Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

La sénatrice Margo Greenwood (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bienvenue à tous.

Avant de commencer, j’invite les sénateurs ainsi que les autres participants présents en personne à consulter les fiches déposées sur les tables pour prendre connaissance de quelques consignes. Ces consignes visent à prévenir les incidents acoustiques. Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Si vous ne l’utilisez pas, déposez votre oreillette à l’envers sur l’autocollant apposé sur la table à cet effet. Merci à tous pour votre collaboration.

Je rappelle que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, où vivent aujourd’hui plusieurs autres peuples des Premières Nations, métis et inuits de l’île de la Tortue.

Je suis la sénatrice Margo Greenwood, une Nèehiyaw originaire du territoire visé par le Traité no 6, et je suis la vice-présidente de ce comité.

Je rappelle à mes honorables collègues que lors de notre première réunion publique du 24 septembre, la sénatrice Michèle Audette, la présidente élue du comité et la marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude, afin de préserver sa neutralité. J’ai l’honneur et le privilège de présider cette réunion très importante aujourd’hui.

Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, du territoire Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur McNair : John McNair, des terres non cédées du peuple micmac, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabe.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de Cornwall, en Ontario, le territoire traditionnel mohawk.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du territoire visé par le Traité no 1, au Manitoba, et patrie de la nation métisse de la rivière Rouge.

Le sénateur Tannas : Sénateur Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Francis : Brian Francis, d’Epekwitk, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta. Je réside dans le parc national Banff, sur le territoire visé par le Traité no 7.

La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador, et patrie traditionnelle du peuple micmac.

[Français]

La sénatrice Audette : Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

J’aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons David Schulze, associé du cabinet d’avocats Dionne Schulze. Bienvenue, monsieur. Avec vidéoconférence, nous accueillons Brandy Callihoo, directrice de la Michel Callihoo Nation Society. Soyez la bienvenue. À titre personnel, toujours avec vidéoconférence, nous accueillons également Cheryl Simon, professeure de droit à la Faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie. Bienvenue, madame Simon. Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui.

Nos témoins vont nous présenter des déclarations liminaires d’environ cinq minutes et nous passerons ensuite à la période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Me Schulze à faire sa déclaration préliminaire. Vous avez la parole, monsieur. Je vous en prie.

Me David Schulze, partenaire, Cabinet d’avocats Dionne Schulze : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vais essayer de respecter les cinq minutes qui me sont allouées. Il y a de nombreux points que je souhaite aborder.

J’ai étudié l’histoire dans le passé et je suis maintenant avocat depuis plusieurs années. Je ne me suis pas occupé de l’affaire qui a mené au projet de loi S-2, mais plutôt de l’affaire Descheneaux, de l’affaire Hele sur l’émancipation et de l’affaire McIvor devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Si j’aborde des questions dont vous êtes déjà au courant, n’hésitez pas à m’interrompre, mais j’ai pensé que nous pourrions prendre un peu de recul et examiner le contexte.

En 1985, l’article 15 de la Charte entre en vigueur, ce qui fait du 17 avril 1985 une date clé, celle du passage d’un système patrilinéaire servant à accorder le statut d’Indien à d’autres modalités censées être non sexistes.

Aux termes de la Loi sur les Indiens de 1951, comment définit-on un Indien? Un homme, l’enfant d’un homme, l’épouse d’un homme, la veuve d’un homme et, il s’agit d’une exception, l’enfant illégitime d’une femme indienne s’il ne peut être prouvé que le père n’est pas indien. Autrement, nous avons affaire à un système purement patrilinéaire. Avec l’avènement des dispositions de la Charte, en 1985, vient la reconnaissance des droits à l’égalité. Tous les travaux qui ont été menés au Parlement dans le cadre des projets de loi C-31, C-3, S-3 et, maintenant, S-2 concernaient la gestion de cette transition qui n’a pas vraiment bien fonctionné. De toute évidence, et malheureusement, le gouvernement savait que cela ne fonctionnerait pas.

J’illustre toujours cela en prenant l’exemple de deux anciens dirigeants d’Odanak, la communauté abénakise avec laquelle j’ai travaillé pendant de nombreuses années. Lorsque j’ai commencé à m’occuper de ces questions, le chef était le regretté Gilles O’Bomsawin. L’une des conseillères était sa sœur Claire O’Bomsawin, la fondatrice de Femmes autochtones du Québec. Les deux ont épousé des non-Indiens dans les années 1960. Dans le cas de Gilles, le résultat a été que sa femme est devenue indienne et, en vertu des modifications de 1985, il a pu transmettre son statut à ses arrière-petits-enfants, ses fils ayant épousé eux aussi des personnes non indiennes.

Claire, par contre, a perdu son statut, mais elle l’a récupéré en 1985. Ses enfants ont eu le statut, mais pas ses petits-enfants et certainement pas ses arrière-petits-enfants.

Ce que le Parlement a fait aux termes du projet de loi S-3 — pour dire les choses très simplement, il s’agit de ce que les gens ont appelé l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) — c’est de mettre sur un pied d’égalité la ligne de filiation d’un homme indien épousant une femme non indienne et celle d’une femme indienne épousant un homme non indien. Avant que ces projets de loi soient adoptés, une lignée ininterrompue d’hommes indiens ont épousé des non-Indiennes, de 1869 à 1985, et leurs enfants ont tous eu le statut d’Indien inscrit, alors que ce n’était pas le cas pour leurs sœurs mariées à des non-Indiens, dès 1869, par exemple. Cela a changé, avec l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a).

Je le mentionne parce que je veux que vous preniez note du fait que, d’après ce que je comprends — et je n’ai pas autorité à ce chapitre —, le projet de loi S-2 correspond essentiellement à l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) pour les personnes émancipées et leurs descendants. Elles se retrouvent dans les mêmes catégories de statut. Je dois souligner rapidement que je pense que c’est une bonne chose, à laquelle je ne m’oppose pas.

J’ai une réserve que je crois bon de signaler, parce que je ne sais pas si cette question a déjà été portée à l’attention du comité, mais le Canada a essentiellement consenti à un jugement. Selon la défense qui a été présentée, l’affaire Nicholas était fondée. Il y avait de la discrimination, mais on a dit que c’était de la discrimination raciale et ethnique. On n’a pas admis qu’il s’agissait de discrimination fondée sur le sexe. Je trouve cela très étrange, et si je peux me permettre d’aller aussi loin, si j’étais sénateur, j’aimerais que le ministre de la Justice m’explique pourquoi. Je vais vous expliquer rapidement les raisons pour lesquelles, à mon avis, il s’agit clairement de discrimination fondée sur le sexe.

De 1876 à 1985, l’émancipation d’un Indien marié finissait par s’appliquer à sa femme et à ses enfants. Il y avait une exception s’ils étaient séparés. À mon avis, c’était de la discrimination fondée sur le sexe parce qu’aux termes du projet de loi C-3, du projet de loi S-3, de l’affaire Descheneaux et de l’affaire McIvor, cela a eu pour effet pervers, dans le cas d’une femme émancipée parce que son mari l’était, que ses petits-enfants se sont retrouvés dans une situation pire que ceux de sa sœur ayant perdu son statut en épousant un non-Indien. C’est l’un des gros problèmes que ce projet de loi vise à corriger. Pourquoi n’admettons-nous pas qu’il s’agit de discrimination fondée sur le sexe?

Si je peux me permettre, j’aimerais dire, en tant qu’avocat, qu’il y a une règle générale selon laquelle le gouvernement n’admet pas qu’une loi est inconstitutionnelle, et cela m’a beaucoup dérangé parce que cela a signifié que j’ai dû défendre toutes sortes de situations qui m’apparaissaient évidentes. L’une des raisons invoquées était que ce n’est pas à un ministre de la Couronne d’aller devant les tribunaux et d’obtenir une décision différente de celle votée par le Parlement.

Je trouve cela étrange. Entrons-nous dans une nouvelle ère où le procureur général admettra tout simplement que des questions sont constitutionnelles ou inconstitutionnelles? À bien des égards, c’est une bonne chose parce que cela permet d’économiser beaucoup de temps, mais il est étrange que le procureur général n’admette pas ce qui est évident.

Il y a quelques autres points que j’aimerais soulever. Il existe une disposition supplémentaire dont vous n’avez peut-être pas encore beaucoup parlé : la disposition relative à la bande natale. Avant 1985, si une femme indienne épousait un Indien d’une autre bande, elle devenait automatiquement membre de la bande de son mari. C’est très progressiste — pas progressiste, mais très positif. Ce projet de loi donnera à ces femmes le droit de retourner dans les bandes où elles sont nées, mais pas si ce sont des bandes visées par l’article 10 ou des bandes qui contrôlent leurs propres listes de membres, auquel cas ces femmes n’auront aucun droit.

J’aimerais vous mentionner qu’il y a toute une population, surtout dans les Prairies et en particulier en Alberta, de personnes qui ont le statut d’Indien et qui n’appartiennent pas à une bande parce qu’en 1985, nous avons donné aux bandes le droit d’adopter leurs propres codes d’appartenance, qui pouvaient être plus généreux ou plus restrictifs que ce que prévoit la Loi sur les Indiens. Lorsqu’ils sont plus restrictifs, ils font en sorte que des gens ne figurent pas sur les listes pour diverses raisons. Il s’agit d’un droit vide pour beaucoup de femmes, qui ne pourront redevenir membres de leur bande. Je tiens à souligner l’importance de la chose.

Par ailleurs, et je suis certain qu’il ne me reste plus beaucoup de temps, au moment de l’étude du projet de loi S-3, quelques sénateurs comme la sénatrice McPhedran, la sénatrice Pate et, si je ne m’abuse, le sénateur Tannas étaient présents, et beaucoup de scénarios possibles ont été évoqués. Ils étaient contre l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) pour ne pas qu’il y ait un million de nouveaux Indiens. Jusqu’à maintenant, on parle de 28 000. Le nombre de gens touchés par cette mesure est donc beaucoup moins grand selon ce que je comprends.

J’aimerais attirer votre attention sur le rapport de la vérificatrice générale sur l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens.

J’espère que les choses se passeront bien pour les personnes émancipées, mais nous avons vu les chiffres — et vous entendrez Brandy Callihoo parler de son expérience —, il y a un arriéré de 12 000 cas, et le registraire a réussi à traiter 37 contestations en cinq ans. Une contestation a lieu lorsque le registraire refuse une personne et, dans les faits, cela donne lieu à un réexamen. Il faut qu’une décision soit rendue concernant la contestation avant qu’une personne puisse aller devant les tribunaux. Si le registraire attend cinq ans pour se prononcer concernant une contestation, la personne devra attendre cinq ans avant de pouvoir se présenter devant les tribunaux.

Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est que c’est incroyable. Comment a-t-on pu arriver à un arriéré de 12 000 personnes? Comment se fait-il qu’on n’ait pas pu traiter plus que 37 contestations en cinq ans? C’est malheureusement la réalité à laquelle nous nous heurtons dans les faits.

