LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 24 septembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
La sénatrice Michèle Audette (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : [mots prononcés en innu-aimun] Merci d’avoir accepté que je puisse marcher tous les jours sur votre territoire jusqu’en 2046.
Je disais en innu-aimun que j’étais honorée que l’on accueille une sœur et une grande leader, la ministre Gull-Masty. Merci au peuple anishinabe de nous accueillir au quotidien sur son grand territoire non cédé avec beaucoup d’histoire, et merci de l’accueil encore aujourd’hui.
Avant de commencer notre étude, il faut toujours penser au bon déroulement des choses. Vous me connaissez, j’aime beaucoup les perles — sinon, je vous l’apprends. Perler, c’est aussi pour moi des humains. Il y a de petites perles derrière moi qui s’assurent que l’on parle en français ou en anglais ou que l’on comprend quelle langue on doit traduire et interpréter. Vous avez près de vous sur de petits cartons les procédures des meilleures pratiques qui indiquent où placer les écouteurs et qui disent de ne pas frapper ou brasser les micros. Un petit rappel qu’on ne fait pas assez souvent : des gens vont ouvrir les micros et les fermer. Ce n’est pas écrit dans mes notes, mais les interprètes ont juste une bouche, donc si on se met à parler tous en même temps, on risque de manquer des choses importantes. Merci beaucoup de votre coopération.
Je me présente : Michèle Audette, sénatrice pour [mots prononcés en innu-aimun] au Québec, grand-mère, kukum à temps plein et fière sénatrice. Je vais demander à mes collègues de se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Bonjour tout le monde. Je suis le sénateur Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, sur le territoire traditionnel de Mi’kma’ki.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario, plus spécifiquement de Cornwall, sur le territoire traditionnel mohawk.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Bienvenue. Je vis ici, sur le territoire non cédé et non restitué du peuple algonquin anishinabe.
La sénatrice Karetak-Lindell : Bonsoir. [mots prononcés dans une langue autochtone] Nancy Karetak-Lindell, sénatrice du Nunavut.
La sénatrice McPhedran : Je suis Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
La sénatrice McCallum : Je suis Mary Jane McCallum, du territoire visé par le Traité no 10, dans le nord du Manitoba. Bienvenue.
[Français]
Me Jean-Charles Lebeau, conseiller juridique, Section des opérations et programmes, Services juridiques des RCAAN/SAC, ministère de la Justice Canada : Je suis Jean-Charles Lebeau, du ministère de la Justice.
[Traduction]
Stuart Hooft, directeur, Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Stuart Hooft, directeur de la réforme de l’inscription, Services aux Autochtones Canada
Gina Wilson, sous-ministre, Services aux Autochtones Canada : Gina Wilson [mots prononcés dans une langue autochtone] Kitigan Zibi [mots prononcés dans une langue autochtone] Services aux Autochtones Canada.
L’hon. Mandy Gull-Masty, c.p., députée, ministre des Services aux Autochtones : [mots prononcés en cri] Mandy Gull-Masty [mots prononcés en cri]. Ministre Mandy Gull-Masty, en cri.
Catherine Lappe, sous-ministre adjointe, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Bonsoir. Je m’appelle Catherine Lappe et je suis sous‑ministre adjointe des Services aux particuliers à Services aux Autochtones Canada. Merci.
Lori Doran, directrice générale, Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Bonjour à tous, je m’appelle Lori Doran. Je suis directrice générale de la Direction générale des affaires individuelles à Services aux Autochtones Canada.
Le sénateur Tannas : Je suis Scott Tannas, sénateur de l’Alberta.
La sénatrice Boniface : Je suis Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Francis : [mots prononcés en mi’kmaq] Brian Francis, sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice White : Kwe. Judy White, sénatrice de Ktaqmkuk, mieux connue sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, sénatrice de la Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Moreau : Pierre Moreau, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
[Français]
La présidente : Aujourd’hui, nous allons commencer notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription). Comme je suis la marraine de ce projet de loi, je vous avise dès maintenant que je me récuse à titre de présidente pour l’ensemble des réunions de comité qui traiteront de ce projet de loi. Je souhaite, par ce geste, faire honneur à la neutralité de la présidence d’un comité sénatorial.
Nous avons convenu au comité directeur, comme des outardes, de nous départager le travail. La sénatrice Greenwood, vice-présidente du comité, a gracieusement accepté de présider les réunions portant sur le projet de loi S-2. En son absence, le sénateur Prosper a gracieusement accepté de présider la réunion d’aujourd’hui.
J’invite donc le sénateur Prosper à prendre place au fauteuil. Merci.
Le sénateur Paul (PJ) Prosper (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci, sénatrice Audette. C’est un honneur et un privilège de présider cette très importante réunion aujourd’hui. Je suis ravi de voir autant de personnes autour de la table. Je vous remercie tous de votre présence aujourd’hui.
La ministre sera invitée à faire une déclaration préliminaire d’environ 10 minutes, ce qui sera suivi d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs. Nous suspendrons brièvement la séance vers 19 h 45 pour permettre à la ministre de quitter la salle. Les fonctionnaires présents seront invités à rester jusqu’à la fin de la réunion pour répondre à d’autres questions des sénateurs.
J’invite maintenant la ministre Gull-Masty à faire sa déclaration préliminaire.
Mme Gull-Masty : Merci. Bonsoir à tous. C’est un plaisir d’être ici de nouveau. Je suis venue ici dans le cadre de mes anciennes fonctions, et je crois que j’avais alors félicité le président de sa récente nomination à titre de sénateur. Cela semble si lointain, mais cela ne fait pas vraiment si longtemps.
Waachiyeh, kwe kwe, tansi, bonjour.
[Français]
Honorables sénateurs, je tiens d’abord à exprimer ma gratitude face à votre engagement constant en faveur de la réconciliation et aussi de m’avoir invitée à vous parler ce soir au sujet de ce très important projet de loi.
Je voudrais également remercier la sénatrice Audette pour le rôle qu’elle a tenu et continue de tenir. Elle a travaillé à quelque chose de très important, soit le projet de loi S-2, et elle a aidé à faire progresser le projet de loi.
[Traduction]
C’est un véritable honneur de comparaître devant vous ce soir pour parler de l’importance du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits d’inscription). Il s’agit d’une étape essentielle vers l’élimination des iniquités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens.
Ce projet de loi propose quatre réformes clés : redonner le droit à l’inscription aux personnes et à leurs descendants qui l’ont perdu par voie d’émancipation, souvent involontaire; permettre aux membres des Premières Nations de faire retirer leur nom du Registre des Indiens et de reprendre le contrôle de leur identité; éliminer de la loi les termes désuets, offensants et déplorables concernant les personnes dépendantes, termes qui reflètent réellement les attitudes colonialistes; faciliter la réintégration des personnes, en particulier des femmes, dans leur Première Nation natale.
[Français]
Comme beaucoup d’entre vous le savent, le projet de loi S-2 a été présenté comme une réponse longtemps attendue à la discrimination systémique à l’égard des peuples autochtones inscrits dans la Loi sur les Indiens, une discrimination qui a touché de manière disproportionnée les Premières Nations, en particulier les femmes et leurs descendants.
[Traduction]
La Loi sur les Indiens de 1876 est un vestige de notre histoire coloniale, une tentative d’assimiler complètement les Premières Nations. Bien que certaines modifications aient été apportées à la Loi sur les Indiens au fil des ans, il subsiste de graves iniquités qui doivent être corrigées rapidement.
La loi promettait la pleine citoyenneté canadienne à ceux qui renonçaient à leur identité et leur donnait la possibilité de posséder des terres et de voter aux élections, des droits qu’ils n’avaient pas en tant que membres des Premières Nations vivant dans les réserves. Ce processus était appelé « émancipation », comme si cela constituait un privilège ou un processus pour ceux qui choisissaient de le faire.
[Français]
Certains parents des Premières Nations l’ont fait uniquement pour éviter que leur enfant ne soit envoyé dans un pensionnat. Cela hantera sans doute l’esprit de bien des gens en cette semaine qui se trouve aux portes de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
La réalité, c’est qu’il n’y avait pratiquement pas d’autre choix, surtout lorsqu’il s’agissait de renier sa propre culture, son patrimoine et sa langue, ou même de se faire arracher ses enfants aux mains des pensionnats. Pour d’autres, l’émancipation était plutôt imposée par le gouvernement de l’époque. Si quelqu’un devenait par exemple médecin ou avocat et exerçait une profession porteuse d’un statut important ou prestigieux, non seulement la personne n’y était plus admissible, mais les générations futures non plus.
[Traduction]
Pour les femmes, l’injustice était encore plus marquée. Jusqu’en 1985, leur identité et leurs droits étaient liés aux hommes de leur vie, c’est-à-dire leur père et leur mari. Si les hommes perdaient leur droit pour quelque raison que ce soit, elles le perdaient aussi. Si une femme se mariait en dehors de sa nation, elle était contrainte de la quitter pour rejoindre la nation de son mari.
Mon histoire personnelle de 1985 se reflète dans mon témoignage d’aujourd’hui, car ma mère a également perdu son statut pendant un certain temps. Si une femme épousait un homme non inscrit, elle perdait son droit à l’inscription, ainsi que sa communauté, sa voix et ses droits. Je peux personnellement témoigner de ce que cela signifiait pour ma défunte mère. Elle a également perdu l’accès à sa communauté, sa voix et ses droits. Les effets se sont répercutés sur ses enfants et petits-enfants. Ces conséquences ont été très profondes.
La perte du droit à l’inscription entraînait la perte d’accès aux programmes et services fédéraux, et même la perte du droit de vote aux élections de sa propre nation.
Soyons clairs : la Loi sur les Indiens était un outil d’éradication complète des langues, des cultures et des croyances. Elle a dépouillé les peuples des Premières Nations de leur identité et, malheureusement, elle continue de le faire aujourd’hui. Je demande que nous allions de l’avant pour veiller à corriger cette situation.
Le projet de loi S-2 constitue la prochaine étape du processus visant à corriger ces injustices. S’il est adopté, il permettra de rétablir les droits, l’accès et les privilèges d’environ 3 500 personnes. Pour ces personnes, ce projet de loi est d’une grande importance : il représente le rétablissement de la dignité, de l’identité et de l’appartenance.
De façon plus générale, ce projet de loi contribuera à rétablir les lignées familiales brisées et permettra aux générations futures de reprendre pleinement leur place au sein de leur communauté, afin qu’elles connaissent et comprennent leur identité, et en soient fières. Si le projet de loi S-2 reçoit la sanction royale, environ 6 200 personnes de plus de 13 ans seraient admissibles à l’inscription. Cependant, pour beaucoup, l’attente a déjà été trop longue. Voilà pourquoi il est impératif d’agir dès maintenant pour mettre en œuvre une solution claire et simple, par ce projet de loi, de façon à rétablir le statut des personnes qui restent. Cela montrera également qu’elles peuvent avoir accès à leur statut sans plus tarder et nous assurer de ne pas laisser pour compte une autre génération.
[Français]
Le projet de loi reconnaît également que l’identité des Premières Nations est une question profondément personnelle. Certaines personnes pourraient souhaiter se retirer du registre des Indiens, se joindre à un autre gouvernement autochtone, affirmer leur autonomie ou simplement ne figurer sur aucune liste gouvernementale.
