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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 26 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

J’invite les membres du comité qui participent à la réunion à se présenter.

[Français]

La sénatrice Hébert : Martine Hébert, division de Victoria, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Bonjour. Mary Coyle, sénatrice d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, Ontario.

Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, Colombie-Britannique.

Le sénateur Harder : Peter Harder, Ontario.

Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Adler : Charles Adler, Manitoba.

Le président : Merci beaucoup. Le sénateur Woo, de la Colombie-Britannique, arrive juste à temps.

Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et à tous ceux qui nous regardent peut-être, de partout au Canada, sur la plateforme de diffusions parlementaire.

Chers collègues, nous nous réunissons conformément à notre ordre de renvoi général pour poursuivre la discussion sur l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM, et sur les relations commerciales du Canada avec les États-Unis et le Mexique.

Aujourd’hui, pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Louise Blais, conseillère principale du Conseil canadien des affaires. Soulignons que, parmi ses nombreux rôles antérieurs de diplomate, Mme Blais a été consule générale du Canada à Atlanta et, sur le plan multilatéral, ambassadrice et cheffe de mission adjointe aux Nations unies à New York. Bienvenue, madame, et merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Quant à Mme Laura Dawson, directrice générale de la Future Borders Coalition, qui devait comparaître devant le comité, elle ne peut malheureusement pas se joindre à nous aujourd’hui à cause des exigences techniques que vous connaissez tous. Nous aurons le grand plaisir de l’accueillir à une date ultérieure.

[Français]

Avant d’entendre votre déclaration, madame Blais, et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils.

[Traduction]

Je vous demanderai de respecter les lignes directrices en maintenant une certaine distance entre votre oreillette et le microphone. Nous éviterons ainsi les incidents acoustiques qui pourraient nuire à nos interprètes et aux autres personnes qui écoutent.

Madame Blais, vous avez la parole.

[Français]

Louise Blais, conseillère stratégique, Conseil canadien des affaires : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de l’invitation à comparaître aujourd’hui au nom du Conseil canadien des affaires, ou CCA. Le CCA représente les PDG de 170 grandes entreprises canadiennes œuvrant dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les régions du pays.

[Traduction]

Dans ma déclaration préliminaire, je vais m’en tenir au sujet à l’étude. L’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM, est absolument indispensable. Tous les gens d’affaires s’entendent sur ce point, parce que le gagne-pain des travailleurs canadiens et de leurs familles dépend du fonctionnement continu, certain et prévisible de cet accord.

L’ACEUM garantit la circulation de plus des trois quarts de nos exportations. Il ancre les chaînes d’approvisionnement nord-américaines intégrées et procure aux entreprises la stabilité dont elles ont besoin pour investir, pour prendre de l’expansion et pour créer des emplois ici au pays. Par conséquent, nous devons déterminer comment le Canada se positionnera pour que le renouvellement de cet accord, en 2026, lui réussisse. Il s’agira de protéger les emplois de nos travailleurs et de renforcer la compétitivité de l’Amérique du Nord dans un monde empreint d’incertitude. Comme l’a souvent dit M. Goldy Hyder, PDG du Conseil canadien des affaires, pour le Canada, cette révision de l’accord n’est pas un simple contrôle administratif, c’est un virage stratégique.

L’environnement mondial est devenu beaucoup plus concurrentiel et protectionniste. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aborder cette révision avec passivité. De plus, nous devons faire preuve de bonne volonté et de bonne foi non seulement envers les États-Unis, mais envers le Mexique. Je suis heureuse de comparaître juste avant le sous-secrétaire Roberto Velasco Álvarez, qui est renommé pour son expertise en matière de coopération nord-américaine. Je félicite le comité de l’avoir invité. Sa participation nous rappelle que l’ACEUM, ou T-MEC, est un accord trilatéral et non pas deux voies bilatérales parallèles. L’Amérique du Nord ne fonctionne que si les échanges des trois pays s’harmonisent.

Cela m’amène à mon message central d’aujourd’hui : le Canada doit considérer ses relations continentales comme étant fondamentales. La diversification du commerce est un élément supplémentaire et non un substitut. En fait, notre position à l’échelle mondiale a toujours été renforcée par la solidité de notre base nord-américaine.

Pour revenir au Mexique, ce pays est maintenant le plus important partenaire commercial des États-Unis, un client qui surpasse même le Canada. Il est devenu une plaque tournante essentielle pour les chaînes d’approvisionnement continentales dans les secteurs de la fabrication, de l’énergie, de l’agriculture, des services numériques et de la logistique. Pour le Canada, une relation solide avec le Mexique n’est pas « une bonne chose »; elle est au cœur de nos intérêts économiques et sécuritaires. Nos entreprises en sont très conscientes. Les chaînes d’approvisionnement intégrées dépendent de trois partenaires prévisibles, et non pas de deux qui espèrent que le troisième s’adaptera plus tard. Nous devons résister à cette façon de penser.

Quant à la révision de 2026, le Conseil canadien des affaires estime que les priorités du Canada devraient porter sur trois domaines.

Premièrement, il faudra réduire l’incertitude et renforcer la confiance des investisseurs. Les règles d’origine, le règlement des différends et les recours commerciaux doivent être prévisibles. Les capitaux sont mobiles : ils n’attendront pas que l’Amérique du Nord se ressaisisse.

Deuxièmement, il faudra moderniser l’accord pour l’adapter à l’économie dans laquelle nous vivons. Le commerce numérique, la sécurité des flux de données, la fabrication de pointe et les technologies propres — sans oublier l’intelligence artificielle — doivent être des piliers fondamentaux de cette révision et non des pensées après coup.

Troisièmement, il faut renforcer le cadre trilatéral sur les plans politique et opérationnel. Il faudra pour cela resserrer la coopération entre le Canada et le Mexique et structurer les dialogues sur la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, sur l’harmonisation de la réglementation, sur la mobilité de la main-d’œuvre et sur la transition énergétique.

[Français]

Permettez-moi de conclure par cette réflexion : l’année prochaine ne consiste pas seulement à préserver ce que nous avons construit ensemble, mais à façonner un nouvel avenir économique du Canada.

La position du Conseil canadien des affaires, reprise par Goldy Hyder, est que nous devons aborder ce processus avec une ambition positive et une meilleure compréhension de nos partenaires. Une Amérique du Nord confiante et coordonnée est le plus grand atout du Canada dans une économie mondiale qui se fragmente.

Je vous remercie et j’attends vos questions avec impatience.

Le président : Merci, madame Blais.

[Traduction]

Je tiens à souligner que la sénatrice Ataullahjan et le sénateur Al Zaibak, tous deux de l’Ontario, et le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, se sont joints à nous.

Nous allons passer aux questions et réponses. Chers collègues, la règle des trois minutes s’applique. Je vous demanderais donc de poser des questions concises et ciblées. Je demanderai à notre témoin d’y répondre de la même façon.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup, madame Blais, et merci pour le travail que vous avez accompli au nom du Canada tout au long de votre carrière remarquable.

L’attitude de la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum face au président Trump a été décrite par de nombreux observateurs comme étant prudente et mesurée. Le Mexique n’a pas lancé de représailles tarifaires. Il semble que cette relation soit plus solide que notre relation actuelle avec les États-Unis. Je me demande si vous pourriez nous parler de cette stratégie et des répercussions qu’elle pourrait avoir sur la renégociation de l’ACEUM.

Mme Blais : Merci, monsieur le sénateur.

Quand je suis à Washington, j’entends souvent les Américains dire que la présidente du Mexique a réussi à entretenir un très bon dialogue. Il est intéressant de constater qu’elle n’a jamais rencontré le président en personne. Toutefois, ils se parlent régulièrement, et ses équipes sont constamment à Washington.

Leur dialogue a commencé avec une liste d’irritants beaucoup plus longue que la nôtre, et ils progressent de façon rigoureuse en les réglant l’un après l’autre. J’ai entendu dire qu’il en reste environ cinq ou six, probablement les plus difficiles à traiter. Nous ne savons donc pas quel en sera le résultat.

Cela s’explique en partie par le fait que le Mexique a l’habitude d’être traité — comment dire cela diplomatiquement — qu’il a eu des relations difficiles avec les États-Unis au sujet de la frontière, des cartels et de toutes sortes d’enjeux. Il ne pensait pas entretenir une relation particulière ou privilégiée. Sur le plan psychologique, je pense que le point de départ de ce dialogue était différent de celui du Canada. Bien que le président américain menace parfois d’envoyer l’armée contre les cartels, il n’a pas envisagé de faire du Mexique son 51e État. Il a renommé le golfe, mais ce n’est pas tout à fait la même chose.

Quand le premier ministre a été élu, les Canadiens lui ont confié le mandat de tenir tête au président. C’est le mandat que notre nation lui a donné. Je ne suis pas sûre que ce soit judicieux. Je ne suis pas certaine que ce soit la bonne façon de procéder. Je pense qu’au lieu de « haut les coudes », nous aurions dû dire « gardons la tête haute ».

Le président : Oh là! Cela devient très intéressant.

La sénatrice M. Deacon : Avant de poser ma question, je tiens à vous remercier d’être venue.

Pourriez-vous développer cette notion dans le temps qui m’est alloué?

Mme Blais : Bien sûr.

« Gardons la tête haute » n’est pas un slogan conflictuel. Autrement dit, nous allons rencontrer le président comme de fiers Canadiens prêts à défendre leurs intérêts. Cela invite le respect sans provoquer l’adversaire. Sur le plan politique, nous n’empêchons pas le président de s’entendre avec le Canada.

Quand le premier ministre rencontrait le président, les choses se passaient toujours bien, parce qu’ils discutaient et qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Le premier ministre devait cependant maintenir cette impression par ce qu’il disait à son retour au pays et sur la scène internationale. Il devait agir avec cohérence. Il devait dire que nous travaillons avec les Américains et que nous pouvons collaborer sur certains enjeux. Cependant, s’il dit cela, et qu’ensuite, il dit que les Américains ne sont pas des partenaires fiables, il crée un fossé qu’il aurait probablement pu combler un peu mieux.

Voilà pourquoi je suggère de changer notre slogan à « gardons la tête haute ». Il indique que nous allons défendre nos intérêts, que nous sommes fiers d’être Canadiens, tout en ne critiquant pas les Américains sur leur façon de gérer leur pays.

La sénatrice M. Deacon : Merci, et merci d’avoir formulé votre déclaration de cette façon. Je vous en suis très reconnaissante, surtout pour les domaines que vous avez décrits comme des priorités.

