LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 28 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 32 (HE), avec vidéoconférence, dans le but d’étudier, afin d’en faire rapport, le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, à l’échelle du pays.
Le sénateur John M. McNair (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je m’appelle John McNair et je suis vice‑président du comité. Bienvenue aux membres du comité, à nos témoins ce soir ainsi qu’à ceux qui observent la réunion en ligne.
Pour commencer, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Avant d’entendre nos témoins aujourd’hui, j’aimerais d’abord inviter les sénatrices à se présenter.
La sénatrice Martin : Sénatrice Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Je suis heureuse de vous voir.
La sénatrice Robinson : Bonjour, Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
La sénatrice Muggli : Sénatrice Tracy Muggli, de la Saskatchewan et du territoire visé par le Traité no 6. C’est ce que je dis chaque fois.
Le vice-président : Merci. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur le sujet du problème grandissant des feux de forêt au Canada et des effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture à l’échelle du pays.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir en personne Mme Sarah Butson, cheffe de la direction, Association pulmonaire du Canada, et par vidéoconférence, Mme Pat Camp, professeure agrégée, Département de physiothérapie à l’Université de la Colombie-Britannique.
Merci à vous deux d’avoir accepté de comparaître devant notre comité. Vous aurez cinq minutes pour présenter vos déclarations liminaires, après quoi nous passerons aux questions des sénatrices. Je vous ferai signe lorsque vous arriverez vers la fin de votre temps en levant une main, ce qui vous indiquera qu’il vous reste une minute. Je lèverai les deux mains lorsque votre temps sera écoulé et que vous devrez vous arrêter. La parole est à vous, madame Butson.
Sarah Butson, cheffe de la direction, Association pulmonaire du Canada : Merci, et bonsoir. Nous sommes très heureux de faire partie de cette étude.
L’Association pulmonaire du Canada est l’un des plus vieux organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé qui mène des activités de défense des intérêts, d’éducation et de financement de la recherche afin d’améliorer la santé pulmonaire depuis 125 ans. Nous représentons la personne sur cinq qui a une maladie pulmonaire et les cinq personnes sur cinq qui ont des poumons. La fumée causée par les feux de forêt, bien sûr, est un problème qui touche tout le monde.
Selon le sondage que nous avons effectué avec Abacus Data en 2023, les Canadiens se disaient non seulement inquiets, mais 64 % avaient constaté des effets plus importants sur leur santé dus à l’appauvrissement de la qualité de l’air causé par des phénomènes climatiques comme les feux de forêt, et ce chiffre atteignait 73 % pour ceux atteints d’une maladie pulmonaire. Parmi les personnes sondées, 84 % souhaitaient que la recherche de solutions soit une priorité.
Il n’y a pas de niveau d’exposition sécuritaire à la fumée causée par les feux de forêt. Des adultes autrement en santé pourraient éprouver des symptômes comme de la toux, une respiration sifflante ou des difficultés respiratoires. Pour les personnes atteintes d’une maladie pulmonaire comme l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, ou BPCO, les données probantes associent l’exposition à une augmentation des symptômes et du recours aux soins de santé. Selon ce qui brûle, la fumée peut également contenir des polluants nocifs de structures brûlées, ce qui produit des effets nocifs supplémentaires sur la santé.
Nous pouvons prendre des mesures pour protéger nos poumons : surveiller la cote air santé et adapter nos activités, maintenir la propreté de l’air intérieur en gardant les fenêtres fermées et utiliser des purificateurs d’air, prendre des mesures de protection en nous assurant que nos médicaments sont à jour, suivre les plans d’action et envisager d’utiliser des masques N95. Malheureusement, les effets nocifs sur la santé et la capacité d’agir ne sont pas équitables pour tous.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Camp, ancienne membre du conseil d’administration de l’Association pulmonaire du Canada et chercheuse que nous avons appuyée, qui a travaillé sur plusieurs projets pour examiner les répercussions sur la santé des incendies de forêt dans les collectivités éloignées et rurales et celles des Premières Nations.
Pat Camp, professeure agrégée, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Depuis les 10 dernières années, j’ai eu le privilège de travailler avec des collectivités des Premières Nations sur des sujets liés à la santé pulmonaire, y compris des études liées à l’exposition à la fumée des feux de forêt.
Comme vous le savez, la fréquence et l’intensité des feux de forêt ont fortement augmenté au Canada depuis les dernières années, et ces incendies émettent d’importantes quantités de fumée. En juillet 2025, les feux de forêt canadiens ont rejeté environ 180 mégatonnes de carbone dans l’atmosphère. Respirer cette fumée expose le corps, en particulier les poumons et le système cardiovasculaire, à de fines particules et à des gaz qui causent de l’inflammation et un stress oxydatif.
Je ne participe pas directement à la recherche portant sur les répercussions sur la santé de la fumée causée par les feux de forêt, mais j’ai de nombreux collègues qui mènent ces travaux. Je peux vous faire part de mes expériences et de mes réflexions issues de mon travail avec les collectivités des Premières Nations.
Les collectivités des Premières Nations situées dans les régions éloignées et rurales sont touchées de manière disproportionnée par les feux de forêt et la fumée connexe. En Colombie-Britannique, plus de 200 000 Autochtones vivent dans l’ensemble de la province, dont 50 % sur des réserves, et une bonne partie d’entre elles se trouvent dans des régions éloignées et rurales. Ces collectivités ont vécu de nombreux épisodes de feux de forêt, une exposition à des niveaux élevés de fumée, un accès limité à des espaces purs, ainsi que des alertes et des ordres d’évacuation répétés.
Dans le passé, beaucoup de ces collectivités n’étaient pas vraiment informées en matière de communication et de planification, et pour pallier ce manque, les collectivités s’associent à des sociétés de santé, des universités et d’autres organismes afin d’améliorer leur capacité de réduire le risque d’exposition à la fumée des feux de forêt.
Mon équipe de recherche s’est associée aux Carrier Sekani Family Services et aux 11 nations qu’ils desservent pour élaborer des plans liés à l’exposition à la fumée causée par les feux de forêt. À titre d’exemple, nous avons installé des instruments de mesure de la qualité de l’air et présentons directement aux collectivités des bulletins quotidiens sur la qualité de l’air. Cela les aide à prendre des décisions dans certaines situations, à savoir si elles doivent évacuer leurs aînés lorsque le risque de fumée est élevé, ou si les enfants peuvent jouer à l’extérieur. Auparavant, les collectivités devaient se fier à des capteurs situés à grande distance.
Nous planchons également sur différents types de plans pouvant être utiles en cas d’évacuation. Ce ne sont que quelques‑uns des exemples de la manière dont les collectivités des Premières Nations agissent pour améliorer la communication et promouvoir la santé de leurs collectivités. Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
Le vice-président : Merci d’avoir présenté vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer aux questions des sénatrices. Mesdames, vous savez que vous avez cinq minutes pour poser vos questions, et cela comprend la réponse.
La sénatrice Muggli : Merci. Est-ce que la fumée de tous les incendies de forêt est la même? Qu’est-ce qui rend certains types plus dangereux que d’autres en ce qui concerne l’exposition?
Mme Butson : Je peux répondre en premier, puis je céderai la parole à Mme Camp si elle veut ajouter quelque chose.
Il y a deux ou trois facteurs. Il est vrai qu’il n’existe aucun niveau de fumée qui soit entièrement sécuritaire, et ce qui nous préoccupe le plus est la particule PM2,5, ce polluant extrêmement petit qui pénètre profondément dans nos poumons et est susceptible d’endommager nos tissus pulmonaires ou de se déplacer dans notre système circulatoire et de toucher d’autres organes.
Mais nous savons également que, habituellement, lorsque les feux de forêt ne sont pas maîtrisés, ils peuvent ensuite s’étendre et brûler d’autres substances, par exemple des plastiques, du vinyle ou autre chose encore, et que le cocktail chimique créé dans ces conditions pourrait exposer les Canadiens à un certain nombre de carcinogènes différents pouvant avoir des effets de plus longue durée. Madame Camp, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Mme Camp : Oui, toutes les fumées ne sont pas les mêmes. Tout dépend du type d’arbre qui brûle, de l’humidité dans l’air, de la chaleur, de la quantité de combustion, etc.; alors la fumée peut être différente. Il y a aussi, bien sûr, d’autres aspects environnementaux comme l’humidité, mais aussi le vent, en cas d’inversion ou si la fumée est essentiellement suspendue dans l’air. La densité de la fumée est encore un autre aspect.
Il est très difficile de mesurer une dose et que cette mesure soit uniforme d’une personne à l’autre et d’un incendie à l’autre.
La sénatrice Muggli : Je suppose que cela peut être très trompeur pour les personnes qui se trouvent en plein milieu d’un feu de forêt, qui n’imaginent peut-être pas qu’il est aussi mauvais qu’il l’est?
Mme Butson : Absolument. Souvent, lorsque nous pensons à la cote air santé, ou CAS, et aux indicateurs de la qualité de l’air, on verra peut-être des cotes de cinq, six ou sept sur l’échelle, alors que l’air nous paraît peut-être pur à l’extérieur, mais il se peut qu’on sous-estime l’effet de cette qualité sur nos poumons. Les personnes atteintes d’une maladie pulmonaire savent trop bien à quel point cela peut être éprouvant.
La sénatrice Muggli : Disposez-vous de lignes directrices accessibles au public qui associent le niveau de fumée au moment de se retirer d’un lieu? Je suis sûre que cela serait différent pour les personnes qui ont des affections préexistantes, les enfants ou les femmes enceintes, etc.
Mme Butson : C’est exact. L’une des choses que nous encourageons vraiment les gens à faire, c’est de vérifier la cote air santé. C’est une échelle facilement accessible en ligne, qui informe les gens — à partir d’un ensemble de données — des changements de comportement qu’ils pourraient envisager. Elle s’adresse à la fois à la population générale et aux personnes plus à risque, qu’il s’agisse de personnes atteintes d’une maladie pulmonaire, d’enfants, de personnes âgées ou de personnes vulnérables.
La sénatrice Muggli : Avez-vous déjà collaboré avec des municipalités pour essayer de transmettre cette information aux personnes les plus à risque, par exemple au moyen des factures de services publics ou d’une autre façon?
