’argent, mais est-ce que quelqu’un s’intéresse à votre sort, quelque part? Est-ce qu’il se passe quelque chose?
M. Moretti : Oui, il y a quelque chose qui se passe. Je vais laisser la chance à mon collègue d’en parler.
[Traduction]
Eamonn Horan-Lunney, directeur principal, Politiques canadiennes, de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent : Pour être bien certain, parlez-vous d’une stratégie maritime pour la province de l’Ontario et la province du Québec?
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.
M. Horan-Lunney : Il s’agit d’une première stratégie économique élaborée depuis une génération. On est en train de chercher une manière de créer un secteur de la construction navale. Comment recruter suffisamment de personnes pour travailler dans ce secteur? Comment créer de nouveaux corridors pour transporter des biens et des personnes? Je crois que votre question précédente concernait l’érosion et les niveaux d’eau.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.
M. Horan-Lunney : L’année dernière, le gouvernement fédéral en a fait davantage au chapitre de l’eau douce qu’il n’en a fait depuis presque une génération. La création de l’Agence canadienne de l’eau a fait pression sur de nombreux ministères qui étudient l’eau douce pour la première fois, car ils n’avaient jamais fait cela avant. Quelque chose dont s’occupait activement l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent en 2017, 2018 et 2019, lorsque nous avons rédigé plusieurs rapports en collaboration avec des gens de l’Ontario et du Québec. Ces recommandations sont en train de devenir des programmes pilotes pour l’Agence canadienne de l’eau. L’année dernière, pour la première fois, à ce que l’on sache, Ressources naturelles Canada, ou RNCan, qui a toujours porté attention à l’érosion des berges sur les côtes des eaux salées, a autorisé les responsables des côtes en eau douce à présenter des demandes pour mener des projets pilotes.
À l’heure actuelle, nous vivons un moment très particulier, car les choses ne font que commencer. Nous sommes très optimistes à l’égard de cette approche pangouvernementale, que ce soit la Stratégie nationale d’adaptation, qui examine les répercussions économiques du changement climatique; que ce soit le Plan d’action sur l’eau douce, qui examine bon nombre de plans d’eau douce partout au Canada; que ce soit cette nouvelle cartographie des inondations que l’on commence à établir; tout cela commence aujourd’hui. Il est trop tôt pour dire si... Ce que nous disons, c’est qu’il est très encourageant de voir de nombreux ministères fédéraux jouer un rôle dans les politiques en matière d’eau douce par le truchement de ces petits projets pilotes dont nous espérons tirer profit à l’échelle des administrations locales afin d’illustrer les besoins, parce qu’une municipalité comme celle-ci n’aura jamais l’assiette fiscale nécessaire pour payer pour les dommages causés par l’érosion qui touche notre communauté.
Ces érosions touchent tout. Elles touchent le logement. Je sais qu’il y avait des maisons dans des collectivités du lac Érié, en bordure du plan d’eau, avant l’avènement de la photographie. Ces maisons ont toujours été là, mais maintenant, en raison des changements climatiques, elles sont menacées. Elles ne peuvent plus avoir de fosses septiques. Une maison sans toilette à chasse d’eau n’est pas une maison. Que vont-ils faire de ces 100 maisons, là-bas? Cela se passe partout le long des rives des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
Étant donné que nous composons avec les anciennes infrastructures qui ont été construites à l’époque de la Voie maritime et qui sont habituellement des infrastructures très solides ou qui ont été construites avant que nous comprenions bien la variation des niveaux d’eau des lacs et des rivages — qu’il s’agisse d’un mur de soutènement dans une collectivité de la région du Niagara ou de maisons qui se trouvent le long du fleuve Saint-Laurent depuis les années 1800 —, des commerces et des maisons sont maintenant menacés. L’assiette fiscale locale ne suffira jamais pour régler le problème. Comment pouvons-nous élaborer des stratégies pour faire face au problème des rivages tout en investissant et en créant de nouveaux débouchés économiques?
