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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

J’invite les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.

Le sénateur Adler : Charles Adler, du Manitoba.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Hébert : Martine Hébert, du Québec.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’à tous nos concitoyens qui nous regardent aujourd’hui sur le service de diffusion ParlVU du Sénat.

Conformément à l’ordre de renvoi général, nous nous réunissons aujourd’hui pour discuter de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, ou l’ACEUM, et des relations commerciales du Canada avec les États-Unis. Nous n’entendrons qu’un seul groupe de témoins aujourd’hui. Nous sommes heureux d’accueillir, dans la salle, M. Brian Kingston, président et chef de la direction de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules; et, virtuellement, M. Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces d’automobiles. Bienvenue.

Je sais que nous étions tous impatients d’entendre aujourd’hui l’ambassadrice du Canada aux États-Unis, Kirsten Hillman. Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’elle a dû se rendre à Washington après la visite que le premier ministre a rendue au président Trump plus tôt cette semaine. Elle tient beaucoup à comparaître devant notre comité et nous l’accueillerons à une autre occasion.

Avant que nous n’écoutions vos déclarations préliminaires, qui seront suivies de questions, je demanderais à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils. Veuillez également éloigner vos écouteurs du microphone non seulement pour que nous puissions entendre clairement ce que vous dites, mais aussi pour assurer la sécurité de nos interprètes, qui font toujours un excellent travail.

Je tiens à souligner que les sénateurs Woo et Wilson, de la Colombie-Britannique, se sont joints à nous depuis le début de ma déclaration, ainsi que le sénateur Al Zaibak, de l’Ontario.

Nous allons tout d’abord écouter les déclarations préliminaires de nos deux témoins. Nous passerons ensuite aux questions.

Brian Kingston, président et chef de la direction, Association canadienne des constructeurs de véhicules : Merci, monsieur le président, merci, honorables sénateurs. Je suis ravi d’avoir été invité à comparaître aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur l’ACEUM et les relations commerciales du Canada avec les États-Unis et le Mexique.

L’Association canadienne des constructeurs de véhicules, ou ACCV, représente les principaux constructeurs canadiens de véhicules automobiles légers et lourds. Ses membres sont Ford du Canada, la Compagnie General Motors du Canada et Stellantis, ou FCA Canada.

Depuis la signature du Pacte de l’automobile canado-américain en 1965, nous avons tiré d’énormes avantages économiques et sociaux de notre participation à un secteur automobile nord-américain intégré. Nous avons une réglementation commune et des mesures de soutien à la concurrence, ce qui nous a permis de fabriquer des produits et de les vendre dans un marché qui enregistre des ventes annuelles de près de 20 millions de véhicules. C’est cette intégration qui a permis à Ford, à GM et à Stellantis de faire des investissements historiques qui ont créé des emplois au Canada au cours des cinq dernières années.

L’ACEUM est le fondement de l’industrie automobile nord-américaine intégrée. Il apporte de la certitude, renforce l’intégration de longue date de la chaîne d’approvisionnement qui est indispensable à notre compétitivité et facilite l’harmonisation de nos règlements techniques relatifs aux véhicules automobiles avec ceux des États-Unis. Les consommateurs canadiens ont ainsi accès à des technologies de pointe en matière de sécurité automobile et d’efficacité énergétique au coût le plus bas possible.

De plus, l’ACEUM offre aux constructeurs canadiens un accès en franchise de droits au marché américain, beaucoup plus vaste. L’année dernière, la valeur des véhicules exportés s’élevait à 46,5 milliards de dollars, dont 92 % étaient destinés aux États-Unis.

À l’approche de la révision de l’ACEUM, le Canada doit faire tout son possible pour renouveler l’accord, protéger notre accès préférentiel aux États-Unis et soutenir la chaîne d’approvisionnement intégrée du secteur automobile. Nous avons établi une liste de priorités sur lesquelles le gouvernement devrait, à notre avis, se concentrer dans le cadre de notre préparation à cette révision.

Premièrement les droits de douane sur l’industrie automobile doivent bien sûr être retirés. Les droits de douane américains imposés sur l’industrie automobile au titre de la section 232 et les mesures de représailles qu’a prises le Canada causent d’énormes dommages à la chaîne d’approvisionnement nord-américaine intégrée. Selon le Center for Automotive Research, à eux seuls les droits de douane américains vont coûter 188 milliards de dollars à l’industrie américaine au cours des trois prochaines années. La compétitivité de l’industrie en Amérique du Nord s’en trouve affaiblie, au profit de concurrents étrangers. En fait, il est aujourd’hui plus rentable de fabriquer un véhicule au Japon ou en Allemagne et de l’exporter vers les États-Unis que de construire un véhicule en Amérique du Nord pour le marché américain. Cette situation n’a aucun sens et il faut y remédier.

Deuxièmement, il faut éliminer l’obligation fédérale relative aux véhicules électriques. Cette obligation, soit la norme sur la disponibilité des véhicules électriques, donne une priorité plus grande aux ventes de véhicules électriques qu’au développement d’une chaîne d’approvisionnement nord-américaine. Elle compromet directement notre intégration avec les États-Unis dans le cadre de l’ACEUM et la compétitivité de notre secteur en raison des coûts punitifs imposés aux entreprises qui ne peuvent atteindre des objectifs de ventes de véhicules électriques arbitraires. La norme doit être abrogée avant le début du processus de révision de l’ACEUM. Pour dire les choses très franchement, l’obligation relative aux véhicules électriques rend illégale la vente par les constructeurs automobiles des véhicules qu’ils fabriquent aujourd’hui au Canada. Il est absurde de négocier un accord commercial avec les Américains pour soutenir une industrie qui est en train d’être éliminée par la réglementation fédérale.

Troisièmement, nous devons nous aligner sur les États-Unis dans notre approche à l’égard de la Chine. Il est essentiel que le Canada reste aligné sur les États-Unis concernant la Chine pour la révision de l’ACEUM et, en fin de compte, pour son renouvellement. Nous appuyons le décret imposant une surtaxe à la Chine qui impose des droits de douane de 100 % sur les véhicules fabriqués en Chine. Nous ne pouvons tout simplement pas être à contre-courant des Américains dans notre approche à l’égard de la Chine au moment où nous entamons la révision de l’ACEUM.

Les surtaxes sur les véhicules électriques chinois devraient également s’accompagner d’une interdiction des logiciels de véhicules connectés chinois, comme l’ont fait les Américains. Nous devrions également renforcer notre politique commerciale et nos pouvoirs en matière d’investissement afin de combler toute lacune dans la sécurité nationale concernant les investissements chinois dans la chaîne d’approvisionnement de l’industrie automobile canadienne.

Il va sans dire que, quelle que soit l’issue de la révision de l’ACEUM, le gouvernement fédéral devrait agir rapidement maintenant pour mettre en œuvre des politiques visant à renforcer notre compétitivité fiscale et réglementaire. Cette démarche est nécessaire pour maintenir la présence de notre industrie automobile ainsi que les activités de recherche que nous menons ici. Le « One Big Beautiful Bill » des États-Unis prévoit un certain nombre de mesures vigoureuses destinées à attirer des investissements, et nous devons nous assurer que nous sommes compétitifs et que nous contrebalançons ces mesures.

Sur ce, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole et je répondrai volontiers à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Kingston.