Nous avons beaucoup discuté du commerce entre les États-Unis et le Canada, notamment celui de la gestion de l’offre, du bois d’œuvre et de la fabrication d’automobiles. J’aimerais maintenant parler de l’économie des services numériques et d’autres secteurs axés sur la technologie. Nous avons annulé la taxe sur les services numériques au Canada. Quelles en ont été les répercussions sectorielles, et comment ces secteurs se débrouillent-ils dans la guerre commerciale qui fait rage à l’heure actuelle?

Mme Blais : De toute évidence, ce milieu est très complexe, parce qu’il subit une série de tarifs différents appliqués par des mécanismes différents. Nous avons les tarifs de l’International Platinum Group Metals Association, ou IPA. Il y a aussi les « tarifs du fentanyl », qui s’appliquent à tout le monde, sauf aux produits conformes à l’ACEUM. Ensuite, il y a les 232 tarifs sectoriels appliqués non seulement au Canada, mais à tous les pays du monde. Ce sont les tarifs sur l’acier, l’aluminium, le bois d’œuvre et autres, et pour lesquels certains pays ont négocié un taux réduit. Le Canada ne l’a pas encore fait.

Ces tarifs touchent certains secteurs plus que d’autres. L’industrie du bois d’œuvre est ébranlée par ces tarifs, mais je crois comprendre que le taux tarifaire global pour le Canada se situe en moyenne autour de 5 %. Il est cependant beaucoup plus élevé dans certains secteurs que dans d’autres. Les répercussions sont donc ressenties de façon tout à fait différente d’une province à l’autre. Certaines provinces sont plus touchées que d’autres. Les secteurs ciblés du Québec sont plus touchés que ceux d’autres provinces, comme Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes moins exposés aux tarifs américains sur les importations. La douleur ressentie varie d’un endroit à l’autre.

J’entends parler de temps à autre de différents producteurs d’acier et d’aluminium qui font encore des affaires aux États-Unis pour diverses raisons, notamment parce que les producteurs américains sont devenus cupides et ont augmenté leurs prix. Par conséquent, nous demeurons concurrentiels, mais cela dépend des différents produits.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Wilson : J’aimerais revenir au slogan « gardons la tête haute ». Le premier ministre a parlé au président. Il se rendra à Washington la semaine prochaine. Pensez-vous qu’il abandonne l’attitude « haut les coudes » pour adopter une nouvelle position? Quel est votre point de vue sur la situation actuelle?

Mme Blais : Je pense que le premier ministre fait tout ce qu’il peut pour maintenir le contact dans des circonstances difficiles. Je ne pense pas que nous nous rétablissions actuellement. Avec ce président, il faut y aller, revenir, puis dire : « Bon, tout s’est bien passé ».

Je suis heureuse qu’il y aille. Il est important de maintenir le contact. Je suis convaincue que les choses se régleront entre les dirigeants. Il n’y a pas d’autres moyens. Elles se régleront autour du tirage au sort, de la Coupe du monde de la FIFA que nous coorganisons avec le Mexique. Comment cela se passera-t-il? Le Mexique, le Canada et les États-Unis coorganisent la Coupe pendant l’année de la révision de l’ACEUM. Nous devrions tirer parti de cette bonne volonté. Ces types d’occasions comptent. J’espère que tout se passera avec bonne humeur et en temps opportun. Les dirigeants tiendront peut-être des conversations franches en privé. Je m’accroche à cet espoir, mais attendons de voir comment cela se déroulera.

Le sénateur Wilson : Nous ne devrions surtout pas mettre tous nos œufs dans le même panier, mais la plupart de nos œufs sont en fait dans un même panier. Je crois que les honorables sénateurs conviendront que, sans aucun doute, les négociations de l’ACEUM sont notre priorité absolue. Cela dit, j’aimerais savoir ce que les membres de votre conseil font pour transférer certains œufs dans d’autres paniers sur le plan de la diversification.

Mme Blais : La diversification est importante. Elle l’a toujours été, même si elle a souvent été négligée. Je pense qu’il est important que le Conseil canadien des affaires et ses membres montrent la voie, car leurs entreprises sont importantes. Les petites et moyennes entreprises soutiennent 80 % de l’économie canadienne. Il n’est pas facile de commencer à exporter à l’autre bout du monde. Ce n’est pas impossible, mais c’est beaucoup plus difficile.

Le Conseil canadien des affaires a sillonné le monde pour établir des relations avec d’autres entreprises. Mme Goldy Hyder revient des États-Unis. Avant cela, elle s’est rendue régulièrement en Asie ainsi qu’en Europe et ailleurs au monde. Elle est allée en Inde, où elle a établi des liens très solides avec des entreprises. Le Conseil canadien des affaires a exercé des pressions en faveur de la stratégie Asie-Pacifique bien avant qu’elle ne soit enfin lancée. Nous estimons que la croissance se déroule en Asie et qu’il est crucial que nos membres y soient présents.

Le Conseil canadien des affaires — et je terminerai là-dessus — recommande que le gouvernement collabore plus étroitement avec le secteur privé pour mener les activités et les programmes qui permettraient aux grandes sociétés canadiennes d’aider les petites entreprises à prendre de l’expansion. Elles établiraient des stratégies qui aideraient nos petites entreprises à progresser. Cependant, nous n’y parviendrons qu’en travaillant ensemble.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie pour votre témoignage. Je suis heureuse d’entendre vos observations et votre opinion selon laquelle nous ne pouvons pas abandonner notre principal partenaire. Pourquoi l’abandonner? Nous affaiblirions l’économie. Il faut faire croître tout le continent. Ce faisant, nous attirerons peut-être plus d’échanges commerciaux avec d’autres pays.

Vos trois recommandations sur les relations et l’avenir de l’ACEUM m’ont intéressée. Je vous demanderais cependant d’approfondir votre deuxième recommandation, qui consiste à moderniser cet accord non seulement pour l’économie actuelle, mais pour, j’imagine, la transition vers une nouvelle économie. Pourriez-vous nous dire exactement ce dont nous n’avons plus besoin, ce qui est peut-être désuet, et sur quoi vous pensez que nous devrions concentrer nos activités?

Mme Blais : Il y a environ huit mois, le conseil recommandait que le Canada se contente de renouveler cet accord. Nous craignions de le rouvrir et d’essayer de le modifier.

Comme les Américains nous disent maintenant qu’ils veulent le réviser — et je n’utilise pas le mot « renégocier » —, il y aura peut-être des possibilités non pas de supprimer des éléments, mais d’en ajouter. Je pense, évidemment, à l’intelligence artificielle, aux centres de données et à la souveraineté des données personnelles. Nous devons tous faire face aux défis que ces domaines nous posent. Par exemple, maintenant que tout est numérique, les réseaux électriques qui traversent la frontière sont devenus vulnérables, et nous devons collaborer pour les protéger. C’est une question de technologie. Au cours de cette révision, nous pourrions renforcer certains de ces chapitres.

Cependant, les gens se demandent jusqu’où cela pourrait aller, jusqu’à quel point on peut modifier l’accord avant qu’il ne soit plus le même et que chaque pays doive retourner devant son parlement ou son congrès, ou voir si le président doit demander une procédure accélérée. Aux États-Unis, nous entendons dire que le gouvernement ne veut pas trop toucher à l’ACEUM, parce qu’il est entièrement satisfait d’un grand nombre de dispositions techniques. Apparemment, il préfère établir des annexes et des accords parallèles qui compléteraient l’accord actuel. Il nous imposerait ce processus.

Je ne vais pas entrer dans les détails de l’aspect numérique. Je vous donne simplement un petit exemple, mais cela risque de s’avérer beaucoup plus complexe que cela.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Woo : Je vous remercie pour votre témoignage.

J’aime la vision du Conseil canadien des affaires. Elle présente une intégration plus poussée qui ouvrira un accès sûr à la compétitivité nord-américaine pour exporter vers les marchés mondiaux. Bien entendu, elle garantira un approvisionnement sûr aux fabricants canadiens et à d’autres entreprises. Je dois dire que cette vision me semble fantasmagorique. Toutes les ententes que Trump négocie ou conclut sont des tentatives d’extorsion. Je ne peux pas imaginer un scénario dans lequel il ne commettrait pas aussi de l’extorsion envers nous.

Ce qui m’inquiète, c’est que nous nous contenterions d’un accord qui nous donnerait un accès sûr et qui atténuerait certains de nos obstacles d’exportation vers le marché américain. Toutefois, compte tenu de la voie dans laquelle les États-Unis s’engagent, cela réduirait notre compétitivité dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Ils ne permettront pas au Canada de miner leur compétitivité dans le reste du monde, tout simplement parce qu’il se situe dans l’espace nord-américain.

Je vois un scénario dans lequel nous obtiendrons un accès sûr et nous nous en tirerons raisonnablement bien, mais nous demeurerons plus que jamais une succursale commerciale. Nous ne serons qu’un fournisseur de matières premières et nous subirons des tarifs élevés sur certains produits que nous importerons. Nous nous trouvons déjà dans cette situation. Ce scénario réduira la concurrence en Amérique du Nord. Nos entreprises innoveront moins, parce qu’elles ne feront face à aucune concurrence. Pensons un peu aux véhicules électriques. En fin de compte, à long terme, nous deviendrons plus dépendants et moins capables de diversifier nos activités. Je suis certain que vos membres ont réfléchi à ce scénario. Que pensez-vous de cela?

Mme Blais : Oui, je pense que vos préoccupations sont fondées à bien des égards. Il était assez frappant de voir le président des États-Unis parler du Canada comme d’un concurrent et utiliser ce mot dans le contexte de l’industrie automobile. C’est un exemple parfait. Il a dit que le Canada peut fabriquer des pièces, mais que les États-Unis veulent les assembler, comme s’il s’agissait en quelque sorte d’un droit, pour les États-Unis, d’être l’unique assembleur de voitures vendues aux États-Unis. Les voitures achetées aux États-Unis doivent être fabriquées aux États-Unis, mais il oublie que beaucoup de voitures assemblées en Amérique du Nord et aux États-Unis sont exportées. Chaque BMW X5 vendue dans le monde est fabriquée à Spartanburg, en Caroline du Sud. Oui, les Américains en achètent beaucoup, mais la plus grande partie de leur production se vend à l’étranger. Les Américains dépendent du Mexique, du Canada et de la chaîne d’approvisionnement. Je ne pense pas que nous devions renoncer à essayer de faire comprendre aux Américains dans quelle mesure leur compétitivité dépend de nous. À mon avis, nous n’avons pas trouvé la façon de le faire assez efficacement.

