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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 28 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 5 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

La sénatrice Margo Greenwood (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour à tous.

Avant de commencer, j’invite tous les sénateurs et les autres personnes sur place à consulter les fiches qui se trouvent sur la table pour connaître les précautions à prendre pour prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Assurez-vous de garder votre oreillette loin des microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la face vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cette fin. Merci de votre collaboration.

Je tiens d’abord à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe, où vivent aujourd’hui plusieurs autres peuples des Premières Nations, Métis et Inuits de l’île de la Tortue.

Je suis la sénatrice Margo Greenwood, une Nèehiyaw originaire du territoire visé par le Traité no 6, et je suis la vice‑présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je rappelle à mes honorables collègues que, lors de notre première séance publique du 24 septembre, la sénatrice Michèle Audette, la présidente élue du comité et la marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude, afin de préserver sa neutralité. J’ai l’honneur et le privilège de présider la très importante séance d’aujourd’hui.

De plus, il importe de noter que c’est aujourd’hui la date limite pour soumettre des mémoires liés à l’étude du projet de loi S-2. Vous avez jusqu’à 17 heures pour envoyer vos mémoires écrits au greffier.

J’invite maintenant les membres du comité à se présenter en précisant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, du territoire Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse

La sénatrice Pate : Soyez les bienvenus. Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinaabe.

La sénatrice Karetak-Lindell : Nancy Karetak-Lindell, sénatrice du Nunavut.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du territoire visé par le Traité no 1, au Manitoba, et patrie de la nation métisse de la rivière Rouge.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum. Soyez les bienvenus. Je suis heureuse de vous rencontrer. Merci pour tout le travail que vous avez fait. Je suis une Crie du Manitoba, membre de la Première Nation de Barren Lands.

La vice-présidente : Merci, honorables sénateurs.

Nous poursuivons l’étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription). Le texte modifie la Loi sur les Indiens, notamment en accordant de nouveaux droits à l’inscription au registre des Indiens pour donner suite à la contestation de certaines dispositions de cette loi fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés dans l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général) et en accordant aux personnes visées le droit à ce que leur nom soit consigné dans une liste de bande tenue au ministère des Services aux Autochtones.

Voici le premier groupe de témoins. Nous souhaitons la bienvenue à Cora McGuire-Cyrette, directrice générale de l’Ontario Native Women’s Association, ou ONWA, qui comparaît par vidéoconférence, et à Jeremy Matson, qui comparaît à titre personnel. Merci à vous deux de vous être joints à nous.

Les témoins feront une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période d’échange de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant Mme McGuire-Cyrette à présenter son exposé liminaire.

Cora McGuire-Cyrette, directrice générale, Ontario Native Women’s Association : Bonjour, honorables sénateurs.

L’ONWA, fondée en 1971, est la plus ancienne et la plus importante organisation de femmes autochtones au Canada. Nous avons plus de 50 ans d’expérience dans le soutien et la défense des femmes autochtones, y compris les femmes des Premières Nations et leurs descendants.

La question de la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens a été l’un des facteurs qui ont suscité la formation du mouvement des femmes autochtones au Canada et la constitution de l’ONWA en tant qu’organisme.

L’ONWA est d’avis que les femmes des Premières Nations ont droit à leur identité, à leur culture et à leur communauté, ainsi qu’au droit de transmettre leur identité et leur culture à leurs enfants.

Nous vous sommes reconnaissants, mesdames et messieurs les membres du comité permanent, d’étudier le projet de loi S-2 et d’y faire participer les femmes des Premières Nations. Le projet de loi est un début, mais des modifications supplémentaires s’imposent si on veut remédier pleinement à toute la discrimination qui subsiste dans la Loi sur les Indiens et qui découle de ses versions antérieures.

Je vous entretiendrai aujourd’hui des répercussions que continue d’avoir la discrimination sexuelle présente dans la Loi sur les Indiens sur les femmes des Premières Nations et leurs familles. Je proposerai ensuite quatre amendements au projet de loi S-2. À notre avis, ils permettront enfin de remédier pleinement à la discrimination contre les femmes découlant de la Loi sur les Indiens.

Ayant travaillé avec des femmes autochtones et leurs familles pendant des décennies, l’ONWA est très consciente des répercussions de la discrimination d’origine législative dont les femmes des Premières Nations ont été victimes à cause de la Loi sur les Indiens.

L’ONWA voit quotidiennement les répercussions sociales de la discrimination qui s’exerce contre les femmes des Premières Nations. Nous sommes victimes de discrimination à la fois parce que nous appartenons aux Premières Nations et parce que nous sommes des femmes.

Au fil du temps, la perte du statut et de l’appartenance à une bande à cause d’un mariage avec un non-Indien a été associée aux taux horriblement élevés de violence que les femmes autochtones continuent de subir à cause de la traite des personnes et de la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

Les femmes des Premières Nations en ont parlé à la Commission royale sur les peuples autochtones, ou CRPA, dans les années 1990. L’enquête nationale de la Commission a établi un lien entre la discrimination sexuelle présente dans la Loi sur les Indiens et ces taux élevés de violence contre nous.

Les conséquences de la discrimination d’origine législative sont mortelles. Outre la violence, de nombreuses femmes des Premières Nations ont des traumatismes, sont en mauvaise santé, sont toxicomanes, vivent dans la pauvreté et sont livrées à l’itinérance. Ces défis sont ensuite grandement aggravés par le manque d’accès aux soutiens communautaires et culturels.

Depuis 1985, l’approche adoptée par le Canada pour corriger les dispositions sur le statut qui entraînent une double discrimination, sont compliquées et difficiles à comprendre a eu pour effet de chasser les femmes des Premières Nations et leurs enfants hors de leurs communautés et les a privées du droit à la jouissance égale de leur identité, de leur culture et de leurs terres.

Les tentatives passées n’ont pas pu rendre entièrement ce qui a été perdu. L’établissement de niveaux différents de statut — les paragraphes 6(1) et 6(2) — a malheureusement entraîné des divisions sociales et, trop souvent, une violence latérale. À cause du paragraphe 6(2), ce sont les femmes des Premières Nations qui subissent le plus cette violence coloniale.

Les divisions et la violence latérale au sein des communautés des Premières Nations sont aggravées par un sous-financement constant par le gouvernement fédéral, qui considère les nouveaux inscrits comme une menace pour les Premières Nations déjà aux prises avec un problème de rareté des ressources.

Honorables sénateurs, il ne faudrait pas mettre en opposition les droits des femmes des Premières Nations et les droits collectifs des communautés.

Et maintenant? L’ONWA est d’avis que, pour remédier pleinement à la discrimination sexuelle qui subsiste dans la Loi sur les Indiens, des amendements au projet de loi existant sont nécessaires. C’est l’occasion de faire un acte de réconciliation.

L’ONWA réclame quatre amendements.

Le premier supprimerait l’exclusion après la deuxième génération en rétablissant la règle du parent unique pour la transmission du statut. En refusant le statut à des générations de femmes des Premières Nations et à leurs enfants, la règle de l’exclusion après la deuxième génération a privé les femmes de la possibilité de participer à la gouvernance de leur bande, de profiter de ses services et de tirer parti des occasions qu’elle offre.

Si la règle de l’exclusion après la deuxième génération est maintenue, le nombre d’Indiens inscrits diminuera avec le temps, ce qui finira par mener à l’extinction des Indiens inscrits et de communautés entières. La règle du parent unique s’attaque non seulement au problème urgent de l’extinction, mais aussi à celui de la discrimination sexuelle.

Le deuxième amendement supprimerait la date limite de 1985. La distinction entre les naissances et les mariages d’avant et d’après 1985 perpétue la discrimination du passé et consacre une différence de traitement pour les descendants des femmes des Premières Nations, car elle limite leur capacité de transmettre le statut à leurs enfants comme le font les hommes.

Les familles dont le père est un Indien inscrit sont toujours privilégiées par rapport à celles dont la mère est une Indienne inscrite.

Le troisième amendement préciserait que les femmes qui ont été transférées automatiquement dans la bande de leur mari ont un droit illimité de retourner dans leur bande d’origine si elles le veulent, peu importe que leur bande soit visée par l’article 10 ou 11.

La modification de la loi n’est qu’une étape. Les Premières Nations doivent également recevoir un soutien financier pour accueillir chez elles les personnes qui ont été arrachées à leurs communautés par l’assimilation forcée. Cela est essentiel au respect des responsabilités fiduciaires du Canada et à la prévention du risque que les bandes, faute de ressources suffisantes, ne fassent de la discrimination contre des femmes des Premières Nations.

Le quatrième amendement supprimerait les interdictions légales de compensation prévues dans le projet de loi S-2 et dans tous les projets de loi antérieurs pour les femmes des Premières Nations et leurs descendants, qui pourraient la réclamer à cause des préjudices découlant de la discrimination sexuelle présente dans la Loi sur les Indiens. C’est notre droit en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA.

Honorables sénateurs, l’ONWA demande à chacun d’entre vous d’appuyer ces amendements au projet de loi S-2. Notre survie en tant que peuple distinct au Canada, ainsi que la vie, la sécurité et le bien-être des femmes des Premières Nations en dépendent.

Meegwetch. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter.

La vice-présidente : Merci, madame McGuire-Cyrette.

J’invite maintenant M. Matson à présenter son exposé liminaire.

Jeremy Matson, à titre personnel : [Mots prononcés dans une langue autochtone.] Cela veut dire : « Bonjour, hôtes distingués. »

Je tends les mains vers vous. Par ce geste qu’on m’a enseigné, mes ancêtres sont convoqués ici avec moi aujourd’hui et occupent toutes les chaises et tout l’espace disponible dans la salle. Je ne suis jamais seul.

Voici mon fils, August Matson. Sa lignée s’éteint avec sa génération, puisqu’il est visé par le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens du Canada.

Je suis membre de la nation squamish. J’ai des liens ancestraux directs avec les Musqueam, les Tsleil-Waututh et d’autres communautés salish de la côte.

Je suis également inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada.

Je tiens à remercier le comité de m’avoir invité de nouveau à parler de ces importantes questions de droits de la personne.

J’ai eu gain de cause aux termes de la communication des Nations unies no 68/2014 du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, ou CEDAW, de la communication des Nations unies AL CAN 3/2023 et de la communication des Nations unies AL CAN 1/2025. Ces affaires portaient sur des questions de discrimination fondée sur le sexe ou le genre, l’émancipation, le paragraphe 6(2) sur la règle d’exclusion après la deuxième génération, la date limite de 1985, la compensation, les réparations et l’accès à la justice.