[Traduction]
Le projet de loi S-2 aurait également un effet très important, soit la suppression de termes déshumanisants comme « Indiens mentalement incapables », termes qui n’ont pas leur place dans le droit moderne et reflètent une mentalité coloniale qui considérait les Autochtones comme incapables d’autonomie, soumis à un contrôle paternaliste et privés des droits fondamentaux liés à la pleine citoyenneté.
[Français]
Il est important de mentionner que le projet de loi S-2 respecte les décisions judiciaires qui ont clairement établi l’urgence d’éliminer ces iniquités tout en s’alignant sur les recommandations des comités du Sénat sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il affirme le droit des Premières Nations de se définir elles-mêmes ainsi que leurs communautés.
Déjà plus de 1 700 personnes ont présenté une demande avant même l’adoption de ce projet de loi. Cela représente plus de la moitié de la population qui devrait bénéficier de son adoption. Il s’agit d’une indication claire de son importance et de son impact.
[Traduction]
Honorables sénateurs, comme vous pouvez le constater, cette mesure législative est urgente, et ce, pour deux raisons. D’abord, il s’agit d’une mesure longuement attendue par les personnes dont les droits en tant que membre d’une Première Nation seront rétablis. Ensuite, cela tient compte de la date limite — le 30 avril 2026 — récemment imposée au gouvernement par la cour pour modifier la loi. Nous avons l’occasion d’adopter cette solution rapidement, et nous devons travailler ensemble pour y arriver.
Nous n’avons que 10 mois pour respecter la date limite imposée par la cour et pour que le projet de loi S-2 reçoive la sanction royale. Si nous ne respectons pas cette échéance, nous risquons de voir deux versions différentes de la Loi sur les Indiens s’appliquer. En Colombie-Britannique, ce serait comme si le projet de loi S-2 avait été adopté, tandis que dans le reste du pays, ce serait comme s’il n’avait pas été adopté.
Honorables sénateurs, je vous implore d’adopter rapidement ce projet de loi afin que nous puissions respecter l’échéance et rétablir le statut de milliers de personnes touchées par cette loi inconstitutionnelle.
Je tiens également à affirmer sans le moindre doute que ce projet de loi ne règle pas l’ensemble des iniquités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens, et nous savons qu’il nous reste encore du travail à faire.
[Français]
La règle de l’exclusion après la deuxième génération continue d’éroder l’admissibilité au fil des générations. Selon cette règle, si une personne admissible épouse une personne n’y ayant pas droit, leurs enfants de la deuxième génération seront admissibles, mais pas leurs petits-enfants.
L’article 10 de la loi rend difficile pour les Premières Nations de reprendre le contrôle de leurs listes de membres en raison des seuils de vote élevés qui deviennent de plus en plus inaccessibles.
Nous sommes à l’écoute. Nous travaillons en collaboration avec les Premières Nations pour aborder cet enjeu. C’est pourquoi nous avons lancé un processus de consultation développé conjointement en novembre 2023. Ce processus vise à corriger les iniquités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens que le gouvernement s’engage à régler, notamment la règle de l’exclusion après la deuxième génération et les seuils de vote prévus à l’article 10.
[Traduction]
Ce processus vise à veiller à proposer une solution aux iniquités qui subsistent, à obtenir le consensus des titulaires de droits des Premières Nations et à éviter des conséquences imprévues qui pourraient entraîner de nouveaux obstacles ou de nouvelles exclusions, voire reproduire les formes de discrimination que nous nous efforçons d’éliminer. L’objectif doit être d’aller de l’avant pour renforcer l’équité et rétablir les droits au lieu d’ouvrir la porte à d’autres préjudices à l’avenir.
[Français]
Nous voulons procéder rapidement. Rappelons que le travail doit être réalisé en partenariat avec les Premières Nations.
[Traduction]
Je suis déterminée à trouver les solutions appropriées pour les Premières Nations, mais cela doit se faire en collaboration pour régler la question de l’exclusion après la deuxième génération et celle des seuils de vote prévus à l’article 10. Au cours des prochains mois, nous terminerons le processus de collaboration que nous avons entrepris, et nous veillerons à aller de l’avant de manière éclairée afin de déterminer les réformes législatives nécessaires pour remédier aux iniquités qui subsistent.
En conclusion, honorables sénateurs, le projet de loi S-2 est une autre étape importante vers la modification depuis longtemps nécessaire de la Loi sur les Indiens. C’est un pas important dans la bonne direction, un pas vers le rétablissement des droits et le respect des choix personnels, un pas vers la correction des erreurs du passé. C’est un rappel que nous avons tous une responsabilité commune : veiller à ce que ces changements soient mis en œuvre avec intégrité et veiller à ce que les injustices du passé ne se reproduisent jamais.
C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Meegwetch.
Le président suppléant : Merci, madame la ministre.
Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
Chers collègues, vous aurez trois minutes chacun pour vos interventions, ce qui comprend la question et la réponse. Je vous ferai signe 30 secondes avant la fin de votre tour pour que tous aient l’occasion de poser une question à la ministre.
J’invite maintenant la marraine du projet de loi, la sénatrice Audette, à prendre la parole.
[Français]
La sénatrice Audette : Vous êtes bien aimable, mais il est important que je cède la parole à mes collègues. Vous avez entendu ma position lors de mon discours d’introduction. Je préférerais donner mon temps de parole aux autres sénateurs.
[Traduction]
Le président suppléant : La parole est maintenant à l’une des membres du comité directeur, la sénatrice McCallum.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre exposé. Ce projet de loi me touche directement également. Mes petits‑enfants se sont vu refuser le statut. Si je dépasse les trois minutes, je vous demanderais de répondre par écrit, si cela vous convient.
Dans le document d’information et le contexte fournis par Services aux Autochtones Canada, ou SAC, on indique que le projet de loi C-31, adopté en 1985, éliminait le processus d’émancipation et rétablissait le droit à l’inscription des personnes directement touchées par l’émancipation. Toutefois, la question de l’exclusion après la deuxième génération n’a pas été réglée, ce qui demeure une forme violente d’émancipation et une préoccupation de longue date soulevée par les Premières Nations. Il s’agit, en fait, d’une forme de génocide.
Dans les éléments clés du projet de loi fournis par SAC, on indique que la modification relative à l’émancipation permettrait aux personnes ayant des antécédents familiaux d’émancipation de transmettre le droit à l’inscription à leurs descendants de la même manière que les personnes sans antécédents familiaux. On précise que l’exclusion après la deuxième génération est la principale préoccupation des Premières Nations, mais cela ne fait l’objet d’aucune modification dans ce projet de loi.
Pourquoi la question de l’exclusion après la deuxième génération et de la transmission du droit d’inscription n’est-elle pas abordée dans le projet de loi? Je sais que l’on fait valoir que des consultations sont en cours, mais cela fait longtemps qu’elles durent, probablement une vingtaine d’années, voire plus. Cela peut être utilisé. J’aimerais savoir pourquoi ce projet de loi ne traite pas de cette question.
Mme Gull-Masty : Je vous remercie de la question.
Quand j’ai commencé à réfléchir à l’approche de ce projet de loi, j’avais le sentiment que le cas des personnes directement touchées par l’émancipation — 3 500 personnes, possiblement jusqu’à 6 200 personnes — était très clair : l’adoption du projet de loi S-2 remédierait immédiatement à la situation. La question de l’exclusion après la deuxième génération est beaucoup plus complexe. Il y a tellement de variations différentes. Il faut tellement de solutions différentes.
Je suis dans le même bateau. J’ai constaté les effets concrets que pourrait avoir le projet de loi S-2. La question de l’exclusion après la deuxième génération me touche également et je me demande si mes nièces et neveux pourront avoir cet accès.
Ce qui est vraiment important pour moi, c’est que les 300 000 personnes qui pourraient être touchées par le projet de loi S-2, par les solutions à la question de la deuxième génération, bénéficient de la solution appropriée. En tant que nouvelle ministre, je tenais à inspirer confiance aux collectivités qui doivent déterminer à quoi ressemblera leur avenir pour ce qui est d’identifier et d’accueillir leurs membres.
La question de l’exclusion après la deuxième génération est très complexe. Je tenais à m’assurer que cela fait l’objet d’un processus distinct afin de pouvoir régler ces questions en temps opportun.
Ces consultations sont en cours depuis longtemps. Je suis tout à fait disposée à revenir lorsqu’elles seront terminées, à la fin de l’année ou au début de l’an prochain, pour présenter ce qui pourrait être, à mon avis, la voie à suivre. Je pense que nous devons réaliser ce travail essentiel.
Le sénateur Francis : Bienvenue, madame la ministre. Je suis également né sous le régime de la Loi sur les Indiens. Nous comprenons donc tous les deux d’où vient notre position au sujet de la limite prévue au paragraphe 6(2). Cela doit être réglé.
Je suis préoccupé, après lecture des fiches de données publiées par Services aux Autochtones Canada, ou SAC, par les répercussions démographiques de l’exclusion après la deuxième génération. Je vais vous donner un exemple : à l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons une population d’environ 1 500 Mi’kmaqs, dont 40 % — environ 600 — sont inscrits en vertu du paragraphe 6(2). Cela signifie que près de la moitié de notre population ne pourra pas transmettre le statut aux générations suivantes. Cela inclut aussi mes petites-filles. Cela signifie qu’elles n’auront pas accès aux droits, avantages et services correspondants. Si la question de l’exclusion après la deuxième génération n’est pas réglée d’ici quelques décennies, les Premières Nations de l’Île-du-Prince-Édouard seront pratiquement éradiquées. C’est très grave.
Madame la ministre, comment le gouvernement du Canada peut-il justifier le maintien de dispositions d’absence de responsabilité pour se soustraire à ses obligations — malgré les appels répétés d’organismes nationaux et internationaux, notamment le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et notre comité — d’offrir réparations financières en dédommagement des préjudices profonds et à long terme causés à de multiples générations par le caractère discriminatoire inhérent des dispositions d’inscription de la Loi sur les Indiens?
Mme Gull-Masty : Je vous remercie de la question.
En tant qu’Autochtone, il m’est difficile de dire que nous vivons dans un pays où nous sommes le seul groupe de personnes dont l’identité est régie par une loi. Il m’est difficile de le dire. Je suis fière de pouvoir dire que je suis en mesure de régler ce problème pour de nombreuses personnes — jusqu’à 6 200 — grâce au projet de loi S-2. Je veux régler la situation le plus rapidement possible pour ce groupe.
Je sais également que l’exclusion après la deuxième génération a entraîné de nombreux cas de discrimination. Je pourrais parler des enfants de ma propre collectivité qui ont été victimes de discrimination parce qu’ils n’avaient pas le droit de participer à certaines activités en raison de cette loi. Cependant, je sais aussi que la solution est complexe. Je veux m’assurer d’arriver à la meilleure solution pour tout le monde. Quant à la forme que cela pourrait prendre, les scénarios sont nombreux. Je pense que ce sera un défi que nous — le gouvernement actuel, à ce moment-ci — pourrons relever.
