LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
La sénatrice Margo Greenwood (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonsoir à tous. Tansi. Avant de commencer, j’invite les sénateurs ainsi que les autres participants présents en personne à consulter les fiches déposées sur les tables pour prendre connaissance de quelques consignes. Ces consignes visent à prévenir les incidents acoustiques. Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Si vous ne l’utilisez pas, déposez votre oreillette à l’envers sur l’autocollant apposé sur la table à cet effet. Merci de votre coopération.
Je rappelle que nous nous réunissons ce soir sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe, où vivent aujourd’hui plusieurs autres peuples des Premières Nations, métis et inuits de l’île de la Tortue.
Je suis la sénatrice Margo Greenwood. Je suis une Nêhiyaw, originaire du territoire visé par le Traité no 6, aujourd’hui appelé le centre de l’Alberta. Je suis la vice-présidente du comité des peuples autochtones.
Je rappelle à mes honorables collègues que lors de notre première réunion publique la semaine dernière, la sénatrice Michèle Audette, la présidente élue du comité et marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude afin de préserver sa neutralité. Le sénateur Prosper a gracieusement occupé le fauteuil la semaine dernière. Je l’en remercie.
C’est un honneur et un privilège de présider l’importante réunion tenue aujourd’hui.
Je vais maintenant demander aux membres du comité présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Cindy Woodhouse Nepinak, cheffe nationale, Assemblée des Premières Nations : Je suis heureuse d’être ici et de vous rencontrer tous. Je souhaite certes entendre vos noms, mais nous avons pour coutume de demander des prières. Nous avons parmi nous notre conseiller et pasteur. Il est un leader de sa collectivité et il est également l’un de nos guides spirituels. J’aimerais qu’il prononce une prière d’ouverture, si vous le permettez, madame la présidente. Il s’agit du conseiller Darrell Shorting.
La vice-présidente : En un mot, c’est d’accord. Je l’invite à venir au microphone de la table afin que tout le monde puisse l’entendre.
Darrell Shorting, conseiller, Assemblée des Premières Nations : Bonsoir. Veuillez vous lever.
Seigneur, Père céleste, Seigneur Jésus, nous venons à toi ce soir. Seigneur Dieu, nous te demandons simplement, Seigneur Jésus, de bénir cette table autour de laquelle nous nous réunissons aujourd’hui. Seigneur Dieu, nous te demandons simplement de nous guider.
Seigneur Dieu, nous te demandons, Seigneur Jésus, de veiller sur tous les accords et les enjeux dont nous allons discuter, de nous aider à trouver des solutions. Seigneur Dieu, tu nous as mis sur cette terre pour travailler en harmonie, pour travailler ensemble en tant que peuple, Seigneur Jésus.
Nous te demandons de nous guider à cette table. Seigneur Dieu, nous ouvrons nos oreilles et nos yeux, et nous nous ouvrons à tout ce que tu as créé sur cette terre. Seigneur Dieu, nous te demandons simplement, Seigneur, de continuer à bénir notre pays, le Canada, et notre peuple, Seigneur Dieu. Seigneur Dieu, nous te demandons de nous guider et de nous conduire à des réponses à cette table, et d’ouvrir les cœurs. Nous demandons des réponses. Aujourd’hui, Seigneur Dieu, nous prions pour obtenir des réponses à nos demandes.
Seigneur Dieu, nous remettons cette réunion entre tes mains au nom de Jésus. Seigneur, nous te prions ce soir au nom de Jésus. Amen.
La vice-présidente : Merci d’avoir lancé la réunion de si belle manière.
Je vais maintenant demander aux membres présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, du territoire Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Karetak-Lindell : Nancy Karetak-Lindell, d’Arviat, au Nunavut.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de Cornwall, en Ontario, le territoire traditionnel mohawk.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Bienvenue. Je suis ravie de vous voir. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinaabe.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue. Je suis ravie de vous voir. Merci d’être avec nous. Je suis la sénatrice indépendante Marilou McPhedran, du territoire visé par le Traité no 1, au Manitoba, et patrie de la nation métisse de la rivière Rouge.
La sénatrice McCallum : Bienvenue. Je m’appelle Mary Jane McCallum, de la Première Nation de Barren Lands, de la région du Manitoba visée par le Traité no 10.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Francis : Brian Francis, d’Epekwitk, Île-du-Prince-Édouard. Je vis à 30 minutes environ de Shannin Metatawabin.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta. Je réside dans le parc national Banff, sur le territoire visé par le Traité no 7.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Audette : Bonsoir [mots prononcés en innu-aimun]. Michèle Audette, du Québec.
[Traduction]
La vice-présidente : J’aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Veuillez accueillir Mme Cindy Woodhouse Nepinak, la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations. Elle est accompagnée de Mme Julie McGregor, la cheffe de cabinet par intérim. Nous recevons également M. Shannin Metatawabin, chef de la direction de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement. Mme Marilyn Slett, secrétaire-trésorière et cheffe élue du Conseil tribal Heiltsuk, représentera l’Union of British Columbia Indian Chiefs. Elle témoignera par vidéoconférence, tout comme Me Mary Eberts, du cabinet Mary Eberts.
Merci à tous d’être ici aujourd’hui. Nos témoins vont nous présenter des déclarations liminaires d’environ cinq minutes et nous passerons ensuite à la période de questions et réponses avec les sénateurs.
J’invite la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak à nous présenter sa déclaration liminaire.
Mme Woodhouse Nepinak : Meegwetch.
[La témoin s’exprime en langue autochtone.]
C’est un immense plaisir de vous voir tous ici. Je remercie le Sénat et la Chambre des communes d’avoir fait en sorte que le 30 septembre soit reconnu comme jour férié. Je suis également reconnaissante aux provinces et aux territoires qui ont établi le 30 septembre comme jour férié et qui ont contribué à mettre en valeur notre peuple et notre histoire de manière positive dans ce pays. Je sais que nous sommes au début du chemin de la réconciliation. Nous en sommes seulement aux premiers pas. Je fais appel aux provinces — je crois qu’il y en a quatre — qui n’ont pas choisi de marquer un temps d’arrêt le 30 septembre. J’invite l’Ontario, le Québec, l’Alberta et la Saskatchewan à emboîter le pas et à honorer notre peuple et la véritable histoire de ce pays.
Je voudrais simplement dire bonsoir à tous. Je trouve important de souligner que nous sommes ici sur le territoire de la nation algonquine. En complément de ma déclaration liminaire, l’Assemblée des Premières Nations, ou APN, soumettra un mémoire technique sur divers enjeux relatifs au projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens. Nous allons déposer le mémoire ce soir.
Il va de soi que l’Assemblée des Premières Nations appuie la lutte à la discrimination que le projet de loi S-2 est censé éliminer. Cependant, je constate que ce projet de loi est en fait une énième tentative de rafistolage pour corriger un texte de loi vieux de plusieurs siècles, indéniablement raciste et destiné à exercer un contrôle absolu sur la vie des gens des Premières Nations en cherchant avant tout à nous dire qui nous sommes. On nous propose cette fois encore une approche fragmentaire pour lutter contre la discrimination alors que cette approche n’a jamais fonctionné, ne rétablira jamais la justice et n’offrira jamais de solutions durables.
Le Canada n’a pas rempli ses obligations à l’égard des droits fondamentaux que nous garantit la Charte des droits et libertés, à l’article 35 de la Constitution, ni à l’égard des droits reconnus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il ne respecte pas non plus les droits issus de traités de mon peuple.
En dépit des normes en matière d’égalité réelle introduites dans le droit constitutionnel canadien par la promulgation de la Charte, l’approche régressive du Canada à l’égard des motifs de discrimination qui ont subsisté dans les dispositions relatives au droit au statut d’Indien a pris de nouvelles formes. Depuis 1985, les litiges se sont succédé à intervalles réguliers et des projets de loi ont été présentés pour modifier les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens. Souvent, il n’y a pas eu de consultation directe des titulaires de droits alors qu’ils sont les plus durement touchés par les conséquences. Aucunes ressources ou terres supplémentaires ne sont fournies pour accueillir les nouveaux inscrits.
Pourquoi? Parce que peu importe le parti au pouvoir, la même approche étroite est adoptée. Nous avons un certain nombre de choses à dire à ce sujet, la première étant que la Couronne prend des mesures législatives seulement si elle y est contrainte après que des plaignants des Premières Nations ont obtenu gain de cause au terme d’années de procédures judiciaires.
Deuxièmement, le gouvernement choisit les mesures législatives les plus minimales et les plus restrictives possible pour remédier aux violations des droits de la personne qui sont dénoncées. Il se contente ensuite d’attendre un nouveau gain devant les tribunaux concernant un motif de discrimination que la Couronne est consciente de ne pas avoir éliminé. C’est ce qui s’est produit en 1985, et c’est le schéma qui s’est répété jusqu’à aujourd’hui dans les poursuites successives et les réformes à la pièce qui s’en sont suivies. Nos peuples ont le droit de déterminer qui ils sont. Ils doivent pouvoir établir leurs droits dans leurs propres lois et leurs propres politiques. Ils ont également le droit d’avoir accès à de l’eau potable de qualité, à des infrastructures, à des services d’éducation, de santé et de bien-être des enfants, ainsi qu’au respect du principe de Jordan sans discrimination fondée sur le droit au statut d’Indien.
Nous demandons que ce soit reconnu et d’arrêter de chercher l’efficacité budgétaire en imposant des compressions au détriment de nos peuples et de nos droits à l’autodétermination. Comme nous le soutenons dans notre mémoire technique, la première étape logique pour sortir de cette impasse sera d’aligner le droit au statut d’Indien sur le droit d’appartenance à une bande tel que l’entendent les Premières Nations, et d’éliminer les catégories prévues aux paragraphes 6(1) et 6(2). Je suis ici aujourd’hui pour souligner qu’il s’agit de la recommandation la plus importante de notre mémoire.
Le projet de loi S-2 ne propose rien contre les formes résiduelles, complexes et actuelles d’injustice qui continuent de plomber le régime d’inscription de la Loi sur les Indiens. Plus précisément, le projet de loi S-2 ne traite pas des questions cruciales suivantes :
Premièrement, le projet de loi S-2 doit être révisé afin de tenir compte de la nécessité d’y intégrer un cadre d’adhésion volontaire. Ce cadre accordera aux Premières Nations la compétence exclusive de substituer leurs propres systèmes de citoyenneté au régime d’admissibilité au statut d’Indien qui a affaibli et érodé les coutumes d’appartenance et de parenté des Premières Nations depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens et de la législation qui l’a précédée.
Deuxièmement, l’Assemblée des Premières Nations entérine les modifications à la Loi sur les Indiens qui abrogent la règle de l’exclusion après la deuxième génération et introduisent un régime d’octroi du statut d’Indien aux descendants directs d’un Indien inscrit ou d’une personne ayant le droit à l’inscription ou qui pourrait être admissible à ce droit.
Troisièmement, le projet de loi S-2 devrait inclure un engagement législatif clair à fournir un financement suffisant, durable et prévisible aux Premières Nations pour l’administration de nouvelles règles. Sans investissements, les Premières Nations devront assumer le fardeau administratif et financier insurmontable et illimité que leur imposeront les modifications visées au projet de loi S-2.
Pour terminer, je tiens simplement à vous rappeler à tous, ainsi qu’au Sénat, que les peuples des Premières Nations sont les seuls au monde à être assujettis à un régime législatif qui leur dicte qui sont leurs membres ou non. Les Métis, par exemple, et d’autres groupes dans ce pays, comme les Asiatiques, les Européens ou toute autre personne venue s’installer ici pour vivre avec nous n’ont pas à se plier à un tel régime. Il existe une Loi sur les Indiens, mais jamais vous n’entendrez parler d’une loi sur les Asiatiques, les Noirs ou les Européens. Alors pourquoi les Premières Nations devraient-elles continuer de se soumettre à un régime comme celui que leur impose la Loi sur les Indiens? On nous dicte qui nous sommes, qui sont nos enfants et qui sont nos petits-enfants. Cherchez l’erreur. Nous sommes en 2025 et nous continuons d’avoir les mêmes discussions. Nous devons travailler ensemble pour mettre fin à la discrimination découlant de la Loi sur les Indiens.
Je remercie le Sénat de me donner la parole, mais je trouve néanmoins important de rappeler à tous que nous sommes le seul groupe de la population canadienne à se faire dicter son identité en tant que peuple. Cela doit cesser. Merci.
La vice-présidente : Merci, madame la cheffe nationale, pour votre allocution.
J’invite maintenant M. Metatawabin à nous présenter sa déclaration liminaire.