Je tiens à signaler que la sénatrice Ataullahjan, de l’Ontario, s’est jointe au comité depuis le début de votre exposé.

Monsieur Volpe, la parole est à vous.

Flavio Volpe, président, Association des fabricants de pièces d’automobiles : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité. Je suis ravi d’être ici avec mon collègue, M. Kingston. Il est toujours difficile de prendre la parole après lui, mais je vais essayer.

L’Association des fabricants de pièces d’automobiles représente plus de 200 entreprises canadiennes qui conçoivent, développent et fabriquent des composantes pour presque tous les véhicules construits et vendus en Amérique du Nord. Ensemble, nous employons environ 100 000 Canadiens et soutenons 400 000 emplois supplémentaires dans les domaines de la logistique, de l’outillage, de la technologie et des matériaux avancés.

Le secteur de l’automobile est non seulement une source de fierté, mais aussi le plus important secteur d’exportation de produits manufacturés au Canada. Nos exportations annuelles totalisent environ 82 milliards de dollars.

À peu près 85 % de tous les véhicules construits et assemblés au Canada sont envoyés aux États-Unis. La plupart des véhicules qui circulent sur les routes des États-Unis contiennent des composantes fabriquées au Canada. Voilà à quoi ressemble l’intégration.

Lorsque nous parlons de l’examen de l’ACEUM, nous parlons, en réalité, du fondement même de notre sécurité économique commune. L’ACEUM n’a pas seulement remplacé l’ALENA ; il l’a modernisé pour créer une économie qui repose sur les voitures du futur, les semi-conducteurs, le commerce numérique et l’innovation zéro émission. Il a renforcé un principe fondamental que nous illustrons depuis plus de sept décennies, à savoir que c’est en unissant leurs efforts que les pays qui composent l’Amérique du Nord peuvent réussir ; s’ils agissent seuls, ils en ressortiront perdants.

Ce ne sont pas que de belles paroles. Le secteur automobile le prouve chaque jour. Une voiture assemblée en Ontario est composée de pièces qui traversent la frontière canado-américaine jusqu’à sept fois avant de se retrouver entre les mains d’un client.

En général, près de la moitié des composantes et des pièces que contiennent ces voitures sont américaines. Il y a souvent, aussi, des pièces et des matières premières mexicaines. Nous formons un seul écosystème de production et ne sommes donc pas trois pays en concurrence.

Alors que nous nous préparons à effectuer cet examen, nous devons protéger l’intégration contre les forces de la politique à court terme. Nous avons entendu le secrétaire au Commerce des États-Unis, Howard Lutnik, déclarer sans détour lors d’une réunion à Toronto que les États-Unis fabriqueraient les voitures et que le Canada ne pouvait rien y faire. Je pense que nous pouvons faire quelque chose à cet égard.

Tout d’abord, bon nombre d’entre nous se souviennent de ce qui s’est passé en 2018, lorsque les droits de douane imposés pour des motifs de sécurité nationale au titre de l’article 232 ont pris l’industrie par surprise. Ils ont été imposés sur l’acier et l’aluminium, et les entreprises canadiennes ont payé des centaines de millions de dollars en droits de douane sur des pièces fabriquées en Amérique du Nord. Ces droits n’ont protégé personne. Ils n’ont fait que nuire à la chaîne d’approvisionnement la plus intégrée au monde.

Aujourd’hui, nous entendons des échos de cette rhétorique à Washington. On a imposé de nouveaux droits de douane sur les véhicules, entrepris des examens unilatéraux de l’accord et lancé de nombreuses nouvelles enquêtes de sécurité nationale sur différentes composantes canadiennes. Soyons clairs : on ne peut avoir une chaîne d’approvisionnement continentale si l’un des partenaires ne cesse de menacer l’autre. Le Canada doit faire valoir, franchement et publiquement, que l’industrie manufacturière nord-américaine contribue à la sécurité nationale des différents pays.

Nous construisons les systèmes qui font rouler nos économies et soutiennent nos armées, des trains de transmission aux véhicules blindés en passant par le stockage d’énergie pour les trains de transmission des véhicules électriques. Il ne convient pas de se livrer à des jeux tarifaires.

Lorsque l’ACEUM a relevé la teneur en valeur régionale à 75 %, les fournisseurs canadiens ont investi en conséquence. Nous avons augmenté notre capacité nationale dans les domaines des pièces fabriquées à la presse, des pièces moulées, de l’acier et de l’aluminium, et puis des minéraux critiques et des matériaux cathodiques pour la fabrication de piles. Nous avons également investi massivement aux États-Unis, en augmentant de 10 % les activités de 176 usines canadiennes de fabrication de pièces automobiles qui emploient 48 000 travailleurs américains.

Ces investissements ont été réalisés de bonne foi, en supposant que les règles seraient appliquées uniformément. Or, nous avons constaté que les États-Unis ont tenté de réinterpréter ces règles de manière à affaiblir les incitatifs à l’achat de produits canadiens. Cette incertitude est nuisible aux yeux des investisseurs qui doivent choisir l’emplacement de leur prochaine usine géante. La prévisibilité est plus importante que les subventions. Nous avons besoin d’un renouvellement fondé sur des règles, et non d’une renégociation par l’entremise de communiqués de presse ou de publications sur Truth Social.

Avec cet examen, le Canada a l’occasion unique de devenir le premier fournisseur de pièces de technologies propres pour tout le continent. Nous disposons des minéraux et des talents et nous sommes reconnus pour notre fiabilité. Il ne nous manque que la rapidité.

Nos partenaires américains ont pris les devants avec l’Inflation Reduction Act, et le Mexique leur a emboîté le pas en adoptant de nouvelles politiques sur le contrôle de l’énergie nationale. Le Canada doit agir maintenant, non pas simplement en faisant des promesses, mais aussi en se dotant d’une politique commerciale industrielle qui indiquera à nos clients aux États-Unis, au Mexique et à l’étranger le moment où ils auront accès aux quantités de minéraux essentiels dont ils auront besoin pour alimenter la transition.

Nous devons investir dans la transformation à valeur ajoutée. L’ensemble de la transformation des minéraux critiques se fait en Chine. Nous devons veiller à ce que nos fournisseurs puissent passer aux batteries, à l’hydrogène, aux matériaux légers et à l’automatisation qui nous permet d’avancer.

Enfin, en 2018, lorsque nous avons été confrontés à la menace de droits de douane de 25 %, le secteur de l’automobile s’est rangé aux côtés des deux ordres de gouvernement, des syndicats et des consommateurs. Nous avons parlé d’une seule voix et sommes restés calmes. Nous avons remporté cette bataille. Nous avons prouvé que les coalitions fonctionnent au Canada lorsqu’elles font preuve d’assurance et de persuasion. Voilà ce dont nous avons besoin en 2026.

Les Américains exerceront des pressions politiques internes. Le Mexique fera valoir ses doléances en matière d’énergie. Nous devrions présenter un message simple : le Canada est un partenaire fiable qui permet à l’Amérique du Nord de continuer à se développer.

Lorsque je voyage en Amérique du Nord et que je rencontre des fournisseurs à Windsor, Détroit ou Monterrey, ces derniers ne voient pas de frontières; ils ne voient que des calendriers de production. Ils ne se demandent pas si un produit est canadien ou américain; ils se demandent s’ils peuvent expédier ce produit d’ici mardi. Cette politique doit refléter cette réalité. Faisons de cet examen une occasion de renforcer, et non de fragiliser, l’économie nord-américaine.