Je vois que vous êtes indulgent, alors je vais ajouter quelque chose. Croyez-le ou non, mais il y aura encore des situations où les enfants d’un même parent auront des statuts différents.

J’aimerais vous signaler également une autre chose qui, je le sais, vous a été mentionnée au cours de votre première soirée de délibérations. Avant 1985, si une femme indienne avait un enfant en dehors du mariage, cet enfant était un Indien au sens du paragraphe 6(1). Puisque le statut est lié à celui des parents, après 1985, cet enfant était un Indien au sens du paragraphe 6(2). Nous savons tous que des cas de ce genre existent.

Je ne suis pas ici pour vous demander de décider si cela est conforme à la Charte, mais je pense qu’il est difficile de prendre au sérieux une loi en vertu de laquelle nous avons un beau système pour déterminer le statut, mais un système qui peut faire en sorte que des membres d’une même famille sont traités différemment.

La vice-présidente : Merci, maître Schulze.

J’invite maintenant Mme Callihoo à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Brandy Callihoo, directrice, Michel Callihoo Nation Society : Je vous remercie de m’avoir invitée. Il est regrettable que mes collègues de la Michel Callihoo Nation Society n’aient pas été invités eux aussi. Nous avons attendu longtemps avant de partager nos histoires collectives sur la façon dont la Loi sur les Indiens a touché notre nation. Nous attendons également notre reconnaissance comme bande alors que nous participons à une table exploratoire avec les gens de la région de l’Alberta. Nous avons déjà présenté une demande en vertu de l’article 17, comme la ministre l’a demandé.

Tanisi. Je m’appelle Brandy Callihoo. Mes racines autochtones sont cries et iroquoises — mohawks. Je suis née en 1976 et mes parents sont Jerry et Rose Callihoo. Mes grands-parents paternels s’appelaient Sam et Florine et appartenaient à l’ancienne bande de Michel, située à l’ouest de St. Albert et de Villeneuve, en Alberta. Mon arrière-arrière-grand-père était Michel Callihoo, signataire du Traité no 6. Notre nation a été émancipée, mais nos ancêtres ont subi tous les affronts causés par la Loi sur les Indiens.

J’ai grandi à Edmonton, car, au moment de ma naissance, le gouvernement avait déjà illégalement émancipé la bande de Michel en 1958 en vertu de l’article 112 de la Loi sur les Indiens. Il a également violé le traité. Grandir en ville était difficile, et la perte de nos racines a empiré encore davantage les choses. Mon père avait environ 14 ans lorsque la réserve a été vendue aux colons de la région. C’est un euphémisme de dire que cela a eu des répercussions importantes sur sa santé mentale. J’ai aussi appris récemment que mon père a perdu une enfant par suite de la rafle des années 1960. Il avait été dit à l’époque qu’elle était morte à la naissance, mais nous avons appris récemment que ce n’était pas le cas. Son seul fils a également été adopté par un autre homme.

Ma grand-mère, Florine, était une survivante du pensionnat Youville de St. Albert. Je n’ai appris cela que dans la trentaine lorsque j’ai commencé à travailler avec des survivants dans le processus d’adjudication de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Ce n’est pas quelque chose dont elle parlait, car je suis certaine que c’était trop douloureux pour elle. Mon grand-père, Sam, était un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, et il a souffert aussi de toxicomanie et de problèmes de santé mentale.

Plus tard dans ma vie, je me suis rendu compte des répercussions que le pensionnat et le processus d’assimilation forcé avaient eues sur ma famille. Les membres de ma famille étaient malheureusement aux prises avec des problèmes de toxicomanie, et bon nombre d’entre eux sont morts trop jeunes. C’est à cause des traumatismes intergénérationnels que ma famille a subis. Pouvez-vous imaginer être dépouillé de tout ce que vous avez toujours connu? La perte de la famille, de la culture, des traditions, de la langue et des cérémonials a été trop difficile à supporter pour beaucoup. Bon nombre d’entre eux se sont abandonnés à leurs dépendances ou ont déménagé aussi loin que possible de l’ancienne réserve et ont essayé d’ensevelir tout ce qui leur rappelait ce qu’ils avaient été.

Malheureusement, mon histoire n’est pas la seule liée à la bande de Michel. J’entends souvent la même de la part de divers membres de familles qui essaient de trouver leurs racines. À un moment donné, on m’a dit que je n’avais pas d’appartenance parce que je n’avais pas de carte de statut et que seules les personnes qui avaient cette carte seraient incluses. Le moins qu’on puisse dire, c’est que j’ai été dévastée. En fait, toute ma vie des gens m’ont dit que je n’avais pas d’appartenance et que, parce que je n’avais pas de carte de statut, je n’en aurais jamais. Le gouvernement a fait une erreur en désignant mon grand-père comme visé par l’alinéa 6(1)f), alors qu’il aurait dû être visé par l’alinéa 6(1)d). J’aurais dû avoir mon statut dès 1985.

L’obtention de mon statut ne représente qu’une petite partie du problème, toutefois. Je sais qui je suis et d’où je viens. Aucune carte en plastique ne va définir qui je suis. Je suis toutefois une Indienne visée par un traité et j’ai des droits immémoriaux. J’ai finalement obtenu mon statut après 34 ans de combat, non pas par l’entremise de mon père, mais parce que j’ai contesté, comme l’a dit Me Schulze. J’étais l’une des personnes qui ont contesté et pour qui, en fait, aucune décision n’a été rendue. Il n’y avait aucune preuve que ma mère avait le droit d’être inscrite. Lorsque nous avons demandé à la Cour fédérale d’ordonner au registraire de prendre une décision, on a soudainement découvert que l’ancêtre féminin de ma mère avait épousé un non-Indien et que j’avais tout à coup le droit d’être inscrite en vertu du projet de loi S-3, ce dont je suis reconnaissante. Cependant, cela ne règle toujours pas les iniquités qui se sont produites parce que je suis une descendante de Michel, dont la famille a été émancipée.

La contestation est encore devant les tribunaux au moment où l’on se parle, car la notion selon laquelle la bande de Michel a été légalement émancipée est toujours appliquée et utilisée contre nous en vertu de l’article 112 de la Loi sur les Indiens. Comme Me Schulze l’a mentionné au sujet de la discrimination dont font preuve les bandes, il est également juste de mentionner que mes enfants sont inscrits auprès de la nation crie de Saddle Lake, en Alberta. Ils ont un statut complet en vertu du paragraphe 6(1), mais ils n’ont pas les mêmes droits que les autres membres de la bande parce que mon mari et moi-même sommes visés par l’alinéa 6(1)a.1).

Il n’est pas acceptable de se contenter de rafistoler la Loi sur les Indiens. Sinon, à quoi cela rime-t-il que mes enfants appartiennent à une bande comme celle de Saddle Lake? Ils pourraient tout aussi bien figurer sur une liste générale comme moi et avoir très peu d’avantages.

Pour ce qui est du côté maternel de ma famille, ses membres ont reçu un certificat et ils se sont retrouvés sans nulle part où aller. La nation métisse de l’Alberta m’a claqué la porte au nez et on m’a dit : « Vous êtes une Callihoo. Vous êtes visée par un traité; vous n’avez pas votre place ici. »

Cette notion très coloniale a laissé des gens comme moi dans le néant pendant des années. J’ai grandi seule; il n’y avait nulle part où je pouvais aller pour guérir. Je me suis donc retrouvée mère à l’adolescence, et la vie était très difficile pour moi. Nous avons souffert de pauvreté, de toxicomanie et même d’itinérance à un moment donné. La vie était très difficile, et nombre des difficultés que nous avons connues découlaient du simple fait que nous étions des Autochtones. On m’a fermé la porte au nez, et j’ai même dû abandonner mes enfants à un moment donné parce qu’on m’avait retiré l’aide sociale et que je n’avais nulle part où aller. Le racisme systémique a toujours été un facteur, et j’aurais très bien pu devenir une statistique parce que personne ne se souciait de moi.

Dans mon cas, le mal est fait. Cependant, ma mission est de veiller à ce que mes petits-enfants aient un endroit où ils se sentent chez eux. Cela commence par le fait qu’ils puissent s’inscrire en vertu du projet de loi S-2. L’adoption du projet de loi S-2 est un début. À l’heure actuelle, il y a environ 1 100 descendants de la bande de Michel qui attendent l’adoption de ce projet de loi pour être inscrits, si la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire et nous reconnaît officiellement comme bande.

Je ferai également partie de ceux qui sont visés par les seuils de deuxième génération pour les votes en cours. C’est un tout petit pas dans la voie de la vérité et de la réconciliation qui reste à faire sur l’île de la Tortue et pour l’ensemble de la bande de Michel.

Merci de votre temps. Hiy hiy. Nia:wen.

La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Callihoo.

Mme Callihoo : Je vous en prie.

La vice-présidente : J’invite maintenant Mme Simon à faire sa déclaration préliminaire. Vous avez la parole.

Cheryl Simon, professeure de droit, Faculté de droit Schulich, Université Dalhousie, à titre personnel : Kwe, Niin na teluisi Cheryl Simon aq Kiptu piginnjij. Bonjour, je m’appelle Cheryl Simon et Little Eagle Feather. Je suis Mi’kmaq et je vous parle aujourd’hui de Dartmouth, ou « Lieu du berceau blanc ».

Je suis ici aujourd’hui pour parler du projet de loi S-2. Je tiens à affirmer que, même si j’appuie sans réserve ce projet de loi, je sais aussi très bien que ces modifications s’attaquent à des problèmes qui remontent au XIXe siècle et qu’elles ne vont pas assez loin pour corriger les inégalités auxquelles nous faisons face aujourd’hui, en vertu de la Loi sur les Indiens ou dans les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA.

Les questions concernant les termes désuets, la perception patriarcale des femmes qui dépendent de leur mari, les points de vue coloniaux sur l’émancipation et le respect de l’autonomie individuelle auraient dû et auraient pu être réglées en 1985, 2017 ou 2019, lors des modifications précédentes à la Loi sur les Indiens.

Je vais parler de certains détails du projet de loi, mais je veux aussi qu’il soit bien clair que je profite toujours des occasions qui me sont offertes de souligner le fait que nous devons éliminer le seuil extrêmement préjudiciable de la deuxième génération prévue à l’article 6 de la Loi sur les Indiens. Si ce changement n’est pas apporté, un plus grand nombre d’Autochtones seront coupés de leurs familles et de leurs communautés, ce qui perpétuera le genre de préjudice colonial que ce projet de loi cherche à corriger. Si cette question n’est pas réglée, je m’attends à ce que les litiges sur ces questions coûtent plus cher et prennent plus de temps. Nous nous retrouverons encore une fois devant des changements graduels qui ne mèneront pas à l’égalité qui a longtemps échappé aux peuples autochtones. Si le seuil de la deuxième génération n’est pas supprimé, un échéancier clair doit être envisagé et établi. Il n’y a aucune raison de ne pas le faire.