Shannin Metatawabin, chef de la direction, Association nationale des sociétés autochtones de financement : [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je m’appelle Shannin Metatawabin. Je viens de Fort Albany, en Ontario, et j’ai été élevé dans la communauté nord-ontarienne de Mushkegowuk. Merci à la communauté de Kitigan Zibi de nous permettre de nous réunir sur ses terres.
Je suis le chef de la direction de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, ou ANSAF. Je suis ravi de revoir de nombreux visages connus et d’exprimer mon appui au projet de loi S-2 assorti des amendements que vient d’évoquer la cheffe nationale.
Nous mettons les générations futures au cœur de nos préoccupations lorsque nous envisageons ce projet de loi. Les jeunes Autochtones doivent pouvoir grandir dans des lieux sûrs, les droits existants doivent leur être transmis et les obstacles à la réussite des entreprises doivent être abolis. Pour y parvenir, nous devons éliminer les obstacles à l’accès à la citoyenneté, en particulier ceux qui découlent de la discrimination fondée sur le sexe. La citoyenneté constitue un pilier essentiel de l’identité, de la gouvernance et de l’autodétermination. Les Premières Nations doivent jouer un rôle de premier plan à cet égard.
Nous demandons au gouvernement d’établir un échéancier clair d’une réforme de la Loi sur les Indiens visant à reconnaître le droit des Premières Nations de déterminer qui sont leurs citoyens. C’est essentiel pour redonner aux Autochtones le plein contrôle sur les systèmes qui façonnent la vie de nos enfants et de nos petits-enfants.
L’ANSAF est dirigée avec fierté par des Autochtones et témoigne de la prospérité qui résulte du transfert des programmes fédéraux aux organismes autochtones. L’ANSAF administre notamment le Programme d’entrepreneuriat autochtone par l’intermédiaire d’un réseau de plus de 50 institutions financières autochtones. Ce réseau a transformé un programme gouvernemental accusant des pertes de 85 % en un programme dont le taux de remboursement atteint désormais 95 %. Chaque dollar prêté génère un apport de 3,60 $ au produit intérieur brut, ou PIB, et une économie de 1,26 $ pour le Trésor. Rien qu’en 2023, le réseau a prêté 166 millions de dollars et soutenu 8 368 emplois à temps plein, contribuant à hauteur de plus de 604 millions de dollars au PIB.
Cela dit, les bénéfices ne sont pas seulement pécuniaires. Chaque investissement produit un effet d’entraînement dans les communautés, notamment en améliorant le bien-être des familles et en réduisant le chômage. Tout cela renforce les communautés. Les indicateurs de santé mentale ont connu une amélioration de 52 %, et les indicateurs de santé ont connu une amélioration de 20 %.
Pendant trop longtemps, les citoyens des Premières Nations ont été empêchés de participer à l’économie. Les dirigeants autochtones ont lutté avec acharnement pour éliminer les obstacles. Actuellement, la prévalence de la fraude à l’identité autochtone représente un défi croissant.
L’Autorité d’approvisionnement des Premières Nations (AAPN) a été créée par l’ANSAF et quatre autres organismes autochtones nationaux afin d’accroître la participation des Autochtones au processus d’approvisionnement. Grâce au soutien de l’Assemblée des Premières Nations, l’AAPN offrira un mécanisme centralisé de certification aux entreprises des Premières Nations. Le processus, dirigé par des Autochtones, s’inspirera du programme australien Supply Nation, une grande réussite. L’AAPN veillera à ce que les données commerciales soient sous contrôle autochtone et attribuera les contrats à des entreprises reconnues comme étant détenues par des Autochtones. Elle fournira également des outils tels qu’un répertoire national et des programmes de formation qui aideront à aplanir les obstacles et à stimuler les économies autochtones.
Lorsque la compétence en matière de citoyenneté est dévolue aux Premières Nations et que les organismes autochtones rendent des comptes aux titulaires de droits autochtones, la fraude à l’identité autochtone devient beaucoup plus difficile. Depuis plus de 40 ans, le réseau de l’ANSAF a établi de solides racines dans la communauté et il évalue régulièrement l’autochtonité. À ce jour, il a accordé des prêts commerciaux à plus de 56 000 clients autochtones. Nous connaissons notre communauté. Nous savons si un organisme agit de bonne foi ou non.
Puisque nous sommes une communauté matriarcale, il est essentiel de renforcer l’autonomie des mères. Ce climat de confiance et de leadership communautaire a favorisé le succès remarquable du Programme d’entrepreneuriat pour les femmes autochtones. Avec 27 millions de dollars, le Programme a accordé 600 microprêts et animé 402 ateliers qui ont accueilli près de 5 000 participantes.
Dawn Rossignol, de Regina, en Saskatchewan, offre un exemple concret de réussite obtenue grâce au Programme d’entrepreneuriat pour les femmes autochtones. Son entreprise, Rethink BioClean, est entièrement détenue par des Autochtones et se spécialise dans le remplissage de fournitures d’entretien zéro déchet pour des clients des secteurs commercial et du tourisme d’accueil. L’entreprise de Mme Rossignol évite chaque mois l’enfouissement de 2 000 livres de plastique et est en voie d’atteindre un chiffre d’affaires de 2,4 millions de dollars. Son engagement envers le développement durable et l’innovation a fait d’elle une leader de l’entrepreneuriat environnemental et un modèle pour les entreprises autochtones évolutives et influentes au Canada.
Le Programme d’entrepreneuriat pour les femmes autochtones ouvre la voie aux générations futures et l’AAPN pourrait ouvrir la voie aux leaders du milieu des affaires comme Dawn afin de favoriser l’expansion de leurs entreprises grâce à des contrats fédéraux.
Je vous demande de continuer à appuyer la prise de mesures concrètes pour réformer la Loi sur les Indiens et redonner le contrôle aux Premières Nations par l’intermédiaire d’organismes autochtones suffisamment financés tels que l’Autorité d’approvisionnement des Premières Nations. Ce travail favorisera des économies autochtones fondées sur l’autodétermination et un avenir plus prospère.
Meegwetch.
La vice-présidente : Merci, monsieur Metatawabin.
Je vais maintenant me tourner vers l’écran et inviter la cheffe Slett à nous présenter sa déclaration liminaire. La parole est à vous.
Marilyn Slett, secrétaire-trésorière et cheffe élue du Conseil tribal Heiltsuk, Union of British Columbia Indian Chiefs : [La témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je m’appelle Marilyn Slett et je suis la conseillère en cheffe élue du Conseil tribal Heiltsuk. Je vous parle depuis Bella Bella, en Colombie-Britannique. Je suis également secrétaire-trésorière de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, ou UBCIC, qui représente plus de 130 Premières Nations de la Colombie-Britannique.
Je voudrais aujourd’hui exprimer mon appui au projet de loi S-2 et demander qu’on y apporte des amendements essentiels afin d’éliminer une fois pour toutes la discrimination fondée sur le sexe et la race dans la Loi sur les Indiens. L’UBCIC fait partie d’un processus collaboratif et elle est consultée à ce sujet depuis des décennies. En 2016, le grand chef Stewart Phillip, président de l’UBCIC, a déclaré :
[...] rien n’empêche le Canada d’éliminer immédiatement la discrimination fondée sur le sexe dans les dispositions relatives au statut [...]. Le temps des discussions et des activités de consultation [...] est révolu depuis longtemps. Il n’est ni nécessaire ni approprié de poursuivre les consultations sur cette question.
Pendant que le Canada continue de reporter le règlement de ces questions, nos enfants et nos petits-enfants continuent de subir des conséquences dévastatrices. Nous continuons de perdre des membres titulaires de droits au péril de nos nations, de nos cultures, de nos ressources et de nos terres.
En ce qui concerne la disposition relative à l’exclusion après la deuxième génération, notre position n’a pas bougé : elle doit être supprimée de la Loi sur les Indiens, et nous devons revenir à la règle du parent unique en vigueur avant 1985. Elle doit s’appliquer uniformément aux hommes et aux femmes afin d’éviter l’extinction légiférée. La suppression de la disposition sur l’exclusion après la deuxième génération bénéficie de l’appui de militants, du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, ou CEDAW, et elle est explicitement réclamée par les Premières Nations dans leurs résolutions.
Ce comité a recommandé au Canada d’abroger toutes les dispositions discriminatoires, y compris le paragraphe 6(2), dans son rapport de 2022 intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens. Nous demandons au Sénat de continuer à plaider pour la suppression de toutes les dispositions discriminatoires de la Loi.
Nous souhaitons également profiter de l’occasion pour soulever la question des préjudices causés par la disposition sur l’exclusion après la deuxième génération. Nous sommes victimes d’un génocide mathématique. Notre disparition est légalement programmée d’ici trois ou quatre générations. Nos femmes et nos enfants, qui continuent d’être privés de toute possibilité d’obtenir réparation, subissent des préjudices irréparables en raison de la discrimination fondée sur le sexe et la race, y compris la séparation forcée avec leur terre, leur famille, leur collectivité, leur culture, leur langue, leur rôle dans la gouvernance et leur identité. Ces préjudices exigent une correction et une réparation proactives.
L’exclusion après la deuxième génération entraîne des pressions énormes pour les nations, qui doivent soutenir nos enfants qui n’ont pas accès au même niveau de services que les membres inscrits en matière notamment de logement, d’éducation et de santé. Le Canada ne peut pas se décharger de sa responsabilité fiduciaire sur les Premières Nations.
Nous voulons également parler brièvement du droit à l’autodétermination des Premières Nations en matière de citoyenneté. D’un bout à l’autre du pays, les Premières Nations revendiquent le pouvoir ultime de décider qui sont leurs citoyens. Cela dit, tant que le Canada régira l’inscription des Indiens, il lui incombera de réparer son propre gâchis. Le Canada doit agir pour inverser le processus d’assimilation forcée et favoriser l’inscription, la réparation et la reconnexion.
Il est essentiel de dissocier l’appartenance à une bande et l’inscription comme Indien, qui définit les obligations fiduciaires juridiques de la Couronne ainsi que nos droits et privilèges en tant que Premières Nations.
Le fait que les Premières Nations manquent de ressources et ne sont pas incitées à soutenir de nouveaux membres peut perpétuer la discrimination à l’égard des femmes qui retournent dans leur bande. Le Canada doit faire en sorte que les Premières Nations n’aient pas l’obligation d’appliquer les définitions gouvernementales, motivées par des considérations financières, gouvernant l’appartenance. Nous demandons à la Couronne de redonner leur place aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants au sein de leurs nations, de respecter leurs lois sur la citoyenneté et de fournir les ressources foncières nécessaires aux Premières Nations dont la population augmente et qui doivent remédier aux pénuries sous-jacentes.
Notre survie dépend de notre capacité à accueillir et à soutenir nos citoyens. Je vais prendre l’exemple de ma propre nation. Nous avons adopté la Constitution Heiltsuk en février 2025 et nous sommes en train d’établir nos lois fondamentales, dont une sur la citoyenneté. Nous allons y adjoindre une politique de soutien des membres et des citoyens qui réintègrent la collectivité afin de les aider à rétablir le lien avec notre nation. Nous avons également une pratique d’adoption coutumière dans notre collectivité, au sein de notre nation. Les Heiltsuk ont le droit et la responsabilité d’aimer et de prendre soin des enfants heiltsuk, comme nous le faisons depuis des temps immémoriaux. Les enfants heiltsuk ont le droit d’être élevés dans leur culture, leur langue, leurs traditions, leurs territoires, en étant ancrés dans les sentiments de bonheur et d’appartenance à notre collectivité et à notre mode de vie. Les Heiltsuk ont une coutume d’adoption conforme à nos lois autochtones.
Pour conclure, j’insiste vraiment sur l’urgence d’agir et sur la possibilité offerte de nous attaquer et de mettre fin, une fois pour toutes, à la discrimination fondée sur le sexe et la race. Je réitère que tout nouveau retard causera du tort, nous éloignera de la réconciliation et nous rapprochera un peu plus de l’extinction de notre peuple.
J’aimerais transmettre une vidéo au comité. J’espère qu’elle pourra être jointe à notre mémoire. Nous allons voir ce qui peut être fait. Je tiens à remercier le Sénat et mes collègues qui prennent la parole sur cette question aujourd’hui. Ǧiáxsix̌a.
La vice-présidente : Merci, cheffe Slett. Nous attendons avec impatience ces documents. J’invite maintenant Me Eberts à prononcer sa déclaration liminaire. Vous avez la parole.
Mary Eberts, avocate, Law Office of Mary Eberts : Merci beaucoup de me donner l’occasion de présenter mon point de vue sur cette question importante. Je m’identifie comme une colonisatrice et j’ai eu l’honneur et le privilège, depuis 30 ans, de travailler avec des femmes Autochtones pour tenter de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Malheureusement, ce n’est pas encore réglé. C’est pourquoi, en plus de donner mon appui au contenu du projet de loi S-2, je souhaite vous parler aujourd’hui d’un sujet d’une importance capitale dans la lutte continue contre la discrimination fondée sur le sexe.