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
M. Moretti : L’Université Concordia lance un programme en mars sous la direction de M. Lee. Je suis président de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, et j’ai occupé le poste de coprésident de la Table de concertation régionale Haut-Saint-Laurent–Grand Montréal.
De plus, dans la zone communautaire...
[Français]
— qui est une version prioritaire —
[Traduction]
... sur le fleuve Saint-Laurent. Le problème, c’est que nous ne comprenons pas tout à fait ce qui se passe non seulement à la surface de l’eau, mais sous la surface, où l’eau érode la majeure partie du littoral, grugeant les falaises escarpées, qui se retrouvent au milieu de la voie maritime, ce qui aura des répercussions sur l’économie.
Le professeur Lee de l’Université Concordia, avec l’aide de l’Université Queens, de l’Université Trent et d’une université du nord-ouest de l’État de New York, travaille de concert avec l’Alliance des villes, la NOAA et le corps du génie de l’armée américaine pour trouver une solution à ce sujet.
[Français]
La sénatrice Simons : Merci, monsieur le maire. Je trouve votre témoignage très intéressant, car je suis en train de faire une petite enquête au sujet des pouvoirs des villes par opposition à ceux du gouvernement fédéral.
[Traduction]
Étant donné que nous faisons des études de cas, nous avons parlé avec les maires de villes du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, qui sont aux prises avec les coûts liés à l’érosion de l’isthme de Chignecto. Nous avons discuté avec des dirigeants municipaux de la région métropolitaine de Vancouver, à qui on a délégué la responsabilité de l’entretien des digues.
J’ai parfois l’impression que les municipalités se font embobiner et féliciter; on leur donne de l’autonomie et du pouvoir, on les laisse gérer la situation, mais elles restent ensuite en plan, sans argent pour payer les infrastructures.
Tout en sachant qu’aucune municipalité ne souhaite renoncer à son autonomie, bien entendu; au début de votre témoignage, vous avez dit à quel point il était important de redonner le pouvoir aux personnes, mais maintenant, il faut composer avec une assiette fiscale restreinte qui ne peut absolument pas soutenir la construction des infrastructures nécessaires pour prévenir l’érosion. M. Horan-Lunney a parlé du début de nouvelles politiques. Que vous faut-il concrètement pour vous assurer que vos collectivités ne s’érodent pas sous vos pieds?
M. Moretti : Il nous faut tous des faits. Les gouvernements locaux sont plus proches de la population et ont trop souvent un point de vue théorique... Il faut trouver les recherches; nous devons consulter les municipalités locales.
J’ai passé de nombreuses années au Nouveau-Brunswick. Le Canada a réalisé un travail important pour les côtes Est et Ouest en ce qui concerne l’érosion. L’eau douce, quant à elle, a malheureusement été négligée. Je crois que le Canada doit former un partenariat avec la NOAA ainsi qu’avec le U.S. Corps of Engineers. Ces deux organismes et le Canada possèdent certains des meilleurs chercheurs sur le plan théorique, qui peuvent trouver une solution.
Pour les petites municipalités, avoir quelqu’un qui non seulement effectue une étude, mais qui la communique à d’autres petites municipalités... les pratiques exemplaires évoluent. Parfois, nous devons enlever des formalités administratives. Je ne dispose pas du financement final. Je n’ai qu’un budget de 5 millions de dollars et je dois m’occuper de 43 kilomètres de rivage. Nous oublions souvent une chose... Nous avons mentionné précédemment un déversement de pétrole. S’il y a un déversement de pétrole dans l’eau de mer, le sel permettra de dissoudre le pétrole assez rapidement. Malheureusement, dans l’eau douce, lorsqu’il y a un déversement d’un navire marchand, on ne peut rien faire. Ni la Garde côtière canadienne ni la garde côtière américaine ne possèdent l’infrastructure pour contenir un déversement donc, en attendant l’aide du gouvernement fédéral, dans ma municipalité, il reste 21 pompiers volontaires pour contenir le déversement de pétrole dans la voie maritime du Saint-Laurent. Il ne me reste plus de temps pour parler d’un plan d’urgence, des ressources pour les petites municipalités ou du partage de ressources techniques.