Je suis ici pour réaffirmer mon engagement devant ce comité. Je suis déterminée à trouver cette solution, la bonne solution, pour éviter d’attiser ou d’accroître la discrimination, ou de créer de nouvelles formes de discrimination en raison de l’exclusion après la deuxième génération.
En ce qui concerne les responsabilités, c’est une discussion plus vaste. Il faut y réfléchir. Je suis disposée à participer à ce processus également. Je tiens toutefois à souligner l’importance et le caractère essentiel du projet de loi S-2, et j’espère que nous pourrons aborder cette question dans le cadre des travaux que nous accomplissons ici.
Le sénateur Francis : Je tiens à déclarer publiquement que j’appuie le projet de loi S-2. J’aimerais qu’il aille plus loin.
La sénatrice White : Madame la ministre, merci d’être ici. C’est un honneur de vous compter parmi nous et de voir une femme autochtone occuper ce rôle.
J’appuie sans réserve cette mesure législative. Ma question porte sur la mise en œuvre du projet de loi. Je m’exprime du point de vue de Terre-Neuve, où nous avons la Première Nation Qalipu, dont plusieurs membres sont inscrits alors que, d’après la communauté, ils ne devraient pas l’être. La préoccupation sur le terrain est qu’on nous efface en nous remplaçant parce qu’il y a des membres inscrits.
Ma question est la suivante : comment pouvons-nous garantir la mise en œuvre de ce projet de loi afin que les bonnes personnes soient admissibles à la radiation, à la réinscription et au transfert de bande? Je suppose que je veux savoir comment nous pouvons garantir la mise en œuvre pour éviter une autre situation comme celle de la Première Nation Qalipu.
Mme Gull-Masty : Je pense que le projet de loi S-2 examine le processus historique des personnes sur le registre qui ont perdu leur statut. Il faut beaucoup de travail pour non seulement identifier ces personnes, mais aussi pour les préparer et accorder la reconnaissance. Les communautés ont aussi du travail à faire. Elles doivent déterminer comment elles vont accueillir ces membres.
Dans certains cas, je suis certaine qu’il y a des exemples où ces membres sont reconnus. Ils vivent en communauté. Certains vivent probablement en dehors de la communauté. Qu’est-ce que cela signifie pour l’administration locale et comment réagira‑t‑elle à cette nouvelle responsabilité qui lui incombe?
Cet été, j’ai rencontré de nombreuses communautés qui m’ont posé la même question. En fait, j’ai rencontré un chef qui m’a parlé de l’intégration de 700 nouveaux membres et de toute la pression que cela exerçait sur lui. Nous avons pris cet engagement. C’est à la communauté de s’occuper de la mise en œuvre. J’espère que le projet de loi S-2 nous permettra de répondre aux besoins des communautés et de cerner rapidement ce qu’elles souhaitent faire pour répondre à votre question.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue. C’est merveilleux d’accueillir une nouvelle ministre et certains témoins que nous connaissons bien en raison d’interactions passées.
Ma question porte sur ce qui ne figure pas dans le projet de loi. Il renvoie à 2019 et au projet de loi S-3. Plusieurs d’entre nous autour de cette table ont traversé ce processus. On nous a catégoriquement dit à l’époque que tout était réglé, que la discrimination fondée sur le sexe avait été éliminée. Et nous voilà aujourd’hui.
Ma question est la suivante : quel est le délai prévu pour régler les questions de la règle d’exclusion de la deuxième génération et de la date limite de 1985 dans le cadre du processus de consultation? Avec tout le respect que je vous dois, nous avons déjà vu ce scénario.
Mme Gull-Masty : Merci. L’information que mon ministère m’a fournie est que la règle d’exclusion de la deuxième génération mobilise actuellement 90 organisations des Premières Nations dans tout le pays qui nous aideront à trouver des solutions concernant cette règle. Je vise à ce que ce processus soit terminé d’ici la fin de l’année, en décembre 2025.
Je vais également mentionner la multitude de consultations qui ont été menées précédemment. Je me réjouis à l’idée de comparaître à ce comité au cours de la nouvelle année pour présenter ce qui, selon moi, sera non seulement le portrait de la communauté dans le nouveau contexte que nous n’avons pas vu dans le dernier scénario, mais aussi l’introduction de processus pour élaborer de nouvelles méthodologies d’identification. Qu’est-ce que cela signifie?
Il est important que, même si cela a été fait auparavant, nous réagissions également à la réalité actuelle des Autochtones au Canada.
La sénatrice McPhedran : Ma deuxième question est la suivante : pourquoi le gouvernement a-t-il inclus des restrictions à l’indemnisation pour discrimination causée par la loi en 1985, en 2010 et dans les modifications de 2017?
Mme Gull-Masty : Cela dépasse un peu mes connaissances. Je vais demander à la sous-ministre de m’aider à répondre à cette question.
Mme Wilson : Je dois savoir ce que vous entendez par « restrictions »? C’est un terme juridique?
La sénatrice McPhedran : Eh bien, en ce qui concerne l’indemnisation, on limite la capacité de demander une indemnisation pour avoir été victime de discrimination.
Mme Wilson : Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit qui empêche un futur règlement négocié si des personnes subissent des préjudices.
La sénatrice McPhedran : Dans la loi.
Mme Wilson : Oui. Cela nous ramène à la disposition sur l’exonération de responsabilité qui figurait dans la mesure législative précédente. Elle vise essentiellement à protéger les Premières Nations et le Canada contre toute responsabilité, mais, comme je l’ai dit, la disposition ne devrait pas empêcher un règlement négocié si, en fait, des personnes subissent des préjudices.
La sénatrice McPhedran : À titre de précision, vous pensez qu’il s’agirait d’une demande d’indemnisation en vertu de la loi? Ou y a-t-il un autre processus?
Mme Wilson : Ce serait probablement en dehors de la loi.
La sénatrice Pate : Bienvenue aux témoins. Félicitations, madame la ministre, pour votre portefeuille.
À l’instar de la sénatrice McPhedran, j’étais ici pour le projet de loi S-3. L’engagement a été clairement pris que cela ne se ferait peut-être pas dans le cadre de cette loi, mais que cela se ferait certainement bientôt.
Le Canada s’est engagé auprès des Nations unies dans le cadre de la CEDAW de mettre un terme à la discrimination d’ici 2026.
Vous avez dit que les consultations se poursuivront. En juin, les fonctionnaires ont fait savoir que les consultations se poursuivront, au moins jusqu’à l’automne.
Un grand nombre d’organisations et de peuples des Premières Nations ont exprimé de vives préoccupations quant au fait que ces mesures progressives obligent les gens à retourner sans cesse devant les tribunaux. Les gens n’ont pas beaucoup de ressources. Les communautés et les familles n’ont pas beaucoup de ressources et sont censées continuer à se battre pour obtenir ces mesures très modestes, parfois progressives.
Il est très clair que la Charte exige cette égalité, et il ne s’agit pas de savoir si, mais comment cette discrimination sera éliminée.
Seriez-vous ouvert à l’idée d’apporter des amendements à cette mesure législative pour qu’elle fasse ce que le gouvernement s’est engagé à faire?
Mme Gull-Masty : À titre de précision, vous parlez plus particulièrement de la deuxième génération?
La sénatrice Pate : Oui.
Mme Gull-Masty : Pour être honnête, j’aimerais pouvoir dire que je suis ouverte à cette idée. En réalité, je pense qu’il est de mon devoir, en tant que ministre, de protéger ce que cela pourrait offrir aux 6 200 personnes qui attendent et qui auraient une réponse immédiate, simple et directe de rétablissement.
Je suis cependant tout à fait disposée à dire que je m’engage pleinement à travailler sur la règle d’exclusion de la deuxième génération. C’est un aspect très important de cette discussion. Je pense que pour protéger l’intégrité des personnes visées par le projet de loi S-2, tout en étant conscient que je dois respecter une date limite imposée par la cour, il ne faut pas les faire attendre plus longtemps que les 10 années qu’elles ont déjà passées à attendre. Nous devons revenir au début de l’année prochaine, en tenant compte du contexte unique d’une personne autochtone, et montrer les dommages causés par la règle d’exclusion après la deuxième génération.
La sénatrice Pate : Je ne doute aucunement de votre sincérité. Le problème, c’est que nous attendons depuis longtemps déjà et que l’engagement a été pris il y a plus de 10 ans. Pour que les choses avancent, il faudra une autre procédure judiciaire et une nouvelle décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ou une décision de la CEDAW. À mon avis, il serait bien plus avantageux pour le gouvernement de prendre une décision maintenant plutôt que de continuer à se battre devant les tribunaux et à devoir verser des indemnités.
Mme Gull-Masty : Je crois fermement qu’en tant que ministre, je dois m’occuper des personnes qui ont intenté une action en justice pour obtenir une réponse sur ce que le projet de loi S-2 peut leur offrir. J’espère que les engagements que j’ai pris, les discussions que j’ai eues, ainsi que les relations que j’entretiens avec les communautés des Premières Nations dans tout le Canada, les inciteront à s’engager et à travailler avec moi.
Je tiens à faire passer le message qu’il n’est pas nécessaire de trouver des solutions pour les peuples des Premières Nations devant les tribunaux. Nous pouvons leur faire confiance, travailler avec eux et nous laisser guider par eux pour trouver des solutions qui répondent directement à leur réalité et à ce que cela signifie d’être titulaires d’un statut.
Le sénateur Tannas : Madame la ministre, merci. J’ai écouté attentivement ce que vous avez dit. La règle d’exclusion de la deuxième génération est une préoccupation pour bien des gens. J’ai trois petits-enfants qui font partie de la troisième génération et qui ne profitent d’aucun avantage. C’est donc pour moi une question qui me touche personnellement.
De plus, je siège au comité depuis assez longtemps pour avoir entendu dire que l’expansion de la règle d’exclusion de la deuxième génération ne fait pas l’unanimité, qu’il existe, comme vous le dites, des complications qui rendent la tâche difficile.
J’ai entendu ce que vous avez dit, à savoir que vous voulez proposer des solutions potentielles. C’est merveilleux. Vous n’êtes pas la première personne qui nous dit cela. Vous avez un point de vue différent et je respecte cela.
Estimez-vous qu’il est tout aussi important que, si votre gouvernement n’arrive pas à trouver une solution, vous le direz clairement, au lieu de répéter sans cesse que la solution va arriver? Après un certain temps, les gens qui espèrent doivent passer à autre chose. Ce pourrait être la meilleure chose que vous puissiez faire, malheureusement. Vous engageriez-vous à dire clairement, lorsque vous comparaîtrez à nouveau devant nous, que vous ne voyez pas de solution possible pendant le mandat de ce gouvernement?
Mme Gull-Masty : Dans le cadre de tous mes engagements auprès des communautés des Premières Nations, j’ai adopté une approche personnelle selon laquelle il faut être honnête sur ce que l’on peut faire et sur ce que l’on ne peut pas faire en tant ministre.
Nous avons notre propre échéancier au gouvernement. Je m’engage pleinement à m’assurer de mettre en œuvre la question de la deuxième génération comme solution autonome, même si c’est très complexe. Je peux m’en occuper. Si je ne peux pas le faire, je le dirai très honnêtement et très franchement.