Monsieur le sénateur, vous avez servi à Washington, et j’ai passé beaucoup de temps avec des républicains parce que, dans le Sud-Est des États-Unis, ils sont en majorité. Je peux vous dire qu’ils comprennent la valeur du Canada. Nous y avons beaucoup de soutien, mais nous naviguons tous dans le paysage politique américain, qui est actuellement très complexe. On me critique de temps à autre, mais je reste optimiste. Les choses vont changer, mais pas nécessairement pour le pire. À mon avis, il faut attendre. Cette situation ne dure que depuis huit mois. Notre relation avec les États-Unis remonte à des décennies. Oui, ces huit mois ont vu des changements fondamentaux. L’article paru aujourd’hui dans le Globe and Mail décrivant tout ce qui a changé est affolant, ne soyons pas naïfs. D’un autre côté, je continue à croire que la vision proposée par le Conseil canadien des affaires jouit d’un grand appui. Notre homologue américain, la Business Roundtable, est du même avis, tout comme la Chambre de commerce des États-Unis. Faisons preuve de fermeté et non de naïveté.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue encore une fois. En fait, je vais poursuivre avec la question du sénateur Wilson. Je crois comprendre que c’est le Conseil canadien des affaires qui a proposé la possibilité de la diversification des marchés; est-ce bien cela?

Mme Blais : On n’a pas inventé l’idée, mais on a toujours été très positifs et cela fait plusieurs années qu’on parle des avantages, surtout dans le contexte de l’Asie.

La sénatrice Gerba : Donc, dans le budget de 2025, le gouvernement présente un objectif de doubler ses exportations hors États-Unis au cours de la prochaine année. Pensez-vous que c’est réaliste?

Mme Blais : Merci pour la question. Je crois que doubler les exportations actuelles n’est pas impossible. Ce n’est pas impossible, mais il faudra établir un partenariat et des programmes pour travailler avec les entreprises. Ce ne sont pas simplement des missions du Canada à l’étranger qui vont réussir à ouvrir ces marchés. Je le disais, on parle des États-Unis, qui sont protectionnistes. Il y a des tendances. Il est difficile de pénétrer certains marchés, pas parce qu’il y a des tarifs, mais parce qu’il y a des mesures non tarifaires qui rendent l’accès aux marchés difficile.

Par exemple, on parle présentement d’un partenariat de la base industrielle militaire avec l’Europe, mais il faut savoir que les certifications requises pour devenir un fournisseur de ces chaînes d’approvisionnement délicates et sensibles prennent des années à obtenir. Alors, est-ce qu’on réussira à ouvrir toutes ces portes, qui sont quand même difficiles à déverrouiller, du jour au lendemain? On peut penser à l’AECG qu’on a conclu avec l’Union européenne depuis plusieurs années : il n’est même pas encore ratifié par tous les pays, mais il est en place. Il déçoit en raison du manque d’appétit de la part des compagnies et du manque de capacité — je reviens justement à cette idée des PME, car c’est très difficile pour elles d’exporter dans des marchés qui sont difficiles d’accès.

Donc, quels sont les programmes et quelles sont les méthodes? Parfois, il faut se donner des objectifs ambitieux pour que le tout suive, mais il faudra travailler avec le monde des affaires, et justement avec les membres du Conseil canadien des affaires, parce que ce sont les grandes entreprises qui vont pouvoir aider et faire participer les plus petites.

La sénatrice Gerba : Est-ce qu’il y aurait des marchés prioritaires, selon le Conseil canadien des affaires? Quelle place occupe le continent africain pour le Conseil canadien des affaires?

Mme Blais : C’est une très bonne question. Effectivement, on a beaucoup favorisé l’Asie. Cependant, pour l’Afrique, on commence à explorer les possibilités. Nos membres viennent de tous les milieux et de tous les secteurs économiques. Au sein du Conseil canadien des affaires, nous avons en ce moment des représentants à l’étranger, notamment en Europe, en Asie et au Mexique. Est-ce qu’il n’y aurait pas lieu d’avoir quelqu’un sur le terrain en Afrique?

Il y a aussi le Moyen-Orient, où on veut essayer d’explorer certaines ouvertures. Tout est dans le relationnel; il faut bâtir des relations de travail avec les entreprises. Alors oui, l’Afrique est un terrain à défricher, à mon avis, parce que c’est un continent qui est en voie de croissance extraordinaire.

La sénatrice Hébert : Madame Blais, c’est un plaisir de vous retrouver aujourd’hui. Nous nous sommes connues dans notre vie antérieure, et c’est un grand plaisir de travailler avec vous.

Je voudrais revenir sur la question de la diversification; plus particulièrement, vous avez dit plus tôt que c’est important pour le Canada d’avoir une position cohérente et constante. Autrement dit, il faut que les bottines suivent les babines. L’approche à l’international, le fait que l’on souhaite se diversifier, que l’on se promène à l’international en disant : « On veut développer de nouveaux partenariats parce que notre principal partenaire n’est plus fiable comme il l’était »... Le fait aussi que vous avez parlé de l’Asie et de notre position par rapport à la Chine... J’ai l’impression que le Canada marche sur un fil de fer au-dessus d’un étang rempli de crocodiles et il essaie de ne pas tomber.

Quelle approche le Canada devrait-il adopter dans ce contexte, par rapport à ce que vous avez dit plus tôt sur le fait qu’il faut une approche constante?

Mme Blais : Merci beaucoup pour votre question, madame la sénatrice; je suis très heureuse de vous retrouver aussi. Vous connaissez également très bien les États-Unis.

C’est ce qu’on disait : il faut amplifier, ajouter, mais pas remplacer. On devrait avoir de grandes ambitions. Je pense que tout est dans le ton, comment on le dit et comment on l’approche. On ne peut pas nous reprocher de vouloir diversifier nos marchés et d’avoir d’autres marchés à l’étranger; c’est normal. Le président américain était au Moyen-Orient au mois de mai, lui aussi est allé chercher des investissements. C’est tout à fait normal. On n’a pas besoin de poser ces gestes parce qu’on a des difficultés avec les États-Unis; on devrait le faire juste parce que c’est une bonne idée d’avoir des marchés à l’échelle mondiale. De plus, nous sommes un pays, comme le premier ministre l’a dit, qui a ce que les gens veulent.

J’ai l’honneur de siéger au conseil d’administration d’Investir au Canada. Je ne parle pas aujourd’hui en leur nom, mais j’ai quand même l’expérience de ce travail aussi. Je peux vous dire que la relation qu’on a avec les États-Unis, l’accès à leur marché et ce qu’on a projeté pendant plusieurs décennies a été un atout indispensable pour attirer des investissements. Pourquoi? Parce qu’on fait des choses ensemble, qu’on exporte ensuite à l’étranger. Aujourd’hui, je pense que les dirigeants et les gens d’affaires de la planète se posent la question suivante : quel avenir y a-t-il pour le continent nord-américain?

Je rejette la tentation de dire que nous sommes une alternative aux Américains; faisons attention. Beaucoup d’entreprises canadiennes dépendent des chaînes d’approvisionnement américaines et travaillent étroitement avec des partenaires américains qui ont des clients aux États-Unis; on ne veut pas fragiliser ce qui fonctionne. Cela fonctionne encore aujourd’hui, huit ans après l’arrivée du président Trump à la Maison-Blanche.

Il faut comprendre que la force du Canada a été en partie son partenariat avec les États-Unis; on doit donc régler cette question en premier et on sera plus forts dans nos objectifs de diversification. Je le crois sincèrement.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Mon collègue vient de poser une question sur la diversification, alors j’ai changé la question que je voulais vous poser. Ce matin, j’ai reçu, à mon bureau, un sénateur de l’Ouzbékistan et son ambassadeur au Canada, qui m’ont dit que l’Asie centrale désire beaucoup faire des affaires avec le Canada. Maintenant que nous cherchons de nouveaux marchés, estimez-vous que c’est une région que nous avons ignorée? Si je lis entre les lignes, ces messieurs ont indiqué que leur pays voulait attirer des entreprises canadiennes à cause des valeurs que le Canada représente.

Mme Blais : C’est intéressant et c’est excellent. Nous devons jouer sur tous les fronts. Associons-nous aux nations qui sont vraiment heureuses de travailler avec nous parce que nous ne sommes pas les États-Unis. Nous n’avons pas besoin de nous définir ou de nous retenir. Les gens voient qui nous sommes. Mais j’entends l’autre son de cloche des investisseurs et des entreprises canadiennes qui n’obtiennent pas d’investissements à cause de l’incertitude de nos relations avec les États-Unis. Tout se passe en même temps. Nous devons agir avec subtilité et discernement. Certaines régions du monde considèrent le Canada comme un excellent partenaire. Nous avons beaucoup à offrir. Nous avons la primauté du droit, comme le premier ministre et de nombreux gouvernements successifs l’ont dit. C’est excellent, mais qu’allons-nous faire? Allons-nous installer une mission diplomatique dans la région? Devrions-nous examiner ces possibilités? Oui, tout à fait.

La sénatrice Ataullahjan : Le Canada a toujours enregistré un déficit commercial avec le Mexique. Compte tenu de l’atmosphère actuelle, j’y vois une occasion pour le Canada et le Mexique d’accroître leurs échanges bilatéraux. Dans quels secteurs clés pourrions-nous accroître ces échanges?

Mme Blais : Je vous remercie pour cette question.

Il y a trois ans, j’ai rédigé un rapport pour le Conseil canadien des affaires qui s’intitulait Prêts pour la croissance. Il portait principalement sur les relations bilatérales entre le Canada et le Mexique, qui avaient été négligées dans l’accord nord-américain. Nous avions mis trop d’accent sur le potentiel des États-Unis au détriment de celui du Mexique. Le Mexique est une économie en croissance. Nous pourrions collaborer étroitement avec ce pays. Un grand nombre de nos entreprises y sont déjà installées. Mme Goldy Hyder, du Conseil canadien des affaires, s’est rendue cinq fois au Mexique cette année. Au cours de ces cinq dernières années, nous nous sommes concentrés sur cette relation. Monsieur le sénateur, vous y étiez, vous aussi, il n’y a pas longtemps.

Le Mexique est très fort dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la technologie. En fait, il y a joué un rôle de premier plan. Nous n’y pensons pas vraiment, mais c’est vrai. Il progresse toujours plus dans la fabrication de pointe. On y trouve beaucoup d’entreprises canadiennes. La société Martinrea et d’autres y sont très actives. Nous devrions examiner la fabrication de pointe pour y améliorer la mobilité. Nous avons un excellent programme de travailleurs saisonniers avec le Mexique depuis de nombreuses années. Nous devrions poursuivre dans cette direction.

Cependant, nous avons besoin dès maintenant de meilleures infrastructures commerciales. Nous n’avons pas les infrastructures nécessaires, les ports et les routes, pour élargir nos échanges de marchandises. Nous devrons trouver des moyens de collaborer pour moderniser ces infrastructures.