Je vous remercie, monsieur le président. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Volpe.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins. Cette question s’adresse aux représentants des deux organisations. J’ai l’impression que les fabricants américains d’automobiles et de pièces partagent le point de vue que nous avons de ce côté-ci de la frontière en ce qui concerne l’industrie et la manière dont elle devrait fonctionner. Que vous disent vos homologues américains à ce sujet? Quels efforts déploient-ils pour uniformiser les règles du jeu et éliminer ces droits de douane?

M. Kingston : Merci, sénateur. Je vous remercie de la question. Ils travaillent activement pour que les droits de douane imposés au titre de l’article 232 soient retirés. Mon homologue aux États-Unis ne cesse de faire valoir auprès de l’administration américaine que l’ACEUM est un accord commercial de qualité. Il a renforcé les règles d’origine, ce qui a entraîné davantage de règles portant sur le contenu nord-américain et sur la teneur en main-d’œuvre. De plus, cet accord a obligé des fabricants comme Ford, General Motors et Stellantis à réaliser d’importants investissements dans leur chaîne d’approvisionnement nord-américaine afin de se conformer à ces règles.

C’est un problème considérable de maintenant changer les choses et d’imposer des droits de douane aux entreprises mêmes qui ont réalisé des investissements, principalement aux États-Unis, mais aussi au Canada et au Mexique. Mes homologues défendent l’ACEUM.

On s’est surtout concentré sur les accords que les États-Unis ont conclus avec le Japon, le Royaume-Uni et la Corée du Sud. Ils ont créé une situation très étrange où il est désormais plus rentable de construire des voitures à l’extérieur des États-Unis qu’aux États-Unis. Cette situation attire l’attention, car on reconnaît que la politique ne soutient pas le secteur manufacturier. Des arguments sont avancés, mais comme vous pouvez le constater, les droits de douane sont toujours en vigueur, alors nous avons du travail à faire.

M. Volpe : L’ACEUM avait pour objectif principal d’accroître les exigences en matière de contenu local. Les fabricants américains de pièces automobiles — tout comme les fabricants canadiens — ont vu leurs affaires prospérer. Entre 2019 et 2025, les voitures américaines fabriquées au Canada à partir de composantes américaines contiendront environ 10 % de contenu américain en plus. Les représentants de l’industrie américaine des pièces d’automobiles continuent de s’adresser, de manière privée plutôt que publique, à la Maison-Blanche pour défendre le fait qu’alors que les usines d’assemblage canadiennes achètent des pièces à leurs usines chaque année pour une valeur de 25 milliards de dollars, l’administration américaine leur cause du tort.

Défendre sa cause en privé pendant la deuxième présidence de Trump ne donne pratiquement rien. Voilà le problème. De plus, les gens hésitent à s’opposer publiquement à l’administration américaine dans les journaux, devant les comités ou par d’autres moyens que nous pourrions utiliser ici.

Le président : Je vous remercie, monsieur Volpe.

Le sénateur Ravalia : Je remercie nos témoins. Étant donné le changement radical apporté aux règles de base, pensez-vous que l’on pourrait exercer des pressions en faveur d’un accord bilatéral plutôt que trilatéral? Quelle serait l’incidence sur le Canada si l’ACEUM était modifié pour créer deux accords distincts : l’un entre le Canada et les États-Unis et l’autre entre le Canada et le Mexique?

M. Volpe : Les entreprises canadiennes ont beaucoup investi au Mexique. On y trouve 120 usines canadiennes de fabrication de pièces qui emploient 60 000 travailleurs mexicains afin d’approvisionner un assemblage conforme à l’ACEUM. Les entreprises canadiennes ont investi là-bas parce que c’est là que l’on observait une croissance dans le marché et que les clients de leurs fabricants d’équipement d’origine leur avaient demandé de s’installer.

Nous avons déclaré haut et fort, dans les trois capitales et aussi publiquement que possible, qu’il était très important pour le secteur de l’automobile que l’ACEUM demeure un accord trilatéral. Ce que nous entendons publiquement — ainsi qu’en privé lors de réunions à Washington —, c’est que les Américains constatent de plus en plus à quel point les questions commerciales et la dynamique entre les États-Unis et le Mexique et entre les États-Unis et le Canada sont différentes. Ils aimeraient donc beaucoup conclure des accords bilatéraux.

Je crains — et j’ai fait part de cette crainte au premier ministre et à tous les autres intervenants — que cette démarche n’interrompe l’exploitation d’actifs canadiens très rentables et très importants dans ce pays. Nous ne devrions pas nous engager dans cette voie.

M. Kingston : Je suis tout à fait d’accord avec ce que M. Volpe vient d’exposer. L’industrie repose sur ce cadre trilatéral. Il a été au cœur de la réussite du secteur. Nous devons donc veiller à ce que tout accord soit de nature trilatérale. Si les Américains souhaitent conclure des accords bilatéraux et que c’est la seule option, alors nous devrons travailler dans ce cadre. On peut faire certaines choses dans le cadre d’accords commerciaux. Il y a, par exemple, l’accumulation des règles d’origine qui fait en sorte qu’un véhicule qui contient des composantes du Mexique ou du Canada sera considéré comme étant originaire de l’Amérique du Nord. Nous pourrions envisager différentes choses, mais nous privilégions un accord trilatéral. C’est clair. C’est la solution la plus efficace et la plus rentable.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Woo : Merci, messieurs Kingston et Volpe.

Monsieur Kingston, vous avez exprimé votre position sur l’obligation relative aux véhicules électriques ainsi que votre soutien à un véritable alignement avec les États-Unis en ce qui concerne les importations d’automobiles fabriquées en Chine et l’utilisation des technologies chinoises. Où en est notre stratégie de fabrication de véhicules électriques? Comment le Canada pourrait-il devenir un acteur dans le domaine des véhicules électriques d’ici 10 ou 20 ans?

M. Kingston : Je vous remercie, sénateur. Nous accusons un retard par rapport aux Chinois relativement à l’élaboration de notre stratégie. La stratégie industrielle chinoise « Fabriqué en Chine 2025 », publiée en 2015, est très claire. Cette stratégie visait entre autres à faire de la Chine un acteur dominant dans le domaine de l’électrification. On peut dire sans se tromper que l’on n’a peut-être pas accordé suffisamment d’attention à la rapidité avec laquelle les Chinois allaient agir. Ils ont désormais une longueur d’avance sur le plan des technologies et ont également engagé des investissements dans les chaînes d’approvisionnement des batteries. Les Chinois ont pris les devants.

Cela dit, le Canada a réalisé d’énormes progrès. Au cours des cinq dernières années, on a investi 46 milliards de dollars supplémentaires. La première usine de batteries à grande échelle est désormais opérationnelle. Stellantis investit à Windsor et dans l’usine LG NextStar. Nous faisons donc des progrès, mais nous avons encore beaucoup à faire, en particulier en ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques.

La Chine contrôle environ 80 % de la chaîne d’approvisionnement mondiale des véhicules électriques. Le Canada est le seul pays de l’hémisphère occidental à disposer de l’ensemble des minéraux nécessaires à la fabrication des batteries de la prochaine génération de véhicules électriques. Si nous voulons jouer un rôle à l’avenir, nous devons tirer parti de cette situation, extraire ces minéraux et mettre en place des capacités de transformation.