M. Horan-Lunney : Nous avons l’avantage de former une organisation binationale. Nous pouvons observer comment le gouvernement canadien, l’Ontario et le Québec traitent avec leurs municipalités. Nous pouvons voir comment huit États des États-Unis règlent leurs problèmes d’infrastructure. Il y a des avantages et des inconvénients dans chaque système. Les Américains reçoivent de temps à autre une somme incroyable. C’est irrégulier. Nous obtenons un financement stable, prévisible et à long terme, mais ce n’est pas suffisant. Les deux systèmes présentent des avantages et des inconvénients.
En ce moment, le cadre budgétaire de chaque municipalité est structuré selon la province — de 60 à 80 % de toutes les infrastructures — mais elles n’obtiennent que huit cents par dollar d’impôt. Statistique Canada est actuellement en train de mener un merveilleux sondage sur toutes les infrastructures du Canada. Nous essayons de savoir si les infrastructures sur nos rivages, que ce soit des infrastructures matérielles comme les murs de soutènement et les ponts, et les infrastructures souples, sont incluses. Si nous devons protéger tous les rivages des Grands Lacs — et l’Ontario en possède plus que toute autre province — et du Saint-Laurent, combien cela coûtera-t-il pour s’assurer que ces infrastructures ne s’érodent pas pour finir dans les lacs?
Notre cadre budgétaire n’est pas assez solide pour octroyer aux municipalités les ressources dont elles ont besoin. Toute l’activité économique qui est créée par les nouvelles chaînes de transport et d’approvisionnement... Les municipalités ne verront pas cela. Les navires passent devant votre collectivité. Il se peut que vous ne voyiez jamais l’activité économique dans votre collectivité, mais vous vous exposez quand même à un risque du fait de l’érosion et du transport. Jusqu’à ce que nous trouvions une façon pour que le cadre économique reconnaisse mieux les risques auxquels sont exposés les municipalités et les biens qu’elles possèdent, il sera difficile de résoudre entièrement ce problème.
La sénatrice Simons : Pouvez-vous parler des routes et des chemins de fer qui traversent votre collectivité ainsi que des répercussions qu’elle subit en raison de celles-ci?
M. Moretti : Bien sûr. Comme l’a mentionné M. Stolle, la route 132 commence à Dundee, à environ 10 kilomètres de ma municipalité. La route 132 est également importante si le barrage d’Iroquois Falls se rompt ou [difficultés techniques] contrôlera les eaux. Nous ne possédons pas de train en ce moment, mais il y a une route qui se trouve dans la vallée; la route 132. L’augmentation de l’érosion aura des répercussions.
Plus vous vous approchez de Salaberry-de-Valleyfield et de Montréal, plus une inondation aurait des répercussions importantes sur les autoroutes 20 et 40. La voie ferrée et [difficultés techniques] seront touchés. Ils doivent traverser la voie maritime du Saint-Laurent, et l’infrastructure a effectivement des répercussions.
La sénatrice Simons : Vous aviez... vous avez également un pont.
M. Moretti : Oui.
La sénatrice Simons : Je me suis présentée à la réunion ce matin en pensant que nous parlerions du transport maritime, mais c’est vraiment une révélation pour moi d’apprendre que les répercussions de l’érosion touchent également les chemins de fer et les routes.
M. Moretti : J’ai eu la chance de participer avec le secteur maritime à l’étude concernant la façon dont on peut améliorer le déplacement des personnes et des biens dans le secteur maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent. La plupart des entreprises canadiennes qui vont là font faillite. Il vaut mieux faire du commerce hors du Canada que dans les Grands Lacs. Les industries des Grands Lacs et du Saint-Laurent forment le troisième partenaire d’investissement en importance de l’Amérique du Nord.