Mme Butson : Cela exige un important effort de sensibilisation du public. Je sais que beaucoup de travail se fait à l’échelle municipale. L’un des autres défis du point de vue national, c’est que nous avons besoin d’une approche uniformisée. Par exemple, l’approche adoptée en Colombie-Britannique utilise la cote air santé plus, qui tient compte de quantités plus élevées de PM2,5, ce qui est utile pendant les épisodes de fumée causée par les feux de forêt, alors que des provinces comme l’Ontario utilisent la cote air santé standard. Il doit y avoir à la fois une plus grande sensibilisation du public, un meilleur système de surveillance et, je crois que Mme Camp l’a mentionné lorsqu’elle parlait des collectivités qui ne sont pas assez proches des appareils de surveillance, savoir que l’échelle pourrait ne pas refléter ce qui se passe réellement dans leur collectivité.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Martin : Dans le cadre de vos travaux de politiques publiques et activités communautaires, quelles données particulières avez-vous recueillies qui montrent quelles interventions ont produit le plus grand effet mesurable pour réduire les effets nocifs de l’exposition à la fumée des feux de forêt?
Mme Butson : Madame Camp, je vous laisse commencer, et j’interviendrai ensuite pour présenter notre point de vue.
Mme Camp : Ce champ de recherche suscite actuellement un vif intérêt, car peu de données probantes montrent des avantages précis liés à certaines de ces interventions. Ce peut être, entre autres, notre compréhension de l’exposition à court terme, et le fait de porter un masque et d’utiliser un purificateur d’air dans votre domicile est lié à notre compréhension commune de la pollution et de l’exposition. Le gouvernement vient tout juste de financer une subvention d’équipe destinée à des chercheurs de la Colombie-Britannique, afin qu’ils examinent plus en profondeur les expositions, les interventions et les résultats. Mais il est certain qu’il demeure de grandes lacunes dans nos connaissances.
La sénatrice Martin : Vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Butson : J’ajouterais simplement que, selon moi, les mesures que nous prenons actuellement sont réactives, comme Mme Camp l’a dit. Nous ne disposons pas de beaucoup de mesures proactives. Tout ce que nous sommes en mesure de dire aux gens, c’est, au milieu d’un épisode de feu de forêt, de prendre conscience du niveau de la mauvaise qualité de l’air et faire de leur mieux pour rester en sécurité, en s’assurant que la qualité de l’air intérieur est bonne et qu’ils prennent les précautions nécessaires. Je pense que c’est un domaine où l’on doit vraiment consentir des investissements supplémentaires dans la recherche, et nous le savons. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, environ une personne sur cinq souffre d’une maladie pulmonaire, mais cinq personnes sur cinq respirent. C’est vraiment un problème qui touche l’ensemble de la population canadienne.
La sénatrice Martin : Au-delà des dangers respiratoires, nous avons entendu d’autres témoins parler des effets psychologiques ainsi que d’autres effets liés aux déplacements, en s’exposant à ces dangers. Compte tenu de ce que vous avez dit au sujet des répercussions mentales et émotionnelles de la fumée causée par les feux de forêt, quelles données probantes avez-vous découvertes concernant les problèmes de santé à long terme et de nouvelles tendances dans l’utilisation des soins de santé découlant de feux de forêt plus fréquents et plus graves?
Mme Butson : Je peux commencer, puis je céderai la parole à Mme Camp. Tout d’abord, nous savons que la bronchopneumopathie chronique obstructive, ou BPCO, est l’une des principales causes d’hospitalisation, tout juste après les accouchements, et ce, en dehors de la saison des feux de forêt. L’hospitalisation et le fardeau lié aux maladies respiratoires sont assez élevés, et on estime que l’utilisation de nos services double pendant ces épisodes de feux de forêt. L’autre élément auquel nous ne pensons parfois pas ou que nous tenons pour acquis, ce sont les personnes atteintes d’une maladie pulmonaire. Elles se demandent peut-être, surtout si elles se trouvent dans une région proche d’un feu de forêt, si elles auront toujours accès à leur oxygène si elles doivent être évacuées. Ont-elles les médicaments dont elles ont besoin? Il y a une foule d’autres facteurs de stress et d’anxiété pour les personnes qui vivent avec une maladie pulmonaire.
Madame Camp, je vous cède la parole si vous souhaitez ajouter autre chose.
Mme Camp : Le travail que j’ai mené concerne plusieurs collectivités dans le Nord et le Centre-Nord de la Colombie-Britannique, qui ont été évacuées, et parfois à plusieurs reprises au cours d’une même saison. Il y a des compromis à faire en ce qui concerne le stress. Bien sûr, il y a le stress lié à l’incendie de forêt à proprement parler, mais aussi celui lié au fait de devoir abandonner votre collectivité pour la ville. Certaines personnes n’ont jamais quitté leur collectivité, ou bien elles se rendent dans une collectivité et font face à des lacunes dans les soins ou à du racisme de la part des personnes qui les accueillent. Vous remarquerez qu’un plus grand nombre de collectivités diront : « nous ne voulons pas évacuer », car c’est un compromis à faire. Dans certains cas, les préjudices liés à l’évacuation s’avèrent plus importants que ceux liés au fait de rester sur place. C’est un défi et on essaie de trouver un juste équilibre.
La sénatrice Martin : Dans le cadre de votre travail avec les Premières Nations dans le Centre-Nord de la Colombie-Britannique visant à réagir aux inégalités en matière de santé respiratoire, vous avez écrit : « … notre méthode garantit que les avantages pour la collectivité sont réalisés pendant la période d’étude ». Vous avez également mentionné qu’elles prennent elles-mêmes des mesures liées à ces incendies de forêt. Je suis curieuse : quels outils d’atténuation communautaire et interventions en matière de santé se sont révélés les plus efficaces dans la pratique? Quelles améliorations stratégiques recommanderiez-vous pour mieux protéger les populations rurales à l’avenir?
Mme Camp : Je vous remercie de poser la question. Je pense qu’il est toujours difficile de prouver les faits lorsqu’on travaille avec des collectivités. Je vais juste vous faire part de leurs réflexions. Certainement, l’installation d’instruments de mesure de la qualité de l’air a constitué une partie importante des améliorations en matière de communication et de planification. Comme elles n’en avaient pas dans le passé, elles ont été gardées complètement hors du coup. Elles sont maintenant en mesure de prendre des décisions d’évacuation pour leurs populations les plus vulnérables. Par ailleurs, certains de nos efforts de planification visant à garantir l’uniformité des services de soins de santé lorsqu’elles sont évacuées n’éliminent pas vraiment le stress lié à l’évacuation, mais ils garantissent au moins que les services peuvent les suivre lorsqu’elles se rendent à un nouveau site d’évacuation. La recherche est souvent de nature qualitative, mais les effets sont exprimés en temps réel. C’est une déclaration d’impact plutôt qu’une preuve à proprement parler.
La sénatrice McBean : Merci à vous deux.
J’ai trouvé vos interventions très intéressantes, évidemment, mais madame Camp, lorsque vous parliez des instruments de mesure de la qualité de l’air — et vous en parliez également à l’instant — je me demandais à quel point ces capteurs devaient être localisés à proximité pour qu’ils soient perçus comme pertinents par une collectivité.
Nous sommes tous passés à travers la pandémie, et tout le monde a ressenti beaucoup de fatigue par rapport aux renseignements qui étaient fournis, même pour ce qui est de porter un masque et de toutes les différentes choses que nous étions censés faire. Selon vous, quel est le meilleur mode de collaboration entre les organismes fédéraux et les autorités de santé autochtones pour concevoir des interventions de santé en matière de feux de forêt adaptées à la culture et peut-être même axées sur la communauté?
Mme Camp : Je peux uniquement parler des collectivités avec lesquelles je travaille, mais l’information est entre leurs mains. Les capteurs sont mis en place, et il est possible de les visualiser sur le site purpleair.com. Ce sont des capteurs de science citoyenne accessibles au public qui peuvent être déployés directement dans la collectivité, littéralement sur le bureau de santé et parfois à quelques endroits dans la collectivité. Les collectivités ont accès à ces données en tout temps.
Nous présentons également les données sous forme de bulletin, lequel peut être publié sur leur page Facebook qu’ils peuvent distribuer à leur guise dans leur collectivité. Parfois, c’est accessible à toute la collectivité, et parfois, c’est conservé plus à l’interne et utilisé pour différents types de décisions. C’est la collectivité qui décide comment l’utiliser.
C’est nouveau pour elles. Elles n’avaient pas de capteur auparavant. Il y en a peut-être trois dans le Nord au total, et il n’y en avait pas dans leur collectivité. Elles peuvent maintenant constater que le niveau de fumée est mauvais, car le capteur l’indique, et commencer à parler aux aînés et aux enfants ou à prendre des décisions au sujet des personnes qui travailleront à l’extérieur ce jour-là.
La sénatrice McBean : D’après votre expérience, trouvez‑vous que, lorsque ces capteurs en viennent à faire partie de la localité et que les données ne viennent pas d’Edmonton, de Winnipeg ou — le ciel nous en préserve — de Toronto — vous devinez peut-être que je viens de Toronto — il y a une meilleure réponse de la collectivité pour prendre des décisions difficiles qui sont inconfortables pour elles?
Mme Camp : Je le crois, oui, parce que c’est frustrant d’obtenir l’information d’un capteur qui dit que la qualité de votre air est excellente et que vous regardez dehors et voyez que c’est brumeux, alors vous vous dites : « cela n’est pas pertinent pour moi. » Si vous essayez de mettre en place des paramètres concernant une évacuation potentielle, vous vous heurterez peut‑être à de la résistance, car les gens regardent un capteur qui est éloigné et disent : « Non, la qualité de l’air est bonne; je ne sais pas ce que vous faites. »
Il peut même s’agir d’une industrie locale qui travaille dans leur région et veut procéder à un brûlage de ses déchets, et qui va de l’avant avec ce projet. Je sais que cela concerne, non pas les incendies de forêt, mais seulement la qualité de l’air. Les collectivités des Premières Nations ont un peu plus leur mot à dire par rapport à ce qui se passe dans leur collectivité.
Le fait que les capteurs soient installés dans les collectivités et gérés par elles signifie qu’elles peuvent prendre des décisions sans dépendre d’un capteur éloigné du gouvernement. Même un capteur situé à 50 kilomètres peut être trop loin.
La sénatrice McBean : C’est tout. Qu’allez-vous consigner au compte rendu pour moi? Madame Camp ou madame Butson, voulez-vous parler d’une solution potentielle que le gouvernement fédéral pourrait mettre en place pour peut-être fournir plus de capteurs?