Je suis né avec mes droits fondamentaux, tout comme mes enfants les ont eus de naissance et leurs futurs descendants les auront. Nous avons dû attendre — et nous attendons toujours — que d’autres nous laissent jouir de nos droits fondamentaux et des droits qui sont les nôtres de naissance. Dans les arrêts Matson et Andrews, la Cour suprême du Canada a fait valoir au paragraphe 2 que toutes les plaintes découlent des effets persistants de l’émancipation. Au paragraphe 7, elle a souligné les répercussions du paragraphe 6(2).

Oh Canada, mon glorieux pays, il est temps que vous vous réveilliez de votre sommeil raciste, sexiste et assimilateur.

La Loi sur les espèces en péril confère à des poissons, crustacés, oiseaux et herbes une protection supérieure à celle que la Loi sur les Indiens accorde à mes descendants et à moi-même. Il est temps que les décideurs agissent.

Le Canada a privé et continue de priver les peuples autochtones de l’accès à la justice aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour divers scénarios, malgré l’abrogation de l’article 67 et les recommandations et conclusions du rapport du comité intitulé Respectés et protégés de décembre 2024.

Comme le reconnaît le rapport du comité publié en juin 2022 et intitulé C’est assez!, il s’agit des droits individuels des Autochtones en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens, et non d’une approche collective. Sans les individus, il n’y a pas de collectif.

Le 21 juin 2021, le Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la LDNUDPA. C’est une loi canadienne en évolution, et le Canada l’a précisé le 21 juin 2021. La Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale et est entrée en vigueur immédiatement.

L’article 1 de la déclaration dispose :

Les peuples autochtones ont le droit, à titre [...] individuel, de jouir pleinement de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par [...] le droit international relatif aux droits de l’homme.

L’article 1 du texte cite tous les rapports de droit international et toutes les obligations juridiques du Canada à propos de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et de l’élimination de toute autre forme de pratique discriminatoire.

L’article 1 de la déclaration prévoit également l’adhésion aux décisions rendues dans mes trois causes portées devant les Nations unies et celle de Sharon McIvor devant les mêmes instances.

L’article 8 du même texte garantit également que nos droits individuels sont égaux et que nos lignées ne doivent pas être assimilées au nom de l’article 6 de la Loi sur les Indiens. De plus, le Canada doit se doter d’un mécanisme pour régler ces problèmes.

Le même article 8 nous permet légalement de transcender le temps pour défendre nos droits fondamentaux individuels et réparer les violations passées, présentes et futures.

Avec l’adoption de la LDNUDPA, le Canada passe d’une approche dualiste à une approche moniste en ce qui concerne mes droits fondamentaux individuels d’Autochtone, ceux de mes enfants et ceux de leurs propres descendants.

Les droits individuels de la personne sont énumérés dans l’ensemble de la déclaration. Ils confèrent à nos femmes et à nos enfants le droit légal à l’identité, à l’égalité, au financement de l’éducation, à l’absence de discrimination et à l’absence de toute forme d’assimilation.

En terminant, je signale que le résumé législatif du projet de loi S-2, daté du 8 septembre 2025, souligne ma cause devant le CEDAW des Nations unies à la page 11 et dans la note 43, mais rien dans le projet de loi S-2 ne reflète la décision du CEDAW. Pourquoi?

Votre comité a respecté et protégé mes droits, les droits de mes enfants et les droits futurs de leurs descendants.

Je demande à votre comité de répéter « C’est assez! ». Merci.

La vice-présidente : Merci, monsieur Matson.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Honorables collègues, vous disposerez chacun de cinq minutes pour vos interventions, ce qui doit comprendre la question et la réponse, afin que tout le monde ait l’occasion de poser au moins une question.

La sénatrice McPhedran : Merci aux deux témoins. Je m’adresserai d’abord à vous, monsieur Matson. Je souhaite également la bienvenue à votre fils.

Vu la nature des causes relatives aux droits de la personne que vous avez portées année après année devant de multiples instances au niveau international, comment résumeriez-vous l’importance de ces décisions internationales dans un contexte canadien? Que pouvez-vous nous dire de plus sur ce que devrait être le projet de loi S-2 dans le contexte de ces décisions?

M. Matson : Le droit international établit les normes minimales auxquelles tout État membre des Nations unies ou de l’Organisation des États américains est assujetti. C’est le minimum. Nous n’avons pas encore atteint le minimum. Dans mes causes, les normes sont au minimum, ce qui est analogue à un socle, à la fondation d’une maison. Tout se construit à partir de là. Il incombe à l’État, aux décideurs et aux ministères d’agir.

Pour résumer, j’ai dit qu’il fallait éviter l’assimilation, régler le problème de la discrimination sexuelle, supprimer les dates limites et éliminer l’exclusion prévue au paragraphe 6(2) à partir de la deuxième génération. Dans ma cause, on a conclu que le Canada violait l’article 8 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Aucun pays ne tolère l’assimilation. Le Canada accuse un énorme retard relativement à l’assimilation des peuples autochtones. Nous sommes le seul pays au monde qui pratique l’assimilation. C’est illégal.

Quant aux dispositions relatives à l’émancipation... Comme je l’ai dit, au Canada, j’ai porté ma cause devant la Cour suprême. Elle a reconnu que ma cause, l’affaire Matson, portait sur l’émancipation. Pourquoi le projet de loi S-2 ne tient-il pas compte des décisions rendues dans mes causes?

J’appuie le projet de loi S-2. Mon grand-oncle — il s’appelait Capilano ou George Johnston — appartient à la catégorie visée dans l’affaire Nicholas portant sur l’émancipation, et il s’agit d’une branche de ma famille immédiate, rattachée à ma nation.

Pour revenir à la discrimination sexuelle, le problème est présent dans toutes mes causes. J’ai fourni ces renseignements au comité et je les mettrai dans un mémoire. On m’a donné la permission de présenter mon mémoire avant la fin de cette semaine de travail. J’espère que cela répond à vos questions.

La sénatrice McPhedran : Une précision. Il semble que vous ayez dit appuyer sans équivoque le projet de loi S-2. Êtes-vous en train de dire que le projet de loi S-2 est très bien tel qu’il est?

M. Matson : Non, le projet de loi S-2 n’est pas parfait dans sa forme actuelle. Il faut y apporter des amendements pour — comme l’ONWA l’a aussi dit — supprimer la date limite et la règle de l’exclusion à partir de la deuxième génération. Il doit y avoir des amendements.

La sénatrice McPhedran : Merci.

La sénatrice McCallum : Comme je vous l’ai dit, il m’est très difficile de trouver de nouvelles questions à poser. Néanmoins, on a parlé d’un plan provisoire visant à exclure du projet de loi S-2 la règle de l’exclusion à partir de la deuxième génération et demandant de faire confiance au gouvernement pour revoir la question en menant des consultations plus poussées. Qu’en pensez-vous?

M. Matson : Il y a des consultations depuis les années 1980. D’autres témoins et le Groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens ont exprimé le même point de vue. Il n’y a plus de consultations à faire. Claudette Dumont-Smith et d’autres ont fait un travail de fond dans leurs consultations menées pour le gouvernement du Canada, et des consultations ont déjà eu lieu par le passé. On n’a plus besoin de consultations pour régler le problème de l’assimilation, point à la ligne.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur Prosper : Merci aux témoins. Je vais parler surtout de l’exclusion à partir de la deuxième génération.

Plus précisément, madame McGuire-Cyrette, vous avez dit que, pour les femmes en tout cas — mais j’imagine que, par extension, pour tout Autochtone, surtout à propos de l’exclusion à partir de la deuxième génération —, il y a un droit à l’identité, à la culture et à la communauté.

Bonjour, monsieur Matson. Je suis heureux que votre fils soit là.

Les deux témoins pourraient-ils commenter cette affirmation au sujet des liens entre le statut et les notions d’identité, de culture et de communauté? Monsieur Matson, nous pourrions peut-être commencer par vous, puis passer à Mme McGuire-Cyrette.

M. Matson : Être inscrit, selon sa communauté d’origine, permet d’être membre de cette communauté. La majorité des bandes indiennes assujetties à l’article 10 se prévalent de l’article 6 pour définir leurs règles d’appartenance. Les pertes qui surviendront dans un proche avenir à cause de l’exclusion à partir de la deuxième génération et des particularités du statut d’Indien... J’ai toutes les données des affaires individuelles de Services aux Autochtones Canada au sujet de chaque disposition de la Loi sur les Indiens. Nous devons traiter de ces sujets — pas aujourd’hui, mais peut-être demain. Ce serait un bon début.

Les alinéas 6(1)a), b), d) et e) concernent les générations plus anciennes comme la mienne. Lorsque nous mourrons — il y a environ 446 069 personnes inscrites en vertu de ces dispositions —, notre population nationale se contractera aussitôt radicalement. Il nous restera ensuite l’alinéa 6(1)f) et le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, qui est la règle des deux parents. Donc, environ 356 145 personnes sont inscrites en vertu de l’alinéa 6(1)f), et quelque 322 566 autres aux termes du paragraphe 6(2). Donc, lorsque toutes les premières dispositions — a) à e) — disparaîtront, il ne nous restera plus que les deux dispositions suivantes, puisque plus personne ne sera visé par les alinéas 6(1)a) à e). Les dispositions législatives ne permettront plus à personne de se faire inscrire aux termes de ces alinéas. Il ne nous reste donc que deux dispositions de la Loi sur les Indiens pour l’inscription des Autochtones, soit le paragraphe 6(2), qui est conçu à l’intention de la génération suivante et qui porte sur la transmission du statut d’Indien, et l’alinéa 6(1)f), la règle des deux parents, qui est très précise. Dans le Canada moderne, nombreux sont ceux qui n’ont pas eu d’enfants avec un partenaire visé par l’article 6, si bien que leurs descendants sont assujettis au paragraphe 6(2), et tout s’arrête là, à cause de ce paragraphe.

Certaines communautés vont disparaître dans un proche avenir, au cours de la prochaine génération. De multiples générations disparaîtront. Quant au lien avec la culture, la culture n’existe plus si nous sommes assimilés; nous sommes intégrés à l’ensemble de la société canadienne comme membres des premiers peuples, et c’est tout. Fin de la partie.

Le sénateur Prosper : Madame McGuire-Cyrette, quelque chose à dire?

Mme McGuire-Cyrette : Merci de votre question et du travail que vous faites ici aujourd’hui.