La règle des deux parents et la disposition sur l’exclusion après la deuxième génération sont censées assurer un traitement égal aux Indiennes et aux Indiens inscrits. Chacun doit être parent avec un autre Indien inscrit pour que son enfant ait droit au plein statut. L’enfant dont les deux parents n’ont pas leur plein statut aura un statut inférieur, c’est-à-dire qu’il sera réputé avoir le statut pour lui-même, mais pourra le transmettre seulement s’il devient parent avec un autre Indien inscrit. La règle des deux parents et l’exclusion après la deuxième génération sont contraires à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne peuvent être justifiées sous le régime de l’article premier.
Afin de se conformer à la garantie d’égalité que confère l’article 15, une loi ne peut assurer un traitement égal que si des personnes se trouvent dans une situation semblable, c’est-à-dire uniquement si aucune ne bénéficie d’un avantage sur l’autre. Or, la règle des deux parents confère aux hommes un double avantage par rapport aux femmes lorsqu’il s’agit d’identifier l’autre parent et d’attribuer le plein statut.
Il est relativement facile de dire qui est la mère. Elle a été enceinte pendant neuf mois, elle a accouché et elle allaite peut‑être. Il n’est pas facile de dire qui est le père. La conception se produit en seul acte et peut se faire de manière anonyme. Il est donc plus facile pour un homme que pour une femme de respecter la règle selon laquelle un des parents doit identifier et nommer l’autre.
Il existe un autre problème. Des études montrent que 30 % des enfants d’ascendance non déclarée sont nés de mères âgées de moins de 20 ans et qu’elles ne nomment peut-être pas le père pour des raisons de sécurité. Elles ont été victimes d’un viol ou d’un viol collectif, il y a eu inceste ou le père refuse d’être nommé. Il s’agit là d’une constatation très préoccupante, étant donné que les femmes autochtones subissent des taux de violence élevés, comme le reconnaît même le ministère de la Justice du Canada. En revanche, la violence n’empêche pas les hommes de nommer la mère de leurs enfants.
L’autre avantage des hommes par rapport aux femmes pour ce qui est de satisfaire à la règle des deux parents n’a rien à voir avec des différences physiques ou une différence quant à la vulnérabilité à la violence. Il découle du fait que le Canada a maintenu dans le projet de loi C-31 bon nombre des avantages dont bénéficiaient les hommes dans l’ancienne loi, notamment la possibilité de donner, lors du mariage, le statut à une femme qui ne l’a pas. Par conséquent, les couples qui ont à leur tête un homme inscrit pouvaient se conformer à la règle des deux parents dès son entrée en vigueur, tandis que ceux issus de la lignée maternelle ne le pouvaient pas et, dans certains cas, ne le peuvent toujours pas.
L’inégalité découlant des différences physiques entre les hommes et les femmes et de la différence quant à la vulnérabilité à la violence n’est même pas encore prise en considération dans les litiges. Voilà maintenant plus de 30 ans que nous avons des litiges, et ils visent entièrement à chercher à supprimer l’avantage préexistant des hommes aux termes de la loi. L’affaire McIvor, l’affaire Descheneaux, l’affaire Matson, le projet de loi C-3, le projet de loi S-3 et la décision rendue en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ou CEDAW, n’ont pas encore tout à fait corrigé le problème. D’autres litiges sont inévitables pour remédier à la discrimination sexuelle manifeste dans la loi.
Il est temps d’arrêter de se contenter de modifications législatives au coup par coup. Même si le Canada parvient à supprimer tous les privilèges préexistants, il restera encore l’inégalité fondamentale causée par les différences physiques et la différence quant à la vulnérabilité à la violence. Or, cette inégalité, comme l’a dit la cheffe Slett, conduit inexorablement à l’extinction. Pour certaines Premières Nations, elle viendra plus tôt qu’on ne le pense.
Claudette Dumont-Smith a fait observer, après ses consultations, que certaines Premières Nations seront touchées en l’espace d’une génération par la réduction du nombre de membres inscrits causée par l’exclusion après la deuxième génération, et que de nombreuses autres seront touchées au moins d’ici la quatrième génération. Nous avons également appris qu’entre 27 % et 29 % des Premières Nations sont maintenant inscrites en vertu du paragraphe 6(2), ce qui signifie que leurs membres doivent avoir un enfant avec une autre personne des Premières Nations ayant le statut d’Indien pour conférer à l’enfant ce statut. Les données montrent qu’il est très difficile pour les femmes de produire le certificat attestant qu’un homme, un père, est un Indien inscrit.
Le moment est venu d’abroger la règle des deux parents, l’exclusion après la deuxième génération et l’exclusion après la deuxième génération introduite en 1985 pour les remplacer par une règle d’un seul parent qui donne à la mère ou au père le droit et la possibilité de conférer à l’enfant le statut d’Indien.
J’ai fourni au comité trois documents écrits, dont un document général intitulé « Sex Discrimination in the Indian Act: Enacting It, Removing It and Making Repairs to Achieve Equality » qui contient une analyse de l’exclusion après la deuxième génération et de l’exclusion après la deuxième génération introduite en 1985. J’ai également fourni un autre document dont je suis l’auteure, qui porte précisément sur l’exclusion après la deuxième génération et auquel j’ai donné comme sous-titre « Canada’s Legal Extinction Plan ». Je vous recommande ces deux documents comme sources de renseignements précis sur l’exclusion après la deuxième génération à l’heure actuelle. Je vous ai aussi fourni un chapitre d’un livre que j’ai écrit avec Shelagh Day et Sharon McIvor. Il s’intitule « Settler Colonialism in Canada ». J’en mentionnerai quelques points avant de conclure.
Dans « Settler Colonialism in Canada », à la page...
La vice-présidente : Je suis désolée. C’est la partie la moins enviable de ma fonction.
Me Eberts : Je vous donnerai seulement les références des pages, alors. Page 91 et page 89 et les suivantes de « Settler Colonialism in Canada ». Voilà, j’ai terminé.
La vice-présidente : Je vous remercie.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposerez chacun de trois minutes pour poser votre question et y obtenir une réponse, et je vous ferai signe quand il vous restera 30 secondes, afin que tout le monde puisse poser au moins une question.
Je rappelle également aux témoins de soumettre leurs mémoires par écrit au greffier, ainsi que leurs réponses. Si vous ne pouvez pas à répondre à toutes les questions ce soir, veuillez soumettre vos réponses par écrit au greffier afin qu’elles soient consignées au procès-verbal.
La sénatrice Audette : Mary Eberts, merci beaucoup, et merci aussi aux autres témoins présents dans cette salle. Mary Eberts, pouvez-vous me dire, en répondant par « oui » ou par « non », si une Canadienne qui accouche doit donner le nom du père? Oui ou non? Et l’enfant est-il automatiquement canadien ou québécois? Pouvez-vous me le dire?
Me Eberts : La réponse est oui. Une Canadienne qui accouche peut transmettre la citoyenneté canadienne à son enfant, sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait un deuxième parent.
La sénatrice Audette : Et ce n’est pas le cas pour nous, les femmes des Premières Nations inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens.
Me Eberts : C’est exact.
La sénatrice Audette : Donc, quand j’ai examiné l’historique des affaires judiciaires traitant de la discrimination fondée sur le sexe en vertu de la Loi sur les Indiens, l’aveu de discrimination du gouvernement du Canada — vous avez mentionné quelques affaires —, j’ai constaté qu’avec le projet de loi C-3, l’affaire McIvor, l’aveu était plus limité quand le gouvernement avait la possibilité de changer, puis qu’il était plus général lorsque l’affaire Descheneaux nous a été présentée. Et maintenant, il semble, encore une fois, qu’il soit plus limité avec l’affaire Nicholas. À votre avis, sommes-nous en train de reculer par rapport à l’aveu dans l’affaire Descheneaux?
Me Eberts : La juge dans l’affaire Descheneaux, madame la juge Masse, a vivement reproché au Canada de refuser de modifier en quoi que ce soit la Loi sur les Indiens à moins d’y être forcé par un litige, et même dans ce cas, de n’apporter que les modifications exigées par le litige. Indépendamment de cela, dans une autre affaire, la Cour suprême du Canada a déclaré que les personnes victimes de discrimination ne devraient pas avoir à attendre un changement lent et progressif de la loi. Le Canada devrait simplement supprimer toutes ces dispositions d’un seul coup, comme le dit l’arrêt Vriend. C’est ce que déclare à la majorité la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vriend.
La sénatrice Audette : En tant que sénatrice innue, je ne jouis pas des mêmes droits que mes collègues sénatrices canadiennes. Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Si l’on regarde qui est Indien en 1850, la loi de 1850 en donnait une définition générale qui s’appliquait :
« [...] à l’effet de déterminer tout droit de propriété, possession ou occupation à l’égard de toute terre appartenant à toute tribu ou peuplade [d’Indiens] dans le Bas-Canada [...] ».
Voici cette définition :
Premièrement. — Tous [Indiens] pur sang, réputés appartenir à la tribu ou peuplade particulière [d’Indiens] intéressée dans [ladite] terre, et leurs descendants :
Deuxièmement. — Toutes les personnes mariées à des [Indiens], et résidant parmi eux, et les descendants [desdites] personnes :
Troisièmement. — Toutes personnes résidant parmi les [Indiens], dont les parents des deux côtés étaient ou sont des [Indiens] de telle tribu ou peuplade, ou ont droit d’être considérés comme tels :
Quatrièmement. — Toutes personnes adoptées dans leur enfance par des [Indiens], et résidant dans le village ou sur les terres de telle tribu on peuplade [d’Indiens], et leurs descendants.
Les Premières Nations ont défini qui était membre de leur société, et elles ont exercé ce pouvoir de définition de manière très inclusive.
Lorsque vous envisagez d’abroger l’alinéa 6(1)f) et le paragraphe 6(2), ma question est la suivante : pourquoi ne pas simplement abroger l’article 6 de la Loi sur les Indiens? Parce que cette définition générale et fondamentale dont je viens de parler correspond davantage aux lois coutumières et aux protocoles des Premières Nations en matière de relations et d’appartenance.
La vice-présidente : Souhaitez-vous poser cette question à quelqu’un en particulier?
La sénatrice McCallum : Je souhaitais simplement connaître l’avis des témoins sur l’abrogation, et cet avis a également été donné par les chefs indiens de la Colombie-Britannique, l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, l’Association des femmes autochtones du Canada, la Nation Nishnawbe Aski et les MKO.
Me Eberts : Je dirai simplement ceci à propos de votre observation : jusqu’en 1869, cette définition, ce type de définition que vous avez lue, était la loi du Canada. Après la Confédération en 1869, la Loi sur les Indiens a été modifiée pour que seuls les pères puissent donner le statut et que seuls les hommes puissent donner le statut à quelqu’un qui les épousait. Il existe un cas dans lequel la Cour suprême du Canada a reconnu que la compétence accordée au Canada en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 lui a permis de se lancer dans un programme d’assimilation. J’espère que notre pays n’a pas été fondé sur l’idée que le gouvernement était autorisé à assimiler les Indiens. Ce doit être une erreur. Ce ne peut pas être vrai.
Julie McGregor, cheffe de cabinet par intérim, Assemblée des Premières Nations : Merci de cette question, sénateur McCallum.
Bien sûr, du point de vue de l’APN, depuis de nombreuses années, les chefs présentent des résolutions plaidant en faveur de la compétence en matière de citoyenneté. Nous devrions certainement déterminer qui nous sommes. Je pense que c’est là l’intention du passage que vous avez lu : en tant que Premières Nations ayant le droit à l’autodétermination, qui exerçaient ce droit avant l’arrivée des Blancs, avant que le Canada ne devienne le Canada, nous avons tout à fait le droit de déterminer qui nous sommes.
Ce que nous faisons dans ce cas, c’est que nous ouvrons des brèches dans la Loi sur les Indiens. Si vous considérez les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription au registre des Indiens comme un oignon, nous avons des litiges qui se présentent. Tous les témoins l’ont dit. Nous retirons une couche des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription au registre des Indiens, en espérant qu’il n’y aura pas de discrimination en dessous, mais nous découvrons alors une nouvelle couche de discrimination, que nous retirons aussi. Depuis 1985, nous essayons de mettre la Loi sur les Indiens en conformité avec la Charte. Voilà 40 ans que nous nous attaquons à la Loi sur les Indiens, et nous en parlons encore.
Même si le projet de loi S-2 est adopté et que nous parvenons à corriger cette partie, il restera encore de la discrimination. La véritable solution réside dans notre peuple. C’est en son sein que nous trouvons nos solutions. C’est là que nous devons revenir. Nous savons qui nous sommes, et souvent, nos voix sont ignorées dans ce processus. Comme l’ont dit de nombreux autres témoins, ce sont des changements au coup par coup. Nous devons voir plus grand.
