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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

La sénatrice Margo Greenwood (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, bonsoir. Avant de commencer, j’aimerais demander à tous ceux qui se trouvent dans la salle de prendre connaissance des fiches laissées sur la table. Vous y trouverez les consignes à suivre afin d’éviter les problèmes de rétroaction sonore. Veuillez garder votre oreillette loin des microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, déposez-la, face vers le bas, sur l’étiquette qui a été placée sur la table à cette fin. Votre collaboration est vivement appréciée.

Je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous nous réunissons se trouvent sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe et qu’elles abritent maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, Inuits et Métis de l’ensemble de l’île de la Tortue.

Je m’appelle Margo Greenwood. Je suis Nehiyawak et je viens du territoire visé par le Traité no 6 dans ce qu’on appelle maintenant le centre de l’Alberta. Je suis la vice-présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Je vous rappelle que lors de notre première séance publique du 24 septembre, la sénatrice Michèle Audette, présidente élue de ce comité et marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude afin d’en préserver la neutralité. J’ai donc aujourd’hui l’honneur et le privilège de présider cette très importante réunion.

Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter tour à tour en indiquant leur nom et la province ou le territoire d’où ils proviennent.

Le sénateur McNair : John M. McNair, Nouveau-Brunswick. Merci d’être ici ce soir.

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe.

La sénatrice Karetak-Lindell : Nancy Karetak-Lindell, Nunavut.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba, territoire visé par le Traité no 1 et terre natale de la nation métisse de la rivière Rouge.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse, Mi’kma’ki.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Traité no 10 dans le Nord du Manitoba.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de Cornwall, en Ontario, qui est un territoire mohawk traditionnel.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Epekwitk, c’est-à-dire Île-du-Prince-Édouard

La sénatrice White : Judy White, Terre-Neuve-et-Labrador, terres ancestrales des Mi’kmaqs.

[Français]

La sénatrice Audette : [mots prononcés en innu-aimun] Michèle Audette, du Québec. Je veux saluer les femmes wendat et les jeunes Innus atikamekw qui sont avec nous aujourd’hui. Kuei.

[Traduction]

La vice-présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription). Le texte modifie la Loi sur les Indiens afin d’instituer, entre autres, de nouveaux droits à l’inscription au Registre des Indiens en réponse à la contestation de certaines dispositions de la loi en vertu de la Charte des droits et libertés dans l’affaire Nicholas, et afin que les personnes qui y ont eu droit aient également le droit de faire inscrire leur nom dans une liste de bandes tenue par le ministère des Services aux Autochtones.

J’aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons par vidéoconférence Sarah Rose, directrice des opérations, Chef et Conseil de la Première Nation de St. Mary’s. Je souhaite la bienvenue également à Kateri Coade, directrice générale de la Confédération Mi’kmaq de l’Île‑du-Prince-Édouard. Mme Coade est accompagnée par vidéoconférence de Justin Milne, avocat-conseil. Je vous remercie tous de vous être joints à nous ce soir.

Nos témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant Mme Rose à faire sa déclaration préliminaire. Vous avez la parole.

Sarah Rose, directrice des opérations, Chef et Conseil, Première Nation de St. Mary’s : Merci. Bonsoir à tous. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]

Tout d’abord, je tiens à m’excuser au nom du chef Polchies de ne pas avoir pu être des vôtres. Je tiens à souligner que nous avons récemment eu le décès d’une jeune femme au Nouveau‑Brunswick — un meurtre commis lundi —, alors c’est une véritable commotion chez nous. Nous estimons qu’il est tout de même très important de participer ici.

St. Mary’s est la troisième bande enregistrée en importance au Nouveau-Brunswick. Nous avons des politiques très intéressantes.

Je tiens à dire que 46 % de notre population âgée de 20 à 60 ans sont visés par le paragraphe 6(2). Ils ne peuvent pas transmettre leur statut. Nos statistiques pour la population de 18 ans et moins en vertu du paragraphe 6(2) sont à 69 %. Il est donc très important pour nous de changer le seuil de l’exclusion après la deuxième génération.

Nous sommes situés au centre de la ville de Fredericton. À l’heure actuelle, notre école ne va que jusqu’en 6e année; nos enfants doivent donc aller poursuivre l’école ailleurs. Ils interagissent avec des enfants non autochtones, ce qui est très bien, mais comme nous avons affaire à 69 % de jeunes de moins de 18 ans visés par le paragraphe 6(2), c’est quelque chose qui nous fait du tort.

Nous reconnaissons certains changements prévus dans le projet de loi S-2, en particulier celui concernant les femmes qui n’avaient pas le choix et qui ont dû renoncer à leur inscription pour être transférées à la bande de leur mari. C’est quelque chose que nous faisons. Lorsque des femmes s’adressent à nous pour demander le transfert de retour à St. Mary’s, qui est leur collectivité d’origine, nous le faisons maintenant. Nous reconnaissons qu’elles ne sont pas parties par choix et nous leur donnons la possibilité de revenir. Le projet de loi S-2 traite notamment d’une mesure que nous prenons actuellement à l’échelle communautaire pour ramener ces femmes et les réintégrer dans leur collectivité.

Je sais que j’ai cinq minutes. Je suis vraiment navrée. Mes propos sont un peu confus, mais je suis prête à répondre à d’autres questions.

Le projet de loi C-31 a eu énormément d’importance pour les femmes autochtones du Nouveau-Brunswick. Nous avons joué un rôle de premier plan à cet égard, alors je pourrai répondre à vos questions lorsque mon temps sera écoulé, mais je vais m’arrêter là parce que j’ai du mal à me concentrer. Je m’excuse. Comme je disais, il y a une véritable commotion à Sitansisk en ce moment. Merci, madame la présidente.

La vice-présidente : Merci, madame Rose. Il y aura du temps et des questions, alors vous aurez l’occasion de dialoguer.

J’invite maintenant Mme Coade à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Kateri Coade, directrice générale, Confédération Mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci. Honorables sénateurs, je suis honorée d’être ici ce soir sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.] Je suis une femme mi’kmaq de la Première nation Abegweit d’Epekwitk, plus connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard.

Je comparais devant vous ce soir comme mère de deux belles filles mi’kmaqs qui sont actuellement inscrites en vertu du paragraphe 6(2) et touchées par le seuil de la deuxième génération, ainsi qu’en ma qualité d’ancienne administratrice du Registre des Indiens pour ma bande et directrice générale de la Confédération Mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard, qui est un conseil tribal des deux Premières Nations d’Epekwitk.

D’entrée de jeu, il importe de reconnaître le travail important et les répercussions positives que le projet de loi S-2 aura sur les Premières Nations qui ont été traitées injustement par la Loi sur les Indiens. Cependant, sans amendements, ce projet de loi ne va pas assez loin pour éliminer la discrimination. Dans mon témoignage d’aujourd’hui, je vais passer en revue deux questions — les dispositions d’absence de responsabilité, qui protègent le Canada contre les actes répréhensibles commis par le passé, et la nécessité d’abroger l’exclusion après la deuxième génération, qui est une forme d’assimilation systémique.

Pour commencer, en ce qui concerne les dispositions sur la responsabilité énoncées aux articles 10 et 11 du projet de loi, nous devons reconnaître que la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens a nui aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants de multiples façons. Tout d’abord, elle les a chassées de leur culture, limité leur sentiment d’appartenance et nui à la formation de leur identité. Au-delà de la perte du statut et des droits et avantages qui y sont associés, le traumatisme cumulatif découlant de cette discrimination systémique est une cause profonde de l’insécurité économique, de la privation du droit de vote social, de piètres résultats en matière de santé et de nombreuses autres iniquités subies par les personnes exclues du statut.

De plus, la façon dont le Canada a mis en œuvre des modifications correctives antérieures à la Loi sur les Indiens a nui à nos collectivités. Par exemple, lorsqu’il a adopté le projet de loi S-3, le Canada n’a pas pris les mesures nécessaires pour inscrire les femmes et leurs descendants et les mettre en contact avec leur bande et leur collectivité. Le Canada n’a pas non plus augmenté le financement nécessaire aux collectivités pour tenir compte des nouvelles inscriptions. Grâce à la Loi sur les Indiens et à un sous-financement chronique, le Canada a alimenté les conditions de violence latérale et d’exclusion dans nos collectivités.

Les dispositions sur l’absence de responsabilité ne tiennent absolument pas compte de la responsabilité constitutionnelle du Canada à l’égard des peuples des Premières Nations. Ils ont le droit d’être indemnisés pour les torts causés par la Loi sur les Indiens, et restreindre nos droits contrevient aux articles 8, 9, 28 et 44 de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Et le Canada ne devrait pas se concentrer sur la façon d’éviter l’indemnisation, mais sur la façon de remédier au sous-financement permanent et chronique de tous les programmes et services offerts aux membres des Premières Nations. Le Canada doit s’efforcer de nous aider à accueillir chez nous ceux qui ont perdu leur statut moyennant les ressources qui s’imposent pour garantir une résilience à long terme.

Je vais maintenant parler du seuil de la deuxième génération et de ce qu’il signifie pour l’Île-du-Prince-Édouard. Nous sommes les seuls peuples au Canada à être assujettis à une loi sur le plan de l’identité et de la parenté. La disposition relative à l’exclusion après la deuxième génération n’est rien de moins qu’une assimilation systémique forcée et délibérée.

Dans le cadre de mes fonctions antérieures à titre d’administratrice du Registre des Indiens, j’ai entendu beaucoup d’histoires de femmes des Premières Nations qui s’inquiétaient de savoir avec qui elles allaient élever leurs enfants en raison des répercussions sur l’identité, l’appartenance et les avantages qui découlent du seuil de la deuxième génération. J’ai parlé à des mères qui, par désespoir et par crainte de transmettre une forme moindre de citoyenneté à leurs enfants, ont envisagé de placer leurs enfants en adoption avec les membres de leur famille inscrits visés au paragraphe 6(1) afin d’éviter qu’ils soient victimes de discrimination et exclus de leur collectivité. Dans aucun autre contexte, les parents ne sont soumis à ce choix brutal. Ces choix ne sont pas dans l’intérêt supérieur des enfants. Les enfants doivent grandir en sécurité dans leur famille et leur collectivité. Leurs parents ne doivent jamais ressentir le besoin de choisir entre leur statut de parents et celui de leurs enfants comme membres des Premières Nations.

Malheureusement, cette crainte ne se limite pas aux adultes. Nous avons des enfants inscrits en vertu du paragraphe 6(2) qui s’inquiètent de savoir s’ils peuvent aimer telle ou telle personne et procréer avec elle s’ils veulent transmettre leur statut et leur identité à leurs propres enfants. Mes propres enfants me posent constamment cette question, parce que si le seuil de la deuxième génération n’est pas aboli, il est plus que probable que mes futurs petits-enfants n’auront pas de statut. Les enfants ne devraient pas être forcés d’avoir ce genre de soucis et ne devraient pas avoir besoin d’en discuter avec leurs parents. Aucun autre enfant ne fait face à ce genre d’inquiétudes.

Il est important de reconnaître que l’Est du Canada, comme première région colonisée, sera parmi les premières régions à subir des préjudices irréparables si le seuil de la deuxième génération n’est pas abrogé. Les statistiques publiées par le gouvernement révèlent qu’il suffirait du maintien de la limite de la deuxième génération pour que nous soyons encore plus décimés, voire complètement éradiqués d’ici quelques générations.

La situation est particulièrement désastreuse pour Epekwitk. Il y a environ 1 500 Premières Nations dans la province, dont environ 40 % — environ 600 — sont inscrites en vertu du paragraphe 6(2). La moitié de notre population pourrait ne pas être en mesure de transmettre le statut à ses futurs descendants. Le Sénat peut maintenant s’attaquer à ces iniquités de longue date.

Des enfants comme les miens, ainsi que des milliers d’autres inscrits en vertu du paragraphe 6(2), comptent sur le Sénat pour transmettre leur statut à leurs descendants et ne pas avoir à s’inquiéter de savoir avec qui ils choisissent de devenir parents.

Je tiens à répéter que ce projet de loi est une étape importante pour corriger certains des torts causés par la Loi sur les Indiens. Mais nous avons déjà vu ces mesures progressives et nous savons qu’elles laissent toujours les gens pour compte. Les Premières Nations ne devraient pas avoir à attendre encore 5 ou 10 ans pour le prochain remède que le Canada voudra leur proposer. Nous devons cesser d’agir à la pièce et mettre fin une fois pour toutes à la discrimination.

Wela’lioq , merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup, hiy hiy, madame Coade.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Chers collègues, vous disposerez chacun de quatre minutes pour une intervention qui comprend la question et la réponse.

Le sénateur Francis : J’aimerais poser une question à Mme Coade — qui, pour être tout à fait transparent, je suis fier d’appeler ma fille —, si le comité décidait d’amender ce projet de loi afin d’obliger le gouvernement fédéral à enfin s’attaquer à l’exclusion après la deuxième génération, comment les Mi’kmaqs d’Epekwitk envisagent-ils d’aller de l’avant sur la voie de l’autodétermination et de s’éloigner de la Loi sur les Indiens?

Mme Coade : Les Mi’kmaqs d’Epekwitk se concentrent sur la reconstruction de l’identité nationale. Nous entrevoyons un moment où nous retournerons à la prospérité que nous connaissions avant les effets dévastateurs de la colonisation. Nous voulons revenir à l’autodétermination, ce qui implique de s’éloigner de la Loi sur les Indiens raciste et des concepts du statut.