En terminant, je tiens à souligner que les Canadiens investissent beaucoup au Mexique dans les secteurs de l’énergie et de l’automobile ainsi que dans d’autres secteurs manufacturiers. Cependant, le Canada ne voit pas d’investissements venant d’entreprises mexicaines qui veulent s’agrandir chez nous. Nous leur en parlons tout le temps. Nous voulons entretenir de bonnes relations, mais il faut qu’elles soient équilibrées.

Le président : Merci. Votre temps est écoulé, madame Blais. Il sera peut-être bon de mentionner ce fait à notre deuxième groupe de témoins, qui comprendra le sous-secrétaire d’État mexicain pour l’Amérique du Nord.

Le sénateur MacDonald : Merci. Nous sommes heureux de vous accueillir, madame Blais.

Je partage votre avis sur la manière d’aborder cette question : rester discrets, calmer les esprits, travailler en coulisses. Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Nous savons que le président est un personnage mercuriel, mais cela n’a pas empêché le Japon, la Corée du Sud, l’Union européenne, les Philippines, l’Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam de conclure un accord. Il conclut des ententes avec de nombreux autres pays pendant que nous restons les bras croisés à regarder. Selon vous, quel effet cela aura-t-il sur notre pouvoir de négociation? Comment pensez-vous que cela influera sur nos négociations quand nous nous assoirons enfin à la table pour discuter de nos problèmes?

Mme Blais : Puis-je vous répondre avec franchise, monsieur le sénateur?

Le sénateur MacDonald : Oui, je vous prie.

Mme Blais : Je pense que nous avons manqué notre coup. Mes homologues républicains sont d’accord avec moi. Je pense que nous avions une bonne occasion de réussir au début, mais nous avons commencé par présenter des détails. Pour des raisons tout à fait compréhensibles, nous ne voulions pas tomber dans le piège de Donald Trump. Cependant, il nous aurait suffi d’annoncer quelque chose d’important et de nous soucier des détails plus tard. C’est ce que les autres dirigeants ont fait. L’Union européenne, le Japon et les autres négocient encore les détails. Personne ne sait sur quoi ils se sont mis d’accord, mais ils ont annoncé quelque chose, et tout le monde s’est senti mieux, et le président est passé à autre chose. Vous me signalez probablement que mon temps de parole est écoulé. Je crois comprendre que nous avons procédé comme nous l’avions toujours fait, avec des négociations très précises, très pragmatiques, des faits ici et là, plaçant ceci devant le point A avec une virgule ici — bref, des négociations à l’ancienne. On m’a dit que nous n’en étions pas arrivés à ce point. Nous voulions obtenir de plus grandes concessions, alors nous avons raté l’occasion. Ensuite, nous avons signé des ententes avec d’autres dirigeants qui savaient négocier. Il est révélateur que l’Union européenne, qui comprend 27 États membres avec lesquels elle devait se concerter, ait réussi à conclure un accord, alors que nous n’y sommes pas parvenus. Je pense donc que c’est vrai, nous essayons de rattraper le temps perdu.

Personnellement, je pense qu’il y a un coût à cela — il n’est pas judicieux de conclure rapidement une mauvaise entente, mais je crois qu’une grande partie de la bonne volonté s’est évaporée à cause de notre façon de négocier. À mon avis, nous ne sommes pas en bonne position pour participer à la révision de l’ACEUM. J’aurais préféré que nous soyons mieux placés. Nous verrons ce qui se passera la semaine prochaine à Washington. Il n’est jamais trop tard, avec ce président. Il y a toujours moyen de revenir en arrière. Mais plus tôt nous reviendrons et changerons de ton et d’approche, mieux ce sera. Nous obtiendrons des résultats sans nous engager ni céder, mais simplement en mettant les gens dans de meilleures dispositions...

Le président : Merci beaucoup. Nous avons dépassé le temps qui vous était alloué, mais nous pourrons peut-être revenir à ce sujet au deuxième tour. Quelques sénateurs devront s’efforcer d’y revenir.

Le sénateur Adler : Je me demande pourquoi les gens trouvent notre slogan « haut les coudes » extrêmement agressif. Regardez M. Mamdani, le nouveau maire de New York, et tout ce qu’il a dit pendant sa campagne, et pire encore après avoir remporté l’élection. Il insultait Donald Trump en plein visage. Il le traitait comme l’ennemi public numéro un. Pour établir une analogie avec le monde animal, je dirais que M. Mamdani se comportait comme un lion féroce, et que notre slogan « haut les coudes » ressemblait plutôt à un hamster. Quelques jours après ce coup de publicité, M. Mamdani s’est retrouvé dans le bureau de Trump, qui serrait sa main dans les siennes et le traitait comme un frère. Je suis d’accord avec une bonne partie de ce que vous nous dites. Vous avez dit qu’essentiellement, les problèmes se règlent entre dirigeants. Si l’attitude agressive de M. Mamdani lui a réussi, alors pourquoi M. Carney ne pourrait-il pas conclure une entente avec Donald Trump? Je ne comprends pas comment un petit coup « haut les coudes » l’en empêcherait.

Mme Blais : C’est très intéressant. Il faut étudier ces situations pour comprendre comment aborder les personnages.

Essentiellement, quand j’étais à Washington, les républicains haut placés de la Maison-Blanche m’ont dit qu’ils comprenaient que le premier ministre doive mener une campagne anti-Trump pour respecter l’opinion des Canadiens. Ils comprennent cela, mais la campagne est terminée. À mon avis, il ne s’est pas retourné complètement. Il a tenté de le faire, par exemple au G7. La première rencontre s’est bien déroulée quand le premier ministre y est allé la première fois en mai. Quand ils sont ensemble, tout va bien. Je crois cependant qu’en rentrant au pays, le premier ministre n’a pas eu la marge de manœuvre politique nécessaire pour être... J’ai observé le genre de réactions qu’ont certains Canadiens face à moi, ou même face au Conseil canadien des affaires, quand nous parlons comme je vous parle aujourd’hui. Je ne pense pas que le premier ministre ait eu beaucoup de marge de manœuvre pour nouer une amitié fraternelle avec le président des États-Unis. M. Mamdani a trouvé une façon de le faire, mais cette amitié va-t-elle durer? Elle est toute nouvelle. On verra bien. M. Mamdani lui a dit : « Voici les enjeux sur lesquels je suis d’accord avec vous. Travaillons ensemble ». Le président aime ce genre d’approche.

Je vais cependant ajouter une chose. Le président des États-Unis — j’espère qu’il ne m’écoute pas — comprend que, huit mois après le début de son mandat, sa situation a changé. Il comprend quels avantages il retire en traitant ainsi avec M. Mamdani. Nous ne jouissons probablement pas de cet avantage. Par contre, le Canada jouit d’une grande cote de popularité aux États-Unis. Rares sont les Américains qui veulent s’en prendre au Canada.

Le président : Merci.

Le sénateur Al Zaibak : Contrairement à ce que nous avons dit tout à l’heure, je ne me souviens pas d’avoir entendu le premier ministre affirmer que le président Trump est peu fiable. Je crois qu’il respecte le président Trump et, à mon avis, il a plutôt fait des pieds et des mains pour entretenir une relation amicale. Corrigez-moi si je me trompe.

Je me demande s’il existe un cadre plus complet qui transcende l’ACEUM et qui permette au Canada et aux États-Unis d’en sortir tous deux gagnants sans miner notre souveraineté. Vous avez mentionné quelques aspects qui vont au-delà de l’ACEUM, mais n’avons-nous pas besoin d’un accord plus complet qui transcende cela?

Mme Blais : Merci, monsieur le sénateur.

Je suis d’accord sur la première partie de votre observation. Je conviens que le premier ministre a fait beaucoup d’efforts pour établir de bonnes relations avec le président. Il l’a traité avec respect, je ne peux pas dire le contraire. Je crois que le gouvernement en général ainsi que les Canadiens et les médias ont dit que les États-Unis n’étaient plus un partenaire fiable. Nous avons entendu cela, mais cela ne visait pas Donald Trump lui-même. Je tiens à ce que l’on comprenne bien ce que j’ai dit. Mais je suis d’accord, on a déployé beaucoup d’efforts. J’ai une grande confiance dans la capacité du premier ministre à réussir. À mon avis, il faut agir de toute urgence pour cela.

Je suis d’accord avec votre deuxième observation. Selon le Conseil canadien des affaires, nous devrions poursuivre ambitieusement nos partenariats continentaux. J’y inclus le Mexique, parce que ce qui se passe au Mexique a des répercussions sur le Canada. Nous formons déjà le bloc commercial le plus concurrentiel au monde, mais nous risquons de perdre cette position si nous ne l’alimentons pas. Pour cela, nous ne pouvons pas maintenir le statu quo. Nous devons alimenter ce partenariat. Nous devons examiner tous nos éléments communs, qu’il s’agisse de la gestion des frontières, de la sécurité, des partenariats en matière de cybersécurité, de l’aviation, etc. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’attaque que subit un partenaire se répercute sur l’autre partenaire. Nous vivons dans un monde très intégré. Nous devrions faire preuve d’ambition et travailler ensemble. Le Conseil canadien des affaires et ses homologues mexicains et américains poursuivent une vision plus audacieuse, plus ambitieuse et plus collaboratrice.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais vous poser une question rapide. Je crois qu’elle fait suite à la question du sénateur Al Zaibak. Madame Blais, lors des événements du 11 septembre, vous et moi étions à l’ambassade quand les avions ont frappé les tours. Nous avons tous dû agir au nom du Canada. Nous avons formulé des propositions. Nous avons lancé une campagne sur le terrain dans tous les États-Unis afin de les rassurer sur le plan de la sécurité, de montrer notre volonté de maintenir les échanges commerciaux et de corriger certains renseignements erronés qui circulaient. C’était principalement votre travail. Faisons-nous maintenant sur le terrain tout ce qu’il est possible de faire? Ce week-end, j’ai assisté au forum sur la sécurité à Halifax, et j’ai parlé à plusieurs sénateurs américains. Je savais que le Canada était le principal client et la principale source de revenus de leurs États, et ils en étaient conscients. Cependant, transmettons-nous le bon message sur nos activités?

Mme Blais : Merci, monsieur le sénateur. Je me souviens très bien de cette période. Nous avons bien réussi à faire ce qu’il fallait. Un terroriste a essayé de traverser la frontière, et tout le monde était à fleur de peau, et nous avons réussi à gérer cette crise. On ne sous-estimera jamais la volonté qu’ont les Américains de sécuriser leurs frontières et d’assurer leur propre sécurité. C’est fondamental. Ils se protègent maintenant de la Chine. Ils se pensent vulnérables depuis la COVID-19, notamment face aux chaînes d’approvisionnement de produits de santé, de microcircuits intégrés et autres.