Je crois sincèrement et j’ai confiance que les communautés des Premières Nations avec lesquelles j’ai travaillé dans le cadre de cette fonction et d’autres fonctions antérieures savent ce qu’elles veulent faire. Si elles peuvent me faire confiance en tant que ministre pour leur offrir cette solution, j’espère que le Sénat pourra m’offrir la même chose.
Le sénateur Tannas : Vous avez mentionné indirectement la technologie et l’identité. Ce sont des sujets sur lesquels j’aimerais en savoir plus, le degré de sang, la technologie et toutes ces questions. Il y aussi le fait qu’au fil du temps, nous avons toujours entendu parler de la tenue des registres qui change les gens de catégories. Considérez-vous ce type de technologie comme étant une mesure de protection infaillible ou une solution de rechange permettant à une personne de se présenter et à dire qu’elle mérite et a besoin d’être reconnue?
Mme Gull-Masty : Je dirais que le calcul du degré de sang selon le pourcentage de votre identité ne correspond pas à ce que mes aînés m’ont enseigné. La communauté et l’endroit où se trouve votre famille, vos connaissances et vos liens avec votre territoire, vos ancêtres, votre langue et votre culture sont des éléments complexes. C’est une approche à plusieurs volets.
Ce serait très colonialiste de ma part de dire qu’il n’y a qu’une seule solution. Nous comptons plus de 50 nations au pays. Chacune d’elles a son identité, sa culture, sa langue, ses processus et sa méthodologie qui lui sont propres pour maintenir la cohésion de la communauté et accueillir les gens. Nous devons vraiment avoir confiance en cela.
Nous devons changer notre façon de penser et faire confiance aux communautés pour identifier qui sont ses membres et qui ne le sont pas.
Le sénateur Tannas : Quelle est donc la technologie dont vous parlez?
Mme Gull-Masty : La technologie permet aux communautés d’avoir la capacité de le faire et de communiquer comment elles veulent s’y prendre. C’est ouvert. Il n’y a pas qu’une seule forme.
Le sénateur Tannas : Merci.
Mme Gull-Masty : Je vous en prie.
La sénatrice Martin : Bonjour, madame la ministre. Je suis la porte-parole de ce projet de loi. Je ne suis plus membre de ce comité, mais je suis ravie d’être de retour à cette table pour entendre ce que vous avez à dire.
Je sais que le rapport de la vérificatrice générale de juin dernier a révélé que plus de 80 % des demandes de statut traitées par Services aux Autochtones Canada ont pris plus de six mois et qu’il y a actuellement près de 12 000 demandes en attente.
En prévision de l’adoption de ce projet de loi et des 6 200 personnes qui seront concernées par ce processus, je ne sais pas quels plans vous avez élaborés ou êtes en train d’élaborer, ni quelles sont vos préoccupations concernant cet arriéré.
La vérificatrice générale a découvert que le délai moyen de décision de SAC pour les demandes d’inscription était de près de 16 mois, plus du double que le délai de référence. Ces faits sont très préoccupants. Je voulais savoir ce qui est prévu pour se préparer à l’adoption potentielle de ce projet de loi.
Mme Gull-Masty : Merci. Je vous suis reconnaissante de la question. C’était au moment où j’ai reçu le rapport de la vérificatrice générale. Elle m’a posé exactement les mêmes questions.
Ma question à la vérificatrice générale était la suivante : comment le rapport reflète-t-il la réalité? Nous devons nous rappeler qu’à l’époque où ce rapport a été rédigé, la pandémie de COVID-19 faisait rage. Les gens ne quittaient pas leur domicile, n’étaient pas dans les bureaux ou ne traitaient pas de documents. Pour ajouter à la difficulté de la situation pendant la pandémie de COVID, les employés provinciaux ne fournissaient pas de documentation ou n’étaient pas au bureau pendant de longues périodes.
Lorsque vous présentez une demande pour obtenir une carte de statut ou pour être inscrit, vous devez fournir des documents provinciaux comme le certificat de naissance. S’il n’y a personne au bureau pour traiter ces demandes, la personne doit alors attendre. Elle se rend à SAC. Malheureusement, j’ai dû assumer la responsabilité d’expliquer pourquoi le délai était plus long que d’habitude, mais j’ai trouvé que le rapport omettait cette réflexion dans son analyse. C’était la question que j’ai posée à la vérificatrice générale. J’ai été reconnaissante qu’elle réponde : « Non, nous n’avons pas pris ce facteur en considération. »
Je sais que la norme de service est de six mois. En tant qu’Autochtone, je trouve que c’est très long. C’est pourquoi j’ai mis ma sous-ministre et son équipe au défi de s’assurer qu’à l’avenir, nous adoptons une approche à guichet unique et nous réalisons une analyse sur la façon de mettre en œuvre des mesures en temps opportun. Mon rêve et mon objectif ultime sont de faire en sorte que vous puissiez obtenir votre carte de statut aussi rapidement que vous pouvez obtenir votre passeport. Il n’y a aucune raison pour que ces mesures ne soient pas mises en place. Attendons de voir où nous en serons à la fin de mon mandat pour nous assurer que nous répondons à cette attente.
La sénatrice Martin : J’ai également traité avec IRCC et, pour les visas et permis d’études, cela peut parfois prendre beaucoup plus de temps. J’espère que le gouvernement se penche sur ces retards à tous les niveaux.
Vous êtes évidemment au courant. Dans ce même rapport, il y a une autre préoccupation concernant les décideurs et l’absence de certification ou de formation documentée au moment de la décision.
Pour ce qui est du personnel et des qualifications requises pour évaluer correctement les demandes, avez-vous des préoccupations à ce sujet, ou cette question a-t-elle également été abordée?
Mme Gull-Masty : Je vais demander à ma sous-ministre de m’aider à répondre à cette question puisque cela fait partie de son plan.
Mme Wilson : Merci. En réalité, la norme de service que nous proposons est de six mois à deux ans, donc encore plus longue que six mois, car il y a constamment des documents manquants. Parfois, les gens ne répondent pas aux demandes, etc. Nous devrions probablement revoir ce délai, cette norme de service. C’est une chose à faire.
Un certain nombre de mesures ont été prises, notamment la mise à jour de la formation, la certification des administrateurs du registre, l’amélioration de l’assurance de la qualité, la transition du papier au numérique, la réduction des erreurs et l’amélioration des services aux Premières Nations.
Le président suppléant : Merci beaucoup. Veuillez formuler des questions et des réponses concises.
La sénatrice Boniface : Bienvenue, madame la ministre. Nous vous recevons dans ce nouveau poste. Nous sommes ravis de vous voir ici.
J’appuie le projet de loi S-2. Je comprends vos arguments concernant les personnes touchées par ce projet de loi et les autres. Je crois comprendre que si vous parvenez à faire adopter le projet de loi S-2, une partie du processus sera complétée et vous chercherez des solutions pour les autres.
Ma question est la suivante : votre ministère a-t-il la capacité de faire tout cela en même temps, compte tenu notamment des compressions budgétaires qui touchent l’ensemble du gouvernement?
Mme Gull-Masty : Merci. Je tiens à assurer le Sénat que dans le cadre de l’examen exhaustif des dépenses, nous visons des gains d’efficacité et les moyens d’offrir un meilleur service.
Je tiens vraiment à préserver l’intégrité de la manière dont nous fournissons ce service, en veillant à ce que nous soyons en mesure de répondre aux besoins des communautés à haute capacité qui ont accès au numérique, mais aussi à ceux des communautés éloignées, isolées, qui communiquent encore avec nous par fax ou même par téléphone.
En ce qui concerne notre capacité, j’ai déjà demandé à la sous‑ministre de commencer le travail à l’interne pour déterminer comment nous pourrions traiter les demandes en vertu du projet de loi S-2 le plus rapidement possible, et elle souhaitera peut-être élaborer à ce sujet, mais aussi pour examiner les complexités de l’exclusion après la deuxième génération et commencer à se pencher dès maintenant sur une stratégie préventive afin de ne pas ralentir davantage le processus d’inscription.
Parfois, la préparation et la planification peuvent jouer un rôle important. C’est la perspective que j’adopte en tant que ministre, et je pense que c’est celle qui nous permettra de gérer le long processus que représente l’inscription. La norme de service est de six mois à un an. Je suis convaincue que nous devons l’améliorer, car je pense que c’est un domaine dans lequel nous pouvons vraiment obtenir des gains rapides.
Mme Wilson : Notre système contient déjà un certain nombre de demandes relevant du projet de loi S-2. Elles font en fait partie de notre arriéré. Je crois qu’il y en a 1 800 qui sont prêtes à être traitées. Nous ne voulions pas les rejeter, alors nous les avons conservées dans notre arriéré, car dès que la loi sera adoptée, nous pourrons les traiter immédiatement.
Le président suppléant : Nous manquons de temps.
La sénatrice Boniface : Merci.
Le président suppléant : Je vais passer en revue la liste. Le sénateur Moreau sera le prochain, suivi de la sénatrice Clement. J’aimerais aussi essayer de poser une question et terminer avec la marraine.
[Français]
Le sénateur Moreau : Madame la ministre, je n’ai pas de question. Je veux vous remercier d’être ici. Comme vous, je suis nouveau dans mes fonctions de représentant du gouvernement au Sénat et je termine à l’instant une tournée des groupes des sénateurs, qui m’ont dit à quel point ils souhaitaient voir les ministres s’impliquer dans les travaux du Sénat et contribuer à les enrichir.
Madame la ministre, je veux vous féliciter pour la clarté et la franchise de vos propos, de même que votre engagement à trouver des solutions à des problèmes extrêmement complexes. Il est très rare dans la vie politique qu’un ministre puisse lier son parcours personnel aux difficultés et aux injustices que la loi qu’il présente souhaite corriger.
Je veux vous féliciter pour cela et je pense que cette situation renforce encore la sincérité de vos propos, que je vous remercie d’avoir partagé avec les sénateurs.
Mme Gull-Masty : Merci. Je m’excuse, mon français est un peu lent après 17 heures, mais je veux rappeler qu’il est très important de comprendre que oui, je suis une nouvelle ministre dans ce dossier, mais je suis la seule ministre qui est née en étant touchée par ce ministère, comme ancienne Grande Cheffe et aussi comme cliente de Services aux Autochtones Canada. Je suis la seule ministre à avoir une vision intime et experte pour comprendre ce ministère, parce que je suis la première ministre autochtone.
Le sénateur Moreau : Félicitations, madame.
Mme Gull-Masty : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Clement : Tout d’abord, merci madame la ministre de vous être présentée aux élections. Je pense que c’est très important et que, de nos jours, cela est vraiment utile.
Je tiens également à souligner personnellement que vous ne vous contentez pas d’exercer vos fonctions de ministre, mais que vous mettez également à profit votre propre expérience dans vos témoignages. J’ai bien aimé ce qu’a dit le sénateur Moreau à ce sujet.
Ma question porte sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sur le lien entre le projet de loi et la déclaration. Nous rapprochons-nous des objectifs de la déclaration, car ce projet de loi stipule clairement que le gouvernement n’a pas à déterminer l’identité d’une personne. À votre avis, où en sommes-nous par rapport à cet objectif?