En ce qui concerne le transport de marchandises, si nous voulons réduire le nombre de trains et de camions, les petits navires peuvent transporter les biens du point A au point B et auront moins de répercussions sur l’érosion imputable aux vagues. De plus, si vous prenez un bateau à Duluth, au Minnesota, et vous vous rendez à Montréal, vous devriez pouvoir monter à bord de ce bateau, arrêter à Toronto et à Waddington, dans l’État de New York. Waddington a de graves problèmes financiers. Plus personne n’arrête là comme c’était le cas auparavant avec les bateaux fluviaux, alors cela nuit à son économie.
Saint-Anicet était le point commercial au début des années 1800 et 1900. S’il pouvait y avoir un navire qui fait un arrêt pour une expédition à terre, cela favoriserait énormément l’économie locale, et cet argent pourrait être investi dans la protection du rivage.
La sénatrice Simons : Merci. J’aimerais visiter votre ville.
M. Moretti : Vous êtes assurément la bienvenue. Je serais ravi de vous accueillir à Saint-Anicet. Comme on le dit chez nous :
[Français]
C’est le paradis de la MRC du Haut-Saint-Laurent et la perle de notre province.
[Traduction]
C’est le paradis de la région du Haut-Saint-Laurent, mais la perle de la province. Une perle peut uniquement se développer lorsque tous les acteurs importants unissent leurs efforts. Cependant, une perle ne grandira pas dans une eau impropre. Une perle se développera si elle a des ressources propres et durables pour la prochaine génération.
La sénatrice Dasko : Merci d’être présent aujourd’hui. J’ai quelques questions à vous poser. La ville de Toronto fait-elle partie de votre organisme?
M. Moretti : Toronto et Chicago...
La sénatrice Dasko : J’allais poser la question pour Chicago et Detroit.
M. Moretti : Chicago et Toronto étaient les membres fondateurs de l’organisme. Il y a 21 ans, le maire Thompson a déclaré que les gouvernements fédéral, provincial et de l’État en eu plein les bras. Nous devons jouer un rôle actif au sein du gouvernement local. Oui, Detroit en fait aussi partie ainsi que Montréal, la ville de Québec et Rimouski.
La sénatrice Dasko : Chicago?
M. Moretti : Chicago et Milwaukee. Nous avons plus de 250 municipalités qui participent. Nous prenons de l’ampleur.
La sénatrice Dasko : C’est génial. Toutes ces grandes villes qui font partie de l’organisme.
M. Moretti : Tout à fait.
La sénatrice Dasko : Pouvez-vous demander des ressources à ces villes?
M. Moretti : Je les rencontre et parle avec elles. Nous avons créé huit États et deux provinces. Notre problème de tuyaux en plomb est moins important qu’aux États-Unis, nous leur communiquons donc les pratiques exemplaires que nous avons au Canada.
En ce qui concerne les Grands Lacs, comment pouvons-nous les protéger de l’érosion? Comment passons-nous d’un corridor industriel à un corridor entouré d’une ceinture verte assorti d’une économie bleue? Nous avons les mêmes pratiques.
Les maires ne connaissent pas les frontières. Nous mettons en commun nos pratiques exemplaires. Nous avons la possibilité de représenter notre organisme, que ce soit à Washington, D.C., ou ici aujourd’hui pour faire entendre notre voix dans un cadre binational comme M. Eamonn Horan-Lunney l’a dit. En fait, nous sommes une seule et unique force.
La sénatrice Dasko : C’est merveilleux. Monsieur Horan-Lunney, je voulais revenir sur votre commentaire au sujet des villes américaines et de leur participation. Vous avez parlé des différents types de financement que les Canadiens et les Américains reçoivent. Pouvez-vous donner plus de détails? Existe-t-il des différences? Est-ce que les villes américaines contribuent considérablement à l’organisme et à ces enjeux? Gèrent-elles ces problèmes de façon différente au chapitre des mesures d’atténuation ou de l’optique?