Dans ce même contexte — et je vais peut-être me trouver dans le pétrin une fois de plus —, le Canada maintient un excellent réseau de bureaux partout aux États-Unis et des consulats dans toutes les régions importantes. Nous avons des gens formidables sur le terrain. Certains d’entre eux sont des Américains qui travaillent pour nos consulats et qui croient en cette relation. Je pense que, quand Trump a remporté les élections, il y a eu un retour de bâton avec Biden, et je ne suis pas sûre que nous l’ayons défendu aussi efficacement au cours de ces sept dernières années. Il a été très difficile de gérer la situation du 6 janvier, la position du Congrès à ce sujet et la manière dont nous avons collaboré avec les membres du Congrès. Mon point de vue est différent de celui de certains de mes collègues à cet égard. Je pense que nous devons absolument nous engager, même si nous n’aimons pas ce que nous entendons.

Cela dit, je crois bien que vous avez raison. La plupart des sénateurs et des membres du Congrès avec qui je discute comprennent l’importance du Canada et manifestent une volonté très positive à son égard. Ils s’inquiètent et s’attristent de l’état actuel de nos relations.

Le président : Merci beaucoup.

Il nous reste environ six minutes. Nous avons six sénateurs au deuxième tour. Si vous êtes d’accord, chers collègues, je propose que vous posiez vos questions en 30 secondes ou moins. Nous entendrons d’abord toutes les questions, et, comme Mme Blais est une diplomate chevronnée, elle saura répondre à toutes vos préoccupations.

[Français]

La sénatrice Gerba : Vous avez évoqué la réouverture, la renégociation ou la révision possible de l’ACEUM. Il faudrait qu’on établisse des priorités. Selon les membres du Conseil canadien des affaires, quelles sont les priorités sur lesquelles le Canada devrait se concentrer?

La sénatrice Hébert : Sur une échelle de 0 à 10, quel est votre niveau de confiance sur le fait que l’on va s’en sortir, le chiffre 10 étant « très confiante »?

[Traduction]

Le sénateur Wilson : J’aimerais revenir sur le commentaire que vous avez fait au sujet des infrastructures et des échanges commerciaux avec le Mexique. Selon vous, quelles sont les plus grandes priorités en matière d’infrastructures?

Le sénateur MacDonald : Quand nous négocierons notre accord commercial final et que nous réviserons l’ACEUM en 2026, pensez-vous qu’il est possible que les Américains mettent fin à cet accord et que nous devions négocier un accord bilatéral avec les États-Unis et un accord bilatéral avec le Mexique? Pensez-vous que les États-Unis négocieront eux aussi deux accords bilatéraux?

Le sénateur Al Zaibak : Je fais référence à ce que vous avez dit quant au fait que nous avons peut-être manqué l’occasion de conclure une entente avec les États-Unis. Je me demande si nous ne l’avons pas manqué aussi avec l’Afrique et le Moyen-Orient. Pourquoi sommes-nous encore en train d’examiner ou de remettre en question la viabilité de l’établissement de bureaux en Afrique et au Moyen-Orient?

Le président : Merci. La plupart de ces questions sont liées. Madame Blais, vous avez la parole.

[Français]

Mme Blais : Une des priorités que je n’ai pas encore évoquées, c’est qu’il y a le Comité consultatif externe sur la compétitivité; on met de l’avant le fait que des gens d’affaires devraient faire partie de ce genre de comité. Cela revient un peu à ce qu’on disait : il faut construire plus de ponts entre le secteur des affaires et le secteur gouvernemental.

Les gouvernements négocient des accords, mais ce sont les entreprises qui les mettent en œuvre. Il doit y avoir plus de contacts réguliers à cet égard.

Sur nos chances, je les mets à 9 sur l’échelle.

[Traduction]

Je pense qu’ils voudront conserver tous les avantages de l’AEUMC qui leur plaisent. Je ne les vois pas le démanteler, mais je pense que c’est possible. Ce n’est pas ce que souhaite le Conseil canadien des affaires. En fait, j’ai dit le contraire dans mon discours. Il n’est pas exclu qu’ils négocient bilatéralement, mais ce sera sous l’égide de l’accord. Le Mexique ne souhaite pas cela non plus. Vous entendrez peut-être un autre son de cloche, mais j’en doute. Nous voulons tous rester ensemble, mais il faudra peut-être attendre de voir.

Pour ce qui est de l’infrastructure, ce sont avant tout les ports et de meilleures connexions portuaires. Il ne s’agit pas seulement de l’infrastructure portuaire, mais aussi des navires. Pour ce qui est du chemin de fer, nous avons de la chance maintenant parce que c’est une entreprise canadienne, CPKC, qui relie les trois pays. Nous devons nous assurer de soutenir son travail pour relier le pays.

En ce qui concerne le Moyen-Orient et l’Afrique, nous devons agir le plus rapidement possible. Le monde est vaste et offre de nombreuses possibilités.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, madame Blais, c’était un véritable tour de force.

[Traduction]

Merci beaucoup au nom du comité. Ce sont des questions importantes. Nous reviendrons sans cesse sur ce sujet, et je suis certain que mes collègues seront d’accord pour dire que nous aimerions vous revoir comme témoin.

Chers collègues, pour la deuxième partie de la réunion, nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence à Mexico, M. Roberto Velasco Álvarez, sous-secrétaire pour l’Amérique du Nord au ministère des Affaires étrangères du Mexique.

Monsieur Velasco Álvarez, je suis heureux de vous revoir. La dernière fois, c’était à votre bureau. Cette fois-ci, nous nous réunissons virtuellement. Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire et, comme le veut la coutume, elle sera suivie de questions et de réponses. Vous avez la parole.

Roberto Velasco Álvarez, sous-secrétaire pour l’Amérique du Nord, ministère des Affaires étrangères du Mexique : Merci beaucoup, sénateur Boehm. Je suis heureux d’être ici avec les honorables membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je tiens à vous remercier de nous avoir invités à vous faire part du point de vue du Mexique sur l’état de nos relations bilatérales et sur le prochain examen de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, ou T-MEC, comme nous l’appelons au Mexique.

Nos liens économiques se sont progressivement resserrés au fil du temps. Comme vous le savez probablement, en 2024, les échanges bilatéraux de biens entre le Mexique et le Canada ont atteint près de 50 milliards de dollars américains. De janvier à juillet 2025, nos échanges commerciaux avec le Canada ont totalisé 19,5 milliards de dollars américains, soit une augmentation de 5 % par rapport à la même période en 2024. Cela fait du Mexique le troisième partenaire commercial en importance du Canada.

Les investissements canadiens continuent de croître dans des secteurs comme la fabrication, l’exploitation minière, l’énergie et l’agroalimentaire, tandis que les entreprises mexicaines sont de plus en plus actives sur le marché canadien. Ces chiffres illustrent un partenariat qui s’est renforcé dans le cadre de l’ACEUM. 

L’accord continue d’être le fondement de la compétitivité nord-américaine et un moteur clé de l’investissement et de l’innovation dans notre région. L’an dernier, les échanges commerciaux du Mexique avec le Canada et les États-Unis ont atteint 806 milliards de dollars américains, ce qui représente 64 % de nos échanges totaux. Malgré un environnement mondial complexe, les échanges au sein de l’Amérique du Nord sont demeurés robustes. La même tendance se maintient en ce qui concerne les investissements. Entre 1999 et 2024, plus de 50 % de l’investissement direct étranger au Mexique provenait de l’Amérique du Nord, 44 % des États-Unis et 8 % du Canada. Cela démontre la profondeur et la stabilité durable de notre relation économique. En s’appuyant sur ces bases, le Mexique considère l’ACEUM comme un cadre essentiel pour répondre avec succès à la concurrence économique mondiale. Le traité appuie également l’engagement du Mexique à renforcer les piliers de la stabilité régionale et à promouvoir des politiques qui transforment la croissance économique en mieux-être social.

De plus, le Mexique et le Canada renforcent la coopération spécifique qui consolide le cadre de l’ACEUM. Cette année, nos gouvernements se mobilisent au plus haut niveau. En juin, le premier ministre Mark Carney a invité la présidente Claudia Sheinbaum au Sommet des dirigeants du G7 à Kananaskis, où ils se sont rencontrés en personne pour la première fois. À la suite de cette première rencontre, la présidente Sheinbaum a invité le premier ministre Carney à se rendre au Mexique. Lors de la visite du premier ministre Mark Carney au Mexique en septembre dernier, les deux gouvernements ont convenu d’accroître leur collaboration dans le cadre du Partenariat stratégique global Canada-Mexique, guidé par le Plan d’action Canada-Mexique 2025-2028. Ce plan présente une feuille de route claire et tournée vers l’avenir qui repose sur quatre piliers communs : la prospérité; la mobilité, l’inclusion et le mieux-être; la sécurité; et l’environnement et la durabilité — reflétant la portée et la maturité de notre partenariat.

Dans le cadre du pilier de la prospérité de ce plan, les deux pays travaillent ensemble pour renforcer les voies maritimes de connectivité, promouvoir le commerce et améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Ces initiatives reflètent une vision commune : une Amérique du Nord efficace, interconnectée et prête pour l’avenir.

À titre d’exemple des premiers résultats de cette collaboration accrue, l’agriculture et l’agroalimentaire se sont renforcés au cours des derniers mois. Au cours de la visite du ministre canadien de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Heath MacDonald, les deux gouvernements ont discuté du renforcement de l’intégration des chaînes de valeur agroalimentaires, de l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la diversification des débouchés commerciaux. Ces efforts soulignent notre engagement à réduire les obstacles, à améliorer la prévisibilité et à soutenir les producteurs des deux pays.

Notre dialogue au niveau ministériel s’est également intensifié. En août, les ministres Anita Anand et François-Philippe Champagne se sont rendus au Mexique et ont tenu des réunions productives avec la présidente Sheinbaum et les membres de son Cabinet, réaffirmant notre engagement commun à renforcer la coopération dans les domaines du commerce, de l’infrastructure et de l’innovation. Plus récemment, sous la présidence du Canada au G7, le Mexique a participé à la réunion des ministres de l’Énergie et de l’Environnement du G7 et à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7. Ces engagements soulignent la force de notre partenariat et témoignent d’une volonté commune de travailler ensemble sur les priorités stratégiques qui importent pour notre région.

L’examen de l’ACEUM est, pour le Mexique, une priorité absolue en ce qui concerne notre politique étrangère, notre politique commerciale et, naturellement, de manière générale, notre économie. Nous croyons que l’ACEUM, comme je l’ai déjà dit, est fondamental pour les trois pays de l’Amérique du Nord et qu’il s’est révélé être le fondement d’une relation fructueuse entre les trois pays. En ce sens, nous croyons que l’ACEUM devrait demeurer un accord trilatéral et que son examen devrait être un simple examen plutôt qu’une renégociation complète d’un accord que nous avons négocié il y a à peine quelques années.