Mme Butson : Madame Camp, vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Camp : La First Nations Health Authority en Colombie-Britannique dispose effectivement d’un programme qui fournit des capteurs aux communautés. Je sais qu’il s’agit d’une administration sanitaire unique au Canada. Je pense que le fait de travailler avec tout genre d’agences environnementales disposant de liens avec les communautés des Premières Nations, le simple fait de travailler avec elles constitue une première étape considérable. Ces capteurs coûtent chacun quelques centaines de dollars. Ils ne sont pas chers.
La sénatrice Robinson : Madame Butson, je trouve vos données d’Abacus Data datant de 2023 très intéressantes. Je pense que vous avez mentionné le fait que 64 % des gens reconnaissent que le changement climatique a une incidence négative, et que 73 % des personnes souffrant de maladies pulmonaires pensent la même chose.
Pour ce qui est de mon expérience, ma famille a une prédisposition génétique à la fibrose pulmonaire. Mon père utilisait un concentrateur d’oxygène, et lorsque l’ouragan Fiona a frappé, nous savions qu’il y aurait une panne de courant pendant plusieurs jours. Il habitait au cinquième étage d’un immeuble, donc lorsque le courant a été coupé, comment étions‑nous censés le faire sortir de l’immeuble? Où allions‑nous ensuite l’emmener pour faire fonctionner son concentrateur d’oxygène?
Tout cela pour dire que je sais qu’on nous a transmis une copie de renseignements concernant une étude qui avait été récemment publiée par le JAMA Network Open. L’étude s’est concentrée sur la Californie, entre juillet et décembre de l’année 2020, lors de la pire saison des feux de forêt de l’État jamais enregistrée jusqu’à cette date. Les responsables ont recensé un peu moins de 87 000 visites à la salle d’urgence et ont découvert que l’exposition aux feux de forêt — en particulier, à des niveaux de PM2,5 — était liée à une augmentation considérable des visites de salles d’urgence psychiatriques, y compris pour les personnes issues de groupes minoritaires, les personnes issues de groupes ethniques et les femmes. J’ai lu cette information, et je me suis dit : « Ouf, je peux comprendre ce sentiment d’impuissance. »
J’ai trois questions pour vous. Au Canada, les professionnels de la santé et les systèmes de soins de santé sont-ils préparés à une hausse possible de la demande de services de santé mentale d’urgence lors de feux de forêt? Comment ces professionnels et ces systèmes de soins au Canada peuvent-ils se préparer à cette possible hausse? Comment les gouvernements à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale devraient-ils les soutenir?
Mme Butson : Vous avez entièrement raison. Il s’agit d’un sentiment d’impuissance, et les personnes qui souffrent d’une maladie pulmonaire savent très bien à quel point cela peut être effrayant lorsqu’ils ne peuvent pas respirer. Le défi avec les feux de forêt, c’est qu’ils échappent potentiellement à leur contrôle. Ils peuvent contrôler beaucoup d’autres éléments connexes.
Notre système de soins de santé assume un fardeau. J’ignore si notre système de soins de santé, dans son état actuel, est pleinement équipé pour traiter les maladies respiratoires, en plus de la fumée des feux de forêt. Lorsque nous pensons à nos populations les plus vulnérables, en particulier les jeunes, il s’agit non uniquement des systèmes de soins de santé, mais aussi des écoles et centres de la petite enfance. Quelles sont certaines des approches et des mesures de soutien standardisées qui pourraient aider à protéger nos citoyens les plus vulnérables? Il y a des lacunes, même dans ce domaine.
Du point de vue des soins de santé, le soutien des personnes souffrant d’une maladie pulmonaire afin de traiter autant que possible leur maladie respiratoire avant l’arrivée des feux de forêt constitue une autre lacune importante. Cela met en lumière des problèmes systémiques, comme l’accès à un médecin dès le départ, l’accès à des inhalothérapeutes, à la spirométrie pour obtenir un diagnostic de maladie pulmonaire au départ. Il faut ensuite veiller à ce que ces personnes aient la capacité de suivre un plan d’action et que leurs médicaments soient à jour. Les organismes de bienfaisance comblent bon nombre de ces lacunes par l’entremise de groupes de soutien et de services de santé au téléphone, car nous savons que beaucoup de personnes sont laissées pour compte.
Mme Camp : Oui. Les professionnels des soins de santé sont‑ils préparés? Non, je ne pense pas que l’augmentation du recours aux services de soins de santé soit toujours aussi évidente. Les gens croient qu’ils vont avoir recours aux services de soins sur le moment, mais souvent, l’augmentation du recours aux services de soins peut survenir quelques semaines plus tard même une fois que les effets de la fumée se sont atténués.
Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada travaillent de concert avec les associations de professionnels des soins de santé afin de mieux nous éduquer concernant ce à quoi nous attendre en ce qui a trait à la planification des soins de santé, de telle sorte qu’advenant ce genre de situation, nous devrions nous attendre à voir une augmentation des visites aux salles d’urgence, des problèmes cardiovasculaires, des problèmes de santé mentale; presque comme s’il y avait une intervention en cas de catastrophe à court terme, mais il est nécessaire d’y réfléchir même plusieurs semaines, voire plusieurs mois après la fin des événements.
La sénatrice Robinson : J’aimerais simplement poser ma question.
Le vice-président : Voulez-vous y aller au deuxième tour?
La sénatrice Robinson : Certainement.
Le vice-président : Chers collègues, nous allons à présent passer au deuxième tour. Encore une fois, vous avez cinq minutes pour vos questions, et cela inclut les réponses.
La sénatrice Martin : À vrai dire, j’aimerais simplement revenir à Mme Camp, car, mon temps était presque écoulé, et vous abordiez à peine la question de savoir quels outils d’atténuation fondés sur la collectivité et quelles interventions en matière de soins de santé ont été les plus efficaces en pratique? Vous avez mentionné les capteurs, la nécessité de mettre en place des services de soutien coordonnés en matière de santé, mais j’aimerais vous accorder plus de temps pour que vous nous donniez d’autres exemples.
Mme Camp : Parmi les autres exemples, il y a le soutien direct des collectivités au chapitre de leur plan d’urgence en cas de sinistre. Il y a souvent beaucoup de roulement au sein des dirigeants des communautés des Premières Nations, et certaines de ces communautés en Colombie-Britannique sont très petites. Il se peut qu’il y ait seulement quelques centaines de personnes, pourtant le conseil dispose de peut-être 5 ou 10 portefeuilles que chacun doit gérer.
Beaucoup n’ont pas accès à des plans d’urgence en cas de sinistre. Si une nouvelle personne arrive, chaque année, elle aura besoin d’un soutien direct afin de savoir comment mettre en place ces plans et comment s’en servir advenant un feu de forêt.
Les organisations comme Carrier Sekani Family Services soutiennent les communautés qu’elles servent, mais de nombreuses communautés ne disposent pas d’un partenaire ou d’une société de soins de santé du genre. Je pense que ce genre de ressources accessibles aux communautés est utile.
Il y a aussi les capteurs que j’ai mentionnés, d’autres types de planification, bien sûr, le fait de garantir qu’ils soient inclus dans toutes les communications, toute la planification dans la région, le fait qu’ils siègent à un conseil de district régional quelconque responsable de toutes sortes de mesures d’atténuation ou d’intervention liées à la fumée de feux de forêt.
La sénatrice Martin : Pour ce qui est de la First Nations Health Authority, quelle est l’importance de son rôle? Cet organisme existe-t-il dans chaque province? Je viens également de la Colombie-Britannique, donc j’aimerais connaître l’importance de telles administrations.
Mme Camp : Leur rôle est important, car ils ont une relation établie avec chaque nation individuelle. Il y a une sorte de lien entre la Première Nation de la Colombie-Britannique et la First Nations Health Authority, de manière plus ou moins importante. C’est l’organisation même qui peut servir d’intermédiaire, je pense, au chapitre du soutien et de l’information.
Mais en l’absence de ce lien, l’organisme peut travailler directement avec les autorités sanitaires de la province ou avec Services aux Autochtones Canada. Je pense que la First Nations Health Authority en Colombie-Britannique permet de fournir un soutien assez rationalisé.
La sénatrice Martin : Merci.
La sénatrice Muggli : Je souhaitais demander ce qu’il en est des soins offerts aux personnes évacuées, étant donné que nombre d’entre elles auront été exposées à la fumée. Avez-vous des recommandations sur la façon de procéder lorsque les personnes évacuées arrivent à un centre d’évacuation, quant aux soins ou à l’évaluation de l’état de leurs poumons? Qui serait la bonne personne pour effectuer ce genre d’évaluation? À quoi ressemblent en général les interventions pour les personnes dont l’exposition a été jugée problématique?
Mme Camp : Je peux parler de l’expérience en Colombie-Britannique. Si un ordre d’évacuation est donné, votre collectivité travaille généralement de concert avec le gouvernement provincial pour faire évacuer les gens par autobus et les diriger vers les emplacements dans lesquels ils sont inscrits. Cette inscription permet à un membre de la communauté d’avoir accès à un certain nombre de services différents, dont des bons de repas et des choses de cette nature.
Il arrive parfois que la qualité de l’air soit pire à l’emplacement d’accueil qu’à leur emplacement d’origine, mais il se peut que ce soit le seul endroit où il y a le plus de logements disponibles, donc, c’est une situation parfois difficile, et les gens peuvent se rendre à l’hôtel, mais ce n’est pas idéal. Il se peut que le système CVC ne soit pas très efficace. Il est frustrant pour les communautés de voir qu’elles sont passées d’une mauvaise situation à une pire situation.
Pour ce qui est des soins de santé, il n’y a pas vraiment quoi que ce soit d’organisé. Si ces personnes ne se sentent pas bien, elles auront accès à des soins intensifs de courte durée dans cette collectivité. Cela signifie qu’elles vont directement à un hôpital. Leurs médecins locaux ne vont pas forcément les suivre.
La sénatrice Muggli : Quel type de fournisseur de soins serait le mieux en mesure d’effectuer cette évaluation initiale de l’exposition à la fumée?
Mme Camp : C’est une bonne question. Les services d’infirmerie en santé communautaire ont la capacité de s’occuper des patients de manière holistique, et de s’occuper d’autres patients que ceux qui présentent des maladies respiratoires, mais poser ce genre de questions ne fait probablement pas partie de ce qu’ils font. Lorsque les patients arrivent, ils n’ont pas automatiquement accès à des services de soins de santé. Ce serait probablement à la personne évacuée de demander à se rendre aux urgences.
La sénatrice Muggli : Madame Butson, avez-vous des recommandations?
Mme Butson : C’est là qu’il est intéressant d’entendre ce que Mme Camp a mentionné. Nous suggérons certainement à ces personnes de prendre contact avec un inhalothérapeute, mais nous savons qu’il y a une lacune à ce chapitre. Il est souvent difficile d’avoir accès à un inhalothérapeute.
