LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 7 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
La sénatrice Margo Greenwood (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour, tout le monde.
Avant de commencer, j’invite les sénateurs ainsi que les autres participants présents en personne à consulter les fiches déposées sur les tables pour prendre connaissance de quelques consignes. Ces consignes visent à prévenir les incidents acoustiques. Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Si vous ne l’utilisez pas, déposez votre oreillette à l’envers sur l’autocollant apposé sur la table à cet effet.
Merci de votre coopération.
Je commence mon intervention en soulignant que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, où vivent aujourd’hui plusieurs autres peuples des Premières Nations, métis et inuits de l’île de la Tortue.
Je suis la sénatrice Margo Greenwood. Je suis originaire du territoire visé par le Traité no 6. Je suis la vice-présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je rappelle à mes honorables collègues que, lors de notre première réunion publique le 24 septembre, la sénatrice Michèle Audette, présidente élue du comité et marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude afin d’en préserver la neutralité. C’est un honneur et un privilège pour moi de présider l’importante réunion tenue aujourd’hui.
Je vais maintenant demander aux membres du comité présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, de la Nouvelle‑Écosse, territoire Mi’kma’ki.
La sénatrice Pate : Merci. Bienvenue. Je vis ici, sur le territoire non cédé et non restitué de la nation algonquine anishinabe.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, de la Première Nation de Barren Lands, territoire visé par le Traité no 10, au Manitoba.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4 et patrie des Métis.
La sénatrice McPhedran : Bonjour, je suis heureuse de vous revoir. Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
La sénatrice Sorensen : Sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta, parc national Banff, territoire visé par le Traité no 7.
La sénatrice Coyle : Sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, représentant la sénatrice Gwen Boniface. Je viens du territoire Mi’kma’ki.
La vice-présidente : Merci, chers collègues. Sénateur Klyne?
Le sénateur Klyne : Madame la présidente, je veux juste annoncer que je remplace Judy White. La sénatrice Coyle me l’a fait rappeler.
La vice-présidente : Merci, chers collègues, de vous être présentés. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
Le texte modifie la Loi sur les Indiens, notamment en accordant de nouveaux droits à l’inscription au registre des Indiens pour donner suite à la contestation de certaines dispositions de cette loi fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés dans l’affaire Nicholas c. Canada et en accordant aux personnes visées le droit à ce que leur nom soit consigné dans une liste de bande tenue par Services aux Autochtones Canada.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins d’aujourd’hui.
Je vais maintenant présenter le premier groupe de témoins que nous entendrons aujourd’hui : Marjolaine Étienne, de Femmes Autochtones du Québec; Madeleine Redfern, présidente‑directrice générale par intérim, bureau principal de l’Association des femmes autochtones du Canada; et Dawn McDonald, directrice générale de l’Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse, présente par vidéoconférence.
Merci à toutes d’être avec nous aujourd’hui.
Les témoins feront des déclarations liminaires d’une durée de 5 minutes environ, qui seront suivies d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs.
Nous allons écouter les trois déclarations, puis passer à la séance des questions et réponses. Madame Étienne, je vous invite à prendre la parole.
[Français]
Marjolaine Étienne, présidente, Femmes autochtones du Québec : Kwe. Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Marjolaine Étienne et je représente Femmes autochtones du Québec, une organisation fondée en 1974 qui représente les Premières Nations du Québec, que ce soit en milieu urbain ou en communauté. L’organisation Femmes autochtones du Québec est forte de plus de 50 ans de lutte contre les discriminations contenues dans la Loi sur les Indiens.
Au fil des décennies, notre organisation a participé activement aux réformes majeures de cette loi, soit par l’entremise des projets de loi C-31 en 1985, C-3 en 2010 et S-3 en 2017. Nos interventions ont été entendues devant le Parlement, au sein des coalitions nationales, et même sur la scène internationale, notamment devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.
Aujourd’hui, nous sommes ici pour affirmer que nous appuyons les avancées proposées dans le projet de loi S-2. Toutefois, nous devons aussi dire avec clarté et fermeté que ces avancées demeurent incomplètes. Les discriminations sexistes dans la transmission du statut persistent. Elles doivent être corrigées maintenant et non repoussées à une réforme future. Malgré les efforts du projet de loi S-2, les femmes autochtones et leur descendance ne bénéficient toujours pas d’une égalité réelle dans la Loi sur les Indiens. Chaque réforme partielle engendre une nouvelle vague d’exclusions, de contestations judiciaires et de traumatismes familiaux.
Le Sénat a aujourd’hui l’occasion de mettre fin à ce cycle, une fois pour toutes. Nous proposons donc les amendements prioritaires suivants.
Abroger la règle de l’inadmissibilité de la seconde génération : cette règle héritée du projet de loi C-31, programme à portée légale des Premières Nations, touche de manière disproportionnée les lignées maternelles et crée une inégalité flagrante. Même la citoyenneté canadienne a moins de critères pour être transmise à la descendance d’une personne comparativement au statut autochtone. Au Québec, les chiffres projetés sont les suivants : dans environ 40 ans, 60 % des personnes inscrites seront dans la catégorie du paragraphe 6(2). C’est une catastrophe pour les communautés qui voient leur population réduite, tout comme leur souveraineté légitime, leurs cultures et traditions. Cette nouvelle forme d’assimilation politique est totalement inacceptable.
Transférer l’autorité d’appartenance aux nations : avant 1985, une femme perdait son appartenance en se mariant. Même lorsque ce droit est restauré, plusieurs femmes n’ont jamais pu retourner dans leur communauté, que ce soit pour une raison de séparation, de décès ou toute autre raison personnelle, surtout si la communauté de naissance de la femme a adopté un code d’appartenance. Le droit au retour doit être explicite et inconditionnel et ne doit plus relever du gouvernement fédéral, mais des nations autochtones qui devraient engager un discours souverain et respectueux de leurs cultures et traditions avec les femmes concernées.
Retirer l’obligation de nommer le père : cette exigence constitue une discrimination fondée sur le sexe. Les pères ne sont jamais tenus d’identifier la mère pour que leur enfant obtienne leur statut. Pour les femmes victimes de violence notamment, cette obligation peut violer leur droit à la sécurité et à la dignité protégée par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elles peuvent ne pas connaître ou nommer le père pour toutes sortes de raisons humaines. L’obligation qu’elles s’y soumettent ou non peut être la source de véritables traumatismes et d’injustices.
Reconnaître et réparer officiellement les préjudices causés par la Loi sur les Indiens.
Avant de conclure, il est essentiel de nommer une vérité trop souvent ignorée. La Loi sur les Indiens a causé des préjudices profonds et durables. Depuis 1985, les projets de loi C-31, C-3 et S-3 ont introduit des clauses excluant toute possibilité d’indemnisation pour les victimes de discrimination. Le projet de loi S-2 propose d’en ajouter une nouvelle. Ce serait prolonger une injustice déjà trop longtemps tolérée. Les femmes autochtones et leur descendance ont subi des pertes de statut, des exclusions de leur communauté, des privations des droits sociaux et culturels et des traumatismes intergénérationnels. Elles n’ont jamais obtenu réparation. L’absence de compensation empêche une véritable réconciliation. Elle perpétue un sentiment d’injustice et contredit les engagements du Canada en matière des droits humains.
En droit international, notamment selon la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et les recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, les victimes de discrimination ont droit à une réparation effective. Ces clauses de non-responsabilité violent aussi l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit l’égalité et la protection contre la discrimination.
Nous recommandons donc que le Parlement retire toute clause de non-responsabilité du projet de loi S-2, abroge les clauses similaires des projets de loi antérieurs et engage un processus de consultation réel avec les femmes et leur communauté pour créer un mécanisme de réparation juste, accessible et adapté aux réalités autochtones.
Finalement, j’aimerais ajouter quelques éléments concernant la mise en œuvre efficace du projet de loi S-2. Les coupes dans les fonds qui devaient soutenir les consultations des individus autochtones sont contraires à une mise en œuvre robuste et efficace. Les réformes précédentes ont échoué dans l’application, les retards, les refus et l’obstacle administratif. Dans le cadre de cette nouvelle loi, il semble nécessaire de convenir d’un plan clair, adapté et suffisamment financé ainsi que d’un mécanisme de suivi indépendant. De plus, le gouvernement doit prévoir des ressources suffisantes pour faciliter l’intégration des nouveaux inscrits dans les communautés. Sans cela, la réforme risque d’engendrer des tensions entre les nouveaux inscrits et les membres déjà reconnus.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-2 est une avancée, mais il est insuffisant. Le Sénat a aujourd’hui la responsabilité et l’occasion historique d’adopter des amendements qui garantiront enfin l’égalité réelle des femmes autochtones et de leur descendance et une véritable renonciation à des politiques assimilatrices qui perdurent depuis trop longtemps. Sans ces changements et sans les ressources nécessaires, la discrimination persistera et la réconciliation que nous souhaitons toutes et tous restera inachevée. Je vous remercie.
La vice-présidente : Merci, madame Étienne.
[Traduction]
J’invite maintenant Mme Redfern à faire sa déclaration. La parole est à vous.
Madeleine Redfern, présidente-directrice générale par intérim, bureau principal, Association des femmes autochtones du Canada : [Mots prononcés en langue autochtone.]
Bonjour et merci, madame la présidente, membres du comité sénatorial, éminentes témoins et invitées. Je viens d’Iqaluit, au Nunavut.
L’Association des femmes autochtones du Canada, fondée en 1974, est la seule organisation nationale de femmes autochtones au Canada qui défend les droits des femmes autochtones dans toute leur diversité partout au pays, qui offre des programmes à ces femmes et qui renforce leurs perspectives. L’association représente les femmes des Premières Nations vivant dans les réserves et hors réserve, inscrites et non inscrites et privées de leurs droits, ainsi que les femmes inuites et métisses. Notre réseau de femmes autochtones est présent dans des communautés urbaines et rurales de tout le Canada, à l’intérieur comme à l’extérieur des réserves. Pour cette raison, les points de vue importants de l’association en ce qui concerne le genre doivent être pris en compte dans toutes les discussions qui concernent les femmes autochtones.
L’Association des femmes autochtones du Canada reconnaît l’importance des modifications proposées à la Loi sur les Indiens, qui visent à supprimer les termes offensants, à permettre la désinscription ainsi qu’à donner le droit à l’inscription aux personnes touchées par l’émancipation forcée et à leurs descendants. Cependant, le projet de loi S-2 ne va pas assez loin pour régler les problèmes d’inscription qui persistent relevant de la Loi sur les Indiens, comme l’exclusion après la deuxième génération et la date limite de 1985. Ces problèmes de longue date mettent en évidence les formes de discrimination fondée sur le sexe, multiples et complexes, que la Loi sur les Indiens fait perdurer.