M. Horan-Lunney : Les Américains ont bénéficié d’un financement stable d’année en année grâce au programme de restauration des Grands Lacs. Cependant, les cycles budgétaires américains sont différents des nôtres. Ils doivent demander cet argent chaque année. Les fonds doivent être affectés de nouveau. La semaine prochaine, je pense que 15 maires se rendront à Washington, dans le cadre d’un groupe plus important d’environ 300 personnes provenant de groupes d’intervenants des Grands Lacs, pour cinq jours de lobbying. C’est ce qu’ils doivent faire chaque année pour s’assurer que leur financement se poursuit. Il s’agit notamment de la U.S. Army Corps of Engineers, responsable d’une grande partie de l’infrastructure des États-Unis. Il en va de même pour la garde côtière des États-Unis, qui doit s’assurer que ses hélicoptères sont financés afin qu’ils puissent voler et secourir les gens. Tous ceux qui reçoivent des fonds le long des Grands Lacs seront à Washington la semaine prochaine pour faire pression sur le Congrès et les sénateurs afin que le financement de cette année soit de nouveau approuvé.
C’est ce que j’ai dit précédemment... nous bénéficions d’un financement stable, prévisible et à long terme, mais ce n’est pas suffisant. Grâce à l’Inflation Reduction Act, la somme dont disposent les municipalités du côté américain est nettement supérieure à celle que fournit le Canada. Cependant, trois ans auparavant, il n’y avait pas de financement. À cause de systèmes politiques hétérogènes, les gouvernements municipaux disposent d’écosystèmes très différents pour obtenir un financement.
La sénatrice Dasko : Pouvez-vous apprendre quelque chose des Américains?
M. Horan-Lunney : Selon ce que je comprends, tout là-bas est fondé sur des demandes. Même si une approbation est obtenue une année, il faut recommencer pour la deuxième, la troisième et la quatrième années. Il y a présentement un projet qui tente d’empêcher une espèce de carpe envahissante de se rendre dans les Grands Lacs. Nous y travaillons; il y a aussi des écluses à Sault-Sainte-Marie, du côté américain. Même s’ils disposent de programmes et de projets pluriannuels, ils doivent revenir année après année pour s’assurer de recevoir l’affectation l’année suivante. Je ne suis pas un expert à ce sujet. C’est ce que je comprends. Ils voient notre financement stable et nous envient d’une certaine façon.
La sénatrice Dasko : Reçoivent-ils un financement pour les projets d’atténuation comme les programmes touchant les rivages?
M. Horan-Lunney : Oui, ceux-ci font l’objet d’une demande, et ils doivent présenter une demande chaque année.
M. Moretti : Nous avons aussi un membre de la NOAA au sein de note équipe, ce qui nous permet d’accéder plus facilement aux statistiques ou aux données concernant l’érosion du littoral. Voilà pourquoi je pense que le Canada a besoin de jouer un rôle avec la NOAA et le Corps of Engineers. Le Corps of Engineers s’occupe de toute la partie sud des États-Unis, et de l’érosion et de l’impact sur le transport, les routes, les ponts et l’infrastructure. Nous devons nous joindre à cette organisation afin de partager nos connaissances entre les frontières. La vice-présidence alterne tous les deux ans avec les Américains.
Lorsque nous abordons la question, je m’adresse au Congrès en fonction du même principe. C’est ironique, les maires ne connaissent pas les frontières. Nous avons le même problème aux États-Unis qu’au Canada. Il existe une différence au Québec, parce que le gouvernement fédéral se tourne directement vers le gouvernement provincial, et les municipalités n’obtiennent pas toujours ce qu’elles demandent. Mais c’est la réalité. Aux États-Unis, quand il existe un programme, il y a un ingénieur possédant le bagage technique nécessaire qui aide la petite municipalité à avancer.
La sénatrice Dasko : Je me suis parfois demandé si les Américains prenaient le changement climatique autant au sérieux que nous. Croyez-vous qu’ils le font?