La sénatrice Muggli : Nous pouvons à peine les trouver pour des interventions de soins intensifs de courte durée. Il faut au moins que nous ayons des fournisseurs de soins de santé primaires, qui puissent effectuer une évaluation initiale de base, mais je me demande s’il est nécessaire d’éduquer davantage les fournisseurs de soins de santé primaires concernant ce genre d’évaluation.
Mme Butson : Encore une fois, j’estime que notre rôle en tant qu’organisation caritative axée sur le patient est d’aider à s’assurer que les gens ont accès à leur plan d’action. S’ils ont un fournisseur de soins de santé, alors que débute la saison des feux de forêt, nous devons leur rappeler, lorsque possible, d’avoir ou d’entamer avec lui des conversations à propos de leurs progrès quant à leur plan d’action, et de diverses idées qui pourraient découler de cela.
Si ces gens font face à un feu de forêt, il faudrait qu’ils l’apportent dans une trousse avec leurs médicaments, lorsque cela est possible.
La sénatrice Muggli : Merci.
La sénatrice McBean : Au départ, vous avez mentionné vos trois recommandations, et l’une d’entre elles portait sur la qualité de l’air intérieur. Madame Camp, vous avez également fait allusion à des gens qui parfois vont dans des hôtels et se retrouvent avec de mauvais climatiseurs, qui ne sont pas des filtres à air.
J’ai déjà été dans un environnement où la qualité de l’air était mauvaise pendant une canicule dans une collectivité où, habituellement, il n’y a pas de canicules. Il n’y a pas de climatisation. Vous êtes maintenant dans une maison ou un appartement où il fait 40 degrés, et vous essayez de garder les fenêtres fermées.
Quel rôle pourrait jouer l’investissement fédéral pour ce qui est de procurer un air intérieur plus pur, comme grâce à la mise en place de programmes de filtration HEPA pour les écoles et les centres communautaires, des endroits qui seront utilisés comme espaces de repos? Quel rôle croyez-vous que l’investissement fédéral pourrait jouer dans l’atténuation des effets néfastes de la fumée des feux de forêt sur la santé?
Mme Butson : Ce serait un excellent point de départ. Souvent, lorsque nous fuyons la fumée d’un feu de forêt, nous avons tendance à fermer nos fenêtres et à nous enfermer à l’intérieur, ce qui est certainement recommandé, mais nous voulons nous assurer que l’air que nous respirons alors à l’intérieur est aussi pur que possible. Malheureusement, nous savons que nos communautés les plus vulnérables n’ont parfois aucun contrôle sur la qualité de l’air dans cet espace, et n’ont pas nécessairement accès à de la climatisation, à un purificateur d’air ou à un appareil qui surveille la qualité de l’air.
On peut commencer par la promotion d’une filtration HEPA et l’accès à des masques N95, qui peuvent être difficiles d’accès pour les gens. Nous savons qu’il existe des options potentielles à bas coûts qui peuvent venir en aide aux gens; toutefois, il s’agit d’une question d’équité qui pourrait être réglée avec un peu de soutien ainsi que de l’éducation.
La sénatrice McBean : N’hésitez pas à mentionner des éléments aux fins du compte rendu si vous êtes d’avis que le gouvernement fédéral devrait mettre en place des centres de répit dans chaque collectivité où les gens pourraient être relocalisés. Le gouvernement fédéral pourrait investir dans les bibliothèques, les centres commerciaux ou les centres communautaires pour améliorer la situation.
Je vous laisserai y revenir dans une seconde, ou peut-être maintenant. Vous avez mentionné que le recours aux services d’une association pulmonaire double lors des incidents de feux de forêt. Quels sont les services offerts par l’association pulmonaire lors d’un incident de feu de forêt?
Mme Butson : Ce recours deux fois plus important est dû à l’utilisation des soins de santé, surtout ceux liés à l’asthme et à la BPCO. Mais les organisations caritatives vont souvent combler les lacunes dans le cadre des services qu’elles offrent. Un certain nombre des choses que fait l’Association pulmonaire du Canada sont, bien sûr, de la sensibilisation et de l’éducation en matière de santé. Effectivement, au cours des deux dernières années, nous avons collaboré avec l’American Lung Association afin d’agrandir la portée de nos efforts. Nous offrons également un service de ligne d’information téléphonique sur la santé pulmonaire, où les gens peuvent appeler et parler à quelqu’un à propos de leur santé pulmonaire, ainsi qu’à des groupes de soutien, et il y a également des plateformes d’apprentissage en ligne où les gens peuvent en apprendre davantage sur la qualité de l’air à l’intérieur et à l’extérieur. Nous jouons véritablement un rôle d’éducation et de traitement des maladies.
La sénatrice McBean : Pourriez-vous nous fournir quelques exemples d’appels que reçoit cette ligne d’assistance advenant un incendie de forêt?
Mme Butson : La plupart des appels que nous recevons ont trait à ce que les gens peuvent faire. Comment peuvent-ils se garder en sécurité à l’intérieur de leur maison? Nous recevons souvent des appels de la part de populations vulnérables qui, encore une fois, se demandent « Comment puis-je convaincre mon propriétaire ou mon entourage de s’assurer que la qualité de l’air à l’intérieur est plus sécuritaire? » Et nous recevons aussi des appels de personnes voulant être aiguillées vers des services : « Comment puis-je parler à quelqu’un pour obtenir un diagnostic ou de l’aide lors d’un feu de forêt? » Voilà le genre d’appels que nous recevons.
La sénatrice Robinson : Je vais aller dans le sens des questions de la sénatrice McBean. Madame la sénatrice McBean, je crois que vous avez mentionné quelque chose par rapport aux feuillets accompagnant les factures d’électricité? Était-ce vous ou bien la sénatrice Muggli? Madame la sénatrice Muggli? Pardon. Vous avez mentionné quelque chose à propos de la diffusion d’informations. Le comité a assisté à un exposé sur les incendies de forêt de la part de personnes du milieu des assurances et ces gens nous ont transmis quelques articles qu’ils diffusent de façon proactive afin que les gens puissent mieux préparer leur propriété advenant un incendie de forêt. J’imagine que vous faites quelque chose de la sorte, et je souhaitais simplement vous donner une occasion d’en parler, car comme vous avez dit en réponse à la question de la sénatrice McBean à propos des gens qui se demandent « Comment puis-je me garder en sécurité? » ou « Comment puis-je m’assurer que la qualité de l’air chez moi est sécuritaire? » je me demandais simplement si vous faisiez quoi que ce soit à ce chapitre. La sénatrice Muggli a parlé des personnes en difficulté, qui ont peut-être été évacuées... Y a-t-il une trousse de renseignements que vous leur fournissez, plus particulièrement aux personnes atteintes de la BPCO ou souffrant de l’asthme, ou aux gens qui, à votre connaissance, ont des maladies pulmonaires? Y a-t-il quelque chose que vous leur donnez pour dire, en quelque sorte, « Voici les choses que vous pouvez faire pour vous préparer à la saison des feux de forêt, et voici les articles que vous devriez avoir avec vous »? Y a-t-il quoi que ce soit de la sorte qui se fait au sein de votre association?
Mme Butson : En ce moment, puisque nous travaillons dans une perspective nationale de haut niveau, nous n’avons pas tendance à faire de la sensibilisation directement auprès des communautés. Toutefois, à ce que je sache, nombre d’associations locales davantage axées sur une perspective provinciale, peuvent faire cela ou peuvent aider des gens à avoir accès à des appareils surveillant la qualité de l’air, par exemple.
Parmi les choses que nous faisons dans notre préparation à la saison des feux de forêt, mentionnons l’organisation de webinaires et la diffusion de communiqués de presse pour vraiment attirer l’attention du public sur cet enjeu. Je dirais qu’en 2023, à quelque chose malheur était bon : nous cherchions à conscientiser les gens à l’indice de la santé et de la qualité de l’air depuis très longtemps. En 2023, cela est devenu une sorte de repère, et il semblait y avoir une grande réceptivité parmi la population générale. Même dans les sondages, vous pouvez constater que les gens sont beaucoup plus au courant de cet enjeu qui a un impact sur leur santé pulmonaire que jamais auparavant.
Alors une fois que les gens apprenant à connaître ces outils, ils ont hâte d’avoir l’occasion de les utiliser.
La sénatrice Robinson : Madame Camp, aviez-vous quoi que ce soit à ajouter?
Mme Camp : Pour revenir moi aussi sur les questions de la sénatrice McBean, je dirais que beaucoup de nos efforts ont été axés sur l’individu : pour que les gens prêtent attention à la qualité de l’air et entreprennent des démarches pour se procurer un filtre à air à la maison et porter un masque. J’estime qu’il y a là une énorme occasion, surtout dans les régions éloignées et rurales, de mettre en place des espaces où l’air est propre, car nous fournissons aux gens ces indices de la qualité de l’air et nous leur disons de trouver de l’air plus pur. Il n’y a pas de centre commercial, il n’y a pas de bibliothèque, il pourrait y avoir un centre communautaire... mais nous devons être en mesure de soutenir les communautés, de les éduquer quant à ce qu’ils doivent faire, mais également aux gestes qu’ils doivent poser. Si la qualité de l’air est mauvaise et que vous ne pouvez pas vraiment créer un espace où l’air est pur dans votre maison, où pouvez-vous aller? Cela se traduit par un investissement dans de grands filtres à air, pas les petits qui ne peuvent purifier qu’une pièce de 100 pieds carrés; il faut véritablement tenir en compte du genre d’espace qui existe au sein de ces collectivités, et déterminer comment nous pouvons les sécuriser, pour que les gens puissent au moins respirer de l’air pur pendant quelques heures. Peut-être ne pourront-ils pas y rester tout le temps, mais il s’agit d’une décision communautaire. Ce genre d’investissements, tels que ceux qui ont été suggérés, à mon avis, ont trait à des aspects auxquels personne ne s’est encore attaché. Ils sont davantage axés sur ce que peut faire l’individu.
La sénatrice Robinson : Je décèle ici, je crois, une analogie. Je m’y connais en matière de centres de réchauffement en hiver, lorsque nous perdons l’électricité, alors ce que je vous entends suggérer, ce sont des centres où l’air est pur qui permettraient aux gens d’aller recharger leur téléphone et de respirer de l’air pur pour un moment. J’ai grandi dans une collectivité comptant moins de 100 personnes, alors je comprends ce que cela suppose. Cette pièce de 100 pieds carrés pourrait être très utile dans une petite collectivité, car les populations sont tellement petites.