Je crois certainement que nous sommes sur la même longueur d’onde que le Canada. Nous croyons que nous travaillons de façon constructive avec le gouvernement des États-Unis, et nous espérons pouvoir continuer à le faire au cours des prochains mois dans le cadre de cet examen de l’ACEUM et avoir un examen fructueux. Je sais qu’il s’agit d’une période difficile et incertaine pour le Mexique et le Canada, et je dirais même pour le monde entier, mais je suis certain que, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises par le passé, en travaillant ensemble, les pays de l’Amérique du Nord se révéleront plus résilients et plus prospères.

Encore une fois, merci beaucoup de cette invitation. J’ai hâte d’entendre vos commentaires et vos questions.

Le président : Merci beaucoup, sous-secrétaire Velasco Álvarez. Nous allons commencer la série de questions et réponses.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Je suis très heureuse de vous revoir.

Comme nous le savons, le libre-échange nord-américain est très centré sur les États-Unis. Non seulement sont-ils la principale économie du monde, mais en raison de leur géographie, il est plus facile pour le Canada et le Mexique de se concentrer sur le commerce avec les États-Unis. Cependant, l’économie du savoir ne connaît pas de frontières. Pour ce qui est du commerce et des services en général, je me demande si, de votre point de vue, il existe aujourd’hui des opportunités à cet égard au Mexique que le Canada néglige et qui nous permettraient de renforcer encore nos liens commerciaux.

M. Velasco Álvarez : Merci beaucoup de votre question.

Oui, bien sûr, le Mexique et le Canada ont une relation avec les États-Unis qui, à bien des égards, est plus étroite simplement parce que nous partageons d’énormes frontières terrestres avec les États-Unis. Cela facilite les échanges commerciaux entre le Mexique et les États-Unis et entre le Canada et les États-Unis. Cependant, nous avons maintenant d’importants moyens de relier non seulement le Mexique et les États-Unis ou le Canada et les États-Unis, mais aussi les trois pays. Plus particulièrement, il y a maintenant un chemin de fer appartenant à une entreprise canadienne qui relie les trois pays et qui est en train d’accroître sa présence dans ces trois pays, ce qui nous semble être une bonne occasion d’accroître le commerce entre le Mexique et le Canada.

De plus, pour ce qui est des opportunités négligées que vous avez mentionnées, nous croyons qu’il existe une excellente opportunité d’accroître le commerce maritime entre nos deux pays. Nous voyons une opportunité de travailler ensemble pour développer davantage certains des ports du Mexique qui auraient une bonne connectivité avec les ports canadiens et augmenter ainsi nos échanges commerciaux. Bien sûr, il s’agirait d’échanges commerciaux directs entre le Mexique et le Canada.

En ce qui concerne les services numériques et l’économie du savoir, les opportunités sont nombreuses. Le Canada est en train de devenir un chef de file dans la technologie et certains de ces services à bien des égards, ce qui représente une excellente occasion pour les entreprises mexicaines de s’engager, et pour vos entreprises de voir le Mexique comme un marché. Il y a aussi des entreprises en croissance dans certains secteurs au Mexique. Par exemple, nous avons des sociétés de technologie financière qui connaissent beaucoup de succès, et je crois qu’elles pourraient également s’intéresser au marché canadien. Je crois fermement qu’il existe des possibilités de croissance sur de nombreux plans.

Comme c’est souvent le cas, c’est lorsque certaines des choses que nous considérions comme acquises deviennent plus incertaines que nous cherchons d’autres possibilités et d’autres sources de croissance. Il est certain que la relation entre le Mexique et le Canada est un terreau fertile pour cela, car nous partageons la même façon de penser. Nous sommes des pays qui, en général, entretiennent des relations cordiales et une amitié de longue date. J’espère donc que nous pourrons profiter de toutes ces possibilités qui s’offrent à nous.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Velasco Álvarez. Je voulais simplement dire que j’aime beaucoup le Mexique, étant moi-même grand-mère de deux enfants nés à Monterrey. J’ai un intérêt personnel et professionnel dans cette conversation.

Je m’intéresse à un certain nombre de choses, dont la confiance des investisseurs. Une représentante du Conseil canadien des affaires vient de nous parler de l’incertitude que nous vivons, et je sais que vous vivez la même chose. L’un des principaux enjeux sera de trouver une façon de rétablir et d’accroître la confiance des investisseurs. Nous aurons une mission commerciale au Mexique en février — je crois que ce sera à Mexico, à Monterrey et à Guadalajara. Tout cela est formidable, et il y a tant de choses que nous pourrions faire. Comment travaillez-vous pour assurer la confiance des investisseurs afin que nous puissions vraiment faire croître ce secteur comme nous le voulons?

M. Velasco Álvarez : Il y a des choses qui échappent à notre contrôle, et ce sont celles-là mêmes qui vous posent problème. Bien sûr, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour avoir des conversations constructives et productives dans ce domaine. J’espère que nous obtiendrons de meilleurs résultats à l’avenir.

Dans le cas des entreprises canadiennes qui investissent au Mexique ou qui veulent investir au Mexique, nous misons principalement sur le dialogue. Nous essayons d’entretenir un dialogue très étroit avec les investisseurs et les entreprises du Canada qui font affaire avec le Mexique. Je peux vous donner quelques exemples.

L’un des plus importants projets d’IDE entrepris au Mexique, au cours des dernières années, est celui d’une entreprise canadienne du secteur de l’énergie, TC Energy. Elle a construit un gazoduc sous-marin dans le golfe du Mexique en partenariat avec CFE, notre société d’État responsable de l’énergie. Bien sûr, il y a eu de nombreux défis à relever pour lancer ce projet, mais nous avons réussi à le mettre sur les rails en travaillant très étroitement avec les différents secteurs du gouvernement mexicain et l’entreprise, et parfois avec le gouvernement canadien.

Nous avons eu récemment une mission — la première du genre, je crois — de fonctionnaires fédéraux, dont je faisais partie, qui sont allés rencontrer des fonds de pension canadiens qui investissent beaucoup au Mexique pour voir comment ils se portent et ce que nous pouvons faire pour continuer à travailler avec eux. Bien entendu, nous sommes disposés à discuter de toute question que les entreprises canadiennes pourraient avoir, ou des questions auxquelles elles aimeraient que le gouvernement mexicain accorde plus d’attention.

Même lors de la rencontre entre le premier ministre et la présidente Sheinbaum, nous avions une délégation d’entreprises des deux pays qui ont pu avoir une conversation très importante avec les deux dirigeants. C’est ce que nous avons l’intention de continuer à faire. Bien sûr, nous sommes ouverts à toute suggestion que vous pourriez avoir à cet égard.

Le sénateur Al Zaibak : Merci, monsieur Velasco Álvarez, de vous joindre à nous aujourd’hui.

De votre point de vue, quelles mesures précises et concrètes le Canada pourrait-il prendre au cours des six prochains mois pour renforcer les fondements politiques et diplomatiques de la relation trilatérale, et améliorer la probabilité d’un examen conjoint de l’ACEUM fructueux et constructif en 2026?

M. Velasco Álvarez : Merci beaucoup de votre question.

Tout d’abord, permettez-moi de saluer les efforts diplomatiques du Canada. Je sais qu’il s’agit d’un effort difficile pour nous tous, mais je pense que le Canada fait beaucoup de choses positives. Je pense que le Canada essaie aussi de travailler de façon constructive avec les États-Unis. Ces derniers mois, le gouvernement du Canada et certaines de ses provinces ont fait preuve d’une grande bonne foi à l’égard du gouvernement mexicain et du secteur privé mexicain ce qui, selon nous, est également fondamental. Je pense que le Canada déploie d’importants efforts multilatéraux qui témoignent également de la proximité entre les trois pays. Dans ce domaine, par exemple, nous sommes certainement reconnaissants de l’invitation que nous avons reçue du président canadien du G7 à participer au G7, même si nous ne sommes pas membres de ce groupe. Je pense que bon nombre des mesures prises par le gouvernement canadien, le secteur privé et, en général, le Canada, sont importantes à cet égard.

Vous diriez, j’en suis sûr, que nous faisons déjà depuis longtemps certaines des choses que j’ai mentionnées, mais peu importe. Nous devons continuer de parler de l’importance de la relation entre les trois pays, en particulier du nombre d’emplois qu’elle crée dans ces trois pays et de son importance pour la compétitivité et l’abordabilité dans les différents secteurs des trois pays. Beaucoup de produits que nos consommateurs ont l’habitude d’acheter à des prix concurrentiels sont disponibles grâce à cette relation entre les trois pays.

De plus, je tiens à souligner que les entreprises des trois pays sont déjà, dans bien des cas, des entreprises nord-américaines. De nombreuses entreprises canadiennes sont présentes au Mexique et aux États-Unis. Il en va de même pour les entreprises mexicaines présentes aux États-Unis et au Canada. C’est la même chose pour les entreprises américaines. Je crois que la bonne voie à suivre consiste à mettre tout cela en avant, à insister sur l’importance de ces relations, à insister sur leur ampleur et à s’assurer de rejoindre le plus grand nombre de personnes possible, sénateur.

La sénatrice Ataullahjan : Compte tenu de l’atmosphère actuelle, y aura-t-il davantage d’accords bilatéraux, comme un accord bilatéral entre le Canada et le Mexique et entre les États-Unis et le Mexique? Comme je l’ai demandé au témoin précédent, j’y vois une occasion pour le Canada et le Mexique d’accroître leurs échanges bilatéraux. Dans quels domaines aurions-nous le plus grand potentiel de croissance?

M. Velasco Álvarez : Merci beaucoup.

Pour ce qui est de la première partie concernant les accords bilatéraux, je pense qu’il est toujours possible de conclure des accords bilatéraux, même dans le cadre d’accords trilatéraux, même dans le cas de l’ACEUM. Chacun des pays a ses propres accords bilatéraux. Il y a la Banque de développement de l’Amérique du Nord qui travaille seulement sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Il s’agit en fait d’une banque bilatérale entre le Mexique et les États-Unis qui a pour objectif de développer davantage la frontière entre les deux pays et réaliser des projets environnementaux dans cette zone. Compte tenu de certains des défis que nous devons relever aujourd’hui, le Canada pourrait dire qu’il s’agit d’un problème entre le Mexique et les États-Unis. Je ne m’attends pas à ce que le Canada joue un rôle important dans certains des problèmes de longue date que nous avons avec les États-Unis. Pour nous, ce qui est important, c’est de conserver l’architecture trilatérale et la nature trilatérale de l’ACEUM, même si nous avons des accords exécutifs qui font partie du cadre de l’ACEUM ou des accords bilatéraux parallèles qui font partie du cadre de l’ACEUM. C’est la distinction que je ferais.