Nous sommes ici, en tant qu’APN, et nous examinons ce projet de loi soumis au Sénat. Nous sommes censés ne proposer que des amendements au projet de loi S-2, mais nous parlons de modifier la Loi sur les Indiens pour la mettre en conformité avec la Charte. Nous devons voir plus loin que la Loi sur les Indiens. Je pense que c’est ce à quoi vous faisiez allusion, sénateur McCallum. Merci beaucoup. Meegwetch
La vice-présidente : Merci, madame McGregor.
Le sénateur Prosper : Merci infiniment à tous les témoins ici présents. Je suis très heureux d’écouter leurs témoignages.
J’ai une question à poser à la cheffe Slett, ainsi qu’à Me Eberts et à la cheffe nationale. La ministre Gull-Masty a témoigné devant notre comité au sujet de l’approche de l’exclusion après la deuxième génération, qui fait l’objet de questions à la Chambre. Elle a déclaré que des consultations se poursuivent en ce moment, que le sujet est complexe et qu’il nécessite du temps.
Cheffe Slett, je note que vous avez mentionné que vous appuyez le projet de loi S-2 avec des amendements essentiels, mais vous avez également mentionné que les consultations au sein de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, ou l’UBCIC, qui regroupe plus de 100 Premières Nations, se sont déroulées sur plusieurs décennies. Vous avez cité le chef Phillip à cet égard. Vous avez dit que l’heure n’est plus aux consultations.
Maître Eberts, merci de votre engagement depuis plus de 30 ans. Je vous repose ma question : pensez-vous que nous avons suffisamment consulté à ce jour au sujet de la suppression de la règle de l’exclusion après la deuxième génération? Les observations de Mme McGregor sur l’approche des Premières Nations en matière de citoyenneté, qui existe depuis longtemps, m’aident certainement.
Cheffe nationale, pensez-vous que nous avons besoin de plus de temps pour des consultations ou que nous avons suffisamment consulté maintenant en ce qui concerne les positions des Premières Nations? Je vous laisse répondre à cette question. Peut-être la cheffe nationale, la cheffe Slett, puis Me Eberts. Merci.
Mme Woodhouse Nepinak : Je pense que les Premières Nations attendent depuis longtemps. Chaque jour, un autre enfant naît sans être inscrit au registre. Quelqu’un m’a demandé aujourd’hui combien de générations. Qu’allez-vous me dire, qu’avec des ancêtres qui remontent à mille ans, je ne suis pas membre des Premières Nations? Mille ans plus tard, voilà qui je suis, et mes arrière-arrière-arrière-arrière-petits-enfants seront toujours issus de moi, tout comme vous et vos ancêtres l’êtes de votre lignée.
Avons-nous besoin de plus de temps? Le temps presse. Chaque jour, nous avons un autre enfant et une autre mère qui, d’une manière ou d’une autre, comme l’avocate vient de le dire, parfois pour une raison ou une autre, ne nomme pas le père. Je ne connais aucun autre groupe de personnes — si vous êtes une femme italienne ou une femme noire et que vous dites : « Voici qui est mon enfant » —, pourquoi les femmes des Premières Nations ne peuvent-elles pas faire de même, dire : « Mon enfant est membre des Premières Nations, et voici qui nous sommes »? C’est à ma communauté de me revendiquer et de me dire que je suis issue de ma communauté, comme elle le fait depuis des temps immémoriaux. Je pense qu’il est temps de redonner cette prérogative aux Premières Nations, tandis que nous œuvrons à la réconciliation, pour rendre le Canada plus harmonieux et plus juste.
Cela signifie aussi ne pas intervenir dans la vie de nos enfants et permettre aux Premières Nations de déterminer elles-mêmes qui sont les membres de leur communauté. Le Canada n’a pas bien fait les choses depuis qu’il a commencé, il y a plus de 100 ans, à chercher à décider qui nous sommes. Nous nous débrouillions très bien depuis la création du monde, depuis la création du temps. Nous nous débrouillons très bien tout seuls et savons qui nous sommes. Je pense que nous devons revenir à cela et laisser ce rôle aux Premières Nations. Le temps presse. Faisons bien les choses, une fois pour toutes.
Mme Slett : Je vous remercie de cette question. Nous ne sommes pas opposés à une consultation sur la manière d’éliminer la discrimination et de soutenir les Premières Nations dans les prochaines étapes, mais le Canada ne peut pas y demander s’il faut faire cesser la discrimination. Ce serait certainement source d’autres retards et d’autres préjudices, et entraînerait une extinction juridique. Le report est une tactique qui empêche le Canada de remplir ses obligations légales et fiduciaires.
Enfin, les Premières Nations ont clairement dit qu’il faut mettre fin à la discrimination sexuelle. Cette position est étayée par de nombreuses recherches et recommandations et, bien sûr, justifiée par les conséquences juridiques dont il a été question plus tôt aujourd’hui.
Me Eberts : Je pense à présent que, si une modification de la loi supprimait l’exclusion après la deuxième génération et la règle des deux parents, il resterait encore beaucoup d’éléments sur lesquels consulter. J’insisterai particulièrement sur le besoin mentionné par Claudette Dumont-Smith, qui l’a entendu mentionner partout. Toutes les Premières Nations qu’elle a consultées lui ont dit que le Canada devait investir davantage financièrement dans ce retour à l’égalité. Il faut plus d’ajouts aux réserves, des réserves plus grandes, plus de ressources pour les personnes.
Le Canada devrait mener des consultations sur les besoins des personnes et sur ce qu’il devrait fournir pour faire en sorte de mettre fin à la disparition légiférée.
À ce sujet, je me demande aussi s’il y a eu des consultations avant que le Canada impose l’exclusion après la deuxième génération. Je dirais que non. Que le Canada se cache derrière des consultations, il faut le faire. J’aimerais vous lire un extrait d’un arrêt de la Cour suprême :
[...] on ne peut demander à des groupes qui sont depuis longtemps victimes de discrimination d’attendre patiemment que les gouvernements en viennent, étape par étape, à protéger leur dignité et leur droit à l’égalité. Si on tolère que les atteintes aux droits et aux libertés de ces groupes se poursuivent pendant que les gouvernements négligent de prendre des mesures diligentes pour réaliser l’égalité, les garanties inscrites dans la Charte ne seront guère plus que des vœux pieux.
La vice-présidente : Je consulte ma liste et je regarde le chronomètre, et je ne m’en sors pas très bien. Je demanderai aux sénateurs d’être brefs dans leurs questions. Aussi, chacun disposera d’environ deux minutes, afin que tout le monde ait la parole, et nous n’y parviendrons peut-être pas, c’est pourquoi je vous demande cela.
La sénatrice McPhedran : Je remercie tous les témoins de leur présence ce soir.
J’ai une question d’ordre général, mais je vais commencer par Mary Eberts. Je tiens simplement à souligner — en fait, je pense que cela fait plus de 30 ans, j’en suis même certaine, Me Eberts — que vous êtes l’une des plus éminentes constitutionnalistes de notre pays. Je vous remercie du travail considérable que vous accomplissez à bien des égards.
Ma question repose sur le fait que nous pensions avoir réglé ce problème avec le projet de loi S-3 — en collaboration étroite avec le sénateur Sinclair, la sénatrice Dyck, la sénatrice Pate, nombre d’entre nous dans la salle, le sénateur Tannas —, mais ce n’est apparemment pas le cas. Je demanderai à tous les témoins, en commençant par Me Eberts, si nous ne pouvons pas régler ce problème maintenant avec le projet de loi S-2. Que devons-nous faire pour modifier le projet de loi S-2 afin de vraiment y remédier?
Me Eberts : J’essaierai d’être brève. Un bon point de départ serait d’abroger la règle des deux parents, le paragraphe 6(2), l’exclusion après la deuxième génération, et l’exclusion de 1985 qui était insérée par le projet de loi S-3. C’était la seule chose négative du projet de loi S-3. À part cela, tout s’est bien passé. À présent, vous pouvez terminer en revenant à la règle du parent unique qui mettait à égalité les hommes et les femmes.
La sénatrice White : Merci infiniment de vos exposés. C’est un plaisir de voir autant de collègues et d’amis.
J’ai une question que j’aimerais poser à la cheffe Slett. Je suis très intéressée par le travail que vous accomplissez, en particulier en matière de citoyenneté et d’appartenance. D’après ce que je sais au sujet de la citoyenneté, de l’appartenance et de l’inscription au registre, à moins d’être une bande régie par un code coutumier, vous pouvez décider qui sont vos citoyens, mais vous ne pouvez pas les faire inscrire au registre en vertu de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, selon votre entente de financement, vous ne recevrez pas de fonds pour ces personnes. Est-ce une situation que vous rencontrez? Pouvez-vous me l’expliquer et m’aider à comprendre ce que vous faites?
Mme Slett : Oui. Certainement, les avantages que confère le statut d’Indien inscrit — beaucoup de nos membres n’y ont pas droit en raison des règles actuelles. Nous nous sommes heurtés à des obstacles que nous aimerions voir supprimés et rectifiés.
À propos du travail que nous effectuons dans ma nation, la nation Heiltsuk, nous élaborons notre propre constitution et nos propres lois fondamentales. Une de ces premières lois fondamentales concerne la citoyenneté. Nous avons le droit, en tant que Première Nation autonome, de décider qui sont nos membres. Nous savons qui ils sont. Beaucoup d’entre eux vivent actuellement dans nos communautés. Mes petits-enfants en font partie, tout comme mes collègues. Des personnes qui ne vivent pas ici m’appellent de régions urbaines pour me demander pourquoi leurs enfants ou petits-enfants n’ont pas droit à ces avantages. Ils ne le savent pas tant qu’ils n’ont pas essayé de demander le statut pour leurs enfants.
Par ailleurs — et nous savons qui sont nos membres, nous savons qui sont nos citoyens Heiltsuk —, nous élaborons une politique qui accompagnera nos lois fondamentales sur la manière de les reconnecter à notre communauté, de les connecter à leur famille et de faire tout ce travail.
La sénatrice White : Merci. Par souci de clarté, cependant, ils ne sont toujours pas reconnus en vertu de la Loi sur les Indiens, même si vous avez votre propre code d’appartenance, n’est-ce pas?
Mme Slett : C’est exact. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Le Canada doit remédier à cette situation. C’est lui qui a créé ce problème, et c’est à lui de supprimer ces obstacles et de remédier à la situation dont nous parlons aujourd’hui.
Le sénateur Francis : Je vous remercie. Cette question s’adresse à la cheffe nationale et à la cheffe Slett.
Le comité a déjà recommandé au gouvernement fédéral d’abroger l’article sur l’absence de responsabilité figurant dans les modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1985, 2010 et 2017. Malheureusement, le gouvernement a ignoré cette recommandation, et le projet de loi S-2 comprend des dispositions semblables aux articles 10 et 11 pour empêcher les personnes touchées par les dispositions discriminatoires relatives au statut de demander une indemnisation.
À votre avis, le gouvernement du Canada devrait-il offrir une indemnisation ou d’autres réparations aux victimes de discrimination fondée sur le sexe sans qu’il soit nécessaire d’en passer par des litiges?
Mme Woodhouse Nepinak : Oui, tout à fait. Je pourrais vous raconter tellement d’histoires et de scénarios sur ce que vivent les gens. Ils se battent encore aujourd’hui pour être reconnus comme membres de Premières Nations. De plus, nous nous retrouvons avec toutes ces personnes qui ne savent pas qui elles sont, alors elles prétendent être métisses, mais elles ne le sont pas. En fait, ce sont des membres des Premières Nations non inscrits. C’est le Canada qui crée cette situation. Il crée tout un groupe de personnes désorientées qui devraient appartenir à des bandes dans tout le pays, mais qui n’en font pas partie à cause de cela.
Nous devons donc absolument envisager une indemnisation pour ces personnes qui ont été privées de leurs droits pendant trop longtemps. C’est blessant et préjudiciable pour les membres des Premières Nations. Comme je l’ai dit, les Premières Nations savent qui elles sont. Nous savons qui sont nos familles et nous savons qui sont nos communautés. Nous devons revenir à l’essentiel. Merci.
La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins. Depuis que ce projet de loi a été présenté, j’ai reçu de nombreux appels de personnes très préoccupées à l’idée que leur nation entière risque de disparaître. Vous l’avez répété.
Ma question n’est pas simple, mais pour gagner du temps, je vais la poser de manière à ce que vous puissiez y répondre par « oui » ou par « non ». Vous avez tous clairement indiqué que le projet de loi S-2 doit faire l’objet d’amendements afin de supprimer les dispositions discriminatoires actuelles. Y a-t-il parmi vous quelqu’un qui soutienne le projet de loi en sa forme actuelle?