Les Mi’kmaqs détermineront qui ils sont et qui sont les citoyens et les bénéficiaires de la nation mi’kmaq, et non un bureaucrate à Ottawa. Toutefois, en réalité, cela ne se fera pas avant des années. Les pratiques racistes et discriminatoires du gouvernement, qui ont cultivé une culture de dépendance pendant des centaines d’années, ne peuvent pas être effacées en un tournemain. Que cela nous plaise ou non, l’identité est liée au statut. Entretemps, il est essentiel que nous ne perdions pas notre identité et notre culture, qui sont toujours associées au statut. Comme je l’ai indiqué, le seuil de 6(2) est en fait une continuation de l’assimilation forcée. L’identité mi’kmaq doit être préservée à mesure que nous progressons vers le statut de nation. Ce processus peut être facilité en veillant à ce que, tant qu’un des parents d’un enfant a le statut, celui-ci puisse être transmis à l’enfant. Il faut aussi donner aux nations le pouvoir discrétionnaire de faire entrer en ligne de compte des personnes qu’elles reconnaissent comme étant des leurs.

Il est également essentiel que le financement soit approprié et qu’il corresponde au nombre total de membres. Le Canada ne peut pas agir honorablement et de bonne foi et permettre à un plus grand nombre de membres de se partager des morceaux de plus en plus minuscules du même gâteau.

Mme Rose : Je ne pensais pas parler comme Mme Coade, mais je suis moi-même visée par le paragraphe 6(2). À l’âge de 10 ans, lorsque le projet de loi C-31 est entré en vigueur, j’ai dû parler exactement de ce qu’elle disait au sujet de devoir choisir avec qui procréer pour que mes enfants puissent vivre une vie et une enfance comme la mienne. J’ai choisi de ne pas suivre les rêves, de tomber amoureuse et de poursuivre ce conte de fées qui nous est vendu à la télévision; j’ai choisi de procréer avec une personne visée par l’alinéa 6(1)a). C’était ce qui m’importait le plus. Mes enfants sont visés à l’alinéa 6(1)f). Je ne sais pas ce qu’il en sera pour mes petits-enfants.

Mais à St. Mary’s, nous sommes dans la même situation. Nous voulons parler de l’identité nationale. Nous voulons décider qui sont nos membres. Nous voulons nous définir comme nation. C’est un peu difficile à faire quand on vous dit que vos enfants et vos descendants ne peuvent pas avoir une vie comme la vôtre. Ils ne peuvent pas récolter de plantes médicinales, aller à la chasse, aller à la pêche ni participer à toutes les activités culturelles qui nous définissent et pour lesquelles nous luttons. Ils doivent d’abord obtenir un permis. C’est très important pour notre communauté, notre nation — pour concevoir qui nous sommes et vivre dans une société qui ne veut pas vraiment que nous existions.

La sénatrice McPhedran : Je remercie nos témoins de ce soir.

J’ai une question pour laquelle j’espère que nous aurons le temps d’entendre tous les témoins.

Merci, madame Coade, d’avoir mentionné la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et le fait qu’il s’agit d’une loi nationale au Canada.

Il y a toujours ce débat sur la question de savoir si les traités internationaux s’appliquent, mais en fait, ce débat est terminé au Canada.

J’aimerais parler de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 25 pour les femmes autochtones, ainsi que des articles 15 et 28 sur l’égalité.

Ma question combine ces deux aspects de la loi, ainsi que les conclusions du comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes selon lesquelles le Canada a constamment violé les droits à l’égalité des femmes autochtones. Or, une fois de plus, c’est clairement ce qui se passe dans le projet de loi S-2.

Puis-je vous demander si, à votre avis, il est pertinent et opportun que les sénateurs se penchent d’ores et déjà sur cette question de la façon la plus approfondie possible?

Mme Coade : Je vais demander à mon avocat-conseil, Me Milne, de répondre en partie à cette question. Mais oui, je crois que nous devrions régler cette question dès maintenant. Le moment est bien choisi. C’est une occasion de mettre fin à la discrimination, alors oui.

Mme Rose : C’est le bon moment sans l’ombre d’un doute. Nous l’attendions depuis un bout de temps.

Le projet de loi C-31 remonte à 1985. J’ai maintenant 50 ans et je suis là pour parler au nom de mes nièces, de mes neveux et des générations futures.

Il faut que cela cesse à un moment donné. Vous parlez de discrimination contre les femmes autochtones au pays, et nous sommes toujours le groupe le plus vulnérable de la population canadienne. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il y a eu un meurtre dans la ville de Fredericton d’une jeune femme autochtone de 28 ans. Elle était visée par le paragraphe 6(2) et avait quatre enfants non inscrits, qui vont désormais dépendre d’une communauté qui va leur annoncer qu’ils n’ont pas droit au financement.

Me Justin Milne, avocat-conseil, Confédération Mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci, sénatrice. Je serai bref.

Les deux témoins ont parfaitement raison. Un certain nombre de mémoires juridiques qui vous ont été présentés indiquent que le paragraphe 6(2) est discriminatoire en soi. J’aimerais simplement ajouter quelque chose à ce que les témoins ont si bien dit.

Les personnes qui sont victimes de discrimination ne devraient pas avoir à attendre que leurs droits soient justifiés et qu’on y remédie. Elles devraient pouvoir faire valoir leurs droits le plus rapidement possible. Vous avez vu ce commentaire dans certains des mémoires que vous avez devant vous. Nous ne devrions plus procéder à la pièce. Nous devrions procéder de façon exhaustive et veiller à ce que plus personne ne fasse l’objet d’une telle discrimination. Merci.

La sénatrice Pate : Madame Rose, mes condoléances à vous et à votre communauté. Les mots ne peuvent pas décrire le deuil et l’horreur que votre communauté doit vivre, en plus d’essayer de composer avec le fait que cette loi, si elle est modifiée, pourrait potentiellement aider les enfants dont vous avez parlé. Je vous remercie d’avoir soulevé cette question. Ma question s’adresse à vous et à Mme Coade. Madame Coade, je vous remercie d’avoir parlé du projet de loi que vous avez présenté ainsi que de la disposition d’absence de la responsabilité. Je vous remercie du travail incroyable que vous avez accompli à Epekwitk dans le domaine de la justice. La seule autre fois où j’ai vu ce genre de tentative pour empêcher le gouvernement d’être tenu responsable, c’était il y a environ 12 ou 15 ans, lorsque le gouvernement de l’époque essayait d’éliminer la possibilité que les prisonniers puissent intenter des poursuites lorsque leurs droits avaient été violés.

Ainsi, je ne suis pas sans savoir que dans une situation où les Autochtones sont surreprésentés, cela a été appliqué, et c’est encore le cas ici. Aujourd’hui aurait été l’anniversaire de naissance de Jordan River Anderson. Ma question est la suivante : si nous ne modifions pas cette disposition, si nous ne l’abrogeons pas ou si nous ne nous occupons pas de l’exclusion après la deuxième génération, qu’est-ce que cela signifierait pour les jeunes qui pourraient autrement bénéficier de choses comme le principe de Jordan?

Mme Coade : Je vous remercie de votre question. Si le Canada n’abroge pas la limite fixée par le paragraphe 6(2), ce ne sera qu’une répétition de cette discrimination — la même discrimination que nous avons vue dans le passé chez nos proches, nos amis et notre communauté. Cela signifie qu’il n’y a pas d’accès à l’éducation, au logement, aux avantages fiscaux et aux annuités découlant de traités. Cela veut dire être exclu de l’ensemble de la communauté.

Pour l’Île-du-Prince-Édouard, bien sûr, comme je l’ai mentionné dans mes notes, ce sera inexistant. C’est ce que cela signifiera si nous n’abrogeons pas le seuil du paragraphe 6(2).

Cela forcera aussi les enfants à se présenter devant les tribunaux et à plaider de nouveau leurs droits. Comme vous l’avez souligné, c’est l’anniversaire de naissance de Jordan River Anderson. Pourquoi nos enfants devraient-ils continuellement s’adresser aux tribunaux pour défendre les droits qu’ils méritent comme enfants des Premières Nations? On ne fera que perpétuer les préjudices psychologiques et les torts causés à la réconciliation. Nous avons entamé la voie de la réconciliation. Je pense que cela nous ferait reculer.

À l’avenir, les réparations seront de plus en plus lointaines pour nos Premières Nations. Elles auront moins confiance dans le Canada. Merci.

La sénatrice Pate : Et votre avis à vous, Madame Rose?

Mme Rose : Vous parlez de réconciliation. Mon chef parle souvent de « réconcili-action ». Nous parlons de réconciliation dans ce pays depuis très longtemps. C’est fragmentaire. Nous luttons pour les droits issus de traités, les droits de chasse et toutes ces choses. Ce sont d’excellentes choses, et elles se concrétisent pour nous. Mais devinez quoi? Personne ne parle de notre inscription; personne ne parle de nos chiffres. Nous nous battons pour des droits que nous ne pourrons pas reconnaître parce qu’il n’y aura plus d’Indiens inscrits au Canada. Nous ne disons pas que nos membres n’existeront pas ou que nous ne les accepterons pas et que nous ne les reconnaîtrons pas; nous ne serons tout simplement pas en mesure d’exercer nos droits.

Ce n’est pas juste, c’est injuste et honnêtement, nous en avons assez de nous battre. Pensez-y. Vous avez déjà dû vous battre à votre âge pour tous vos enfants, vos nièces et vos neveux, et voilà qu’il est maintenant question que vos petits-enfants et arrière-petits-enfants ne puissent pas être reconnus comme les vôtres par le Canada. C’est bien beau d’ouvrir toutes nos réunions en reconnaissant nos territoires. Nous reconnaissons que nous sommes ici parmi les peuples autochtones, mais y sommes-nous vraiment, si le Canada dit que nous n’existons plus?

Comme mon collègue l’a dit plus tôt, nous avons été le premier point de contact ici sur la côte Est. Nous le ressentons. Je suis une ancienne administratrice à l’inscription. Je suis en fait une fonctionnaire électorale. Je travaille avec des communautés qui ne peuvent plus produire un Indien inscrit. Ils sont déjà là. Ils en sont déjà là. Ils n’existent pas.

Il faut que ça cesse. Les gens doivent demander qu’on leur permette de définir cela. Vous voulez nous redonner notre adhésion et demander une inscription, mais vous nous rendez un énorme gâchis que nous devons nettoyer.

À un moment donné, il faut que quelqu’un le dise : « assez, c’est assez », et qu’on élimine l’exclusion après la deuxième génération.

La sénatrice Coyle : Merci à nos trois témoins d’être ici aujourd’hui. Je m’intéresse aux points de vue qui sont exprimés ce soir. Je n’avais pas pensé au fait que sur la côte Est, vos communautés étaient les premières à être colonisées. Je suis au courant de cela, mais je n’avais pas fait le lien avec le problème dont nous sommes saisis.

Tout d’abord, madame Coade — bien que j’aie une question pour vous deux —, vous avez parlé de la perte d’identité, de la perte d’appartenance et de la perte d’avantages. Ce n’est pas dans l’intérêt supérieur des enfants, mais ce n’est pas non plus dans l’intérêt de la survie de la nation — c’est ce que je vous entends dire.

Je suis simplement curieuse de savoir si des études ont été faites à ce sujet. Si cela continue comme ça, vous avez dit qu’on pourrait l’éliminer complètement en peu de temps. Quelqu’un a-t-il fait des recherches à ce sujet?

Mme Coade : Je crois que notre peuple a été consulté à maintes reprises au fil des ans, même depuis l’introduction de cette loi en 1985. Pour ce qui est de ma collectivité en particulier, je ne suis pas au courant d’une étude effectuée à l’Île-du-Prince-Édouard dans l’une ou l’autre des collectivités, mais je crois que les renseignements sont disponibles. Nous savons ce que nous devons faire. J’aimerais souligner l’excellente feuille de route que le Sénat a fournie en 2022 avec le rapport « C’est assez! » Vous avez bien saisi le problème. Les recommandations sont là. Il suffit d’y donner suite, allant de l’abrogation du seuil fixé au paragraphe 6(2) jusqu’au financement nécessaire, en passant par l’examen de tout le système de registre à Services aux Autochtones Canada, des retards et de leur cause.

Je souligne que, lorsque je travaillais au registre dans ma collectivité — et je suis sûr que ma collègue du Nouveau‑Brunswick en témoignera aussi —, c’était très sous‑financé. Nous recevions 5 000 $ par année pour aider les gens à s’inscrire. Il n’y a absolument pas d’argent ni de capacité pour entreprendre des études localement. Nous sommes dans une situation grave. Nous comptons sur ce qui a déjà été dit et prouvé dans ces rapports par le passé.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Puis-je poser une question légèrement différente à Mme Rose?

Mme Rose : Je pourrai répondre à la question sur les statistiques par la suite, mais allez-y.

La sénatrice Coyle : Voulez-vous répondre à cette question?

Mme Rose : Oui. En 2017, Claudette Dumont-Smith a fait le tour du pays et a fait une étude. Je n’en connais pas le titre, mais quelqu’un dans cette salle pourrait le vérifier. En 2017, on a produit des statistiques sur notre situation par rapport au rôle parental à l’extérieur et à l’intérieur, ainsi que le ratio entre 6(1) et 6(2). Il y a donc eu une étude, et Claudette Dumont-Smith s’est déplacée à Halifax pour la rencontrer. Je peux vous dire que c’est là.