Bien entendu, en dehors du cadre de l’ACEUM, le Canada et le Mexique ont de nombreuses occasions de s’engager bilatéralement sur plusieurs questions. Nous avons conclu des ententes très fructueuses. Dans certains cas, il s’agit de traités, mais pas dans d’autres. Je peux mentionner, par exemple, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, qui fait venir 25 000 travailleurs agricoles mexicains au Canada chaque saison de récolte, chaque année. En fait, ces personnes sont encore plus attachées au Mexique grâce à ce programme parce qu’elles reviennent avec de l’argent qu’elles utilisent parfois pour ouvrir une entreprise, ici au Mexique, ou pour acheter une maison. C’est certainement quelque chose qui, à mon avis, est important et qui a du sens pour les deux pays.

Vous avez parlé de certains domaines offrant des opportunités. Permettez-moi d’en mentionner quelques-uns. J’ai déjà parlé de l’agriculture, mais permettez-moi d’expliquer pourquoi je crois qu’elle offre de grandes opportunités. Pour la plupart des produits agricoles du Mexique et du Canada, nous ne sommes pas des concurrents; nous sommes complémentaires. Vous avez des cultures qui poussent au cours d’une certaine saison, dans certaines conditions météorologiques, et à certaines altitudes, et le Mexique est un pays tropical où les conditions météorologiques sont évidemment très différentes, ce qui nous permet de cultiver des plantes qui mettent parfois une année entière à pousser. À mon avis, c’est l’un des domaines offrant de grandes possibilités.

Le président : Je suis désolé, mais je vais devoir vous interrompre. Nous avons dépassé le temps alloué pour ce tour.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci d’être avec nous aujourd’hui. L’examen de l’ACEUM en 2026 constitue une étape clé pour évaluer le fonctionnement de cet accord et identifier les ajustements nécessaires pour préserver la prévisibilité et la stabilité des échanges nord-américains.

On a mentionné, lors du précédent groupe de témoins, que votre présidente a une approche différente en ce qui concerne la diplomatie avec le président Trump. Comment le Mexique aborde-t-il de manière générale cet examen de l’ACEUM qui aura lieu en 2026? Quelles sont, selon vous, les priorités essentielles à maintenir?

[Traduction]

M. Velasco Álvarez : Tout d’abord, comme je l’ai mentionné, nous sommes d’avis que l’examen de l’accord devrait être un examen et non pas une renégociation. Personnellement, je crois qu’il n’est pas possible d’entrouvrir la boîte de Pandore. Soit vous l’ouvrez, soit vous la fermez. Il est certain qu’une fois qu’on aura commencé à renégocier certaines parties de l’accord, il sera difficile de décider où s’arrêter ou quels seront les seuls éléments que l’on renégociera.

Cependant, nous en sommes, bien sûr, aux premières étapes de ce processus. Nous venons tout juste de terminer notre processus de consultation, et la société mexicaine, le secteur des affaires mexicain, nous fait encore part de ses priorités. Nous établirons nos priorités en tenant compte des résultats de ces consultations.

Dans les grandes lignes, je peux vous dire qu’il s’agit d’un accord essentiel pour les trois pays. Nous devons le conclure le plus rapidement possible afin d’offrir une certitude aux investisseurs et aux gens qui font du commerce entre nos trois pays, et encore une fois, comme je l’ai mentionné, avec le moins de changements possible. Nous croyons qu’il s’agit d’un accord qui, comme toute autre chose, peut toujours être perfectionné. Il a été négocié il y a cinq ans, et notre rôle consiste essentiellement à assurer la stabilité aux gens qui investissent dans les trois pays et qui font des affaires entre les trois pays de l’Amérique du Nord.

Le sénateur Wilson : J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de l’infrastructure portuaire. Nous en avons parlé avec le témoin précédent également. De votre point de vue, j’aimerais comprendre de quel type d’infrastructure le Mexique a besoin pour faire progresser le commerce maritime entre le Canada et le Mexique, ainsi que les possibilités que vous entrevoyez en ce qui concerne les ventes et les achats du Mexique sur le marché canadien, en ce qui concerne non seulement les produits habituels auxquels nous pensons, mais aussi les matières premières et d’autres produits.

M. Velasco Álvarez : Pour ce qui est de l’infrastructure portuaire, le Mexique est en train de moderniser de très vieux ports et de fournir une infrastructure logistique de base dans certains cas, ainsi que d’élargir l’infrastructure logistique pour le transport des conteneurs afin d’accroître la capacité des ports à accueillir de plus gros porte-conteneurs. Nous travaillons avec certaines entreprises canadiennes qui souhaitent investir dans les ports mexicains pour moderniser l’infrastructure. Il y a plusieurs régions qui, à notre avis, offrent d’excellentes possibilités, en particulier dans ce que nous appelons l’isthme de Tehuantepec, qui est la zone la plus étroite du Mexique reliant l’océan Pacifique et le golfe du Mexique, et qui dispose d’une voie ferrée reliant les deux. Ce corridor offre de belles opportunités, car il comprendra une série de parcs industriels qui permettront aux entreprises non seulement de transporter des marchandises d’un point à un autre, mais aussi d’ajouter de la valeur entre le golfe du Mexique et le Pacifique. Ce sont quelques-uns des domaines. Bien sûr, il y a toujours des possibilités dans le secteur de l’énergie, surtout pour ce qui est du gaz. J’ai mentionné que nous y travaillons depuis un certain temps.

En ce qui concerne les opportunités commerciales, j’allais mentionner dans un commentaire précédent que le tourisme est également un domaine très prometteur pour les deux pays. Le Mexique est l’un des pays dont le Canada reçoit le plus de visiteurs, et le Canada est déjà notre deuxième marché touristique. Il existe certainement de nombreuses possibilités de conclure des partenariats dans ce domaine et d’accroître non seulement le mouvement entre nos pays, mais aussi les investissements dans le secteur du tourisme et certains des échanges que nous y effectuons.

Pour ce qui est des matières premières, nous avons au Mexique de nombreuses sociétés minières canadiennes qui participent aux échanges commerciaux nord-américains. Je suis certain qu’il y a, dans différents domaines, de nombreuses possibilités d’accroître les échanges entre les deux pays.

[Français]

La sénatrice Hébert : Vous avez parlé des vertus des accords bilatéraux et de la possibilité, pour le Mexique et le Canada, de cheminer dans cette perspective. Ma grand-mère répétait un adage qui disait que « ce qui est bon pour pitou est bon pour minou ».

[Traduction]

Cela veut dire que ce qui est bon pour le chat de la maison devrait l’être aussi pour le chien de la maison.

En ce sens, à part les discussions que le Mexique a avec les États-Unis sur les questions frontalières et ces enjeux-là, devons-nous comprendre, d’après ce que vous dites, que le Mexique a également des discussions bilatérales avec les États-Unis sur d’autres sujets?

M. Velasco Álvarez : Oui, certainement. Dans de nombreux domaines différents. Certains sont liés au commerce et d’autres non. Dans ceux qui n’y sont pas liés, nous avons de nombreux enjeux différents avec les États-Unis, comme l’eau, l’infrastructure, le transport aérien et de nombreuses questions de nature plus bilatérale.

Dans le domaine du commerce, nous avons aussi des conversations qui concernent principalement les deux pays. Vous savez certainement que les États-Unis ont remis à chacun de nos pays une longue liste de ce qu’ils appellent des barrières non tarifaires. Elles sont propres à chacun de nos pays. Nous travaillons de façon bilatérale avec les États-Unis pour régler ce qui peut être réglé, parce qu’il y a des questions qui touchent aussi la souveraineté de nos deux pays et qui ne peuvent pas être réglées facilement. C’est ainsi que nous travaillons.

Dans certains cas, il pourrait y avoir un domaine où une entente bilatérale serait logique. Encore une fois, de notre point de vue, cela ne signifie pas qu’il faudrait remplacer l’ACEUM par des accords bilatéraux, ce qui, selon nous, causerait énormément d’incertitude. Ces accords pourraient être très difficiles à négocier. De notre point de vue, cela n’aurait certainement aucun sens alors que nous avons un accord qui fonctionne bien pour les trois pays.

Le sénateur Ravalia : Merci, sous-secrétaire Velasco Álvarez.

Dans quelle mesure le Mexique cherche-t-il à diversifier ses débouchés en dehors des marchés américains, compte tenu de l’instabilité actuelle de nos relations trilatérales? Cherchez-vous à élargir votre sphère d’influence mondiale pour améliorer vos relations commerciales?

M. Velasco Álvarez : Notre priorité est le marché nord-américain, et le Canada en fait certainement partie. Bien sûr, nous avons toujours essayé de diversifier nos échanges commerciaux pour différentes raisons. Dans certains cas, par exemple, c’est à cause des liens d’amitié et des liens culturels que nous avons avec les pays d’Amérique du Sud et avec les pays d’Amérique centrale qui sont nos voisins du Sud. Dans d’autres cas, c’est parce que nous avons essayé d’ouvrir des marchés pour nos produits dans d’autres régions du monde. Nous avons de nombreux accords sur le commerce et de nombreux partenaires de libre-échange partout dans le monde. Cela fait certainement partie de notre histoire. C’est une chose à laquelle nous avons toujours accordé la priorité. Cependant, c’est difficile lorsque vous avez un marché aussi vaste à côté duquel vos entreprises sont déjà habituées de travailler. Mais il est certain que la politique commerciale mexicaine a toujours consisté à essayer de diversifier les marchés partout dans le monde.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur Velasco Álvarez, d’être venu nous rencontrer aujourd’hui.

À la lumière des données que j’ai ici sur nos relations commerciales, je voudrais faire une observation et poser une question. S’il s’agissait d’une relation économique bilatérale, vous vous en tireriez certainement mieux que le Canada. Vous exportez beaucoup plus vers notre pays que nous vers le vôtre.

Au cours des 20 dernières années, nos investissements directs étrangers sont passés de 1 à 2 milliards de dollars en 2004 à entre 45 et 50 milliards de dollars aujourd’hui. Mais les investissements du Mexique au Canada ont quasiment stagné. Ils se situent effectivement entre 1 et 2 milliards de dollars. Il n’y a pratiquement pas d’investissement ici en termes relatifs, après 30 ans de participation à un accord trilatéral. À quoi attribuez-vous cela? Pourquoi pensez-vous qu’il y a si peu d’investissements mexicains au Canada?