Mme McGregor : Du point de vue de l’APN, dans son libellé actuel, le projet de loi S-2 vise bien les parties les moins controversées de la loi, des éléments qui auraient dû être modifiés depuis longtemps en ce qui concerne les définitions. Il traite la question de l’émancipation.
Fondamentalement, je ne pense pas que ce soit un problème s’il était adopté tel quel, mais, encore une fois, nous l’examinons hors contexte et nous ne tenons pas compte des questions plus importantes dont a parlé la cheffe nationale, ni du fait qu’il n’éliminera pas complètement la discrimination de la Loi sur les Indiens, ni même des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription au registre des Indiens. Cela ne résout certainement pas les problèmes à long terme soulevés par la cheffe Slett. Nous devons avoir une discussion plus large sur la compétence et sur nos droits en matière de citoyenneté.
Me Eberts : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose, je pense que si le projet de loi S-2 est adopté tel quel, une poursuite sera intentée dans les six semaines à deux mois pour contester l’article 6(2) et l’interdiction de recouvrer des dommages-intérêts. C’est une prédiction qui est presque une promesse, sans en être une, ce n’est qu’une prédiction.
Mme Slett : Tout retard supplémentaire ne ferait qu’aggraver la situation. Si nous avons la possibilité d’agir maintenant, alors agissons maintenant.
La sénatrice Pate : Merci.
Le sénateur Tannas : Quel merveilleux groupe de témoins. Je tiens à vous remercier tous pour votre participation.
Comme la sénatrice McPhedran l’a dit, j’étais présent lorsqu’on nous a présenté un projet de loi affirmant avec arrogance qu’il visait à éliminer toutes les inégalités dans la Loi sur les Indiens. Je me souviens avoir dit en plaisantant que nous devrions changer le titre pour « Un jour viendra peut-être où nous aurons un projet de loi qui y parviendra ».
Le fait est que nous sommes à nouveau ici avec un problème qui, selon ce qu’on nous avait dit, n’en était pas un, mais qui existe aujourd’hui et doit être résolu. Je me réjouis grandement de la discussion sur la limite de la deuxième génération, d’abord parce que j’ai trois petits-enfants qui appartiennent à la troisième génération, mais aussi parce que cela nous pousse à réfléchir au sens de cette limite. Cela signifie essentiellement que du jour au lendemain, deux millions de personnes auront le statut d’Indien. En effet, quiconque s’identifie comme Autochtone trouvera, quelque part dans le passé — et cheffe Woodhouse Nepinak, vous avez mentionné mille ans — tous les Métis, toutes les personnes qui ont des racines autochtones auront un tel ancêtre à un moment donné au cours des mille dernières années. Au minimum, nous en aurons 2 millions.
Ensuite, on commence à se demander comment les collectivités vont accepter ces personnes. Et si elles ne les acceptent pas? Y a-t-il un tribunal? Comment vont-elles gérer tout cela? Qui va financer tout cela? Comment cela va-t-il fonctionner? Qu’en est-il de la réconciliation économique et des collectivités qui développent leur économie et qui doivent maintenant accueillir des personnes qui, il y a mille ans... Toutes ces questions se posent.
Je repense à ce que la première ministre autochtone, la ministre Gull-Masty, a dit : « Je vous en prie, adoptez ce projet de loi. Réglez cette question pour les 6 200 personnes qui existent aujourd’hui et qui ont besoin de justice. » Nous avons eu une discussion, et elle a promis de revenir avec une solution, ou de revenir nous dire qu’il n’y a pas de solution — d’avoir le courage de le faire.
Comment réagissez-vous à sa demande et à ce que j’ai dit? Ne devrions-nous pas rester concentrés sur le projet de loi dont nous sommes saisis et prendre la ministre, la première ministre autochtone de l’histoire, au mot et accepter sa demande?
J’aimerais connaître l’avis de la cheffe nationale d’abord, puis celui de toute autre personne que la présidente autorisera à s’exprimer dans le temps qu’il nous reste.
Mme Woodhouse Nepinak : Merci. À l’Assemblée des Premières Nations, nous ne voulons pas priver 6 200 personnes de leur droit de faire partie de nos bandes; vous avez raison. Cependant, je pense qu’en tant que Premières Nations, nous devons nous regarder nous-mêmes. Nous nous connaissons. Nous connaissons notre histoire. Nous savons même qui appartenait à quelle branche familiale, qui qu’ils soient. Quel que soit le type de Canadien que vous êtes, si vous appartenez à une bande quelque part, ses membres sauront qui sont vos ancêtres, et vos ancêtres vous connaîtront.
Lorsque nous envisageons l’avenir de ce pays, souhaitons-nous réellement régler cette question une fois pour toutes? Je vous renvoie la balle. Je reviendrai, bien sûr. En ce qui concerne la première femme ministre issue des Premières Nations, je veux la croire, mais j’ai pitié d’elle, car elle est confrontée à une Chambre nombreuse. Nous l’aiderons toujours à faire de son mieux pour bien s’acquitter de son rôle, comme nous avons toujours essayé de le faire, surtout dans ce domaine. Nous essayons de régler ce problème depuis 1985 — et depuis 1871, mon traité, oui.
Toutes sortes d’autres scénarios hypothétiques sont possibles, mais le problème est que, depuis la création de la Loi sur les Indiens, les Premières Nations n’ont jamais pu en décider elles‑mêmes. Il est temps que le Canada nous donne cette possibilité, qu’il nous donne vraiment cette possibilité. Nous sommes en 2025, et il est temps d’avancer ensemble dans cette direction.
En ce qui concerne la ministre, oui, je veux vraiment la croire. C’est une femme très compétente et forte. Si elle pouvait rédiger le texte nécessaire aujourd’hui, elle le ferait. Elle le ferait en une heure, tant elle est intelligente et compétente, mais le problème, c’est que, parfois, la Chambre et le Sénat changent d’avis, et cela pourrait être difficile pour elle. Je vous demande à tous, lorsqu’elle présentera un projet de loi définitif, de la soutenir et de l’encourager, car elle a vécu cette situation. Je vous remercie de votre attention.
La sénatrice Clement : Merci à tous pour votre présence et votre témoignage.
Monsieur Metatawabin, merci d’avoir dit que votre organisation accorde des prêts. Vous les gérez et vous connaissez vos membres. Vous n’avez pas de difficulté à savoir qui sont vos membres.
Ma question fait suite aux observations de la cheffe nationale et de la cheffe Slett selon lesquelles la Couronne n’agit que lorsqu’elle y est contrainte par les tribunaux. Si le projet de loi S-2 est adopté tel quel, quelles seront les conséquences sur la confiance entre les collectivités autochtones et le gouvernement? Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet?
Ma deuxième question concerne le financement. La cheffe Slett a expliqué que vous perdrez des membres, que vous en gagnerez d’autres, mais que vous serez freinés parce que vous n’aurez pas les moyens financiers de fournir les ressources nécessaires. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Woodhouse Nepinak : Merci. C’est une bonne question.
M. Metatawabin : Merci pour cette question. Je pense que tout se ramène au territoire. Cette politique de résiliation — c’est ainsi que je l’appellerai, car dans trois générations, nous allons perdre notre statut. Ma femme a obtenu son statut grâce au projet de loi C-31. Ma fille a obtenu le sien en 2010 grâce au projet de loi C-3, mais cela n’a pas toujours été facile. La bande non autochtone dont son père faisait partie a conservé le droit de décider si elle avait le statut, ce qui est un autre problème.
Il faut cesser de jouer avec notre citoyenneté. Chaque mesure progressive accorde un certain statut à un certain groupe de personnes, mais cela ne résoudra pas tout. Comme vous dites, il y aura des défis à relever. La meilleure chose que le gouvernement puisse faire est de s’en remettre aux Premières Nations, car en fin de compte, c’est à nous de déterminer qui sont nos propres citoyens. Les interprétations varient, mais nous avons perdu 95 % de notre population à cause des maladies, du génocide et des politiques.
Mon père a comparu devant vous l’année dernière. Il a fréquenté un pensionnat indien et vous a fait un exposé à ce sujet. On l’a attaché sur une chaise électrique, ce qu’on faisait pour tenter d’exterminer nos enfants et ils ont réussi avec beaucoup d’entre eux. Nous avons eu une journée spéciale pour les reconnaître et les commémorer l’autre jour.
C’est une autre politique, une politique d’extermination. Nous devons y mettre fin maintenant et résoudre ce problème une fois pour toutes. Le gouvernement canadien exporte pour 300 milliards de dollars par an de minéraux essentiels. Tout ce que nous demandons, c’est une part de notre propre territoire. Plus de trois cents affaires judiciaires confirment nos droits et notre titre.
Le projet de loi C-5 sollicite notre participation, mais les outils nécessaires pour garantir notre prospérité font toujours défaut. Vous vous interrogez sur les ressources qui nous permettraient de choisir nos propres citoyens et de les couvrir; pour l’instant, elles sont absentes. Nous devons résoudre ce problème. La réponse se trouve dans nos terres et dans l’accès à celles-ci. Nous devons résoudre toutes ces questions. Nous pourrons alors planifier notre avenir. Meegwetch.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Chers collègues et invités distingués, le temps alloué à ce groupe de témoins est écoulé. Je tiens à les remercier encore une fois de s’être joints à nous. Merci beaucoup pour vos précieuses paroles.
Je vous encourage à nous faire part de toute autre observation que vous pourriez avoir. Veuillez les envoyer au greffier. Tout ce qui pourrait nous être utile, selon vous, serait très apprécié.
J’aimerais vous présenter notre deuxième groupe de témoins. Veuillez accueillir à la table, de Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc., le grand chef Garrison Settee; en ligne, de Juristes Power, Ryan Beaton, qui est avocat; et, enfin, Kathryn Fournier. Merci aux témoins d’être parmi nous ce soir.
Nos témoins feront une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant le grand chef Settee à faire sa déclaration liminaire. Grand chef, vous avez la parole.
Garrison Settee, grand chef, Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc. : Tansi, boozhoo, edlane’te, mahsi’cho.
C’est un honneur pour moi d’être ici ce soir. Nous sommes ici pour faire part au Sénat de nos réflexions sur des enjeux qui concernent nos Premières Nations du Nord du Manitoba et qui sont très importants pour leur avenir. Je suis très honoré de participer à ces discussions et j’espère que nous pourrons tracer une voie qui profitera à nos Premières Nations du Nord du Manitoba. Je suis très heureux d’être ici, et je sais que les personnes que je représente souhaitaient que nous soyons présents afin de nous assurer de bien exprimer et communiquer, au mieux de nos capacités, ce qui les préoccupe le plus. Je suis très heureux d’être ici et je suis impatient de participer à la discussion de ce soir.
La vice-présidente : Merci, grand chef. J’invite maintenant Me Beaton à faire sa déclaration liminaire.
[Français]
Me Ryan Beaton, avocat, Juristes Power : Bonsoir. Je remercie le comité pour cette occasion de partager ma perspective et de répondre aux questions des sénateurs par rapport au projet de loi S-2.
[Traduction]
Je suis l’avocat des plaignants dans l’affaire Nicholas c. Canada. La poursuite avait été intentée en juin 2021 pour contester les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription. Les plaignants dans cette affaire sont les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de personnes qui ont demandé ce qu’on appelle l’émancipation volontaire en vertu des versions antérieures de la Loi sur les Indiens. Kathryn Fournier, qui fait elle aussi partie de ce groupe de témoins, est l’une des plaignantes dans cette affaire.
Comme des milliers d’autres personnes à travers le pays, les plaignants se voient refuser l’inscription ou attribuer une catégorie d’inscription restreinte en raison de ces antécédents familiaux d’émancipation. Il s’agissait d’un processus par lequel les personnes classées comme « Indiens » pouvaient renoncer à ce statut afin d’obtenir les privilèges et les droits dont jouissaient les autres Canadiens. Bon nombre des demandeurs d’émancipation voulaient éviter à leurs enfants d’aller dans des pensionnats. D’autres voulaient obtenir le droit de vote, ou on leur avait dit qu’ils devaient renoncer à leur statut d’Indien pour s’enrôler dans l’armée.
L’émancipation existait dans le droit canadien sous une forme ou une autre avant la Confédération. En 1857, l’Acte pour encourager la civilisation graduelle a été adopté au Canada, suivi de diverses versions de la Loi sur les Indiens jusqu’en 1985. En d’autres termes, bien qu’elle remonte loin dans le passé, elle fait également partie de l’histoire récente et, compte tenu des dénis persistants en vertu de la Loi sur les Indiens, elle fait partie de la réalité actuelle.