Mme Gull-Masty : C’est probablement la question la plus difficile qui m’ait été posée aujourd’hui, car je ne pense pas qu’il existe une date butoir pour atteindre les objectifs fixés par la déclaration, en particulier en matière d’identité. Ce que nous voyons en théorie et ce que nous voyons en pratique constituent en fait un espace d’apprentissage où nous comprenons ce que nous n’avons pas encore accompli.
Je dis cela parce que je pense toujours que nous essayons de nous ajuster à la réalité de ce que signifie l’identité à l’heure actuelle, et ce que l’identité signifiera à l’avenir pourrait être très différent.
Je considère la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme un document vivant. Je considère qu’elle a la capacité de répondre à tous les défis auxquels nous sommes confrontés, tant ceux du moment où le processus a été lancé par les membres de ma propre nation, qui ont contribué à soutenir et à faire avancer la déclaration au sein des Nations unies, qu’à l’heure actuelle et, espérons-le, à l’avenir, dans les décennies à venir.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président suppléant : Juste une petite question de ma part, puis nous passerons à la marraine. Juste une question par curiosité concernant l’exclusion après la deuxième génération. Vous avez indiqué que vous êtes en cours de négociation, je crois, avec 91 nations et organisations.
Qu’est-ce qu’il faut pour aller de l’avant? Quel est le seuil visé? Recherchez-vous un consensus de 100 % ou de deux tiers? À partir de quel moment estimez-vous qu’une position reçoit suffisamment d’appui pour aller de l’avant au sujet de l’exclusion après la deuxième génération? Merci.
Mme Gull-Masty : Pour les communautés elles-mêmes? Nous sommes actuellement en consultation avec 90 groupes. Le ministère dispose d’une mine d’informations sur ce qui a été fait par le passé.
Je viens d’un endroit et d’une nation où nous sommes toujours ouverts à toutes les solutions possibles, sans nous fermer à ce qui pourrait être. Il y a toujours une composante de développement et de participation qui permet aux gens de se joindre à nous lorsqu’ils sont prêts. Je suis la ministre qui a une occasion unique d’aider les communautés à décider ce qu’elles veulent faire, quand le faire, de les aider à se préparer pour s’assurer qu’elles sont en mesure de faire ce qu’elles veulent, et aussi de le faire d’une manière qui reflète très bien leur réalité. Je pense que c’est vraiment très important. Il n’y a pas de consensus sur ce que devrait être le pourcentage ciblé.
Comme je l’ai dit, il y a plus de 50 nations au pays. Il ne faut pas chercher une seule approche concernant l’exclusion après la deuxième génération. Nous devons être vraiment ouverts à des solutions adaptées aux petites communautés de 300 membres et aux communautés qui comptent plusieurs collectivités et plus de 30 000 membres.
Nous devons vraiment prendre le temps de nous assurer d’intégrer cela. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il y ait un pourcentage à atteindre, qu’il ne faut pas viser deux tiers pour trouver la bonne solution. Nous devons être suffisamment ouverts pour créer des solutions, mais aussi avoir une approche qui laisse la porte ouverte à d’éventuelles solutions futures.
Le président suppléant : Merci.
Je donne maintenant la parole à la sénatrice Audette, la marraine du projet de loi.
La sénatrice Audette : Merci. Vous faites un excellent travail.
[Français]
[mots prononcés en innu-aimun] C’est surtout un commentaire pour vos collègues, madame la ministre. On fait l’histoire ce soir. Avec une femme crie, un comité directeur constitué de membres issus des Premières Nations et entourés d’alliés canadiens et canadiennes, on fait l’histoire.
Cependant, on va entendre aussi des histoires difficiles de la part de jeunes filles ou de parents qui ont perdu leur statut ou qui ne l’ont pas retrouvé, en raison de la situation avec le paragraphe 6(2) et la coupure draconienne.
J’invite vos collègues à s’informer dès demain du processus en parallèle qui se déroule. Quand on ne sait pas, on invente un scénario; quand on sait ce qui se passe, on peut comprendre. Est‑ce qu’on accepte? Peut-être pas, mais on peut comprendre que quelque chose se passe. C’est précieux. Je vous invite, ainsi que votre ministère, à communiquer que quelque chose se passe.
Je sais que les projets de loi portent vraiment sur des sujets bien précis, mais il faut aussi réfléchir rapidement sur les effets que cela a au quotidien depuis 40 ans, depuis le projet de loi C-31 et même avant, les effets que cela entraîne et la souffrance que cela a engendrée. Je suis convaincue que dans cet exercice, il y aura des mesures importantes qui viseront à soutenir cette guérison.
Je vous remercie infiniment.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci, madame la ministre, d’avoir partagé votre expérience et votre point de vue sur une question aussi complexe et urgente pour bon nombre de nos concitoyens. Wela’lioq
Honorables collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier la ministre Gull-Masty de sa présence ce soir.
Des voix : Bravo!
Le président suppléant : Si vous souhaitez présenter d’autres observations, veuillez les envoyer par courriel au greffier.
Chers sénateurs, nous allons passer aux questions. Vous disposerez chacun d’interventions de quatre minutes, et je vous ferai signe lorsqu’il restera 30 secondes.
La sénatrice McCallum : L’exclusion après la deuxième génération et l’absence de transmission des droits sont maintenant un problème intergénérationnel. Ces deux facteurs continueront de contribuer à la perte de l’appartenance à la bande natale. Le projet de loi aborde ce problème, mais il en créera de nouveaux. Mes propres enfants sont concernés.
Comment allez-vous gérer cela ? Ils continueront d’être privés de leur droit à leur territoire ancestral. Nous retournons toujours dans la réserve, nous continuons de le faire, mais la loi nous affecte considérablement. Pourtant, le gouvernement a permis aux Métis de s’identifier eux-mêmes et d’avoir plus de droits que ceux qui ont été considérés comme des étrangers aux yeux de la loi. N’est-ce pas là de la discrimination?
Pourquoi l’article 6 n’est-il pas entièrement supprimé, et quel serait l’effet d’une telle suppression? Comme l’a dit la ministre, nous sommes le seul groupe dont l’identité est régie par la loi. Aucun autre pays ne fait cela.
Mme Wilson : Votre question porte donc sur l’article 6, mais je pense que vous…
La sénatrice McCallum : Vous dites que l’appartenance à la bande natale sera clarifiée. Il existe désormais deux articles sur l’appartenance à la bande natale, n’est-ce pas ?
Mme Wilson : Oui. Vous avez également mentionné le fait que cela continue d’être discriminatoire, et je suis tout à fait d’accord pour dire que c’est la loi la plus discriminatoire que j’ai jamais connue.
Je vais toutefois demander à mes collègues de parler directement de l’article 6.
Catherine Lappe, sous-ministre adjointe, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Je commencerai par expliquer le contexte.
Le processus consultatif vise en réalité à déterminer comment nous allons modifier l’exclusion après la deuxième génération, et non pas si nous allons la modifier. Comme l’a mentionné la ministre, la consultation comporte deux volets : le premier consiste à examiner les options à cet égard, et le second à examiner les seuils de vote pour les communautés qui ont pris en charge l’appartenance. Les communautés ont la possibilité de contrôler la définition de l’appartenance — comme vous l’avez souligné, sénatrice McCallum —, mais le défi réside dans l’existence d’un seuil de double majorité. Ainsi, à mesure que de nouveaux membres rejoignent les communautés, mais qu’ils n’en soient pas nécessairement proches ou n’y soient pas attachés, il devient de plus en plus difficile d’atteindre le seuil de double majorité.
C’est pourquoi nous voulions nous occuper des deux aspects ensemble. Comme l’ont souligné le sénateur Prosper et d’autres, il peut être difficile de parvenir à un consensus. L’une des options consiste donc à faciliter la prise en charge de l’appartenance par un plus grand nombre de communautés, ce qui leur offre une option ou un processus parallèle qu’elles peuvent choisir de suivre.
Environ 270 Premières Nations, bandes autonomes et bandes régies par la Loi sur les Indiens, ont actuellement pris en charge leurs listes de bandes, mais nous avons constaté que la croissance a vraiment ralenti; il n’y en a eu qu’une seule nouvelle au cours des dernières années. Il y a donc actuellement un défi à relever.
Nous avons espoir que, en étant capables de traiter ces deux points, des options se profilent. L’une d’entre elles pourrait être que les communautés se manifestent et expriment leur souhait d’une autre approche, comme vous le soulignez, et qu’une modification de la Loi sur les Indiens pourrait ne pas être suffisante. Nous sommes tout à fait disposés à écouter ce que les communautés, les individus et les autres organisations pourraient vouloir proposer.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Madame la sous-ministre, votre réponse concernant les obstacles à l’indemnisation m’a laissé perplexe. Si j’ai bien compris, vous faisiez référence à une procédure qui n’est pas prévue dans la Loi sur les Indiens. C’était en réponse à ma question sur les obstacles prévus dans la loi pour demander une indemnisation pour discrimination.
Pourriez-vous m’expliquer plus en détail ce que vous aviez à l’esprit lorsque vous avez répondu à ma question ?
Mme Wilson : J’ai probablement placé votre question, et celle du sénateur Francis, dans un contexte d’absence de responsabilité. Si j’ai semé la confusion, je m’en excuse.
Je réitère toutefois qu’il n’existe aucun mécanisme dans ce projet de loi ou dans la Loi sur les Indiens permettant d’obtenir une indemnisation. Par « indemnisation », j’entends, encore une fois, un recours collectif, des prestations après coup — ce genre d’indemnisation. Je voudrais simplement clarifier si c’est bien la définition que vous donnez au terme « indemnisation »
La sénatrice McPhedran : Oui, et maintenant, si je vous comprends bien, j’ai besoin d’une clarification : êtes-vous en train de dire que la procédure non prévue par la loi consiste, en fait, en un litige qui doit être engagé par le plaignant?
Mme Wilson : Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne me risquerais même pas à spéculer sur les options disponibles ou les mécanismes qui pourraient être utilisés pour obtenir une indemnisation, comme vous le dites.
Je ne souhaite certainement pas aborder la question sous l’angle d’un litige ou de la poursuite d’un litige. Il y a déjà eu beaucoup de litiges dans ce domaine.
La sénatrice McPhedran : Absolument.
Mme Wilson : Je pense donc que l’idée, à la lumière des solutions proposées et des documents présentés par les 90 organisations, serait un excellent sujet à approfondir. Nous pouvons demander à certains groupes s’ils seraient disposés à se pencher sur cette question.
Le sénateur Francis : Plus tôt dans la soirée, la ministre a déclaré qu’en ce qui concerne l’exclusion après la deuxième génération, elle ne cherche pas une solution unique et figée. Pourriez-vous présenter à ce comité un résumé des solutions possibles qui ont été proposées par les Premières Nations? À quoi ressemblerait une solution qui permettrait une certaine flexibilité?
Mme Wilson : Je peux demander à mes collègues de compléter, mais une solution qui a été proposée par certains groupes consiste en une loi des Premières Nations concernant l’appartenance, la citoyenneté, etc. C’est une solution dont j’ai entendu parler, mais j’imagine qu’il en existe plusieurs autres. Mes collègues connaissent peut-être d’autres solutions qui ont été mises de l’avant.
Lori Doran, directrice générale, Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Merci de votre question.