La question est complexe à cause du cadre législatif en place, que la colonisation a malheureusement implanté profondément dans nos communautés. C’est regrettable, mais il est maintenant lié à notre identité. Nous pouvons voir ce qui se passe dans nos communautés, où se pose la question des Indiens inscrits ou non inscrits. De cela dépend la possibilité d’avoir un lien avec sa communauté. Pourquoi les femmes autochtones sont-elles victimes de tant de violence, de discrimination et d’autres préjudices que nous ne connaissons que trop? À cause de l’absence de lien avec la communauté et la culture, à cause de la normalisation de la violence qui nous est faite. L’une des causes profondes tient au fait que nous, en tant que mères, jouons un rôle essentiel dans la transmission du savoir aux enfants et petits-enfants. Nous racontons notre histoire et conservons le savoir; nous transmettons notre culture et l’esprit de notre communauté. Ce leadership a été directement ciblé par la Loi sur les Indiens.

Nous ne pouvons pas tenir de consultations sur ce qui constitue un degré acceptable de discrimination, point à la ligne. Nous avons déjà été consultés, et il est temps d’apporter des changements. Nous ne pouvons pas non plus mener de consultations sur la question de savoir s’il faut provoquer par des moyens législatifs l’extinction des Premières Nations et leur assimilation.

Vous, sénateurs, avez l’occasion de laisser un legs en agissant pour avoir un impact générationnel et réparer les torts des nombreuses générations qui nous ont précédés. Je suis en première ligne depuis très longtemps. Je me souviens de mes grands-parents et du projet de loi C-31, en 1985. J’écoute les propos de M. Matson et je vois son fils. Cela me rappelle le moment où on m’a retirée de l’école et envoyée participer à une manifestation quand j’étais enfant. J’essayais de comprendre ce qui se passait, et j’ai essayé de retourner à l’école et d’expliquer à mon enseignant et à mes amis ce qui se passait. À l’époque, nous étions considérés comme des « Sangs-mêlés ».

Je comprends que l’identité autochtone est une réalité complexe en raison de toutes ces expulsions. Lorsque ma grand‑mère a épousé mon grand-père, elle a été expulsée de sa communauté parce qu’il était un Métis tandis qu’elle était membre des Premières Nations. Je ne devrais peut-être pas le dire ouvertement, mais je vais le faire : nous avons dû chasser et pêcher la nuit pour survivre. Mes grands-parents avaient 16 enfants, et nous n’avions aucun moyen de subvenir à nos besoins. Nous devions tenir nos cérémonies le soir.

Je voulais rendre hommage à mes ancêtres et à ceux d’autres personnes qui ont mené cette lutte pendant tant de générations. Si nous ne pouvons pas corriger la situation maintenant, ce seront nos enfants et nos petits-enfants qui comparaîtront un jour à leur tour. Ce sera ce jeune homme, présent avec vous aujourd’hui, qui témoignera devant un autre Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans 20 ans. Il affirmera encore une fois que les consultations ne sont pas nécessaires et que nous avons eu, depuis les années 1990, la Commission royale sur les peuples autochtones, soit la CRPA. Il y a eu une enquête nationale. Les consultations n’ont pas manqué.

Si nous voulons des consultations, peut-être devrions-nous essayer de voir comment ramener les femmes dans leur communauté. Comment pouvons-nous rétablir le leadership des femmes autochtones dans la communauté? La CRPA a expliqué que l’autonomie gouvernementale ne réussira pas tant que nous n’aurons pas guéri nos communautés. C’était sa première recommandation. Nous ne pouvons pas réaliser l’autonomie gouvernementale tant que les communautés ne se seront pas mobilisées pour se remettre de toutes les pratiques coloniales et de l’assimilation qui ont eu lieu et qui durent encore. Décider dans une loi avec qui les femmes peuvent tomber amoureuses et avoir des enfants... C’est un choix qu’aucune mère ne devrait avoir à assumer. L’avenir des générations futures de la communauté et des petits-enfants des futurs petits-enfants dépendra du choix de ceux que vous déciderez d’aimer et d’épouser, de ceux que vous déciderez d’inscrire sur un certificat de naissance. Ce n’est acceptable dans aucune communauté.

Nous appuyons le projet de loi S-2 avec les amendements que nous avons proposés aujourd’hui. Meegwetch.

La sénatrice Pate : Je remercie les deux témoins de leur présence et de leur travail inlassable. C’est souvent un travail ingrat, mais je veux que vous sachiez à quel point nous vous en sommes reconnaissants.

Comme la sénatrice McCallum, j’ai du mal à trouver de nouvelles questions à poser. Madame McGuire-Cyrette, je crois que vous en avez parlé dans votre conclusion, mais j’aimerais vous donner l’occasion à tous les deux d’expliquer ce que cela signifierait si le projet de loi S-2 était adopté sans amendement; quelles seraient les conséquences pour vous, vos communautés, vos familles? Mme McGuire-Cyrette d’abord, peut-être, puis M. Matson.

Mme McGuire-Cyrette : C’est une excellente question.

Je tiens également à remercier chacun d’entre vous pour ce travail essentiel.

Cela voudra dire qu’il faut poursuivre le travail et que nous n’avons pas réussi à corriger tous les problèmes de discrimination sexuelle qui existent dans la Loi sur les Indiens. La lutte va continuer.

Le manque de ressources dans la communauté... Nous devons nous absenter du travail et de la communauté pour préparer et présenter des exposés, venir participer aux travaux du comité et dénoncer les éléments discriminatoires qui ne devraient pas se trouver dans la loi. La participation a été considérable et les études ont été nombreuses. Les femmes nous ont dit clairement ce qu’il fallait faire.

L’ONWA représente actuellement 39 entités qui regroupent des femmes autochtones en Ontario. Ce sont des collectifs de femmes de la base. Il y a aussi des organismes de femmes autochtones qui travaillent dans les communautés. Nous sommes intervenues dans cinq communautés comptant plus de 130 femmes autochtones. En outre, il y a eu plus de 2 000 participants à nos échanges en ligne.

Ce qui va se passer? Nous aurons échoué à faire entendre leur voix et à obtenir les changements qu’elles souhaitaient. Nous avons collaboré avec des communautés et plus de 2 000 personnes. Nous leur avons posé les questions que le gouvernement fédéral voulait que nous posions, et nous formulons leurs recommandations sur ce qui doit changer et ce qui doit se faire.

Les femmes ont dit très clairement qu’il fallait appliquer la règle du parent unique et supprimer la date limite de 1985. Ces propositions proviennent directement des femmes des Premières Nations. Nous devons apporter ces amendements. Nous devons écouter ces femmes si nous voulons faire avancer le Canada. Le projet de loi ne peut pas être adopté sans ces amendements; autrement, nous devrons comparaître de nouveau, et ce sera alors le fils de M. Matson qui viendra avec ses propres enfants. J’ai ici une photo de l’un de mes deux petits-fils, et il se peut qu’ils viennent tous deux ici pour poursuivre ce travail. Nous avons maintenant l’occasion d’apporter ce changement, et j’espère vraiment avoir été en mesure de vous convaincre, avec tout mon cœur et mon esprit, que c’est la bonne chose à faire.

Je n’aurais jamais pensé, puisque j’étais en première ligne dès 1985, que je serais ici encore aujourd’hui, à ce moment-ci de ma carrière, pour faire le même travail que mes grands-parents. Je suis vraiment renversée et stupéfaite de voir que je livre le même combat qu’eux et qu’il est possible que nos enfants aient à faire la même chose. Meegwetch.

M. Matson : Je vous remercie de votre question.

J’ai comparu en 2022 et 2023 devant le comité pour diverses études. À quoi sert le rapport C’est assez! ? Pourquoi le comité présenterait-il un rapport sur les mêmes questions qui ont été discutées il y a des années et renoncerait-il à apporter des amendements pour faire précisément ce qu’il a dit par le passé? Ce serait une insulte pour moi et pour les Nations unies, qui sont déjà venues ici avec le CEDAW. C’était sans doute l’une des premières fois que des instances des Nations unies témoignaient devant un comité au Canada.

Les obstacles à la compensation pour ceux qui ont été assimilés se comparent aux autres torts que le pays a causés aux peuples autochtones. Le comité a déjà fait le gros du travail. Vous devez maintenant faire valoir le rapport C’est assez!.

Si vous nous donnez congé sans apporter d’amendements au projet de loi S-2... J’ai invoqué la Loi canadienne sur les droits de la personne pour m’adresser à la Cour suprême du Canada. Comme je l’ai dit, des années ont passé. La Loi canadienne sur les droits de la personne a été retirée pour les Indiens. Je suis un Indien parce que la Loi sur les Indiens me définit comme tel.

Si nous n’avons pas accès à la justice ni à des recours pour... J’ai obtenu de l’ONU des décisions dans trois causes. Pourquoi je continuerais? J’ai déjà deux plans de secours faisant intervenir deux organisations internationales, le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et le Secrétariat du Commonwealth. J’ai mes plans de secours juridiques depuis le début. Je suis prêt à continuer, mais il ne serait pas juste que je le fasse puisque le comité a déjà fait ce travail pour nous. Vous m’avez aidé, merci.

À propos du rapport sur l’accès à la justice, Respectés et protégés, j’ai discuté avec le ministère de la Justice, Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, RCAANC. Personne ne donne suite à votre rapport Respectés et protégés sur l’accès à la justice, surtout en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, les appels à l’action et les conclusions des Nations unies.

Dans ma cause, les Nations unies ont jugé que la Charte des droits et libertés était une option illusoire. Que se passera-t-il si aucun amendement n’est proposé au projet de loi? Allons-nous partir en guerre? Non, nous ne pouvons pas faire cela.

Veuillez apporter des amendements. Veuillez accorder une compensation. Cent ans ont passé depuis que le Canada s’est imposé à ma famille et à des générations de ma lignée et a commencé à insulter des générations les unes après les autres. Lui, il ne mérite pas cela, ni sa sœur ni personne d’autre qui serait dans la même situation, car des décisions ont été rendues dans son intérêt. Le droit à l’autodétermination et la règle du parent unique relèvent des droits de la personne.

J’ai très peu de droits fondamentaux qui me permettent de transmettre mon identité. Dans la recommandation générale no 39 du CEDAW des Nations unies, on s’est servi de ma cause pour parvenir à une définition. Je vais mettre cela dans mon mémoire. L’identité se transmet et nous ne pouvons pas interrompre cette transmission.

Ma lignée autochtone est intacte; il en va de même pour mes enfants et leurs descendants futurs. Il est maintenant temps que le comité poursuive son bon travail. Merci.