Au cours de la dernière législature, l’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC, a organisé une série de séances de consultation sur le projet de loi C-38, l’ancienne version du projet de loi S-2. Elle a ensuite formulé plusieurs recommandations qui sont toujours d’actualité. Par exemple, pour remédier aux termes offensants employés dans la loi, elle a proposé de remplacer le terme « Indien » par « membre des Premières Nations » lorsqu’il est question d’une personne, et par « Premières Nations » dans les autres cas. Elle a également recommandé de renommer la loi pour qu’elle devienne la « Loi sur les Premières Nations ». L’utilisation du terme « Indien » pour désigner les membres des Premières Nations est offensante. Malgré la signification juridique du terme dans l’histoire des lois et dans la Constitution, l’utilisation continue qu’en fait le Parlement n’est ni respectueuse ni nécessaire.
Comme mentionné précédemment, nous recommandons entre autres de supprimer la règle d’exclusion après la deuxième génération en abrogeant le paragraphe 6(2) et en modifiant l’alinéa 6(1)f) pour reconnaître le droit à l’inscription quand l’un des parents ou les deux parents y ont eux-mêmes droit. Le cadre actuel entraîne un traitement fondé sur le statut. Plus important encore, comme le nombre de familles dont un parent a le statut et l’autre non augmente, l’exclusion après la deuxième génération deviendra de plus en plus courante. Cette situation aura de lourdes conséquences puisque les futures générations d’Autochtones auront un accès limité au statut. Le statut est assorti de droits.
Nous savons que la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens continue d’avoir des répercussions sur les femmes des Premières Nations et sur leurs descendants. La perte de statut pour les femmes a mené à la perte de culture et du droit d’hériter d’une propriété dans les réserves ou d’en posséder une. De plus, la pauvreté a augmenté chez ces femmes qui, comme leurs descendants, ont perdu l’accès aux ressources et aux soutiens communautaires qui sont offerts aux personnes inscrites.
Ce que l’on continue d’exclure du projet de loi, c’est le droit des Premières Nations de déterminer qui elles sont et qui appartient à leurs communautés respectives. L’intervention du gouvernement du Canada, qui continue de décider de l’inscription, porte atteinte aux droits des peuples autochtones de déterminer l’appartenance. Ce droit est clairement affirmé dans l’article 33 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, déclaration que le gouvernement fédéral a affirmé dans le droit canadien et s’est engagé à respecter.
Nous revenons encore une fois à la vérité fondamentale que la Loi sur les Indiens est incompatible avec les droits énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Par son existence, la loi continue de violer le droit à l’égalité, de compromettre la protection contre la discrimination et de nuire à l’autodétermination. Par conséquent, l’AFAC demande au gouvernement fédéral d’établir un plan clair et assorti de délais visant à éliminer progressivement la Loi sur les Indiens en collaboration avec les peuples autochtones. Elle lui demande aussi de respecter les droits issus des traités et les droits de la personne inaliénables des Autochtones, y compris les droits protégés par la Constitution.
L’AFAC continuera de défendre les intérêts des femmes autochtones et de leur famille. Elle collaborera avec tous les ordres de gouvernement pour mettre fin aux iniquités et à la discrimination qui sont inscrites dans la Loi sur les Indiens depuis 1876.
En tant que femme inuite, je trouve intéressant de souligner que l’accord sur les revendications territoriales donne à ma nation — à mon peuple — le droit de déterminer qui sont ses membres au moyen de son propre programme d’inscription. C’est donc possible dans ce pays. Je vous remercie.
La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Redfern.
J’invite maintenant Mme McDonald à faire sa déclaration. La parole est à vous.
Dawn McDonald, directrice générale, Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse : Après les deux interventions que nous avons entendues, la mienne va sembler répétitive.
L’Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse est reconnaissante de pouvoir donner son avis au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le projet de loi S-2, qui propose des modifications à la Loi sur les Indiens relativement à l’inscription et au droit à l’inscription.
L’Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse représente les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones de tout le Mi’kma’ki. Elle œuvre en faveur de l’égalité, de la justice et de la résurgence culturelle en se fondant sur les expériences et les priorités des communautés.
L’association reconnaît que le projet de loi S-2 cherche à remédier aux préjudices à long terme causés par les politiques discriminatoires passées, y compris les répercussions de l’émancipation involontaire et de l’exclusion de l’inscription. Même si elle est favorable aux modifications proposées, elle demeure préoccupée. En effet, le projet de loi ne va pas assez loin pour remédier à l’ensemble des discriminations systémiques fondées sur le sexe qui sont intégrées dans la Loi sur les Indiens.
Tout d’abord, les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription causent des préjudices durables. En effet, le régime d’inscription actuel continue d’avoir des répercussions disproportionnées sur les femmes des Premières Nations et sur leurs descendants. En raison de la règle d’exclusion après la deuxième génération et des restrictions découlant des modifications apportées en 1985, en particulier, de nombreuses personnes ne peuvent pas s’inscrire parce qu’on ne tient compte du statut que d’un seul parent. Comme le nombre de familles où seul un parent est inscrit continue d’augmenter, de plus en plus de personnes et leurs enfants se verront injustement refuser l’accès à l’inscription et aux droits qui y sont liés.
Ce système crée un cycle d’exclusion qui a une incidence non seulement sur le statut juridique, mais aussi sur le lien avec la culture, sur l’accès aux programmes et aux services et sur le sentiment d’appartenance à la communauté.
En Nouvelle-Écosse, nous avons pu constater directement les répercussions durables de la perte de statut sur les femmes et les familles : elles se retrouvent séparées de leur communauté d’origine, incapables d’hériter de leur propriété dans la réserve et déconnectées de leur langue et de leur culture.
Par conséquent, nous recommandons d’abroger le paragraphe 6(2) et de modifier l’alinéa 6(1)f) pour permettre l’inscription si l’un ou l’autre des parents y a lui-même droit. Il s’agirait d’un pas important vers l’élimination de la discrimination générationnelle.
Ensuite, il est nécessaire d’utiliser un langage respectueux et adapté à la culture. L’association est préoccupée par l’utilisation continue du terme « Indien » dans les lois fédérales. Bien que nous reconnaissions l’histoire juridique de ce terme, il est largement considéré comme désuet et offensant. Nous sommes favorables à l’emploi de termes respectueux, comme « membre des Premières Nations » ou « Premières Nations », pour désigner les peuples autochtones. Ce virage linguistique est important non seulement pour faciliter la réconciliation, mais aussi pour garantir que les lois fédérales soient conformes aux normes actuelles en matière de dignité et de respect.
Enfin, il faut affirmer la compétence des Autochtones en matière d’inscription. Essentiellement, l’association croit que le droit de déterminer l’appartenance doit revenir aux Premières Nations elles-mêmes, pas au gouvernement fédéral. Bien que l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens soit distincte de l’appartenance à une communauté, elle détermine néanmoins qui a droit à certains droits et services. Cette autorité du fédéral sur l’identité porte atteinte au droit des Premières Nations de déterminer leur appartenance. Ce droit est inhérent et découle aussi des traités.
Je vais répéter une chose qui a déjà été dite. L’article 33 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones affirme le droit de ces peuples de déterminer leur propre identité et leur propre appartenance.
L’adoption par le Canada de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones oblige tous les ordres de gouvernement à respecter ce droit. Cependant, si on n’apporte pas de changements significatifs au cadre d’inscription prévu par la Loi sur les Indiens, ce droit continuera d’être limité dans la pratique.
Pour conclure, nous exhortons le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à prendre en considération ce qui suit : premièrement, abroger le paragraphe 6(2) et modifier l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens pour permettre l’inscription si l’un ou l’autre des parents est inscrit ou a le droit de l’être; deuxièmement, remplacer les termes désuets et offensants dans la loi par des termes respectueux et adaptés à la culture; et troisièmement, soutenir et affirmer la compétence des Premières Nations à prendre des décisions en matière de citoyenneté et d’appartenance, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et aux principes d’autodétermination.
Le projet de loi S-2 apporte certaines corrections nécessaires, mais nous encourageons le Sénat à l’envisager comme un seul élément d’un vaste processus. Pour réellement changer les choses, il faut non seulement réparer les torts passés, mais aussi respecter le droit des Premières Nations de définir et de gouverner leurs propres communautés.
L’Association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse continuera de défendre les droits des femmes autochtones, de leurs familles et des générations futures dans la province. Nous comptons poursuivre le dialogue et la collaboration avec le gouvernement à ce chapitre.
Wela’lin. Je vous remercie.
La vice-présidente : Merci, madame McDonald. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chacun d’entre vous disposera de quatre minutes pour poser une question et obtenir une réponse. On vous avertira 30 secondes avant la fin des quatre minutes pour que tout le monde puisse poser au moins une question.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’être venues aujourd’hui et d’avoir fait part de leurs témoignages, qui sont très importants.
J’ai deux questions. L’une est pour Mmes Étienne et McDonald, et l’autre est pour Mme Redfern. Je vais commencer par Mme Redfern.
Vous avez mentionné que, dans le cadre de l’accord conclu dans le Nord avec les Inuits, il existe une façon particulière de déterminer qui sont les membres de la nation. Je trouve cela très intéressant. Pouvez-vous expliquer plus en détail en quoi consiste le processus?
Mme Redfern : Absolument. L’article 35 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, qui est semblable à certains des autres traités conclus avec des Inuits, reconnaît que les Inuits sont les mieux placés pour déterminer qui est Inuit aux fins de l’accord. L’article garantit que les Inuits seront reconnus selon leur propre compréhension de leur identité, et qu’ils détermineront eux-mêmes qui est Inuit aux fins de l’accord, et donc qui est inscrit en vertu de l’accord.
En outre, l’accord établit un processus. Il y a des comités d’inscription communautaires, composés de membres de la collectivité. Une demande doit être présentée, ce qui est généralement fait par les parents, ou par la personne elle-même si elle est plus âgée. Il faut donner des renseignements sur les parents et sur les autres membres de la famille. Un aspect de vérification de la culture est en train de s’ajouter au processus à cause du problème des faux Autochtones. Ensuite, le comité procède à l’inscription.
Le nom de la personne est inscrit sur une liste tenue par une organisation inuite désignée. Les organisations inuites désignées sont en fait des entités qui relèvent de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie. Je voudrais approfondir ce sujet. Au cours de cette réunion et de réunions précédentes du comité, il a été question de la règle de descendance monoparentale. Est-il possible d’être reconnu au sein de votre nation selon les critères d’appartenance que vous venez de mentionner, où l’on tient compte d’un parent, qui que soit la personne avec laquelle ce parent a eu des enfants?
Mme Redfern : Tout à fait. Un certain nombre de personnes, le plus souvent des mères, inscrivent leurs enfants sans nécessairement divulguer l’identité du père. Elles le font pour différentes raisons. En général, la mère fournit l’identité des membres de sa propre famille. Cette situation pourrait aussi se produire avec un père.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre témoignage, mesdames Étienne et McDonald. Ce que je comprends, c’est que le projet de loi S-2 est loin d’être complet, même s’il cherche à bien faire en remédiant à certains aspects de la discrimination présente dans la Loi sur les Indiens. Vous demandez au gouvernement de corriger ces lacunes — la discrimination qui existe dans la loi — au moyen du projet de loi dont il est question ici.