Pour revenir à ce que ma collègue a dit, nous sommes la troisième collectivité en importance au Nouveau-Brunswick. Notre population est d’environ 2 200 habitants, et nous recevons 10 000 $ pour aider à l’inscription. Vous pouvez me poser votre prochaine question.

La sénatrice Coyle : Merci. Mon temps de parole est probablement écoulé. Cette information est très utile.

La sénatrice White : Je remercie les témoins. J’ai beaucoup apprécié vos points de vue et vos exposés. Les enfants de ma fille sont visés par le paragraphe 6(2) et ceux de mon fils par le paragraphe 6(1), et ce à cause du statut de la personne qu’ils ont choisi d’épouser dans chaque cas. Je peux donc comprendre cette situation.

Pour la gouverne de certains de mes collègues du Sénat, le Canada est le seul pays au monde à avoir une Loi sur les Indiens, soit une loi qui régit la vie des citoyens du berceau à la tombe. Le gouvernement décide qui est un Indien et peut déterminer si un testament est valide ou pas dans une réserve.

Le but de la Loi sur les Indiens est de détruire les Autochtones, de se débarrasser de tous. Ce n’est qu’une question de temps, car on finira par nous avoir. Je voulais simplement expliquer cela à mes collègues. Nous avons entendu tellement de témoignages ici rappelant que nous devons régler le problème de la deuxième génération. Nous devons mettre fin à ce débat. Mais nous avons déjà entendu le gouvernement prendre position en disant qu’il faut modifier cela, que ça fait l’objet d’une ordonnance des tribunaux relativement à la disposition concernant l’émancipation et qu’il peut faire autre chose avec le paragraphe 6(2) dans d’autres lois.

Que diriez-vous de cette position? Je vais commencer par vous, madame Coade.

Mme Coade : Je ne vois pas la nécessité de mener d’autres consultations. Nous savons que c’est de la discrimination. Pourquoi refusons-nous des droits que les gens méritent et qui leur appartiennent alors que nous savons que c’est là le problème? Cela ne fera qu’augmenter le nombre de litiges.

Mme Rose : On a dit plus tôt que c’était aujourd’hui l’anniversaire de naissance de Jordan River Anderson. Regardez combien de temps il a fallu à tout le monde pour décider quoi faire à cet égard. Nous en sommes maintenant à la limite imposée par le paragraphe 6(2). Pendant combien de temps encore et combien d’autres enfants devront-ils être portés disparus ou non reconnus avant que le Canada dise qu’assez, c’est assez? C’est ma réponse.

Le sénateur Tannas : Jusqu’à présent, nous avons eu un excellent groupe de témoins, qui est venu s’ajouter aux nombreux excellents groupes que nous avons entendus ici. Pendant que nous réfléchissons à tout cela, je me souviens qu’il y a eu, dans mes premières années au comité — j’en suis à ma treizième —, une discussion au sujet de l’exclusion après la deuxième génération. Mais à l’époque la question semblait accessoire, car elle n’avait aucun lien avec quoi que ce soit d’urgent.

La plus vieille personne visée au paragraphe 6(2) a 40 ans, mon gendre, par exemple. Les conséquences réelles de l’exclusion après la deuxième génération ne font que commencer à se faire sentir depuis ces dernières années, notamment au chapitre du financement. Ce qui me frappe dans tout cela, c’est qu’il y aura dorénavant une croissance exponentielle. C’est là où nous en sommes, le plus vieux ayant 40 ans. Il y a probablement maintenant pas mal d’enfants sans statut qui vivent dans les réserves et qui ne sont pas financés pour l’éducation et la santé. La communauté s’en occupe, comme vient de le dire Mme Rose en parlant des enfants de la dame qui est décédée aujourd’hui.

Si j’ai bien compris, il s’agit maintenant d’une crise et il me semble urgent de régler le problème de façon permanente ou temporaire pendant que cette consultation a lieu et jusqu’à ce qu’elle soit terminée et que l’on parvienne à une solution.

Pouvez-vous toutes les deux nous dire, par écrit — il serait vraiment intéressant de le savoir —, combien d’enfants se trouvent aujourd’hui dans vos écoles et dans vos collectivités que vous soutenez avec les ressources des autres? Dans le même ordre d’idées, j’aimerais poser la même question au sujet du secteur de la santé — bien que je suppose qu’il s’agisse du même secteur —, mais en ce qui concerne les écoles, si on leur accordait un statut, quelle différence cela ferait-il dans votre budget de l’éducation?

Je tiens à vous remercier d’être venus aujourd’hui et de nous avoir donné ces précisions. Avez-vous des renseignements à jour qui montrent où se produit cette crise financière? Cette vague culmine, mais il y a beaucoup d’autres choses à venir — beaucoup plus de douleur et de problèmes — et ça se produira de façon exponentielle l’an prochain et l’année suivante. Par conséquent, peu importe le nombre d’années qu’il faudra pour mettre de l’ordre dans la logistique, il sera trop tard.

Je dirais aussi ceci, madame la vice-présidente : cela ne se produirait pas dans une petite communauté blanche ou non autochtone. Nous voyons de petites collectivités partout au pays lutter pour leur croissance. Nous les encourageons à prendre de l’expansion. C’est la destruction inévitable d’une petite collectivité. Dans une petite collectivité autre que celle-ci, si la loi disait que, si vous y restez trop longtemps, vous devrez commencer à payer de votre poche pour les études, l’éducation et la santé de vos enfants, il y aurait des émeutes. C’est absurde.

Le paradigme a changé, et l’urgence n’est pas une question de justice — bien qu’elle soit aussi une question de justice depuis toujours. L’urgence concerne maintenant la survie des collectivités et l’incroyable injustice financière de ce qui se passe.

Merci. Je suis désolé; il y avait une question quelque part.

La vice-présidente : Il nous reste environ une minute et demie. Madame Coade, voulez-vous répondre à cela?

Mme Coade : Oui, absolument.

Notre financement est profondément touché par la division des paragraphes 6(1) et 6(2) et par ceux qui n’ont pas de statut. Nous avons beaucoup d’enfants dans notre collectivité. Notre conseil tribal offre de nombreux services de première ligne, y compris des services à l’enfance et à la famille, des services d’éducation, de santé, de justice, d’emploi, etc. En ce qui concerne bon nombre des programmes et services que nous offrons, nous continuons d’offrir des services à ceux qui ne sont pas financés, car comment pouvez-vous exclure les enfants? C’est la prémisse sur laquelle nous fondons nos pratiques. Cependant, cela devient très limitatif et nous constatons d’autres compressions, comme vous l’avez fait remarquer. Cela devient très difficile.

Mme Rose : En ce qui concerne notre école, nous sommes l’une des collectivités qui ont la chance de pouvoir compter sur des revenus autonomes. Ils nous servent d’appoint pour payer notre santé et notre éducation. Nous reconnaissons ces enfants dans la collectivité. Malheureusement, à cause du problème du logement, bon nombre de nos membres qui ne sont pas inscrits vivent hors réserve, où nous ne pouvons pas nécessairement les aider. Cependant, nous sommes là pour ceux qui sont dans la communauté. Je vais vous fournir ces chiffres.

Comme je l’ai dit, je ne m’occupe plus de l’inscription, mais dans notre école communautaire, il y avait une soixantaine d’enfants non-inscrits. S’ils vivent dans la grande région de Fredericton, nous leur permettons de fréquenter notre école; nous utilisons simplement le numéro de bande du parent membre de la bande. Nous en faisons le suivi.

S’ils sont à l’extérieur de la collectivité, nous sommes limités quant à ce que nous pouvons faire, mais nous essayons quand même. Je vais vous fournir des chiffres.

La sénatrice Audette : Je remercie les témoins et une amie de longue date de l’Association des femmes autochtones du Canada. Je suis très honorée d’entendre votre voix et de voir que vous continuez à plaider la cause de bon nombre d’entre nous.

J’aimerais dire quelque chose avant de poser ma question. Beaucoup d’Autochtones s’efforcent d’entrer au Parlement, que ce soit comme député élu ou en se faisant nommer sénateur. Je pense que les deux chambres ont un rôle à jouer et des responsabilités, et le rôle d’un sénateur — la deuxième réflexion — est très important. Je remercie donc les alliés qui ne sont pas autochtones, mais qui marchent avec nous et pour nous. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais tout se passe à l’amiable.

Je sais que cela dépasse la portée de mon intervention, mais nous voyons des projets de loi être adoptés, dont le projet de loi C-3, qui reconnaîtra la citoyenneté canadienne à deux générations de personnes nées à l’extérieur du Canada. Bien sûr, je réagis. Comme la femme innue que je suis, je suis visée par 6(2) — ou 6 quelque chose; je ne sais pas —, mais quelqu’un a décidé pour moi.

Comme Premières Nations de ce pays, que ressentez-vous à l’idée de ne pas avoir cette possibilité, ce droit ou cette chose normale à faire — elle est Mi’kmaq ou il est Innu parce que je suis Mi’kmaq ou Innue?

L’autre question — plusieurs sénateurs en ont parlé — concerne le fait qu’il y a eu tellement de processus de collaboration depuis les années 2000. Madame Rose, vous en avez parlé en mentionnant Claudette Dumont-Smith; l’ancienne ministre Hajdu a commencé quelque chose en 2023 lorsqu’elle a lancé un processus de collaboration sur l’exclusion après la deuxième génération. J’ai appris il n’y a pas si longtemps, dans l’autre Chambre, au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, qu’un député, également Mi’kmaq, avait proposé une motion visant à mener une étude sur cette question précise. J’ai dit qu’il y a deux processus où le projet de loi S-2 pourrait servir à régler ce problème, mais il faudrait que les chefs s’entendent là-dessus.

On me dit qu’il faut consulter le chef. Jusqu’à maintenant, il y a des chefs qui comparaissent à tous les coups. Il y a aussi des groupes de témoins. Ils disent que nous sommes prêts à travailler sur cette exclusion après la deuxième génération.

Que pouvons-nous dire à ce sujet? Que faisons-nous?

Mme Coade : Pour répondre à la première partie de votre question, en ce qui concerne ce que nous ressentons lorsque nous intervenons dans des endroits comme celui-ci, c’est certainement intimidant.

Comme moi, tout le monde devrait avoir la plus haute estime pour les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis qui occupent des postes de pouvoir et de privilège comme vous autour de cette table.

Je compatis avec eux et je fais la distinction entre la personne et le poste. C’est compréhensible. Ils doivent respecter les règles de leur parti. Je crois comprendre qu’ils reçoivent des directives de la Couronne. On examine la question du point de vue de la Couronne.

Cependant, comme je suis une personne classée sous une certaine catégorie et à qui on a dicté qui je suis et avec qui je vais procréer, je me méfie de ces postes — non pas de la personne. Je suis persuadée que ce sont des gens vraiment intelligents, plus que capables. Je suis convaincue qu’ils ont les meilleures intentions pour notre peuple. Mais comment voulez-vous qu’on fasse confiance à la Couronne qui nous dit depuis tant d’années qu’elle va régler ce problème?

Mme Rose : Au cas où vous ne le sauriez pas, les femmes ont déjà tous leurs ovules à la naissance. Dès que nous sommes créées, nous avons tous nos ovules, et cela vaut aussi pour les quatre générations de femmes autochtones wolastoqey nées avec leurs ovules dont je fais partie. Ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère m’ont portée. J’appartiens à la nation Wolastoqey, et votre loi ne peut pas m’enlever cela.

Je suis visée par le paragraphe 6(2). Comme j’ai choisi de fonder une famille avec un homme autochtone, parce que je devais le faire, je n’ai pas le droit d’être visée par le paragraphe 6(1) comme mes frères et mes cousins de sexe masculin. Je me suis battue avec le ministère, en disant que je ne devrais pas avoir à procréer pour avoir accès à cela. Ce n’est pas juste pour moi. Du fait que mes frères ont choisi de procréer avec des femmes non autochtones, ils sont visés par le paragraphe 6(1). Je suis toujours visée par le paragraphe 6(2) en tant que femme autochtone. Ce n’est pas juste.

Pour répondre à votre question, mes origines wolastoqey remontent à la conception de mes premiers ancêtres. Je vous remercie pour votre projet de loi merveilleux, mais nous avons besoin que nos alliés qui se trouvent sur nos terres autochtones reconnaissent qui nous sommes.

Le sénateur Prosper : Merci à nos témoins.

Je suis heureux de vous revoir, madame Coade.

Madame Rose, je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience, de votre leadership et des efforts que vous déployez pour défendre les intérêts de votre peuple et de vos collectivités.

Pour revenir à la question précédente de la sénatrice Audette, nous avons entendu la ministre parler du fond du projet de loi S-2.

La discussion concernait le fait qu’un certain nombre de personnes émancipées avaient droit à l’inscription. On s’est demandé pourquoi on refusait ces personnes, en rappelant qu’il y a un autre processus de collaboration et de consultation. Je crois qu’on a mentionné 90 autres groupes ou Premières Nations. Il a aussi été question du travail qui est fait pour régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, de l’appartenance et des seuils de vote. Le terme « complexe » revient souvent, surtout lorsqu’il s’agit de questions liées à la citoyenneté.