La vice-présidente : Je songeais à la mise en œuvre. Vous avez tous les deux recommandé ce matin des amendements que vous souhaitez. Comment pourrions-nous les mettre en œuvre? Si nous obtenions les amendements que vous avez recommandés, quels seraient les résultats dans vos communautés et pour le gouvernement? Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Mme McGuire-Cyrette : Merci. C’est une excellente question. Nous pouvons participer à la mise en œuvre en travaillant avec les Premières Nations pour voir de quoi elles ont besoin pour pouvoir accueillir les femmes et les enfants qui reviendraient chez elles.

C’est une occasion pour nous de guérir ensemble, en refaisant le parcours jusqu’à la Commission royale sur les peuples autochtones. Nous n’avons pas eu l’occasion de guérir collectivement en tant que communautés, en tant que peuples autochtones, et nous pourrions désormais le faire.

Il faut veiller à ce que les femmes qui réintègrent leur communauté ne soient pas considérées comme une charge de plus au plan des ressources, ni perçues avec cette crainte qui existe sur le terrain. Ces femmes et ces enfants sont des nôtres, ils sont notre avenir.

C’est l’occasion pour nous de voir comment nous pourrons aller de l’avant ensemble. De quoi les communautés ont-elles besoin pour accueillir ces femmes et ces enfants en ayant les ressources voulues pour le faire? Ce pourrait être une occasion pour nous, en tant que communauté, de nous rassembler pour rétablir l’esprit communautaire, l’identité et le leadership des femmes autochtones dans nos communautés.

C’est là un parcours qui nous permettra de léguer aux petits-enfants de nos petits-enfants un héritage dont nous pourrons être fiers. Il ne faut pas oublier que le travail que nous faisons ici aujourd’hui, moi-même et vous tous — tous ceux qui répondent à cet appel à l’action —, nous n’en verrons pas les effets. Nos enfants et nos petits-enfants les constateront. Pour moi, c’est une tâche noble, car nous sommes en train de créer des communautés plus sûres pour nos femmes, nos enfants et nos petits-enfants.

Nous rendons hommage à ces voix. Nous apportons aujourd’hui une modification législative. Ensemble, nous cheminons sur la voie de la réconciliation. De cette façon, avec l’héritage que nous pouvons laisser, nous n’aurons aucun regret. Il s’agit d’une occasion d’avoir un impact générationnel positif.

Nous avons vu les répercussions générationnelles de ce qui se produit lorsque nous n’écoutons pas la communauté et les femmes autochtones. Nous voyons les répercussions générationnelles qui se sont produites entre 1985 et aujourd’hui, avec l’augmentation des taux de violence et tout le reste.

C’est l’occasion pour nous de dire que nous allons nous y prendre autrement. Meegwetch.

M. Matson : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. C’est dit de façon admirable. Merci.

La sénatrice McCallum : Un député a déposé une motion portant sur l’étude de modifications de la Loi sur les Indiens pendant que nous faisons notre propre étude, ce qui nous place dans une situation différente. Le député souhaite qu’il y ait un leadership autochtone plus affirmé.

Mme McGuire-Cyrette a répondu en partie à la question suivante : qui est le mieux placé pour parler du projet de loi S-2, s’il s’agit de leadership, des femmes et de la communauté, compte tenu du fait que bon nombre de nos membres ont été colonisés? Cette colonisation au sein de la communauté est un gros problème. Je l’ai remarqué. Mme McGuire-Cyrette dit qu’il faut travailler et guérir ensemble. Je voudrais que nous repérions les échappatoires et les éliminions.

Mme McGuire-Cyrette : Nous devons dialoguer avec ceux qui sont le plus touchés par ce dont nous discutons ici. Une bonne politique d’intérêt public repose sur la participation de tous.

Ce dont il s’agit peut-être ici, c’est d’une approche exclusivement entre nations. Je mettrais entre guillemets le terme « exclusivement ». Seules les organisations autochtones nationales sont considérées comme des chefs de file en matière de politiques d’intérêt public à l’échelle nationale.

Nous préconisons une approche de nation à nation élargie qui laisserait de la place aux femmes autochtones dans la communauté, à des personnes comme M. Matson et à nous tous en matière de politique d’intérêt public. Nous ne pouvons pas isoler l’individu de sa communauté.

À propos de leadership, je constate que des femmes autochtones sont au quotidien des chefs de file dans leurs communautés. Je les vois diriger et continuer d’assumer leurs responsabilités face à la violence 365 jours par année et face à tous les systèmes avec lesquels elles doivent composer. Elles continuent d’élever leurs enfants, de favoriser la guérison, de se réapproprier leur leadership et de s’attaquer à la discrimination législative dont nous discutons aujourd’hui.

Lorsque nous avons demandé aux femmes autochtones ce que le leadership signifiait pour elles, elles ont répondu que ce n’était pas uniquement l’affaire des élus. Les Autochtones ont une définition différente du leadership. Il s’agit de soutenir notre communauté et d’être un chef de file pour les générations qui ne sont pas encore là, qui n’ont pas encore vu le jour. Le travail que nous faisons au présent n’est jamais pour nous-mêmes. Ce travail ne se fait pas au niveau individuel; je le fais pour les petits-enfants de mes petits-enfants. Nous le faisons au nom de la responsabilité collective que nous assumons dans la communauté.

C’est une tactique coloniale de dire que le gouvernement fédéral a créé une politique à laquelle nous n’avons pas adhéré, soit la Loi sur les Indiens. Le gouvernement fédéral a encore une fois créé une politique d’engagement fondée sur une approche de nation à nation. Là non plus, en tant que femmes autochtones, nous n’étions pas d’accord.

Nous essayons d’influer sur cette politique depuis qu’elle est en place et nous disons que nous devons mobiliser les femmes qui sont touchées par la politique officielle. C’est une bonne politique pour le Canada. Par exemple, la Loi sur les Indiens a influencé la pensée des membres et des dirigeants de nos nations, dont certains croient que nous n’avons plus notre place à cause de l’émancipation. Si nous voulons rétablir l’équilibre, nous avons besoin de ce sentiment d’appartenance et de communauté.

La Commission royale sur les peuples autochtones a clairement dit que les peuples autochtones doivent se remettre des conséquences de la domination, du déracinement et de l’assimilation avant que l’autonomie gouvernementale ne puisse réussir. C’est ce que nous voyons ici aujourd’hui. Nos nations doivent pouvoir exercer leur compétence et leur autonomie gouvernementale, y compris déterminer la citoyenneté d’une manière qui respecte l’égalité et les droits des femmes des Premières Nations. Il n’y a pas de discrimination acceptable au Canada, dans nos communautés, et elle est suscitée par cette pensée coloniale enracinée dans nos communautés.

Nous devons nous assurer que le travail que nous faisons vise à rétablir dans leurs droits les femmes des Premières Nations et leurs descendants. C’est le travail que nous faisons ici, et sur lequel je pense que nous sommes tous d’accord pour aller de l’avant. Meegwetch.

M. Matson : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est pour souligner qu’une partie de la réconciliation consiste à redresser les torts du passé, et à faire en sorte qu’il n’y en ait pas d’autres à l’avenir. Des excuses seraient les bienvenues. Il est arrivé une fois, alors que ma cause était devant la Cour d’appel fédérale, qu’un des avocats vienne s’excuser de lutter contre moi. C’était une forme de réconciliation entre moi et une personne qui, à travers différents niveaux du système judiciaire, me présentait des excuses.

C’était bien, mais il faut que l’exécutif du gouvernement canadien, le premier ministre ou la ministre des Services aux Autochtones présente des excuses. Je pense que votre comité s’est excusé en présentant ses rapports C’est assez! et Respectés et protégés de façon positive.

Mais pour ce qui est du leadership dans une perspective communautaire — pour les personnes qui ont été victimes de discrimination —, comme Sharon McIvor et d’autres l’ont dit, le gouvernement doit fournir plus de financement aux communautés lorsque des gens arrivent. Nous devons veiller à ce qu’il y ait suffisamment de fonds pour les programmes, les services et le logement. Lorsque des personnes reviennent dans une communauté, ou y sont de nouveau accueillies — « bienvenues » serait le bon mot —, il faut qu’il y ait suffisamment d’argent afin que les communautés ne soient pas démunies. Il y a déjà des problèmes sur le plan du logement et des autres programmes et services, de l’éducation postsecondaire, etc.

En ce qui concerne le leadership, les personnes qui intentent des poursuites sont des leaders. Sharon McIvor est une leader. Cora est une leader. Ce sont les gens qui font avancer les dossiers qui devraient être consultés.

Cependant, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de mener d’autres consultations au sujet de la Loi sur les Indiens. Le Canada a déjà été reconnu en violation de ce dont nous parlons aujourd’hui. C’est tout.

La vice-présidente : Pour gagner du temps, il reste deux sénateurs et je leur demanderais de limiter leurs questions et leurs interventions à deux minutes.

Le sénateur Prosper : Je vais simplement donner suite à certains témoignages que nous avons entendus précédemment. La ministre a parlé de la nécessité de tenir des consultations avant d’élaborer des plans définitifs concernant, par exemple, les codes d’appartenance, les seuils de vote et l’exclusion après la deuxième génération.

J’aimerais revenir sur le point que Mme McGuire-Cyrette a soulevé. En ce qui concerne les consultations, vous avez mentionné qu’elles semblaient porter sur un niveau acceptable de discrimination. Comment peut-on vraiment mener des consultations sur l’extinction que l’exclusion après la deuxième génération rend inévitable? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Merci.

Mme McGuire-Cyrette : Certainement. Je vous remercie de la question.

En tant qu’Autochtones, nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes pour que cela réussisse. C’est là qu’il s’agit de se pencher sur la peur de réintégrer les femmes et les enfants. Sinon, ce dont nous parlons réellement, c’est d’utiliser des outils coloniaux pour décider qui nous voulons laisser entrer, comme une tactique fondée sur la peur parce que les communautés manquent de ressources pour accueillir les femmes et les enfants qui reviennent.

De notre côté, nous voyons les tactiques d’engagement qui consistent à s’engager dans les structures coloniales entourant le système de la Loi sur les Indiens, etc. Les gens soulèvent des questions sur l’ampleur de la discrimination à laquelle nous faisons face. Ils ne demandent pas directement : « Comment pouvons-nous faire preuve de discrimination envers les femmes? » —, mais les questions qu’ils posent tournent autour de ce genre de choses. « Qu’allons-nous faire des femmes et des enfants visés par le projet de loi S-2 ou la règle du parent unique? » Cela porte sur l’ampleur de la discrimination que nos communautés vont tolérer. Elles n’ont pas toutes cette mentalité, mais malheureusement, certaines l’ont. Je sais que ma propre communauté n’est pas dans cet état d’esprit, heureusement, car nous avons des femmes très fortes qui s’expriment à ce sujet. Cependant, toutes les communautés ne sont pas comme ça. Cela est dû au manque de capacité ou de ressources, à tous les problèmes systémiques que nous avons. Nous n’avons donc pas eu l’occasion de rétablir nos systèmes autochtones et nos façons de savoir et d’être.