M. Moretti : Cela dépend. Je suis invité à participer à une campagne électorale républicaine en juillet. Je ne parle pas des changements environnementaux. Je parle de l’économie bleue... quel est l’impact sur le littoral? Comment prévenir les inondations? L’économie est synonyme d’emplois. L’économie a aussi un rôle à jouer pour ce qui est de maintenir ces murs de soutènement dans les petites municipalités. Les républicains sont un peu plus ouverts à cette approche. Tandis que pour les démocrates, c’est un peu plus facile.
Au Canada, l’une de nos forces est la coopération bipartisane. Quand il est question du problème au Canada, tous les partis sont prêts à travailler ensemble, ce qui constitue un avantage pour nous.
La sénatrice Dasko : Merci beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Il est fascinant de vous écouter. J’ai quelques questions afin de mieux comprendre la situation.
Nous avons parlé de l’érosion le long des berges, en particulier le long de la rivière, qui a subi de l’usure. Lorsque l’eau se déplace, elle érode les berges de la rivière. Ce que nous observons maintenant est-il bien plus grave que par le passé? Est-ce un effet du changement climatique ou s’agit-il simplement de l’usure normale?
M. Moretti : C’est bien plus. J’ai rencontré mon épouse à Saint-Anicet où je réside. Elle est issue de la huitième génération à occuper ses terres. Ses ancêtres s’y sont établis en 1812. Je mentionne l’érosion. Il y a eu constamment de l’érosion, en particulier en raison de l’activité maritime, et cela crée une succion. Il n’y a aucune glace; la glace protégeait la terre en fait. J’ai maintenant des baies qui sont en train d’être remplies. À d’autres endroits, le courant et les vents sont plus forts. En raison de l’érosion, les gens perdent cinq ou dix pieds de leur terre en quelques années. Depuis 1970, j’ai perdu 300 pieds de terrain en raison des vents et de l’érosion.
M. Horan-Lunney : L’eau douce de la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent est un pilier de l’économie de notre région et de notre société depuis des milliers d’années. Québec, Montréal, Toronto, Cleveland, Buffalo et de nombreuses autres villes étaient toutes autrefois des communautés de Premières Nations qui s’entraidaient, faisaient du commerce et prospéraient.
Avec les colons, nous avons vu la création du canal de Lachine, du canal de Welland, du canal Érié, et tout d’un coup, cette région d’eau douce interne a pu accéder au marché mondial. Cela a engendré la prospérité que nous connaissons dans cette région depuis les 200 dernières années. Il y a 80 ans, nous avons construit la Voie maritime du Saint-Laurent afin de faire en sorte que nous puissions, avec l’évolution de la technologie, maintenir cette connexion.
À l’heure actuelle, l’absence de glace marine crée un débouché économique énorme ainsi qu’un risque. Compte tenu de l’absence de glace marine, nous avons la capacité de changer la manière dont nous déplaçons les gens et les marchandises dans la région des Grands Lacs pendant toute l’année. Cela permet-il la création d’une nouvelle chaîne d’approvisionnement permettant à un constructeur automobile d’installer une usine de batteries près de Montréal ou de Toronto et d’être en mesure de déplacer des batteries jusqu’à une usine d’assemblage près de Chicago pendant toute l’année grâce à l’absence de glace? C’est très probable. Nous pouvons faire toutes sortes de nouvelles choses que nous ne pouvions pas faire en raison de la glace marine et de la saisonnalité des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent.
En même temps que ce débouché économique s’offre à nous, les risques environnementaux et économiques pour toutes les propriétés situées le long des berges n’ont jamais été aussi importants depuis l’invention de la photographie. Comment trouver le juste équilibre entre ce nouveau débouché économique et ces nouveaux risques économiques et environnementaux? Il ne s’agit pas de choses dont les gouvernements locaux auront la capacité de s’occuper par eux-mêmes. Alors comment allons-nous travailler ensemble au palier binational, fédéral, provincial et national pour y arriver? Je vous mets en garde à cet égard alors que vous examinez les aspects liés au transport.