Mme Camp : Il y a aussi les centres où les gens peuvent se rafraîchir aussi... ce commentaire à propos de la chaleur extrême et du dôme de chaleur me fait penser au fait que parfois, le centre de rafraîchissement et le centre où l’air est pur pourraient être construits conjointement, car les gens en auront besoin en même temps.
La sénatrice Robinson : J’ai une dernière question pour vous deux, si nous en avons le temps, car, comme l’a dit la sénatrice McBean, nous souhaitons obtenir des réponses et des idées aux fins du compte rendu, car c’est ainsi que nous étoffons notre rapport, alors j’aimerais que vous soyez créatives et que vous sortiez des sentiers battus, puisque cela nous donne la liberté de faire de même.
À votre avis, quels ressources et financements supplémentaires sont nécessaires pour aider à protéger les Canadiens et leur famille des effets néfastes de la fumée des feux de forêt et de la pollution due aux particules? Faites-nous part de projets ambitieux à ce chapitre. Dans les limites du raisonnable.
Mme Butson : Je vais commencer par un projet ambitieux presque accompli, mais je crois que nous commençons à voir fructifier des investissements dans la recherche, et le travail de Mme Camp prouve l’importance que revêtent des investissements dans la recherche. Nous avons parlé de ce système national coordonné d’alerte et de surveillance, et avons dit que nous avons besoin de meilleurs systèmes d’alerte et de surveillance ainsi que de meilleures mesures de soutien pour les gens qui ne peuvent peut-être pas se permettre les accommodements nécessaires pour mieux se protéger. Ce serait le point de départ. Je cède la parole à Mme Camp.
Mme Camp : Il faut investir dans la recherche; nous n’arrivons pas à suivre le rythme. C’est un problème qui s’est aggravé ces cinq dernières années. Dans bon nombre de ces collectivités, on est passé sans transition de zéro à mille. Il est donc très important de connaître davantage les effets à long terme.
Je pense que l’on prend de plus en plus conscience de la nécessité de se réfugier chez soi, car les évacuations causent souvent trop de difficultés; il faudrait donc prévoir des infrastructures pour que les collectivités puissent avoir des lieux sûrs où aller. Je ne parle pas des collectivités menacées par les feux de forêt, je pensais à la fumée. Il faut déployer un plus grand nombre de capteurs, ce qui signifie qu’il faut des infrastructures et un accès à Internet dans les régions éloignées et rurales également, pour que les capteurs puissent se parler. En ce qui concerne les personnes qui doivent être évacuées, il faut un soutien plus coordonné dans la collectivité, compte tenu des observations qui ont été formulées aujourd’hui; cela doit être traité presque comme les inondations gérées par la Croix-Rouge. Les gens doivent recevoir des soins holistiques qui ne se limitent pas à les mettre dans une salle, et il faudrait peut-être une équipe qui va voir les personnes évacuées pour les évaluer en fonction d’un certain nombre de critères de santé, comme ce dont nous avons parlé aujourd’hui, les problèmes respiratoires, la santé mentale, etc., en accordant une attention particulière aux populations vulnérables.
Le vice-président : Je tiens à vous remercier tous les deux de votre participation aujourd’hui. Nous avons beaucoup apprécié votre témoignage et vos observations. J’aimerais également vous remercier de tout le travail que vous faites, madame Camp, surtout auprès des collectivités autochtones pour les aider à faire face aux feux de forêt.
Dans notre deuxième groupe de témoins, nous entendrons M. Paul Hessburg. Il a été professeur à l’École des sciences de l’environnement et des forêts de l’Université de Washington et un ancien chercheur principal en écologie de l’USDA Forest Service, Pacific Northwest Research Station.
Au nom des membres du comité, merci d’être ici aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre votre déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs. Avant la fin de vos cinq minutes, quand il vous restera une minute, je lèverai une main et, quand il faudra vous arrêter, je lèverai les deux mains. Monsieur Hessburg, la parole est à vous, bienvenue.
Paul Hessburg, professeur, École des sciences de l’environnement et des forêts, Université de Washington, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un privilège d’être ici ce soir. J’ai envoyé des diapositives, et je crois que le greffier a eu l’occasion de les distribuer. Pendant ma déclaration préliminaire, ces diapositives serviront à illustrer mes propos, si les membres souhaitent les consulter. Je crois qu’une image vaut mille mots, et c’est bien le cas de celles-ci.
J’étudie les écosystèmes de l’Amérique du Nord depuis environ 50 ans, et une des choses que l’on a constatées, en parcourant les écosystèmes, c’est que les écosystèmes forestiers d’aujourd’hui ne ressemblent en rien à ceux d’il y a seulement 100 ans. Pendant environ 10 000 ans, les Autochtones d’ici ont brûlé, comme la foudre l’a fait, de vastes territoires, et cela a vraiment changé le paysage forestier.
Nous avons piégé tous les castors, des dizaines de millions de castors, qui avaient créé des terres humides qui empêchaient les feux de recouvrir les terres. Nous avons préféré les forêts de conifères aux forêts à grandes feuilles, parce que les conifères étaient généralement les espèces qui rapportaient de l’argent, et de nombreuses zones non forestières — les prés humides et secs, les arbustaies, les savanes dégagées et les prairies — ont pu devenir des forêts, mais elles s’étendaient autrefois sur tout le paysage canadien.
L’une des raisons pour lesquelles les Autochtones ont fait cela est que les forêts à couvert fermé réduisaient la production d’aliments et de ressources dans les sous-bois et, dans les Prairies, le brûlage était un événement culturel. Le piégeage de millions de castors a supprimé de vastes réseaux de terres humides dans des zones riveraines étendues, et ces zones jouaient un rôle essentiel pour endiguer la propagation des feux dans l’espace et dans le temps.
Si vous avez les diapositives sous la main, à la diapositive numéro 4, vous verrez cette exclusion du feu au cours du siècle dernier. Ce sont des forêts sèches saisonnières; la forêt a essentiellement colonisé les zones plus sèches et les crêtes, ce qui a entraîné une croissance continue de la forêt au lieu de créer des milieux très ouverts et des milieux fermés.
Vous pouvez voir, à la diapositive numéro 5, que ces feux fréquents ont fait en sorte que le couvert forestier est resté ouvert dans les forêts les plus sèches, et cela a eu un effet stabilisateur.
À la diapositive suivante, vous pouvez voir qu’en l’absence de cet effet, les arbres ont bourgeonné, ont repoussé et ont formé une forêt dense, contenant beaucoup de bois mort. Les flammes provenant du bois mort ont donc pu atteindre les couverts forestiers. Historiquement, les feux ne se seraient pas déployés de cette manière.
À la diapositive numéro 7, vous pouvez voir une mosaïque de conditions forestières. Il s’agit ici de forêts denses humides qui brûlaient tous les 20 à 50 ans. Vous pouvez voir que cette mosaïque est très différente de l’état actuel, qui est un tapis d’arbres denses où les scolytes tuent les arbres en l’absence de feux. Ce sont de grandes forêts de pins tordus et de pins de Douglas.
Enfin, dans les forêts froides en altitude, on trouve des pins tordus, des pins gris, des sapins subalpins, des sapins baumiers, ces types d’espèces et des épinettes de montagne; ce sont des panoramas à 120 degrés. Il y a une zone très brûlée, et les tons gris représentent les forêts de feuillus.
La dernière diapositive est un résumé. Il y a certains éléments clés dans le paysage naturel qui régulaient le mouvement des feux. Nous avons perdu bon nombre de ces éléments, et ils sont essentiels pour restaurer la résilience. Il y avait beaucoup de zones non forestières autrefois. Nous avons reconstruit de nombreuses provinces, et ce que l’on a observé, c’est que 25 à 70 % du paysage était non forestier selon le climat, la géographie et les régimes des feux.
Ces zones non forestières comprenaient des zones brûlées, des savanes peu boisées, des prés humides et secs, des terres humides, des prairies et des étendues similaires, et tous ces facteurs limitaient les mouvements futurs des feux dans ce paysage.
C’est très logique, c’est un problème purement physique. Ces éléments non forestiers sont des conditions de combustible à faible énergie. Ils se dégradent, et ils régissent la propagation de feux intenses à travers le paysage. Les éléments non forestiers, le bois dur et les terres humides permettent au reste de la forêt de se déboiser.
Le climat nous a accordé une période de quiescence, et nous avons pu éteindre la plupart des feux. Maintenant, cet élément régulateur n’est plus là, le climat se réchauffe, il fait plus chaud et plus sec et les hivers sont plus courts. Il y a moins de neige accumulée, et ces tendances se poursuivront.
En conclusion, étant donné le changement climatique, ces conditions s’intensifieront, il y aura moins de neige accumulée et davantage de feux, et ces feux seront plus grands et plus chauds. La question qui se pose est la suivante : peut-on restaurer la résilience? La réponse est oui. Il est possible de ramener ces éléments et de remettre dans le paysage les régulateurs qui régulaient historiquement le mouvement des feux.
Cela met fin aux observations que j’avais préparées, et je serai heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, monsieur Hessburg, de votre déclaration préliminaire. Chers collègues, compte tenu du temps que nous avons, je propose une première série de questions de cinq minutes, incluant la question et la réponse.
La sénatrice Muggli : Merci d’être avec nous ce soir. Nous l’apprécions vraiment. Je suis de la Saskatchewan. Nous avons eu de nombreux feux de forêt ces dernières années, surtout dans les régions nordiques, et beaucoup d’évacuations.
Je suis curieuse de savoir si vous pouviez nous parler un peu plus des brûlages dirigés. Je sais que, historiquement, ils ont peut-être bien fonctionné, mais le scénario actuel est-il différent dans nos forêts, où les brûlages dirigés sont peut-être moins efficaces? J’aimerais connaître votre avis sur l’utilité des brûlages dirigés dans le contexte actuel du réchauffement climatique.
M. Hessburg : Ils sont incroyablement efficaces, mais il est très important, pour commencer, de savoir dans quelles conditions ils sont faits.
À titre d’information, j’ai travaillé en collaboration avec mes collègues canadiens pendant des décennies. La plupart des années, je suis dans l’Arctique, je pagaie dans les territoires du Nord, j’observe les troupeaux de caribous et ainsi de suite. Je connais les territoires du Nord, de la baie d’Hudson jusqu’en Alaska.
Ce que nous observons, c’est que les territoires du Nord connaissent un changement considérable, deux à trois fois plus rapide. Ce climat est important, et la situation est différente, aujourd’hui. Les choses s’accélèrent, et cela provoque dans le Nord des conditions sans précédent dans toute l’histoire que nous connaissons.