Par conséquent, continuer d’utiliser des tactiques d’engagement pour déterminer ce qu’on fera de la règle du parent unique et de la suppression de certains articles de la Loi sur les Indiens revient essentiellement à déterminer ce qui constitue un degré acceptable de discrimination. Le gouvernement fédéral va nous confier cette tâche, pour que nous nous en chargions, au lieu de dire : « Discutons de ce dont nous avons besoin et de ce qu’il faut faire pour permettre le retour des femmes et des enfants. » Meegwetch.

Le sénateur Prosper : Merci.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais parler brièvement des obstacles à l’indemnisation qui sont toujours maintenus par le projet de loi S-2, tel qu’il est devant nous. Je tiens également à souligner, dans ma question, que le projet de loi C-31, le projet de loi C-3 et le projet de loi S-3, dont le Sénat a déjà été saisi, contenaient des dispositions interdisant l’indemnisation.

Pourriez-vous nous parler des droits à l’égalité qui sont touchés par les obstacles à l’indemnisation figurant dans le projet de loi S-2?

M. Matson : Je vais en parler rapidement.

Dans mon cas, en ce qui concerne les réparations, le Conseil des droits de l’homme a dit dans les deux cas qu’il fallait indemniser ceux qui ont été assimilés — c’est-à-dire les personnes victimes de discrimination fondée sur le sexe et aussi celles visées par le paragraphe 6(2). C’est une chose à laquelle le Canada doit répondre, surtout dans le cadre de la LDNU et d’autres appels internationaux. C’est déjà indiqué dans le rapport C’est assez!.

Ensuite, pour ce qui est de la valeur monétaire, c’est une chose sur laquelle nous devrions commencer à travailler. De quels aspects ces personnes ont-elles été privées, et à quoi cela ressemble-t-il? C’est une autre conversation que l’on pourrait avoir un autre jour, mais il faut éliminer les obstacles à l’indemnisation, parce que cela s’est déjà produit dans d’autres contextes, comme pour l’eau potable des Premières Nations et les pensionnats. Il est maintenant temps d’aider nos femmes à cet égard.

La sénatrice McPhedran : Madame McGuire-Cyrette, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme McGuire-Cyrette : Merci. Lorsque nous examinons les autres répercussions coloniales qui ont pu donner lieu à une indemnisation — les pensionnats, la protection de l’enfance —, pourquoi ne pas le faire pour les femmes autochtones? Je pense que c’est une question sur laquelle nous devons toujours nous pencher. Et l’article 39 de la DNUDPA stipule ce qui suit :

Les peuples autochtones ont le droit d’avoir accès à une assistance financière et technique, de la part des États et dans le cadre de la coopération internationale, pour jouir des droits énoncés dans la présente Déclaration.

Je trouve donc toujours intéressant de voir que les tactiques coloniales se poursuivent et que, lorsque nous nous attaquons à ces systèmes, ce sont toujours les femmes qui se voient refuser une indemnisation.

Il y a bien des façons de voir les choses. Nous parlons de rétablir la communauté et de réintégrer les femmes dans la communauté. Il pourrait s’agir d’une indemnisation individuelle et d’une indemnisation collective. Nous pourrions parler d’une indemnisation individuelle, pour redresser ces torts, et aussi d’une indemnisation collective en raison des répercussions collectives et intergénérationnelles que cela a eues sur nos communautés. C’est un autre aspect de la réparation des torts.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci beaucoup à vous tous.

Honorables collègues, le temps alloué à ce groupe est maintenant écoulé. Je remercie encore une fois nos témoins d’être parmi nous aujourd’hui.

Si vous souhaitez présenter d’autres mémoires, veuillez le faire par courriel au greffier au plus tard à 17 heures aujourd’hui — je crois que c’est ce que j’ai dit plus tôt.

Chers collègues, j’aimerais maintenant vous présenter notre deuxième groupe de témoins, qui se joignent à nous par vidéoconférence.

Je souhaite la bienvenue à Joan Brown, directrice de la Première Nation Snuneymuxw, et à Lynda Price, ancienne cheffe de la Première Nation Ulkatcho, qui comparaît à titre personnel.

Bienvenue à vous deux et merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Nos témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant Mme Brown à faire sa déclaration préliminaire.

Joan Brown, directrice, Syuwén’ct, Première Nation Snuneymuxw : [mots prononcés dans une langue autochtone].

Bonjour, madame la présidente et membres du comité sénatorial. Je tiens d’abord à reconnaître les terres qui nous tiennent à cœur et les ancêtres qui continuent de nous guider.

Je m’appelle Joan Brown. Je suis l’arrière-arrière-petite-fille du premier signataire de notre traité de Sarlequun.

Je me présente devant vous aujourd’hui avec humilité, en réfléchissant à la voie ancestrale. Nos aînés nous ont légué une brillance, une façon d’être qui est complète, équilibrée et profondément sage.

Ils nous ont appris à vivre dans une juste relation — les uns avec les autres, avec les terres et les eaux, avec l’esprit qui nous unit à tous les êtres vivants.

Cette voie vit toujours en nous. Elle n’appartient pas au passé. C’est l’essence même de notre identité.

Pourtant, ce projet de loi sur l’appartenance à la bande perpétue l’idée coloniale selon laquelle le gouvernement peut décider qui fait partie de nos nations. Ce pouvoir n’appartient pas au Canada. Il appartient au peuple — aux nations — à ceux dont les relations avec la terre et entre eux définissent qui ils sont.

L’appartenance n’est pas un chiffre. Ce n’est pas un bout de papier. Ce n’est pas le degré de sang. C’est une relation sacrée et un mode de vie. C’est assumer la responsabilité de nos ancêtres de vivre d’une manière qui honore cette confiance sacrée.

L’appartenance est ce qui maintient en place cette voie ancestrale, parce que c’est en appartenant à la terre, en en prenant soin et en nous y connectant que nous trouvons la vie elle-même.

Ces terres et ces eaux ne sont pas à l’extérieur de nous. Elles nous traversent les veines. Elles insufflent la vie à ce que nous sommes.

Lorsqu’un autre gouvernement revendique le droit de décider qui fait partie de nous, il perturbe cette relation sacrée. C’est nous dire que notre essence doit être définie depuis l’extérieur de nous-mêmes.

Ce n’est pas la réconciliation. Ce n’est pas l’autodétermination.

Si nous progressons vraiment vers la réconciliation, alors le pouvoir de définir l’appartenance doit revenir là où il a toujours résidé — auprès des nations, du peuple et de la terre.

Je vous demande d’écouter avec votre cœur et votre esprit. Ce n’est pas une question de loi. C’est une question de vie. C’est une question d’identité. Il s’agit des responsabilités sacrées qui nous définissent en tant que peuple qui a vécu depuis la nuit des temps.

[mots prononcés dans une langue autochtone].

La vice-présidente : Merci, madame Brown. J’invite maintenant Mme Price à faire sa déclaration préliminaire. Madame Price, vous avez la parole.

Lynda Price, consultante indépendante et ancienne cheffe de la Première Nation Ulkatcho, à titre personnel : [mots prononcés dans une langue autochtone].

Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’écouter pendant que vous délibérez sur les modifications proposées à la Loi sur les Indiens dans le projet de loi S-2.

Je suis l’arrière-petite-fille du regretté chef Domas Squinas, qui était le chef de notre communauté, la Première Nation Ulkatcho. Nos terres ancestrales sont situées à l’intérieur de la Colombie-Britannique.

Je suis également une ancienne cheffe élue de ma communauté située au lac Anahim. De plus, je suis une ancienne membre élue de l’exécutif de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, et une ancienne membre de la British Columbia Assembly of First Nations, ou BCAFN — des postes que je n’aurais pas pu obtenir sans la modification apportée à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C-31, en 1985.

La question que je vais aborder est celle des dispositions inégales prévues aux alinéas 6(1)a.3)i) et ii) de la Loi sur les Indiens. Cette loi ne permet pas au registraire des Indiens de délivrer équitablement des certificats de statut d’Indien aux frères et sœurs et à leurs petits-enfants au sein de la même famille ayant une généalogie identique. Cela ressort clairement de l’analyse du groupe de comparaison dans l’exemple ci-joint. J’espère que vous en avez tous reçu une copie. Je vous ai fait parvenir à tous un tableau intitulé « The Price Family Grandchildren », et je vais en parler.

Si vous regardez sous « Grand-parent » à gauche du tableau, vous verrez « Theresa »; c’est ma mère. Elle est née en 1927. Elle est maintenant âgée de 98 ans; elle a fêté son anniversaire l’autre jour. Elle a été émancipée lorsqu’elle s’est mariée avec mon père, qui n’était pas inscrit. Elle a été réinscrite en vertu du projet de loi C-31, en 1985.

Sous la rubrique « Première génération » du tableau, vous verrez que Theresa avait deux enfants, Mike et Lynda. Mike est né en 1949. Je suis née en 1959. Les deux enfants ont été réinscrits en vertu du projet de loi C-31 en 1985. Les deux enfants ont épousé des conjoints non inscrits. Mike s’est marié avant 1985. Je me suis mariée après le 17 avril 1985.

Si vous regardez sous « Deuxième génération », vous verrez que Mike a eu une fille, Rebecca, qui est née avant le 17 avril 1985. J’ai un fils, Carey, qui est né après le 17 avril 1985. Ils ont tous deux reçu leur certificat de statut d’Indien en vertu du projet de loi C-3, en 2011.

Si vous regardez sous « Troisième génération », vous verrez que les petits-enfants de Mike, Zoe et Abigail, ont reçu leur certificat de statut d’Indien et ont été inscrits en vertu du paragraphe 6(2).

Cependant, lorsque mes petits-enfants — si vous regardez en bas à droite de ce tableau, vous verrez Liv, Millie et Lincoln — ont demandé leur certificat de statut d’Indien, ils ont essuyé un refus. Dans sa lettre, John Gordon, registraire des Indiens, affirme que c’est en raison de la règle d’exclusion de la deuxième génération.