J’aimerais connaître votre point de vue à toutes les deux sur cette approche.

Cela représente l’essentiel des questions précédentes, mais pensez-vous qu’il faudrait davantage de consultations sur une politique législative concernant l’assimilation forcée? J’essaie de comprendre comment vous mèneriez des consultations à ce sujet. À première vue, cela ne semble pas très approprié ni légal.

Madame Coade, vous avez parlé d’un préjudice irréparable.

Que nous diriez-vous, si nous, en tant que sénateurs et sénatrices, suivions les conseils de la ministre d’attendre que d’autres consultations se tiennent, laissions le projet de loi S-2 être adopté et permettions à ces personnes de s’inscrire, sur la promesse de vous consulter à nouveau pour trouver une solution au problème de l’exclusion après la deuxième génération?

Madame Coade, nous pourrions commencer par vous, puis donner la parole à Mme Rose. Merci.

Mme Coade : Pour répondre à votre question, nous pouvons faire les deux en même temps. Nous pouvons adopter ce projet de loi avec les amendements nécessaires pour mettre fin à la discrimination.

Vous avez parlé des affaires à l’origine de cela — l’affaire Nicholas. Il en a été question par la suite dans le témoignage de Mme Pam Palmater, qui a comparu précédemment et qui a mentionné qu’il était possible de faire les deux, et que cela serait à leur avantage également, pour mettre fin à la discrimination à l’endroit de cette famille.

Le Canada insiste régulièrement pour qu’il y ait plus de consultations. Il y a des divergences d’opinions et ainsi de suite, mais nous avons entendu cela à maintes reprises. Je crois que nous pouvons le faire.

Mme Rose : Je suis d’accord. Nous pouvons faire les deux. Il est question de retarder le processus, mais nous avons eu le projet de loi C-31, le projet de loi C-3, le projet de loi S-3 et, maintenant, le projet de loi S-2. Concernant la mesure adoptée en 2019, rien n’a encore été mis en œuvre. Pour ce qui est de la date limite de 1951, les personnes concernées attendent toujours. On parle de 2019 et ces personnes attendent toujours.

J’ai aidé quelqu’un. Je m’occupe d’inscription quand j’en ai l’occasion, pour aider des gens. J’ai aidé une personne de la Première Nation d’Oromocto. Il s’agit d’un homme né dans les années 1960. Son père est né en 1948. Il n’est toujours pas inscrit. Il lutte actuellement contre un cancer. S’il était un Indien inscrit, il aurait un meilleur accès à une aide financière pour ses traitements contre le cancer.

Nous pourrions dire : « Non, attendons encore un peu. » Le problème, si nous attendons, c’est qu’il y a des gens qui sont malades ou mourants. Il y a des gens qui ne seront jamais inscrits. Leurs descendants peuvent prouver leur admissibilité, mais ils ne seront jamais inscrits. Ce n’est pas juste pour ces personnes.

Comme je l’ai dit, nous pouvons faire les deux. La consultation pourrait porter davantage sur le statut de nation et l’inscription future que sur cette exclusion après la deuxième génération.

La sénatrice McCallum : Je remercie les témoins pour le travail qu’ils font et la défense de leurs intérêts. Il est bon de voir la prochaine génération suivre le chemin que nos aînés ont tracé, ce qui a rendu leur tâche un peu plus facile. Je vous en remercie tous.

J’aimerais passer aux articles 10 et 11 de la Loi sur les Indiens. On nous dit qu’une solution possible à cette exclusion après la deuxième génération pourrait entraîner l’admissibilité de 225 000 personnes ou plus. Toute modification législative entraînerait un afflux de nouveaux demandeurs, ce qui rendrait probablement plus difficile que maintenant l’obtention du consentement de la majorité des électeurs en raison de ce double seuil.

C’est un argument que les gens nous ont donné contre cet amendement.

Vous avez dit que vous avez déjà résolu cela en partie et que vous avez un plan. Avez-vous un plan sur la façon de gérer cet afflux, afin que nous puissions mettre définitivement de côté cet argument? Voilà où je veux en venir. Comment pouvez-vous résoudre cela, en sachant que lorsque de nouvelles personnes sont admissibles, la question n’est pas uniquement juridique? C’est discriminatoire, mais il y a beaucoup de répercussions sociales qui sont tellement inextricables qu’il est difficile de faire une distinction entre elles maintenant. Nous sommes prisonniers de cette situation.

J’essaie de comprendre. J’aimerais qu’on me fournisse des arguments pour soutenir que c’est faisable et que les collectivités sont parfaitement capables de régler ce problème.

Mme Coade : Je vous remercie de la question. Les collectivités sont les mieux placées pour régler ce problème. En ce qui concerne votre question de savoir si nous avons une solution ou un plan en place, les dirigeants de ces collectivités sont mieux placés que moi pour y répondre.

Je tiens toutefois à souligner que le Canada a une responsabilité fiduciaire et qu’il ne peut se décharger de cette responsabilité sur les peuples des Premières Nations. Il doit assumer sa responsabilité en matière de financement, et les dirigeants des Premières Nations doivent rencontrer des représentants de l’État et négocier cela. J’estime qu’il s’agit d’une question distincte à régler une fois la discrimination éliminée.

Vous avez également parlé des répercussions sociales d’un afflux; mais je crois sincèrement que les répercussions seront beaucoup plus grandes si nous ne commençons pas à aider nos gens, à les ramener chez eux et à leur offrir du soutien et des services.

C’est la raison pour laquelle, en fait, il y a tant de violence faite aux femmes et tant de problèmes sociaux liés à la toxicomanie, à la santé mentale et à la surreprésentation dans le système d’aide à l’enfance. Cela est attribuable au fait que le Canada et la Loi sur les Indiens ont été responsables du déplacement de notre peuple pendant beaucoup trop longtemps. Je vais m’arrêter ici.

Mme Rose : J’ai grandi à une époque différente. Je ne peux pas imaginer ce que c’est pour nos enfants de grandir maintenant, sans identité et en faisant face à des difficultés. Il n’y a qu’à penser à leur santé mentale et à tous les problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés. Lorsqu’un enfant ne peut pas clairement s’identifier comme Autochtone parce que le gouvernement l’empêche de le faire, cela a une incidence.

Oui, nous aurons un afflux. À St. Mary’s, nous sommes une bande visée par l’article 11, de sorte que l’appartenance à la bande et l’inscription sont liées chez nous. Nous n’avons pas de code d’appartenance propre. Ces seuils ne nous affectent pas. Toutefois, notre population non inscrite est un fardeau pour notre communauté et nous faisons de notre mieux. Nous le faisons vraiment. Nous utilisons nos propres sources de revenus. Nous essayons de faire preuve de créativité. Nous ne voulons pas perpétuer le préjudice lié à la non-reconnaissance de nos membres. C’est ce que nous essayons de faire.

La sénatrice McCallum : Il est essentiel de nous assurer qu’aucun financement n’est inclus dans ce projet de loi. Si du financement était prévu, il serait considéré comme hors du champ d’application. Vous avez parlé de financement, et la recherche de financement commencera une fois que la discrimination aura pris fin. Il est important de le souligner.

La sénatrice Karetak-Lindell : Je suis nouvelle au comité. Je suis une nouvelle sénatrice. À moins que je me trompe, depuis que nous avons commencé à recevoir des témoins au sujet du projet de loi S-2, tout ce que nous avons entendu, c’est que tout le monde appuie le projet de loi S-2, mais qu’il faut en faire plus. Il ne semble pas y avoir d’opposition au projet de loi S-2, mais on estime qu’il n’est pas suffisant.

Lorsque j’entends parler des seuils en vertu de 6(1)a), 6(1)b) et 6(2), j’ai parfois l’impression qu’il n’est pas question d’êtres humains avec toutes ces classifications de personnes.

Pourtant, le Canada est reconnu pour l’aide qu’il fournit à d’autres pays en matière de droits de la personne. Nous sommes allés dans des pays qui pratiquent le nettoyage ethnique et nous avons essayé de lutter pour les droits de la personne, pas seulement dans un pays, mais dans de nombreux autour du monde.

Pourtant, nous laissons perdurer des situations où les droits de la personne disparaissent de génération en génération. C’est un peu comme le nettoyage ethnique avec un nom différent, et c’est prévu dans la loi.

Je ne sais pas comment nous pouvons, en tant que pays, défendre les droits de la personne partout dans le monde et laisser cela se produire chez nous. La possibilité que nous avons de modifier les dispositions législatives et de régler ce problème pour aider les gens dans notre propre pays fait en sorte que nous avons l’obligation d’agir. Il suffit de regarder autour de vous pour constater qu’il y a beaucoup d’Autochtones au sein de ce comité, ce qui, je crois, crée aussi des attentes.

Tous les témoins qui comparaissent devant nous voient des Autochtones qui sont en mesure de faire quelque chose, alors qu’il y a peut-être 50 ans, cela n’était pas possible. Très récemment, les députés et les sénateurs étaient tous non autochtones. Même à l’heure actuelle, il n’y a pas beaucoup d’Autochtones à la Chambre des communes, mais au sein de ce comité, nous sommes assez nombreux. Je crois que nous sommes plus nombreux que les sénateurs non autochtones.

Les collectivités s’attendent à ce que nous comprenions mieux ce qui est en jeu. Je pense que cela nous oblige, en tant que sénateurs autochtones, à plaider pour un changement, car nous sommes en mesure de le faire.

Ce n’est pas vraiment une question, mais je pense que l’occasion nous est donnée de corriger quelque chose. Nous devrions examiner les amendements que tout le monde demande au lieu de faire une autre étude. Je comprends tout à fait votre point de vue au sujet des études sur études qui sont menées et qui accumulent de la poussière quelque part sur une tablette.

Je me sens obligée de dire que nous avons l’occasion de faire quelque chose et que nous devrions saisir cette occasion. Tous les témoins le disent. Le message est le même.

Je ne sais pas comment présenter des amendements, mais je suis certaine qu’il y a des gens ici qui le savent.

Je voulais préciser cela. J’écoute beaucoup et je ne dis pas grand-chose, mais je me suis sentie obligée de vous faire part de ma pensée. Merci.

La vice-présidente : Je vous remercie, sénatrice, de cette mise au point et du profond respect que vous manifestez pour la réalité et le processus dans lequel nous nous trouvons.

Hiy hiy à vous.

Le sénateur Klyne : Je tiens à remercier tout le monde de cette mise en contexte. Merci à nos témoins qui ont mis beaucoup de cœur et d’âme dans cet exercice, et à qui nous sommes très reconnaissants.

Mme Sarah Rose a mentionné au début qu’elle en avait assez de se battre. Pour ma part, j’en ai assez de voir des communautés être obligées de quémander et de plaider leurs droits inhérents issus de traités.

Il n’y a pas si longtemps, j’étais dans une salle pleine d’adolescents prêts à entrer au secondaire. J’ai passé des décennies à essayer de faire en sorte que l’éducation devienne la réponse aux problèmes. C’était émouvant pour moi parce que cela faisait longtemps que je m’étais trouvé dans une telle situation.

Ils se sont adressés à nous. Lillian Dyck ne pouvait pas siéger au comité, alors elle m’a demandé de prendre la parole pour elle. J’ai eu l’occasion d’écouter ce que ces jeunes avaient à dire. Ils se sont tous exprimés sur leur désir d’aller à l’école secondaire. Ils étaient accompagnés d’un certain nombre de chefs. L’un des chefs était leur porte-parole. Une fois que tous ces jeunes se sont exprimés, il s’est levé pour dire que ces adolescents étaient venus le voir pour lui dire qu’ils en avaient assez des gangs, de la drogue et de la violence intergénérationnelle, que l’éducation était le seul moyen d’échapper à cela, de leur point de vue, et qu’ils voulaient que leurs droits inhérents à l’éducation soient reconnus. Pour moi, c’est ce que signifie l’autodétermination. Ces adolescents vont faire bouger les choses.

Tout à l’heure, madame Coade, vous avez mentionné que l’exclusion autodéterminée respecterait, en pratique, le principe d’autodétermination. Vous avez dit qu’il s’agit d’un droit fondamental dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et vous avez raison. À mon avis, le projet de loi S-2 représente une belle occasion.

Nous ne devrions pas attendre plus longtemps. Je peux vous dire que Murray Wilson et Harry Daniels seraient de cet avis. Êtes-vous d’accord pour dire que nous devrions aller de l’avant le plus rapidement possible?

Mme Rose : Oui.

Mme Coade : Oui, je suis d’accord pour dire que nous devrions agir rapidement.

Mme Rose : Je pense que nous pouvons accélérer les choses.

Comme vous l’avez mentionné, pour ce qui est des traumatismes générationnels, il ne faut pas oublier que certaines des personnes qui ont souffert dans les pensionnats ou les externats ont quitté les collectivités. Elles sont parties pour que leurs enfants soient à l’abri, pour qu’ils soient protégés. Maintenant, elles souffrent d’épuisement parental.

Tous ces autres traumatismes sont liés à cette exclusion après la deuxième génération. Il ne faut pas l’oublier. Nous devons vraiment corriger cette erreur. Le moment est venu de le faire.

La vice-présidente : Merci. Je remercie nos invités et nos témoins de leur précieuse contribution ce soir.

Honorables sénateurs, le temps alloué à ce groupe est écoulé. Je remercie encore une fois nos invités de s’être joints à nous ce soir.