Plus au sud, dans les contrées forestières, essentiellement la forêt sub-boréale, des étendues que l’on peut manipuler à l’aide de la gestion forestière et des brûlages dirigés, mais les conditions initiales sont très importantes. Si on est dans une forêt intérieure de pins de Douglas, dans une forêt de pins ponderosa ou une forêt de pins de Douglas, on a les outils nécessaires pour s’occuper des conditions de ces forêts. Mais pour ce faire, il faut changer la façon dont nous envisageons la gestion forestière. De nombreuses conditions... Si l’on procède à un brûlage dirigé sans avoir effectué un traitement initial de la forêt, on ne pourra pas contrôler le brûlage dirigé. Il y a trop d’arbres et trop de bois mort au sol.
Dans de nombreuses régions, il y a 10 fois, voire 100 fois plus d’arbres qu’il y a seulement 100 ans. C’est une épidémie. Quand on prive de feu un bois, on crée littéralement des conditions de régénération incontrôlée. Les arbres tombent, le bois se retrouve au sol, cela entraîne donc une discontinuité de bois mort jusque dans le couvert forestier.
Les conditions initiales sont importantes, mais la vérité, c’est que le brûlage dirigé est un outil très efficace. Compte tenu des observations des deux experts du précédent groupe de témoins, il y a un lien étroit entre un travail bien fait dans les bois et la gestion de la fumée en aval.
La sénatrice Muggli : Avez-vous un système de prévision des incendies de forêt? Le cas échéant, à quoi ressemble-t-il? Si non, à quoi pourrait-il ressembler?
M. Hessburg : Nous en avons un. Il fonctionne mieux qu’une planche de Ouija. L’Europe a aussi son propre système, qui s’améliore d’année en année. Soixante-dix pour cent de la planète est couverte d’eau, et les courants océaniques, la température de l’eau, le niveau de la mer, la pression et la température peuvent changer très rapidement. Les prévisions sont toujours précises à environ 60 ou 65 %, et nous avons souvent des surprises.
Nous faisons des prévisions sur les incendies de forêt en fonction de la température. Chaque année, nous faisons des projections mensuelles pour les États-Unis. Cette année, elles se sont avérées presque toutes exactes. Mais, parfois, les courants océaniques changent, augmentant ou diminuant la température de l’eau, ce qui, bien évidemment, a une incidence sur le climat à l’intérieur des terres. Le climat continental, qui n’est pas principalement influencé par la surface de la mer, la température et la pression atmosphérique, permet de faire des prévisions plus précises. Les conditions des zones fortement influencées par l’océan sont parfois difficiles à prévoir ou sont changeantes.
La sénatrice Muggli : Quels sont les éléments de ce système de prévision?
M. Hessburg : Il s’agit du suivi de la température et de la pression au niveau de la mer dans l’Atlantique, le Pacifique, la mer du Nord et la mer de Béring. On calcule les indicateurs en temps réel pour obtenir les meilleures prévisions à jour sur l’influence qu’auront ces signaux de température et de pression dans les océans et dans l’atmosphère sur le climat des terres intérieures. Nous ne pouvons pas vraiment faire mieux. Ce qui change, en réalité, c’est la capacité en temps réel du système. Nous l’améliorons constamment.
La sénatrice Robinson : Merci. Bonjour, monsieur Hessburg. Je représente l’Île-du-Prince-Édouard, qui n’est pas dans l’Arctique, mais que vous connaissez peut-être. Nous sommes un peu au nord-ouest du Maine, et nous sommes la plus petite province du Canada. Nous avons probablement le plus petit inventaire de terres forestières du pays. Je pense pouvoir l’affirmer sans grand risque de me tromper.
Quand l’ouragan Fiona a déferlé sur notre région, à l’automne 2022, près de 10 % des zones forestières de la province ont été touchées. Je suis propriétaire et gestionnaire d’une terre à bois, et nous avons perdu des dizaines de milliers d’arbres très rapidement. Nous avons perdu des bâtiments, nous avons tout perdu.
Vous avez parlé du bois mort. Cela m’inquiète. L’été dernier, notre région, comme beaucoup d’autres, a connu l’été le plus sec jamais enregistré. J’ai examiné la liste de 2023, et quatre provinces et un territoire comptaient plus d’un million d’hectares brûlés. D’ailleurs, en 2023, les chiffres de la Saskatchewan et du Manitoba étaient considérables.
Lorsque je pense à l’impact qu’aurait un incendie de forêt à l’Île-du-Prince-Édouard, je suis très préoccupée. En raison de l’ouragan Fiona — j’y arrive — nous avons une quantité considérable de bois mort. Selon vous, comment pourrions-nous nous préparer en vue d’une autre saison sèche, l’an prochain? Quelle est la meilleure façon de gérer le problème du bois mort? C’est une véritable poudrière prête à exploser. L’effet serait dévastateur. Avez-vous des suggestions?
M. Hessburg : J’adore l’Île-du-Prince-Édouard, mais tout ceci est très préoccupant. Le bois mort au sol se décompose un peu plus chaque année, et les combustibles qui nous préoccupent réellement sont de la taille de mon poignet ou plus petits. Des petites brindilles jusqu’aux branches de la taille d’un poignet, ce sont des combustibles d’allumage, tout comme ceux que vous utilisez dans votre foyer. Si vous disposez d’une grande quantité de ces combustibles, et qu’ils sont prêts à brûler, les morceaux de la taille d’un doigt mettent entre une et dix heures à sécher. Les morceaux un peu plus gros prendront de 10 à 100 heures pour sécher. Ceux qui dépassent la taille de mon poignet peuvent prendre jusqu’à 1 000 heures pour sécher, mais les températures sont de plus en plus souvent sèches.
L’un des aspects clés est de pouvoir gérer ces combustibles d’allumage, essentiels à la combustion des grands billots. Si nous nous occupons des combustibles d’allumage, il sera très difficile pour les gros billots de prendre en feu. Premièrement, c’est l’avantage du brûlage dirigé. Si les conditions permettent aux gestionnaires de faire le brûlage dirigé des combustibles d’allumage, eh bien, qu’ils le fassent. Il ne faut surtout pas attendre la haute saison des incendies de forêt.
Si vous ne pouvez pas faire le brûlage dirigé parce que vous ne pouvez pas le contrôler, il sera extrêmement important de récolter le plus gros volume possible de ces combustibles, puis de procéder au brûlage dirigé à l’extérieur de la forêt. Encore une fois, les conditions initiales détermineront le succès du brûlage dirigé.
Un autre avantage, c’est que plus vous retirez de bois morts des forêts, plus vous réduisez vos émissions de fumée, ce qui vous permet de tirer profit du compromis.
La sénatrice Robinson : Merci.
La sénatrice Martin : Je vous remercie de vos recherches et de votre témoignage d’aujourd’hui. Pendant votre intervention, j’ai noté « C’est de la physique élémentaire; nous pouvons restaurer la résilience ». Votre document à lui seul contenait d’excellentes suggestions de solutions, mais je tenais à vous demander, en plus de ce que vous avez dit, comment pouvons-nous restaurer la résilience? Quelles sont les mesures les plus essentielles que nous devons prendre? Que devrait faire le gouvernement? Avec des mécanismes de collaboration ou de gouvernance spécifiques, quels éléments sont essentiels pour que le Canada puisse mettre rapidement en œuvre les mesures d’adaptation nécessaires à l’échelle du paysage décrites dans votre recherche? J’espère que les gouvernements lisent et qu’ils explorent les solutions aux problèmes que nous voyons aujourd’hui avec les incendies de forêt.
M. Hessburg : Ils le font, mais ils ne se concentrent pas habituellement sur le long terme, comme vous pouvez le comprendre. On accorde beaucoup plus d’avantages financiers et autres aux conditions et aux investissements à court terme.
Nous avons plus ou moins 20 à 25 ans pour faire le plus gros du travail, sinon les incendies qui ont déjà brûlé les terres auront pris le dessus. C’est-à-dire qu’une fois qu’une zone est brûlée et que des buissons et des herbes poussent sur ces grands bouts de terrain extrêmement brûlés, la zone sèche plus tôt et reste sèche, et tout peut donc brûler plus longtemps. Si un feu est allumé — près de 40 % des feux au Canada sont d’origine humaine et c’est encore pire aux États-Unis, où c’est plus du double —, les zones qui sont près des habitations, des routes et des sentiers, ce genre de chose, sont très susceptibles de brûler de nouveau. Les grandes zones brûleront ensuite de nouveau et il est difficile pour une forêt de se régénérer sur une zone qui a brûlé une deuxième fois. Il n’y a tout simplement pas d’arbres disponibles pour ensemencer ces zones, et nombre d’arbres n’ont pas renouvelé leur stock de semences et leur matériel génétique végétal. Cela devient un vaste programme de régénération.
Cela exige des investissements assez importants en bioéconomie. Comme l’a dit l’excellent groupe de témoins précédent, nous voulons des solutions à faible émission de fumée, et la seule façon d’y arriver est de diminuer l’empreinte de la fumée générée par les incendies de forêt. La différence entre un brûlage dirigé et un incendie de forêt est simple; dans le second cas, la combustion se poursuit pendant des semaines, voire des mois, et tous ces gros billots brûlent lentement jusqu’à la fin de la saison, et c’est ce qui produit la suie la plus nocive.
Si vous faites un brûlage dirigé, vous brûlez le petit bois et non pas le gros bois, de sorte que toutes les tonnes qui auraient pu s’enflammer ne s’enflamment pas; vous pouvez aussi éclaircir de grands pans de forêts et créer des zones à couvert forestier ouvert sur les pentes sèches et les crêtes; aménager une forêt plus complexe dans les vallées et sur les versants exposés au nord. Cela interrompt le flux du feu dans ce paysage, et il ne s’agit pas d’une intervention unique. Ce genre de travail de maintenance doit être continuel.
En d’autres mots, j’ai dû réapprendre tout ce que j’ai appris à l’école forestière, car l’époque où le climat était calme est révolue, ce qui signifie que nous devons prendre des mesures pour contrôler le flux du feu et réduire au minimum la gravité du comportement du feu. Est-ce que cela a du sens?
La sénatrice Martin : Oui. Vous dites que nous savons ce que nous devons faire, mais que, présentement, nous ne faisons que réagir aux situations sans planifier sur le long terme. Vous avez dit que nous avons de 20 à 25 ans pour faire ce travail, n’est-ce pas?