M. Velasco Álvarez : C’est une excellente question, sénateur.

Tout d’abord, il y a la question de la taille de nos économies. Naturellement, je crois aussi que les entreprises mexicaines ont pris l’habitude de se tourner seulement vers les États-Unis lorsqu’elles regardent vers le nord, sans voir la croissance extraordinaire que le Canada a connue au cours des dernières décennies et les grandes opportunités qui s’offrent à elles dans ce pays.

Je crois aussi que l’internationalisation des entreprises mexicaines offre une excellente occasion d’examiner le marché canadien dans le cadre de cette internationalisation. Je pense également qu’il existe des possibilités, pour les fonds mexicains, d’investir au Canada. Je crois savoir qu’ils le font déjà, mais il y a évidemment des fonds de pension plus importants au Mexique qui représentent de grandes possibilités dans ce domaine. Ils recherchent des marchés matures offrant de la stabilité à leurs clients, qui sont pour la plupart des Mexicains jeunes et d’âge moyen.

Les producteurs mexicains ont également une excellente occasion de considérer le Canada non seulement comme un marché d’exportation, mais aussi comme un fournisseur de différents produits que nous achetons à l’étranger. Dans le cadre de la politique actuelle du gouvernement mexicain, nous sommes également en train de mettre en œuvre une nouvelle politique tarifaire pour les pays avec lesquels nous n’avons pas d’accord de libre-échange, afin de renforcer l’intégration avec les pays avec lesquels nous avons un accord de libre-échange.

Le sénateur MacDonald : En ce qui concerne l’ACEUM, y a-t-il des changements que vous pourriez apporter à cet accord pour accroître nos échanges commerciaux et la capacité d’exportation du Canada vers le Mexique? Nous ne semblons pas en tirer autant d’avantages que nous le devrions aux termes de l’accord. Y a-t-il des choses qui nous échappent et qui pourraient être incluses dans l’accord?

M. Velasco Álvarez : L’accord n’est pas le principal problème. Il s’est certainement avéré fructueux pour ceux qui veulent vendre sur le marché canadien ou sur le marché mexicain à partir de l’un ou l’autre des deux pays. Il a sans aucun doute constitué un bon cadre d’investissement réciproque. Le principal enjeu est de continuer à promouvoir nos pays respectifs sur les marchés de l’autre et de rapprocher nos secteurs d’activité. Par exemple, il n’y avait pas de relation de longue date entre le CCE et le Conseil canadien des affaires jusqu’à ces dernières années. Cela vient de commencer, et c’est le genre de relations que nous devons favoriser parce que les deux pays sont des économies de marché. Il ne s’agit pas d’une initiative gouvernementale, mais plutôt d’une initiative commerciale. Nous devons veiller à ce que les entreprises se parlent et examinent les possibilités qui existent dans chacun de nos pays.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le président : Je vais utiliser ma prérogative de président pour poser deux questions.

La première fait suite à la question du sénateur MacDonald sur ce que nous pourrions faire. L’un des domaines où, à mon avis, nous pourrions vraiment intervenir — et cela nous ramène à la question du sénateur Wilson tout à l’heure —, est celui des ports, tant du côté de l’Atlantique que du golfe du Mexique. Je pense au port de Saint-Jean, qui est très bien développé au Nouveau-Brunswick, jusqu’à Veracruz et, sur la côte du Pacifique, nous avons évidemment Vancouver et le port de Manzanillo. Je sais, monsieur le secrétaire Velasco Álvarez, que vous avez parlé du travail qui se fait au Mexique. Avec cela et avec le Canadien Pacifique-Kansas City, dont vous avez parlé dans votre déclaration préliminaire, qui a son siège social à Calgary, du côté ferroviaire, nous pourrions faire beaucoup plus et peut-être offrir des mesures incitatives. C’est ma première question.

Mon autre question est la suivante : vous avez un très vaste réseau de missions consulaires aux États-Unis. Le vôtre est plus important que le nôtre, mais le nôtre est davantage axé sur les échanges commerciaux, et le vôtre sur les questions migratoires et consulaires. Nous comprenons tout cela. Dans le cadre de vos activités, envisagez-vous des changements pour avoir plus d’activités régionales de promotion du commerce ou d’affaires publiques, comme nous le faisons, afin de faire passer le message canadien ou mexicain aux Américains et dans la sphère publique?

M. Velasco Álvarez : Merci, sénateur.

Permettez-moi de commencer par votre deuxième question. Dans le cas de nos bureaux consulaires aux États-Unis, il y a des changements radicaux dans la politique migratoire américaine à l’heure actuelle. En fait, plus de 40 millions de personnes d’origine mexicaine vivent aux États-Unis, dont environ 11 millions sont nées au Mexique. Dans cette énorme communauté, plus de 3 millions de personnes sont sans papiers aux États-Unis. À l’heure actuelle, nos bureaux consulaires aux États-Unis se concentrent sur la protection des droits de la personne et, en général, fournissent des services à la communauté mexicaine aux États-Unis. Dans le cas du Canada, la situation est très différente.

Bien sûr, nous voulons nous assurer que nos bureaux consulaires servent de bureaux de promotion du commerce. En fait, dans une de mes vies antérieures, j’étais agent au sein de ce qu’on appelait ProMexico, qui était l’agence mexicaine de promotion du commerce à l’époque. Nous sommes en train de former nos agents consulaires, de créer de nouveaux systèmes, et de leur fournir de l’information pour qu’ils puissent travailler dans ce sens. Nous sommes prêts à écouter toutes les bonnes pratiques et à recueillir toutes les bonnes idées qui viennent du Canada.

Pour ce qui est de votre première question au sujet des infrastructures portuaires et ferroviaires, j’ai participé activement à l’un des projets que le Canadien Pacifique-Kansas City Southern avait mis en œuvre dans le nord du Mexique pour ouvrir un deuxième pont entre Laredo et Nuevo Laredo, au Mexique. C’est déjà l’un des points les plus achalandés le long de notre frontière et une région par laquelle transitent la plupart des échanges commerciaux entre le Mexique et les États-Unis. C’était certainement un grand changement. Je crois savoir que le ministère de l’Infrastructure, des Communications et des Transports travaille avec CP-KCS pour l’aider à développer ses infrastructures au Mexique. Bien sûr, nous serions heureux d’entendre toute idée de mesures incitatives qui pourraient accélérer ce processus et favoriser une plus grande connectivité pour les produits entre le Canada et le Mexique. Pour ce qui est des ports que vous avez mentionnés, ce sont précisément ceux que nous examinons dans le cadre de ce programme visant à accroître la connectivité entre les deux pays.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice M. Deacon : Lorsque nous examinons la mission commerciale prévue pour la nouvelle année avec le Canada et le Mexique, trois villes sont incluses dans la mission. Je comprends certainement pour les deux premières, mais quelles sont les priorités commerciales à Guadalajara? J’ai d’abord pensé à l’agriculture.

M. Velasco Álvarez : Guadalajara est également un important pôle technologique au Mexique. C’est l’un des plus grands producteurs de différents produits technologiques. Plusieurs entreprises taïwanaises et américaines sont présentes dans cette région, où elles assemblent des semi-conducteurs. Elles font beaucoup d’assemblage, de tests et d’emballage de différents semi-conducteurs, ordinateurs et appareils électroniques. C’est certainement un autre domaine très prometteur à Guadalajara. C’est un peu comme le pôle que le Canada a créé au Québec. C’est un domaine prometteur. Pour ce qui est des priorités de Guadalajara, je ne suis pas certain de ce qu’elles sont, mais c’est certainement le plus grand exportateur de tequila et aussi un très gros exportateur de baies.

Le président : Merci. Eh bien, nous savons maintenant quelles sont les priorités.

[Français]

La sénatrice Gerba : Vous avez donné une certaine assurance quant au renouvellement ou au réexamen de l’ACEUM. Nous sommes d’accord pour dire que cet accord est essentiel à la stabilité nord-américaine.

Cependant, nous avons en face de nous un partenaire commercial qui est devenu incertain et imprévisible. Êtes-vous vraiment sûr que cet accord... Quel est le niveau de confiance du Mexique sur le fait que cet accord crucial sera renouvelé ou réexaminé?

M. Velasco Álvarez : Merci, madame la sénatrice.

[Traduction]

Bien sûr, rien n’est garanti dans le monde dans lequel nous vivons, qui est beaucoup plus incertain que nous le souhaiterions. Cependant, j’ai l’impression que la réalité finit toujours par s’imposer, et que les fondements de cette relation sont si solides, et cet accord si important pour les trois pays qu’en fin de compte, le résultat sera bon. Le chemin pour y arriver ne sera pas facile, j’en suis sûr, et je suis également sûr que le résultat final ne sera pas aussi mauvais que le laissent présager les scénarios pessimistes, mais ce ne sera pas la situation idéale que nous souhaiterions.

Si l’on considère toutes les options, je ne pense pas qu’il y ait de meilleure solution que ce que nous avons en ce qui concerne le commerce nord-américain, parce que nous ne travaillons pas seulement entre les trois pays; nous sommes en concurrence avec d’autres régions du monde. Il est certain que les entreprises qui réussissent grâce à cet accord sont en concurrence avec d’autres entreprises dans d’autres blocs commerciaux du monde. À l’heure actuelle, je ne vois pas comment ces entreprises pourraient connaître autant de succès sans l’ACEUM. Je ne vois pas comment on pourrait remplacer tous les emplois que cela crée. Je ne vois pas comment nous pourrions remplacer tous les différents avantages financiers que nous procure cet accord.

Il est difficile d’envisager de bons résultats en ce moment, mais nous espérons qu’au bout du compte, comme cela s’est produit à maintes reprises par le passé, nous pourrons dire que c’était mieux que ce que nous pensions.

Le président : Nous arrivons à la fin du temps prévu. Sous-secrétaire Velasco Álvarez, nous vous remercions beaucoup de vous être joint à nous aujourd’hui. Nous avons beaucoup apprécié vos commentaires. Ils nous ont permis d’en apprendre davantage. Comme il s’agit d’une question très importante, j’oserai dire que nous reviendrons sur le sujet et que nous en reparlerons avec vous personnellement. Nous savons que vous étiez récemment à Toronto, et si nous pouvions vous encourager à venir un peu plus au nord et à l’est pour nous voir à Ottawa, nous vous en serions très reconnaissants.

Comme on le dit parfois ici, surtout en hiver, Muchas gracias y hasta la pròxima. Merci beaucoup.

M. Velasco Álvarez : Merci. Gracias.

Le président : Chers collègues, nous reprendrons nos travaux demain à 10 h 30 pour discuter de la politique étrangère du Canada avec la ministre des Affaires étrangères, l’honorable Anita Anand.

(La séance est levée.)

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