Nous avons entendu plusieurs solutions possibles. L’une d’elles est la règle du parent unique, communément appelée « juste 6(1)a) ». On a aussi proposé qu’il faudrait peut-être l’existence d’un certain lien avec la communauté. Le critère du sang a aussi été évoqué. Il est utilisé aux États-Unis.
Différentes pistes de solutions ont été suggérées lors de discussions précédentes sur cette question, c’est pourquoi nous devons à nouveau faire des consultations exhaustives afin de comprendre quelle est l’approche préférable et comment elle peut être mise en œuvre pour éviter les conséquences imprévues d’une solution inadaptée.
Le sénateur Francis : S’il existe d’autres solutions que vous n’avez pas mentionnées ce soir, pourriez-vous nous les transmettre par écrit?
Mme Wilson : Nous serions ravis d’aller en ce sens.
Pour reprendre l’argument de Mme Doran concernant les conséquences imprévues, je pense que chaque fois que nous avons modifié la Loi sur les Indiens au cours des dernières années, cela a eu des conséquences que nous n’avions pas prévues. Si nous pouvons mieux comprendre cela cette fois-ci, nous nous efforcerons de le faire.
Mme Lappe : Si je peux me permettre d’ajouter, quelque 90 groupes vont travailler sur différentes options, puis nous serons disposés à revenir dans quelques mois pour vous donner un aperçu des résultats obtenus. L’idée serait d’examiner certaines de ces options sur le plan juridique, puis de réfléchir à la manière de mener une consultation plus large.
Les 90 groupes ne remplissent pas entièrement leur obligation de consultation. C’est l’un des aspects qui nous préoccupent également, car nous avons le devoir de mener une vaste consultation sur cette question. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous essayons de suivre les recommandations du représentant spécial du ministre, ou RSM, sur le processus collaboratif concernant l’enregistrement des Indiens, l’appartenance à une bande et la citoyenneté des Premières Nations, le processus collaboratif et le processus consultatif autochtone, les recommandations qu’ils nous ont faites.
Le sénateur Tannas : J’ai une question pratique. Si une personne inscrite comme 6(2) épouse une personne inscrite 6(2), et qu’ils ont des enfants, leurs enfants seront-ils également inscrits 6(2), ou alors perdront-ils certains avantages sociaux?
Mme Wilson : Nous allons passer à M. Hooft à ce sujet, et essayer de démystifier les différents diagrammes.
Stuart Hooft, directeur, Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus, Services aux Autochtones Canada : Pour répondre à la question, dans un tel cas, l’enfant serait inscrit 6(1)f) si ses deux parents ont eux‑mêmes été inscrits après 1985.
La sénatrice White : Et dans le cas d’un enfant adopté, cet enfant serait-il considéré comme inscrit 6(2)?
M. Hooft : Nous pourrons en discuter ultérieurement au besoin.
Le sénateur Tannas : Il me semble évident que, sans même prononcer le terme « degré de sang », que 50 % de sang autochtone est en quelque sorte le taux visé, n’est-ce pas?
Si une personne à 50 % autochtone se marie avec une personne également à 50 %, leurs enfants pourront bénéficier des avantages en question. Mais si une personne à 50 % de sang autochtone se remarie avec une personne à seulement 25 %, leurs enfants seront alors disqualifiés? Voilà qui est utile. Je vous remercie.
En ce qui concerne les consultations, j’ai deux questions. Premièrement, avez-vous une idée du nombre de ces 300 000 personnes qui vivent réellement au sein de réserves autochtones? Ou en sommes-nous maintenant à un point où plus de 50 % d’entre elles vivent en dehors des réserves, dans les zones métropolitaines? Sommes-nous en train d’ajouter un poids important à l’adhésion en dehors des communautés? Qu’est-ce que cela signifie?
Deuxièmement, la question porte sur « Qu’est-ce que le statut d’Autochtone? ». Ce statut confère certains avantages, n’est-ce pas? Nous avons dit que la Loi sur les Indiens était une chose horrible, alors pourquoi vouloir obtenir le statut? On veut le statut pour les avantages, et on veut l’appartenance pour son histoire. J’essaie de comprendre de quoi il en retourne.
Savez-vous si quelqu’un a fait des calculs pour estimer ce que cela représenterait? Si une population de 600 000 double dans l’espace de la prochaine génération, cela fera un total de 1,2 million de personnes. Quoi qu’il en soit, des calculs financiers sont-ils effectués dans le cadre de cette consultation?
Mme Wilson : Tout d’abord, mon instinct me dit que la majorité de personnes autochtones vit hors réserve. Je vais me tourner vers mes collègues pour voir s’il existe des recherches plus précises à ce sujet.
Je vais répondre à votre deuxième question. En tant qu’Indienne inscrite, les avantages auxquels vous pensez sont, je suppose, l’exonération fiscale, pour laquelle une carte d’exonération fiscale est acceptée, l’éducation postsecondaire, le logement dans les réserves et les prestations de santé non assurées, qui mériteraient d’être examinées. J’imagine que mes collègues ont des précisions à apporter concernant certaines recherches effectuées et certaines données?
Mme Doran : Un peu. Nous disposons de projections démographiques pour deux générations concernant un amendement potentiel « 6(1)a) intégralement » pour la limite de deuxième génération, donc 300 000 personnes ou un peu plus seraient répartis sur 40 ans, en gros.
Environ 20 000 personnes seraient concernées aujourd’hui si la loi venait à changer. Nous n’avons pas fait de projections démographiques au-delà de ce nombre. Je dirais que la démographie constitue tant un art qu’une science en soi. En effet, la croissance serait progressive au fil du temps, car la possibilité de transmettre le statut dans le cadre de cette solution potentielle se poursuivrait à perpétuité.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie.
La sénatrice White : Merci. Ma question s’adresse à la sous‑ministre, une fière Algonquine avec qui j’ai eu le privilège de travailler. Je reviendrai vers M. Hooft pour discuter en aparté de cette question relative à l’adoption de l’article 6(2).
L’article 10 de la Loi sur les Indiens permet aux communautés de contrôler leur composition. Le Canada a-t-il une position à adopter dans ce cas? Le gouvernement fédéral aura-t-il toujours le dernier mot? Je pense plus particulièrement au cas où une communauté refuserait d’accepter quelqu’un ou de transférer son statut de membre.
Mme Wilson : C’est une bonne question et un scénario qui se produit assez souvent. Pour notre part, nous les inscrivons en vertu de la Loi sur les Indiens. Si une bande visée par l’article 10 choisit de ne pas en tenir compte, alors peut-être qu’ils n’auront pas droit à un logement. Peut-être qu’ils n’auront pas accès à l’enseignement postsecondaire. Ils auront accès à des prestations de santé non assurées. Ils pourront probablement bénéficier d’une exonération fiscale grâce à leur carte de statut. Mes collègues ont-ils autre chose à ajouter?
Mme Lappe : J’ajouterais qu’il existe une attente, une exigence, de se conformer à la Loi canadienne sur les droits de la personne, n’est-ce pas? En cas de violation, la solution consiste à saisir les tribunaux. C’est une procédure lourde, coûteuse et difficile à mettre en œuvre pour les particuliers. C’est certainement un aspect qui mérite également une réflexion plus approfondie. Nous recevons des plaintes de personnes qui se sentent laissées pour compte, en particulier lorsque la communauté a bénéficié d’avantages, etc. C’est un élément. Nous nous sommes retirés. Nous ne savons pas si les règles initialement mises en place ont été modifiées par la suite. Cela relève entièrement des communautés autochtones.
La sénatrice White : Il s’agit d’une situation très complexe. Parce que lorsque vous faites partie d’une communauté et que vous venez d’une communauté, vous voulez que cette communauté gère ses membres, ce qui s’avère particulièrement complexe. Ce n’est pas aussi simple que de dire quelque chose comme: « nous contrôlons nos membres, donc vous pouvez nous rejoindre ».
Mme Wilson : Je pense que beaucoup de communautés autochtones ont déjà pris des mesures dans ce sens, en limitant l’accès au logement à ceux qui vivent sur place depuis au moins deux ans, et ainsi de suite. Beaucoup de ces mesures sont déjà en place en raison du sous-financement chronique des réserves.
La sénatrice Pate : Je vous remercie, et j’en profite pour vous souhaiter la bienvenue encore une fois.
Je suis curieuse. Je suis conscience que vous devez respecter certaines échéances assez serrées. Je connais la vérificatrice générale, et nous en avons discuté avec le ministre tout à l’heure.
Je suis curieuse de connaître l’échéancier prévu pour toutes les personnes admissibles à l’inscription en vertu des modifications apportées en 1985, 2010 et 2017, et maintenant du projet de loi S-2. Quel serait, selon vous, l’échéancier prévu?
Mme Wilson : Je vais demander à Mme Doran de prendre la parole à ce sujet.
Mme Doran : Pour remettre les choses dans leur contexte, nous continuons de recevoir des demandes d’inscription au titre du projet de loi S-3 remontant à 2017 et 2019. Dans l’ensemble, nous sommes en phase avec les projections démographiques établies à l’époque. Comme il s’agit d’une démarche volontaire, il n’y a pas de date limite. Il est donc un peu difficile de faire des prévisions.
En fait, la tendance générale correspond à ce que nous avions prévu.
Nous procédons actuellement à l’inscription d’environ 40 000 personnes par an. Le projet de loi S-2, comme cela a été mentionné, aura un impact relativement faible, soit environ 3 500 personnes sur une période de cinq ans. Il s’agit donc d’un nombre relativement faible. Mais s’il y avait une solution au problème de la deuxième génération, le nombre de demandes augmenterait. Les chiffres dépendraient de la solution trouvée.
Monsieur Hooft, souhaitez-vous renchérir sur ce sujet?
M. Hooft : D’après les meilleures estimations démographiques dont nous disposons actuellement, préparées par Statistique Canada, nous prévoyons que la population inscrite passera de 1,1 million aujourd’hui à 1,6 million d’ici 2066, soit environ deux générations, si aucun autre changement ne survient. Cela représenterait environ 25 000 personnes inscrites chaque année d’ici 2066.
La sénatrice Pate : Lorsque le projet de loi S-3 était à l’étude, le gouvernement a essentiellement déclaré qu’il ne souhaitait pas de modifications, mais lorsque celles-ci ont été apportées, il est revenu sur sa décision et a demandé une prolongation.
Le Comité a demandé la fin de cette discrimination d’ici 2023, date qui est bien entendu déjà dépassée. Pourquoi ne serait-il pas judicieux de modifier la loi et de forcer le gouvernement à agir, plutôt que de faire peser une fois de plus la responsabilité sur les personnes les plus affectées et de les obliger à intenter une nouvelle action en justice, comme elles l’ont fait en 1985 et dans toutes les affaires judiciaires précédentes?
Mme Wilson : Ma question est la suivante : Pourquoi ne serait-ce pas une bonne idée?
Mme Lappe : Voilà une double négation.