Le tableau, l’analyse comparative du groupe des petits-enfants de la famille Price, montre que les dispositions de la Loi sur les Indiens ont été discriminatoires à l’égard de mes petits-enfants lorsqu’ils ont demandé leur certificat de statut d’Indien; bien qu’ils soient nés avec la même généalogie familiale, ils n’ont pas été traités de la même façon que leurs cousins germains. Carey Price vous l’a confirmé dans une lettre, que vous devriez tous avoir également.

Les alinéas 6(1)a.3)(i) et (ii) de la Loi sur les Indiens doivent être modifiés pour se conformer à l’article 15 de la Charte des droits et libertés de la Constitution du Canada portant sur les droits à l’égalité.

Je voulais que vous ayez une analyse comparative sous les yeux pour que vous puissiez voir en quoi ce projet de loi contrevient à la Charte.

[Le témoin s’exprime en langue autochtone]

La vice-présidente : Merci, madame Price. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Honorables collègues, chacun d’entre vous aura droit à une intervention de quatre minutes — y compris la question et la réponse — avec un préavis de 30 secondes afin que tout le monde puisse poser une question.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question à poser aux deux témoins.

Avant de le faire, sur une note personnelle, j’espère que vous accepterez que je vous appelle respectueusement « Tante Joan », et que je vous remercie pour l’hospitalité incroyablement généreuse que vous, votre communauté et votre chef, avez témoignée envers la sénatrice McCallum et moi-même lorsque nous avons pu nous rendre là-bas. C’est encore un moment marquant de ma vie.

Ma question porte sur l’illégalité de plusieurs clauses de ce projet de loi. Vous avez toutes les deux parlé avec éloquence de ce qui devrait être prévu, mais qui ne l’est pas.

J’aimerais vous poser une question précise au sujet de votre opinion sur le fait qu’il y a encore des obstacles à l’indemnisation empêchant toute femme autochtone de se tourner vers le gouvernement pour les préjudices causés non seulement par le projet de loi C-3, la version la plus récente, mais aussi par des projets de loi antérieurs qui ont été adoptés au Canada. Je fais référence à des articles précis du projet de loi qui maintiennent cette interdiction et empêchent donc les femmes autochtones de réclamer une indemnisation pour les préjudices qu’elles ont subis en raison de la discrimination à leur endroit résultant de la Loi sur les Indiens.

Mme Brown : Je vous remercie, sénatrice, de vos aimables commentaires. C’est merveilleux de vous voir ainsi que la sénatrice McCallum.

Je vous remercie de cette question importante, en ce sens que nous sommes des matriarches, sans aucun doute, et que cela déchire le tissu de ce que nous sommes en tant que peuple et de nos rôles en tant que femmes dans la communauté. Nous sommes les historiennes. C’est nous qui gardons les choses en vie. Lorsqu’on décide à l’extérieur de notre organisation — de notre façon d’être, comme vous le décrivez, sénatrice —, cela pose un problème. On nous regarde continuellement de l’extérieur, surtout les femmes. C’est pourquoi nous disons qu’il faut redonner cela aux nations; elles comprennent les rôles et les responsabilités et peuvent commencer à s’entraider en tant que peuple, y compris — et surtout — les femmes. Merci, sénatrice.

La sénatrice McPhedran : Merci.

Et vous, madame Price?

Mme Price : Je vous remercie de la question. Je tiens à remercier Joan Brown de s’être jointe à moi aujourd’hui. Merci à tous de nous avoir invitées à participer à cette importante discussion.

En ce qui concerne votre question sur mon opinion au sujet des obstacles à l’indemnisation des femmes autochtones et des torts causés avant l’adoption de ce projet de loi, je tiens à dire que ma mère et moi avons été réinscrites en vertu du projet de loi C-31, en 1985.

Je tiens à vous dire — j’espère ne pas être trop émotive — que ma mère est née en 1927. Elle s’est mariée avec mon père et a eu cinq enfants. J’ai trois frères et une sœur aînée. Mon père a perdu la vie dans un écrasement d’avion lorsque j’avais cinq ans. Ma mère a dû élever seule ces cinq enfants.

Je dois dire que lorsqu’elle a perdu son statut, elle a été émancipée. Elle n’avait pas le choix de conserver son statut. Elle a été émancipée. Lorsqu’elle a perdu son statut, elle a perdu tous les avantages de la communauté.

La jeune sœur de ma mère est finalement devenue cheffe de notre communauté. Toutefois, elle n’a pas pu aider ma mère parce que les dispositions de la Loi sur les Indiens ne lui permettaient pas d’obtenir un certificat de statut. Pendant toutes ces années, elle a élevé seule cinq enfants. Elle devait gagner sa vie. C’était une travailleuse acharnée. Je lui suis très reconnaissante de ce qu’elle a fait pour nous. Nous avons beaucoup chassé. Nous avons chassé pour notre subsistance.

Cependant, comme vous l’avez dit, elle a souffert pendant toutes ces années. Lorsqu’elle a reçu son statut en 1985, elle n’a pas été indemnisée. Vous savez, il est évident qu’elle a beaucoup perdu. Elle n’a pas eu accès au logement, à la santé, à l’éducation — toutes les dispositions dont bénéficiaient les membres inscrits de notre communauté.

Le pire, c’est que son grand-père, le chef Domas Squinas, n’aurait absolument pas été d’accord avec cela, parce que ce sont nos terres ancestrales qui fournissaient les revenus que la province de la Colombie-Britannique recevait par le biais de l’exploitation forestière et d’autres avantages économiques découlant de la terre.

Pourtant, ma mère n’a rien reçu de tout cela. Et il y avait tellement de division dans la Loi sur les Indiens, la division des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Il n’y a tout simplement pas eu de réconciliation.

Je suis vraiment reconnaissante aujourd’hui que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial travaillent maintenant de concert avec les collectivités des Premières Nations dans le cadre d’ententes sur les répercussions et les avantages. Nous en avons une actuellement.

Je tenais à le dire pour votre gouverne. Merci.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup à vous deux d’être ici. J’aimerais adresser ma question à vous deux, alors je vais la poser rapidement dans l’espoir que vous puissiez toutes les deux y répondre.

Je remarque que l’intention officielle du projet de loi S-2 s’est un peu perdue dans notre débat ici, et je veux croire que c’est parce que nous sommes tous d’accord pour dire que le projet de loi, dans sa forme actuelle, devrait être adopté.

En ce qui concerne le débat sur l’exclusion après la deuxième génération, je demande à chacune d’entre vous, au niveau communautaire, de quelles ressources les Premières Nations auront besoin pour soutenir et intégrer ces membres supplémentaires? D’après votre expérience, les communautés sont-elles vraiment prêtes à gérer ce processus, tant sur le plan financier qu’administratif?

Mme Brown : Je vous remercie de votre question. Il ne fait aucun doute que ce que nous essayons de faire comprendre — du moins du point de vue des Snuneymuxw —, c’est que dans l’ensemble, notre bien-être dépend de chacun de nous faisant partie du tout. Ce qui en découle, c’est que toutes ces ressources sont nécessaires, tout comme une façon de vivre ancestrale. Avec ces ressources financières, cela commence à bouger et à revivre.

Nous avons donc certainement la capacité de gérer cela, mais d’abord et avant tout, de notre point de vue, il s’agit vraiment de guérir ces blessures afin que nous puissions commencer à aller de l’avant.

Il ne fait aucun doute que nous sommes prêts à ne laisser personne de côté. C’est notre histoire. C’est notre façon d’être. C’est ce que nous demandons à tout le monde : de faire confiance à qui nous sommes, à ce que nous sommes et à la brillance de nos aînés. Nous nous tenons sur leurs épaules, et ils nous ont tant laissés que ce genre de choses n’est pas prioritaire. C’est une question de mieux-être où, dans le moi collectif, tout est restauré et renouvelé.

Nous sommes vraiment confiants, mais surtout, comme l’a dit ma parente Lynda, ces blessures — ce qui est arrivé à nos parents et à nos grands-parents — nous voulons les laisser dans le passé et commencer notre guérison. Cela commence aujourd’hui avec votre aide pour remettre les choses entre les mains des nations.

[Le témoin s’exprime en langue autochtone].

Mme Price : Bonjour. Je vous remercie de la question. C’est une question très importante.

Je suppose que j’inverserais la question. En tant que leader dans ma communauté et ancienne cheffe, j’ai rempli plusieurs mandats. J’ai été cheffe élue de 2005 à 2009. J’ai été la première femme élue à l’exécutif de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, et j’ai siégé au Conseil des dirigeants des Premières Nations, du temps de l’ancien premier ministre Gordon Campbell, aux côtés du grand chef Ed John, du grand chef Stewart Phillip et de l’ancien chef national Shawn Atleo. Il y avait beaucoup de choses que nous devions régler au niveau des dirigeants. Il s’agissait notamment des capacités de notre communauté.

Comme nous le savons tous, il faut que les membres de nos bandes reviennent dans nos communautés pour que nous puissions commencer à les bâtir. Si nos enfants ne sont pas réinscrits, nous perdons nos capacités et nous perdons en fait nos communautés.

Lorsque je faisais partie du Conseil des dirigeants des Premières Nations, nous avons signé l’accord-cadre tripartite sur la gouvernance de la santé avec le gouvernement fédéral, la province et les Premières Nations de la Colombie-Britannique. Par conséquent, nous avons établi un cadre de gouvernance de la santé par les Premières Nations. Un certain nombre de bureaux régionaux ont été mis sur pied en vertu de cet accord-cadre.

Je vois donc nos membres qui réintègrent la collectivité et occupent ces postes. Dans mon rôle de leader de ma collectivité, j’ai participé à la négociation des ententes sur le partage des recettes de jeux. À l’époque, nous n’avions pas suffisamment de revenus pour financer nos étudiants de niveau postsecondaire, et il y avait pour notre collectivité un plafond de seulement 400 000.

Après mon retour, nous avons réussi à conclure une entente de partenariat avec la province de la Colombie-Britannique et avons ainsi pu réinjecter des ressources dans la collectivité. Au lieu des 15 étudiants qui étaient inscrits quand j’ai quitté mon poste ce printemps — je ne me suis pas représentée —, 60 étudiants figuraient sur notre liste d’étudiants de niveau postsecondaire.

Ces étudiants reviennent dans la collectivité, bâtissent notre collectivité, contribuent à son économie et lui donnent la capacité d’aller de l’avant de façon positive.

Je n’y vois donc aucun désavantage. C’est le fait de ne pas aborder cette question qui serait préjudiciable. Ce qui m’inquiète, c’est le sort de mes petits-enfants : Liv, qui a 9 ans, Millie, qui a 7 ans et Lincoln, qui en a 5. Que feront-ils sans leur statut dans nos collectivités? Ils ne se sentiront pas les bienvenus sans leur statut. Cela engendrera de la discrimination.