Mesdames Étienne et McDonald, vous avez parlé de supprimer la règle d’exclusion après la deuxième génération. Pourriez-vous expliquer plus en détail ce qu’une telle mesure signifierait concrètement pour les communautés, et pourquoi il est si important de supprimer cette règle en particulier de la Loi sur les Indiens? Madame Étienne, commençons par vous.
[Français]
Mme Étienne : Merci de votre question. D’entrée de jeu, pour répondre à cette question si importante, la Loi sur les Indiens, lorsqu’elle a été mise en place, était déjà discriminatoire à l’égard des femmes autochtones. Plusieurs années se sont écoulées. En 1985, les femmes qui revendiquaient de retrouver leur statut ont eu gain de cause.
Je ne vous cacherai pas qu’à cette époque, je vivais dans ma communauté. C’était une ambiance que je pourrais qualifier d’extrêmement difficile avec l’incompréhension du pourquoi et du comment des femmes autochtones qui souhaitaient retrouver leur statut. Elles avaient raison, bien sûr. Elles vivaient des inégalités à l’égard des hommes qui mariaient une allochtone. C’était une ambiance difficile. Il y avait des déchirures entre frères et sœurs et des déchirures familiales et au sein de la collectivité.
Entre 1985 et aujourd’hui, c’est près de 40 ans où la discrimination dans la Loi sur les Indiens est persistante à l’égard des femmes autochtones. En ce sens, je crois effectivement qu’il est de la plus haute importance de pouvoir l’abroger. Si ce n’est pas fait, il y a un risque que, des années plus tard — ou peut-être encore dans 40 ans —, on en soit encore, comme aujourd’hui, à réclamer un amendement pour abroger la loi. Il faut mettre un terme à cette discrimination qui touche les femmes, les enfants et les petits-enfants dès aujourd’hui.
J’ai pu côtoyer certaines femmes autochtones dans la province où j’habite, le Québec. Je peux vous dire que ces femmes sont fatiguées, épuisées, n’ayant pas d’endroit pour pouvoir s’exprimer, pour faire entendre et valoir leurs préoccupations et pour faire entendre leur cause et d’être écoutées. C’est une chose d’être écouté également aujourd’hui. Femmes autochtones du Québec a mentionné, dans le cadre de l’assemblée générale qui s’est tenue en octobre dernier, qu’ils seront là pour elles et pour faire avancer cette cause afin que cette injustice soit réparée. Nous avons avec vous le devoir et la chance de pouvoir le faire.
Comme je l’ai soulevé dans mes remarques d’ouverture, il reste le financement à régler. Il est important pour les femmes autochtones d’obtenir réparation. Il est important de retrouver l’équilibre qui existait avant la Loi sur les Indiens où la relation entre les hommes et les femmes autochtones était en équilibre. Lorsque la Loi sur les Indiens est arrivée avec la colonisation et le système des pensionnats, tout cela est venu bafouer de plein fouet leur rôle et la transmission des savoirs culturels, y compris nos langues maternelles.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Merci de vos déclarations.
Mes petits-enfants se sont vu refuser le statut — ceux de ma deuxième fille, car ma première fille est concernée par le paragraphe 6(1).
Je n’ai pas de questions qui permettront d’approfondir cette discussion. Elle me cause beaucoup de stress. La violence latérale contre les femmes des Premières Nations perdure. Cela doit cesser. Il faut que nos peuples participent davantage à la société, mais c’est impossible en raison de la loi issue du projet de loi C-92 et de ce dont nous parlons maintenant. Nous sommes trop occupés à lutter contre l’héritage du racisme scientifique, alors je comprends pourquoi les gens sont fatigués.
Le 24 septembre, la ministre Gull-Masty a insisté sur la nécessité d’adopter rapidement le projet de loi S-2. Elle a souligné que l’exclusion après la deuxième génération est une question complexe, ce qui est vrai, mais cela ne devrait pas nous empêcher d’apporter l’amendement. Je suis en faveur de cet amendement, qui a été proposé par les chefs du Manitoba.
Il faudrait mener un processus de consultation distinct sur l’exclusion après la deuxième génération. Le gouvernement envisage de le faire en 2026-2027. Qu’en pensez-vous? Devrions-nous laisser tomber et adopter rapidement le projet de loi S-2 tel quel? Il permettrait à 6 000 personnes d’obtenir le statut, mais on laisserait de côté de 225 000 à 300 000 personnes. Que diriez-vous si le projet de loi n’était pas amendé?
Cette question est pour vous toutes.
Mme Redfern : L’Association des femmes autochtones du Canada reconnaît la nécessité d’agir. Elle ne veut pas retarder l’approbation de ces amendements, car, comme vous l’avez mentionné, sénatrice, ils concernent l’émancipation et la récupération du statut. Cependant, nous sommes tout à fait d’accord avec vous : la mesure corrective n’est pas complète. C’est pourquoi nous recommandons de poursuivre le processus et de mener davantage de recherches et de séances de consultation. Nous avons beaucoup accompli — comme d’autres organisations — pour faire en sorte que le projet de loi respecte la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
C’est pourquoi nous appuyons l’adoption du projet de loi, mais les choses ne doivent pas s’arrêter là. La discrimination continue d’exister, et nous devons y remédier. Il faut établir un plan le plus rapidement possible pour régler ce problème. Nous ne pouvons pas attendre encore 40 ans.
Mme McDonald : Je suis d’accord avec Mme Redfern. C’est nécessaire. Nous n’avons même pas abordé le fait que certaines personnes inscrites en vertu de la règle de la deuxième génération n’ont peut-être pas donné le nom de leur deuxième parent. Ce peut être dû à des traumatismes, à des circonstances imprévues, au refus de mentionner ce parent ou à une autre raison.
En retardant les choses, nous mettons à nouveau ces personnes de côté. Je comprends la nécessité d’apporter rapidement les changements, mais je regrette de devoir faire attendre tout un groupe de personnes encore une fois. La majorité de ces personnes ont ensuite le sentiment, pour une raison ou pour une autre, que leurs enfants et leurs petits-enfants sont placés dans la même situation, dépendamment des dispositions relatives à la règle de la deuxième génération.
On va traumatiser de nouveau certaines femmes qui ont peut‑être eu des enfants en raison de leurs traumatismes. Ces enfants sont toujours là. Ils sont concernés aussi, et bon nombre d’entre eux vivent dans leur communauté et participent aux cérémonies et aux traditions.
Il ne s’agit pas seulement des enfants qui vivent à l’extérieur des réserves. Pour ceux qui vivent dans leur communauté, la discrimination est amplifiée. Même s’ils font tout au sein de leur communauté et qu’ils participent aux cérémonies tribales, ils se voient refuser des services et les droits issus des traités parce qu’ils ne détiennent pas le statut. Ces enfants grandissent dans leur communauté parce qu’au moins l’un de leurs parents y vit, mais à mesure qu’ils grandissent, on commence à leur refuser des services. Les parents doivent dépenser plus pour leur permettre de participer à des activités, sauf que comme le taux de pauvreté est élevé et que les revenus sont faibles, ce n’est souvent pas possible, alors les enfants souffrent davantage. Je pense que tout devrait être changé d’un coup par souci d’équité. De cette façon, personne ne sera mis de côté ou traumatisé à nouveau en apprenant qu’il faut attendre.
D’un autre côté, ceux qui sont laissés pour compte doivent pouvoir obtenir le statut. Donc, si on ne touche pas à la règle de la deuxième génération, il y a quand même l’alinéa 6(1)f) à modifier. Je suis indécise. Je veux vraiment que tout soit changé d’un coup. Je ne veux pas que des personnes qui ont déjà subi un traumatisme soient traumatisées de nouveau. Je ne dis pas que tous ces gens ont été traumatisés, mais c’est le cas pour la majorité. Il y a au moins un petit groupe qui l’a été, pour une raison ou pour une autre.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie.
La vice-présidente : Voulez-vous répondre à cette question, madame Étienne?
[Français]
Mme Étienne : En fait, si les intentions premières sont d’aller de l’avant avec l’abrogation de la règle de la deuxième génération, il y a un élément important à considérer : celui de soutenir financièrement les personnes qui sont inadmissibles à la seconde génération, les leaders et nos autorités locales au sein de nos communautés. Je crois qu’à l’heure actuelle, il y a de nouveaux inscrits. Le financement ne suit pas. C’est un élément important en matière de droit. Je crois que les droits à l’éducation et à la santé sont importants pour tout individu, et il faut s’assurer de donner les droits d’accès à ces services.
Le projet de loi S-2, où l’on parle de la deuxième génération, est un élément important. Je crois qu’un plan de mise en œuvre, comme je le disais plus tôt, contenant clarté et fermeté ainsi qu’un soutien et un financement adaptés au plan seraient des actions à examiner attentivement pour nous assurer de sa mise en œuvre.
[Traduction]
La vice-présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Coyle : Je remercie chacune des témoins que nous avons entendues aujourd’hui. Vous êtes bien informées et vos témoignages ont été utiles. Je suis désolée qu’on vous fasse vivre ce processus encore et encore. J’ai l’impression que nous avons cette discussion depuis longtemps. Toutefois, comme nous siégeons ici en tant que sénateurs, je crois qu’il est très important de rendre hommage à notre ancienne collègue, l’ancienne sénatrice Lovelace Nicholas, qui était membre de ce comité. Avec votre aide, nous ferons tout en notre pouvoir pour achever le travail qui a été entamé il y a bien longtemps — comme vous l’avez mentionné, madame Étienne.
Merci de nous rappeler tout le chemin que nous avons parcouru. La route est longue, et je comprends votre impatience, car les dégâts causés ont été considérables et ils se poursuivent. La sénatrice Lovelace Nicholas et d’autres ont lancé ce processus il y a longtemps. Nous avons eu de nombreuses occasions de réparer les torts causés, mais nous ne l’avons pas fait.
Je peux sentir la tension même dans la conversation d’aujourd’hui, où on se demande si on apporte seulement une autre petite amélioration, qui est très importante pour les personnes qui l’attendent, alors que d’autres questions restent en suspens, comme l’exclusion après la deuxième génération. Si j’ai bien compris ce que Mme Redfern a dit, l’AFAC estime qu’il faut adopter le projet de loi S-2, puis agir avec urgence pour terminer le travail.
Mme McDonald a fait savoir qu’elle était déchirée. Je pense que nous sommes tous déchirés ici quant à la bonne décision à prendre.
J’aimerais obtenir des éclaircissements sur les propos de Mme Étienne, parce que je ne suis pas tout à fait sûre d’avoir bien compris. Les deux autres témoins ont dit que le projet de loi S-2 n’allait pas assez loin, et vous avez dit qu’il est incomplet. C’est un peu différent. Du moins, je l’ai compris un peu différemment avec l’interprétation en anglais. Peut-être que je n’aurais pas dû.