À titre d’illustration, l’une des plaignantes dans l’affaire Nicholas, Joan Ward, avait 4 ans lorsque son père, Wilfred Laurier Bennett, a demandé l’émancipation en 1944 afin d’éviter à ses enfants d’avoir à fréquenter un pensionnat, comme lui‑même l’avait fait. Son émancipation a automatiquement entraîné celle de sa femme et de ses enfants. Joan a retrouvé son statut par suite des modifications apportées en 1985, mais aujourd’hui, ses petits-enfants continuent de se voir refuser l’inscription en raison des antécédents familiaux d’émancipation. Cela a désormais été remis en cause par une décision judiciaire rendue le 19 août 2025.
Le Canada a reconnu que l’émancipation était une politique raciste et oppressive. Elle n’aurait jamais dû être imposée aux membres et aux familles des Premières Nations. Pourtant, comme je l’ai dit, la loi canadienne continue aujourd’hui d’imposer les conséquences et l’héritage de l’émancipation.
Dans le cadre de l’affaire Nicholas, un accord de suspension a été conclu au début de l’année 2022. Nous avons donc suspendu le litige afin de permettre la recherche d’une solution par le projet de loi. Le projet de loi C-38 a été présenté au Parlement en décembre 2022. Il n’a guère progressé. Même si tous les partis au Parlement se sont dits favorables à son adoption, il n’a jamais dépassé le stade de la deuxième lecture et n’a jamais été étudié en comité.
Lorsqu’il est devenu évident que le projet de loi C-38 ne progresserait pas avant les dernières élections fédérales, les plaignants ont relancé leur procédure judiciaire. En janvier dernier, le gouvernement du Canada a reconnu la violation de la Charte, ce qui nous a évité un procès complet sur cette question. Les plaignants ont ensuite demandé un jugement sommaire. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a entendu l’affaire en juin et, le 19 août, elle a rendu sa décision, déclarant qu’une partie de l’alinéa 6(1)a.1) et l’ensemble de l’alinéa 6(1)d) des dispositions relatives à l’inscription sont sans effet parce qu’ils enfreignent la Charte. La cour a donné au Parlement jusqu’au 30 avril pour apporter les modifications législatives nécessaires. Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Merci, monsieur Beaton. J’invite maintenant Mme Fournier à faire ses remarques liminaires.
Kathryn Fournier, à titre personnel : J’aimerais vous faire part de l’histoire de ma famille.
Mon père est francophone; ma mère est crie et ojibwée. Mes grands-parents maternels, ses parents, ont passé de nombreuses années dans un pensionnat indien au Manitoba. Ils se sont mariés après avoir quitté cette école. Ils ont vécu principalement dans ce que l’on pourrait appeler le « territoire indien », mais ils ont déménagé à Kenora juste avant la naissance de ma mère, et mon grand-père a demandé l’émancipation afin de pouvoir voter.
La famille a été automatiquement émancipée à cette époque, car ma grand-mère, qui était elle-même une Indienne inscrite, a perdu son appartenance à sa bande natale et a rejoint la bande de mon grand-père. Ma mère a obtenu son statut en 1985, mais il était très limité en raison de l’émancipation.
En grandissant, nous n’aurions jamais imaginé contester la Loi sur les Indiens, et bien que ma famille ait eu connaissance de l’émancipation, nous n’en avons jamais parlé, et je ne connaissais aucune autre famille ayant vécu la même chose. J’ai entendu parler d’une affaire au Québec il y a quelques années qui portait sur l’émancipation, dans laquelle le plaignant avait eu gain de cause. Cela m’a menée à Ryan Beaton, puis à notre contestation judiciaire.
[Français]
Une des choses que je mentionnerais, c’est que, dans la version anglaise de la Loi sur les Indiens, il y a le mot « enfranchisement », qui est traduit en français comme « émancipation ». Je refuse de l’appeler de cette façon. Si je parle en français, je vais toujours utiliser le mot « enfranchisement », parce que le mot « émancipation » a une connotation d’esclavage, et c’est encore pire.
[Traduction]
Au cours des dernières années, j’ai été stupéfaite du nombre de personnes qui m’ont contactée après avoir entendu parler de notre procès pour me raconter des histoires similaires d’émancipation. Tout à coup, de nombreuses personnes racontaient une histoire qui, à bien des égards, reflétait la nôtre. Cela m’a montré encore plus clairement que l’objectif de l’émancipation n’était pas seulement de « récompenser » les Indiens qui se comportaient bien en leur permettant de devenir citoyens canadiens, mais aussi de retirer une fois pour toutes les Indiens inscrits du calcul de ce pays, une politique qui relevait du génocide par sa portée. Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Merci, madame Fournier. Je donne maintenant la parole au grand chef Settee pour sa déclaration liminaire.
M. Settee : Encore une fois, merci à vous tous. C’est un honneur d’être ici ce soir au Sénat. Je vous transmets les salutations du territoire de la Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO.
J’ai pensé qu’il serait pertinent pour cette discussion de prendre la liberté de vous faire part de mon expérience et de mon histoire. Mon grand-père était un ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Il est parti défendre notre pays, il a donné de son temps pour servir ce pays, et à son retour, aucune réserve ne pouvait l’accueillir. Il a vécu toute sa vie hors réserve. Il est décédé avant l’adoption du projet de loi C-31.
Ma mère a épousé mon père, qui n’est pas un Indien inscrit. Elle a dû renoncer à son statut pour devenir la femme de mon père. J’ai moi-même obtenu le statut en 1986. Imaginez le choc culturel. Je plaisante ici. Je n’ai jamais ressenti autre chose que ce que je suis en tant qu’homme autochtone. Je n’ai pas été considéré comme un Indien inscrit pendant la majeure partie de ma vie, mais cela ne m’a jamais empêché de savoir qui je suis. Je suis aujourd’hui grand chef de 63 000 personnes dans le Nord du Manitoba, et je les représente fièrement du mieux que je peux.
Je suis ici au nom des 63 000 membres des Premières Nations de notre territoire. Vingt-six Premières Nations sont affiliées à la MKO, et nous sommes ici pour exprimer notre point de vue sur le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
En général, la MKO appuie les mesures législatives qui renforcent les principes de non-discrimination et d’autonomie gouvernementale, en particulier celles qui sont élaborées conjointement avec les Premières Nations. C’est important. La MKO a une expérience directe de l’élaboration conjointe de lois, notamment deux projets de loi d’initiative parlementaire actuellement en deuxième lecture devant les honorables sénateurs : le projet de loi S-271, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, et le projet de loi S-272, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Nous avons participé à ces projets parce que nous estimions qu’il était impératif de prendre part à ces discussions.
En ce qui concerne le projet de loi S-2, il est important de comprendre et de garder à l’esprit la distinction et l’interaction entre les personnes qui ont droit à l’inscription, celles qui ont le statut d’Indien et qui sont membres d’une bande. Le Canada contrôle l’inscription et l’octroi du statut d’Indien. Le projet de loi S-2 ne changera rien à cela. Le projet de loi S-2 modifierait les conditions dans lesquelles le Canada ne peut plus refuser l’inscription et le statut d’Indien à certaines personnes. Le Canada continuera d’inscrire automatiquement toute personne qui est inscrite et qui a obtenu le statut d’Indien par le Canada dans sa Première Nation affiliée en vertu de l’article 11. Le projet de loi S-2 n’y changera rien non plus.
Comme on l’a dit ici, environ 271 des quelque 600 Premières Nations du Canada déterminent si une personne déjà inscrite et ayant obtenu le statut d’Indien du Canada peut devenir membre d’une Première Nation et elles ont établi des règles à cet effet. En 1987 et 1988, huit Premières Nations membres de la MKO ont adopté des codes d’adhésion en vertu de l’article 10 en réponse à l’adoption du projet de loi C-31 en 1985. Ces codes n’ont pas été mis à jour ni modifiés depuis lors.
Au cours d’une séance du Comité sénatorial des peuples autochtones, il a été question du seuil de double majorité prévu dans la Loi sur les Indiens pour qu’une Première Nation puisse contrôler l’adhésion à la bande en vertu de l’article 10. La Loi sur les Indiens exige actuellement que la majorité des électeurs de la bande votent et que la majorité des votes exprimés soient en faveur du code d’adhésion.
La MKO recommande d’amender le projet de loi S-2 afin de faciliter le contrôle de l’adhésion à une Première Nation en vertu de l’article 10. Cet amendement établirait un processus de ratification à deux votes similaire à la norme de ratification prévue à l’article 19 de l’annexe « H » de l’Entente-cadre sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba, ou l’Entente-cadre. Le Canada a ratifié l’Entente-cadre le 29 mai 1997. Comme dans la Loi sur les Indiens, le premier vote en vertu de l’Entente-cadre exige une double majorité pour qu’une Première Nation signataire puisse ratifier un accord sur les droits issus de traités propre à une bande. Toutefois, si la majorité des électeurs de la bande ne votent pas lors du premier vote, le deuxième vote doit avoir lieu dans les 60 jours et la proposition peut être adoptée à la majorité des votes favorables exprimés.
Certains des codes d’adhésion adoptés par les Premières Nations membres de la MKO en 1987 et 1988 prévoient qu’un code d’adhésion peut être modifié, d’abord, par un vote à la double majorité favorable ou, lors d’un second vote, par les deux tiers des personnes ayant effectivement voté en faveur.
Lors de la réunion du Comité des peuples autochtones du 24 septembre 2025, les représentants de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, ont évoqué les « avantages » de l’inscription et du statut d’Indien. Il n’a pas été mentionné qu’une personne inscrite qui détient le statut d’Indien exercera un droit constitutionnel reconnu et protégé de priorité absolue pour chasser, pêcher, piéger et cueillir des plantes à des fins médicinales, de subsistance et de soutien, ainsi qu’à des fins sociales et cérémonielles. Ce droit de priorité absolue peut être exercé, que la personne soit ou non membre d’une Première Nation.
La promesse du traité garantit bien plus que le droit de récolter, de chasser, de pêcher et de piéger. Elle protège et maintient le lien étroit avec les terres et les eaux de toutes les générations des Premières Nations signataires de traités, et fait donc partie intégrante de l’identité et de la continuité de ces dernières.
Le projet de loi S-2 rétablirait le droit d’exercer de manière concrète le droit reconnu de priorité absolue et le lien étroit avec les terres et les eaux ancestrales pour les personnes qui ont été émancipées ou qui ont perdu ou se sont vu refuser l’inscription et le statut d’Indien par le Canada.
Les Premières Nations membres de la MKO associent de plus en plus le contrôle de l’adhésion à la bande prévu à l’article 10 à la promulgation de règlements et de lois des Premières Nations qui créent des outils exécutoires pour traiter les trafiquants de drogue et les contrebandiers avec une tolérance zéro. Parallèlement, nous nous efforçons de mettre en place des possibilités de bien-être et de guérison au sein de la collectivité pour les membres qui sont confrontés à des problèmes de toxicomanie.
L’équipe du projet pilote de réglementation de la MKO travaille avec les Premières Nations pour promulguer de nouveaux règlements applicables en matière de logement et de protection de la collectivité qui permettront aux Premières Nations d’expulser les trafiquants de drogue, les contrebandiers et les personnes violentes des logements appartenant à la bande. Je voudrais m’étendre sur ce point. C’est un problème auquel nous avons été confrontés pendant la COVID, lorsque nous avons essayé d’appliquer des règlements pour protéger notre population et que la GRC a refusé de les faire respecter. En 25 ans, la GRC n’a veillé au respect d’aucun règlement. Nous avons donc mis au point un processus visant à modifier la législation afin de garantir que nos collectivités et nos dirigeants bénéficient du soutien de la GRC. C’est donc une mesure que nous avons prise pendant une période très difficile.
De nombreuses Premières Nations membres de la MKO ont l’intention d’adopter des codes d’adhésion complémentaires. Les Premières Nations ont l’intention de révoquer éventuellement l’adhésion à la bande d’un trafiquant de drogue, d’un contrebandier ou d’une personne violente et dangereuse dont le comportement met en danger la sécurité de toute la collectivité. Cela renforce l’autonomie de nos Premières Nations et de notre peuple. Ainsi, un trafiquant de drogue, un contrebandier ou une personne violente ne sera plus membre d’une Première Nation. En tant que non-membre, cette personne perdra l’accès aux ressources, aux services et aux logements de la collectivité et le droit à une part d’un règlement. Ces personnes se trouveront donc sur la réserve à des fins interdites et seront considérées comme des intrus et passibles d’expulsion.
Les personnes qui sont retirées de la liste d’une bande en raison de comportements nuisibles et dangereux continueront d’être inscrites par le Canada et conserveront leur statut d’Indien.
Le projet de loi S-2 renforce le principe de non-discrimination, et l’amendement du projet de loi S-2 et la modification de Loi sur les Indiens recommandés par la MKO renforceront l’autonomie gouvernementale, donnant ainsi plus de pouvoir à notre peuple.