Pour ce qui est du projet de loi S-2, je vais soulever quelques questions qui ont vraiment retenu l’attention du milieu universitaire. Bien que je sois préoccupée par le fait que les modifications pourraient nuire aux personnes émancipées et aux femmes qui ont été transférées à la bande de leur mari, ainsi qu’à leurs descendants, il n’y a rien pour atténuer le préjudice qui pourrait résulter d’une reconnaissance légale de leur statut et de leur retour dans leurs communautés à la suite du projet de loi. Je propose qu’un préambule soit inclus dans le projet de loi, en vue d’atténuer ce préjudice et de reconnaître le contexte historique et les abus commis.

Le préjudice dont je parle ici et qui devrait être atténué est le suivant : les Autochtones qui n’ont pas eu la possibilité de grandir dans leur communauté ou au sein de leurs clans et de leurs familles, mais dont l’identité semble soudainement reconnue ou qui expriment maintenant leur statut d’une manière différente du passé, peuvent être perçus avec suspicion. Malheureusement, il y a de nombreux cas — et leur nombre augmente — où les peuples autochtones sont accusés d’agir frauduleusement en raison de leur statut d’Indien nouvellement reconnu, ou parce qu’ils se sont établis dans des communautés où ils n’étaient pas connus auparavant en raison de contraintes juridiques imposées par la Loi sur les Indiens, ou encore parce qu’ils ont déclaré avoir des liens avec ces communautés.

Ces problèmes sont graves et ont des répercussions non seulement sur le bien-être culturel et psychologique, mais aussi sur des choses comme l’employabilité. De nombreuses institutions adoptent un processus d’approbation pour établir l’appartenance autochtone sans tenir compte des nuances de la Loi sur les Indiens. De plus, les communautés mêmes dont les individus ont été légalement tenus à l’écart peuvent être appelées à attester d’un lien qui aurait pu être juridiquement rompu. Le gouvernement a créé ce problème, et les changements graduels apportés au statut ne l’ont pas réglé complètement.

Les limites quant au statut devraient être clairement énoncées. Si l’on tient compte de l’arriéré des demandes et de la nouvelle admissibilité qui découlera de ce projet de loi, il continuera d’y avoir plus de gens qui sont légitimement reconnus comme Autochtones. Par conséquent, les soupçons et les accusations continueront d’augmenter à mesure que de plus en plus de gens deviendront admissibles au statut, et ce préjudice doit être atténué.

Un autre problème, c’est que le fait de proposer des modifications progressives renforce l’amalgame entre statut d’Indien et appartenance autochtone en maintenant le système de statut. Bien que le statut d’Indien ne soit pas une indication de la culture ou de l’appartenance à une nation autochtone, le gouvernement fait une distinction entre ceux qui ont le statut et ceux qui ne l’ont pas en ce qui a trait à l’accès aux programmes et services destinés aux peuples autochtones, à la revendication par des personnes de droits ancestraux ou issus de traités, ainsi qu’au moment et à la façon dont ces personnes sont consultées par le gouvernement.

Il faudrait reconnaître que les peuples autochtones ont le droit fondamental de déterminer leur propre identité et leur appartenance, conformément à l’article 33 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, sans égard aux dispositions relatives au statut énoncées dans la Loi sur les Indiens. Après tout, l’objectif ultime est l’autodétermination et la reconnaissance des dispositions législatives sur l’identité autochtone, et non pas l’égalité en matière d’oppression en vertu de la Loi sur les Indiens.

Un autre préjudice qui n’est malheureusement pas nouveau, c’est que le nombre croissant de membres dans les communautés exercera une pression sur des ressources qui sont déjà insuffisantes pour le nombre actuel d’Indiens inscrits. Les personnes qui cherchent à rétablir ou à renforcer des liens avec leur communauté pourraient être perçues comme étant cupides ou égoïstes, alors qu’elles cherchent à combler un vide culturel et à obtenir la reconnaissance de leur identité, et non pas à être admissibles à des programmes et des services. Si, dans ces circonstances, des personnes sont étiquetées comme étant cupides ou égoïstes ou comme causant du tort à d’autres membres de la communauté, cela pourrait constituer une violation extrême des valeurs et des principes autochtones dont il ne faut pas sous-estimer les effets.

Le sous-financement peut constituer un obstacle au retour des peuples autochtones dans leurs communautés et, comme on l’a vu avec le projet de loi C-31, à la codification de critères qui limitent l’appartenance à une bande, afin de protéger des ressources limitées. Une reconnaissance de ces préjudices, dans le contexte de la façon dont ces changements sont apportés et des raisons pour lesquelles ils le sont, serait utile pour aider à atténuer le préjudice auquel s’exposent des gens dans la façon dont ils seront perçus lorsqu’ils auront acquis leur statut.

Je terminerai en vous racontant rapidement l’histoire d’une aînée mi’kmaq du Nouveau-Brunswick. Lorsque j’avais 21 ans, j’ai fait partie d’un groupe qui était consulté au sujet des modifications proposées à la Loi sur les Indiens, et cette aînée nous disait qu’avant le projet de loi C-31, les femmes se sont mobilisées pour répondre à la question suivante : « Que faudrait-il faire pour assurer l’égalité aux termes de la Loi sur les Indiens? » Une longue liste a été dressée, mais seuls quelques-uns de ses éléments ont été mis en œuvre. Puis, avant les changements proposés en 2017, la même liste a été dépoussiérée et présentée de nouveau. Cette fois encore, seuls quelques éléments ont été retenus pour la mise en œuvre.

Cette aînée est décédée depuis, et je me demande combien d’autres générations de femmes, avec leurs descendantes et des membres vulnérables de nos nations, devront dépoussiérer cette liste avant que les grands problèmes ne soient résolus. Wela’lioq.

La vice-présidente : Merci de vos observations, madame Simon.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Honorables collègues, vous aurez chacun droit à une intervention de quatre minutes, ce qui englobe la question et la réponse, et je vais devoir faire respecter avec vigilance les limites de temps, en donnant un préavis de 30 secondes, pour m’assurer que tout le monde a l’occasion de poser au moins une question.

Le sénateur Tannas : J’ai deux questions à poser et je souhaite entendre les réponses de Me Schulze et de Mme Simon.

Tout d’abord, nous avons entendu diverses affirmations voulant que le paragraphe 6(2), soit l’exclusion après la deuxième génération, ne résisterait pas à une contestation judiciaire. Voici ma première question : croyez-vous que ce soit le cas et, dans l’affirmative, pourquoi personne n’a-t-il porté l’affaire devant les tribunaux? Qu’en pensez-vous?

Deuxièmement, il y a la question de l’appartenance par opposition au statut et en particulier de l’appartenance aux bandes visées par l’article 10. Ces bandes et leurs modalités régissant l’appartenance, par exemple, sont-elles à l’abri des contestations judiciaires? Nous venons tout juste d’entendre parler de cas en Alberta — vous en avez parlé, maître Schulze, et d’autres l’ont aussi fait indirectement — où des bandes commencent à se servir de ces modalités pour éviter de reconnaître certaines personnes comme membres. Je me demande simplement si elles sont à l’abri des poursuites. Si elles le sont, quels recours les citoyens canadiens en cause ont-ils pour obtenir justice? Maître Schulze d’abord, puis peut-être madame Simon, pourriez-vous répondre?

Me Schulze : J’allais laisser Mme Simon répondre en premier, mais puisque vous me le demandez, je vais commencer.

L’exclusion après la deuxième génération résisterait-elle à un examen judiciaire? J’hésite à donner une opinion claire, mais je dirais qu’il y a une sorte d’exclusion après la deuxième génération pour la citoyenneté également. Ce qui a donné lieu à l’affaire dite des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». On ne peut aller au-delà de deux générations pour les citoyens canadiens qui ne sont pas nés au Canada. Imaginons que quelqu’un arrive chez nous enfant, devient canadien, déménage aux États-Unis et y a un enfant. Cet enfant est canadien, mais un enfant de la troisième génération ne le serait pas. Cela a été jugé contraire à l’article 15 de la Charte, et le Parlement est saisi d’un projet de loi sur cette question. Les tribunaux ont statué qu’on ne pouvait appliquer un critère aussi mécanique.

Pourquoi personne n’a contesté? Je dirai simplement que nous avons déjà bien d’autres chats à fouetter. J’ai dû moi-même m’occuper de quelques affaires.

Quant aux bandes visées par l’article 10, sont-elles à l’abri des poursuites? Au plan juridique, non. Dans les faits, les obstacles à surmonter sont énormes.

Mon cabinet s’est penché sur la question et j’ai constaté qu’il y avait beaucoup de réticence à entreprendre ce genre de démarche. J’ai eu l’impression qu’on y voyait une attaque contre l’autonomie gouvernementale.

Quels recours les personnes en cause ont-elles? Les codes régissant l’appartenance soulèvent de sérieuses questions. Il y a des centaines de codes. Si nous voulons examiner le code de chacune des bandes, nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais je me suis dit qu’il y avait d’autres façons de s’y prendre.

Je vais vous expliquer ce qui s’est produit. Il y a eu un grand compromis en 1985; il fallait reprendre les femmes qui avaient été exclues, mais les bandes pouvaient adopter leur propre code régissant l’appartenance et commencer à exclure des membres. Cette lucarne bizarre est restée ouverte de 1985 à 1987. Si une bande se dotait de son propre code, elle devait reprendre les femmes qui avaient épousé un non-Indien, mais pas leurs enfants. La capacité d’exclure des membres a diminué au fil du temps, mais des centaines de bandes ont profité de cette possibilité entre 1985 et 1987.

La vice-présidente : Madame Simon, je vous accorde une minute.

Mme Simon : L’une des réponses réside dans le fait que la lutte pour l’égalité dans l’oppression dure depuis 40 ans. Il s’agit d’éviter que certains ne soient écartés du régime des réserves et des bandes. À dire vrai, cela a mobilisé bien trop de temps et d’efforts. Certains dénoncent ce régime. Nous devons mettre en œuvre et soutenir les ordonnances juridiques autochtones où l’accent est mis sur la parenté et les systèmes de gouvernance naturels. Inutile d’attendre une Loi sur les Indiens parfaite qui s’harmoniserait avec les ordonnances juridiques autochtones, car cela n’arrivera jamais.

Il y a eu un profond changement à cause de l’opposition factice qu’on a imaginée entre les violations des droits de la personne et les questions d’autonomie gouvernementale.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse principalement à Me Schulze et à Mme Simon. Comment pouvons-nous régler ce problème? Quels sont les amendements qui permettraient vraiment de le régler?

Me Schulze : Je vais céder la parole à Mme Simon pour la simple raison que, en tant que non-Autochtone, je ne crois pas qu’il m’appartienne d’aborder ces grandes questions.

Mme Simon : Je vous remercie.