Le sénateur Cardozo : Qui a-t-il de différent maintenant en ce qui concerne le climat? Avons-nous plus de glace ou d’eau qui monte ou moins?
M. Moretti : Moins de glace.
Le sénateur Cardozo : Y a-t-il plus de tempêtes?
M. Moretti : Il y a moins de glace et de crues soudaines en raison des changements environnementaux. Même présentement, ce temps chaud a une incidence sur les agriculteurs le long de la Voie maritime du Saint-Laurent. Certaines personnes ont perdu toutes leurs récoltes. Il n’y a aucune couche de neige, ce qui a un impact. La région de la Voie maritime du Saint-Laurent est directement affectée par le vent et le temps froid.
Le sénateur Cardozo : Les agriculteurs ne sont pas autorisés à prendre de l’eau du fleuve pour arroser leurs exploitations agricoles?
M. Moretti : Environ 40 millions de personnes prennent l’eau du Saint-Laurent et des Grands Lacs pour la boire. Certaines exploitations agricoles prendront de l’eau pour arroser leurs cultures.
Le sénateur Cardozo : Y a-t-il des préoccupations concernant la pollution de l’eau?
M. Moretti : Oui.
Le sénateur Cardozo : En général et quand vous l’utilisez pour l’agriculture?
M. Horan-Lunney : Avec la culture et les nutriments? Nous allons bientôt fêter le dixième anniversaire de la menace qui pèse sur les usines de traitement de l’eau de la ville de Toledo en raison de la prolifération d’algues toxiques dans le lac Érié, qui était si importante que si elle progressait d’un autre kilomètre, elle aurait entraîné la fermeture de tout le réseau d’eau potable de Toledo. Effectivement, il y a des préoccupations à cet égard. Nous travaillons sur plusieurs autres fronts également.
M. Moretti : Il existe une municipalité aux États-Unis où il y a un réacteur nucléaire qui n’est pas utilisé. À l’heure actuelle, cela crée un problème majeur en raison de l’uranium qui se trouve à l’intérieur. S’il y a une fuite, il se déversera dans les Grands Lacs, ce qui entraînera une catastrophe.
Le sénateur Cardozo : Puis-je vous demander quelles sont les autres associations qui travaillent dans les Grands Lacs? Quel est votre rôle par rapport au leur? Comment travaillez-vous ensemble? Je connais la Commission des Grands Lacs, le Conseil de la région des Grands Lacs et Conservation de la nature.
M. Horan-Lunney : Selon l’enjeu en question, nous travaillons avec différents groupes. Je connais le Conseil de la région des Grands Lacs; nous travaillons avec ces gens sur un bon nombre d’enjeux économiques à venir cette année.
Le sénateur Cardozo : En quoi leur mandat est différent du vôtre?
M. Horan-Lunney : Notre mandat est assez clair. Nous représentons les autorités municipales.
Le sénateur Cardozo : Vous êtes sur les berges.
M. Horan-Lunney : Au sein du bassin, oui.
M. Moretti : Il est essentiel pour les maires et les municipalités de mettre en commun leurs meilleures pratiques et leçons apprises dans toute la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Quant aux autres organisations, nous avons des partenariats avec elles, mais lorsqu’il est question d’effectuer une étude sur l’impact, nous allons aider et vice-versa.
Le sénateur Cardozo : Quel est le mandat du Conseil de la région des Grands Lacs?
M. Horan-Lunney : Son mandat est axé sur l’aspect économique, et il s’agit d’une série de parties prenantes intéressées par l’économie. Il y a des universitaires et des sociétés. Nous travaillons avec eux sur certains aspects comme l’économie circulaire, la manière de réduire les plastiques dans notre environnement, des choses comme cela.
Le sénateur Cardozo : Qu’en est-il des ports?
M. Horan-Lunney : Nous travaillons avec eux, mais tout dépend de — cela renvoie au droit lié aux sphères de compétences. Les ports n’appartiennent pas aux municipalités, alors nous pouvons travailler avec eux puisqu’ils sont leur propre entité.