Si vous souhaitez présenter d’autres mémoires, veuillez le faire par courriel au greffier. Si vous pensez à des choses que vous aimeriez ajouter, n’hésitez pas à le faire.

J’aimerais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins pour ce soir. Nous accueillons, par vidéoconférence, la grande cheffe Kyra Wilson de l’Assemblée des chefs du Manitoba.

Nous souhaitons également la bienvenue, en personne, au grand chef Pierre Picard du Conseil de la Nation Wendat, qui est accompagné de Simon Picard, directeur des services juridiques, et au chef Darcy Bear de la Nation Dakota de Whitecap, qui est accompagné d’Alyson Bear, conseillère juridique générale.

Merci à vous tous d’être parmi nous ce soir.

Nos témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant la grande cheffe Wilson à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Grande cheffe Kyra Wilson, Assemblée des chefs du Manitoba : Bonsoir. Je vous remercie, honorables sénateurs et sénatrices et autres intervenants, de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Je m’adresse à vous en tant que grande cheffe de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 63 Premières Nations, mais je suis également ici en tant que mère appartenant à la Première Nation Long Plain et à la Première Nation Sandy Bay.

Je suis une mère qui continue de s’occuper de la question même de la citoyenneté de son propre enfant. Je m’excuse de ne pas être présente sur place, mais nous devons régler tellement de questions chaque jour, que je devais rester sur le territoire visé par le Traité no 1 aujourd’hui. Je ne me présente pas devant vous en tant qu’intervenante, mais plutôt comme une titulaire de droits qui doit composer avec les répercussions d’une loi qui décide si mon propre enfant fera partie de mon peuple et de mes nations.

En vertu du système actuel et de la Loi sur les Indiens, ma fille n’est pas admissible au statut de membre des Premières Nations. Je ne comprends pas très bien comment cela fonctionne. Auparavant, j’étais cheffe de ma nation et, à l’heure actuelle, en tant que grande cheffe, je ne suis pas en mesure d’inscrire ma fille comme membre des Premières Nations. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans le système et dans la Loi sur les Indiens, comme le montre mon expérience.

Je suis ici pour parler de la question qui menace la survie de nos nations, à savoir l’utilisation par le Canada du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens comme politique de génocide prévu par la loi.

Je sais que nous sommes ici pour parler du projet de loi S-2 et de la façon dont il vise à corriger certaines de ces injustices et traite de l’émancipation, mais il ne s’attaque pas au préjudice plus profond qui est enchâssé dans la loi. À l’heure actuelle, ce que nous voyons, c’est que le Canada continue de décider qui sont nos gens. Pour moi, c’est un problème. Je sais que bon nombre de nos Premières Nations considèrent aussi cela comme problématique.

Aux termes du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, on nie l’existence de générations entières, sauf lorsque les deux parents sont inscrits. C’est quelque chose que le Canada n’exige même pas de ses citoyens. Cela nous donne un avant-goût de l’éradication de nos peuples, de nos nations, notre présence étant mathématiquement réduite à zéro. Pour moi, ce n’est pas la réconciliation; c’est l’élimination par la loi.

À l’Assemblée des chefs du Manitoba, nous avons écrit des lettres au premier ministre et aux ministres pour les avertir de ce préjudice persistant et exhorter le Canada à mettre fin au contrôle législatif sur notre identité en tant que Premières Nations.

Ce préjudice se poursuit depuis des générations, et il existe encore aujourd’hui. Le projet de loi S-2 peut entraîner la reconnaissance d’environ 6 000 personnes, mais pas la suppression de l’exclusion après la deuxième génération, qui rendrait admissibles plus de 225 000 personnes. Il s’agit d’une grande différence d’échelle dans ce que nous pourrions appeler une extinction prévue par la loi.

Je pense aux répercussions sur nos enfants et sur mon propre enfant. Elle n’est actuellement pas inscrite à Long Plain ou à Sandy Bay. J’ai essayé de l’inscrire au moment de sa naissance, mais cela nous a été refusé en raison du système que le Canada a créé — un système avec lequel nous n’avons rien à voir.

C’est malheureux, parce que ma fille ne se sent pas nécessairement liée à ses nations, et cela lui cause du tort dans sa vie de jeune femme. Je dois toujours lui rappeler que cela ne veut pas dire qu’elle n’appartient pas aux Premières Nations, qu’elle n’a pas de lien avec Long Plain ou Sandy Bay. Je dois continuellement parler de cela avec mon enfant.

Je sais qu’il ne s’agit pas d’un problème isolé. Je sais qu’il y a beaucoup d’enfants qui vivent la même chose pour ce qui est du sentiment d’appartenance. Sans statut, les enfants se voient refuser les droits issus de traités et l’inclusion dans leurs nations respectives. On leur refuse un logement, des soins de santé et même une inhumation dans leur propre collectivité. Essentiellement, ce que nous constatons, c’est qu’on refuse à nos enfants le droit d’appartenance. Le préjudice est bien réel et il est profondément enraciné dans nos familles, comme nous pouvons le constater.

Pour l’heure, l’Assemblée des chefs du Manitoba réclame les modifications suivantes; nous proposons que le projet de loi S-2 soit une mesure provisoire en vue de la pleine reconnaissance de la compétence des Premières Nations en matière de citoyenneté. Les Premières Nations doivent diriger cette discussion. Comme je l’ai déjà mentionné, nous avons écrit au Canada, au premier ministre et aux ministres pour leur dire que nous devions participer à ce processus.

La deuxième recommandation serait d’avoir un plan d’élaboration conjoint de 12 mois pour la création d’une table de concertation financée, ainsi qu’une stratégie et un plan sur la façon dont le Canada reconnaîtra les lois sur la citoyenneté des Premières Nations, les registres fondés sur les traités, les systèmes entre nations et la façon dont nous sommes tous liés. Une autre recommandation serait d’éliminer les distinctions prévues aux paragraphes 6(1) et 6(2) et de s’engager à adopter la règle d’un parent, ce qui serait conforme au droit canadien en matière de citoyenneté, et donc de mettre fin à l’extinction ou au génocide prévu par la loi. À l’heure actuelle, sauf si les deux parents sont considérés comme des membres des Premières Nations ou des Indiens inscrits, les enfants visés par les paragraphes 6(1) et 6(2) n’ont pas le droit d’être inscrits.

Une autre recommandation serait le droit de réaffiliation, ce qui garantirait que les personnes puissent retourner dans leur nation avec les ressources nécessaires pour que les communautés puissent bien les accueillir. Ce serait un progrès important pour bien des gens.

Une autre recommandation concerne les normes de service et l’engagement financier — ne serait-ce que pour s’attaquer aux arriérés que nous connaissons, aux iniquités et au sous‑financement chronique qui touchent un grand nombre de ces services. À l’heure actuelle, plus de 80 % des demandes d’inscription dépassent la norme de service de 6 mois, et plus de 12 000 dossiers de gens qui essaient de s’inscrire sont en attente.

Nous devons donc nous attaquer à ces arriérés et veiller à fournir plus toutes les ressources nécessaires aux Premières Nations pour appuyer un processus d’inscription communautaire.

Enfin, nous devrions affirmer que rien dans le projet de loi S-2 ne limite les droits issus de traités des Premières Nations en ce qui concerne la compétence relative à la citoyenneté.

En conclusion, je tiens à vous remercier, honorables sénateurs. Selon moi, le statut d’Indien n’est pas synonyme de citoyenneté. Le Canada ne définit pas qui nous sommes; c’est nous qui le faisons. Pour parvenir à une véritable réconciliation, le Canada doit prendre du recul et faire en sorte que nos nations puissent se réapproprier leurs lois d’appartenance. C’est l’avenir que nos enfants méritent : ce sentiment d’appartenance. Meegwetch.

La vice-présidente : Merci, grande cheffe Wilson.

J’invite maintenant le grand chef Picard à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous. Je vous en prie.

[Français]

Grand Chef Pierre Picard, Conseil de la Nation Wendat : Bonsoir. [mots prononcés dans une autre langue], Pierre Picard [mots prononcés dans une autre langue]. Tout d’abord [mots prononcés dans une autre langue] à la nation anishinabe de nous recevoir sur son territoire.

[mots prononcés dans une autre langue] également à vous, honorables sénateurs, d’accorder du temps à la nation wendat pour qu’elle puisse s’exprimer dans le cadre de l’étude du projet de loi S-2 modifiant l’inscription des Indiens.

Nous sommes la seule nation wendat au Canada et la seule Première Nation à maintenir une présence permanente dans la grande région de Québec.

En septembre 2025, notre nation comptait 5 505 Wendat. Parmi eux, 1 513 personnes résidaient à Wendake, la communauté, alors que 3 992 personnes vivaient à l’extérieur. Sur l’ensemble de notre population, 3 166 personnes sont inscrites selon le paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens, et 2 277 personnes sont inscrites selon le paragraphe 6(2). Près de 50 % de notre population ne peuvent donc transmettre leur statut, sauf dans le cas d’une union avec une personne également inscrite.

La proximité historique de Wendake avec un grand centre urbain comme Québec explique le haut taux d’exogamie qui distingue les Wendat et accélère la diminution du nombre de Wendat inscrits au registre des Indiens.

Le 8 octobre dernier, vous avez entendu le témoignage d’une femme wendat qui est venue à ce comité, Mme Mélanie Savard, qui a dénoncé avec véhémence les effets de la Loi sur les Indiens et sa règle de l’arrêt dans la transmission du statut après la deuxième génération, règle instaurée en 1985 qui perpétue l’objectif d’assimilation du gouvernement fédéral.

Aucun Canadien n’a à se demander si ses enfants, ses petits‑enfants ou ses neveux et nièces auraient leur statut de citoyen canadien. Plus de 1 050 Wendat se questionnent quant à la transmission de leur statut aux membres de leur famille. Ils ont récemment déposé une pétition au sein de notre conseil concernant la coupure après la deuxième génération. Vous le savez, cette situation entraîne des conséquences intergénérationnelles au sein d’une même famille, sans compter la polarisation qu’un tel sujet peut apporter au sein de notre collectivité.

Ces règles de transmission classent les Premières Nations selon une typologie discriminatoire et discriminante. Les règles de transmission du statut, prévues dans la Loi sur les Indiens, constituent un enjeu restreignant la capacité des peuples autochtones à définir eux-mêmes leur identité et laissent aux conseils de bande le fardeau de conjuguer au quotidien les conséquences que nous vivons.

Le gouvernement fédéral, par son cadre législatif qui tarde à être modifié, met donc à risque la paix sociale au sein de la nation et favorise dans certains cas la violence latérale. Nous sommes d’avis que le gouvernement doit faire face à ses responsabilités. Il doit prendre les mesures nécessaires pour enrayer la discrimination. La réparation doit être entière et devra assurer la survie des nations tout en n’évacuant d’aucune manière ses responsabilités de fiduciaire à l’égard des Premières Nations.

Au-delà de la solution qui pourrait être apportée quant à la coupure après la deuxième génération, ce sera aux Wendat et à eux seuls de décider de leur avenir. Ces décisions ne pourront se prendre sans que nous puissions, en tant que conseil et élus, les accompagner. Ainsi, la nation désire éventuellement mettre à la disposition des Wendat un cercle national indépendant de consultation qui verra à recueillir les données, opinions, suggestions et préoccupations avant de formuler au conseil les recommandations inhérentes à l’identité wendat.

La consultation telle qu’elle est actuellement définie par le gouvernement fédéral ne répond pas à nos besoins, en plus de la circonscrire dans une notion de temps inatteignable dans un exercice demandant autant de rigueur.

De plus, remettre à un comité légal d’experts les responsabilités de déterminer rapidement les solutions légalement possibles maintient malheureusement l’attitude colonisatrice et paternaliste du gouvernement à notre égard. Il ne devrait pas être nécessaire pour les personnes lésées par cette loi et ses discriminations d’avoir à recourir une fois de plus aux tribunaux pour forcer le Parlement à reconnaître leurs droits fondamentaux.

C’est le cas des femmes des Premières Nations qui ont vécu en union de fait avant 1985. Je suis d’ailleurs accompagné aujourd’hui de Mmes Martine Sioui et Julie Gros-Louis, deux femmes wendat qui ont été personnellement touchées par cette discrimination. Elles sont les demanderesses dans la cause Sioui contre le Canada, une cause que le Conseil de la Nation Wendat a inscrite et soutient pleinement.

Avant 1985, plusieurs femmes wendat et d’autres Premières Nations ont dû faire un choix extrêmement difficile : ne pas se marier avec leur conjoint afin de ne pas perdre leur statut, et risquer ainsi d’être évincées de leur communauté.

Or, aujourd’hui encore, ces femmes ainsi que leurs enfants et petits-enfants subissent une discrimination liée à ce choix. En effet, la Loi sur les Indiens reconnaît le droit à l’inscription aux petits-enfants des femmes qui se sont mariées avec un homme non inscrit avant le 17 avril 1985, peu importe le statut de l’autre parent. Cependant, cette même loi refuse ce droit aux petits‑enfants des femmes qui étaient en union de fait avec un homme non inscrit à cette même période si l’autre parent n’a pas droit à l’inscription.

Le Conseil de la Nation Wendat croit donc que le projet de loi S-2 représente une occasion concrète et le véhicule législatif idéal pour remédier à cette discrimination évidente qui persiste dans la Loi sur les Indiens. En apportant les quelques ajouts mineurs au projet de loi S-2 que nous vous avons soumis dans le mémoire, le Parlement a maintenant l’occasion et le devoir de remédier à cette injustice.