Il faut voir là une démarche entreprise par les nations, et non par les bandes, pour réaffirmer leur compétence à l’égard de l’identité autochtone. Pour moi, la solution consiste à atténuer les préjudices immédiats et à donner aux nations le soutien dont elles ont besoin pour adopter leurs lois autochtones. Ce serait une application uniforme de l’alinéa 6(1)a), ce qui annulerait l’effet préjudiciable immédiat de la Loi sur les Indiens. Il faut ensuite réinterpréter le paragraphe 91(24) de la Constitution concernant les « Indiens et les terres réservées aux Indiens » comme mécanisme à l’appui des efforts d’autodétermination prévus à l’article 35. Il faut permettre aux nations de travailler ensemble sur leur territoire pour adopter des lois qui reflètent leurs systèmes de parenté et de gouvernance dans un contexte contemporain, puis appuyer et valider ces lois.

C’est une réponse très simple, mais il faudra accomplir un travail énorme et faire évoluer les mentalités. Il faut mettre fin au préjudice immédiat et ensuite aller de l’avant avec l’indigénisation des lois.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse encore à vous deux. Appuyez-vous le projet de loi dans sa forme actuelle? En votre qualité de juristes, estimez-vous qu’il faut le laisser en l’état?

Me Schulze : C’est un bon projet de loi pour ce qu’il fait. Je signale simplement que ce jugement a été extrêmement commode pour le Canada parce qu’il lui force la main, n’est-ce pas?

Mme Simon : Comme je l’ai dit dans mes observations, j’appuie le projet de loi sans réserve parce qu’il répare des préjudices, ce qui n’a que trop tardé, mais il nous faut aussi le situer dans le contexte d’un processus plus vaste. Quelle est la prochaine étape? Que pouvons-nous faire d’autre? Comment pouvons-nous repousser ces limites en ce qui concerne la prise en compte et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des lois sur l’identité autochtone?

La sénatrice McPhedran : Merci.

La vice-présidente : Madame Callihoo, avez-vous une opinion à ce sujet?

Mme Callihoo : Merci d’avoir posé la question. Comme l’a dit Me Schulze, le projet de loi règle certains problèmes, mais pas tous. Et comme l’a fait remarquer Mme Simon, il y en a tellement que je me rends compte que c’est une solution fragmentaire. Un jugement vous contraint d’agir. S’il n’en tenait qu’à moi — et je vais être honnête —, je brûlerais la Loi sur les Indiens. Je la déteste. Elle est raciste et c’est une loi que les Indiens n’ont jamais demandée. Il est difficile d’éliminer toute la discrimination qui s’y trouve. Voilà mon opinion. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup, madame la présidente. J’admire votre travail.

Vous avez un peu abordé la question des Canadiens qui donnent naissance pour deux générations à l’extérieur du pays et qui perdent donc leur citoyenneté. Quand on a des gens qui choisissent le Canada pour devenir citoyens canadiens, une femme qui devient citoyenne canadienne, si elle donne naissance, est-elle obligée de nommer le père pour que l’enfant ait la citoyenneté canadienne? C’est ma première question. J’ai cru comprendre, la semaine dernière, que c’était encore le cas.

Ensuite, est-ce que vous êtes d’accord avec moi pour dire que l’aspiration au droit à l’autonomie gouvernementale est quelque chose que l’on veut atteindre, mais qu’en raison du lavage de cerveau auquel on a fait face sur la catégorisation et la discrimination des enfants et des femmes, on doit régler la problématique de discrimination, pas juste fonder l’espoir que les nations vont le faire? Il y a des communautés — vous le savez peut-être — qui continuent à nous discriminer. Je ne veux pas nommer de noms, mais... Oui, je veux qu’on soit là un jour, mais en ce moment, nos femmes, nos mères et nos enfants subissent de la discrimination. Êtes-vous d’accord avec moi?

Me Schulze : Pour répondre à votre première question, non, une femme n’est pas obligée de nommer le père. Je ne suis pas un expert en droit de la citoyenneté, mais à ce que je sache, cela n’affecte pas la citoyenneté de son enfant si la mère ne nomme pas le père. Je pourrais me tromper, car ce n’est pas mon domaine d’expertise. Chose certaine, il n’y a aucune obligation de nommer le père en général.

Pour votre deuxième question, je pense que poser la question, c’est y répondre. Il ne faut pas se raconter des histoires. Il y a des communautés qui ont sciemment exclu... Comme je le disais plus tôt en réponse au sénateur Tannas, il y a des communautés qui ont accepté le minimum qu’elles étaient obligées d’accepter, c’est-à-dire que des femmes ont perdu leur statut en raison du mariage et que cela n’est arrivé à personne d’autre. En passant, ils n’étaient pas obligés de prendre les émancipés. Certaines bandes excluent même les gens qui ont été émancipés, rayés de leur liste et restaurés. Ces gens aussi, sans même parler de leurs enfants, n’ont pas pu réintégrer leur bande. Ils ont juste eu leur carte et ils figurent sur la liste générale.

[Traduction]

La sénatrice Audette : Quelque chose à dire, madame Simon?

Mme Simon : Oui, le problème tient en partie au fait qu’il y a beaucoup de discrimination au niveau des bandes sans que la nation ait l’occasion de s’attaquer aux problèmes. Je voudrais qu’un tribunal soit mis sur pied pour que la nation puisse voir si la bande agit conformément aux lois, aux valeurs et aux principes autochtones contemporains. De cette façon, nous ne dépendrions plus du système colonial, qui ne comprend ni nos systèmes de parenté ni notre gouvernance.

Nous devrions, je le répète, essayer d’accorder le statut le plus largement possible. Il pourrait être accordé à des centaines de milliers de personnes.

Nous devons commencer à nous habituer à ce genre de chiffres et à ce type de mesure pour résoudre le problème de la façon la plus complète possible, mais je n’aime pas la façon dont les violations des droits de la personne sont opposées aux efforts d’autonomie gouvernementale parce que, comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit d’une opposition factice.

La vice-présidente : Merci, madame Simon.

Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de leur présence et de leurs témoignages sur un sujet très important.

Un mot d’abord à Mme Callihoo. Je salue votre force, votre persévérance et votre fierté. C’est une histoire incroyable que vous nous avez racontée. Elle situe dans son contexte le dialogue qui nous occupe. Je tenais à le souligner.

Maître Schulze, vous avez répondu à une question du sénateur Tannas concernant la constitutionnalité du paragraphe 6(2), je crois, en cédant la parole à Mme Simon.

Heureux de vous revoir, madame Simon.

Mme Simon : Pareillement.

Le sénateur Prosper : On a dit que l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) pourrait être un moyen d’aborder la question de l’exclusion après la deuxième génération.

Pensez-vous qu’une telle approche pourrait résister à un examen au regard de la Charte et pourrait être une solution? Ma question s’adresse à Me Schulze et à Mme Simon.

Deuxièmement — et je vais essayer d’être bref —, le gouvernement fédéral établit souvent un lien entre statut et appartenance, surtout en ce qui a trait aux seuils de vote, à la double majorité et l’hypothèse voulant qu’on puisse régler des problèmes liés au statut en faisant appel à la notion d’appartenance. Qu’en pensez-vous, si cela ne vous dérange pas de répondre, maître Schulze et madame Simon?

Me Schulze : Je vais aller très vite. Je ne suis pas certain de comprendre l’idée voulant que l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) soit une solution. Il me semble que nous sommes allés aussi loin que possible, mais quelque chose m’échappe peut-être.

Pour ce qui est d’établir un lien entre le statut et l’appartenance, je tiens à être très clair à ce sujet. Je sais qu’on en a discuté le premier soir.

Les Premières Nations peuvent adopter des critères d’appartenance qui sont plus généreux que ceux de la Loi sur les Indiens, mais elles ne sont financées que pour les membres inscrits.

Et au fond, pourquoi cette notion de statut? Pourquoi le gouvernement fédéral ne se soucie-t-il pas autant des testaments des bénéficiaires inuits en vertu de l’accord sur les revendications territoriales? Parce qu’il ne paie pas beaucoup. Il finance le gouvernement public dans le Nord parce que les Inuits représentent de toute façon 95 % de la population.

Le fait que le gouvernement fédéral décide qui a le droit au titre d’Inuit ne change pas grand-chose au montant à payer. Le pouvoir de décider qui est indien ou non joue sur le montant à verser pour les Indiens des réserves. C’est en grande partie à cause de cela que nous en sommes arrivés là.

Mme Simon : Une chose à ajouter : l’application uniforme de l’alinéa 6(1)a) pourrait présenter des problèmes sous l’angle des distinctions à faire, mais je crois qu’il y a un lien avec le statut et l’appartenance parce que chaque fois qu’il y a des changements graduels au statut, on voit les codes d’appartenance comme un outil de l’autonomie gouvernementale. Je crains qu’il ne s’agisse que de rejeter la responsabilité de la discrimination sur les bandes plutôt que sur l’État.

La vice-présidente : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins et tout particulièrement le sénateur Prosper, qui a dit sa gratitude à Mme Callihoo.

Je ne peux même pas m’imaginer endurer tellement de choses que vous avez décrites. Merci d’être là.

Si vous avez suivi les témoignages, j’ai posé la question suivante à d’autres témoins : nous avons entendu des témoignages percutants voulant qu’il faille apporter d’autres amendements au projet de loi afin de faire disparaître la discrimination qu’il est censé éliminer. J’ai un respect sans borne pour la ministre, puisqu’elle est la première ministre autochtone à être chargée de cette tâche. Et je suis extrêmement préoccupée par le fait qu’il lui incombe de faire adopter ce projet de loi tout comme il a incombé à la première ministre handicapée de faire adopter les prestations d’invalidité, avec la promesse que l’étape suivante serait un pas de plus vers l’égalité. Puis, elle a été démise de ses fonctions.

Ne présumons pas du sort de la ministre, mais il me semble qu’elle ne pourra peut-être pas honorer l’engagement, peu importe tout ce qu’elle... Je crois que ses intentions sont bonnes.

On nous a dit avec conviction qu’il fallait amender le projet de loi pour réprimer autant que possible la discrimination qui a cours. Qu’en pensez-vous, chacun de vous? D’abord Mme Simon, puis Mme Callihoo et enfin Me Schulze.

Mme Simon : Comme je l’ai dit, j’aime bien l’idée d’ajouter un préambule au projet de loi pour le contextualiser, apporter des nuances et préciser l’intention du législateur et peut-être permettre l’adoption de la mesure même si certains des problèmes restent en suspens.

Toutefois, en fin de compte, j’ai constaté que de plus en plus de gens se désintéressent du statut. Bien des Autochtones, surtout à l’extérieur des réserves, ne tiennent pas à inscrire leurs enfants parce que, quand on ne vit pas dans une réserve et qu’on n’a pas accès aux programmes et aux services, qu’y a-t-il à gagner sinon une érosion de l’indigénéité, un amalgame avec quelque chose qui est complètement étranger à son système?

Je le répète, il est important de régler certains des problèmes que le projet de loi vise à corriger, mais je souhaiterais qu’on dise clairement comment cette mesure cadre avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et les questions plus générales d’autonomie gouvernementale.

La vice-présidente : Madame Callihoo, vous avez quelque chose à dire?

Mme Callihoo : Le projet de loi dans la forme actuelle me semble très important, surtout pour ma nation.