Le sénateur Woo : La stratégie que vous proposez repose sur une protection assurée par des tarifs élevés. En gros, c’est ce que vous dites. Jim Farley a déclaré que les véhicules électriques chinois sont de loin les meilleurs au monde. Vous pensez que les industries canadienne et américaine seront capables de fabriquer des véhicules électriques de classe mondiale sans pratiquement être en concurrence avec les meilleures voitures au monde.

Si les Américains venaient à changer de cap, ce qui ne m’étonnerait pas, et acceptaient des investissements chinois dans le secteur des véhicules électriques — sous réserve de conditions strictes, bien sûr, de transfert de technologie et de l’embauche de travailleurs américains, et cetera. — cela changerait-il votre point de vue quant à notre approche à l’égard du marché chinois?

M. Kingston : La concurrence avec la Chine doit être loyale. C’est le principe fondamental auquel nous adhérons. Les règles doivent être les mêmes pour les Chinois.

Je peux vous donner un exemple qui illustre pourquoi ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. La Chine a injecté l’équivalent de 237 milliards de dollars américains en subventions directes dans son industrie. Elle dispose d’une capacité suffisante pour satisfaire deux fois la demande intérieure. Cela équivaudrait à ce que l’Amérique du Nord construise 30 millions de véhicules par année et exporte le surplus. Le modèle économique chinois est axé sur les exportations. La Chine inonde d’autres marchés des produits de son immense surproduction. Nous avons pu le constater dans le secteur de l’acier et des panneaux solaires. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire ici, sinon nous n’aurons plus d’industrie des véhicules électriques ni d’industrie de l’automobile. Si les règles du jeu sont équitables, nous pouvons être concurrentiels.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Hébert : Merci, messieurs Volpe et Kingston.

Monsieur Volpe, vous avez parlé de ce que nous devons dire et des messages que nous devons transmettre. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Lorsque j’occupais le poste de déléguée du Québec à Chicago, je me concentrais sur les États du Midwest. On avance exactement les mêmes arguments que la dernière fois, en 2019-2020, lorsque des droits de douane sur l’aluminium avaient été imposés, entre autres choses.

Mais comme vous l’avez mentionné, les représentants de l’industrie et du monde des affaires, à l’époque, s’étaient exprimés très clairement. Avec l’aide de nombreux représentants du gouvernement, tant à l’échelle des États qu’ailleurs, nous avions pu obtenir certains gains. Or, cette fois-ci, comme vous l’avez souligné, la situation est différente.

Certains experts parient sur le fait que la Maison-Blanche finira par tenir compte des conséquences de cette situation sur la population, notamment l’augmentation du prix des véhicules. Compte tenu de ce que nous avons dit, avez-vous bon espoir que ce sera le cas?

M. Volpe : Je ne suis pas convaincu que la Maison-Blanche tiendra compte de ces conséquences. Le président continue de dire que la croissance du PIB cette année s’élève à 3,8 %, contrairement à nos modèles et à ce que les analystes espéraient. Ces derniers espéraient au moins que le message se rende jusqu’à la Maison-Blanche. C’est une autre réalité.

Je vais prendre un exemple très concret. Nous bénéficions d’une exemption des droits de douane sur les pièces d’automobiles importées aux États-Unis, alors qu’elles ont été menacées dès le premier jour. Ce que nous avons fait à ce moment-là — et ce que nous devons faire cette fois-ci par rapport à la dernière fois —, c’est de mener une campagne de sensibilisation massive à travers les États-Unis, partout où il y a des investissements. Nous avons transmis le message voulant que, si les États-Unis imposaient des droits de douane sur les pièces d’automobiles, ils finiraient par mettre à l’arrêt leur propre industrie en moins d’une semaine en raison de la dynamique déterminant qui est l’importateur officiel et du fait que les travailleurs de l’Alabama et du Tennessee, essentiels à l’industrie, se retrouveraient sans emploi.

Les Américains ont discrètement retiré ces droits de douane dans une mise à jour des directives du Service américain des douanes et de la protection des frontières. Ce fut une petite victoire pour nous mener vers une autre trajectoire. Nous devons certes faire tout notre possible pendant les négociations entre le Canada et les États-Unis, mais je reviens tout juste de réunions au département du Commerce. Les Américains ne veulent pas entendre parler du Canada. Nous avons cependant discuté du fait que, s’ils continuent dans cette voie, ils vont presque faire perdre une importante part de marché à Ford ou à General Motors, voire les menacer de faillite. Ce sont d’autres sujets à aborder.

Le président : Merci, monsieur Volpe.

Le sénateur Al Zaibak : Merci, messieurs Kingston et Volpe, d’être parmi nous aujourd’hui. La Chambre de commerce du Canada a qualifié l’examen de l’ACEUM de 2026 d’essentiel à la prospérité et à la sécurité de l’Amérique du Nord. Selon vous, par quels résultats se définirait un examen réussi pour l’industrie de l’automobile et le secteur des pièces d’automobiles du Canada?

M. Kingston : Un résultat positif se traduirait tout d’abord par le retour de la certitude dans le contexte commercial nord-américain. Je ne saurais trop insister sur ce point. Les turbulences commerciales qui ont accablé l’industrie dans les dernières années sont extrêmement néfastes pour les investissements. Dans l’industrie de l’automobile, les délais de production se calculent à long terme. Les décisions sont prises sur la base de calendriers de production qui peuvent être établis des années à l’avance. En ce moment, les règles commerciales ne changent pas seulement chaque semaine; parfois, nous assistons à plusieurs changements au cours d’une même journée et à des orientations différentes de la part de l’United States Customs and Border Protection, ou USCBP, concernant un nouveau droit de douane. La situation est intenable.

À mon avis, une réussite se refléterait par un accord renouvelé — renouvelé pour 10 ans, afin que nous n’ayons pas à subir ces revirements chaque année.

M. Volpe : J’appuie les propos que nous venons d’entendre. Dans le secteur de l’automobile, j’aime dire que les actifs, les usines, sont des sources de revenus à long terme — un peu comme un verger de pommiers. Une fois que l’arbre atteint une certaine maturité, il produit des fruits, et ces fruits nourrissent l’agriculteur et génèrent une activité économique pour lui.

Pendant une année de tempêtes et de sécheresse, les arbres fruitiers seront touchés, et la dévastation influencera fortement votre capacité et votre envie de planter de nouveaux arbres sur le même territoire. Les semis sont emportés par les eaux, et les arbres qui ne portent pas de fruits appauvrissent les agriculteurs. Peut-être n’ont-ils pas les moyens financiers et les ressources nécessaires pour en planter de nouveaux.

Nous sommes tous dans la même « industrie des vergers de pommiers » ici en Amérique du Nord. Nous sommes tous aussi interreliés dans le secteur de l’automobile. Les levers et les couchers du soleil doivent se produire selon un horaire prévisible. Nous devons savoir que le climat sera le même que celui des 20 dernières années.

La sénatrice Coyle : Merci, chers témoins. Certaines de mes questions ont déjà été posées, mais j’ai une petite question à poser à chacun d’entre vous. Bon retour parmi nous, monsieur Volpe. Je sais que nous aurons encore l’occasion de discuter à maintes reprises.