M. Hessburg : D’ici 20 à 25 ans, les zones brûlées importantes brûleront à nouveau, ce qui rend plus difficile la régénération de nos forêts. Un nombre important d’incendies très étendus et très graves ont tué des arbres. Dans les premiers 10 à 20 ans, ces arbres morts tombent. Ces zones sont ouvertes, et il y a maintenant beaucoup de bois morts sur le sol. S’il y a un feu pendant cette période, le deuxième feu est habituellement pire que le premier.
Il est aussi important de gérer l’environnement après le feu ainsi que les arbres encore vivants. Dans la plupart de nos modélisations par simulation, nous constatons que le fait de traiter de 35 à 45 % des paysages permet de rétablir leurs régulateurs. Cela aide le reste de la forêt à continuer à se développer.
Les éléments des zones humides — ramener les castors dans les milieux humides, restaurer de vastes terres humides, restaurer les forêts de trembles, de bouleaux et d’érables, des arbres communs dans toutes les provinces — sont tous extrêmement importants, et, après un feu, ils reviennent immédiatement, ce qui donne de nouvelles générations d’arbres. Ils agissent comme une couverture mouillée sur le flux du feu. Ce sont des environnements très humides, qui feront obstacle au flux de feu à venir.
La restauration proprement dite des éléments non forestiers fait partie de la recette secrète pour régénérer des forêts résilientes. C’est ce que les arbres nous ont appris.
La sénatrice Martin : Votre recherche est très importante, à l’heure actuelle, et j’espère que vous allez voir cela dans notre rapport. Merci beaucoup, monsieur Hessburg.
M. Hessburg : Absolument.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup, monsieur Hessburg; j’ai beaucoup de respect pour votre expertise et pour les années que vous avez passées dans ce domaine. Je m’appelle Karen Sorensen, je suis une sénatrice de l’Alberta et j’habite le parc national de Banff. En tant que résidante de ce parc, j’ai été moi-même témoin de la grande valeur de la gestion des risques d’incendie quand Parcs Canada a recommencé à appliquer les pratiques de brûlage culturel utilisées par les Autochtones.
Dans un article récent où vous êtes cité, certains observateurs ont prévenu que la gestion active des feux pourrait en fait augmenter la fréquence et la gravité des feux de forêt, disant que cette pratique est surévaluée et a une efficacité limitée dans le contexte actuel. Puisque j’ai moi-même été témoin des avantages dont vous parlez, ce scepticisme me préoccupe vraiment.
Voici ma question : que répondez-vous aux personnes qui remettent en question la valeur de la gestion active des feux? Nous entendons leurs critiques. Quelles répercussions ces débats ont-ils sur les mesures générales visant à rétablir la santé des forêts? Et que répondez-vous aux gens qui craignent que la gestion active ne devienne un prétexte pour effectuer une soi‑disant coupe de récupération, ce qui sous-entend un coup d’argent pour l’industrie plutôt qu’une véritable stratégie écologique?
M. Hessburg : Ce sont d’excellentes questions, et vous en avez plusieurs.
Voici ce que je répondrais à votre première question : les groupes voués à la conservation diffusent de la fausse information, et, en fait, certains de ces groupes sont le problème à l’heure actuelle. Le problème, c’est que l’on compare à tort leur discours et les preuves solides publiées dans des articles scientifiques. L’Ecological Society of America nous a demandé, à mon laboratoire, à moi, ainsi qu’à plusieurs autres laboratoires, de faire un examen critique de toute la littérature nord‑américaine sur la question de savoir si les outils fonctionnent ou non, et nous avons publié trois examens dans des journaux de renom, à sa demande. Pour résumer, les forêts ont grandement changé. Certaines organisations de conservation sont prêtes à dire que ce n’est pas vrai. Selon une approche qui tient compte de la preuve, et comme les éléments de preuve le montrent, les forêts ont incroyablement changé. Il s’agit ici des 40 meilleurs laboratoires de recherche dans le domaine en Amérique du Nord.
La deuxième chose, c’est que les traitements fonctionnent, et nous avons repoussé 10 fausses idées. Il me ferait plaisir de vous communiquer ces examens. En gros, il est indiqué dans le troisième examen que, compte tenu de tout cela, la gestion dirigée est tout à fait justifiée pour créer le changement nécessaire.
Le problème, c’est que l’on ne traite pas, dans les médias, de cette comparaison bancale entre les discours. Donc, on nous demande de plus en plus souvent d’écrire des articles pour faire la lumière sur les preuves, et je travaille avec des avocats dans tout l’ouest de l’Amérique du Nord pour les aider à bien comprendre l’objet des poursuites qui gênent le traitement des dossiers en instance.
Nous avons aussi fait des recherches sur les environnements après un feu, et il est évident que les traitements de régénération ne donnent pas les mêmes résultats que les coupes de récupération à visées économiques. Les traitements de régénération par le feu visent les arbres touchés par l’accrétion durant l’exclusion du feu. La coupe de récupération consiste simplement à récupérer les fibres accessibles le plus économiquement possible, et il peut être justifié, parfois, de faire cela. Mais ce n’est pas l’objectif de la régénération après un brûlage, et nous avons publié cinq articles sur le sujet grâce à une récente subvention.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. C’était très difficile d’entendre les critiques de Parcs Canada pendant les feux à Jasper parce que, encore une fois, où j’habite, les gens étaient très proactifs, et c’est sans doute l’une des communautés du pays les plus prêtes à faire face à un feu, mais ce feu-là était ce feu-là.
M. Hessburg : En ce qui me concerne, et je connais très bien Rick Kubian et Jane Park, et ils sont des chefs de file mondiaux dans leur domaine, le brûlage proactif. La solution, dans ces forêts froides, consiste vraiment à faire du brûlage proactif, ce que M. Kubian a commencé il y a 25 ans, et ce que Mme Park continue de faire avec brio dans les parcs, avec d’extraordinaires résultats.
Je crois que tout cela est le résultat de la campagne de mé... de désinformation en défaveur de la gestion active. Le problème, c’est que l’on veut par cette campagne mettre un terme à la gestion active.
La sénatrice Sorensen : Je vois Mme Park régulièrement. Je vais lui dire que nous nous sommes parlé.
M. Hessburg : Dites-lui que j’apprécie son travail.
La sénatrice Sorensen : Oui, moi aussi je l’apprécie.
Le vice-président : Merci. Chers collègues, avant de commencer la deuxième série de questions, je vais me prévaloir de mon droit de poser une question.
Monsieur Hessburg, vous avez dit deux choses qui m’ont interpellé. Premièrement, c’est que vous avez dû réapprendre tout ce que vous aviez appris à l’école de foresterie ou à l’université; puis, vous avez parlé du fait que nous devons changer notre approche de gestion des forêts et voir les choses à long terme.
Je suis curieux. Revenons à votre exemple des castors. Par le passé, de nombreuses entreprises forestières tuaient un castor dès qu’il y en avait un pour éviter que l’étendue d’eau ne prenne de l’expansion. Vous dites que le gouvernement ne semble toujours pas avoir de vision à long terme, mais certaines entreprises forestières commencent-elles à comprendre ce dont vous parlez, la nécessité de la gestion active?
M. Hessburg : Certaines entreprises commencent à le comprendre. Pas toutes. C’est une excellente question, monsieur le sénateur. Je vous en remercie. Je travaille avec le forestier en chef de West Fraser depuis un certain nombre d’années, et j’ai parcouru les provinces pour prononcer des conférences avec lui devant d’autres entreprises importantes du Canada et d’autres multinationales. Il s’appelle Jeff Mycock, et il est vice-président principal de West Fraser; il s’occupe de nombreuses terres boisées. Les entreprises comprennent très bien, et M. Mycock peut s’adresser directement au conseil qui lui permet de travailler afin de modifier ces conditions.
Certaines entreprises importantes ne font tout simplement pas le travail et ne sont pas réceptives parce qu’elles ont appris que si on peut faire pousser une forêt quelque part, il faut le faire. Le problème, c’est que le point de référence change d’une génération à l’autre. Pendant cinq, six générations, puis au cours des 50 dernières années durant lesquelles on a exclu les feux de forêt, on croyait ce que l’on voyait était naturel et que c’est ce qu’il fallait avoir. Mais en fait, ce n’est pas cela. J’ai présenté ces photographies pour montrer que ces paysages ont changé à vue d’œil et montrer à quelle vitesse les forêts reprennent leur place. Donc, nous ne comprenons tout simplement pas d’où nous sommes partis et comment toutes ces pièces s’emboîtent l’une avec l’autre pour créer un paysage résilient, un paysage qui aura tout prévu pour nous à long terme.
J’ai appris que si je pouvais faire pousser des arbres à un endroit, je devrais en planter, donc, j’ai planté des arbres. J’ai appris que je pouvais créer des habitats dans des enclos et qu’ils resteraient là, mais j’ai fait cela durant une période charnière du climat, dans les années 1970. Ce que j’ai appris, maintenant, c’est que le paysage des idées n’est plus intact. Les forêts sont dynamiques, et si vous mettez l’habitat d’un caribou et d’un grizzli dans un enclos, vous ne pouvez pas respecter la répartition et l’aménagement du territoire et produire des grizzlis et des caribous, par exemple.
Il y a des systèmes de gestion axés sur la dynamique, et, en tant que forestiers, nous devrions les mettre en œuvre. Et je me renseigne sur eux et j’aide à les mettre en œuvre dans les forêts occidentales de l’Amérique du Nord. Nous devons maintenant faire une gestion axée sur la dynamique, ce qui veut dire qu’il faut gérer les forêts en tenant compte des habitats et de ces éléments-là aussi. Aux États-Unis, la révolution verte a commencé il y a des dizaines d’années, et je crois qu’elle se met en marche au Canada, mais avec beaucoup de retard.
Le vice-président : Merci de la réponse. Rapidement, je vais faire un dernier commentaire qui concerne ce que vous avez dit au sujet du bois d’allumage de la grosseur d’un poignet, voire plus petit; nous allons tous marcher dans des zones boisées en disant « Ah! Je dois ramasser ce morceau-là, ce morceau-là, ce morceau-là ». Je vous remercie pour cela.
M. Hessburg : Oui. En gros, c’est le problème du foyer, n’est-ce pas?
Le vice-président : Oui.
M. Hessburg : Vous voulez faire brûler la bûche de Noël, mais cette grosse bûche ne brûlera pas si vous n’y ajoutez pas des tortillons de papier journal et si vous n’avez pas de brindilles et de branches et de morceaux de bois plus gros qui créeront essentiellement suffisamment de chaleur pour faire brûler votre grosse bûche. C’est le problème avec les combustibles forestiers. Si vous enlevez le bois d’allumage, vous permettez aux grosses bûches de pourrir et de se désagréger avec le temps, et, pour certains types de forêts, vous pouvez revenir plus tard et faire du brûlage dirigé, ce qui est utile.