Comme je l’ai déjà dit, environ 1 100 personnes attendent l’adoption du projet de loi. Si nous devenons une bande reconnue, à la discrétion de l’honorable ministre Gull-Masty, nous pourrons accueillir des Autochtones non inscrits. Dans l’état actuel des choses, la politique ne permet aux bandes de reconnaître que des Indiens inscrits.

Il est très important pour notre nation que le projet de loi soit adopté. Je conviens avec Mme Simon qu’il reste encore beaucoup à faire, mais je suis heureuse de comparaître et de pouvoir m’exprimer à ce sujet.

Merci.

Me Schulze : J’ai dit tout à l’heure que, selon moi, il ne m’appartient pas de répondre à certaines de ces questions, mais j’en ai une à vous poser : Comment faut-il amender le projet de loi? Que proposez-vous?

Je ne veux pas faire le blasé, mais il est facile de critiquer, et il y a beaucoup à critiquer. Mais il faut savoir ce que vous proposez. Je n’ai toujours rien entendu de clair.

La vice-présidente : Merci.

La sénatrice Clement : Merci à vous tous. Je vais dire [mots prononcés dans une langue autochtone] nia:wen à Mme Callihoo pour la charge émotive qu’elle a apportée dans le processus législatif. Je vais poser mes questions et ensuite me taire.

Madame Callihoo, pouvez-vous nous parler un peu plus de ce que serait la vie pour vous, votre famille et vos descendants si nous adoptions une mesure bien conçue?

Maître Schulze, vous avez fait valoir qu’il s’agit au fond d’un problème de discrimination sexuelle, mais je ne pense pas que ce soit dit assez clairement. Comment et où faudrait-il le préciser?

Madame Simon, vous avez dit que le projet de loi S-2 s’inscrit dans un processus plus large, mais nous avons affaire à un État qui n’agit que lorsque les tribunaux l’y contraignent. Comment réagissez-vous à l’idée que nous devons avoir confiance — que vous devez avoir confiance — que ce processus finira par nous donner non pas l’égalité dans l’oppression, mais un droit égal à l’autodétermination?

Mme Callihoo : Ce serait un progrès qui nous aiderait à rebâtir notre bande et à rassembler notre nation. Je me fais demander tout le temps : « Pensez-vous que je suis admissible? » Il est très difficile de répondre sans connaître toute l’histoire de chacun. Les gens ont été dispersés dans tout le pays. Quant à l’émancipation, c’est une question qui préoccupe la majorité d’entre nous.

Ce serait tellement important, car nous pourrions rassembler un plus grand nombre de nos descendants. Certains seront laissés de côté à cause de l’exclusion après la deuxième génération et aussi des certificats. C’est une autre question dont je n’ai pas encore entendu parler.

Ce serait très important pour nous de pouvoir mettre les choses en marche et rassembler nos descendants.

Mme Simon : Il est question de confiance. J’aborderais cette idée sous un autre angle : je ne pense pas que les nations autochtones, les étudiants et les collectivités avec qui nous travaillons fassent confiance au gouvernement pour régler le problème. C’est en eux-mêmes qu’ils ont confiance pour trouver une solution qui devra ensuite être appuyée, pour comprendre qu’il est vraiment important que les rôles changent.

Me Schulze : Sénatrice Clement, vous demandez où il faudrait préciser qu’il s’agit de discrimination sexuelle. Je ne suis pas rédacteur législatif, mais il me semble qu’on pourrait le dire dans le préambule.

Vous demandez aussi comment nous pouvons faire confiance au gouvernement. Ce n’est pas facile. À propos des femmes qui ont perdu leur statut à cause du mariage, à propos des conséquences pour elles, je dirai qu’on discute de la question depuis au moins la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, la Commission Bird, en 1970. La fin approche peut-être.

Il m’est parfois difficile d’avoir beaucoup confiance. Je m’explique. Brandy Callihoo est ma cliente. Nous avons présenté un protêt pour elle, mais aucune décision n’est venue, rien. Nous avons fini par devoir traîner le registraire devant la Cour fédérale pour obtenir une ordonnance de mandamus. Nous avons demandé à la Cour fédérale d’ordonner au registraire de prendre une décision afin que nous puissions en appeler. Mais il n’y a pas eu d’audience. Après avoir dit qu’il n’avait aucune preuve, voilà que, miracle, le registraire a admis que ma cliente avait le droit d’être inscrite grâce à sa mère. Il a découvert que l’arrière-arrière-grand-mère de Mme Callihoo s’était mariée avec un non-Autochtone en 1874.

Je n’ai pas beaucoup confiance, mais la ministre est compétente.

La sénatrice Clement : Merci. Nia:wen.

Le sénateur Francis : Merci aux témoins d’être là. C’est un plaisir de vous voir, madame Simon.

Ma question s’adresse à Me Schulze. Vous avez dit tout à l’heure que nous devrions demander au ministre de la Justice pourquoi cette question a été présentée comme autre chose que de la discrimination sexuelle. Il faudrait peut-être inviter le ministre Fraser à venir nous donner des explications.

Pourriez-vous préciser votre pensée? Comme je ne suis pas avocat, je veux m’assurer de bien comprendre les répercussions pratiques et juridiques d’un changement de libellé.

Me Schulze : Les répercussions pratiques ne sont peut-être pas considérables pour le moment, puisque le projet de loi à l’étude va plus loin que ce que le jugement exige, sous bien des aspects positifs.

Les répercussions juridiques m’inquiètent un peu parce que, à mes yeux, le ministre de la Justice a constaté qu’il y avait discrimination sexuelle, mais a préféré parler de discrimination raciale ou ethnique. On peut fort bien justifier cette appellation, mais, à mes yeux, il s’agit d’abord et avant tout de discrimination sexuelle.

Plus franchement, en tant que citoyen, je me demande jusqu’où on ira. Arrivera-t-il un jour qu’un procureur général, présentant une défense dans une contestation fondée sur la Charte que je trouverais tout à fait futile, dise : « Eh bien, présentez simplement n’importe quelle défense. C’est leur droit, et nous aurons alors un jugement confirmant que c’est la loi »?

Selon moi, les tribunaux hésiteraient à agir de la sorte, mais il est toujours bon de se rendre compte qu’on a tort. Je me suis déjà demandé pourquoi nous nous disputions sur certaines de ces questions. Pourquoi n’avouent-ils pas simplement que c’est inadmissible? À y réfléchir, je me dis qu’il y a peut-être quelque avantage à ce que les problèmes soient discutés devant les tribunaux. J’aurais souhaité un jugement disant qu’il s’agissait aussi de discrimination sexuelle.

L’inconvénient, c’est que la question se serait réglée beaucoup plus tard. L’avantage, c’est qu’on aurait appelé les choses par leur nom.

Le sénateur Francis : Je vous remercie.

La vice-présidente : La période prévue pour ce groupe de témoins est terminée. Je remercie tous les témoins d’avoir comparu, et je les remercie de leurs sages paroles. S’ils souhaitent présenter d’autres mémoires, ils voudront bien les adresser au greffier par courriel.

Voici maintenant le deuxième groupe de témoins : Mélanie Savard, représentante des Enfants d’Aataentsic, et Zoë Craig-Sparrow, vice-présidente de Justice pour les filles. Merci à vous deux de vous être jointes à nous.

Les témoins feront une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’un échange de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite Mme Savard à faire son exposé. La parole est à vous.

[Français]

Mélanie Savard, représentante, Les enfants d’Aataentsic : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Je suis accompagnée d’une grand-maman et de plusieurs enfants wendats de ma communauté qui sont exclus en ce moment.

J’ai passé 18 ans à être la mère d’un enfant exclu par la deuxième génération. La moitié de mon existence et la totalité de celle de mon fils ont été passées à apprendre à vivre dans le génocide. J’ai été mise à l’écart, humiliée, sans accès aux ressources, mais surtout constamment dans la peur et l’angoisse, avec un sentiment d’injustice impossible à quantifier.

À 19 ans, lorsque j’ai mis mon fils au monde, je devenais aussi condamnée. Aucun héritage de mon passage sur l’île de la Tortue ne pourrait être légué à mon fils, à ma chair, à mon sang. Si je meurs maintenant, mon patrimoine familial ne peut lui être transmis légalement, ce qui m’amènera au cours des prochains mois à devoir vendre notre maison — nos racines, notre refuge à tous les deux. Je préfère vivre ce deuil matériel plutôt que de lui léguer une sentence qui le hantera assurément toute sa vie, celle de ne pas avoir eu le droit d’hériter de sa mère ce qu’elle a bâti pour nous et pour lui.

J’ai toujours élevé mon fils avec l’identité wendate. Il est Wendat. De toute façon, je ne savais pas comment l’éduquer autrement. Il n’y a pas une seule journée où je me suis couchée en paix. Je vis constamment en mode protection et anticipation.

J’ai passé 17 ans à chercher de l’espoir sur Internet, à chercher des articles de journaux, à suivre l’actualité, jusqu’à ce soir d’avril 2025. Alors que je recherchais encore des informations, la tête sur mon oreiller pour la nuit, j’ai appris qu’une consultation nationale était en cours sur notre vie : l’exclusion. J’ai passé la nuit à lire et à relire tout ce que je pouvais assimiler. J’ai ressenti ce qu’on appelle « l’espoir », un espoir si puissant qu’il a aussi été d’une violence inouïe. Pourquoi ne m’a-t-on pas informée le jour du lancement de cette consultation? Pourquoi mon conseil de bande n’a-t-il jamais partagé cette information avec sa population?

C’est alors que j’ai créé le 20 mars 2025 un groupe privé sur Facebook qui s’appelle Les enfants d’Aataentsic. Dans notre mythologie, cette femme a donné naissance au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ainsi qu’à son peuple. De bouche à oreille et avec un message sur une page publique de ma communauté, je lance un appel à tous : si vous êtes des parents ou des grands-parents touchés par l’exclusion après la deuxième génération, sachez que vous n’êtes pas seuls. À ce jour, ce regroupement réunit 153 personnes, 153 familles. Il m’a toujours été difficile de rejoindre d’autres familles, puisqu’on ne sait pas qui est touché. D’ailleurs, nos enfants ne sont pas répertoriés au sein de notre nation. Leur nom n’apparaît nulle part. Ils n’existent pas.

Donc, combien d’individus vivent cette réalité et sont dans l’impossibilité d’assurer l’existence de leurs enfants et de leurs petits-enfants? Il nous est impossible de le savoir. Ce que l’on sait, par contre, c’est qu’ils n’existent pas chez nous. Pourtant, on les voit courir et rire dans les rues. Ils apprennent notre langue à l’école, nos danses. Leur petit monde se construit autour de ce que nous sommes et de ce que nos anciens nous ont légué culturellement, de nos traditions et de nos us et coutumes. Toute leur petite vie est teintée de ce qui nous définit en tant que Wendats, et on attend toujours cette valeur lors des prises de parole protocolaires ou symboliques pour nos sept prochaines générations.