Il faut le dire clairement : il n’est plus temps pour des demi‑mesures ou des petits pas. Il est temps d’adopter une vision globale, ambitieuse et durable, avec un geste qui vise à assurer réellement la pérennité des peuples autochtones dans toute leur diversité, mais surtout dans toute leur dignité.

En ce qui nous concerne, si rien ne change, les projections indiquent qu’en 2050, la population de la nation wendat aura diminué de moitié. Nous sommes donc un exemple vivant du fait que l’éradication des « Indiens » suit son cours; peut-être pas de façon brutale comme ce fut le cas à une certaine époque, mais de façon insidieuse, sournoise, lente et pernicieuse, ce qui a pour effet, cependant et malheureusement, de donner le même résultat.

[mots prononcés dans une autre langue] Bonne soirée. Merci.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci, grand chef Picard.

J’invite maintenant le chef Bear à faire sa déclaration préliminaire. La parole est à vous. Je vous en prie.

Chef Darcy Bear, Nation Dakota de Whitecap : [mots prononcés dans une langue autochtone].

Tout d’abord, je tiens à vous souhaiter une bonne soirée, à vous serrer chaleureusement la main et à reconnaître que nous sommes sur les terres de la nation algonquine anishinabe. Nous sommes honorés d’être ici pour témoigner au nom de la Première Nation Dakota de Whitecap, située à l’extérieur de Saskatoon.

Le problème en ce qui concerne le paragraphe 6(2) remonte à loin. À mon avis, nous devrions éliminer complètement ce paragraphe. Je sais, pour avoir rencontré des ministres, que c’est plus complexe avec cela.

Pour ce qui est des États-Unis et de la façon dont ils procèdent là-bas, ils laissent chaque tribu définir qui sont ses membres, ceux-ci étant par la suite reconnus par leur État. La définition qu’ils utilisent est fonction du degré de sang. Certains vont jusqu’au 64e, d’autres utilisent le 32e, mais c’est à chaque nation de décider. C’est ce qu’on fait aux États-Unis.

Je ne vise personne ici, mais je pense qu’il est important de savoir cela et de s’en souvenir.

Prenons l’exemple des Métis. Comme il est prévu dans l’entente sur l’autonomie gouvernementale des Métis de 2023, la définition de citoyenneté des nations métisses permet la transmission des droits d’une génération à l’autre sans restriction et indéfiniment. En revanche, les Premières Nations demeurent liées par l’exclusion de la Loi sur les Indiens, ce qui entraîne un déclin graduel de leur population.

Il n’y a donc pas de loi sur les Métis qui dit qu’il faut avoir un certain degré de sang. Si un Métis est le descendant d’un membre d’une Première Nation et d’un non-membre, rien ne dit que le degré de sang doit être de 50-50; absolument rien. Mais pour ce qui est de notre peuple, après deux générations, vous n’êtes plus dakota, anishinabe, mohawk et ainsi de suite. Ce n’est pas juste.

Les Canadiens français sont aussi protégés par la Charte. L’article 23 veille à ce que les communautés de langue officielle en situation minoritaire puissent transmettre leurs droits entre générations. Un seul parent doit être titulaire de droits pour que son enfant ait droit à une éducation publique dans la langue de la minorité. Et cela se transmet de génération en génération.

Pourtant, nous, les premiers peuples du pays, de l’île de la Tortue, sommes assujettis à une loi qui dicte qui sont nos membres. Comment se fait-il qu’après deux générations, vous n’êtes plus dakota. Comment est-ce possible?

J’ai un exemple concernant l’un de mes membres, qui est malheureusement décédé. Il a guidé notre conseil. Il s’agit du regretté sénateur Melvin Littlecrow, qui était inscrit en vertu du paragraphe 6(1). Son épouse est une Anishinabe de l’Ontario. Elle est assujettie au paragraphe 6(1). Ils ont des enfants ensemble, qui sont tous visés par le paragraphe 6(1). L’une de leurs filles a épousé un Métis et son enfant est visé par le paragraphe 6(2). Si cet enfant a une relation avec un non-Indien, tout à coup l’arrière-petite-fille du couple n’est plus dakota. Comment est-ce possible?

Comment le gouvernement peut-il décider qui est membre de notre nation? Ce n’est pas juste pour notre peuple. Il y a une grande injustice et beaucoup de discrimination.

Je ne sais pas si la Charte s’applique au projet de loi S-2, mais cela ne va pas assez loin.

Je sais que la ministre Gull-Masty parle de présenter un autre projet de loi qui permettra d’apporter des correctifs supplémentaires à l’article 6, mais il a déjà été question de mesures provisoires. Je vais devoir vous lire ce que nous proposons. Nous sommes d’accord pour que la ministre Gull‑Masty aille de l’avant en éliminant complètement l’article 2 ou d’une autre façon. Cependant, nous avons besoin d’une solution provisoire.

Nous voulons examiner une mesure législative distincte portant, bien sûr, sur l’avenir de l’exclusion après la deuxième génération, mais comme la ministre l’a déclaré devant le Sénat le 24 septembre 2025, les réformes antérieures prévues dans les projets de loi C-31, S-3 et maintenant S-2 ne sont pas allées assez loin pour limiter la discrimination systémique. La sénatrice Mary Jane McCallum a décrit cette injustice comme une forme de génocide, l’extinction graduelle de l’identité des Premières Nations au fil du temps étant inscrite dans la loi.

Notre nation est d’avis qu’un projet de loi distinct est la seule solution permanente et juste. Toutefois, une protection immédiate est toujours nécessaire. Jusqu’à ce qu’une mesure législative distincte soit présentée, adoptée et appliquée, un amendement provisoire au projet de loi S-2 s’impose de toute urgence, afin que les enfants dont l’un des parents est visé par le paragraphe 6(2) et qui ont un lien avec leur collectivité puissent être reconnus et transmettre leurs droits.

Ce que nous proposons, c’est que les Premières Nations reçoivent, par amendement au paragraphe 6(2), le pouvoir législatif de conférer irrévocablement un statut en vertu du paragraphe 6(2) à une personne, pourvu qu’elle ait un parent ayant un statut en vertu du paragraphe 6(2) et un lien avec sa collectivité. Cet amendement respecterait le principe d’autodétermination, un droit fondamental de la DNUDPA. En vertu du projet de loi C-15 adopté en 2021, le gouvernement a l’obligation de veiller à ce que les lois fédérales du Canada soient compatibles avec la déclaration. Le projet de loi S-2 offre l’occasion de le faire.

De plus, il incombe au Sénat de défendre et de protéger les droits des minorités et, dans ce cas-ci, leur juste transfert.

Accorder le statut en vertu du paragraphe 6(2) par l’entremise d’un parent visé par le même paragraphe et ayant un lien avec la collectivité n’est pas une solution permanente. Toutefois, il s’agit d’une mesure de protection provisoire nécessaire pour empêcher que d’autres générations soient effacées pendant que le Parlement élabore une réforme à long terme. Cette proposition complète donc la vision législative de la ministre.

Ce que nous proposons au Sénat, c’est d’appuyer un projet de loi distinct visant à abroger complètement l’exclusion après la deuxième génération. Compte tenu de l’urgence de la situation, il faut aussi prévoir une solution provisoire dans le projet de loi S-2, afin que des familles ne soient pas effacées pendant l’élaboration de la mesure législative distincte. Donc, pendant que la ministre parle d’un projet de loi distinct, ce que nous proposons, c’est que si une personne est visée par le paragraphe 6(2), son statut soit transmis en attendant que ce projet de loi distinct soit élaboré. Il faut une mesure intérimaire dans l’intervalle. La Nation Whitecap propose que les enfants d’un parent visé par le paragraphe 6(2) qui ont des liens avec la collectivité soient admissibles à l’inscription et à la transmission du statut pendant l’élaboration de la loi. Chaque nation doit être habilitée à conférer irrévocablement un statut en vertu du paragraphe 6(2) aux enfants dont au moins un des parents est reconnu en vertu du paragraphe 6(2) et a un lien avec la collectivité.

Sans ces changements, le Canada continuera de légiférer sur l’érosion de l’identité des Premières Nations en violation de la Charte, de la DNUDPA et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.

J’ai entendu les intervenants précédents parler de l’impact sur les nations. Il ne faut pas oublier les avantages que le Canada tire chaque année de ses ressources naturelles, qui représentent des milliards de dollars. D’un côté, il est question des traités et de l’étendue du problème, et de l’autre, il y a les avantages. Donc, pour ce qui est de la reconnaissance, je ne sais pas pourquoi on parle des coûts. Il s’agit d’un droit. Pourquoi dit-on qu’après deux générations, vous n’êtes plus dakota, vous n’êtes plus mohawk, vous n’êtes plus anishinabe? Cela n’a aucun sens.

Il semble que tout est une question d’argent. Je sais qu’il a été question de montants. J’ai entendu les chiffres de 225 000 $ et 255 000 $, mais est-ce bien de cela qu’il s’agit — de l’argent? Est-ce la raison pour laquelle on tergiverse?

On ne tient ce discours à aucun autre groupe ethnique du pays — à savoir qu’après deux générations, les Ukrainiens ou les Irlandais perdraient leur identité. Ce n’est pas ce qui se passe. Mais comme le fait d’appartenir à une Première Nation comporte des avantages, tout le monde examine la question du point de vue financier.

Ce n’est pas une question d’argent. Notre peuple, même la petite-fille de feu le sénateur Littlecrow, Ophelia, a le droit d’être dakota. Elle vit dans notre pays. Elle danse lors des pow‑wow. Ce n’est qu’une petite fille. Comment le gouvernement peut-il nier cela et dire : « Vous n’appartenez plus à une Première Nation parce que le gouvernement l’a décidé »? Quel pouvoir a-t-il pour faire cela?

Pourquoi devons-nous continuer à discuter de la Loi sur les Indiens? Aucune loi de mise en œuvre des traités n’a été créée. Notre chef Whitecap était présent lors des signatures du Traité no 4 et du Traité no 6, et il était perçu comme un Indien américain. Dommage que le sénateur Arnot ne soit pas ici aujourd’hui. Il connaît bien cette histoire.

Si vous regardez notre histoire, les Dakotas et même les Mohawks et les Anishinabes ont tous combattu ensemble pendant la guerre de 1812. C’était une époque de notre histoire où Napoléon faisait la guerre aux Britanniques outre-mer, et les Britanniques consacraient beaucoup de ressources militaires et financières à cette guerre. Les États-Unis approvisionnaient Napoléon par bateau. Les Britanniques ont arraisonné ces navires de ravitaillement, ce qui a eu une incidence sur l’économie des États-Unis.

Le président de l’époque — on parle de 7 millions d’habitants comparativement à 350 000 en Amérique du Nord britannique — a jugé que c’était le bon moment pour la plus grande conquête de terres de l’histoire de l’Amérique du Nord. Tout ce qu’il fallait faire, c’était de les envahir. Il pensait que la guerre durerait deux semaines. C’est un moment de notre histoire où les alliés britanniques, français et des Premières Nations ont dû unir leurs forces pour combattre un ennemi commun. Les États-Unis n’ont pas gagné la guerre, et celle-ci n’a pas duré les deux semaines prévues. Elle a fait rage pendant plus de deux ans. S’ils avaient gagné la guerre, nous serions déjà le cinquante et unième État. Donald Trump serait à la tête de notre pays, mais ce n’est pas ce qui s’est produit.

En 2012, l’ancien premier ministre Stephen Harper a reconnu 34 Premières Nations qui avaient des ancêtres ayant combattu pendant la guerre de 1812, dont 8 étaient des Dakotas. On les a reconnus pour cela. Toutefois, après la guerre de 1812, les représentants des États-Unis et des Britanniques sont allés en Belgique pour la signature du traité de paix de Gand, qui a marqué la fin de la guerre. Toutes les promesses qui avaient été faites aux Premières Nations qui ont combattu durant la guerre de 1812 et qui étaient écrites noir sur blanc, en ce qui concerne la protection de nos terres et tout le reste, n’étaient plus sur la table.

De nombreux officiers britanniques ont écrit : « Nous leur avons fait des promesses pour qu’ils se battent avec nous contre l’ennemi commun, mais nous n’en avons tenu aucune. »

C’est donc l’autre problème qui se pose ici aujourd’hui — du moins pour les Dakotas —, et je suis certain que la grande cheffe Wilson en est au courant de cela parce que la nation dakota a des liens avec la sienne et avec le Manitoba. Si une femme des Premières Nations visée par un traité numéroté épouse quelqu’un de la nation dakota, le traité ne s’applique pas, parce que le gouvernement nous considérait comme des Indiens américains.

L’an dernier, des excuses ont finalement été faites aux Dakotas, à ma nation, pour reconnaître ce tort historique et pour le corriger. Des excuses ont été présentées et on a reconnu le fait que nos ancêtres avaient aidé à fonder cette magnifique nation multiculturelle qu’est le Canada. Pourtant, nous avons été laissés à l’écart des traités numérotés, même si le chef Whitecap était présent aux pourparlers sur le Traité no 4 et le Traité no 6.

Aujourd’hui, bon nombre de nos femmes visées par des traités numérotés se sont mariées avec des membres de nos nations dakotas, mais elles ont elles aussi perdu leurs avantages découlant des traités parce qu’elles se sont mariées avec des membres de nations inscrites. Nous avons un statut, mais nous n’avons pas de traité numéroté.