Je suis vraiment inquiète. Nous parlons ici de la terre ancestrale de mon arrière-grand-père. Ils sont ses arrière-arrière-petits-enfants. Jamais, au grand jamais, mon arrière-grand-père n’aurait accepté qu’ils ne puissent pas jouer un rôle dans nos collectivités.

Si je n’avais pas été réintégrée en vertu du projet de loi C-31, en 1985, je n’aurais jamais été élue dans ma collectivité, je n’aurais jamais pu siéger au Conseil des leaders des Premières Nations à l’échelon provincial ni être la première femme élue à la direction de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, formée en 1969.

La sénatrice Sorensen : Merci de votre contribution au service public.

Le sénateur Tannas : J’aimerais revenir un peu sur ce que vient de dire Mme Price. Cette année, les premiers Indiens inscrits en vertu du paragraphe 6(2) ont eu 40 ans. Il doit donc y avoir un nombre croissant d’enfants nés sans statut dans les réserves et, par conséquent, sans financement pour leur éducation, leur santé ou leur logement.

Bientôt, ces enfants non inscrits auront 20 ans. Certains d’entre eux auront des besoins d’adulte en matière de logement dans la collectivité.

Est-ce que chacun d’entre vous pourrait nous dire à quel point cela exerce un stress sur la collectivité en ce moment, de voir un si grand nombre de personnes non financées se prévaloir du système scolaire, mais aussi des autres services communautaires appelant des dépenses? Quel effet cela a-t-il sur la culture?

Si nous devons mener des consultations à ce sujet pendant encore cinq ans, c’est une chose qui — d’autres nous l’ont dit — est en passe de devenir un problème financier important. Cela commence à atteindre le moral de la collectivité et à créer des divisions.

J’aimerais connaître votre réaction, positive ou négative, quant à vos collectivités respectives et ce que les gens pensent de cet enjeu, que ce soit positif ou négatif. Merci.

Mme Price : La question porte donc sur l’augmentation du nombre de personnes inscrites en vertu du paragraphe 6(2) ou d’Indiens non inscrits qui reviennent dans nos collectivités, et sur les répercussions que cela aura sur nos Premières Nations?

Le sénateur Tannas : Il s’agit davantage de ceux qui y sont déjà. Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur le grand nombre de personnes inscrites en vertu de 6(2) qui ont eu des enfants dans les collectivités, sans qu’aucun financement soit octroyé pour ces enfants. Cela m’intéresse davantage que le spectre du retour d’un certain nombre de personnes. Je parle de la collectivité et des gens qui y vivent à l’heure actuelle.

Mme Price : Oui, c’est certainement une préoccupation. Je sais que, en ce qui concerne mes enfants, lorsque je fréquentais l’université, le projet de loi C-3 n’avait pas encore été présenté, alors ils étaient encore sans statut. Mes propres enfants n’ont obtenu leur statut que dans leur vingtaine avancée, alors je l’ai vécu, je sais de quoi il en retourne.

Heureusement, j’ai pu survivre parce que je travaillais fort et que j’arrivais à générer des revenus. J’ai été commissaire pour le district scolaire no 27 pendant 10 ans et j’ai travaillé dans ma collectivité sur le dossier de l’éducation. J’ai travaillé avec application pour faire construire notre école de bande et notre garderie. J’ai travaillé très fort pour faire construire une nouvelle clinique, un nouveau bureau pour le conseil de bande et d’autres infrastructures. J’ai travaillé dans notre Centre des ressources, et j’ai mis sur pied le processus de renvoi ainsi que le programme de conservation. J’ai aussi mis sur pied le conseil des aînés, qui représentait tous les aînés de notre collectivité. Nous avons traité tous les renvois dans la collectivité.

Donc, si je regarde la collectivité dans son ensemble, toutes les personnes ont été invitées à occuper des postes afin qu’elles travaillent. Nous n’étions pas victimes du syndrome de l’aide sociale, nous cherchions des façons de créer des emplois.

Nous avons conclu une coentreprise avec Carrier Lumber. Avec l’aide de la collectivité locale et de la bande, nous avons mis sur pied une exploitation forestière, ce qui a permis à la collectivité de générer des revenus et de faire travailler tous ses membres. Toutes les familles — hommes, femmes et enfants, inscrits ou non — étaient en mesure de travailler dans la collectivité et d’acheter des maisons et des véhicules.

Nous avons eu l’immense chance de nous concentrer sur les revenus et le développement économique.

À mon avis, il s’agit d’établir des partenariats, non seulement avec l’industrie, mais également avec les collectivités, afin que tous travaillent ensemble à leur mieux-être. Ainsi va la vie, de nos jours.

Nous ne pouvons plus nous borner à attendre des sommes du gouvernement alors qu’il est tellement endetté. Comment pourront-ils se permettre de tout payer? Quand je songe au gouvernement de la Colombie-Britannique, je frémis à l’idée qu’il a une dette de 10,5 milliards de dollars. Le gouvernement fédéral ne fait pas beaucoup mieux.

Nous devons donc mettre l’accent sur les partenariats et le développement économique. Voilà ce à quoi nous devons réfléchir. Les problèmes viennent de ce que nous sommes tellement préoccupés par le contexte actuel que nous tournons en rond. Nous devons accueillir les enfants et les familles qui reviennent, pour travailler ensemble à bâtir une collectivité forte. Merci.

Le sénateur Tannas : Pouvez-vous exprimer brièvement vos pensées, madame Brown?

Mme Brown : Merci, monsieur le sénateur.

Ma perspective est toujours culturelle et je comprends très bien ce que cela fait que d’être du côté des exclus. Il arrive souvent que des femmes non autochtones se soient mariées dans notre collectivité et qu’elles aient le statut d’Indien. C’est vraiment très blessant. Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela fait à notre collectivité. Au bout du compte, si nous sommes en santé, l’économie ne représente qu’une petite part du problème. Nous ne mettons pas les efforts là où il le faut. S’il vous plaît, monsieur le sénateur, nous parlons de guérison. Quand nous serons tous à la maison, nous nous préparerons simplement à l’extraordinaire, comme l’a dit ma parente. L’aspect économique se réglera tout seul.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup.

La vice-présidente : Chers collègues, je vous invite à limiter vos questions et vos réponses à deux minutes.

La sénatrice Clement : Je remercie les deux témoins. Madame Brown, vos propos au sujet de la relation sacrée — qui, si elle est perturbée, entrave la réconciliation — étaient puissants. Merci, madame Price, pour le tableau et pour votre intervention au sujet de l’octroi inéquitable de certificats pour les personnes à la généalogie identique.

Ma question porte sur les titulaires de droits et sur votre définition de ce terme. On m’a dit que le comité ne devait pas apporter de modifications ou poursuivre l’objectif de la réconciliation parce qu’il n’avait pas entendu un nombre suffisant de titulaires de droits. Il me semble que nous avons entendu un bon nombre de personnes affectées, y compris des matriarches et des élus.

Qu’entendez-vous par titulaires de droits?

Mme Price : Merci. En ce qui a trait aux droits ancestraux... Il y en a deux, qui relèvent de l’article 35, en ce sens que nous avons des droits ancestraux et le droit à nos terres. Nous avons aussi droit à toutes nos pratiques culturelles, qui ont été définies par les tribunaux dans un certain nombre de causes différentes, et qui incluent la pêche, la chasse et la cueillette sur nos terres dans un but de subsistance.

Vous ne pourriez jamais nous enlever nos droits, à aucun d’entre nous. Nos droits sont issus de notre lignée. Dans notre collectivité d’Ulkatcho — et même si on nous appelle la Première Nation ulkatcho — un certain nombre de familles vivent dans notre collectivité, et chacune est liée à la terre. Notre langue nous lie à notre territoire, nos lois sont donc inscrites dans notre langue même.

Quand je pense à mes ancêtres, je pense à notre façon de vivre et de grandir sur la terre. Mon arrière-grand-père, le chef Domas Squinas, était Nuxalk. Il était un Salish du littoral. Sa première épouse était Tsihogot’in, et ils ont été les premiers à remporter la cause Xeni Gwet’in Tsihogot’in pour le titre ancestral, ce dont nous sommes très fiers. C’est arrivé en 2014. Sa deuxième épouse était Christine, ma chère grand-mère, qui venait du lac Ootsa, a été inondée avec sa famille. Les tombes se sont mises à flotter lorsque l’Alcan a construit le barrage Kenney dans le nord.

Vous voyez donc à quel point notre peuple est lié à la terre. Chacun des groupes familiaux de notre collectivité est relié à ce que nous appelons une zone keyoh, qui est notre patrie en quelque sorte. Nous y avons chassé et nous nous y sommes rassemblés depuis des temps immémoriaux.

Donc, quand je pense aux droits et aux titres autochtones, je pense à notre droit en vertu de l’article 35. Mais nous avions ce droit même avant.

Lorsque les nouveaux arrivants sont venus, notamment mes ancêtres paternels, notre peuple les a accueillis, et certaines personnes en ont profité, ce qui explique notre souffrance actuelle, je crois.

Mais le plus important demeure que nos enfants puissent vivre sur notre terre.

J’ai intentionnellement élevé mes deux enfants, Carey et Kayla, sur nos terres. Nous avions le choix de vivre à Vancouver — mon mari avait un très bon emploi —, mais j’ai décidé que nous devions retourner dans ma collectivité, car je voulais que mes enfants vivent et soient élevés dans ma collectivité afin qu’ils connaissent leurs ancêtres, leurs parents et notre mode de vie sur la terre.

Aujourd’hui, j’en suis très fière, parce que mes deux enfants savent qui ils sont. Mon fils chasse avec mon mari chaque automne et continue de chasser pour notre subsistance, comme on le lui a enseigné, c’est-à-dire comme ma grand-mère me l’a appris. Je suis vraiment fière de cela.

Les droits et titres autochtones sont donc très importants. Si les droits de nos enfants devaient faire l’objet d’une coupure, parce qu’ils n’ont pas leur statut, ce serait inacceptable. Merci.

Mme Brown : Merci, monsieur le sénateur. Mes réponses portent toujours sur l’aspect de la culture. Les titulaires de droits et de titres sont des gens de la terre. La terre me connaît et je connais la terre, de tout mon cœur et avec toute ma force. Elle répond aux personnes qui sont des titulaires de droits et de titres. Nous l’entendons et elle répond avec bonté.

C’est ainsi que je comprends cette relation. Elle vient d’une connaissance intime de la terre, mais plus important encore, la terre nous connaît et connaît notre relation avec elle depuis le début des temps. Elle voit qui je suis.