Je vous ai transmis un document énumérant toutes les actions que nous avons posées depuis mai 2025 afin de faire valoir notre droit à la dignité d’exister, mais aussi le contexte sociopolitique dans lequel nous tentons de naviguer chez nous.

Ce regroupement a été mis en place en fonction de trois objectifs : le premier est de permettre aux parents, aux grands-parents et aux enfants touchés par l’exclusion après la deuxième génération de se rassembler de façon confidentielle pour assurer leur sécurité émotionnelle et leur intégrité; le deuxième est de permettre à ces familles d’échanger sur les réalités auxquelles elles font face quotidiennement, tout en s’éduquant sur la loi et ses contraintes, mais aussi sur le fonctionnement de notre gouvernance face à leurs enfants sans statut; le troisième est de leur offrir la possibilité d’avoir une voix et de s’impliquer dans l’ensemble des actions posées par nous-mêmes.

Les familles touchées par l’exclusion de façon globale n’osent pas prendre la parole sur leur réalité. Il s’agit d’une blessure identitaire profonde qui occasionne des inégalités incommensurables. J’ose même dire que ce que l’on vit, ainsi que nos enfants, peut potentiellement conduire au suicide.

Lors d’une rencontre privée avec notre Grand Chef, alors que j’étais accompagnée de deux grand-mères touchées par l’exclusion, je lui ai demandé si pour lui, personnellement, mon fils était Wendat. Sa réponse a été négative.

Chez nous, des dizaines de familles se retrouvent à devoir taire la loyauté qu’elles portent envers leurs enfants et leur famille pour honorer leur loyauté envers leur employeur, car il leur est interdit de s’exprimer publiquement sur ce qui touche les politiques de notre gouvernance, et ce, même si leurs enfants se retrouvent discriminés par celles-ci.

En ce sens, nous avons appris que 17 jeunes ont été invités à s’asseoir dans les estrades d’un aréna où se réunissait leur équipe de hockey d’appartenance pour les finales, faute d’avoir un numéro de bande inscrit sur un papier.

On a demandé aux familles qui dansent dans les pow-wow leur carte de statut pour y participer, ce qui crée une anxiété généralisée chez nous. Puisque maintenant la majorité de ces enfants n’ont pas de statut, certains n’ont pas pu s’inscrire aux camps culturels d’une semaine sur le territoire. Une enfant de 11 ans a reçu une magnifique lettre l’informant qu’elle allait faire partie d’une exposition sous forme d’un portrait individuel au musée chez nous. Après qu’elle a écrit un texte décrivant son appartenance et sa fierté identitaire à un ancêtre wendat, elle a reçu une seconde lettre qui l’informait que comme elle n’était pas Wendate, elle ne pouvait pas faire partie de l’exposition Un portrait de ma nation.

Elle n’a que 11 ans. Les familles qui ont des enfants de plus de 2 ans ne peuvent plus avoir de transport médical pour se rendre à leur rendez-vous. Les gardiens du territoire doivent nous faire savoir que nos enfants n’ont pas d’affaire avec nous à nos camps familiaux sur le territoire s’ils viennent nous rencontrer. Ils ne peuvent d’ailleurs pas pêcher, cueillir, trapper ni chasser avec nous en aucun temps. Nous vivons énormément de violence latérale.

Je crois que ces exemples de ce à quoi nous sommes confrontés chaque jour peuvent vous faire ressentir des sentiments partagés. Ai-je réellement besoin de vous énumérer les conséquences physiques, psychologiques, spirituelles, identitaires, culturelles, cognitives, émotionnelles et juridiques que nous vivons chaque jour? N’y a-t-il pas assez de documentation, de recherches et de mémoires portant sur ce que les femmes qui ont perdu leur statut par mariage ainsi que leurs enfants ont pu subir sans leur statut? N’y a-t-il pas assez d’ouvrages quantifiant les traumatismes découlant de toutes ces diverses tentatives inimaginables d’assimilation et d’extinction que nos peuples ont surmontées? Le passé et le présent nous prouvent, jour après jour, à quel point nous sommes résilients. Ne laissez pas ces débats financiers retarder des modifications qui nous donneront enfin le droit de baisser nos gardes pour vivre simplement et avoir le sentiment réel d’être en vie.

Honorables sénateurs, nous vous demandons s’il vous plaît d’œuvrer pour que toutes ces violences prennent fin dès maintenant.

Honorables sénateurs, je suis fatiguée. J’ai passé 18 ans à lutter dans l’ombre pour honorer ma famille, mes amis, ceux qui sont passés avant moi et ceux qui vont passer après moi. Nous avons besoin de retrouver la paix, mais aussi notre fierté identitaire, qui est jour après jour meurtrie par toutes ces violences, ces exclusions, ces discriminations et ces oppressions. Elles resteront marquées en nous toute notre vie, mais si nous pouvons préserver celles de nos enfants, ce combat en aura valu la peine.

Abolissez la coupure après la deuxième génération, intégrez dans la loi qu’un seul parent autochtone qui a un statut peut transmettre le statut à ses enfants. Vous avez le pouvoir de nous redonner vie, de continuer d’exister et de nous retirer enfin ce sentiment d’être condamné.

Mesdames et messieurs les sénateurs, avec tout notre amour, on a fait une poupée de maïs pour vous en mémoire de nos enfants, pour qui nous prenons notre courage, notre honneur et notre voix ce soir pour exprimer un peu de nous. [mots prononcés dans une langue autochtone]

La vice-présidente : Merci, madame Savard.

[Traduction]

J’invite maintenant Mme Craig-Sparrow à présenter son exposé liminaire. Vous avez la parole.

Zoë Craig-Sparrow, vice-présidente, Justice pour les filles : ʔəy sweyəl [mots prononcés dans une langue autochtone].

Je m’appelle Zoë Craig-Sparrow et je suis membre des peuples Musqueam qui s’expriment en hən̓q̓əmin̓əm. Je suis née et j’ai grandi dans la réserve indienne Musqueam no 2, dans ce qui est maintenant connu sous le nom de Vancouver, en Colombie-Britannique. Merci de m’avoir invitée à prendre la parole sur le territoire traditionnel du peuple algonquin anishinabe.

Je tiens d’abord à dire clairement que j’appuie le projet de loi S-2, mais il faut y apporter des amendements clés avant de l’adopter. L’exclusion après la deuxième génération est une mesure qui a été mise en place en 1985 et elle constitue une politique d’assimilation génocidaire qui mènera à l’extinction légale des Premières Nations. Il faut la retirer de la Loi sur les Indiens, et un amendement au projet de loi S-2 est la meilleure façon d’y parvenir.

Vous avez beaucoup entendu parler de l’exclusion après la deuxième génération. Ce qui correspond à ma situation.

Ma mère a le plein statut indien aux termes du paragraphe 6(1) et mon père n’était pas inscrit. On m’a donc accordé le statut en vertu du paragraphe 6(2). Mon père est décédé quand j’avais neuf ans, et j’ai grandi dans la réserve avec ma mère, voisine de ma grand-mère, de ma tante et de mon grand-père, Ed Sparrow, qui m’amenait pêcher sur le Fraser. Je suis maintenant propriétaire d’une maison voisine de celle de ma mère et j’ai l’intention d’y élever mes enfants dans notre culture et notre langue et avec notre peuple. J’ai rencontré à Musqueam celui qui est maintenant mon fiancé. Il n’est pas inscrit, mais il a grandi dans la réserve, et nous prévoyons avoir des enfants bientôt.

Nos enfants n’auront pas le statut d’Indien.

Aux yeux du gouvernement, il ne s’agira pas de membres des Premières Nations. Mes enfants ne pourront pas hériter de ma maison; ils ne pourront pas avoir accès au soutien de l’État pour leurs études ni avoir droit aux soins de santé financés par l’État. Et le pire, peut-être, c’est qu’ils ne pourront pas exercer leur droit de pêche ancestral, qui est un droit tellement important non seulement pour ma famille, les Sparrow — je suis sûre que vous avez entendu parler de l’arrêt Sparrow —, mais aussi pour le peuple Musqueam dans son ensemble.

Par contre, si mes parents étaient tous les deux des Indiens inscrits, ils auraient ces droits. Si mon fiancé était un Indien inscrit, ils les auraient. Si j’étais un homme né avant 1985, ce serait aussi le cas.

Quand on dit que cela va mener à l’extinction légale d’ici trois ou quatre générations, on parle de nations et de peuples entiers. Mais cela se produit maintenant, avec des conséquences réelles et concrètes dès maintenant pour des gens comme moi et ma famille.

Je suis la première génération de ma famille — après le traumatisme intergénérationnel des pensionnats indiens — à pouvoir élever mes enfants dans une maison de notre collectivité, à l’abri de la violence et de la toxicomanie. Ma mère a brisé le cycle, et je suis la première à repartir à neuf.

Mon grand-père a lutté très fort pour survivre au pensionnat afin de voir réussir sa « petite famille » — comme il nous appelle —, et il est très fier de moi.

N’est-ce pas cela, la réconciliation? Nous donner l’occasion de reconstruire les vies, la culture, les familles et les droits qui nous ont été volés.

Je suis la première de ma famille à aller à l’université, et je suis la première de ma famille dont les enfants n’auront pas de statut.

Si nous laissons perdurer le seuil de la deuxième génération, nous laissons les objectifs génocidaires d’assimilation de la colonisation se réaliser. Je vous implore, honorables sénateurs, de faire ce que vous avez fait dans le projet de loi S-3, ce que vous avez demandé dans votre rapport intitulé C’est assez! et de défendre ce qui est juste.

Les droits des gens sont bafoués en ce moment même. Chaque jour qui passe où nous permettons que des documents d’extinction fassent partie intégrante du cadre juridique de notre pays est un jour de trop. Je sais que certains soutiennent que de longues consultations sont en cours et que nous devrions simplement patienter. Mais on ne peut pas tenir de consultations sur la discrimination fondée sur le sexe et la race, ni sur le génocide.

Nous ne pouvons pas continuer à attendre et nous permettre d’autres retards. Mes enfants ne peuvent pas se permettre d’autres retards. Le gouvernement du Canada peut certainement, quant à lui, se les permettre. En fait, il a un intérêt économique direct dans ce retard et il bénéficie d’un enrichissement injuste. Le gouvernement a une obligation fiduciaire envers les Indiens. En se débarrassant de nous, il se dégage de cette responsabilité.

Je rejette totalement toute suggestion selon laquelle les peuples autochtones s’entendent à dire qu’il vaut mieux aller de l’avant avec le projet de loi S-2 dans sa forme actuelle et régler la question du seuil de la deuxième génération plus tard. On ne peut pas mettre fin à la discrimination de façon graduelle. Nous ne pouvons pas assurer l’égalité pour quelques personnes, puis attendre des années, voire jamais, avant qu’un autre projet de loi ne soit adopté avec des modifications fragmentaires et que l’égalité réelle demeure un rêve chimérique, surtout si nous avons la possibilité de faire les deux.