Vous avez parlé des minéraux critiques et de la chaîne d’approvisionnement; en fait, vous en avez tous deux parlé. Ce sont des ressources que le Canada détient. Je ne me souviens pas, d’après le dernier ACEUM et les discussions qui ont eu lieu à cette table, où nous en étions — si quoi que ce soit avait même été conclu — sur la question des minéraux critiques dans cet accord. Quoi qu’il en soit, vous avez parlé à la fois de l’importance cruciale de l’approvisionnement en minéraux essentiels et du secteur à valeur ajoutée, ici, au Canada.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre point de vue à ce sujet en ce qui concerne l’ACEUM en tant que tel?

M. Volpe : Bien sûr. Selon BloombergNEF, le Canada possède la plus grande quantité de minéraux critiques nécessaires au secteur de l’automobile. Pour fabriquer un véhicule électrique et une batterie à 25 000 $, il faut du lithium, du graphite, du cobalt, du nickel, etc. Nous avons ces ressources; nous savons, preuves à l’appui, que nous disposons de ressources dans le sol.

Cependant, contrairement à la Chine, bon nombre de ces projets doivent encore être approuvés et exploités. Nous n’avons pas d’usines de transformation au Canada; il faut donc tenir compte des aspects économiques liés à la transformation. De plus, nous pensons pouvoir commercialiser les ressources d’ici 8, 10 ou 15 ans.

Alors que toutes les administrations incitent actuellement les constructeurs automobiles à se lancer sur ce marché, ce sont les Chinois qui le contrôlent et qui disposent de toute la capacité de transformation nécessaire. Si Ford a besoin d’un million de tonnes de lithium, l’entreprise sait qu’elle peut s’approvisionner à Shanghai, mais elle n’a pas la même certitude par rapport au Canada. Nous devons répondre à cette question pour nos partenaires américains et mexicains, ainsi que pour les investissements canadiens.

La sénatrice Coyle : J’ai une question légèrement différente. Je sais que vous n’êtes pas contre les véhicules électriques; vous n’appuyez toutefois pas l’obligation de vente imposée. D’ailleurs, vous avez évoqué la possibilité de stimuler la demande des consommateurs grâce à un réseau de recharge pour véhicules électriques.

Veuillez nous donner plus de détails et nous expliquer votre position là-dessus.

M. Kingston : Certainement.

Et oui, aux fins du procès-verbal, je dirai que je suis très favorable aux véhicules électriques. À vrai dire, les ventes de véhicules électriques les plus importantes au Canada proviennent actuellement de Ford et de General Motors, ce qui signifie que les ventes de véhicules électriques augmentent considérablement. Je n’aime tout simplement pas l’obligation de vente et l’idée d’imposer aux Canadiens des choix de consommation.

Nous avons demandé au gouvernement de mettre en place des politiques proactives pour aider à stimuler la demande. Nous constatons sans cesse que l’infrastructure de recharge représente un défi de taille. Je prends régulièrement mon véhicule électrique pour voyager entre Ottawa et Windsor, et je peux vous dire qu’il n’est pas agréable de rouler sur le réseau autoroutier canadien avec un véhicule électrique, compte tenu de la configuration actuelle de l’infrastructure. Nous disposons aujourd’hui de 45 000 bornes de recharge, mais nous en aurons besoin de 600 000 au cours des 10 prochaines années. L’écart à combler est considérable.

La sénatrice Coyle : À l’échelon national, nous devons donc soutenir l’industrie que nous voulons voir prospérer dans le cadre de l’ACEUM. Merci.

Le sénateur Harder : J’aimerais revenir à la dernière question.

D’après vos commentaires du début, j’ai compris que vous ne considérez pas cette politique comme positive. Pourriez-vous développer votre propos au-delà des bornes de recharge? Quelles politiques ou quels cadres le gouvernement devrait-il mettre en place pour permettre à l’industrie de réagir par des investissements et des engagements sérieux en faveur des véhicules zéro émission, ou VZE, qui démontreraient que le secteur et les constructeurs que vous représentez misent également leur avenir sur cette technologie?

M. Kingston : Nous n’appuyons pas cette obligation de vente, car, à un moment où les entreprises subissent une forte pression causée par les droits de douane et d’autres facteurs, elle exige que, si les entreprises ne parviennent pas à atteindre les objectifs fixés, elles limitent leurs ventes de véhicules à essence ou versent des crédits à Tesla. Nous estimons que 3,6 milliards de dollars seront versés à Tesla au cours des cinq prochaines années pour que les entreprises se conforment à cette obligation. C’est très difficile à comprendre dans le contexte actuel. Ou encore, nous devons restreindre les ventes de véhicules — de 700 à 900 véhicules à essence doivent être retirés du Canada chaque année — pour atteindre les cibles du gouvernement. C’est dévastateur pour les constructeurs et les concessionnaires.

Cette obligation de vente n’est ni une bonne politique ni un bon outil, et elle doit être abrogée.

Nous aimerions que le gouvernement prenne les devants et collabore avec les constructeurs automobiles à l’élaboration d’une stratégie visant à favoriser la transition vers les véhicules électriques pour davantage de Canadiens. Tous les acheteurs précoces ont acheté un véhicule électrique. Il s’agit généralement de ménages à revenus élevés, pour qui c’est le deuxième ou troisième véhicule. Nous devons nous tourner vers le marché de masse : les consommateurs disposant d’un budget limité et possédant un seul véhicule.

Ce n’est pas une mince tâche, et c’est pourquoi nous avons besoin d’infrastructures de recharge, de mesures incitatives à l’achat et d’autres mesures incitatives telles que l’accès aux voies rapides et au stationnement municipal gratuit. Toute une série de mesures peut convaincre quelqu’un de passer à un véhicule électrique.

Le sénateur Harder : Quel pourcentage des profits de Tesla ces versements représentent-ils?

M. Kingston : C’est une excellente question. Je ne connais pas le pourcentage exact, mais dans son rapport du deuxième trimestre, la compagnie a déclaré environ 411 millions de dollars américains de ce qu’elle appelle des revenus réglementaires. Depuis 2020, le total s’élève à environ 12 milliards de dollars américains. Cela fait partie de son modèle d’affaires, et elle tire profit des mesures gouvernementales qui obligent d’autres entreprises à leur envoyer des crédits.

Le président : Nous n’avons plus de temps pour cette intervention, alors nous allons poursuivre.

Le sénateur Adler : La question s’adresse à M. Volpe. Si M. Kingston veut ajouter quelque chose, ce serait formidable.

Je voudrais commencer par M. Volpe simplement en soulignant ce que ceux parmi nous qui prêtent attention aux discours américains savent déjà : les deux mots préférés du président commencent par « T » : l’un est « tarif », et l’autre, « trillion », ou « billion » en français. Il était encourageant d’entendre notre premier ministre dire que le RPC investit des billions de dollars aux États-Unis. La remarque a fait sourire M. Trump. Voici ma question : étant donné les investissements que nous faisons dans les pièces d’automobiles aux États-Unis, y a-t-il moyen d’en arriver à un message qui nous permettrait d’utiliser ce mot commençant par « T » en anglais?