Mme Wilson : En effet. C’est ce à quoi cette table se heurte actuellement. Je pense que ce que nous recherchons, c’est de pouvoir nous concentrer clairement sur ce projet de loi, puis de nous tourner immédiatement vers la prochaine solution, le prochain projet de loi, et de pouvoir démontrer que nous avons consulté sur la base de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, sur la base d’un certain nombre d’éléments dont nous avons besoin pour remplir notre devoir de consultation. En finançant ces groupes, en récupérant les documents, en obtenant des solutions très rapidement, mais en étant en mesure de revenir rapidement devant le Comité. Pourquoi cela ne serait-il pas une bonne idée? Parce que je pense que nous avons besoin d’entendre ces voix.
La sénatrice Pate : Nous nous connaissons depuis longtemps. J’ai beaucoup de respect pour vous et votre expertise. Dans quelques mois, le tribunal pourrait accorder cela. Une solution permanente pourrait être trouvée sans faire peser le fardeau sur les communautés.
Mme Lappe : Il y a plusieurs éléments à prendre en compte. D’une part, ils attendent déjà. Le calendrier parlementaire nous accordait un délai jusqu’à la fin avril, il pourrait donc être difficile d’obtenir une prolongation.
Nous nous efforçons de respecter le processus que nous avons entrepris. Jusqu’à présent, il s’agit d’un processus collaboratif dans lequel les groupes autochtones eux-mêmes ont fait preuve d’une grande prudence, reconnaissant la complexité de la question et demandant qu’on leur accorde le temps et l’espace nécessaires pour entendre toutes les voix à ce sujet. Nous essayons de refléter cet état de fait, car à l’heure actuelle, nous entendons une diversité d’approches possibles, et les intégrer dans ce projet de loi signifierait en retenir une très rapidement. Il pourrait être difficile d’entendre toute la gamme des voix et des options que les communautés pourraient vouloir proposer.
[Français]
La sénatrice Audette : Maintenant que nous parlons du paragraphe 6(2) et de la coupure vécue par cette génération, j’ai potentiellement des préoccupations par rapport à vos processus de consultation. Je ne me souviens pas des groupes exacts, mais je sais qu’il y a des groupes comme l’Alliance autochtone du Québec, qui n’est pas un groupe ayant des droits comme ma nation innu-aitun, mais qui fait sûrement du bon travail. Je ne sais pas comment on peut considérer leurs propositions sur les façons dont une nation devrait honorer la culture et le droit d’une personne d’être innue, tout en ayant aussi des responsabilités. Ma préoccupation porte sur la légitimité des groupes. Pouvez-vous me rassurer?
Quand on parle de consultation, j’ai entendu des chefs dire qu’on leur offrait 20 000 $ ou 50 000 $, ou qu’ils n’ont pas eu le concours. Comment rêver au meilleur processus de catégorisation de nos membres, comme ceux qui sont à l’extérieur, ceux qui sont ici, ceux qui sont aux études, et cetera? Combien d’argent a été alloué à ces nations? À quel point aujourd’hui une jeune fille de 11 ans risque-t-elle de recevoir une lettre de sa communauté disant qu’on retire sa photo grandeur nature du musée? Elle danse le pow-wow, elle va à l’école dans sa communauté et elle y habite, mais parce qu’elle n’a pas de statut, on va retirer son image et elle n’a plus le droit de danser au pow-wow.
Où vont ces gens pour défendre leurs droits? Comment faire en sorte de protéger le droit de ces petites filles de faire partie d’une nation, peu importe leur statut? Quelle est votre réflexion? On les amène où, non seulement aujourd’hui, mais plus tard? Il ne faut pas simplement leur dire de s’organiser. J’ai une grande préoccupation par rapport à cela. Je trouve cela important. Il faut donner aux communautés les outils nécessaires pour porter plainte et avoir un recours, et ce, avec bienveillance.
Mme Wilson : Je vais essayer de répondre à votre première question. Je me tournerai ensuite vers mes collègues.
Nous sommes très ouverts à recevoir des idées et des propositions de la part d’un grand nombre de nations, pas seulement les 90. Nous sommes ouverts à tout le monde, s’il y en a d’autres, et aux individus également.
Mme Lappe : Parmi le groupe de 90 qui ont soumis une demande, il y a une grande diversité. Oui, il y a des groupes de femmes, mais il y a aussi l’Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones, des Premières Nations et d’autres groupes représentatifs. Voilà pourquoi il est intéressant d’avoir un échantillon de groupes d’intérêt qui veulent s’exprimer et prendre le temps de développer des options. Si on procède rapidement et si on élimine cette phase, ces groupes vont se sentir à l’écart après avoir exprimé un intérêt de trouver des solutions ensemble.
Mme Wilson : Si vous voulez la liste, je peux la partager avec vous.
La sénatrice Audette : J’ai une liste, mais combien ont reçu ces communautés ou ces groupes pour mener cette consultation?
Mme Lappe : C’est une somme assez modeste. Nous sommes en train de la verser, en partie parce que nous tentons d’être assez rapides dans ce processus. Nous savons que vous voulez que nous procédions avec une certaine efficacité.
[Traduction]
La sénatrice Clement : Je tiens d’abord à vous remercier tous d’être ici, et à vous féliciter pour votre travail. J’ai deux questions de fond à vous poser avant de vous laisser la parole.
Je voudrais commencer par citer Mary Jane Hannaburg, une citoyenne originaire de Kanesatake, dans le territoire mohawk. Elle a écrit une lettre au comité, et je tiens à m’assurer que ses propos soient consignés au procès-verbal.
L’enfant du fils de Mme Hannaburg pourra bénéficier de ce statut, mais celui de sa fille n’en aura pas, pour la simple raison que sa fille est née en 1989. Mme Hannaburg dit avoir écrit à maintes reprises au sujet de cette forme de discrimination, et souhaite bien entendu que des mesures concrètes soient prises immédiatement.
En tant que représentants du gouvernement et de la fonction publique, comment comptez-vous rassurer les gens qui ont perdu toute confiance envers nos institutions? Vous apportez de bonnes nouvelles, mais nos concitoyens s’attendent à davantage de mesures concrètes. Comment contribuer à bâtir un lien de confiance avec les communautés autochtones?
Ma deuxième question concerne les langues autochtones. La bonne nouvelle, c’est que des milliers de personnes vont être intégrées à une communauté. Elles pourraient vouloir et avoir besoin des langues autochtones, d’une proximité avec ces langues, qui doivent maintenant être financées. Je sais que cela est financé par le ministère du Patrimoine canadien, mais je me demande quel est le financement prévu pour ces milliers de personnes qui vont se joindre à nous et qui pourraient vouloir se rapprocher de ces langues. Elles ont besoin de financement. Dans quelle mesure vos ministères collaborent-ils efficacement sur des enjeux comme ceux-ci?
Mme Wilson : La personne qui a écrit cela au comité, à vous et à votre région, toute cette question des frères et sœurs est sans doute la partie la plus absurde de ce que nous faisons actuellement. Nous pouvons certainement en parler. Je demanderais à Mme Lappe ou à Mme Doran d’en dire plus à ce sujet.
En ce qui concerne les langues, vous soulevez une bonne question. Nous avons déjà discuté des langues, des langues autochtones et de leur importance. Je pense que certains des programmes offerts par Patrimoine canadien, mais aussi les outils plus accessibles à tous, comme les applications linguistiques, constituent un bon point de départ.
Mme Doran : Je suis tout à fait d’accord que cette situation ne fait aucun sens. Il s’agit d’un problème dont on entend souvent parler, et qui a des conséquences réelles sur les familles. Nous voulons trouver une solution pour remédier à ces torts passés.
La sénatrice Boniface : Je tiens d’abord à remercier nos témoins d’être à nouveau parmi nous. Ma question est d’ordre pratique et porte sur le projet de loi S-2, ainsi que sur les autres enjeux similaires auxquels nous avons consacré beaucoup de temps.
Si je comprends bien, vous dites que nous voulons adopter cette approche parce qu’elle est fondamentalement plus simple. Elle peut être mise en œuvre immédiatement. Le reste est plus complexe, c’est du moins ce que j’ai compris des propos du ministre. Nous devons faire le tri entre les mesures qui me semblent pertinentes.
Au sujet du projet de loi S-2 et de la question soulevée par la sénatrice Pate concernant la prolongation du mandat de la cour, en revenant sur cette question et en demandant une prolongation, vous êtes-vous engagé auprès des communautés à essayer de faire adopter le projet de loi S-2 en premier lieu?
Ce que j’essaie de savoir, c’est la chose suivante: est-ce que les communautés autochtones souhaitent que nous adoptions d’abord le projet de loi S-2?
Mme Wilson : Je dirais qu’il y a eu un engagement explicite et transparent de commencer par le projet de loi S-2. C’est de notoriété publique. Il y a même eu une déclaration pas plus tard qu’aujourd’hui.
La sénatrice Boniface : La question que je me pose est la suivante : est-ce réellement ce que veulent les communautés? Est-ce bien ce qu’elles espèrent? Il est important que le comité le sache.
Mme Wilson : Ce sujet a certes été abordé dans bon nombre des consultations précédentes. En effet, nous avons constaté une certaine cohésion autour de ce thème précis, comme vous le dites.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie.
La sénatrice McPhedran : Je vais revenir à notre conversation précédente et vous demander de fournir, si possible, une réponse par écrit.
Oui, il y a effectivement des dispositions sur l’exonération de responsabilité datant de 2010 et 2017 — il s’agit de deux amendements, sauf erreur —, ce qui semble assez scandaleux. On m’a dit qu’il existe une autre façon de présenter des demandes d’indemnisation pour discrimination. Voilà pour la première partie de ma question. Si le comité pouvait recevoir cette information par écrit, je vous en serais reconnaissante.
J’en viens à la deuxième partie de ma question : faisons ensemble un petit voyage dans le temps. Disons qu’à la fin de l’année, la ministre nous dit qu’elle a l’intention de conclure ce processus. Que se passera-t-il si vous n’obtenez pas de consensus clair à l’issue des consultations menées auprès des 90 groupes? Avez-vous envisagé ce scénario et les mesures à prendre le cas échéant? Avec tout le respect que je vous dois, l’absence de consensus ne saurait justifier l’inaction du gouvernement.
Mme Wilson : Nous serons heureux de vous fournir une réponse par écrit en ce qui concerne la responsabilité, l’indemnisation et les autres mécanismes. Nous ferons un suivi auprès du comité à ce sujet.
En ce qui a trait au consensus — comme l’a révélé la discussion avec la ministre lorsqu’elle était ici —, si je me fie à mon expérience, ayant participé à une foule de consultations, je dirais que c’est chose rare que d’obtenir un consensus, n’est-ce pas? Une autre question portait sur le seuil. Il revient aux ministres, aux politiciens et aux parlementaires d’évaluer également ce qui constitue le seuil approprié.
La ministre Gull-Masty a affirmé que certaines de ces solutions doivent venir des nations elles-mêmes, et elle a mentionné 50 nations. Elle voudrait pouvoir aller de l’avant en ayant l’appui majoritaire de ces nations.
Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de solution permettant de lutter contre la discrimination. Nous n’avons pas encore mené de consultations. Nous n’avons pas encore trouvé ces idées ni ces propositions.
La possibilité de présenter ce projet de loi permet de sensibiliser davantage les gens partout au pays à ce qu’est la règle d’exclusion après la deuxième génération. Je constate clairement que certains groupes souhaitent emprunter cette voie, alors que d’autres ne le souhaitent pas, et beaucoup d’autres ne sont pas au courant de cette problématique au cœur de nos discussions quotidiennes.