M. Moretti : Nous travaillons effectivement avec la Société de développement économique du Saint-Laurent. M. Mathieu St-Pierre, qui est le président, tente de mettre en place, dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent, une compagnie maritime, composée de petits navires qui effectuent des allers-retours, ainsi que de renforcer le tourisme pour amener les gens à explorer ce que nos ancêtres ont fait quand ils ont emprunté la Voie maritime du Saint-Laurent pour se rendre vers l’Ouest.
Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne la question de l’érosion, j’aimerais demander si les autres associations participent à la discussion.
M. Horan-Lunney : La question concerne davantage les groupes environnementaux. Conservation Ontario est une organisation avec laquelle nous travaillons très étroitement, habituellement parce qu’elle a compétence dans presque tout l’Ontario. Du côté des Américains, nous travaillons avec le U.S. Corps of Engineers. Nous collaborons en général avec l’entité responsable pour tenter de faire avancer les choses.
Le sénateur Cardozo : D’accord. Mon dernier est les fonds fédéraux. Je prenais part à un autre comité hier, et nous parlions de la Défense nationale et mentionnions à quel point nos dépenses en matière de défense sont une vraie honte. Je fais partie du Sénat depuis environ un an et quart. Il est rare qu’un groupe vienne au Sénat pour déclarer : « Nous avons suffisamment de financement fédéral. Cessez de nous donner de l’argent ». Chaque cause est très importante, il n’y a aucun doute. Vous êtes en concurrence avec toutes les autres causes, soit la Défense nationale, l’Ukraine, les opioïdes, le cancer. Quel est votre argumentaire?
M. Moretti : Notre argumentaire, monsieur, est assez simple : l’eau est source de vie. Sans eau, il n’y a pas de vie. Même si nous avons déclaré que notre planète survivra, si l’eau est polluée, il n’y a aucune croissance en agriculture. S’il n’y a aucune croissance en agriculture, il n’y a pas de nourriture ni d’eau. C’est un cercle vicieux. Toutes les autres organisations que nous avons mentionnées... nous tentons de les rencontrer, de mettre en commun nos meilleures pratiques, les objectifs de ces gouvernements locaux — parce que nous sommes un représentant du gouvernement qui rencontre les citoyens — et de comprendre certains de ces problèmes. Je réalise que toutes les organisations demandent des fonds au gouvernement fédéral. Nous n’avons personne d’autre vers qui nous tourner. Nous ne disposons pas des ressources financières.
M. Horan-Lunney : De plus, si vous examinez la stratégie nationale d’adaptation, vous y trouverez des documents qui montrent que chaque dollar — présentement le gouvernement fédéral dépense 1,5 milliard de dollars par année sur les inondations après coup. Il dépense déjà 1,5 milliard de dollars après les inondations qui se sont produites et qui ont causé des dommages. Je suis désolé, je n’ai pas les chiffres au pied levé. Il s’agit d’un ratio de un pour sept. Vérifiez par vous-même. Si vous investissez 1 $ en prévention, vous allez économiser 7 $ en dépenses. Alors si le gouvernement dépense déjà 1,5 milliard de dollars, si vous faites des investissements stratégiques, combien d’argent sauverez-vous dans trois à cinq ans, dix ans au bout du compte?
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie. Je remarque qu’un ancien maire d’une ville côtière s’est joint à nous. Merci beaucoup de vos réponses.
Le président : Messieurs, je vous remercie d’avoir été présents ici ce matin, d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir éclairés sur notre étude continue sur le changement climatique.
Chers collègues, nous allons suspendre afin que nos témoins puissent quitter la salle et ensuite nous reprendrons à huis clos pour quelques minutes pour régler certaines questions.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Chers collègues, avons-nous une motion pour adopter le budget tel que proposé pour les missions d’étude à Hamilton et à Montréal? Sommes-nous d’accord?
La sénatrice Miville-Dechêne : J’en fais la proposition.
Le président : La motion est adoptée. Je vous remercie.
(La séance est levée.)