M. Volpe : Malheureusement, non, mais notre message est que de nouveaux capitaux d’exploitation d’une valeur de 10 millions de dollars dans le secteur des pièces d’automobiles aux États-Unis profitent directement aux économies locales américaines et permettent d’embaucher, de former et de soutenir des travailleurs américains. En pourcentage de ce que nous faisons ici au Canada, nous nous rapprochons beaucoup de ces nombres. Les usines canadiennes de pièces d’automobiles emploient 48 000 Américains. Des 100 000 employés au Canada, environ 60 000 travaillent pour des compagnies canadiennes. Notre message est donc que les entreprises canadiennes de pièces d’automobiles emploient de plus en plus d’Américains et que, un jour, leur nombre dépassera le nombre de Canadiens. Si cela ne ressemble pas à un partenariat, je ne sais pas vraiment ce qu’il faut faire de plus pour que cela en devienne un.

Le sénateur Adler : Monsieur Kingston, voudriez-vous renchérir sur cette réponse?

M. Kingston : Oui.

Je soulignerai rapidement que, si l’on examine les tendances en matière d’investissement dans l’industrie — tant dans le secteur de la fabrication que dans celui des pièces depuis 2020 —, de nombreux bons coups importants ont été faits au Canada. Toutefois, à titre de comparaison, les États-Unis demeurent sans conteste le principal bénéficiaire des nouveaux investissements dans le secteur de l’automobile. Plus de 80 % des investissements ont été réalisés aux États-Unis, suivis par un mélange entre le Canada et le Mexique.

On ne peut donc pas affirmer que le Canada ou le Mexique sont favorisés; les États-Unis demeurent le centre de l’industrie, et le Canada et le Mexique jouent un rôle.

Le sénateur Adler : Y a-t-il un pays au monde qui investit davantage dans l’industrie manufacturière américaine, y compris dans le secteur des pièces d’automobiles, que le Canada?

M. Volpe : La tendance est évidente et bien étayée par les données. Les Américains continuent de l’emporter, et c’était vrai tant sous l’administration Biden que sous l’administration actuelle. Le problème, c’est que l’administration actuelle n’est pas convaincue par les données. Elle a d’autres objectifs que le rendement des investissements, et il est donc difficile de se faire entendre ou de convaincre le président. Lors d’une réunion dans le Bureau ovale, il a déclaré que 17 billions de dollars de nouveaux investissements avaient été réalisés aux États-Unis cette année, ce qui, comme nous le savons tous, n’est pas vrai. Or, il a une relation différente avec les nombres. Il est difficile de lui attribuer les victoires remportées par son pays alors qu’il s’imagine son propre ensemble de victoires.

Le président : Merci beaucoup, et félicitations, monsieur Volpe, pour vous être exprimé avec diplomatie dans votre dernière réponse.

M. Volpe : Pour une fois.

La sénatrice Ataullahjan : Qu’est-ce qui manque dans l’ACEUM et que vos organisations aimeraient voir intégré dans l’examen conjoint? Les associations automobiles ont-elles une influence sur le prochain examen conjoint?

M. Kingston : Oui. En ce qui concerne les lacunes, étant donné qu’il s’agit d’un accord relativement récent, il n’y a pas grand-chose à mettre à jour pour le secteur de l’automobile. Des efforts supplémentaires pourraient être déployés à un seul égard : la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques et les batteries. Cet accord n’a que cinq ans, mais si l’on considère les progrès technologiques réalisés pendant cette période, je ne pense pas qu’ils aient été pleinement pris en compte lors de la négociation. Il y a donc du travail à faire en ce sens.

Par ailleurs, oui, absolument, le secteur de l’automobile a voix au chapitre. Notre homologue aux États-Unis travaille en étroite collaboration avec le département du Commerce et le Bureau du représentant américain au Commerce, ou USTR. Ils participent actuellement à la consultation sur l’avis publié au Federal Register américain. Le secteur de l’automobile est donc présent.

La grande question est la suivante : ces discussions se rendront-elles jusqu’à la Maison-Blanche?

M. Volpe : L’ACEUM/AEUMC fonctionne. Le problème, c’est que les Américains le contournent en imposant des droits de douane pour des raisons de sécurité nationale, en déclarant des urgences économiques et en prenant bien d’autres mesures.

L’accord pourrait être amélioré pour inclure davantage d’éléments. L’une des nouveautés que nous avons introduites en 2019 concernait les exigences en matière de contenu local pour l’acier et l’aluminium. Je pense qu’on cherchait ainsi à dire : « Bon, arrêtons de dépendre de la surabondance d’acier et d’aluminium chinois. »

Nous pouvons envisager de faire de même pour d’autres matériaux, ce qui serait avantageux pour les États-Unis, le Canada et le Mexique. Cela serait vraiment un bon coup pour nous du côté des minéraux critiques. Mais honnêtement, ce qui importe le plus au sujet de l’ACEUM, c’est que s’il perdure, il doit constituer la base de notre relation et ne doit pas être contourné. Je ne suis pas sûr que nous pourrons y parvenir avec l’administration actuelle, pendant l’examen de l’ACEUM. Malheureusement, la situation entraîne un gel des investissements et constitue une véritable source d’inquiétude pour les fabricants et leurs employés, qui sont présents sur le terrain et qui ne sont pas des politiciens. Ils veulent simplement aller travailler, puis rentrer chez eux et mener leur vie.

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui met fin à la première série de questions. J’aimerais en poser une à nos deux témoins.

Je viens de passer quelques jours à Mexico, où j’ai participé à un grand forum sur les relations nord-américaines, puis rencontré de hauts fonctionnaires du gouvernement mexicain et des collègues parlementaires. J’en suis reparti avec le sentiment très net que le Mexique souhaite intensifier ses relations avec le Canada aussi rapidement et aussi profondément que possible. Cette impression fait écho aux visites du premier ministre et des ministres depuis, ainsi qu’à toutes sortes d’autres discussions.

Je retire aussi de cette visite que les Mexicains sont très inquiets pour le secteur de l’automobile. Je voudrais poser la question suivante à chacun d’entre vous : communiquez-vous régulièrement avec vos homologues mexicains? Ces interactions sont-elles de plus en plus fréquentes? Quelles sont vos impressions? Nous allons commencer par M. Kingston.

M. Kingston : Oui, nous sommes en contact très étroit avec nos homologues mexicains. En fait, nous discutons chaque semaine et échangeons des renseignements sur ce qui se passe dans le secteur et sur la façon dont nous devrions aborder ces négociations. Nous entretenons donc une très bonne relation constructive avec les Mexicains, et nos homologues américains en font partie également. L’industrie est très bien alignée, et tout le monde a le même objectif, qui est de renouveler cet accord et de s’assurer que le commerce automobile continue d’être en franchise de droits partout en Amérique du Nord.

Mais j’entends les mêmes préoccupations, et il y a des différences entre le marché canadien et le marché mexicain. Il y a beaucoup plus d’investissements chinois et d’influences chinoises au Mexique, ce qui a suscité des préoccupations aux États-Unis. Il y a donc des différences, mais de façon générale, nous appuyons tous l’accord, le cadre et la nécessité d’une chaîne d’approvisionnement nord-américaine intégrée.

M. Volpe : Je devais prendre la parole à cette conférence, monsieur le président, et j’ai plutôt dû rester ici pour accueillir la gouverneure du Michigan et assister à des réunions. C’est le genre de compromis que nous devons faire au quotidien. Le feu est aux États-Unis et l’eau se trouve parfois au Mexique, et il faut passer de l’un à l’autre.