Merci, monsieur le sénateur.

Le sénateur Prosper : Merci à tous les témoins. Ce fut toute une expérience d’apprentissage que ces histoires incroyables de résilience. Beaucoup de sagesse et de connaissances ont été évoquées ici, et je vous en remercie.

Pour chaque témoin, ce projet de loi vise à remédier aux problèmes amenés par l’émancipation et prévoit un mécanisme juridique de reconnaissance du statut des personnes assujetties à l’émancipation. Cependant, dans votre témoignage, vous avez noté d’autres injustices qui perdurent. Madame Price, vous l’avez écrit noir sur blanc dans le tableau de votre famille.

Madame Brown, vous avez parlé d’humilité, de bonnes relations, de sagesse et d’une approche équilibrée. Nous sommes autochtones, nous ne sommes pas seulement des chiffres. La définition de notre lien d’appartenance ne devrait pas relever du Canada : cela revient à nos nations.

On a beaucoup parlé de l’exclusion après la deuxième génération et elle n’est pas au cœur du projet de loi actuel. Pensez-vous que cet élément devrait être pris en considération dans le contexte de ce projet de loi, sous la forme d’un amendement? Nous allons commencer par Mme Brown, puis passer à Mme Price.

Mme Brown : Merci, monsieur le sénateur.

Je vais essayer de ne pas être émotive, parce que cela touche mes petits-enfants, qui vivent juste à côté de chez moi. Comment pourrais-je dire qu’ils n’ont pas leur place? Ce n’est pas dans notre façon d’être. L’impact est tellement important — plus que personne ne peut vraiment le comprendre.

Mes petits-enfants sont sculpteurs. Ils connaissent nos chansons. Ils vivent et respirent notre manière d’être. Ils sont la raison pour laquelle nous insistons sur le fait que c’est nous qui savons où est leur place et quelle est leur appartenance. Personne d’autre que nous ne peut le déterminer, personne sauf les nôtres. C’est ce qui est vraiment difficile. Nous ne pouvons pas dire : « Tu n’as plus ta place, mon fils. Il est temps pour toi de vivre ailleurs. » Vous ne pourriez jamais imaginer ce que c’est que de dire à vos petits-enfants : « Désolée. Vous devez changer de nom. Vous ne pouvez pas porter ce nom. » Cela nous déchire le cœur. Je vais m’arrêter ici.

Le sénateur Prosper : Merci.

Mme Price : Merci. C’est une question très importante et c’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui.

J’ai travaillé au projet de loi C-38. J’étais là lorsque nous avons présenté un mémoire à l’ancienne ministre Patty Hajdu, qui représentait alors l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique comme cheffe d’Ulkatcho. J’ai été nommée par les chefs pour faire une présentation à l’ancienne ministre, avec la représentante de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, la cheffe Marilyn Slett, de la nation heiltsuk. Nous avons toutes les deux fait une présentation. Essentiellement, nous voulions faire reconnaître toutes les résolutions qui avaient été adoptées au fil des ans. La résolution 2010-03 stipule que « ... l’assemblée des chefs de la BCAFN a déclaré que les Premières Nations ont le droit inhérent et la compétence pour déterminer la citoyenneté [...] » Ensuite, une autre résolution a été adoptée, soit la résolution 2019-07(g), qui dit que « ... l’assemblée des chefs de la BCAFN a demandé au Canada de mettre fin immédiatement à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens [...] »

Le comité sénatorial a reconnu, dans sa résolution des 9 et 10 mars 2023, que la BCAFN avait tenu une assemblée extraordinaire des chefs. Nous avons adopté la résolution 01/2023, dont le sujet est « METTRE FIN À LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE QUE COMPORTE LA LOI SUR LES INDIENS CONFORMÉMENT À LA DÉCLARATION DES NATIONS UNIES ». Dans cette résolution, nous avons dit :

Le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones — qui s’appelait alors le Comité sénatorial permanent des peuples aborigènes dans sa version anglaise —, et qui a été publié en juin 2022 sous le titre C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, contient neuf recommandations visant à résoudre les problèmes actuels de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens et à offrir réparation.

L’assemblée avait reconnu ce rapport. Les chefs avaient adopté une résolution et, dès le mois d’octobre, le groupe de travail avait été mis sur pied. Je crois que Sharon McIvor, qui a témoigné devant vous hier ou avant-hier, faisait partie de ce groupe de travail. Essentiellement, l’Assemblée générale des chefs de la BCAFN a adopté une résolution pour appuyer les recommandations formulées dans le rapport C’est assez!. Elle a également appuyé sans réserve la conclusion et les recommandations du Groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens. L’assemblée a également demandé au Canada de :

... veiller à ce que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens (1985) soient conformes aux droits des peuples autochtones et aux droits de la personne énoncés dans la Déclaration des Nations unies et respectent l’exigence du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Je crois donc que nos peuples en Colombie-Britannique ont déjà affirmé qu’il est temps — que cela aurait dû être fait depuis longtemps. En toute honnêteté, le gouvernement enfreint la loi. Au début des années 1980, la Charte des droits et libertés a été adoptée. On y trouve un article intitulé « Droit à l’égalité », qui est l’article 15. Dans ce cadre juridique, si un gouvernement, qu’il soit fédéral ou provincial, adopte une loi discriminatoire, cette loi doit être abrogée.

C’est donc un problème grave, qui dure depuis trop longtemps. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision dans l’affaire Nicholas et elle a donné 10 mois à RCAANC pour s’y conformer. Il faut le souligner. Merci.

La vice-présidente : Je suis très consciente du temps qu’il nous reste. Nous avons deux minutes au total.

La sénatrice McCallum : Je sais cela.

Je tiens à saluer ma tante Joan. Je suis heureuse de vous revoir et j’espère vous rendre visite bientôt.

Je tiens à dire aux gens ici présents que nous avons demandé les statistiques quant aux personnes concernées par l’issue de l’affaire Nicholas — combien d’entre elles sont touchées par l’exclusion après la deuxième génération. Cela en fera beaucoup. Elles feront face à une autre discrimination.

Selon les statistiques officielles du gouvernement, le Canada a accueilli environ 483 591 immigrants en 2024, dont 483 390 résidents permanents. Il s’agit du plus grand nombre d’immigrants en une seule année depuis 1972. Le Canada continuera d’accueillir 395 000 personnes en 2025, 380 000 en 2026 et 365 000 résidents permanents en 2027. Le gouvernement dépense des milliards de dollars pour soutenir les immigrants — plus de 3,2 milliards de dollars sur trois ans pour financer des services, y compris la formation linguistique et l’accréditation professionnelle.

Le Programme d’aide au logement provisoire octroie des milliards de dollars de plus pour couvrir les coûts associés à l’hébergement des demandeurs d’asile. À titre d’exemple, un montant supplémentaire de 362,4 millions de dollars a été annoncé pour ce programme en janvier 2024, en plus des 212 millions de dollars consentis à l’été précédent.

Convenez-vous que les Premières Nations auraient dû recevoir la priorité, compte tenu du choix de dépenses du gouvernement et compte tenu de la discrimination historique causée par l’exclusion après la deuxième génération? Pourquoi croyez-vous que ces sommes d’argent n’ont pas été attribuées aux Premières Nations, afin de rectifier cette situation?

La vice-présidente : J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Brown : Merci, madame la sénatrice. Le simple fait d’entendre ces mots est franchement bouleversant. Il faut comprendre la souffrance que nous avons endurée, le niveau de pauvreté dans lequel nous avons vécu, les logements insalubres et tout le reste. Pourtant, nous sommes encore exclus, on nous considère comme des citoyens de seconde zone et tous les autres passent devant nous. Nous incarnons la vie en réserve plus que quiconque ne pourrait l’imaginer. Quant à notre communauté urbaine, elle dispose d’encore moins de services. Donc, pour nous, c’est l’une des choses les plus douloureuses auxquelles nous sommes soumis : être sans cesse repoussés au bout de la file. Je ne connais rien de plus blessant.

Je vous remercie de votre point de vue, madame la sénatrice. Je pense toujours aux chefs, à qui l’on dit : « Allez-y, gérez-la, vous, la pauvreté. » Il est très difficile, d’après les anciens chefs, d’arriver à se renouveler, quand nous sommes toujours exclus. Je vous remercie de mettre les choses en perspective, madame la sénatrice McCallum.

La sénatrice McCallum : Merci.

La vice-présidente : Merci. Mme Price.

Mme Price : Je vous remercie de la question. À l’issue de la commission royale et des nombreuses autres études et commissions qui ont jalonné notre histoire — le Canada a réalisé plusieurs commissions —, il y a toujours des recommandations qui appellent des ressources. Il est primordial que ces obligations soient traitées en priorité. Il faut aider les gens, c’est ce que je crois, et il est toujours bénéfique pour nous d’appuyer d’autres personnes dans le besoin. Mais quand des besoins si importants se font sentir si près de nous, dans notre propre pays, alors que, par surcroît, nos droits sont reconnus en vertu de l’article 35, je crois qu’il faut faire respecter ces droits en priorité.

Nous devons faire partie de la solution. Nos besoins doivent être pris en compte, ensuite nous pourrons travailler ensemble pour régler tous les autres problèmes. Bien franchement, je crois que la commission royale a réalisé un travail très complet.

Il y a chez nous des personnes sans accès à l’eau potable, beaucoup sont sans logement, comme vous l’avez dit plus tôt. Nous devons veiller à ce que ces besoins soient comblés.

Ce qui m’inquiète, c’est que c’est malsain pour nos collectivités. Quand je songe à nos communautés, je constate combien de nos membres vivent hors réserve. Si l’on compare le nombre de ceux qui vivent dans les réserves par rapport à ceux qui vivent hors réserve, on voit que, pour la plupart des communautés, les membres vivent hors réserve. Cela veut dire qu’ils cherchent des logements dans les villes, dans les municipalités et dans les petits villages. S’il n’y a pas de logements pour eux, où sont les logements pour tous les autres? C’est une question importante qui appelle une solution, je suppose. Merci beaucoup de l’avoir posée.

La vice-présidente : Merci à nos témoins. Le temps alloué à ce panel est écoulé. Je vous remercie encore une fois d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui.

Si vous voulez émettre d’autres observations, veuillez les soumettre au greffier avant 17 heures aujourd’hui. Nous n’accepterons plus de mémoires après cela.

Chers collègues, cela met fin à la partie publique de notre séance d’aujourd’hui. J’ai une question pour vous tous, si vous pouviez rester.

Je remercie nos témoins et leur souhaite une belle journée.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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