Il y a encore de la discrimination en ce qui concerne les avantages découlant des traités. Des choses ont été corrigées en 1985, avec le projet de loi C-31, concernant les femmes des Premières Nations qui épousaient des hommes non autochtones et qui perdaient complètement leur statut. De nos jours, les femmes visées par un traité peuvent se marier avec un membre de la nation dakota ou de la nation lakota ou d’une première nation non visée par un traité. Étant donné l’absence de traité numéroté, elles perdent tous leurs avantages issus de traités. Elles ne font plus partie d’une nation signataire d’un traité. Il est pourtant dit dans les traités que tant que le soleil brillera, tant que l’herbe poussera et tant que les rivières couleront, ils seront valides. Alors pourquoi les femmes ne profitent-elles pas de ces avantages, peu importe avec qui elles choisissent de se marier, Dakota ou non?

Ma fille est un exemple de cela. Sa mère venait de la Première Nation de Cote visée par le Traité no 4. Elle m’a épousé; elle a fait le choix de se joindre à notre nation. Toutefois, elle a perdu les avantages liés au Traité no 4, tout comme ma fille et mes petites-filles. C’est une autre injustice que nous n’abordons pas autour de cette table, mais dont il faut parler s’il est question des droits des femmes.

La vice-présidente : Merci beaucoup, chef Bear.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Audette : Ma question s’adresse au Grand Chef de mes trois enfants, Awastia, Sheshka et Yocoisse.

J’aimerais comprendre. Dans votre mémoire, vous mentionnez un amendement ou une recommandation provenant de la poursuite de Sioui contre le Canada, des douces et belles guerrières derrière vous. Advenant que le projet de loi S-2 propose des amendements qui toucheraient aussi la deuxième génération, j’imagine que cela réglerait la situation des familles que vous représentez?

M. Picard : Légalement, oui, tout à fait.

La sénatrice Audette : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Merci à tous d’être ici. Est-ce que le chef Bear peut répondre à ma seule question concernant la proposition de mesure provisoire visant à continuer d’accorder le statut en vertu du paragraphe 6(2) aux enfants visés par ce paragraphe. Il s’agit d’une réponse potentielle très éloquente au problème que nous avons ici. Cela peut permettre que des consultations se tiennent et que l’on prenne le temps de réfléchir à quoi le projet de loi doit ressembler, personne n’étant laissé pour compte entretemps.

Vous avez mentionné ce lien avec la collectivité. Pouvez-vous nous donner des détails sur ce que cela signifierait? Est-ce que cela signifie une personne vivant dans la collectivité? Cela signifie-t-il qu’on peut établir un lien direct avec un ancêtre? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Qu’entendez-vous par « lien avec la collectivité »?

M. Bear : Tout d’abord, je tiens à remercier le conseiller Bradon Eagle, de la Nation Dakota de Whitecap, et Murray Long, notre directeur de l’autonomie gouvernementale.

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, madame Bear, je vais vous céder la parole.

Alyson Bear, conseillère juridique générale, Nation Dakota de Whitecap : Bonjour à tous. Je tiens à saluer tout le monde dans la salle et à serrer la main de chacun d’entre vous.

Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps, alors en ce qui concerne cette question, je dirais qu’il s’agit d’une solution provisoire, parce que nous devons trouver un compromis, le gouvernement ne voulant pas agir rapidement pour se débarrasser complètement de l’article 6, ce qui serait l’idéal.

De cette façon, les Premières Nations pourraient créer leurs propres codes d’appartenance et de citoyenneté et revenir en un sens à leurs propres lois en ce qui concerne le lien avec la collectivité.

Le projet de loi S-2 touchera différemment les nations qui sont autonomes et qui ont leurs codes de citoyenneté et d’appartenance. Beaucoup de nations font le virage vers l’autonomie gouvernementale, la création de leurs propres lois et la revitalisation de leurs lois traditionnelles. Nous avons toujours eu des lois, même avant le contact avec les Européens, et c’est la Loi sur les Indiens qui a fait en sorte qu’elles ont été démantelées. La Loi sur les Indiens a imposé le système des conseils de bande. Elle impose toute cette administration à notre peuple.

Par conséquent, nous permettre de créer nos propres codes d’appartenance, nous donner ce droit, c’est aussi mettre en œuvre la DNUDPA et l’article 33 en ce qui concerne notre autodétermination. C’est une occasion pour toutes les nations du Canada de s’assurer qu’elles savent qui a des liens avec leur collectivité et de les ramener au sein de celle-ci de la bonne façon, en les intégrant.

Le sénateur Tannas : On parle de statut gouvernemental et d’appartenance communautaire. Je ne vois pas comment nous pourrions inclure cela dans un projet de loi sans définir ce qu’on entend par « lien avec la collectivité ». Avez-vous réfléchi à cela, parce que c’est ce que nous devrons faire? Peut-être que plus tard, après y avoir réfléchi, vous pourriez nous envoyer un mémoire pour nous dire comment, selon vous, le « lien avec la collectivité » pourrait être défini. Nous modifions une loi qui comporte un tas de définitions. Des responsables gouvernementaux doivent approuver cela, et ainsi de suite. Nous devons donc leur donner des directives très précises. J’aime la proposition, et j’invite qui le veut à fournir un contexte écrit à ce sujet.

La vice-présidente : Nous vous invitons à nous faire parvenir un mémoire à ce sujet. Ce serait extrêmement utile.

Le sénateur Klyne : Chef Bear, vous avez parlé de l’exclusion après la deuxième génération et du fait de permettre aux Premières Nations d’accorder elles-mêmes un statut en vertu du paragraphe 6(2) à une personne ayant au moins un parent visé par le paragraphe 6(2) et un lien avec la collectivité.

À première vue, il pourrait s’agir d’une solution pratique, qui respecterait les principes de l’autodétermination, du lien patrimonial avec le statut et des liens communautaires. Il s’agirait en quelque sorte d’un modèle à adhésion volontaire pour ce qui est de l’exercice par une Première Nation de son propre pouvoir de transmettre ce type de statut.

Ma question est la suivante : vous attendez-vous à ce que les autres Premières Nations fassent preuve d’ouverture et appuient ce changement potentiel?

M. Bear : Pourvu que ce soit un modèle à adhésion volontaire, chaque nation pourrait décider de participer ou non, et ce serait logique. Chacune créerait son code d’appartenance et, dans le cadre de celui-ci, permettrait à un parent visé par le paragraphe 6(2) de transmettre son statut à la génération suivante. Chaque nation devrait prendre cette décision. Il n’appartiendrait pas à cette entité de dicter les codes d’appartenance ou la façon dont le statut de membre en vertu du paragraphe 6(2) est transmis.

Lorsqu’il est question de lien avec la collectivité, il s’agit de gens qui veulent retrouver leur nation. C’est leur décision; ils veulent revenir dans leur collectivité. D’autres souhaiteront peut‑être le contraire. Nous ne pouvons forcer personne. C’est à eux de décider. S’ils ont ce lien avec la nation et s’ils veulent en faire partie, nous pouvons mettre en place un processus de demande, puis les reconnaître grâce à notre code d’appartenance parce qu’ils ont un parent qui a le statut en vertu du paragraphe 6(2).

Cependant, peu importe qui nous reconnaissons, nous devons veiller à ce que le Canada reconnaisse également que ces personnes ont un statut. Actuellement, nous pouvons élaborer des codes d’appartenance. Par exemple, pour ce qui est d’Ophelia, la petite-fille de feu le sénateur, nous pouvons dire qu’elle est membre, sans qu’elle ait pour cela de statut. Si nous élaborons nos codes d’appartenance et que nous incluons quelqu’un dans nos membres, cette personne devrait être automatiquement reconnue comme ayant le statut. Ces personnes ont un lien de sang avec notre communauté, et si elles veulent faire partie de notre nation, on devrait leur permettre de le faire.

Il faut qu’il y ait un lien de sang. Nous ne disons pas que nous pouvons simplement accepter n’importe qui comme membre et lui donner le statut d’Indien. Il doit toujours y avoir un lien avec le fait d’être un Dakota. Pour toute nation, il doit y avoir un lien avec la nation en ce qui concerne le degré de sang.

C’est ce que nous croyons. Une autre nation pourrait dire le contraire. Je ne peux pas parler au nom des autres.

La sénatrice Clement : Ma question s’adresse au chef Bear, mais je veux d’abord remercier la grande cheffe Wilson.

Votre description de « titulaire de droits » était très claire et nous est très utile. J’ai toujours eu du mal à comprendre ce que signifie le mot « titulaire de droits », et vous venez tout juste de très bien éclairer cette notion. Je vous dis donc nia:wen.

[Français]

Grand Chef Picard, je vous remercie pour votre témoignage. C’était très clair. Je vous remercie également de nous avoir rappelé le témoignage de Mme Savard. Sa description de la violence latérale était tellement vive, tellement puissante. Cela nous a beaucoup aidés. Donc, merci.

[Traduction]

Chef Bear, je suis une Canadienne noire, fille d’un parent noir. J’ai coché cette case sur tous les formulaires du gouvernement pour m’assurer d’être reconnue. J’ai été élevée comme une Canadienne noire par un parent noir. Mon parent blanc est francophone, alors j’ai été élevée comme francophone, en français, et cela m’a garanti l’accès à l’éducation en français.

Dans votre mémoire et dans votre déclaration préliminaire, vous dites que pour ce qui est du français, le fait d’avoir un parent qui parle cette langue permet le transfert de droits particuliers, ce qui contribue à la survie de la langue de la minorité. Pourquoi jugez-vous important de donner cet exemple particulier, de faire cette comparaison particulière dans un pays avec seulement deux langues officielles — deux langues coloniales — et plus de 70 langues autochtones?

M. Bear : Il est important de faire cette comparaison parce que nous sommes les premiers peuples de ce pays. À ce titre, aucune loi ne devrait pouvoir dire qu’après deux générations, nous ne sommes plus des Dakotas. Il ne faut pas oublier que nous étions là avant les nouveaux arrivants, les Français et les Britanniques. Nous étions les premiers. L’article 23 protège les Canadiens français en leur reconnaissant des droits lorsqu’un seul parent est canadien-français, et cela se perpétue. Les nôtres prennent fin après deux générations. C’est là que tout s’arrête et que vous cessez d’être un Dakota.

Je fais la comparaison en soulignant qu’il y a des avantages, comme l’éducation en français, dont vous pouvez profiter, comme nous avons des avantages nous aussi. Nos avantages prennent fin après deux générations, mais pas les vôtres. Ce n’est qu’une comparaison. Je n’essaie pas d’être facétieux ou quoi que ce soit; je fais simplement une comparaison. Les premiers peuples de ce territoire se font dire, après deux générations, qu’ils ne sont plus des Dakotas, des Cris, des Saulteaux ou des Dénés, et ainsi de suite. Quant aux Canadiens français, ils le demeurent tant et aussi longtemps qu’ils ont un parent canadien‑français.

C’est la même chose pour les Métis. Je ne cherche pas à dénigrer les Métis. Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas de loi sur les Métis qui fait en sorte qu’ils doivent avoir un certain degré de sang et qu’après la deuxième génération, c’est terminé. Ils peuvent définir leur appartenance, et ils obtiennent également des avantages.

Ce n’est donc qu’une comparaison et je me demande seulement pourquoi nous sommes traités de cette façon. Pourquoi sommes-nous victimes de discrimination au Canada? Ce pays nous appartenait autrefois, en Amérique du Nord — l’île de la Tortue. C’est tout ce que je voulais dire. J’espère que je ne vous ai pas offensée.

La sénatrice Clement : Pas du tout. Je veux simplement que ce soit clair pour le compte rendu. C’est très utile. Merci, chef Bear.

La sénatrice McCallum : Je tiens à remercier tous les témoins pour le travail qu’ils ont accompli et je souhaite une bienvenue spéciale à ma grande cheffe Kyra Wilson. Je suis heureuse de vous voir.

J’aimerais que vous commentiez ce que vous avez entendu aujourd’hui au sujet de la mesure provisoire. Lorsque j’ai rencontré la ministre, je lui ai demandé : « Est-ce que le paragraphe 6(2) pourrait être abrogé, avec effet dans deux ans? » Un des avocats l’avait suggéré. Elle a répondu que non. Je ne sais pas si vous en avez discuté avec la ministre, mais pourriez‑vous nous dire ce que vous en pensez, grande cheffe Wilson?

Mme Wilson : Oui. Merci, sénatrice McCallum. Je suis heureuse de vous voir. Je vous remercie de la question.

Je remercie également la personne à côté de vous pour ses commentaires positifs.

En ce qui concerne les processus dans le cadre desquels nous parlons de citoyenneté, cela fait des décennies qu’ils existent, comme le chef Bear l’a mentionné. Ces discussions ont eu une incidence sur des générations de gens et continuent d’en avoir une sur ma propre famille — sur toutes nos familles.

En ce qui concerne les mesures provisoires, je n’ai pas encore eu de conversation avec la ministre.

Toujours pour ce qui est de ces mesures, je dirais que l’occasion nous est offerte de corriger les problèmes qui se posent. Cela fait si longtemps que nous en discutons.