J’ai été très heureuse de voir la sénatrice Greenwood exprimer la crainte, surtout à la lumière du projet de loi C-5, que nous ayons peut-être assisté à l’apogée de la réconciliation et, maintenant, à sa régression.

J’espère sincèrement que ce n’est pas vrai.

En tant que jeune femme autochtone, je vous demande, honorables sénateurs, d’aller plus loin, comme vous l’avez fait dans le projet de loi S-3, et de voter en faveur d’amendements qui élimineront, une fois pour toutes, la discrimination fondée sur le sexe et la race dans la Loi sur les Indiens ainsi que l’extinction légale de notre peuple. S’il vous plaît, ne me forcez pas à me battre toute ma vie, comme Sharon McIvor et Jeannette Corbiere Lavell, pour voir la justice retardée une fois de plus.

[Langue autochtone parlée] Merci beaucoup à tous.

La vice-présidente : Merci, madame Craig-Sparrow. Je vous remercie toutes les deux de vos observations.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous aurez chacun droit à une intervention de quatre minutes, incluant la question et la réponse, avec une entrée en matière de 30 secondes.

La sénatrice McPhedran : Merci à vous deux, Mélanie Savard et Zoë Craig-Sparrow. Vous nous avez brillamment brossé un portrait très convaincant de la situation à laquelle vous faites face quotidiennement. Je tiens vraiment à m’excuser en notre nom, et au nom des parlementaires qui nous ont précédés, de ne pas avoir su résoudre cette situation. Nous pensions vraiment que c’était le cas avec le projet de loi S-3, et pour ceux d’entre nous qui ont participé au processus du projet de loi S-3, il est pénible d’être ici ce soir. Je suis désolée que nous ayons dû vous demander de revenir.

Ma question porte sur le fait que nous avons tous, je pense, beaucoup de respect pour la ministre Gull-Masty. Nous reconnaissons tous qu’elle est la première personne autochtone à assumer ce niveau de responsabilité au sein du Cabinet. Je voudrais vous demander si vous avez des inquiétudes concernant la promesse que la ministre a faite ici de régler ce problème, comme vous le savez, je crois, lorsqu’elle a comparu devant nous. Ce ne sera peut-être pas avec le projet de loi S-2, mais elle le réglera. Avez-vous quelque chose à dire au sujet de cette promesse?

Mme Craig-Sparrow : Oui. Je vous remercie de cette question. C’est très important. Même si cette ministre est une femme autochtone — ce qui est merveilleux et inspirant —, elle représente toujours le gouvernement et doit agir en tant que ministre, et non à titre personnel. Elle a fait une promesse que nous connaissons, et elle sait qu’elle ne pourra peut-être pas la tenir. Justice Canada conseille la ministre et elle doit suivre ses directives.

Malgré tout, dans votre rapport C’est assez! et la loi, il n’est pas dit : « Attendez qu’il y ait un ministre autochtone. » Même si cette ministre répète la même chose que tous ses prédécesseurs, on nous laisse entendre que : « Cette fois-ci, parce qu’elle est autochtone, croyez-la et patientez encore un peu. » Non. Ce qui est dit c’est que cela doit cesser maintenant. L’obligation d’égalité est une obligation immédiate en droit international. Nous avons attendu assez longtemps.

Comme l’a dit Pam Palmater, que vous avez entendue hier, la promesse d’un processus futur n’est pas du tout une promesse.

Les belles paroles de Services aux autochtones Canada, ou SAC qui nous dit : « Commençons par cet élément. Nous ferons le reste plus tard » ne sont pas seulement creuses et sans fondement; elles sont fausses. Nous avons entendu le même refrain à maintes reprises. Après l’adoption du projet de loi C-31, on a dit aux femmes autochtones : « Prenez ce que vous pouvez obtenir maintenant et nous traiterons des paragraphes 6(1) et 6(2) plus tard. » Ce « plus tard » n’est jamais venu. Puis, avec le projet de loi C-3, la situation a été la même.

Si cette occasion d’apporter des changements n’est pas saisie, la justice et l’égalité seront retardées pour des générations entières. Je ne suis pas prête à risquer l’avenir de ma lignée familiale sur une énième promesse : « Attendez. Nous ferons cela plus tard. » Et j’espère vraiment que vous non plus. C’est à ces promesses que nous devons ce gâchis génocidaire, et nous ne pouvons pas leur faire confiance pour nous en sortir. Le temps du changement est venu. Nous savons que nous pouvons mettre fin à l’exclusion de la deuxième génération ici, une fois pour toutes, sans attendre de voir si la ministre Gull-Masty pourra le faire plus tard. Merci.

[Français]

Mme Savard : Comment demander à mon fils de croire à ces promesses? Il a 18 ans. Comment simplement dire aux familles, aux parents, aux grands-parents et aux enfants exclus de la deuxième génération que cela va se produire? Nous sommes fatigués. C’est une souffrance; c’est un génocide. On le vit en raison de la Loi sur les Indiens et, d’un autre côté, notre quotidien dans ma communauté est difficile à vivre à cause du regard de nos pairs et du type de gouvernance. Combien de temps?

En tant que mère, je n’ai pas envie de dire à mon fils que ce sera peut-être d’ici un an, deux ans, trois ans, dix ans ou quinze ans. Je veux le préserver encore. Je l’ai dit, j’ai passé 17 ans à chercher un seul article de journal pour essayer de comprendre, pour me rassurer et pour me dire que je ne suis certainement pas la seule femme autochtone au pays à vivre cette situation. C’est extrêmement violent.

Le jour où quelque chose va se passer... Il ne faut pas que cela se fasse dans plusieurs années, il faut que ce soit maintenant pour qu’on puisse vraiment avoir le sentiment de retrouver notre liberté et de vivre notre fierté identitaire en tant que femme, homme, enfant, grands-parents des Premières Nations.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci beaucoup à vous deux.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup aux témoins. Il m’arrive, parfois, de me rappeler à quel point c’est un privilège d’être membre de cette chambre et d’être sénateur. Ce qui me frappe vraiment, c’est d’entendre des témoignages comme celui-ci. C’est tellement convaincant que l’on ressent simplement une présence. Cela va dans de nombreuses directions : vers le passé et vers l’avenir. Je tiens seulement à souligner votre leadership à cet égard.

Nous avons entendu des chiffres concernant la suppression du seuil de la deuxième génération, des réactions comme : « Oh mon Dieu, la situation va mal tourner pour le pays. » Nous avons entendu des chiffres comme 300 000 jusqu’à une date prévue, ou 750 000, ou même 2 millions. Il y a une certaine crainte en période d’austérité, et des gens affirment que « le pays ne peut pas se permettre d’avoir plus d’Indiens inscrits ».

Je m’adresse d’abord à vous, madame Craig-Sparrow. Que répondriez-vous à ces chiffres? Madame Savard, vous pouvez ajouter quelque chose.

Mme Craig-Sparrow : Merci. La crainte que des millions de nouveaux Indiens inscrits envahissent nos collectivités et les perturbent n’est pas fondée. C’est alarmiste. Voici les renseignements que nous avons reçus de SAC, il y a quelques jours : 22 000 nouvelles personnes auraient immédiatement droit au statut d’Indien grâce à la suppression du seuil de la deuxième génération. Selon les estimations les plus élevées de Statistique Canada, entre 2021 et 2066, 320 000 personnes nouvellement admissibles auront droit au statut. C’est 320 000 sur une période de 45 ans. Cela donne environ 7 000 par année.

J’encourage les sénateurs à communiquer avec SAC pour obtenir ces données et à avoir davantage de conversations, mais même ces chiffres sont généreux. Tous les amendements adoptés jusqu’ici ont surestimé le nombre de personnes admissibles. Celles qui se sont inscrites étaient encore moins nombreuses. Répartis sur les 634 nations, ces chiffres ne représente qu’environ 12 nouvelles personnes par année par bande. De toute évidence, ce n’est pas proportionné, étant donné la taille différente des bandes. Les chiffres peuvent varier. Mais je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’un afflux massif qui va submerger nos bandes. Ce ne sont pas 2 millions de personnes qui frapperont à la porte en disant : « Laissez-moi entrer. »

Supprimer le seuil de la deuxième génération ne signifie pas inviter les gens à retourner des centaines, voire des milliers d’années en arrière pour revendiquer un lointain ancêtre indien et revendiquer le statut. La Loi sur les Indiens a été adoptée il y a seulement 149 ans. Le seuil de la deuxième génération a été instauré en 1985. Il s’agit de regarder vers l’avenir. Nous parlons des enfants et des petits-enfants d’Indiens inscrits actuels et de gens comme moi qui ont des liens avec notre communauté.

Oui, la suppression du seuil de la deuxième génération fera en sorte que nous aurons des Indiens à perpétuité, mais n’est-ce pas là la question? L’opposé de la perpétuité est une fin, et la fin des Indiens est le but du génocide.

Des centaines de milliers de nouveaux Canadiens arrivent chaque année, ce qui coûte des milliards de dollars. Nous voyons cela comme une bonne chose et c’est le cas. Mais nous demandons un amendement qui se traduirait par l’arrivée de 300 000 nouveaux Indiens sur une période de 45 ans et la fin de notre extinction. Je ne comprends pas comment cela peut être perçu comme indésirable ou une mauvaise chose. Un Canadien peut transmettre la citoyenneté à son enfant sans date d’extinction pour le Canada, mais moi, une Indienne, je ne peux pas transmettre mon statut d’Indien à mon enfant avec une date d’extinction fixée pour mon peuple.

Mes enfants ne sont certainement pas les premiers. SAC nous dit également que, jusqu’à maintenant, depuis 2019, il a refusé 14 000 demandes de statut présentées par les enfants d’Indiens visés au paragraphe 6(2) qui ne sont actuellement pas admissibles au statut en raison du seuil de la deuxième génération.

Nous devons apporter ces amendements maintenant. Ce sont 14 000 enfants autochtones qui ont grandi sans les droits, le financement, les liens, les avantages et la communauté auxquels ils ont droit et dont nous avons besoin pour survivre et endurer ce génocide. Merci.

[Français]

Mme Savard : Ce que j’ai en tête, c’est un débat sur le nombre d’immigrants qu’on peut se permettre de recevoir au pays. L’immigration est-elle bonne pour le pays? Je parle des autres nations du monde ici, sur l’île de la grande Tortue. Il y a 10 000 ans de présence autochtone chez nous au Québec.

Mon fils n’est pas un immigrant.

Oui, il y aura des frais associés à tout cela, mais la vie de mon fils n’est pas comparable à un seul centime de ce qu’on peut demander ou exiger pour exister. Dix mille ans de présence autochtone et nous sommes encore là aujourd’hui, debout. Nous sommes résilients. Mes grand-mères se sont battues, ma mère s’est battue, je me bats depuis 18 ans et s’il le faut, je vais me battre jusqu’à la fin de mes jours. Cependant, je n’accepterai jamais qu’un pays aussi grand que le Canada me donne l’impression de devoir accueillir une vague d’immigrants. Pourtant, ce sont des enfants d’Aataentsic, ce sont des enfants du territoire.