Vous avez parlé de la nécessité de mettre en œuvre efficacement le reste des mesures qu’il faut prendre, et de la mise en œuvre des dispositions du projet de loi S-2. On nous dit que le gouvernement travaille d’arrache-pied en ce moment pour terminer d’ici la fin de l’année un processus de consultation sur la question de l’exclusion après la deuxième génération. Cette mesure arrivera donc bientôt. Voici ce que je cherche à comprendre, madame Étienne. Êtes-vous en train de dire qu’il faut adopter les amendements maintenant, et que vous ne voulez pas retarder l’adoption du projet de loi S-2, mais plutôt améliorer efficacement celui-ci dès maintenant, et qu’il ne faut pas attendre la tenue de cette consultation? Je crois que c’est bien ce que vous essayez de dire, car j’ai entendu les modifications que vous proposez.
Il y a eu maintes consultations, même si nous savons que les opinions divergent quant à la façon dont les choses doivent être mises en œuvre, comme l’a souligné ma collègue, la sénatrice McCallum. J’aimerais que vous nous en disiez plus, en particulier vous, madame Étienne, sur les modifications que vous avez mentionnées. Nous recommandez-vous d’étudier en profondeur ces amendements dès maintenant — je crois que d’autres sont en faveur de cette idée — et d’adopter le projet de loi S-2 sous sa forme modifiée?
[Français]
Mme Étienne : Je suis désolée si j’ai manqué une clarification.
Bien sûr, je suis d’accord avec ce que la ministre Gull-Masty a apporté dans le cadre de son allocution. Il est vraiment important d’adopter le projet de loi S-2. Toutefois, il reste que lorsque je parle de recommandations, je parle d’abroger la règle d’inadmissibilité de la seconde génération. Elle est importante, car on parle de femmes qui subissent de la violence depuis plusieurs années. Cependant, je suis partante pour dire qu’il faut aller de l’avant.
Pour être plus claire, mon message est qu’il ne faut plus attendre de petites avancées, car plus on chemine dans les divers projets de loi, plus on crée des étapes. Si l’on ne procède pas rapidement à l’adoption de ce projet de loi, on risque de revenir dans 20 ou 40 ans et de parler encore des inégalités qui touchent les femmes autochtones. C’est dans cette optique que je voulais m’exprimer.
Oui, la violence est encore présente. Oui, la Loi sur les Indiens amène de la discrimination, des iniquités, des choses injustes envers les femmes autochtones, et fait en sorte que l’ombrage de tout cela est une forme de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci, madame Étienne.
La sénatrice Sorensen : Je vais commencer par Mme McDonald, mais si c’est possible, j’aimerais aussi entendre ce que les deux autres témoins ont à dire, car les réponses peuvent varier, et je pose la question parce que je veux comprendre, alors j’espère que vous m’aiderez.
Les familles qui ont perdu leur statut en raison de l’émancipation ont évidemment perdu leur accès à divers avantages gouvernementaux. Mme McDonald a toutefois fait une observation sur les répercussions de cette perte sur la participation communautaire, et c’est justement le genre de questions que je voulais poser.
Voici comment j’ai formulé ma question : quand des familles ont perdu leur statut, sont-elles exclues des activités culturelles et des rites de passage? Ce n’est pas forcément le cas selon Mme McDonald, mais j’ai aussi entendu une référence à des coûts. Je vais commencer par Mme McDonald, mais pourriez‑vous toutes fournir quelques détails sur ces personnes, ces enfants, sur les personnes qui n’ont pas le statut d’Indien, mais qui participent à la vie communautaire? Sont-elles actives dans la communauté?
Mme McDonald : Oui, ce sont toujours des membres de la communauté. Je parle d’ici, en Nouvelle-Écosse. Nous travaillons avec les communautés partout dans la province, dans les communautés et à l’extérieur de celles-ci. Donc, il y a participation, si c’est accepté.
Cela dit, parfois, c’est vrai, il y a aussi de la discrimination. C’est quelque chose qui arrive quand des membres ne sont pas vus comme ayant le plein statut ou qu’ils vivent dans la réserve avec des parents dont le statut est jugé non transmissible, des trucs du genre.
Je parle de dépenses. Si vous envisagez d’aller à l’université ou de faire des études, certains ministères de l’Éducation vont payer pour les fournitures scolaires et verser un incitatif pour que vous restiez à l’école à des fins de recrutement et de persévérance, pour des programmes de repas à l’école, ce genre de choses pour lesquelles toutes les communautés reçoivent des fonds supplémentaires, que ce soit par l’intermédiaire du ministère de la Santé ou de l’Éducation ou de tout autre service qui est offert aux membres ayant le statut d’Indien — certains ne sont pas offerts aux personnes qui n’ont pas de numéro de carte de statut d’Indien parce que, au sein du système d’éducation, elles ne figurent peut-être pas sur la liste des noms. Donc, vous n’obtenez pas d’argent pour ces personnes, voyez-vous.
La sénatrice Sorensen : Je vois. C’est plus logique maintenant. Merci.
Maintenant, en ce qui a trait à la question générale, peut-être que Mme Redfern pourrait répondre.
Mme Redfern : Je tiens à dire que le problème d’absence de statut est aussi favorisé ou permis, je parle ici des « pseudo‑Autochtones ». Donc, si on accorde vraiment un statut qui vient légitimer les femmes autochtones et leurs enfants qui se sont vu refuser leur statut d’Indien, cela va aussi empêcher des personnes allochtones de prétendre qu’elles sont autochtones parce qu’elles n’ont pas de statut d’Indien.
[Français]
Mme Étienne : J’aimerais vous raconter un témoignage que j’ai reçu d’une jeune âgée de 11 ou 12 ans, une jeune non inscrite qui vit dans une communauté empreinte de sa culture et de ses traditions et qui est en relation avec sa grand-mère, sa kukum, sa mère et ses pairs. Cette jeune vit tous les jours de la discrimination. La souffrance que cela peut causer sur les enfants est inimaginable. Entendre une enfant qui souhaite être reconnectée avec sa culture et ses traditions, qui a à cœur de retrouver ses racines dans les communautés, mais qui malheureusement n’est pas inscrite... Il y a parfois, comme on l’a dit avec mes collègues, de la discrimination. Les jeunes en souffrent également. On leur refuse l’accès à des services en matière de loisir et en éducation. Les enfants ont le droit de vivre. Ils ont des droits. Je crois qu’on se doit de faire en sorte que ces enfants puissent retrouver leurs droits et qu’ils soient, au même titre que les autres jeunes, en mesure de vivre dans un environnement épanouissant dans leur propre communauté.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci pour votre réponse.
La sénatrice Pate : Je remercie une fois de plus les témoins. Madame Redfern, je vais vous poser une question, mais j’aimerais ensuite entendre les autres témoins là-dessus.
Comme vous le savez, dans le dernier rapport de l’Association des femmes autochtones du Canada publié en 2022 sur l’analyse comparative entre les sexes culturellement pertinente du projet de loi S-3 et de celui qui a été amendé huit ans plus tôt, vous semblez dire que l’exclusion après la deuxième génération selon le paragraphe 6(2) pourrait être traitée sur-le-champ sans consultation supplémentaire, et que, en fait, c’est une de vos recommandations. C’était il y a huit ans. Maintenant, une nouvelle génération ou presque est touchée, et un certain nombre de sénateurs — enfin, je vais parler en mon nom personnel... Je suis frappée par le fait que cette demande s’adresse à la première Autochtone nommée à ce portefeuille. Cela me rappelle beaucoup une autre situation du genre, où on a demandé à un ministre, le premier ayant un handicap, de nous inciter à ne pas modifier une loi, puis un mauvais projet de loi a été déposé. C’est aussi ce qui est arrivé avec le projet de loi S-3. La pression est énorme, surtout de la part de la ministre, que nous souhaitons tous voir encore à son poste pour concrétiser la promesse de mettre fin à cette discrimination.
Si vous étiez à notre place, amenderiez-vous le projet de loi ou l’adopteriez-vous tel quel?
Mme Redfern : C’est une très bonne question, et je vous dirais que, si j’étais à votre place, je demanderais probablement à mon personnel de peser le pour et le contre des deux options, puis je ferais la même chose, en tenant compte du fait que vous pouvez entre autres formuler des recommandations, mais pas forcément veiller à ce qu’elles soient adoptées. Voilà ce que je ferais : une analyse du pour et du contre, puis je déciderais de quelle façon procéder.
[Français]
Mme Étienne : Pour répondre à votre question que je trouve très intéressante, on pourrait parler de consultation bien longtemps. Une chose est claire : je crois fermement que je soutiendrais la ministre dans sa démarche de consultation comme organisation, celle des Femmes autochtones du Québec. Au cours des dernières années, on a eu l’occasion, chez Femmes autochtones du Québec, de consulter des femmes que l’on connaît, dont on connaît l’histoire, les enjeux, les préoccupations au niveau de la question sur la deuxième génération et de l’exclusion.
Toutefois, on ne connaît pas les autres femmes à travers le Québec. Avec le peu de financement que l’on reçoit, je fais juste le tour de la maison. Je ne suis pas en mesure de faire une consultation élargie pour aller à la rencontre des femmes des Premières Nations à travers le Québec et en savoir davantage sur leurs préoccupations, leurs opinions, leurs suggestions et à la limite leurs décisions. Il est important de pouvoir consulter. Cependant, ce dont on aurait davantage besoin pour avoir une consultation réelle, c’est d’un soutien financier adapté en fonction des réalités actuelles. Cela nous permettrait d’explorer plus grandement les alentours de la maison, et plus loin le jardin, et peut-être encore un peu plus loin. Les femmes méritent d’être entendues et de s’exprimer. Toutefois, à l’heure actuelle, comme présidente, je n’ai pas l’impression d’avoir consulté l’ensemble des femmes des Premières Nations à l’échelle du Québec. Il manque encore des consultations. Je vous dirais que ce n’est pas une consultation que je fais présentement, mais un dialogue. Il y a une définition de consultation à donner aussi, à mon sens.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci à vous deux d’être ici. Comme l’a souligné Mme Redfern, c’est vous qui connaissez le mieux vos communautés. Donc, voici ma question : dans la foulée du point soulevé par la sénatrice Pate sur la première femme autochtone nommée à ce portefeuille, la ministre est venue témoigner devant le comité et a déclaré qu’il fallait conclure les consultations qui perdurent, puis qu’elle pourrait ensuite agir en prévision de la prochaine série d’amendements.
Nous savons comment se passent souvent les choses en politique, nous savons que rien ne garantit qu’elle sera encore ministre à la fin de ces consultations. Donc, voici ma question : les consultations sont terminées et il n’y a pas de recommandation claire. Que se passe-t-il? Que nous conseillez‑vous, puisque vous connaissez si bien vos communautés?
Mme Redfern : Eh bien, je crois que, d’abord, j’insisterais beaucoup sur la nécessité pour toute mesure législative d’être conforme à la Constitution et à la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je ne pense pas que ce soit si difficile. Ce ne devrait pas l’être.