Le vice-président : Merci, chers collègues, de m’avoir permis de faire cette intervention.
La sénatrice Muggli : Le changement climatique s’accompagne de conditions hivernales extrêmes, et on a entendu dire que celles-ci ont des conséquences défavorables importantes sur les forêts puisqu’elles font tomber beaucoup d’arbres. Savez‑vous en quoi cette chute d’arbres importante peut avoir une incidence sur les conditions des feux de forêt et si nous devions tenir compte des endroits où la chute d’arbres est importante dans notre planification, notre modélisation ou notre modèle de prévision des feux de forêt? Ma deuxième question est la suivante : pourriez-vous nous parler d’autres méthodes pour éclaircir les forêts?
M. Hessburg : Oui. Encore une fois, c’est une excellente question, à plusieurs volets. Les chablis sont très importants, car les arbres morts et abattus deviennent du combustible et ils sèchent. Lorsqu’on ouvre le couvert forestier, on change le climat du site. Les vents de surface peuvent alors pénétrer et accélérer le dessèchement. Dans une forêt à couvert fermé, les vents de surface restent en altitude, au-dessus du couvert, ce qui crée des conditions différentes pour le dessèchement du combustible. Ainsi, lorsque les arbres sont tombés, il est logique a) de conserver les arbres vivants qui restent debout, particulièrement les individus plus gros et les plus robustes, et b) d’enlever assez rapidement les arbres tombés, et de les enlever entiers pour que les cimes partent avec l’arbre. Pour que ce bois soit commercialisable, il faut le faire dans la première année ou la première année et demie. Passé ce délai, le bois commence à se fendre et à se fissurer, et il perd beaucoup de sa valeur pour les grands exploitants. Aux États-Unis, certains exploitants peuvent vivre de ces arbres et plutôt que des arbres verts s’ils parviennent à les récupérer assez rapidement, dans les 12 ou les 18 premiers mois; ils vont ensuite faire une opération de brûlage pour éliminer ces combustibles inflammables.
Dans les types de forêts que l’on ne peut pas éclaircir à l’aide du feu, il faut restaurer la mosaïque que je vous ai montrée sur les photos. Il y a des zones où des combustibles comme des arbustes, des herbes et des végétaux séparent les zones de forêt jeunes, d’âge moyen ou plus anciennes. Les mêmes méthodes ne s’appliquent donc pas partout.
Mais l’élément clé, ce sont les arbres au sol, et ces phénomènes venteux ne feront qu’augmenter en fréquence et en intensité. Comme l’a dit la sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard, les ouragans qui frappent la côte Est augmentent eux aussi en fréquence et en intensité. Nous devons alors réfléchir à une stratégie globale pour nous adapter à cette situation tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Les meilleures années sont derrière nous. Je ne veux pas être alarmiste, mais j’aimerais simplement dire : « Soyons réalistes quant à ce qui nous attend à l’avenir. »
La sénatrice Muggli : Absolument. Avez-vous d’autres suggestions au sujet des éclaircies?
M. Hessburg : Pour les éclaircies, oui. Dans les forêts plus sèches, dans les forêts intérieures de Douglas taxifolié, dans les forêts de pin ponderosa, et dans les forêts mixtes humides de conifères où l’on trouve de grands pins tordus latifoliés, des Douglas taxifoliés et parfois des épinettes de montagne, vous pouvez éclaircir les peuplements et procéder à des brûlages.
Pendant longtemps, nous avons récolté uniquement les grumes. L’abattage complet des arbres, y compris leurs cimes, a l’incroyable avantage d’éliminer les combustibles, qui peuvent ensuite être déchiquetés et être utilisés dans la bioéconomie, pour produire du biocharbon, des biocarburants de qualité marine, des biocarburants JET A et ce genre de choses, car ils sont désormais pris au même endroit et peuvent être transportés par remorque à copeaux.
Gardez à l’esprit que dans les forêts froides, pour créer cette mosaïque que je vous ai montrée en photos, dans les forêts plus sèches, il faut éclaircir et brûler. À mesure que l’on traverse les provinces, on voit de plus en plus cette zone subboréale et boréale s’étendre, et les conditions plus sèches commencent à disparaître; et nous parlons maintenant de conditions propices aux mosaïques.
La sénatrice Muggli : Merci.
Le vice-président : Monsieur Hessburg, je vais vous poser une question de plus.
Nous avons entendu d’autres témoins, lors de séances précédentes, parler de la nécessité de créer une version canadienne de la Federal Emergency Management Agency, la FEMA, soit un organisme national de gestion des urgences. La FEMA intervient-elle quand il y a des feux de forêt aux États‑Unis, et quelle a été votre expérience avec cet organisme? De quoi a l’air ce processus, et croyez-vous que le Canada pourrait tirer profit de la création d’un organisme de gestion des urgences similaire à la FEMA?
M. Hessburg : Je crois que la réponse est oui. Ce n’est pas ma spécialité, mais j’ai en fait été conseiller en ressources pour des opérations de la FEMA; nous nous rendions dans des zones dévastées par des catastrophes ou des zones sinistrées pour aider les gens à reprendre pied, à se procurer de la nourriture, de l’eau, à trouver un lieu sûr où se reposer, etc. Donc, oui. Le problème prendra de l’ampleur et s’intensifiera. C’est extrêmement utile aux États-Unis, mais il y a des limites à ce que la FEMA peut réellement faire. Elle peut réagir à une catastrophe. Oui, c’est un outil parmi d’autres, et je dirais qu’il est extrêmement utile, et nous continuerons à travailler avec la FEMA aux États-Unis.
Mais je crois que le travail proactif est la recette secrète pour créer des paysages résilients, réduire les problèmes liés à la fumée et les problèmes de mauvaise santé publique, et améliorer la résilience des conditions forestières.
Ce que nous apprenons aux États-Unis, c’est que pour chaque million de dollars investi, les investissements réactifs ont un rendement marginal décroissant. La raison est que le réchauffement, les sécheresses, les hivers plus chauds, la diminution de l’enneigement, tout cela contribue à accélérer le processus, et nous n’arrivons pas à suivre le rythme avec une approche réactive. Je crois donc que la proactivité est, globalement, l’élément essentiel qui fait défaut aux États-Unis, à grande échelle, et très probablement au Canada.
Le vice-président : Avec le but de rendre la forêt plus résiliente, vous dites?
M. Hessburg : Oui.
La sénatrice Martin : Je me demandais simplement, en ce qui concerne les pratiques exemplaires et les connaissances, s’il existe une coopération entre les États-Unis et le Canada ou d’autres pays, et s’il y a certaines mesures que nous devrions envisager au Canada qui sont mises en œuvre aux États-Unis ou ailleurs?
M. Hessburg : Je pense que la collaboration entre les États‑Unis et le Canada est bien établie, et je travaille avec une foule de collègues dans ma pratique et dans mes recherches qui sont exceptionnels, au Canada et dans tout le pays. Vous trouverez des Américains qui travaillent avec leurs collègues et homologues canadiens dans chaque région des États-Unis.
La clé, à l’heure actuelle, c’est que, des deux côtés de la frontière, il est très difficile de voir les choses sur le long terme et de se dire que nos sources de revenus forestiers vont être menacées par l’expansion des zones brûlées et que ces zones seront importantes. Quelles sont les recettes paysagères créées par nos peuples autochtones? Ils ont une connaissance incroyable de la manière de vivre en sécurité dans l’environnement.
Plus nous travaillons avec nos partenaires autochtones, plus nous constatons que la combinaison des connaissances ancestrales et de nos pratiques scientifiques occidentales crée un environnement intellectuel et de pratique beaucoup plus riche. Je crois que c’est un investissement considérable aux États-Unis et au Canada.
Ensuite, pour chaque type de forêt, il faut nous réunir avec des collègues scientifiques et des praticiens pour établir à quoi ressemblaient les paysages résilients, à quoi ils ressembleront dans un climat en réchauffement, puis il faut commencer à recréer ces types de modèles pour, essentiellement, réduire le problème pour l’avenir. Sinon, nous verrons les feux de forêt prendre le dessus.
Voilà à quoi l’avenir ressemble.
La sénatrice Martin : Apprendre de notre passé est la clé, n’est-ce pas?
M. Hessburg : Oui. Bien des gens refuseront de revenir 100 ou 200 ans en arrière pour dire voici ce que nous devrions faire, mais ce n’est pas pour cela que nous voulons comprendre l’écologie historique.
Si nous voulons comprendre l’écologie historique, c’est pour savoir d’où viennent nos forêts indigènes et nos forêts primaires. Quels changements clés ont provoqué les conditions actuelles?
En ce qui concerne le climat, nous réalisons actuellement des modélisations du changement climatique dans les provinces et partout aux États-Unis, et nous constatons que les forêts à couvert ouvert, les zones plus sèches au sommet des crêtes et un nombre plus important de prés humides ou secs et de milieux humides auront une influence très importante à l’avenir, car ils bloquent la propagation des incendies liés au climat... Ces éléments du paysage historique deviennent en fait plus importants à mesure que nous progressons.
Nos partenaires autochtones nous disent que c’est de cette manière qu’ils vivent en sécurité sur le territoire. Tous les partenaires autochtones avec lesquels je travaille et qui viennent dans une forêt américaine qui n’est pas résiliente disent : « Personne ne peut vivre ici. Nous ne pouvons pas nous nourrir ici. Nous ne pouvons pas trouver de ressources matérielles et ce lieu n’est pas sûr. Ce ne sont que de mauvaises herbes. »
Le vice-président : Monsieur Hessburg, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de comparaître devant le comité aujourd’hui. Nous apprécions vraiment votre contribution. Cela a été un processus très enrichissant pour nous. La séance a été très instructive et, comme je l’ai dit, nous apprécions votre contribution à notre étude.
J’aimerais remercier les membres du comité pour leur participation active et leurs questions pertinentes. J’aimerais également prendre un moment pour remercier tout le personnel qui soutient le travail du comité : le greffier, l’analyste de la Bibliothèque du Parlement, les interprètes, l’équipe des débats parlementaires qui transcrit cette réunion, le préposé de la salle de comité, le technicien des services multimédias, l’équipe de diffusion, le centre d’enregistrement, la direction des services d’information et, bien sûr, notre page.
(La séance est levée.)