Nous échangeons constamment avec nos homologues et les hauts fonctionnaires mexicains. Nous sommes très investis. Nous prenons la parole en tant qu’investisseurs et employeurs et nous implorons le gouvernement du Mexique d’aider à protéger le rendement de notre investissement.

La seule différence que je ne cesse de soulever auprès de nos partenaires et homologues mexicains, c’est que le Canada et les entités canadiennes investissent massivement dans l’exploitation d’actifs au Mexique, et il n’y a encore aucune entreprise mexicaine qui investit dans des usines au Canada et peu aux États-Unis. Je dis cela simplement pour mettre en contexte les raisons pour lesquelles Washington pourrait voir Mexico différemment d’Ottawa.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Hébert : J’aimerais poser une brève question. Monsieur Kingston, vous avez dit que nous devions améliorer rapidement notre environnement fiscal et réglementaire pour faire face à la situation et aussi en raison de ce qui se passe aux États-Unis dans ces deux domaines. Vous avez parlé du mandat relatif aux véhicules électriques, qui est un fardeau réglementaire dont vous aimeriez voir l’industrie être libérée. Mais il y a d’autres obstacles, si je puis dire. Certains, comme la taxe de luxe, sont peut-être moins dommageables pour l’industrie, mais ce sont tout de même des obstacles que nous dressons devant notre propre industrie au Canada.

J’aimerais que vous nous disiez quelles seraient les principales priorités de l’industrie, à part les véhicules électriques. Quelle serait la priorité absolue de l’industrie en matière d’allégement fiscal et réglementaire?

M. Kingston : J’ai une très longue liste ici dans une lettre que j’ai transmise au ministre Champagne, alors je ne vais pas passer tous les éléments en revue.

La sénatrice Hébert : Est-ce qu’il est possible d’avoir cette liste?

M. Kingston : Oui, tout à fait.

La sénatrice Hébert : Merci.

M. Kingston : Nous pouvons vous la transmettre.

J’ai l’impression que le Canada est constamment en mode réactif en ce qui concerne la politique américaine, et j’aimerais que nous puissions être à l’avant-garde et être plus proactifs. Je n’oublierai jamais le moment, lors du premier mandat de Trump, où nous avons dû réagir aux réductions d’impôt américaines. Puis, il y a eu le président Biden et l’Inflation Reduction Act, qui a provoqué une panique au Canada et dans l’industrie automobile. Nous avons dû réagir et nous l’avons fait efficacement, mais encore une fois, nous étions en mode réaction.

Maintenant, nous avons le One Big Beautiful Bill, qui nous a encore une fois mis en porte-à-faux, et nous essayons de trouver des moyens d’être concurrentiels. Nous devons être plus avant-gardistes dans la gestion de cette situation et ne pas nous contenter de réagir aux mesures prises par les États-Unis.

J’ai quelques idées. Les mesures comme la taxe de luxe ne font que nous nuire, et elles n’accomplissent rien en ce qui concerne les véhicules électriques. En ce qui a trait au cadre réglementaire, non seulement les entreprises automobiles se conforment à l’obligation fédérale en matière de véhicules électriques, mais nous avons aussi une réglementation sur les gaz à effet de serre, ou GES, pour les tuyaux d’échappement. De plus, le Québec et la Colombie-Britannique ont mis en place leurs propres mandats, de sorte qu’il n’y a pas une seule économie canadienne. Il faut se conformer à tous ces règlements qui changent constamment. Un cadre réglementaire commun serait donc extrêmement utile.

Si nous pouvions faire cela, en plus d’apporter des améliorations à l’approbation des projets pour les minéraux critiques, nous serions en bien meilleure posture. Mais je vais vous transmettre la liste avec plaisir.

La sénatrice Hébert : Monsieur Volpe?

Le président : Nous n’avons malheureusement pas le temps d’entendre M. Volpe. Nous pourrons peut-être y revenir.

En ce qui a trait à la liste et au document, nous vous demandons de bien vouloir les transmettre à la greffière. Si vous les avez dans les deux langues officielles, c’est tant mieux. Sinon, nous allons les traduire et les remettre aux membres du comité.

La sénatrice Hébert : Est-ce que je peux demander à M. Volpe de nous transmettre une réponse à cette question plus tard?

Le président : Nous n’avons plus de temps, sénatrice, mais je sais que M. Volpe écoutait la conversation avec attention; il voudra peut-être nous transmettre quelque chose. Il a évidemment le loisir de le faire.

La sénatrice Hébert : Nous lui en serions reconnaissants.

Le sénateur Woo : Monsieur Volpe, vous me semblez assez pessimiste au sujet des possibilités associées à l’examen de l’ACEUM. Étant donné la trajectoire actuelle, si les États-Unis sont déterminés à accaparer le marché de l’automobile et à maintenir les droits de douane sur les automobiles destinées au marché américain, il me semble que nos fabricants de pièces d’automobile et d’autres entreprises de ce secteur voudront se relocaliser aux États-Unis. Est-ce que c’est déjà le cas?

M. Volpe : Pas encore. Vous avez utilisé le mot pessimiste; je dirais plutôt que je suis réaliste. Les réalités politiques nationales associées à la façon dont l’administration gère le pays ont donné lieu aux renégociations de l’ACEUM.

Ici, au Canada, les volumes ont diminué et il y a d’importantes pressions en vue de réduire la capacité d’emploi, mais personne ne s’est déplacé. Dans les faits, ce qui peut arriver, c’est que les fournisseurs de deuxième et de troisième niveau vont faire faillite. On ne peut pas décider d’investir 50 millions en Caroline du Nord et d’y embaucher des gens; ce n’est pas ainsi que cela fonctionne.

Le sénateur Woo : Est-ce que ce serait une trajectoire à adopter à long terme, toutefois, si les pressions continuent de se faire sentir en ce sens?

M. Volpe : Je crois que la situation actuelle ne fait qu’entraîner une réduction des volumes de production partout. Si telle était la situation aux États-Unis, alors les fabricants automobiles américains pourraient faire des appels d’offres pour trouver des fournisseurs qui répondent à leurs besoins, et qui se trouveraient à une heure ou une journée de route. D’autres entreprises pourraient profiter de ces occasions.

Certaines de ces usines de fabrication de pièces automobiles sont canadiennes et appartiennent à Magna, Linamar, Martinrea, Woodbridge, etc., mais dans la plupart des cas, on ferait affaire avec d’autres entreprises.

Le sénateur Woo : Merci.

La sénatrice Coyle : Encore une fois, on a déjà posé la question que je m’apprêtais à vous poser, mais j’en ai une autre. Elle est peut-être hors sujet, je n’en suis pas certaine.

On s’attend à une augmentation des dépenses dans le domaine militaire. Selon vous, ou selon les gens que vous représentez ou avec lesquels vous êtes associés, est-ce qu’il y a des possibilités de croissance au sein du marché national?

M. Volpe : Permettez-moi d’intervenir avant M. Kingston, afin que je puisse prendre un certain crédit pour avoir répondu à la question en premier. Ce sont de nouveaux volumes. Les pays de l’OTAN se sont engagés à dépenser 5 % du PIB, soit 3,5 % pour la défense et 1,5 % pour la résilience économique. Cela signifie que le Canada devra acheter de nombreux véhicules routiers ou hors route. Le premier ministre a dit que nous accorderions la priorité au Canada et que cette préférence en matière d’approvisionnement serait codifiée. Par ailleurs, si nous élaborons des solutions locales qui sont assez bonnes pour l’armée canadienne, je pense qu’elles le seront aussi pour les Danois, les Suédois, les Allemands et tous les autres.