[Français]
Mme Étienne : Je crois que si nous souhaitons mener une consultation réelle, le bureau de la réforme de l’exclusion et de la deuxième génération doit effectivement avoir des ressources adaptées pour nous accompagner, et le financement suivra. D’un autre côté, je crois qu’effectivement, si la consultation doit se faire, ce sera en vue de soutenir la ministre et des organisations représentatives des femmes autochtones. On connaît nos milieux et l’existence des femmes, mais il reste quand même que ce serait un élément dont on devrait tenir compte au chapitre de la consultation, et non seulement dans le contexte du dialogue que nous tenons à l’heure actuelle.
[Traduction]
Mme McDonald : Oui, je suis d’accord. L’une des choses dont nous faisons beaucoup la promotion ici, en Nouvelle‑Écosse, c’est le point de vue du narrateur. Donc, si rien ne bouge, je pense sincèrement que les personnes directement touchées doivent raconter leur histoire. Elles doivent obtenir une audience. C’est une chose d’avoir une organisation ou les leaders d’une communauté parler au nom des membres et des gens avec qui ils travaillent, mais, parfois, c’est complètement autre chose d’entendre directement les gens touchés. Donc, si rien ne bouge, je pense qu’une audience avec des personnes qui sont profondément touchées par certaines de ces règles pourrait être fort utile.
La vice-présidente : Merci, sénateurs. C’est la fin du temps prévu pour ce groupe de témoins. D’après ce que je comprends, la sénatrice McCallum avait une autre question. Si vous pouviez la poser rapidement, j’inviterais les témoins à y répondre par écrit et à soumettre leur réponse au greffier. Sénatrice McCallum?
La sénatrice McCallum : Les gens disent qu’il faut adopter le projet de loi S-2 rapidement. Nous ne voulons pas en retarder l’adoption. Nous n’allons pas la retarder. Absolument pas. C’est une étude préliminaire. Il faut encore que le projet de loi se rende à la Chambre des communes. C’est le genre de discours qui me met en colère. Rien ne nous empêche d’apporter des amendements. Nous ne devrions pas nous concentrer sur les coûts — ce n’est pas notre affaire.
Donc, quand on constate à quel point la question est devenue complexe, êtes-vous d’accord pour dire qu’elle est liée à ce qui va arriver dans la communauté s’il y a un amendement sur l’exclusion après la deuxième génération, que cela ne devrait plus être à propos des consultations et que nous devrions plutôt regarder ce qui va arriver quand le projet de loi amendé sera adopté?
La vice-présidente : Honorable collègue, le temps prévu pour ce groupe de témoins est terminé. Je remercie les témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Si vous souhaitez faire d’autres soumissions en plus de la réponse à la question de la sénatrice McCallum, veuillez envoyer le tout au greffier par courriel.
Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe composé de deux témoins qui participent à la séance par vidéoconférence. Notre première témoin est Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto. Bienvenue, madame Palmater. Notre deuxième témoin s’appelle Shelagh Day et est présidente du Comité des droits de l’homme, ainsi que cofondatrice de l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale. Merci beaucoup à vous deux d’être des nôtres.
Nos témoins vont faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, puis il y aura une période de questions par les sénateurs.
J’invite maintenant Mme Palmater à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous.
Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : [Mots prononcés dans une langue autochtone]
Bonjour. Je viens de la Première Nation d’Eel River Bar, qui fait partie de la nation mi’kmaq. Wela’lioq pour votre invitation.
Pour ce qui est de mon expérience, je suis avocate depuis 26 ans et je me spécialise en droit constitutionnel, en droits de la personne et en droit autochtone. J’ai travaillé à Justice Canada pendant 10 ans où je m’occupais des dossiers d’Affaires indiennes et du Nord Canada, donc j’ai une certaine expérience dans le domaine.
En ce qui a trait à ce que je vais vous dire aujourd’hui, j’appuie le projet de loi S-2, mais avec des amendements. Toute personne émancipée de façon volontaire ou involontaire devrait avoir droit à l’inscription au registre, évidemment. Cela ne fait aucun doute — je pense que nous sommes tous d’accord là‑dessus —, mais leurs descendants ne devraient pas être assujettis aux mêmes dispositions discriminatoires que nous, dispositions qui font d’eux des Autochtones avec un statut non transmissible voire sans statut.
Autre chose : les femmes des Premières Nations devraient avoir le droit absolu de réintégrer leur bande natale, que ce soit une bande au titre de l’article 10 ou une bande au titre de l’article 11, après la discrimination qui a eu cours avant 1985, avant même qu’il y ait un article 10.
Troisièmement, le Canada ne peut plus attendre. Il doit amender le projet de loi afin d’abolir l’exclusion après la deuxième génération. On ne peut tout simplement pas adopter un autre projet de loi — c’est le quatrième — où on avance à pas de tortue tout en tenant mordicus à l’extinction législative des droits ancestraux des peuples autochtones. Évidemment, il doit éliminer l’interdiction de l’indemnisation, car on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut pas dire : « Vous allez avoir l’égalité à retardement, mais vous ne pouvez pas nous poursuivre parce que vous n’aviez pas la pleine égalité. » C’est un enrichissement injustifié inscrit dans la loi.
Je tiens à remercier le comité, car toutes les femmes des Premières Nations et nos alliés se sont appuyés sur le travail de ce comité, qui les a soutenus pour l’amendement du projet de loi S-3, pour les amendements découlant de l’affaire Descheneaux, et qui n’a pas bronché. Votre comité a déclaré que c’est la Constitution qui doit s’appliquer, tout comme la Charte. Il a dit qu’on ne peut plus attendre pour mettre fin à cette discrimination historique, que c’était intenable. Vous n’avez pas bronché là‑dessus. C’est la seule raison pour laquelle mes enfants sont inscrits au registre et sont maintenant membres de ma communauté.
Donc, vous avez le pouvoir et l’occasion de veiller à ce que mes petits-enfants fassent aussi partie de ma communauté.
Nous savons aussi grâce à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées que cette discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, que ces dispositions discriminatoires fondées sur le sexe et la race toujours en vigueur, s’avère la cause fondamentale de la violence contre les femmes et montre que nous passons toujours en dernier. Le Canada continue de nous dire d’attendre. Nous avons fini d’attendre. Le Canada essaie de se dédouaner en nous disant : « Eh bien, nous allons adopter le projet de loi S-2 et tenir des consultations. » Mais, comme vous le savez, le Canada ne peut pas tenir de consultations sur son respect de la primauté du droit — c’est-à-dire la Charte et la Constitution. Il n’était vraiment pas question de consultations quand le projet de loi C-5 a été adopté.
Donc, le choix ici n’est pas binaire. Oui, adoptez un amendement et mettez fin à l’exclusion après la deuxième génération une fois pour toutes. Consultez aussi les Premières Nations et leurs groupes de femmes sur le financement, le logement, l’aide et tous les autres pouvoirs financiers internes, car il y a déjà eu des consultations. Le Canada a publié des rapports en 1985, en 1996, en 2011, en 2017 et en 2019, puis le Sénat en a publié un en 2022. Ce sont pas moins de cinq rapports sur des consultations nationales selon lesquelles l’exclusion après la deuxième génération est la principale préoccupation des Premières Nations et des femmes des Premières Nations.
Nous avons déjà tenu des consultations. Maintenant, nous devons remédier à la situation une fois pour toutes.
Nous pouvons faire les deux. Cet amendement n’empêche en rien les requérants dans l’affaire Nicholas d’obtenir leur inscription au registre. Vous pouvez faire les deux en même temps. Nous ne proposerions jamais de les exclure. L’affaire Descheneaux nous a montré que le report d’une échéance par la cour est possible si le Canada œuvre déjà à assurer leur inscription au registre. N’oubliez pas : la Cour suprême du Canada a déjà établi que l’égalité progressive n’existe pas. Le Tribunal canadien des droits de la personne a déjà établi qu’on ne peut pas utiliser les consultations comme tactique dilatoire, et c’est exactement ce qui se passe ici.
Je pourrais vous fournir beaucoup d’autres précisions.
Nous savons aussi que rien de tout cela ne va nuire aux demandeurs dans l’affaire Nicholas et que des millions de personnes ne vont pas s’ajouter, même si c’est une préoccupation, je le sais. Nous avons les chiffres réels de Services aux Autochtones Canada, et ce sera environ 300 000 personnes sur 40 ans. C’est moins de 7 500 personnes par an, réparties entre 630 Premières Nations. Donc, il n’y a pas d’assaut, de déferlante. Cette mesure n’ouvrira pas toute grande la porte aux demandes.
Par conséquent, je vous prie respectueusement de mettre fin à l’exclusion discriminatoire fondée sur le sexe dans ce projet de loi. Il est temps d’agir. Merci.
La vice-présidente : Merci, madame Palmater.
Madame Day, vous avez la parole. Je vous en prie.
Shelagh Day, présidente, Comité des droits de l’homme, et cofondatrice de l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale : Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole ce matin.
Je m’adresse à vous depuis les territoires traditionnels non cédés des peuples Musqueam, Tsleil-Waututh et Squamish. J’ai le privilège de travailler depuis de nombreuses années avec le Groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens pour le respect des droits des femmes des Premières Nations.
J’ai trois points à soumettre.
D’abord, le comité est d’une importance capitale pour les femmes des Premières Nations et la concrétisation de leurs droits et des droits des Autochtones du Canada. Grâce à son courage et à son intervention réfléchie à l’époque du projet de loi S-3, en 2016, environ 88 000 femmes et leurs descendants qui avaient essuyé un refus par le passé ont aujourd’hui obtenu justice et profitent enfin d’un statut, d’une voix politique et d’un sentiment d’appartenance.
Avec l’amendement du projet de loi S-3 sur l’application universelle de l’alinéa 6(1)a), ce comité a éliminé la discrimination fondée sur le sexe en vigueur de 1869 à 1985. Aujourd’hui, le groupe de travail vous demande de prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre votre rapport remarquable intitulé C’est assez! et pour éliminer la discrimination fondée sur le sexe après 1985 et le plan d’extinction législative des droits ancestraux, ce qui veut dire pas de paragraphe 6(2), pas de statut non transmissible, pas d’exclusion après la deuxième génération. Voilà ce que ce comité a recommandé en 2022 : que le gouvernement abroge immédiatement le paragraphe 6(2) et qu’il élabore un plan de transition.
Je suis ici ce matin, sénateurs, car je crois en l’égalité des Premières Nations et en leurs droits. Je crois en ma responsabilité, en la vôtre et en celle du Canada dans l’élimination de la discrimination et l’application de ces droits dès maintenant.
Ensuite, en ce qui concerne l’assimilation forcée, je souhaite demander la fin de l’exclusion après la deuxième génération dans le contexte plus large du génocide lent et continu établi par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
La discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens est un élément central des pratiques génocidaires du colonialisme canadien destinées à éliminer les « Indiens ». Depuis les premiers contacts avec les Premières Nations, les gouvernements coloniaux au Canada ont recours à tout un éventail de stratégies pour les contrôler et les faire disparaître afin d’acquérir leurs terres et leurs ressources. On fait trop souvent abstraction du rôle dévastateur de la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Elle a en effet engendré la diminution du nombre de communautés des Premières Nations et de leur force en refusant leur statut aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants, ce qui les a intégrés de force à la population allochtone et qui a réduit le nombre d’« Indiens » envers qui le Canada a une obligation fiduciale. Tout cela nuit aux femmes, à leurs descendants et à leurs nations.