Ce soir, M. Manoakeesick et moi-même serions heureux de répondre à toutes les questions que le comité pourrait avoir.
Ekosani, meegwetch, mahsi’cho.
La vice-présidente : Merci, grand chef. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je leur demande de limiter leurs interventions à trois minutes, questions et réponses comprises.
[Français]
La sénatrice Audette : [mots prononcés en innu-aimun]. Merci beaucoup. Madame Fournier et maître Beaton, merci de vous lever et de déranger un système qui est imparfait, discriminatoire et raciste. Vous le faites pour nos enfants.
[Traduction]
C’est toujours un honneur d’être dans la même pièce. Merci beaucoup. Je ferai de mon mieux pour me faire bien comprendre.
Je crois fermement que les nations, la nation innue ou une Première Nation, ont le droit à l’autonomie gouvernementale; c’est notre droit. J’y crois. Cependant, nous sommes pris avec la Loi sur les Indiens qui tente de nous effacer. Je suis donc heureuse d’entendre cela. C’est comme une course — je vais essayer de l’exprimer en une minute et demie — c’est comme une course de chevaux; les femmes sont loin derrière la ligne de départ, et beaucoup de gens commencent ici. Si nous ne corrigeons pas ou n’arrêtons pas la discrimination — mais aussi si nous ne corrigeons pas et ne ramenons pas nos grands-mères, nos mères et les enfants qui sont venus —, je sens dans votre message que vous nous replacez sur la même ligne; ai-je raison? Donc, si nous rêvons d’autonomie gouvernementale, nous faisons partie de ce rêve.
M. Settee : Merci pour ce commentaire. Nos 150 années de rapports avec l’État ont causé des dommages irréparables à notre peuple et porté atteinte à nos langues et à notre culture, mais notre identité, le fait de savoir qui nous sommes, est la raison pour laquelle nous sommes ici, où nous avons été compartimentés, étiquetés et définis par d’autres personnes. D’autres personnes nous ont donné de nombreux noms qui ne sont pas les nôtres.
Cependant, cela n’a jamais diminué notre identité en tant que peuples originels de cette terre, et la discrimination dont nous avons été victimes, depuis l’émancipation jusqu’à la perte de statut pour avoir épousé une personne non autochtone, a nui à beaucoup d’entre nous.
Nous sommes ici aujourd’hui pour réparer les torts causés. Nous sommes ici pour corriger une grande partie du mal qui a été fait. Cela fait maintenant 150 ans. Beaucoup de temps s’est écoulé, mais je pense qu’il est temps que nous tracions une voie qui inclura tout notre peuple, nos femmes, nos jeunes femmes. À tort ou à raison, cela n’aurait jamais dû se produire. C’est pourquoi nous sommes ici.
La sénatrice McCallum : Merci aux présentateurs pour tout le travail que vous accomplissez depuis si longtemps.
Je vais poser la même question, qui vient en fait de votre bureau. En 1850, dans l’Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des sauvages dans le Bas-Canada, on trouvait une définition large de qui était considéré comme un Indien :
« [...] à l’effet de déterminer tout droit de propriété, possession ou occupation à l’égard de toute terre appartenant à toute tribu ou peuplade [d’Indiens] dans le Bas-Canada, [...] »
Cette définition était la suivante :
Premièrement. — Tous [Indiens] pur sang, réputés appartenir à la tribu ou peuplade particulière [d’Indiens] intéressée dans [ladite] terre, et leurs descendants :
Deuxièmement. — Toutes les personnes mariées à des [Indiens], et résidant parmi eux, et les descendants [desdites] personnes :
Troisièmement. — Toutes personnes résidant parmi les [Indiens], dont les parents des deux côtés étaient ou sont des [Indiens] de telle tribu ou peuplade, ou ont droit d’être considérés comme tels :
Quatrièmement. — Toutes personnes adoptées dans leur enfance par des [Indiens], et résidant dans le village ou sur les terres de telle tribu on peuplade [d’Indiens], et leurs descendants.
Les Premières Nations définissaient qui était membre de leur société, et elles exerçaient ce pouvoir de définition avec une grande ouverture. On estime que cette définition large et fondamentale correspond mieux aux lois coutumières et aux protocoles des Premières Nations en matière de relations et d’appartenance.
Lorsque nous examinons les paragraphes 6(1) et 6(2) de la Loi sur les Indiens, pensez-vous que l’ensemble de l’article 6 devrait être abrogé et que les Premières Nations devraient décider, en vertu de leur droit coutumier, qui est membre ?
M. Settee : Je représente une organisation qui compte de nombreux grands chefs qui défendent les intérêts et l’identité de notre peuple et luttent contre la discrimination dont il est victime. Les résolutions adoptées lors de nos assemblées indiquent sans équivoque que la société Manitoba Keewatinowi Okimakanak, la MKO, recommande que le paragraphe 6(2) du projet de loi S-2 soit abrogé afin de supprimer la restriction relative à la deuxième génération. Cette restriction est extrêmement préjudiciable aux générations à venir.
Si nous perpétuons ce système, il n’y aura plus personne d’inscrit dans 50 ans. C’est dangereux pour notre peuple. Voilà pourquoi la MKO a déclaré clairement et catégoriquement qu’il devait être abrogé. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Brennan Manoakeesick, directeur des relations intergouvernementales, Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc. : Merci de m’accorder cette occasion. Je m’appelle Brennan Manoakeesick et je suis directeur des relations intergouvernementales à la Manitoba Keewatinowi Okimakanak.
Pour développer davantage la réponse du grand chef Settee, nous avons réfléchi au concept des paragraphes 6(1) et 6(2). Cela fait vingt ans que nos chefs débattent de leur soutien à l’abrogation du paragraphe 6(2). Cependant, si nous comprenons bien, et d’après la définition de 1850 du statut d’Indien dans la Loi sur les Indiens, cela correspondait bien à ce que nous entendions de la part de nos collectivités, de nos Premières Nations et de nos aînés. Nous travaillons de très près avec nos peuples. Pour vous donner un peu de contexte, nous avons un comité consultatif des aînés qui travaille avec nous sur des questions relatives aux médecines traditionnelles, aux besoins en matière de récolte, ainsi qu’aux pensionnats indiens. Lorsqu’ils se penchent sur les questions que nous leur soumettons, ils évoquent souvent les histoires de leurs grands-parents, en particulier de leurs grands-mères, et l’amour qu’ils portent à leurs enfants et petits-enfants. Les restrictions imposées par les paragraphes 6(1) et 6(2) interdisent par conséquent le transfert de la citoyenneté aux générations suivantes.
La rectification que nous verrions consisterait en fait à revenir à la définition plus ancienne qui figure dans la Loi sur les Indiens de 1850. Je pense que nous pourrions considérer cela comme une occasion à saisir, comme l’a souligné la ministre Gull-Masty dans ses observations. En proposant une nouvelle solution, je pense qu’il est important à l’heure actuelle que les Premières Nations, en collaboration avec le Canada et Services aux Autochtones Canada, étudient ces concepts et proposent un modèle qui soit acceptable pour les Premières Nations.
Se reporter à l’ancienne définition est un pas dans cette direction, mais je pense que, compte tenu des possibilités de collaboration sur les plans codification, développement ou création, ces nouvelles définitions nous donneraient l’occasion d’atteindre l’objectif.
Mme Fournier : La seule chose que j’ajouterais, c’est que je soutiens pleinement ce que mes collègues ont dit ici et qu’il y a lieu, à mon avis, de décortiquer les dispositions de la Loi sur les Indiens, en particulier celles qui concernent les femmes, car, comme je l’ai dit, ma grand-mère était une Indienne inscrite à part entière, mais elle a perdu son appartenance à sa bande natale lorsqu’elle s’est mariée. C’était la règle prévue par la Loi sur les Indiens. Lorsque son mari a été émancipé... en fait, il l’a été en 1922, et je ne sais pas si les femmes avaient le droit de vote au Canada en 1922. L’émancipation ne lui a peut-être pas été d’une grande aide à l’époque, mais cela a certainement donné à ma mère un statut beaucoup plus limité que celui qu’elle aurait eu si sa mère avait épousé un homme sans statut dès le départ.
Cela donne une idée des complications entourant les définitions plus récentes de la Loi sur les Indiens quant à ce qui constitue un Indien inscrit. Je peux seulement dire que le nombre de personnes qui m’ont trouvée grâce à la publicité faite autour de notre contestation judiciaire, sur Facebook, par exemple, et m’ont parlé de l’émancipation, de son impact sur leur famille, de sa signification pour elles, de la contestation judiciaire initiale, puis du projet de loi présenté à la Chambre des communes et des changements que cela impliquerait pour eux. Cela m’a profondément émue d’entendre, pour la première fois de ma vie, tant d’autres familles raconter la même histoire. Si nous cherchons des moyens d’améliorer la situation, peut-être que revenir à une définition plus large de ce qui constitue une personne autochtone pourrait en fait être un pas dans la bonne direction.
Me Beaton : J’aimerais faire écho aux propos de la sénatrice Audette en disant que, au fur et à mesure que nous progressons vers une plus grande autodétermination des Premières Nations et un plus grand contrôle sur leur composition, il y a un groupe de familles et de particuliers qui ont été, en quelque sorte, exclus du processus, qui se sont vu refuser l’inscription ou qui ont été retirés de leurs Premières Nations. Il faut également trouver un moyen de les inclure dans ce processus, ce qui fait partie de l’objectif du projet de loi S-2.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de leur présence et de leur témoignage, ainsi que de leurs récits, qui sont très utiles. J’ai une question à poser à Mme Fournier et à Me Beaton.
Tout d’abord, je tiens à saluer votre courage. Je ne peux qu’imaginer le chemin que vous avez parcouru. En ce qui concerne les détails de l’affaire, il est évident que, lorsqu’on est en litige, il faut prendre en compte les coûts, le temps à consacrer, les arguments à présenter et, avec un peu de chance, les accords à conclure. Il semble qu’un accord ait été conclu, dans lequel le Canada a reconnu qu’il y avait eu violation de la Charte sur ce plan. Cela semble s’inscrire dans un contexte plus large de violations continues de la Charte, et de retouches apportées à certaines dispositions de la Loi sur les Indiens.
Je me demande, madame Fournier et maître Beaton, si, selon vous, nous avons atteint notre objectif avec le projet de loi S-2. Voyez-vous d’autres dispositions de la Loi sur les Indiens qui pourraient certainement être contestées au titre de l’article 15 de la Charte? Le cas échéant, quelles en seraient les conséquences? Merci.
Mme Fournier : Merci beaucoup. Je vais laisser Me Beaton répondre en tant qu’expert pour certaines parties techniques de cette question, mais brièvement, oui. Ma mère a obtenu le statut pour la première fois parce qu’au moment de sa naissance, mes grands-parents étaient émancipés. Elle a obtenu le statut en 1985, et le processus a été compliqué pour elle.
Lorsque nous avons découvert que le statut qu’elle avait obtenu était très limité et qu’elle ne pouvait le transmettre qu’à ses enfants, nous avons commencé à nous renseigner sur les paragraphes 6(1) et 6(2), sur l’exclusion de la deuxième génération et sur toutes ces choses. Mais il était clairement établi que l’émancipation était la cause. Sans la règle d’exclusion par le mariage, son statut actuel aurait peut-être été différent.
Je ne saurais vous dire pourquoi l’absence de statut aurait une incidence sur le type de statut que l’on obtient. Me Beaton pourra vous en dire davantage sur certaines de ces questions. Pour ma part, je peux vous dire que lorsque j’ai entendu parler des deux autres familles avec lesquelles Me Beaton travaillait, et appris qu’il acceptait de travailler aussi avec notre famille pour faire avancer cette question, comme je l’ai dit, j’étais emballée par l’idée que l’on pourrait dire au Canada : « À notre avis, quelque chose ne va pas dans la Loi sur les Indiens » — après tout, nous ne sommes que trois petites familles. Nous ne sommes ni des politiciens ni des personnalités publiques, mais au fond de nous, nous savions qu’il y avait injustice, et, grâce à la grande vision et au leadership de Me Beaton, nous avons pu essayer de remédier à cette situation.
Ma mère, décédée il y a plusieurs années, était l’une des plaignantes. Elle soutenait pleinement cette cause. Elle avait entre 80 et 90 ans lorsque l’affaire a été suffisamment organisée pour que nous devenions plaignants. Elle était fière d’être plaignante. Je suis probablement aussi fière qu’elle, et cela est aussi important pour moi que n’importe quoi d’autre. Elle n’a pas vu le résultat de notre travail. Elle serait stupéfaite de savoir que sa fille est ici et prend la parole devant un comité du Sénat du Canada.