Faisons-le tout de suite. Pourquoi devons-nous attendre? Nous avons une occasion à saisir. Je salue le travail de tous les sénateurs autour de la table aujourd’hui. Je remercie tous ceux qui ont beaucoup contribué à cela, y compris les autres témoins. Nous avons l’information. Nos dirigeants ont des idées et des solutions. Donc, au lieu de ces mesures provisoires qui pourraient prendre quelques années ou même plus, agissons aujourd’hui. Quelles que soient les mesures provisoires envisagées, nous avons des solutions en tant que Premières Nations.

Le Canada ne peut pas dicter ce que la citoyenneté signifie pour notre peuple. Nous devons décider. Nous avons des solutions. Nous avons eu des réponses et nous continuons d’en avoir aujourd’hui. C’est ce que je recommanderais en ce qui concerne les mesures provisoires. Essayons de trouver une solution aujourd’hui, parce que nos enfants méritent mieux que ce que nous leur offrons maintenant. Meegwetch.

Le sénateur Prosper : Merci à tous les participants ici présents. J’ai une question qui fait suite à celle que la sénatrice McCallum a posée plus tôt et qui s’adresse à la grande cheffe Wilson et au chef Bear. L’une des propositions qui ont été faites au sujet du projet de loi S-2 consiste à modifier cette mesure législative pour tenir compte de l’exclusion après la deuxième génération, afin d’éliminer ce critère et de revenir à la règle du parent unique, tout en donnant au gouvernement un certain temps pour trouver une solution au problème du paragraphe 6(2). Le projet de loi serait donc adopté, et le gouvernement disposerait d’une certaine période pour trouver une solution au problème du paragraphe 6(2), parce que cela serait prévu dans la loi.

Vous avez tous les deux parlé de mesures provisoires, la vôtre, chef Bear, étant le lien avec la collectivité. Quant à vous, grande cheffe Wilson, vous aviez un certain nombre de mesures intérimaires concernant le lien avec les traités, l’élaboration conjointe et des choses de cette nature sur une période de 12 ans. Pensez-vous que cela pourrait être une solution viable, si le gouvernement avait la possibilité et l’obligation de se débarrasser du paragraphe 6(2), mais s’il disposait d’un délai supplémentaire pour trouver une solution aux fins de la modification du projet de loi? Je vais d’abord poser la question au chef Bear, puis peut-être à la grande cheffe Wilson.

M. Bear : Je suis d’accord avec la grande cheffe Kyra Wilson. Nous avons déjà les solutions. Nous pourrions aller de l’avant et nous débarrasser de l’article 6 pour créer nos propres codes d’appartenance au niveau des nations, plutôt que d’avoir ces mesures provisoires. Nous sommes conscients qu’en tant que législateur, le gouvernement ne veut pas aller de l’avant avec l’élimination pure et simple de l’article 6. Nous disons que c’est ce qui devrait se produire. C’est ce en quoi je crois. Pourquoi diable avons-nous l’article 6? Pourquoi sommes-nous définis en fonction de l’exclusion après la deuxième génération? C’est de la discrimination. Les Canadiens français qui ont un parent canadien-français conservent leurs droits. Il en va de même pour les Métis. Pourquoi sommes-nous traités différemment? C’est totalement inacceptable.

Je suis d’accord avec la grande cheffe Kyra Wilson. Débarrassons-nous complètement de l’article 6. Pourquoi tourner autour du pot et avoir des mesures provisoires? Nous n’en avons pas besoin. Nous savons qui sont nos membres. Nous pouvons définir cela. Débarrassons-nous simplement de cet article.

Le sénateur Prosper : Merci. Grande cheffe Wilson?

Mme Wilson : Oui. Merci beaucoup, sénateur, de votre question.

En ce qui concerne le projet de loi S-2, une partie du libellé proposé à l’heure actuelle comme mesure provisoire, comme le chef Bear l’a déjà mentionné, est la pleine reconnaissance de la compétence des Premières Nations concernant leur citoyenneté. Nous avons des listes de ceux qui appartiennent à nos nations. Ce n’est pas nécessairement basé sur le système des réserves, mais plutôt sur nos nations, nos familles et nos parents.

Je sais que c’est une question qui a été posée par un autre sénateur. Que veut dire ce lien avec la collectivité? Nous avons toutes les réponses. Ce que je demanderais à tous les sénateurs et au Canada, c’est de nous donner le temps de faire preuve de leadership et de mettre en commun tous nos codes de citoyenneté, nos idées et nos solutions. Nous n’avons pas besoin que le Canada dicte ce processus. Nous avons toutes les solutions.

C’est ce que je propose comme mesure provisoire : nous donner l’espace nécessaire pour nous réunir et discuter, afin d’être en mesure de présenter cela par la suite. Il ne s’agit que d’une déclaration générale. Toutes nos nations ont leurs propres idées, codes et lois, mais nous pouvons quand même nous réunir pour discuter des solutions. Nous avons ces solutions. Je vous remercie encore une fois de votre question.

La vice-présidente : Merci. Je vais me prévaloir de la prérogative de la présidence pendant deux minutes et inviter le grand chef Picard à répondre également à cette question au sujet des mesures provisoires et des solutions. Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps, mais j’aimerais vous donner deux minutes pour entendre ce que vous avez à dire.

[Français]

M. Picard : Comme vous le savez, en 1985, dans le projet de loi C-31, on avait une occasion rêvée de mettre fin à l’ensemble des discriminations. Bien qu’on soit venu corriger une situation pour les femmes qui avaient épousé des non-Autochtones et qui ont ainsi recouvré leur statut, on a induit par la théorie des petits pas des mesures discriminatoires. Ce qu’on souhaite évidemment cette fois, si on est dans des mesures intérimaires, c’est que ces mesures écartent pour de bon toute forme de discrimination qui concerne la transmission du statut.

Comme on le disait plus tôt, la nation wendat risque de perdre 50 % de ses membres en raison de la perte de leur statut d’ici 2050. Mes collègues Wilson et Bear l’ont largement mentionné : je ne crois pas que ce soit au gouvernement fédéral de déterminer ce qui devrait ou ne devrait pas être wendat.

Le gouvernement fédéral a la responsabilité, et doit l’assumer dans son entièreté, de réparer les discriminations qu’il a lui‑même causées à travers la Loi sur les Indiens. Cependant, et je parle au nom de la nation wendat, je ne pense pas que ce soit aux élus seulement de décider qui est wendat, mais à la nation de le décider. C’est aux Wendat de décider de leur avenir. C’est une question d’avenir et de pérennité de la nation. Cela revient entièrement aux Wendat de le faire.

Ce qui revient au gouvernement fédéral maintenant, c’est d’éliminer une fois pour toutes toute forme de discrimination issue de l’article 6 de la Loi sur les Indiens.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Merci à tous les chefs qui sont avec nous ce soir, ainsi qu’à Alyson Bear. J’ai l’impression que tous disent la même chose. Je ne me trompe pas en affirmant que chacun d’entre vous souhaite se débarrasser de l’article 6.

Pour mettre en œuvre l’une ou l’autre des mesures provisoires — et nous avons reçu différentes propositions à ce sujet —, il faudrait modifier le projet de loi. La ministre nous a déjà dit qu’elle ne voulait pas d’amendements. Voici ma question : si nous voulons modifier le projet de loi, pourquoi ne pas simplement régler ce problème? Je vous ai tous entendus dire que vous vouliez vous débarrasser de l’article 6. Pourquoi opterions-nous pour des mesures provisoires? Pourquoi ne pas supprimer l’article 6, comme vous l’avez conseillé?

M. Bear : Effectivement. Je suis tout à fait d’accord. Je pense que nous devrions éliminer l’article 6 et donner du pouvoir à chaque nation. Nous avons déjà emprunté cette voie. Nous savons tous qui sont nos membres. Pour ce qui est de créer nos codes d’appartenance, nous devrions pouvoir le faire, comme c’est notre droit inhérent, et aller de l’avant. Je ne sais pas pourquoi nous devons continuer à parler de l’article 6. J’ai toujours dit qu’il fallait se débarrasser de cet article, qui est très discriminatoire. C’est à nos nations de décider qui sont leurs membres.

Le gouvernement doit reconnaître nos codes d’appartenance et nos citoyens. Si quelqu’un est membre de la nation Dakota de Whitecap ou d’une autre nation qui a un code d’appartenance, il devrait être reconnu, tout comme le sont les Canadiens français et les citoyens métis. Pourquoi les premiers peuples de ce pays ne peuvent-ils pas avoir des codes d’appartenance, être reconnus et ne pas faire l’objet de discrimination? Il faut que cela cesse.

La sénatrice McPhedran : Je suis tout à fait d’accord, mais je suis un peu confuse. Pourquoi ne pas simplement éliminer l’article 6, puisque vous nous avez dit que c’est ce qui devrait être fait?

M. Bear : Je suis tout à fait d’accord.

La sénatrice McPhedran : Plutôt que de prendre des mesures provisoires, allons de l’avant avec cela.

M. Bear : Je suis tout à fait d’accord. Si c’est ce que vous voulez faire, je suis tout à fait d’accord.

La sénatrice McPhedran : Nous n’avons pas encore pris de décision en ce sens, et c’est ce qui me laisse perplexe.

M. Bear : Le conseil tribal de Saskatoon compte actuellement 15 000 membres, dont 5 000 sont visés par le paragraphe 6(2). Ces membres doivent choisir qui ils vont aimer s’ils veulent garder leurs droits. Cela signifie qu’ils doivent aimer une autre personne visée par le paragraphe 6(1) ou le paragraphe 6(2), mais que se passe-t-il s’ils tombent amoureux de quelqu’un d’autre? Leur enfant n’est plus membre des Premières nations. Depuis quand le gouvernement entre-t-il dans la chambre à coucher des citoyens canadiens?

La vice-présidente : Pouvons-nous passer à autre chose? Je pense que nous sommes d’accord. Je pense que vous avez raison. C’est ce que j’entends. Sénatrice Pate, vous avez la dernière question de la soirée.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être ici. Je vous remercie du travail que vous faites au nom de vos nations et des exposés que vous nous avez présentés aujourd’hui. Vous avez tous été très clairs. Il y a un aspect que je n’ai peut-être pas bien compris, et je m’en excuse si c’est le cas, mais je n’ai entendu aucun d’entre vous ce soir au sein de ce groupe de témoins parler de la restriction relative à la capacité de poursuivre l’État et de la question de la responsabilité. Je suis curieuse : pensez-vous que nous devrions éliminer la clause de responsabilité?

Vous m’avez peut-être entendu poser cette question au groupe de témoins précédent. La seule fois que j’ai vu cela, c’est lorsque l’on a essayé d’empêcher les prisonniers de poursuivre pour violation de leurs droits, et voilà que l’on veut empêcher les Premières Nations de le faire. Seriez-vous d’accord pour que cela soit également retiré du projet de loi?

Mme Wilson : Je peux vous répondre. Je ne sais pas si les autres témoins veulent également prendre la parole.

Je dirais que nous avons vu que la Loi sur les Indiens est très profondément enracinée dans l’histoire des peuples des Premières Nations. Nous avons constaté que ces dispositions législatives ont créé beaucoup de problèmes pour nos familles et nos nations. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de poursuites devant les tribunaux qui sont intentées partout au pays par de nombreuses nations pour un certain nombre de problèmes différents. Par le passé, des poursuites ont été intentées contre le Canada en matière de citoyenneté. Si les choses ne sont pas réglées, le Canada continuera de voir des poursuites judiciaires être intentées contre ces dispositions législatives que le Canada continue d’imposer à notre peuple.

À l’Assemblée des chefs du Manitoba, nous n’avons pas été consultés sur ce projet de loi. Nous n’avons pas été consultés dans le cadre de ce processus, ce qui est malheureux parce que l’Assemblée des chefs du Manitoba représente 63 Premières Nations ici au Manitoba.

Ce que je dirais, c’est qu’on ne peut pas limiter nos gens quant à la protection des droits de leurs propres citoyens. Ce n’est pas au Canada de décider à quoi cela ressemblera. Toute responsabilité ou action en justice est une décision prise individuellement.

S’il y a une disposition dans le projet de loi qui nous empêche de protéger nos droits, peu importe à quoi elle ressemble, elle devrait être supprimée. Les droits individuels devraient toujours être protégés. C’est ce que je recommande. Meegwetch.

Mme Bear : Je pense qu’il est important de reconnaître cela. Je suis d’accord avec la grande cheffe Kyra Wilson pour dire que nous ne pouvons pas inclure des dispositions dont les gens ne sont pas au courant et auxquelles nous n’avons pas consenti. Personne n’a donné son consentement pour inclure une disposition disant que nous ne pouvons pas exercer nos droits et intenter des poursuites à l’égard de quelque chose qui est discriminatoire envers nous tous. Cela revient essentiellement à dire que, lorsque la loi sera modifiée et qu’elle entrera en vigueur, nous verrons cette discrimination se poursuivre, et mes enfants et petits-enfants ne pourront plus se battre pour leurs droits.

C’est donc certainement quelque chose que nous n’avons pas accepté; aucune de nos nations n’a même été mise au courant de cet article du projet de loi S-2, et ne l’a accepté, et il faut absolument le retirer.

La vice-présidente : Merci à tous pour cette soirée. Le temps alloué à ce panel est écoulé. Je remercie encore une fois nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Hiy hiy à vous tous.

Si vous souhaitez présenter d’autres mémoires, veuillez le faire par courriel au greffier.

Honorables collègues, cela met fin à notre réunion d’aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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