Actuellement, il est important de comprendre que la discrimination continue fondée sur le sexe et que l’exclusion après la deuxième génération sont toutes les deux des violations du droit à l’égalité et du droit de ne pas être assimilé de force.
Mon troisième point porte sur le droit international en matière de droits de la personne. Nous avons parlé de la Charte, mais les droits de la personne applicables ici comportent bien des ramifications, y compris le droit des traités auxquels adhèrent le Canada ainsi que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
J’ai peu de temps. Permettez-moi de résumer ainsi : pratiquement tous les organes de surveillance des traités qui ont évalué la conformité du Canada à ses obligations internationales en matière de droits de la personne depuis 1981 ont exhorté le Canada à mettre fin immédiatement et complètement à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. La dernière recommandation à cet égard a été faite en octobre 2024 par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, et j’exhorte les sénateurs à mettre côte à côte les recommandations du comité et le projet de loi S-2. Le comité nous dit ce que le Canada est tenu de faire aujourd’hui selon les traités. C’est beaucoup plus que ce qui figure dans le projet de loi S-2.
Aussi, les Nations unies se sont prononcées sur trois pétitions sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens : la décision Lovelace en 1981, la décision McIvor en 2019 et la décision Matson en 2022. Dans ces affaires, le Canada a été reconnu en violation du droit à l’égalité et du droit à la pleine jouissance de son identité culturelle. Le Canada n’a pas encore pleinement adopté les mesures réparatoires prévues dans la décision McIvor, en plus d’avoir rejeté du revers de la main la décision Matson.
Deux enquêtes internationales menées respectivement par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme ont établi que les préjudices causés aux femmes par la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens sont à l’origine de la violence catastrophique vécue par les femmes et les filles des Premières Nations. Cette conclusion a été reprise par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui a appelé le Canada à mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens et à se conformer au droit international en matière de droits de la personne. Rien dans le droit international ni dans la législation canadienne ne permet la discrimination constante fondée sur le sexe ou la race envers les femmes des Premières Nations et leurs descendants.
Ensuite, il y a la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. L’article 8 de la Déclaration stipule que les autochtones, peuples et individus ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture or toute forme de transfert forcé de population entraînant la violation de l’un quelconque de leurs droits. Ils ont également droit à des réparations pour toute assimilation forcée et ses effets. De plus, les Autochtones ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone sans faire l’objet de discrimination fondée sur le sexe. L’exclusion après la deuxième génération contrevient à l’article 8 de la Déclaration, de même qu’au droit d’appartenance de l’article 9 et au droit à l’égalité des femmes de l’article 44.
Les femmes des Premières Nations et leurs descendants ont beaucoup accompli depuis 1971 : ils ont fait corriger la discrimination fondée sur le sexe et ils ont renversé l’assimilation forcée avec l’aide des tribunaux, des Nations unies et du présent comité. Grâce à la loi issue du projet de loi C-31, 130 000 personnes ont réintégré les Premières Nations, de même que 38 000 grâce à celle issue du projet de loi C-3 et 88 000 autres grâce à la loi issue du projet de loi S-3. Au total, on a rendu leur juste place à 257 000 femmes et leurs descendants en 54 ans. Assez de temps s’est écoulé. Après 54 ans, nous sommes arrivés à un moment charnière. Il est temps de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et à l’assimilation forcée.
Merci.
La vice-présidente : Merci, madame Day.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Honorables collègues, vous aurez chacun quatre minutes, ce qui comprend vos questions et les réponses. Vous recevrez aussi un avertissement à 30 secondes de la fin.
La sénatrice McPhedran : Merci infiniment à vous, mesdames Palmater et Day. Il n’y a rien de neuf sous le soleil. En effet, nous avons dit à la ministre que nous étions nombreux à avoir ce sentiment de déjà vu.
Je vous remercie pour vos décennies de travail dans ce dossier, de même que celui de vos collègues, comme Sharon McIvor. Permettez-moi de vous dire que je vous considère vraiment comme des spécialistes et que cela est l’avis de beaucoup de membres de ce comité.
Nous croyions que c’était réglé avec le projet de loi S-3. En êtes-vous arrivées à un libellé parfait pour finalement régler ce gâchis?
Mme Palmater : La question s’adresse à moi ou à Mme Day?
La sénatrice McPhedran : Au deux.
Mme Palmater : Dès que nous avons entendu parler du projet de loi S-2, nous avons entamé la rédaction d’amendements pour remédier à l’exclusion après la deuxième génération, à l’interdiction de l’indemnisation des femmes autochtones et à ce genre de choses, donc nous avons un libellé provisoire. Nous travaillons là-dessus. Nous pouvons partager cela avec un comité plus large, mais oui, nous avons déjà un libellé. Je crois que les experts juridiques du Sénat l’ont déjà étudié. Donc, oui, c’est prêt à être présenté, et nous savons que cet amendement passera le test de la Charte contrairement au projet de loi S-2.
La sénatrice McPhedran : Madame Day, avez-vous quoi que ce soit à ajouter?
Mme Day : Je n’ai rien à ajouter.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Le sénateur Prosper : Merci à nos deux témoins de nous faire bénéficier de leurs connaissances et de leurs efforts depuis de nombreuses décennies, comme on l’a déjà dit. Je tiens à souligner votre travail.
Le comité a entendu plus tôt le témoignage de la ministre Gull-Masty à propos des intentions du gouvernement par rapport à l’exclusion après la deuxième génération.
Madame Palmater, vous avez mentionné qu’il y a déjà eu des consultations poussées et que la ministre a dit qu’il y aurait un autre processus de consultation. Je suis curieux de savoir ce que vous et Mme Day pensez de cela. Pourriez-vous nous dire s’il y a eu assez de consultations? Madame Palmater, si j’ai bien compris, vous avez dit qu’il y aurait un moyen d’entreprendre des consultations tout en remédiant au problème de l’exclusion après la deuxième génération. Donc, j’espère que vous allez toutes les deux pouvoir nous dire ce que vous pensez des consultations qui ont commencé du point de vue de l’exclusion après la deuxième génération. Merci.
Mme Palmater : Merci, et merci de mener cette étude.
En ce qui concerne les consultations, il y a certaines choses sur lesquelles le gouvernement ne peut pas tenir de consultations, que ce soit la discrimination fondée sur la race ou le sexe, le maintien de l’extinction législative des droits ancestraux ou sa contribution à un génocide. Donc, vous ne pouvez pas le faire.
Toutefois, vous pouvez mener des consultations sur la façon de soutenir les Premières Nations, sur la façon de soutenir les gens qui viennent d’être inscrits au registre et sur la façon dont vous veillez à ce qu’il y ait assez de logements et d’infrastructures.
Tous les amendements précédents nous indiquent que la crainte d’une déferlante de centaines de milliers de demandes pour s’installer soudainement dans une réserve ne s’est tout simplement jamais concrétisée. Le directeur parlementaire du budget nous l’a confirmé.
Nous n’avons pas à nous inquiéter. Pour le gouvernement fédéral, c’est davantage une question d’établir comment soutenir les Premières Nations et les personnes désormais inscrites au registre à cet égard. Il n’y a pas de choix à faire. Débarrassez‑vous de l’exclusion après la deuxième génération et continuez à mener des consultations sur la façon de structurer les mécanismes de soutien.
Autre chose : la première série de consultations nationales sur la question remonte aux années 1980. Dans le premier rapport, celui de la Commission royale sur les peuples autochtones publié en 1990, on peut lire que la question relative à la deuxième génération est de loin la plus grande préoccupation et que la recommandation principale est son abolition.
Un rapport déposé en 1996 disait la même chose. Le processus exploratoire après l’adoption du projet de loi C-3 a été fait en 2011. Il y a eu des consultations nationales parce que nous craignions à l’époque que le gouvernement ne règle pas cette question. Il faut absolument abolir toute discrimination fondée sur le sexe et l’exclusion après la deuxième génération. Un rapport spécial du ministre... Il y avait une représentante spéciale du ministre, Claudette Dumont-Smith. Des consultations nationales. J’ai fait partie de beaucoup de ces choses. On a souligné que l’exclusion après la deuxième génération et le refus de verser le moindre sou ou une indemnité étaient de loin la préoccupation la plus importante. Bien sûr, il y a eu le processus collaboratif, en 2017. Bonté divine! Nous n’arrêtons pas de refaire la même chose, et c’est pour cela que je crains beaucoup que ce soit instrumentalisé pour retarder la justice. Et pourquoi? Pourquoi est-ce que cela se produirait? Parce qu’on ne nous aime tout simplement pas? Non. La politique du Canada envers les Autochtones a toujours été de se débarrasser du problème. Et pourquoi cela? C’est en raison des traités auxquels le gouvernement est encore tenu, des obligations financières et du fait que nous sommes de trop quand il est question des réserves et des terres des réserves.
Le rapport C’est assez! de votre comité sénatorial est selon moi la somme de tout cela, et vous avez dit exactement la même chose. Je ne sais pas combien de fois nous devons nous répéter pour que le gouvernement se conforme à la Constitution, aux arrêts de la Cour suprême du Canada, aux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne et au droit international. N’oubliez pas que le Canada a adopté le projet de loi C-15. Il a accepté de veiller à ce que toutes les lois soient au strict minimum conformes aux droits reconnus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. À tout le moins, cela oblige le Canada à ne pas adopter de mesures législatives qui violent sciemment tout cela — les droits constitutionnels, les droits garantis par la Charte, les droits des Autochtones et le droit international.
Le sénateur Prosper : Merci. Madame Day?
Mme Day : Sénateur Prosper, avec tout le respect que j’ai pour la ministre Gull-Masty, que nous sommes ravies de voir à ce poste, ce n’est rien de nouveau. Ce qu’elle nous a dit, à vous et à nous, c’était la même chose que ce que nous avons entendu à maintes reprises : « Nous allons faire ce petit pas avant de nous attaquer au plus grand problème. » Nous ne pouvons plus attendre.
L’exclusion après la deuxième génération, comme je vous l’ai déjà dit, est une violation des droits à l’égalité, une violation du droit de ne pas être assimilé de force. Les effets sur les plus jeunes aujourd’hui même — aujourd’hui même — sont dévastateurs. Non seulement nous sommes inquiets du nombre décroissant de nations au fil du temps, mais, en ce moment, tout cela a un effet dévastateur sur les jeunes. Nous avons des générations devant nous qui ont besoin qu’on s’occupe d’elles dès maintenant. On ne peut plus leur demander d’attendre.
Je crois que le comité avait raison en 2022. Il a écrit qu’il fallait se débarrasser du statut non transmissible et avoir un plan de transition, et c’est exactement ce que nous vous disons. Vous pouvez le faire dès maintenant.