C’est une occasion rare associée à un nouveau segment de marché pour les types de biens que nous fabriquons. J’ai beaucoup parlé de la possibilité d’avoir un constructeur automobile canadien. L’un des plus grands problèmes à cet égard, c’est que si l’on met sur pied une entreprise automobile canadienne concurrentielle, on risque de cannibaliser les ventes des entreprises qui sont investies ici. Ce sont donc de nouveaux volumes dans cet espace.

Il faut absolument creuser le plus loin possible pour voir si c’est une possibilité pour les gens et les entreprises qui sont actuellement dans le secteur de l’automobile de se lancer dans de nouvelles chaînes de production.

M. Kingston : Les dépenses dans la défense peuvent être utiles, mais elles ne remplaceront jamais le reste du marché. Nous avons des sociétés qui étudient les possibilités de contrats en matière de défense, mais on parle d’environ 500 véhicules. Dans une usine type, on fabriquerait de 150 000 à 300 000 véhicules. C’est utile, mais ce n’est pas suffisant.

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à M. Volpe. Vous avez parlé de la visite de la gouverneure Whitmer en Ontario. Pourriez-vous nous donner un aperçu de ce qui s’est dégagé de cette rencontre et de la mesure dans laquelle les autres ordres de gouvernement des États-Unis peuvent être nos alliés en vue de faire avancer nos intérêts collectifs?

M. Volpe : La gouverneure Whitmer est une adepte de beaucoup de choses, y compris des données. Celles du Michigan indiquent que les économies manufacturières de cet état et de l’Ontario sont interreliées. Nous avons recours aux mêmes talents. Elle a parlé de la façon dont les mêmes entreprises s’investissent des deux côtés de la frontière, qu’elles soient américaines, comme Ford et General Motors, ou canadiennes, comme Magna et Linamar. Elle comprend la menace que représentent certains produits de la Chine dont a parlé le sénateur Woo. Un modèle d’affaires différent amène un produit différent qui est peu coûteux et qui constitue une menace pour ces deux économies. Nous devons travailler ensemble. La gouverneure a fait valoir que la rhétorique et — ce sont ses mots, pas les miens — les insultes de la Maison-Blanche à l’égard des Canadiens et de nos intérêts étaient non seulement inutiles, mais qu’elles n’étaient pas fondées sur des faits.

C’était une bonne rencontre, qui faisait aussi suite à d’autres que nous avons eues avec elle aux États-Unis. C’est typique de la représentation qui est faite par les États manufacturiers. C’est ce que font aussi le Tennessee, l’Alabama, l’Illinois et l’Indiana. Nous essayons toujours de parler de façon apolitique, parce que les mathématiques n’ont pas de couleur... À moins que l’on soit dans le rouge, ce que personne ne souhaite.

Le sénateur MacDonald : M. Volpe en a parlé, mais j’aimerais avoir votre avis à tous les deux à ce sujet. L’histoire du Canada dans le domaine de l’automobile date probablement d’aussi longtemps que celle de n’importe quel autre pays. Nous travaillons en parallèle avec l’industrie américaine depuis plus d’un siècle. Nous avons beaucoup d’expertise dans ce domaine, tant en ce qui a trait à la construction automobile qu’à la fabrication de pièces. Je sais que cela fait longtemps que la McLaughlin n’est plus sur les routes, mais sommes-nous capables d’avoir des industries américaines et canadiennes autonomes? Les industries de la Corée du Sud et du Japon sont toutes de l’après-guerre. Ces pays n’avaient rien il y a 50 ans, et regardez où ils en sont aujourd’hui. Avons-nous la capacité et les moyens nécessaires à cet égard?

M. Kingston : Oui, tout à fait. Les fabricants comme Ford, GM et Chrysler sont ici depuis 120 ans. L’ACCV, ou l’Association canadienne des constructeurs de véhicules existe depuis environ 100 ans, étant donné la longue tradition de l’industrie.

L’industrie de l’automobile va rester. Si les États-Unis déploient cette politique dans sa pleine mesure, nous reviendrons à l’environnement de l’avant Pacte de l’automobile et à une production locale en vue d’accéder aux marchés locaux. Ce n’est pas efficace, c’est très coûteux et ce n’est pas du tout concurrentiel, mais c’est là où nous nous retrouverons si cette politique est adoptée. Ce n’est pas idéal, mais notre industrie demeurera.

M. Volpe : C’est un moment historique, sénateur MacDonald, puisque nous voyons les choses de la même façon. Il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin que la McLaughlin. Le secteur canadien de l’automobile a connu de nombreux autres succès.

Pourrions-nous ou devrions-nous créer une voiture canadienne? Tout le monde qualifie d’échec la tentative de Malcolm Bricklin de lancer une entreprise de fabrication automobile canadienne au milieu des années 1970. Mais je vois cela comme une leçon tirée. Il a été en mesure de réunir des capitaux, de mettre au point un produit certifié et de le mettre sur le marché. Malheureusement, au milieu des années 1970, la voiture sport n’était pas le bon créneau de marché.

Nous faisons une étude très approfondie des divers segments. On peut se demander, comme on l’a fait plus tôt, s’il y a un segment de la défense et un type de véhicule qui pourraient et devraient être canadiens. Oui. Nous avons fabriqué 120 millions de voitures au pays. Nous les avons assemblées. Nous avons la main-d’œuvre nécessaire pour faire le travail. Mais je l’ai dit d’entrée de jeu : nous ne devrions pas créer une sorte de « Federal Government Motors Inc. ». Il faut adopter un modèle d’affaires durable, et le gouvernement a un rôle à jouer en ce sens.

C’est peut-être une question d’approvisionnement ou de réglementation, mais nous examinons la situation de manière très approfondie pour voir s’il est possible de bâtir quelque chose ici.

Le président : Merci beaucoup. C’était une discussion très enrichissante. J’aimerais ajouter une chose : si ma mémoire est bonne, dans le film Retour vers le futur, la voiture, c’était une Bricklin... Nous voilà donc de retour dans le futur.

Je tiens à remercier nos deux témoins, Brian Kingston et Flavio Volpe, d’avoir été avec nous aujourd’hui. J’oserais dire qu’étant donné que la question est au cœur des préoccupations du pays et que de nombreux Canadiens craignent de perdre leur emploi, nous allons probablement vous inviter à nouveau afin que vous nous fassiez part de vos analyses et de votre savoir. Sénateur MacDonald, aviez-vous une question?

Le sénateur MacDonald : J’aimerais dire une dernière chose avant que nous n’ayons plus de temps. Vous parliez de la Bricklin... Lorsque mes enfants étaient plus jeunes et que j’avais beaucoup moins d’argent à ma disposition, mon voisin, lui, avait une Bricklin. Il avait eu plusieurs enfants et avait dû la mettre en vente, pour une bouchée de pain. Elle avait été revampée en entier; la fibre de verre était neuve et la voiture fonctionnait parfaitement. Mon plus grand regret, c’est de ne pas l’avoir achetée il y a 20 ans.

Le président : Chers collègues, voilà qui met fin à notre réunion. Je vous souhaite à tous une excellente fin de semaine de l’Action de grâces. Soyez prudents. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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