D’une certaine manière, le simple fait de savoir qu’il existe un moyen de commencer à réparer une injustice qui a pris naissance en 1922, il y a plus de 100 ans, lorsque mon grand-père a été émancipé, est pour moi très important. Je suis sûre que Me Beaton pourra vous fournir les réponses plus techniques que vous recherchez.
La vice-présidente : Avant que vous ne répondiez, maître Beaton, j’ai une question à poser à mes collègues. Nos témoins ont gracieusement accepté de rester jusqu’à 21 heures. Trois d’entre vous ont encore des questions à poser. Je vous demande si vous accepteriez de rester 15 minutes de plus. Nos traducteurs ont également signifié leur accord. Merci beaucoup. Nous avons 15 minutes; trois sénateurs et vous, maître Beaton. Allez-y, je vous en prie.
Me Beaton : Je tenterai d’être bref. Pour répondre à votre question, si le projet de loi S-2 était adopté dans sa forme actuelle, il y aurait encore des situations qui, à mon avis, pourraient faire l’objet d’une contestation en vertu de la Charte.
Prenons un exemple : si un homme ayant le statut d’Indien vivait en couple avec une femme qui n’avait pas ce statut et qu’ils avaient eu un enfant né avant le 17 avril 1985, cet enfant aurait aujourd’hui le statut selon le paragraphe 6(1), tandis qu’un enfant né après cette date aurait le statut selon le paragraphe 6(2). Il en va de même, à l’inverse, pour une femme ayant le statut d’Indienne. Dans tous les cas, si les parents n’étaient pas mariés avant le 17 avril 1985, les enfants nés avant cette date auraient le statut selon le paragraphe 6(1), et les enfants nés après auraient le statut selon le paragraphe 6(2). Si les parents étaient mariés avant cette date, tous les enfants auraient le statut selon le paragraphe 6(1).
La situation actuelle est propice à une contestation fondée sur l’état civil. On discrimine les familles dont les parents ne sont pas mariés en réduisant la catégorie des enfants nés après 1985. Le projet de loi S-2 ne traite pas actuellement de cet aspect.
La seule chose que je dirais en tant qu’avocat des plaignants, c’est que l’idéal serait bien sûr de corriger tout ce qui peut l’être dans ce projet de loi. En ce qui concerne la situation des plaignants, le tribunal a fixé une date limite. Les plaignants ne s’opposeraient certainement pas à ce que d’autres questions soient abordées dans le projet de loi, mais il y a une date limite à laquelle la réparation doit être mise en place pour les plaignants.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice McPhedran : Je voudrais revenir sur la question de la date limite soulevée par Me Beaton. Ceux d’entre nous qui travaillent sur ce dossier depuis plusieurs années savent que les tribunaux ont, à plusieurs reprises, repoussé la date limite, ce qui pourrait se produire dans le cas présent aussi. D’où ma question : si cela était possible — c’est hypothétique —, souhaiteriez-vous que cette situation soit entièrement réglée en modifiant le projet de loi S-2?
M. Settee : Je répondrais sans hésiter « oui », car je pense que bon nombre des lois adoptées ont été discriminatoires. Nous ne pouvons pas perpétuer un système qui continue de discriminer certaines personnes en raison de leur sexe. Cela n’aurait jamais dû se produire. Je pense que nous avons évolué et que nous avons changé. Nos attitudes diffèrent quelque peu de ce qu’elles étaient à l’époque. J’espère que nous pourrons tracer une meilleure voie, non seulement pour la diversité des genres, mais aussi pour toutes les questions qui concernent les membres des Premières Nations issus de différents milieux et ayant des perspectives différentes. Ces aspects doivent être pris en compte. C’est une question d’égalité.
Mme Fournier : Je laisserais peut-être Me Beaton parler à nouveau de certains aspects logistiques de cette question.
Me Beaton : Une différence que je soulignerais, dans l’affaire Descheneaux, par exemple, c’est qu’il y a eu quelques prolongations pour le Canada. Dans cette affaire, la cour a déclaré que les dispositions de l’article 6 de la Loi sur les Indiens étaient globalement sans effet et les a suspendues. La cour a fait valoir que, si cette ordonnance entrait en vigueur sans qu’une loi soit en place, tout le monde se verrait refuser les avantages de ces dispositions sur l’inscription. Les personnes qui cherchaient simplement à s’inscrire ne pourraient pas le faire, car ces dispositions ne seraient pas en vigueur.
Dans cette affaire, le tribunal a donné raison aux plaignants en estimant que certains termes très précis devaient être supprimés de l’alinéa 6(1)a.1) et de l’alinéa 6(1)d). Nous avons fait valoir au tribunal que, si cette ordonnance entrait en vigueur, elle ne porterait atteinte à la capacité d’aucune personne de s’inscrire. Elle ne priverait personne d’avantages. Elle corrigerait simplement l’injustice dont étaient victimes les plaignants.
Si le Canada demandait une prolongation, les plaignants s’y opposeraient au motif que l’entrée en vigueur de l’ordonnance ne cause de préjudice à personne. Elle permet simplement aux personnes qui se trouvent dans la situation des plaignants de se prévaloir des droits que leur confère la Charte. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une situation où les droits garantis par la Charte sont enfreints systématiquement, de sorte qu’une prolongation n’est pas un outil inoffensif dans ce contexte.
Si nous ne sommes pas opposés à l’élargissement du champ d’application du projet de loi S-2 afin de traiter les situations qui restent problématiques ou discriminatoires, nous soulignons aussi l’importance de respecter la date limite fixée par le tribunal.
La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins. Merci de nous avoir fait part de vos défis et de les avoir clairement exprimés.
J’ai été frappée par le nombre de personnes dans nos cercles, parmi nos collègues — comme vous l’avez entendu de la bouche de collègues —, qui ont été touchées.
Madame Fournier, je suis curieuse de connaître les démarches que vous et votre famille avez dû entreprendre. En fait, il serait utile de parler du genre de démarches que vous avez dû entreprendre pour aller devant les tribunaux afin de régler cette affaire. Depuis combien de temps cette lutte dure-t-elle? Vous en avez un peu parlé, en évoquant votre défunte mère, et je vous en remercie.
Je ne doute pas de l’engagement de la ministre lorsqu’elle dit qu’elle s’engage. Nous sommes nombreux à avoir vu, trop souvent, des ministres être démis de leurs fonctions avant d’avoir eu l’occasion de mener à bien ce à quoi ils s’étaient honnêtement et sincèrement engagés.
Je pense que nous sommes tous préoccupés par le fait que les conditions inadéquates qui garantiront vos droits risquent encore de laisser davantage de personnes sur le carreau. Que diriez-vous aux personnes qui attendent encore? Que suggéreriez-vous si vous étiez à notre place? Je ne veux pas vous imposer un fardeau supplémentaire, mais il me semble que nous avons maintenant l’occasion d’aller beaucoup plus loin et de régler ce problème. Il serait, à mon avis, irresponsable de notre part de ne pas essayer de le faire et de laisser à la ministre le soin de le régler plus tard.
Mme Fournier : Une personne comprend certaines choses quand elle nage dans la Loi sur les Indiens toute sa vie. Comme je l’ai dit, ma mère n’a obtenu son inscription qu’en 1985, mais nous connaissions bien sûr la Loi sur les Indiens et savions à quel point elle régissait la vie des gens de toutes sortes de façons de sorte que la plupart d’entre nous — moi, en tout cas — ne pouvaient imaginer qu’elle puisse être remise en question ou modifiée de quelque manière que ce soit. À l’époque, il n’était certainement pas question d’abroger la Loi sur les Indiens.
Peu avant le début de la pandémie de COVID — qui a retardé quelque peu les choses —, j’ai entendu parler d’un cas au Québec dans mon flux d’actualités. Il était question d’émancipation. Je me suis dit que voilà une autre famille, une autre personne, avec cette histoire dans sa vie. Elle a saisi la justice au Québec et a obtenu gain de cause. En contactant ces personnes, j’ai rencontré Ryan Beaton, qui préparait alors les renseignements dont il aurait besoin pour contester la Charte.
J’en ai parlé avec ma famille, mes frères et sœurs, mes parents et mes enfants. Nous nous sommes demandé : « Osons-nous faire cela? Est-ce quelque chose qui pourrait se concrétiser dans cette vie? » Mais, grâce au leadership exceptionnel de Me Beaton et à sa connaissance approfondie des questions juridiques et techniques, et après avoir entendu le récit des deux autres familles, cela est probablement devenu l’une des plus grandes réalisations de ma vie. Et j’ai fait toutes sortes de choses, notamment travaillé pendant 20 ans au ministère des Affaires autochtones et du Nord. Ce n’est peut-être pas une réalisation, mais certainement un exploit.
Lorsque nous avons entendu ce à quoi les autres familles s’étaient engagées, puis en parlant à ma mère, qui était elle‑même très engagée, nous avons commencé à imaginer que cette petite chose pouvait peut-être être réglée. Nous sommes passés plusieurs fois à l’émission The National pour présenter notre défi, puis des gens sont entrés en contact avec nous, et les choses ont pris de l’ampleur. Ensuite, le projet de loi à la Chambre des communes et le projet de loi au Sénat ont porté sur des questions qui ne faisaient pas partie de notre plan initial.
Je ne m’opposerais jamais, personnellement, à l’idée de changer autant d’éléments que possible, mais je comprends qu’il y a un équilibre complexe entre essayer de tout faire en même temps et essayer de s’attaquer à de petits morceaux. Je ne suis pas l’expert qui peut dire laquelle de ces deux approches est la plus réaliste ou la meilleure.
Lorsque le projet de loi a été soumis en deuxième lecture à la Chambre des communes, j’étais dans la tribune des visiteurs; c’était en 2022. J’ai été frappée par le fait que, 100 ans plus tôt, mon grand-père avait fait ce choix très difficile. Il était fier de son identité, tout comme ma grand-mère. C’était il y a 100 ans, et cela prendra peut-être encore du temps. Je ne suis pas sûre d’avoir une réponse plus complète que celle-ci, mais peut-être que le grand chef Settee ou Me Beaton en auraient une.
La vice-présidente : Merci beaucoup pour cela.
Sénatrice Clement, vous pouvez poser votre question. Vous disposez d’environ trois minutes.
[Français]
La sénatrice Clement : Merci pour votre courage, madame Fournier.
[Traduction]
Merci d’avoir souligné la différence entre l’émancipation et l’octroi du droit de vote. En tant que Canadienne noire, cela me touche particulièrement. Le langage est important, je vous suis donc reconnaissante de votre remarque.
J’ai des questions à poser au grand chef Settee et à Me Beaton.
Maître Beaton, vous avez évoqué l’affaire Nicholas et certaines concessions accordées par le gouvernement fédéral. Considérez-vous cela comme un signe que le gouvernement canadien va désormais mieux se comporter dans les litiges ou les traiter de manière plus juste à l’avenir?
Chef Settee, vous avez témoigné de votre lien très fort avec votre identité, indépendamment de ce que dit la loi. Certaines personnes ne vivent pas cette expérience et se sentent profondément déconnectées. Pouvez-vous nous parler de l’impact de ce lien et de son importance?
Me Beaton : Je pense que c’est positif. Nous étions à quatre ans du recours en justice. Il y a eu beaucoup de travail avant que le Canada ne fasse cette concession, mais je ne veux pas la minimiser. Cela a évité un procès et d’autres difficultés. Je dirai simplement que c’est positif, ce qui a été reconnu. J’espère que cela signifie que d’autres affaires semblables seront traitées dans un processus moins conflictuel.
La sénatrice Clement : Merci.
M. Settee : De nombreux ouvrages ont été écrits sur la Loi sur les Indiens et son impact sur les Premières Nations depuis son entrée en vigueur. Chaque modification apportée à cette loi suscite de nombreux débats. En fin de compte, il est très important que nous, en tant que peuples autochtones, soyons signataires des traités. La question des droits issus de traités est très importante. La Loi sur les Indiens a vraiment entravé la mise en œuvre des traités pendant de nombreuses années. Nous avançons et essayons de changer les choses et de les rendre un peu plus acceptables pour les Premières Nations. En fin de compte, notre message a été de supprimer la Loi sur les Indiens. Nous n’en sommes pas encore là, mais cela changerait finalement bien des choses dans nos vies.
Je vais répéter ceci, et ce sera ma dernière intervention. À notre assemblée, nous avons été chargés d’élaborer un cadre sur la citoyenneté des Premières Nations qui respecterait nos droits inhérents et issus de traités pour les générations actuelles et futures, et qui éliminerait la discrimination sexuelle qui persiste dans le projet de loi C-31.
La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup pour ces paroles.
Le temps alloué à ce panel est écoulé. Merci encore à nos témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Hiy hiy. Si vous souhaitez faire d’autres déclarations ou soumettre d’autres documents, veuillez les remettre au greffier. Nous accueillerons volontiers toute information supplémentaire.
(La séance est levée.)