J’ajouterais ceci : ce sera utile aux demandeurs dans l’affaire Nicholas. Nous leur sommes résolument solidaires, mais nous savons qu’ils seront aussi confrontés à l’exclusion après la deuxième génération à moins que l’on s’en débarrasse. Tout le monde est dans le même bain à cet égard. Nous pouvons le faire une fois pour toutes.
Le sénateur Prosper : Merci.
La sénatrice McCallum : Merci aux témoins. Vous êtes des femmes incroyables et fortes, et je suis contente de vous revoir, madame Palmater. Ça faisait un bail.
Je m’intéresse aux dispositions sur l’absence de responsabilité et le fait qu’elles étaient... que le rapport de juin 2022 recommandait au gouvernement fédéral de présenter un projet de loi pour abroger les dispositions sur l’absence de responsabilité, comme vous l’avez dit.
Selon vous, est-ce que le gouvernement du Canada devrait envisager d’indemniser les personnes touchées par les dispositions discriminatoires sur l’inscription au registre ou de leur offrir une autre forme de réparation sans qu’il soit nécessaire de passer par les tribunaux? Selon vous, à quoi devraient ressembler les réparations? Quand on voit le nombre de personnes qui attendent et qui ne sont pas en mesure de vivre à proximité d’une réserve ou... et qu’elles commencent à comprendre le concept de parenté, qu’elles attendent depuis si longtemps. Un jour, ce seront mes petits-enfants qui attendront ainsi. Je les ramène dans la réserve, cela dit. Nous devons établir de quoi ils ont été privés.
Donc, à quoi ressembleraient les réparations pour les personnes qui attendent et pour celles qui s’ajouteraient si l’exclusion après la deuxième génération... si nous n’apportions pas cet amendement?
La question s’adresse à vous deux.
Mme Palmater : Merci pour cette question. Je suis vraiment heureuse de vous revoir. Je dois me rendre au Manitoba. C’est simplement un rappel que je dois me rendre au Manitoba.
Ce qui est si frustrant, en fait, et vous pouvez probablement le sentir à mon ton, c’est que, pour quoi que ce soit dans ce pays, les femmes autochtones et leurs enfants passent encore et toujours en dernier. Il y a eu une enquête nationale et personne n’en parle. Personne ne parle des 231 recommandations, de cette crise perpétuelle.
En ce qui concerne l’indemnisation, vous avez ici... Dans ce pays, les Canadiens peuvent obtenir réparation quand il y a eu violation de la Charte. La décision peut modifier la loi, voyez‑vous. Vous pouvez obtenir une indemnité financière. Il peut se produire un paquet de choses.
Mais, ici, chaque fois qu’il s’agit des femmes des Premières Nations et de leurs descendants, chaque fois que l’on présente un projet de loi pour mettre un terme à la discrimination fondée sur le sexe et la race, on dit : « Ah, ouais, mais vous ne pouvez pas nous poursuivre pour tous les cas antérieurs de discrimination. » Donc, le gouvernement continue de se protéger encore et encore, et si vous étudiez le système d’indemnisation partout au pays, que ce soit pour les enfants des Premières Nations pris en charge, que ce soit pour l’alimentation en eau des Premières Nations, que ce soit pour les pensionnats autochtones, les externats, les hôpitaux pour les Autochtones ou la stérilisation forcée, il y a des recours collectifs, il n’y a pas de limite aux indemnités au pays, mais nous sommes expressément ciblées.
Ce libellé signifie que nous ne pouvons même pas nous asseoir pour avoir une conversation sur l’indemnisation. Toute indemnité est interdite. Donc, oui, nous en méritons une. Nous savons que le droit international en matière de droits de la personne stipule que nous avons droit à des réparations. C’est la loi maintenant. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dit que nous avons droit à des réparations. À quoi est-ce que cela ressemble?
Oui, c’est financier parfois. Il y a beaucoup d’occasions d’études qui sont perdues, par exemple, des prestations en santé, des choses que nous avons dû faire pour joindre les deux bouts, beaucoup d’entre nous, ce qui signifie de façon disproportionnée les mères monoparentales. Mais il y a aussi des choses comme le logement dans les réserves. Oui, nous devons aussi nous rappeler qu’il y a une crise dans les réserves. Les listes d’attente pour du logement sont monumentales; on manque d’espace. Le Canada n’en fait pas assez pour étendre le territoire des réserves, donc il doit agir dans les communautés.
Maintenant, qu’est-ce que cela veut dire pour les mères monoparentales des Premières Nations dans les régions urbaines ou dans des régions éloignées qui ne sont pas dans la réserve ou dans la même province? Nous avons besoin de logement expressément pour les femmes et les enfants, nous avons besoin d’aide à l’éducation, nous avons besoin de services de soutien à l’enfance et à la famille afin de pouvoir étudier ou travailler, car nous savons tous que l’éducation est le principal indicateur qui habilite les femmes à fuir la violence. Avoir un toit, c’est ne pas avoir à rester dans une situation de violence familiale.
Il y a tout un paquet de choses, y compris l’accès à la culture et à la langue. Il y a la Loi sur les langues autochtones, mais où sont les fonds? Où est toute l’aide et où sont tous les programmes d’immersion en langue autochtone?
Il faut faire cela. On parle d’accueillir les gens qui rentrent à la maison, et non simplement les inscrire au registre, et voilà le travail. Nous sommes désolés d’avoir fait preuve de discrimination, mais là, ce n’est plus notre problème. Non, selon moi, le Canada doit s’asseoir avec nous, comme il le fait avec tous les autres groupes qui ont été floués.
Mme Day : Je vais simplement ajouter quelques mots. D’abord, je pense qu’interdire l’indemnisation est une insulte patente. Il est fort difficile d’imaginer, comme Mme Palmater l’a dit, comment on peut maintenir encore et toujours l’interdiction de l’indemnisation dans tous les projets de loi, y compris le projet de loi S-2.
Je voudrais aussi dire qu’on semble nous inviter à lancer des poursuites. Allez devant les tribunaux. Essayez d’éliminer l’interdiction de l’indemnisation et voyez ce que cela va donner. En ces temps de réconciliation, si cela veut en seulement dire quelque chose, je ne comprends pas comment le Canada peut forcer les femmes, qui ont déjà passé 54 ans à se battre contre cette discrimination, à retourner devant les tribunaux comme si cela allait remédier à la situation actuelle.
Je le répète : je pense que ce comité avait raison en 2022. Débarrassez-vous du paragraphe 6(2), débarrassez-vous de l’exclusion après la deuxième génération et munissez-vous d’un plan de transition. Ce plan devrait entre autres porter sur la question suivante : en matière d’indemnisation, quelle est la meilleure façon de procéder et comment pouvons-nous y parvenir? Merci.
La sénatrice Coyle : Merci infiniment à nos témoins. Contente de vous revoir. Cette question est si importante. Comme vous l’avez toutes les deux souligné, le fait que ce projet de loi émane du Sénat lui confère un avantage majeur et constitue une occasion de bien faire les choses, d’emblée, avant de l’envoyer à l’autre endroit. Donc, je vous suis vraiment reconnaissante de tous vos conseils et encouragements, ainsi que de vos rappels du travail que ce comité a fait dans le passé. Ce que vous recommandez, en fait, c’est de renforcer ce qui a déjà été fait. Donc, merci pour cela.
Ma question... Je sais que la sénatrice McPhedran a posé une question sur la rédaction d’un amendement à laquelle vous avez toutes les deux pris part, puis que vous allez nous envoyer. Voici ce qui m’intrigue : y a-t-il un amendement qui englobe toutes les modifications ou doit-on s’attendre à plus d’un amendement? Je sais, l’exclusion après la deuxième génération vient avant tout, nous devons y remédier une fois pour toutes dans le cadre de cet exercice, ce qui comprend le contenu actuel du projet de loi, que vous ne voulez pas retarder. En fait, vous dites qu’il nous aidera à progresser.
Y a-t-il quoi que ce soit, outre l’exclusion après la deuxième génération, qui figurerait dans cet amendement ou dans d’autres amendements? Je me demande simplement s’il y a autre chose.
Mme Palmater : Allez-y, madame Day.
Mme Day : Je crois, sénatrice Coyle, que, d’après notre vision des choses à l’heure actuelle, il y a un amendement qui peut éliminer l’exclusion après la deuxième génération et l’exclusion relative aux amendements de 1985; il y aurait un amendement distinct pour remédier à l’interdiction de l’indemnisation; puis quelques retouches au libellé pour remédier à la question des bandes relevant de l’article 10 et des femmes qui les réintègrent.
Donc, en somme, je crois que nous parlons probablement de trois amendements, un relatif au libellé existant, un sur l’interdiction de l’indemnisation qui serait probablement distinct, puis un amendement sur l’exclusion après la deuxième génération et l’exclusion relative aux amendements de 1985, puis, encore une fois, un amendement relatif au libellé déjà établi dans le projet de loi S-2.
La vice-présidente : Madame Palmater, vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Palmater : Comme vous le savez, avec tout amendement, chaque fois que vous voulez amender quelque chose, vous devez jouer un petit peu avec le libellé. Nous n’avons pas 20 choses en plus à ajouter à tout cela. Nous restons tout à fait dans les limites du projet de loi du point de vue de son libellé, soit de nouveaux droits à l’inscription au registre et les questions relatives à l’appartenance. Nous sommes tout à fait dans les limites, il s’agit simplement d’amender une partie du libellé et de veiller à ce que... Le point principal est vraiment le retrait de l’interdiction de l’indemnisation et de l’exclusion après la deuxième génération, selon ce qui doit être peaufiné à ce propos, mais cela ne déborde pas du cadre du projet de loi. Nous savons que nous devons respecter les limites de ce qui est étudié.
Le sénateur Klyne : J’ai quelques questions pour les deux témoins. Le 24 septembre 2025, la ministre Gull-Masty a insisté sur la nécessité d’agir rapidement avec le projet de loi S-2. Elle a souligné que l’exclusion après la deuxième génération est une question complexe qui nécessite un processus distinct d’engagement.
De ce que je comprends, et c’était clair dans vos déclarations préliminaires, il n’est plus possible d’attendre pour régler les effets de l’exclusion après la deuxième génération chez les Premières Nations. Donc, pour des fins de clarté sur ce qui est en jeu ici, si on se traîne les pieds et que l’on suit un autre processus interminable, qu’est-ce qui est en jeu, quels sont les aspects négatifs? En revanche, si le processus est accéléré et que l’on va de l’avant avec l’élimination de l’exclusion après la deuxième génération plus tôt que tard, quels sont les aspects positifs?
Mme Palmater : Il n’y a que du positif. D’abord, vous savez qu’il y a un délai imposé par la cour pour les requérants dans l’affaire Nicholas, ce que nous appuyons. Il y avait le même délai imposé par la cour dans l’affaire Descheneaux, mais tant que vous pouvez montrer à n’importe quelle cour que vous avancez... Donc, vous apportez cet amendement au projet de loi S-2, mais le projet de loi S-2 suit toujours son cours. Ils ont leur mandat et étudient les amendements. Donc, si vous savez que vous terminerez un mois plus tard, ou deux mois plus tard, vous pouvez retourner devant la cour de bonne foi et déclarer que vous y êtes presque. Nous avons seulement besoin de travailler sur les pouvoirs, mais l’amendement en tant que tel n’a pas besoin d’être étiré en longueur. L’amendement en tant que tel peut être ajouté.