Le fait de pouvoir mettre cette question à l’avant-plan permettra de faire ressortir une diversité de points de vue provenant de nombreuses nations.
Quand vous dites « communauté des Premières Nations », il existe toute une série de définitions. Lorsque la ministre Gull‑Masty a pris la parole, elle a parlé d’une quinzaine de nations : les Haïda, les Cris, etc. À cela s’ajoutent quelque 630 communautés des Premières Nations qui sont également des nations.
La sénatrice McPhedran : Vous êtes déjà presque certaine que ce processus de consultation ne débouchera sur aucun consensus. Cela pourrait donc expliquer l’absence de mesures supplémentaires prises par vous — pardon, je veux dire par le gouvernement. Permettez-moi de revenir aux questions posées par la sénatrice Pate, la sénatrice McCallum et moi-même. Combien de fois allons-nous tourner en rond et répéter ce scénario avant que la situation ne soit bel et bien rectifiée?
Pourquoi ne pas opter pour une solution globale dès maintenant?
Mme Wilson : Pourquoi ne le ferions-nous pas? Là encore, c’est une question à double négation à laquelle il est difficile de répondre.
Quoi qu’il en soit, le très court processus de collaboration que nous tiendrons au cours des prochains mois nous apportera certaines perspectives, et il est important d’entendre ces points de vue. Le comité voudra peut-être entendre des témoins et recueillir certaines de ces perspectives; vous le ferez probablement. Il est important que nous comprenions tous qu’il y aura une multitude de points de vue. Je ne suis pas en mesure de dire si un gouvernement ira de l’avant ou non dans certains de ces dossiers. Je suis certainement ici pour informer les parlementaires et les ministres des options qui s’offrent à nous.
Je crois avoir entendu un engagement clair de la part de la ministre, qui a dit vouloir aller de l’avant et proposer quelque chose. Nous avons une ministre qui est prête; quant au gouvernement, c’est une autre affaire.
Mme Lappe : Si je peux me permettre, encore une fois, l’idée de jumeler cette disposition avec les changements apportés aux seuils de vote prévus à l’article 10 permet de favoriser le soutien ou la complémentarité. Si jamais les collectivités estiment que l’approche ayant le plus d’appui ne leur convient pas — parce qu’elles sont petites ou situées dans un centre urbain, où elles seraient soudainement appelées à fournir des services qu’elles ne peuvent offrir, ou parce qu’elles ont besoin d’une période de transition —, il leur sera alors plus facile d’assumer le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs, car le seuil de double majorité leur rend la tâche très difficile à l’heure actuelle.
Nous essayons donc de permettre ces deux voies parallèles puisque, au bout du compte — pour revenir à ce que vous et d’autres avez souligné plus tôt —, nous voulons cesser d’avoir à définir l’appartenance et à jouer le rôle de registraire. Il s’agit de permettre à plus de communautés de s’y prendre de manière plus simple, et j’espère que nous encouragerons un plus grand nombre d’entre elles à adopter leurs propres règles d’appartenance.
Le président suppléant : J’aimerais enchaîner avec une question pour faire suite précisément à ce que vous venez de mentionner au sujet du lien entre l’exclusion après la deuxième génération et le seuil de vote pour l’appartenance. Lorsque vous parlez des membres ayant un droit de vote et du seuil qui s’y rattache, comment l’appartenance et le seuil de vote permettent‑ils d’accueillir un plus grand nombre d’Indiens inscrits dans la communauté?
Mme Lappe : À l’heure actuelle, comme la population est en pleine croissance, dans bien des cas, les communautés ont beaucoup de mal à obtenir le seuil de double majorité, ce qui fait qu’il leur est plus difficile d’assumer le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs. Dans certains cas, elles ne veulent même pas essayer, car c’est un défi trop important.
Qu’elles choisissent de régler la question de l’exclusion après la deuxième génération en adoptant la même approche ou qu’elles le fassent au moyen d’autres approches, le projet de loi leur donne la souplesse nécessaire pour procéder de la manière qui leur convient si elles établissent elles-mêmes leurs conditions d’appartenance.
En fait, ce que nous aimerions entendre davantage, ce sont les témoignages des communautés ayant déjà appliqué leurs propres règles d’appartenance et ceux des nations autonomes, entre autres, pour savoir ce qui a fonctionné, ce qui a posé problème, comment elles ont dû s’y préparer, et cetera.
Le président suppléant : Pour faire suite à ma question, je pense à l’appartenance en vertu de la Loi sur les Indiens par opposition à celle aux termes d’un traité moderne. Dans ce cas, les nations peuvent s’entendre sur la composition de leurs effectifs, mais elles ne peuvent pas décider unilatéralement qui peut être considéré comme un membre inscrit, n’est-ce pas?
Mme Lappe : En effet, mais elles peuvent déterminer l’appartenance à leur communauté. Ces gens pourraient quand même être inscrits, sans nécessairement être membres de leur communauté.
Le président suppléant : D’accord. Je vous remercie.
La sénatrice White : Je tiens à clarifier ce point. Quand vous dites qu’ils pourraient être inscrits, est-ce en vertu de la Loi sur les Indiens ou au sein de leur communauté?
Mme Doran : Une personne est inscrite, et si la nation à laquelle elle est affiliée est visée par l’article 11, elle est automatiquement ajoutée à la liste des membres de la bande parce que c’est le ministère qui détient cette liste.
En revanche, si une personne est inscrite et affiliée à une bande aux termes de l’article 10, elle doit présenter une demande d’appartenance à cette bande, et cette demande est évaluée en fonction du code d’appartenance de la bande. La personne est alors...
La sénatrice White : Je vois. Je connais bien l’article 10. J’avais mal compris.
Le président suppléant : Cela m’inquiète d’entendre que l’assouplissement de la règle d’exclusion après la deuxième génération pourrait rendre admissibles, je crois, 300 000 Indiens inscrits de plus. Je ne m’oppose certainement pas à ce qu’un plus grand nombre de membres des Premières Nations soient admissibles. Comment conciliez-vous cela avec la directive du premier ministre demandant aux ministères de réduire les budgets de 15 % au cours des trois prochaines années? Comment allez-vous faire adopter un projet de loi visant à corriger cette situation, alors qu’il entraînera une augmentation des coûts? Nous parlons ici d’une ministre face à l’ensemble du Cabinet. Comment envisagez-vous de procéder dans un contexte où le gouvernement cherche à réduire les dépenses, alors que nous savons tous qu’il faut plus d’Indiens inscrits et donc plus de services?
Mme Wilson : C’est assurément une question qu’il vaudrait mieux poser au gouvernement, mais je peux certainement dire que nous, les fonctionnaires, ne savons pas encore quelles compressions notre ministère peut et veut faire à la suite de l’examen des dépenses. Ces décisions n’ont pas encore été prises.
J’ajouterai qu’à titre de sous-ministre, je dois réaffecter des ressources ou mobiliser du personnel pour répondre à une augmentation soudaine des besoins dans une région donnée. Il y a eu des incendies tout au long de l’été, et j’ai dû envoyer des gens sur place.
Pour ce qui est de la Loi sur les Indiens, c’est au cœur de notre mandat, et nous devons nous conformer à notre propre loi. Les obligations juridiques constituent certes une priorité pour le ministère.
Le président suppléant : Je vous remercie.
La sénatrice Audette : Il s’agit simplement d’une précision. Après 1985, les communautés pouvaient choisir l’article 11 ou l’article 10, mais certaines d’entre elles — comme celle d’Odanak — avaient adopté une approche très ouverte en disant : « Voici comment nous voulons reconnaître et honorer nos membres. » Elles les ont donc reconnus comme membres, mais pas Ottawa. Ces personnes étaient des membres, sans toutefois être inscrites.
Il est très important de ne pas oublier non plus cet aspect. Je voulais simplement apporter cette petite précision.
Mme Wilson : Je crois qu’il y a un certain nombre de communautés comme celle-là qui ont accepté des personnes non inscrites ou même non autochtones.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie. Lorsque vous demandez aux bandes d’invoquer l’article 10, ce qui se passe, c’est que ce sont maintenant les Premières Nations qui vont légiférer... Le gouvernement ne fait que refiler ce problème aux Premières Nations, comme dans le cas des projets de loi C-91 et C-92. Ces deux projets de loi nous posent tellement de problèmes. Or, on demande maintenant aux Premières Nations de trouver des solutions, et on ne fait que leur imposer davantage de problèmes.
On parle ensuite d’analyses sanguines. Je n’ai jamais vu quelqu’un procéder de la sorte pour déterminer le degré de sang. On ne le fait pas pour les Métis, alors je ne sais même pas pourquoi cette question est soulevée. Un des groupes que nous avons rencontrés nous a dit que, pour faire partie de sa communauté, les gens doivent y vivre pendant trois ans avant d’être acceptés.
Qu’adviendra-t-il des revendications territoriales maintenant que tout est en suspens? Plus une communauté compte de membres, plus elle a droit à des terres, et tout le monde revendique déjà ces terres. C’est discriminatoire. Il y a une discrimination qui découle d’un sous-financement historique délibéré.
Pensez-vous que les Premières Nations hésitent en raison d’un manque de ressources? Si des garanties concrètes étaient offertes — notamment en matière de financement —, ce serait tout simplement équitable. Voilà tout pour le moment.
À mon avis, la conversation que nous avons en ce moment semble mener tout droit à la catastrophe. Ce n’est qu’un autre exemple de ce que je considère comme un crime contre l’humanité.
Mme Wilson : Je vous remercie. En ce qui concerne votre premier argument, c’est-à-dire le fait de refiler les problèmes aux communautés, c’est effectivement quelque chose que j’entends tout le temps. C’est une perception bien réelle.
En ce qui a trait au degré de sang, chaque fois que quelqu’un soulève cette question, il reconnaît aussitôt que ce n’est pas une bonne idée. C’est un sujet qui revient souvent, puis qui est rapidement écarté. Je ne sais pas ce qu’il en est des nouvelles technologies ou autres, mais cette idée existe bel et bien.
Pour ce qui est du sous-financement, il y a actuellement des litiges liés au sous-financement chronique de nombreux programmes. Je le mentionne à titre d’information.
Quant à l’aspect financier, je ne suis pas convaincue que ce soit uniquement une question d’argent à l’échelle locale. Je me souviens d’avoir assisté à une réunion de bande lorsque j’étais une jeune femme dans ma communauté, et je vous jure que les questions liées à l’identité étaient très explosives — les gens racontent que des bagarres éclataient parfois en pleine réunion de bande. Pour autant que je me souvienne, ce n’était pas l’argent qui était en cause, mais plutôt la question de l’identité et de l’appartenance.
Le président suppléant : Chers collègues, c’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Je tiens à vous remercier tous encore une fois de votre présence parmi nous aujourd’hui. Prenons le temps, s’il vous plaît, de remercier tout le monde d’avoir été là.
Des voix : Bravo!
Le président suppléant : Si vous souhaitez présenter d’autres observations, veuillez les envoyer par courriel au greffier. Voilà qui met fin à notre réunion d’aujourd’hui.
(La séance est levée.)