Oui pour plus de Premières Nations dans le pays, oui pour plus de Premières Nations sur ce territoire. Pour l’argent, on verra comment cela se déroulera. Il faut arrêter les blessures qui existent maintenant. On regarde ce qui se passe dans d’autres pays du monde, dans lesquels il y a d’autres génocides, et on est incapable de trouver des solutions pour ce qui se passe ici, maintenant. J’ai confiance en la vie. J’ai confiance que mes ancêtres, qui sont ici aujourd’hui, m’accompagnent dans cette lutte comme ils ont accompagné celles qui sont passées avant moi. Je suis certaine qu’un grand pays comme le Canada peut trouver des solutions pour rapatrier ces enfants dans toute leur dignité, pour honorer ceux qui sont passés avant nous et continuer d’honorer nos sept prochaines générations.

[Traduction]

La vice-présidente : Je vous remercie de ces paroles.

La sénatrice Pate : Il m’arrive rarement d’être autant submergée par l’émotion. Je trouve tout cela déchirant, car nous sommes conscients de cette discrimination que vous avez décrite d’une façon que je ne peux même pas imaginer, comme l’a fait Mme Callihoo dans le panel précédent.

Votre leadership — merci de votre leadership. C’est une leçon d’humilité. Je ne sais pas comment le décrire autrement. Je ne peux pas m’imaginer ce que c’est de revenir sans cesse et de continuer à se battre pour cela aussi longtemps. Vous avez toutes les deux démontré — je connais le leadership de Mme Craig-Sparrow depuis beaucoup plus longtemps que le vôtre, madame Savard. J’en suis désolée.

Merci à vous deux de faire cela. Votre message est clair. Je n’ai pas de question. Nous devons agir et suivre — je ne siégeais pas au comité à ce moment-là — les conseils de notre propre rapport. Merci.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci. J’avais 28 ans quand j’étais assise là.

[Traduction]

Je dénonçais la Loi sur les Indiens. Aujourd’hui, j’ai 54 ans et je suis la marraine du projet de loi, mais pas une marraine habituelle.

[Français]

Pourquoi suis-je marraine dans cette situation? Pour dire au gouvernement qu’on a la chance d’être des sénateurs indépendants. Notre devoir est de vous écouter, comme on m’a écoutée quand j’avais 28 ans. On a le droit d’améliorer des projets de loi, on a cette responsabilité. Je vous demande de prononcer aussi votre message à l’autre endroit, où les grandes décisions se prennent et les grands débats se tiennent. Si vous aviez des recommandations ou des amendements à proposer, partagez-les par écrit. Partagez-les par écrit, parce qu’il y a des gens très ouverts ici, très sensibles et parce que l’autre endroit nous écoute aussi.

[Traduction]

Ils écoutent. J’ai dit à la ministre et au bureau du représentant du gouvernement que je ne peux pas dire « non » aux amendements s’ils visent à améliorer le projet de loi. Nous verrons demain si je suis toujours la marraine.

[Français]

Merci beaucoup.

[Traduction]

La vice-présidente : Y a-t-il d’autres questions?

Le sénateur Tannas : Brian Mulroney a déjà dit : « Je vois de futurs sénateurs dans ce groupe. Je vois de futurs dirigeants. » Merci beaucoup.

Nous prenons tous cette question au sérieux. Nous savons ce que le gouvernement veut et ce qu’il ne veut pas. Par le passé, nous avons trouvé le courage d’agir. Vos paroles nous aident énormément; vous nous aidez à trouver ce courage. Merci.

[Français]

La sénatrice Clement : Je veux d’abord remercier la sénatrice Audette.

[Traduction]

Merci de ne pas être une marraine habituelle. Nia:wen.

Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Prosper lorsqu’il dit que c’est un honneur d’être ici et de partager. Lorsque vous avez parlé, madame Craig-Sparrow, et que vous avez dit : « C’est moi qui suis le seuil », comme la sénatrice Sorensen, je voulais applaudir ou brandir le poing en l’air. Je vous remercie d’avoir parlé avec autant de force.

[Français]

J’ai une question pour Mme Savard. Vous avez parlé de violence latérale et la professeure Simon avant vous a parlé de cette douleur d’être rejeté et déconnecté de sa communauté, en disant que cela créait en fait un besoin de traitement. Pourriez-vous parler un peu plus de cette violence latérale? Comment l’avez-vous vécue? Comment êtes-vous encore ici, si résiliente et éloquente devant nous?

Mme Savard : J’étais enceinte de six mois et mes quatre tantes étaient assises avec ma grand-mère quand je suis rentrée chez moi avec mon gros ventre. Elles m’ont fait dit : « Mélanie, cet enfant, on va l’adopter. » Le message, c’était que cet enfant, j’allais le mettre au monde et elles allaient l’adopter.

Ma position en tant que jeune mère de 19 ans était la suivante : « Vais-je mettre cet enfant au monde? Vais-je le garder? Je veux le garder. On va l’adopter. » J’ai alors compris le message de mes tantes qui, elles, avaient perdu leur statut par mariage et qui essayaient de préserver mon enfant. En ce qui a trait à la violence latérale, je me suis fait dire par des gens de ma communauté : « Mélanie, fais tes enfants avec une Première Nation. Tu tomberas en amour après. » J’en ai entendu des jugements de la part des gens dans la communauté : « Lui, ce n’est pas un vrai; lui, c’est un vrai; lui, on ne le connaît pas; d’où vient-il? »

En ce moment, j’ai une pensée pour toutes ces personnes, ces femmes, ces hommes et ces enfants. On parle beaucoup des femmes, mais aujourd’hui, en ce qui concerne l’exclusion après la deuxième génération, les hommes sont aussi concernés que les femmes. Qu’arrive-t-il à toutes ces personnes qui, grâce à des projets de loi, ont pu récupérer leur statut et réintégrer leur communauté? Elles retrouvent un statut en ce moment, elles ne savent pas ce que cela veut dire d’être touché par les paragraphes 6(1) ou 6(2), elles ne savent rien et elles apprennent que leurs enfants sont exclus après la deuxième génération? Aurais-je le courage d’intégrer une communauté qui me fera assurément vivre de la violence latérale, pour essayer de retrouver cet héritage culturel, pour retrouver la paix, la guérison, sachant que je ne pourrai même pas transmettre tout cela à mes enfants, que ce soit à 30, 40, 50 ou 60 ans?

Cela fait aussi partie de la réalité de l’exclusion après la deuxième génération, parce que ces femmes qui ont récupéré leur statut et ces enfants qui reviennent sont exposés à cette réalité sans le savoir, sans se connaître.

Pour beaucoup de gens, il faut un très grand courage pour essayer de renouer avec leur identité et leur culture lorsqu’ils font face à des gens trop bien colonisés. Dans nos communautés autochtones et dans nos systèmes de gouvernance, on parle de décolonisation et de réconciliation. Je pense que les endroits où on a le plus besoin d’être décolonisés, c’est au sein de nos propres communautés.

C’est à travers cette colonisation que l’on retrouve toute cette violence latérale. On l’a tellement intégrée que ma mère, ma grand-mère et mes tantes, qui n’étaient pas des Wendats, et leurs frères se sont mis à les renier et à leur faire vivre de la violence. Ils ont intégré ces discours qu’ils ont transmis à leurs enfants et qui se transmet encore aujourd’hui.

Je le vis aujourd’hui avec mon fils. Je suis née en 1987; mon fils a 18 ans. Je suis peut-être une maman qui a un enfant plus âgé, mais ce qu’on voit au sein de ma communauté, ce sont de petits enfants de 2 à 10 ans. Je sais ce qui attend ces enfants à 14 ans, quand quelqu’un viendra leur dire : « Donne-moi ta carte de statut pour acheter des bonbons », même s’il connaît cet enfant, même s’il sait qui est son parent. Je sais ce qui attend ces enfants.

Mon fils m’a déjà dit : « Maman, tu as chassé l’original pour moi. Ta peau, elle sent la fumée. Tu as chanté pour moi en wendat toute ma vie. J’aimerais pouvoir aller te chasser un orignal. » J’ai l’impression que ma peau n’a plus d’odeur. Mon fils me renvoie ce message : « Est-ce que je suis vivant ou mort? »

Finalement, pour moi en tant que mère, c’est aussi une mise à mort de mon vivant. La violence latérale se vit au quotidien, dans toutes les sphères. C’est dans les petites familles, dans notre voisinage, jusque dans notre gouvernance et ailleurs dans les autres communautés. On se bat contre la violence latérale. Les familles refusent de parler parce qu’elles ont peur, et elles ont raison d’avoir peur. Ce climat est en place depuis 1985, depuis le moment où les femmes ont pu revenir dans nos communautés.

Chez nous, on ne voulait pas qu’elles reviennent. On a même tenu un référendum pour empêcher les époux et les enfants de revenir. Cela s’est fait sous la forme d’un code d’appartenance, parce qu’on ne voulait vraiment pas qu’elles reviennent. Voilà mon héritage en tant que femme wendate.

Aujourd’hui, je comprends ce qui s’est passé il y a 40 ans; je le vis encore. La violence latérale découle de tout cela. Il faut l’arrêter. Il faut arrêter de nourrir toute cette violence. Chez nous, on entend dire : « Ce que vous vivez en ce moment, c’est la faute du gouvernement fédéral. Ce n’est pas notre faute à nous. »

Ce n’est pas le gouvernement fédéral qui approuve des critères d’admissibilité pour s’inscrire à un camp culturel, du moins, je ne crois pas. Ce n’est pas le gouvernement fédéral non plus qui approuve des critères d’admissibilité pour déterminer si un enfant peut jouer avec son équipe d’appartenance au hockey, un sport qu’il pratique à longueur d’année, mais à qui l’on dit, quand c’est le moment du tournoi : « Va t’asseoir dans les estrades et regarde tes amis. » On dit que c’est le gouvernement fédéral.

Donc, on fait quoi en tant que parents? On fait quoi en tant que mères, en tant que pères et grands-pères? Vers qui doit-on se tourner dans un contexte où les seules personnes que le gouvernement veut écouter, ce sont les titulaires de droit? Qu’en est-il du peuple?

Je vous remercie infiniment de m’avoir accordé cet espace en tant que mère et en tant que femme, pour que je puisse vous faire part de ce que les familles vivent chez nous. J’aimerais tellement pouvoir entendre les familles qui sont dans cette situation ailleurs au pays, mais on ne sait pas combien d’enfants sont touchés parce qu’ils ne sont pas répertoriés.

Combien d’enfants cela touche-t-il? On l’ignore. Tiawenhk.

[Traduction]

La vice-présidente : Je profite de l’occasion pour vous remercier toutes les deux. Je vous remercie de vos sages paroles.

Le temps alloué à ce panel est écoulé. Je tiens à vous remercier, encore une fois, en notre nom à tous. Hiy hiy. Si vous souhaitez présenter d’autres mémoires, veuillez le faire par courriel au greffier.

(La séance est levée.)

Haut de page