Les requérants dans l’affaire Nicholas ne sont pas affectés. Aussi, je voudrais vous mettre en garde contre toute personne qui s’inquiète de l’amendement parce qu’il va soudainement amener le fédéral à dire que, eh bien, si l’amendement est adopté, personne ne sera inscrit au registre parmi les requérants dans l’affaire Nicholas, personne n’y aura droit. Vous savez que ce n’est pas le cas. Vous savez que c’est un délai imposé par la cour. Vous savez qu’ils doivent obtenir le statut d’Indien. Donc, peu importe ce que nous faisons avec le projet de loi, ils vont quand même être inscrits au registre, ce que nous supportons entièrement. Rien ne va les affecter.
C’est une situation de type « Et nous là-dedans? » Elle pourrait être absolument imprévisible. Regardez ce qui se passe dans le monde. Quand les ministres viennent représenter Services aux Autochtones Canada ou Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada, ce n’est pas la personne que vous devez voir. Vous devez imaginer la pire personne au monde — disons le Grincheux — qui vous dit la même chose. Les ministres nous ont tous dit la même chose encore et encore. Sharon McIvor nous a rappelés l’autre jour qu’elle a entendu cela de 18 ministres des Affaires autochtones d’affilée.
Vous ne pouvez pas demander à quiconque de retarder l’application de droits garantis par la Charte ou des droits constitutionnels et défendre ce système. Vous ne pouvez pas dire : « Eh bien, nous avons un processus consultatif », parce qu’ils ont déjà fait germer l’idée que « Eh bien, les gens ont diverses idées, et nous ne pourrons peut-être pas obtenir un accord total ». Obtenir un accord total sur quoi que ce soit est impossible. Toutefois, dans toutes les consultations nationales des 40 dernières années, une majorité d’entre nous a convenu que l’exclusion après la deuxième génération doit être abolie.
Donc, je ne sais pas s’ils cherchent seulement une réponse différente, mais ils ont leur réponse. Il y a eu des consultations. Le gouvernement a dépensé des millions de dollars là-dessus, en fait. Il n’est pas nécessaire d’en refaire. Aussi, nous pouvons le faire en même temps que l’on gère les requérants dans l’affaire Nicholas, et le gouvernement va inclure dans la Loi sur les Indiens que leurs enfants ne seront pas exclus.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Pate : Merci aux deux témoins pour leur travail soutenu, pas seulement dans ce domaine, mais dans beaucoup de domaines.
Les Premières Nations nous ont parlé du droit à l’autogouvernance et de la possibilité que cela puisse interférer avec cette question. J’aimerais vous entendre là-dessus. Nous savons aussi que la Cour suprême du Canada a clairement énoncé que l’égalité progressive n’existe pas. Le gouvernement a une responsabilité à cet égard. Différentes personnes nous ont aussi parlé à maintes reprises de l’importance d’assurer ces droits dès maintenant, de ne pas attendre, mais de concrètement souligner la responsabilité du Canada, qui permet à cette discrimination de se poursuivre.
Selon vous, quel message cela enverrait-il aux femmes autochtones de ce pays si, après le rapport C’est assez! de 2022, ce comité ne corrigeait pas le projet de loi S-2?
Mme Day : D’accord. Permettez-moi de répondre, sénatrice Pate.
Je crains que l’on envoie le message que, malgré les déclarations qui sont faites, ces choses peuvent toujours attendre. Comme l’a dit Mme Palmater, les femmes passent toujours en dernier.
Je me rappelle avoir entendu la sénatrice Lovelace dire, quand elle siégeait à ce comité, que, pour le Sénat, les femmes sont toujours au bas de l’échelle; il me semble que c’était sa formulation. Je ne pense pas que le comité sénatorial veut envoyer ce message. Ce n’est pas le message qu’il veut envoyer. Ce comité a été irréprochable dans son soutien aux femmes des Premières Nations. Il a eu une grande incidence et nous ne voulons pas la perdre. Nous croyons en ce comité et en ce que nous pouvons faire. C’est une voix d’une importante extraordinaire au sein du Parlement canadien qui attire l’attention sur ces questions et en facilite la compréhension.
Ainsi, vous jouez un rôle majeur dans ce que nous souhaitons tous être une réconciliation.
Mme Palmater : Si vous avez le temps, puis-je répondre très rapidement à la question sur l’autogouvernance?
La vice-présidente : Oui, très rapidement.
Mme Palmater : Il y a une différence fondamentale entre l’autogouvernance — ou l’autodétermination ou le droit d’établir sa propre citoyenneté et sa propre appartenance au titre de l’article 10 — et la question distincte du statut d’Indien, et c’est le lien direct entre les Indiens sous le régime du paragraphe 91(24) et le gouvernement fédéral. Ce sont les droits issus des traités, les réserves autochtones, les bandes et les « Indiens ». C’est un lien complètement distinct qui est entièrement sous le contrôle du Canada. Le pays ne peut pas unilatéralement rompre ce lien. Les traités sont pour leurs héritiers et les héritiers de leurs héritiers à jamais.
L’autre pan de l’autodétermination, que j’appuie totalement, relève de l’appartenance à une bande tandis que l’autogouvernance relève de la citoyenneté dans le contexte de l’autogouvernance. Ce sont deux questions distinctes. Elles sont parfois combinées, mais elles sont distinctes. C’est comparable aux règlements municipaux sur la résidence pour les personnes qui veulent expulser des trafiquants de drogue et ce genre de choses. Ce sont des règlements sous le régime de la Loi sur les Indiens et ils n’ont rien à voir avec le statut ou l’appartenance.
La sénatrice Clement : Bonjour à vous deux et merci pour votre témoignage.
Je vous remercie toutes les deux d’affirmer que les femmes qui vivent l’intersectionnalité arrivent en dernier, quand on s’en soucie, et qu’elles sont vulnérables à la violence. Vous l’avez toutes les deux dit, et c’est évident que c’est le cas.
Je souhaite revenir sur ce que vous avez dit à la sénatrice Pate et au sénateur Klyne à propos de faire les choses en même temps. Quand je parle aux gens d’Akwesasne — je reste à Cornwall et je vis sur le territoire traditionnel mohawk —, ils me disent suivre ce comité et le projet de loi S-2. Ils veulent que les choses avancent, et ils veulent un amendement. Toutefois, ils disent aussi que le gouvernement canadien doit arrêter de se mêler de ce qui ne le concerne pas. « Nous voulons établir notre propre identité. Nous gérons et connaissons notre communauté. Nous savons qui est présent. Laissez-nous faire. »
Donc, comment pouvons-nous faire tout cela? Comment pouvons-nous faire progresser le projet de loi S-2? Comment devons-nous l’amender? Comment peut-on aussi vous laisser décider qui est autochtone et qui ne l’est pas? À quoi ressemble la concrétisation de tout cela en même temps?
Mme Palmater : Je vais vous donner une réponse semblable à celle que j’ai fournie à la sénatrice Pate : il faut séparer les éléments abordés. Nous savons que la Loi sur les Indiens va être en vigueur pendant encore un bon moment, parce que c’est un processus complètement différent d’abolir la Loi sur les Indiens que de l’amender. Des traités ont été conclus sous le régime de la Loi sur les Indiens et ainsi de suite. Tant que la Loi sur les Indiens existera, c’est le gouvernement fédéral qui décidera qui est un « Indien » et quelle doit être la relation au titre du paragraphe 91(24). Ce sont les Premières Nations qui ont l’option d’établir leur propre code d’appartenance et de décider qui appartient à leur communauté, si elles le souhaitent, au titre de l’article 10. Certaines bandes le font, d’autres pas.
C’est là que l’autogouvernance entre en ligne de compte et c’est là que ce qui importe aux Premières Nations — la culture, les traditions, les liens et toutes ces choses-là... Ces choses peuvent arriver exactement en même temps, car elles n’entrent pas en conflit.
Le Canada peut vous faire croire que c’est le cas et conclure qu’il faut se retirer des aspects se rapportant à cette question, mais nous estimons que les Premières Nations ont la possibilité de décider qui est un membre. Le Canada a une relation juridique avec les Indiens. Il ne peut pas y mettre un terme de manière unilatérale avec une formule, car cette relation est étroitement liée aux traités et aux nations signataires d’un traité, que ce soit un traité remontant à avant la Confédération ou un traité numéroté. Nous parlons des « Indiens », les « Indiens » visés par un traité et les descendants, et de ceux qui seront toujours nos descendants. Il est crucial pour eux de ne pas créer de la confusion.
D’ailleurs, le pire scénario possible serait que le Canada ou quelqu’un propose de couper la poire en deux, en disant « pourquoi ne pas conserver la règle d’inadmissibilité tout en permettant aux bandes de choisir et d’accepter une personne qui a possiblement été exclue par une résolution du conseil de bande ». Je vous explique pourquoi. Le Canada pourrait ainsi dire : « Eh bien, nous leur avons donné l’option. Ce n’est pas nous qui appliquons la règle d’inadmissibilité, ce sont les bandes ».
Imaginez que 1,5 million de personnes décident de poursuivre leur bande en disant : « C’est vous qui appliquez la règle d’inadmissibilité maintenant ». La loi ne donne en aucun cas le droit au Canada de transférer ses responsabilités légales ou financières aux Premières Nations, et elle le lui donne d’autant moins que le pays peut maintenant réparer son gâchis et aider les bandes sur le plan de l’adhésion. Ce sont deux choses distinctes.
La sénatrice Clement : Je comprends. Merci.
La vice-présidente : Le temps est presque écoulé. Il reste une question. Je vous invite à la poser, mais je prie les témoins de transmettre leur réponse par écrit au greffier.
Le sénateur Prosper : Ma question a trait à la comparution de la ministre devant le comité. Elle a parlé des raisons motivant la consultation, et indiqué que ces questions sont complexes.
Je serais curieux de connaître le lien entre la complexité et l’extermination ou l’assimilation forcée. Cela dit, soyons francs, nous sommes dans une période d’austérité. Il y a des gens qui diront que le nombre d’Indiens inscrits ne peut pas augmenter parce que ce sera plus coûteux pour les Canadiens.
Je serais curieux de savoir ce que vous répondez à cela. Je suis désolé que nous manquions de temps pour entendre votre réponse de vive voix, mais si vous pouvez nous répondre par écrit, nous vous en serions reconnaissants. Wela’lin, merci.
Mme Palmater : Je serai heureuse de le faire.
La vice-présidente : Le temps alloué à ce groupe de témoins est écoulé. Je souhaite remercier les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Hiy hiy. Si vous souhaitez présenter un autre document, veuillez l’envoyer au greffier. Nous vous en serions fort reconnaissants. Voilà qui conclut la réunion d’aujourd’hui, chers collègues.
(La séance est levée.)